PERSPECTIVES 255 - Entr`Aide Ouvrière

ISSN-L 0981-6178
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A g ir ensemble c ontre l’exc lusion
ENTR’AIDE OUVRIÈRE – 46 avenue Gustave Eiffel - 37100 TOURS – 02 47 31 87 00 – [email protected]
Nº292 – mars 2015
LE PETIT RAPPORTEUR : Merveilleuse mais périlleuse cordée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
LES CHIFFRES de la précarité en Indre-et-Loire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
ACTUALITÉ : Sortir de l’hiver… par le haut . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
DOSSIER : Prendre ou retrouver la parole . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
Sept personnes accueillies à l’EAO témoignent
CAD : Dignité retrouvée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
PARTENAIRES : Envie ne rend pas seulement vie à des appareils . . . . . . . . . . . . . . . . 11
VIE DE L’ASSOCIATION : Une assemblée générale peut en cacher plusieurs autres . 13
VIE DES SERVICES : Le 115, comment ça marche ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
L'AIR DU TEMPS : La leçon de Thomas Piketty . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
ÉDITO
Des associations en fusion
L
e 30 mai 2015 fera date dans l’histoire de l’Entr’Aide Ouvrière et du Comité d’Aide aux
Détenus…
Des événements rythment la vie de toute association. Cette année devrait voir une évolution
de la structuration de l’EAO et du CAD lors de
la prochaine assemblée générale.
Le CAD est né au printemps 1949, quelques
mois après l’EAO. Depuis sa naissance, ses liens
avec cette grande soeur sont évidents. Il est à la
fois dehors et dans l’EAO.
Dedans, parce que nul ne peut adhérer à l’une
des deux associations sans adhérer en même
temps à l’autre. Dehors, parce qu’il est une personne morale qui tient sa propre assemblée
générale, élit son bureau et gère son propre
budget.
EAO et CAD sont nés de la même volonté d’un
groupe de personnes, ils partagent les mêmes
valeurs, se réfèrent au même projet associatif,
s’inscrivent dans la même démarche militante.
Pour mieux répondre aux nouvelles formes que
revêtent la pauvreté et l’exclusion, pour être plus
lisible auprès de ses partenaires, pour porter
témoignage auprès de la société civile, le
conseil d’administration de l’EAO et du CAD a
décidé de proposer aux adhérents une fusion
des deux associations.
Une nouvelle association, l’EAO-CAD devrait
donc voir le jour.
Marie-Paul Legras-Froment,
présidente de l’EAO
http://entraideouvriere.org/
Monique Carriat,
présidente du CAD
LE PETIT RAPPORTEUR
AGIR ENSEMBLE contre l’exclusion
2
Merveilleuse mais périlleuse cordée
L
es graves événements qui se sont déroulés en ce début d’année ont provoqué,
plus ou moins, en nous tous, des sentiments
de peur, de méfiance, de haine, de repli sur
soi, d’individualisme ; et les marches républicaines qui ont suivi n’ont pas suffi à rétablir un état stable de pleine solidarité et de
paix.
Les élections départementales de ces jours-ci,
avec la montée électorale des idéologies extrêmes
qui ont comme mots d’ordre l’exclusion et le rejet
de l’autre, risquent d’amplifier le climat de division
et d’affrontement destructeur de liens sociaux.
Réapparaît ainsi, avec plus d’acuité, le sujet, souvent abordé par les médias, du Vivre ensemble .
« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en
dignité et en droits [...] ils doivent agir les uns
envers les autres dans un esprit de fraternité ».
C’est l’affirmation du 1er article de la Déclaration
Universelle des Droits de l’Homme.
Bien sûr, nous connaissons tous des situations, des
relations porteuses de bonne entente et d’amitié :
dans nos quartiers, nos associations, notre travail.
Aide alimentaire, soutien scolaire, secours tous azimuts de gens en difficulté ou enfermés dans la solitude, accueil des étrangers… ces petits Vivre
ensemble dont nous sommes les témoins ou les
participants ne sont pas des réalités isolées, éphémères, ponctuelles, mais des lieux de partage où
des liens se tissent au jour le jour.
Pour autant, combien de fractures sociales, inter-
générationnelles, communautaires ! Combien de
calomnies et d’injures de bas étage dans les
conversations, les réunions et les débats. Combien de prises de position et de jugements hâtifs
à base de racisme et de xénophobie ?
Ce soir, 28 février 2015, Le Petit rapporteur termine
son texte sous le regard du Père Gaston Pineau,
(« l’Abbé », comme on disait), fondateur de notre
Entr’Aide Ouvrière. C’est le 17e anniversaire de
son décès. Comme hier, il nous adresse le message qu’il a si souvent transmis : « Rien ne se fera
de solide, de durable et d’efficace si nous ne
savons pas, avant toute chose, nous mettre d’accord sur l’Homme et sa dignité… C’est le sens de
l’Homme qui doit être l’essentielle motivation de
nos entreprises, de nos vies, de nos comportements et de nos initiatives ».1
La fraternité est un sommet difficile à atteindre.
Notre marche est une merveilleuse mais périlleuse
cordée aux responsabilités partagées.
« Chacun doit se sentir chargé de faire
renaître des solidarités proches, de recréer
des liens entre les générations, de développer la sociabilité et de renforcer chez tous le
sentiment d’appartenance à une collectivité
et le respect actif des différences ». 2
Libres propos de Jean Paillou
1
2
Communication au CA de l’EAO, 13 Février 1994.
Commission sociale des Evêques de France , 10 Janvier 2001 (déjà !)
LES CHIFFRES DE LA PRÉCARITÉ EN INDRE-ET-LOIRE
décembre 2014
janvier 2015
février 2015
Total des appels au 115
3 146
3 731
3 194
Nombre cumulé de refus d’hébergement par le 115
1 182
817
902
316
359
421
Personnes en attente d’hébergement d’insertion
Avec un pic en janvier, le nombre d’appels au 115 est resté au-delà de la barre des 3 000
appels mensuels. Le nombre de refus a diminué en janvier, suite à l’ouverture de l’accueil
de nuit pour la période hivernale en fin décembre. En février, malgré l’ouverture pour dix
jours du gymnase Racault, le nombre de refus est reparti à la hausse.
PERSPECTIVES No 292 – mars 2015
A C T U A L I T É
Il paraît qu’il ne faut plus parler de Plan hivernal
pour l’accueil des sans-abri. Mais chaque année
c’est le même refrain, malgré l’augmentation du
nombre de places on remet des gens à la rue à
partir d’avril. Pour sortir de cette situation,
l’EAO n’a pas ménagé ses efforts.
Gros succès du Souper solidaire du 11 février
O
n ne peut pas dire que rien n’a été fait ces dernières
années en matière d’hébergement d’urgence : la capacité d’accueil a presque triplé en moins de trois ans dans la
région Centre (de 506 à 1 488 places, dont 294 pour l’Indreet-Loire). Et même s’ils sont mal répartis au sein de la région,
les crédits sont en hausse. Pourtant, rien ne change ou
presque. Le dispositif reste saturé, sauf en cas de grand froid.
La faute aux étrangers précaires et au fameux « appel d’air »
tant redouté des pouvoirs publics ? Oui, puisqu’on manque
de places dans les dispositifs qui leur sont dédiés. Mais aussi
parce que les filières d’accès au logement sont insuffisantes
– le nombre de places d’insertion est même en diminution –
et les structures engorgées, parfois grignotées au profit de
l’urgence. Résultat : les dispositifs d’urgence sont occupés
par des publics qui relèvent d’un hébergement durable, ou
d’un accompagnement vers le logement, et les établissements d’insertion sont fondés à se sentir menacés par la
marée montante…
Alors dès l’automne dernier, avec la FNARS, l’EAO a
considéré qu’on ne pouvait pas continuer ainsi, qu’il
fallait mobiliser pour trouver des solutions adaptées
aux évolutions récentes. Dans un document titré L’Urgence et après…, le président de la FNARS Centre,
Éric Le Page, réclamait en décembre qu’on « repense
notre dispositif d’hébergement…Il faut constituer un
parc de logements temporaires géré par le secteur
associatif, avec un accompagnement social adapté
aux besoins des personnes ». Le 8 janvier, pour
dénoncer la situation en Touraine, l’EAO organisait
à Tours une conférence de presse. Une semaine plus
tard, des représentants de l’association participaient
PERSPECTIVES No 292 – mars 2015
à Paris aux assises de la FNARS « pour l’accès au logement
des sans-abri ». Une charte y fut adoptée qui préconise,
« des solutions de sortie dignes et durables pour les personnes hébergées temporairement cet hiver et celles hébergées en urgence ; une offre accessible, immédiate et inconditionnelle ; un accueil fondé sur le
seul motif de la détresse sociale, et non sur la
situation administrative, la disponibilité de l’offre
ou les conditions météorologiques… » Des
comités départementaux pilotés par les préfets
et réunissant tous les acteurs concernés seraient
chargés de mettre en œuvre ces solutions.
