Lycée Averroès l`arbre qui cache le desert (02)

Que signifie le vocable arabe Tamkine (‫)ﲤﻜﲔ‬
‫ )ﲤﻜﲔ‬dans l’idéologie des
« Frères Musulmans » ?
Mohammad Khayrat Al-Chater60 est né le 4 mai 1950. Il est professeur
d’ingénierie, homme d’affaires et homme politique égyptien. Il est le premier adjoint
du guide suprême des « Frères Musulmans ». Le 31 mars 2012, le « Parti de la Liberté
et de la Justice » (PLJ), la branche politique de la confrérie d’Hassan Al Banna, l’a
investi pour se présenter aux élections présidentielles de la même année. Le « Conseil
des Forces Armées » égyptiennes a invalidé sa candidature pour raison de casier
judiciaire non vierge. En effet, il avait passé par la case prison durant les six années
précédant les élections. Et c’est Mohamed Morsi, membre du bureau exécutif de la
mouvance islamiste, qui l’a remplacé pour représenter le PLJ et qui a gagné les
élections par la suite.
Ce dernier, et durant moins d’une année de gouvernance, a commis, selon de
nombreux observateurs objectifs, de nombreuses erreurs, voire fautes graves, dans la
gestion de la chose publique. Ce qui a provoqué des manifestations de contestation
populaire, exigeant pas moins que sa démission. Un soulèvement qui était vu de bon
œil et instrumentalisé par ce que l’on nomme « l’état profond ». L’armée est
intervenue sous couvert de vouloir protéger les institutions de l’état de
l’effondrement. Elle a conduit un coup d’état militaire sanguinaire contre le président
élu et contre l’ensemble de la confrérie et ses soutiens. Abdelfattah Al Sissi reprend
alors la présidence et se voit confirmer dans son poste, par les urnes, le 28 mai 2014.
60
Ici une brève biographie : < http://fr.wikipedia.org/wiki/Khairat_al-Chater>.
36
Mohammad Khayrat Al-Chater, surnommé le « faucon discret »61 par ses frères,
était le gérant, dans les années 1990, d’une entreprise d’informatique dénommée
« Salsabîl »62. D’ailleurs, c’est cette même entreprise égyptienne qui - à en croire un
article du journal Rosaelyoussef publié le 1 août 2012 - avait supervisé les élections
algériennes du 26 décembre 1991, qui ont connu la victoire écrasante du « Front
Islamiste du Salut » (FIS). Par conséquent, le premier ministre algérien, Sidi Ahmed
Ghozali, déclara que ces élections « n’étaient ni aussi propres ni aussi honnêtes »63
comme il avait souhaité. Le second tour était purement annulé. Le président Chadli
Bendejedid démissionna. Mohammed Boudiaf le remplaça en attendant. Il fut assassiné
170 jours plus tard. Le pays entier bascula sitôt dans la guerre civile durant toute une
décennie noire.
Retour en Egypte, en 1992, Mohammad Khayrat Al-Chater fut arrêté par la police
dans les locaux de son entreprise d’informatique dénommée « Salsabîl ». Le régime
égyptien l’accusait de servir de lien avec l’organisation internationale des « Frères
Musulmans », et de préparer un complot visant au renversement du régime d’Hosni
Moubarak. Lors de la perquisition des locaux de l’entreprise, la police mis la main sur
un document « top-secret » de 13 pages, intitulé « Le document de Tamkine » (
‫و‬
‫ن‬
‫ )ا‬- Tamkine est un mot arabe signifiant entre autres : l’assaut du pouvoir,
l’autonomisation, la domination politique par la religion, etc. J’y reviendrai, cidessous, sur les significations précises de ce terme Tamkine dans la littérature de la
mouvance islamiste. La fameuse « affaire Salsabîl » éclata64.
Ce document-guide décrivait comment la mouvance islamiste comptait, dans
le secret total, préparer son ascension vers le pouvoir suprême à travers la
constitution d’un réseau hyper vaste et hyper structuré, au sein de la société
égyptienne. Ce réseau devait être constitué de nombreux établissements
indépendants, les uns des autres, mais ô combien communicantes : Des banques, des
sociétés d’investissement, des écoles, des centres hospitaliers, des crèches, etc. Tous
ces établissements, précise le document, devraient servir de moyens de propagation
et d’apologie de l’idéologie des « Frères Musulmans », et à tous les niveaux de la
société égyptienne, en attendant l’avènement du jour tant attendu : l’assaut du palais
présidentiel.
61
Fabrice Maulion, 2004, L’organisation des frères musulmans, thèse diplôme universitaire 3° cycle,
département de recherche sur les menaces criminelles contemporaines, Université Panthéon-Assas, Paris II,
p.253.
62
Ici une analyse de l’affaire dite «Salsabîl » ainsi qu’un dossier complet sur la politique sécuritaire face aux
« Frères Musulmans », entre autres : < http://ema.revues.org/1459#tocto3n21>.
63
Ici un historique des événements de janvier 1992 en Algérie, suite aux élections :
<http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89v%C3%A9nements_de_janvier_1992_en_Alg%C3%A9rie>
64
Ici, l’article du journal égyptien arabe Rosaelyoussef, datant du 1/08/2012, signé Mohamed Baghdadi,
publiant l’intégralité du « document Tamkine » des « Frères Musulmans », découvert à la marge de l’affaire
« Salsabîl » : <http://www.rosaeveryday.com/Item.aspx?ItemID=9465>. Aussi, vous pouvez lire le contenu de
ce document arabe sur le site Cairo Now :< http://www.cairo-now.com/news-2-15729.html>.
37
Aussi, ce document secret préconisait de mieux s’organiser, en interne, d’un
point de vue institutionnelle ; de privilégier l’éducation des jeunes et la formation des
prochains cadres élites de la mouvance ; d’établir des alliances pragmatiques avec de
petits partis politiques, pour pouvoir, par la suite, gagner en influence, petit-à-petit,
au parlement, aux collectivités territoriales, dans les syndicats, dans les médias, dans
les instances judiciaires, dans l’armée, dans la police, dans les associations
d’étudiants, auprès des hommes d’affaires et au sein des couches populaires.
Il s’agissait, ni plus ni moins, d’un plan stratégique, ingénieusement conçu,
bien structuré, adroitement schématisé et lucidement étalé sur plusieurs années. Dès
lors, on ne se presse plus. Pour preuve, le document a été révélé par la presse
égyptienne en 1992 dans la cadre de « L’affaire Salsabîl ». Vingt ans plus tard,
Mohamed Morsi, le frère musulman, est devenu président de l’Egypte. Celui qui était
choisi, au départ, pour se présenter aux élections n’était autre que : Mohammad
Khayrat Al-Chater, chez qui ce document a été trouvé !
Le 2/09/2013, le journal égyptien El-Watan publia un autre document secret
de la mouvance islamiste, jamais démenti, visiblement rédigé par le bureau du guide
suprême, après l’arrivée des « Frères Musulmans », en la personne de Mohamed
‫و‬
Morsi, au pouvoir. Intitulé « L’organisation mondiale unie des frères »65 - ‫ا ظ م‬
‫وان‬
‫ا و د‬
‫ ا‬- expliquait le cadre, l’organigramme international, les objectifs, les
moyens, les ressources etc. pour que la mouvance puisse, enfin, réaliser le rêve de
son fondateur et recréer un Califat islamique dominant tous les pays arabomusulman et occidentaux. Le document subdivise le monde en 4 secteurs
stratégiques : secteur de l’Occident ; secteur de l’Afrique ; secteur du Yémen, le Golf,
65
Ici, l’article en arabe, révélant l’existence de ce document secret :
<http://www.elwatannews.com/news/details/296054>
38
l’Iran et l’Afghanistan ; secteur de l’Iraq, le Kurdistan, la Palestine et la Syrie. Londres
a été désignée pour être le centre de commande du secteur occidental. Le but du
Tamkine y figure clairement. Un Tamkine, selon les rédacteurs, qui doit être réalisé
dans le strict respect des idées et principes d’Hassan Al-Banna et des autres
intellectuels organiques qui ont sacrifié, rappelle le document, leurs vies pour ce
« noble » projet.
Par ailleurs, le concept de Tamkine fait parti des éléments lexicaux
fondamentaux de l’idéologie expansionniste des « Frères Musulmans », que ce soit en
Egypte, en Lybie, au Qatar … et même ici en Europe et en France. Le même terme
utilisé là-bas, en arabe, est désormais utilisé ici, en arabe aussi - et non pas en français
ou en anglais - dans des documents confidentiels, jamais rendus publiques, avec le
même « sacré » contenu. Ces documents officiels qui sont destinés à des cheikhs
fortunés des pays du Golf - Qatar, Koweït, Doubaï, … - pour financer le « CollègeLycée Averroès », emploient ce terme Tamkine, ainsi que son contenu exact tel qu’il
apparaît dans le « Document Tamkine » égyptien de 1992.
