Lycée Averroès l`arbre qui cache le desert (2)

« Institut AlAl-Qods » : Les « frères » rêventrêvent-ils de prier à Jérusalem ?
« L’Institut Al-Qods », comme son nom ne l’indique surtout pas, est un
établissement de l’UOIF pour permettre au public francophone intéressé - et surtout
fort intéressant pour l’expansion de la confrérie par la suite - la « découverte et la
compréhension de l’Islam », d’un certain islam bien sûr164.
Cet institut résulte de la « fusion » entre l’ancien « Institut Al-Imane », actif
depuis 1999 à la mosquée de Lille-Sud, connaissant quelques difficultés, et l’Institut
religieux du Centre Islamique de Villeneuve d’Ascq, nouvellement actif depuis peu
d’années. Le nom de l’institut n’est pas neutre : Al-Qods (‫)ا دس‬, qui veut dire :
Jérusalem en français, (Ûrshalîm).
L’ancien institut de Lille-Sud s’appelait Al-Imane (‫)ا ن‬, que l’on peut traduire
par le mot : la foi. L’emblème du nouvel « Institut Al-Qods » n’est autre que la
mosquée de Qubbat As-Sakhrah (‫رة‬
‫) ا‬, le « Dôme du Rocher », construite à
Jérusalem vers 692, sur « l’Esplanade des mosquées », le troisième lieu saint
musulman après la Mecque et Médine.
Pourquoi donc le choix de ce nom en particulier, et de cet emblème ? Puisqu’il
s’agit d’un institut de formation religieuse, officiellement purement religieuse,
pourquoi cette dénomination sociale ? Pourquoi cet emblème en particulier ?
Pourquoi avoir changé de « champ lexical » et avoir remplacé la dénomination AlImane (la foi) par une autre Al-Qods ? Quel est le rapport entre la formation religieuse,
purement religieuse, et Al-Qods ? Pourquoi ne pas avoir choisi le nom du premier ou
164
Ici, le dossier d’inscription ainsi que d’autres informations d’ordre général (objectifs, public visé, etc.) :
<http://www.mosqueelille.fr/images/stories/PDF/Dossier_inscription_Institut%20Qods%202014_2015.pdf>.
Ici, le programme pédagogique détaillé :
<http://www.mosqueelille.fr/images/stories/PDF/Programme_des_%20etudes_%202014-2015.pdf>.
Ici, le planning prévisionnel des formations 2014/2015 :
<http://www.mosqueelille.fr/images/stories/PDF/Calendrier%20Institut%20Qods%202014_2015.pdf>.
87
du deuxième lieu saint de l’islam : La Mecque ou Medine qui renvoient, naturellement,
vers les lieux où la troisième religion monothéiste est née ?
Quelques éléments de réponses seront exposés un peu plus loin. Mais déjà, on
peut mettre, comme simple hypothèse, cette dénomination en parallèle avec l’un des
59 objectifs du « Guide Educatif » confidentiel de la FOIE et de l’UOIF,
susmentionné, qui est pour le rappel : « permettre au musulman de bien comprendre
le projet sioniste et, plus spécifiquement, la question de la Palestine »165 : Tout est
dans le symbole, me dit-on !
Le spot publicitaire de cet institut ne néglige aucun détail pour exprimer une
appartenance, dire une identité et fredonner les mélodies mystérieuses d’un projet
obscur. Même le Nasheed - un chant religieux - arabe choisi, dont le titre traduit est :
« Lutte est le voyage d’une vie » [d’islamiste], est issu d’un album du chanteur
Hamoud Al-Khadr qui fait parti de la grande maison des « Frères Musulmans ». Ce
jeune « frère » chanteur est le beau-fils d’un autre grand « frère » stratège, très
intelligeant, très médiatique, Tareq Suwaidan, qui fût un temps, le directeur de la
chaîne satellitaire religieuse saoudienne Al-Ressalah, avant qu’il ne soit licencié, en
août 2013, par le prince saoudien Al Walid Ben Talal pour raison d’appartenance
confirmée, attestée et non démentie à la mouvance islamiste.166
C’est le même Tareq Suwaidan qui était l’invité « star » du 26ème congrès annuel
de l’UOIF au Bourget, du 10 au 13 avril 2009, et qui a tenu des propos similaires à
165
FOIE, années 2000, Guide Educatif de la FOIE, document secret, p.30.
D.B.A., 2013, Al Walid Ben Talal démet le directeur général de la chaine al-Ressalah de ses fonctions pour
appartenance aux Frères Musulmans (en arabe), Al-Quds Al-Arabi, 18/08/2013. A lire ici :
<http://www.alquds.co.uk/?p=75247>
166
88
ceux de l’ex-président de la FOIE, Chakib Benmakhlouf en mai 2008, sur les colonnes
du journal londonien susmentionné. Tareq Suwaidan, en pleine Paris, demandait aux
musulmans de France et d’Europe de redonner vie et de croire en cette prophétie du
Prophète Mohammad qui aurait annoncé, dans un hadith167, que la conquête de Rome
suivrait celle de Constantinople, survenue déjà le 29 mai 1453 par les troupes
ottomanes dans un bain de sang.168
Rome dans cette supposée prophétie, ne désignerait pas la ville, la capitale
italienne, là où siège le Saint-Siège Catholique. Rome désignerait plutôt le symbole
ancien d’un empire et d’une entité géopolitique révolue. Si l’on veut traduire cela en
langage politique actuel, Rome désignerait plutôt Bruxelles. D’ailleurs lorsque la
FOIE, vers la fin des années 2000 décida de déplacer son siège social de
l’Angleterre169 vers le vieux continent, elle n’a pas choisi Rome, elle a choisi
Bruxelles170, à « la rue de la Pacification » - tout un symbole ! - à moins de 2km de la
Commission Européenne, le cœur supposé du nouvel Empire Romain : l’Union
européenne.
167
Ce hadith cité dans les Sunanes d’Ahmed Ibn Hanbal (2/176) et dans d’autres recueils attribue au Prophète
un propos, répondant à la question d’un compagnon qui voulait savoir qui de Rome ou de Constantinople sera
conquise en premier, le Prophète aurait répondu, je cite : «C’est la ville d’Héraclius, c’est-à-dire Constantinople,
qui sera prise la première ».
168
Ce propos avait encouragé sept islamologues européens d’adresser une lettre commune au Vatican et au
gouvernement italien, le 19/10/2009, pour les avertir que les « Frères Musulmans » menacent Rome depuis la
France. Ici le texte de cette lettre :
<http://www.islamisation.fr/archive/2009/10/19/fa8892b89b4f3f4b4c5b1f6e137437f1.html>.
169
L’ancien siège social de la FOIE était à l’adresse postale suivante : FIOE, P.O. Box MAR005, Markfield,
Leicestershire LE67 9RY, United Kingdom.
170
L’actuelle adresse de la FOIE est : FOIE, 34 Rue de la Pacification, B-1210, Bruxelles, Belgique.
89
La contextualisation est tout un art du possible, et les « Frères Musulmans »
demeurent de redoutables artistes en la matière. Le Prophète l’aurait peut-être
annoncé, je n’y crois pas171.
Quatorze siècles plus tard les « frères » y croient fermement. Un « frère »
l’interprète ; le second la chante ; un troisième la politise ; et « l’Institut Al-Qods » de
Villeneuve d’Ascq s’y emploie, corps et âme, pour préparer les femmes et les
hommes aptes à la réaliser demain, ou peut-être, après demain.
L’institut est présidé par l’imam Ahmed Miktar, cadre UOIF, imam de la
mosquée de Villeneuve d’Ascq, président national de l’association des « Imams de
France », affilié à l’UOIF, etc. Presque tous ses enseignants/formateurs - 9
intervenants permanents, auxquels il faut rajouter d’autres conférenciers
occasionnels - font partie de l’UOIF. Deux ou trois personnes seulement ne le sont
pas pour l’instant, mais elles en restent très proches, tout de même.
Au moins trois formateurs permanents de « l’Institut Al-Qods » enseignent
toujours au « Collège-lycée Averroès » :
Mohamed Karrat - Docteur en mathématiques (en calcul probabiliste) président du Centre Islamique de Villeneuve d’Ascq, enseigne les mathématiques au
« Collège-Lycée Averroès » et est formateur incontournable à l’institut.
Soufiane Meziani enseigne l’éthique musulmane au lycée et commente la vie
du Prophète à l’institut ;
171
Au moins trois versets coraniques formels disent que Mohammed ne pouvait connaître les secrets du
monde invisible ou prédire l’avenir tel un devin. A lire par exemple ces passages : (Coran, 6, 50), (Coran, 7, 188)
et (Coran, 11, 31). L’expression arabe - lã a’alamou alghayb - (‫) أ م ا ب‬, que l’on peut traduire par : « je n’ai
aucune connaissance du monde invisible, de ses secrets et de ses mystères, passés, présents et à venir, sauf ce
que Dieu m’a révélé que vous connaissez déjà à travers le Coran ». Cette expression a été négligée et tenue
pour insignifiante par les exégèses traditionnelles et les traductions idéologiques qui considèrent qu’à la mort
du Prophète la révélation n’était pas complète et qu’il a fallu, deux siècles après sa mort la compléter par ladite
Sunna. Ce qui est en soi contraire à un autre texte clair et explicite, je cite : « Ce jour, j’ai complété pour vous
votre religion, et j’ai accompli ma grâce envers vous. J’agrée l’islam comme religion pour vous. » (Coran, 5, 3).
L’idéologie de conquête, depuis les Omeyyades, avait besoin d’autres textes pour légitimer ce Jihad offensif et
expansionniste. Les hadiths ont facilité la tâche et continuent à alimenter les idéologies du nécessaire pour
l’abrutissement de masse et la domination par un Coran et deux sabres. Par ailleurs, dans le Coran, il y a une
sourate - un chapitre - intitulé « Les Romains » (‫) ورة ا روم‬, qui ne parle pas de la conquête ou de la défaite des
romains mais plutôt de leur victoire. C’est l’un des exemples clair qui montre, premièrement, que Mohammed
ne pouvait prédire qu’à partir de ce qui est révélé au sein du Coran, c’est la révélation coranique qui l’informe,
lui ne fait que transmettre, ni plus, ni moins. Et deuxièmement, que les romains vont vaincre et non pas perdre.
Je cite ce passage : « Les Romains ont été vaincus dans la contrée voisine, et après leur défaite, ils seront les
vainqueurs, dans quelques années. La décision finale, aussi bien avant qu’après, appartient à Dieu, et ce jour-là
les croyants se réjouiront du secours de Dieu, qui accorde la victoire à qui Il veut, car Il est le Tout-Puissant, le
Tout-compatissant » (Coran, 30, 2-5). Ainsi le Coran évoque les Romains dans un contexte de victoire. L’UOIF et
les hadiths évoquent sous un angle de conquête et de soumission.
90
Abdelaziz El Magrouti est, à cheval aussi, entre « l’institut » et le « lycée » où il
enseigne (-ait) « l’éthique musulmane », etc.
Un quatrième, avait déjà enseigné « l’éthique musulmane », en 2008, au
« Collège-Lycée Averroès ». Il s’agit de Rachid Laamarti, architecte, administrateur de
l’UOIF, membre du collectif de la « Manif pour tous »172, prédicateur, et en plus
d’autres casquettes, il était surtout candidat aux dernières élections européennes du
25 mai 2014 !173
Ce notable de l’UOIF occupait, en effet, la 3ème position dans la liste présentée
dans la région « Nord Ouest », par le parti politique « Nous citoyens », créé par Denis
Peyre - un ex-exilé fiscal en Belgique, à en croire un article de Rue89174 - et présidé
par Jean-Marie Cavada175. La tête de liste était André-Paul Leclercq, membre de la
famille Mulliez, et qui est chargé de développer le réseau « Auchan » dans l’Europe
de l’Est176.
172
A visionner ici son intervention à « Grand Lille TV », quelques jours, avant la manifestation de Paris du
13/01/2013 : < https://www.youtube.com/watch?v=XPq1YmretRQ>.
173
Ici la profession de foi de la liste «Nous citoyens » du Nord-Ouest : < http://www.nouscitoyens.fr/wpcontent/uploads/2014/05/Circulaire_RV_NORD_OUEST.pdf>.
174
A lire ici : < http://rue89.nouvelobs.com/2013/08/16/citoyens-lancien-exile-fiscal-veut-creer-parti-societecivile-244943>.
175
A lire ici : < http://www.nouscitoyens.fr/le-mouvement-nous-citoyens/organisation-2/jean-marie-cavada/>.
176
A lire ici sur « La Voix du Nord » : < http://www.lavoixdunord.fr/politique/europeennes-decu-des-politiquesandre-paul-leclercq-ia130284b130285n2113965>.
91
Rachid Laamarti a mené à cette occasion « politique » une compagne électorale,
en bonne et due forme, auprès de la jeunesse, en particulier, qui gravite autour de la
mosquée de Lille-Sud. Une candidature s’intégrant dans une stratégie
communautaire supranationale de la FOIE. Légalement, il est en droit de se présenter
à toutes les élections politiques, mais encore faut-il être dans la cohérence d’un
certain discours ?!
Le voilà, quatre mois plus tard, enseignant de religion à « L’Institut AlQods » et toujours prédicateur dans les mosquées : Mélange de genres ? Conflit
d’intérêt ? Rachid Laamarti n’a pas été élu. Mais, la FOIE aurait déjà gagné - en
noyautant quelques listes - certains sièges au Parlement Européen, peut-être 1 ou 2
ou 3 ou 4 ou 5 sur un total de 751, mais peu importe. C’est un bon début. Dans 20
ans, l’on gagnerait certainement en efficacité, au nom d’une certaine prophétie. Si le
Prophète l’avait dit, c’est que c’est véridique !
92
La plaquette ci-avant donne une présentation, non exhaustive, des principaux
enseignants en précisant leurs autres liens avec le « Collège-Lycée Averroès », entre
autres.
Dans une autre plaquette de présentation de l’institut, officielle et publique,
téléchargeable sur Internet177, on peut découvrir les quelques 11 objectifs déclarés,
pour assurer, dit la plaquette, je cite : « une formation adaptée à vos besoins et à
notre contexte ».
Le public visé est composé, officiellement, d’adultes francophones. Et le but
est, je cite : « Notre programme vise à former une personnalité équilibrée d’un point
de vue intellectuel, spirituel, moral et social. Une personnalité animée par une foi
sincère, une pratique véridique, fière mais sans arrogance de son appartenance à
l’islam, qui se distingue par de nobles caractères, consciente de ses responsabilités et
désireuse d’œuvrer pour le bien de la communauté, de son pays et de l’humanité
toute entière » : Tout un programme, qui déborde visiblement du cadre purement
religieux !
Pour l’année en cours 2014/2015, l’institut propose un programme articulé
autour de 14 modules :
1- Foi et spiritualité ; (Par : Ahmed Miktar)
2- Ethique et Tazkiya : purification des âmes et éducation des cœurs ; (Par :
Abdelaziz Magrouti)
3- Fiqh (Niv. 1) (Jurisprudence) : pratique éclairée de l’Islam ; (Par : Abdelwaheb
Nbaheda)
4- Sîra (Niv. 1) : Vie du Prophète ; (Par : Sofiane Meziani)
5- Les quatre Khalifes : vie et enseignements … ; (Par : Saadia Bahmmouch)
6- Les fondements de base de l’Islam ; (Par : Mohamed Karrat)
7- Les 4 grands Imams : vie, enseignements, méthodologie juridiques … ; (Par :
Ahmed Miktar)
8- Etude du livre : « les 40 hadiths de Nawâwi » ; (Par : Slimane Mobarek)
9- Langue arabe ; (Par : Malik Ouahaalou)
177
A télécharger ici : <http://www.mosqueelille.fr/images/stories/PDF/Programme_des_%20etudes_%2020142015.pdf>.
93
10- Fiqh (Niv. 2) (Jurisprudence) : pratique éclairée de l’Islam (suite fiqh 1) ; (Par :
Abdelwaheb Nbaheda)
11- Sîra (Niv. 2) : figures célèbres de l’Islam (Hommes et femmes) ; (Par : Rachid
Laamarti)
12- Les fondements « approfondis » de l’Islam ; (Par : Ahmed Miktar)
13- Formation des cadres religieux ; (Par : Plusieurs intervenants)
14- Lecture et Psalmodie du Coran - Tajwîd. (Par : ???)
Lorsque l’on regarde attentivement le contenu des modules proposés, dans le
cadre de cette formation, et de plus près, (surtout les modules n° : 6, 11, 12 et 13) - et
hormis le fait que l’on est plutôt bien servi par une vision d’un certain islam sunnite,
asharite, orthodoxe, ritualiste, salafiste, et fidèle à une tradition jurisprudentielle,
plutôt anachronique, remontant à des centaines d’années - l’on est frappé tout de
même par trois choses :
Premièrement, la place du Coran dans l’ordre des modules enseignés. Au lieu que ce
ne soit la première place honorifique. C’est quand même le Coran. Celui-ci est
relégué en queue de peloton : à la dernière place. Relégable aujourd’hui, il risque de
« jouer » en ligue 2, la saison prochaine ! Pis encore, l’étude du Coran proposée
s’arrête au stade de la récitation, de la psalmodie, et de l’articulation des phonèmes
arabes. Comme si le Coran n’était qu’une compilation de notes musicales : Do-ré-mifa-so-la-si-do … Amen !
