Dossier - « Drogue de synthèse, peur sur l`île

DOSSIER
DROGUE DE SYNTHÈSE
PEUR SUR L’ÎLE
Connue sous le nom de “chimique” à Mayotte, la drogue de synthèse se répand sur le territoire
depuis quelques années et apporte avec elle son lot de drames humains. Ses trafiquants ont
reproduit les molécules de différents stupéfiants pour contourner la loi. La substance vise
ainsi à reproduire les mêmes effets que le cannabis par exemple, mais elle s’avère en réalité
plus violente suivant les dosages et les cocktails moléculaires. Elle a provoqué encore, il y a
quelques semaines, la mort d’un Mahorais. Plongée dans la nouvelle gangrène de l’île.
L
es nouvelles drogues de synthèse (NDS)
se comptent par dizaines en Europe et en
France particulièrement. Cocaïne, héroïne,
cannabis, chaque stupéfiant bien connu sur le
marché, dispose à présent de plusieurs dérivés
synthétiques accessibles en quelques clics sur
internet et pour un prix bien moins élevé que
leurs homologues “naturels”.
Mayotte, malheureusement, n’échappe pas
au phénomène puisque, depuis quelques années, des cannabis de synthèse se répandent
dans le département. Jeunes comme moins
jeunes sont touchés, et la commercialisation
rampante de cette drogue ne va pas sans tous
les problèmes d’addiction et de violence qui
lui incombent. Les vidéos de consommateurs
en pleine perte de leurs moyens se répandent
sur les réseaux sociaux comme des champignons. Un phénomène 2.0 qui en dit long sur
la déconnexion de la réalité de certains témoins qui, munis de leur smartphone, filment
la décadence humaine, pressés de montrer à
leur réseau de “followers” la scène insolite à
laquelle ils ont assisté au lieu d’appeler les
secours.
Le prix varie entre 5 et 20 € le gramme de
“chimique”, voire encore plus cher suivant les
stocks disponibles. Pour s’en procurer, rien de
plus simple, puisque quelques dealers ont déjà
pignon sur rue à Mamoudzou et sa périphérie.
L’autre inquiétude réside dans les dosages,
plus ils sont forts plus les divers symptômes
de “bad trip”, effets psychotiques, troubles du
comportement, apathie, vomissement ou encore maux de tête se font sentir. Et l’addiction
pointe elle aussi rapidement le bout de son nez
comme les témoins que
nous avons rencontrés
Absence de
ont pu nous l’expliquer
tout au long de cette
législation
enquête.
Importé d’Asie, le proautour des
duit bénéficie d’un vide
juridique puisqu’il n’est
drogues de
pas considéré comme
une drogue. En effet,
synthèse
si les trafiquants ne
peuvent être poursuivis
dans le cadre de vente de stupéfiants, il n’en
demeure pas moins qu’il reste interdit, la loi
le stipule, d’importer “de manière frauduleuse
des médicaments ou toute substance capables
de modifier la physiologie et le métabolisme
du corps humain”. Les dealers encourent pour
cela une peine pouvant aller tout de même
jusqu’à cinq ans de prison, plus encore s’il
s’avère qu’ils étaient en possession de molécules répertoriées comme des drogues dures.
Cependant, il suffit de modifier quelque peu
une molécule pour que le produit n’entre pas
dans la nomenclature des drogues répertoriées.
Mélangé à du tabac, la chimique se consomme
comme un “joint”. Parfois un diluant peut être
utilisé pour l’agglomérer au tabac. La composition de la drogue change en permanence
avec la modification de certaines molécules
pour contourner la loi, ce qui en fait un produit
instable en termes d’effets physiologiques.
L’été dernier, un vaste réseau de trafic de
cette drogue de synthèse a été démantelé à
Mayotte, incluant un agent du conseil général.
Une dizaine de personnes ont été interpellées,
mais leur comparution devant la justice est
toujours en attente près d’un an après les faits.
Si, à l’époque, le réseau a été décapité telle
l’hydre de Lerne, d’autres têtes ont poussé
depuis, la société mahoraise ayant compris
comment se procurer facilement ce produit. Si
le problème devient de plus en plus récurrent,
les campagnes de sensibilisation et d’information contre la chimique se font toujours
attendre dans l’île pendant qu’une partie de
la société mahoraise meurt à petit feu.
G.D
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MAYOTTE HEBDO N°699 r10 AVRIL 2015
10 AVRIL 2015 r MAYOTTE HEBDO N°699
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LUTTE CONTRE LA DROGUE
TÉMOIGNAGE
Ali, 20 ans, consommateur quotidien de chimique
Un monstre à deux têtes
Il y a un peu plus d’un an, les forces de l’ordre démantèlent pour la première fois un vaste
réseau de chimique. Mais le bangué, qui est revendue par des petits réseaux de trafiquants,
reste encore la principale drogue traquée à Mayotte par les autorités, qui mènent des
opérations au coup par coup.
de repérer l’ensemble des drogues, que ce
soit les amphétamines, les opiacés, les cannabinoïdes, la cocaïne ou encore les dérivés
d’opiacés comme la morphine”, explique le
chef d’escadron Jean-Christophe Laroque. Lors
de leurs interventions/perquisitions, les gendarmes disposent de plus d’un chien stupéfiant.
Du côté de la police, il n’existe pas de groupe
d’action spécifique contre les stupéfiants.
“À Mayotte, nous ne faisons pas face à des
réseaux de trafiquants bien constitués, dit
Philippe Miziniak. Le trafic de bangué n’est
pas la source d’une économie souterraine. Elle
fait vivre quelques familles ; mais pas au point
de rouler sur l’or. Il s’agit surtout de productions locales, avec de petits tubes revendus à
des consommateurs locaux. Les trafiquants
de chimique se fournissent de leur côté sur
internet. Par conséquent, la marchandise arrive
discrètement par la poste, dans le coffre d’une
voiture, dans un container. Nous menons donc
des opérations au coup par coup.”
Olivier Loyens
SAISIES DE DROGUE EN 2014
Le bangué, principale drogue en circulation à Mayotte, ne profite toutefois pas de
réseaux organisés de stupéfiants.
J
directeur adjoint, explique qu’en 2014 une
trentaine de kilos de drogue ont été saisies au
total, dont la majorité de bangué. “Nous avons
également intercepté de la résine de cannabis
et de la chimique, mais dans des quantités
assez faibles”, ajoute-t-il.
Les autorités ont retrouvé environ trois kilos Au sein de la Direction régionale des douanes,
de drogue en poudre et saisi
le service d’opérations com30 000 euros sur le compte
merciales (gestion du fret aédes trafiquants, plus 6 000
rien et maritime et centre de
Le
trafic
de
euros de biens matériels qui
dédouanement postal) et le
ont probablement été acquis
de surveillance (dont
bangué n’est service
par la vente de drogue et ont
la brigade de surveillance
servis à son écoulement.
ont vocation tous
pas la source nautique)
Cette saisie de chimique est
les deux à faire des contrôles,
assez exceptionnelle pour les d’une économie même si la plupart des saisies
forces de l’ordre, pour qui le
sont effectuées par le service
souterraine
bangué représente le principal
de surveillance. “La brigade
trafic de drogue sur l’île aux
de surveillance nautique inparfums.
tervient souvent en appui
“Il n’y a pas de drogues dures en circula- de la police aux frontières, indique Jeantion à Mayotte”, explique le commissaire Pierre Lacaze. À l’occasion de ces contrôles
Philippe Miziniak, directeur départemental dans les kwassas, ils ont déjà saisi des cende la sécurité publique de Mayotte. “Le ban- taines de grammes ou des kilos de bangué.
gué représente la plupart des saisies, avec par Nous effectuons également des saisies lors
exemple 150 kilos saisis en 2007, pour une de contrôles à la circulation.”
valeur marchande de 80 000 €. “
Les contrôles font aussi partie du quotidien
Même son de cloche du côté de la Direction de la gendarmerie, à travers les dépistages
régionale des douanes, où Jean-Pierre Lacaze, salivaires effectués sur la route. “Le but est
uin 2014. Pour la première fois à Mayotte,
une opération coordonnée de la police, de
la gendarmerie et des agents des douanes
judiciaires permet d’interpeller une quinzaine
de personnes dans le cadre du démantèlement
d’un vaste réseau de chimique.
