DOSSIER DROGUE DE SYNTHÈSE PEUR SUR L’ÎLE Connue sous le nom de “chimique” à Mayotte, la drogue de synthèse se répand sur le territoire depuis quelques années et apporte avec elle son lot de drames humains. Ses trafiquants ont reproduit les molécules de différents stupéfiants pour contourner la loi. La substance vise ainsi à reproduire les mêmes effets que le cannabis par exemple, mais elle s’avère en réalité plus violente suivant les dosages et les cocktails moléculaires. Elle a provoqué encore, il y a quelques semaines, la mort d’un Mahorais. Plongée dans la nouvelle gangrène de l’île. L es nouvelles drogues de synthèse (NDS) se comptent par dizaines en Europe et en France particulièrement. Cocaïne, héroïne, cannabis, chaque stupéfiant bien connu sur le marché, dispose à présent de plusieurs dérivés synthétiques accessibles en quelques clics sur internet et pour un prix bien moins élevé que leurs homologues “naturels”. Mayotte, malheureusement, n’échappe pas au phénomène puisque, depuis quelques années, des cannabis de synthèse se répandent dans le département. Jeunes comme moins jeunes sont touchés, et la commercialisation rampante de cette drogue ne va pas sans tous les problèmes d’addiction et de violence qui lui incombent. Les vidéos de consommateurs en pleine perte de leurs moyens se répandent sur les réseaux sociaux comme des champignons. Un phénomène 2.0 qui en dit long sur la déconnexion de la réalité de certains témoins qui, munis de leur smartphone, filment la décadence humaine, pressés de montrer à leur réseau de “followers” la scène insolite à laquelle ils ont assisté au lieu d’appeler les secours. Le prix varie entre 5 et 20 € le gramme de “chimique”, voire encore plus cher suivant les stocks disponibles. Pour s’en procurer, rien de plus simple, puisque quelques dealers ont déjà pignon sur rue à Mamoudzou et sa périphérie. L’autre inquiétude réside dans les dosages, plus ils sont forts plus les divers symptômes de “bad trip”, effets psychotiques, troubles du comportement, apathie, vomissement ou encore maux de tête se font sentir. Et l’addiction pointe elle aussi rapidement le bout de son nez comme les témoins que nous avons rencontrés Absence de ont pu nous l’expliquer tout au long de cette législation enquête. Importé d’Asie, le proautour des duit bénéficie d’un vide juridique puisqu’il n’est drogues de pas considéré comme une drogue. En effet, synthèse si les trafiquants ne peuvent être poursuivis dans le cadre de vente de stupéfiants, il n’en demeure pas moins qu’il reste interdit, la loi le stipule, d’importer “de manière frauduleuse des médicaments ou toute substance capables de modifier la physiologie et le métabolisme du corps humain”. Les dealers encourent pour cela une peine pouvant aller tout de même jusqu’à cinq ans de prison, plus encore s’il s’avère qu’ils étaient en possession de molécules répertoriées comme des drogues dures. Cependant, il suffit de modifier quelque peu une molécule pour que le produit n’entre pas dans la nomenclature des drogues répertoriées. Mélangé à du tabac, la chimique se consomme comme un “joint”. Parfois un diluant peut être utilisé pour l’agglomérer au tabac. La composition de la drogue change en permanence avec la modification de certaines molécules pour contourner la loi, ce qui en fait un produit instable en termes d’effets physiologiques. L’été dernier, un vaste réseau de trafic de cette drogue de synthèse a été démantelé à Mayotte, incluant un agent du conseil général. Une dizaine de personnes ont été interpellées, mais leur comparution devant la justice est toujours en attente près d’un an après les faits. Si, à l’époque, le réseau a été décapité telle l’hydre de Lerne, d’autres têtes ont poussé depuis, la société mahoraise ayant compris comment se procurer facilement ce produit. Si le problème devient de plus en plus récurrent, les campagnes de sensibilisation et d’information contre la chimique se font toujours attendre dans l’île pendant qu’une partie de la société mahoraise meurt à petit feu. G.D 10 MAYOTTE HEBDO N°699 r10 AVRIL 2015 10 AVRIL 2015 r MAYOTTE HEBDO N°699 11 LUTTE CONTRE LA DROGUE TÉMOIGNAGE Ali, 20 ans, consommateur quotidien de chimique Un monstre à deux têtes Il y a un peu plus d’un an, les forces de l’ordre démantèlent pour la première fois un vaste réseau de chimique. Mais le bangué, qui est revendue par des petits réseaux de trafiquants, reste encore la principale drogue traquée à Mayotte par les autorités, qui mènent des opérations au coup par coup. de repérer l’ensemble des drogues, que ce soit les amphétamines, les opiacés, les cannabinoïdes, la cocaïne ou encore les dérivés d’opiacés comme la morphine”, explique le chef d’escadron Jean-Christophe Laroque. Lors de leurs interventions/perquisitions, les gendarmes disposent de plus d’un chien stupéfiant. Du côté de la police, il n’existe pas de groupe d’action spécifique contre les stupéfiants. “À Mayotte, nous ne faisons pas face à des réseaux de trafiquants bien constitués, dit Philippe Miziniak. Le trafic de bangué n’est pas la source d’une économie souterraine. Elle fait vivre quelques familles ; mais pas au point de rouler sur l’or. Il s’agit surtout de productions locales, avec de petits tubes revendus à des consommateurs locaux. Les trafiquants de chimique se fournissent de leur côté sur internet. Par conséquent, la marchandise arrive discrètement par la poste, dans le coffre d’une voiture, dans un container. Nous menons donc des opérations au coup par coup.” Olivier Loyens SAISIES DE DROGUE EN 2014 Le bangué, principale drogue en circulation à Mayotte, ne profite toutefois pas de réseaux organisés de stupéfiants. J directeur adjoint, explique qu’en 2014 une trentaine de kilos de drogue ont été saisies au total, dont la majorité de bangué. “Nous avons également intercepté de la résine de cannabis et de la chimique, mais dans des quantités assez faibles”, ajoute-t-il. Les autorités ont retrouvé environ trois kilos Au sein de la Direction régionale des douanes, de drogue en poudre et saisi le service d’opérations com30 000 euros sur le compte merciales (gestion du fret aédes trafiquants, plus 6 000 rien et maritime et centre de Le trafic de euros de biens matériels qui dédouanement postal) et le ont probablement été acquis de surveillance (dont bangué n’est service par la vente de drogue et ont la brigade de surveillance servis à son écoulement. ont vocation tous pas la source nautique) Cette saisie de chimique est les deux à faire des contrôles, assez exceptionnelle pour les d’une économie même si la plupart des saisies forces de l’ordre, pour qui le sont effectuées par le service souterraine bangué représente le principal de surveillance. “La brigade trafic de drogue sur l’île aux de surveillance nautique inparfums. tervient souvent en appui “Il n’y a pas de drogues dures en circula- de la police aux frontières, indique Jeantion à Mayotte”, explique le commissaire Pierre Lacaze. À l’occasion de ces contrôles Philippe Miziniak, directeur départemental dans les kwassas, ils ont déjà saisi des cende la sécurité publique de Mayotte. “Le ban- taines de grammes ou des kilos de bangué. gué représente la plupart des saisies, avec par Nous effectuons également des saisies lors exemple 150 kilos saisis en 2007, pour une de contrôles à la circulation.” valeur marchande de 80 000 €. “ Les contrôles font aussi partie du quotidien Même son de cloche du côté de la Direction de la gendarmerie, à travers les dépistages régionale des douanes, où Jean-Pierre Lacaze, salivaires effectués sur la route. “Le but est uin 2014. Pour la première fois à Mayotte, une opération coordonnée de la police, de la gendarmerie et des agents des douanes judiciaires permet d’interpeller une quinzaine de personnes dans le cadre du démantèlement d’un vaste réseau de chimique. 