Meilleur journal étudiant en 2014

XXXV
/ no6
15 avril
vol. vol.
XXXV
/ no6
/ 15 /avril
20152015
Meilleur journal étudiant en 2014
selon Le Devoir de la presse étudiante
Le noeud de la crise
Rien ne va plus. C’est la crise à l’UQAM, tout le monde le
dit mais personne n’y comprend rien.
De l’extérieur, les journalistes qui travaillent trop vite font
des raccourcis simplistes et brouillent les cartes. Quand
on additionne en quelques jours les mots austérité, vote
à main levée, grève, levée de cours, répression politique,
sit-in et démission du recteur, difficile pour monsieur et
madame tout le monde de s’y retrouver. Ce tourbillon
d’informations mal agencées ne peut que projeter l’image
d’un mouvement social désordonné.
Les médias ont perdu de vue le contexte dans lequel tout
a pris feu à l’UQAM. Même les étudiants de l’École des
sciences de la gestion, qui tentent de manifester leur
désaccord quant à la casse qui a eu lieu le 8 avril au soir,
sont incompris de Radio-Canada. Non, ils n’appuient pas
le recteur, qui a appelé la police. Ils n’appuient rien, ils
demandent un lieu d’éducation sain.
Tout comme les étudiants qui ont participé au sit-in. Les
étudiants, professeurs et personnes de l’extérieur (qui
qu’elles soient), ont protesté contre une intervention
policière à l’intérieur de l’université. Ils demandent un
lieu d’éducation sain.
Oui, les actes de grabuge sont à condamner. On a porté
atteinte à des locaux d’associations étudiantes et de services aux étudiants. Rien n’est plus ironique, mais là
n’est pas le débat.
Pourrons-nous dans les prochains jours en tirer de vraies
discussions sur la démocratie étudiante, alors que ce qui
circule sur les différents réseaux, sites Internet, et ce que
les télévisions diffusent ne reflète qu’un brouillon de la
réalité dont nous sommes témoins, au Montréal Campus ?
Les grandes explications malheureusement nécessaires
pour faire comprendre cette crise, dont la source est à
la fois les menaces d’expulsions et le déroulement des
levées de cours, ne viendront pas d’elles-mêmes. Puisque
les médias de masse n’ont dépeint qu’un portrait grossier
de la situation jusqu’à maintenant :
-Militants, levez-vous, et prenez par la main le journaliste qui tentera de comprendre ce qui se passe avant
qu’il ne soit aveuglé, à la vue d’une machine distributrice éclatée.
-Non-militants, levez-vous et questionnez-vous sur ce
qui vous attend, alors qu’aucun représentant étudiant
ne siège désormais sur le conseil d’administration, rejetés pour leurs actions militantes.
Nous sommes de votre côté.
Visiblement, ces discussions n’auront pas lieu en présence du ministre Blais, résolu à ne traiter que de la
question de la sécurité à l’UQAM. Il a d’ailleurs lâché en
conférence de presse qu’il ne reconnaissait pas le droit
de grève des étudiants : l’histoire de notre université, du
revers de la main balayée. Rien n’est acquis, sinon que de
Catherine Paquette
Rédactrice en chef
[email protected]
La démocratie étudiante et la liberté d’association sont
menacées par les évènements qui s’accumulent depuis les
Fêtes à l’université, en particulier par la menace d’expulsion d’étudiants militants et par l’injonction qu’a obtenue l’UQAM. La situation a tout d’un musèlement politique, mais ce que l’on retient, c’est que des étudiants
cassent tout, et que d’autres intimident leurs collègues.
ESPRIT DE CLOCHER
Alerte au masque
Les politiciens, les policiers, les médias :
tout le monde se l’arrache. Hormis
son sweat-shirt noir, sa cagoule et
son Maalox, il pourrait passer pour n’importe
quel citoyen en pleine tempête de neige.
Il effraie davantage qu’un homme armé.
Il alimente l’imaginaire. Impossible de
l’ignorer. Souvent honni, peu considéré et
parfois admiré, l’étudiant masqué cristallise
une large gamme d’émotions.
Tenu responsable du climat politique acerbe
des dernières semaines et du saccage à l’intérieur du pavillon J.-A.-DeSève, l’étudiant
masqué a le dos large. L’université a d’ailleurs
investi des montants considérables afin de
démocratiser le port du masque. Avec l’installation de caméras de surveillance, depuis
le printemps érable, l’UQAM s’est bien assurée de pouvoir repérer, peu importe l’angle,
chaque étudiant qui oserait défier la lamentable gestion du campus.
Dans la plus récente mouture de sa Politique
encadrant le système de surveillance vidéo,
«le Service de la prévention et de la sécurité peut permettre le visionnement en temps
réel aux institutions chargées du respect de
la loi, tels que le Service de police de la Ville
de Montréal (SPVM) ou le Service de sécurité
incendie de Montréal» lors d’une «urgence où
l’intégrité physique des personnes ou la sécurité des lieux est menacée». Un amalgame
de termes vagues, à l’interprétation libre,
pour dire que les images d’une occupation
filmée du pavillon J.-A.-DeSève seraient susceptibles d’être fournies aux policiers.
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Montréal Campus
fesser dans le tas avec des injonctions.
MEFAITS DIVERS
Méfaits accomplis
Pour avoir été fiché, dirigé vers le SPVM et
avoir reçu des amendes pour sa seule participation à une action du peuple, par le peuple
et pour le peuple, l’étudiant masqué prend
la meilleure des décisions pour lui et pour
la collectivité en choisissant le port du chiffon opaque.
Souvent confondu avec le black block, dont
l’existence fluctue au gré des manifestations
et la composition demeure inconnue, l’étudiant masqué n’aurait pas à l’être si l’UQAM
ne choisissait pas systématiquement de discriminer les vecteurs de changement dans
l’université. Avant l’adoption du règlement
P-6 en 2012, porter un masque faisait partie
des droits citoyens admis, acceptés et reconnus. Il faut être plutôt courageux pour braver
les risques d’expulsion, de répression politique et les dénoncer.
À la vitesse à laquelle les dissidents sont
réprimés, ils pourraient compter dans leurs
rangs des professeurs et des chargés de cours.
Critiqués pour leur intervention, Sandrine
Ricci, Marcos Ancelovici ou Michèle Nevert
devront peut-être manifester une cagoule au
visage sans quoi ils risqueraient de se faire
évincer de l’université, un lieu où la liberté
est pourtant l’une des plus sacralisées.
Nous sommes de votre côté.
Frédéric Comeau
Chef de pupitre UQAM
[email protected]
Twitter : @ComeauFred
Je ne conclurai pas en écrivant sur les
larmes qui me viennent aux yeux en pensant aux murs jaune-orange du Campus ou
à mon dernier chiffre de beignes. Promis.
Et oui, je me sens comme Harry Potter
lorsqu’il ferme sa carte du Maraudeur.
Comparaison boiteuse, certes, mais j’aime
le titre. Durant l’année, près de 45 sujets
auront pris d’assaut les pages de ce journal, des problématiques peu couvertes
par les grands médias qui ont laissé place
au talent de multiples collaborateurs qui
sont destinés à une brillante carrière. Avec
une section aussi large, j’ai essayé d’être
diversifié et original dans ma sélection de
sujets. Avec la politique fédérale, la course
automobile et le logement social, j’espère
que cette dernière édition remplit toujours
cette mission.
Dans ma dernière chronique de 2014, j’affirmais tout bonnement que j’allais écrire
sur les prochaines élections fédérales et sur
le virage social de Pierre-Karl Péladeau. Ma
chronique a en effet été plutôt inexistante
cette session, milles excuses aux nombreux
lecteurs de Méfaits Divers. En tout cas,
mieux vaut tard que jamais…
PKP ? Un bien faible politicien qui ne se fie
qu’à sa notoriété pour l’emporter et offre un
plan vers la souveraineté aussi flou que son
ancienne chef. Ne soyez pas surpris de voir
Québec solidaire devenir l’option de choix
pour les souverainistes québécois dans les
prochaines années.
Harper ? De plus en plus un clone de George
W. Bush. Incapable de faire une campagne
sur son bilan économique, il faudra s’attendre à une campagne de peur sur le terrorisme avec un tas de raccourcis. Ça n’aide
pas que son principal rival soit incapable de
prouver qu’il est là où il se trouve pour une
autre raison que son nom de famille.
En dernier lieu, il faut que je souligne
l’énorme travail réalisé par le reste de
l’équipe. Avec Vieille École, Olivier Landry
et Poque, j’ai rarement vu une équipe
aussi diversifiée produire un résultat final
d’une telle qualité. Quatorze jours après
14 jours après 14 jours. Difficile d’imaginer une meilleure équipe avec laquelle travailler toute l’année. Plus que jamais, le
Montréal Campus a prouvé qu’il était vital
à la vie uqamienne et avec la relève prometteuse qui vient d’y faire ses premières
armes, le futur s’annonce sans aucun doute
prometteur. Nos bras meurtris vous tendent
le flambeau, à vous toujours de le porter
bien haut.
