Vita Neronis de Suétone

Œuvre au programme : Vita Neronis de Suétone haec est, Caesar, clementia vera, quam tu praestas, quae non saevitiae paenitentia coepit, nullam habere maculam, numquam civilem sanguinem fudisse. Sénèque, de Clementia, I, 11, adressé eu prince après une année de pouvoir, en 55. (Voici, César, ce qu’ est la vraie clémence, dans laquelle tu surpasses tous tes prédécesseurs, toi qui n’as pas encore à te repentir de la moindre cruauté, de n’avoir la moindre tache, ni d’avoir répandu le sang d’aucun concitoyen) Buste de bronze, I°s., conserve au Louvre Comment Néron, dont le règne est si bien accueilli, a‐t‐il (aurait‐il ?) pu devenir le monstre que la tradition conserve pendant deux millénaires ? Suetonii de Vita Neronis Comment devient‐on un monstre ? Texte présenté à l’oral L’incendie de Rome (XXXVIII) 38 – 1 5 10 15 39 – 20 24 Sed nec populo aut moenibus patriae pepercit. dicente quodam in sermone communi: ἐμοῦ θανόντος γαῖα μειχθήτω πυρί, 'immo,' inquit, 'ἐμοῦ ζῶντος ' planeque ita fecit. nam quasi offensus deformitate ueterum aedificiorum et angustiis flexurisque uicorum, incendit urbem tam palam, ut plerique consulares cubicularios eius cum stuppa taedaque in praediis suis deprehensos non attigerint, et quaedam horrea circa domum Auream, quorum spatium maxime desiderabat, ut bellicis machinis labefacta atque inflammata sint, quod saxeomuro constructa erant. per sex dies septemque noctes ea clade saeuitum est ad monumentorum bustorumque deuersoria plebe compulsa. tunc praeter immensum numerum insularum domus priscorum ducum arserunt hostilibus adhuc spoliis adornatae deorumque aedes ab regibus ac deinde Punicis et Gallicis bellis uotae dedicataeque, et quidquid uisendum atque memorabile ex antiquitate durauerat. hoc incendium e turre Maecenatiana prospectans laetusque 'flammae,' ut aiebat, 'pulchritudine' Halosin Ilii in illo suo scaenico habitu decantauit. ac ne non hinc quoque quantum posset praedae et manubiarum inuaderet, pollicitus cadauerum et ruderum gratuitam egestionem nemini ad reliquias rerum suarum adire permisit; conlationibusque non receptis modo uerum et efflagitatis prouincias priuatorumque census prope exhausit. accesserunt tantis ex principe malis probrisque quaedam et fortuita: une épidémie qui dura un automne, et lors de laquelle 30'000 funérailles s’ajoutèrent aux registres de Litina, un massacre en Bretagne, lors duquel nous furent arrachées deux places fortes de première importance, pleines de concitoyens et d’alliées; une défaite honteuse en Orient, lors de laquelle les légions d’Arménie furent faites prisonnières, et la Syrie, qui fut presque perdue. Tacite, Annales, XV L'incendie de Rome XXXVIII. Le hasard, ou peut‐être un coup secret du prince (car l'une et l'autre opinion a ses autorités), causa le plus grand et le plus horrible désastre que Rome eût jamais éprouvé de la violence des flammes. Le feu prit d'abord à la partie du Cirque qui tient au mont Palatin et au mont Célius. Là, des boutiques remplies de marchandises combustibles lui fournirent un aliment, et l'incendie, violent dès sa naissance et chassé par le vent, eut bientôt enveloppé toute la longueur du Cirque ; car cet espace ne contenait ni maisons protégées par un enclos, ni temples ceints de murs, ni rien enfin qui pût en retarder les progrès. Le feu vole et s'étend, ravageant d'abord les lieux bas, puis s'élançant sur les hauteurs, puis redescendant, si rapide que le mal devançait tous les remèdes, et favorisé d'ailleurs par les chemins étroits et tortueux, les rues sans alignement de la Rome d'autrefois. De plus, les lamentations des femmes éperdues, l'âge qui ôte la force aux vieillards et la refuse à l'enfance, cette foule où chacun s'agite pour se sauver soi‐même ou en sauver d'autres, où les plus forts entraînent ou attendent les plus faibles, où les uns s'arrêtent, les autres se précipitent, tout met obstacle aux secours. Souvent, en regardant derrière soi, on était assailli par devant ou par les côtés : on se réfugiait dans le voisinage, et il était envahi par la flamme ; on fuyait encore, et les lieux qu'on en croyait le plus loin s'y trouvaient également en proie. Enfin, ne sachant plus ce qu'il fallait ou éviter ou chercher, toute la population remplissait les rues, gisait dans les campagnes. Quelques‐uns, n'ayant pas sauvé de toute leur fortune de quoi suffire aux premiers besoins de la vie, d'autres, désespérés de n'avoir pu arracher à la mort les objets de leur tendresse, périrent quoiqu'ils pussent échapper. Et personne n'osait combattre l'incendie : des voix menaçantes défendaient de l'éteindre ; des inconnus lançaient publiquement des torches, en criant qu'ils étaient autorisés ; soit qu'ils voulussent piller avec plus de licence, soit qu'en effet ils agissent par ordre. XXXIX. Pendant ce temps, Néron était à Antium et n'en revint que quand le feu approcha de la maison qu'il avait bâtie pour joindre le palais des Césars aux jardins de Mécène. Toutefois on ne put empêcher l'embrasement de dévorer et le palais, et la maison, et tous les édifices d'alentour. Néron, pour consoler le peuple fugitif et sans asile, ouvrit le Champ de Mars, les monuments d'Agrippa et jusqu'à ses propres jardins. Il fit construire à la hâte des abris pour la multitude indigente ; des meubles furent apportés d'Ostie et des municipes voisins, et le prix du blé fut baissé jusqu'à trois sesterces. Mais toute cette popularité manqua son effet, car c'était un bruit général qu'au moment où la ville était en flammes il était monté sur son théâtre domestique et avait déclamé la ruine de Troie, cherchant, dans les calamités des vieux âges, des allusions au désastre présent. XL. Le sixième jour enfin, on arrêta le feu au pied des Esquilies, en abattant un nombre immense d'édifices, afin d'opposer à sa contagion dévorante une plaine nue et pour ainsi dire le vide des cieux. La terreur n'était pas encore dissipée quand l'incendie se ralluma, moins violent, toutefois, parce que ce fut dans un quartier plus ouvert : cela fit aussi que moins d'hommes y périrent ; mais les temples des dieux, mais les portiques destinés à l'agrément, laissèrent une plus vaste ruine. Ce dernier embrasement excita d'autant plus de soupçons, qu'il était parti d'une maison de Tigellin dans la rue Émilienne. On crut que Néron ambitionnait la gloire de fonder une ville nouvelle et de lui donner son nom. Rome est divisée en quatorze régions : quatre restèrent intactes ; trois étaient consumées jusqu'au sol ; les sept autres offraient à peine quelques vestiges de bâtiments en ruine et à moitié brûlés. XLI. Il serait difficile de compter les maisons, les îles, les temples qui furent détruits. Les plus antiques