12 MAYOTTE HEBDO N°699 r10 AVRIL 2015 162 KG DE BANGUÉ 29 PIEDS DE CANNABIS 114 DOSES DE CHIMIQUE (valeur marchande de 12 000€) SAISIES DE DROGUE POUR JANVIER-FÉVRIER 2015 112 KG DE BANGUÉ 99 DOSES DE CHIMIQUE soit 112g Selon nos sources Ali* a commencé à consommer de la chimique dès son introduction sur l’île, il y a environ deux ans. Depuis, il fume cette drogue quotidiennement. Bien qu’ayant accepté de témoigner sans problème, le jeune homme arrive au lieu de rendez-vous avec 1h30 de retard et après plusieurs rappels de notre part. Nous découvrons alors un jeune mahorais à la mine fatiguée et aux tout petits yeux qui semblent perdus dans un ailleurs indéfinissable. Souriant toutefois, et doté d’une verve étonnante au vu de sa consommation intensive de chimique. Mayotte hebdo : Combien de joints de chimique fumez-vous par jour ? Fumez-vous le tabac chimique pur ou coupé avec du tabac normal ? Ali : Je fume beaucoup. Environ faire caca dessus (rires). Il ne faut surtout pas mélanger la chimique à l’alcool. Quand on fume de la chimique, il faut boire des boissons sucrées de type soda. Ça atténue les effets quand on en a trop pris et qu’on 50 pétards par jour. En fait, je “Quand c’est ne se sent pas bien. Après, ce fume ça comme je fumerais de qui peut rendre violent, c’est simples cigarettes. Je fume la de la bonne, le manque. Des fois, des fuchimique pure, je ne la coupe meurs de chimiques en manque avec du tabac que si des amis il n’y a pas rackettent les autres pour en qui sont moins habitués que avoir. Certains nous attaquent de risque” même au shombo pour nous vomoi me le demandent. Il existe différentes sortes de chimique. ler notre chimique. C’est pour ça On les reconnaît au goût et aux effets. Il y a que quand on en a, il faut toujours accepter de beaucoup de variantes dans la fabrication de la partager. La chimique ne rend pas violent, cette drogue. À la base, il y a une poudre, c’est c’est le manque qui peut parfois amener cerça qu’on appelle “la chimique”. Après, cette taines personnes à devenir violentes. poudre peut-être diluée soit dans de la vodka, du rhum ou de l’alcool à brûler, ça dépend. MH : Les médecins affirment pourtant Ensuite, on trempe le tabac dedans et on le fait que ça rend violent… sécher. C’est comme ça qu’on obtient le tabac À : Ils n’y connaissent rien. Ils ne peuvent pas chimique, également appelé parfois le “tabac savoir vu qu’ils n’ont pas testé par eux-mêmes. magique”. Moi, je fume toutes les sortes, mais Il n’y a que les consommateurs qui peuvent je sais reconnaître quand une sorte est vrai- vraiment connaître les effets d’une drogue. ment trop mauvaise et j’arrête aussitôt de la Beaucoup d’agressions sont mises sur le dos fumer. Certains fabricants coupent la chimique de la chimique, alors que ce n’est pas le cas. avec vraiment n’importe quoi et c’est ça qui La chimique, ça te fait devenir un zombi, ça donne les effets négatifs. Par contre, quand ne te rend pas agressif. Moi, je pense que la c’est de la bonne, il n’y a pas de risque. violence est davantage provoquée par l’alcool que par la chimique. MH : Quels sont les effets de cette drogue ? À : Ça calme. Le corps “Quand il y a pénurie de chimique, son prix augmente considérablement” et l’esprit sont ralentis, on se sent vraiment zen. Quand j’ai trop de choses à penser et que je fume de la chimique, ça met de l’ordre dans mes pensées et je vois les choses autrement, je relativise. Et puis, ça m’occupe quand je n’ai rien à faire. Je ressens vraiment beaucoup de plaisir à fumer ça. Par exemple, quand il fait trop chaud et que je fume de la chimique, je ne ressens plus la souffrance de la chaleur. Ça me donne l’illusion que la température a baissée et qu’il fait frais. Ça m’apporte de la sérénité. Par contre, quand c’est de la mauvaise, c’est là qu’on peut ressentir des effets négatifs. Par exemple, on peut ne plus arriver à parler ou avoir l’impression que chaque mot qui sort de notre bouche est comme un caillou brûlant. MH : Nous avons entendu dire que cette drogue rendait agressif et provoquait une hypersexualité, est-ce le cas pour vous ? A : Pas du tout ! Au contraire, ça me rend zen et tellement mou que je n’ai pas du tout envie d’avoir des relations sexuelles. Trop la flemme. En fait, ça ne rend agressif que si on boit de l’alcool en même temps. C’est l’alcool qui rend violent, pas la chimique. Et si on mélange les deux, là ça peut vraiment avoir des effets négatifs. On peut soit devenir violent, soit être très malade et vomir ou se MH : Pensez-vous que vous êtes dépendant à cette drogue ? Croyez-vous que vous seriez capable d’arrêter d’en prendre facilement ? À : Oui, je peux arrêter, mais pour l’instant je n’en ai pas du tout envie. Ça me donne tellement de plaisir, pourquoi arrêterais-je ? C’est sûr que si je l’arrêtais d’un coup, ça me manquerait un peu, mais je crois que je pourrais gérer ça. Ça m’est déjà arrivé d’arrêter quelques mois, car je n’avais plus d’argent pour en acheter. C’était un peu dur, mais pas tant que ça. MH : Trouve-t-on facilement cette drogue sur l’île ? Votre consommation vous revient-elle chère ? À : Ça dépend. À certaines périodes, on la trouve facilement, à d’autres c’est beaucoup plus difficile d’en trouver. Quand il y a pénurie de chimique, son prix augmente considérablement. En ce moment, par exemple, c’est dur d’en trouver alors elle est chère. On ne trouve que de tous petits pochons à 20 euros. De quoi faire juste deux pétards, pas plus. Mais moi, j’achète quand même, même si c’est cher. C’est sûr, c’est beaucoup d’argent, mais au moins je suis soulagé. Et puis, dans ces périodes-là, il faut faire attention, car certains dealers en profitent pour vendre de la fausse chimique. Il y en a qui remplace la poudre de chimique par n’importe quel médicament et c’est là que ça peut de- venir dangereux. Mais moi, comme je fume depuis le début de son introduction