Pis encore, La Fédération des Organisations Islamiques en Europe (FOIE) l’aile européenne des « Frères Musulmans » selon l’encyclopédie arabe officielle de la
confrérie (ikhwanwiki.com)66 - ainsi que sa branche française UOIF, adoptent en
interne le même terme, avec la même acception, dans leurs guides et programmes
éducatifs confidentiels, écrits aussi « en arabe », dont je publierai ci-après, quelques
extraits très significatifs.
Cependant, et avant de présenter ces documents, il est préférable d’énoncer la
définition exacte du Tamkine, telle qu’elle apparaisse dans la littérature des « Frères
Musulmans ». Et pour cela, je me référerai exclusivement aux travaux d’un cheikh,
peu, ou pas, connu du grand public français, mais que connaitrait - probablement l’ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy, ainsi que de nombreux cadres
« Frères Musulmans » et prédicateurs attitrés de l’Hexagone. Il s’agit d’Ali Sallabi.
Ali Sallabi (ou Salabi) est cheikh un libyen, né à Benghazi en 1963. En « frère
musulman » assumé et très engagé, il est actuellement membre de l’ « Union
International des Savants Musulmans »67 (UISM), cette instance regroupant les
sommités théologiques et jurisprudentielles de la mouvance islamiste, à travers le
Monde, et qui est présidée, pour le rappel, par Youssef Al Qaradawi.
66
Ici la FOIE est désignée clairement comme étant l’aile européenne de la mouvance islamiste :
<http://www.ikhwanwiki.com/index.php?title= ‫_ _أورو‬
‫>ا د_ا ظ ت_ا‬
67
ème
Son nom figure à la 15 position sur une liste contenant 42 membres du conseil d’administration de l’UISM.
Voir ici : <http://iumsonline.org/fr/default.asp?MenuID=104&MenuSubID=105>.
39
Par ailleurs, Ali Sallabi était nommé en 2011 par l’Emir du Qatar en personne,
comme président du conseil de direction de la chaîne libyenne « Libya Al Ahrar »68
(‫ل ا رار‬
), qui est financé par le Qatar et émettant ses programmes depuis ce
« petit » pays.. Il est aussi l’un des éditocrates les plus consultés et écoutés par la
chaîne Al Jazeera.
Avant la chute du régime de Mouammar Kadhafi, Ali Sallabi était
étai très proche de
son fils Saïf Al Islam. Lorsque la chute du père fut imminente, Sallabi se défait de ses
liens avec le fils,, en se refaisant,
refaisant ainsi, une certaine virginité.. Tout le monde se
souvient de la fameuse fatwa d’Al Qaradawi,, lancé en février 2011 en direct sur la
chaîne Al Jazeera, qui légitimait, au nom de Dieu, l’assassinat de Mouammar Kadhafi.
Qaradawi avait demandé à tout militaire qui pourrait tirer une balle dans la tête de
Kadhafi de le faire69.
L’intervention militaire française en Libye,
Liby , décidée par l’ancien Président de la
République, avait exaucé, à merveille, ce vœu très pieux de Qaradawi.
Qaradawi La Lybie se
trouve désormais, en champ de ruine,
ruine où le terrorisme islamiste,, mine la vie des
survivants, et alimente logistiquement et militairement les fractions terroristes dans
toute la partie
rtie Nord du continent africain. Ces milices pourraien
ent, le cas échéant,
perdre le Nord et orienter leurs viseurs vers des cibles situés au Nord du Nord.
68
Le journal bahreïni Al-Wassat du
u 13/07/2014, n°4327, a publié cette information ici :
<http://www.alwasatnews.com/4327/news/read/903592/1.html
http://www.alwasatnews.com/4327/news/read/903592/1.html>
69
Ici l’enregistrement vidéo du passage concerné par cette fatwa :
<https://www.youtube.com/watch?v=bEe8GouMrtY
https://www.youtube.com/watch?v=bEe8GouMrtY>
40
Il faudrait préciser, sommairement bien sûr,
sûr que le petit frère d’Ali
d’
Sallabi n’est
autre qu’Ismaël Sallabi70 : un jihadiste aguerri, lauréat de l’école afghane, éditochrate
de la chaîne Al Jazeera, tout comme son frère, et désormais le commandant en chef
d’une milice armée, baptisé avant « Katiba du 17 février » et combattant à l’Est
l’
de la
Libye,, à la frontière avec l’Egypte, faisant allégeance au « Front Al Nosra » ( # "
‫)ا رة‬, très proche d’Al
Al Qaïda.
Qaïda 71
Après ces rappels nécessaires concernant le « frère musulman » Ali Sallabi et
son entourage islamiste immédiat,
immédiat c’est maintenant au religieux, et surtout à
l’ « intellectuel organique » - au sens d’Antonio Gramsci72 - que je souhaite m’arrêter
un instant. On ne saura jamais si ce personnage est un religieux qui se sert de la
politique ; ou un politique qui instrumentalise la religion ; ou les deux à la fois ?!
Néanmoins, lorsque l’on lit la tribune élogieuse publiée
publiée en arabe, en 2012, par Al
Qaradawi,, et toujours consultable sur le site officiel de l’UISM, on comprend, dès le
titre, qu’Ali Sallabi n’est pas un homme ordinaire au sein de l’internationale islamiste,
loin de là.
En effet, cette tribune d’hommage, signée de la main droite d’Al
d’ Qaradawi, est
intitulée : « Ali Sallabi … Un cheikh affrontant Kadhafi »73. Un religieux « frère
70
Le journal le Monde du 30/08/2011
8/2011 avait publié un article dédié à Ismaïl Salabi. Son contenu confirme des
informations que l’on trouve sur des sites en arabe. L’on apprend aussi que Salabi avait rencontré Bernard
Henri Levy et que l’un de ses émissaires était reçu à l’Elysée. A lire ici :
<http://www.lemonde.fr/libye/article/2011/08/30/ismail
http://www.lemonde.fr/libye/article/2011/08/30/ismail-al-salabi-petit-commercant-activiste
activiste-islamiste-etchef-de-guerre_1565320_1496980.html
guerre_1565320_1496980.html>. A lire aussi un document intitulé : « La Lybie en fragments », signé
Laurence Aïda Ammour de l’Institut des
des Sciences Politiques de Bordeaux, à télécharger ici :
<http://www.jfcconseilmed.fr/files/13
http://www.jfcconseilmed.fr/files/13-04---Ammour--La-Libye-en-fragments.pdf>.
>. Il en parle aussi.
71
Ici, un article très intéressant traçant la cartographie des milices extrémistes, y compris, celles proches des
« Frères Musulmans » comme l’armée d’Ali Sallabi : <http://moheet.com/details_article/2014/06/17/2088133.
http://moheet.com/details_article/2014/06/17/2088133.
‫ا‬-‫وا ظ ت‬-‫ا " ! ت‬- ‫ ر ط‬.html#.VQCU1-G4LOU>.
.html
72
Ici une présentation PowerPoint sur Gramsci et son œuvre, à
visionner :<http://fr.slideshare.net/freelotus/gramsci
fr.slideshare.net/freelotus/gramsci-et-le-pouvoir-des-intellectuelles-33402331
33402331>
73
A lire en arabe, ici : <http://iumsonline.org/ar/default.asp?contentID=1039&menuID=25
http://iumsonline.org/ar/default.asp?contentID=1039&menuID=25
http://iumsonline.org/ar/default.asp?contentID=1039&menuID=25>.
41
musulman » se dressant contre un politique tyran pour prendre sa place.
place Al Qaradawi
n’a fait qu’exprimer, tout au long de cette tribune,
tri
des éloges à l’adresse de ce
personnage, de son parcours scolaire et universitaire et de son aptitude,
aptitude après une
expérience riche dans les rouages de l’islamisme, à assumer désormais un destin
politique de premier rang, dans une Lybie meurtrie et déchirée
hirée par la guerre. Cette
tribune sonne comme une sorte de licence, de reconnaissance et de recommandation
(Tazkiyah en arabe), justifiée
justifi par une large production religieuse et intellectuelle,
intellectuelle
décrite par Al Qaradawi comme étant complète, extraordinaire, sobre et
encyclopédique.