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MAYOTTE HEBDO N°699 r10 AVRIL 2015
162 KG
DE BANGUÉ
29 PIEDS
DE CANNABIS
114 DOSES
DE CHIMIQUE
(valeur marchande de 12 000€)
SAISIES DE DROGUE
POUR JANVIER-FÉVRIER 2015
112 KG
DE BANGUÉ
99 DOSES
DE CHIMIQUE
soit 112g
Selon nos sources
Ali* a commencé à consommer de la chimique dès son introduction sur l’île, il y a environ
deux ans. Depuis, il fume cette drogue quotidiennement. Bien qu’ayant accepté de témoigner
sans problème, le jeune homme arrive au lieu de rendez-vous avec 1h30 de retard et après
plusieurs rappels de notre part. Nous découvrons alors un jeune mahorais à la mine fatiguée
et aux tout petits yeux qui semblent perdus dans un ailleurs indéfinissable. Souriant
toutefois, et doté d’une verve étonnante au vu de sa consommation intensive de chimique.
Mayotte hebdo : Combien de joints
de chimique fumez-vous par jour ?
Fumez-vous le tabac chimique pur ou
coupé avec du tabac normal ?
Ali : Je fume beaucoup. Environ
faire caca dessus (rires). Il ne faut surtout pas
mélanger la chimique à l’alcool. Quand on
fume de la chimique, il faut boire des boissons
sucrées de type soda. Ça atténue les effets
quand on en a trop pris et qu’on
50 pétards par jour. En fait, je “Quand c’est ne se sent pas bien. Après, ce
fume ça comme je fumerais de
qui peut rendre violent, c’est
simples cigarettes. Je fume la de la bonne, le manque. Des fois, des fuchimique pure, je ne la coupe
meurs de chimiques en manque
avec du tabac que si des amis
il n’y a pas rackettent les autres pour en
qui sont moins habitués que
avoir. Certains nous attaquent
de risque” même au shombo pour nous vomoi me le demandent. Il existe
différentes sortes de chimique.
ler notre chimique. C’est pour ça
On les reconnaît au goût et aux effets. Il y a que quand on en a, il faut toujours accepter de
beaucoup de variantes dans la fabrication de la partager. La chimique ne rend pas violent,
cette drogue. À la base, il y a une poudre, c’est c’est le manque qui peut parfois amener cerça qu’on appelle “la chimique”. Après, cette taines personnes à devenir violentes.
poudre peut-être diluée soit dans de la vodka,
du rhum ou de l’alcool à brûler, ça dépend.
MH : Les médecins affirment pourtant
Ensuite, on trempe le tabac dedans et on le fait que ça rend violent…
sécher. C’est comme ça qu’on obtient le tabac À : Ils n’y connaissent rien. Ils ne peuvent pas
chimique, également appelé parfois le “tabac savoir vu qu’ils n’ont pas testé par eux-mêmes.
magique”. Moi, je fume toutes les sortes, mais Il n’y a que les consommateurs qui peuvent
je sais reconnaître quand une sorte est vrai- vraiment connaître les effets d’une drogue.
ment trop mauvaise et j’arrête aussitôt de la Beaucoup d’agressions sont mises sur le dos
fumer. Certains fabricants coupent la chimique de la chimique, alors que ce n’est pas le cas.
avec vraiment n’importe quoi et c’est ça qui La chimique, ça te fait devenir un zombi, ça
donne les effets négatifs. Par contre, quand ne te rend pas agressif. Moi, je pense que la
c’est de la bonne, il n’y a pas de risque.
violence est davantage provoquée par l’alcool
que par la chimique.
MH : Quels sont
les effets de cette
drogue ?
À : Ça calme. Le corps
“Quand il y a pénurie
de chimique, son
prix augmente
considérablement”
et l’esprit sont ralentis,
on se sent vraiment
zen. Quand j’ai trop de
choses à penser et que
je fume de la chimique, ça met de l’ordre dans
mes pensées et je vois les choses autrement,
je relativise. Et puis, ça m’occupe quand je n’ai
rien à faire. Je ressens vraiment beaucoup de
plaisir à fumer ça. Par exemple, quand il fait
trop chaud et que je fume de la chimique, je
ne ressens plus la souffrance de la chaleur.
Ça me donne l’illusion que la température a
baissée et qu’il fait frais. Ça m’apporte de la sérénité. Par contre, quand c’est de la mauvaise,
c’est là qu’on peut ressentir des effets négatifs.
Par exemple, on peut ne plus arriver à parler
ou avoir l’impression que chaque mot qui sort
de notre bouche est comme un caillou brûlant.
MH : Nous avons entendu dire que
cette drogue rendait agressif et provoquait une hypersexualité, est-ce le
cas pour vous ?
A : Pas du tout ! Au contraire, ça me rend
zen et tellement mou que je n’ai pas du tout
envie d’avoir des relations sexuelles. Trop la
flemme. En fait, ça ne rend agressif que si on
boit de l’alcool en même temps. C’est l’alcool
qui rend violent, pas la chimique.
Et si on mélange les deux, là ça peut vraiment
avoir des effets négatifs. On peut soit devenir
violent, soit être très malade et vomir ou se
MH : Pensez-vous
que vous êtes dépendant à cette
drogue ? Croyez-vous
que vous seriez capable d’arrêter d’en
prendre facilement ?
À : Oui, je peux arrêter, mais pour l’instant je
n’en ai pas du tout envie. Ça me donne tellement de plaisir, pourquoi arrêterais-je ? C’est sûr
que si je l’arrêtais d’un coup, ça me manquerait
un peu, mais je crois que je pourrais gérer ça. Ça
m’est déjà arrivé d’arrêter quelques mois, car
je n’avais plus d’argent pour en acheter. C’était
un peu dur, mais pas tant que ça.
MH : Trouve-t-on facilement cette
drogue sur l’île ? Votre consommation
vous revient-elle chère ?
À : Ça dépend. À certaines périodes, on la
trouve facilement, à d’autres c’est beaucoup
plus difficile d’en trouver. Quand il y a pénurie
de chimique, son prix augmente considérablement. En ce moment, par exemple, c’est dur
d’en trouver alors elle est chère. On ne trouve
que de tous petits pochons à 20 euros. De quoi
faire juste deux pétards, pas plus. Mais moi,
j’achète quand même, même si c’est cher. C’est
sûr, c’est beaucoup d’argent, mais au moins
je suis soulagé.