monuments de la religion, celui que Servius Tullius avait dédié à la Lune, le Grand autel et le temple consacrés par l'Arcadien Évandre à Hercule vivant et présent, celui de Jupiter Stator, voué par Romulus, le palais de Numa Pompilius et le sanctuaire de Vesta, avec les Pénates du peuple romain, furent la proie des flammes. Ajoutez les richesses conquises par tant de victoires, les chefs‐d'oeuvre des arts de la Grèce, enfin les plus anciens et les plus fidèles dépôts des conceptions du génie, trésors dont les vieillards gardaient le souvenir, malgré la splendeur de la ville renaissante, et dont la perte était irréparable. […] XLII. Néron mit à profit la destruction de sa patrie, et bâtit un palais où l’or et les pierreries n'étaient pas ce qui étonnait davantage ; ce luxe est depuis longtemps ordinaire et commun mais il enfermait des champs cultivés, des lacs, des solitudes artificielles, bois, esplanades, lointains. Suetonii de Vita Neronis Comment devient‐on un monstre ? Analyse grammaticale L’incendie de Rome 1 Sed nec populo aut moenibus patriae pepercit Mais il n’épargna ni le peuple ni les remparts de sa patrie dicente quo‐dam in sermone communi: [Abl. Abs. Alors que quelqu’un disait, dans une discussion ouverte à tous ἐμοῦ θανόντος γαῖα μειχθήτω πυρί qu’à ma mort la terre soit anéantie par le feu 'immo,' inquit, 'ἐμοῦ ζῶντος ' planeque ita fecit Non, dit il, plutôt de mon vivant, et il le fit pour de bon 5 nam quasi offensus deformitate ueterum aedificiorum et angustiis flexurisque uicorum En effet, comme si il était insulté par la laideur des vieux édifices et l’étroitesse des petites rues sinueuses emphase sur le verbe
incendit urbem tam palam joie des longues protases et Il incendia Rome si ouvertement des courtes apodoses… ut plerique consulares cubicularios eius cum stuppa taedaque que de nombreux consulaires n’allèrent pas au devant de ses esclaves personnels, chargés d’étoupe et de torches in praediis suis deprehensos non attigerint pris sur le fait dans leur propriété et quae‐dam horrea circa domum Auream, et certains entrepôts autour de la domus Aurea quorum spatium maxime desiderabat dont il désirait énormément l’espace ut bellicis machinis labefacta atque inflammata sint, (si ouvertement) qu’ils furent détruits et enflammés par des machines de guerre quod saxeomuro constructa erant parce qu’ils avaient été construits en pierre de taille. per sex (VI) dies septem (VII) que noctes eā clade saeuitum est pendant 6 jours et 7 nuits on souffrit de ce fléau ad monumentorum bustorumque deuersoriă plebe compulsā. tandis que la Plèbe était repoussée vers les asiles qu’offraient les monuments et les bustes 10 deversorium : l’endroit où on se replie, le gîte, l’hôtel, le hall de sortie, … synonyme de caupona (auberge), et sans doute pas si petit puisqu’on peut encore le diminuer en deversoriolum tunc praeter immensum numerum insularum domūs priscorum ducum arserunt Nom. Sujet(1)
alors en plus d’un grand nombre d’immeubles les maisons des chefs antiques brûlèrent hostilibus adhuc spoliis adornatae deorumque aedes ab regibus Nom. Sujet(2)
qui avaient été décoré(e)s jusqu’alors des dépouilles des ennemis, ainsi que les temples des dieux érigés par les rois, ac deinde Punicis et Gallicis bellis uotae dedicataeque et ensuite ceux qui avaient été voués et offerts lors des guerres contre les Carthaginois et les Gaulois et quidquid uisendum atque memorabile ex antiquitate durauerat Sujet(3) 15 et tout ce qui, digne d’être vu, et mémorable, avait tenu depuis l’antiquité hoc incendium e turre Maecenatianā prospectans laetusque Observant cet incendie depuis la tour de Mécène et heureux 'flammae,' ut aiebat, 'pulchritudine' Halosin Ilii in illo suo scaenico habitu decantauit. (ἡ ἅλωσις : la prise militaire)
de la « beauté », comme il disait « de la flamme », il récita la Prise de Troie dans son costume de scène ac ne non hinc quoque praedae et manubiarum inuaderet génitifs partitifs
et afin de ne pas manquer de s’emparer de le moindre proie ou prise de guerre dans cette occasion (hinc) (quantum posset) autant que possible pollicitus cadauerum et ruderum gratuitam egestionem Il promit le déblayage gratuit des cadavres et des décombres nemini ad reliquias rerum suarum adire permisit Il ne permit à personne d’aller vers les restes de ses propres biens conlationibusque non receptis modo uerum et efflagitatis Non seulement en recevant des contributions mais en en exigeant (abl. de moyen) prouincias priuatorumque census prope exhausit il épuisa presque les provinces et le cens des citoyens privés verbe en première accesserunt tantis (ex principe) malis probrisque quaedam et fortuită place : présentatif s’ajoutèrent à des maux (qui étaient dus au prince) en si grands nombres, et malhonnêtes, d’autres aussi, dues au hasard pestilentia unius autumni, quo 30’000 funerum in rationem Libitinae uenerunt clades Britannica, qua 2 praecipua oppida magna ciuium sociorumque caede direpta sunt ignominia ad Orientem legionibus in Armenia sub iugum missis aegreque Syria retenta Suetonii de Vita Neronis Comment devient‐on un monstre ? Analyse grammaticale L’incendie de Rome sous le règne de Néron est sans doute l’épisode la plus connu de l’histoire romaine, et son récit par Suétone est à l’origine tant des portraits orgiaques qu’illustre la littérature populaire, depuis le Quo Vadis de Sienkewicz, et des premiers péplums italien dès 1912 (réalisé par Guazzoni), que des tentatives de réhabilitation de Néron, comme un véritable urbaniste, décrié seulement par la génération suivante. Il est connu par les Annales de Tacite, et faisait sans doute l’objet de nombreux écrits des autres historiens et annalistes, mais on n’a conservé que les deux récits de Tacite et Suétone. Sequitur clades, forte an dolo principis incertum (nam utrumque auctores prodidere), sed omnibus quae huic urbi per violentiam ignium acciderunt gravior atque atrocior. Il y eut par la suite une catastrophe, peut‐être due à une ruse du prince, mais c’est incertain (les auteurs livrent des récits contraires), de toutes celles cependant qui furent dues dans la ville à la violence du feu, la plus grave et la plus meurtière Suétone reprend à Tacite la violence de la catastrophe, mais il oublie sa prudence et en fait explicitement l’œuvre d’un Néron pervers et maléfique. 1. Une catastrophe : le récit de l’incendie et ses conséquences sur les hommes, les bâtiments et l’histoire 2. Un réquisitoire contre Néron : un événement planifié qui profite au goût artistique de Néron, et qui sera rentable Suetonii de Vita Neronis Comment devient‐on un monstre ? vocabulaire Néron : un homme vertueux… et plein de vices (chapitres IX, X et XXVI, XXVII) Vitium, ii, n