Sur les mêmes revendications, l’Entr’Aide
Ouvrière a organisé le 11 février au soir, place de
la gare à Tours, un Souper solidaire qui a rassemblé des centaines de personnes. Avec treize
autres associations, le PAS s’est senti moins seul
ce soir-là : 250 couscous ont été servis dans une
ambiance très festive et une pétition a commencé
de collecter les signatures demandant au préfet de réunir les
parties prenantes pour mettre sur pied des solutions innovantes, afin d’obtenir « un logement pour tous, toute l’année ». Le lendemain, enfin, un car affrété par l’EAO emmenait 45 volontaires (résidents, salariés, bénévoles) à Paris,
manifester avec le collectif national pour le logement des
sans-abri.
Et maintenant ? La pétition de 531 signatures a été remise au
préfet d’Indre-et-Loire. L’hiver s’achève dans quelques jours
et des hébergements provisoires vont fermer. Au 115, le téléphone va sonner de plus belle, et le nombre de personnes
à la rue chaque soir ne va pas cesser d’augmenter. L’EAO a
obtenu l’assurance que six des appartements hivernaux
seront pérennisés. C’est toujours ça. Et si rien de plus n’est
fait, l’association continuera de militer pour une meilleure articulation entre l’urgence et le logement social.
AGIR ENSEMBLE contre l’exclusion
Sortir de l’hiver… par le haut
3
Jean-Paul Mercier
250 couscous préparés par l’EAO ont été servis
D O S S I E R
PRENDRE ou RETROUVER
LA PAROLE
À l’Entr’Aide Ouvrière comme ailleurs, l’expression des personnes hébergées,
ou salariées en chantiers d’insertion, est à la fois une priorité et une difficulté.
Ce dossier en est l’illustration.
AGIR ENSEMBLE contre l’exclusion
A
4
u quotidien, les personnes accueillies sont évidemment écoutées par les travailleurs sociaux et
les responsables des différents services, et leur parole
prise en compte dans la mesure du possible. L’écoute
est sans doute le premier pas de toute démarche d’accompagnement, et la première pierre du travail à faire
en commun. Et depuis des années, l’expression des
« usagers » est inscrite dans les orientations prioritaires
de l’EAO. Parallèlement au comportement quotidien et
informel de chacun, non mesurable, mais qui doit favoriser la liberté d’expression, il s’agit en effet de faire vivre
les instances prévues par la loi de 2002, qui sont des
outils pour sa mise en œuvre en quelque sorte à
marche forcée. Cela passe notamment par des réunions
dans les services, la mise en place de salariés référents,
l’élection de délégués porte-paroles, l’animation du
Conseil de la Vie sociale (CVS) qui réunit ces délégués
et des responsables de l’association, d’un Comité de
pilotage des Personnes accueillies (COPILPA) et de
Comités consultatifs à l’échelon régional jusqu’au niveau
européen…
En 2013 et l’an passé, les évaluations interne puis
externe conduites scrupuleusement dans les différents
services de l’EAO, ont mis en évidence et consigné
toutes les actions engagées en ce sens, et aussi
quelques lenteurs et insuffisances. En mars 2013 dans
le numéro 284 de Perspectives, nous avions d’ailleurs
tenté un bilan d’étape de l’application de cette loi, et
mis le doigt sur les obstacles et les freins. On y mesurait combien il est facile de poser une obligation légale,
puis de l’ériger en priorité, alors qu’à l’évidence l’expression des « usagers » de nos établissements est
aussi et peut-être surtout une difficulté. Il ne suffit pas
de décréter que chacun a la faculté de tout dire. Entre
le timide et l’exalté, le complexé et le volubile, entre
l’excès de retenue – par simple pudeur ou honte parfois d’ « en être arrivé là » - et le besoin de se valoriser, toute la gamme des comportements se déploie. Et
faire émerger une parole ni confisquée ni même contrôlée, mais simplement respectueuse et surtout utile à la
personne qui s’exprime, n’est pas une évidence.
Raison de plus pour remercier ceux qui ont accepté de
nous dire comment ils vivent ce moment particulier de
leur vie (1). Car aujourd’hui c’est sous un angle très différent que nous abordons la question : des paroles
brutes et spontanées, recueillies sans intermédiaire.
Mais nous ne sommes pas dupes : sollicités par les responsables des établissements, ces quelques témoins
ne sont pas forcément représentatifs des « publics » de
l’EAO. Ils peuvent cependant ouvrir la voie à d’autres
paroles en liberté dans les colonnes de Perspectives,
qui est aussi leur journal. Dans le meilleur des cas, s’il
est vrai que la prise de la parole est un acte élémentaire, voire l’acte fondamental de toute citoyenneté, ils
font ainsi un pas de plus sur le chemin de la réinsertion.
Jean-Paul Mercier
Le Conseil de la vie sociale de l’EAO réuni fin février 2015.
PERSPECTIVES No 292 – mars 2015
D O S S I E R
Prendre ou retrouver la parole
Sarah* : « Il ne faut pas être exigeant pour soi… »
beaucoup Tours et son calme. « À Paris, il faut toujours
courir ! ».
Ce qui m’a le plus frappé, c’est son optimisme et son
caractère profondément volontaire, marqué par un sens
des autres qui la rend heureuse à l’EAO. « Dans la vie,
il ne faut pas être exigeant pour soi ». Sarah a aussi la
tête sur les épaules, ce qui la rend patiente. Dans
quelques mois elle aura fini ses études, elle pourra alors
trouver du travail, avoir un appartement bien à elle, se
marier peut-être. Tout est ordonné dans la démarche
qu’elle m’énonce.
Si je vous dis que Sarah, en compagnie de la responsable du Foyer, m’a offert gâteau au yaourt de sa fabrication et thé au citron, vous comprendrez que je suis
sorti heureux de cette rencontre . Un véritable
échange.
Jean Paillou
Jean-Luc : « l’EAO m’a complétement changé »
Jean-Luc, salarié en insertion
Jean-Luc se présente
avec bonne humeur et se
lance avec beaucoup de
détails dans le récit de sa
vie. On ressent immédiatement de l’empathie
pour cet homme jovial et
volubile, en emploi d’insertion à Chinon-Savigny
en Véron.
Il est né il y a 56 ans dans un petit village aux confins de
l’Indre, de la Vienne et de l’Indre-et-Loire. Une enfance
heureuse de fils unique d’une mère enseignante et d’un
père tenant un petit commerce de quincaillerie, bazar,
tabac et divers. On sent, chez lui, un grand amour pour
des parents qu’il accompagnera ensuite dans leur
longue vieillesse (son père est encore en vie à plus de
95 ans) y compris dans les moments où lui-même sera
en difficulté. Une passion de jeunesse pour le cyclisme
qu’il pratiquera sportivement pendant longtemps. Une
formation de mécanicien-tourneur qu’il complètera
plus tard par un enseignement à distance pour se spécialiser en organisation du travail et ergonomie.