Et lorsque je pense aux murs jaune-orange
du V-1380… oups j’ai failli déraper.
Nous sommes de votre côté.
Étienne Cournoyer
Chef de pupitre Société
[email protected]
Twitter : @E_Cournoyer
15 avril 2015
uqam
Martine Delvaux
Écrire, Enseigner, Dénoncer Camille Lopez
Photo : Camille Lopez
À l’avant-plan médiatique du scandale des portes placardées à l’UQAM et présente sur la ligne de front des
dénonciations de harcèlement sexuel envers les étudiantes, Martine Delvaux est l’une des voix féministes les plus
écoutées du Québec.
W W W.M O NTR EALCAM PU S.CA
T É L É P H O N E :514 - 9 87- 7018
L’instance décisionnelle de Montréal Campus est la société des rédacteurs (SDR). Pour en faire partie, il
faut avoir collaboré à trois numéros ou être membre du personnel régulier.
vol. XXXV no. 6 / 15 avril 2015
Rédactrice en chef / Catherine Paquette - Chefs de pupitre / UQAM / Frédéric Comeau - Société / Étienne
Cournoyer - Culture / Colin Côté-Paulette - WEB / Catherine Lamothe - Réseaux sociaux / Catherine Drapeau stagiaires / Benoit Lortie et Carl Vaillancourt - Graphisme de la une / Gabriel Pelletier / Photo de la une / Félix
Deschênes / Contrôleuse financière / Sandrine Boniface - Graphisme et montage / Fleur de Lysée design
graphique et Gabriel Pelletier - Photographie et illustrations / Félix Deschênes, Camille Lopez, Catherine Lamothe,
Benoit Lortie, François L. Delagrave, goodreads.com, lemetropole.com - Impression / Payette et Simms - Ont
collaboré à ce numéro / Marie-Pierre Rondeau, Camille Lopez, Jasmine Legendre, Félix Deschênes, Guillaume
Lepage, Samuel Lamoureux
Publi­cité / Accès Média : 514 524-1182
[email protected]
Dépot Légal : Bibliothèque nationale du Québec - Bibliothèque nationale du Canada
Montréal Campus est publié par les éditions Montréal Camping Inc.
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Toutes les personnes intéressées à participer à la production du journal Montréal Campus sont invitées à se présenter
au local du journal (V-1380), au pavillon V, 209 rue Sainte-Catherine Est, ou encore à se manifester par téléphone au
514 987 7018 par courriel ou sur notre page Fecebook.
15 avril 2015
L’heure du midi a sonné depuis
longtemps et Martine Delvaux
contemple la foule éclectique du petit café français du
Plateau où elle sirote une eau
gazeuse. Son sourire rayonnant, son visage ouvert et
ses cheveux éclatants attirent
tous les regards sur elle, malgré l’achalandage. La professeure, très présente dans
l’actualité l’année dernière,
notamment en ce qui concerne
les agressions non-dénoncées
et les relations professeursétudiantes, continue d’être
une ressource phare du féminisme au Québec et surtout
à l’UQAM.
Dès le début de sa carrière,
la professeure fait le choix de
n’enseigner que des travaux
de femmes à ses étudiantes.
«La littérature que je fais lire
sont des textes de femmes.
Et je l’enseigne toujours en
disant aux filles que tant
qu’on ne montrera pas autant
de femmes que d’hommes dans
les cours, je serai tenue de
leur en faire lire. Sinon elles
n’en liront pas», déclare-t-elle
en replaçant ses lunettes.
Ce choix reflète son militantisme féministe. Se manifestant de manière théorique au
début de la carrière de l’enseignante, il se développe et
évolue au fil de son parcours.
«Je suis devenue féministe en
enseignant, comme Simone
de Beauvoir l’est devenue
après avoir écrit Le deuxième
sexe. Honnêtement, c’était un
peu comme un costume que je
portais au début de ma carrière. Ce féminisme profond,
engagé pour lequel on me
connaît maintenant est venu
plus tard.»
Son étudiante et collègue
Valérie Lebrun ne manque pas
d’éloges pour celle qui lui a
demandé de collaborer dès le
début de sa maîtrise. «Martine
se démarque par son courage intellectuel, sa capacité
à argumenter avec nuances
et délicatesse, son énergie,
sa justesse, son humour, et
par sa passion. En elle, j’ai
trouvé non seulement une lectrice attentive et généreuse,
mais une alliée hors pair»,
déclare-t-elle.
Au printemps érable, Martine
Delvaux troque les livres pour
la rue. «La grève étudiante
a changé quelque chose. À
ce moment-là, j’ai publié un
roman, ce qui m’a envoyée
sur les réseaux sociaux et ça
a fait boule de neige. Ils sont
alors devenus un lieu de militance pour moi.» Aujourd’hui,
l’opinion de la féministe est
régulièrement sollicitée par
les institutions académiques,
par les médias et par un grand
nombre de gens qui la suivent
sur les réseaux sociaux.
L’UQAM a d’ailleurs fait appel
à son expertise en lui demandant de siéger au comité de
révision de la Politique 16
contre le harcèlement sexuel.
Avec deux étudiantes, dont
Valérie Lebrun, elle a organisé
le colloque, Sexe, amour et
pouvoir, une réflexion sur les
relations entre les professeurs
et étudiants sans se douter
de la portée des événements
de l’automne : le phénomène
#AgressionsNonDénoncées, le
scandale de Jian Gomeshi, et
les portes de bureaux de certains professeurs de l’UQAM
placardées d’accusations de
harcèlement et d’agressions
sexuelles. Le colloque tombe
à point. «Au fil des années,
quand on entend beaucoup de
choses, on se dit qu’il y a un
abcès à crever. Comme prof,
je sentais le besoin d’aborder ces questions-là. Il fallait les aborder pour éviter
que ça éclate, mais ça a éclaté
avant que l’on puisse avoir
le colloque.»
Terminus Montréal
Les études de Martine Delvaux
l’emmènent jusqu’aux ÉtatsUnis, à l’Université du
Michigan, où elle complète
son doctorat en études de
la littérature romantique.
Elle goûte alors à l’enseignement, un domaine dans lequel
elle a toujours voulu évoluer.
«Je pense que je me suis tournée vers l’enseignement par
pure passion. Pour moi c’était
la seule voie. J’ai toujours
voulu faire deux choses : écrire
et enseigner.» Ses études terminées, elle obtient un poste
de professeure au RoyaumeUni à l’Université de South
Hampton. «C’est de là qu’est
parti le Titanic, mais ça s’arrête pas mal à ça, ajoute-t-elle
en riant. J’étais désespérée de
quitter l’Angleterre. J’étais
très jeune et j’avais très peu
de temps pour écrire des livres,
et faire de la recherche.»
Entre en scène l’UQAM, qui
offre alors à la jeune professeure un contexte beaucoup
plus intéressant. À Montréal
comme enseignante de théorie féministe, Martine Delvaux
se sent plus à son aise. Elle
adopte rapidement Montréal
et s’identifie au côté gauchiste de l’université. «J’ai
été embauchée en tant que
professeure à l’UQAM à 27 ou
28 ans et j’ai quand même
bien ramé ! Ce n’est pas facile
d’être professeure si jeune.
Mais j’ai pu m’installer dans ce
rôle, dans cette nouvelle ville
et me fabriquer», relate-t-elle
les yeux pétillants.
Le ton de la professeure
devient nostalgique lorsqu’elle
parle de l’université qui l’a
adoptée. «J’ai choisi l’UQAM et
elle m’a choisie en retour. Je
tiens fortement à son héritage
de militantisme. Il constitue
toute la richesse de l’université. De voir qu’on menace des
jeunes d’expulsion et qu’on
essaie d’étouffer le mouvement étudiant je trouve ça
vraiment triste.» Sa bouteille
d’eau gazeuse vide, Martine
Delvaux quitte le café. À
l’extérieur, la température
baisse et Montréal ne connaît
plus les airs tièdes et agréables
de tout à l’heure. D’un
pas assuré, la professeure
retourne aux nombreuses
implications qui réchauffent
déjà son printemps.
Montréal Campus
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uqam
La momie de l’UQAM
Une perle rare au rancart
Marie-Pierre Rondeau
La momie égyptienne de l’UQAM, artéfact de valeur historique et éducative immense, se fait extrêmement discrète.
Si bien que peu d’étudiants sont au courant de l’existence de cette grande dame oubliée.
momie et son sarcophage en
cadeau à l’École des beauxarts de Montréal lors de son
inauguration en 1927. Dès
son arrivée, elle a été pla-
lors de l’exposition sur la
mort et l’immortalité de l’artiste arménien Sarkis. Six
ans plus tard, Hetep-Bastet
a été la tête d’affiche d’une
Photo : François L. Delagrave, uqam.ca
L’UQAM est fière de sa pièce
de collection, mais n’arrive pas
à débloquer le financement pour
fournir l’équipement sécuritaire
pour l’exposer en public.»
