Développement psychologique de l’enfant et de l’adolescent 6 1 VI. LE DÉVELOPPEMENT PSYCHIQUE À L'ADOLESCENCE L'adolescence n'a pas de définition précise : c'est une expérience singulière d’un processus universel. Il s'agit d'une période du développement physique et psychique que tout le monde traverse. Des défaillances peuvent survenir : l'adolescent peut ne pas avoir « bien » liquidé et dépassé les stades du développement antérieurs (défaut de symbolisation par exemple) ou avoir rencontré des difficultés trop importantes à apprivoiser son nouveau corps et le déploiement pulsionnel que les modifications entrainent (dans une tentative de retour à l'homéostasie somato-psychique) ; les figures d'autorité peuvent être perçues comme défaillantes ; l'adolescent peut avoir des difficultés à renoncer à sa position infantile pour des raisons diverses. On remarque donc en réaction aux reviviscences œdipiennes, deux moyens de défense possibles correspondant à deux attitudes par rapport aux parents : rejet défensif (crainte de revivre les conflits œdipiens) rejet agressif (l'amour se change en haine). o À ces deux moyens peut s'en ajouter un troisième, l'agressivité se retournant contre le moi lui-même (souvent lorsque les parents ne répondent pas à l'attitude agressive de l'enfant), celui-ci va sombrer dans l'isolement dépressif. L’ambivalence des sentiments est forte surtout à l’égard des parents dont l’adolescent voudrait se détacher, mais dont il est encore dépendant. Il peut y avoir à ce moment-là, répression des désirs sexuels avec régression, c’est le retour des modes pulsionnels infantiles. 1. Premières considérations Le terme « adolescence » vient du latin « adolescere » signifiant grandir, croître. L'adolescence est communément définie comme étant l'âge de la vie qui se situe entre celui de l'enfance et celui de l'adulte. Au début de son utilisation, l'adjectif était réservé aux seuls garçons, l'adolescence étant alors la période comprise entre la puberté et « l'âge viril ». Il fut inféré à « l'autre sexe » et on tenta de lui donner des bornes précises suivant la période moyenne d'entrée dans la puberté : entre 11 et 18 ans pour une fille, 11 et 20 pour un garçon. Les anglophones ont défini les choses plus simplement encore, les « teenagers » étant les jeunes dont l'âge se termine en teen en anglais (de 13 à 19 ans). Ce qui est sûr c'est que l’adolescence est marquée par les transformations pubertaires que le corps subit, la puberté étant « la » période de maturation sexuelle au cours de laquelle se produit une profonde mutation physique et psychique de l'individu. Le développement de l'appareil génital s'accompagne de l'apparition de caractères secondaires dont l'évolution sera propre à chaque sexe. Ces modifications demandent un surcroît de travail psychique face à l'intensité de la pulsion sexuelle. L'aspect et les sensations physiques changeront dans le même temps que devra le faire le schéma corporel et l'image inconsciente du corps de l'adolescent qui aura à se « restructurer » en fonction. Ce corps qui se transforme ne remanie pas que la vie psychique mais également la vie Développement psychologique de l’enfant et de l’adolescent 6 2 sociale du sujet. Ces changements entraînent un nouveau rapport à lui-même, à son histoire mais aussi à son entourage qui le verra autrement. Cet accès pubertaire impactera psychiquement le sujet dans les registres des identifications, représentationnel et fantasmatique, registres également influencés socialement, culturellement et cultuellement. Les pathologies de l'adolescence montreraient alors des difficultés quant à ces remaniements psychiques. L'adolescent ressentira comme une inquiétante étrangeté corporelle (inquiétante étrangeté selon Freud : « tout ce qui devait rester secret, caché, et qui se manifeste », le plus familier mais le plus extérieur à la conscience). Le corps aura désormais une fonction sociale et une signification sexuelle, venant interpeller l'autre à partir de l'image de soi (schéma corporel et image inconsciente du corps). A. Adolescence et sexualité : de l'infantile au génital La sexualité, dont l'énergie psychique sera la libido, sera la satisfaction d'un désir qui naît du détournement du besoin par l'association satisfaction-plaisir. La sexualité infantile se distingue de celle de l'adulte en ce sens que cette dernière est génitalisée. La génitalisation s'opère à l'adolescence