Deuxièmement, le mélange du genre manifeste constaté entre, d’un côté, les
connaissances théoriques et pratiques, des percepts dogmatiques, cultuels, spirituels
et jurisprudentiels d’un certain islam. Et de l’autre côté, l’intégration, au sein des
modules, de manière très explicite, des références à la pensée idéologique d’Hassan
Al Banna et de ses « frères ». Au moins une question mérite clarification : Veut-on
former, au sein de « l’Institut Al-Qods », des « musulmans » ou bien, ce que je
confirme, des cadres « Frères Musulmans » ?
Troisièmement, les modules faisant clairement référence à l’idéologie des « Frères
Musulmans » sont assurés par des cadres très influents au sein de l’UOIF : Mohamed
Karrat, recteur de la mosquée, professeur de mathématiques du « Collège-Lycée
Averroès » ; Ahmed Miktar, le chef des imams de l’UOIF ; Rachid Laamarti,
administrateur de l’UOIF et qui, en plus des éléments cités avant, était chargé, aussi,
de superviser l’action de la section lilloise des « Etudiants Musulmans de France »,
présente aux universités de Lille 1 et de Lille 3, en plus d’autres intervenants de la
mouvance islamiste. La nomination de ce dernier par la LIN pour reconstruire EMFLille, en y investissant, comme capital humain, des lauréats du « Collège-Lycée
94
Averroès », avait agacé, par ailleurs, d’autres « frères » qui portent le monde étudiant
dans leurs cœurs, depuis l’époque de l’Union Islamique des Etudiants de France
(UISEF) des années 1990, d’autant plus que Rachid Laamarti n’a aucune expérience
significative dans le militantisme étudiant.
Ainsi, Mohamed Karrat enseigne aux jeunes adultes francophones de l’institut
les « 20 principes pour comprendre l’islam », formulés et rédigés par : Hassan Al
Banna et expliqué par Al Qaradawi. Comment va-t-il expliquer aux jeunes et adultes,
en formation à l’institut, ce passage, par exemple, de ce livre, je cite : « … Par
exemple, la foi chrétienne est fondée sur des choses aussi illogiques
qu’incompréhensibles ; comment « trois » est égale à « un » ou comment « un » fait
« trois » ! Comment un repas se transforme-t-il, en devenant le corps du Christ …
C’est pour cela que le christianisme sépare la raison et la science de la croyance. Il
proclame : « Ferme tes yeux et suis-moi », « crois aveuglement »… »178 Je ne sais pas
si cela est vrai dans le cadre de l’Eglise, mais à l’UOIF : si !
Comment va-t-il leur expliquer cet autre passage, je cite : « L’imam Al Banna
démontra avec détermination que l’islam ne connaît aucune séparation entre le
religieux et le politique, que le Prophète était à la fois, le prophète, le guide spirituel
et le chef d’état … »179 ? Comment expliquera-t-il cette vision islamiste des choses qui
est en parfaite décalage, historique et épistémologique, avec la réalité française et
européenne ? Peut-être Rachid Laamarti, cet ancien candidat aux européennes 2014,
pourrait l’aider pour y répondre !
Aussi, je peux encore citer d’autres exemples dynamités et très
problématiques, comme ce passage d’Al Banna évoquant les quelques 5 causes
valables, selon lui, pour pouvoir excommunier légalement une personne de la
religion musulmane (!), je cite par exemple : « Si la personne a nié un élément
reconnu impératif et essentiel à la religion, connu aussi bien par les savants que par
178
Hassan Al Banna, 2004, 20 principes pour comprendre l’islam, traduction et commentaire Moncef Zenati,
Médiacom, p.234.
179
ibid., p.32.
95
le commun des musulmans. C’est un élément tellement connu qu’il n’a pas besoin
d’être argumenté, comme le caractère obligatoire de la prière, de la zakat, du jeûne,
du pèlerinage, le port du foulard, ou le caractère illicite de la fornication, de la
consommation du vin, des intérêts - bancaires - … »180. Ou cet autre passage : « Si la
personne interprète le Coran d’une façon que les règles de la langue arabe ne
peuvent le permettre en aucun cas »181, etc. Hallucinant !
Ces passages, comme bien d’autres, sont très dangereux surtout lorsque l’on
sait que l’excommunication rime, dans l’islam sunnite, basé essentiellement sur les
hadiths et les fatwas, avec la peine de mort, séparant, comme le fait l’état islamique, la
« tête » du « reste du corps » à coup de sabre ? Mohamed Karrat est-il conscient de la
dangerosité de propos comme ceux-là, enseigné à des jeunes adultes ?
Par ailleurs, Rachid Laamarti enseigne le module n° 11 concernant les figures
célèbres de l’Islam. En plus de certains compagnons, femmes du Prophète, califes,
quelques figures spirituelles, etc. Cet homme politique, par intermittence, propose
l’étude des biographies, entre autres, d’Ibn Taymiyya (1263 - 1328), d’Abou Hamid Al
Ghazali, d’Hassan Al Banna, etc. Et réserve un cours entier pour présenter ce que lui, et
sa confrérie, considèrent comme « savant contemporain » et comme « référence » :
Youssef Al Qaradawi. Mais, il ne faut surtout pas dire que l’UOIF a un quelconque lien
avec les « Frères Musulmans » : attention aux propos diffamatoires !
180
181
ibid., p.256.
ibid., p.257.
96
Un petit constat tout de même : Rachid Laamarti présente les biographies de
ceux, parmi les ancêtres - Ibn Taymiyya, Abou Hamid Al Ghazali - qui ont excommunié
des philosophes, comme Avicenne et Al-Fârâbî, mais ne présente pas la biographie
d’Averroès qui a rendu à la philosophe son honneur bafoué par Al-Ghazali. Comme
c’est étrange !
Quant à l’imam Ahmed Miktar, qui reçoit aussi les élèves du « Collège-Lycée
Averroès » au centre de Villeneuve d’Ascq et professe la « bonne parole » devant eux
de temps en temps, il s’occupe au sein de l’institut - en plus de sa fonction de premier
responsable - d’expliquer la foi, la croyance - la vraie ! Il s’occupe aussi de vulgariser
la jurisprudence des quatre écoles canoniques sunnites connues, ainsi que l’histoire
de cette jurisprudence. Mais le rôle de l’imam va encore au-delà. En fin d’année, en
mai et juin 2015 où il devrait traiter de la vie sociale et des mœurs à travers deux
axes :
Premier axe : Que signifie mon appartenance à l’islam ? (Définition,
conditions, nécessités). Pour les connaisseurs de l’idéologie frériste, cela leur
rappellera curieusement, le titre d’un livre qu’avait écrit Fathi Yakan, le secrétaire
général de la Jamaa Islamiyah, branche libanaise des « Frères Musulmans », entre 1962
et 1992182.
Deuxième axe : La présentation de l’islam, son obligation, ses fondements de
base et son fonctionnement. En fin de cursus, l’imam s’adresse donc à de nouveaux
porteurs de l’idéologie frériste, qui dès lors, auront l’obligation de transmettre l’islam
idéologisé de l’UOIF. Pour mieux les outiller davantage d’un point de vue
méthodologique, procédurier et langagier, « l’Institut Al-Qods » complète sa palette
de formation par 14 autres sujets qui seront traités lors de conférences et de
séminaires de formation intensive.
En une année, l’UOIF compte former une vingtaine de jeunes recrues, portant
le discours des « Frères Musulmans » et le diffusant, par devoir religieux, dans les
mosquées, au sein du « Lycée-Collège Averroès », dans les cercles fermés et dans la
société toute entière, au nom du devoir de prédication et pour qu’augmente le
nombre de marcheurs vers le cap défini. D’ailleurs, chaque année, l’institut
endoctrine 20 « frères » et « sœurs », idéologiquement, dans dix ans, ce seront 1.100
endoctrinés « Frères Musulmans » - je ne dirais pas comment j’ai trouvé cette
extrapolation probabiliste - qui arpenteront les pavés nordistes, non pas vers Paris,
mais vers le Tamkine !
182
Ici une brève présentation : <http://fr.wikipedia.org/wiki/Fathi_Yakan>.
97
Le plus inquiétant, c’est que « L’Institut Al-Qods », le « Collège-Lycée
Averroès », l’école d’arabe, l’école coranique, l’association EMF-Lille, et toutes les
autres satellites de la galaxie UOIF fonctionnent, comme par fatalité, en vasecommunicants avec un réel effet de siphonage. C’est le même tuyau serpentin qui
relie les bases des uns aux autres. Et tant que ce tuyau commun existe, toute
infirmation de toute absence de politisation et d’islamisation, à la base de l’une ou de
l’autre « vase », n’est que déni de la réalité.
En plus, lorsque l’on sait que des va-et-vient entre le lycée et l’institut sont
fréquents. Lorsque l’on sait que des professeurs du lycée sont aussi des agents
d’endoctrinement au sein de l’institut. Lorsque l’on sait que le lycée vient à la
rencontre de l’institut et de son premier responsable, et que, réciproquement,
l’institut s’invite et organise quelques-unes de ses activités dans les locaux mêmes du
« Collège-Lycée Averroès », ce discours disculpant et blanchissant ne tient plus.
Ici-bas, au Centre Islamique Culturel de Villeneuve d’Ascq, des élèves du
« Collège-Lycée Averroès », accompagnés par leur professeur d’ « Ethique
Musulmane », actuellement enseignant à « l’Institut Al-Qods », sont reçus par
l’imam Ahmed Miktar, en personne !
Ci-après, l’affiche publicitaire d’un séminaire d’une journée intitulé :
« L’équilibre du musulman au quotidien : Quels moyens ? », présenté par le cheikh
Mohamed Bajrafil et accompagné de l’imam Ahmed Miktar. Ce séminaire était prévu le
dimanche 11 janvier 2015. En haut de l’affiche, l’organisateur n’est autre que
« L’institut Al-Qods ». En bas de l’affiche le lieu est : Lycée Averroès, 65 rue de la
98
Prévoyance à Lille. Sur sa page Facebook, le 10 janvier, l’institut annonça son report à
une date ultérieure, en raison des attentats de Paris.
Par ailleurs, et pour l’anecdote, le 28 janvier 2015, sur sa page Facebook,
« L’Institut Al-Qods » annonça ce qu’il décrit comme, je cite :
« Belle initiative pour notre avenir proche … » !
- Mais de quelle initiative s’agissait-il, au juste ? Et de quel avenir proche ?
- En fait, il s’agissait de l’annonce, une affiche à l’appui, d’une journée découverte du
projet d’ouverture de l’école primaire privée musulmane « Al-Fitra », le samedi 31
janvier 2015 à 13h30. C’est la première école privée musulmane dans la métropole
lilloise, hébergée au sein de la mosquée Tawhid d’Halluin (cf. affiche ci-dessous).
99
L’on est en droit de s’interroger si « L’institut Al-Qods » ne voit-il pas déjà,
dans cette école primaire un quelconque terreau fertile et vierge pour assurer
davantage la relève pour le « Collège-Lycée Averroès », pour lui-même et pour tout
le reste ? Ne regarde-t-il pas d’un œil très intéressé, idéologiquement parlant, ces
bourgeons de la République, enfants de 6 à 10 ans, filles et garçons ? A-t-il déjà un
projet « idéologique » ludique pour les CP, les CE1, les CE2 … de cette école ? Seul
l’avenir nous le dira.
100
Et le « CollègeCollège-Lycée Averroès », Tamkine ou … pas Tamkine ?
Amar Lasfar dans le « rapport moral »183 précité, se félicitait d’avoir rendu
l’honneur aux filles et aux sœurs voilées, lorsque la République - la méchante
République - les a privées injustement de leur droit à porter le foulard au sein de
l’Ecole laïque. Avec le « Collège-Lycée Averroès », l’honneur est donc rendu ; le
sourire restitué. C’est exactement cet argument que les responsables du « CollègeLycée Averroès » avance devant les politiques, les médias, etc. La raison principale
officielle déclarée, c’est de vouloir corriger cette grave erreur républicaine. Mais,
qu’en est-il des vrais raisons ? Des vrais objectifs jamais dites, en tout cas pas en
français ? Du vrai but ultime ?
Pour répondre à ces questions, il faut, premièrement, être arabophone. Mais
cela ne suffit pas naturellement. Et deuxièmement, avoir entre les mains une
« petite » revue/plaquette de présentation du projet « Averroès », rédigée en arabe
presque littéraire par les responsables de « l’association Averroès », ceux qui dirigent
réellement le « Collège-Lycée Averroès », contenant seulement 8 pages, sans compter
la couverture qui comporte, elle aussi, quelques autres éléments susceptibles
d’apporter d’autres éclairages. Cette plaquette tirée seulement à quelques dizaines
d’exemplaires, était destinée principalement à des donateurs fortunés des pays du
Golf et du Moyen-Orient, ainsi qu’à d’autres organismes et établissements « Frères
Musulmans » d’Europe, entre autres.
Cette plaquette explique le projet en sept points :
Le premier, concerne la genèse historique, de la naissance même de l’idée de
créer un établissement scolaire privé musulman, dans une France laïque, presque
incompatible avec une ambiance islamique propre184.
Le deuxième explique l’expérience de l’enseignement scolaire, au sein de la
mosquée de Lille-Sud, qui ne date pas de 2003, la date de la création du « CollègeLycée Averroès », mais qui remonte à l’année scolaire 1994/1995, lorsque le ministre
de l’Education Nationale de l’époque - François Bayrou, ministre au sein du
gouvernement d’Alain Juppé - avait par décret ministériel, décider d’exclure
quelques 19 filles voilées des établissements publics. La plaquette raconte que la LIN
(la mosquée de Lille-Sud) avait porté ce slogan, je traduis: « La mosquée est ouverte
pour assurer l’enseignement des filles musulmanes exclues de l’enseignement
183
Bureau exécutif de la Ligue Islamique de Nord, 2005, Compte rendu général pour l’AGE, 9 pages.
Association Averroès, 2004-2005, Lycée Averroès : premier lycée islamique privé en France, revue
publicitaire, p.1.
184
101
public », ce qui a mobilisé plus de quarante professeurs volontaires pour accomplir
cette tâche.185
Le troisième, concerne les deux principales étapes du projet : Ouvrir le « Lycée
Averroès » au sein de la mosquée et ensuite, chercher un bâtiment convenable, en
dehors de la mosquée, pour des considérations matérielles et symboliques.186
Le quatrième, concerne les conditions d’inscriptions, mettant en évidence les
critères sévères adoptés dans le cadre d’une sélection des élèves sur dossier. Le lycée
visant l’élite, la sélection doit y contribuer en amont.187
Le cinquième, concerne le récapitulatif des matières enseignées ainsi que le
nombre d’heures prévues pour chaque discipline. En effet, l’on peut constater
objectivement que, par exemple, le volume hebdomadaire pour l’éducation civique
est de 30 minutes par semaine. Par ailleurs, pour l’enseignement de « l’éthique
185
Association Averroès, 2004-2005, Lycée Averroès : premier lycée islamique privé en France, revue
publicitaire, p.3.
186
Ibid., p.4-5.
187
Ibid., p.5.
102
musulmane », le volume horaire prévu est de 90 minutes, trois fois plus par rapport à
l’éducation civique188 !
Le sixième, concerne le budget prévisionnel des trois premières années et la
répartition des charges entre les salaires, l’équipement et l’entretien. Quant au
dernier point, il concerne le montant nécessaire pour l’équipement des laboratoires
des sciences physiques189.
Cependant, la chose la plus remarquable, à la lecture de ce document officiel,
est la formulation, un peu éclatée, en plusieurs morceaux, et sur diverses pages, de la
raison d’être principale du « Collège-Lycée Averroès ». Une vérité même éclatée reste
tout de même une vérité à constitué. Un peu comme les pièces d’un puzzle qui
s’imbriquent pour reconstituer l’image complète de la chose ou du paysage en
question.
En le relisant à plusieurs reprises, je suis en mesure désormais de formuler le
contexte général, les objectifs réels et le but ultime justifiant la création de cet
établissement d’enseignement privé musulman, en restant fidèle à la lettre et l’esprit
de la terminologie arabe utilisée par ses auteurs.
Ainsi, et loin de l’enfumage frériste habituel sur les antennes et dans les
colonnes des journaux, le « Collège-Lysée Averroès » a été créé non pas uniquement
pour riposter contre l’interdiction des signes ostensibles à l’Ecole laïque, mais c’est
bel et bien pour d’autres raisons. D’ailleurs, si demain la République abroge la loi
interdisant les signes religieux ostensibles à l’Ecole, la « Fédération de l’enseignement
privé musulman »190, créée sous l’égide de l’UOIF le 22 mars 2014, ne fermera pas ces
cinq établissements déjà en exploitation et ne reverra pas ses prétentions à la baisse,
loin de là.
En effet, selon cette plaquette, le projet du « Collège-Lycée Averroès », tout
comme les autres établissements, a été conçu dès le début, et dans un premier temps,
pour accompagner « l’installation devenue définitive de la communauté musulmane
sur le territoire français » : la notion de Tawtine de l’islam (‫م‬
‫ ) وط ن ا‬évoquée
précédemment.
Cela passe nécessairement par pouvoir permettre à la communauté et aux
familles musulmanes de confier, en partie, je cite « l’éducation de leurs enfants à un
établissement scolaire musulman où règne une ambiance islamique propre - en
rupture avec les nuisances éthiques d’une société permissive, ndlr - dominée par la
188
Ibid., p.6.
Ibid., p.7-8.
