8 Canadas Possibles Adam Kahane, Éditeur PERSPECTIVES SUR NOS PASSÉS, NOS PRÉSENTS ET NOS AVENIRS 52 PERSPECTIVES SUR NOS PASSÉS, NOS PRÉSENTS, ET NOS AVENIRS « J ’adore cette image qui, je crois comprendre, est traditionnelle dans la vision du monde qu’ont les Premières Nations : Canadas Possibles - Michael Green 1957-2015 Ensemble, nous formons tous un cercle. Au centre de ce cercle se trouve un arbre et chacun a un point de vue différent de cet arbre. L’un dira : « Voilà des fruits qui mûrissent. » Un autre dira : « Cet arbre est malade. » Un troisième dira : « C’est là qu’il a été frappé par la foudre. » Et ce sont toutes ces choses à la fois! Si je ne reconnais pas les signes de la maladie en question, j’ai besoin d’une personne qui puisse me les apprendre. Je ne peux pas fonctionner sans cette intelligence ou alors, je ne serai qu’à demi renseigné. » 1 TABLE DES MATIÈRES Avant-propos : Comment Créer un Bel Avenir pour les Canadiens? Introduction : Une Pluralité de Canadas PARTIE 1 : HUIT LENTILLES Lentille 1 : Q u’est-ce qui vous anime au sujet de ce qui se passe? 6 8 10 12 La détermination des jeunes d’aujourd’hui La créativité dans nos villes Notre façon de faire fonctionner la diversité Lentille 2 : Q u’avons-nous hérité de notre passé? 14 16 « Avec toute notre créativité, nos gens intelligents et nos vaillants travailleurs, pourquoi n’avons-nous pas mieux réussi? » « Le pétrole a un effet corrosif sur nos pipelines tout comme il a des retombées sur notre démocratie. » 40 42 « Malheureusement, nous avons adopté le point de vue selon lequel les traités étaient tout simplement des transactions immobilières. » « Le Canada devrait renoncer à l’idée d’une seule interprétation ou d’une histoire officielle. » Pat Carney sur les défis causés par la migration : 20 « Nous avons survécu à des pressions qui ont brisé le cœur de bien d’autres pays. » Jean Charest sur la tolérance : « Il y a des démagogues qui cherchent à cultiver le manque de sécurité et à diaboliser certains groupes. » Michael Chong sur la réforme parlementaire : « Les mécanismes de contrôle du pouvoir au parlement et dans notre système électoral se sont affaiblis. » Zita Cobb sur l’appréciation de nos petites communautés : « La nature et la culture sont les deux grands vêtements de la vie humaine. » Brian Crowley sur les institutions dont nous avons hérité : « Vous ne pouvez penser que le Canada est un mauvais endroit où vivre si vous n’avez jamais habité ailleurs. » Nadia Duguay sur un Canada pour tous : Lentille 6 : Si les choses tournaient bien, que se serait-il passé?28 Nous serions devenus plus ambitieux Nous aurions transformé notre économie Nous aurions rétabli nos liens entre nous et avec notre terre « La conscientisation élargie des citoyens aux enjeux sociaux me nourrit chaque jour. » Zahra Ebrahim sur le façonnement d’un avenir meilleur : « Je m’inquiète du fait que nous pourrions rester embourbés dans un tourbillon d’indécision. » David Emerson sur la transformation du leadership : 32 Comment utiliser prudemment nos ressources naturelles Le rôle que nous devons jouer dans le monde Comment augmenter notre capacité de risquer et d’innover Lentille 8 : Que nous faudrait-il pour réussir à créer un bon avenir?36 44 46 John Borrows sur les traditions juridiques des peuples autochtones : Simon Brault sur l’art de nous réinventer nous-mêmes : Nous n’aurions pas reconnu et ne nous serions pas adaptés à un monde changeant Nos systèmes d’éducation et de santé auraient échoué Nous n’aurions pas investi là où il fallait Notre société se serait effondrée 2 « Les endroits que je trouve les plus inspirants et énergisants sont ceux où il y a des jeunes. » Tzeporah Berman sur la résistance au changement climatique : Lentille 5 : Si les choses tournaient mal, que se serait-il passé?24 Avoir le courage de reconnaître nos défis Nous engager et agir en partenariat pour relever ces défis « La réindigénisation signifie devenir responsables de l’endroit où nous vivons. » Scott Baker, Jonathan Glencross, Humera Jabir, Chris Penrose, and Amara Possian sur la communauté : La complaisance : Ne pas nous rendre compte que nous courons des risques La dépendance de notre économie à l’égard des ressources naturelles Le défaut de développer et de retenir les talents La détérioration de notre démocratie L’affaiblissement de notre capacité d’agir collectivement Lentille 7 : Quels choix importants devons-nous faire? 38 Jim Balsillie sur la commercialisation de nos idées : Nous modifions imprudemment nos écosystèmes Notre compétitivité internationale diminue Notre culture se transforme L’inégalité économique et politique s’accentue Notre société se fragmente Notre discours politique devient de plus en plus polarisé Lentille 4 : À quels risques faisons-nous face? Jeannette Armstrong sur le besoin de dépasser la compréhension colonialiste : Une histoire et une mentalité coloniales Des institutions publiques robustes La capacité de collaborer Lentille 3 : Comment notre situation change-t-elle? PARTIE 2 : CINQUANTE-DEUX CONVERSATIONS « Nous avons donné libre cours à une mentalité de ruée vers l’or. » Suzanne Fortier sur une nation éclairée et bienveillante : « Il y a un sens de solidité entourant le Canada. » Roger Gibbins sur le besoin de décider où nous allons : « Nous avons créé ce type de pays à force de volonté. » Anne Golden sur la résistance des villes : « Nous nous rendons compte que les yachts sont soulevés plus rapidement que les chaloupes. » Danny Graham sur l’engagement des citoyens : « J’ai tout à fait confiance en M. et Mme Tout-le-Monde. » 48 50 52 54 56 58 60 62 64 66 68 70 72 74 3 TABLE DES MATIÈRES (CONT.) Michael Green sur le récit de notre histoire : « Il n’y a jamais eu de conciliation. » Steven Guilbeault sur l’innovation verte : « Nos municipalités sont des porteuses d’espoir. » Alex Himelfarb sur l’affaiblissement de notre collectif : « L’extrême inégalité est corrosive. » Don Iveson sur le cycle en dents de scie : « Il semble que nous évitons certaines conversations que nous devrions pourtant avoir. » Mark Jaccard sur la croissance responsable : « Nous vivons dans l’ère anthropocène et savons que nous influençons la planète. » Gord Lambert sur l’innovation collaborative : « Le changement climatique est un défi crucial. » Kevin Lynch sur un changement de cap au niveau international : « Le Canada prospère quand il comprend le monde qui l’entoure. » Preston Manning sur la conciliation de l’économie avec l’environnement : « Les Canadiens ont besoin d’une bonne dose de réalisme par rapport à l’économie. » Elizabeth May sur notre dictature élue : « Notre Constitution est fondée sur le principe que ceux qui détiennent le pouvoir n’en abuseront pas. » 76 78 « Nous avons trop tendance à nous en remettre aux autres, en partie par souci de respect, mais aussi à cause d’une sorte de passivité. » Tanzeel Merchant sur notre façon de vivre : « Je vois se produire des bouleversements et de la colère. » Farah Mohamed sur notre avantage concurrentiel : « L’humilité est une qualité louable, mais pas si elle nous empêche d’avancer. » 80 82 « C’est très bien d’avoir des produits de base, mais ces ressources ne seront certainement pas un moteur pour la croissance. » Ratna Omidvar sur la croissance par la diversité : « Le Canada possède l’ossature voulue pour démontrer comment devrait fonctionner la société de demain. » Lili-Anna Pereša sur les choix difficiles à faire : « Nous en avons assez d’entendre de mauvaises nouvelles et notre scepticisme est à un très haut niveau. » « À peu près tout ce que nous faisons provient de ce moment colonial où nous avons tenté de déterminer comment nous pouvions voler les terres. » Angus Reid sur l’état de notre démocratie : « Nous élisons un premier ministre qui a un pouvoir quasiment dictatorial. » Michelle Rempel sur le pluralisme et l’innovation : 4 « Nous jouissons d’une abondante classe créative dans ce pays. » « Le confort est notre pire ennemi. » Art Sterritt sur les économies durables : 92 « Il est temps que les gens reprennent le contrôle de ce que nous faisons dans ce pays. » « Chaque groupe d’intérêt particulier semble avoir maintenant la capacité de freiner la réalisation de projets de développement économique majeurs. » Peter Tertzakian sur notre importante industrie énergétique : 94 100 102 104 120 122 124 126 128 « Les décisions sont prises par un petit groupe de privilégiés qui protègent leur propre position et leur propre pouvoir. » 130 « Pourquoi ne pouvons-nous pas être le pays qui exploite les combustibles fossiles et les minéraux d’une façon plus responsable? » « Les débats sont devenus polarisés et institutionnels plutôt qu’engagés et personnels. » 132 134 Sheila Watt-Cloutier sur le droit au froid : « Les compagnies de développement des ressources sont ni plus ni moins comme l’étaient les missionnaires et marchands de fourrures. » 136 Joseph Wilson sur l’apprentissage : « Quand on se trouve à New York ou à Silicon Valley ou à Londres, on s’aperçoit que les gens envient ce que nous réalisons dans le domaine de l’éducation. » 138 Yuen Pau Woo sur nos rapports avec l’Asie : « Nous ne tenons pas compte du fait que la Chine a sauvé le Canada d’une récession qui aurait pu être bien plus désastreuse que prévu. » 140 Armine Yalnizyan sur les politiques vouées à l’échec : 110 « Les gens qui passent le plus de temps à dire du mal des Canadiens sont les Canadiens eux-mêmes. » Tamara Vrooman sur la démocratie économique : 108 118 Annette Verschuren sur l’innovation économique : 106 116 Michel Venne sur la participation : 96 98 114 Catherine Swift sur ce qu’il faut au monde des affaires : Sherene Razack sur les legs de nos colons : « Le Canada a cultivé une sorte d’intention civique pour que la diversité fonctionne. » Janice Gross Stein sur la suffisance : 90 « Le processus est extrêmement motivant. » Khalil Shariff sur la vertu du pluralisme : 88 « Lorsque les gens arrivent ici, ils sont toujours étonnés par notre culture de collaboration et de “coopérativité”. » Gabrielle Scrimshaw sur les leçons de notre passé : 86 « Les sociétés tendent à stagner lorsque les forces qui résistent au changement deviennent implantées. » 112 Janet Rossant sur la création d’un Centre de créativité : 84 « Les Canadiens doivent inclure les autochtones dans les institutions canadiennes selon les conditions établies par les autochtones. » Bill Robson sur le capital humain : Gordon Nixon sur nos forces et nos faiblesses : L. Jacques Ménard sur l’acquittement de nos responsabilités : Jean-Paul Restoule sur l’établissement des relations : « Nous sommes en train de devenir une corporatocratie, un État qui protège d’abord et avant tout les intérêts des grosses entreprises. » 142 5 Comment → Stephen Huddart, Président et Directeur Général, La Fondation de la Famille J. W. McConnell AVANT-PROPOS Créer un Bel Avenir pour les CANADIENS? « Le passé nous divise, mais l’avenir est un espace où nous pouvons réfléchir et rêver ensemble. Canadas Possibles a créé un véhicule pour colliger ces entrevues; l’organisme Les fondations communautaires du Canada est fier d’en faire partie. » — Ian Bird, président, Les fondations communautaires du Canada « L’écoute des voix authentiques de la collectivité est le fondement même du travail de Maytree. Canadas Possibles a engagé la conversation avec les Canadiens des différentes communautés. Ce projet a la capacité d’entendre une foule de voix, créant ainsi des narrations imbriquées les unes dans les autres dans tout le pays durant des années à venir. » — Alan Broadbent, président de Maytree « Il est plutôt rare que l’on prenne le temps de penser, de réfléchir et de partager nos façons d’envisager l’avenir du Canada. Cette occasion procure l’espace nécessaire pour relever le défi et contribuer à créer un Canada énergique, égalitaire et équitable. » — Jean-Marc Chouinard, vice-président, stratégies et partenariats, La fondation Lucie et André Chagnon « Le Globe s’est impliqué dans ce projet en fournissant aux décideurs une vaste plateforme leur permettant d’articuler certains défis canadiens à relever dans les prochaines décennies et en procurant à l’auditoire la possibilité de faire progresser les entrevues 6 En quoi consiste le Canada? Que deviendra-t-il? Alors que nous nous préparons à célébrer le 150e anniversaire de notre nation en 2017, force est de constater que cette confédération constitue l’une des grandes collaborations sur le plan politique dans le monde. Toutefois, et pour beaucoup d’autochtones, le climat ne semble pas si favorable à la collaboration et ces célébrations ne sont peut-être pas aussi justifiées qu’on voudrait bien le croire. Le Canada a déjà été une région où vivaient des tribus; il a ensuite formé une colonie, puis constitué un pays. En tant que nation, le Canada s’est bâti une réputation enviable, celle d’un pays bâtisseur d’avenirs florissants, particulièrement doué dans la résolution de problèmes et ouvert à l’immigration... d’une foule de manières, un grand pays exemplaire sur notre petite planète. Récemment, nous sommes aussi devenus un pays qui ravive un pan de son histoire et qui travaille maintenant à la réconciliation entre autochtones et non-autochtones. D’ici 2017, nous serons 38 millions de Canadiens. Au seuil de cet anniversaire d’importance, il revient à nous tous d’évaluer notre situation actuelle, d’examiner notre parcours et de réfléchir sur nos objectifs. Les gouvernements et le secteur privé ont sans doute de précieuses contributions à apporter. Cependant, ils ne sont pas les seuls responsables de notre avenir et pour le façonner, nous avons besoin de l’implication du secteur communautaire. Proportionnellement à la taille de notre économie, le secteur communautaire du Canada est l’un des plus imposants dans le monde. Nous sommes engagés à bâtir un pays innovateur, humain, inclusif et durable. Nous recherchons la justice et la réconciliation. Nous sommes aussi un partenaire essentiel en matière d’avancement du discours public, de la mise en relief de vérités dérangeantes et de la prise de risques calculés provoquant des améliorations au statu quo. La fondation de la famille J. W. McConnell est fière de manifester son engagement en devenant partenaire fondatrice de Canadas Possibles, un projet qui étudie à fond le passé, le présent et l’avenir du pays. Les fondations communautaires du Canada, La fondation Rideau Hall, La fondation de l’innovation sociale Mindset, La fondation George Cedric Metcalf, La fondation Maytree, La fondation Tides Canada, La fondation Lucie et André Chagnon et imagiNation 150 ont, quant à elles, formé une coalition qui endosse nos convictions face à ce projet d’envergure. Cette démarche a été entreprise par Adam Kahane et ses collègues aux bureaux canadiens de Reos Partners, une entreprise sociale internationale qui aide les gens à aller de l’avant ensemble et qui s’engage à répondre à leurs questions difficiles et importantes. Nous tenons à remercier les Canadiens perspicaces qui ont accepté d’être interviewés afin de réaliser ce sondage initial — mais en aucun cas définitif — sur ce que le Canada pourrait et devrait devenir. Leurs perspectives diverses, à la fois modérées et dynamiques, ont donné le coup d’envoi au dialogue. Nous sommes aussi reconnaissants envers The Globe and Mail, qui nous a donné un appui appréciable en publiant une série d’extraits d’entrevues échelonnée sur six semaines. Notre but consiste aujourd’hui à stimuler continuellement le dialogue entre les Canadiens qui se préoccupent des 150 prochaines années de leur pays, « notre chez-soi » à nous tous. Nous vous invitons à lire ces entrevues, à y réfléchir et à en discuter entre vous. Nous vous invitons aussi à consulter le site Web du projet au www.possiblecanadas.ca et à partager vos réflexions et énergies afin de créer un avenir favorable à tous les Canadiens. proposées par Canadas Possibles. » — Gabe Gonda, chef de la section Features and Weekend, The Globe and Mail Il semble y avoir un fossé inquiétant entre « le potentiel vigoureux, imaginatif et illimité de notre pays et la portée, l’ambition tronquées des entrevues accordées à l’échelle nationale. Canadas Possibles cherche à ranimer un engagement nécessaire et en retard dans notre avenir collectif. » — Sandy Houston, présidente et directrice générale, Fondation Metcalf « Une des joies de cette expérience menant à 2017 — et aussi, une des sources d’espoir — est le partenariat avec Canadas Possibles. Chez imagiNation 150, nous favorisons les entrevues réfléchies et inclusives au sujet de l’avenir du Canada afin de stimuler les nouvelles relations et de provoquer les actions assurant la prospérité d’une nation. Les entretiens de ce livre inciteront les Canadiens à instaurer le dialogue d’un océan à l’autre. » — Colin Jackson, président, imagiNation 150 « Nous sommes convaincus que tous les Canadiens devraient avoir l’occasion de participer à la mise en application des priorités courantes et futures de notre nation. Canadas Possibles dévoile des réflexions enrichissantes pouvant provenir de la création des différentes perspectives, desquelles, nous l’espérons, naîtront d’autres entrevues et collaborations créatives. » — Alison Lawton, fondatrice et présidente du conseil d’administration, Fondation de l’innovation sociale Mindset « La fondation Tides Canada est persuadée que Canadas Possibles a la capacité de ranimer un dialogue national au sujet du Canada que nous voulons. Ces entrevues procurent une fondation solide permettant à la diversité des Canadiens de se refléter sur leur pays et un potentiel énorme pour notre avenir partagé. » — Ross McMillan, président et directeur général, Tides Canada « Alors que