Et puis, dans ces périodes-là, il faut faire attention, car certains dealers en profitent pour
vendre de la fausse chimique. Il y en a qui
remplace la poudre de chimique par n’importe
quel médicament et c’est là que ça peut de-
venir dangereux. Mais moi, comme je fume
depuis le début de son introduction sur l’île,
je sais reconnaître la vraie de la fausse. Je
ne me fais jamais avoir. Dès la première taf,
je sais si c’est de la vraie, ou si le tabac a été
trempé dans des médicaments. Ça n’a ni le
même goût, ni la même odeur. Je contrôle
totalement ce que je fume.
MH : Ne ressentez-vous jamais des
effets négatifs sur votre santé ? N’avezvous jamais peur que cette drogue ne
finisse par vous détruire ?
À : Non, pour ma part, je n’ai jamais d’effets
physiques négatifs, sauf quand je mélange avec
l’alcool. J’évite de le faire, mais j’avoue que ça
m’arrive quand même de temps en temps...
Après, je pense que tout dépend de la constitution de chacun. On est tous différents. Sur
moi, la chimique n’a
pas d’effets négatifs,
mais sur d’autres,
“Le bangué,
elle en a. On ne peut
pas généraliser. Une c’est devenu
drogue est plus ou
has-been”
moins bien supportée
selon les gens. Parfois,
oui, il m’arrive d’avoir
des doutes et de me dire que je devrais arrêter.
Mais ça me passe assez vite, car j’aime trop être
défoncé. Pour l’instant, je suis bien avec ça alors
je ne vois pas quel intérêt j’aurais à arrêter.
MH : Quel est le regard de votre famille
et de votre copine sur votre consommation de chimique ?
À : Ma famille ne me calcule pas trop. De
toute façon, mes parents sont incapables de
faire la différence entre une simple cigarette
et un pétard. Ils n’y connaissent rien. Ils ne
savent même pas ce que c’est que la chimique.
Ils croient que je fume des cigarettes, ils n’ont
pas conscience qu’il s’agit d’une drogue. Quant
à ma copine, oui, c’est sûr qu’elle me dit souvent que je devrais arrêter. Mais je m’en fiche.
Personne n’a à me dire ce que je dois faire.
MH : Les jeunes mahorais fument-ils
de plus en plus de chimique ?
À : Ah ça, c’est sûr, c’est de plus en plus à la
mode ! Je crois que bientôt, tout le monde
ne fumera plus que ça. Le bangué, c’est devenu has-been. Tous les jeunes d’aujourd’hui
veulent fumer de la chimique, car les effets sont
plus puissants. Maintenant, il y a aussi une
nouvelle drogue qui s’appelle “le mangrove”.
Je crois que c’est aussi de la chimique, mais
au lieu d’être trempée dans du tabac, elle est
trempée dans une plante naturelle de couleur
verte. Je ne sais pas exactement ce que c’est
(NDLR Uruva). En tout cas, ça a un goût et
une odeur bizarre. Au niveau des effets, c’est
un peu plus doux que la chimique normale.
Ça rappelle les effets du cannabis.
Propos recueillis par N.G
*Le prénom a été modifié.
10 AVRIL 2015 r MAYOTTE HEBDO N°699
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TÉMOIGNAGE
SANTÉ
Dylan, 24 ans, consommateur occasionnel de chimique
“Pire que le
LSD, l’héroïne
ou le crack”
Dylan* ne consomme de la chimique que dans un but récréatif. C’est sans tabous qu’il a
accepté de répondre à nos questions sur sa consommation. Nous découvrons alors un jeune
homme à la mine enjouée et aux yeux vifs, dont jamais nous ne nous douterions qu’il puisse
ressentir le besoin de consommer une drogue aussi mortifère pour réussir à s’amuser.
Mayotte hebdo : À quelle fréquence
consommez-vous de la chimique ?
Dylan : Il y a quelques années, j’en fumais
vraiment beaucoup, mais maintenant je n’en
achète plus que rarement. Au quotidien, je
préfère le bangué, c’est plus doux et ça ne t’assomme pas complètement comme la chimique.
Maintenant, ma consommation est devenue
occasionnelle. J’achète de la chimique quand
j’ai vraiment envie de faire la fête et d’être
défoncé. Mais il ne faut pas en fumer trop
souvent, sinon,
tu ne fais plus
“On peut
rien de ta vie. Et
puis, il faut vrairester
ment éviter de
boire de l’alcool
“bloqué”
quand on fume
la chimique,
pendant des de
car le mélange
est un vrai cockheures sur
tail Mol otov
les mêmes
qui t’explose le
crâne. Il vaut
pensées
mieux boire des
boissons sucrées,
sans même
car ça atténue
les éventuels efs’en rendre
fets négatifs que
la chimique peut
compte”
parfois entraîner
quand on n’est
pas habitué à en prendre régulièrement.
MH : Quels sont les effets que provoque cette drogue ?
D : Ça calme, ça apporte une sorte de sérénité.
Ça fait oublier les soucis de la vie quotidienne
et permet de décrocher pour quelques heures
de la réalité. Ça constitue une échappatoire
aux problèmes de l’existence. Mais quand
on en prend trop, on est tellement détendu
qu’on devient une sorte de zombi. On n’arrive
plus à rien faire ou alors on fait tout au ralenti. Le moindre effort, comme celui de parler,
nous paraît insurmontable. On entend ce que
les gens nous disent, mais on n’arrive pas à
leur répondre. On est comme dans un autre
monde et la chimique modifie complètement
notre perception du temps. On peut rester
“bloqué” pendant des heures sur les mêmes
pensées sans même s’en rendre compte. Mais
en général, on se sent bien.
MH : Vous ne ressentez jamais d’effets négatifs lorsque vous prenez cette
drogue ?
D : Si, les bad trips, ça arrive, mais comme avec
MH : Pensez-vous que la chimique
puisse rendre agressif ou pousser au
viol ?
D : Non, pas du tout ! Au contraire, ça t’as-
somme et tu n’as plus envie de rien faire. Ca te
transforme en zombi, tu ressens une immense
fatigue et tu as la flemme de faire le moindre
effort. Tu n’as pas du tout envie d’avoir des
relations sexuelles quand tu as fumé de la
chimique, c’est trop fatigant ! Je pense que c’est
le mélange avec l’alcool qui peut éventuellement rendre agressif. Ou alors, le manque,
pour ceux qui sont vraiment accros. Il arrive
de plus en plus souvent que les drogués en
manque agressent les autres pour en avoir.
C’est là que ça peut devenir dangereux. Mais
la chimique seule, non, ça ne rend pas violent.
Au contraire, ça rend mou.
n’importe quelle drogue, ce n’est pas spécifique
à la chimique. Tout comme le cannabis, il arrive
que la chimique me rende paranoïaque. Dans
ces cas-là, j’ai l’impression que tout le monde
me regarde et parle mal de moi en cachette.
Ou alors, j’ai la tête qui tourne tellement que je
suis obligé de m’allonger pendant des heures
sans être capable de faire quoique ce soit, pas
même de répondre aux gens qui me parlent
puisque, de toute façon, je n’arrive plus à articuler le moindre mot. Mais ça, c’est quand j’en
prends trop. En général, j’essaie de contrôler
ma consommation et, dans ces cas-là, je ne fais MH : Que pensez-vous du “mangrove”,
pas de bad trip. Par contre, il arrive souvent que la nouvelle drogue en circulation ?
j’aie des trous de méD : Ah ça, je n’aime
moire le lendemain et
pas, ça assomme vrai“On est déchiré plus
que je n’aie que des
ment trop. Encore plus
souvenirs très parcelque la chimique norrapidement
qu’avec
laires de ma soirée…
male. En plus, ça a
Et puis, j’évite aussi de l’alcool, alors ça revient un goût et une odeur
trop en prendre, car ça
bizarre ! Personne ne
moins cher au final” sait vraiment ce que
fait beaucoup grossir.