Rares sont ceux qui ont eu
la chance de voir HetepBastet. Immobile, enroulée
dans ses bandelettes et couverte d’un linceul en jute brunâtre retenu par cinq cordes,
elle dort depuis presque une
éternité déjà. Il est difficile de discerner les traits
de son visage, mais sa silhouette est toujours définie. Hetep-Bastet n’est plus
jeune. Elle en a vu de toutes
les couleurs depuis son arri-
Hetep-Bastet et son sarcophage, propriétés de l’UQAM
assurées pour une valeur de
200 000 $, reposent dans
une chambre de préservation du Centre de collections
muséales sur la rue Peel, bien
à l’abri des regards. C’est ce
qu’assurent la directrice et la
conservatrice de la Galerie de
l’UQAM, Louise Déry et Audrey
Genois. «Ça prend un contexte
particulier pour la sortir et il
manque de fonds pour avoir
Hetep-Bastet n’est plus jeune.
Elle en a vu de toutes les couleurs
depuis son arrivée au Québec en
partance de l’Égypte»
vée au Québec en partance
de l’Égypte. Malgré toutes
les péripéties qu’elle a surmontées, la momie est considérée dans un excellent état
pour son âge. Près d’elle gît
son cercueil en bois recouvert de peinture aux couleurs
vives représentant fleurs, hiéroglyphes et dieux grecs.
La
momie
égyptienne
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Montréal Campus
un musée universitaire développé», explique Louise Déry.
L’UQAM est fière de sa pièce
de collection, mais n’arrive
pas à débloquer le financement pour fournir l’équipement sécuritaire pour l’exposer en public. Ceux qui l’ont
vue affirment qu’elle «inspire
la solennité» et que la rencontrer en tête-à-tête est une
Hetep-Bastet a vécu 600 ans av.
J.-C. et provient de Memphis
au nord de l’Égypte.»
expérience très intime, beaucoup plus qu’au musée, selon
Audrey Genois. Une histoire
haute en couleur se cache
derrière ce mystérieux artéfact qui n’est pas sorti de sa
voûte depuis sa tournée aux
États-Unis en 2010.
Parcours hors du commun
Hetep-Bastet a vécu 600
ans av. J.-C. et provient de
Memphis au nord de l’Égypte.
«La qualité des peintures et
des hiéroglyphes sur son sarcophage révèle qu’il s’agit
d’une femme de la bourgeoisie égyptienne, mais pas de
famille royale», précise le
professeur à l’UQAM chargé du
design de l’exposition Tombes
éternelles – L’Égypte ancienne
de l’au-delà au Musée des civilisations en 2009, Philippe
Lupien. L’examen du radiologiste Pierre Robillard en
1997 révèle qu’elle avait une
blessure au fémur gauche et
est décédée vers l’âge de 65
ans. Ses abcès dentaires ont
poussé Pierre Robillard à
conclure qu’elle aimait bien
la bière. Une analyse plus
récente de l’anthropologue
de l’Université de Western,
Andrew Nelson, utilisant une
nouvelle technique de numérisation, montre plutôt qu’elle
serait décédée vers 40 ans.
Réalisée en 2008, l’étude
raconte que son alimentation
haute en glucides et le sable
contenu dans le pain auraient
occasionné ses problèmes
buccaux et qu’il ne s’agirait pas du houblon. L’âge
vénérable de Hetep-Bastet
demeure toutefois un exploit,
puisqu’à l’époque, la longévité moyenne était de 20 ans.
Passage cahoteux à l’École
des Beaux-Arts
Le Musée du Caire a offert la
cée sous un coffre de verre
en haut de l’escalier du
hall principal. «C’était vraiment la mascotte de l’École
des Beaux-Arts», mentionne
Louise Déry avec amusement.
Une quarantaine d’années
paisibles ont passé avant
que la momie ne soit violemment sortie de son sommeil,
en pleine crise étudiante de
1968, lorsqu’un jeune, sous
les effets d’une drogue nonidentifiée, s’en est pris à
Hetep-Bastet qui représentait «les valeurs du passé». La
momie a été projetée en bas
du premier étage et a éclaté
en centaines de morceaux.
Hetep-Bastet, la vedette
La momie est devenue la propriété de l’UQAM en 1969
lorsque l’Université du peuple
a été créée avec le regroupement de l’École des BeauxArts, le Collège Ste-Marie et
trois autres écoles. Un an à
peine après son arrivée, la
momie a été de nouveau victime de vandalisme par un
étudiant qui s’en est pris au
sarcophage. Les dommages
ont été considérables, mais
il a fallu attendre jusqu’en
1996 pour que Hetep-Bastet
soit restaurée pour l’enregistrement du documentaire de Claude Laflamme, La
République des arts : la malédiction d’une momie, qui
porte sur les manifestations
de 1968.
La momie est entrée à la
Galerie de l’UQAM en 2003
exposition
sur
l’Égypte
ancienne au Musée des civilisations de Gatineau composée de quelque 200 artéfacts du Musée des beaux-arts
de Boston. «La momie dont
les pieds, les os et la tête
étaient brisés a été restaurée
pour l’occasion», explique le
chargé de projet du Musée des
civilisations responsable de
l’exposition, Steve Lévesque.
Reléguée aux oubliettes
«Son dernier voyage était
en Arkansas lors d’une exposition en 2010 au Arts
Center puis elle est retournée à sa caisse de conservation au Centre de collections muséales», mentionne
Audrey Genois. Pour sa part,
Louise Déry soutient que la
momie est logée en dehors de
l’UQAM dans une pièce sécurisée à température contrôlée
à des fins de préservation. La
Galerie UQAM aimerait toutefois sortir Hetep-Bastet de sa
léthargie. «On prévoit créer
une exposition spéciale avec
Hetep-Bastet en 2017 dans le
cadre du 375e anniversaire de
la Ville de Montréal, mais la
forme reste à être décidée»,
conclut Louise Déry. D’autres
projets sont aussi sur la table
dont un prêt à long terme à
un musée canadien ou une
possible restitution au Caire
qui rapatrie de temps à autre
ses momies dispersées à travers la planète. Hetep-Bastet
pourrait bientôt devoir rentrer chez elle.
15 avril 2015
uqam
Alain Gerbier
Militant insoumis
Jasmine Legendre
Membre du conseil d’administration de l’UQAM depuis quelques mois, Alain Gerbier titre un nouveau chapitre de
sa vie mouvementée. Entre la sculpture, la rédaction et ses multiples implications, le chargé de cours a déjà fait sa
marque à l’université.
15 avril 2015
les plus infimes détails
sont importants.
Alors qu’il déblatère son histoire débutant au Tour en
France et se continuant au
Canada, le chargé de cours
fait tomber les dates avec
précision. «J’ai toujours eu
une forme de résistance à tout
ce qui me paraissait injuste,
souligne celui qui enseigne
à l’École des médias. Je suis
d’ailleurs au Canada, parce
que j’ai été insoumis.» Il a
aussi refusé de faire le service militaire obligatoire en
temps de paix. Son collègue
professeur en journalisme
Jean-Hugues Roy confirme ce
désir de mobilisation contre
les injustices qu’il constate
chez Alain Gerbier. Il raconte
qu’en octobre 2000, le chargé
de cours a manifesté seul à
la place Émilie-Gamelin pour
les droits d’auteur des journalistes pendant un mois et
demi. Celui qui n’hésite pas
à faire prévaloir son point de
vue raconte qu’il est arrivé à
l’une des réunions du SCCUQ*
avec une bouée au cou pour
illustrer que le syndicat était
sur le point de couler. «Il y a
des risques de ne pas se faire
prendre au sérieux. Est-ce
qu’il mesure ça ? se questionne Jean-Hugues Roy.
Parfois, la force de ses mots
pourrait être suffisante, sans
artifices. Alain a une grande
qualité : son éloquence.»
Tout au long de sa carrière, Alain Gerbier a été très
investi, touchant à plusieurs
projets ici et là. Son leitmotiv est de rencontrer les gens
dans leur milieu pour dresser un portrait juste de leur
réalité. C’est ainsi qu’il s’est
introduit à plusieurs endroits,
il a même travaillé dans une
usine, pour comprendre, toujours apprendre. C’est ce
qu’il appelle le «journalisme
ouvrier». Il affirme avoir voulu
s’intégrer à la communauté
universitaire et comprendre
chaque facette de l’université où il agit comme chargé
de cours. Alors qu’il travaillait
déjà sur un projet de livre sur
les Premières Nations, Alain
Gerbier révèle qu’il bûche sur
un autre projet d’écriture sur
l’UQAM. «Depuis plusieurs
années, je note des bouts de
phrases, des conversations
que j’entends», explique-til. L’objectif est le même,
prendre son temps et offrir
une couverture complète au
lecteur. «Alain, il incarne
le journaliste confrontant,
des fois il va choquer les
gens. Mais, on a besoin de
ça. Les journalistes doivent
déranger», ajoute JeanHugues Roy.