190
Huê Trinh Nguyên, 2014, La fédération de l’enseignement privé musulman fait sa première rentrée,
Saphirnews.com, 19/09/2014. A lire ici : < http://www.saphirnews.com/La-Federation-de-l-enseignementprive-musulman-fait-sa-premiere-rentree_a19673.html>.
189
103
morale et les bonnes mœurs »191. Jusqu’au là, la référence à l’affaire du voile
n’apparaît pas.
Ainsi, rajoute la plaquette : « les enfants apprendront le Coran, la langue arabe
et l’éthique musulmane à côté d’autres matières exigées telles que les langues, les
mathématiques, les sciences physiques, etc. »192. Par ailleurs, précisent les auteurs de
ce texte, la communauté musulmane a toujours rêvait d’avoir ces propres
établissements mais le coût très onéreux de construction et d’entretien de telles
structures rendait ce rêve difficile à atteindre193.
Cependant, lorsque « l’affaire du voile » éclata en France, précisent les
auteurs : « le fait de vouloir créer des établissements scolaires privés musulmans
n’était plus considérer comme étant un simple projet mais il est devenu une nécessité
vitale, incontournable et inévitable »194. Dans cette optique, « l’affaire du voile » n’est
pas « la » justification fondamentale de la création du lycée, elle ne serait, en réalité,
que le simple catalyseur, l’alibi, facilitant juste la promotion d’un tel projet au sein de
la communauté et permettant de collecter les fonds et de siphonner les poches.
La plaquette s’adressant à de riches donateurs « musulmans » ou « Frères
Musulmans », les rédacteurs précisait le contexte « religieux » de la création du lycée
au sein d’une région où l’islamisation progresse à merveille. Il est écrit, je
cite : « C’est dans le Nord de la France, où vivent un demi-million de musulmans
dont 50.000 dans la seule ville de Lille, où il y a aussi un peu plus de 100 mosquées
rendant l’appel à l’islam et la prédication plus efficace, que la Ligue Islamique du
Nord a décidé de présenter le projet de création d’un lycée musulman privé »195.
La plaquette dévoile ensuite deux raisons principales appuyant cette volonté :
« D’un côté, pour promouvoir, dans les milieux islamiques, une solution alternative à
la crise du voile à l’école »196, et, la plaquette rajoute, mot par mot : « mettre en place
un nouveau prototype éducatif musulman, rivalisant avec les écoles françaises, et
permettant de former, en son sein, des hommes musulmans et des femmes
musulmanes qui, le moment venu, permettront d’atteindre le Tamkine (‫ )ا ن‬pour
notre majestueux islam dans ces contrées »197 !
191
Association Averroès, 2004-2005, Lycée Averroès : premier lycée islamique privé en France, revue
publicitaire, p.1.
192
Ibid., p.1.
193
Ibid., p.1.
194
Ibid., p.2.
195
Association Averroès, 2004-2005, Lycée Averroès : premier lycée islamique privé en France, revue
publicitaire, p.2.
196
Ibid., p.2.
197
Ibid., p.2.
104
Plus encore, dans la quatrième partie du texte arabe de présentation du lycée,
les responsables expliquent la procédure de sélection, sur dossier, des nouveaux
candidats, ainsi que les critères rigoureux de choix portant, principalement, sur deux
aspects fondamentaux : les « aptitudes scientifiques »198 et les « qualités éthiques et
morales »199 des candidats, qui sont, à en croire le descriptif de la plaquette, tous
enfants de la communauté musulmane, exclusivement.
Cette sélection et ces critères de choix assumés, ou presque, se justifient, selon
les responsables, par, premièrement, je cite : « le défi majeur se dressant devant le
lycée pour prouver son aptitude et sa capacité à délivrer un enseignement de qualité.
Cela devrait se traduire par de bons résultats aux examens du baccalauréat »200. Là,
on est dans le court-terme pour pouvoir signer le contrat d’association avec l’Etat,
après cinq années d’existence et de bons résultats : C’est déjà acquis en 2008.
198
Ibid., p.5.
Ibid., p.5.
200
Ibid., p.5.
199
105
Mais l’objectif à long terme - non avoué par Amar Lasfar & Co - est le suivant,
je cite : « L’obligation du lycée à former et préparer une élite,
élite choisie parmi les
enfants de la communauté musulmane, pour qu’elle puisse occuper des postes
sensibles au sein de la société française comme : l’ordre des avocats, l’enseignement
supérieur, la médecine, les médias, etc. »201 !
Depuis 2008, le contribuable français paye, en ces temps de crise, un peu
moins de deux millions d’euros par an, pour le seul « Collège-Lycée
Lycée Averroès »,
finançant ainsi la formation
ation idéologisée d’une
une future élite communautariste,
communautariste portant
au plus haut sommet de la société française et de l’Etat l’idéologie des « Frères
Musulmans » et réalisant, peut-être,
peut
le Tamkine total et définitif.
Je ne présente pas ici ma lecture de la fiction « Soumission », mais il s’agit, bel
et bien, de la « vraie » vision à long terme des responsables
responsables de cet établissement, issu
i
d’un document officiel jamais évoqué publiquement. Il s’agit aussi de la même
« vraie » vision qui sous-tend
tend tous les projets en cours à l’UOIF,, dans le cadre de la
promotion de l’enseignement privé musulman, et surtout dans le cadre de sa
nouvelle « Fédération de l’enseignement privé musulman »,, agissant à l’échelle
nationale et prenant le « Collège-Lycée
Collège
Averroès » tel un prototype de promotion.
Que cela soit connu,
connu d’abords, des parents français « musulmans », dont
certains ont mis leurs enfants au « Collège-Lycée Averroès » juste parce qu’il affiche
de « bons résultats » au baccalauréat !
201
Ibid., p.5.
106
Que cela soit connu, ensuite, du contribuable, quelque soit sa tradition
religieuse ou philosophique : l’information est un droit citoyen indispensable pour la
survie de toute démocratie, qui se respecte, surtout en présence d’un « double
discours » ahurissant, fait de déni et de tromperie en bande très organisée !
Le but islamiste du Tamkine n’est plus à démontrer, à mon sens, d’un point de
vue théorique. Une toute petite partie de sa littérature obscure est maintenant rendue
publique à travers ce témoignage citoyen. Mais, comment l’idéologie de Tamkine
opère réellement au quotidien des élèves, pendant les cours et au sein de l’enceinte
même du « Collège-Lycée » ?
Car, il ne suffit pas d’écrire et décrire dans un document, en arabe, le paysage
« vert » de la « destination finale ». Il ne suffit pas non plus de former
pédagogiquement, éthiquement, excellemment, des élèves pour qu’ils portent, le
moment venu, le projet frériste. Il ne suffit pas - dans l’esprit des dirigeants - non
plus d’être aujourd’hui avec des élèves « musulmans » pour soutenir, plus tard, les
thèses des « Frères Musulmans ». Il faudrait mettre en place, en toute évidence,
d’autres suppléments, d’autres structures, d’autres discours et surtout d’autres
symboles forts d’identification identitaire et idéologique.
Cela commence d’abord par le choix des enseignants que l’on met devant les
élèves. Je ne m’attarderai pas à faire constater un fait incontestable : Nombreux
parmi les professeurs du « Collège-Lycée Averroès » sont des « Frères Musulmans »
affichés. Nombreux parmi eux cumulent des mandats, des responsabilités
associatives, des apparitions médiatiques, ici ou là et des prises de positions
clairement en phase avec les positions internationales de la confrérie.
Il y a aussi tous ces discours et prêches de vendredi solennels et structurants,
en dehors comme en dehors des murs de l’établissement, et développés aussi au sein
des activités de l’UOIF, aux cœurs de tous ses vases communicants, et toujours face
au même public, formé en partie, de familles d’élèves et d’élèves aussi.
D’ailleurs, un jeune élève qui a comme professeur de mathématiques par
exemple - représentant donc une certaine « autorité » éducative et pédagogique - un
imam prédicateur et membre de la confrérie - donc une certaine « autorité
religieuse », et qui assiste un vendredi saint, au prêche de ce même professeur, se
dressant, tout de blanc vêtu au dessus de son minbar pour analyser la « guerre de
Gaza » selon le prisme déformant des « Frères Musulmans », ce jeune élève aura-t-il
suffisamment de recul pour analyser, pour accepter ou rejeter, le discours qui y est
développé ? Je reviendrai sur ce cas de figure, dans un autre paragraphe.
Aussi, lorsque l’on sait que la majorité des professeurs, qui ce sont succédés au
« Collège-Lycée Averroès » pour professer la bonne parole des enseignements de
107
« l’éthique musulmane », sont à 95 %, si ce n’est plus, membres affichées de la
confrérie, depuis des années, ou adoptant son discours sans aucune réserve ou
nuance. Le doute quant aux contenus enseignés ne peut être que légitime.
A ma connaissance, depuis la création de cet établissement, me trompais-je,
ceux et celles, qui ont assuré la prédication pendant les heures hebdomadaires de
« l’éthique musulmane » - avec plus ou moins d’assiduité - œuvrent toutes et tous, ou
presque, pour l’ultime but du Tamkine à la manière de l’UOIF et de Tariq Ramadan.
On y trouve par exemple : Hassan Iquioussen202, Rachid Laamarti203, Fatiha
Ajbli204, Soufiane Meziani205, Abdelaziz El Magrouti206, etc. Les mêmes, ou presque, que
les jeunes élèves rencontreront « en illimité » à la mosquée, en forfaits soirs et weekends, ou écouteront « religieusement » lors de conférences et d’interventions,
diverses et variées, ici ou là.
Les quelques dizaines de minutes de « l’éthique musulmane », ne sont en
vérité qu’un simple « spot publicitaire », un avant goût idéologique, qu’offre le
« Collège-Lycée Averroès » à cette élite bien sélectionnée, pour la faire connaître de la
nouvelle génération.
Le travail de fond se fait progressivement à d’autres occasions et dans d’autres
« vases » : à la mosquée, sur Facebook, au « Rassemblement Annuel des Musulmans
du Nord » (RAMN), au « Rassemblement Annuel des Musulmans de France »
202
Jean-Philippe Bras et son équipe, 2010, L’enseignement de l’Islam dans les écoles coraniques, les institutions
de formation islamique et les écoles privées, rapport d’étude collégiale entre 09/2009 et 07/2010, IISMM,
EHESS, p.47. (Un rapport très riche en termes de données statistiques, de cartographie et d’approches
sociologiques des dynamiques de réislamisation par l’éducation, l’apprentissage et la diffusion des savoirs
religieux inhérents aux sensibilités agissantes dans les structures cultuelles musulmanes. L’aspect
« islamisation » ou « conquête du pouvoir », par le biais de l’éducation et de la formation religieuse, même si
l’UOIF, par exemple, est clairement identifié comme étant le vecteur « Frères Musulmans » en France)
203
Ibid., p.47.
204
Ibid., p.47.
205
Il enseigne actuellement au « Collège-Lycée Averroès ».
206
Il enseignait récemment au sein de l’établissement. Je ne peux confirmer sa présence. Avant 2007, il n’était
pas membre de l’UOIF. Il était plutôt connu pour son appartenance au courant apolitique Tabligh. Depuis, je ne
sais pas si un approchement significatif avec l’UOIF s’est opéré. Néanmoins, le mouvement Tabligh et l’UOIF se
trouve sur le même terrain commun des références théologiques et jurisprudentielles.
108
(RAMF), sur les antennes d’une radio communautaire tous les vendredis soirs, sur la
chaîne satellitaire IQRAA, sur Youtube, à « l’Institut Al-Qods », lors des visites
extérieurs et des voyages, etc.
Ainsi, il est établi que l’UOIF ne choisit que des poids lourds de la confrérie
pour assurer le discours idéologique pendant ces dizaines de minutes. L’on peut
facilement imaginer les agendas très chargés de ces personnes. L’on peut aussi
facilement supposer leurs occupations locales, nationales et même internationales
pour certains intervenants, et pourtant, ils sont appelés à répondre au devoir de
transmission d’une vision de l’humain et à prendre part à cette première expérience,
qui se réjouit déjà et se croit prometteuse et exemplaire.
Cette élite actuelle, donnant l’exemple d’une certaine réussite universitaire et
sociale, est composée de redoutables tribuns, maniant le verbe avec brillance et
insufflant les rudiments de l’idéologie frériste avec une relative prudence. D’ailleurs
S’il y a une matière qui est, par excellence, le cadre convenable pour diffuser
intelligemment, constamment, efficacement, à l’intérieur même du « Collège-Lycée
Averroès », l’idéologie des « Frères Musulmans », c’est bel et bien : « L’éthique
musulmane ».
Car l’idéologie frériste se définit comme étant une interprétation légitime de
l’islam. Difficile de voir la fine ligne entre l’interprétation et l’objet interprété, surtout
lorsque l’on est un jeune âgé de 10 et 17 ans. Raison pour laquelle la direction ne
lésine pas sur les moyens humains : C’est d’ailleurs, le b.a.-ba de toute politique
managériale efficace. Il suffit d’observer attentivement cette liste, non exhaustive par
ailleurs, pour comprendre l’enjeu majeur de cette matière au sein de l’ensemble des
enseignements délivrés. Quelques très rares exceptions pourraient exister. Mais
l’exception, n’est-elle pas la parfaite confirmation d’une certaine règle ?
Que l’enseignement du français, de l’anglais, de l’informatique ou des sciences
physiques soient assurés par un Eric ou un Ahmed, envoyés par le Rectorat, cela n’a
pas trop d’importance, même si l’on préfère tout de même que ce soit l’un des
« nôtres ». Mais « l’éthique musulmane » reste, et restera, une discipline sur laquelle
la souveraineté des « frères » ne peut être que totale et ne peut être sujet d’une
quelconque négociation. Et ça se comprend après tout.
Par ailleurs, les responsables du « Collège-Lycée Averroès » multiplient les
symboles d’appartenance à la confrérie internationale, à chaque occasion qui se
présente. En effet, après la signature du contrat d’association avec l’Etat207, le
vendredi 13 juin 2008 par Amar Lasfar, et le 16 juin par le Préfet de Région, l’équipe
207
Martine de Sauto, 2008, Pour la première fois un lycée musulman signe un contrat d’association avec l’Etat,
La Croix, 16/06/2008. A lire ici : < http://www.la-croix.com/Actualite/France/Pour-la-premiere-fois-un-lyceemusulman-signe-un-contrat-d-association-avec-l-Etat-_NG_-2008-06-16-672439#>.
109
d’Averroès organisa un dîner pour fêter, naturellement, cet événement majeur, le 4
juillet à la salle des fêtes « La Palmerais » à Lille. Selon une source, il y avait le staff
dirigeant de l’association et du lycée, des professeurs, des familles d’élèves et des
élèves. Il y avait aussi le premier adjoint de Martine Aubry, à la Mairie de Lille, et
d’autres invités et notables, parmi lesquels, Lhaj Thami Breze, président national de
l’UOIF à cette époque et … Ahmed Kadem El Rawi, d’origine irakienne, et qui fut
président de la FOIE. Qu’est-ce qui peut expliquer la présence de toutes ces sommités
françaises et européennes des « Frères Musulmans » à un dîner du « Collège-Lycée
Averroès » ? La réponse se trouve déjà dans la question.
Les responsables du « Collège-Lycée Averroès » vont encore plus loin dans
l’affichage de l’appartenance à un courant idéologique frériste. Et ce, en salle de
cours et devant les élèves. En effet, en 2012, ils ont même interrompu un cours de
« sciences physiques » - et non d’ « éthique musulmane » ! - pour permettre à une
sommité internationale frériste, très médiatisée, présente lors du congrès annuel de
l’UOIF au Bourget de la même année, de s’exprimer longtemps, devant des élèves
fascinés, et en présence d’autres visages connus de l’UOIF locale et de ses satellites,
en l’occurrence, l’ancêtre lillois de « l’Institut Al Qods ». Cette « sommité » est le
cheikh égyptien Omar Abdelkafi, interdit de résidence en Egypte et résident au moins
jusqu’à 2013 à Dubaï aux Emirats Arabes Unies, qui avait classé récemment les
« Frères Musulmans » et l’UOIF, entre autres, comme organisations terroristes.
Avant de relater l’intégralité de son discours devant les élèves du « CollègeLycée Averroès », publié dans une vidéo sur Youtube208, il serait utile de rappeler que
ce cheikh - qui est initialement de formation scientifique, selon ses dires, car il aurait
soutenu une thèse en chimie sur les insecticides avant de se réorienter vers les études
religieuses - et alors qu’il n’a jamais fait avancer la Science par aucune publication en
208
A visionner ici : < https://www.youtube.com/watch?v=SpPpWkjj-n8> Pour la trouver ci le lien ne fonctionne
pas taper cette expression arabe dans le champ de recherche : (‫) در ن ر د "! ل‬.
110
chimie, a publié, entre autres livres religieux, une « encyclopédie » explicative des
fameux hadiths,, supposés authentiques d’Al
d’ Bukhari. Mais quel exploit scientifique !
Ces hadiths sacralisés dont bon nombre parmi eux sont directement responsables des
pires atrocités commises désormais au nom de Dieu !