Jean-Luc entre ainsi paisiblement dans la vie active chez
Indreaéro-Siren. En débutant dans l’ordonnancementlancement il gravit les échelons jusqu’à devenir res-
ponsable des magasins à 29 ans. «Tout cela, dit-il, parce
qu’il y avait une bonne direction, un bon accompagnement, beaucoup de travail pour Airbus et pour
l’aviation militaire ». Une période heureuse qui s’achève
à la fin des années 80 par un début de crise, et le licenciement de la moitié des 160 salariés. Premier et dur
contact avec le chômage pendant un an et demi. Suivent des emplois divers et précaires. Pour s’en sortir il
se lance, en 1997, avec ses économies, l’aide de ses
parents et des emprunts, dans l’achat d’un commerce
de tabacs-carterie-jeux. Hélas, de longs travaux de voirie dans sa rue et une forte modification du stationnement ruinent rapidement son activité. La règlementation spécifique des débits de tabac ne facilite pas la
revente et Jean-Luc est obligé de procéder à une liquidation. En mobilisant tous ses avoirs, il met un point
d’honneur à tout rembourser mais se retrouve à sec. Difficile de s’en remettre.
Un retour vers son métier de magasinier s’avère trop
complexe avec une évolution informatique qu’il ne
peut plus suivre à son âge. Une assistante sociale
l’oriente vers une formation où il obtient les certificats
d’aptitude à la conduite en sécurité Caces III et V. Il
aimerait passer son permis poids lourd, mais une visite
médicale le lui interdit. Il ne lui reste que des petits boulots qu’il enchaîne en intérim le plus souvent. Sa com-
Ë
*Certains prénoms ont été changés.
PERSPECTIVES No 292 – mars 2015
AGIR ENSEMBLE contre l’exclusion
Dommage qu’elle n’ait pas accepté d’être prise en
photo ! Vous auriez, comme moi, vu un visage tellement souriant qu’il respire la joie de vivre. Sarah a 20
ans ; elle est en France depuis cinq ans et au Foyer Dolbeau depuis le 6 octobre 2014, après avoir été en relation avec l’Aide sociale à l’enfance. Elle ne veut pas parler du passé mais est arrivée, toute seule, du Tchad.
Quand je lui demande pourquoi elle a décidé de venir
en France, la réponse jaillit sans hésitation : « Parce que
c’est le pays des Droits de l’Homme ».
Aujourd’hui, son rêve c’est de bâtir sa vie, son avenir,
avec sa fille de 5 ans. Dans ce but, elle suit depuis deux
ans et demi une formation dans la restauration au lycée
Marie-Curie et elle dépose sa fille à l’école Michelet en
allant au travail. En dehors de celui-ci, elle aime partager des activités au Foyer Courteline. Elle apprécie
5
AGIR ENSEMBLE contre l’exclusion
D O S S I E R
6
pagne, lourdement handicapée, l’aide comme elle
peut, mais la fille de cette dernière tombe très gravement malade et lui seul peut s’en occuper. Alors, de
2005 à 2009, il cesse toute activité pour se consacrer à
l’enfant et sa mère. Avec une allocation d’adulte handicapée et les maigres transferts sociaux pour l’enfant
et lui-même, la vie est très difficile. Ils font attention à
tout sans jamais le moindre débit à la banque, pour
l’honneur, dit-il. Jean-Luc arrive même à faire chaque
semaine un trajet de 300 km aller-retour en voiture pour
aider ses vieux parents.
Puis les problèmes de santé de la famille s’estompent,
il peut rechercher du travail. Il prend tout ce qu’il trouve,
notamment de l’intérim auprès d’une petite entreprise
de services aux particuliers. Il fait du ménage, du jardinage, il prépare des repas dans une cantine, etc. c’est
cet employeur qui l’oriente vers l’EAO avant de fermer
son entreprise.
En arrivant à cette étape de sa vie son sourire s’élargit
encore. Il raconte un premier excellent contact en juillet
2014 avec Florence Delépine, la conseillère en orientation. Ils se mettent d’accord sur un objectif commun :
que Jean-Luc retrouve un travail quel qu’il soit puisque
Prendre ou retrouver la parole
les évolutions technologiques et l’âge ferment beaucoup de portes. Ensuite, il ne tarit plus d’éloges sur les
responsables de l’Entr’Aide, les travailleurs sociaux, les
encadrants techniques, particulièrement Bernard
Applincourt : « Tout le monde m’aide, il y a une écoute
formidable. L’EAO m’a complètement changé en me
redonnant confiance. Je n’avais jamais fait de maçonnerie, mais je vais sur les chantiers le cœur gai ! ».
Il a bénéficié d’une formation bureautique au Greta.
« Ce n’est pas vraiment mon truc, mais je me sens moins
nul et certaines portes seront entr’ouvertes ». Maintenant, il prospecte tous azimuts. Dans quinze jours, il va
passer une EMT (Évaluation en milieu de travail) comme
chauffeur de taxi et aide ambulancier. « Si cela ne
marche pas, ce n’est pas grave, j’essaierai autre chose,
je sais qu’à 56 ans ce sera difficile mais je ne veux pas
rester à la charge de la société. Il ne faut pas baisser les
bras ».
Jean-Luc est en contrat aux chantiers d’insertion jusqu’en août prochain, et il va s’en sortir. Tous ceux qui
l’entourent admirent son optimisme et son courage.
Bonne chance, Jean-Luc.
Jean-Noël Rouet
Antoine, solitaire et obstiné
J’ai rencontré Antoine dans l’appartement que lui alloue
le Slex aux Rives du Cher, à Tours. Le Slex, (Service des
logements extérieurs) est géré par l’Entr’Aide Ouvrière,
c’est un ensemble de logements qui sont attribués à
des familles ou des personnes seules ayant fait la preuve
de leurs capacités à s’autogérer (budget, travail, relations avec les autres…), avec l’aide des travailleurs
sociaux du service.
Antoine est célibataire, âgé de 29 ans, il vit donc dans
ce studio meublé, c’est un peu monacal mais cela lui
suffit pour l’instant. Il a bien voulu me faire partager son
histoire. Il est né dans un milieu pas très facile, d’un père
légionnaire. L’alcoolisme conjugué à la violence, fait
qu’il est placé dans une famille d’accueil dont il garde
un bon souvenir. Il fait des études, niveau bac, obtient
un CAP d’agent polyvalent dans la restauration.
Ensuite, c’est l’entrée dans la vie active puis l’installation avec une compagne. Après quelques années de
vie commune, le couple explose avec toute la spirale
des effets pervers que cela entraîne : chômage, loyers
impayés, expulsion. Après deux nuits passées chez un
ami, c’est la rue. Heureusement le SIAO (Service d’information d’accueil et d’orientation), alerté par le 115,
lui propose une place dans un CHRS géré par l’EAO
(Centre d’hébergement et de réinsertion sociale) rue
du Général-Renault à Tours. Il y reste plusieurs mois et
estime y avoir été très bien aidé par l’équipe des travailleurs sociaux et en particulier par Alban qui en avait
la charge ; redevenu autonome, il est dirigé vers le Slex.
Actuellement Antoine est inscrit dans une agence d’intérim et accepte tous les travaux qui se présentent :
aussi bien la plonge dans les restaurants que l’accueil
des spectateurs au stade de la vallée du Cher. Et il a
plein de projets : tout d’abord bénéficier d’un logement définitif, ensuite obtenir un certificat qui lui reconnaisse le niveau bac et enfin passer l’examen lui permettant de rentrer dans la police municipale. Quand je
lui suggère de suivre une formation pour préparer cet
examen, il déclare avoir le niveau nécessaire et préfère
travailler seul. C’est là un des traits dominants de son
caractère : c’est un solitaire et un obstiné ; malmené par
la vie, il déclare qu’il doit réapprendre à faire confiance.
Il reconnaît toutefois avoir été bien aidé par l’EAO et
cite volontiers Claire, du Slex, qui le seconde dans ses
démarches.
Pierre Trinson
PERSPECTIVES No 292 – mars 2015
D O S S I E R
Prendre ou retrouver la parole
L’équipe de l’EAO, à Loches,
dispose de huit appartements
du T1 au T5. Damien, 43 ans,
occupe l’un des T1 depuis neuf
mois. D’entrée, il est très fier de
m’expliquer qu’il en a lui-même
Damien rêve de jardiner
refait les peintures et les
papiers- peints, et me rappelle qu’il était en photo sur le
panneau du CHRS de Loches exposé lors de la fête à
Chambray le 20 septembre dernier (voir Perspectives de
septembre 2014).