La chimique me donne
c’est. C’est une esun appétit d’ogre et je deviens capable de pèce de plante verte que certains fabricants
manger une marmite de riz à moi tout seul. imprègnent de chimique en lieu et place du
tabac. Moi, je préfère ne pas en prendre, je
MH : Qu’est-ce qui vous pousse en n’aime pas l’idée de ne pas savoir ce que c’est
général à consommer cette drogue ?
que cette plante. Au moins, avec la chimique
D : J’aime bien en prendre en soirée, car ça normale, on sait que c’est du tabac. Ça fait
remplace l’alcool. On est déchiré plus rapide- moins peur.
ment qu’avec l’alcool, alors ça revient moins
cher au final. C’est plus économique. J’aime MH : Quel est le regard de votre famille
bien être défoncé en soirée, je m’amuse beau- et de votre copine sur votre consomcoup plus que quand je ne prends rien. Ça me mation de chimique ?
permet de bien rentrer dans l’ambiance de D : Mes parents ne sont pas au courant, évila fête, tandis que si je ne prends rien, je me demment, sinon ils me tueraient. Quant à ma
sens tout coincé et je m’ennuie. Tout comme copine, elle tolère ma consommation tant que
l’alcool, la chimique désinhibe.
celle-ci reste occasionnelle. Elle en prend ellemême de temps en temps, pour faire la fête,
MH : Pensez-vous être dépendant à mais c’est assez rare. En général, elle préfère
la chimique ?
boire de l’alcool.
D : Non, pas du tout, puisque je n’en prends
Propos recueillis par N.G
qu’occasionnellement. Quand je n’en ai pas,
*Le
prénom
a
été
modifié.
ça ne me manque pas spécialement.
3 questions à un consommateur de chimique
Nous rencontrons Mohamed en fin d’après-midi, en plein air. Il est assis avec un groupe d’amis, à côté d’un terrain vague.
Lorsque nous l’interrogeons, il a le regard vide et semble très fatigué. Il parle lentement, si bien que ses amis sont souvent
tentés de finir ses phrases.
Mayotte Hebdo : Depuis combien de temps consommez-vous de la chimique ?
Mohamed* : Cela fait trois ans. J’en fume plus que 3 fois par
jour. C’est pour passer le temps, puisque je ne travaille plus
depuis une dizaine d’années (Mohamed a 63 ans, NDLR).
J’essaie d’arrêter mais je n’arrive pas. La chimique me cause
des soucis. Elle m’empêche de travailler de nouveau.
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MAYOTTE HEBDO N°699 r10 AVRIL 2015
MH : Quels sont les effets ?
M : Je plane. Je suis sur une autre planète.
MH : À quel endroit vous fournissez vous ?
M : Nous nous rendons avec des amis à l’ancien bazar de
Mamoudzou. Pour un gramme, il faut payer entre 10 et 20 euros.
*Le prénom a été modifié
Propos recueillis par OL
Les nouveaux produits de synthèse psychoactifs
semblent être les drogues les plus dangereuses jamais
inventées. Il est impossible pour les médecins de
connaître la composition des substances consommées.
Face aux symptômes multiples liés à des cocktails
moléculaires, les professionnels de santé sont démunis
et sans antidote. Explications.
L
Avec une augmentation proportionnelle
au niveau des effets.
Aïcha Madrane est rattachée au CHM
(Centre hospitalier de Mayotte) et travaille en tant que médecin à la prison de
Majicavo. Selon elle, 80% des détenus
de la maison d’arrêt ont déjà consommé
de la “chimique”. Le lien semble donc
évident entre délinquance et consommation de ces substances nouvelles. Aïcha
Madrane, pour connaître l’état dans leSynthétiser permet notamment de rendre quel arrivent certains consommateurs, sait
indétectable la structure organique de la que la “chimique” n’est plus uniquement
molécule mère. Les nouveaux produits de du THC de synthèse. Les symptômes du
synthèse psychoactifs, autrement dit les dro- cannabis n’ont rien à voir avec ceux que
gues de synthèse, ne sont alors pas illégaux, ressentent certains consommateurs de
et il faut beaucoup de temps aux chercheurs chimique.
pour déceler, légiférer puis interdire telle La situation est plus qu’alarmante. “Les
ou telle molécule.
drogues de synL’autre objectif des
thèses sont pires que
NPS est de changer
le LSD, le crack ou
“Nous recevons
un groupe fonctionl’héroïne, affirme la
nel de la molécule
médecin. Pour une
à Mayotte des
afin de multiplier
raison très simple :
les effets, de rendre
les structures moconsommateurs
toujours plus addicléculaires moditifs et plus puissants
fiées sont capables
dans des états
les produits.
d’associer ces trois
invraisemblables.” drogues et leurs
La Chine et l’Inde
sont deux pays proeffets. S’il s’agissait
ducteurs de produits
uniquement d’une
de synthèse psychoactifs. À l’aide de re- synthèse du THC, la situation ne serait
doutables chimistes, d’immenses indus- pas si grave. Là, nous avons des molécules
tries ont été créées afin de produire des pouvant être proches de celles des canNPS à l’échelle planétaire. Des centaines nabinoïdes mais auxquelles des noyaux
de sites sur le “dark web”, où les acheteurs moléculaires des amphétamines ou des
ne peuvent être tracés, proposent tous tryptamines sont ajoutés. Imaginez que
types de NPS. Ils vendent autant du viagra vous trempiez ce cocktail moléculaire dans
que des drogues de synthèse. La poudre de l’alcool à brûler, que vous le fumiez
moléculaire, une fois reçue avec la recette avec du tabac et que vous consommiez
est mélangée à de l’alcool, puis le tabac de l’alcool en même temps, les effets
est trempé dans cette préparation. Une psychologiques et physiologiques sont
fois sèche, la chimique est prête.
forcément dévastateurs. Nous recevons
De toutes les drogues synthétisées, seule à Mayotte des consommateurs dans des
la moitié proviendrait des cannabinoïdes états invraisemblables.”
que l’on retrouve notamment dans le Ne sachant de quoi sont faites les moTHC du cannabis. Les autres drogues de lécules modifiées, les médecins se resynthèse partent certes des composants trouvent bien souvent démunis face aux
moléculaires de la drogue la plus consom- symptômes variables en fonctions des
mée dans le monde, mais peuvent aus- ligands présents (NDLR, voir la page sur
si mélanger cette structure moléculaire les composants). La difficulté pour le corps
avec celle des amphétamines ou de la médical provient du fait qu’il n’existe autryptamine. Un noyau moléculaire des cun antidote lorsqu’il n’est pas possible
amphétamines peut ainsi être incorporé de savoir ce qui a été ingéré. Ils sont parà une molécule mère des cannabinoïdes. fois confrontés à des patients aux
es nouveaux produits de synthèse
(NPS) ne regroupent pas uniquement les drogues de synthèse. Le
“viagra like”, par exemple, est un produit
de synthèse, une sorte de dérivé issue de la
molécule mère du viagra. En réalité, tout
peut être copié. En partant de l’insuline pour
aller jusqu’au cannabis, toutes les molécules
peuvent être modifiées au niveau de la structure moléculaire. On parle alors de produits
synthétisés chimiquement.