sur l’île, je sais reconnaître la vraie de la fausse. Je ne me fais jamais avoir. Dès la première taf, je sais si c’est de la vraie, ou si le tabac a été trempé dans des médicaments. Ça n’a ni le même goût, ni la même odeur. Je contrôle totalement ce que je fume. MH : Ne ressentez-vous jamais des effets négatifs sur votre santé ? N’avezvous jamais peur que cette drogue ne finisse par vous détruire ? À : Non, pour ma part, je n’ai jamais d’effets physiques négatifs, sauf quand je mélange avec l’alcool. J’évite de le faire, mais j’avoue que ça m’arrive quand même de temps en temps... Après, je pense que tout dépend de la constitution de chacun. On est tous différents. Sur moi, la chimique n’a pas d’effets négatifs, mais sur d’autres, “Le bangué, elle en a. On ne peut pas généraliser. Une c’est devenu drogue est plus ou has-been” moins bien supportée selon les gens. Parfois, oui, il m’arrive d’avoir des doutes et de me dire que je devrais arrêter. Mais ça me passe assez vite, car j’aime trop être défoncé. Pour l’instant, je suis bien avec ça alors je ne vois pas quel intérêt j’aurais à arrêter. MH : Quel est le regard de votre famille et de votre copine sur votre consommation de chimique ? À : Ma famille ne me calcule pas trop. De toute façon, mes parents sont incapables de faire la différence entre une simple cigarette et un pétard. Ils n’y connaissent rien. Ils ne savent même pas ce que c’est que la chimique. Ils croient que je fume des cigarettes, ils n’ont pas conscience qu’il s’agit d’une drogue. Quant à ma copine, oui, c’est sûr qu’elle me dit souvent que je devrais arrêter. Mais je m’en fiche. Personne n’a à me dire ce que je dois faire. MH : Les jeunes mahorais fument-ils de plus en plus de chimique ? À : Ah ça, c’est sûr, c’est de plus en plus à la mode ! Je crois que bientôt, tout le monde ne fumera plus que ça. Le bangué, c’est devenu has-been. Tous les jeunes d’aujourd’hui veulent fumer de la chimique, car les effets sont plus puissants. Maintenant, il y a aussi une nouvelle drogue qui s’appelle “le mangrove”. Je crois que c’est aussi de la chimique, mais au lieu d’être trempée dans du tabac, elle est trempée dans une plante naturelle de couleur verte. Je ne sais pas exactement ce que c’est (NDLR Uruva). En tout cas, ça a un goût et une odeur bizarre. Au niveau des effets, c’est un peu plus doux que la chimique normale. Ça rappelle les effets du cannabis. Propos recueillis par N.G *Le prénom a été modifié. 10 AVRIL 2015 r MAYOTTE HEBDO N°699 13 TÉMOIGNAGE SANTÉ Dylan, 24 ans, consommateur occasionnel de chimique “Pire que le LSD, l’héroïne ou le crack” Dylan* ne consomme de la chimique que dans un but récréatif. C’est sans tabous qu’il a accepté de répondre à nos questions sur sa consommation. Nous découvrons alors un jeune homme à la mine enjouée et aux yeux vifs, dont jamais nous ne nous douterions qu’il puisse ressentir le besoin de consommer une drogue aussi mortifère pour réussir à s’amuser. Mayotte hebdo : À quelle fréquence consommez-vous de la chimique ? Dylan : Il y a quelques années, j’en fumais vraiment beaucoup, mais maintenant je n’en achète plus que rarement. Au quotidien, je préfère le bangué, c’est plus doux et ça ne t’assomme pas complètement comme la chimique. Maintenant, ma consommation est devenue occasionnelle. J’achète de la chimique quand j’ai vraiment envie de faire la fête et d’être défoncé. Mais il ne faut pas en fumer trop souvent, sinon, tu ne fais plus “On peut rien de ta vie. Et puis, il faut vrairester ment éviter de boire de l’alcool “bloqué” quand on fume la chimique, pendant des de car le mélange est un vrai cockheures sur tail Mol otov les mêmes qui t’explose le crâne. Il vaut pensées mieux boire des boissons sucrées, sans même car ça atténue les éventuels efs’en rendre fets négatifs que la chimique peut compte” parfois entraîner quand on n’est pas habitué à en prendre régulièrement. MH : Quels sont les effets que provoque cette drogue ? D : Ça calme, ça apporte une sorte de sérénité. Ça fait oublier les soucis de la vie quotidienne et permet de décrocher pour quelques heures de la réalité. Ça constitue une échappatoire aux problèmes de l’existence. Mais quand on en prend trop, on est tellement détendu qu’on devient une sorte de zombi. On n’arrive plus à rien faire ou alors on fait tout au ralenti. Le moindre effort, comme celui de parler, nous paraît insurmontable. On entend ce que les gens nous disent, mais on n’arrive pas à leur répondre. On est comme dans un autre monde et la chimique modifie complètement notre perception du temps. On peut rester “bloqué” pendant des heures sur les mêmes pensées sans même s’en rendre compte. Mais en général, on se sent bien. MH : Vous ne ressentez jamais d’effets négatifs lorsque vous prenez cette drogue ? D : Si, les bad trips, ça arrive, mais comme avec MH : Pensez-vous que la chimique puisse rendre agressif ou pousser au viol ? D : Non, pas du tout ! Au contraire, ça t’as- somme et tu n’as plus envie de rien faire. Ca te transforme en zombi, tu ressens une immense fatigue et tu as la flemme de faire le moindre effort. Tu n’as pas du tout envie d’avoir des relations sexuelles quand tu as fumé de la chimique, c’est trop fatigant ! Je pense que c’est le mélange avec l’alcool qui peut éventuellement rendre agressif. Ou alors, le manque, pour ceux qui sont vraiment accros. Il arrive de plus en plus souvent que les drogués en manque agressent les autres pour en avoir. C’est là que ça peut devenir dangereux. Mais la chimique seule, non, ça ne rend pas violent. Au contraire, ça rend mou. n’importe quelle drogue, ce n’est pas spécifique à la chimique. Tout comme le cannabis, il arrive que la chimique me rende paranoïaque. Dans ces cas-là, j’ai l’impression que tout le monde me regarde et parle mal de moi en cachette. Ou alors, j’ai la tête qui tourne tellement que je suis obligé de m’allonger pendant des heures sans être capable de faire quoique ce soit, pas même de répondre aux gens qui me parlent puisque, de toute façon, je n’arrive plus à articuler le moindre mot. Mais ça, c’est quand j’en prends trop. En général, j’essaie de contrôler ma consommation et, dans ces cas-là, je ne fais MH : Que pensez-vous du “mangrove”, pas de bad trip. Par contre, il arrive souvent que la nouvelle drogue en circulation ? j’aie des trous de méD : Ah ça, je n’aime moire le lendemain et pas, ça assomme vrai“On est déchiré plus que je n’aie que des ment trop. Encore plus souvenirs très parcelque la chimique norrapidement qu’avec laires de ma soirée… male. En plus, ça a Et puis, j’évite aussi de l’alcool, alors ça revient un goût et une odeur trop en prendre, car ça bizarre ! Personne ne moins cher au final” sait vraiment ce que fait beaucoup grossir. La chimique me donne c’est. C’est une esun appétit d’ogre et je deviens capable de pèce de plante verte que certains