qui est un entre-deux. Si la sexualité sert à l'enfant pour lui apprendre et répondre à sa curiosité, à se développer aussi bien sur le plan physique que psychique, elle permet, pour l'adulte, outre le plaisir génitalisé, de soutenir son identité de genre (plus que sa sexuation). L'adolescence questionnera tant le monde de l'enfance qu'il doit abandonner que celui de l'adolescent qu'il traverse, mais aussi et notamment par la sexualité « orgasmique » celui de l'adulte qu'il doit devenir. C'est aussi par ce passage de la sexualité infantile à la sexualité par le sexe que l'adolescent se créera son identité. La réactualisation des conflits infantiles et les remaniements psychiques qui en découlent s'accompagnent de changements représentationnels de soi, de l'autre et de leur lien. Le sujet adolescent devra intégrer un corps inscrit dans la génitalité et dont la maturité permettra « d'agir » les pulsions, se séparer des anciens objets d'amour et de leur préférer des substituts. Cette expérience demandera au sujet d'éprouver ses assises et repères narcissiques, de se forger une nouvelle image de lui et une identité en cohérence avec les identifications du passé. L'adolescence peut donc être une période de renforcement ou de désorganisation du lien à l'autre. L'adolescence, selon quelques auteurs comme Winnicott par exemple, est articulée autour de la construction de l'identité par son aspect social comme l'identité de genre. Cette identité se conjuguera à une intimité inédite par l'accession à la pudeur notamment grâce aux comportements modifiés de l'entourage (évocation / révocation de l'interdit de l'inceste). Ces représentations nouvelles viendront aussi questionner les représentants symboliques, les signifiants culturels et c'est souvent par l'expérience que l'adolescent tentera de cerner quelque chose de l'appartenance systémique, de la vie, de la mort. Le processus de pensée alors très actif facilitera ou entravera ce passage de la dépendance infantile à l'autonomie adulte. La crise d'adolescence, selon Laüfer, serait une rupture dans le processus de développement à cause de la non symbolisation, la non intégration du corps désormais sexué et par lequel l'enfant ne peut plus avoir accès à la sexualité telle qu'il l'a connu jusqu'alors. B. Adolescence : la séparation par la crise Développement psychologique de l’enfant et de l’adolescent 6 3 L’adolescence se caractérise notamment par un détachement aux parents et un enrichissement des liens sociaux. Il abandonnera (en partie) la dépendance infantile qui le régissait jusqu’alors pour être plus autonome affectivement et socialement. Cette séparation n’est pas sans difficulté, et A. Freud situe dans ce contexte de socialisation et de séparation ce qu’elle décrit comme la « crise d’adolescence ». La crise prendrait fin en même temps que les identifications parentales d’antan seront abandonnées, que le sujet se forgera de nouveaux repères et qu’il intégrera différemment ceux modifiés par l’effraction du sexuel, ce qui lui permettra alors de nouer et diversifier les liens à l’autre. Devra ainsi s'opérer un véritable travail de deuil, celui de l'enfant que l'on était et des liens infantiles à l'Autre maternel. Mais entre le travail de renoncement aux anciens objets d'investissement et la conquête de nouveaux, peut s'insérer un moment de flottement, d'errance pendant lequel l'investissement libidinal se retournera vers le Moi et/ou en lieu des privilèges d'antan désormais perdus. Un retour aux mécanismes primaires du narcissisme pourra s'accompagner dès lors d'instants mélancoliques dont l'issue sera la création et/ou le désinvestissement de tous les champs de l'existence. Si une crise peut être une période incontournable menant à des remaniements, elle peut aussi être signe de perturbations dans le cours du développement et de la dynamique psychique. La crise d'adolescence est une notion qui n'échappe pas à cette double acception. Elle renvoie donc à l'acmé du processus d'individuation-séparation faisant passer de la dépendance infantile à l'autonomie adulte par les réinvestissements libidinaux, mais aussi bien à ses manifestations comme les troubles du comportement, qu'à un moment de rupture du processus normal du développement. Ce qu'elle marque est l'évidente désorganisation subjective et psychique, qui à son extrême peut étouffer le sujet noyé dans la pléthore des motions pulsionnelles. Selon