Youssef Al Qaradawi a choisi de s’arrêter, au cœur même de sa tribune, sur le
sujet de thèse de doctorat qu’Ali
qu’
Sallabi avait soutenu « brillamment » dans une
université soudanaise. L’intitulé de sa thèse n’était autre que : « La jurisprudence du
Tamkine dans le Coran »74 (‫ن ا رآن ا ر م‬
‫ … ) ا‬voilà tout !
Par ailleurs, lorsque l’on visite l’encyclopédie historique officielle des « Frères
Musulmans », en arabe, sur « www.Ikhwanwiki.com »,, on constate que : sur une liste
de 26 noms célèbres, de 26 références internationales historiques et idéologiques de
la confrérie, le nom d’Ali
’Ali Sallabi fait parti, curieusement, du Top 1075.
Mieux encore, il est classé exactement à la 5ème position, juste après Hassan Al
Banna, Mohamed Al Ghazali,
Ghazali Al Qaradawi et Mohamed Amara.. Ainsi Ali Sallabi se
retrouve devant des intellectuels organiques historiques de la mouvance, comme
Sayyid Qutb, Saïd Hawwa, Fathi Yakan.
Yakan Encore mieux, il est le 5ème de la liste alors
74
Ce livre en arabe est téléchargeable à l’adresse suivant :
<http://www.islamstory.com/uploads/multimedia/books/feqhalnasrwltamken.pdf
m/uploads/multimedia/books/feqhalnasrwltamken.pdf>
75
Voir ici, en arabe : < http://www.ikhwanwiki.com/index.php?title=
http://www.ikhwanwiki.com/index.php?title
_pdf>.
42
qu’un ancien guide suprême de la confrérie, Moustapha Machhour,, est placé à la 19ème
position !
Il est clair que l’on est face à un redoutable personnage,
personnage, à la plume islamiste
très abondante et pointue,
pointue et qui, par-dessus tout, a su théoriser
théoris
et scruter
minutieusement une notion « centrale » de la stratégie des « Frères Musulmans » à
travers le Monde,, ce qui explique son ascension fulgurante ainsi que les éloges de son
grand maître Al Qaradawi.. Cette notion est le Tamkine !
Le titre exact de sa thèse est : « Jurisprudence de la Victoire
ictoire et du Tamkine
dans le Coran : Ses types, ses conditions, ses causes, ses étapes et ses objectifs » Le titre en arabe est « ‫ن‬
‫ا ر و ا‬
‫ر ا ؤ ن‬
» : (Eclairage
Eclairage jurisprudentiel
destiné aux croyants au sujet de la Victoire et
e du Tamkine). Elle a été éditée sous
forme d’un livre, pour la première fois en 2006. Elle est téléchargeable gratuitement
sur Internet. La version numérique comporte 446 pages et structurée autour d’une
introduction, de trois grands chapitres et d’une conclusion.
co
Ali Sallabi s’est basé sur
256 références théologiques, jurisprudentielles, intellectuelles issues globalement
d’un certain islam sunnite et acharite76 ancestral, prolongé par des
d cheikhs et des
76
Pour une brève présentation, lire ici : < http://www.doctrine-malikite.fr/Definition-du--dogme-Asharite_a97.html> ou ici : < http://www.lesclesdumoyenorient.com/Al-Ghazali-1-Un-philosophe
http://www.lesclesdumoyenorient.com/Al
philosophe-ash.html>.
43
intellectuels organiques de la mouvance islamiste. Aucune référence bibliographique
parmi les 256 ne fait allusion à : Averroès. Simple constat.
Qu’est ce que veut dire maintenant le mot Tamkine ?
D’un point de vue purement linguistique arabe, Ali Sallabi conclut que le
Tamkine veut dire : « La prise du pouvoir politique et sa possession »77. Il cite pour
appuyer cela deux versets coraniques. Le premier est : « A ceux qui t’interrogent aux
sujets de Dhu-l-Qarnayn - selon certain il s’agirait d’Alexandre le Grand - alors
réponds : Je vais vous en narrer quelques faits mémorables qui méritent d’être
rappelés. Nous avons consolidé sa puissance sur Terre et Nous l’avons favorisé dans
tous ses projets »78. Dans ce verset le verbe arabe (makkanna : ّ &ّ ), dérivé du mot
Tamkine, a été traduit par « avoir consolidé sa puissance »79.
Quant au deuxième verset, je cite : « … le roi lui dit [à Joseph] : à partir de
maintenant, je t’accorde un poste d’autorité et t’investis de ma confiance ! - Confiemoi, dit Joseph, l’intendance des dépôts du pays, j’en serai le gardien vigilant. C’est
ainsi que Nous avons accordé à Joseph une forte position dans ce pays et qu’il
pouvait désormais s’y installé, où il voulait … »80. Dans ce verset le verbe arabe
(makkanna : ّ &ّ ), dérivé du mot Tamkine, a été traduit par « lui avoir accordé une
forte position et un poste d’autorité »81.
Ali Sallabi propose ensuite une définition islamiste conventionnelle, se voulant
refléter une sorte de consensus entre tous les acteurs, les prédicateurs et leurs
institutions respectives. Cette définition considère le Tamkine comme étant l’ultime
but visé par toute action islamique. Le Tamkine est l’étape ultime caractérisée par :
«l’état de domination totale de l’islam sur toutes les autres religions. Ainsi, c’est
l’islam qui gouvernera l’Humanité toute entière … »82. Il cite aussi la définition de
Fathi Yakan, un autre prédicateur et intellectuel organique de la mouvance, qui
définit le Tamkine comme étant : « Atteindre un stade de la victoire ; posséder un
degré de force ; détenir une part d’autorité et du pouvoir politique ; être soutenu par
les supporters, les sympathisants et les partisans. Il est aussi une manière de
consolider le pouvoir sur terre pour avoir la tête haute »83.
Ali Sallabi développe ensuite les conditions84, individuelles et collectives,
nécessaires pour atteindre le but ultime de Tamkine. Hormis les conditions de foi, de
77
Ali Sallabi, 2006, Jurisprudence de la Victoire et du Tamkine, version électronique, p.11.
Coran, 18, 83-84.
79
Ali Sallabi, ibid., p.11.
80
Coran, 12, 55-56.
81
Ali Sallabi, ibid., p.11.
82
ibid., p.11-12.
83
ibid., p.12.
84
ibid., p.133-267.
78
44
piété, de pratique rigoureuse et orthodoxe des percepts de l’islam et d’autres actes
d’adoration, il s’est mis à énumérer les causes morales et matérielles qui favoriseront,
éventuellement, l’atteinte de ce but.
Comme causes morales, il mise principalement sur la formation - ou plutôt, à
mon sens, sur le conditionnement - spirituelle et religieux des individus, dès leur
jeune âge, pour qu’ils soient capables, une fois à l’âge adulte, à assumer de lourdes
responsabilités convergeant vers ce but ultime.
Comme causes matérielles indispensables, il prône de se consacrer, à temps
plein, à cette mission et de se spécialiser davantage. L’organisation - islamiste - devra
fonder des centres de recherches et de spécialisation, et doit être à la pointe de la
planification stratégique et de la gouvernance administrative. Elle doit aussi se
préparer et se former sur divers chantiers indispensables : économiques,
médiatiques, sécuritaires, etc. Car le Tamkine ne peut être que global. Aucun domaine
de la vie sociale, économique et politique, ne doit être négligé. L’islam, dans cette
vision islamiste, étant la vie, il se doit donc d’étendre son voile sur tous ses
domaines. Cela ne peut être le cas que si cette vision maximaliste est portée
viscéralement par les musulmans ordinaires, mais surtout par une élite islamiste très
bien formée et préparée, composée de cadres spécialisés, occupant des postes clés
dans toutes les entrailles de la société !
Viendra par la suite les étapes qu’imagine Ali Sallabi pour atteindre le Tamkine.
En effet, il considère qu’il y a quatre étapes principales85 :
Première étape : (‫ « )ا ر ف‬Présentation », vulgarisation et propagation de l’islam
s’adressant au large public, sans distinctions ;
Deuxième étape : (‫ « )ا ط ء‬Sélection » des individus, ²parmi ce large public, qui
porteront et transmettront le message islamiste, là où ils sont dans la société. Cette
sélection se fait selon des critères comme : la piété, l’intelligence, le physique, la
productivité, etc. Les individus ainsi sélectionnés seront employés et investis pour
réaliser des actions précises, et devront fournir davantage d’efforts spirituels, en
parallèle, pour être capables, le cas échéant, de répondre à l’appel du Jihad, une
option qui reste envisageable au cas où ;
Troisième étape : ( ! ‫ « )ا‬Affrontement » des faiblesses quantitatives et qualitatives
constatées au sein de l’organisation. Celle-ci se doit de combler toutes les lacunes, à
tous les niveaux et dans tous les domaines. L’objectif est que l’organisation ait une
armée de religieux, très respectueux de la lettre et de l’esprit de la charia islamique,
et qui soient, en plus, très spécialisés dans tous les domaines de la vie sociale,
85
Ali Sallabi, ibid., p.270-361.