Dialoguer avec Damien est un plaisir tellement tout se
déroule à cœur ouvert.
Il le reconnait, ses années de jeunesse n’ont pas été toujours très calmes : « J’ai fait beaucoup de bêtises... de
tous ordres... ça m’a valu de la prison. J’ai eu un logement à Descartes pendant plusieurs années, mais je me
suis retrouvé à la rue après un incendie pour lequel je
n’étais pas assuré. C’est une dame qui m’a aidé à vivre et
qui m’a conseillé de contacter l’EAO. Maintenant, c’est
formidable. Camille et Martine, elles me connaissent bien.
C’est vraiment grâce à l’EAO que je suis stabilisé ».
Damien bénéficie du RSA. Il se sent vraiment autonome
dans son mode de vie. Il va faire ses achats et cuisine. À
part un copain qui vient parfois partager son repas, il ne
souhaite pas avoir d’autres visites. Il aime lire, « pas des
policiers, mais des livres qui racontent de vraies vies » .
On sent qu’il adore surtout les activités extérieures. Il a
une licence pour jouer au Club de boules où il retrouve
trois autres jeunes. Il regrette qu’il n’y ait pas plus de sorties organisées et guette toutes les occasions de participer. Il était à la soirée couscous, place de la gare de Tours,
le 11 février. Et puis il a un rêve, qui va sans doute se réaliser prochainement : faire du jardin dans un enclos dont
dispose l’EAO dans les Jardins au fil de l’eau du CIAS de
Loches.
Damien a fait une demande Dalo pour avoir un appartement. Il sait qu’il ne peut pas poursuivre son séjour à
l’EAO mais « même si c’est un peu loin, je garderai
contact avec l’équipe. Je leur dois beaucoup ».
Plein d’une vie dont on perçoit qu’elle a besoin d’être
accompagnée pour ne pas être « débordante », Damien
se dit heureux. Comment ne pas lui souhaiter de trouver,
sur sa route, vraies satisfactions et vrais amis.
Jean Paillou
Ahmed : « Les bonnes rencontres, au bon moment »
Ahmed Boussaq, 49 ans, d’origine marocaine, est stagiaire au
Service d’Insertion par l’Activité
économique (SIAE), à Chambray-lès-Tours. Il a quitté son
pays pour l’Italie où il a travaillé
Ahmed veut devenir boulanger
pendant vingt-cinq ans comme
maçon, puis dans des usines de fabrique de chaussures
et enfin comme chauffeur. Il possède tous les permis de
conduire.
Deux éléments l’ont fait quitter l’Italie pour la France : la
raréfaction du travail et le désir de donner à ses deux
enfants une éducation et une culture françaises. Quand il
arrive dans notre pays, il est hébergé chez un ami et prend
très rapidement contact avec l’EAO où il fréquente le
Centre de Formation pour une remise à niveau en français.
Samia, responsable du Centre, le dirige vers Pôle emploi
et de fil en aiguille il se retrouve au SIAE de Chambray, où
il effectue un premier stage de six mois à l’atelier recyclage
du bois. Le SIAE a pour objectif de remettre les personnes
qui connaissent des difficultés particulières d’accès à la
vie professionnelle, en capacité d’occuper tout emploi
relevant de leurs compétences. Dans le même temps, il a
PERSPECTIVES No 292 – mars 2015
obtenu un logement social dans le centre de Chambray.
Et actuellement Ahmed effectue un deuxième stage de six
mois plus en rapport avec ses aptitudes, puisqu’il a intégré l’atelier chauffeur-maintenance : il transporte les
palettes de l’atelier bois et les divers matériaux dont a
besoin le centre.
Bien épaulé par Karine, conseillère en insertion professionnelle, M. Boussaq pense beaucoup à son avenir. Désireux de rester près de ses enfants, il ne souhaite pas continuer dans la conduite de véhicules qui l’éloignerait trop
de son domicile. Son avenir, il le voit dans la boulangerie.
Projet déjà bien avancé puisque se profile un stage qui
aurait lieu en septembre à Châteauroux.
Ahmed Boussaq ne tarit pas d’éloges sur l’Entr’Aide
Ouvrière qui, dit-il, lui a fait rencontrer les bonnes personnes au bon moment. Souhaitons-lui une bonne carrière
dans la boulangerie.
Avant de nous séparer nous avons parlé du Maroc, du sud
dont il est originaire, nous avons aussi évoqué Essaouira,
la station balnéaire aux belles portes bleues qui sent si bon
la racine de thuya, et là j’ai vu le soleil dans les yeux d’Ahmed.
Pierre Trinson
AGIR ENSEMBLE contre l’exclusion
Damien à cœur ouvert
7
D O S S I E R
Prendre ou retrouver la parole
AGIR ENSEMBLE contre l’exclusion
Jean-Claude : « La sécurité, mais aussi l’indépendance »
Il a quitté l’Entr’Aide Ouvrière il y a moins d’un mois, mais
n’allez pas croire que Jean-Claude est heureux d’avoir
tourné cette page de sa vie. C’est d’ailleurs dans « son »
CHRS de la Chambrerie qu’il nous a fixé rendez-vous. A
62 ans, de santé très délicate et soumis à des soins
importants, il ne pouvait pas envisager de sortir pour un
emploi, ni même vers un logement autonome. Il habite
maintenant une pension de famille à l’écart de Tours, mais
revient sur ses pas plusieurs fois par semaine, «comme
un chat…On ne peut pas se détacher d’un lieu pareil ! »
Qu’a-t-il donc trouvé de si attachant à la Chambrerie ?
« La sécurité, et en même temps l’indépendance ». La
formule semble pouvoir le résumer, résumer du moins
ce qu’est maintenant ce petit homme au regard clair, qui
vous observe sans en avoir l’air, qui ne parait pas se livrer
facilement mais dont il faut gagner la confiance. Dès lors,
il se raconte par petites touches d’un passé chaotique,
par bribes de confidences et lambeaux de souvenirs.
Dans un langage châtié qui trahit une solide culture, JeanClaude évoque l’usine à 13 ans, de graves accidents de
la circulation, et puis les ruptures familiales, « comme
tout le monde ici ». La rupture, forcément. Il passe avec
pudeur sur les péripéties qui l’ont amené du camion de
l’EAO, le Point accueil solidarité, il y a un peu plus de
cinq ans, au CHUTHE, une première fois à la Chambrerie
pour trois mois, au bus de nuit, puis à Albert-Thomas,
« et enfin retour à la Chambrerie, fin 2011. J’avais l’impression d’entrer en maison de repos… »
« Les travailleurs sociaux ne m’ont pas sauté dessus. J’ai
apprécié. » Il faut l’apprivoiser, Jean-Claude, à moins que
ce ne soit lui qui vous balade. Toujours est-il qu’il n’a pas
eu de difficultés avec « l’institution » EAO. « Mais des
tensions avec d’autres résidents, oui, et même des
moments très durs. Les résidents ont leurs problèmes,
moi je ne voulais pas de conflit mais comment les raisonner, si ce n’est par le silence ? Chaque cas est particulier, on ne peut pas appliquer le règlement de la même
façon à tout le monde. Mais il faut qu’il y ait un membre
du personnel en permanence, jour et nuit. Et le responsable de l’établissement ne doit pas être trop tolérant… »
C’est ce qu’il répéta lorsqu’il fut, pendant un an, délégué des résidents de la Chambrerie. Son handicap limitant ses possibilités, il affirme que durant les trois bonnes
années passées ici, les loisirs et distractions ne lui ont pas
manqué. « Pour les jeunes, l’Entr’Aide Ouvrière fait ce
qu’elle peut avec les moyens qu’elle a. Pour moi l’important était de pouvoir aller et venir sans qu’on me
demande rien, et qu’on ne m’impose pas trop de repas
collectifs par exemple… »
Jean-Claude est bien placé pour témoigner de ce qui
n’est pas évident pour tout le monde : « Il faut plus de
moyens pour le 115. J’ai lu que la répartition des crédits
n’était pas juste, entre le Loiret et l’Indre-et-Loire. Et il faut
davantage de places en CHRS, ou d’autres centres où les
animaux seraient admis, il faut plus de personnel et surtout un accueil permanent pour la sécurité en cas d’incendie, de problème de santé, de conflit, etc. » Il ne
parle plus pour lui, puisqu’il a été contraint de partir. « Il
faut faire de la place, je l’accepte… » Mais sa foi lui chuchote sans doute qu’il retrouvera bientôt un foyer
comme ceux qu’il décrit. Une famille à sa convenance…
Jean-Paul Mercier
Loïc, à Chinon, se sent soutenu
8
Loïc aimerait travailler à la centrale
Loïc s’exprime avec
une grande franchise,
sans rien cacher de
son parcours chaotique avant d’être
hébergé par l’Entr’Aide Ouvrière à Chinon. Pour se présenter
il commence par dire :
« J’ai 42 ans. Ah, non,
43… C’était mon anniversaire il y a une semaine mais
personne ne me l’a souhaité ». Originaire d’une
petite ville de Touraine, il a connu une enfance difficile. Enfant battu, souffre-douleur d’un père violent
et de ses quatre frères, il s’est enfermé dans sa solitude, caché dans des cabanes qu’il construisait au
fond des bois, et est devenu lui-même très violent,
bagarreur, « révolté » dit-il à plusieurs reprises.