les références théoriques psychanalytiques, la crise d'adolescence renverra à des éléments parfois contradictoires : Manifestations bruyantes normales versus silencieuses anormales ; Aboutissement d'un processus de maturation versus travail de maturation en cours ; Adolescence pathologique versus majorité « normale » silencieuse ; Crise non préventive de difficultés futures versus expression excessive et inquiétante pour l'avenir. C. « Pour qu’un enfant grandisse, il faut tout un village » S'il est un fait universel concernant l'adolescence, c'est qu'elle permet un passage entre vie d'enfant et celle d'adulte. En effet, il n'est pas de culture qui n'observe pas de changement statutaire entre l'enfant et l'adulte. Seule la durée du processus rituel et son déroulement est spécifique de chacune. Et la puberté sera toujours le déclencheur du rituel : l'évolution sociale en passera toujours par l'accès au sexuel génitalisé qui représente la capacité de reproduction (perpétuer l'espèce) et la possibilité de procréation (reproduction colorée du désir). L'identité répond à cela en étant tant ce qui est identique que ce qui est original, mais qui se construit par l'intervention d'un autre. L'adolescence si elle concerne le singulier, dépend aussi du collectif. « Pour grandir il faut tout un village », dit un proverbe malien, un village dont peut dépendre les changements observés à l'adolescence et l'échec dans la résolution des conflits intrapsychiques qu'elle engendre. Aussi peuton se demander quelle est le rôle du fonctionnement sociétal dans l'apparition et la coloration des manifestations de l'adolescence, ainsi que dans la manière plus ou moins aisée pour l'adolescent de faire avec. L'adolescence est une transition que Dolto définit à partir de ce qu'elle appelle « le complexe du homard » (La cause des adolescents, éd. Robert Laffont, 1988). Ces crustacés dans leur développement doivent muer pour acquérir leur coquille définitive. L'auteure nous dira qu'« ils se Développement psychologique de l’enfant et de l’adolescent 6 4 cachent sous les rochers à ce moment-là, le temps de sécréter leur nouvelle coquille pour acquérir des défenses. [...] Mais si pendant qu’ils sont vulnérables, ils reçoivent des coups, ils sont blessés pour toujours, leur carapace recouvrira les cicatrices mais ne les effacera pas ». Cette période de transformation « est aussi capitale pour l’adolescent confirmé que sont pour le petit enfant la naissance et les 15 premiers jours de sa vie… Au cours de cette mutation il reproduit la fragilité du bébé qui naît, extrêmement sensible à ce qu’il reçoit comme regard et entend comme propos le concernant ». Le surcroît de travail psychique que demandent les modifications corporelles, appelle, dans le cas de phénomène massif tel que l'adolescence, à une contribution, une participation de tout autre susceptible d'incarner quelque chose du lien social. Alors que l'adolescent tentera de s'émanciper de sa relation parentale aliénante en en passant par la rupture effective avec les parents, du moins avec ce qui les caractérise (valeurs, principes,...) et ce afin de se positionner d'abord par-lui-même (avant de prendre la responsabilité de ses décisions et de son désir), il choisira comme nouveaux objets d'investissement et d'identification ses pairs par lesquels il entrera dans la socialisation. Les adolescents préféreront l'autre de l'identification moïque (phénomènes « de mode », idoles, camarades,...). La pensée et le rapport à l'autre des adolescents sont souvent conformistes, superficiels ou au contraire se veulent totalement marginaux et originaux, ce qui révèle l'inconsistance et la fragilité d'un Moi jusqu'alors passées sous silence. Aussi, ne sachant ce qu'est qu'être adulte, ils l'expérimenteront par une caricature du rôle social de l'adulte : désertion scolaire pour le milieu du travail, rupture familiale, rapports sexuels répétés, alcool et drogues, devenir parents, s'émanciper,... Pour autant, tout système groupal contribue à la coloration voire à la constitution du lien à l'autre. Le groupe d'adolescents aura ceci de particulier qu'il initiera ses membres à l'investissement de l'autre comme objet d'amour sublimé (« La pulsion est dite sublimée dans la mesure où elle est dérivée vers un nouveau but non sexuel et où elle vise des objets socialement valorisés », Freud), id est l'amitié. L'amitié permet un attachement « platonique », se référant à l'idéalisme platonicien abordé dans « Le Banquet ou de l'amour » (Platon). Il s'agit de s'élever aux sentiments dégagés de toute sensualité. C'est à la Renaissance (cela rappelle l'adolescence) que cette expression d'amour platonique vit le jour pour désigner les relations sentimentales basées sur l'idée, l'imaginaire et sans relations charnelles, sans désir ou acte sexuel. L'amour platonique dont l'amitié est le principal avatar, est un attachement spiritualisé, idéal, sans effet, sans risque d'angoisse trop intense. En effet se nourrissant de l'imaginaire, il vient voiler le Réel du corps objet de désir, et permet un autre investissement de l'autre sans la menace surmoïque. 2. CRISE ET SYMPTÔMES La réactivation des conflits infantiles vont amener l'adolescent à questionner son positionnement singulier et subjectif. L'adolescent sera traverser par des reviviscences de toutepuissance, soit il s'interrogera sur ce qu'il peut faire en terme de capacité, de possibilité mais aussi de risque de non maîtrise de lui-même. L'adolescent pourrait être dans une position défensive face aux figures identificatoires dangereuses (interdit), de manière aussi à se défendre de lui-même, mais aussi agressif, que ce soit pour éprouver sa toute-puissance, ou parce que les conflits intergénérationnels pourront le pousser à croire (plus ou moins légitimement) qu'il perd, avec la séparation, le soutien et l'amour de ces mêmes figures. Être en conflit avec eux maintiendra quelque chose du lien en même temps que cela l'aidera à se construire (notamment par la recherche de limites). Ce qui posera également la question de La Loi et de l'autorité. Lors de la puberté, comme lors des phases précédentes, l'adolescent découvrira les nouvelles fonctionnalités de son corps et devra apprendre à le maîtriser, ainsi que ses (nouveaux) désirs et les Développement psychologique de l’enfant et de l’adolescent 6 5 nouvelles relations aux autres. Le sujet s'émancipera peu à peu de l'emprise de l'autre en prenant le contrôle de son propre corps. Il se l'appropriera, s'y reconnaîtra, et revivra des sentiments de toutepuissance par des « c’est moi qui décide pour moi ». Il se construira et s’affirmera peu à peu sur le mode de l’opposition. Cette affirmation de ne pas être comme les autres, montre l’inconsistance du Moi et son incapacité à se poser sans un autre comme étai. Ce non ancrage permet justement au Moi et à l’identité de se constituer en prenant la relève des identifications. L’adolescent qui s’oppose à l’autorité et qui cultive sa différence par l’opposition se cherche lui-même ainsi qu’une place qu’il pourrait occuper. L’enfant qui dit « non » comme l’adolescent qui a le sentiment de se poser en s’opposant, se détermine par rapports aux autres avec qui il ne veut pas être confondu. « Je suis moi quand je ne réponds pas aux injonctions de l’autre », « Je fais ce que je veux » est confondu avec « je ne fais pas ce que tu veux (que je fasse) » : pour ne pas que son choix soit assimilé à de la soumission, il se rebelle, désobéit ou nuance les propositions.... A. Conduites à risque et dépression Dans une pseudo-socialisation, les conduites à risque sont devenues le passage obligé de beaucoup d'adolescents désireux de trouver un regard de l'autre dans lequel ils puissent se retrouver. Dans un « partage du sort commun », ils surmonteraient ainsi mieux leur propre sort avec lequel ils doivent pourtant apprendre à conjuguer au singulier. En l’absence de rituels aidant à ce passage, l’adolescent va se les construire sans autres limites que celles qu’il voudra bien s’imposer. L'alcool notamment, drogue la plus présente, a plusieurs fonctions : drogue légale, il se trouve à moindre coût, et maintient quelque chose d'un lien, tant à la société (produit de commerce) qu'à l'autre avec qui il peut « boire un verre » ; anesthésiant psychique et somatique, il permet pour un temps d'oublier, d'atténuer l'intensité et l'importance de la tension corporelle et de la souffrance nostalgique due à la perte d'une partie de soi. Par la répétition, certains troubles pourront finir par appartenir et soutenir l'identité du sujet. L'adolescent tentera de maîtriser ou de détruire l'étrangeté (ce qui est étrange et étranger) de son corps changeant. Sa fragilité narcissique est parfois compensée par la prise de risque pour reposer les questions de la limite et de la