nous approchons du 150e anniversaire du Canada, Canadas Possibles offre une manière sérieuse d’analyser les 100 dernières années du pays et de réfléchir au type de Canada dans lequel nous aimerions vivre dans les 100 prochaines années. En tant que fondation canadienne, nous croyons qu’il existe un potentiel formidable, soit celui d’agir comme catalyseur et d’appuyer le leadership et l’action s’articulant autour un avenir prometteur pour la collectivité. » — Vinod Rajasekaran, administrateur délégué, La fondation Rideau Hall 7 Une → Par Adam Kahane, Directeur, Reos Partners INTRODUCTION Pluralité de CANADAS Quelqu’un m’a dit une fois que, pour un individu, l’humilité était la plus grande vertu. Quelle serait la plus grande vertu pour une société — la vertu d’où naissent toutes les autres vertus et capacités? Je me demande si la capacité pour le pluralisme ne serait pas la source d’où naissent toutes les autres. — Shariff L e Canada devrait renoncer à l’idée d’une seule interprétation ou d’une histoire officielle. Il nous faut maintenir bien vivante une discussion démocratique et ouverte sur notre façon de voir le passé et d’entrevoir l’avenir. — Brault J’aime le fait que souvent, nous ne savons pas qui nous sommes, parce que personne ne s’attend à ce que nous soyons obligés de souscrire à quelque chose. Ceci pourrait être un point faible ou un point fort, dépendant de la forme que nous lui donnons. Pour ma part, j’ai toujours vu cet espace libre comme une occasion pour moi de participer au récit de ce pays. 8 52 L’année 2017, 150e anniversaire de la fondation du Canada, offre aux Canadiens l’occasion de réfléchir sur le lieu d’où nous venons, qui nous sommes aujourd’hui, et où nous pourrions aller. Afin de contribuer à cette réflexion, Reos Partners et la Fondation de la famille J. W. McConnell, appuyés par une coalition d’organismes philanthropiques et communautaires de toutes les régions du pays, ont créé un projet intitulé Canadas Possibles. La première activité de ce projet était simple : inviter cinquante personnes à nous faire part de leurs réflexions sur ce qu’il faudrait pour que les Canadiens réussissent à se créer un bon avenir. Ce livre rapporte ce que nous avons entendu. — Merchant Nous voulions entendre ce qu’avaient à dire des Canadiens perspicaces possédant un grand choix d’expériences et de perspectives, et venant de divers secteurs de la société civile, du monde des affaires et du milieu gouvernemental. Nous avons consulté 8 nos collègues pour obtenir des suggestions quant aux personnes que nous pouvions interviewer, et comme résultat, nous avons regroupé cinquante-deux conversations avec cinquante-six personnes (un des entretiens comprenant cinq jeunes activistes) qui constituent la base de ce volume. Notre objectif pour ces entretiens était de voir le Canada selon la perspective de chacune des personnes interviewées. Nous leur avons donc posé des questions ouvertes, conçues pour inciter chacune à révéler ce qu’il ou elle pensait être l’aspect le plus significatif de la situation canadienne. Questions Que Nous Avons Posées: 1D’un point de vue personnel, qu’est-ce qui vous a mené à ce que vous faites maintenant et aux perspectives que vous tenez? 2Quand vous regardez la situation actuelle au Canada, que voyez-vous? Qu’est-ce qui vous préoccupe? Qu’est-ce qui vous Chaque entretien a duré entre une et trois heures (la plupart en personne, quelques-uns au téléphone; nous avons transcrit un enregistrement de chaque conversation; nous en avons rédigé la transcription, puis nous avons demandé à chaque personne de relire son entrevue, puis si elle le désirait, de la réviser. (Nous assumons la responsabilité de toute décision définitive ou erreur de rédaction.) Le résultat de ce simple groupe d’entretiens nous a à la fois surpris et touchés. Presque chaque personne, que nous avons approchée, était intéressée à parler du Canada à l’âge de cent cinquante ans. Au fur et à mesure que nous nous engagions dans ces conversations, puis en préparant les transcriptions — avec respect, avec diligence, réservant nos propres opinions et jugements — notre appréciation de chaque interviewé, ainsi que de ses points de vue uniques et réfléchis, ne cessait de croître. En outre, notre appréciation du Canada, de ses défis et de ses possibilités ne cessait de croître aussi. Cette expérience a réaffirmé pour nous la puissance avec laquelle un dialogue empathique peut créer de la perspicacité, inciter le rapprochement et l’engagement. DANS CE LIVRE DONC, CINQUANTE-SIX INDIVIDUS NOUS OFFRENT LEURS PERSPECTIVES SUR LE CANADA. LA PREMIÈRE PARTIE DU LIVRE PRÉSENTE CES PERSPECTIVES PAR L’ENTREMISE DE HUIT LENTILLES CHEVAUCHANTES; LA DEUXIÈME PARTIE LES PRÉSENTE DANS DE LONGS EXTRAITS DE CHAQUE CONVERSATION. L’image qui en découle n’est ni évidente ni simple : elle est richement complexe, parfois contradictoire, même déconcertante. Pour en arriver à votre propre compréhension de cette image, nous vous proposons de lire le texte au complet, lentement et à plusieurs reprises. Nous offrons avec hésitation une seule opinion qui nous est propre : qu’un tel pluralisme intentionnel puisse être en partie le meilleur aspect de ce qu’est le Canada, et de ce qu’il faudrait pour que les Canadiens réussissent à se créer un bon avenir. encourage? 3Si vous pouviez poser trois questions à un voyant à propos de l’avenir du Canada, qu’estce que vous aimeriez savoir? 4Si les choses allaient mal au Canada pendant les prochaines 20 années, qu’est-ce qui se passerait? Quel serait le récit de ces difficultés? 5Si les choses allaient bien au Canada pendant les prochaines 20 années, qu’est-ce qui se passerait? Quel serait le récit de ces succès? 6Quels sont des exemples où le Canada a subi des échecs face à ses défis ou dans la réalisation de son potentiel - quand les choses se sont mal passées? Dans ces exemples, qu’est-ce qui a causé l’échec? 7Quels sont des exemples où le Canada a connu des succès face à ses défis ou dans la réalisation de son potentiel - quand les choses se sont bien passées? Dans ces exemples, qu’est-ce qui a causé le succès? 8Quelles sont les leçons importantes du passé? 9Quelles sont les décisions importantes qui s’en viennent pour le Canada? Quels seront les choix à faire lors des prochaines croisées des chemins? 10Quel est l’héritage que vous souhaiteriez laisser? Qu’aimeriez-vous retrouver dans votre épitaphe? 9 Partie 1 : 8 LENTILLES 10 11 1 Qu’est-ce LENTILLE 1 qui vous anime au sujet de ce qui se passe? La détermination des jeunes d’aujourd’hui Nos jeunes. Ce n’est pas à la mode de défendre les adolescents, mais ils me remplissent d’espoir. Les jeunes ont l’esprit créateur, subversif et tenace, et ils n’ont peur de rien. Nous pouvons apprendre par leur exemple comment nous mettre en colère plutôt que d’être complaisants face à l’injustice. — Wilson 12 Les endroits que je trouve les plus inspirants et énergisants sont ceux où il y a des jeunes qui discutent entre eux de ce à quoi pourrait ressembler l’avenir. Mais nous ne sommes pas les détenteurs du pouvoir. Le système politique — où se trouve le pouvoir décisionnel officiel — est comme une barrière. C’est quelque chose qui favorise le désengagement. — Possian Les jeunes! J’ai passé ma vie à travailler avec des jeunes, et cette génération-ci est la plus aventureuse, la plus lucide et la plus intransigeante de toutes celles que j’ai connues. Ils dépendent d’eux-mêmes, ils sont déterminés à acquérir les meilleures compétences, ils ont un point de vue mondial et ils n’ont pas peur du risque. Ils ont assez de capacité et de confiance pour se sortir des grandes institutions encombrantes. — Stein Lorsque je voyage d’un bout à l’autre du Canada, j’entends beaucoup de jeunes autochtones dire: « Je suis un militant » ou « Je veux étudier le droit parce que je veux aider nos communautés. » Comme nos jeunes de dix-sept ans se battent pour défendre ce qu’ils croient être juste, notre collectivité est entre de très bonnes mains. Chez les autochtones, notre génération est considérée par certains comme étant le huitième feu, c’est-à-dire la génération qui va tout changer. J’ai la chair de poule quand j’y pense, parce que je le crois. Je peux déjà voir les courants qui commencent à bouger. — Scrimshaw La créativité dans nos villes J’aime ce que nous avons réalisé dans la partie urbaine du Canada; malgré les énormes défis que les villes représentent, nous avons réussi à créer des milieux urbains qui sont assez sécuritaires, intéressants et énergiques. — Gibbins Je suis vraiment contente de vivre à Toronto. Cette ville est à cinquante pour cent non blanche et aucun groupe n’est dominant. C’est une combinaison incroyable d’histoires et de politiques. S’il y a quelque chose qui a la moindre chance de faire éclater notre lamentable histoire coloniale, c’est bien cet extraordinaire mélange de personnes réunies dans un seul espace physique. Ici, personne ne supportera l’oppression aussi facilement qu’ailleurs. Ici, personne n’acceptera d’être exclu. — Razack Nos municipalités sont des porteuses d’espoir. À Montréal, nous avons battu un record de cinquante ans en utilisation du transport en commun, parce que nous avons investi dans l’infrastructure des transports. La ceinture verte en périphérie de Toronto est perçue par bien des gens comme un modèle en Amérique du Nord. Vancouver est probablement l’un des dix meilleurs exemples dans le monde de ce qui doit être fait au niveau municipal par rapport à la durabilité. Dans chacun de ces endroits, ce n’est pas juste une histoire d’argent, mais c’est aussi un changement de mentalité. Nous considérons ce défi comme une occasion de mieux faire ce que nous faisons, d’être plus résistants, plus efficaces. — Guilbeault u cours des vingt dernières anA nées, chaque quartier de Montréal a organisé une table ronde multidisciplinaire à laquelle participent des gens d’organisations communautaires, d’agences locales, de la ville, de la police, des services de santé, des écoles et ainsi de suite pour se parler et travailler ensemble. Auparavant, seules les agences mobilisaient les citoyens. — Pereša Somme toute, le Canada est une région très diversifiée qui bénéficie d’une société hétérogène. Cela contribue de façon considérable à notre force et à notre capacité de voir les choses différemment et de forger un avenir différent. À Vancouver, soixante-quinze pour cent des jeunes de dix-sept ans et moins ont un parent qui ne vient pas de ce pays. Ceci entraîne un énorme sens de renouvellement, d’énergie, de tolérance et de créativité visà-vis de ce qui est possible. — Vrooman Nous sommes un pays multiculturel qui accepte et accueille des gens de tous les coins du globe. Les gens viennent ici pour bien des raisons différentes et ce mélange de compétences et de points de vue nous offre des occasions exceptionnelles. Nous avons des centres urbains dynamiques qui continuent de croître. Quand on incite les gens à vivre rapprochés les uns des autres et quand on fournit la bonne infrastructure, on peut entraîner des interactions qui mènent à de nouvelles idées et à des inventions. — Rossant Notre façon de faire fonctionner la diversité Nous avons créé un climat de tranquillité politique dans le pays qui peut être étouffant de certaines façons, mais qui nous a aussi apporté beaucoup de réconfort intérieur. Nous nous sommes raisonnablement bien débrouillés pour transformer ce pays complexe en une société remarquablement inclusive et diversifiée. — Gibbins ’est un moment propice pour nous d’être C Canadiens. Notre marque est forte et bien appréciée dans le monde. Nous sommes une fédération, et donc nous avons appris comment évoluer dans une société fonctionnant avec une grande diversité au niveau des régions, de la culture et de la géographie. Dans ce sens, nous pouvons offrir de nombreuses idées à d’autres pays qui veulent savoir comment gouverner dans ce monde extrêmement diversifié et constamment en changement. — Reid Ce qui me frappe le plus est la fierté que nous ressentons à l’égard du pluralisme canadien. Comme pays, nous avons un ensemble de valeurs, dont l’égalité des chances, les libertés individuelles accompagnées d’un sens de responsabilité, et la possibilité de conserver nos identités culturelles et religieuses. Ayant à faire face à des questions telles que la sécurité énergétique et l’extrémisme religieux, notre capacité d’avoir une identité nationale, tout en étant une nation composée de cultures diverses, deviendra de plus en plus importante. — Rempel ous devons aussi continuer de donner N suffisamment d’espace pour permettre à plusieurs collectivités canadiennes de coexister. C’est là quelque chose que nous avons plutôt bien réussi à faire, nous avons pu accommoder toute une gamme d’interprétations et de perspectives. Des personnes de cultures différentes viennent s’établir ici et confèrent au pays son caractère distinctif. Nous commençons à voir que ceci forme une partie intégrante de notre richesse en tant que pays et que certaines des occasions d’affaires qui se présentent nous viennent du fait que nous ne sommes pas définis par un seul rôle. — Fortier Dans tous les coins de cette province, on trouve des gens appartenant aux Premières Nations qui luttent pour conserver les écosystèmes et pour mettre en place des économies durables à partir de ces écosystèmes. Nous avons créé des partenariats avec tout le monde à l’intérieur de nos régions : entreprises, syndicats, municipalités, industries telles que la pêche sportive et l’exploitation minière. Les non-autochtones locaux nous apprécient, parce qu’ils comprennent qu’il faut protéger l’endroit afin que l’air, l’eau et la terre puissent continuer à nous soutenir tous. — Sterritt ans leurs annonces publicitaires, les comD pagnies pétrolières disent que les oléoducs sont des projets bâtisseurs de nations. Mais ce que ces compagnies créent, c’est plutôt une nation de résistance. Elles unissent les gens de toutes origines et régions, et réveillent le monde au sujet des conséquences de certaines politiques sur le climat et sur la santé. Le meilleur antidote à la peur ou à la dépression est l’engagement, et nous en voyons en masse partout au pays. — Berman La composition diverse de notre pays constitue l’un de nos avantages concurrentiels. Dans un univers de plus en plus mondialisé, c’est un avantage concurrentiel pour n’importe quelle organisation ou n’importe quel pays d’avoir une diversité d’opinions autour de la table. Si les gens, qui sont là, viennent tous de milieux semblables, on ne peut pas vraiment comprendre ce qui se passe à l’extérieur de la salle. Nous sommes doués en ce qui a trait à la célébration de la diversité; maintenant, il nous faut savoir comment en tirer parti. — Mohamed 13 2 LENTILLE 2 Qu’avonsnous hérité de notre passé? Une histoire et une mentalité coloniales Ceci n’est pas le Canada : ceci est le territoire Syilx. Et ceci est le territoire Syilx depuis au moins la période préglaciaire. Nous devons apprendre que le projet colonial qu’est le Canada n’est pas un projet viable, parce qu’il n’est pas fondé sur un principe d’humanité commune. Nous pourrions observer tous les cas où la méchanceté et la répression évidentes n’ont donné lieu à rien de bien, des moments où le Canada a été tenté de se montrer extrêmement brutal envers les peuples autochtones. Si ce principe définit notre pays, c’est alors quasiment assuré que nous ne pourrons pas aboutir à quelque chose de bien. — Razack — Armstrong En 2014, la moitié des Canadiens ne savent toujours pas ce qu’est un pensionnat autochtone. Si l’on ne sait pas ce que c’est, on ne comprend pas ce que cela représente comme héritage pour les autochtones. Si plus de gens comprenaient comment le Canada a été colonisé, je crois que nous serions un peu plus réticents à célébrer la fondation de notre pays. En ce qui me concerne, pourquoi voudrais-je célébrer John A. Macdonald quand je comprends comment il a colonisé les hommes, femmes et enfants autochtones? Il a pris des décisions qui ont mené au traitement abusif et à la mort de milliers de personnes, mais ceci n’est pas généralement enseigné dans nos classes d’histoire. Si nous voulons honorer le passé, je crois que nous devrions en tirer des leçons. Si nous évitons le passé, nous ne faisons que nous cacher derrière notre propre ignorance. — Scrimshaw 14 Des institutions publiques robustes Notre plus grand atout est notre droit de vote et notre liberté de contribuer au Parlement sans dépenser des fortunes. Si l’on cherche à se faire élire au Parlement et qu’on dépense plus que ce que permettent les règlements, on aboutit en prison avec son agent de campagne électorale. Nous devons protéger la liberté d’accès au système politique de toute personne n’ayant pas été en prison… Selon les normes mondiales, nous ne vivons pas dans une société oppressive. Nous possédons la liberté individuelle et nous avons la règle de droit accordée par le pouvoir législatif, ce qui permet aux gens d’atteindre leurs objectifs et de réaliser leurs ambitions. Les Canadiens peuvent financer une idée et la mettre en pratique, et ils peuvent mener la vie qu’ils veulent. — Carney Le Canada a de la chance comme pays. On dit souvent que c’est parce que nous sommes richissimes en ressources naturelles, mais cela ne peut pas expliquer l’entièreté de notre succès comme société. Je pourrais nommer cinquante pays dans le monde qui possèdent de vastes richesses en ressources naturelles, mais qui sont néanmoins de véritables enfers où vous ne voudriez jamais vivre. Donc, ce n’est pas ce qui fait de nous une société formidable. Nous sommes dotés d’une autre sorte de richesse, beaucoup plus importante que les ressources