Une scolarité difficile malgré le soutien de son instituteur, un pré-apprentissage de charpentier cou-
PERSPECTIVES No 292 – mars 2015
vreur abandonné rapidement, un apprentissage de
serveur dans un bon restaurant de Touraine mais viré
avant son CAP à cause de bagarres.
Très sportif (judo, football, sapeur-pompier volontaire) Loïc imagine alors son avenir dans l’armée. Malgré ses 28 sauts de parachutiste lors de son service
militaire, l’armée refuse de l’engager : il a passé trop
de jours au trou à la suite de bagarres et de révoltes
contre l’autorité et « contre tout » dit-il.
Retour comme serveur dans un restaurant près d’Amboise. C’est un métier qu’il aimait bien. Mais il était
déjà tombé dans la boisson dès 16 ans. Il enchaîne
avec des drogues de plus en plus dures. « J’ai tout
essayé, hélas ! », alors évidemment c’est la porte …
Comme pour le travail, les relations amoureuses se
terminent mal, même avec des filles bien qui
essayent de l’aider à s’en sortir. Trop de violence
dans ces relations. Pas de coups, mais son caractère
exécrable entraîne toujours la rupture. Heureusement, quelques parenthèses de répit lui permettent
d’obtenir un diplôme d’agent de maintenance
industrielle grâce à l’Afpa.
Nouvelle rencontre amoureuse et bonne période
d’équilibre personnel. Cinq ans de travail sans interruption comme intérimaire dans la même grosse
entreprise. Loïc se laisse alors convaincre par sa
compagne d’acheter une maison en commun. Mais
c’est la crise économique, récession de l’activité,
mise au chômage des intérimaires. Revente à perte
de la maison, séparation du couple et rechute dans
Prendre ou retrouver la parole
la violence et les embrouilles diverses.
S’ensuit une période de vie SDF sur laquelle Loïc ne
s’attarde pas trop. Mais, grâce à la maraude, il entre
en contact avec l’EAO à Tours. « C’est une grande
chance », dit-il. Il accepte d’être pris en main et de
reprendre contact avec Pôle emploi, qui lui fait passer les habilitations aux emplois dans le domaine
nucléaire. Mais les hébergements sont rares sur Tours.
Alors, en raison de l’habilitation nucléaire, l’EAO lui
propose un logement sur Chinon pour le rapprocher
du site d’Avoine. Nous sommes en août 2014, Loïc
se laisse guider par l’équipe du CHRS et installer dans
un logement en colocation. Une chambre et douche
individuelle dans un pavillon avec des espaces
communs pour la cuisine, la lessive, etc.
Il a bien conscience d’avoir été très froid au début
avec l’équipe de l’EAO Chinon : « J’avais honte de
moi et de mon parcours », avoue-t-il. Il se rend
compte qu’il reçoit beaucoup des travailleurs
sociaux de l’Entr’Aide. Murielle Perroux, qui le suit
particulièrement, l’aide dans la mise à jour de ses
papiers qu’il avait complètement négligés quand il
vivait dans la rue. Il bénéficie maintenant de la CMU,
de l’ASS.
Il sent que sa violence et sa révolte s’apaisent. Il s’accroche à la recherche d’un emploi à la Centrale
nucléaire. Certes, il y a peu de places et beaucoup
de demandes, mais il espère parce qu’il se sent soutenu.
Jean-Noël Rouet
9
Le Canard du Cherpa
vole de ses propres ailes
Depuis neuf mois deux numéros sont parus de ce « fanzine participatif coconstruit » dans
le cadre du Bisou (Bureau d’information et de sensibilisation sur les outils utiles) : des résidents du CHRS Cherpa s’y expriment sous des formes très diverses, y trouvent mais y donnent aussi des informations variées, avec des illustrations originales. Une initiative très intéressante, qui fera peut-être école.
Ë
PERSPECTIVES No 292 – mars 2015
AGIR ENSEMBLE contre l’exclusion
D O S S I E R
CAD
Muriel ou la dignité retrouvée
Pour soutenir le moral des détenus,
elle prend soin de leurs animaux
AGIR ENSEMBLE contre l’exclusion
M
10
uriel est une super active : visiteuse de prison, présidente
de l’association socioculturelle de
la maison d’arrêt de Tours, fondatrice et présidente de l’association Dignité retrouvée, elle est sur
tous les fronts. Dès qu’une bête,
petite ou grosse, est en difficulté, on la sollicite et tel
le chevalier blanc elle arrive et elle fonce. Mais ce qui
l’intéresse avant tout c’est la défense de l’homme qui
est en souffrance pour son animal.
Dignité retrouvée – de son vrai nom Dignité retrouvée aux sans niche fixe – s’occupe, entre autre, des
animaux des personnes incarcérées. Qu’elle soit prévenue ou condamnée, si la personne est propriétaire
d’un animal, Muriel intervient pour mettre la bête à
l’abri et la soigner si nécessaire. Bien sûr, il s’agit surtout de chiens (99%), quelques chats, mais il lui est
arrivé d’être confrontée à un rat ou une souris apprivoisés ; quant aux serpents et aux chiens dangereux
(catégorie 1) c’est la police qui s’en charge. Muriel
est habilitée par l’administration pénitentiaire à pénétrer si besoin est, avec son accord, dans
le domicile de la personne incarcérée
pour recueillir le ou les animaux laissés à
la maison. Il faut trouver une famille d’accueil via Internet, les réseaux sociaux ou
le bouche à oreille. Ensuite : visite chez
le vétérinaire (38 € la consultation !) et
mise à jour des vaccins ! L’accueil sera
temporaire si l’incarcération est courte ;
si elle est longue il faut envisager l’abandon et l’adoption. Tout naturellement,
Muriel fait le va et vient entre famille d’accueil (lieu tenu secret) et maison d’arrêt.
Il est essentiel pour le moral du détenu
d’avoir des nouvelles de son compagnon.
L’action de Muriel ne se cantonne pas au département, elle intervient sur toute la France, organise des
covoiturages de toutous, des rapatriements de sacs
de croquettes, des séances de stérilisation (200 €la
séance)… Elle est sur tous les fronts et je vous passe
sous silence ses actions dans les maisons de retraite
et auprès des SDF.
Tout cela a un coût, le nerf de la guerre fait souvent
défaut. Les ressources de l’association sont les dons
et les cotisations des rares adhérents (15 €). Pour pallier l’absence de fonds, Muriel organise des brocantes et tout dernièrement un bal folk ! Si vous voulez en savoir davantage sur cette activité débordante,
allez jeter un œil sur son site Internet, vous ne serez
pas déçus, ou allez la rencontrer à sa nouvelle permanence, 41 rue de La Fuye, à Tours, le vendredi
après-midi. Pour les dons (croquettes, conserves,
colliers, laisses…) il est possible de les déposer à la
Petite maison du Comité d’Aide aux Détenus, 20 rue
Henri-Martin à Tours.