DÉFINITION DES
NOUVEAUX PRODUITS
DE SYNTHÈSE
Les nouveaux produits de synthèse (NPS) sont
élaborés à base de molécules synthétiques
produites par des laboratoires illégaux qui copie
une molécule-mère en modifiant un groupement
fonctionnel de sa structure, ce qui produit des effets
imitant ceux du générique sans être forcément
identiques.
On a répertorié les NPS psychoactifs en 6 grandes
familles chimiques.
-
Amphétamines (phényléthylamines)
Cathinones
Cannabinoïdes
Tryptamines
Pipérazines
Orphelines (inclassables)
Les NPS agissent comme les molécules
mères, ce qui signifie qu’elles se comportent,
une fois consommés, comme des substances
qui interviennent dans la production de
neurotransmetteurs (noradrénaline, dopamine,
sérotonine), mais d’une manière dérégulée.
En effet, le NPS peut agir sur la sécrétion du
neurotransmetteur en la stimulant, l’inhibant
ou parfois avoir les deux effets, ce qui aura
comme résultats des effets physiologiques sur
les organes, le cœur, le cerveau et l’apparition
d’effets potentialisés par l’action de plusieurs
effets chimiques.
Les substances psychoactives naturelles sont
connues depuis longtemps et déjà utilisées comme
drogues récréatives et légèrement dopantes. Ainsi,
la feuille de kath mastiquée provoque un effet
euphorisant et coupe-faim utilisé au Yemen et
à Madagascar, ou encore la mescaline, qui n’est
rien d’autre qu’une “amphétamine” naturelle.
Les Chamans d’Amazonie utilisent quant à
eux l’écorce d’Ayahuasca, de la famille des
tryptamines, comme psychédélique dans leurs
rites traditionnels.
Les NPS les plus commercialisés sont les
cannabinoïdes de synthèse. En France, entre
20 et 30 cannabinoïdes de synthèse ont été
classés comme stupéfiants illicites. Drogue très
addictive, elle est probablement celle qui est
la plus répandue à Mayotte. Poudre mélangée
au tabac après dilution dans un solvant (en
général, de l’alcool à brûler), elle est fumée et
est censée reproduire les effets du THC : bienêtre, exacerbation sensorielle, augmentation de
l’appétit…
Mais ce n’est pas le cas, car il existe plusieurs
groupes de cannabinoïdes de synthèse qui, s’ils
ont en commun d’occuper certains récepteurs
cérébraux avec le THC, ont une formule chimique
qui peut en être éloignée et parfois contenir des
groupements fonctionnels pouvant avoir des effets
sur d’autres récepteurs du système nerveux. On
peut émettre l’hypothèse que ces molécules
hybrides ont des effets physiologiques collatéraux
plus que probables. Les décès rapportés pour
des overdoses de NPS concernent des morts par
infarctus chez des jeunes, des insuffisances rénales,
des AVC…
10 AVRIL 2015 r MAYOTTE HEBDO N°699
15
TÉMOIGNAGE
symptômes inconnus. Ceux-ci miment
par exemple parfaitement les effets d’autres
intoxications comme les neuroleptiques utilisés
dans le traitement des psychoses.
Les consommateurs de chimique ne savent
absolument pas ce qu’ils fument. D’autant
plus que les dosages entre l’effet recherché
et les effets toxiques
sont parfois de l’ordre
du microgramme. Le
80% des
danger d’overdose est
détenus de beaucoup plus imporqu’avec une autre
la maison tant
drogue. D’où les précautions que doivent
d’arrêt
prendre les médecins
lorsqu’ils administrent
ont déjà
des médicaments pour
consommé calmer les patients en
détresse.
de la
Le “cocktail molotov
de la
“chimique” moléculaire”
chimique accompagné
d’alcool pousse un
grand nombre de consommateurs à commettre
des actes irréversibles. D’autant plus que la
“chimique” rend très vite accroc. La prison représente souvent un sevrage, mais entraîne des
demandes diverses de prises en charge. Trouble
du sommeil, anxiété, rigidité musculaire, AVC,
infarctus, tachycardie, hypersexualité… La liste
est longue et les ravages sans précédent.
La chimique peut en effet agir sur le comportement, la libido, le sommeil, l’agressivité
ou encore l’alimentation. Les infarctus, les
problèmes neurologiques des années après
entraînant la schizophrénie, ou encore les atteintes organiques au niveau du cœur, des intestins, des muscles et du cerveau peuvent être
très graves, pour ne pas dire irréversibles. Les
consommateurs se dissocient de la réalité, font
des crises de tachycardie avec des pulsations
pouvant aller jusqu’à 180 ou 200 battements
par minute. Muscles rigides, hypersudation,
parfois hyperthermie, sont aussi très souvent
rencontrés par les médecins.
À l’heure actuelle, 122 cannabinoïdes circulent
dont près d’une trentaine sont identifiés par
les autorités françaises. Environ une nouvelle
molécule par mois serait créée. En Occident,
ces substances chimiques sont parfois vendues
sous forme de sel de bain, d’engrais, de pots
pourris, d’encens sur lesquels le vendeur note
un message codé : impropre à la consommation humaine. Un code qui en dit long...
Confession d’un dealer repenti
Saïd* a 23 ans. Ancien dealer et consommateur de chimique, le jeune mahorais a accepté de
nous raconter son parcours et pourquoi il a décidé de tout arrêter. Un témoignage rare au
vu de l’omerta qui règne dans le milieu. Rencontre.
U
n soir de printemps dans une rue sombre
de Mamoudzou, un intermédiaire nous
attend après plusieurs semaines de
tractations. “Bon, ça n’a pas été facile de le
convaincre, car il ne parle jamais de son passé
de dealer, mais on a fini par y arriver”, se veut-il
rassurant. Rendez-vous est pris dans une maison
modeste à quelques encablures où nous attend
Saïd. La mine fermée et le physique imposant,
notre interlocuteur donne quelques sueurs froides.
L’ambiance est installée. “Assis-toi, je t’écoute”,
lance-t-il exhibant ses tatouages faits maison à
l’aide d’un peu d’encre et d’une aiguille à coudre.
C’est en 2013 que Saïd découvre la chimique.
En plein boom, la drogue de synthèse se répand
dans l’île à une vitesse fulgurante et le jeune
Mahorais n’échappe pas lui non plus à l’effet
de mode. D’abord consommateur, il commence
rapidement à vendre au détail des pochons
dans son quartier. Ses fournisseurs étaient ni
plus ni moins que les trafiquants arrêtés l’été
dernier, coupant ainsi court à un vaste réseau
organisé.
“Les gros bonnets cuisinaient leur produit en
le mélangeant à de l’alcool à brûler avant de
tremper le tabac dans le liquide pour ensuite
le faire sécher”, se souvient le revendeur.
Une fois leur tambouille terminée, les
grossistes distribuaient la mixture aux petits
dealers comme Saïd. Il n’était pas rare, aux
commencements de la chimique à Mayotte, de
voir les transactions entre vendeurs et clients
se dérouler dans la rue au vu de tout le monde.
Une scène à l’image des narcotrafiquants des
favelas au Brésil qui tiennent de vrais marchés
de la drogue en plein jour. “Chacun avait son
coin de vente dans le quartier, y avait pas de
concurrence ou de guerre de territoire”, raconte
l’intéressé.