naturelles : les institutions et les comportements dont nous avons hérité des Britanniques au début et qui ont évolué pour devenir les nôtres. Ceci inclut une démocratie efficace, la primauté du droit, des corps judiciaires et policiers non corrompus, un fardeau réglementaire et une charge fiscale raisonnables, des services sociaux adéquats, une éthique de travail bien pratiquée, l’application des contrats et le respect de la propriété privée. — Crowley Nous sommes reconnus dans le monde entier pour notre système d’éducation. L’enseignement public est une institution respectée; nous payons nos enseignants et enseignantes relativement bien; nous avons un bon système d’examens de contrôle standardisés; et ici, l’écart en matière d’égalité n’est pas énorme. Les Canadiens accordent autant de valeur à leur système d’éducation qu’à leur système de soins de santé. Ceci engendre des pressions pour innover, autant dans le secteur privé que public. Toronto abrite ce qui est probablement le plus important regroupement d’activités innovatrices du monde en éducation. Nous avons des universités de haute qualité ainsi que des gens talentueux qui obtiennent un diplôme de ces universités. Quand on les livre à une situation problématique comme celle de l’éducation, on obtient des résultats vraiment intéressants. Prenez les MOOC — les Massive Open Online Courses, ou cours ouverts offerts en ligne — qui existent partout maintenant, mais qui ont été inventés au Canada. Quand on se trouve à New York ou à Silicon Valley ou à Londres, les gens envient ce que nous faisons dans le domaine de l’éducation. — Wilson La capacité de collaborer Nous sommes dans la 250e année du Traité de Niagara. En 1764, deux mille autochtones représentant vingt-quatre différentes nations ont rencontré le principal fonctionnaire en Amérique du Nord britannique, Sir William Johnson, afin de conclure un traité de paix, d’amitié et de respect. C’était après la guerre de Sept Ans. D’une seule voix, ils ont dit : « Voici à quoi ressemblera le Canada. Nous aurions pu continuer à faire la guerre, mais avons décidé contre. Nous avons opté pour la persuasion, et non pour la force. » À mon avis, il s’agit là d’une des fondations mêmes du Canada. Alors pourquoi n’avons-nous pas célébré l’événement? C’est que malheureusement, nous avons adopté le point de vue selon lequel les traités étaient tout simplement des transactions immobilières. En adoptant ce point de vue, nous avons perdu une partie de ce que nous sommes à titre de nation. Nous n’avons pas vu que notre nation est fondée sur des aspirations plus nobles. — Borrows La plus importante décision politique concernant la fondation du Canada a été prise lorsque les Anglais se sont rendu compte que ce serait sans espoir pour eux de gouverner cette région de l’Amérique du Nord sans pour autant reconnaître la population française. Plus récemment, les Francophones et les Anglophones ont inclus les Premières Nations dans le partenariat. Chaque fois que nous nous sommes écartés du chemin de l’inclusion, nous avons eu des ennuis. Je pense que nous comprenons que la diversité constitue un atout pour nous. Nous préférons pécher par excès de tolérance. C’est là quelque chose de précieux. Pendant les élections d’avril dernier, les Québécois ont choisi de se distancer de ce qui fait ressortir la nature plus sombre de l’être humain. De par leur histoire, ils comprennent qu’ils sont une minorité, et que leur façon de traiter les autres se reflétera sur la façon dont les autres les traiteront. Ils ont aperçu le précipice et ils s’en sont éloignés, en se disant : « Il y a quelque chose de travers ici, il y a quelque chose qui ne va pas, et je refuse d’aller dans cette voie. » — Charest Selon notre tradition, nous travaillons ensemble, nous nous parlons de divers sujets et nous sommes tolérants des différences d’opinions. On ne voit plus cela beaucoup. Les débats sont devenus polarisés et institutionnalisés plutôt qu’engagés et personnels. Il n’y a plus d’occasions pour les voix individuelles d’être cultivées et encouragées. Je m’inquiète que dans notre course pour bien faire les choses, pour être compétitifs et efficaces, nous prenions des décisions qui ne soient pas inclusives, qui soient pour le court terme seulement, et qui ne profitent pas des perspectives de bien d’autres gens. Nous pouvons penser que nous prenons une certaine décision, que nous faisons avancer les choses, mais à la fin, nous regretterons de ne pas avoir inclus les diverses voix, parce que nous n’aurons pas pris les meilleures décisions. Et éventuellement, cette approche nous ralentira et nous coûtera de l’argent, du temps, du capital social et du capital na- turel. Nous devons revenir à notre tradition de nous engager, de consulter, de débattre, d’écouter et de réfléchir. — Vrooman Je suis animé par un nouveau modèle que nous avons créé pour accélérer le rythme de performance environnementale par le biais de l’innovation et de la collaboration. COSIA — Canada’s Oil Sands Innovation Alliance — en est l’exemple précis. Il s’agit d’un réseau de treize entreprises qui représentent plus de quatre-vingt-dix pour cent de la production canadienne de sables bitumineux, et qui compte quarante membres associés venant des universités, des gouvernements et du secteur des affaires en faveur de cette activité. — Lambert La recherche scientifique sera à l’avenir un moteur important de l’économie. Elle donne les meilleurs résultats lorsqu’elle a lieu dans un contexte et une culture favorables à la collaboration et à la coopération, ce que nous offrons ici au Canada. Lorsque les gens arrivent ici, ils sont toujours étonnés par notre culture de collaboration et de « coopérativité ». Certaines personnes disent que pour atteindre le sommet de notre potentiel, nous devons être compétitifs. Mais en collaborant, nous pouvons apporter de nouvelles idées à la table et aussi partager nos ressources limitées de façon pragmatique, afin d’avoir un impact qui va au-delà des sommes que nous avons investies. — Rossant La dernière chose dont parlent les poissons est l’eau dans laquelle ils évoluent : elle est invisible. L’échafaudage de la société canadienne — cet engagement envers le pluralisme — est invisible aux yeux de la plupart des Canadiens. Nous ne le comprenons pas toujours de manière explicite, et le tenons peut-être pour acquis, mais il est néanmoins ancré dans notre for intérieur. Je le crois, à tout le moins, il est peu apprécié par les Canadiens eux-mêmes, sinon par d’autres. Il y a un double danger : que les Canadiens ne soient pas assez humbles ou alors qu’ils soient trop humbles au sujet de leur pluralisme. Personne ne peut tolérer de voir circuler une poignée de pluralistes arrogants; par contre, le fait d’être excessivement humbles peut être une façon pour nous de dévaluer un atout et en quelque sorte d’éviter notre responsabilité de partager cet atout avec d’autres. Bien sûr, le pluralisme n’est pas un atout réservé aux Canadiens. C’est un atout au Canada ou du Canada, mais c’est aussi un atout humain à l’échelle mondiale. Nous n’en sommes que les gardiens pour le reste du monde. Qu’est-ce que cela signifie pour nous d’utiliser cet atout avec le reste du monde comme bénéficiaire? — Shariff 15 3Comment LENTILLE 3 notre situation change-t-elle? Nous modifions imprudemment nos écosystèmes Nous vivons dans l’ère anthropocène et savons que nous influençons la planète. La question, c’est comment pouvonsnous le faire de manière beaucoup moins imprudente, surtout de nos jours en ce qui a trait aux émissions de gaz à effet de serre? — Jaccard Mais nous commençons à comprendre qu’il se peut que le style de vie que nous avons travaillé si fort à créer — nos industries et notre agriculture — ne soit pas durable. Nous sommes en train d’apprendre qu’après tout, nous avons besoin d’un peu de cette sagesse que les Premières Nations croyaient pouvoir nous enseigner quand nous nous sommes pointés chez eux, malades et mourants les uns après les autres tous les hivers. — Green Personne ne s’intéressait à l’Arctique avant que la glace n’ait commencé à fondre, mais maintenant que les ressources sont mises à nu et sont donc plus faciles d’accès, des avions bondés d’exploitants atterrissent chez nous. Je m’inquiète du fait qu’on creuse la terre qui est sacrée pour nous depuis des millénaires, et qu’en même temps on leurre nos habitants en agitant l’argent et les fiches de travail comme des appâts. Je crains que cela ne fasse qu’aggraver les luttes que nous devons mener. — Watt-Cloutier J’ai beaucoup voyagé l’été dernier en Ontario, où j’ai visité différentes réserves et entendu les aînés dire : « Il y avait beaucoup de chênes et d’érables dans cette forêt autrefois, et ils ne sont plus là. Nous ne voyons plus les diverses espèces d’oiseaux, d’insectes ou de poissons qui abondaient ici autrefois. » Après les avoir entendus, je m’inquiète pour l’environnement, je m’inquiète devant la perte de diversité dans notre écosystème. — Borrows Notre compétitivité internationale diminue Les industries pétrolière et gazière sont en train de subir leur plus profond changement depuis cent ans. Les enjeux touchant l’environnement, la politique, les ressources et la démographie sont tous en train de s’entrechoquer simultanément pour transformer notre façon de fournir et de consommer l’énergie. Nous ne sommes plus à une époque où nous pouvons tout simplement attendre que les prix de l’énergie augmentent. Nous devons présumer que les prix resteront stables et même qu’ils pourront baisser. La façon de rester concurrentiel dans un marché aussi féroce, c’est d’offrir un produit moins cher que les autres. L’industrie canadienne de l’énergie s’est réveillée devant ce fait il y a quelques années, et nous devenons assez habiles dans ce sens. Mais si nous ne nous mettons pas bientôt à traiter des problèmes environnementaux, si nous ne continuons pas à faire preuve de discipline pour maîtriser les coûts, et si nous ne commençons pas à établir des rapports avec de nouveaux clients et nous adapter à de nouveaux systèmes, nous serons voués à l’échec. — Tertzakian Nous ne serons pas éternellement un aimant pour l’immigration. Ce que nous avons à offrir n’est plus quelque chose d’unique au Canada. D’autres régions du monde deviennent tout aussi attrayantes en offrant les mêmes sources de confort qui font partie de notre vie ici. Nous œuvrons selon l’hypothèse que nous continuerons d’attirer des immigrants et qu’ils viendront vivre dans nos villes. Tout cela pourrait changer du jour au lendemain, et soudainement nous aurions un avenir très différent. — Merchant Une partie de notre succès futur dépendra de la diversification des endroits où nous ferons des affaires. Aujourd’hui, disons qu’une entreprise a un bureau à Montréal 16 et un autre à Boston. Pour réussir, cette entreprise aurait peut-être besoin de bureaux à Montréal, à Johannesburg et à Mumbai. De même, depuis la Seconde Guerre mondiale, nos universités majeures ont créé des liens avec celles du Royaume-Uni et des États-Unis. Nous devrons désormais faire la même chose avec le Brésil et la Chine. — Lynch frontières nationales, des ondes radiophoniques contrôlées, une certaine hiérarchie de goûts et de préférences culturels, et la sous-évaluation de l’importance des questions touchant les autochtones. Ce qui est le plus convaincant à l’heure actuelle, ce sont les possibilités qui s’ouvrent à nous pour nous réinventer et réimaginer ce qui pourrait être. — Brault Il nous faut réorienter nos engagements nationaux et géopolitiques vers la commercialisation d’idées, surtout dans le domaine complexe, prédateur et changeant de la gestion des droits de propriété intellectuelle. La propriété et la commercialisation d’idées intangibles sont tout à fait différentes de ce que cela représente pour les ressources naturelles tangibles. — Balsillie En tant que ville la plus asiatique à l’extérieur de l’Asie, comment évoluera Vancouver? Aujourd’hui, environ quarante-cinq pour cent de la population de la zone métropolitaine recensée de Vancouver est d’origine ethnique asiatique. D’ici dix ans, Vancouver sera une ville majoritairement « asiatique ». Cela entraînera-t-il des changements en ce qui concerne le commerce, les affaires et la culture populaire? Est-ce que Vancouver se branchera sur le dynamisme et les défis de l’Asie contemporaine et servira de lien transpacifique ou est-ce que Vancouver se contentera de suivre une trajectoire nord-américaine caractéristique soit celle d’une ville abritant un grand nombre d’Asiatiques, mais ayant peu d’attaches profondes avec l’Asie? — Woo Avez-vous entendu le terme BANANA? Build Absolutely Nothing, Anywhere Near Anything (ne construisez absolument rien, nulle part ni proche de rien.). Chaque groupe d’intérêt particulier semble maintenant capable d’empêcher la réalisation de projets majeurs consacrés au développement économique. Tout autre pays pourrait penser : « Quelle chance vous avez de posséder toutes ces merveilleuses ressources! » Ici, le message qu’on entend, c’est : « Non, vous ne devez pas les exploiter! » — Swift Nous pouvons faire beaucoup plus encore dans nos rapports avec la Chine. Nous traînons derrière les autres à cet égard, pourtant, il n’y a pas de sens d’urgence ou de stratégie à long terme pour nous permettre de rattraper la concurrence. Cette complaisance est en partie attribuable à un manque de compréhension de la signification profonde des changements économiques et politiques qui se déroulent à l’heure actuelle dans l’ensemble du Pacifique. Les Canadiens ont bien sûr des raisons légitimes d’exprimer des réserves devant tous les défis que représentent la Chine et d’autres pays d’Asie, mais ce serait naïf de ne pas reconnaître que de grands changements mondiaux sont en cours, et que pour demeurer pertinent comme puissance, le Canada doit s’engager vigoureusement. — Woo Les gens commencent à se rendre compte de l’importance d’inclure les perspectives autochtones dans les programmes d’études et dans les milieux de travail. Je reçois beaucoup de messages d’intérêt de personnes qui veulent modifier leurs méthodes d’enseignement, de formation et de promotion pour inclure le savoir culturel et l’identité autochtones, ainsi que l’antiracisme. — Restoule Nous devrons élaborer un concept de développement qui établisse un équilibre entre les enjeux économiques, écologiques, autochtones et autres, tels que les changements démographiques, afin d’atteindre des objectifs compatibles. Nous sommes au début d’un cycle économique beaucoup plus lent, dans lequel il y aura moins d’argent disponible alloué aux mesures sociales ou économiques. De nombreux jeunes Canadiens posent des choix de vie et de travail qui sont davantage alignés avec une économie à croissance lente. — Carney Notre culture se transforme L’inégalité économique et politique s’accentue D’innombrables hypothèses étaient à la base de nos espaces culturels, de nos politiques et de nos instruments de travail il y a cinquante ans et elles sont en train de disparaître — tels les concepts des Pourrons-nous combler le fossé grandissant entre les revenus et ainsi émousser le côté tranchant du capitalisme? Nous 17 espérions que la participation dans une économie du savoir mondialisée allait rehausser les normes de vie partout, que tous les bateaux allaient être soulevés par la vague, mais nous nous rendons compte aujourd’hui que les yachts sont soulevés plus rapidement que les chaloupes. À Toronto, on peut observer la stagnation de la classe moyenne et très peu d’amélioration pour les classes pauvres. — Golden Sans changement structurel, il est difficile d’imaginer comment les jeunes d’aujourd’hui vont pouvoir économiser comme ma génération a pu le faire. Les écarts de revenu ont rendu les Canadiens à revenu faible, moyen et même semi-élevé moins capables de maintenir une bonne qualité de vie en comparaison avec à celle des gens se situant en haut de l’échelle salariale. La combinaison de la hausse des prix (surtout dans le domaine de l’habitation) et des choix dans le style de vie des individus aura une incidence sur l’image que projette notre pays. Bien des gens vivent assez convenablement aujourd’hui, mais ils n’économisent pas, leurs fonds de retraite sont limités et ils ne pourront certainement pas conserver leur niveau de vie actuel avec la sécurité sociale. — Nixon Comment aborder les problèmes croissants de l’inégalité? On en voit partout. On ne peut pas aller à l’aéroport sans apercevoir des riches qui passent impunément en tête de file pendant que tous les autres attendent leur tour pendant une heure avant de monter à bord d’un avion. Et c’est constamment la même chose partout dans notre société, que ce soit sur le plan des soins médicaux ou dans n’importe quel autre service. — Reid Comparativement à il y a vingt ans, il y a plus d’inégalités de revenus. Ces inégalités s’accroissent moins vite qu’ailleurs dans le monde, mais elles s’élargissent malgré tout, surtout entre les plus riches et le reste de la société. On a aussi vu d’autres fossés se creuser : une plus petite proportion de la population fréquente les salles de concert ou les musées, un nombre croissant de parents inscrivent leurs enfants à l’école privée. Qui décroche de l’école? Souvent les enfants de familles moins favorisées. Mais si cette question des dollars me préoccupe, je m’intéresse surtout à celle de l’accès au pouvoir. Les pauvres et les jeunes ont tendance à voter moins que les autres groupes. Ceci a une incidence sur la façon dont les politiques gouvernementales sont adoptées. À partir 18 du moment où de moins en moins de gens participent aux élections, les décisions sont prises