Pierre Trinson
Quand ils sont séparés, le moral du détenu prend un coup sévère
PERSPECTIVES No 292 – mars 2015
PARTENAIRES
Envie
ne rend pas
seulement vie
à des appareils
L’atelier où on redonne vie aux appareils
Patricia Fortin : Envie est une entreprise à la fois de
retour au travail, de remise en état d’appareils voués au
rebut et de recyclage de matières premières. Et ces trois
objectifs sont étroitement liés selon une logique qui a
fait ses preuves depuis trente ans, à l’initiative d’un
patron de la grande distribution qui était choqué de
voir des hommes sans emploi et des appareils encore
utilisables partir à la décharge. Il existe aujourd’hui un
réseau d’une cinquantaine d’entreprises Envie.
EAO : Comment la vôtre est-elle organisée ?
P. F. : Son directeur, Marc Albert, est secondé par une
directrice adjointe. Six permanents s’occupent de la
gestion, de l’encadrement et de la formation des salariés en insertion, qui sont en permanence au nombre
d’une vingtaine, mais il en passe une centaine au cours
de l’année du fait de leur renouvellement.
EAO : Comment ces salariés en voie de réinsertion
sont-ils retenus ?
P. F. : Quel que soit leur parcours antérieur, ce qui
compte est leur motivation, leur désir de surmonter
leurs difficultés de tous ordres, le seul requis étant de
savoir lire, écrire et compter. Les chefs d’atelier évaluent
alors leur aptitude à ce travail, et l’embauche se décide
ensuite à l’unanimité de l’encadrement. On s’efforce
d’équilibrer les âges, les générations, les origines religieuses et culturelles, de manière à avoir un groupe
homogène et à éviter les dissensions. Les femmes sont
peu nombreuses, n’ayant pas leur place à l’atelier du
fait de la réglementation qui leur interdit de porter des
charges de plus de 25 kg. Elles s’occupent donc de la
vente et de tâches administratives.
PERSPECTIVES No 292 – mars 2015
EAO : Ces salariés ont-ils un statut particulier ?
P. F. : Oui et non. Ils sont en CDD d’insertion pour un
maximum de deux ans, et ce sont en apparence les
salariés d’une entreprise normale, travaillant 35 heures
par semaine, rémunérés au SMIC, relevant de la convention et des assurances propres à cette branche. Mais ils
reçoivent ici le soutien personnel dont ils ont besoin
pour prendre ou reprendre pied dans le monde du travail après une rupture due au chômage, à un accident
de la vie, séparation, addiction, défaut de compétence,
âge dissuasif, etc.
EAO : En quoi consiste ce soutien ?
P. F. : La première année est consacrée à les remettre
en selle. Selon le cas, nous les aidons à trouver un logement social, un moyen de déplacement (carte de bus,
location d’un scooter ou d’un vélo électrique), à passer le permis de conduire, à dominer leurs difficultés
financières en cas de surendettement, à traiter leurs problèmes de santé, poids, addiction, etc. Dans toutes ces
démarches, nous constituons une force de proposition,
mais sans jamais nous substituer à l’intéressé.
En même temps, nous les aidons à retrouver une vie
sociale grâce à notre partenariat avec Cultures du Cœur
qui facilite l’accès à toutes sortes de spectacles (NDLR :
voir Perspectives, septembre 2013). Autres partenaires,
les Restos du Cœur, dont nous dépannons les centaines
de congélateurs, leur fournissent des denrées alimentaires.
EAO : Et au-delà de cette première année ?
P. F. : Ils complètent leur formation d’opérateurs polyvalents : ils alternent le travail de réparation à l’atelier, la
AGIR ENSEMBLE contre l’exclusion
Situé à Saint-Pierre-des-Corps1 et très facile d’accès, Envie est un magasin de vente d’appareils
électroménagers que connaissent bon nombre de Tourangeaux. On y trouve, à des prix très bas et
avec une garantie d’un an, des réfrigérateurs, des machines à laver et à sécher, des appareils de
cuisson. C’est surtout par le bouche à oreille, un peu par Internet (mondebarras.com), qu’il se fait
connaître, car son statut d’association ne lui permet aucune publicité. C’est l’une des originalités de
cette entreprise très particulière, que nous a présentée Patricia Fortin, sa directrice adjointe.
11
conditions de travail des salariés, auxquelles notre
directeur est très attentif : éclairage, chauffage, dispositifs de sécurité. En outre, tous reçoivent une formation de secouriste du travail. Ils disposent également
d’un vestiaire, de douches, d’une cuisine-salle à manger entièrement équipée, lumineuse et confortable, où
ils peuvent se tenir et qui est très appréciée.
Un magasin facile d’accès
AGIR ENSEMBLE contre l’exclusion
livraison des appareils vendus, la collecte des appareils usagés auprès de la grande distribution, et se forment aux diverses formalités administratives.
C’est aussi au cours de cette deuxième année, une fois
levés les freins initiaux, qu’ils définissent leur projet
pour l’avenir et se préparent à chercher un emploi : ils
apprennent à se présenter par des entretiens d’embauche fictifs, à bien rédiger leur CV.
12
EAO : Disposez-vous d’une aide financière particulière ?
P. F. : Oui, mais limitée à 20 % de notre budget et définie par la DIRECCTE (Direction régionale des entreprises,
de la concurrence, de la consommation, du travail et
de l’emploi), qui borne également à vingt le nombre
de nos postes.
C’est grâce à nos bénéfices que nous avons progressivement amélioré notre salle d’exposition et surtout les
EAO : Quel bilan global peut-on tirer de l’action
de Envie ?
P. F. : Ces salariés en insertion retrouvent leur place dans
la vie sociale et dans le monde du travail sans être en
rien des assistés, même s’ils reçoivent un soutien attentif. Sans être soumis à aucune exigence de rendement,
ils atteignent un niveau d’efficacité très honorable.
En sortant d’ici, la moitié d’entre eux obtiennent un CDI,
d’autres un CDD ou une formation qualifiante ; seul un
sur six n’aboutit pas. Ils trouvent des emplois très divers,
dans la vente ou la réparation ou souvent comme chauffeurs-livreurs grâce aux relations qu’ils ont nouées.
Durant ces deux années, au long d’un apprentissage
progressif, ils ont mené la vie et acquis les compétences d’une entreprise véritable. On comprend qu’ils
nous quittent souvent à regret, mais ils sont maintenant
armés pour une existence autonome.
Propos recueillis par François Weil
1
Rue des Magasins généraux, tél. : 02 47 46 46 70
Interm’Aide en photos au Secours catholique
L
e Secours catholique d’Indre-etLoire a marqué à sa façon la Journée
du droit des femmes en présentant,
du 4 au 9 mars, une exposition de
photos au local de son accueil de jour
pour femmes (37 rue de la Fuye à
Tours). Les photographies d’Ahmed
Debbouze rapportaient justement des
moments de vie de femmes dans ce
lieu de rencontre baptisé Interm’Aide,
et c’était une autre façon de leur donner la parole. La présidente, Anne
Fages, accueillait ses invités lors d’un
vernissage très convivial où Tara a
donné lecture d’un conte de sa composition, avec un accompagnement
musical de Raphaël Terreau.
PERSPECTIVES No 292 – mars 2015
VIE DE L’ASSOCIATION
Une assemblée générale peut en cacher…
plusieurs autres
L
e samedi 30 mai prochain, tous les adhérents de l’Entr’Aide Ouvrière et du Comité d’Aide aux Détenus
seront convoqués à leur assemblée générale. Mais
cette année le déroulement en sera particulier. En effet,
depuis plusieurs mois le conseil d’administration, commun aux deux associations, réfléchit à un rapprochement entre les deux entités. Pour mettre fin à l’anomalie juridique qui perdure depuis l’origine - les adhérents
de l’une le sont de facto de l’autre, un seul CA mais
deux bureaux - un groupe de travail est parvenu à la
conclusion que le plus simple était de fusionner EAO
et CAD. Et les administrateurs ont considéré que c’était
possible sans renier le passé, ni rogner les moyens du
CAD, bien au contraire.