À travers les dizaines de
boîtes dûment identifiées qui
décorent son bureau, Alain
Gerbier est en train de faire le
tri de sa vie. Avec ses récents
problèmes de santé, il a réalisé «qu’il ne s’en va pas vers
le mieux.» Il veut faire de la
place pour finaliser ses derniers projets de sculpture,
son échappatoire au journalisme, et d’écriture. Le temps,
une notion qu’il aborde incessamment, ne doit pas lui filer
sous les doigts. La résidence
d’Alain Gerbier n’est pas qu’un
lieu de création, elle est aussi
sa propre galerie d’art qui
porte d’ailleurs déjà son nom
«Glaviot et Molard».
Le chargé de cours est un
personnage singulier, selon
Jean-Hugues Roy. «Quand
on lit ses textes, on peut
entendre la voix d’Alain dans
notre tête», souligne son collègue. Il s’est certes opposé
à divers projets pendant sa
vie, mais toujours selon la
même ligne de pensée : «Si
on ne se questionne pas, les
choses n’avancent pas», martèle Alain Gerbier.
Photo : Félix Deschênes
Alain Gerbier «s’est tapé»
trois ans à la Commission des
études pour comprendre le
fonctionnement de l’université pour finalement accepter de siéger sur le conseil
d’administration de l’UQAM.
«Pour être honnête, je voulais savoir comment ça marchait !» avoue l’homme avec
un petit sourire aux lèvres.
L’âme militante s’insurge des
maladresses et des erreurs
politiques de l’instance universitaire, mais précise que
ceux qui y siègent sont de
bonne foi. «Je suis extrêmement heureux, car les gens
qui y siègent ce sont des gens
qui ont un véritable intérêt du bon fonctionnement
de l’université», explique
celui qui est sur le conseil
d’administration avec l’ancienne
journaliste
Lise
Bissonnette.
Il a fait ses premiers pas dans
l’UQAM afin de se trouver
une tierce source de revenus
pour mener à bien ses projets. Chargé de cours depuis
environ 30 ans à l’UQAM,
il ne croit pas «former les
gens» à l’université, mais plutôt les guider dans leur cheminement. Le Français d’origine réside au Québec depuis
1971 et avait pour but initial
de couvrir le hockey à titre de
correspondant.
L’ancienne usine de haute
couture de la rue Cartier qui
sert à la fois d’atelier et de
logis à Alain Gerbier a bien
changé depuis son acquisition il y a 35 ans. Dans son
havre mythique, les yeux
du chargé de cours s’émerveillent alors qu’il raconte
l’histoire de sa propriété.
Certaines portes proviennent
du Sheraton Montréal, une
reproduction ludique de la
Chapelle Sixtine y est même
peinte. «Les solives de
ma cuisine sont de la première
conciergerie de Montréal»,
poursuit celui pour qui
*SCCUQ : Syndicat des
chargés de cours de l’UQAM
Montréal Campus
5
societe
Isabelle Tremblay
Sur les chapeaux de roue
Carl Vaillancourt
Si bien des Québécois rêvent de chausser les pneus d’une monoplace en course automobile, la route peut être
longue et ardue avant d’arriver à destination. En tant que femme, Isabelle Tremblay a du contourner bien des
obstacles avant même d’entamer la course.
«Elle est la pionnière d’un
contingent de femmes qui
ont osé faire de la course
automobile au Québec.»
Photo : lametropole.com
6
Montréal Campus
Le pouls qui s’accélère, l’excitation qui la gagne, elle
attend impatiemment que les
lumières rouges s’éteignent
et c’est le début d’une nouvelle course. Agente immobilière depuis belle lurette,
Isabelle Tremblay est une
femme active, mais elle
n’avait
jamais
ressenti
autant de frénésie pour un
sport qu’en course automobile. Il y a déjà cinq ans
qu’Isabelle a découvert sa
passion pour les courses
automobiles, alors qu’elle
ne faisait qu’un simple essai
routier avec un de ses clients
à l’autodrome de SaintEustache. Elle est la pionnière d’un contingent de
femmes qui ont osé faire
de la course automobile
au Québec.
Sportive de nature, elle est
reconnue pour ses exploits
sur la piste depuis le moment
où elle s’est lancée dans ce
sport. À sa première participation dans une course de
200 tours, elle a remporté
l’épreuve face à ses 97 adversaires présents. «C’était un
sentiment incroyable que j’ai
vécu cette journée-là, c’était
ma première victoire en compétition, je m’en souviens
encore», affirme la pilote.
Des rangs mineurs aux
ligues majeures
Après avoir remporté plusieurs courses dans la
Formule 1600, division automobile au Québec, Isabelle
fait le saut dans la série
Nascar Canadian Tire, une
des séries les plus prestigieuses de course automobile en Amérique du Nord.
Son ascension s’est faite de
façon fulgurante, puisque
dès son entrée sur le circuit
de la Nascar Canadian Tire,
elle s’est retrouvée trois fois
dans le top 10 la saison dernière. Lors du Grand Prix de
Trois-Rivières, elle a terniné
dans les 10 premières positions. «À chaque course, je
visualise la victoire, je ne
veux rien de moins, du moins
j’aimerais bien me retrouver
sur le podium au courant de
la saison qui s’en vient en
série Canadian Tire», affirme
Isabelle Tremblay.
Si bien des pilotes rêvent de
prendre le volant d’un bolide
en Formule 1, ce n’est pas
le cas de la mère monoparentale qui demeure sur la
Rive-Nord de Montréal. «Je
suis consciente de la réalité et je ne vise pas vraiment la course en Formule 1,
mais je ne ferme pas la porte
à l’éventualité de vouloir
tenter ma chance en Nascar
Nationwide aux États-Unis»,
mentionne Isabelle Tremblay.
Il y a quelques années, le
portrait des pilotes automobiles se résumait en un
genre, celui du masculin.
Depuis l’arrivée de Danica
Patrick en Nascar Nationwide
2011, il y a une augmentation du nombre de femmes
qui pratiquent le sport
automobile.
Isabelle Tremblay a une
grande estime pour celle
qui est la nouvelle coqueluche du circuit aux ÉtatsUnis. «Elle est un modèle
de force de caractère et elle
possède une endurance physique incroyable, elle est une
source d’inspiration pour
une grande part de jeunes
femmes qui s’intéressent à
ce sport à travers le monde»,
croit Isabelle Tremblay.
Ce n’est pas toujours évident
de faire affaire avec la mentalité machiste et sexiste de
certains amateurs. Isabelle
Tremblay avoue avoir déjà
subi des remarques similaires dans le passé, ce qui
peut jouer sur l’estime des
femmes dans ce milieu,
mais ce ne fut pas son cas.
«Du sexisme il y en aura
toujours, il faut apprendre
à vivre avec cela, puis je
suis une peau de canard, ces
propos m’aident simplement
à me motiver encore plus
dans la quête de mon but,
celui de gagner», rétorque
la principale intéressée. Ce
même message, elle tente
de l’enseigner aux jeunes
femmes lors de conférences
ou de son émission radiophonique À chacun sa course
sur les ondes de CNV Radio.
Elle y rencontre des personnalités publiques de tous les
milieux qui s’intéressent de
près ou de loin à la course
automobile. Même si elle est
un modèle pour les femmes,
tout ce travail peut paraître
épuisant par moment. «Sans
contredit, elle a un talent
en tant que pilote, mais je
crois qu’elle en fait un peu
trop à l’extérieur de la piste
comme les œuvres de charité, les causes sociales et
les trucs de célébrité», lance
le journaliste de 360Nitro
et connaissance d’Isabelle
Tremblay, Denis Lecours.
Sa détermination et son
esprit de compétitivité pourraient faire d’elle la deuxième pilote féminine sur
la série Nascar Nationwide,
l’une des plus prestigieuses
en Amérique du Nord. Elle
devra tout d’abord faire
ses marques dans les rangs
mineurs et espérer qu’une
écurie l’accueille pour qu’elle
puisse évoluer dans la grande
ligue.
La course automobile n’est
toutefois pas son plus grand
accomplissement. «Ce qui
me rend le plus fière dans la
vie, c’est sans aucun doute
mon garçon qui aura son bal
de finissants du secondaire
cette année, il vieillit bien»,
affirme Isabelle Tremblay.
Pour plusieurs personnes, il
peut être difficile de consolider la vie familiale, le travail et le sport. Pourtant,
c’est ce qu’Isabelle Tremblay
fait depuis plusieurs années.
«Le secret de ma réussite
passe par une seule chose :
la discipline.»
15 avril 2015
societe
François Saillant
Le Front tout le tour de la tête
Félix Deschênes
La douceur et le calme de
François Saillant dissimulent
la hardiesse dont il fait
preuve dans sa lutte pour que
plus d’individus vulnérables
aient un toit au-dessus de la
tête. S’exprimant de manière
aussi franche que posée sur
les thèmes sociaux qui l’interpellent, l’homme sobrement vêtu semble habité par
une véritable force tranquille.