indŏles, is, f. : les qualités natives, les talents, les penchants cōmĭtas, atis, f. : la douceur, l'affabilité, la bonté, la générosité clēmentĭa, ae, f. : grātĭā, ae, f. : la grâce, la reconnaissance hŏnor, oris, m. : l'honneur, l'hommage, la charge lībĕrālĭtas, atis, f. : la bonté, la douceur, l'indulgence
pĭĕtas, atis, f. : le respect, le patriotisme, l'affection auaritia, ae, f. : la cupidité, l'avarice crēdŭlĭtas, atis, f. : la crédulité lĭbīdo, dinis, f. : désir, envie, débauche lūdĭbundus, a, um : porté au jeu luxŭrĭa, ae, f. : l'abondance, la profusion, l'intempérance, l'arbitraire pĕtŭlantĭa, ae, f. : l'insolence, l'impudence, l'effronterie pernĭcĭes, iei, f. : perte lieux de débauche : pŏpīna, ae, f. : taverne, cabaret pantŏmīmus, i, m. : pantomime ganea, ae, f : bouge, mauvais lieu (grec γάνος) rixa, ae, f. : dispute, combat scortum, i, n. : la prostituée thĕātrum, i, n. : théâtre rappel : n’est pas mātrōna, ae, f. qui veut : à quelle condition l’est‐on ? nōbĭlis, e : connu, noble Quelques actes dŭbĭus, a, um : douteux Virtus, utis, f, Pudor, oris, m ăbŏlĕo, es, ere, eui, itum : détruire, supprimer ŏmitto, is, ere, misi, missum : abandonner, laisser aller (omissus, a, um : négligent, insouciant) ērumpo, is, ere, rupi, ruptum : 1 ‐ sortir avec impétuosité, s'élancer; 2 ‐ se produire subitement, se montrer tout à coup ; 3 ‐ au fig. éclater, se montrer, paraître; éclater (en paroles). absūmo, is, ere, sumpsi, sumptum : prendre entièrement, consumer, dépenser, détruire ŏpĕra, ae, f. : le soin, l'effort (operam dare : se consacrer à) adripio, (arr‐) is, ere, ripui, reptum : saisir, s'approprier adtrecto, as, are : toucher à, manier appello, is, ere, puli, pulsum : pousser vers cēnĭto, as, are : dîner souvent ou habituellement cŏmĭto, as, are : accompagner consaucĭo, as, are : blesser grièvement excŭbo, is, ere, cubui, cubitum : passer la nuit dehors, veiller, être attentif expīlo, as, are : piller multo, as, are : punir pŏpŭlor, aris, atus sum : dévaster nĕco, as, are : tuer nex, necis, f. : mort, meurtre expression du luxe : dīs, ditis, refait en dīves, dīvitis, a conservé pour comparatif ditior et superlatif ditissimus aurĕus, a, um : d'or cŏhors, ortis, f. : cohorte circus, i, m. : cirque niuatus, a, um : rafraîchi dans la neige naumăchĭa, ae, f. : la naumachie, le combat‐naval piscīna, ae, f. : vivier, piscine sur Carte : antium, Baias, Baulos, Ostia Suetonii de Vita Neronis Comment devient‐on un monstre ? Texte présenté à l’oral Néron : un homme vertueux… (chapitres IX et X) 1 5 10 15 20 IX. Orsus hinc a pietatis ostentatione Claudium apparatissimo funere elatum laudavit et consecravit. Memoriae Domitii patris honores maximos habuit. Matri summam omnium rerum privatarum publicarumque permisit. Primo etiam imperii die signum excubanti tribuno dedit "optimam matrem" ac deinceps ejusdem saepe lectica per publicum simul vectus est. Antium coloniam deduxit ascriptis veteranis e praetorio additisque per domicilii translationem ditissimis primipilarium; ubi et portum operis sumptuosissimi fecit. X. Atque ut certiorem adhuc indolem ostenderet, ex Augusti praescripto imperaturum se professus, neque liberalitatis neque clementiae, ne comitatis quidem exhibendae ullam occasionem omisit. Graviora vectigalia aut abolevit aut minuit. Praemia delatorum Papiae legis ad quartas redegit. Divisis populo viritim quadringenis nummis, senatorum nobilissimo cuique, sed a re familiari destituto annua salaria et quibusdam quingena constituit, item praetorianis cohortibus frumentum menstruum gratuitum. Et cum de supplicio cujusdam capite damnati ut ex more subscriberet admoneretur: "quam vellem, " inquit, "nescire litteras". Omnes ordines subinde ac memoriter salutavit. Agenti senatui gratias respondit: "Cum meruero". Ad campestres exercitationes suas admisit et plebem declamavitque saepius publice; recitavit et carmina, non modo domi sed et in theatro, tanta universorum laetitia, ut ob recitationem supplicatio decreta sit eaque pars carminum aureis litteris Jovi Capitolino dicata. Suetonii de Vita Neronis Comment devient‐on un monstre ? Analyse grammaticale Néron : un homme vertueux… (chapitres IX et X) IX Orsus hinc a pietatis ostentatione participe passé d’un déponent : sens actif Il commença d’abord par la démonstration de sa dévotion Claudium apparatissimo funere elatum laudavit et consecravit et fit l’éloge de Claude, emporté en de très luxueuses funérailles, et en fit un dieu Memoriae Domitii patris honores maximos habuit Il eut les plus grands honneurs pour la mémoire de son père Domitius Matri summam [potestatem] omnium rerum privatarum publicarumque permisit à sa mère, il transmit le [pouvoir] suprême sur toute affaire privée et publique Primo etiam imperii die signum excubanti tribuno dedit "optimam matrem" le premier jour de son règne également, il donna pour mot d’ordre « la meilleure des mères » au tribun qui montait la garde 5 ac deinceps ejusdem saepe lecticā per publicum simul vectus est et par la suite il se fit souvent transporter avec elle, dans sa litière, en public Antium coloniam deduxit ascriptis veteranis e praetorio il transporta une colonie à Antium peuplée de veterans inscrits sur les registres du prétoire (= vétérans de la garde prétorienne, l’élite de Rome)
additisque per domicilii translationem ditissimis primipilarium ainsi que des plus riches des primipilaires, en operant (per) un déménagement de leur domicile ubi et portum operis sumptuosissimi fecit génitif de prix X où il fit construire égalemen un port au prix de travaux très coûteux. Atque ut certiorem adhuc indolem ostenderet attribut de l’Acc. Et afin de montrer de un penchant naturel encore plus sûr 10 ex Augusti praescripto imperaturum se professus prop. Inf. ou Acc. et attribut Il promit qu’il gouvrnerait selon les principes d’Auguste gérondif transformé en adjectif adjectif verbal, accordé avec le substantif le plus proche verbal neque liberalitatis neque clementiae, ne comitatis quidem exhibendae ullam occasionem omisit et ni de montrer sa générosité, ni sa clémence ni même sa bonté il ne manqua la moindre occasion Graviora vectigalia aut abolevit aut minuit. Les impôts les plus lourdsn ou bien il les abolit, ou bien il les diminua Il réduit à son quart les recompenses aux dénonciateurs des infractions à la loi Papia Divisis populo viritim quadringenis nummis [abl. abs.] Après avoir réparti pour le peuple une somme de 400 (sesterces) par homme, senatorum nobilissimō cuique (sed a re familiari destitutō) Pour chacun des plus nobles des Sénateurs (mais qui aurait perdu sa fortune familiale) annua salaria et quibusdam quingena constituit Il mit en place un salaire annuel, et pour certains de 500 (milliers de sersterces) 15 item praetorianis cohortibus frumentum menstruum gratuitum La loi Papia, promulguée en +9, prévoit un amende contre les célibataires ou les couples de citoyen sans enfants. polysyndète Praemia delatorum Papiae legis ad quartas redegit de même, pour les cohortes prétoriennes, des distributions mensuelles de blé (ou par métonymie : nourriture)