par un petit groupe de privilégiés qui protègent leur propre position et leur propre pouvoir. — Venne Les résultats des sondages montrent que les Canadiens font de moins en moins confiance à leurs institutions démocratiques. Le nombre d’électeurs qui vont aux urnes a baissé précipitamment depuis vingt ans. Lors des dernières élections fédérales, quatre Canadiens sur dix ont choisi de ne pas voter. C’est un des taux les plus faibles parmi les démocraties occidentales. — Chong Il est difficile d’avoir une démocratie ou un engagement au niveau politique si l’on n’a pas une démocratie ou un engagement au niveau économique. Dans mon travail, je cherche à m’assurer que les personnes aient accès à l’information et au soutien qu’il leur faut pour prendre des décisions éclairées. Nous cherchons également les moyens d’inclure plus de gens dans l’économie et dans le système financier, c’est-à-dire les gens qui n’ont pas accès à un compte bancaire et à d’autres services que vous et moi tiendrions pour acquis. Penser que la démocratie économique n’a rien à voir avec l’inégalité des revenus serait comme dire que le droit de vote n’a rien à voir avec le suffrage universel. — Vrooman L’extrême pauvreté est corrosive. Quand les gens au haut de l’échelle et les gens au bas respirent un air tellement différent, il est difficile d’identifier un intérêt public commun ou de partager le même objectif. Quand ceux qui sont en haut deviennent tellement riches qu’ils décident qu’ils n’ont plus besoin de services publics, alors ils s’écartent ni plus ni moins de la société. Lorsque l’écart est extrême, ils semblent aussi croire qu’ils méritent tout ce qu’ils possèdent. De là vient l’avarice échelonnée vers le bas. S’ils n’ont pas besoin de services et s’ils méritent leur richesse, pourquoi paieraient-ils des impôts? Les gens qui sont au bas de l’échelle finissent par penser que le jeu est injuste et qu’ils n’ont rien à y gagner. Ils ne veulent pas voter et eux non plus ne veulent pas payer d’impôts. Pourquoi payer quand le jeu est truqué? — Himelfarb Notre société se fragmente Nos petites communautés partout au pays, pas uniquement à Terre-Neuve, sont en train de se désintégrer devant nos yeux, et pourtant, il est tellement possible d’éviter que cela se produise. Je crois que les affaires et la technologie sont des outils puissants, et s’ils sont utilisés à bon escient, ces outils peuvent contribuer aux lieux et peuvent aider à créer des communautés rurales robustes et contemporaines. Nos communautés rurales sont de puissantes sources de savoir, de créativité et d’innovation; elles sont des forces, et non des faiblesses. — Cobb Cela m’inquiète de voir bien des gens se sentir seuls et débranchés ou marginalisés. Il me semble que la situation n’était pas aussi grave autrefois. Le fossé entre ceux qui font partie du système et ceux qui en sont exclus est plus profond et plus abrupt qu’avant. — Brault Notre discours politique devient de plus en plus polarisé Depuis les années 1990, nos leaders politiques sont devenus plus tranchants. Les gens dans la politique n’accordent plus d’importance aux idées des autres ou alors manquent de respect à leur égard. La politique est devenue ce monde insensé où l’on se crie les uns aux autres : « Nous avons raison, vous avez tort, taisez-vous, asseyez-vous et faites attention à ce que j’ai à dire. » Les attaques publicitaires sont des symptômes de cette dynamique. Ce qu’il faut retenir avant tout, c’est que ces messages sont le symptôme d’un public plus polarisé qui veut — et même, exige — des réponses simples à des questions complexes. Il doit se produire un change- ment fondamental pour que nous puissions créer un nouveau point d’équilibre. — Graham Il est sain d’avoir différentes opinions, mais non pas si l’on réduit les enjeux au choix entre noir ou blanc. Quand on est trop à droite ou trop à gauche vis-à-vis d’un problème, il est très rare qu’on réussisse à le régler. La zone grise, c’est quand on trouve des solutions. En ce moment, nous nous attardons sur les détails et ne nous penchons pas sur les grandes questions. Il faut que nous trouvions plus de choses sur lesquelles nous pouvons tous nous mettre d’accord. — Verschuren Il y a toujours eu des éléments intolérants dans notre société, mais une des choses formidables du Canada, c’est notre respect envers les différents points de vue et le sentiment que nous pouvons arriver à un consensus. Nous avons toujours cru pouvoir être en désaccord tout en n’étant pas désagréables. Aujourd’hui, le Canadien poli est en train de disparaître. On ne laisse plus de place à la conversation. Tout ce qu’on a le droit de faire, c’est de se lancer des slogans des deux côtés de la salle. — May Notre gouvernement fédéral est plus politisé qu’à tout autre moment de notre histoire. Généralement, c’est là une mauvaise chose. Lorsqu’on va au-delà des enjeux économiques, de la défense, de la sécurité frontalière et de quelques autres questions, on aboutit avec un gouvernement fédéral qui ne semble pas avoir une vaste vision pour le pays, à part le fait de déléguer des pouvoirs aux provinces et de les laisser se débrouiller. — Reid Ce qui m’empêche de dormir la nuit c’est la déshumanisation croissante et institutionnalisée vis-à-vis de certains groupes. C’est comme si la société évoluait selon le principe que la vie humaine ne compte pas. Chaque matin, je lis au sujet de dix choses qui me font penser que nous devenons de plus en plus distancés les uns des autres. Cela commence avec la race et devient une structure qui envahit tout.— Razack Dans certains endroits du pays, nous semblons vivre à une période de migration qui est motivée surtout par l’âpreté au gain. Ces « immigrants du monde » viennent au Canada, y placent leur argent et puis s’en vont vivre ailleurs. Ceci se concrétise par le nombre de maisons et de condominiums vides, ici, à Vancouver. Une grande proportion de nouveaux logements est vendue à des résidents étrangers qui ne vivent au Canada qu’à temps partiel ou pas du tout. Quand on a une population flottante d’immigrants, la structure essentielle d’engagement et de liens communautaires risque d’être affaiblie. On le voit dans certaines communautés où le volontariat et l’appui aux arts sont à la baisse. — Carney Nous avons également vu apparaître des tendances inquiétantes. Nous avons perdu notre engagement à la permanence. Nous disions autrefois : « Venez au Canada et trois ou quatre ans plus tard, vous deviendrez citoyen canadien. » Nous rendons la citoyenneté plus difficile à obtenir et plus facile à perdre. Nous importons des travailleuses et travailleurs étrangers temporaires qui n’ont aucun droit à la permanence et créons ainsi une société à deux niveaux. — Omidvar « Quand les gens au haut de l’échelle et les gens au bas respirent un air tellement différent, il est difficile d’identifier un intérêt public commun ou de partager le même objectif. » — Alex Himelfarb 19 4 LENTILLE 4 À quels risques faisons-nous face? La complaisance : Ne pas nous rendre compte que nous 20 Le rapport tristement célèbre des Nations unies, daté d’il y a une vingtaine d’années, dans lequel le Canada était décrit comme le meilleur endroit où vivre dans le monde, peut nous avoir rendu un mauvais service en nous encourageant à être plus complaisants. Nous ne sommes pas faits cette réputation par accident; nous avons créé ce type de pays à force de volonté. Si cette volonté devait s’affaiblir ou perdre sa raison d’être, bien des atouts que nous possédons aujourd’hui deviendraient précaires. Ce que je crains, c’est qu’en dépit d’avoir réglé les problèmes du passé, nous soyons rapidement en train de nous laisser submerger par les problèmes de demain. Il faut que nous trouvions le moyen de cristalliser notre meilleur pouvoir de réflexion et de le transformer en vision d’avenir. — Gibbins Le Canada est vulnérable à toutes sortes d’attaques. En raison de notre proximité avec les États-Unis, nous avons toujours tenu pour acquis que nous étions un pays sécuritaire et que nous n’avions aucune raison de craindre la guerre. Mais dans le monde d’aujourd’hui, les guerres sont souvent livrées par des moyens électroniques ou par le terrorisme plutôt qu’au front de bataille et à cet égard nous sommes très, très en retard par rapport à la majorité des autres pays industrialisés. Nous n’avons pas autant de services de renseignements qu’ont la plupart des pays d’Europe ou les États-Unis, et ceci nous rend très vulnérables aux attaques. Un acte majeur de terrorisme pourrait vraiment transformer notre pays. — Nixon Nous ne nous préoccupons pas suffisamment de l’économie dans notre pays. Les emplois ne sont pas là, les fonds de pension ne sont pas là, les gens ne vivront pas heureux jusqu’à la fin des temps. Il se peut que nous n’ayons pas frappé le mur assez fort. Je me demande avec inquiétude d’où viendront les nouveaux emplois et si les autres pays vont nous les voler. Nous devons absolument nous rattraper. — Verschuren À quelle qualité de vie nos enfants et petits-enfants peuvent-ils s’attendre? Une chose qui me préoccupe beaucoup, c’est la mesure dans laquelle le présent tend à voler les ressources de l’avenir, que ce soit les gouvernements qui empruntent en vue de soutenir le niveau de consommation actuel ou des promesses fondées sur l’hypothèse de richesse future ou les déchets auxquels on ne pense pas et qu’on a du mal à évaluer. — Robson Nous devenons passifs et nous risquons de tenir pour acquises toutes ces choses qui ont fait du Canada la société tolérante, ouverte, diversifiée et accueillante dans laquelle nous avons le privilège de vivre. Notre grandeur ne s’est pas produite par hasard. Si l’on n’y travaille pas assez, nous courons le risque de la diminuer et de la perdre. Et alors, quelle sorte de pays allons-nous laisser à nos enfants et petitsenfants? — Vrooman La dépendance de notre économie à l’égard des ressources naturelles Nous ne gérons pas bien notre richesse en ressources naturelles. Nous ne prêtons pas suffisamment attention à la croissance à long terme, à la stabilité et à l’équité entre les générations. J’observe ce que nous faisons avec les ressources non renouvelables et cela me désespère. Nous avons donné libre cours à une mentalité de ruée vers l’or… De façon semblable, nous avons été témoins de l’érosion du secteur manufacturier au sein de l’économie canadienne, et cela aussi me préoccupe. Je crois qu’un bon équilibre entre les activités manufacturières, l’extraction des ressources, la technologie et les services est important pour assurer une économie saine, dynamique et stable. — Emerson S’il y a une province qui devrait posséder les ressources nécessaires pour rester au pas avec sa croissance, c’est bien l’Alberta. Mais le cycle en dents de scie, avec ses hausses et ses baisses, voulant qu’on utilise les revenus de ressources pour payer les dépenses courantes, est incroyablement risqué. On ne peut pas décider de financer les maternelles à temps plein et ensuite, lorsque le prix du pétrole tombe sous un certain montant par baril, éliminer les maternelles à temps plein. Nous avons commis des faux pas dans le passé, tout d’abord en permettant au développement d’échapper à tout contrôle, et puis en permettant aux entreprises extractives d’évincer les entreprises à valeur ajoutée. — Iveson Nous sommes arrivés à un point de nonretour. Durant les deux dernières années, les investissements mondiaux dans les technologies de l’énergie renouvelable ont dépassé les rêves les plus fous de tout le monde. Cependant, nous misons notre avenir économique sur les ressources de pétrole et de gaz naturel, qui vont devenir des actifs bloqués, et par conséquent, nous serons économiquement désavantagés dans l’exploitation d’autres formes d’énergie. Notre future stabilité économique est directement liée à notre capacité de limiter dès maintenant l’exploitation des combustibles fossiles. — Berman Lorsque les Canadiens songent au développement des ressources dans le Nord, ils prennent rarement en considération la dimension humaine. Le gouvernement actuel considère l’Arctique comme une occasion offerte à la grande superpuissance énergétique de nourrir le monde entier, mais en pensant de la sorte, il ne reconnaît pas le fait que les familles inuites, qui cherchent simplement à nourrir leurs proches, seront négativement touchées par la détérioration de l’environnement. Il y a des gens qui ne saisissent pas tout à fait pourquoi nous voulons chasser ou manger des phoques plutôt que d’aller au supermarché pour acheter du poulet ou des côtelettes de porc. Ils ne comprennent pas l’importance pour nos communautés de continuer de respecter et d’absorber la sagesse que nous apprend la culture de chasse. — Watt-Cloutier Au Canada, durant le siècle dernier, nous avons réussi en assez grande mesure à gérer un écosystème favorisant une économie de ressources, et nous continuons de prospérer à cause de cela. Cet écosystème comprend les éléments physiques, tels que les réseaux routiers et les pipelines, les éléments géopolitiques, tels que l’accès aux marchés et la protection des investissements, les universités qui ont correctement instruit les étudiants et qui ont réalisé des travaux de recherche dans des domaines pertinents, sans oublier les tribunaux qui ont rendu des jugements impartiaux à l’égard de causes touchant le commerce intérieur, et les structures reliant le secteur public et le secteur privé qui se penchent sur des questions importantes s’étalant sur plusieurs horizons temporels. Il existe à la fois un défi et une occasion critiques pour les élaborateurs de politiques et les chefs d’entreprises : c’est de comprendre entièrement les différences entre un écosystème favorisant une économie de ressources et un écosystème privilégiant une économie d’innovation puis de s’assurer que toutes les lacunes soient comblées. — Balsillie Le défaut de développer et de retenir les talents Comment manque-t-on l’occasion de se distinguer par ses talents? On fait deux choses : on ne les exploite pas et on ne les retient pas. Nous sommes des concurrents dans le monde et moins nous développerons des compétences uniques, plus notre pays sera pauvre. On ne peut pas se voir rétrécir tout en aspirant à la grandeur. À un certain moment, nous devons nous acquitter de responsabilités collectives les uns envers les autres et envers les autres générations. Les générations futures jugeront durement celles d’aujourd’hui et diront : « Regardez ce qu’ils ont fait avec leur obsession envers la pensée individualiste. » — Ménard Je m’inquiète du chômage parmi les jeunes. Nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir une génération perdue. Et nous ne pouvons pas être ignorants devant la façon dont nos jeunes pensent, interagissent et entraînent le changement. Il nous faut également songer à la stabilité : qui va payer les impôts et qui va maintenir nos programmes sociaux? Je voudrais que nous pensions un peu moins à court terme et un peu plus à long terme. — Mohamed Notre système éducatif n’est pas bien adapté au besoin que ressentent les étudiants, celui de mettre au point des compétences qui seront nécessaires dans l’économie future. Nous devons apprendre à mieux anticiper d’où proviendront les emplois et les possibilités, et offrir à nos jeunes la formation et l’enseignement dont ils ont besoin. — Swift Nous manquons à notre devoir envers les jeunes du Canada, en particulier les jeunes autochtones, en nous battant pour des questions idéologiques et en ne leur donnant pas les compétences les plus fondamentales. Même aujourd’hui, seulement trente-cinq pour cent des enfants en réserves terminent l’école secondaire. Et seulement quatre pour cent d’entre eux ont un niveau secondaire de scolarité. Nous avons perdu des générations entières de jeunes dans les pensionnats chrétiens, les services de protection de l’enfance, le système carcéral, les drogues et le décrochage scolaire. La perte en potentiel humain est stupéfiante. — Borrows 21 Si les choses tournent mal, nous n’aurons pas su retenir nos jeunes au pays. Ils iront là où le travail est intéressant et stimulant, et là où ils peuvent contribuer à quelque chose. Ce sera une perte énorme pour nous. Si nous ne réorientons pas nos institutions pour les rendre accueillantes aux membres de cette génération, ils vont tout simplement les contourner et faire quelque chose de différent. Nos institutions vont s’atrophier, parce qu’elles n’auront personne pour secouer les choses et dire : « Non, nous n’allons plus le faire de cette façon. » — Stein Je m’inquiète du fait que nous pourrions rester embourbés dans un tourbillon d’indécisions, incapables de reconnaître cette réalité et de saisir le bon moment pour faire un acte de foi. Cette incapacité de prendre des risques est justement ce qui nous empêche d’être au premier rang dans un si grand nombre de domaines et ce qui cause l’exode de nos talents vers d’autres pays. — Ebrahim La détérioration de notre démocratie La démocratie ne peut pas s’épanouir sans transparence, information ou participation. Chacune de ces trois choses est brimée présentement au Canada. On a sévèrement limité la possibilité pour le public de prendre part aux décisions qui touchent notre avenir. Si l’on veut parler ou envoyer une lettre à l’Office national de l’énergie au sujet d’une question quelconque, il faut d’abord remplir un formulaire de onze pages et faire approuver sa requête. Durant les examens réglementaires, les citoyens et les experts n’ont pas le droit d’intervenir au sujet de l’incidence qu’auraient certains projets proposés sur le changement climatique. — Berman Nous aurons de graves problèmes si nous perdons confiance