Diplômé en journalisme de
l’Université Laval, l’activiste
a rapidement pris ses distances des grands canaux
médiatiques afin de s’impliquer dans divers groupes
sociaux. Que ce soit dans
le collectif avec lequel il a
produit des vidéos sur les
luttes populaires, au milieu
des années 1970, ou au sein
du mouvement marxisteléniniste pour lequel il est
ensuite devenu journaliste,
François Saillant a toujours
gardé en ligne de mire la
question du logement.
Ayant lui-même vécu une
situation de précarité, le
coordonnateur du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU)
admet avoir été sensibilisé
très tôt à la cause. Derrière
sa monture argentée, son
regard s’attendrit alors qu’il
décrit les problèmes de
logement qui remontent à
son enfance. «Ma première
maison, du plus loin que je
me rappelle, a été démolie juste après notre déménagement, explique-t-il. Il
y avait des rats un peu partout ; c’était vraiment un taudis ! Même pour un enfant, ça
éveille la conscience.»
François Saillant a adhéré aux
rangs du FRAPRU quelques
mois à peine après sa création, à l’automne 1978, ce
qui en fait le plus ancien
contributeur de l’organisme.
«On m’aurait dit, au moment
où je me suis joint au mouvement que j’y serais encore
36 ans plus tard, et je n’y
15 avril 2015
aurais pas cru», avoue-t-il.
Aujourd’hui, le militant sexagénaire se dit fier d’avoir
contribué aussi longtemps à
la cause, n’ayant jamais plié
l’échine face aux politiques
restreignant l’accès au logement. Fierté qu’il déclare
avec une retenue empreinte
de modestie. «Je ne dirais pas
que j’ai joué un rôle mineur,
mais
beaucoup
d’autres
intervenants ont joué un rôle
important au sein du mouvement», insiste-t-il.
En plus d’avoir contribué à la mise sur pied du
Regroupement de solidarité avec les Autochtones,
pendant la Crise d’Oka,
François Saillant a cofondé
avec Françoise David le
parti Option citoyenne, des
cendres duquel est né Québec
solidaire en 2006. Bien qu’il
se soit depuis retiré de la
joute politique, le lauréat
du Prix Droits et Libertés
de 2002 combat toujours la
négation des droits sociaux
au quotidien.
À son avis, cet irrespect
des droits s’incarne récemment dans l’encadrement
exagéré
des
manifestations. «Au FRAPRU, on ne
donne jamais nos itinéraires
et on est encore moins partants de le faire après l’adoption du règlement [P6] en
2012, explique-t-il, convaincu.
D’autres
organisations font la même chose
que nous, et du moment où
elles mettent le pied dans la
rue, elles sont encerclées ;
on parle d’un véritable profilage politique.» François
Saillant exprime d’ailleurs
haut et fort son appui aux
soulèvements
étudiants
récents, dans lesquels il
puise un certain espoir. «Ce
que les étudiants sont en
train de faire présentement,
c’est d’assumer une responsabilité que ma génération n’a
pas assumée suffisamment»,
avance-t-il.
Un toit qui coule
Malgré les réussites passées
du FRAPRU, la lutte est pourtant loin d’être terminée pour
les défenseurs québécois du
droit au logement. La publication du budget Leitão, le
26 mars, a provoqué une véritable onde de choc auprès
des
organismes
sociaux
de tout acabit. Il prévoit
entre autres la diminution
de 3000 à 1500 logements
sociaux financés annuellement sous le programme provincial AccèsLogis. «Ce budget fait extrêmement mal,
allègue François Saillant,
d’une expression consternée. Il nous ramène 15
ans en arrière du point de
vue des investissements provinciaux, et on ne sait pas où
ça arrêtera.»
Le coordonnateur du FRAPRU
souligne que les libéraux
réintroduisent par le faitmême une formule des années
1990, qui consiste à louer
des habitations sur le marché privé, pour y faire entrer
des gens à faible revenu.
«On reste dans une logique
du profit qui nie le droit au
logement de façon considérable, précise-t-il. Sans porter de jugement moral, il est
évident que même un petit
propriétaire-occupant
qui
veut se constituer un bas de
laine n’est pas là pour faire
la charité.» Le FRAPRU milite
depuis plusieurs années pour
extirper le maximum de logis
de cette logique de marché,
plaidant pour un financement plus important de l’État
dans les initiatives à but
non lucratif.
Le militant ne se gêne
pas pour critiquer l’attitude
des «idéologues de droite»
du gouvernement libéral,
qu’il trouve choquante et
révoltante. «C’est pratiquement l’Institut économique
de Montréal qui est au pouvoir ! s’exclame-t-il, avec un
sourire incrédule. On assiste
Photo : Félix Deschênes
Ardent défenseur du droit au logement, François Saillant milite depuis son adolescence pour diverses causes sociales.
À l’aube d’une retraite bien méritée, le coordonnateur du FRAPRU s’entête à poursuivre le combat, contre vents
et marées.
à une révision en profondeur
du rôle de l’État québécois,
pour que ce qui existe encore
de rôle social disparaisse,
au profit d’un autre rôle, qui
est celui de facilitateur des
investissements privés.»
Bien qu’il admette que
sa dernière année de travail
s’annonce peu réjouissante,
François Saillant préfère
éviter la voie du cynisme.
«Ma colère est toujours
plus forte que ma frustration, exprime-t-il. Le goût
et la détermination de
faire quelque chose sont
encore présents.»
Montréal Campus
7
societe
Pierre-Luc Dusseault
L’étudiant de la Colline
Guillaume Lepage
Photo : Flickr Pierre-Luc Dusseault
La vague orange troublait les eaux atones de la scène fédérale en 2011, déversant dans l’opposition officielle des
députés néo-démocrates en majorité inexpérimentés. Produit de cette déferlante, les Sherbrookois ont mandaté
Pierre-Luc Dusseault de les représenter à Ottawa. Il avait 19 ans.
8
Montréal Campus
À l’orée des élections fédérales
prévues à l’automne 2015,
le flegmatique politicien à
la bouille sympathique ne
ralentit pas la machine. Fort
actif auprès de ses concitoyens, il lutte toujours
contre l’indolence des conservateurs afin d’obtenir une
réfection des installations
aéroportuaires de Sherbrooke.
Pierre-Luc Dusseault s’est
découvert un goût avisé pour
la politique lorsqu’il a entamé
ses études collégiales au
Cégep de Sherbrooke. «Je suivais beaucoup les débats à la
Chambre des communes pendant ma première année»,
relate celui qui carburait
davantage aux prises de bec
des élus qu’à la matière dispensée par ses enseignants.
«Quelques-uns de mes amis
trouvaient ça un peu spécial
qu’au lieu d’écouter le professeur en classe parfois j’étais
branché sur mon ordinateur pour [suivre] la période
de questions», lance-t-il à la
blague, réprimant un léger
rire. D’une voix placide, il soutient que c’est à ce moment
qu’il a commencé à s’intéresser à la politique.
Les valeurs de justice sociale
et d’équité véhiculées par le
regretté Jack Layton l’ont
accroché. Comme plusieurs,
il n’est guère resté insensible
au charisme de l’ex-chef néodémocrate. «J’ai décidé de
m’impliquer au NPD pour une
raison bien simple : je trouvais que le message de Jack
était un message d’espoir»,
résume-t-il. Séduit, l’étudiant originaire de Granby a
multiplié ses implications au
sein du Nouveau parti démocratique (NPD), animé par
ce souhait de se familiariser
avec les rouages des diverses
instances de la formation et
de «faire sa part».
Diplôme en poche et toujours porté par ce goût pour
la politique qui ne tarit
guère, Pierre-Luc Dusseault
a amorcé un baccalauréat en
études politiques appliquées
à l’Université de Sherbrooke.
Parallèlement à la poursuite
de ses cours, il a fondé le
club campus néo-démocrate
de l’université, où il a agi à
titre de président. Il a occupé
de surcroît la présidence de
l’association du Nouveau
parti démocratique de sa circonscription fédérale. À la
lumière de ces implications,
il atteste que cette décision
de briguer les couleurs du
NPD aux élections fédérales
de 2011 n’était pas étrangère
à ce choix de cursus universitaire. «C’est sûr que lorsque
je me suis inscrit dans le programme de politique, c’était
dans le but, d’une façon ou
d’une autre, de travailler de
près ou de loin en politique»,
explique-t-il.
L’étoffe d’un député
Au printemps 2011, PierreLuc Dusseault est choisi par
les militants néo-démocrates
de son comté pour la course à
la députation de Sherbrooke.
Il a ainsi vécu fébrilement ses
premières élections comme
candidat, mais aussi comme
simple citoyen désormais en
âge de voter.
Au mois de mai de la même
année, la vague orange
secouait le Québec. Un vent
de fraîcheur impétueux a
soufflé sur la colline parlementaire alors que la province confiait à 55 députés le soin de défendre ses
intérêts à Ottawa. Figure de
proue de ce «flot politique»,
Pierre-Luc Dusseault a défait
le bloquiste Serge Cardin en
poste au Parlement depuis
1998. Âgé de seulement 19
ans, l’étudiant originaire de
Granby est devenu de facto
le plus jeune député de l’histoire élu à la Chambre des
communes du Canada.