C‘est donc ce projet de fusion qui va être soumis aux
adhérents. S’ils l’acceptent, il faudra en passer par cinq
assemblées générales le même jour : une ordinaire et
une extraordinaire pour chacune des deux entités, puis
une AG commune. Chacun recevra en temps utile tous
les documents nécessaires à la réflexion. Qu’on se rassure, l’emploi du temps de ce 30 mai devrait être étudié de manière à ce que les débats ne s’éternisent
pas…
A
près dépôt de bilan l’association Vienne Appart a
été déclarée en liquidation judiciaire. Elle a géré
dans le Chinonais jusqu’à 80 appartements en souslocation (mais en dernier lieu une quarantaine seulement), et 16 logements temporaires (huit seulement
occupés). Les financeurs - Etat, Conseil général, Communauté de communes - considérant que les besoins
demeuraient, ont souhaité le maintien de ce service de
proximité, et lancé un appel aux repreneurs potentiels.
L’EAO a construit avec la FICOSIL (Filiale immobilière
commune des Organismes sociaux d’Indre-et- Loire)
une proposition de reprise qui a été retenue, l’autre
candidat étant l’Association Jeunesse et Habitat. Ce
projet commun ne repose pas sur la mise en place
d’une nouvelle entité, chaque partenaire agissant en son
nom propre : la FICOSIL reprend les sous-locations, et
l’EAO les logements temporaires. Cependant, pour le
public et les usagers, un lieu d’accueil commun va être
créé, où pourraient être ultérieurement regroupées les
activités de l’Entr’Aide Ouvrière dans le Chinonais (à
l’exception de l’épicerie solidaire).
Un séminaire pour serrer les rangs
D
ébut février, pour la première fois dans une formation aussi large, le conseil d’administration et l’ensemble des cadres de l’EAO se sont retrouvés un
samedi entier pour un séminaire sur plusieurs thèmes :
le point sur la réalisation du Plan stratégique 2014-2016
à travers des ateliers sur la vie associative, le bénévolat
et la communication ; la gouvernance associant administrateurs et cadres ; les développements possibles
dans les limites de l’équilibre financier ; l’évolution des
partenariats…
Cette rencontre de travail a fait l’objet d’une évaluation
très positive : meilleure connaissance réciproque de la
complémentarité des rôles des uns et des autres, perspectives d’une collaboration renforcée, etc. Ce type de
journée pourrait devenir annuel.
Cadres et administrateurs ont travaillé en complémentarité
PERSPECTIVES No 292 – mars 2015
AGIR ENSEMBLE contre l’exclusion
Chinonais : l’EAO reprend une partie
de Vienne Appart
13
VIE DES SERVICES
Le 115, comment ça marche ?
AGIR ENSEMBLE contre l’exclusion
L
14
e 115 est géré par l’Entr’Aide
Ouvrière sous l’autorité de
Thierry Gheeraert, directeur du
Pôle social et médical, et de
Floriane Sarrade-Loucheur, chef
de service. Cinq travailleurs
sociaux se relaient, par équipes
de deux, sept jours sur sept de
15 heures à 22 heures, pour
répondre aux appels téléphoniques d'hommes ou de
femmes en recherche d’un
hébergement d'urgence pour
la nuit, ou en difficulté (maladie, froid, faim...). Leur premier
travail est de faire le point sur le nombre de places disponibles
dans toutes les structures de l’agglomération qui disposent de
places d’urgence : la Nuitée, le foyer Albert-Thomas, le foyer
Paul-Bert, les CHRS CHERPA et Camus, certains hôtels... Les données qui doivent être communiquées par ces structures sont
souvent absentes et il faut les obtenir par téléphone. Hélas, le
nombre de places libres est presque toujours dérisoire, sauf
lors des courtes périodes de grand froid quand sont mobilisées des capacités supplémentaires, et notamment un gymnase.
Les appels émanent soit directement des personnes à la rue,
soit de travailleurs sociaux - entre autres ceux du PAS (Point
accueil solidarité) qui assure la maraude - soit de l'hôpital, soit
de particuliers qui ont repéré une personne en difficulté.
La personne qui reçoit l'appel ne se contente pas d'aiguiller le
demandeur, quand cela est possible, vers telle ou telle structure disposant de places pour la nuit, le 115 a aussi une mission d'observatoire. Il est demandé, sans obligation de réponse,
un minimum de renseignements : nom, âge, situation, nationalité... afin de nourrir les statistiques souhaitées par les financeurs
et les structures d'accueil. Ces statistiques traitées par un logiciel sont hélas difficilement exploitables, tant au plan régional
que national, car tous les 115 ne retiennent pas les mêmes critères.
La plupart des demandeurs qui ont sollicité le 115 durant mon
passage étaient connus des responsables. Ils appellent souvent, parfois plusieurs fois dans la même soirée, au cas où une
place se serait libérée. Il leur est conseillé de rappeler après
20 h 30, heure limite d'entrée dans les structures d'accueil : un
point est alors fait par téléphone avec les responsables, et si
une place est inoccupée elle est immédiatement attribuée. Ce
soir-là, seul un homme en provenance de Laval était inconnu
du service, il n'a pas eu de place.
En quelques questions…
avec les réponses des travailleurs sociaux :
• Toutes les personnes à la rue appellent-elles le 115 ? Non,
les refus successifs lassent, et certains préfèrent dormir dans
leur coin habituel; la maraude connaît ces personnes et les lieux
où elles dorment, elle les rencontre dans la nuit et leur apporte
nourriture, couvertures, boissons chaudes et un peu de réconfort.
• Quand une place est attribuée, est-ce pour une nuit ou
pour une longue durée ? Nous préférons attribuer les rares
places pour seulement deux ou trois nuits, cela permet de toucher un plus grand nombre de demandeurs.
• Existe-t-il des critères administratifs dans vos choix ? Non,
tous les appels quels qu'ils soient sont recevables, toutefois il
y a des priorités : femmes maltraitées, enfants. Nous donnons
aussi priorité à celui qui a dormi longtemps dehors.
• Les couples sont-ils hébergés ensemble ? Nous sommes
souvent obligés de les séparer, certains foyers ne recevant que
des hommes, d'autres que des femmes avec ou sans enfant.
• Après 22 heures il n'y a plus d'appel possible ? A cette
heure nous basculons le téléphone vers le CHRS de « La Chambrerie » où le veilleur de nuit prend le relais.
• Quelles sont les personnes qui demandent un hébergement ? 60% des demandes émanent de personnes sans papiers
ou déboutées du droit d'asile mais également des demandeurs
d'asile en attente.
• Toutes les personnes qui n'ont pas obtenu d'hébergement dorment-elles vraiment dans la rue ? La plupart oui, mais
certaines structures comme « Chrétiens migrants » ouvrent leurs
locaux et mettent quelques personnes à l'abri.
• Votre travail doit être assez déprimant ? Oui, mais il y a
des satisfactions importantes, ainsi nous avons trouvé récemment un hébergement durable à Amboise pour une famille qui
errait depuis longtemps dans les rues de Tours, alors là c'est du
bonheur.
• Est-ce que les appels sont cordiaux ? En général oui, mais
notre collègue féminine se fait parfois insulter par certains
hommes.
• Attribuer trois ou quatre places par soirée doit être très
frustrant ? Oui, mais avec le plan hivernal, à ne pas confondre
avec le plan grand froid, nous avons disposé d'environ 60
places supplémentaires.
• Avez-vous des appels de mineurs isolés ? De plus en plus
de mineurs étrangers nous sollicitent. Nous les dirigeons vers le
commissariat qui les oriente vers les structures de l'Aide sociale
à l'Enfance.
J'ai demandé ce soir-là que le haut-parleur des téléphones soit
branché afin que je puisse suivre les conversations, entendre
les voix et percevoir les réactions aux réponses négatives. Vous
avez le ok philosophe de celui qui téléphonait sans illusion pour
un groupe d'Africains, vous avez la détresse de cette femme
qui avoue dormir sous un escalier, vous avez la désespérance
de cette famille d'origine russe avec quatre enfants de 13, 11 ,
6 et 3 ans qui a appelé en vain plusieurs fois dans la soirée…
Vers 19 heures déjà, plus de 65 appels avaient été reçus (la
moyenne est de plus de 3 000 par mois), une place avait été
attribuée, et encore il s'agissait d'une reconduction ! Triste soirée, mais chapeau bas pour l'équipe du 115 qui, malgré ce travail ingrat, arrive à garder et à entretenir l'espoir.