Ce cheikh, présenté
résenté aux élèves comme étant docteur en chimie appliquée au
domaine de l’agroalimentaire, fin connaisseur du pouvoir qu’ont les insecticides
pour la réduction et l’élimination des nuisances et des parasites, au lieu de mettre sa
Science expérimentale au service de l’élimination de toutess les substances
« religieuses » ou,, au moins, tenter de réduire les effets néfastes et destructeurs de
nombreux hadiths,, il a préféré vendre son âme à Al Bukhari et d’entretenir son
authentique « incubateur »,
» foncièrement nuisible. Au lieu d’ « éliminer » les
parasites, il préfère les nourrir. Au lieu de faire un pas civilisationnel géant en avant,
il préfère faire douze pas géants en arrière. Ainsi va tout le projet
pro
islamiste,
malheureusement.
D’ailleurs, Omar Abdelkafi,
Abd
sur la chaine émiratie As-Shariqa,, que l’on capte en
France via les paraboles, déclarait dans une interview « en direct », toujours
accessible sur Dailymotion209, au sujet du « voile » et en se basant sur un hadith dit
authentique, attribué au Prophète,
Prophè je cite le propos du cheikh : « … Je rappelle que
l’une des scènes que le Prophète Mohammad avait vue, lors du Voyage
V
nocturne,
rapportée dans des hadiths authentiques, des femmes suspendues par les cheveux.
cheveux Il
avait demandé à l’ange Gabriel : Ô Gabriel, qui sont-elles?
elles? Et l’ange de réponde : Ce
sont des femmes de ta nation. Elles laissaient voir leurs cheveux aux étrangers ! »
209
A visionner ici : <http://www.dailymotion.com/video/xf8zih_des
http://www.dailymotion.com/video/xf8zih_des-femmes-suspendues
suspendues-par-leurs-che_news>.
111
Omar Abdelkafi rajouta : « Cela veut dire que celle qui sort les cheveux découverts au
vu de tout le monde, celle-là aura commis un péché qui mérite le châtiment de la
tombe et le châtiment au jour du jugement dernier … » ! Ce cheikh, défendant de tels
discours moyenâgeux et ultra culpabilisant pour les jeunes filles et pour leurs
mamans, est venu jusqu’à Lille pour professer « sa » bonne parole face aux élèves
séparés, filles d’un côté, et les garçons de l’autre, du « Collège-Lycée Averroès », avec
la complicité intéressée et coupable des «frères » lillois. Qu’en pensent les parents ?
Qu’avait-il dit de plus intéressant qui exigeait d’interrompre un cours
obligatoire de « sciences physiques » ? Que l’on se rassure tout de suite, il n’a pas cité
ce hadith, il n’a pas parlé du « voile » dit islamique ni du - supposé - châtiment divin
réservé aux filles non-voilées. Les élèves, et leurs familles, se documenteront plus
tard et écouteront, peut-être, ses discours « religieux » sur la chaîne émiratie ou, en
accès libre, sur Internet. Car lui, comme d’autres visiteurs fréristes, savent ce qu’ils
disent et, dans la prudence, soignent la forme. Ce qui était visé c’est l’impact
psychologique et émotionnel que sa visite devrait susciter dans les esprits des jeunes
élèves. Avoir le privilège, de voir en vrai, et d’écouter une « star » frère musulmane
satellitaire, ce n’est pas donné à tout le monde !
Omar Abdelkafi parla en arabe et Amar Lasfar, en imam tout de blanc vêtu,
traduisait à sa façon très réductrice, son propos. La vidéo montre l’ambiance très
fraternelle de cette rencontre. Les garçons d’un côté et les filles, la plupart voilées, de
l’autre. De son propos, j’ai traduit ce passage : « Je considère les enfants musulmans
de la deuxième et troisième génération, ici en France, comme étant notre espoir qui
portera haut les valeurs humaines, que défendent les musulmans, les chrétiens et
bien d’autres hommes et femmes de foi. Vous allez nous honorez dans vos spécialités
respectives inchallah. »
112
Ensuite, il raconta cette anecdote, je traduis : « L’année dernière, à Dubaï, aux
Emirats Arabes Unies, l’ambassadeur japonais m’a rendu visite, chez moi, avec sa
famille. Il est d’ailleurs le seul ambassadeur japonais converti à l’islam et marié avec
une musulmane. Il a deux enfants, un garçon de 9 ans et une fille de 7 ans. J’ai voulu
savoir ce que compte devenir ses enfants lorsqu’ils seront adultes. Le garçon m’avait
dit qu’il souhaiterait rajouter quelques choses à la science moderne, surtout dans le
domaine des télécommunications. Quelque chose qui puisse changer la face du
Monde et réaliser un pas civilisationnel géant, encore plus géant que la situation de
notre monde actuel. Quant à la fille, elle m’avait dit qu’elle souhaiterait, une fois
grande, se spécialiser dans la génétique et dans le monde des chromosomes pour que
cessent ces opinions dégradantes considérant la femme musulmane comme étant
arriérée. Je veux que l’on dise qu’elle est universelle, scientifique et qu’elle sert la
cause de l’humanité en faisant le bien » !
A première vue, c’était un discours intelligent d’encouragement et suscitant
l’ambition. Mais lorsque l’on analyse les mots choisis, les expressions utilisées, et
l’exemple évoqué, surtout dans le cadre du « Collège-Lycée Averroès », l’on est tout
de même interpellé par des expressions comme : « vous êtes notre espoir », « vous
allez nous honorez », « converti à l’islam » ; « marié avec une musulmane » ;
« changer la face du Monde », « femme musulmane », etc. Tout cela habillé
habillement par une couverture d’un discours d’apparence sage et très agréable à
entendre. Ma mauvaise langue me dit qu’il montrait le cap du Tamkine visé. Quant le
sage montre le « croissant », les élèves intelligents, sélectionnés en amont, doivent
voir … le « croissant », et pas autres choses.
Un peu avant, ou après, cette visite, et peut-être même avant et après, des
élèves du lycée, surtout des filles, se sont rendues, durant les vacances d’été, avec
quelques adultes, aux Emirats Arabes Unies, à Dubaï. Ont-ils rencontré Omar
Abdelkafi ? Ont-ils rencontré d’autres « Frères Musulmans » ? Si c’était le cas, quels
types de discours ont-ils entendu ? J’avoue que je n’ai pas de réponse à cela. Je n’ai
qu’une photo attestant de ce voyage.
Il est clair que chaque personne est libre de voyager où elle veut et de
rencontrer qui elle veut. Mais lorsqu’un voyage est organisé dans le cadre d’un
établissement scolaire, même privé et sous contrat d’association avec l’Etat, quand
bien-même ce voyage serait organisé pendant les grandes vacances, il me semble que
l’Etat est en devoir de protéger les enfants de la République contre toute influence et
tout endoctrinement idéologique, rythmé par des réceptions complaisantes ici, et par
des pèlerinages de rattachement et de persuasion pernicieuse là-bas.
Que serait la position de tout un chacun, et de certains intellectuels en
particulier, si demain un établissement privé, géré par des intégristes religieux
113
d’extrême droite, organise un voyage en Autriche par exemple, et permet aux élèves
d’assister à un bal pangermaniste ? Si Marine Le Pen le fait, c’est son choix
idéologique affiché et assumé. Mais qu’un élève, mineur, y soit associé tout en
ignorant, à son âge, tout de l’histoire du pangermanisme et de sa réalité européenne,
cela sera sans doute perçu comme étant une grave atteinte aux droits des enfants.
Cela serait au moins scandaleux, humainement condamnable et judiciairement
réprimable !
Une chose est sûre, les enfants sont les proies privilégiées des islamistes. J’étais
moi-même endoctriné dès l’âge de 13 ans, j’en sais quelques choses. D’ailleurs, le 21
septembre 2014, le site African Manager publie un article sur le parti islamiste
Ennahda, la branche tuniseinne des « Frères Musulmans », intitulé : « Tel le serpent,
Ennahda fait sa mue sans changer ! »210, il explique, entre autres, la stratégie à long
terme, des « frères » tunisiens pour s’accaparer du pouvoir politique : Atteindre le
fameux Tamkine.
Pour corroborer son propos, il publie une vidéo enregistrée d’un débat,
presque à hui clos, entre deux « frères musulmans » : l’un égyptien et l’autre tunisien.
L’un est très enragé, l’autre est plus dans la stratégie calme et la patience en
210
Khaled Boumiza, 2014, Tunis : Tel le serpent Ennahdha fait sa mue sans changer !, African Manager,
21/09/2014. A lire ici : < http://www.africanmanager.com/172317.html?pmv_nid=1>. Une vidéo intégrée dans
cet article renvoie directement vers ce passage.
114
attendant le moment adéquat. C’est un peu le genre de profils que l’on trouve
partout. L’histoire du méchant et du gentil. Le cap est toujours le même mais les
chemins peuvent, parfois, se séparer pour se rejoindre à nouveau, et au plus vite.
L’égyptien - apôtre de l’excision des femmes - est une « star » satellitaire qui s’appelle
Wadjdi Ghoneim. Le tunisien est Abdelfattah Mourou, le cofondateur clandestinement
en 1973, avec Rached Ghannouchi de la Jamâa Al-Islamiya - qui par ailleurs alimenta
l’UOIF et la LIN par ces principaux leaders et notables, passés et présents.
Aujourd’hui, son Abdelfattah Mourou est le vice-président Rached Ghannouchi. Il est
aussi membre élu de « l’Assemblée des Représentants du Peuple », depuis octobre
2014. Il est surtout considéré comme un redoutable réformateur et un puissant
tacticien. Toujours dans la douceur : fermez les yeux, vous verrez mieux, dit-on !
Dans cette vidéo que l’on peut toujours visionner211, ce sont les propos du
réformateur, au sujet des enfants qui m’intéresse. Le « frère » Ghoneim est dans
l’immédiat et dans l’agitation frénétique. Le « frère » Mourou vise le cap. Pour
expliquer le fond de sa stratégie du Tamkine, tout en considérant ses adversaires
politiques, en majorité des laïques, comme étant ses ennemis, il a dit, je traduis :
« Ceux-là - parlant de ses adversaires laïques - sont nos ennemis. Et nous
savons qu’ils sont nos ennemis. Mais, il ne faudrait pas leur manifester une
quelconque hostilité apparente parce que, ceux que nous ciblons au fond, ce sont bel
et bien leurs enfants, leurs femmes, leurs petits-enfants. Nous ne nous voulons pas de
ces ennemis, nous voulons leurs enfants. Sais-tu cher monsieur, que nous avons
désormais leurs garçons et leurs filles en notre possession ? Notre objectif est
d’empêcher les enfants d’adopter les opinions de leurs parents, et avec l’aide de
211
Ici l’on peut visionner l’intégralité de la rencontre entre les deux hommes, environ 1h30 :
<https://www.youtube.com/watch?v=YHPzFLojO8M>.
115
Dieu, nous sommes en train d’atteindre cet objectif. »212 Ce réformateur voit les
choses de cette manière. Le changement islamiste de la société passe d’abord par
l’endoctrinement des enfants, des femmes et des petits-enfants.
Et Mourou de rajouter : « La prochaine étape s’annonce plus difficile encore.
Car avant, nous étions dans une phase très éprouvante, mais qui nous a permis toute
de même de ne pas baisser la garde et de gagner désormais. La phase de prospérité
qui est en cours risque de nous séduire davantage et peut causer notre relâchement.
En effet, la phase de prospérité apparaît comme une récompense mais en réalité, il
s’agirait plutôt d’une tribulation à laquelle il faudrait faire très attention. Aujourd’hui
nous sommes devant les portes du pouvoir, nous possédons déjà le Ministère de
l’Education, le Ministère de l’Enseignement Supérieur, le Ministère de la Justice, le
Ministère de la Santé, etc. »213 Ainsi, l’on peut regretter que la « Révolution du
Jasmin » déboucha, pour l’instant, sur une accélération dans la marche du Tamkine
« doux ». Y compris les moyens et les institutions de l’Etat tunisien laïque sont
désormais mis à contribution, activement.
Les stratégies du Tamkine se ressemblent que l’on soit en Tunisie, en Egypte,
en Mauritanie, en Belgique ou en France. L’un des points communs, le plus
inquiétant, à mon sens, c’est le fait de considérer l’enfance « musulmane » comme
une propriété privée, que l’on peut façonner, à la manière des « Frères Musulmans »
pour accélérer la marche vers le pouvoir ultime et la domination totale, au nom de
Dieu. Des enfants innocents assimilés à du « charbon » à bruler pour produire la
« vapeur » nécessaire, permettant à la « mécanique » du Tamkine de faire avancer la
« locomotive » frériste vers la « destination finale ».
Quel « crime » aurait commis cette enfance et cette jeunesse, issues de familles
musulmanes, déjà sujettes à de nombreuses inégalités sociales, économiques et
territoriales, pour qu’elles soient, en plus, instrumentalisées, manipulées, matin, midi
et soir, jour et nuit, pendant le temps scolaire et durant les vacances, pour servir et
s’asservir à un tel projet islamiste inhumain et immoral ? Quel crime ? Les parents en
ont-ils exprimés leurs consentements ?
Doit-on, au nom d’une sacralité supposé d’un projet politicien, fermer les
yeux, laisser sacrifier les rêves de centaines d’enfants sur un autel idéologique ? Peuton, en toute conscience des conséquences réelles, laisser ces enfants entre les mains
des islamistes et les condamner à l’emprisonnement, à vie, et dès le bas-âge, dans les
mailles du filet frériste ? Simples questions !
212
213
Ibid.
Ibid.
116
Avant de passer au paragraphe suivant, je suggère aux parents d’élèves, aux
éducateurs, aux enseignants et aux autres soutiens inconditionnels du « CollègeLycée Averroès » de prendre, humblement, un temps de méditation, en ces citations
historiques tirées de deux livres précieux, qui m’accompagnent et éclairent les
sombres zones de mon être et de mon chemin spirituel.
Janusz Korczak (1878 - 1942), fut juif polonais, médecin, éducateur et écrivain
visionnaire. Ce père spirituel des « Droits de l’enfant », ce géant entré dans l’Histoire
de l’Humanité le 6 août 1942 en sacrifiant sa vie au milieu de 200 enfants juifs de son
orphelinat, déportés et assassinés au camp d’extermination nazi de Treblinka. Il avait
accompagné ses enfants durant leurs vies. Il a refusé de les abandonner dans le
ghetto de Varsovie. Vivant, il avait coulé l’encre de sa plume pour défendre leur
cause sacrée. Il est assassiné pour cette même cause, avec eux. Que la Paix et la
Miséricorde de Dieu soient avec lui et « ses » centaines d’enfants, là où ils sont.
Comment ce Prophète humaniste voyait le devoir de l’éducateur ? Dans son
livre « Le droit de l’enfant au respect », il dit, je cite :
« Nous - [parlant des éducateurs et des enseignants] - sommes les gardiens des
murs et du mobilier scolaires, du silence dans la cour, de la propreté des oreilles et
du sol. Des bergers veillant à ce que leur troupeau ne provoque pas de dégâts, ne
dérange pas les adultes. Des intendants responsables des culottes courtes râpées et
des chaussures éculées. Des mesquins gestionnaires chargés du partage des repas.
Nous écoulons nos lots de craintes et de mises en garde. Nous débitons une
morale de pacotille. Nous faisons l’article d’un savoir dénaturé qui intimide,
embrume les esprits et les endort, au lieu de les éveiller, de les nourrir et de les
rendre heureux. Courtiers d’une vertu bon marché, nous avons pour mission
117
d’imposer aux enfants les notions de respect et d’humilité et nous devons attendrir
les adultes, flatter leurs bons sentiments. En récompense d’un maigre salaire, il nous
faut construire un avenir solide, en taisant le fait que les enfants sont un nombre, une
volonté, une force et un droit.
Le médecin peut arracher l’enfant à la mort. Le devoir de l’éducateur est de
laisser vivre cet enfant et de lui garantir le droit à être ce qu’il est »214 !
Un autre « Prophète », décrit par Gibran Khalil Gibran (1883 - 1931), répondait à
une femme, qui tenait un nouveau-né contre son sein, et qui demandait de savoir ce
qu’il pensait des « enfants ». Le Prophète dit :
« Vos enfants ne sont pas vos enfants.
Ils sont les fils et les filles du désir de la Vie pour elle-même.
Ils passent par vous mais ne viennent pas de vous.
Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.
Vous pouvez leurs donner votre amour mais pas vos pensées, car ils ont leurs
propres pensées.
Vous pouvez loger leurs corps mais pas leurs âmes, car leurs âmes habitent la maison
de demain, que vous ne pouvez visiter, même pas en rêve.
Vous pouvez vous efforcer d’être semblables à eux, mais ne cherchez pas à les rendre
semblables à vous, car la vie ne revient pas en arrière et ne s’attarde pas avec le
passé.
Vous êtes les arcs à partir desquels vos enfants, tels des flèches vivantes sont lancés.
L’Archer vise la cible sur la trajectoire de l’infini, et Il vous courbe de toutes ses
forces afin que les flèches soient rapides et leur portée lointaine.
Puisse votre courbure dans la main de l’Archer être pour l’allégresse, car de même
qu’Il chérit la flèche en son envol, Il aime l’arc aussi en sa stabilité »215 !
Les parents d’élèves feront-ils le choix du « désir de la Vie pour elle-même »
ou du désir des islamistes pour le Tamkine ? Entre la Vie et les islamistes, le choix, me
semble-t-il, n’est pas difficile à faire. Il faut juste le décider, en âme et conscience.
214
215
Janusz Korczak, 2012, Le droit de l’enfant au respect, éditions Fabert, p.50-51.
Gibran, 1992, Le Prophète, folio classique, p. 38-39.
118
Averroès, descenddescend-t-il du singe ?