45
économique, politique et autres. Sallabi, dans une liste non exhaustive, cite quelques
domaines : les sciences humaines, sociologie, politologie, économie, sciences de
l’éducation, géologie, minéralogie, agroalimentaire, hydrologie, astronomie,
industries, technologie, etc. Ainsi que d’autres domaines essentiels liés à la
prédication, l’organisation, la gestion, la planification, la gouvernance, etc.
Ultime étape : (‫ن‬
‫ « )ا‬Domination » ou Tamkine : le triomphe, l’autonomisation, la
domination, la suprématie, la victoire et la possession, sans partage, du pouvoir
politique, pour qu’enfin l’islam sunnite, asharite, salafiste,
du haut de sa
« grandeur », domine les cœurs et organise la société, selon les lois de Dieu et dans le
strict respect de la tradition (sunna) du prophète Mohammad !
Ainsi, le mot Tamkine n’est pas un simple vocable qui serait neutre. En effet,
dans la littérature des « Frères Musulmans », d’ici comme d’ailleurs, ce terme en
particulier, renvoie sémantiquement à toute une construction idéologique, fondée sur
des textes « sacrés », conçue dans un but ultime d’atteindre le cœur même du
pouvoir politique et de tous ses annexes, non pas en usant, comme avant, de la
brutalité contre-productive des armes et de la violence, pour renverser l’existant et
s’assoir à sa place, mais plutôt en prenant le temps, petit-petit, à marcher à petite
allure sur un autre chemin « proactif », d’apparence démocratique et pacifique, certes
long, mais avec une vision stratégique globale sur le long terme ; un cap bien défini ;
un but clairement identifié ; des objectifs pour chaque étape ; des moyens évolutifs ;
des ressources humaines renouvelées et formées ; des ressources matérielles et
techniques modernisées ; des alliances pragmatiques avec diverses sphères et acteurs
de la société ; des établissements structurés et embellis ; des centres spécialisés ; des
sources de financements stabilisées, diversifiées et internationalisées ; des réseaux
d’influence étendus et mis à jour selon les couleurs politiques de la saison ; des
tableaux de bords de supervision systématiques ; des indicateurs de références
mesurant les écarts à rattraper et les dynamiques à encourager ; des grilles
d’évaluation périodiquement mise à jour et améliorées, etc.
La marche continue. Les marcheurs chantent en chœur : « Allah est notre
ultime but ; le Messager est notre exemple et guide ; le Coran est notre constitution ;
le Jihad est notre voie ; mourir dans le sentier d’Allah est notre plus grand espoir »86.
Ainsi, la marche avance suivant les pas de ses premiers initiateurs des années 1928.
Elle gagne chaque jour quelques mètre-carré musulmans, ici et ailleurs.
Seule une lecture, dans sa langue arabe d’origine, de l’intégralité du livre d’Ali
Sallabi, jamais traduit à aucune autre langue à ma connaissance, permettra d’apporter
86
Il s’agit de la traduction de la devise des « Frères Musulmans » apprise par tous les « frères » et chantée à de
nombreuses occasions.
46
plus amples d’éclairage sur un sujet grave qui concerne notre futur proche et
collectif.
Majoritairement, les musulmans n’adhèrent pas à cette vision de domination,
que portent ces islamistes ultra-minoritaires mais chevronnés, que ce soit par la
violence des armes ou par une sorte de « violence douce ». Cependant, il n’est pas
difficile de constater que l’histoire des communautés, musulmanes entre autres, n’a
jamais été écrite par la majorité mais plutôt par une toute petite minorité très active et
extrêmement « proactive » - au sens d’Alain Paul Martin dans son livre « La gestion
proactive »87, publié en 1983, l’année de la création de l’UOIF.
87
Ici, une brève présentation de ce concept : <http://fr.wikipedia.org/wiki/Proactif>.
47
La Fédération des Organisation Islamique en Europe (FOIE) : un
Tamkine sur le sol européen ?
La FOIE est un réseau d’organisations islamistes, dont fait parti l’UOIF,
présente dans plus de 28 pays européens (voir la carte ci-dessous). Elle est le porteétendard des « Frères Musulmans » en Europe. Créée en 198988 - dans les bases ont
été déjà posées en 198389 - son actuel président est un franco-tunisien Abdallah
Benmansour90, l’un des principaux notables très influent de l’UOIF.
En 2003, elle était présente dans 27 pays et comptant 49 grandes fédérations
nationales qui, chacune, fait graviter autour d’elle des centaines d’associations locales
et spécialisées, diverses et variées91 : des associations de mosquées, de jeunes,
d’étudiants, de femmes, d’écoles coraniques, d’écoles d’arabe, d’instituts
théologiques, d’association d’imams, d’aumôniers, d’associations de médecins, de
groupements de journalistes, d’association d’action sociale et caritative, d’association
88
Information issue du livre arabe de présentation de la FOIE « Fédération des Organisations Islamiques
d’Europe : nos objectifs, nos institutions, nos réalisations et nos projets », édition : Médiacom, 11/2002, p.21.
89
Abdelbaki Khalifa, 2008, Interview de Chakib Benmakhlouf (ex-président de la FOIE), Asharq Alawsat,
n°10766, 20/05/2008. Lire la version numérique ici :
<http://archive.aawsat.com/details.asp?section=17&issueno=10766&article=471438&search=%D4%DF%ED%C
8&state=true#.VQCoTOG4LOU>
90
Voir ici : <http://www.fioe.org/ShowNews_en.php?id=144&img=5>.
91
« Fédération des Organisations Islamiques d’Europe : nos objectifs, nos institutions, nos réalisations et nos
projets », édition : Médiacom, 11/2002, 138 pages.
48
de soutien aux palestiniens, etc. En plus de nombreux centres spécialisés dans la
formation théologique et jurisprudentielle des imams et autres prédicateurs.
Sa structure administrative centrale, de l’époque, comportait une assemblée
générale, un conseil consultatif et un bureau exécutif dirigeant et supervisant l’action
de 11 départements92 : Le secrétariat général, département des relations publiques,
département trésorerie, département des médias, département planification,
département citoyenneté et affaires politiques, département présentation de l’islam et
prédication, département éducation, département des jeunes et des étudiants,
département des femmes et département Europe de l’Est.
Par ailleurs, son « Conseil Consultatif »93 est lié aussi à d’autres institutions
centrales spécialisées, qui sont : L’Institut Européen des Sciences Humaines (IESH) à
Château-Chinon (France), le Conseil Européen de la Fatwa et des Recherches (CERF),
l’Union des Ecoles Arabes et Islamiques Européenne (UEAIE), l’Institut Al-Waqf
(gérant les legs et aumônes pérennes), le Forum Européen des Jeunes Musulmans
(FEMYSO), la Ligue Européenne des Journalistes, etc.
En Espagne par exemple, l’Union des Organisations Islamiques d’Espagne94,
membre de la FOIE, dit regrouper plus de 600 associations locales. En France, l’UOIF
regroupe plus de 250 associations sur tout le territoire français95. Je n’ai pas fait
d’étude statistique dénombrant les antennes locales de la FOIE, dans la majorité des
moyennes et grandes villes d’Europe, mais l’on peut prudemment, à partir des seuls
92
ibid.
ibid.
94
Lire en arabe ici : <http://ucide.org/ar/content/
‫ا‬-‫ا " ت‬-‫ ( د‬-‫ > ر ف‬ou en espagnol ici :
<http://ucide.org/es/content/historia-de-la-uní-de-comunidades-islámicas-de-españ-ucide>.
95
Lire la présentation officielle de l’UOIF ici : <http://www.uoif-online.com/presentation/>.
93
49
cas de la France et de l’Espagne, faire une extrapolation relative et supposer, par
conséquent, que la galaxie de la FOIE contiendrait entre 3.000 et 6.000 associations de
mosquées, ou associations de présence « dite » citoyenne, pour une moyenne de 100
à 200 associations locales par pays, si ce n’est pas plus : « sacrée » fourchette !