possession, d'abord corporelle. Les cicatrices, tatouages voire piercing peuvent être tout autant de manifestation d'une souffrance psychique, le corps se faisant le moyen d'extérioriser une intériorité que l'on ne peut contenir, et le support de la trace de l'expulsion. La mise au corps pallie l'incapacité d'une mise en mot. Il est fréquent que l’adolescence soit définie dans des termes qui sont appropriés pour la description d’un épisode dépressif de type mélancolique (avec pessimisme, dépréciation de soi…). Le changement brusque de l’humeur est une chose connue à l’adolescence, mais la plupart des adolescents présentent souvent un affect dépressif constant. Il faut donc réussir à discerner si la dépression est une manifestation normale de cette période ou si elle rentre dans le registre du pathologique et constitue un trouble psychique. La particularité de la dépression adolescente est qu'à la différence de celle de l’adulte, elle peut se manifester par de l’irritabilité au lieu du sentiment dépressif. Il se plaint constamment ; tout devient sujet de mécontentement avec comme conséquence la dégradation des relations familiales et scolaires. Il restreint ses activités, celles qui lui procurent habituellement des satisfactions, mais aussi celles qui nécessitent une grande quantité d’énergie. Il dit être fatigué et surtout montre de l’indifférence et de l’ennui. Les gênes somatiques telles que les maux de tête, de ventre, etc. remplacent les plaintes subjectives et expriment la perte de plaisir, la tristesse, le malheur. Développement psychologique de l’enfant et de l’adolescent 6 6 L’auto-dépréciation est un facteur important : « Je suis nul, moche, pas intéressant… ». La baisse soudaine et importante des résultats scolaires représente un des principaux signes de la dépression. Le fait que l’adolescent se conduise mal peut également être un équivalent dépressif. Le diagnostic de troubles de la conduite se pose quand les règles sociales sont transgressées ou quand il ne respecte plus les droits des autres de façon répétitive et systématique pendant une durée importante. Les symptômes d’agressivité sont plus fréquents chez les garçons, alors que chez les filles ce sont les troubles du comportement sexuel et corporel, qui sont au premier plan. B. Les tentatives de suicide Ces dernières années, les suicides et les tentatives de suicide à l’adolescence, ont beaucoup augmenté. Ils marquent l’échec du passage de la crise de l’adolescence et constituent un important moyen de manipulation pour attirer l’attention de l’environnement. Au cours de cette période, nous observons aussi une augmentation des phénomènes de prise de risques, équivalents suicidaires pouvant mettre la vie ou l’intégrité corporelle en danger sans réelle intention de mourir pour autant (conduite dangereuse à moto par exemple). La prise de médicaments et les veines tailladées sont les modes de tentatives de suicide les plus répandus. Les tentatives sont effectuées le plus souvent par des adolescents déprimées qui ne voient pas de sens ni de but à leur vie. Certains événements, tels que l’immigration, l’isolement social, le divorce des parents, le changement d’école, l’échec scolaire ou une déception amoureuse peuvent aussi conduire à l’acte suicidaire. La fréquence des troubles mentaux chez les adolescents suicidaires est de 20 à 30 %. Le meilleur traitement reste la prévention. Quand l’adolescent fait une tentative de suicide, il est préférable de l’hospitaliser ou de donner une suite de prise en charge, quel que soit l'importance du geste et celle qui lui est accordée. F. Dolto a développé l’idée selon laquelle il convient d’envisager le suicide comme un appel à la vie : « Le désir du Sujet et les raisons historiques, inconscientes, qui le poussent à un geste mortifère expriment à la façon qui est la sienne, qu’il doit mourir à l’enfance. Cela est interprété comme une tentative de suicide car il n’a pas d’autres moyens de dire : ''Au secours, je veux naître. Puisque je veux naître, il faut que je meure''. C’est la vie et la mort qui sont liées ensemble ». 