Une fois la tempête passée, la recrue a craint faire
l’objet d’une «stigmatisation» récriminante par ses
collègues des autres formations politiques. «C’était la
crainte que j’avais avant d’arriver à Ottawa, à savoir avec
quel sérieux mes collègues
des autres partis allaient me
prendre», confesse-t-il d’une
voix impassible.
Le 24 avril, le chef nouvellement élu Thomas Mulcair a
nommé Pierre-Luc Dusseault à
la présidence du Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de
l’éthique (ETHI). Le député
estime que cette marque de
déférence que lui a témoignée
son chef a sans doute contribué à «asseoir sa réputation» auprès de ses collègues.
«Ça m’a permis de travailler
avec les députés de tous les
partis puis de gagner une certaine confiance, un certain
respect», indique-t-il.
Abstraction faite de ses
craintes initiales désormais
dissipées, le député fédéral dresse un bilan positif de
ces quatre dernières années
passées à servir et défendre
les intérêts des citoyens et
citoyennes de sa ville d’adoption. «Je suis satisfait, mais
ce sera à la population de
Sherbrooke de décider à l’automne si eux aussi sont satisfaits», tranche-t-il.
Pierre-Luc
Dusseault
a
aujourd’hui 23 ans et une
expérience appréciable au
sein de l’appareil étatique
canadien. Celui qui n’envisage pas la défaite aux prochaines élections rappelle
les petites victoires que son
équipe parvient à accomplir au quotidien. «Je pourrais vous dire qu’à tous les
jours ou presque, on réussit à régler des dossiers de
citoyens à mon bureau de circonscription, énonce-t-il. Je
suis satisfait de mon bilan,
j’ai fait de mon mieux.»
15 avril 2015
culture
Geneviève Amyot
Je te lirai encore demain
Samuel Lamoureux
Une génération complète de poètes québécois souligne le quinzième anniversaire de la mort de Geneviève Amyot
ce printemps. Cette poète de Lévis toujours lue et célébrée semble prête pour l’immortalité.
Extrait inédit du journal de Geneviève Amyot
22 novembre 1958
La neige tombe blanche immaculée
Elle glisse paisiblement dénuée
Et muette comme aux jours les plus solennels
Elle descend doucement déployant ses ailes
C’est si doux de la voir partout se poser
Refermant tous les cœurs blessés
Ensoleillant les sombres pensées
Séchant les larmes des opprimés
Sa tendre blancheur apporte de l’espoir
Aux âmes qui errent dans les ténèbres du soir
Et de son blanc manteau couvrant la terre
Elle cache du monde les terribles misères
Car afin de purifier les iniquités
Elle apporte la paix à l’humanité
La neige voltige, semant ça et là le bonheur
L’amour et la douce paix du cœur
Son éditeur croit qu’une place
lui revient, quelque part
entre Anne Hébert et Réjean
Ducharme, pour sa voix tremblante, mais forte, morcelée, bien qu’assurée. Oui, le
souffle de Geneviève Amyot
est toujours présent dans la
poésie contemporaine, soutient le directeur des Éditions
du Noroît, Paul Bélanger, et il
pourrait être bien plus fort.
«Elle a renouvelé le langage
poétique dès son premier titre
avec La mort était extravagante
publié en 1975, énonce l’éditeur ayant publié les œuvres
de la poète. Elle est toutefois
méconnue, parce que presque
sauvage.»
Celui-ci explique que la poète
de Lévis vivait complètement
retirée, à l’abri de la ville,
15 avril 2015
inspirée principalement par
sa famille et le fleuve. «Elle
vivait recluse, mais la force de
sa voix traversait les espaces,
encore aujourd’hui beaucoup de poètes, Kim Doré aux
poètes de brousse par exemple,
se réclament de Geneviève
Amyot», souligne le chargé de
cours au Département d’études
littéraires de l’UQAM. Elle fait
partie des rares écrivains québécois, selon lui, à avoir écrit
un véritable chef-d’œuvre avec
son recueil encore lu et étudié : Je t’écrirai encore demain,
paru en 1995.
Née à Saint-Augustin-deDesmaures près de Québec en
1945 dans un milieu très rural,
rien n’indiquait au départ que
la jeune fille allait se consacrer
à l’écriture. Comme le souligne
son fils Olivier Amyot, la maison familiale ne possédait à
l’époque aucun livre. «Mon
grand-père trouvait que la lecture était un passe-temps inutile, tout le monde travaillait
au champ. Dans ces circonstances, la passion de ma mère
pour l’écriture semble innée»,
croit-il. Quatorzième enfant de
la famille, Geneviève Amyot
n’allait entrer en contact
avec quelques livres qu’à la
petite école, et c’est une passion qui n’allait pas s’essouffler. «J’ai retrouvé son journal
intime dernièrement, son premier poème est écrit à l’âge
de 13 ans, elle est déjà tellement lyrique», ajoute Olivier.
Celui-ci a décidé d’ouvrir le
journal de sa mère progressivement après son décès.
Il a alors découvert une
œuvre monumentale, puisque
Geneviève Amyot écrivait tous
les jours. Le recueil est toujours inédit. Olivier Amyot a
permis au Montréal Campus de
publier le premier poème de sa
mère sur le thème de la neige
le 22 novembre 1958 (voir
encadré).
Une immense
correspondance
L’écrivain et médecin Jean
Désy est une des rares personnes à avoir entretenu
une longue correspondance
avec Geneviève Amyot. Au
cours des années, cette relation s’est enrichie jusqu’à ce
qu’elle compte 1500 pages,
du contenu qu’il a cherché à
partager pour faire entendre
la voix de la poète. «Non
Photo : goodreads.com
La neige vient laver les crimes des Hommes
La neige si pure voudrait que l’humanité soit bonne
La neige qui charme les poètes
Vient apporter à la terre une pudeur parfaite
seulement sa parole existe
encore, soutient le professeur de littérature à l’Université Laval, mais certains de
ses textes comme Petites fins
du mondes parus en 1988 font
partie des fondements de notre
littérature.» Sur les thèmes qui
ont passionné l’écrivaine au
cours des années, Jean Désy
croit que son amour se divisait
difficilement entre le fleuve,
ses enfants et la poésie. «Il
y avait quelque chose d’insoluble en elle, entre le fait
d’être mère et le fait d’écrire»,
souligne-t-il.
C’est cette même dualité qu’a
vécue Olivier dans la maison
familiale à Saint-Joseph-deBeauce. Il a grandi en voyant
sa mère écrire d’une manière
nécessaire et irrévocable,
explique-t-il. «Geneviève avait
un grand bureau de chêne
où elle effectuait son travail. J’avais le droit d’y aller à
condition que je ne fasse pas
de bruit, rappelle-t-il. Elle a
toujours semblé lutter contre
la banalité et l’insensible de
manière très introspective.»
L’écrivaine a continué à exercer
sa passion jusqu’à ce qu’elle
entame un combat ultime
contre une maladie dégénérative, qui aura pris 10 ans à
la vaincre. Cette nécessaire
volonté d’écrire est confirmée
par son dernier poème, provenant aussi du journal trouvé
par son fils. Celui-ci a été écrit
d’une main tremblante, sur son
même bureau de chêne, curieusement encore sur le thème de
la neige : Elle est ici sous nos
pas, sous le soleil/ Nos yeux
vont brûler/ Nos yeux ne sont
pas fait pour pareille lumineuse
blancheur/ Nous n’atteindrons
jamais la neige.
Olivier Amyot n’est pas devenu
poète, il est plutôt menuisier.
La poésie est trop abstraite
pour lui, bien qu’il se retrouve
dans la sensibilité de sa mère.
«Elle m’a légué cette ultrasensibilité, ce sentiment que
je suis toujours étranger au
cours du monde, recherchant
sans cesse ma place, sans
jamais la trouver», affirme-t-il.
Ce printemps était aussi
bien spécial pour la communauté littéraire de Québec
puisque l’organisation du Mois
de la Poésie, série d’évènements destinés à promouvoir
les démarches poétiques, a
décidé de rendre hommage à
Geneviève Amyot par le lancement d’un prix international
de poésie lui étant dédié. Ce
prix sera remis chaque année
à de jeunes écrivains sautant
dans l’arène de la poésie. Une
très belle façon, pour la porteparole du Mois de la Poésie,
Isabelle Forest, de saluer la
relève avec l’œuvre à la fois
lumineuse et rigoureuse de
la poète qui continuera fort
probablement d’être étudiée
ici et ailleurs.
Montréal Campus
9
culture
Michel Vézina
Éternel infatigable Catherine Lamothe
Photo : Catherine Lamothe
Jonglant pour le moment avec les titres d’écrivain et d’éditeur, Michel Vézina est loin de mener une petite vie
rangée. Audacieux et fou de littérature, ce personnage peu commun n’a pas peur de bousculer les mentalités
pour créer un univers littéraire à son image.