Dans un document de 138 pages de présentation officielle publique de la FOIE
- écrit en arabe (!) portant le numéro ISBN 2914175507, édité en 2003 par
MEDIACOM, introuvable par ailleurs sur Internet, à destination exclusive du public
arabophone, préparé sous l’égide de l’ancien responsable du département des
médias au sein de la FOIE : Abdallah Benmansour, qui occupe actuellement le poste de
président de la fédération européenne. Le vocable Tamkine n’y figure pas, ou
presque.
Au lieu de ce terme, qui pourrait évoquer chez certains une sorte de
connivence, au moins sémantique avec l’idéologie des « Frères Musulmans », les
rédacteurs ont pris soins de choisir un autre vocable arabe, plus ou moins soft et
presque nouveau à l’époque, qui est le Tawtine (‫) وط ن‬. Que l’on peut définir et
résumer globalement en deux points :
Premièrement, préserver et immuniser l’identité et la présence musulmane en
Europe contre des influences morales jugées négatives des sociétés occidentales
sécularisées et permissives, et contre leurs impacts sur les comportements des
individus et des familles musulmanes.
Deuxièmement, encourager les musulmans européens, de là où ils sont, à
s’intégrer positivement dans leurs sociétés et à s’engager activement, au nom même
50
de leur identité musulmane qu’il faudrait préserver à tout prix, dans l’action
citoyenne pour l’intérêt public et pour préserver la cohésion et la paix sociale : Voila
un premier discours !
Cependant, avec la FOIE, tout comme avec l’UOIF, il ne faut jamais se fier aux
apparences déclaratives, destinées au grand public ou aux médias. Il faut plutôt
creuser un peu plus loin, si l’on a l’opportunité de le faire, creuser en profondeur
dans les trois directions, si possible, et analyser des documents « confidentiels » que
même des membres actifs, qui « mouillent » depuis des décennies « la chemise »
pour l’UOIF, n’en auront jamais accès.
C’est un privilège de quelques initiés que l’on peut désormais compter sur les
doigts d’une seule main. A l’UOIF, tous les membres ne sont pas logés à la même
enseigne. Tout le monde n’a pas la même valeur. Certains pensent le contraire,
preuve que la magie fonctionne parfaitement. L’information n’y est pas un droit,
c’est un privilège. L’information n’y circule pas librement et sans contrôle. Les
membres actifs payent mensuellement le même taux de cotisation - 2,5 % du revenu
mensuel, voire plus pour certains, en plus des droits de cotisations dans différentes
associations cultuelles et culturelles - mais les mêmes membres n’ont pas accès aux
mêmes informations.
Par ailleurs, je n’ai - de part mes anciennes responsabilités au sein du bureau
de la « Ligue Islamique du Nord » (LIN) - ni tout vu ni tout lu. Mais, il me suffit un
seul document top secret, qui m’a été donné - 80 pages mais sans sa page de garde par un notable de la LIN. Ce document je ne l’ai pas dérobé. Il ne s’agit pas d’un recel
ou d’un faux. Lorsque j’étais en 2002/2003 président de la section lilloise de
l’association des « Etudiants Musulmans de France », affiliée à l’UOIF, et donc
membre de droit du bureau de la LIN, représentant les étudiants, je devais, en
parallèle de mes responsabilités estudiantines déclarées, servir de courroie de
transmission de la pensée des « Frères Musulmans » au sein du monde étudiant,
pendant les prêches de vendredi dans les salles de prière du campus, et au sein de
cellules fermées d’éducation de la mouvance ; là où de nouvelles recrues sont
conditionnées et embrigadées.
Lorsque j’avais pris mes fonctions à l’époque, il n’y avait pas de programme
éducatif « islamique » structuré, adapté aux publics étudiants. Il n’y avait pas de
trame préconçue à cette fin. Le cadre de ma responsabilité existait mais le contenu
n’y était pas. Cela m’avait étonné. En tout cas, c’était ce que je croyais pendant une
bonne période. Je me suis mis alors à réfléchir pour mettre en place un programme
global de formation des cadres étudiants recrutés, à mon niveau, étalé sur une année
universitaire, semaine par semaine. Lorsque je le relis et l’analyse, à présent, je ne
peux m’empêcher de remercier Dieu de m’avoir sauvé, juste à temps.
51
Lorsque j’avais terminé la rédaction et la mise en page de ce document, que je
garde dans mes archives, je l’ai présenté au responsable éducatif régional de l’UOIF
pour observations et validation. Ce notable me fixa longtemps d’un œil satisfait et
me dit qu’il ne fallait pas perdre tout ce temps là, sachant que l’on a déjà, au sein de
l’UOIF, un document officiel «Le Guide Educatif » (‫ ج ا ر وي‬$ ‫)ا‬, adopté à l’échelle
de l’Europe et préconisé par la FOIE. Et c’est à ce moment là que j’ai eu une copie de
ce document - un extrait de 80 pages - écrit en arabe aussi (!) et classé, à son tour,
d’après ce que j’avais compris, top secret. Je ne sais pas si j’ai l’intégralité du texte ou
pas, car dans ce l’on m’a donné, il maquait la page de garde, le sommaire, les
identités des auteurs, etc.
Aujourd’hui je suis en mesure de publier, en toute conscience et
responsabilité, quelques 28 pages significatives de ce guide. Et ce, pour deux raisons
principales :
Premièrement, pour mettre la FOIE et l’UOIF devant le fait accompli. Que le
déni cesse. La FOIE, et sa filiale UOIF, portent dans le cœur et dans l’action les
standards de l’idéologie des « Frères Musulmans » en Europe et en France, un point,
c’est tout.
Deuxièmement, dans ce « Guide Educatif », la terminologie utilisée n’est plus
exactement la même. Car lorsque l’on utilise uniquement le terme Tawtine, dans les
documents publics et devant les médias dans les discours au Bourget, ce terme perd
son éclat dans ce guide pour céder la place au terme conventionnel : Tamkine !
Ce guide commence par se définir comme étant une partie de la « voie
islamique » et un instrument permettant de mieux préparer l’individu, le groupe et
la Oumma musulmane afin de pouvoir vivre selon les percepts de la charia islamique
et sous son ombre. Ce guide se dit être issu du Coran, de la sunna du Prophète, au
sens le plus large du terme, de l’héritage de grands savants et intellectuels, anciens et
contemporains, et d’autres sources, appartenant au patrimoine de l’humanité tant
qu’elles ne soient pas en contradiction avec un fondement religieux ou avec un de ses
buts ultimes96.
96
FOIE, années 2000, Guide Educatif de la FOIE, document secret, p.16.
52
53
Il se veut, je cite : « pratique », « global », « réaliste », « complet », « équilibré »,
« progressif », « universel », « scientifique » et « positif »97. Il part de quatre points
d’approches essentielles. Le premier est « dogmatique et idéologique » visant à
permettre au musulman - sujet de l’éducation - d’avoir une vision globale de la
religion à partir de fondements généraux. Le deuxième est « intellectuel » visant à lui
permettre de tirer profit de la connaissance humaine contemporaine dans tous les
domaines de spécialisation. Le troisième est « réaliste » visant à permettre au
musulman de comprendre, dans les détails, son entourage sociétal, de connaître,
entre autres, les forces, les élites, et les lobbys agissant dans son contexte et être en
mesure d’en cerner aisément tous les tenants et aboutissants. Le quatrième point
d’approche est « stratégique » au sens où le sujet musulman doit être en mesure de
mettre en exécution les plans et les programmes établis par la FOIE, et par ses
institutions, ce qui lui permettra d’être un vecteur de réalisation des buts ultimes
visés98.
Aussi, ce guide présente 59 objectifs différents répartis sur 20 axes éducatifs
sélectionnés. Ces axes sont : Le Coran et ses sciences ; le hadiths et ses sciences ; le
Crédo islamique ; les actes d’adoration ; la prédication et l’activisme ; les fondements
de la personnalité musulmane et sa purification ; les méthodes de pensée et de
recherche scientifique ; l’auto-formation intellectuelle et culturelle ; la famille
musulmane ; la législation islamique ; l’administration ; les relations sociales ; les
régimes politiques et les relations internationales ; l’économie ; l’histoire ; la réalité
des musulmans à travers le Monde ; les mouvements réformistes ; les forces hostiles,
les sectes et les groupes égarés ; la culture esthétique et l’hygiène99.