200 € en une journée
Rapidement déscolarisé, avant la venue de la
chimique, le jeune de Mamoudzou vendait déjà
du bangué. Business plus juteux, il se lance
Pierre Bellusci
TÉMOIGNAGE D’AÏCHA MADRANE
J
médecin coordinateur à la maison d’arrêt de Majicavo
e ne sais pas exactement depuis combien de temps ces
substances sont utilisées à Mayotte, mais ce que je peux constater
personnellement, c’est qu’entre 2011 et aujourd’hui, la situation
s’est exacerbée et il semble que l’usage de la “chimique” soit devenu
presque aussi courant que celle du bangué chez les jeunes. Dans mon
expérience professionnelle, qui me confronte à la jeunesse la plus
ciblée pour ce genre d’abus puisque les jeunes que je soigne sont des
prisonniers, l’expérience de la chimique est généralisée. C’est une
drogue très addictive et l’incarcération représente un sevrage brutal
qui est, pour certains, compensé par une demande en médicaments
de préférence psychoactifs, dont ils chercheront à détourner les effets
en fumant un antidouleur après l’avoir écrasé au lieu de l’avaler, par
exemple.
Au CHM, le centre d’addictologie reçoit depuis environ deux ans,
beaucoup de demandes de prises en charge dont certaines dans le cadre
de soins ordonnés par la justice. S’il n’existe pas d’antidote spécifique
qui ait obtenu un consensus pour traiter les surdosages, on dispose à
Mayotte de moyens pour traiter les symptômes graves dans la plupart
des cas réversibles. Cependant les risques vitaux existent réellement :
des cas d’infarctus, d’AVC, des IRA (Insuffisance rénale aigüe) chez de
très jeunes individus ayant consommé des NPS ont été rapportés.
16
MAYOTTE HEBDO N°699 r10 AVRIL 2015
Des cas de décès attribués aux NPS commencent également à
être répertoriés par les centres de toxico-vigilance. À Mayotte, une
consœur travaillant à l’hôpital de Mramadoudou m’a rapporté un cas
d’épidémie d’intoxication aux NPS qu’elle a vécu un soir de garde
où elle a reçu 6 adolescents en même temps qui avaient fumé de la
“chimique”. Plusieurs d’entre eux présentaient un état d’agitation
ou de torpeur, et certains de la confusion, une rigidité musculaire très
importante et d’autres signes inquiétants. Heureusement, l’efficacité
de la prise en charge médicale et psychiatrique a permis de sauver
les adolescents.
Ce qui est difficile et inquiétant pour les médecins, c’est que le tableau
clinique n’est pas évocateur de l’intoxication par une substance
spécifique connue. Elle est de plus en plus souvent évocatrice de la
consommation d’une substance “hybride” qui copierait les effets de
différentes molécules.
Les jeunes que je traite à l’UCSA ne sont donc plus en contact direct
avec la chimique externe, ni d’ailleurs avec l’alcool qui est souvent
l’autre substance consommée régulièrement par les jeunes lorsqu’ils
se regroupent pour fumer avant de commettre leurs méfaits. La prise
en charge est proposée par notre équipe et le relais à la sortie peut
être pris au CHM.
E
dans la chimique quelques années plus tard
dans l’idée avant tout d’arrondir encore plus ses
fins de mois. Vivant de petits boulots au noir, il
complétait facilement ses revenus grâce à son
activité parallèle. “Je pouvais toucher jusqu’à
200 € en une journée en vendant cette came”,
révèle le jeune homme.
En plus d’être lucratif, son business ne présentait
aucun risque pour lui en termes de légalité.
“Quand les flics débarquaient, on avait nos
petites cachettes pour planquer le produit”, se
rappelle-t-il avant d’ajouter : “même si on se
faisait attraper, à part une saisie, on ne craignait
pas d’être embarqué au poste puisque ce n’est
pas encore considéré comme une drogue”.
Selon les dires de Saïd, il n’était pas rare de
voir certains policiers demander aux trafiquants
pris la main dans le sac, de tester le tabac pour
savoir s’il était mélangé à de la chimique ou pas.
“Y en a même certains qui en gardaient pour
leur consommation personnelle”, soupçonne
l’ancien dealer.
“J’ai arrêté, car je
détruisais la vie des
autres et la mienne”
Vendeur, mais aussi consommateur, le jeune
adulte a lui aussi fait les frais de la chimique.
“J’en achetais pour 50 € par jour et ma consommation démarrait dès le matin au réveil, j’étais
accro”, regrette le repenti. Mais les effets nocifs
se sont rapidement manifestés chez le colosse
au pieds d’argile. Maux de tête insupportables
et “bad trips” étaient devenus son quotidien.
“Parfois, même si je ne fumais pas, je pouvais
avoir des migraines très douloureuses”, se remémore-t-il. Même après quelques séjours à
l’hôpital et les traitements à répétition pour
diminuer les effets de la chimique, aujourd’hui
encore l’ancien vendeur souffre de séquelles.
La culpabilité et le remords a aussi fini par gagner le jeune Mahorais. “Quand j’ai vu des petits
du quartier courir et crier de douleur dans la
rue après avoir fumé de la
chimique, ça m’a fait réfléchir”, admet-il. “J’ai
arrêté, car je détruisais
la vie des autres et la
mienne”. Le départ
d’un ami proche à La
Réunion, pour l’écarter de ses mauvaises
habitudes dignes
d’un toxicomane,
a aussi convaincu
l’ex-trafiquant de
tourner la page.
Admettant les
ravages de cette
drogue de synthèse
sur une partie de la
société mahoraise,
Saïd déplore qu’un
petit groupe de personnes aient pu provoquer de telles conséquences en faisant venir
ce produit dans l’île. “Ils
ont rendu les gens fous
avec leur chimique, certains en sont même morts”,
dénonce-t-il.
Même après plusieurs mois sans avoir
vendu un seul gramme, quelques anciens
clients viennent encore le voir aujourd’hui,
mais c’est en quelque sorte le costume de grand
frère qu’a endossé à présent le dealer repenti.
“Je conseille toujours aux gens de ne même pas
essayer, mais après je ne peux pas les empêcher,
c’est leur choix”, déplore-t-il.
Quant à lui, aujourd’hui, c’est dans le sport
que Saïd s’est réfugié, sa “nouvelle drogue”
comme il l’appelle. Une échappatoire qui, il
l’espère, devrait l’écarter durablement de ses
vieux démons.
G.D
*Le prénom a été modifié
à la demande du témoin
AVEC LA CHIMIQUE, ON ENTRE DANS LE VIDE JURIDIQUE
n 2013, les autorités ont arrêté un agent du conseil général qui
vendait de la poudre blanche à ajouter au cannabis lors de la
confection des pétards. Le cerveau de la bande et ses complices
étaient rapidement interrogés. Ils avaient ramené depuis l’Asie du
Sud-Est cette poudre et avaient passé la douane sans problème.
Plus tard, ils l’avaient faite venir par colis. Les mis en cause pensaient
qu’ils pouvaient importer ces produits sans difficulté. C’était sans
compter sur la législation et en particulier le code des douanes.
En effet, si les trafiquants ne peuvent être poursuivis dans le cadre
du trafic de stupéfiants, il n’en demeure pas moins qu’il reste interdit
d’importer “de manière frauduleuse des médicaments ou toute
substance capable de modifier la physiologie et le métabolisme du
corps humain”.
Bizarrement, c’est sur ces chefs d’inculpation qu’ils ont été poursuivis
au départ. En revanche, les autorités étaient placées devant le fait que
ces produits n’étaient pas répertoriés comme “drogue”. Il avait donc
été question de leur restituer la marchandise, malgré la dangerosité
de la substance.
Pour le délit d’importation frauduleuse, ils encourent cependant
une peine pouvant aller tout de même jusqu’à cinq ans de prison,
plus encore s’il s’avère qu’ils étaient en possession de molécules
répertoriées comme des drogues dures. Le procureur a toutefois
insisté pour que le délit soit requalifié en “consommation et vente
de drogues dures”.