L’après-midi printanier est
déjà bien entamé lorsque
l’auteur s’engouffre dans un
minuscule café, entre deux des
rendez-vous qui composent
sa journée chargée. L’écrivain
qui a tantôt travaillé dans
un cirque, puis dans un
théâtre ambulant, avant de
porter le chapeau de chroniqueur et finalement d’éditeur,
ne semble jamais à court de
projets. Michel Vézina s’impose d’emblée comme un
auteur rigoureux, critique
et mordant ; mais au fond
de lui repose avant tout un
homme passionné, amoureux
des mots.
Élevé entre une mère qui
dévorait des romans et un
père qui lisait religieusement
les journaux, Michel Vézina
a appris à lire à une vitesse
folle, dès l’âge de quatre ans.
«Ça a été une révélation de
comprendre que des taches
sur du papier pouvaient me
10
Montréal Campus
faire voir des images dans
ma tête et éventuellement
me faire vivre des émotions»,
se souvient-il avec sérieux.
Rapidement, la littérature
est devenue une passion plus
grande que nature. L’écriture
s’est imposée un peu plus
tard, tout naturellement.
«Vers 17 ans, j’ai commencé à
me dire qu’il y avait des histoires que je ne trouvais nulle
part dans les livres. Ces histoires étaient en moi, il fallait que je les sorte. Alors, j’ai
commencé à écrire.»
Depuis, Michel Vézina a travaillé sur toutes sortes de
projets aussi insolites que
variés, tous chapeautés par
cet incessant désir d’écrire.
Encore aujourd’hui, l’homme
de 55 ans est debout dès l’aurore et écrit religieusement
tous les jours, de cinq à neuf
heures du matin. Il ne croit
pas à l’inspiration et rejette
vivement ceux qui avancent
qu’il faut écrire lorsque le
temps et les idées sont au
rendez-vous. «Je pense qu’on
devient écrivain lorsqu’on a
conscience de la discipline
que ça impose, lance-t-il,
catégorique. Tout le monde
a des histoires à raconter, et
moi aussi, mais depuis près de
40 ans maintenant, je bûche,
je suis acharné, je mets mes
tripes sur la table pour trouver mes styles d’écriture et la
meilleure manière de raconter
les choses.»
Dans la même veine, Michel
Vézina juge sévèrement ce qui
se fait actuellement dans le
milieu littéraire. «On est rendus à une époque où presque
tout ce qui nous est présenté
comme forme d’art et de littérature se ressemble, déploret-il. Faire des livres n’a aucune
importance pour moi. Ce qui
m’intéresse, c’est la façon
dont les livres peuvent changer le monde, peuvent nous
transformer et nous permettre
d’imaginer autrement.»
Vivre dans un camion
Habité par ce désir de valoriser une littérature de qualité, Michel Vézina sillonnera pour la première fois
cet été les routes de différentes régions du Québec à
bord d’une librairie mobile
nommée Le Buvard. Elle passera par les Cantons de l’Est,
où il a un pied à terre depuis
22 ans. Le camion regorgera
de bouquins soigneusement
choisis par l’écrivain. «Il y a
un volet très personnel à ce
projet, admet-il. Toute l’année, je passe 12 heures par
jour devant un ordinateur,
à écrire ou à lire dans une
solitude absolue. Pourtant,
je suis quelqu’un qui a toujours aimé être entouré de
monde. Avec la librairie, je
me crée un lieu public, à mon
image, festif et littéraire où
je vais pouvoir travailler.»
Fondamentalement nomade,
Michel Vézina pourra aussi
profiter de sa librairie mobile
pour être toujours en déplacement. Il aura aussi une version de sa libraire en France,
où il sillonnera plusieurs villages chaque année.
S’il n’a aucune attente quant
à la rentabilité de son projet, Michel Vézina s’enflamme
lorsqu’il évoque le scepticisme de certains devant
la popularité de sa librairie
mobile. «C’est faux de penser
qu’un projet littéraire pointu
n’intéressera pas les gens.
C’est totalement condescendant, s’emporte-t-il. C’est sûr
que ça ne plaira pas à tout le
monde, et ce n‘est pas le but
non plus, mais je pense que
c’est à la portée de n’importe
qui. Il suffit de tendre la main
et de ne pas prendre les gens
pour des imbéciles.»
D’ici à ce que le camion ne soit
prêt à arpenter les villages et
les festivals de la province,
Michel Vézina ne chôme pas.
«J’espère que ce sera mon
dernier projet. Je me vois bien
vivre dans un camion le reste
de mes jours avec des livres à
vendre et des textes à écrire et
à éditer», révèle-t-il en déposant sa tasse de café. D’un
point de vue plus personnel,
sa seule préoccupation à long
terme demeure l’amour. «J’ai
une blonde magnifique avec
laquelle je suis très heureux,
dévoile-t-il en souriant. Tout
ce que je veux, c’est rester
aussi amoureux d’elle et vivre
le plus longtemps possible.»
Dehors, le soleil de fin de
journée s’éteint lentement.
L’écrivain enfile son manteau,
prêt à reprendre le tourbillon
de son après-midi bien rempli.
Difficile de croire qu’il saura
un jour s’arrêter vraiment ;
d’ici-là, Michel Vézina continue de rouler sa bosse avec sa
passion, un livre à la fois.
15 avril 2015
culture
Julien Sagot
Du sous-sol à la scène
Benoît Lortie
Photo : Benoît Lortie
Prendre des risques et foncer vers l’inconnu sont des impératifs pour le multi-instrumentiste Julien Sagot. L’ancien
percussionniste de Karkwa est un véritable passionné qui voit la musique comme sa seule option.
Assis près de la fenêtre du
café Kahwa, un lieu qu’il aime
fréquenter, l’artiste âgé de
36 ans né à Paris, Julien Sagot
vit au Québec depuis l’âge de
huit ans. Il se définit comme
un être qui s’applique volontiers à ne pas faire comme
tout le monde. Son deuxième
effort solo, Valse 333, lancé
en octobre, a été sélectionné
dans la catégorie album de
l’année aux Juno Awards.
Une œuvre dont il est fier et
qui selon lui, sort des sentiers battus.
L’atmosphère flottante, poétique, évoquant une touche
de musique du monde caractérise l’album que Julien Sagot
décrit comme un mixage d’organique et d’électro. En explorant sans freins et en osant
sortir de sa zone de confort,
l’artiste nourrit ses compositions. «Si je n’avais pas de responsabilités familiales, peutêtre que je resterais dans le
studio du matin au soir, alors
je manquerais probablement
de vitamine D», lance le père
de deux enfants. Pour élaborer Valse 333, il s’est enfermé
au sous-sol chez ses «vieux»
15 avril 2015
tout un été de temps avec
l’arrangeur travaillant pour le
cinéma Antoine BinetteMercier. Ensemble, les créateurs ont pris le temps d’expérimenter et d’explorer pour
enfin enregistrer 12 morceaux. «Je commence à être
beaucoup plus autonome avec
les façons de mixer et de faire
la prise de son. Avec Karkwa,
on avait de plus gros moyens
et on allait dans des studios
traditionnels, détaille l’artiste. Même si c’est vrai que
ça marche très bien, cette
façon de faire correspond à
une époque qui commence à
être révolue.»
Penser à son public cible
durant la période de création
n’était pas jusqu’ici un élément intégré à sa démarche
artistique. À force de présenter des spectacles, le compositeur s’est rendu compte qu’il
s’isole parfois et que les rencontres avec le public pourraient l’influencer davantage
à l’avenir. La confrontation
à la scène des pièces de l’album façonne sa performance
qui se transforme au gré des
représentations. «J’aime tout
foutre en l’air pour reconstruire le spectacle. Un show,
c’est le fun quand ça bouge,
quand t’écoutes pas l’album et
que t’explores des choses nouvelles chaque fois», indique
l’artiste. Pour lui, la scène est
aussi un laboratoire qui définira ses prochaines compositions. Julien Sagot a d’ailleurs
une bonne idée de la direction
qu’il veut prendre avec son
prochain disque, qu’il voudrait
plus «flyé», plus grinçant.
«Je prévois m’entourer de
la jeunesse, c’est là qu’il y a
de la confrontation et des
échanges d’idées», confie le
musicien. Il espère faire plus
souvent des spectacles dans de
petites salles et retourner sur
les planches des bars, justement pour aller à la rencontre
des gens.