en des institutions impartiales et sérieuses comme l’Office national de l’énergie. Au cours de notre histoire, ces institutions ont eu le dernier mot à l’égard de diverses décisions, mais aujourd’hui, par le biais des médias sociaux et d’autres techniques de communication, une minuscule minorité de gens peut retarder l’exécution de projets. Tout le monde doit accepter une part du fardeau, même si cela veut dire avoir une ligne à haute tension pas loin de chez soi. Voilà peut-être ce qu’un individu doit accepter pour le plus grand bien du pays. Le fait que de petits groupes de gens puissent contourner les institutions qui aident à rendre notre pays formidable constitue un problème national. — Tertzakian Nous ne sommes une démocratie qu’en théorie. Dans la pratique, nous sommes une dictature élue. Les Canadiens ne se sentent plus valorisés; ils sont devenus des consommateurs passifs. Ils ont abandonné l’idée qu’ils ont des droits et responsabilités dans la gestion du pays. Il est très difficile d’éveiller les gens pour qu’ils se rendent compte qu’ils ont du pouvoir. Quarante pour cent des Canadiens ne votent pas. Aux élections partielles dans Fort McMurray-Athabaska en juin dernier, seulement quinze pour cent ont voté! À moins qu’on ne change le système, le prochain dictateur pourrait fort bien être Trudeau ou Mulcair, et même si nous préférions leurs décisions, ce ne serait toujours pas une démocratie. — May Nous souffrons de ce qu’on pourrait appeler un « déficit démocratique », surtout chez les jeunes. Le plus simple moyen de le mesurer, c’est par le déclin dans le nombre de gens qui votent. Les gens ont l’impression que leur voix ne compte pas. Les sondages menés pour déterminer comment les Canadiens perçoivent l’efficacité du gouvernement et les processus démocratiques ont produit des résultats extrêmement négatifs. Dans une telle situation, les quelques-uns qui s’y intéressent peuvent maîtriser le système en entier. J’appelle cela « La Loi de fer de la démocratie » : si vous décidez de ne pas vous engager dans la politique, vous serez gouverné par ceux qui s’y engagent. — Manning À court terme, les modèles de gouvernance par commandement et contrôle peuvent entraîner d’énormes bénéfices, mais à long terme, ils ne donnent rien. Sans la reddition de comptes, un mauvais chef arrive un jour et défait tous les bénéfices gagnés, et même plus. Les démocraties sont frustrantes dans le court terme, parce que l’absence de pouvoir concentré veut dire moins d’efficacité dans les prises de décisions, mais à plus long terme, les démocraties finissent par bien faire. Si l’on regarde les cent quatre-vingts dernières années, toutes les analyses démontrent que les gens dans une société instruite, civilisée et éclairée prendront les bonnes décisions. — Chong L’affaiblissement de notre capacité d’agir collectivement Une des raisons pour lesquelles nos institutions, y compris nos institutions politiques, ont tant d’importance c’est que, comme le disait le Premier Ministre Trudeau, le Canada est un véritable acte de défiance. Le Canada est un contresens : nous sommes dispersés sur le plan géographique; nous avons un climat affreux; nous avons deux langues officielles et plusieurs langues non officielles; nous n’avons pas connu de moment révolutionnaire pour nous unir; nous sommes une nation avec une grande diversité culturelle et régionale. Pour toutes ces raisons, nous sommes tenus de faire un effort pour être le Canada. Et quand on ne fait plus confiance au gouvernement, quand on ne se fait plus confiance les uns les autres, on est affaibli… La plus importante répercussion de ce mouvement d’austérité, c’est que celui-ci brime l’imagination politique. Il donne l’impression que rien n’est collectivement possible. C’est la loi du chacun pour soi. Donc, je vois non seulement cette accentuation de l’inégalité, qui est invisible, grandissante et rébarbative, mais je vois aussi la perte de la capacité collective de faire quoi que ce soit pour changer les choses. — Himelfarb Je suis inquiète parce que je crains que nous n’investissions pas suffisamment dans notre « capital sacré » (capital naturel, social, culturel, communautaire) et dans la protection de nos divers modes de savoir. Dans nos petites communautés, il existe une pénurie croissante d’espoir et donc, le désespoir prend racine. Je ne comprends pas pourquoi nous ne sommes pas plus consternés et pourquoi nous ne faisons rien devant le fait que nous sommes en train de perdre une partie importante de notre identité canadienne et de nos sources de résistance, d’imagination et d’ingéniosité. Notre identité et notre force sont provenues — et proviennent toujours — de notre relation avec cette merveille de la nature que nous appelons le Canada. — Cobb L’une de mes préoccupations est que de plus en plus de gens ne font plus le lien entre les impôts qu’ils paient et les ser- vices qu’ils reçoivent. De plus en plus de gens pensent que les autres ne paient pas leur juste part. J’ai peur qu’avec le temps, les gens acceptent de moins en moins le principe de contribuer par leurs impôts au bien commun. Les gens acceptent qu’une bonne partie de leur salaire soit versée au gouvernement parce qu’ils se sentent appartenir à une société ou à une nation. Dans notre société, à l’heure actuelle, nous ne faisons pas confiance aux gens qui ont du pouvoir et nous ne faisons pas confiance non plus à ceux qui n’ont pas de pouvoir. Nous vivons dans l’insécurité. Nous sommes en train de perdre notre sens de collectivité en tant que pays dans son ensemble. Bien des gens ont l’impression qu’il suffit d’avoir une communauté locale épanouie et une ligne ferroviaire à grande vitesse menant à un aéroport international pour n’avoir besoin de rien d’autre. Par conséquent, les collectivités de niveaux provincial et national ne comptent plus beaucoup. L’occasion d’aller voir le monde et de revenir à sa base est là, mais je m’inquiète du manque de motivation du Canada, en général. Nous perdons confiance en nos institutions politiques et en notre capacité d’agir ensemble. Les perspectives sont plus étroites, et bien que ce phénomène ne soit pas limité au Canada, le fait d’avoir des gens dans ce pays vaste et maladroit, qui se replient de plus en plus sur eux-mêmes, demeure néanmoins alarmant. — Gibbins « Sans la reddition de comptes, un mauvais chef arrive un jour et défait tous les bénéfices gagnés, et même plus. » 22 Et quand on vit dans l’insécurité, on peut décider soit de se tourner le dos les uns aux autres, soit de se serrer les coudes. J’espère qu’au Québec et au Canada, nous déciderons de nous serrer les coudes. — Venne — Michael Chong 23 5 Nos systèmes d’éducation et de santé auraient échoué LENTILLE 5 Si les choses tournaient mal, que se serait-il passé? Nous n’aurions pas reconnu et ne nous serions pas adaptés à un monde changeant Nous n’avons pas changé de direction. Nous avons continué de dépendre de choses qui compromettent notre environnement. Les mêmes types de personnes prennent les décisions et occupent des postes publics. Nous avons pris du retard dans l’établissement de l’infrastructure dont nous avons besoin. Nous avons continué à fonctionner avec une mentalité de pénurie, ce qui a fini par faire du mal aux gens les plus touchés par les inégalités sociales. — Penrose 24 Une forte hausse dans le nombre de feux de forêt et d’infestations de dendroctones détruira la majorité de nos forêts boréales intactes. Nous aurons à faire face à d’énormes vagues d’immigration provenant du monde entier, mais surtout de l’Asie du Sud-Est et de l’Afrique centrale. D’ici vingt ans, trente pour cent des habitants de l’Asie du Sud-Est auront perdu leurs foyers dû à l’élévation du niveau de la mer. Une population plus dense mettra à dure épreuve la capacité de nos villes, qui seront déjà fortement taxées par des inondations et des conditions météorologiques extrêmes. Les prix de la plupart des denrées alimentaires seront multipliés par trois ou par quatre en comparaison avec ce qu’ils sont aujourd’hui. — Berman Nous nous retrouverons là où nous sommes maintenant : un peu en retard par rapport au reste du monde. L’innovation et la créativité demeureront à l’extérieur et non au cœur même de l’ADN des organismes, dont la capacité d’adaptation restera limitée en conséquence. Notre rôle au sein de la communauté sera stagnant, et nous serons toujours en train de nous demander comment nous pouvons contribuer à une conversation mondiale visant à être plus inclusive, plus créative et plus centrée sur l’être humain. — Ebrahim Il existe un décalage considérable à l’heure actuelle entre ce que nous savons être nécessaire pour notre système éducatif et ce que notre système éducatif est capable de nous donner. Dans vingt ans, nous pourrions bien y jeter un regard rétrospectif et dire : « Nous savions qu’il nous fallait redoubler nos efforts en innovation et en pensée créatrice pour le bien de l’économie et pour résoudre des problèmes complexes. Plutôt, nous avons insisté pour que tout le monde acquière les mêmes connaissances de base, et nous avons ni plus ni moins anéanti toute créativité chez nos enfants. Comme résultat, nous ne possédons pas le capital intellectuel ou créateur pour résoudre nos problèmes colossaux. » — Wilson L’éducation sera axée sur l’apprentissage de métiers ou de compétences, plutôt que sur l’apprentissage de la pensée critique. On fermera la plupart des institutions où les gens peuvent apprendre à penser de façon critique. Celles qui resteront seront petites ou très, très limitées. Le résultat, c’est qu’on ne pourra pas demander pourquoi les choses sont comme elles sont, pourquoi il y a des gens qui vivent bien tandis que d’autres non, quel rapport on a avec les autres dans le monde social. Il n’y aura pas moyen d’analyser les mythologies que l’on voit reproduites chaque jour dans les journaux. — Razack Nous aurons continué à réduire les ressources consacrées à l’éducation supérieure et à la recherche dans nos universités et institutions. Nous aurons décidé de rendre tout cet argent aux citoyens et abandonné notre responsabilité collective de favoriser un meilleur système d’éducation. Cela aura une incidence sur notre bilan de réalisations dans le domaine de l’innovation et des nouveaux brevets. Le Canada aura érodé ses chances et manqué l’occasion de mettre ses talents à l’avant-scène. — Ménard Dans vingt ans, notre système de soins de santé pourrait être complètement surchargé. Nous nous dirigeons vers une sorte de tempête parfaite avec une population vieillissante et un système de santé déjà étiré jusqu’au bout, ce qui risque de donner lieu à une société encore plus inégale. Les nouveaux immigrants, les autochtones, les populations vulnérables pourraient ne pas avoir accès aux soins de santé auxquels ils ont droit. — Wilson Le coût des soins de santé continue d’augmenter. Aujourd’hui, il a presque atteint cinquante pour cent des budgets provinciaux. À titre de chercheurs, mes collègues et moi devons examiner de très près tout ce que nous faisons, parce que le système de soins de santé ne dispose que de sommes limitées à investir. Nous devons considérer l’aspect de la rentabilisation et déterminer si notre recherche porte sur un sujet que les gouvernements vont financer. — Rossant Je me demande si cette génération-ci du « baby-boom » poursuivra ses propres intérêts jusqu’au bout. Si les « baby-boomers » insistent pour obtenir le plus haut niveau de soins de santé et la meilleure technologie jusqu’à la toute fin, ils pousseront les soins de santé à la faillite et feront en sorte que les plus jeunes générations ne puissent pas avoir accès à certains aspects du système. — Manning Nous n’aurions pas investi là où il fallait Les gens sont devenus plus conscients du fait que les coupures d’impôts ne sont pas la solution à tous les maux. Dans le contexte public, le monde commence à reconnaître que ce à quoi nous nous heurtons est moins un problème lié aux dépenses qu’un problème lié au revenu. Les ponts s’écroulent, et les égouts et tuyaux construits il y a un siècle ont maintenant besoin d’être réparés. Nous nageons dans l’argent facile, mais pour une raison étrange, nous n’avons pas d’argent pour ces choses essentielles. Pendant ce temps, nous dépensons des tas d’argent de nos poches pour réparer nos maisons ou nos voitures endommagées par une infrastructure en mauvais état. — Yalnizyan Nous aurons rendu difficile la venue de gens créatifs. Il nous faudrait être plus ouverts aux personnes qui viennent au Canada et qui en repartent. Nous n’aurons pas investi dans la recherche fondamentale, l’innovation et la force créatrice. Si nous ne nous concentrons pas sur l’avenir et si nous ne bâtissons pas à même nos forces, nous allons devenir une nation très moyenne. Nous n’allons pas avoir l’impact que nous pourrions avoir dans le monde, que ce soit dans les arts, les sciences, les affaires, les finances ou la politique. — Rossant Les pipelines essentiels au transport des produits vers les marchés n’auront pas été construits à temps. L’infrastructure économique fondamentale, et surtout l’infrastructure du transport, sera rejetée dans chaque « quartier » stratégique, ce qui reflète le remplacement des licences réglementaires par le concept amorphe des « licences sociales ». Nous ne parviendrons pas à restaurer l’élan initial des pourparlers multilatéraux sur les échanges commerciaux et nos tentatives de forger des accords commerciaux régionaux fléchiront. Nous ne nous adapterons pas à la réalité du réchauffement de la planète, et le monde se heurtera à une crise internationale urgente en matière de politique publique. En ce qui a trait au climat, et à la mauvaise gestion de nos ressources naturelles, nous verrons apparaître de nouvelles technologies qui mèneront les consommateurs à adopter d’autres sources d’énergie que celles à base de carbone. Étant donné que nous sommes extrêmement dépendants de l’énergie à base de carbone, notre économie et nos finances publiques seront durement frappées. — Emerson Nous ne réussirons pas si nous n’investissons pas dans les changements essentiels. À Toronto, par exemple, nous n’avons presque rien investi dans l’infrastructure; depuis l’an 2000, nous avons apporté quelques améliorations, mais pas assez pour rattraper notre retard. Il nous faut investir dans la reconstruction de cette infrastructure ainsi que dans les systèmes de gestion de déchets et d’alimentation énergétique. Il nous faut trouver de meilleurs moyens de permettre à la ville de se développer et de grandir, en reliant nos décisions touchant le transport en commun et nos décisions touchant le développement. Et nous ne réussirons pas si nous ne luttons pas contre l’inégalité croissante des revenus par une combinaison de changements aux régimes fiscaux et d’instauration de programmes innovateurs. — Golden Notre société se serait effondrée Le Canada sera devenu de plus en plus divisé au point de vue géographique reléguant les grands centres urbains d’un côté et tout le reste de l’autre. Les collectivités rurales sont rendues à un point critique dans leur évolution et nous refusons de reconnaître qu’elles ont un problème. . Elles n’auront peut-être plus une population suffisante pour rester viables. Les gens qui sont là vont vieillir. Il y a plus de gens que jamais qui vivent en monoménages, dans un type d’immeuble qui cultive l’isolement 25 et non la communauté. Tous ces facteurs ensemble exercent une influence sur le type de société que nous devenons et le mode de vie que nous menons. Je vois se produire des bouleversements et se soulever la colère. Je vois se fracturer petit à petit l’identité canadienne. — Merchant Je m’inquiète également de l’unité du pays. Nous ne pouvons pas nous permettre de penser que les choses demeureront toujours ce qu’elles sont. Le mouvement séparatiste au Québec est passé de la majorité à la marge, mais il ne disparaîtra jamais. Nos leaders doivent déployer un effort constant, concerté et délibéré pour forger une identité commune fondée sur ce que nous partageons. Cela ne se produira pas automatiquement. — Charest Un mauvais scénario qui pourrait se dérouler, ce serait que l’école universelle n’existerait plus, et que chacun déciderait ce qu’il veut apprendre. On perdrait alors la compréhension commune du monde, qui est fondée sur un compendium de connaissances accumulées au fil des siècles. — Venne Nous aurions laissé l’envie devenir l’émotion dominante dans la politique. Le régionalisme (engendré par l’envie) est une force corrosive au Canada. — Crowley Nos dirigeants n’ont pas reconnu la valeur d’avoir tout le monde qui bouge ensemble, y compris les moins riches et les moins puissants. C’est une manière très risquée de procéder. Si nous restons sur la trajectoire du démantèlement d’un grand nombre de nos structures sociales et nos mesures d’appui au bien-être, et si nous continuons à apporter des modifications radicales à nos lois, nous pourrions créer le type d’inégalité enracinée que nous voyons aux États-Unis et au Royaume-Uni. — Jabir L’État poursuivrait son désengagement; le système éducatif abdiquerait à se battre pour garder son indépendance et le citoyen se désillusionnerait pour de bon. Nous continuerions à mettre sur pied des sociétés où le statut social, les origines ou le niveau d’éducation des citoyens continueraient à renforcer les inégalités de droits. Au lieu d’apprécier tout le potentiel de nos différences, nous continuerions à créer des frontières imaginaires entre chacun de nous et à façonner nous-mêmes un système qui nous montrerait pourtant ses limites à chaque instant. — Duguay 26 Il y a des démagogues qui cherchent à cultiver le manque