A en croire Tariq Ramadan, dans son dernier livre précité, la réponse est : Oui.
J’examinerai et analyserai la position de l’UOIF et de la LIN, un peu plus bas. En
effet, selon ce « réformateur genevois », la « Théorie de l’évolution des espèces »,
proposée par Charles Darwin (1809 - 1882), serait compatible avec ce que lui appelle
« la tradition musulmane », prenant ainsi un grand risque de considérer comme
communément « vrai » une illusion optique, et d’essentialiser une réalité qui
n’existerait, en vérité, que dans sa propre tradition chimérique.
Tariq Ramadan dit : « … la théorie de l’évolution des espèces proposée par
Darwin est souvent mise en opposition à l’acte créateur tel qu’il est conçu dans la
tradition chrétienne. La tradition musulmane ne rejette pas, quant à elle, une telle
théorie, puisqu’on retrouve dans certains textes cette idée d’évolution des espèces ;
elle est tout à fait admise sans remettre pour autant en cause une création spécifique
de l’être humain à un moment donné de cette évolution … »216
Sur 221 pages, Tariq Ramadan tranche cette question en seulement 11 lignes et
laisse supposé, sciemment, que Darwin pose problème plutôt aux chrétiens et non
pas aux musulmans. Et puis rien, strictement rien. Ils parlent de certains textes mais
il ne les cite pas. Toujours fidèle à sa manière habituelle d’éviter les questions qui
fâchent. En fait, vraiment, « au péril des idées », ça sera pour quand ? Vraiment.
Il oublie, au passage, de préciser que la position officielle de l’Eglise
Catholique, comparé à celle de la majorité des savants musulmans, ne cesse
d’évoluer dans le sens d’une acceptation de la théorie de l’évolution, comme une
explication plus que sérieuse de l’origine des espèces. Et ce, au moins, depuis le Pape
Pie XII.
216
Tariq Ramadan, 2014, De l’islam et des musulmans, Presses du Châtelet, p. 28.
119
En effet, dans l’Encyclique Humani Generis, datant du 12 août 1950, on peut lire
ce premier passage d’ouverture : « … C’est pourquoi le magistère de l’Eglise
n’interdit pas que la doctrine de l’évolution, dans la mesure où elle cherche l’origine
du corps humain à partir d’une matière déjà existante et vivante - car la foi
catholique nous ordonne de maintenir la création immédiate des âmes par Dieu - soit
l’objet, dans l’état actuel des sciences et de la théologie d’enquêtes et de débats entre
les savants de l’un et de l’autre parti : il faut pourtant que les raisons de chaque
opinion, celle des partisans comme celles des adversaires, soient pesées et jugées avec
le sérieux, la modération et la retenue qui s’imposent … »217 Déjà en 1950 : une
première ouverture !
Il oublie aussi de mentionner la position du Pape Jean Paul II, le 22 octobre
1996, quarante six ans plus tard, devant l’Académie Pontificale des Sciences où il
était question de l’origine de la vie et de l’évolution. Jean Paul II appela les
académiciens à tirer profit d’un dialogue fécond entre l’Eglise et la Science, en
évoquant le fait que, selon lui, la « vérité » - religieuse - ne peut pas contredire
l’autre « vérité » - scientifique.
Après avoir fait référence à son prédécesseur et son propos d’ouverture et de
cadrage dans l’Encyclique précitée, en citant quelques passages, surtout dans lequel
son prédécesseur considérait « l’évolutionnisme » comme une hypothèse, Jean Paul II
dit clairement, je cite :
« Aujourd’hui, près d’un demi siècle après la parution de l’Encyclique, de
nouvelles connaissances conduisent à reconnaître dans la théorie de l’évolution plus
qu’une hypothèse. Il est en effet remarquable que cette théorie se soit
progressivement imposée à l’esprit des chercheurs, à la suite d’une série de
découvertes faites dans diverses disciplines du savoir. La convergence, nullement
recherchée ou provoquée, des résultats de travaux menés indépendamment les unes
des autres, constitue par elle-même un argument significatif en faveur de cette
théorie »218 !
Jean Paul II évoqua même l’idée qu’il faudrait plutôt parler « des théories de
l’évolution » au pluriel, plus que de « la théorie de l’évolution » au singulier. Ensuite,
il développa une autre idée de différenciation, de nature, entre deux mondes, entre
deux sphères, entre deux niveaux d’exploration et d’observations : le matériel (corps)
et le spirituel (l’âme/l’esprit). Ainsi, il rappela cette réflexion du Pape Pie XII : « si le
corps humain tient son origine de la matière vivante qui lui préexiste, l’âme spirituel
217
Pape Pie XII, 1950, Encyclique Humani Generis, Libreria Editrice Vaticana. A lire l’intégralité ici :
<http://w2.vatican.va/content/pius-xii/fr/encyclicals/documents/hf_p-xii_enc_12081950_humanigeneris.html>.
218
Pape Jean-Paul II, 1996, Discours devant l’Académie Pontificale des sciences, 22/10/1996. A lire ici :
<http://www.hominides.com/html/theories/jean_paul_evolution.php>.
120
est immédiatement créée par Dieu »219. Et ce, pour introduire son concept du « saut
ontologique »220 : ce moment du passage du « matériel » au « spirituel », ou comme le
définit l’Abbé Pierre - dans son livre avec Fréderic Lenoir « Mon Dieu …
pourquoi ? » - comme étant « l’apparition de la conscience humaine et de la capacité
de symbolisation qui est le propre de l’homme »221.
En effet, il dit : « En conséquence, les théories de l’évolution qui, en fonction
des philosophies qui les inspirent, considèrent l’esprit comme émergeant des forces
de la matière vivante ou comme un simple épiphénomène de cette matière, sont
incompatibles avec la vérité de l’homme. Elles sont d’ailleurs incapables de fonder la
dignité de la personne. »222 Cependant, il rajoute : « Avec l’homme, nous nous
trouvons donc devant une différence d’ordre ontologique, devant un saut
ontologique, pourrait-on dire. Mais poser une telle discontinuité ontologique, n’estce pas aller à l’encontre de cette continuité physique qui semble être comme le fil
conducteur des recherches sur l’évolution, et cela dès le plan de la physique et de la
chimie ? »223
La question, ainsi formulée et posée, montre à quel point, au sein de l’Eglise
Catholique, il y a bel et bien, depuis des décennies, une dynamique de réflexion
religieuse et philosophique et aussi une volonté de réconcilier Religion et Science,
tout en précisant que si l’évolution du « corps » (dimension matérielle) relève du
savoir physique, l’ « âme/esprit » (passage au spirituel) ne peut faire l’objet d’une
étude ou d’une observation physique, même s’il est possible de déceler,
expérimentalement, quelques signes précieux révélant la spécificité de l’humain, ce
« saut ontologique » devrait plutôt être penser dans le cadre d’une réflexion
philosophique et théologique. Jean Paul II finit son discours par rappeler ce verset :
219
Ibid.
Ibid.
221
Abbé Pierre avec Frédéric Lenoir, 2005, Mon Dieu … pourquoi ?, Plon, p. 60-61.
222
Pape Jean-Paul II, ibid.
223
Pape Jean-Paul II, ibid.
220
121
« Ce n’est pas de pain seul que vivra l’homme, mais de toute parole qui sort de la
bouche de Dieu »224.
En septembre 2008, l’Eglise Anglicane anglaise a fini par s’excuser pour avoir
rejeté la « Théorie de l’évolution » de Darwin225. En mars 2009, dans le cadre de
l’université pontificale grégorienne, l’Eglise Catholique organisa un colloque sur
l’évolution darwinienne à l’occasion du 150ème anniversaire de la parution du livre de
Charles Darwin. Le débat au sein des Eglises chrétiennes continue toujours et les
convergences se multiplient vers plus de reconnaissance de la crédibilité d’une telle
théorie et, peut-être de sa nécessité même pour la foi.
Qu’en-est-il maintenant de « la tradition musulmane » essentialisée dans le
propos de Tariq Ramadan ? Y-a-t-il un début d’acceptation de l’évolutionnisme dans
« la » sphère musulmane qui par ailleurs reste plurielle et cosmopolite ? Comment se
porte l’évolutionnisme dans les pays arabo-musulmans ? L’évolutionnisme est-il
communément admis au sein de cette tradition comme le laisse entendre Tariq
Ramadan ?
En l’absence, naturellement, de réponses définitives à ce genre de questions
difficiles, voire existentielles, je rappellerai simplement, ci-après quelques faits,
quelques chiffres et quelques résultats d’études sociologiques avant de tenter une
analyse du « cytoplasme » islamiste dans lequel baigne le « Collège-Lycée Averroès »
et d’essayer de « décrypter » quelques informations contenues dans son « ADN ».
Sous l’intitulé : « Monde Musulman, faut-il brûler Darwin ? »226,
l’hebdomadaire Courrier International, dans son numéro de fin mars 2009, publia
224
Pape Jean-Paul II, ibid.
François Clarac (Neurobiologiste au CNRS), 2009, Jean-Baptiste, Charles Darwin et théorie de l’évolution.
Texte à lire ici : < http://academie.sla.mars.free.fr/memoire35.html>.
226
Hamza Al-Mizaini et Haluk Sahin, 2009, Faut-il brûler Darwin ?, Courrier International, 26-31/03/2009,
n°960, p.29. Ici la version numérique, l’accès nécessite l’abonnement :
<http://www.courrierinternational.com/magazine/2009/960-drole-de-pape>.
225
122
deux articles au sujet de l’évolutionnisme, l’un paru dans le quotidien libéral
saoudien Al-Watan et l’autre paru dans le quotidien turc Radikal.
Le journaliste du quotidien saoudien, Hamza Al-Mizaini, regrettait le silence
assourdissant dans le monde arabo-musulman, quant à la célébration du 200ème
anniversaire de la naissance de Darwin. Aucune publication, pas de colloques, pas
d’événements, pas de célébration, juste le silence ou, pire, la rhétorique religieuse
fondamentaliste de condamnation de Darwin et de sa théorie. Alors que, en dehors
de ce monde arabo-musulman, les célébrations, les articles, les conférences se
multipliaient partout, y compris au sein des sphères religieuses. Il dit : « Alors que
nous plongeons dans l’ignorance, le Vatican organise une conférence sur Darwin et
Galilée »227. Avant de rajouter : « Au même moment, les musulmans adoptent
l’attitude inverse et reprennent le discours des fondamentalistes protestants, dont les
écrits sont étonnamment bien diffusé dans le monde arabe. Le paradoxe c’est qu’on a
toujours affirmé que l’islam est compatible avec la science … »228 Etonnant !
Pour l’anecdote, une vidéo circule sur les réseaux sociaux, montrant un
prédicateur saoudien Bandar Al-Khaybari, expliquant que « la Terre ne tourne pas, elle
est immobile » en évoquant des textes sacrés et même des raisons très
« raisonnables ». Pour démontrer la crédibilité de sa théorie, il donne cet exemple, en
schématisant le mouvement de l’avion par sa main gauche, se déplaçant au-dessus
d’un goblet qui représenta la Terre. Il explique : « Si nous prenions l'avion pour partir
en Chine, une fois l’avion prend son envol, nous tournerions en avion pendant que la
Terre tournerait elle aussi, en même temps que nous ? Nous ne pourrions donc
jamais atteindre la Chine, ni dans un sens, ni dans l’autre. »229 Ce prédicateur,
commenta le magasine Marianne : « Il pense sans doute qu’elle - la Terre - lui
ressemble, parce que dans sa tête, ça tourne vraiment pas rond. »230
Personnellement, je pense vraiment que ce religieux saoudien fait un pas
géant, même s’il a la tête dans un goblet, comparé à ses semblables. Il est même en
avance de dix siècles par rapport à d’autres qui restent coincés au VII siècle. En 2015,
il est entrain d’analyser, enfin, des modèles astronomiques datant du début du XVII
siècle - Galilée fut sa découverte majeure vers l’an 1610. Peut-être un jour vers l’an
2200, l’un de ses disciples examinerait l’évolutionnisme de Darwin. L’espoir est
permis. Que l’optimisme soit.
Dans le deuxième article du Courrier International, le journaliste turc - la
Turquie étant une république laïque à la différence de l’Arabie Saoudite - regretta la
227
Hamza Al-Mizaini, ibid.
Hamza Al-Mizaini, ibid.
229
Vidéo accessible ici : < http://www.dailymotion.com/video/x2hj6jj_cheikh-al-bandar-khaibari-le-soleiltourne-autour-de-la-terre-vostfr_news?start=6>.
230
Ça tourne pas rond, Marianne, 27/02 au 5/03/2013, n°932, p.25.
228
123
censure de la théorie de l’évolution par des responsables et par des scientifiques qui
se sont transformés en redoutables censeurs. Il dressa deux tableaux parallèles. Le
premier d’un monde occidental qui célèbre Darwin au point que l’UNESCO a fait de
l’année 2009 l’année Darwin et que des Eglises participèrent à ces célébrations. Le
deuxième, celui d’un monde musulman, où religieux et scientifiques ne prêtent
aucune attention à l’importance de cette théorie, et à la Science en général, et ne
ménagent aucun effort pour la combattre, encourageant des fanatiques pour imposer
la régression comme seule modèle de société, promouvoir les thèses créationnistes
les plus aberrantes et continuer à expliquer le phénomène gravitationnel par le
battement des ailes des anges et les canicules estivales, accrochez-vous, par
l’ouverture des portes de l’Enfer, selon un hadith authentique.
On rapporte, qu’en début 2009 en Turquie : « le vice-président du Conseil de
la Recherche Scientifique et Technologique turc, qui édite le magazine Science et
Technique, a demandé la suppression d’un article de 16 pages consacré à Darwin »
parmi tant d’autres cas de censure habituels et banalisés.
D’ailleurs, c’était à partir de la Turquie même qu’un certain pseudonyme
Harun Yahya - Adnan Oktar de son vrai nom, se réclamant de l’islam sunnite - avait
envoyé en 2006 une encyclopédie créationniste aux - L’Atlas de la création »231 établissements scolaires français et à d’autres personnalités. Certaines universités
américaines avaient reçu cette même encyclopédie en 2007.
Dans le cadre d’une enquête récente sur l’acceptation de la théorie de Darwin
dans 34 pays du Monde, incluant la Turquie comme pays musulman et laïque. On a
proposé cet énoncé aux personnes interrogées : « Les êtres humains comme on les
connaît se sont développés à partir d’espèces animales antérieures »232. Le résultat :
seulement 25% des turcs étaient d’accord avec cette proposition233. Aux Etats-Unis, ce
chiffre atteint 40% 234, sachant que le créationnisme protestant y avait prospéré avec
la complicité de l’administration Bush. Il y prospère toujours.
La revue mensuelle « La Recherche » publia, en mai 2009 un article de Salman
Hameed : « La montée du créationnisme musulman », où il évoquait, entre autres, les
résultats d’une étude sociologique analysant les comportements religieux dans des
pays musulmans : Indonésie, Pakistan, Egypte, Malaisie, Turquie et Kazakhstan.
Cette étude comportait, entre autres, une question sur l’évolution darwinienne
comme idée scientifique contredisant une conviction religieuse. On a posé une
231
Adnan Oktar, 2006, L’Atlas de la création, Editions Global, Vol.1 (901 p.) & Vol.2 (779 p.).
Salman Hammed, 2009, La montée du créationnisme musulman, La Recherche : l’actualité des sciences, mai
2009, n°430, p.56. Ici l’article en accès gratuit : < http://www.larecherche.fr/savoirs/evolution/montee-ducreationnisme-musulman-01-05-2009-87651>.
233
Ibid.
234
Salman Hammed, ibid.
232
124
question directe en ces termes : « Êtes-vous d’accord ou non avec la théorie de
l’évolution établie par Darwin ? » 235
Les résultats de cette étude montre que : « Seuls 16% des Indonésiens, 14% des
Pakistanais, 8% d’Egyptiens, 11% des Malaisiens et 22% de Turcs pensent que la
théorie de Darwin est vraie, ou probablement vraie. »236 C’est au Kazakhstan, une
ancienne république soviétique, que l’on trouve un résultat très différent des autres
pays étudiés : seulement 28% de Kazakhs pensent que la théorie de l’évolution est
fausse237. A préciser tout de même que le Kazakhstan est le pays le plus petit en
terme de population de confession musulmane : seulement douze million et demi,
alors que l’Indonésie comptabilise presque 205 millions de musulmans, le Pakistan
178 millions, l’Egypte 80 millions, la Turquie presque 75 millions et la Malaisie 17
millions.238
Salman Hameed conclut en disant que : « Ces résultat dresse un tableau
déprimant. »239 Selon l’auteur « la question concernant l’évolution reste fortement
liée à la manière dont est comprise la notion d’évolution par les personnes
interrogées. »240 L’évolution darwinienne est très vite confondue avec l’athéisme et
donc considérée comme une vraie menace pour la religion.
D’ailleurs, à la lecture de l’Encyclique de 1950, du Pape Pie XII, il y a un
passage en particulier, qui décrivait les craintes de l’Eglise Catholique face à la
théorie de l’évolution et surtout face à ce postulat « moniste et panthéiste d’un
unique tout fatalement soumis à l’évolution continue »241. Je cite : « … Or, très
précisément, c’est de ce postulat que se servent les partisans du communisme pour
faire triompher et propager leur matérialisme dialectique dans le but d’arracher des
âmes toute idée de Dieu. »242 La théorie de l’évolution était donc assimilée, y
compris, par l’Eglise romaine en 1950, au matérialisme dialectique marxiste ambiant
et au risque de mettre en dehors du « bercail du Christ »243 toute une génération de
fidèles qui seraient, à cause de l’évolutionnisme, tentés par l’athéisme. La même
rhétorique est désormais reprise dans de nombreux milieux musulmans et islamistes.