Et cum de supplicio cujusdam capite damnati ( ut ex more ) subscriberet admoneretur Et comme , à propos du châtiment de quelqu’un condamné à mort, on lui demandait, (comme c’était la tradition) d’écrire son nom en bas (=de signer) (subj imparfait = irréel du présent)
"quam vellem, " inquit, "nescire litteras" Comme j’aimerais, dit‐il, ne pas connaître les lettres ne pas savoir écrire sens du parfait (gnomique ou Omnes ordines subinde ac memoriter salutavit aoristique pour faire philologue….) Il saluait tous les ordres du premier regard et de mémoire Agenti senatui gratias respondit: "Cum meruero". à un sénateur qui le remerciait, il répondit : « lorsque je l’aurai mérité » Ad campestres exercitationes suas admisit et plebem à ses exercices militaires de plein air il admit aussi la Plèbe declamavitque saepius publice Il déclama très souvent en public 20 recitavit et carmina, non modo domi sed et in theatro tantā universorum laetitiā abl. de qualité / abl. abs. ? et récita aussi des poèmes, non seuelemnt chez lui, mais aussi dans les théâtres et provoqua un joie si grande auprès de tous ut ob recitationem supplicatio decreta sit que du fait de ce recital, une action de grâce fut décidée eaque pars carminum aureis litteris Jovi Capitolino dicata et ce passage du poème fut dédiée en lettres d’or à Jupiter Capitolin Quelques axes de commentaire Un catalogue de vertus et de passages à l agloire de Néron Un esprit retors, qui sème le doute et ne veut y voir que de la propagande Des défauts : prodigalité qui le mène à des dépenses somptuaires, méconnaissances des rangs, qui l’amène à traiter tout le monde sur un pied d’égalité, hybris (ὕβρις : orgueuil, insolence) qui le sort de son rang, de sa juste place, et insulte Jupiter par le nom donné à sa mère et le poème qu’il lui dédie. Realia Tribun, garde prétorienne, respect des vétérans Antium Déclamation de poèmes, Théâtre et Odéons Suetonii de Vita Neronis Comment devient‐on un monstre ? Texte présenté à l’oral Néron : … un homme plein de vices (chapitres XXVI et XXVII) 1 5 10 15 20 25 XXVI. Petulantiam, libidinem, luxuriam, avaritiam, credulitatem sensim quidem primo et occulte et velut juvenili errore exercuit, sed ut tunc quoque dubium nemini foret naturae illa vitia, non aetatis esse. Post crepusculum statim adrepto pilleo vel galero popinas inibat circumque vicos vagabatur ludibundus nec sine pernicie tamen, siquidem redeuntis a cena verberare ac repugnantes vulnerare cloacisque demergere assuerat, tabernas etiam effringere et expilare. Quintana domi constituta ubi partae et ad licitationem dividendae praedae pretium absumeretur. Ac saepe in ejus modi rixis oculorum et vitae periculum adiit, a quodam laticlavio, cujus uxorem adtrectaverat, prope ad necem caesus. Quare numquam postea publico se illud horae sine tribunis commisit procul et occulte subsequentibus. Interdiu quoque clam gestatoria sella delatus in theatrum seditionibus pantomimorum e parte proscaeni superiore signifer simul ac spectator aderat. Et cum ad manus ventum esset lapidibusque et subselliorum fragminibus decerneretur, multa et ipse jecit in populum atque etiam praetoris caput consauciavit. XXVII. Paulatim vero invalescentibus vitiis jocularia et latebras omisit nullaque dissimulandi cura ad majora palam erupit. Epulas a medio die ad mediam noctem protrahebat, refotus saepius calidis piscinis ac tempore aestivo nivatis; cenitabatque nonnumquam et in publico, naumachia praeclusa vel Martio campo vel Circo Maximo, inter scortorum totius urbis et ambubaiarum ministeria. Quotiens Ostiam Tiberi deflueret aut Baianum sinum praeternavigaret, dispositae per litora et ripas deversoriae tabernae parabantur insignes ganea et matronarum institorio copas imitantium atque hinc inde hortantium ut appelleret. Indicebat et familiaribus cenas, quorum uni mitellita quadragies sestertium constitit, alteri pluris aliquanto rosaria. Suetonii de Vita Neronis Comment devient‐on un monstre ? Analyse grammaticale Néron : … un homme plein de vices (chapitres XXVI et XXVII) XXVI Petulantiam, libidinem, luxuriam, avaritiam, credulitatem l’orgueil, l’avidité, l’intempérance, la cupidité, la crédulité sensim quidem primo et occulte et velut juvenili errore exercuit il les exerça petit à petit d’abord, et en secret, et comme s’il s’agissait d’errements de la jeunesse certaines leçons du texte présentent crudelitas plutôt que credulitas. L’erreur se comprend, et seule l’étude du mss permet de trancher vraiment : être inconstant dans ses croyances et changer sans cesse d’avis ou de goût est aussi un défaut sed ut tunc quoque dubium nemini foret naturae illă vitiă, non aetatis esse génitif de qualité (valeur intrinsèque) mais tant et si bien qu’alors aussi il n’y aurait eu de doute pour personne que ces vices étaient (dus) à sa nature, pas à son âge. Post crepusculum statim adrepto pilleo vel galero popinas inibat Aussitôt après le crepuscule, il se rendait dnas les cabarets après s’être saisi d’un bonnet ou d’une casquette circumque vicos vagabatur ludibundus nec sine pernicie tamen Il errait de quartier en quartier, se moquant de tout, et pas sans perversité cependant siquidem redeuntis a cenā verberare Acc. pluriel pilleus galerus ? d’autant plus qu’il avait l’habitude de frapper ceux qui revenaient de leur dîner ac repugnantes vulnerare cloacisque demergere assuerat et ceux qui se défendaient, de les blesser et de les plonger dans les égoûts tabernas etiam effringere et expilare d’entrer par effraction et de pillet les boutiques. la quintana (via) est dans la structure du camp romain Quintanā domi constitutā que suivent les cités la 5ème transversale, derrière le Après avoir établi un marché chez lui prétoire, où le marché se tient. Les soldats y revendent ou échangent leur butin. ubi partae et ad licitationem dividendae praedae pretium absumeretur où la valeur des prises, partagées et divisées en lots pour être mises aux enchères, était dépensée Ac saepe in ejus‐modi rixis oculorum et vitae periculum adiit et souvent, dans ce genre de bagarre, il courut le risque (de perdre) sa vie et ses yeux chez Tacite, le mari a quodam laticlavio, cujus uxorem adtrectaverat, prope ad necem caesus trompé est Julius par un sénateur/chevalier, dont il avait attiré à lui l’épouse, il fut presque amené à la