Pierre Trinson
PERSPECTIVES No 292 – mars 2015
VIE DES SERVICES
Nouvelle campagne d’adhésion en avril
L
’association ne vit évidemment pas des cotisations de ses
membres, mais elle place très haut la nécessité d’avoir des
adhérents aussi nombreux que possible, motivés et régulièrement informés. C’est le gage et le socle d’une dimension
militante entretenue et renouvelée en permanence. Comme
fin 2013 déjà, des administrateurs vont aller au-devant du
public tourangeau en ce mois d’avril 2015. Il s’agira de faire
connaitre – et reconnaitre – l’EAO-CAD pour ce qu’elle est :
une association gestionnaire, certes, mais qui milite pour le
mieux-être des personnes qu’elle accueille et aussi, avec un
maximum de partenaires, contre toutes les formes d’exclusion. Cette campagne se fera au moyen d’une distribution
de dépliants au hasard des rues et des marchés, et les adhérents qui souhaitent y prendre leur part seront les bienvenus
(pour connaitre les lieux, jours et heures, se signaler au 02
47 31 87 00 ou [email protected]).
Journées de présentation sur mesures
s’efforcent d’expliquer en toute transparence le rôle de chacun, et les retours des visiteurs sont toujours très positifs.
Les prochaines visites sont prévues les jeudi 26 mars et 4 juin.
Pour y participer, s’inscrire auprès d’Alexandra Cailbeaux au
02 47 31 87 00, ou [email protected]
Pour des groupes particuliers, des visites spécifiques sont
possibles, sur une journée ou une demi-journée.
D’une fête à l’autre
L
e 9 février une bonne vingtaine des bénévoles de l’EAOCAD se sont retrouvés au CHRS Albert-Camus, avec autant
de responsables de l’association, pour partager la galette mais
aussi bon nombre d’informations et échanger idées et impressions. Au menu de la rencontre cette année, un exposé sur le
Centre de formation et ses perspectives d’évolution, par sa
responsable Samia Boumedjmadjene. Le thème s’imposait
notamment parce que le service hérite cette année des
actions contre l’illettrisme sur un nouveau secteur géographique, et parce qu’il va quitter cet été la rue Jacques-Cartier
pour rejoindre le siège, avenue Gustave- Eiffel à Tours nord.
Ensuite, l’Entr’Aide Ouvrière était présente aux halles de
Tours le 21 février pour accompagner le Pot au feu géant
organisé au profit des Restos du Cœur. C’est dorénavant une
occasion supplémentaire de rencontrer les Tourangeaux,
mais aussi bon nombre de responsables élus ou associatifs,
et de faire connaitre les activités de l’association.
Enfin, nous pouvons déjà annoncer qu’un nouveau rendezvous festif sera proposé en septembre prochain, sur le site
du siège de l’EAO-CAD à Tours nord. Ce sera l’occasion
d’inaugurer et de mettre l’accent sur le service Formation dans
ses nouveaux locaux.
Au lycée, on peut aussi apprendre la solidarité
L
'Agenda 21 défini à Rio au « Sommet de la Terre » de 1992,
possède une déclinaison scolaire qui conduit le lycée Vaucanson, de Tours nord, à agir et sensibiliser en faveur du développement durable depuis près d'une dizaine d'années.
Dans le cadre du volet solidarité de cet agenda, le lycée organise une collecte alimentaire. En ce début d’année, elle a été à
destination du Point Accueil Solidarité de l’Entr’Aide Ouvrière.
Pour la sensibilisation à cette action, Carine Bordeaux et Marie-
Laure Bonnin sont venues présenter à plus
d’une soixantaine d’élèves le public de la
rue, et le travail d'accompagnement
du PAS.
Les écodélégués ont aussi épluché des
légumes pour une soupe préparée par le
personnel des cuisines du lycée, et servie
le vendredi suivant lors de la maraude.
Sur le front de l’illettrisme
Jusqu’alors l’Entr’Aide Ouvrière menait, pour le compte du Conseil général, des actions contre l’illettrisme dans deux des trois
secteurs géographiques du département. Au renouvellement de la convention, il a confié à l’EAO, qui ne l’avait pas demandé,
le troisième secteur (le sud et l’est) c’est-à-dire l’ensemble du département. En sens inverse, l’EAO a perdu un poste sur l’accompagnement socio-professionnel des bénéficiaires du RSA.
PERSPECTIVES No 292 – mars 2015
AGIR ENSEMBLE contre l’exclusion
P
lusieurs fois par an l’association propose au grand public
une journée de présentation. Ces rencontres sont très prisées des bénévoles et des étudiants, mais elles sont effectivement ouvertes à tout le monde. Elles conduisent les personnes inscrites du Pôle social et médical (ex-CASOUS) à la
Petite maison du Comité d’Aide aux détenus, en passant par
la découverte d’un CHRS et des chantiers d’insertion de l’Entr’Aide Ouvrière. Administrateurs et responsables de services
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L’AIR DU TEMPS
La leçon de Thomas Piketty
AGIR ENSEMBLE contre l’exclusion
T
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rop d’impôt tue l’impôt. Mais pas assez d’impôt a
aussi des inconvénients. Et non des moindres. C’est
ce que l’économiste Thomas Piketty, best-seller mondial avec son Capital au XXIe siècle, s’efforce de faire
admettre aux responsables politiques. S’exprimant à
propos du documentaire canadien Le Prix à payer, ce
spécialiste des questions fiscales dénonce les pratiques abusives des pays qui attirent des entreprises
avec une fiscalité particulièrement avantageuse, sans
se soucier des conséquences sur leurs voisins.
Il résulte de cette politique égoïste, cynique même,
mais permise par les traités européens, une concurrence pernicieuse aboutissant non seulement à d’importants transferts de capitaux et d’activités économiques entre partenaires – pourtant théoriquement
solidaires –, mais aussi à la possibilité pour les grandes
entreprises adeptes de l’optimisation fiscale de payer
leurs impôts là où le taux est le plus faible. À la grande
satisfaction de leurs actionnaires.
« Ils appellent cela de l’économie de marché, mais
c’est du vol pur et simple », affirmait récemment Thomas Piketty dans une interview à l’Obs : « Il y a trente
ans, rappelle-t-il, l’impôt sur les sociétés portait sur un
tiers (et jusqu’à la moitié) des bénéfices, en ligne avec
le taux global de prélèvements obligatoires. Aujourd’hui, des pays comme le Luxembourg ou l’Irlande
sont à peine à 10%, voire moins. Aux États-Unis, le taux
de l’impôt sur les sociétés au niveau fédéral reste à
35%, auxquels il faut ajouter les impôts des
États (entre 5 et 10%), soit un total de 40 à
45%. Même avec des failles, ce taux reste plus
élevé que les taux européens ».
L’économiste considère que l’Europe a mené
le bal de la concurrence fiscale, alors que son
modèle social est plus coûteux à financer. Et
pour compenser l’insuffisance de recettes fiscales, les gouvernements ont recours à des taux élevés d’imposition sur le travail, en y ajoutant de
lourdes cotisations sociales. Ce qui explique une
partie du chômage de masse dont souffre l’Union
européenne au sein de laquelle la France est particulièrement touchée à cause de ses difficultés à réaliser de vraies réformes de structures.
S’il se prolongeait, ce sous-emploi pourrait provoquer une régression sociale génératrice de tensions
et de troubles allant jusqu’à fragiliser la démocratie.
C’est pourquoi Thomas Piketty juge indispensable
une révision des traités européens susceptible de
mettre fin aux dérives de la concurrence fiscale. « Si
on continue, prévient-il, dans dix ou vingt ans il n’y
aura plus d’impôt sur les sociétés ». Un scénario
catastrophe pour le financement des États… et
pour l’avenir des systèmes sociaux mis en place
depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.
Libres propos de Serge Bijonneau
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