En métropole, les autorités ont déjà opéré près de 60 saisies de ces
drogues de synthèse, mais aucune affaire de la sorte n’a encore touché
La Réunion. Les autorités françaises ne sont pas les seules à se trouver
confrontées au problème, aux États-Unis aussi, de la classification de
ces drogues qui engendre un casse-tête judiciaro-administratif.
Effectivement, il suffit de modifier quelque peu une molécule pour que
le produit ne figure plus dans la nomenclature des drogues répertoriées.
Pour parer à ce phénomène, on envisage désormais de classifier les
familles de molécules comme drogues.
Tout est dans le dosage. Les effets recherchés dépendent de quelques
microgrammes de certaines molécules, on aboutit donc à un produit
instable et dont les effets sont dures à quantifier et à préciser. Certaines
molécules sont très proches de médicaments autorisés à la vente en
pharmacie et qui ne comportent pas les effets indésirables recherchés.
Par conséquent, il est difficile pour les autorités de trouver la juste
limite pour légiférer.
10 AVRIL 2015 r MAYOTTE HEBDO N°699
17
TÉMOIGNAGE
TÉMOIGNAGE
Les dommages collatéraux de la chimique
De la détresse à la chimique
Feyçoil* est un jeune homme de 17 ans qui consomme de la chimique depuis plusieurs
mois. Le regard triste, les yeux très fatigués, ce matin le beau jeune homme n’a pas encore
pu consommer faute d’argent pour s’en procurer. En manque, il se livre avec émotion.
D
epuis près de 8 mois, Feyçoil* se rend tous
les jours dans un squat proche d’un village du centre de l’île. Là, en compagnie
d’une dizaine d’autres jeunes, ils fument jusqu’à
perdre conscience. Le jeune homme a quitté le
système scolaire à l’âge de 15 ans. Ses parents
ont 8 enfants. Il est le troisième de sa fratrie. Si ces
deux frères plus âgés travaillent, lui ne sait pas ce
qu’il veut faire, ce qu’il peut faire, ce qu’il doit faire.
La dérive de ce jeune homme a commencé dans
le système scolaire. D’un comportement rebelle,
Feyçoil* a fini par être renvoyé, alors qu’il n’était
qu’en 4ème. Sans perspective d’avenir, sans objectif, sans aide, le jeune consommateur a entamé
sa longue descente aux enfers. Il a commencé
à fumer des drogues comme le bangué, puis
la chimique. D’abord en sortant le soir pour
combler l’ennui. Ensuite pour suivre un ami.
Puis enfin pour suivre ses envies, ses besoins.
Actuellement, il fume entre 5 et 10 joints
chaque jour, suivant ses moyens, suivant les
jours et les occasions. Les effets de la chimique
sont, selon lui, multiples. Souvent, après
quelques taffes, il a l’impression de partir, que
le monde réel se dissipe enfin. Un sentiment
d’euphorie qui peut laisser la place au manque
et aux effets collatéraux. Feyçoil* n’a alors plus
la sensation de faim, parfois plus de besoins
naturels pendant de longues heures. Il reste
avec ses compagnons d’infortune, à planer,
à oublier sa vie quotidienne, à souffrir physiquement parfois. Ses muscles se contractent
sans raison.
Il avoue aujourd’hui craindre Dieu. Les choses
qu’il a dû faire pour se procurer de la drogue
l’effraient. Parfois, il est soumis à de fortes crises
d’angoisse. C’est alors qu’en quelques éclairs de
lucidité, il avoue vouloir s’en sortir, arrêter la
drogue, et pourquoi pas fonder une famille. Mais
c’est à ce moment que l’émotion le surpasse.
Très ému, Feyçoil* semble se sentir mal. Il s’arrête en pleine discussion. Le manque semble le
tourmenter, l’envahir. Il a besoin d’eau. Après
quelques minutes, il accepte de continuer la
discussion. Le mal-être est lourd, poignant. Il
confesse ne pas être d’une nature violente,
mais ne plus toujours se souvenir de ce qu’il
a fait la veille. Quant à demain, il ne sait pas
de quoi il sera fait. Il refuse de se faire aider,
par peur de devoir aller en prison.
Lorsqu’on évoque les moyens de s’en sortir, il
se braque, refuse qu’on l’aide. Un sentiment
terrible, qu’il est déjà trop tard à 17 ans.
Feyçoil* sombre. Dans le désespoir, dans une
drogue qui a pris le pas sur sa jeunesse et
son avenir. Il ne vit plus pour consommer,
il consomme pour vivre. Un jour, alors qu’il
était en pleine crise d’angoisse, il avoue avoir
souhaité en finir avec tout cela. Son sourire
larmoyant à ce moment précis, en dit long sur
la détresse que vit le jeune homme.
Comme certainement des centaines d’autres
jeunes dans son cas, Feyçoil* ne semble plus
lucide sur sa situation. Parfois, il s’embrouille,
se contredit, semble las de parler, las de se
battre contre tout, contre rien. Au-delà de
la chimique, son témoignage semble correspondre à celui de tous ces jeunes sacrifiés par
les ravages de la drogue. Poignante, son histoire n’est selon lui pas isolée. D’autres jeunes
de son âge vivent ainsi. Des amis, des connaissances, des jeunes garçons ou des jeunes filles
sont dans le même cas. À pleurer…
PB
*Le prénom a été modifié.
Nom de la famille
chimique
Effets de classe => effets recherchés
Etat naturel
Etat synthétique
Effets biologiques
1.Phényléthylamines
Psychostimulant, Hallucinogène,
Anorexigène
=> Psychédéliques, Empathie, Exacerbation sensorielle, Bien-être…
-Végétal : mescaline
- SNC : neurotransmetteur
Amphétamines : médicaments anorexigènes
Stup. Ecstasy
Stup.Dérivés de la mescaline : 2-CB (Nexus,
Eros)
Augmente le taux de Dopamine et de
Noradrénaline + effet IMAO
-végétal : Kath
Médicaments anorexigènes
Stupéfiants : Dérivés de l’éphédrine
2.Cathinones
Psychostimulant
Moins puissant que classe 1.
=> Euphorie intense de courte durée
(multiplication des prises et des
risques)
Proche de classe 1.
La cathinone est de la Beta-Keto-Amphétamine
Le THC naturel aurait un effet antipsychotique
CB1 et CB2
=>Euphorisant, psychédélique
-végétal : feuille de cannabis (l’extrait
le plus connu est le THC / l’extrait
Sativa est utilisé en médecine dans
certains pays (exemple : lutte contre
l’anorexie traitement du SIDA,
antalgique)
-cerveau : anandamide
Tous les NPS = Agonistes des récepteurs
cannabinoides endogènes CB1 et CB2
(SNC, intestin, système immunitaire…)
Il existe 6 à 7 groupes de cannabis de
syntèse :
1. Classique : dérivés du THC
2. Dérivés de l’anandamide
3. Avec un noyau indole (comme tryptamine)
4. Avec un noyau pyrolle
5. Avec un noyau indazolle
6. Hybrides
7. Inclassables
Fixation sur les récepteurs CB1 et CB2
mais nouveaux NPS cannabinoides avec
noyau indole comme tryptamine. Donc
augmentation sérotonine possible
3.Cannabinoides
4.Tryptamines
Psychostimulant
Modulateur de l’appétit, du sommeil,
de la sexualité (sérotonine)
-végétal : écorce d’ayahuasca
-apport alimentaire de tryptophane,
acide aminé essentiel, précurseur
de tyramine : noix de coco, banane,
chocolat, œuf, soja…
Médicaments antidépresseurs (prozac),
antimigraineux
Usage Stupéfiant :
DET, DALT
Augmentation sérotonine et inhibition de
la recapture de celle-ci
Augmentation cortisolémie
Même effets que les amphétamines
N’existent pas à l’état naturel
Obtenues exclusivement par synthèse
chimique : antidépresseur jamais mis sur la
marché : BZP . Copies à usage de stupéfiant
dont mCPP
-Médicaments antiparasitaires
Même effets que les Amphétamines
MPPP : effets proches de l’héroïne et
de la morphine
-Végétal Tephrosia Sp Uruva Tandri :
plantes à fleurs produisant la roténone
et utilisé comme toxique pour les
poissons dans la pêche au filet.