3. L'adolescence face à la maladie La problématique adolescente serait la dernière étape du processus d'individuation, du développement psychique avec les conflits et leur dépassement qu'elle suppose. Une adolescence problématique serait marquée par la difficulté à dépasser certains conflits, ce qui pourrait engendrer une désorganisation plutôt qu'une restructuration. Une problématique à l'adolescence serait une pathologie, un symptôme qui vient se greffer à la problématique adolescente et viendrait en perturber le cours. Où placer les troubles du comportement, la délinquance, les déséquilibres alimentaires, les conduites à risque ? Comment les appréhender, les considérer ? Toute perturbation du corps entraîne un désordre psychique. Lorsque la maladie intervient à l'adolescence, elle peut en troubler le cours. Lorsque le discours institutionnel voire médical gomme Développement psychologique de l’enfant et de l’adolescent 6 7 la différence entre syndrome et symptôme, qu'elle donne un point d'ancrage à l'identité organisée toute autour de cette qualification qui venait d'abord comme manifestation inconsciente et non comme pathologie à soigner. Cela rend difficile l'accompagnement des jeunes et leurs parents qui demandent réparation. La maladie ou le handicap viennent bouleverser le processus normal de l’adolescence et lui distribue une autre donne, contrairement aux troubles témoins des conflits intrapsychiques ou conséquences d'un mauvais développement. Plusieurs facteurs vont donner une plus ou moins grande résonance à l’impact de la maladie sur l’équilibre de l’adolescent : moment auquel la maladie intervient (depuis l’enfance, pré-ado, crise déjà élaborée…), environnement familial, fragilité psychique, période où la maladie surgit, nature de la maladie (pronostic vital) et perturbations du cours de la vie qui continue et qui est plus ou moins bien vécue. L’adolescent ressent de l’insécurité, se plaint, devient exigeant. S’il voit ses parents angoissés, sa propre angoisse est décuplée et il peut présenter des troubles du comportement. La communication avec un ado malade n’est pas facile car il a un grand besoin de support affectif qui le rassure et le réconforte. L’hospitalisation est une épreuve de séparation et en cela réactive des mouvements régressifs, avec une prégnance de l’angoisse de mort. Dans le cas particulier de l’adolescent, elle pose la question de l’intimité qui est une nécessité absolue pour lui. L’espace personnel prend donc une grande importance dans l’espace d’un service. En effet, au cours de l’hospitalisation, le jeune est placé dans une situation et un endroit inconnus, ses forces physiques sont diminuées et il est dépendant d’adultes qui le soignent mais qu’il ne connaît pas. Il doit donc faire face à l’angoisse suscitée par la maladie et à celle consécutive à la séparation d’avec son milieu habituel, alors qu'il a perdu ses repères infantiles et qu'il doit trouver les nouveaux, le voici dans un climat appelant nécessairement à la régression infantile puisque infantilisant et très restrictif. La perte de repères et la perturbation du développement physique vont entraîner des questionnements sur tous les pans de son existence, passée, présente et à venir, d'autant qu'il aura besoin encore plus de se sentir exister notamment à travers l'autre. La simple interruption de la scolarité a des conséquences importantes car les processus de socialisation sont suspendus et l’adolescent perd tout un champ d’expérimentation de ses capacités d’autant qu’il interrompt ses relations avec les jeunes de son âge. Les problèmes psychologiques ne sont pas en rapport d’équivalence avec la gravité de la maladie ou du handicap. Même mineurs, ils peuvent causer de graves troubles psychologiques. C’est au contraire, la structure de la personnalité qui joue le rôle principal. On sait que des personnes qui peuvent vivre leur différence sans trop de conflits, acceptent plus facilement les restrictions qui lui sont inhérentes et cherchent à se rééquilibrer. À l’adolescence, le fantasme d’être fou ou anormal est omniprésent. La rencontre avec un psychiatre peut être ressentie comme dangereuse car risquant de renforcer les doutes narcissiques et de mettre à jour la souffrance. C'est une aide qui implique la reconnaissance d’une faille ou d’une incompétence. Ainsi faut-il toujours impliquer l'adolescent qui doit être partie prenante de toutes les décisions prises à son égard (il n'est plus un enfant et est capable d'exprimer ses angoisses, ses doutes, auxquelles il faudra répondre en engageant sa responsabilité). La rencontre doit représenter une occasion de parler de soi et d’être reconnu. Il est nécessaire de régler sans cesse la distance relationnelle avec l’ado afin de