L’argent est au bas de
l’échelle
Comme plusieurs musiciens,
Julien Sagot pourrait pratiquer des métiers connexes,
parallèlement à sa carrière
solo, tel que compositeur de
trames sonores. Cependant, le
cinéma lui laisse une impression amère d’un milieu qui,
à son avis, cherche souvent
à maquiller et à faire sensation avec des chansons populaires, plutôt que de miser sur
de loin la soif de popularité
ou l’envie de faire de l’argent
chez le chanteur. «Je n’ai
pas un gros train de vie, je
«J’aime tout foutre en l’air
pour reconstruire le spectacle»
— Julien Sagot
un concept dédié plus élaboré. «Par exemple, la pièce
“28 jours” de Karkwa devait
être utilisée dans sa version
instrumentale pour le film
Incendies de Denis Villeneuve
mais finalement une chanson de Radiohead l’a remplacée», fait savoir l’ex-membre
de Karkwa. La formation a
tout de même composé la
chanson originale du film
québécois La peur de l’eau en
2011, une pièce intitulée “La
vague perdue.”
Même s’il ne court pas les projets, Julien Sagot accueille
avec ouverture les propositions. Prendre son temps et
avoir de la liberté dans la création, en plus de ne pas avoir
la pression d’un patron, sont
des critères qui surpassent
m’occupe, j’ai du fun, je continue à faire ce que j’aime. J’ai
une vie d’étudiant en fait,
c’est de ça que je m’aperçois,
mais sans les privilèges»,
indique-il en riant.
L’air calme et mystérieux de
l’artiste traduit un caractère bohème et décontracté
qui transparaît de façon éloquente dans sa personnalité,
une intégrité que la scène
lui permet de révéler. Loin de
ce compositeur la crainte de
n’être pas compris, s’amusant
régulièrement à donner des
concerts en français devant
un public de Toronto. «J’ai un
show que je trouve intéressant
et dynamique qui s’adresse à
tout le monde. Des spectacles,
j’aimerais en faire beaucoup plus, si ça pouvait être
multiplié par 10 je serais vraiment content», s’exclame-t-il.
Malgré un tempérament solitaire, la sensation de se retrouver devant de grandes foules
est une nécessité qui l’enchante et ne l’intimide jamais.
Afin de se réchauffer dans les
mois qui viennent, le poète
compte donner des spectacles
intimes au Divan orange
et à l’Escogriffe avant son
passage dans plusieurs festivals. L’Europe sera sa destination de l’automne alors qu’il y
lancera son album.
Aller à la rencontre de l’autre
est un leitmotiv que Sagot
veut propager. «Il faut
participer, s’exclame l’homme
tout illuminé, parce qu’on
vit ensemble dans le moment
présent. La vie est magnifique et fuck you l’austérité.
C’est ensemble qu’on peut
changer les choses, il faut
sortir et se rencontrer.»
Son souhait est d’inspirer les autres à prendre
des risques, à oser se commettre plus souvent dans
le monde. Avec sa musique,
Julien Sagot espère en faire
la démonstration.
Montréal Campus
11
Photo : Hamza Mejri, Salon de Peinture.
culture
40 fois la robe
Marissa Groguhe
Un thème universel (la robe),
exploré sous un angle unique,
permettant au public de voyager à travers les époques et les
civilisations : c’est ce qui nous
était réservé à l’exposition
photo The Dress, présentée par
Hamza Mejri, le 3 avril.
C’est à un 5 à 7 au septième
étage de l’hôtel ALT à Montréal
que les mordus de mode, de
photographie et d’art, désireux de voir l’exposition de
l’artiste, se sont rassemblés
pour assister à cet évènement.
Accrochées aux quatre murs
de la pièce, 40 photographies
en noir et blanc, mettant en
vedette des individus posant
tous devant un décor similaire.
Sous chacun des tableaux,
un titre permettant souvent
d’indiquer la provenance de
la tenue, mais parfois aussi
de justifier la réflexion derrière l’image. Par exemple, la
photo de deux jeunes femmes,
une noire, une asiatique, portant une robe identique et se
tenant par la main, qu’Hamza
Mejri décrit comme une ouverture vers la réflexion sur la
diversité culturelle. Le vêtement nous est donc présenté
sous toutes ses formes, porté
aussi bien par des femmes que
des hommes, de toutes races et
dans des robes de tous genres.
Malgré un thème commun,
en faisant le tour de la pièce,
c’est la disparité entre chaque
image qui retentit le plus. De
la classique et épurée style
Chanel à la tunique tunisienne traditionnelle, la robe
est traitée par Mejri comme
un témoin du temps et des
cultures du monde et parfois
aussi comme une illustration
de ses réflexions sur la société.
Parmi les personnes associées
au long travail de création qu’a
suscitée la réalisation de cette
exposition, il y a plusieurs créateurs de compagnies de mode
(québécoises pour la plupart),
entre autres Gazelles Montréal,
Miss Cocotte et White Label.
Le photographe explique qu’un
de ses buts était de promouvoir les stylistes montréalais
et c’est une réussite. De plus,
pour porter ses créations,
Mejri n’a pas voulu faire appel
à des dizaines de mannequins,
ce qui rehausse le caractère unique de l’exposition.
Selon lui, «c’est trop classique que la mode soit portée
par des modèles. Là, ce sont
des gens de la société québécoise. Ce sont des chanteurs,
des acteurs, des animateurs
télé ou aussi des designers qui
portent leurs propres design».
Il est intéressant que les
tableaux aient à la fois la portée usuelle de la photographie
de mode, mais que l’on cherche
aussi à sortir de cette norme,
puisque la robe est dans certaines photos un accessoire
aidant à imager une réflexion
ou une émotion. Malgré tout,
cela crée une sorte de déconnexion entre les tableaux où
la robe est le sujet principal
et ceux où il y a plus à interpréter. Un manque d’uniformité. D’un tableau à l’autre,
le but n’est pas le même et
on se demande pourquoi ils ne
sont pas tous porteurs de messages ou alors tous exposés
comme de simples photos de
mode témoignant des époques
et des civilisations. Somme
toute, ce détail n’enlève pas
grand chose à la qualité des
images, à la portée émotionnelle de certaines d’entre elles
et finalement au talent évident d’Hamza Mejri, qui a
réussi à monter une exposition intrigante composée de
40 tableaux à la fois uniques
et similaires.
The Dress (La robe), une
exposition présentée par
Hamza Mejri.
Photographies disponibles sur
salondepeintures.com.
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1
2015-03-03
Je n’en peux plus. J’en ai marre que tout
soit toujours simplifié. Le discours de
Martin Coiteux, le président du Conseil
du trésor, lors de son passage à Tout le
monde en parle le 12 avril était d’une
scandaleuse simplicité. Les finances du
Québec ne vont pas bien, on n’a donc pas
le choix de «mieux répartir les dépenses»,
sinon ce sont les jeunes qui paieront plus
tard la facture de cette dette, etc. En
bon Séraphin des programmes sociaux,
monsieur Coiteux venait nous rappeler que lorsqu’on a des dettes, on réduit
ses dépenses, comme si diriger l’économie d’un État équivalait à gérer son portefeuille personnel. Il me semble que la
première option est beaucoup plus complexe que la seconde. Sans parler de la
fameuse classe moyenne, encore présentée comme une enfant unique, même si
on devrait parler en réalité des classes
moyennes et non d’une seule en raison
des écarts de revenus composant cette
catégorie médiane. Ah, j’allais oublier les
11:09
fameuses baisses d’impôt, qui font tant
de bien aux contribuables, même si leurs
services publics en souffrent. Le filet
social, dans toute société, j’aimerais le
rappeler, est essentiel pour les gens qui
ont moins de chance. Je fais référence ici
à ceux qui sont malades, ceux qui n’ont
pas eu la chance d’étudier et tous ceux
qui ne sont pas en mesure de travailler
pour une raison quelconque.
Ce n’est pas tout, j’en ai assez de la rhétorique anti-médiatique ultra-vulgarisée. Selon elle, tous les médias de masse
déforment les propos de leurs interlocuteurs puisque tous leurs journalistes
courent après de l’information sensationnaliste. Voyons, c’est comme si je
me basais sur une vidéo de promotion
virale de Guy Nantel pour jauger le présent mouvement étudiant et que j’en
concluais que personne dans celui-ci ne
sait pour quelle raison il ou elle milite.
Bien que la problématique de la brutalité médiatique existe, le mouvement de
contestation actuel gagnerait à dialoguer avec les médias pour que sa lutte,
aussi légitime soit-elle, soit comprise du
grand public.
Sans parler du discours concernant le
droit à l’éducation. Comme si le blocage de l’UQAM durant une seule journée, le 2 avril, justifiait d’accuser les
étudiants uqamiens militants d’effectuer la levée de cours des facultés qui ne
sont pas en grève. Prétexte parfait pour
la répression du rectorat de l’UQAM et du
gouvernement.
Il serait grand temps que tout le monde
se parle, sans faire de raccourcis, pour
en arriver à la première étape de toute
résolution de conflit : la compréhension
de l’autre.
Nous sommes de votre côté.
Colin Côté-Paulette
Chef de pupitre Culture
[email protected]
Twitter : @colinctpaulette
À L’ÉTÉ 2015, PAS DE VACANCES
POUR LES PASSIONNÉS!
50 écoles d’été / 1 300 cours réguliers / 150 cours à distance
ulaval.ca/ete