fabricants manger une marmite de riz à moi tout seul. imprègnent de chimique en lieu et place du tabac. Moi, je préfère ne pas en prendre, je MH : Qu’est-ce qui vous pousse en n’aime pas l’idée de ne pas savoir ce que c’est général à consommer cette drogue ? que cette plante. Au moins, avec la chimique D : J’aime bien en prendre en soirée, car ça normale, on sait que c’est du tabac. Ça fait remplace l’alcool. On est déchiré plus rapide- moins peur. ment qu’avec l’alcool, alors ça revient moins cher au final. C’est plus économique. J’aime MH : Quel est le regard de votre famille bien être défoncé en soirée, je m’amuse beau- et de votre copine sur votre consomcoup plus que quand je ne prends rien. Ça me mation de chimique ? permet de bien rentrer dans l’ambiance de D : Mes parents ne sont pas au courant, évila fête, tandis que si je ne prends rien, je me demment, sinon ils me tueraient. Quant à ma sens tout coincé et je m’ennuie. Tout comme copine, elle tolère ma consommation tant que l’alcool, la chimique désinhibe. celle-ci reste occasionnelle. Elle en prend ellemême de temps en temps, pour faire la fête, MH : Pensez-vous être dépendant à mais c’est assez rare. En général, elle préfère la chimique ? boire de l’alcool. D : Non, pas du tout, puisque je n’en prends Propos recueillis par N.G qu’occasionnellement. Quand je n’en ai pas, *Le prénom a été modifié. ça ne me manque pas spécialement. 3 questions à un consommateur de chimique Nous rencontrons Mohamed en fin d’après-midi, en plein air. Il est assis avec un groupe d’amis, à côté d’un terrain vague. Lorsque nous l’interrogeons, il a le regard vide et semble très fatigué. Il parle lentement, si bien que ses amis sont souvent tentés de finir ses phrases. Mayotte Hebdo : Depuis combien de temps consommez-vous de la chimique ? Mohamed* : Cela fait trois ans. J’en fume plus que 3 fois par jour. C’est pour passer le temps, puisque je ne travaille plus depuis une dizaine d’années (Mohamed a 63 ans, NDLR). J’essaie d’arrêter mais je n’arrive pas. La chimique me cause des soucis. Elle m’empêche de travailler de nouveau. 14 MAYOTTE HEBDO N°699 r10 AVRIL 2015 MH : Quels sont les effets ? M : Je plane. Je suis sur une autre planète. MH : À quel endroit vous fournissez vous ? M : Nous nous rendons avec des amis à l’ancien bazar de Mamoudzou. Pour un gramme, il faut payer entre 10 et 20 euros. *Le prénom a été modifié Propos recueillis par OL Les nouveaux produits de synthèse psychoactifs semblent être les drogues les plus dangereuses jamais inventées. Il est impossible pour les médecins de connaître la composition des substances consommées. Face aux symptômes multiples liés à des cocktails moléculaires, les professionnels de santé sont démunis et sans antidote. Explications. L Avec une augmentation proportionnelle au niveau des effets. Aïcha Madrane est rattachée au CHM (Centre hospitalier de Mayotte) et travaille en tant que médecin à la prison de Majicavo. Selon elle, 80% des détenus de la maison d’arrêt ont déjà consommé de la “chimique”. Le lien semble donc évident entre délinquance et consommation de ces substances nouvelles. Aïcha Madrane, pour connaître l’état dans leSynthétiser permet notamment de rendre quel arrivent certains consommateurs, sait indétectable la structure organique de la que la “chimique” n’est plus uniquement molécule mère. Les nouveaux produits de du THC de synthèse. Les symptômes du synthèse psychoactifs, autrement dit les dro- cannabis n’ont rien à voir avec ceux que gues de synthèse, ne sont alors pas illégaux, ressentent certains consommateurs de et il faut beaucoup de temps aux chercheurs chimique. pour déceler, légiférer puis interdire telle La situation est plus qu’alarmante. “Les ou telle molécule. drogues de synL’autre objectif des thèses sont pires que NPS est de changer le LSD, le crack ou “Nous recevons un groupe fonctionl’héroïne, affirme la nel de la molécule médecin. Pour une à Mayotte des afin de multiplier raison très simple : les effets, de rendre les structures moconsommateurs toujours plus addicléculaires moditifs et plus puissants fiées sont capables dans des états les produits. d’associer ces trois invraisemblables.” drogues et leurs La Chine et l’Inde sont deux pays proeffets. S’il s’agissait ducteurs de produits uniquement d’une de synthèse psychoactifs. À l’aide de re- synthèse du THC, la situation ne serait doutables chimistes, d’immenses indus- pas si grave. Là, nous avons des molécules tries ont été créées afin de produire des pouvant être proches de celles des canNPS à l’échelle planétaire. Des centaines nabinoïdes mais auxquelles des noyaux de sites sur le “dark web”, où les acheteurs moléculaires des amphétamines ou des ne peuvent être tracés, proposent tous tryptamines sont ajoutés. Imaginez que types de NPS. Ils vendent autant du viagra vous trempiez ce cocktail moléculaire dans que des drogues de synthèse. La poudre de l’alcool à brûler, que vous le fumiez moléculaire, une fois reçue avec la recette avec du tabac et que vous consommiez est mélangée à de l’alcool, puis le tabac de l’alcool en même temps, les effets est trempé dans cette préparation. Une psychologiques et physiologiques sont fois sèche, la chimique est prête. forcément dévastateurs. Nous recevons De toutes les drogues synthétisées, seule à Mayotte des consommateurs dans des la moitié proviendrait des cannabinoïdes états invraisemblables.” que l’on retrouve notamment dans le Ne sachant de quoi sont faites les moTHC du cannabis. Les autres drogues de lécules modifiées, les médecins se resynthèse partent certes des composants trouvent bien souvent démunis face aux moléculaires de la drogue la plus consom- symptômes variables en fonctions des mée dans le monde, mais peuvent aus- ligands présents (NDLR, voir la page sur si mélanger cette structure moléculaire les composants). La difficulté pour le corps avec celle des amphétamines ou de la médical provient du fait qu’il n’existe autryptamine. Un noyau moléculaire des cun antidote lorsqu’il n’est pas possible amphétamines peut ainsi être incorporé de savoir ce qui a été ingéré. Ils sont parà une molécule mère des cannabinoïdes. fois confrontés à des patients aux es nouveaux produits de synthèse (NPS) ne regroupent pas uniquement les drogues de synthèse. Le “viagra like”, par exemple, est un produit de synthèse, une sorte de dérivé issue de la molécule mère du viagra. En réalité, tout peut être copié. En partant de l’insuline pour aller jusqu’au cannabis, toutes les molécules peuvent être modifiées au niveau de la structure moléculaire. On parle alors de produits synthétisés chimiquement. DÉFINITION DES NOUVEAUX PRODUITS DE SYNTHÈSE Les nouveaux produits de synthèse (NPS) sont élaborés à base de molécules synthétiques produites par des laboratoires illégaux qui copie une molécule-mère en modifiant un groupement fonctionnel de