Composition de certains pesticides
Dérivés de la péthidine (MPPP)
Toxicité sélective sur les neurones
producteurs de dopamine.
Inhibiteur dans la chaine respiratoire des
mitochondries.
Usages répétés : toxicité irréversible
5. Pipérazines
6.Orphelines
(inclassables)
Roténone
18
MAYOTTE HEBDO N°699 r10 AVRIL 2015
Elsa* a été en couple pendant 3 ans avec Karim*, 28 ans,
consommateur régulier de chimique. Aujourd’hui séparée, elle
a accepté de nous expliquer en quoi la prise de cette drogue a
contribué à détruire leur relation. Nous sentons la jeune femme
un peu nerveuse à l’idée de revenir sur ces souvenirs douloureux,
mais au fil de l’entretien, elle finit par se détendre et par nous
livrer son histoire d’une traite, comme pour se soulager d’un poids
qu’elle aurait gardé trop longtemps sur le cœur.
Mayotte Hebdo : Quand votre compagnon a-t-il commencé à fumer de la
chimique et quelle a été l’évolution de sa
consommation ?
Elsa : Il a commencé peu après le début de notre
relation, il y a environ 2 ans, au moment de l’introduction de cette nouvelle drogue à Mayotte.
Au début, il l’utilisait dans un simple but récréatif,
pour s’amuser et faire la fête, mais il est rapidement devenu accro. Au bout de quelques mois, il
ne pouvait plus s’en passer. Il fumait entre 5 et
10 pétards de chimique par jour, voire plus dans
ses périodes les plus noires.
MH : Quelles ont été les répercussions de
cette consommation sur son comportement et sur sa vie en général ?
E : Elles ont été de plusieurs ordres. Tout d’abord,
financières, car une grande partie de son argent
passait là-dedans et il ne lui restait plus grand chose
pour assumer les frais de la vie quotidienne. Un
pochon de tabac chimique coûte 10 euros et il n’y
a dedans de quoi rouler que trois ou quatre joints.
Au vu de sa consommation, cela lui revenait à plus
d’une vingtaine d’euros par jour. Comme il avait un
petit salaire, c’était une somme énorme pour lui. Au
niveau de son comportement, la chimique le déconnectait complètement du monde réel. Parfois, cela
l’assommait complètement et il passait son temps à
dormir ou tout simplement à ne rien faire, sans plus
assumer aucune des tâches de la vie quotidienne.
D’autres fois, cela le rendait violent et totalement
irrationnel. Il devenait paranoïaque, croyant que le
monde entier le persécutait, à commencer par moi.
La chimique développait en lui une hypersensibilité
qui le rendait agressif à la moindre remarque de
ma part. Je ne pouvais plus rien lui dire sans qu’il
entre dans des colères noires qui frisaient la crise de
démence. Il a même levé la main sur moi à plusieurs
reprises. Et puis, comme il devait se fournir, cela
l’amenait automatiquement à avoir de mauvaises
fréquentations. Il traînait de plus en plus avec des
dealers et autres petits délinquants. Sa dépendance
à la drogue le faisait progressivement glisser dans
un univers malsain.
MH : Pensez-vous que la prise de cette
drogue par votre compagnon a contribué
à l’échec de votre relation ?
E : Oui, complètement. Il était conscient que cette
drogue le dévorait complètement de l’intérieur et
nuisait à notre relation. Mais à chaque fois qu’il
a essayé d’arrêter, il avait de terribles symptômes
de manque qui le faisaient replonger très vite. Il
n’arrivait pas à s’en défaire. J’ai essayé de l’aider à
plusieurs reprises, mais en vain. Sa dépendance le
poussait à me cacher le fait qu’il continuait à fumer
de la chimique et, dans ce but, il ne lésinait pas sur
les mensonges et la manipulation. Parfois, il me
disait qu’il allait voir des amis alors qu’en réalité,
c’était pour pouvoir fumer à mon insu. D’autres
fois, il inventait des stratagèmes très élaborés pour
me faire croire que le tabac qu’il fumait n’était que
du simple tabac à rouler, alors qu’il s’agissait en
réalité de chimique. Cette atmosphère de secrets et
de mensonges a complètement sapé la confiance
que j’avais en lui. J’étais obligée de me méfier
de lui, d’être en permanence sur mes gardes. Ce
n’était plus du tout la même personne qu’au début de notre relation. Je ne le reconnaissais plus,
la chimique avait complètement transformé sa
personnalité. À la fin, c’était devenu tellement
invivable que j’ai été obligée de le quitter. Audelà même de notre relation, sa dépendance à
cette drogue mettait en péril mon propre équilibre
psychique. Ca ne pouvait plus durer.
Propos recueillis par N.G
*Le prénom a été modifié.
300 € LE PAQUET DE TABAC MÉLANGÉ À LA CHIMIQUE
D
ifficile voire impossible de trouver un dealer
à Mayotte d’accord pour témoigner sur
son activité. Le mot d’ordre est discrétion,
surtout après le coup de filet de l’été dernier. Nous
nous sommes tout de même procuré les chiffres en
vigueur dans le milieu. Ils sont édifiants. Pour un
gramme de chimique commandé sur internet par
le grossiste, ce dernier débourse 12 €. Il mélange
ensuite la substance (sous forme de poudre ou
liquide) avec un paquet de tabac à rouler. Il revend
le tout pour 300 € à des dealers qui, eux-mêmes,
vendent en détail le contenu dans des pochons
vendus entre 5 et 20 € l’unité voire plus suivant
l’offre et la demande. Un trafiquant avoue même
avoir gagné 12 000 € en 30 minutes !
Vient la question du contrôle à la douane puisque,
jusqu’à ce jour, les produits étaient acheminés
par la Poste. Mais depuis que le trafic a éclaté au
grand jour, tous les colis sont systématiquement
contrôlés. Il a fallu, pour les dealers trouver des
alternatives. Certains envoient des sous-fifres à La
Réunion récupérer les produits commandés par
cargo. Une fois les valises remplies, les livreurs du
réseau franchissent la douane sans être inquiétées.
S’ils sont pris la main dans le sac, une simple saisie
des produits est effectuée par les forces de l’ordre
mais aucune interpellation ne peut être procédée
à cause du vide juridique qui entoure ces drogues
de synthèse et les molécules qui les composent.
Actuellement, des réseaux se montent aussi
depuis les Comores. Les dealers font venir
le produit dans le pays voisin où les contrôles
sont faibles voire inexistants avant de les faire
acheminer à Mayotte par bateau.
G.D
10 AVRIL 2015 r MAYOTTE HEBDO N°699
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