Parmi ces 59 objectifs, l’on trouve par exemple - le choix ici est au hasard :
« Imprégner et convaincre le musulman de l’obligation pour agir au sein d’un groupe
structuré et organisé pour rendre son éclat à la communauté de l’islam » ; « l’éduquer
à l’écoute et à l’obéissance (!) en toutes circonstances et dans les limites définies par la
législation islamique » ; « accroître les compétences du musulman dans les domaines
de la gestion administratif, la planification, la vision stratégique selon des outils
scientifiques et techniques modernes, pour rationaliser et éclairer la marche de la
FOIE et augmenter l’efficacité organisationnelle de ses institutions » ; « fournir au
musulman une instruction politique pour qu’il soit capable d’assimiler les
fondements du régime politique islamique et son placement situationnel et
relationnel vis-à-vis d’autres régimes politiques locaux et internationaux » ;
« apprendre au musulman les méthodes sages de traitement et de communication
avec les différents pouvoirs et autorités, en place, tout en préservant les
97
Ibid., p.16-17.
Ibid., p.20-21.
99
Ibid., p.27-30.
98
54
fondamentaux religieux » ; « faire découvrir au musulman la réalité des questions et
problématiques qui minent le monde musulman ainsi que celles des minorités
musulmanes à travers le monde, et lui permettre d’acquérir les outils pour mieux
comprendre les causes, cerner les forces obscures qui les génèrent et agir pour leurs
trouver des solutions » ; « faire découvrir au musulman les organisations maléfiques
et les sectes qui présentent un danger pour les musulmans et pour l’humanité » ;
« permettre au musulman de bien comprendre le projet sioniste et, plus
spécifiquement, la question de la Palestine », etc.100
Le document présente, ensuite, quelques remarques et recommandations
concernant le contenu des 20 axes de formations privilégiés. Là aussi, il est question
de délimiter le terrain à l’intérieur des frontières d’un islam sunnite, asharite, rigoriste,
hérité des siècles passés, en permettant tout de même une modeste élasticité, non pas
dans ce qui est considéré comme fondamental mais dans un cadre purement
pratique. Le point est mis, encore une fois, sur l’aspect stratégique de, et dans, la
formation. Avoir cette vision stratégique et futuriste est considéré comme étant une
priorité majeure et un défi pour la renaissance de l’islam et pour son apologie dans
les prochaines étapes. Il est aussi question de former le type de « musulman
proactif » qui, de part cette nature, serait capable d’apporter et d’engager les
changements sociétaux désirés, etc.101
Après cette langue introduction principielle et méthodologique, le « Guide
Educatif » définit six phases, pour six publics visés : la phase d’adolescence ; la phase
de jeunesse ; la phase introductive ; la phase de formation ; la phase du Tamkine et la
phase de préparation des leaders. Cependant, les 80 pages que j’ai en ma possession,
ne laissent apparaître que le contenu de deux phases/étapes principales :
- La phase dite « Introductive » ( ‫ د‬# ‫)ا‬, visant un public, âgé au moins de 17 ans.
Cette étape s’adresse aux futures recrues sélectionnées, des phases précédentes, pour
adhérer et rejoindre les « Frères Musulmans », à travers les organisations affiliées à la
FOIE, dans chaque pays. Les personnes sélectionnées suivront une formation
religieuse fondamentale, la découverte de l’idéologie des « Frères musulmans », la
familiarisation avec le concept du travail en groupe structuré et organisé, un
parcours de conscientisation politique est aussi prévu, etc. Le formateur doit
s’appuyer sur les références fréristes pour préparer ses séquences : Hassan Al Banna,
Fayssal Mawlaoui, Sayyed Sabiq, Mostapha Zarka, Fathi Yakan, etc.102
- La phase dite de « Tamkine » ( & ‫)ا‬, se situe juste après la phase de « formation »
et juste avant celle de la préparation des « leaders ». Le contenu de la dernière phase
100
Ibid.
Ibid.
102
Ibid., p.36-54.
101
55
relative à la formation dédits « leaders », m’est inconnu. Le document en ma
possession ne présente pas le contenu éducatif exact de la phase de « formation » non
plus.103
Néanmoins, il présente exhaustivement et clairement celui de la phase
« Tamkine » visant à préparer les prédicateurs, les formateurs et les cadres de
l’organisation. Son contenu maintient et développe davantage la dimension
spirituelle ainsi qu’un rappel des fondamentaux dogmatiques et cultuels, avec plus
d’approfondissent des connaissances déjà acquises.
Il oriente plus vers l’action sur le terrain de la prédication et de l’encadrement
d’autres personnes au sein des mosquées, des associations, des activités de
rayonnement, etc. Cette phase propose aux « frères » d’étudier les autres tendances et
groupes, anciens et nouveaux, et connaître leurs pensées pour mieux les identifier
sur le terrain de l’action apologiste. Elle propose aussi d’étudier les autres religions :
Judaïsme, Catholicisme, Protestantisme, Orthodoxe, Témoins de Jéhovah,
Hindouisme, Bouddhisme ainsi que les sectes présentes dans le pays de résidence, en
Europe et à travers le Monde. Il propose aussi, entre autres, d’étudier le concept et les
règles du Jihad, au sens du combat pour la cause d’Allah, et la notion de l’hégémonie
et de la domination de l’islam104 : le Tamkine. Les références bibliographiques, en ce
qui concerne l’engagement et l’activisme islamiste, sont à 99 % clairement « Frères
Musulmans »105.
Ce qui m’a le plus marqué, en plus de l’abondance du concept et vocable
Tamkine, c’est la totale absence de références occidentales, européennes ou françaises.
En effet, ce guide s’adressant à des citoyens européens, certes « Frères Musulmans »,
mais il ne préconise que des références égyptiennes, syriennes, saoudiennes,
iraquiennes, libanaises, soudanaises, etc. Une logique au moins est respectée, car
lorsque l’on importe la notion du Tamkine de son terreau arabo-islamiste, il vaudrait
mieux l’implanter dans son terreau idéologique de base, importé aussi, pour plus
d’efficacité. Les « agriculteurs » sont invités tous les printemps au congrès annuel du
Bourget.
Par conséquent, il est clair désormais que le Tamkine est au cœur du
programme éducatif des « Frères Musulmans » d’Europe. Ce programme est, à son
tour, au cœur de la dynamique Tawtine de l’islam - le terme utilisé dans les
documents publics et les discours de grande masse - à travers une présence
musulmane citoyenne. Si le Tamkine est la vraie substance et visée lointaine de
l’action de la FOIE et de l’UOIF, le Tawtine n’est autre que son vernis et son
103
Ibid., p.55-71.
Ibid., p.61.
105
Ibid., p.66.
104
56
apparence. Si le Tawtine est l’objectif d’une étape, le Tamkine est le but ultime de
toutes les étapes : Peut-on dès lors parler de « double discours » ? L’un en français et
l’autre en arabe ? L’un public et l’autre confidentiel ? L’un de Tawtine et l’autre de
Tamkine ? Le lecteur en appréciera la pertinence.
Chakib Benmakhlouf, ex-président de la FOIE (2006-2010), a déclaré, dans une
interview au journal londonien arabe Ascharq Al-Awsat, le 20 mai 2008, je traduis :
« Au sein de la FOIE, nous avons un plan d’action, nous avons un plan d’action sur
20 ans ; sur le court terme, le moyen et le long terme. Certains événements
malheureusement, se déroulant de temps en temps,
influent négativement
l’avancement dans notre action. Certains musulmans se sont vite attirés vers des
combats marginaux et cela perturbe notre plan d’action global »106. Chakib
Benmakhlouf, avait-t-il, quelque part, dans son bureau un document secret de Tamkine,
visant à dominer l’Europe en 20 ans, comme celui de son « frère » Mohammad Khayrat
Al-Chater qui a montré son efficacité en Egypte ? Question légitime.
En citant ensuite l’exemple d’un imam au Pays-Bas qui s’en était pris
violement aux homosexuelles, Chakib Benmakhlouf dit regretter que, je traduis :
« certains musulmans perdent le sens des priorités. Ils oublient qu’il y a des lobbys
très puissants qui soutiennent la cause des homosexuels ici ou là. Ces musulmans
feraient mieux de s’occuper de résoudre ce qui est prioritaire d’abord et laisser la
106
Abdelbaki Khalifa, 2008, Interview de Chakib Benmakhlouf (ex-président de la FOIE), Asharq Alawsat,
n°10766, 20/05/2008. Lire la version numérique ici :
<http://archive.aawsat.com/details.asp?section=17&issueno=10766&article=471438&search=%D4%DF%ED%C
8&state=true#.VQCoTOG4LOU>
57
question de l’homosexualité à un autre moment »107. Cet exemple éclaire le sens des
priorités. L’ex-président de la FOIE ne se positionne pas par rapport à
l’homosexualité. Il ne condamne pas les propos homophobes de l’imam ni le corpus
textuel qui sous-tend ce combat. Il n’exprime pas le fond de sa pensée sur le fond du
sujet. Il condamne juste le « moment choisi », par cet imam, pour livrer une telle
bataille. Car, dans l’esprit de son imminence, chaque chose en son temps.