sa structure, ce qui produit des effets imitant ceux du générique sans être forcément identiques. On a répertorié les NPS psychoactifs en 6 grandes familles chimiques. - Amphétamines (phényléthylamines) Cathinones Cannabinoïdes Tryptamines Pipérazines Orphelines (inclassables) Les NPS agissent comme les molécules mères, ce qui signifie qu’elles se comportent, une fois consommés, comme des substances qui interviennent dans la production de neurotransmetteurs (noradrénaline, dopamine, sérotonine), mais d’une manière dérégulée. En effet, le NPS peut agir sur la sécrétion du neurotransmetteur en la stimulant, l’inhibant ou parfois avoir les deux effets, ce qui aura comme résultats des effets physiologiques sur les organes, le cœur, le cerveau et l’apparition d’effets potentialisés par l’action de plusieurs effets chimiques. Les substances psychoactives naturelles sont connues depuis longtemps et déjà utilisées comme drogues récréatives et légèrement dopantes. Ainsi, la feuille de kath mastiquée provoque un effet euphorisant et coupe-faim utilisé au Yemen et à Madagascar, ou encore la mescaline, qui n’est rien d’autre qu’une “amphétamine” naturelle. Les Chamans d’Amazonie utilisent quant à eux l’écorce d’Ayahuasca, de la famille des tryptamines, comme psychédélique dans leurs rites traditionnels. Les NPS les plus commercialisés sont les cannabinoïdes de synthèse. En France, entre 20 et 30 cannabinoïdes de synthèse ont été classés comme stupéfiants illicites. Drogue très addictive, elle est probablement celle qui est la plus répandue à Mayotte. Poudre mélangée au tabac après dilution dans un solvant (en général, de l’alcool à brûler), elle est fumée et est censée reproduire les effets du THC : bienêtre, exacerbation sensorielle, augmentation de l’appétit… Mais ce n’est pas le cas, car il existe plusieurs groupes de cannabinoïdes de synthèse qui, s’ils ont en commun d’occuper certains récepteurs cérébraux avec le THC, ont une formule chimique qui peut en être éloignée et parfois contenir des groupements fonctionnels pouvant avoir des effets sur d’autres récepteurs du système nerveux. On peut émettre l’hypothèse que ces molécules hybrides ont des effets physiologiques collatéraux plus que probables. Les décès rapportés pour des overdoses de NPS concernent des morts par infarctus chez des jeunes, des insuffisances rénales, des AVC… 10 AVRIL 2015 r MAYOTTE HEBDO N°699 15 TÉMOIGNAGE symptômes inconnus. Ceux-ci miment par exemple parfaitement les effets d’autres intoxications comme les neuroleptiques utilisés dans le traitement des psychoses. Les consommateurs de chimique ne savent absolument pas ce qu’ils fument. D’autant plus que les dosages entre l’effet recherché et les effets toxiques sont parfois de l’ordre du microgramme. Le 80% des danger d’overdose est détenus de beaucoup plus imporqu’avec une autre la maison tant drogue. D’où les précautions que doivent d’arrêt prendre les médecins lorsqu’ils administrent ont déjà des médicaments pour consommé calmer les patients en détresse. de la Le “cocktail molotov de la “chimique” moléculaire” chimique accompagné d’alcool pousse un grand nombre de consommateurs à commettre des actes irréversibles. D’autant plus que la “chimique” rend très vite accroc. La prison représente souvent un sevrage, mais entraîne des demandes diverses de prises en charge. Trouble du sommeil, anxiété, rigidité musculaire, AVC, infarctus, tachycardie, hypersexualité… La liste est longue et les ravages sans précédent. La chimique peut en effet agir sur le comportement, la libido, le sommeil, l’agressivité ou encore l’alimentation. Les infarctus, les problèmes neurologiques des années après entraînant la schizophrénie, ou encore les atteintes organiques au niveau du cœur, des intestins, des muscles et du cerveau peuvent être très graves, pour ne pas dire irréversibles. Les consommateurs se dissocient de la réalité, font des crises de tachycardie avec des pulsations pouvant aller jusqu’à 180 ou 200 battements par minute. Muscles rigides, hypersudation, parfois hyperthermie, sont aussi très souvent rencontrés par les médecins. À l’heure actuelle, 122 cannabinoïdes circulent dont près d’une trentaine sont identifiés par les autorités françaises. Environ une nouvelle molécule par mois serait créée. En Occident, ces substances chimiques sont parfois vendues sous forme de sel de bain, d’engrais, de pots pourris, d’encens sur lesquels le vendeur note un message codé : impropre à la consommation humaine. Un code qui en dit long... Confession d’un dealer repenti Saïd* a 23 ans. Ancien dealer et consommateur de chimique, le jeune mahorais a accepté de nous raconter son parcours et pourquoi il a décidé de tout arrêter. Un témoignage rare au vu de l’omerta qui règne dans le milieu. Rencontre. U n soir de printemps dans une rue sombre de Mamoudzou, un intermédiaire nous attend après plusieurs semaines de tractations. “Bon, ça n’a pas été facile de le convaincre, car il ne parle jamais de son passé de dealer, mais on a fini par y arriver”, se veut-il rassurant. Rendez-vous est pris dans une maison modeste à quelques encablures où nous attend Saïd. La mine fermée et le physique imposant, notre interlocuteur donne quelques sueurs froides. L’ambiance est installée. “Assis-toi, je t’écoute”, lance-t-il exhibant ses tatouages faits maison à l’aide d’un peu d’encre et d’une aiguille à coudre. C’est en 2013 que Saïd découvre la chimique. En plein boom, la drogue de synthèse se répand dans l’île à une vitesse fulgurante et le jeune Mahorais n’échappe pas lui non plus à l’effet de mode. D’abord consommateur, il commence rapidement à vendre au détail des pochons dans son quartier. Ses fournisseurs étaient ni plus ni moins que les trafiquants arrêtés l’été dernier, coupant ainsi court à un vaste réseau organisé. “Les gros bonnets cuisinaient leur produit en le mélangeant à de l’alcool à brûler avant de tremper le tabac dans le liquide pour ensuite le faire sécher”, se souvient le revendeur. Une fois leur tambouille terminée, les grossistes distribuaient la mixture aux petits dealers comme Saïd. Il n’était pas rare, aux commencements de la chimique à Mayotte, de voir les transactions entre vendeurs et clients se dérouler dans la rue au vu de tout le monde. Une scène à l’image des narcotrafiquants des favelas au Brésil qui tiennent de vrais marchés de la drogue en plein jour. “Chacun avait son coin de vente dans le quartier, y avait pas de concurrence ou de guerre de territoire”, raconte l’intéressé. 