de sécurité et à diaboliser certains groupes. Ils mettent l’accent sur nos différences plutôt que sur nos points communs. Si jamais cela se produisait, nous nous engagerions dans cette spirale où les sociétés risquent d’aboutir, une société où nous perdrions la capacité de nous faire confiance les uns les autres et de tenir un discours commun. Nous nous retrouverions dans un pays où l’on vit dans la méfiance des autres individus et des autres groupes. — Charest Nous aurions permis à la pensée réductionniste de prendre le dessus. Nous aurions oublié que la nature et la culture sont les deux grands vêtements de la vie humaine. Nous vivrions tous dans des mégapoles et souffririons d’une sorte de manque d’appartenance. Nous aurions perdu notre connaissance innée du monde naturel et serions devenus incapables d’en tirer des leçons. Nous aurions perdu ce que Pam Hall appelle « les moyens du savoir qui proviennent d’un rapport concret et interdépendant avec le monde encore sauvage ». Nous mangerions de la nourriture industrielle produite par d’énormes entreprises qui transcendent toutes les frontières. Nous serions soumis au capital financier et nous n’aurions aucune idée de qui nous sommes. Nous n’aurions pas le sens de la continuité en accord avec le passé. La sagesse et les nuances du patrimoine et du monde naturel seraient perdues. — Cobb Nous n’aurions pas cultivé une façon saine d’aborder ce que nous pouvons appeler la spiritualité. Nous n’aurions pas prêté suffisamment attention à la manière non physique d’évoluer dans le monde, et aux questions de communauté et de liens. Nous aurions dû nous engager dans des conversations qui nous auraient fait sortir du moment et penser de façon plus large, de façon à nous demander « pourquoi sommes-nous ici? » Nous n’aurions pas réussi à créer un rapport différent avec notre environnement. Nous étions plus branchés sur les mouvements de l’énergie nationale et internationale, et pas assez conscients des énergies locales et de comment on les endommageait ou de comment on aurait pu mieux les exploiter. — Borrows « Nous aurions laissé l’envie devenir l’émotion dominante dans la politique. » — Brian Crowley 27 6 LENTILLE 6 Si les choses tournaient bien, que se serait-il passé? Nous serions devenus plus ambitieux Nous avons un gros défi à relever au Canada : nous manquons d’ambition. Je ne suis pas certain que ma génération soit suffisamment ambitieuse. Nous pouvons réussir bien mieux dans le monde que ce que nous croyons. Certains parmi les Canadiens plus jeunes croient qu’ils peuvent vaincre n’importe qui s’ils étudient beaucoup, s’ils travaillent fort, et s’ils sont suffisamment inventifs et astucieux. Nous devons faire preuve d’assez d’ambition pour garder ces jeunes au Canada, pour qu’ils puissent lancer leurs activités et leurs entreprises profitables ici, enseigner ici, se porter candidats à des postes politiques ici. Si nous ne sommes pas assez ambitieux, ils iront ailleurs, parce qu’ils veulent faire une différence. — Lynch 28 Lorsque le Canada a été le pays hôte des Jeux olympiques d’abord à Montréal, puis ensuite à Calgary, nous n’avons pas remporté de Médailles d’or comme nation. Nous sommes sortis profondément déçus de notre performance nationale. Mais tout à notre honneur, nous n’avons pas cherché d’excuses en prétendant que les Médailles d’or n’avaient pas d’importance. Au contraire, nous avons mis sur pied et financé un programme cohérent appelé « À nous le podium » et avons réalisé son objectif ambitieux aux Jeux olympiques de Vancouver en remportant quinze Médailles d’or — plus que tout autre pays du monde. Ces résultats ont électrisé et inspiré notre nation tout entière. Cela nous montre bien ce qu’une approche ambitieuse, ordonnée et systémique peut faire. Ce sont là des exercices qui créent les nations et prouvent que si les Canadiens veulent gagner, ils savent comment s’y prendre. — Balsillie En me tournant vers l’avenir, je vois un Canada différent, bâti à même la dynamique d’aujourd’hui. Notre population a doublé. Donc, nous avons maintenant dix et non plus quatre grands centres urbains. Dans ces centres urbains vivent des personnes d’une diversité inégalée. Cela renforce notre économie et notre prospérité. Puisque nous sommes une économie plus grande, nous sommes capables de produire davantage, d’échanger davantage; nous pouvons vendre à plus de gens, nous avons plus de gens avec de grandes idées. Notre croissance démographique s’est stabilisée avec l’immigration et notre économie peut accommoder un plus grand nombre d’immigrants ayant tous les niveaux d’aptitudes, et elle peut aussi accueillir beaucoup plus de réfugiés. — Omidvar Nous aurons pris le risque de nous concentrer sur une seule chose. Nous nous sommes concentrés sur une grande question et nous avons rehaussé la barre d’un cran. Cette grande question était peutêtre la réduction de la pauvreté, et nous avons réduit considérablement le nombre de personnes vivant dans la pauvreté dans notre pays. Nous avons réussi, non pas en voulant créer quelque chose pour laquelle le monde nous verrait comme leader, mais en mettant à profit l’intelligence que nous avons à l’intérieur de nos frontières, pour assurer que des changements audacieux ne se produisent. Et ceci nous a aidés à retenir les leaders en pensée créative, et à démontrer que le Canada a un appétit pour les risques. — Ebrahim En tant que Canadiens, nous sommes appelés à repenser à ce que nous voulons devenir et à ce que les autres verront en nous. Nous ne plaçons pas les bons investissements aux bons endroits, parce que nous ne savons pas où nous allons. Il nous faut être plus optimistes et réussir à pousser notre société vers la création de notre propre valeur. Les gens veulent se rallier derrière un avenir, mais à l’heure actuelle, personne ne leur décrit ce que sera cet avenir. Le leadership peut vraiment entraîner des changements, et les gens suivront ce qu’ils croient être une vision sensée pour le pays. Si la vision est claire, nous trouverons le moyen d’y arriver. Nous avons besoin de leaders inspirants venant des syndicats, des Premières Nations, des affaires, du gouvernement pour nous mener jusqu’à ce point. — Verschuren Nous aurions transformé notre économie Le Canada compte parmi les pays du monde dont la population vieillit le plus rapidement. Si nous conservons notre modèle social et économique actuel, la génération de travailleuses et travailleurs qui viendra dans vingt-cinq ans sera obligée de produire beaucoup plus que ma propre génération ou que celle de mon père. Par conséquent, nous devons devenir des chefs de file en éducation et en notre capacité de stimuler l’innovation et la créativité dans les sciences, les soins de santé et les services. — Ménard Le Canada serait reconnu comme chef de file à l’échelle mondiale sur le plan de l’innovation et de la politique exercée sur cette dernière. Les gens de toutes les convictions politiques reconnaissent que nous devons utiliser notre immense richesse en ressources afin de prévoir l’avenir et développer des industries secondaires. Je ne veux pas dire uniquement de fabriquer des objets, mais aussi d’innover en matière de politiques publiques. Nous aurions besoin de devenir une nation d’innovateurs. Avec un peu de pression et de coordination, nous pourrions être reconnus pour notre innovation et cela pourrait devenir notre marque internationale. — Rempel Le monde des affaires constitue la force la plus puissante de la société en ce moment. Étant donné ce que je viens de dire, ceci peut paraître étrange, mais je crois qu’avec de solides institutions démocratiques en place, cette puissance pourrait être utilisée pour créer un monde meilleur. Nous sommes à la veille d’une explosion de changements technologiques : de l’intelligence artificielle au biomimétisme aux merveilleuses percées médicales à Internet reliant les choses. Le Canada pourrait être à l’avant-garde de l’application pratique de ces innovations. Il faudrait d’abord rassembler tous les joueurs afin de pouvoir utiliser le maximum d’ingéniosité qui se trouve dans notre population, et ensuite, bâtir à même leur capacité de transformer les bonnes idées en actions concrètes. — Yalnizyan Le Canada sera vu comme un centre de créativité et non comme le vieux Canada qui produit du charbon et qui fabrique des voitures. Nous aurons adopté le concept des centres urbains comme moteurs pour obtenir le succès du Canada, et nous aurons investi dans notre infrastructure. Le Canada sera devenu l’endroit de choix pour les gens les plus créatifs et les plus innovateurs au monde. — Rossant Un réseau ferroviaire à grande vitesse reliera les grands corridors d’un bout à l’autre du pays. Il y aura un grand accroissement en ce qui a trait à l’usage des transports en commun, au cyclisme et à la marche, ainsi qu’une forte diminution du nombre de voitures dans les centres urbains. Plus d’entreprises comme Facebook viendront s’installer au Canada et y construiront leurs centres de données. Le Canada investira beaucoup dans les ressources à énergie renouvelable et dans sa capacité de vendre de l’énergie propre aux États-Unis. Nous verrons une augmentation dans la production d’énergie marémotrice sur les deux littoraux, ainsi que dans la production d’énergie géothermique, principalement celle de l’Alberta. Un plus grand nombre de foyers produiront leur propre énergie, qui à son tour, se réalimentera au réseau. Tout cela se traduira par la démocratisation de l’énergie et de l’économie; si personne n’est propriétaire des entrées d’énergie et si tout le monde peut produire de l’énergie pour servir la société, alors ce ne seront plus les mêmes qui détiendront le pouvoir. — Berman Nous avons la chance de servir d’excellent exemple de ce qu’est une économie de ressources qui, en même temps, est le moteur de l’innovation. Par notre engagement au-delà des frontières disciplinaires, organisationnelles, culturelles et gouvernementales, nous cherchons à obtenir des résultats environnementaux, sociaux et économiques qui profiteront à tous les Canadiens. — Lambert L’extraction et l’exportation des ressources est un plan de croissance qui est tellement du dix-neuvième siècle, tout comme le sont la répartition des bénéfices et le calcul des coûts. Nous avons besoin d’un plan différent. Non pas un Plan B, parce qu’il n’y a pas de Planète B. Le Plan A du Canada devrait nous aider à devenir une superpuissance énergétique du vingt-et-unième siècle, en construisant les maisons et les moyens de transport les plus écoénergétiques du monde. Nous vivons dans un climat froid et devons parcourir de longues distances. Nous devrions être des chefs de file mondiaux dans la maximisation de l’efficacité énergétique, quelle qu’en soit la source. Plutôt que penser à Énergie Est, pensons à l’énergie moindre. Le changement climatique force toutes les sociétés à affronter ce défi. Aucune nation ne peut réussir sur une planète qui échoue. — Yalnizyan Si les choses tournent bien au cours des vingt prochaines années, des changements d’attitude se seront produits vis-à-vis des ressources : il ne s’agira plus de ressources destinées à être extraites par des entreprises étrangères, mais des ressources qui font partie du paysage et des gens qui y vivent. Dans une grande mesure, c’est un savoir transmis par l’entremise de partenariats entre autochtones, qui se soucient de protéger ce dont auront besoin les sept prochaines générations. — Armstrong 29 La nouvelle économie viendra du fait que l’on trouvera des moyens plus efficaces de produire des aliments et de l’énergie, d’utiliser l’eau, d’extraire et de raffiner le pétrole et le gaz naturel, d’extraire des minéraux. Pourquoi ne pouvons-nous pas être le pays qui entreprend le défi de réduire l’empreinte carbone? Pourquoi ne pouvons-nous pas être le pays qui exploite les combustibles fossiles et les minéraux et autres produits semblables de la façon la plus responsable au monde? Nous excellons dans tant de choses! — Verschuren Nous aurions rétabli nos liens entre nous et avec notre terre On peut imaginer que plus les citoyens, les politiciens, les organismes, les différents composants de la société s’écouteront, échangeront et se reconnaîtront comme des acteurs complémentaires qui ont la capacité de collaborer afin de créer des solutions réelles. Nous aurons pris conscience que les solutions ne sont pas apportées par des organismes, des chercheurs ou des politiques, mais qu’elles sont issues de la société elle-même dans sa capacité à reconnaître chaque individu. — Duguay Si nous limitions nos exigences matérielles, nous aurions plus de temps pour nos relations personnelles, familiales et sociales. Si nous passions plus de temps à nous occuper les uns des autres, nous ne serions pas obligés de faire appel à l’appui du gouvernement. Ceci est une autre approche que celle de chercher à tout résoudre par voie de règles ou de lois. C’est facile de parler de l’avenir par rapport à ce qu’il devrait être, sur le plan économique, écologique, social et politique. J’y ajouterais la dimension spirituelle, aussi. — Manning Nous serions un pays où chaque individu jouirait d’une bonne qualité de vie, situation que nous n’avons pas encore atteinte. Nous tenons pour acquis le fait que même si nous venons d’une couche sociale modeste ou d’un milieu difficile, nous pouvons toujours réussir dans la vie, mais en fait, nous devons continuer d’offrir des chances d’égalité à tout le monde. — Fortier Le Canada serait un réseau national d’endroits intensément locaux, dont certains grands, plusieurs petits. Nous aurions trouvé le moyen de rendre à ces communautés leur caractère local, tout en assurant qu’elles soient reliées entre elles. Tout existe dans le contexte d’une relation et dans les relations saines je peux être plus moi et tu peux être plus toi. Voilà le type de relations que nous devons établir. Nos vies ne seraient pas dominées par des hyper compagnies lointaines dont les propriétaires vivent d’abord et avant tout pour le rendement de capital (éloigné). Nous aurions plutôt des entreprises de taille appropriée qui fonctionneraient de façon à renforcer le tissu de nos communautés. Bien sûr, il y a des cas où nous avons besoin d’entreprises nationales de distribution, mais il y a des manières créatives de réaliser des économies de taille, de placer le bien-être de nos communautés tout en haut de notre liste de priorités et au cœur même de nos prises de décisions. — Cobb C’est à ce moment-là que les choses changent vraiment, quand on commence à percevoir les comme des individus, quand on ne voit plus un seul aspect de leur identité. On se réunit autour d’intérêts communs et puisqu’on a des façons légèrement différentes de percevoir le monde ou d’avoir vécu l’expérience de se rapprocher du monde, il y a de l’apprentissage qui se produit. Il existe une humanité commune, un sens partagé de responsabilité envers la terre et les uns envers les autres, et c’est à partir de là qu’il nous faudrait commencer. — Restoule 30 « Nous aurons pris conscience que les solutions ne sont pas apportées par des organismes, des chercheurs ou des politiques, mais qu’elles sont issues de la société elle-même dans sa capacité à reconnaître chaque individu. » — Nadia Duguay 31 7 LENTILLE 7 Quels choix importants devons-nous faire? Comment utiliser prudemment nos ressources naturelles Les Canadiens ont besoin d’une bonne dose de réalisme par rapport à l’économie. Le secteur des ressources est le cheval qui tire la charrette économique actuelle. Nous devons davantage prêter attention au renforcement de ces industries et reconnaître ce qu’elles contribuent. Afin de maintenir notre haut niveau de vie, l’économie doit être assez forte pour défrayer les coûts de notre réseau de services sociaux. Au fur et à mesure que notre population vieillira, les pressions sur nos systèmes de soins de santé et sur nos régimes de retraite augmenteront. — Manning 32 Notre économie repose sur les ressources. Il est assez sûr de prédire qu’une économie basée sur les ressources ne fera rien pour nous dans vingt ans. Nous devons nous transformer, mais comment? Il y a bien des gens qui voudraient que Calgary soit en tête dans le domaine de l’énergie. Mais nous ne surpasserons jamais les Chinois en énergie solaire ou les Allemands en énergie éolienne. Si nous voulons occuper une niche dans l’économie mondiale, quelle serait-elle? — Gibbins Nous devons nous débarrasser de cette idée que nous ne sommes que de simples coupeurs de bois et puiseurs d’eau, et que nous ne sommes pas assez intelligents pour créer des industries secondaires et tertiaires. Nous ne pouvons pourtant pas nous permettre de continuer à exporter tous nos atouts. J’ai observé, depuis trop de décennies maintenant, notre exportation systématique vers d’autres pays des ressources brutes et de l’énergie que l’on aurait pu utiliser et raffiner ici. Plutôt que de dépendre des autres, nous devrions être beaucoup plus perspicaces dans notre façon d’utiliser nos ressources naturelles, en vue d’améliorer la vie des gens de notre pays. — Sterritt Nous sommes des hypocrites, dans le sens que nous récoltons volontiers les effets de l’essor économique et en même temps, nous en critiquons l’impact. Nous voulons l’argent, mais nous ne voulons pas la destruction de l’environnement. Que faisons-nous pour l’éviter? Avons-nous changé nos habitudes de consommation? Il faudra peut-être deux ou trois générations, mais ce que nous connaissons et avons connu depuis quatre ou cinq cents ans va changer, que nous causions nousmêmes ces changements ou que ce soit la planète qui les apporte. Nous entrevoyons déjà ce qui va se passer : les ravageurs se déplacent vers le Nord, le pays se réchauffe. Je voudrais vraiment savoir où nous allons aboutir. — Merchant La discussion de l’économie, d’une part contre l’environnement, d’autre part. Nous n’allons jamais innover si nous restons polarisés sur ces deux questions. Pourquoi ne pouvons-nous pas ajouter de la valeur à nos industries et en même temps assumer une plus grande part de responsabilité dans la gestion de nos ressources naturelles? — Verschuren Je suis inquiet pour le Grand Nord canadien. Au point de vue géographique, le Canada est surtout composé d’une immense masse de terre et d’eau pénétrant la zone arctique, particulièrement vulnérable au changement climatique et peu peuplée. Petit à petit, nous devenons plus conscients des problèmes et des préoccupations du Nord. Mais le défi posé dans le Nord ressemblera au défi posé pendant le développement du Canada à ses débuts. Il faudra y réaliser d’énormes investissements et l’attente sera longue avant de pouvoir en tirer « profit ». Les questions relatives à la souveraineté et à la sécurité seront primordiales. Les évaluations et les impacts potentiels exigeront une discipline et une concentration intenses. Sir John A. Macdonald doit se retourner dans sa tombe. — Emerson En tant que citoyen mondial, le Canada peut avoir plus de poids que nous n’osons le croire. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, nous avons déclaré la guerre à l’Allemagne nazie avant que l’Union soviétique ou les Américains ne l’aient fait. Nous avons fait preuve de vrai leadership. Évidemment, le leadership ne signifie pas d’aller se joindre à quelque expédition militaire; c’est une question de donner l’exemple. De même, le Canada pourrait jouer un rôle de chef de file à l’égard de problèmes tels que le captage du carbone. Entre 2005 et 2008, il y a eu une réelle poussée pour que le Canada devienne un leader mondial dans le captage et le stockage du carbone. Je suis profondément déçu que nous n’ayons pas joué ce rôle au moment où se manifestait un intérêt authentique à le faire, même dans le milieu des entreprises. Lorsque Stephen Harper est arrivé au pouvoir, tout cela a disparu. Le Canada pourrait revenir à l’avant-garde. Nous pourrions dire : « Voici ce que nous faisons. Voici nos politiques. Qui peut faire de même? » Et puis, nous pourrions vendre nos technologies et notre savoirfaire de façon à aider véritablement les pays en développement, comme la Chine, à réduire rapidement leurs émissions sans pour autant encourir l’énorme dépense de fermer toutes leurs centrales au charbon. — Jaccard Si nous voulons persévérer dans l’industrie des sables bitumineux, nous devons apprendre de nos erreurs passées et démontrer que nous savons être les bons gardiens de cette ressource complexe dont nous avons hérité par hasard. Cette activité se produira sans doute; tant et aussi longtemps que le prix du pétrole sera plus élevé que 50 $ environ le baril, l’extraction se poursuivra. Nous devons agir avec détermination pour la rendre moins chère, plus propre, plus verte, plus rapide et plus sécuritaire, et ensuite nous devons appliquer cette propriété intellectuelle à d’autres défis écologiques et à d’autres procédés industriels dans le monde. Cela devrait être notre prochain projet comme bâtisseurs de la nation, soit créer une valeur à long terme à partir de ce profit de courte durée. — Iveson En revanche, il est frustrant que l’industrie soit si durement critiquée et ne soit pas reconnue pour ses réalisations. En fait, les personnes qui passent le plus de temps à dire du mal des Canadiens sont les Canadiens euxmêmes. Toutefois, à cause de nos normes réglementaires, de l’État de droit et de notre façon de fonctionner, le Canada est l’un des cinq plus importants pays producteurs d’énergie au monde. Cela n’a pas de sens que tant d’effort et d’argent soit dépensé pour diminuer notre rôle. Si l’on veut que le monde soit un meilleur endroit où vivre, pourquoi voudrait-on en éliminer un des principaux producteurs? — Tertzakian Le rôle que nous devons jouer dans le monde Nous vivons dans une économie mondialisée et en tant que pays, nous devons décider quelle place nous souhaitons occuper dans le monde. Le Canada occupe aujourd’hui une place qui est fort différente de celle qu’il occupait il y a quinze ans. Nous devons décider, à partir d’une perspective culturelle, si nous sommes à l’aise avec l’idée de devenir un défenseur franc et agressif au sujet de nos convictions sur la scène mondiale. Sinon, sommes-nous plus à l’aise dans notre rôle traditionnel de gardien de la paix et de médiateur : amical, ni agressif ni revendicateur et penchant vers le consensus? Il est clair que nous n’en sommes pas là aujourd’hui. — Nixon Nous faisons face à de constants défis quand il s’agit de savoir jusqu’à quel point nous sommes prêts à ouvrir nos portes au reste du monde, que ce soit au niveau de l’immigration, du commerce ou de l’investissement. Le Canada se dit internationaliste, et bien des gens se reconnaissent dans cet aspect de notre histoire. Mais quand on songe à un enjeu en particulier, disons au commerce plus libre avec l’Europe ou au Partenariat Trans-Pacifique, il faut prendre une décision : va-t-on encourir un certain risque, s’engager avec le reste du monde, envisager quelques pertes pour récolter des gains? Ou va-t-on se retenir, éviter tout risque et tenter de garder les choses comme elles sont? Ces choix comptent. Ils sont sensés et ils se dirigent dans deux voies tout à fait différentes. — Robson Il faudra que nous prenions des décisions difficiles sur qui nous allons être et ce que nous allons faire dans le monde. Nous sommes un petit pays et nous ne pouvons pas tout faire. Toute tentative dans ce sens affaiblit notre impact où que nous allions. Nous avons besoin de nous engager dans ce débat. C’est ainsi que les Canadiens deviendront fiers au lieu d’être furieux. — Stein Il y a deux ans environ, j’ai eu une conversation avec un diplomate européen d’un certain âge pendant les pourparlers climatiques de l’ONU en Afrique du Sud. Les larmes aux yeux, il m’a dit : « Cela fait trente-cinq ans que je suis diplomate, et bon nombre de sujets sur lesquels je me suis penché impliquaient des partenaires canadiens. Tout cela a changé. Je ne 33 comprends pas. Qu’arrive-t-il au Canada? » Ce fut un moment viscéral qui m’a fait penser que « je voudrais de nouveau être fière du Canada ». Nous sommes le pays qui a contribué à résoudre le problème du trou dans la couche d’ozone. Nous devons décider si nous serons à la tête du monde en ce qui a trait à la durabilité, à la justice sociale et à d’autres enjeux intransigeants. — Berman Comment augmenter notre capacité de risquer et d’innover Nous sommes la première génération à savoir que les choses vont probablement s’empirer. Bien sûr, on peut voir à ce qu’elles soient un peu moins mauvaises, mais même si l’on arrête dès demain d’extraire les combustibles fossiles du sol, il y aura déjà eu des changements climatiques irréversibles qui se répercuteront sur notre façon de vivre. Nous cherchons maintenant à trouver des solutions. Si nous pouvions mettre en œuvre des solutions qui permettent de changer la manière dont les choses se sont faites et de défier la dynamique du pouvoir, alors nous pourrions en sortir encore plus forts. — Possian Nous avons l’occasion de nous affirmer — de redéfinir notre marque — comme plus grande puissance, vu ce qui se passe dans le monde. Il y aura neuf milliards de personnes à nourrir en 2050 et nous avons des politiques agricoles parmi les plus fortes au monde. Durant la crise mondiale de 2008, nous avons su démontrer notre prouesse financière et nous continuons d’être un chef de avec nos systèmes fiscaux et bancaires, notre stabilité et notre taux de chômage relativement bas en comparaison avec d’autres nations. Mais exportons-nous suffisamment ce bassin de connaissances? Non! Mettons-nous assez en évidence combien nous sommes impressionnants? Non! On appelle cela le « syndrome du coquelicot le plus grand » — nous ne voulons pas attirer l’attention en étant le coquelicot le plus grand dans le champ, alors quand les Canadiens font des choses extraordinaires, nous ne voulons pas en accepter le mérite. J’aimerais nous voir plus patriotiques, mais tant que le monde extérieur ne nous applaudit pas, nous ne nous applaudissons pas nous-mêmes. L’humilité est une qualité louable, mais non pas si elle nous empêche d’avancer. — Mohamed 34 Nous devons décider dans quel genre de pays nous voulons être. On investit beaucoup à l’heure actuelle dans l’innovation au sein de la fonction publique, et cet investissement va s’épuiser si nous ne nous engageons pas à mettre en œuvre certaines des grandes idées qui ont circulé. Arrêtons de parler de l’expérimentation et commençons à nous engager envers de nouvelles approches pour résoudre les problèmes. Si nous ne pouvons pas faire cela, alors nous devrions simplement nous engager à être un pays qui suit les autres. — Ebrahim Pour que le Canada soit sur une trajectoire positive à l’avenir, nos systèmes doivent devenir plus poreux et doivent accueillir plus volontiers les idées émergentes et les perturbations. En ce moment, il semble que les structures en place ne savent pas métaboliser les bonnes idées et les nouvelles perspectives, même si nous les avons trouvées nous-mêmes. — Glencross Nous constituons une société soumise aux règles. Nous n’aimons pas prendre trop de risques. La paix, l’ordre, la bonne gouvernance : c’est ce que nous sommes. Ne pas prendre de risques veut dire nous entourer des mêmes idées ressassées et des mêmes personnes qui reflètent ces idées. La recherche montre que si nous voulons développer ce genre de pensée rigide, nous devons avoir une équipe homogène. Par contre, si nous souhaitons produire quelque chose de nouveau, de différent, d’un peu fou, alors nous devons nous assurer d’avoir une équipe de gens complètement différents de nous. Cela peut créer des conflits temporaires et du chaos, mais cela va aussi engendrer de la créativité et nous avons besoin de cette créativité. — Omidvar Jusqu’à maintenant, la société canadienne a été comparativement ouverte à l’innovation. Nous sommes plutôt à l’aise avec les gens qui viennent ici et font les choses différemment. Tout cas individuel, où des intérêts établis essaieraient d’arrêter l’introduction de quelque chose de nouveau ou d’empêcher la concurrence d’entrer en jeu, peut à première vue ne pas sembler très grave. Toutefois, il s’agit d’une bataille de plus grande envergure : ce qui est par opposition à ce qui pourrait être. En tant que société, nous souhaitons que ceux, qui ont de l’initiative et tentent de faire quelque chose de novateur et de différent, puissent y gagner plus qu’y perdre. — Robson « Arrêtons de parler de l’expérimentation et commençons à nous engager envers de nouvelles approches pour résoudre les problèmes. » — Zahra Ebrahim 35 8 LENTILLE 8 Que nous faudrait-il pour réussir à créer un bon avenir? Avoir le courage de reconnaître nos défis Les personnes dotées de vision, d’intelligence, de sagesse et d’énergie devront s’extraire de leurs zones de confort et se dévouer à la tâche de convaincre leurs concitoyens que nous avons beaucoup de travail ardu à faire. Il y aura de la controverse et parfois de brefs sacrifices à faire, mais les Canadiens devront appuyer les leaders qui assumeront le gros du travail, non pas 36 pour des raisons de défendre leurs intérêts, mais pour des raisons de fierté nationale et de foi en notre responsabilité envers les générations futures. Si les gens ayant des talents exceptionnels ne se manifestent pas et si les Canadiens ne leur donnent pas l’appui qu’il faut, le scénario négatif deviendra le scénario de base. — Emerson Les principales forces de changement aujourd’hui ne sont pas canadiennes; elles sont mondiales. Le Canada prospère ou réussit moins bien en fonction de sa compréhension du monde qui l’entoure. Quand il ne le comprend pas, les choses ne vont pas bien… Il nous faut également créer un contexte dans lequel les sujets les plus importants du moment dominent le discours public. Lisez cinq journaux et écoutez cinq postes de radio aujourd’hui, et aucun d’eux ne mentionnera ces sujets. Faites-en de même à Singapour et eux les mentionneront. En Suède, ils le feraient aussi. — Lynch Nous ne pouvons pas nous permettre d’aborder l’avenir en somnambules; nous devons être pleinement conscients de notre insatisfaction envers la voie dans laquelle nous sommes engagés et nous devons nous servir de notre volonté collective pour apporter les changements nécessaires. La course est commencée, entre ce que nous pouvons faire par intentionnalité et volonté, et ce que réussiront à faire les forces qui sévissent au sein de la société canadienne, si l’on n’intervient pas. — Reid Avec un cycle électoral de quatre ans, les politiciens mènent leurs campagnes et peignent un très joli tableau, mais ils ne racontent pas l’histoire au complet. Une fois au pouvoir, ils se rendent compte qu’ils ont de dures décisions à prendre. Et puis les gens sont mécontents parce que les élus ne font pas ce qu’ils avaient promis de faire. Quand nous élisons certains individus, il nous faut avoir le courage de les laisser faire ce qu’ils doivent faire sans succomber à la pression de faire ce qui est bien vu par le public. — Pereša Nous avons connu des moments spectaculaires où nous aurions dû nous arrêter et dire : « Attendez un peu, ceci est vraiment mauvais. » Nous devons constamment saisir ces moments et se politiser à leur sujet, organiser des événements autour d’eux, apprendre ces moments à d’autres, les exposer. Il nous faut dire aux personnes blanches : « Je ne veux pas que vous m’aidiez. Je veux que vous compreniez que votre vie sera vraiment mauvaise si rien ne change. » Si vous désirez vivre derrière les barricades et avoir des fusils et tirer sur les gens qui vous confrontent, si vous croyez que ce serait la bonne vie, alors vous ne verrez pas la cause commune. Mais vous ne pourrez pas avoir une vie agréable, encore moins une vie morale, au milieu d’une société où tant de choses affreuses arrivent à d’autres. — Razack Au cours des derniers 400 ans de civilisation humaine, on est passé du temps où les rois possédaient à eux seuls un pouvoir qui, disaient-ils, leur venait directement de Dieu, à l’avènement de la démocratie où le pouvoir venait du peuple. Ceci démontre qu’il est possible pour l’humanité de surmonter la barbarie. Mais nous sommes en train de recréer les élites aristocratiques qui accaparent le pouvoir. Heureusement, nous avons un sens solide du passé, et nous avons la capacité de renverser les tendances. C’est pour ça que je peux dormir la nuit. Mais il faut persévérer, et de temps en temps il faut se mettre en colère. — Venne Nous engager et agir en partenariat pour relever ces défis Nous ne contribuons pas selon notre plein potentiel, ni à l’intérieur de notre pays ni à l’extérieur dans le monde. En tant que sociaux-démocrates, nous avons tendance à trop vouloir nous en remettre aux autres, en partie par souci de respect, mais aussi à cause d’une sorte de passivité qui nous pousse à vouloir attendre qu’on nous guide. La façon pour nous de mieux agir serait d’assumer la responsabilité de ce que sera le Canada à l’avenir. Il faut que nous nous rappelions que la solution ne viendra pas du gouvernement et elle ne viendra pas non plus d’ailleurs : le Canada sera ce que nous en ferons. — Ménard La société est restée dans une relation dominant/dominé dans laquelle elle n’a rien à apprendre des autochtones, mais n’a seulement qu’à les aider. Mais il n’y a personne qui n’aide personne, chacun a quelque chose à apprendre ou à donner à l’autre, peu importe sa position sociale. On ne peut pas construire le Canada de demain sans tous les Canadiens. Se positionner en tant qu’apprenant et non comme maître disposant du savoir est indispensable à la création d’un dialogue social inclusif. — Duguay Le Gouverneur général nous a lancé un appel pour créer « un pays de cœur et d’avenir », une nation éclairée et bienveillante. C’est une bonne juxtaposition : il nous faut des gens remplis d’aspirations et d’ambitions qui désirent consacrer leurs talents et leurs efforts à leur propre amélioration et à celle de la collectivité. Pour franchir les étapes nécessaires sur le plan des connaissances et de la créativité, nos leaders devront être réceptifs à de nouvelles idées et pouvoir entendre divers points de vue provenant de personnes ayant des origines, des expériences et des cultures différentes. — Fortier Si nous échouons dans notre tentative d’apporter les changements nécessaires, ce ne sera pas parce que les solutions n’existaient pas ou parce qu’elles n’étaient pas économiquement viables. Ce sera parce que nous ne pensions pas en être capables et n’avons pas mobilisé assez de gens de tous les secteurs de notre société pour que ceci devienne une réalité. — Guilbeault Depuis quelque temps, je réfléchis sur les moyens de travailler ensemble à l’avenir en vue de relever les défis écologiques ou sociaux. Je me sers d’une métaphore inspirée par le cyclisme routier du même type que celui du Tour de France, une course intensément compétitive, avec plusieurs équipes de cyclistes et stratégies, et aussi une course profondément collaborative. Les cavaliers seuls n’y ont pas leur place. Chacun doit faire sa part. Il faut que la confiance règne. Le but est d’accélérer le progrès pour atteindre un résultat prédéfini. Pouvons-nous créer de tels pelotons pour mobiliser les efforts et les talents conjoints en vue d’atteindre nos résultats ambitieux, hardis et positifs? — Lambert Si nous faisons confiance aux individus et les invitons plus souvent à participer aux délibérations et aux décisions entre — et non seulement pendant — les élections, le Canada deviendra de nouveau un pays vivant, prospère, durable et progressiste. Pour y arriver, nous devrons rendre possibles les conversations entre citoyens, surtout à propos d’enjeux importants et complexes. — Graham Nous, au Canada, avons besoin de nous créer une vie symbolique, qui soit assez convaincante pour donner aux Canadiens un sens d’appartenance et offrir un monde de possibilités, tout en communiquant nos valeurs au reste de la planète. Il est facile à l’heure actuelle de vivre n’importe où dans le monde, de rester branché par l’entremise d’écrans et de vivre dans un univers symbolique qui n’a rien à voir avec le sentiment d’appartenance à un lieu. Mais je crois néanmoins qu’en habitant ensemble dans les collectivités et en partageant des institutions, des valeurs et un système politique communs, nous serons en mesure de créer un espace symbolique unique, où nous nous rencontrerons, discuterons, rêverons et imaginerons notre avenir.