En effet, j’ai souligné l’expression « sens des priorités » car dans l’idéologie
des « Frères Musulmans », cela n’est pas un simple élément de langage ou un
concept neutre que tout le monde peut utiliser pour décrire une certaine logique,
communément admise. Il s’agit, bien au contraire, de toute une branche
jurisprudentielle - fiqh des priorités (‫ ) * ا)و و ت‬- développée principalement, en deux
temps, par Youssef Al-Qaradawi.
D’abord dans les années 1980, dans un livre en arabe « L’éveil islamique entre
la méconnaissance et l’extrémisme » - (‫ن ا " ود و ا طرف‬
‫وة ا‬
‫)ا‬. Dans cet
ouvrage, il utilisait plutôt le concept d’ «hiérarchisation des actions » - ( ‫* را ب‬
‫)ا)! ل‬. Et puis, dans un livre paru en 2001 en arabe intitulé : « Le Sens des priorités :
Etude contemporaine à la lumière du Coran et de la Sunna »108, et publié en 2009 en
France chez Bayane Editions.
Ainsi, le « Sens des priorités » propose une méthodologie dite « islamique »,
que l’on peut résumer, fidèlement à la définition d’Al Qaradawi, comme suit - je
synthétise le propos en arabe : « Classer sur une échelle de priorités, et selon des
critères authentiques, issus de la Charia islamique, les jugements, les règles légales,
les valeurs et les actions. Ainsi, l’on ne doit plus avancer le moins important sur le
107
Ibid.
Youssef al-Qaradawi, Le Sens des priorités. Étude contemporaine à la lumière du Saint Coran et de la Sunna,
Bayane Éditions, 2009, 288 p.
108
58
plus important ; ou le simplement correct sur le plus correct ; ou le moins
authentique sur le plus authentique ; ou le surérogatoire sur l’obligatoire ; ou le
secondaire sur le fondamental ; ou le lointain sur l’imminent, etc. Au contraire, il va
falloir faire les choses dans un certain ordre intelligeant et éclairer par les lumières de
la révélation et de la raison : commencer par le commencement ; laisser à plus tard ce
que l’on doit faire ultérieurement ; ne pas tomber dans l’exagération des choses
futiles ni dans la minimisation des choses dangereuses, etc. »109 Tout un programme !
En effet, lorsque Chakib Benmakhlouf désapprouve le moment choisi par l’imam
homophobe, ce n’est pas son homophobie, en soi, qui serait désapprouvée, ce serait
juste le « moment choisi » qui ne coïncide pas avec l’échelle des priorités établie au
sein de la FOIE et qui s’étale sur 20 ans. Peut-être la bataille contre l’homosexualité
est prévue en 2030, un peu partout en Europe ?! A moins que la FOIE et son exprésident clarifient leurs positions et publient ce plan stratégique secret, sur 20 ans !
Quant à l’avenir de l’islam en Europe, l’ex-président de la FOIE estime que :
« La situation et l’avenir des musulmans en Europe seront meilleurs, avec l’aide de
Dieu. Nous sommes très optimistes à ce sujet. Le Prophète, même en étant assiégé
pendant la Bataille du Fossé (ou Bataille des Coalisés) - Al Khandak (‫زوة ا دق‬/) - il a
annoncé la victoire aux musulmans. Aujourd’hui, la plus grande réalisation de
l’islam et des musulmans en Europe, c’est le fait que tous ces pays européens, qui
hier déclaraient la guerre à l’islam, l’islam est désormais présent au cœur même du
continent européen. Aujourd’hui en Europe, il y a des milliers de mosquées, des
milliers de minarets et la voix islamique est désormais écoutée »110, y compris au sein
de la « Commission Européenne », j’y reviendrai.
Chakib Benmakhlouf, en évoquant la Bataille du Fossé, et précisément cette
bataille, rappelle que le Prophète avait annoncé la « victoire » aux musulmans, en
étant assiégé. Quoi de plus normale pour le lecteur lambda ? Un prophète, au milieu
de sa communauté assiégée, tenta de motiver les troupes ont leur annonçant la
victoire malgré les difficultés du moment. Pour celui qui ne connait pas la
symbolique et le sous-entendu d’un tel propos, cela se passe de tout commentaire,
évidemment. Mais lorsque l’on connaît un peu ce à quoi cela renvoie, la question
reste entière : Mais de quelle « victoire », parlais-t-il, et face à quel adversaire ? Et
pourquoi, précisément, la référence à la « Bataille du Fossé » car le Prophète motivait
ses troupes dans toutes les batailles ? Pourquoi ce symbole en particulier ?
Pour répondre à ces questions et comprendre, enfin, l’allusion faite, il faudrait
ouvrir quelques livres de la biographie du Prophète, de préférence en arabe, et lire le
chapitre concernant cette bataille. Sans rentrer dans les détails, les musulmans
109
110
Youssef Al Qaradawi, 2001, Fi fiqh al-Awlawiyyat (en arabe), édition Resalah Publishers, p.9-10.
Abdelbaki Khalifa, 2008, Interview de Chakib Benmakhlouf (ex-président de la FOIE), Asharq Alawsat, ibid.
59
devaient se protégeaient contre l’attaque d’une coalition de tribus qui voulait
anéantir le Prophète et sa communauté à Médine. Pris de court et n’ayant pas le
temps de rassembler une armée pour se défendre en dehors de Médine, le Prophète,
conseillé par un compagnon d’origine perse, décida de creuser un large fossé à
certains endroits pour empêcher les cavaliers adverses d’atteindre leurs cibles. Les
compagnons se sont mis à creuser cette tranchée quand tout à coup, certains parmi
eux se sont vus défier par un solide rocher. Ils expliquèrent cela au Prophète. Celui-ci
décida alors de prendre les choses en main.
D’après un récit cité par Mohamed Al Ghazali - une référence de la confrérie dans son étude biographique de la vie du Prophète : « Le Prophète emprunta la
pioche de Salmãn - celui qui l’avait conseillé. Il frappa un premier coup, puis un
deuxième et puis un troisième. A chaque coup, le rocher se fissura davantage ; une
lumière jaillit. A chaque lumière, le Prophète cria : « Dieu est Grand ! » et les
musulmans répétèrent après lui. Ensuite le Prophète se tourna vers ses compagnons
et leur expliqua ce qu’il voyait dans la lumière éblouissante qu’ils avaient vu, après
chaque coup de pioche. Il dit : Après le premier coup, cette lumière m’éclaira les
palais d’Al-Hira et ceux d’Al-Madâ’in - le nom donné à l’époque à la capitale de la
Perse, je les voyais comme s’ils étaient les canines des chiens. L’ange Gabriel m’a dit
que ma nation en sera victorieuse, nous les dominerons, alors soyez heureux de cette
bonne nouvelle ! Après le deuxième coup, la lumière m’éclaira les palais rouges des
terres de Rome, je les voyais comme s’ils étaient les canines des chiens. L’ange
Gabriel m’a dit que ma nation en sera victorieuse, nous les dominerons, alors
soyez heureux de cette bonne nouvelle ! Après le troisième coup, la lumière
m’éclaira les palais de Sana’a au Yémen, je les voyais comme s’ils étaient les canines
des chiens. L’ange Gabriel m’a dit que ma nation en sera victorieuse, nous les
dominerons, alors soyez heureux de cette bonne nouvelle ! »111 Mohamed Al Ghazali
cita cette histoire, tout en précisant à la marge qu’elle ne serait pas authentique. Mais,
il la cita quand même.
Quelques années plus tard, Chakib Benmakhlouf la reprit à son tour, en étant
président de la FOIE. Il s’agirait, pour sa part, d’inscrire autrement le but ultime du
Tamkine dans une certaine tradition ancestrale suspecte.
L’ex-président de la
FOIE l’évoqua furtivement dans cette interview datant du 20 mai 2008 sans que le
journaliste arabe ne le relance pour expliciter sans propos ou le préciser davantage.
Presque un an, jour pour jour, le 11 mai 2009, Chakib Benmakhlouf, en sa qualité
de président de la FOIE, était reçu à la « Commission Européenne » à Bruxelles par
José Manuel Barroso, dans le cadre d’une réception annuelle des représentants des
trois religions monothéistes pour parler de « l'apport éthique des religions pour la
111
Mohamed Al-Ghazali, 2000, fiqh as-Sirah, edition Dãr as-Shourouq, p.227-228.