ne pas renforcer sa crainte de dépendance et ses demandes paradoxales, ni le caractère « obligatoire » de notre présence. Il s’agit de manier de façon tempérée présence-absence. Développement psychologique de l’enfant et de l’adolescent 6 8 4. Lutte des places à l'adolescence : le mythe du meurtre du père « Un Père c'est celui qui a le Phallus que la Mère n'a pas » dira Freud. Et par l'attrait du phallus (objet imaginaire symbole de toute-puissance), l'enfant se détournera de la mère pour s'identifier au père détenteur symbolique de l'objet imaginaire. Il sera alors fantasmé en Père toutpuissant (haï, craint et aimé) qu'incarnera le père de la réalité. Suivant Darwin, Freud nous dira que le Père tout-puissant c'est le père de la horde, (le Père Réel selon la terminologie lacanienne), celui qui, selon le mythe, jouissait de toutes les femmes excluant ainsi les fils jaloux. Ces-derniers voulant jouir aussi de cette toute-puissance tuèrent le Père qu'ils mangèrent pour incorporer son pouvoir. Mais ils n'avaient pas prévu que le Père mort serait plus féroce et plus puissant encore que de son vivant. En effet, ils incorporèrent également l'interdit autrefois édicté par le Père, et tel Caïn (qui veut dire « j'ai acquis ») poursuivit par l'oeil de son frère acquérant ainsi honte et culpabilité, ils furent rattrapés par ces affects qu'ils tentèrent de mettre à distance. Par peur de subir le même sort que celui qu'ils avaient imposé au Père, par honte et culpabilité d'avoir cédé sur leur désir de complétude, ils établirent La Loi. Un Totem-tabou représentant symbolique du Père fut érigé. Le tabou est le caractère sacré de ce qui, dès lors qu'il est ainsi qualifié, est marqué par l'interdit de le détruire ou d'en jouir. Ainsi est-ce l'interdit du meurtre (du Père), du cannibalisme et de l'inceste (la filiation est marquée par le Totem) qui fondent la civilisation. Il n'y a de père qu'avec la parole, c'est-à-dire que le père comme fonction doit exister dans le discours de la mère pour être opérant Nom-du-Père). La fonction paternelle consiste, nous l'avons déjà dit, à instaurer du tiers dans la relation mère – enfant par le langage. Puis pourront s'inscrire la différence des sexes et des générations. La mère alors manquante puisqu'elle désire, et désirante ailleurs qu'en lieu de l'enfant en accordant sa place au père, permet par la frustration provoquée chez l'enfant que celui-ci s'ouvre au monde social, culturel et cultuel, c’est-à-dire à d’autres univers que celui de la mère. L’autorité appelle à une relation intersubjective particulière : il y a un « édictant » et un « obéissant ». Le sujet ayant ou faisant autorité propose (et non impose) à un autre sujet de reconnaître cette autorité, de lui faire confiance, de la respecter et de lui obéir, selon les acceptions communes. L'autorité n'est telle que si elle est reconnue. Une soumission qui ne serait pas « librement consentie » ne reconnaîtra pas la légitimité de l'autorité mais convoquera l'instinct de survie... Ce qui viendra de cette autorité ne sera pas jugée comme fiable et ne saurait être intériorisée en Loi symbolique tentant de préserver quelque chose du sujet et de sa dynamique. L'autorité, selon diverses définitions est le droit et/ou le pouvoir d'obtenir, sans contrainte physique, une obéissance de l'autre dit « soumis ». L'autorité se conjugue donc selon des modalités interpersonnelles, inter et intrapsychiques. L'autorité, plus précisément la figure d'autorité, est chargée de faire respecter la loi. Si l'autoritarisme se fonde sur l'autorité, elle en est l'abus. Il s'agit dans ce cas non de proposer mais d'imposer. Plus de liberté pour l'autre d'obéir ou non, plus d'autre responsabilité que celle de ne plus en avoir. L'autorité aurait donc la nécessité d'autoriser. Autoriser c'est autant permettre, que de donner la possibilité ou encore faciliter. Le père-maître accorderait la père-mission à l'autre qui l'intégrera et sera donc à son tour garant de l'autorité. L'autorité aurait en charge d'autoriser l'autre à s'autoriser de lui-même, de le lui permettre en rendant cela possible et accessible. Il s'agira donc en autorisant, d'autoriser l'autre à être, garant, acteur... de lui-même. Acteur... celui qui acte, qui est la cause de son acte en y étant actif. L'acteur compose, crée, s'écrit, et cela il en est l'ayant droit et le garant.
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