Dans le même article de « La Recherche », d’autres résultats issus d’autres
études sont mis en perspective. Par exemple, une étude canadienne montre que sur
235
Ibid.
Ibid.
237
Ibid.
238
Statistiques issues de Wikipédia à consulter ici :
<http://fr.wikipedia.org/wiki/Nombre_de_musulmans_par_pays>.
239
Salman Hammed, ibid.
240
Ibid.
241
Pape Pie XII, ibid.
242
Pape Pie XII, ibid.
243
Ibid.
236
125
une population de 18 professeurs Pakistanais des Sciences : 14 sur 18 acceptaient
relativement l’idée de l’évolution des organismes. Mais 15 sur 18 rejetaient
l’évolution des êtres humains244.
Dans le même sillage, dans une étude sur 25 étudiants musulmans, venants
principalement de la Turquie et du Maroc pour poursuivre leurs études aux PaysBas, la plupart d’entre eux acceptaient le principe de la « microévolution » - évolution
à l’intérieur d’une même espèce - et tous, ou presque, rejetaient la « macroévolution »
- évolution, mutation ou saut biologique d’une espèce à l’autre.
La notion de « tradition musulmane » essentialisée par Tariq Ramadan ainsi
que son affirmation que le problème est plutôt posé à la tradition chrétienne
semblent en parfait décalage avec une certaine réalité sociologique, culturelle,
universitaire et religieuse, que démontrent désormais ces faits et chiffres. De quelle
« tradition » parlait-il ?
Cependant, il est à noter qu’au sein même des sociétés arabo-musulmanes, et
depuis maintenant quelques décennies, on assiste de temps en temps, à la parution
de travaux intéressants et prometteurs, accompagnés, naturellement, de contestation
et de condamnation exprimées par les milieux islamistes. Des travaux qui peuvent
faire évoluer les mentalités au sujet de « l’évolution ».
Certes ces travaux ne reflètent guère une dynamique, ou un mouvement de
masse, qui pourrait accréditer une telle affirmation ramadanienne. Mais ces travaux
deviennent petit-à-petit accessibles à une minorité, somme toute très isolée de la
société, qui a toujours le goût des livres et qui sacralise le verbe « lire ».
D’ailleurs, les résultats d’une étude récente menée dans certains pays arabes,
concernant le rapport à la lecture, montre que sur les 1440 minutes journalières, les
libanais consacrent seulement 10 minutes pour la lecture, les égyptiens 9 minutes, les
marocains 7 minutes, les saoudiens 6 minutes et les tunisiens 5 minutes.245
En tête, des livres lus dans tous les pays sondés, arrive le Coran. Au Maroc et
en Arabie Saoudite se sont les livres des recettes (cuisine) qui arrivent en seconde
position. Pour les autres pays, ce sont les livres de poésie et les livres d’histoire qui
talonnent le Coran246. Le public s’intéressant aux études sérieuses sur l’évolution, et
sur d’autres aspects du progrès de la Science et de la Société, reste très minoritaire et
souvent incapable, financièrement, à suivre les nouveautés et à investir sur le terrain
neurologique : les prix des livres restent sensiblement chers, si l’on tient compte du
pouvoir d’achat et du revenu moyen dans ces pays.
244
Salman Hammed, ibid.
Les résultats de cette étude sont publiés ici en arabe : < http://ribatalkoutoub.com/?p=234>.
246
Ibid.
245
126
Néanmoins, ces travaux peuvent, à un moment donné de la « mutation » tant
attendue des sociétés arabo-musulmanes, constituer une bonne base théorique pour
mieux comprendre le processus de l’évolution et son caractère inoffensif vis-à-vis de
la foi en général, et de la foi musulmane en particulier. Une conciliation entre Science
et Religion, sur de bases solides, à la lumière de ce qu’avait entrepris déjà Averroès à
son époque, demeure une hypothèse sérieuse et souhaitable.
Pour n’évoquer que quelques exemples de la période contemporaine :
En 1990, l’islamologue syrien Muhammad Shahrour, posa les fondations - car il
est aussi ingénieur génie civiliste - de sa nouvelle approche exégétique du Coran. Il
publia son premier ouvrage : « le Livre et le Coran : une lecture contemporaine »247.
Parmi les éléments méthodologiques de son approche, il y a cette proposition basée
sur d’anciens travaux linguistiques s’intéressant au « mot », comme unité lexicale,
qui a son identité et son histoire personnelle, et qui signifie quelque chose de bien
particulier, dans un usage linguistique bien particulier, et dans un contexte social et
historique bien particulier aussi. De là, je résume un peu trop, il affirme que le texte
révélé est de nature bien précise et, de ce fait, ne fait pas usage, en son sein, des
synonymes248. L’auteur considère que chaque « mot » subit un processus d’évolution
et doit, à chaque époque, choisir entre deux options : soit de disparaître purement et
simplement, comme de nombreux mots anciens que l’on utilise plus. Soit de
continuer d’exister en enrichissant son ancienne signification par l’ajout d’une
nouvelle signification qui n’annule pas l’ancienne mais qui lui donne juste davantage
d’épaisseur. 249
Pour simplifier, au risque de trahir le sens indiqué par l’auteur, chaque mot
utilisé aurait une signification propre à lui et que l’on ne peut remplacer, dans un
verset, un terme par son synonyme sans changer le contenu et la signification du
texte. Ainsi des termes comme le « Livre » et le « Coran » paraissent en langage
courant comme étant synonymes. Pour l’islamologue, ils ne le sont pas dans la
structure sémantique des textes révélés. Le « père » ne peut remplacer le mot
« géniteur » par exemple, etc.
Dans ce cadre là, et en lien avec la théorie de l’évolution, Muhammad Shahrour
considère que dans le champ sémantique de la révélation les mots arabes « Bashar »
(‫ ) ر‬et «Insãn » (‫ ن‬$‫ )إ‬ne sont pas synonymes. Chaque mot a sa propre signification,
chaque mot est utilisé pour désigner quelque chose de très spécifique. L’un ne peut
remplacer l’autre. L’erreur selon l’islamologue serait d’effacer ces nuances qui vont
247
Muhammad Shahrour, 1990, le Livre et le Coran : une lecture contemporaine, éditions al-Ahali, 823 pages.
Ibid., p. 22-23.
249
Ibid., p. 44.
248
127
au-delà de simples nuances sémantiques car elles renvoient à des réalités historiques
et structurelles majeurs que l’on ne doit ignorer, en aucun cas.
Cela peut conduire à une compréhension erronée de la « signification » du
texte - au sens d’Abou Zayd. Le problème est encore amplifié lorsque l’on passe de
l’arabe au français. Le mot « Bashar » et «Insãn » sont traduits par le terme « homme »
ou parfois « humain ». Deux concepts différents, mais une seule traduction qui efface
et essentialise : cherchez l’erreur !
Cela peut être vérifié par exemple dans deux versets, parmi tant d’autres, qui
parlent de la création. Le verset 71 de la sourate 38 (Sãd) où le texte arabe emploie le
terme « Bashar » (‫ ; ) ر‬et le verset 1 de la sourate 76 (Al-Insãn) où le texte arabe
emploie le terme «Insãn » (‫ ن‬$‫)إ‬. J’ai vérifié les traductions en français sur, au moins
quatre supports de traduction : Muhammad Hamidoullah250 ; Kasimirski251 ; Mohammed
Chiadmi252 préfacé par Tariq Ramadan ; et la traduction selon l’ordre chronologique de
Sami Aldeeb Abu-Sahlieh253. Tous ont traduit les deux termes différents, utilisés en
arabe par, un seul mot - « homme » ou « humain » ou « espèce humaine » - en sousentendant qu’ils soient synonymes et interchangeables dans le texte. La chose
devienne sérieuse lorsque l’on sait que l’islamologue Muhammad Shahrour, en suivant
les traces de ces deux termes arabes au sain du Livre révélé, et en les regroupant et
recoupant dans une étude passionnante, il a fini par leur donner deux significations
remarquables et très intéressantes.
250
Muhammad Hamidoullah, Le Saint Coran : traduction en langue française du sens de ses versets, édition de
la Présidence Générale de DRSIIPOR, Arabie Saoudite.
251
Kasimirski, 2006, Le Coran, Brodard & Taupin, 672 pages.
252
Mohammed Chiadmi, 2005, Le Noble Coran : nouvelle traduction française du sens des ses versets, édition
Tawhid, 760 pages.
253
Sami Aldeeb Abu-Sahlieh, 2008, Le Coran : texte arabe et traduction française par ordre chronologique selon
l’Azhar, Editions de l’Aire, 580 pages.
128
Ainsi le terme « Bashar » (‫ ) ر‬exprime et décrit, dans un premier temps, une
existence physiologique d’un être vivant, parmi d’autres êtres vivants, qui a subit un
processus évolutionniste et une succession d’amélioration et de perfectionnement,
sur une longue histoire, comme tous les autres êtres vivants. Le mot « Bashar » revoie,
dans un deuxième temps, à cette dimension matérielle, corporelle qui a besoin de se
nourrir, de se vêtir, de se protéger contre le froid, etc. D’autres renvois sont à
consulter dans son ouvrage avec plus de détails et d’explications.254
Par ailleurs, le terme «Insãn » (‫ ن‬$‫ )إ‬exprime et définit un être vivant
sélectionné parmi la communauté des « Bashar » pour recevoir le souffle de Dieu :
« l’âme ».255 Là aussi, dans le champ lexical de Muhammad Shahrour « l’âme » ne veut
pas dire le souffle de la vie. Être vivant mais sans « âme » et tout à fait concevable de
son point de vue. Certains disent déjà : Comment est-il concevable et logique de
souffler la vie - au sens biologique du terme - dans un organisme déjà vivant ?
« L’âme » (‫)ا روح‬, dans son usage coranique, selon l’islamologue, voudrait dire
deux choses : La Connaissance ( "‫ )ا 'ر‬et la Législation (( ‫)ا ر‬256. Elle ne voudrait pas
dire la « vie » au sens biologique du terme. Dans cette logique, Adam n’est pas le
premier « Bashar » mais il est le premier «Insãn ». Le souffle de Dieu arriva après une
longue période d’évolution matérielle et de perfectionnement de l’appareil
neurologique et des organes produisant le son et le langage. C’est au moment que la
perfection a atteint un seuil critique que le souffle de Dieu fut intervenu pour
apporter à ce « Bashar » évolué, « l’âme » faite de Connaissance et de Législations,
pour assumer, en toute conscience, son rôle de «Insãn » : un humain parmi des
humains.
D’ailleurs, le premier verset de la sourate 76 (Al-Insãn) dit : « Est-il venu sur
l’humain un moment de temps où il n’était même pas une chose
mentionnable ? »257. Ce moment de temps que veut-il dire ?
Ce serait cette longue histoire, dont il est question peut-être, durant laquelle le
« Bashar » menait une existence matérielle évolutive mais sans conscience de ce qu’il
est : sans « âme ». L’humain deviendrait « mentionnable » dès qu’il aurait reçu le
souffle, la connaissance et les règles morales et législatives définissant le bien et le
mal, entre autres.
Ainsi, pour l’islamologue le « chaînon manquant » dans la théorie de
l’évolution serait, peut-être, ce souffle là. Cela s’approche un peu du concept du
254
Muhammad Shahrour, ibid., p.280-298.
Ibid.
256
Ibid., p.298-310.
257
Coran, 76, 1.
255
129
« saut ontologique » tel qu’il a été expliqué par le Pape Jean Paul II en 1996.
L’islamologue formule dans aussi quatre équations258 :
« Bashar » + « âme » = «Insãn » (l’humain)
« Bashar » = Existence objective (matérielle/physique)
« Âme » = Existence subjective (consciente/connaissante/métaphysique)
«Insãn » (l’humain) = Existence objective + Existence subjective
En Egypte en 1998, sur un autre registre dont seulement l’une des conclusions
est similaire à une des conclusions de Muhammad Shahrour. L’universitaire
Abdessabour Chahine, issu des « Frères Musulmans » - qui était par ailleurs à l’origine
de l’éclatement médiatico-politico-judiciaire de « l’affaire » de Nasr Hamid Abou Zayd
- avait publié un livre intitulé : « Adam, mon père : L’histoire de la création entre le
mythe et la vérité ! »259 ( * ‫ طورة و ا‬+‫ن ا‬
‫ا‬
: ‫)أ ! آدم‬. Un livre qui s’inscrit selon
son auteur dans un combat pour purger l’héritage musulman des influences
israélites.
Ce livre avait plutôt une visée idéologique et politique, si ce n’était
géopolitique : ou comment influencer la « géographie » des textes religieux pour
influencer celle du contexte politique. L’auteur inscrivait son travail dans une
démarche clairement antijuif, antisioniste et le considérait comme étant une sorte de
Jihad intellectuel contre le colonisateur sioniste qui, avant de coloniser la terre de la
Palestine, avait déjà colonisé les textes et les références religieuses musulmanes, selon
ses dires260. Il a voulu mener le combat contre certains hadiths - c’était tout de même
courageux venant d’un idéologue frériste - qui reprenaient la vision biblique de la
258
Lire cet article arabe résumant sa pensée à ce sujet, ici
<http://www.liberaldemocraticpartyofiraq.com/serendipity/index.php?/archives/499-1-..html>
259
Abdessabour Chahine, 1998, Abi Adam, Ed. al-Rawafid al-Thqafiyyah, 191 pages.
260
Abdessabour Chahine, ibid, p.19-24.
130
création du Monde. Je ne sais pas si le « sionisme » représentait une quelconque
réalité historique à l’époque de l’écriture de ces références - il y a un peu plus de 12
siècles ?
Quant aux influences, dans un sens comme dans l’autre, cela s’avèrent
aujourd’hui plus qu’une hypothèse crédible du simple fait que la communauté juive
était très présente à Médine, et plus globalement en Arabie, bien avant l’avènement du
Prophète Mohammad. Et que certains rabbins se sont convertis à l’islam et avaient
enseignaient des connaissances, diverses et variées, à des compagnons, comme le
fameux Abou Hourayra261. Les contacts et les échanges entre communautés juive et
musulmane n’est pas à mettre en doute. C’est un fait historique incontestable.
Cependant, faire un travail sur les textes pour chercher la cohérence et
comprendre les origines de certaines incohérences, supposées ou flagrantes, avec un
texte et son esprit, est une chose. Produire un écrit pour, je cite : « … mener un Jihad
obligatoire à tous les niveaux (militairement, moralement, intellectuellement,
médiatiquement, …) contre l’invasion israélienne au cœur de notre monde arabe, en
Palestine. Il nous faudra anéantir ces agresseurs avant qu’ils nous anéantissent. Ils
sont venus à notre pays en assassins et assassinés. Nous serons avec la volonté de
Dieu, leurs assassins et ils seront les assassinés jusqu’à ce que nous les dirigerons
vers le camp de détention en Enfer. »262 Cela est une autre chose, qui risque de
discréditer toute la démarche de recherche et d’analyse. Ne dit-on pas que « les actes
ne valent que par les intentions »263 ?
Ce qui m‘intéresse, dans cet ouvrage, au-delà de son introduction assurément
antijuive, est l’une de ses conclusions ressemblant curieusement à celle, publiée 8 ans
auparavant, par Muhammad Shahrour : Adam n’est pas le père des « Bachar » mais le
père des « Insãn ». Chaque «Insãn » est nécessairement « Bashar » mais chaque
« Bashar » n’est pas forcément un «Insãn »264. Mis à part cette conclusion, qui
représente somme toute une légère « évolution » dans une pensée « frériste » fixiste.
L’effort de l’auteur était porté sur le fait que le « Bachar » n’a pas évolué d’une autre
espèce. Il a livré une bataille contre la théorie de l’évolution. Il s’agit tout de même
d’un début, d’une petite ouverture qui pourrait « évoluer », qui sait ? Après quelques
milliers d’années.
Par ailleurs, deux chercheurs soudanais, deux frères de sang, un résident à
Londres et l’autre à Khartoum ; le premier est médecin et s’appelle Imad Mohamed
Babker Hassan ; l’autre est ingénieur et s’appelle Alaeddine Babker Hassan ; ils
261
Mohamed LOUIZI, 2008, Il était une fois un inféodé sur le chemin de Damas, Etude, format PDF à télécharger
ici : < http://mlouizi.l.m.f.unblog.fr/files/2009/07/iltaitunefoisuninfodsurlechemindedamas.pdf>.
262
Abdessabour Chahine, ibid, p.19-24.
263
Il s’agit du hadith qu’un frère musulman apprend lorsqu’il rejoint la mouvance islamiste.
264
Abdessabour Chahine, ibid., p. 93 et p. 120-121.
131
publièrent en 2007 un livre en arabe, intitulé : « Les oreilles des bestiaux : étude
coranique et scientifique de la théorie de Darwin dans la création et l’évolution »265
(‫ظر دارو ن "! ا ق و ا طور‬$
$‫ درا رآ‬: ‫' م‬$+‫)آذان ا‬.