Montanus, alors mort simple questeur désigné C’est pourquoi jamais par la suite il ne se rendit en public à ces heures‐là sans tribuns procul et occulte subsequentibus qui le suivaient de loin et en cachette Interdiu quoque clam gestatoriā sellā delatus in theatrum De temps à autres aussi, en secret il était amené en chaise à porteur au théâtre scaena: mur de scène seditionibus pantomimorum e parte proscaeni superiore proscaenium : avant scène et aux disputes lors des pantomimes, depuis le haut de la scène signifer simul ac spectator aderat il participait, autant en tant que porte enseigne que spectateur Quare numquam postea publico se illud horae sine tribunis commisit il regardait la scène, mais il pouvait aussi lancer la dispute et l’attiser, comme le signifer dans une armée ne se bat pas mais excite les soldats. Et cum ad manus ventum esset et lorqsu’on en était arrivé aux mains lapidibusque et subselliorum fragminibus decerneretur XXVII et que l’on tranchait par les pierres et des morceaux arrachés aux banquettes (sens militaire de decerno : prendre une décision en se battant : le vainqueur a forcément raison…) multa et ipse jecit in populum atque etiam praetoris caput consauciavit Lui aussi en jeta beaucoup sur le peuple, et il blessa même la tête d’un prétorien. Paulatim vero invalescentibus vitiis jocularia et latebras omisit Tandis que ses vices prenaient peu à peu de la force, il laissa de côté les blagues et les farces nullāque dissimulandi curā ad majora palam erupit et sans aucun souci de se cacher, il se jeta ouvertement dans de plus grands (vices) Epulas a medio die ad mediam noctem protrahebat Il faisait trainer les festins du milieu du jour jusqu’au milieu de la nuit. refotus saepius calidis piscinis ac tempore aestivo nivatis se réchauffant très souvent dans des bassins chauds et l’été, rafraîchis par la neige cenitabatque nonnumquam et in publico il prenait ses repas quelques fois aussi en public naumachia praeclusa vel Martio campo vel Circo Maximo dans la naumachie fermée, ou sur le champ de Mars, ou dans le Stade inter scortorum totius urbis et ambubaiarum ministeria entouré par le service des prostituées de toute la ville et de joueuses de flûte Quotiens Ostiam Tiberi deflueret aut Baianum sinum praeternavigaret Chaque fois qu’il descendait le Tibre vers Ostie, ou qu’il longeait le golfe de Baïes dispositae per litora et ripas deversoriae tabernae parabantur on préparait des gîtes d’étapes, placés sur les rives et le rivage (litus pour le bord de mer, ripa pour les rives d’un fleuve, ce ne sont pas de vrais synonymes) insignes ganea et matronarum institorio copas imitantium grimés en lieux de débauche et qui offrait (à la vente) des matrones, imitant les hôtesses de cabaret atque hinc inde hortantium ut appelleret et ici et là faisant des pieds et des mains pour l’appeler Indicebat et familiaribus cenas, quorum uni mitellita quadragies sestertium constitit, il s’invitait aux repas chez ses proches, 9
parmi lesquels il fit dépenser à l’un 4 10 de sesterces en diadèmes (petits bandeaux) alteri pluris aliquanto rosaria. à un autre une autre fois plusieurs 109 en (pétales, décors, ..) de roses. Comment comprendre Galerus ? (commentaires des Antiquités de Daremberg, Saglio et Pothier) Le mot dérive de galea (le casque rond des soldats), qui est clairement attesté, mais il désigne, au cours du temps, des couvre‐chefs de formes très différentes. Chez Virgile, Stace et Frontin, qui les décrivent, il s’agit de casques de cuir, en peau de loup, de martre, .., qui demeure rudimentaire. Dans l’équipement guerrier, la galea peut se porter par desuss cette première protection. Les flamines portent aussi un galerus fait de la peau des animaux immolés. Les athlètes portent aussi un galerus pour protéger leurs cheveux de la poussière dela piste. Comme l’on peut garder le poil sur le cuir, le mot galerus est aussi synonyme de capillamentum, corymbium : perruque. Dr’abord d’un usage modéré, l’usage de faux cheveux se répand dans toutes les classes sous l’empire. On importe des cheveux blonds des Germains, et une taxe spéciale est prévue pour l’importation des cheveux indiens (Loréal n’a rien inventé…). Dans une scholie à Juvénal, on explique que les cheveux blonds étaient prisés par les courtisanes et les cheveux bruns par les matrones. Ovide les cite également dans l’Art d’aimer. Leur usage pour se déguiser apparaît aussi chez Ovide. Que fait Néron lorsqu’il revêt un galerus ? Il se cache sous des allures campagnardes, militaires, ou il se travestit. Suetonii de Vita Neronis Comment devient‐on un monstre ? Texte présenté à l’oral La mort d’Agrippine (chapitreXXXIV) 1 5 10 15 20 25 30 Matrem facta dictaque sua exquirentem acerbius et corrigentem hactenus primo grauabatur, ut inuidia identidem oneraret quasi cessurus imperio Rhodumque abiturus, mox et honore omni et potestate priuauit abductaque militum et Germanorum statione contubernio quoque ac Palatio expulit; neque in diuexanda quicquam pensi habuit, summissis qui et Romae morantem litibus et in secessu quiescentem per conuicia et iocos terra marique praeteruehentes inquietarent. uerum minis eius ac uiolentia territus perdere statuit; et cum ter ueneno temptasset sentiretque antidotis praemunitam, lacunaria, quae noctu super dormientem laxata machina deciderent, parauit. hoc consilio per conscios parum celato solutilem nauem, cuius uel naufragio uel camarae ruina periret, commentus est atque ita reconciliatione simulata iucundissimis litteris Baias euocauit ad sollemnia Quinquatruum simul celebranda; datoque negotio trierarchis, qui liburnicam qua aduecta erat uelut fortuito concursu confringerent, protraxit conuiuium repetentique Baulos in locum corrupti nauigii machinosum illud optulit, hilare prosecutus atque in digressu papillas quoque exosculatus. reliquum temporis cum magna trepidatione uigilauit opperiens coeptorum exitum. sed ut diuersa omnia nandoque euasisse eam comperit, inops consilii L. Agermum libertum eius saluam et incolumem cum gaudio nuntiantem, abiecto clam iuxta pugione ut percussorem sibi subornatum arripi constringique iussit, matrem occidi, quasi deprehensum crimen uoluntaria morte uitasset. adduntur his atrociora nec incertis auctoribus: ad uisendum interfectae cadauer accurrisse, contrectasse membra, alia uituperasse, alia laudasse, sitique interim oborta bibisse. neque tamen conscientiam sceleris, quanquam et militum et senatus populique gratulationibus confirmaretur, aut statim aut umquam postea ferre potuit, saepe confessus exagitari se materna specie uerberibusque Furiarum ac taedis ardentibus. quin et facto per Magos sacro euocare Manes et exorare temptauit. peregrinatione quidem Graeciae