60
gouvernance économique »112. Sa présence avait, à l’époque, provoquer le boycotte
de cette réunion par des représentants de la communauté juive. Le directeur exécutif
de la « Conférence Européens des Rabbins » avait publié un communiqué expliquant
qu’il était
« inapproprié que des organisations comme la Fédération des
organisations islamiques en Europe ou des individus, qui par le passé ont fait ou
soutenu des déclarations antisémites, et clairement liés à des mouvements islamiques
radicaux, comme les Frères musulmans soient présents à de telles réunions »113, et
qu’il regrettait que « les institutions européennes aient choisi de recevoir des
extrémistes qui ne représentent pas la majorité des citoyens musulmans d'Europe,
qui sont pour le dialogue et les valeurs démocratiques de l'Union européenne »114.
Par ailleurs, cette référence à la victoire promue aux musulmans en terre
européenne, annoncée dans ce récit, se voulant prophétique, n’apparaît pas,
curieusement, dans « Muhammad, Vie du Prophète »115 de Tariq Ramadan, paru au
Presses du Châtelet en 2006. Sur presque 12 pages, ce récit largement adopté et
commenté dans les biographies arabes disparaît du récit ramadanien. Un oubli ? Un
récit sélectif ? Une évolution vers une approche critique des hadiths ? L’espoir reste
permis.
Cependant, si l’on relit son dernier livre « De l’islam et des musulmans », tout
en intégrant cette notion de Tamkine - qui n’y est d’ailleurs pas cité expressément,
mais dont le sens profond transparaît ostensiblement presque dans chaque page comme simple hypothèse de lecture, l’on comprendra mieux les visées stratégiques
lointaines d’une telle présence islamiste très dynamique. Certains passages du livre
interpellent à plus d’un titre, par exemple, je cite celui-ci :
112
L’OBS Monde, 2009, La communauté juive boycotte une réunion de la Commission européenne,
11/05/2009. L’article est consultable ici : < http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20090511.OBS6445/lacommunaute-juive-boycotte-une-reunion-de-la-commission.html>
113
ibid.
114
ibid.
115
Tariq Ramadan, 2006, Muhammad : Vie du Prophète, Presses du Châtelet, p.206-218.
61
« Notre participation commence très exactement là : être reconnus pour ce que
nous sommes, des citoyennes, des citoyens ou des résidents de confession
musulmane, au clair avec eux-mêmes, sûrs de leur identité autant que de leurs droits.
A partir de ce prérequis se construit notre participation aux niveaux social, scolaire,
économique, politique, académique et culturel. Dans tous les domaines, notre
présence et notre contribution sont requises dans le cadre d’une citoyenneté active, à
la lumière de notre conscience éthique, dans le quotidien de nos vies : être présents
avec les femmes et les hommes de bonnes volontés ; réformer notre présent ;
construire notre avenir ; revisiter notre passé et notre mémoire. Notre présence
consiste à promouvoir et à accompagner tout cela, et ce n’est pas rien »116
Ailleurs, un propos de cet autoproclamé nouveau « réformateur » genevois,
opérant depuis le Qatar comme ses idéologues : Sallabi & Co, sonne comme une
promesse, comme une menace, il dit en parlant de certains gouverneurs, ministres et
d’autres fonctionnaires européens et occidentaux, je cite ce passage : « Demain, ce
seront des sociétés transformées qui les bousculeront dans leurs anciennes certitudes.
Il faudra compter à ne point douter, sur un engagement social et politique redoublé
de ces populations [musulmanes, ndlr] : leur présence mettra à mal le double
discours - C’est l’hôpital qui se moque de la charité ! (ndlr) - entretenu de certains
gouvernements, et leur exigence d’autonomie devra être entendue »117 … « Exigence
d’autonomie » dit Ramadan ? Mais qu’est-ce que cela pourrait-il signifier ? Avant de
rajouter cette autre étrange phrase : « Déjà, au cœur de l’Europe, la réalité de ces
lendemains est en marche »118 : Destination Tamkine peut-être ? Simple question !
Le 30 novembre 2000, sur la chaîne qatari Al-Jazeera, Al-Qaradawi disait :
« Avec la volonté d’Allah, l’islam retournera en Europe, et les européens se
convertiront à l’islam. Ils seront ensuite mieux à même de propager l’islam dans le
monde, mieux que nous, les anciens musulmans. Tout cela est possible pour
Allah »119. Quelques mois auparavant, Al-Qaradawi était l’invité star du congrès
annuel de l’UOIF au Bourget ! Depuis, le Tamkine poursuit sa marche avec sagesse et
détermination. Cette année, l’UOIF invite à son congrès annuel, en avril prochain,
Tariq Ramadan, peut-être pour faire un bilan d’étape ?!120
En décembre 2004, au sein du département de « Recherche sur les Menaces
Criminelles Contemporaines », de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), Fabrice
Maulion a soutenu une thèse pour son diplôme universitaire du 3e cycle sous la
direction de Xavier Raufer. Celle-ci étudie et analyse l’organisation des « Frères
116
Tariq Ramadan, 2014, De l’islam et des musulmans, Presses du Châtelet, p.197
Tariq Ramadan, ibid., p.186.
118
ibid.
119
Paul Landau, 2005, Le Sabre et le Coran, Editions des Rochers, p.205.
120
Ici la liste des intervenants : < https://www.ramf-uoif.fr/nos-intervenants/>.
117
62
Musulmans », son évolution historique, sa cartographie, etc. Sur un total de 600
pages, cette thèse éclairant de nombreux zones d’ombres et très documentée par
ailleurs, conclut en disant, à juste titre, ce long passage, je cite :
« La stratégie par étape de réislamisation par le bas, chère à H. al-Banna,
s'articule en deux dimensions. L'une horizontale, qui trouve son origine dans les
mosquées, s'appuie sur un discours promoteur d'un système de valeurs propres aux
sociétés musulmanes et constitutives de leur identité ; sur un dense réseau
d'institutions sociales et caritatives qui, non seulement comble les carences de l'Etat
dans ces domaines, mais est conçu comme un moyen de la propagande.
L'autre, verticale, dont l'activisme dans les milieux étudiants et les syndicats,
partie intégrante de la stratégie de propagation horizontale de l'idéologie ou
conquête de la société par le bas, constitue le socle sur lequel se construit la stratégie
de pénétration des institutions de l’Etat. Ainsi, les étudiants des années soixante-dix,
cornaqués par leurs Frères aînés, ont permis de prendre le contrôle d'un certain
nombre de syndicats professionnels. L'étape suivante de ce parcours, en vertu du
caractère militant et politique de la stratégie de la Confrérie dans les syndicats, est
l'accession au statut de parlementaire dans les années 1980 et en 2000.
Cette stratégie d'expansion bidimensionnelle dans le contexte national, se
retrouve aussi à l'échelle internationale. L'expansion des Frères qui s'étend d'un pays
à l'autre, dans une dimension horizontale, trouve sa verticalité dans la branche
internationale des Frères.
En effet, cette structure déterritorialisée privilégie les intérêts stratégiques des
Frères, au niveau international, grâce à ses moyens financiers et opérationnels. Elle
peut aussi, le cas échéant, venir en aide à l'une des branches nationales. Que l'arme
principale des Frères soit une banque dans un paradis fiscal démontre d'une part,
que les Frères musulmans sont des pragmatiques -l'hégémonie idéologique, sociale et
politique est plus facilement atteinte grâce à l'instrument de la finance, ultime source
du pouvoir ; d'autre part que, loin d'être des fanatiques arriérés, les Frères
musulmans sont des stratèges avisés, de plein pied dans la modernité et, finalement,
que leur projet porte sur le long terme et vise bel et bien à s'implanter partout où une
"communauté" musulmane prospère. Cette dernière constatation nous ramène
naturellement en France où, depuis une quinzaine d'années - la thèse date de 2004,
ndlr - les Frères font partis du paysage médiatique et publique, voire politique, de
63
l'Hexagone, grâce à l'Union des Organisations Islamiques de France (UOIF), et y
prospèrent. »121 … dans ce qui suivra quelques éléments de preuves !
121
Fabrice Maulion, 2004, L’organisation des frères musulmans, thèse diplôme universitaire 3° cycle,
département de recherche sur les menaces criminelles contemporaines, Université Panthéon-Assas, Paris II,
p.328-329. Le texte intégral est téléchargeable ici : < http://www.drmcc.org/IMG/pdf/41e653082a706.pdf>.
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