Interpellés par de nombreux passages coraniques comme celui-ci, relatant le
dialogue entre le prophète Noé et son peuple, avant le déluge : « Qu’avez-vous à ne
pas espérer de la révérence envers Dieu, alors qu’Il vous a créés par
phases successives ? »266.
S’inspirant, entre autres, des travaux sur des concepts terminologiques
formulés par Muhammad Shahrour. Ainsi que par d’autres concepts paraissant, par
ailleurs, dans une récente exégèse267 du Coran, datant de 2004, publiée par une
référence religieuse « ex-frère musulmane » soudanaise, homme politique très
célèbre : Hassan Al- Tourabi. Parmi ces concepts, on trouve cette différentiation entre
deux verbes d’actions. Le premier est le verbe arabe « khalqa » (‫ ) ق‬: que l’on peut
traduire par « créer quelque chose qui n’existait pas avant ». Le deuxième est le verbe
arabe «Ja’ala »268 (‫'ل‬/) : que l’on peut traduire par « spécifier la fonction d’une
créature déjà existante ». Les auteurs, après avoir rassemblé et analysé tous les
versets mentionnant les deux autres concepts de « Bashar » (‫ ) ر‬et de « Insãn » (‫ ن‬$‫)إ‬
susmentionnés, ont déduit que le « Bashar » - ou son ancêtre lointain - a été « créé ».
Quant au « Insãn », il a été sélectionné et choisi à une certaine phase de l’évolution et
Dieu lui spécifia ses fonctions.
265
Imad Mohamed & Hassan Alaeddine Babker Hassan, 2007, Les Oreilles des bestiaux, Edition Dãr Wa’ad, 607
pages.
266
Coran, 71, 13-14.
267
Hassan Al- Tourabi, 2004, al-Tafssir al-Tawhidi (‫ ر ا و* دي‬1 ), Edition Dãr al-Saqi, Vol.1, 942 pages.
268
Lire aussi : Hassan Al- Tourabi, ibid., p.61.
132
Ces chercheurs tentent de théoriser l’évolution de l’intérieur même du texte
coranique. Il s’agit d’une approche originale et bien structurée mais qui n’a pas
encore bénéficié - à ma connaissance - d’un intérêt particulier ou d’un examen
académique par des officiels, des scientifiques ou des intellectuels, tel que Tariq
Ramadan. Il s’agit aussi de la part des auteurs de vouloir concilier, en se basant sur
une approche interprétative respectable, la foi musulmane avec les données
scientifiques connues jusqu’à nos jours : un peu dans la droite ligne de l’esprit
Averroès !
A l’aide de schémas, ils ont essayé de montrer les correspondances entre
l’évolution dans son aspect matériel et scientifique connu ; et l’évolution selon un
autre regard parallèle, animé conjointement par une foi coranique et par une
démarche scientifique rigoureuse. Je n’ai pas l’impression qu’ils essayent de
réconcilier les contraires. Après, libre à chacun de tirer les conclusions qui lui
semblent pertinentes. Parmi ces schémas, j’ai traduit de l’arabe celui-ci, on y ajoutant
les textes en couleurs « vert » et « bleu » ainsi que des flèches, pour faciliter la
lecture :
133
Maintenant, qu’en est-il de la réalité franco-musulmane ? Qu’en est-il de la
position de l’UOIF, de la LIN et de leurs satellites ?
« Le Coran, la Bible et la théorie de l’évolution » est le titre d’un débat
contradictoire et passionnant organisé le 28 octobre 2012 à la Maison de la Chimie à
Paris, en collaboration entre l’Université Interdisciplinaire de Paris (l’UIP),
l’Association Science de la Nature (ASN) et le site Oumma.com. Les organisateurs
ont invités évolutionnistes et d’autres antiévolutionnistes. Comme « pro »,
l’astrophysicien Nidhal Guessoum de l’Université de Californie - l’auteur d’un
remarquable livre intitulé : « Réconcilier l’Islam et la Science Moderne : l’esprit
Averroès »269. Il y avait aussi Jean Staune, philosophe, paléontologue, mathématicien,
etc. Comme « anti », Oktar Babuna, neurochirurgien et créationniste turque,
représentant la fondation d’Harun Yahya qui avait distribué « l’Atlas de la création »
en 2006/2007 en Occident. Il y avait aussi Dominique Tassot, ingénieur et docteur en
philosophie en plus d’autres invités spécialistes de l’évolution270. L’intégralité du
débat est toujours accessible sur Youtube271. Des arguments, des uns et des autres, ont
été présentés parfois avec une petite dose d’ironie salutaire, parfois en interpellation
directe, c’est le propre même du débat passionné et passionnant. A regarder !
Si ce genre de débat contradictoire est heureusement permis dans un cadre
universitaire français, au sein de l’UOIF il ne l’est pas. La théorie de l’évolution fait
parti de ces sujets que l’on n’aborde pas. C’est presque un sujet tabou. On n’en
discutait presque jamais. Mais lorsqu’il est abordé, cela se faisait systématiquement
sous l’angle religieux : refus de la théorie de l’évolution, condamnation de Darwin,
recherche de refuge et de protection de Dieu contra Satan - Darwin - le maudit, et
puis, ça se résume à ça. Le nom même de Darwin et son visage sont assimilés au nom
et au visage d’un singe. J’ai, par le passé entendu des « frères » disent que « la théorie
de l’évolution » pourrait être vraie mais seulement dans son cas personnel : Darwin
ressemblerait à un singe donc il pourrait en être le petit-fils. La caricature et l’injure
inhibent la raison. La « tradition religieuse » de l’UOIF la circoncit et la paralyse.
Ainsi, le sujet de « l’évolution » demeure très dangereux pour une
organisation qui a horreur du changement et des mutations. Comment le « fixisme »
religieux et politique, anti-liberté, peut-il être sensible à une quelconque dynamique
évolutionniste ? Simple question !
La théorie de l’évolution, dans sa version darwiniste, est, pour tous les
islamistes, un ennemi à combattre car - supposée - contraire au dogme de la création
269
Nidhal Guessoum, 2009, Réconcilier l’Islam et la Science Moderne : l’esprit Averroès, Presse de la
Renaissance, 538 pages.
270
Ici le texte cadre de ce débat : < http://oumma.com/14459/coran-bible-theorie-de-levolution>.
271
Ici pour visionner la première partie : <https://www.youtube.com/watch?v=s1dkhknEUwY>
Ici pour visionner la deuxième partie : <https://www.youtube.com/watch?v=kOBls4At6tI>
134
d’Adam telle qu’elle est comprise par les « frères ». Pour eux, comme pour d’autres
salafistes, il faut livrer ce combat parfois intelligemment mais souvent fermement.
Peut-être pas au sein même du « Collège-Lycée Averroès » - ce qui reste à vérifier
tout de même - mais au sein de tous les vases communicants en lien directe avec cet
établissement.
D’ailleurs, que pensent les enseignants de « Sciences de la Vie et de la Terre »
(SVT) du « Collège-Lycée Averroès » au sujet de cette théorie ? Comment y est-elle
enseignée ? Comment son enseignement est-il intégré à côté d’autres matières et
disciplines telles que la philosophie ou « l’éthique musulmane » ? Est-il permis d’y
aborder l’évolutionnisme sans préjugés et sans condamnation religieuse préalable ?
Le livre de l’évolutionniste musulman Nidhal Guessoum, « Réconcilier l’Islam et la
Science Moderne : l’esprit Averroès », trouve-t-il une place sur les étagères du CDI
du « Collège-Lycée Averroès » ?
Je me permets de poser ces questions - avant de relater un fait réel, révélateur
et incontestable, juste après - car il semble que le créationnisme, en général, et les
thèses antiévolutionnistes gagnent du terrain au sein de nombreux établissements
scolaires. Qu’en-est-il du « Collège-Lycée Averroès » ?
En 2009, le magazine « Science et Avenir » publia une interview de JeanBaptiste de Panafieu, agrégé de sciences naturelles et docteur en océanologie
biologique. Ses propos ont été recueillis par Rachel Mulot272. En résumé, bien que le
créationnisme ait présent, en France, dans certains milieux protestants et chez
d’autres intégristes catholiques, son expression dans des milieux musulmans
demeure plus significative et plus inquiétante aussi. L’océanologue pointe la
responsabilité directe du religieux ou du politico-religieux.
Il explique aussi que les plus réfractaires, en milieu scolaire, sont
principalement des jeunes musulmans venant de milieux modestes et qui ne
connaissent pas du tout la Science ou qui la tiennent pour une simple opinion. Pour
ces jeunes, cumulant d’énormes ignorances sur le darwinisme, être créationniste
serait aussi l’expression d’un combat identitaire et antiraciste, puisque certains
assimilent Darwin, qu’ils ne connaissent pas, à un colonialiste273.
Il rapporte aussi des déclarations de certains élèves : « Darwin, c’est le
mal »274 ; « Si l’homme descend du singe, alors le Coran dit une chose fausse et c’est
272
Interview de Jean-Baptiste de Panafieu par Rachel Mulot, 2009, La résistance à Darwin à l’école est politicoreligieuse, Science et Avenir, 22/01/2009. Il est gratuitement consultable ici :
<http://www.sciencesetavenir.fr/a-voir-a-faire/20090122.OBS0939/l-evolution-contestee-dans-lesecoles.html>.
273
Ibid.
274
Ibid.
135
ma religion qui s’écroule ! »275 ; « je ne peux pas entendre cela, ma religion me
l’interdit »276 disait un élève de confession musulmane à son professeur au moment
de quitter la salle, en protestant, en plein cours ! Jean-Baptiste de Panafieu conclut en
disant : « La contestation de la théorie de l’évolution n’est qu’un aspect d’une
revendication culturelle et religieuse.»277
Ces revendications identitaires sont, depuis une trentaine d’année, rédigées,
instrumentalisées et entretenues, en grande parti, par le réseau de la nébuleuse UOIF.
Au sein même des mosquées et des centres de l’UOIF les thèses antiévolutionnistes et
créationnistes d’Harun Yahya, par exemple, y sont largement répandues. Pour simple
exemple, le 28 janvier 2012 à la mosquée de l’UOIF à la Courneuve, Harun Yahya était
l’invité de la mouvance pour présenter une conférence intitulée : « L’effondrement de
l’évolution » (voir l’affiche).
Finalement, il n’a pas pu honorer l’organisation islamiste par sa présence. Il
s’est fait remplacer par un de ses disciples qui a pris le soin d’expliquer son
créationnisme devant une salle archipleine. L’enregistrement de cette conférence - de
mauvaise qualité - est toujours accessible sur Youtube278.
Les livres et DVD d’Harun Yahya sont abondamment recommandés, conseillés
et commercialisés, y compris, par une entreprise d’informatique, gérée au moins, par
275
Ibid.
Ibid.
277
Ibid.
278
Ici la première partie : <https://www.youtube.com/watch?v=qBuRfEWOYhc>.
Ici la deuxième partie : <https://www.youtube.com/watch?v=7azN87wIloY>.
276
136
deux « frères » remarquables et domiciliée, il y a seulement quelques années, dans le
même bâtiment de la mosquée de Lille-Sud. Naturellement, et dans mon propos, ce
n’est pas la liberté d’entreprendre, ou de s’installer où l’on veut, qui est remise en
question. Mon propos veut simplement opposer des exemples concrets à cet
enfumage frériste suffoquant concernant, entre autres, la théorie de l’évolution.
Par ailleurs, en 2006, lorsque j’ai commencé à réfléchir sérieusement à quitter
le navire islamiste et à reprendre ma liberté. Lorsque j’ai compris que la réforme au
sein de l’UOIF se résume à changer, de temps en temps, la peinture des bureaux et à
renouveler le stock des fournitures. Un événement, en deux temps, m’a vraiment
marqué et m’a confirmé dans mon choix : dans un premier temps, à la veille de ma
démission et ensuite, dans un deuxième temps, un mois plus tard. Je ne l’ai jamais
relaté dans aucun de mes écrits précédent, me semble-t-il. Mes amis les plus proches
ne le savent pas. Je ne voyais pas d’intérêt d’en informer qui que ce soit. Peut-être, je
n’arrivais même pas à croire ce que je lisais. Peut-être j’étais naïf. Peut-être, je lui
laissé le temps pour lire, apprendre et changer. Les années passent, mais rien ne
change. Aujourd’hui, cet événement a toute son importance.
137
Darwin : Qu’en pense l’imam des imams Ahmed Miktar ? La fatwa
inédite de 2006.
Au sein de l’ancienne mosquée de Villeneuve d’Ascq, l’ancêtre de l’actuel
Centre Islamique, j’avais mis en place, entre septembre 2003 et juin 2005, en ma
qualité de responsable du département culturel, avec ses autres membres, une
activité mensuelle baptisée « Cercles pour la Science et pour la Paix » (CSP), le
premier dimanche de chaque mois. Cette activité visait, entre autres, à redonner au
« livre » toute sa place ; à dynamiser la vie culturelle de la mosquée ; à s’entraider
pour sortir ensemble et dans le débat de l’analphabétisme complexe, celui des idées ;
à réconcilier « démarche scientifique et intellectuelle » et « cheminement spirituel »
… et surtout, à développer, sur une échelle locale, une idée majeure, celle consistant à
penser que la finalité de la Paix, avec soi-même et avec les autres, est à la fois,
l’aboutissement d’un cheminement scientifique éclairé par une spiritualité humaniste
et aussi l’aboutissement d’un cheminement spirituel nourri en permanence par
l’apport intellectuel et scientifique : dans une sorte de dialectique.
Le premier livre proposé était un livre arabe, présenté en français, intitulé :
« Lis, au nom de ton Seigneur qui a créé », du penseur syrien Jawdat Saïd279,
aujourd’hui âgé de 84 ans, un réformiste authentique, « chirurgien » éclairé des idées,
homme de paix, prophète de la non-violence dans le monde arabe depuis plus d’un
demi siècle, ignoré et marginalisé par les « Frères Musulmans », d’ailleurs jamais
membre de la confrérie, opposé à la pensée de Sayyid Qotb, surnommé « le Gandhi »
du monde arabe.
279
Jawdat Saïd, 1998, Lis, au nom de ton Seigneur qui a créé (en arabe), Edition Dãr al-Fikr, 288 pages.
Ici la page officielle de Jawdat Saïd : < http://www.jawdatsaid.net/index.php?title= 2‫* _ا ر‬1 ‫> ا‬.
138
Jean-Marie Muller280 - philosophe de la non-violence, spécialiste de Gandhi et
universitaire - lui a rendu visite, dans son village syrien, et raconte dans un article
l’humain érudit et pacifiste qu’il est, en résumant brièvement ses combats
intellectuels depuis toujours. Muller rapportait cette phrase entendu de Jawdat
Saïd qui a confiance dans l’évolution de l’humanité et qui disait : « De manière
figurative, nous sommes les descendants du fils d’Adam qui est le meurtrier, mais
nous commençons à prendre le chemin de l’autre fils. »281
J’ai voulu faire découvrir ce penseur de la non-violence à un publique
francophone. Un livre qui considère la lecture, la science, la connaissance, comme les
antidotes les plus efficaces contre toutes les violences, contre toutes les corruptions. Il
rappela ce passage coranique très significatif, ce dialogue entre Dieu et les anges au
sujet d’Adam (Al-Insãn) :
« Lorsque ton seigneur dit aux anges : Je vais établir un successeur sur terre.
- Ils dirent : Vas-tu y mettre un qui y corrompra et répandra les sangs, alors que
nous exaltons ta louange et te sanctifions ?
- Il dit : Je sais ce que vous ne savais pas.
Il a enseigné à Adam tous les noms, puis il les présenta aux anges et dit : Informezmoi des noms de ceux-ci, si vous êtes véridiques !
- Ils dirent : Sois exalté ! Nous n’avons de connaissance que ce que tu nous as
enseigné. C’est toi le connaisseur, le Sage.
- Il dit : Ô Adam ! Informe-les de leurs noms.
Lorsque celui-ci les eut informés de leurs noms, Dieu dit : Ne vous ai-je pas dit que
je sais le secret des cieux et de la terre … »282.
Jawdat Saïd fait remarquer que l’objection principale des anges était fondée, au
départ, sur la crainte qu’Adam - à l’image de ses ancêtres ! - soit aussi un corrupteur
et un assassin par déterminisme. Adam était jugé fatalement par les anges, avant
même sa sélection, sur la base de l’histoire que ceux-là connaissaient déjà, et comme
un « vecteur » de violence et de corruption quoi qu’il en soit. Et là, Dieu mit sur la
table la carte de la connaissance, de l’acquisition des savoirs par l’apprentissage, par
le pouvoir de symbolisation et le langage, comme une caution sérieuse et comme une
possibilité, si elle est bien sûre choisie, contre la corruption et les violences. D’où le
280
Consulter le site de Jean-Marie Muller ici : < http://www.jean-marie-muller.fr/>
Ici l’article de Jean-Marie Muller au sujet de Jawdat Saïd : < http://mlouizi.unblog.fr/2009/04/09/visite-ajawdat-said-par-jean-marie-muller/>.
282
Coran, 2, 30-34.
281
139
choix de la lecture et la connaissance comme le début d’un cheminement vers la Paix
totale.