et Eleusinis sacris, quorum initiatione impii et scelerati uoce praeconis summouentur, interesse non ausus est. Monnaie d’or, double effigie,+ 54 Monnaie d’or, simple effigie, 64 à 68 Tacite, Annales, XIV La mort d’Agrippine Projet d'Anicetus (14,3) (1) Néron évita donc de se trouver seul avec sa mère, et, quand elle partait pour ses jardins et pour ses campagnes de Tusculum et d'Antium, il la louait de songer au repos. Elle finit, en quelque lieu qu'elle fût, par lui peser tellement, qu'il résolut sa mort. Il n'hésitait plus que sur les moyens, le poison, le fer, ou tout autre. (2) Le poison lui plut d'abord; mais, si on le donnait à la table du prince, une fin trop semblable à celle de Britannicus ne pourrait être rejetée sur le hasard; tenter la foi des serviteurs d'Agrippine paraissait difficile, parce que l'habitude du crime lui avait appris à se défier des traîtres; enfin, par l'usage des antidotes, elle avait assuré sa vie contre l'empoisonnement. Le fer avait d'autres dangers: une mort sanglante ne pouvait être secrète, et Néron craignait que l'exécuteur choisi pour ce grand forfait ne méconnût ses ordres. (3) Anicetus offrit son industrie: cet affranchi, qui commandait la flotte de Misène, avait élevé l'enfance de Néron, et haïssait Agrippine autant qu'il en était haï. Il montre "que l'on peut disposer un vaisseau de telle manière, qu'une partie détachée artificiellement en pleine mer la submerge à l'improviste. Rien de plus fertile en hasards que la mer: quand Agrippine aura péri dans un naufrage, quel homme assez injuste imputera au crime le tort des vents et des flots? Le prince donnera d'ailleurs à sa mémoire un temple, des autels, tous les honneurs où peut éclater la tendresse d'un fils." Rencontre à Baïes (14,4) (4) Cette invention fut goûtée, et les circonstances la favorisaient. L'empereur célébrait à Baïes les fêtes de Minerve; il y attire sa mère, à force de répéter qu'il faut souffrir l'humeur de ses parents, et apaiser les ressentiments de son coeur: discours calculés pour autoriser des bruits de réconciliation, qui seraient reçus d'Agrippine avec cette crédulité de la joie, si naturelle aux femmes. (2) Agrippine venait d'Antium; il alla au‐
devant d'elle le long du rivage, lui donna la main, l'embrassa et la conduisit à Baules; c'est le nom d'une maison de plaisance, située sur une pointe et baignée par la mer, entre le promontoire de Misène et le lac de Baïes. (3) Un vaisseau plus orné que les autres attendait la mère du prince, comme si son fils eût voulu lui offrir encore cette distinction; car elle montait ordinairement une trirème, et se servait des rameurs de la flotte: enfin, un repas où on l'avait invitée donnait le moyen d'envelopper le crime dans les ombres de la nuit. (4) C'est une opinion assez accréditée que le secret fut trahi, et qu'Agrippine, avertie du complot et ne sachant si elle y devait croire, se rendit en litière à Baies. Là, les caresses de son fils dissipèrent ses craintes; il la combla de prévenances, la fit place, à table au‐dessus de lui. Des entretiens variés, où Néron affecta tour à tour la familiarité du jeune âge et toute la gravité d'une confidence auguste, prolongèrent le festin. Il la reconduisit à son départ, couvrant de baisers ses yeux et son sein; soit qu'il voulût mettre le comble à sa dissimulation, soit que la vue d'une mère qui allait périr attendrit en ce dernier instant cette âme dénaturée. Échec du naufrage (14,5‐6) (1) Une nuit brillante d'étoiles, et dont la paix s'unissait au calme de la mer, semblait préparée par les dieux pour mettre le crime dans toute son évidence. Le navire n'avait pas encore fait beaucoup de chemin. Avec Agrippine étaient deux personnes de sa cour, Crepereius Gallus et Acerronia. Le premier se tenait debout près du gouvernail; Acerronia, appuyée sur le pied du lit où reposait sa maîtresse, exaltait, avec l'effusion de la joie, le repentir du fils et le crédit recouvré par la mère. Tout à coup, à un signal donné, le plafond de la chambre s'écroule sous une charge énorme de plomb. Crepereius écrasé reste sans vie. Agrippine et Acerronia sont défendues par les côtés du lit qui s'élevaient au‐dessus d'elles, et qui se trouvèrent assez forts pour résister au poids. (2) Cependant le vaisseau tardait à s'ouvrir, parce que, dans le désordre général, ceux qui n'étaient pas du complot embarrassaient les autres. Il vint à l'esprit des rameurs de peser tous du même côté, et de submerger ainsi le navire. Mais, dans ce dessein formé subitement, le concert ne fut point assez prompt; et une partie, en faisant contrepoids, ménagea aux naufragés une chute plus douce. (3) Acerronia eut l'imprudence de s'écrier "qu'elle était Agrippine, qu'on sauvât la mère du prince;" et elle fut tuée à coups de crocs, de rames, et des autres instruments qui tombaient sous la main. Agrippine, qui gardait le silence, fut moins remarquée, et reçut cependant une blessure à l'épaule. Après avoir nagé quelque temps, elle rencontra des barques qui la conduisirent dans le lac Lucrin, d'où elle se fit porter à sa maison de campagne. (1) Là, rapprochant toutes les circonstances, et la lettre perfide, et tant d'honneurs prodigués pour une telle fin, et ce naufrage près du port, ce vaisseau qui, sans être battu par les vents ni poussé contre un écueil, s'était rompu par le haut comme un édifice qui s'écroule; songeant en même temps au meurtre d'Acerronia, et jetant les yeux sur sa propre blessure, elle comprit que le seul moyen d'échapper aux embûches était de ne pas les deviner. (2) Elle envoya l'affranchi Agermus annoncer à son fils "que la bonté des dieux et la fortune de l'empereur l'avaient sauvée d'un grand péril; qu'elle le priait, tout effrayé qu'il pouvait être du danger de sa mère, de différer sa visite; (3) qu'elle avait en ce moment besoin de repos." Cependant, avec une sécurité affectée, elle fait panser sa blessure et prend soin de son corps. Elle ordonne qu'on recherche le testament d'Acerronia, et qu'on mette le scellé sur ses biens: en cela seulement elle ne dissimulait pas. Assassinat et funérailles d'Agrippine (14,7‐9) (1) Néron attendait qu'on lui apprît le succès du complot, lorsqu'il reçut la nouvelle qu'Agrippine s'était sauvée avec une légère blessure, et n'avait couru que ce qu'il fallait de danger pour ne pouvoir en méconnaître l'auteur. (2) Éperdu, hors de lui même, il croit déjà la voir accourir avide de vengeance. "Elle allait armer ses esclaves, soulever les soldats, ou bien se, jeter dans les bras du sénat et du peuple, et leur dénoncer son naufrage, sa blessure, le meurtre de ses amis: quel appui restait‐il au prince, si Burrus et Sénèque ne se prononçaient?" Il les avait mandés dès le premier