200 € en une journée Rapidement déscolarisé, avant la venue de la chimique, le jeune de Mamoudzou vendait déjà du bangué. Business plus juteux, il se lance Pierre Bellusci TÉMOIGNAGE D’AÏCHA MADRANE J médecin coordinateur à la maison d’arrêt de Majicavo e ne sais pas exactement depuis combien de temps ces substances sont utilisées à Mayotte, mais ce que je peux constater personnellement, c’est qu’entre 2011 et aujourd’hui, la situation s’est exacerbée et il semble que l’usage de la “chimique” soit devenu presque aussi courant que celle du bangué chez les jeunes. Dans mon expérience professionnelle, qui me confronte à la jeunesse la plus ciblée pour ce genre d’abus puisque les jeunes que je soigne sont des prisonniers, l’expérience de la chimique est généralisée. C’est une drogue très addictive et l’incarcération représente un sevrage brutal qui est, pour certains, compensé par une demande en médicaments de préférence psychoactifs, dont ils chercheront à détourner les effets en fumant un antidouleur après l’avoir écrasé au lieu de l’avaler, par exemple. Au CHM, le centre d’addictologie reçoit depuis environ deux ans, beaucoup de demandes de prises en charge dont certaines dans le cadre de soins ordonnés par la justice. S’il n’existe pas d’antidote spécifique qui ait obtenu un consensus pour traiter les surdosages, on dispose à Mayotte de moyens pour traiter les symptômes graves dans la plupart des cas réversibles. Cependant les risques vitaux existent réellement : des cas d’infarctus, d’AVC, des IRA (Insuffisance rénale aigüe) chez de très jeunes individus ayant consommé des NPS ont été rapportés. 16 MAYOTTE HEBDO N°699 r10 AVRIL 2015 Des cas de décès attribués aux NPS commencent également à être répertoriés par les centres de toxico-vigilance. À Mayotte, une consœur travaillant à l’hôpital de Mramadoudou m’a rapporté un cas d’épidémie d’intoxication aux NPS qu’elle a vécu un soir de garde où elle a reçu 6 adolescents en même temps qui avaient fumé de la “chimique”. Plusieurs d’entre eux présentaient un état d’agitation ou de torpeur, et certains de la confusion, une rigidité musculaire très importante et d’autres signes inquiétants. Heureusement, l’efficacité de la prise en charge médicale et psychiatrique a permis de sauver les adolescents. Ce qui est difficile et inquiétant pour les médecins, c’est que le tableau clinique n’est pas évocateur de l’intoxication par une substance spécifique connue. Elle est de plus en plus souvent évocatrice de la consommation d’une substance “hybride” qui copierait les effets de différentes molécules. Les jeunes que je traite à l’UCSA ne sont donc plus en contact direct avec la chimique externe, ni d’ailleurs avec l’alcool qui est souvent l’autre substance consommée régulièrement par les jeunes lorsqu’ils se regroupent pour fumer avant de commettre leurs méfaits. La prise en charge est proposée par notre équipe et le relais à la sortie peut être pris au CHM. E dans la chimique quelques années plus tard dans l’idée avant tout d’arrondir encore plus ses fins de mois. Vivant de petits boulots au noir, il complétait facilement ses revenus grâce à son activité parallèle. “Je pouvais toucher jusqu’à 200 € en une journée en vendant cette came”, révèle le jeune homme. En plus d’être lucratif, son business ne présentait aucun risque pour lui en termes de légalité. “Quand les flics débarquaient, on avait nos petites cachettes pour planquer le produit”, se rappelle-t-il avant d’ajouter : “même si on se faisait attraper, à part une saisie, on ne craignait pas d’être embarqué au poste puisque ce n’est pas encore considéré comme une drogue”. Selon les dires de Saïd, il n’était pas rare de voir certains policiers demander aux trafiquants pris la main dans le sac, de tester le tabac pour savoir s’il était mélangé à de la chimique ou pas. “Y en a même certains qui en gardaient pour leur consommation personnelle”, soupçonne l’ancien dealer. “J’ai arrêté, car je détruisais la vie des autres et la mienne” Vendeur, mais aussi consommateur, le jeune adulte a lui aussi fait les frais de la chimique. “J’en achetais pour 50 € par jour et ma consommation démarrait dès le matin au réveil, j’étais accro”, regrette le repenti. Mais les effets nocifs se sont rapidement manifestés chez le colosse au pieds d’argile. Maux de tête insupportables et “bad trips” étaient devenus son quotidien. “Parfois, même si je ne fumais pas, je pouvais avoir des migraines très douloureuses”, se remémore-t-il. Même après quelques séjours à l’hôpital et les traitements à répétition pour diminuer les effets de la chimique, aujourd’hui encore l’ancien vendeur souffre de séquelles. La culpabilité et le remords a aussi fini par gagner le jeune Mahorais. “Quand j’ai vu des petits du quartier courir et crier de douleur dans la rue après avoir fumé de la chimique, ça m’a fait réfléchir”, admet-il. “J’ai arrêté, car je détruisais la vie des autres et la mienne”. Le départ d’un ami proche à La Réunion, pour l’écarter de ses mauvaises habitudes dignes d’un toxicomane, a aussi convaincu l’ex-trafiquant de tourner la page. Admettant les ravages de cette drogue de synthèse sur une partie de la société mahoraise, Saïd déplore qu’un petit groupe de personnes aient pu provoquer de telles conséquences en faisant venir ce produit dans l’île. “Ils ont rendu les gens fous avec leur chimique, certains en sont même morts”, dénonce-t-il. Même après plusieurs mois sans avoir vendu un seul gramme, quelques anciens clients viennent encore le voir aujourd’hui, mais c’est en quelque sorte le costume de grand frère qu’a endossé à présent le dealer repenti. “Je conseille toujours aux gens de ne même pas essayer, mais après je ne peux pas les empêcher, c’est leur choix”, déplore-t-il. Quant à lui, aujourd’hui, c’est dans le sport que Saïd s’est réfugié, sa “nouvelle drogue” comme il l’appelle. Une échappatoire qui, il l’espère, devrait l’écarter durablement de ses vieux démons. G.D *Le prénom a été modifié à la demande du témoin AVEC LA CHIMIQUE, ON ENTRE DANS LE VIDE JURIDIQUE n 2013, les autorités ont arrêté un agent du conseil général qui vendait de la poudre blanche à ajouter au cannabis lors de la confection des pétards. Le cerveau de la bande et ses complices étaient rapidement interrogés. Ils avaient ramené depuis l’Asie du Sud-Est cette poudre et avaient passé la douane sans problème. Plus tard, ils l’avaient faite venir par colis. Les mis en cause pensaient qu’ils pouvaient importer ces produits sans difficulté. C’était sans compter sur la législation et en particulier le code des douanes. En effet, si les trafiquants ne peuvent être poursuivis dans le cadre du trafic de stupéfiants, il n’en demeure pas moins qu’il reste interdit d’importer “de manière frauduleuse des médicaments ou toute substance capable de modifier la physiologie et le métabolisme du corps humain”. Bizarrement, c’est sur ces chefs d’inculpation qu’ils ont été poursuivis au départ. En revanche, les autorités étaient placées devant le fait que ces produits n’étaient pas répertoriés comme “drogue”. Il avait donc été question de leur restituer la marchandise, malgré la dangerosité de la substance. Pour le délit d’importation frauduleuse, ils encourent