Par ailleurs, le Coran raconte l’histoire des deux fils d’Adam, le « tueur » et le
« tué ». Celui qui avait dit : «Je te tue »283 et l’autre qui avait répondu : « Et si tu
portes la main sur moi pour me tuer, je n’en ferai pas de même car »284. Le premier
tua le second quand même. L’on découvre par la suite qu’il fut rongé par les
remords. Pis encore, cet acte de violence lui a montré son « ignorance » et son
manque de « connaissance ». Il ne savait même pas comment enterrer un cadavre. Il
lui a fallu d’apprendre d’un corbeau : La violence comme fille légitime de
l’ignorance ! Celui qui connaissait, celui qui avait conscience et connaissance des
limites législatives, a refusé de tuer. Celui qui les méconnaissait et ignorait même
comment cacher un cadavre avait fait le choix de la violence. Le Coran raconte :
« Alors le meurtrier s’écria : Malheur à moi ! Suis-je donc incapable d’imiter ce
corbeau et d’ensevelir la dépouille de mon frère ? »285 Ignorance doublée, violence
gratuite !
J’ouvre une autre courte parenthèse : Sur la base des versets comme ceux-là,
Jawdat Saïd construit toute une alternative crédible et salutaire, en phase avec la visée
principale du Coran et de bien d’autres traditions religieuses et philosophiques.
Quant à Tariq Ramadan, surtout dans son dernier livre susmentionné286, il mène une
« guerre » sans merci, à de nombreux passages explicites de son ouvrage, sur l’idée
même et la légitimité de la « non-violence ». Et ce, en ignorant et négligeant la portée
philosophiques de ces passages coraniques, ce qu’exigerait toute démarche
intellectuelle non partisane. Peut-être Tariq Ramadan souhaite-t-il maintenir les
« musulmans » prisonniers d’un certain déterminisme exprimé, jadis, par les anges ?
Peut-être souhaite-t-il qu’ils soient fidèles au fils d’Adam le « tueur » ? Peut-être ! Je
ferme la parenthèse.
Dans ce cadre d’échange au sein des CSP, de nombreux livres français et
arabes, de divers champs de la connaissance ont été présentés, par différents
intervenants. Parmi lesquels, un autre livre en arabe, présenté le 16 janvier 2005. Un
livre intitulé : « Psychologie de la violence et stratégie de la solution pacifique », de
son auteur syrien Khales Jalabi, chirurgien, philosophe et beau-frère de … Jawdat Saïd.
Sa fille Afraa Jalabi, la nièce de Jawdat Saïd, avait prononcé, en 2014, le sermon
de la « Fête du Sacrifice »287, devant des femmes et des hommes réunis ensemble,
283
Coran, 5, 27.
Coran, 5, 28.
285
Coran, 5, 31.
286
Tariq Ramadan, 2014, De l’islam et des musulmans, Presses du Châtelet, p.44-45, p.119, p.132, etc.
287
Ici une interview d’Afraa Jalabi dans le quotidien arabe Al-Hayat : < http://alhayat.com/Articles/5559459/
ً ‫أ وا‬-9 ‫ راو‬-(‫)ة‬-‫إ ـ‬-‫ت‬$ ‫و‬- ' / ‫وا‬-7*8+‫ا‬-‫ت‬
ُ ‫ ط‬---‫ا * ة‬-‫ ـ‬-! /-‫راء‬1 >.
284
140
sans aucune séparation, dans la même salle de prière, dans le « Centre Culturel AnNour » - An-Nour veut dire la lumière ! - à Toronto au Canada : Une première presque
révolutionnaire, le jour d’une fête religieuse, pour une femme musulmane affranchie.
Son père a su vulgarisé la pensée de Jawdat Saïd, à travers plusieurs ouvrages,
et l’enrichir davantage de part ses connaissances étendues du monde de la médecine,
de la physiologie, de la psychologie, de la philosophie, de la physique et de bien
d’autres champs du savoir.
Il se trouve que Khales Jalabi, que j’avais rencontré, une première fois, à
Bruxelles à la marge de sa participation à « Axis for Peace 2005 » m’avait promis de
nous rendre visite à Villeneuve d’Ascq pour parler de la Non-violence. Un an plus
tard, le 16 avril 2006, il nous a honorés par sa présence et ce fut, un moment décisif
dans mon itinéraire personnel. L’association EMF s’est chargée de réserver une salle
de conférence à l’université de Lille 1. Je me suis occupé des invitations de certains
responsables, parmi lesquelles : Amar Lasfar. J’avais invité aussi l’actuel imam de la
mosquée de Villeneuve d’Ascq, qui est aussi, pour le rappel, l’actuel responsable de
« l’Institut Al-Qods », et en lien presque de tutelle avec les élèves du « Collège-Lycée
Averroès ».
Pour certains, c’était pour la première fois qu’ils entendaient un discours
structuré et puisant sa puissance des lumières de la science, des enseignements de
l’Histoire de l’Humanité, sans exclusivisme, et des lumières d’une spiritualité
humaniste et savante. Le débat fut très riche. Chacun a certainement trouvé ce
pourquoi il était venu. Les responsables de l’UOIF ne voyaient pas cela de bon œil ;
141
une vingtaine de personnes, jeunes étudiants ou jeunes actifs : Ce type de discours
peut compromettre des projets et menacer une existence. L’imam n’était pas venu.
Pour moi, cela était du, peut-être, à un empêchement au vue de ses multiples
responsabilités.
Cinq mois plus tard, octobre 2006, un autre événement très significatif de ce
« double discours » que certains responsables adoptent en interne, comme en
externe, me révolta et me poussa à envoyer à tout le conseil d’administration de la
mosquée un courriel très énergique, mettant chacun devant ses responsabilités. J’ai
pu sauver certaines « apparences », à la dernière minute, vis-à-vis de nos amis
chrétiens avec qui nous avions travaillé, des mois durant, pour préparer un
rassemblement interreligieux « Prière pour la Paix », s’inscrivant dans l’esprit de
Saint François d’Assises. Je n’en dirai pas plus pour l’instant. Quelques jours après
j’ai présenté ma démission définitive et j’ai cessé d’être islamiste ou plutôt assimilé
islamiste.
Un mois après ma démission, j’ai reçu un étrange courriel de l’imam Ahmed
Miktar, qui, pour le rappel, avait réservé 7 prêches de vendredi pour « nous »
dénoncer du haut de son minbar et nous apostasier. Ce courriel, reçu le 28 novembre
2006, avait pour objet, je cite : « CROIRE OU NE PAS CROIRE », tout en majuscule.
Je l’ai ouvert. Dans le champ du texte, il y avait un seul mot, je cite :
142
« EXORTATION », ainsi orthographiée, sans « H » entre le « X » et le « O », et en
majuscule aussi.
Pas de salutation, pas d’expressions de « Salam » - il semble que l’on n’a pas le
droit de dire salam aux jugés apostats, me disait un notable de l’UOIF que j’avais
croisé un jour dans un hypermarché - pas d’expression de politesse ou de simple
usage, pas d’au revoir non plus. Un mot qui sonna dans ma tête tel un avertissement,
un appel de « croire » et de revenir au « bercail des croyants », de ses croyants à lui. Il
y avait une pièce-jointe qui était censée expliquer cet objet : « CROIRE OU NE PAS
CROIRE » et qui devait expliquer ce mot « EXORTATION ». Car dans un
dictionnaire ce mot, ainsi orthographié n’existe pas.
J’ai ouvert la pièce-jointe. J’ai trouvé un long texte de 13 pages, écrit dans un
style arabe très « religieux », avec une terminologie jurisprudentielle d’usage chez les
docteurs desdits charia et fiqh islamiques lorsqu’ils émettent une « fatwa atomique »
contre un intellectuel, jugé « égaré » ou « apostat » aux regards de leurs textes
momifiés. J’ai tout de suite compris que je suis face à un document officiel dont la
portée et les conséquences peuvent être catastrophiques.
Depuis, je l’ai gardé dans mes archives, pendant presque 9 ans, et j’ai
poursuivi mon cheminement. Aujourd’hui, je le déterre, avec gravité et conscience,
pour servir la bonne cause et pour apporter une preuve matérielle, une de plus, de ce
qui représente, à mon sens, un vrai danger pour les enfants/élèves et qui est plus
contestable et détestable encore qu’un simple « double discours ». L’imam Ahmed
Miktar, était-il en service commandé à ce moment là aussi ? Je ne peux ni l’affirmer ni
l’infirmer.
En effet, il s’agit bel et bien d’une fatwa, en bonne et due forme, que l’imam a
intitulée, je traduis : «Les égarements du médecin d’Al-Qassim : Khales Jalabi » ( ‫ ت‬8
! / ‫ ص‬:‫م‬
‫)ط ب ا‬. A l’époque, Khales Jalabi n’avait pas encore pris sa retraite, il
travaillait toujours dans un hôpital en Arabie Saoudite dans la province d’Al-Qassim. A
préciser que le mot arabe « Dalãlãt », traduit ici par le mot « égarements » n’est pas, à
son tour, un mot neutre dans l’usage jurisprudentiel islamique. Il est dérivé du mot
« Dalãl » qui peut être défini comme étant : l’acte de dévier du droit chemin et de
s’égarer en dehors de ce qui est considéré comme étant la « seule » religion qui
vaille : c’est à dire l’islam.
L’imam Ahmed Miktar, en se basant en introduction de sa fatwa sur un hadith et
un extrait tiré d’un livre d’Ibn Taymiyya, expliquant l’objet et le cadre de sa démarche
d’exhortation, rappela que son but était de vouloir démontrer, à partir d’arguments
religieux « immuables », tirés soi-disant du Coran et de ladite Sunna, les principaux
points sur lesquels la pensée et la production intellectuelle de Khales Jalabi s’égare de
la vérité et est en parfaite contradiction avec ce que dit Dieu et son Prophète.
143
Ensuite, il a commencé à répondre, point par point, à ce qu’il considérait
comme propos dangereux, hérétiques, blasphématoires, etc. Dans sa fatwa, j’ai
compté pas moins de 55 points litigieux recensés, 55 égarements, 55 raisons qui
mériterait, si l’on suit la « logique » takfiriste d’Ahmed Miktar - le Takfirisme est un
mouvement salafiste considérant les musulmans ne partageant pas le point de vue de
ses adeptes comme étant des hérétiques et apostats, et par conséquent, ces
musulmans apostasiés deviennent « légitimement » des cibles à attaquer, à dénoncer
et si possible à faire taire pour l’éternité.
Je ne vais m’attarder sur les 55 points montrant clairement ce que pensait en
2006 - et pense peut-être toujours - l’imam Ahmed Miktar de l’interreligieux ; de la
liberté de conscience ; de la peine de mort pour apostasie ; du Jihad ; de la
démocratie ; de la philosophie et de certains philosophes qualifiés de « mécréants » ;
de l’art et de la musique, etc. Cela demandera des pages et encore des pages pour
traduire, expliquer, déconstruire, etc. Si nécessaire, J’y reviendrai prochainement.
Ce qui m’intéresse, à ce stade, de sa fatwa c’est ce qui est en rapport direct avec
la « théorie de l’évolution » et avec Darwin. Car connaître l’avis d’un imam influent
au sein de l’UOIF et de la LIN révèle ce que pensent les « Frères Musulmans » à ce
sujet, loin de toute essentialisation ramadanienne.
Selon l’imam, en exposant le 35ème « égarement » de sa cible, il dit, je traduis :
« Khales Jalabi « croit » en la théorie de Darwin, sachant que celle-ci se défait, ignore et
trahit les religions célestes. Car elle se base - l’imam cite une rhétorique de
Mohammad Qotb288 - sur l’hypothèse que l’origine de la Vie serait une cellule perdue
dans un marais ou dans une mer, il y a des millions d’années ; que cette cellule a
288
Ici une brève présentation de ce penseur : <https://islamreinfo.wordpress.com/category/mohammedqutb/>.
144
subit un processus d’évolution, passant par plusieurs phases parmi lesquelles se
trouve la phase du singe qui, à son tour, a évolué pour arriver à la phase de l’homme.
La théorie de l’évolution considère que tout ceci est le fait de la nature. Darwin
estime que la nature crée tout et qu’il n’y a pas de limites à sa capacité de créer … ».
L’imam revoie ensuite au livre de cette référence frériste : Mohammad Qotb, le frère de
Sayyid Qotb : « Doctrines intellectuels contemporaines »289.
L’imam de Villeneuve d’Ascq considérait comme contraire aux percepts et
fondements islamiques un propos qu’il prêta à Khales Jalabi, publié dans le quotidien
saoudien Al-Riyadh - n° 10405 - je traduis : « Darwin a ouvert le chemin vers la
connaissance du secret de la Vie et de l’origine de l’homme de manière générale, ce
qui par conséquent, a ouvert le chemin vers de nouvelles galaxies dans les univers de
la connaissance … Le darwinisme a laissé ses empruntes sur la pensée humaine à
travers la sociologie comme cela a été développé par le britannique Herbert
Spencer. » Spencer (1820 - 1903) fut évolutionniste, philosophe et sociologue anglais
et considéré comme étant le père philosophique du « Darwinisme social ».
Khales Jalabi, le médecin chirurgien, a exprimé une opinion qu’il a forgée, des
années durant, après des milliers d’heures de travail, de recherches, de lecture,
d’échanges, de débats, de voyages, etc. L’imam, en 9 lignes seulement, le considère
comme une brebis égarée et comme paria. Je ne crois pas que l’imam ait évolué par
rapport à cette question. J’ai cherché ses publications récentes, ses articles et ses
vidéos, je n’ai rien trouvé qui puisse me convaincre d’une évolution significative
dans le sens de l’avenir.
Lorsque l’on sait le rôle de cet imam dans l’organigramme, au moins de la
LIN ; lorsque l’on sait que le professeur d’ « éthique musulmane » était l’un de ses
élèves et disciples, et actuellement, ils enseignent tous les deux l’idéologie frériste à
« l’Institut Al-Qods » ; lorsque l’on sait que l’imam de Villeneuve d’Ascq se veut une
« autorité religieuse » professant la bonne parole y compris lorsqu’il reçoit les élèves
du « Collège-Lycée Averroès » au sein de la mosquée, ou lorsqu’il s’invite à cet
établissement à diverses occasions, l’on est tout de même en droit de se poser des
questions précises sur le contenu religieux exact enseigné aux élèves mineurs, ces
citoyens en devenir.
Sur les 55 points qu’il reprocha à Khales Jalabi, au mois une dizaine pose de
vrais problèmes et d’urgentes clarifications. Car si les élèves sont endoctrinés par de
pareilles idées nocives, je crains que ce ne soient pas des citoyens français ouverts
d’esprit que l’on est en train de former, mais plutôt de futurs fanatiques ou au pire
des bombes à retardement, je pèse mes mots.
289
Mohammad Qotb, 1993, Madahib fikriyya mou’assirah, Editions Dãr al-Shourouq, 655 pages.
145
Souvenir de jeune lycéen : Darwin,
Darwin, le « maudit » en cours de
philosophie !
De l’autre côté de la Méditerranée, je me souviens que lorsque j’étais lycéen,
moi-même, au Maroc, au Lycée Dakhla à Boujniba à proximité de la ville de Khouribga,
j’avais rédigé en début de l’année 1996 une lettre anonyme en arabe, que presque
toute la classe avait soutenue, lorsqu’une professeure de philosophie - de sensibilité
communiste - avait tenté de nous expliquer le bien-fondé de la théorie de Darwin.
Nous avons refusé catégoriquement qu’elle nous parlait de ce sujet. Nous
avons interrompu le cours - sachant qu’aux yeux de l’administration, nous formions
une classe d’élite de Sciences Mathématiques - en évoquant que « nous sommes
musulmans » et que l’islam est fondamentalement contre cette théorie. Une idée qui
était largement répandue au Maroc, à l’époque.
Evoluant déjà à cette date dans un cadre associatif religieux et structuré, et
ayant accès à un livre créationniste en arabe intitulé : « Darwin … et la théorie de
l’évolution »290, traduit du turc et paru en 1980, de son auteur Chamseddine Akbulut, la
lettre avait pour objet d’alerter le proviseur, le rectorat et le président de l’association
des parents d’élèves contre cette dérive blasphématoire (!) et athée dans un milieu
scolaire musulman.
Je me souviens que cette lettre était prise très au sérieux. Le rectorat avait
dépêché deux émissaires académiques pour mener l’enquête. La professeure avait
reçu un avertissement administratif. Une adversité violente s’est fait sentir entre
professeurs de gauche et d’autres professeurs évoluant en milieu islamique. Depuis
l’avertissement, elle a cessé d’en faire allusion.
A la fin de l’année, elle a su, je ne sais pas par quel moyen, que j’étais l’auteur
de la lettre. Ayant la première note dans sa discipline. Elle ne m’avait témoigné
aucune hostilité, bien au contraire, elle était bienveillante. Un jour, elle m’avait
conseillé de m’ouvrir l’esprit et de lire d’autres auteurs, d’autres livres. Des auteurs
que j’ai découverts quelques années plus tard.
Le dernier jour de l’année scolaire, après l’affichage des résultats, elle m’a
félicité. Je me souviens de cette phrase d’adieu qu’elle m’avait dite en tapant sur mon
épaule, sourire aux lèvres : « Mohamed, je sais que tu aimes la philosophie. Un
conseil : Ouvre-toi davantage, continue à aimer la philosophie mais évite de fleureter
avec les islamistes ! » Je n’avais pas compris la dernière partie. Dans mon esprit,
290
Semseddin Akbulut, 1980, Darwin wa nadhariyyat at-Tatawour (en arabe), Yeni Asya Research Center, 120
pages.
146
islamiste voulait dire simplement musulman. Je n’avais pas saisi la nuance. Je n’avais
pas compris le sens. Depuis 2006, je le sais.
147