moment: on ignore si auparavant ils étaient instruits. (3) Tous deux gardèrent un long silence, pour ne pas faire des remontrances vaines; ou peut‐être croyaient‐ils les choses arrivées à cette extrémité, que, si l'on ne prévenait Agrippine, Néron était perdu. Enfin Sénèque, pour seule initiative, regarda Burrus et lui demanda s'il fallait ordonner le meurtre aux gens de guerre. (4) Burrus répondit "que les prétoriens, attachés à toute la maison des Césars, et pleins du souvenir de Germanicus, n'oseraient armer leurs bras contre sa fille. Qu'Anicetus achevât ce qu'il avait promis." (5) Celui‐ci se charge avec empressement de consommer le crime. À l'instant Néron s'écrie "que c'est en ce jour qu'il reçoit l'empire, et qu'il tient de son affranchi ce magnifique présent; qu'Anicet parte au plus vite et emmène avec lui des hommes dévoués." (6)De son côté, apprenant que l'envoyé d'Agrippine, Agermus, demandait audience, il prépare aussitôt une scène accusatrice. Pendant qu'Agermus expose son message, il jette une épée entre les jambes de cet homme; ensuite il le fait garrotter comme un assassin pris en flagrant délit, afin de pouvoir feindre que sa mère avait attenté aux jours du prince, et que, honteuse de voir son crime découvert, elle s'en était punie par la mort. (1) Cependant, au premier bruit du danger d'Agrippine, que l'on attribuait au hasard, chacun se précipite vers le rivage. Ceux‐ci montent sur les digues; ceux‐là se jettent dans des barques; d'autres s'avancent dans la mer, aussi loin qu'ils peuvent; quelques‐uns tendent les mains. Toute la côte retentit de plaintes, de voeux, du bruit confus de mille questions diverses, de mille réponses incertaines. Une foule immense était accourue avec des flambeaux: enfin l'on sut Agrippine vivante, et déjà on se disposait à la féliciter, quand la vue d'une troupe armée et menaçante dissipa ce concours. (2) Anicetus investit la maison, brise la porte, saisit les esclaves qu'il rencontre, et parvient à l'entrée de l'appartement. Il y trouva peu de monde; presque tous, à son approche, avaient fui épouvantés. (3) Dans la chambre, il n'y avait qu'une faible lumière, une seule esclave, et Agrippine, de plus en plus inquiète de ne voir venir personne de chez son fils, pas même Agermus. La face des lieux subitement changée, cette solitude, ce tumulte soudain, tout lui présage le dernier des malheurs. (4) Comme la suivante elle‐même s'éloignait: "Et toi aussi, tu m'abandonnes," lui dit‐elle: puis elle se retourne et voit Anicetus, accompagné du triérarque Herculeius et d'Obaritus, centurion de la flotte. Elle lui dit "que, s'il était envoyé pour la visiter, il pouvait annoncer qu'elle était remise; que, s'il venait pour un crime, elle en croyait son fils innocent; que le prince n'avait point commandé un parricide." (5) Les assassins environnent son lit, et le triérarque lui décharge le premier un coup de bâton sur la tête. Le centurion tirait son glaive pour lui donner la mort. "Frappe ici," s'écria‐t‐elle en lui montrant son ventre, et elle expira percée de plusieurs coups. (1) Voilà les faits sur lesquels on s'accorde. Néron contempla‐t‐il le corps inanimé de sa mère, en loua‐t‐il la beauté? les uns l'affirment, les autres le nient. Elle fut brûlée la nuit même, sur un lit de table, sans la moindre pompe; et, tant que Néron fut maître de l'empire, aucun tertre, aucune enceinte ne protégea sa cendre. Depuis, des serviteurs fidèles lui élevèrent un petit tombeau sur le chemin de Misène, prés de cette maison du dictateur César, qui, située à l'endroit le plus haut de la côte, domine au loin tout le golfe. (2) Quand le bûcher fut allumé, un de ses affranchis, nommé Mnester, se perça d'un poignard, soit par attachement à sa maîtresse soit par crainte des bourreaux. (3) Telle fut la fin d'Agrippine, fin dont bien des années auparavant elle avait cru et méprisé l'annonce. Un jour qu'elle consultait sur les destins de Néron, les astrologues lui répondirent qu'il régnerait et qu'il tuerait sa mère: "Qu'il me tue, dit‐elle, pourvu qu'il règne." Suetonii de Vita Neronis Comment devient‐on un monstre ? Analyse grammaticale
La mort d’Agrippine (chapitre XXXIV) Matrem facta dictaque sua exquirentem acerbius et corrigentem hactenus exquirens : qui remet en question, qui cherche le détail gênant, .. De sa mère, qui se plaignait de ses faits et paroles, et qui les avaient corrigés jusqu’alors Gravis >> Gravari et onus primo grauabatur ut inuidiā identidem oneraret >> onerare dénotent tous D’abord il prenait ombrage, deux un poids, moral en au point qu’il l’accablait sans cesse d’impopularité l’occurence (de l’idée de l’impopularité qui la toucherait si…)
Chantage spoliation quasi cessurus imperio Rhodumque abiturus Comme si = en faisant mine de quitter le pouvoir et de partir pour Rhodes mox et honore omni et potestate priuauit Bientôt il la priva de tout honneur et de tout pouvoir abductāque militum et Germanorum statione contubernio quoque ac Palatio expulit Après lui avoir enlevé sa garde de soldats et de Germains, il la chassa de sa compagnie et du Palatin Pensum : la part pesée de laine que l’on confie à neque in diuexanda quicquam pensi habuit Non quicquam ≡ nihil
Et il n’eut pas le moindre scrupule pour la persécuter Harcèlement filer à quelqu’un ; nihil pensi habere : ne rien avoir de pesé, c'est‐à‐dire de réfléchi : n’avoir aucun scrupule summissis qui et Romae morantem litibus Par le biais d’envoyés qui la harcelaient lorsqu’elle s’attardait à Rome par des procès Et in secessu quiescentem per conuicia et iocos terra marique praeteruehentes inquietarent Et lorsqu’elle se reposait à l’écart, par des blagues et des allusions [qu’ils lui jetaient] lorsqu’ils passaient devant son domaine, par terre et par mer. uerum minis eius ac uiolentiā territus perdere statuit ejus, gén. de is, ea, id n’est pas réfléchi : il ne peut donc pas désigner le sujet de la phrase : il s’agit donc, au‐delà des violences expimées précédemment, des réponses d’Agrippine. poison Accident à domicile Accident de bateau Mais, terrifié par ses menaces et sa violence, il décida de la perdre (=mettre fin à ses jours) et cum ter ueneno temptasset sentiretque antidotis praemunitam Et puisqu’il avait essayé de l’empoisonner trois fois et qu’il avait compris qu’elle s’était prémunie d’antidotes, lacunaria, quae noctu super dormientem laxatā machinā deciderent, parauit Il fit préparer les lambris de telle sorte que de nuit, lorsqu’un mécanisme se serait relâché, ils tomberaient sur elle dans son sommeil. hoc consiliō per conscios parum celatō parce que cette décision avaient été mal cachée par ses complices solutilem nauem, cuius uel naufragiō uel camarae ruinā periret, commentus