cependant une peine pouvant aller tout de même jusqu’à cinq ans de prison, plus encore s’il s’avère qu’ils étaient en possession de molécules répertoriées comme des drogues dures. Le procureur a toutefois insisté pour que le délit soit requalifié en “consommation et vente de drogues dures”. En métropole, les autorités ont déjà opéré près de 60 saisies de ces drogues de synthèse, mais aucune affaire de la sorte n’a encore touché La Réunion. Les autorités françaises ne sont pas les seules à se trouver confrontées au problème, aux États-Unis aussi, de la classification de ces drogues qui engendre un casse-tête judiciaro-administratif. Effectivement, il suffit de modifier quelque peu une molécule pour que le produit ne figure plus dans la nomenclature des drogues répertoriées. Pour parer à ce phénomène, on envisage désormais de classifier les familles de molécules comme drogues. Tout est dans le dosage. Les effets recherchés dépendent de quelques microgrammes de certaines molécules, on aboutit donc à un produit instable et dont les effets sont dures à quantifier et à préciser. Certaines molécules sont très proches de médicaments autorisés à la vente en pharmacie et qui ne comportent pas les effets indésirables recherchés. Par conséquent, il est difficile pour les autorités de trouver la juste limite pour légiférer. 10 AVRIL 2015 r MAYOTTE HEBDO N°699 17 TÉMOIGNAGE TÉMOIGNAGE Les dommages collatéraux de la chimique De la détresse à la chimique Feyçoil* est un jeune homme de 17 ans qui consomme de la chimique depuis plusieurs mois. Le regard triste, les yeux très fatigués, ce matin le beau jeune homme n’a pas encore pu consommer faute d’argent pour s’en procurer. En manque, il se livre avec émotion. D epuis près de 8 mois, Feyçoil* se rend tous les jours dans un squat proche d’un village du centre de l’île. Là, en compagnie d’une dizaine d’autres jeunes, ils fument jusqu’à perdre conscience. Le jeune homme a quitté le système scolaire à l’âge de 15 ans. Ses parents ont 8 enfants. Il est le troisième de sa fratrie. Si ces deux frères plus âgés travaillent, lui ne sait pas ce qu’il veut faire, ce qu’il peut faire, ce qu’il doit faire. La dérive de ce jeune homme a commencé dans le système scolaire. D’un comportement rebelle, Feyçoil* a fini par être renvoyé, alors qu’il n’était qu’en 4ème. Sans perspective d’avenir, sans objectif, sans aide, le jeune consommateur a entamé sa longue descente aux enfers. Il a commencé à fumer des drogues comme le bangué, puis la chimique. D’abord en sortant le soir pour combler l’ennui. Ensuite pour suivre un ami. Puis enfin pour suivre ses envies, ses besoins. Actuellement, il fume entre 5 et 10 joints chaque jour, suivant ses moyens, suivant les jours et les occasions. Les effets de la chimique sont, selon lui, multiples. Souvent, après quelques taffes, il a l’impression de partir, que le monde réel se dissipe enfin. Un sentiment d’euphorie qui peut laisser la place au manque et aux effets collatéraux. Feyçoil* n’a alors plus la sensation de faim, parfois plus de besoins naturels pendant de longues heures. Il reste avec ses compagnons d’infortune, à planer, à oublier sa vie quotidienne, à souffrir physiquement parfois. Ses muscles se contractent sans raison. Il avoue aujourd’hui craindre Dieu. Les choses qu’il a dû faire pour se procurer de la drogue l’effraient. Parfois, il est soumis à de fortes crises d’angoisse. C’est alors qu’en quelques éclairs de lucidité, il avoue vouloir s’en sortir, arrêter la drogue, et pourquoi pas fonder une famille. Mais c’est à ce moment que l’émotion le surpasse. Très ému, Feyçoil* semble se sentir mal. Il s’arrête en pleine discussion. Le manque semble le tourmenter, l’envahir. Il a besoin d’eau. Après quelques minutes, il accepte de continuer la discussion. Le mal-être est lourd, poignant. Il confesse ne pas être d’une nature violente, mais ne plus toujours se souvenir de ce qu’il a fait la veille. Quant à demain, il ne sait pas de quoi il sera fait. Il refuse de se faire aider, par peur de devoir aller en prison. Lorsqu’on évoque les moyens de s’en sortir, il se braque, refuse qu’on l’aide. Un sentiment terrible, qu’il est déjà trop tard à 17 ans. Feyçoil* sombre. Dans le désespoir, dans une drogue qui a pris le pas sur sa jeunesse et son avenir. Il ne vit plus pour consommer, il consomme pour vivre. Un jour, alors qu’il était en pleine crise d’angoisse, il avoue avoir souhaité en finir avec tout cela. Son sourire larmoyant à ce moment précis, en dit long sur la détresse que vit le jeune homme. Comme certainement des centaines d’autres jeunes dans son cas, Feyçoil* ne semble plus lucide sur sa situation. Parfois, il s’embrouille, se contredit, semble las de parler, las de se battre contre tout, contre rien. Au-delà de la chimique, son témoignage semble correspondre à celui de tous ces jeunes sacrifiés par les ravages de la drogue. Poignante, son histoire n’est selon lui pas isolée. D’autres jeunes de son âge vivent ainsi. Des amis, des connaissances, des jeunes garçons ou des jeunes filles sont dans le même cas. À pleurer… PB *Le prénom a été modifié. Nom de la famille chimique Effets de classe => effets recherchés Etat naturel Etat synthétique Effets biologiques 1.Phényléthylamines Psychostimulant, Hallucinogène, Anorexigène => Psychédéliques, Empathie, Exacerbation sensorielle, Bien-être… -Végétal : mescaline - SNC : neurotransmetteur Amphétamines : médicaments anorexigènes Stup. Ecstasy Stup.Dérivés de la mescaline : 2-CB (Nexus, Eros) Augmente le taux de Dopamine et de Noradrénaline + effet IMAO -végétal : Kath Médicaments anorexigènes Stupéfiants : Dérivés de l’éphédrine 2.Cathinones Psychostimulant Moins puissant que classe 1. => Euphorie intense de courte durée (multiplication des prises et des risques) Proche de classe 1. La cathinone est de la Beta-Keto-Amphétamine Le THC naturel aurait un effet antipsychotique CB1 et CB2 =>Euphorisant, psychédélique -végétal : feuille de cannabis (l’extrait le plus connu est le THC / l’extrait Sativa est utilisé en médecine dans certains pays (exemple : lutte contre l’anorexie traitement du SIDA, antalgique) -cerveau : anandamide Tous les NPS = Agonistes des récepteurs cannabinoides endogènes CB1 et CB2 (SNC, intestin, système immunitaire…) Il existe 6 à 7 groupes de cannabis de syntèse : 1. Classique : dérivés du THC 2. Dérivés de l’anandamide 3. Avec un noyau indole (comme tryptamine) 4. Avec un noyau pyrolle 5. Avec un noyau indazolle 6. Hybrides 7. Inclassables Fixation sur les récepteurs CB1 et CB2 mais nouveaux NPS cannabinoides avec noyau indole comme tryptamine. Donc augmentation sérotonine possible 3.Cannabinoides 4.Tryptamines Psychostimulant Modulateur de l’appétit, du sommeil, de la sexualité (sérotonine) -végétal : écorce d’ayahuasca -apport alimentaire de tryptophane, acide aminé essentiel, précurseur de tyramine : noix de coco, banane, chocolat, œuf, soja… Médicaments antidépresseurs (prozac), antimigraineux Usage Stupéfiant : DET, DALT Augmentation sérotonine et inhibition de la recapture de celle-ci Augmentation cortisolémie Même effets que les amphétamines N’existent pas à l’état naturel Obtenues exclusivement par synthèse chimique : antidépresseur jamais mis sur la marché : BZP . Copies à usage de stupéfiant dont mCPP -Médicaments antiparasitaires Même effets que les Amphétamines MPPP : effets proches de l’héroïne et de la morphine -Végétal Tephrosia Sp Uruva Tandri : plantes à fleurs produisant la roténone et utilisé comme toxique pour les poissons dans la pêche au filet. Composition de certains pesticides Dérivés de la péthidine (MPPP) Toxicité sélective sur les neurones producteurs de dopamine. Inhibiteur dans la chaine respiratoire des mitochondries. Usages répétés : toxicité irréversible 5. Pipérazines 6.Orphelines (inclassables) Roténone 18 MAYOTTE HEBDO N°699 r10 AVRIL 2015 Elsa* a été en couple pendant 3 ans avec Karim*, 28 ans, consommateur régulier de chimique. Aujourd’hui séparée, elle a accepté de nous expliquer en quoi la prise de cette drogue a contribué à détruire leur relation. Nous sentons la jeune femme un peu nerveuse à l’idée de revenir sur ces souvenirs douloureux, mais au fil de l’entretien, elle finit par se détendre et par nous livrer son histoire d’une traite, comme pour se soulager d’un poids qu’elle aurait gardé trop longtemps sur le cœur. Mayotte Hebdo : Quand votre compagnon a-t-il commencé à fumer de la chimique et quelle a été l’évolution de sa consommation ? Elsa : Il a commencé peu après le début de notre relation, il y a environ 2 ans, au moment de l’introduction de cette nouvelle drogue à Mayotte. Au début, il l’utilisait dans un simple but récréatif, pour s’amuser et faire la fête, mais il est rapidement devenu accro. Au bout de quelques mois, il ne pouvait plus s’en passer. Il fumait entre 5 et 10 pétards de chimique par jour, voire plus dans ses périodes les plus noires. MH : Quelles ont été les répercussions de cette consommation sur son comportement et sur sa vie en général ? E : Elles ont été de plusieurs ordres. Tout d’abord, financières, car une grande partie de son argent passait là-dedans et il ne lui restait plus grand chose pour assumer les frais de la vie quotidienne. Un pochon de tabac chimique coûte 10 euros et il n’y a dedans de quoi rouler que trois ou quatre joints. Au vu de sa consommation, cela lui revenait à plus d’une vingtaine d’euros par jour. Comme il avait un petit salaire, c’était une somme énorme pour lui. Au niveau de son comportement, la chimique le déconnectait complètement du monde réel. Parfois, cela l’assommait complètement et il passait son temps à dormir ou tout simplement à ne rien faire, sans plus assumer aucune des tâches de la vie quotidienne. D’autres fois, cela le rendait violent et totalement irrationnel. Il devenait paranoïaque, croyant que le monde entier le persécutait, à commencer par moi. La chimique développait en lui une hypersensibilité qui le rendait agressif à la moindre remarque de ma part. Je ne pouvais plus rien lui dire sans qu’il entre dans des colères noires qui frisaient la crise de démence. Il a même levé la main sur moi à plusieurs reprises. Et puis, comme il devait se fournir, cela l’amenait automatiquement à avoir de mauvaises fréquentations. Il traînait de plus en plus avec des dealers et autres petits délinquants. Sa dépendance à la drogue le faisait progressivement glisser dans un univers malsain. MH : Pensez-vous que la prise de cette drogue par votre compagnon a contribué à l’échec de votre relation ? E : Oui, complètement. Il était conscient que cette drogue le dévorait complètement de l’intérieur et nuisait à notre relation. Mais à chaque fois qu’il a essayé d’arrêter, il avait de terribles symptômes de manque qui le faisaient replonger très vite. Il n’arrivait pas à s’en défaire. J’ai essayé de l’aider à plusieurs reprises, mais en vain. Sa dépendance le poussait à me cacher le fait qu’il continuait à fumer de la chimique et, dans ce but, il ne lésinait pas sur les mensonges et la manipulation. Parfois, il me disait qu’il allait voir des amis alors qu’en réalité, c’était pour pouvoir fumer à mon insu. D’autres fois, il inventait des stratagèmes très élaborés pour me faire croire que le tabac qu’il fumait n’était que du simple tabac à rouler, alors qu’il s’agissait en réalité de chimique. Cette atmosphère de secrets et de mensonges a complètement sapé la confiance que j’avais en lui. J’étais obligée de me méfier de lui, d’être en permanence sur mes gardes. Ce n’était plus du tout la même personne qu’au début de notre relation. Je ne le reconnaissais plus, la chimique avait complètement transformé sa personnalité. À la fin, c’était devenu tellement invivable que j’ai été obligée de le quitter. Audelà même de notre relation, sa dépendance à cette drogue mettait en péril mon propre équilibre psychique. Ca ne pouvait plus durer. Propos recueillis par N.G *Le prénom a été modifié. 300 € LE PAQUET DE TABAC MÉLANGÉ À LA CHIMIQUE D ifficile voire impossible de trouver un dealer à Mayotte d’accord pour témoigner sur son activité. Le mot d’ordre est discrétion, surtout après le coup de filet de l’été dernier. Nous nous sommes tout de même procuré les chiffres en vigueur dans le milieu. Ils sont édifiants. Pour un gramme de chimique commandé sur internet par le grossiste, ce dernier débourse 12 €. Il mélange ensuite la substance (sous forme de poudre ou liquide) avec un paquet de tabac à rouler. Il revend le tout pour 300 € à des dealers qui, eux-mêmes, vendent en détail le contenu dans des pochons vendus entre 5 et 20 € l’unité voire plus suivant l’offre et la demande. Un trafiquant avoue même avoir gagné 12 000 € en 30 minutes ! Vient la question du contrôle à la douane puisque, jusqu’à ce jour, les produits étaient acheminés par la Poste. Mais depuis que le trafic a éclaté au grand jour, tous les colis sont systématiquement contrôlés. Il a fallu, pour les dealers trouver des alternatives. Certains envoient des sous-fifres à La Réunion récupérer les produits commandés par cargo. Une fois les valises remplies, les livreurs du réseau franchissent la douane sans être inquiétées. S’ils sont pris la main dans le sac, une simple saisie des produits est effectuée par les forces de l’ordre mais aucune interpellation ne peut être procédée à cause du vide juridique qui entoure ces drogues de synthèse et les molécules qui les composent. Actuellement, des réseaux se montent aussi depuis les Comores. Les dealers font venir le produit dans le pays voisin où les contrôles sont faibles voire inexistants avant de les faire acheminer à Mayotte par bateau. G.D 10 AVRIL 2015 r MAYOTTE HEBDO N°699 19
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