est Il imagina un navire démontable, afin qu’elle périsse soit dans son naufrage, soit dans l’effondrement de son plafond Atque ita reconciliatione simulatā iucundissimis litteris Baias euocauit Et faisant ainsi croire à une réconciliation, il la fit venir à Baïes en une lettre très tendre ad sollemnia Quinquatruum* simul celebranda en vue de célébrer les Quinquatries ensemble datoque negotio trierarchis Et après avoir donné aux pilotes la mission selon laquelle qui liburnicam quā aduecta erat uelut fortuitō concursū confringerent ils éperonneraient comme par accident la galère liburnienne dans laquelle elle avait été amenée protraxit conuiuium Se résoudre à la condamner à mort Il étendit le repas, repetentique Baulos in locum corrupti nauigii machinosum illud optulit et offrit à celle qui voulait rentrer vers Baules au lieu de son navire détruit celui qui avait été doté d’un mécanisme hilare prosecutus atque in digressu papillas quoque exosculatus Il la raccompagna en riant et lors de son départ il lui a également embrassé les seins (le bout des seins) reliquum temporis cum magnā trepidatione uigilauit opperiens coeptorum exitum Il resta éveillé le reste du temps, parcouru d’une grande agitation, attendant l’issue de ce qu’il avait entrepris
sed ut diuersa omnia nandoque euasisse eam comperit Mais lorsqu’il apprit que tout avait été à l’inverse de son plan, et qu’elle s’était enfui à la nage inops consilii L. Agermum libertum eius saluam et incolumem cum gaudio nuntiantem Démuni (d’idée) à côté de Lucius Agermus, un affranchi d’Agrippine, qui venait lui annoncer avec joie qu’elle était saine et sauve abiectō clam iuxta pugione ut percussorem sibi subornatum arripi constringique iussit Il jette en cachette un poignard et il ordonne qu’on s’empare de lui et qu’on l’enchaîne comme un assassin et un envoyé (de sa mère) matrem occidi, quasi deprehensum crimen uoluntariā morte uitasset Et que l’on tue sa mère, en faisant comme si elle avait évité [les conséquences de] son crime découvert pas une mort volontaire adduntur his atrociora nec incertis auctoribus nec + in‐certus ≡ certissimus (la litote exacerbe la certitude) Des choses plus atroces que les précédentes sont ajoutées, et selon des sources certaines ad uisendum interfectae cadauer accurrisse [proposition infinitive développant atrociora]
Se libérer de son fantôme Il a accouru pour examiner le cadavre de l’assassinée contrectasse membra, alia uituperasse, alia laudasse, sitique interim oborta bibisse Il a joué avec ses membres, blâmé les uns, vanté les autres, et pris de soif entre temps, a bu (la soif étant née entre temps) neque tamen conscientiam sceleris Et cependant la conscience du crime quanquam et militum et senatus populique gratulationibus confirmaretur bien que concolé par les félicitations des soldats, du Sénat, du peuple aut statim aut umquam postea ferre potuit, saepe confessus Ni sur le moment ni jamais par la suite il ne put la supporter, et il avouait souvent exagitari se maternā specie uerberibusque Furiarum ac taedis ardentibus être poursuivi par le fantôme de sa mère, les fouets des Furies et leurs flambeaux ardents quin et factō per Magos sacrō euocare Manes et exorare temptauit En outre il essaya par les rites de magiciens d’évoquer ses Mânes et de les exorciser peregrinatione quidem Graeciae et Eleusinis sacris, Pendant même son voyage en Grèce, il n’osa pas participer aux rites sacrés d’Eleusis quorum initiatione impii et scelerati uoce praeconis summouentur, interesse non ausus est Dont la voix du héraut interdit l’initiation aux impies et aux criminels (les impies et les criminels sont retirés de l’initiation par la voix du héraut) Mois de Mars : mois du début et de la fertilité (quel meilleur mois pour tuer sa mère ?) Néron respecte le rite : pas de sange le premier jour, mais un bain de sang le lendemain Minerve présente en outre pour Néron l’immense avantage d’être née sans mère.. Les quinquatries, ou fête de Minerve, selon les Fastes d’Ovide 19 mars: le Quinquatrus (3, 809‐848) Après un jour d'intervalle, on célèbre les fêtes de Minerve; [3, 810] et leur nom est venu du nombre de jours qu'elles durent. Au premier, on ne doit pas répandre le sang, ni combattre les armes à la main, parce que c'est le jour de la naissance de Minerve; mais le lendemain et les trois jours suivants, l'arène du champ de Mars est ouverte aux jeunes guerriers; et la vue des épées nues réjouit la belliqueuse déesse. [3, 815] Jeunes garçons, jeunes filles, ornez de guirlandes la statue de Pallas; celui qui aura été pieux envers elle deviendra savant. Après avoir imploré Pallas, que les jeunes filles apprennent l'art d'amollir la laine, de garnir les quenouilles, et de les filer. Pallas aussi enseigne à faire courir la navette au travers des fils tendus sur le métier, [3, 820] et à resserrer la trame tâche avec le peigne d'ivoire. Honorez‐
la, vous qui nettoyez les vêtements salis; honorez‐la, vous qui préparez les vases d'airain où doivent bouillir les toisons. Nul, sans le secours de Minerve, ne saura faire un soulier, fût‐il plus habile que Tychius; [3, 825] et quand, pour les ouvrages des mains, il l'emporterait sur l'antique Epéus, si Minerve ne lui vient en aide, il ne sera qu'un manchot. Vous aussi, qui tenez d'Apollon l'art de guérir les maladies, offrez à Minerve les prémices des présents que vous recevez. Maîtres, privés de votre salaire, ne cessez pas pour cela [3, 830] de respecter la déesse qui vous amènera de nouveaux disciples. Et vous, qui maniez le burin; vous, émailleurs, qui peignez avec des couleurs brûlantes; vous, dont le ciseau savant donne au marbre de voluptueux contours, il n'est point de travaux auxquels Minerve ne préside; elle est certainement la déesse de la poésie; puisse‐t‐elle, si j'en suis digne, encourager mes humbles efforts! [3, 835] À l'endroit où la pente du Célius commence à s'abaisser vers la plaine, où le sol, sans être tout à fait uni, ne présente qu'une élévation insensible, vous pouvez voir le petit temple de Minerve Capta qui lui fut consacré au jour de sa naissance. Pourquoi ce nom? nous n'en savons pas bien l'origine. Nous appelons capital [3, 840] un esprit ingénieux, et Minerve est la déesse du génie. Ne serait‐ce pas parce que, fille sans mère, elle s'élança, dit‐on, de la tête de son père tenant à la main son bouclier? ou bien parce qu'elle vint captive à Rome, après la soumission des Falisques, ainsi que les anciens livres en font foi? [3, 845] Est‐ce enfin parce qu'elle a ordonné que tout vol, commis dans ce sanctuaire, serait puni de la peine capitale? Quelle que soit la raison du mot, ô Pallas, étends sans cesse ton égide sur les chefs qui nous gouvernent.