— Brault 37 Partie 2 : 52 INTERVIEWS 38 39 → Jeannette Armstrong, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur le savoir et la philosophie des Okanagan à l’Université de Colombie-Britannique, interviewée le 7 novembre 2014 par Elizabeth Pinnington Jeannette Armstrong sur LE BESOIN DE DÉPASSER la compréhension colonialiste : « La réindigénisation signifie devenir responsables de l’endroit où nous vivons. » PINNINGTON ARMSTRONG Dans votre expérience personnelle, à quoi attribuez-vous l’orientation des perspectives que vous avez et le travail que vous faites, aujourd’hui? Je suis autochtone et je suis autochtone de cette partie du Canada, des régions tribales du Plateau, et plus particulièrement, de la Nation salish de l’Intérieur. Donc UNE DES CHOSES QUI DICTE MA Donc qu’est-ce que la réconciliation implique? PERSPECTIVE, C’EST QUE CECI N’EST PAS LE CANADA : CECI EST LE TERRITOIRE SYILX. Et ceci est le territoire Syilx depuis au moins la période préglaciaire, selon toutes les recherches qui ont été faites par les linguistes et les archéologues. Une seule culture, ici sur ce territoire. Par conséquent, l’histoire de mon peuple dicte ma façon de voir la colonisation du Canada. Par exemple, quand j’étais au secondaire et puis à l’université, on nous enseignait l’histoire du Canada. Je me suis rendu compte qu’ici, l’histoire locale était vraiment déformée, d’après ce qu’on lisait dans les livres scolaires. On y présentait les premières colonies d’un point de vue très positif et dilué, afin que ce soit plus acceptable dans le système d’éducation de la société coloniale. C’est quelque Je crois que la société en sortira meilleure de ce fait et je crois que les Canadiens sont dans une grande mesure désireux de bien agir, s’ils sont renseignés. Je suis très optimiste que les peuples du Canada sont prêts à choisir la voie la plus honnête et serviront ainsi de modèles pour le reste du monde. Je regarde ce cent cinquantième anniversaire et je me dis : « Si c’est un anniversaire, qui donc s’est marié ici? » Les partenariats avec les peuples autochtones sont néces- 40 Si vous pouviez poser trois questions à un sur l’avenir du Canada, qu’aimeriez-vous lui demander? chose qui a vraiment influencé ce que je ressens à propos de ces injustices qui n’ont pas été réparées. La réconciliation n’est pas seulement d’entendre la vérité, c’est d’agir sur la vérité, d’apporter des changements et de remédier à certaines injustices graves qui se produisent toujours à l’heure actuelle et qui sont toujours bien présentes (l’injustice économique, par exemple). Les proclamations gouvernementales continuent de voir nos terres comme des terres à prendre, des ressources à prendre, sans jamais reconnaître la vérité. Nous occupons ces terres légalement depuis des milliers d’années et avons le droit de prendre part aux décisions touchant ces terres, autant les décisions portant sur leur développement que les décisions portant sur leur protection. Alors ce sont là certains enjeux qui d’après moi restent encore à régler, et sur lesquels le Canada doit se pencher en réfléchissant à ses cent cinquante années d’existence. des populations coloniales. Pourtant nous avons survécu en affirmant nos propres identités et nous continuerons de survivre avec nos propres identités, et c’est pour le bien du Canada et non à son détriment. Le fait d’avoir trouvé des moyens de survivre nous a donné des forces, des outils, ainsi qu’une meilleure compréhension de la façon dont nous pourrions être des partenaires dans ce pays. D’abord, le Canada a-t-il abandonné sa compréhension colonialiste de ce qu’est le Canada? S’est-il indigénisé devant la réalité de ce pays-ci ou a-t-il conservé une ancienne interprétation européenne de domination et de gouvernance? L’autre chose que je demanderais, c’est à quel point sommes-nous arrivés en comparaison avec d’autres nations du monde, qui sont beaucoup plus avancées que le Canada quant à leur examen des questions fondamentales qui se rapportent au savoir autochtone et aux peuples autochtones? Alors en poursuivant l’exemple du changement climatique, sommes-nous vraiment en train de nous indigéniser à cet égard, et sommes-nous en train de revoir les systèmes éducatifs et médiatiques afin qu’ils reflètent cette indigénisation? Ce que cela veut dire c’est que très, très peu de gens n’importe où comprennent quoi que ce soit de leur environnement, de leur bassin hydrographique, de leur faune et flore autochtones, et pourtant ils votent en vue de prendre des décisions sur ces choses. Donc la réindigénisation ne veut pas dire transformer les personnes en Indiens ou je ne sais quoi, cela signifie devenir responsables envers l’endroit où nous sommes, d’avoir un point de vue informé permettant des prises de décisions éclairées sur des questions qui nous concernent tous. Aussi, je demanderais si le Canada a adopté une position ferme pour ce qui est de travailler conjointement avec ses partenaires autochtones, en vue de résoudre certains problèmes qui touchent profondément la société tout entière. Par exemple, ces politiques qui créent des minorités, ou l’idée qu’il existe des minorités. Vraiment, il ne s’agit que d’un concept, un concept qui crée des ethnies et l’idée qu’il existe des minorités. En réalité celles-ci n’existent pas ; nous sommes des êtres humains et nous vivons dans différentes régions de ce pays, et nous devons utiliser différentes méthodes et procédures pour coopérer au niveau local vis-à-vis de l’environnement ou de nos besoins économiques ou de nos exigences sur le plan social. Il n’y a pas de minorités dans tout cela. « Je regarde ce cent cinquantième anniversaire et je me dis : « Si c’est un anniversaire, qui donc s’est marié ici? » saires pour améliorer la situation qui existe actuellement dans les communautés autochtones partout dans ce pays. Par exemple, la façon dont nous définissons l’indigénéité en soi peut déterminer comment nous devons aborder le changement climatique. Les autochtones ont survécu à ces cent cinquante années. Tout comme George Manuel et d’autres dirigeants ont dit dans le passé, nous n’étions pas censés survivre : nous devions être entièrement assimilés et être comme le reste i les choses S tournent bien au cours des vingt prochaines années, que se sera-t-il passé? i les choses tournent bien au cours des S vingt prochaines années, des changements d’attitude se seront produits vis-à-vis des ressources : il ne s’agira plus de ressources destinées à être extraites par des entreprises étrangères, mais des ressources qui font partie du paysage et des gens qui y vivent. Dans une grande mesure, c’est un savoir transmis par l’entremise de partenariats entre autochtones, qui se soucient de protéger ce dont auront besoin les sept prochaines générations. Si dans vingt ans, la conjoncture légale a ouvert certaines portes et a avancé vers un partenariat authentique et équilibré avec les peuples autochtones, le Canada aura franchi un pas de géant. 41 Scott Baker, Jonathan Glencross, Humera Jabir, Chris Penrose, et Amara Possian sur → Scott Baker, chercheur-boursier au Studio Y de MaRS Discovery District; Jonathan Glencross, consultant chez Purpose Capital; Humera Jabir, étudiante en Droit à l’Université McGill; Chris Penrose, directeur exécutif de Success Beyond Limits et Amara Possian, directrice de campagne à Leadnow.ca, tous interviewés le 1er septembre 2014 par Adam Kahane LA COMMUNAUTÉ : « Les endroits que je trouve les plus inspirants et énergisants sont ceux où il y a des jeunes. » KAHANE GLENCROSS Qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit? Je suis particulièrement préoccupé par le fait que les gens semblent incapables d’imaginer un avenir entièrement différent, non seulement en tant qu’individus, mais aussi en tant que pays. Parmi mes amis les plus branchés et les plus engagés, il y en a qui passent beaucoup de temps à défendre leurs activités courantes en opposition à ce qu’on leur disait quand ils étaient plus jeunes : allez à l’école, décrochez un bon emploi, travaillez fort, fondez une famille, établissez-vous dans un bel endroit et sachez raconter simplement ce que vous faites. Cette préoccupation les empêche de rêver à de nouvelles manières de fonctionner. POSSIAN Je pense beaucoup à nos candidats politiques qui ne peuvent pas offrir des visions convaincantes de l’avenir. Les endroits que je trouve les plus inspirants et énergisants sont ceux où il y a des jeunes qui discutent entre eux de ce à quoi pourrait ressembler l’avenir. Mais nous ne sommes pas les détenteurs du pouvoir. Le système politique — où se trouve le pouvoir décisionnel officiel — est comme une barrière. C’est quelque chose qui favorise le désengage- Si les choses tournent mal dans vingt ans, que se sera-t-il passé? 42 ment. Et de plus, nos mouvements sociaux sont fragmentés. Nous sommes d’accord sur quatre-vingt-dix-neuf pour cent des choses, nous reconnaissons qu’il nous faut affronter des forces systémiques, mais parfois, il semble que nous n’allons jamais pouvoir travailler ensemble. Nous avons peut-être les mêmes objectifs, mais nous n’avons pas nécessairement la capacité d’agir collectivement. JABIR Je viens d’un milieu d’immigrants et ma ville, Toronto, est maintenant une ville majoritairement composée d’immigrants. Ceci a formé ma compréhension des personnes qui se considèrent en marge où qui ne font pas partie du discours politique conventionnel. Je m’inquiète beaucoup de l’inégalité et de ceux qui sont laissés pour compte dans nos décisions d’avenir. Lorsque les services sociaux sont réduits ou supprimés, lorsque le chômage chez les jeunes est négligé, lorsque la dette est mise sur le dos des jeunes... toutes ces actions limitent la prospérité future des gens ainsi que leur capacité d’avoir une voix et de participer de façon égale à la société. PENROSE POSSIAN Nous n’avons pas changé de direction. Nous avons continué de dépendre de choses qui compromettent notre environnement. Les mêmes types de personnes prennent les décisions et occupent des postes publics. Nous avons pris du retard dans l’établissement de l’infrastructure dont nous avons besoin. Nous avons continué à fonctionner avec une mentalité de pénurie, ce qui a fini par faire du mal aux gens les plus touchés par les inégalités sociales. À un moment donné, nous avons perdu confiance en notre vision. Nous nous trouvons maintenant dans une situation où UN PETIT SEGMENT DE LA SOCIÉTÉ A RÉUSSI À RENDRE IMPORTANTES AUX YEUX DE LA PLUPART DES GENS CERTAINES QUESTIONS PEU PERTINENTES. SI CETTE TENDANCE SE POURSUIVAIT, NOUS SERIONS NOMBREUX À NOUS SENTIR TELLEMENT IMPUISSANTS QUE NOUS NOUS RETIRERIONS COMPLÈTEMENT. Nos dirigeants n’ont pas reconnu la valeur d’avoir tout le monde qui bouge ensemble, y compris les moins riches et les moins puissants. C’est une manière très risquée de procéder. Si nous restons sur la tra- jectoire du démantèlement d’un grand nombre de nos structures sociales et nos mesures d’appui au bien-être, et si nous continuons à apporter des modifications radicales à nos lois, nous pourrions créer le type d’inégalité enracinée que nous voyons aux États-Unis et au Royaume-Uni. GLENCROSS JABIR Pour que le Canada soit sur une trajectoire positive à l’avenir, nos systèmes doivent devenir plus poreux et doivent accueillir plus volontiers les idées émergentes et les perturbations. En ce moment, il semble que les structures en place ne savent pas métaboliser les bonnes idées et les nouvelles perspectives, même si nous les avons trouvées nous-mêmes. Nous nous engagerions à travailler ensemble pour mener à bien un projet d’envergure nationale. La Finlande a réussi à se concentrer sur un des meilleurs systèmes d’éducation au monde. Il est impossible de tout résoudre, mais si nous pouvions rechercher l’excellence dans un seul domaine, cela nous donnerait un peu de motivation. JABIR Si les choses tournent bien, que pourrait-on en dire et comment les choses se seraientelles déroulées? « Nous sommes peut-être plus conscients des barrières qu’une génération plus âgée qui aurait déjà trouvé son chemin. Il existe un grand sentiment d’anxiété parmi les membres de ma génération. » Ce que je remarque dans cette conversation jusqu’à maintenant, c’est combien vos commentaires initiaux ont été plus désespérés que ceux de bien d’autres personnes que nous avons interviewées. Je me demande si vos positions de jeunes leaders vous font voir des choses que d’autres plus âgés que vous n’ont pas captées. Qu’est-ce qui vous anime? JABIR Nous sommes peut-être plus conscients des barrières qu’une génération plus âgée qui aurait déjà trouvé son chemin. Il existe un grand sentiment d’anxiété parmi les membres de ma génération. Vous pouvez le constater par le nombre de jeunes qui ont recours aux conseils des praticiens de santé mentale dans les universités ou qui sont stressés à l’idée de trouver un emploi. Bien des gens appartenant au groupe d’âge de vingt à trente ans ignorent quel sera leur prochain geste, ou comment ils devront s’y prendre pour arriver là où ils veulent aller. BAKER C’est facile pour moi de décrire le pire des scénarios et c’est difficile pour moi de décrire le meilleur des scénarios et comment on y arrive. C’est probablement très caractéristique du millénaire. À partir du moment où nous avons commencé à ressentir une certaine curiosité vis-à-vis du monde, nous avons appris que les choses sont allées de mal en pis à bien des égards. Nous avons JABIR Nous avons beau parler des changements liés aux politiques et de tout ce qu’il importe de faire aux plus hauts niveaux, mais en fin de compte, il faut commencer par les familles et les communautés. Si ces éléments ne sont pas solides, alors la création de mouvements et l’activisme ne sont pas également fini par comprendre que le monde bouge de façon incroyablement rapide et imprévisible, et par conséquent, en affrontant des défis terrifiants, nous sommes confiants que demain les choses pourraient être très différentes qu’elles ne le sont aujourd’hui. C’est ce qui continue de me motiver malgré tout mon pessimisme. POSSIAN Nous sommes la première génération à savoir que les choses vont probablement s’empirer. Bien sûr, on peut voir à ce qu’elles soient un peu moins mauvaises, mais même si l’on arrête dès demain d’extraire les combustibles fossiles du sol, il y aura déjà eu des changements climatiques irréversibles qui se répercuteront sur notre façon de vivre. Nous cherchons maintenant à trouver des solutions. Si nous pouvions mettre en œuvre des solutions qui permettent de changer la manière dont les choses se sont faites et de défier la dynamique du pouvoir, alors nous pourrions en sortir encore plus forts. possibles. Un des problèmes les plus difficiles à surmonter, c’est l’immense solitude que bien des gens ressentent. En devenant de plus en plus isolés, nous perdons les bases nécessaires pour faire quoi que ce soit de ce que nous voulons faire. Je veux rapprocher les gens, parce que sans cela, tout le reste n’est vraiment pas possible. 43 Jim Balsillie → Jim Balsillie, cofondateur de RIM/BlackBerry, interviewé le 22 septembre 2014 par Monica Pohlmann sur LA COMMERCIALISATION de nos idées : « Avec toute notre créativité, nos gens intelligents et nos vaillants travailleurs, pourquoi n’avons-nous pas mieux réussi? » POHLMANN BALSILLIE u’est-ce qui vous Q préoccupe au sujet du Canada? Laissez-moi dire tout d’abord que je suis extrêmement optimiste face aux perspectives d’avenir du Canada. Nous avons de forts éléments fondamentaux ainsi qu’une main-d’œuvre créative. Toutefois, je me préoccupe de la prospérité du Canada, précisément sur la façon de voir comment nous commercialisons nos idées à l’échelle mondiale. Au cours des trente-deux dernières années, la croissance dans la productivité multifactorielle du Canada — (qui mesure comment nous commercialisons nos idées) — a été de zéro pour cent. Et pourtant, pendant cette même période aux États-Unis, la productivité multifactorielle a grimpé en flèche. Avec ce type de prospérité, on peut payer pour avoir une multitude de services sociaux, d’hôpitaux, d’écoles et de réseaux de transport. En tant que pays jouissant d’une immense créativité, de gens intelligents et de vaillants travailleurs, pourquoi n’avons-nous pas mieux réussi à commercialiser nos idées. intérieur, et les structures reliant le secteur public et le secteur privé qui se penchent sur des questions importantes s’étalant sur plusieurs horizons temporels. Nous avons su bien calculer un grand nombre d’éléments macro-économiques, par exemple en assurant la stabilité de notre système bancaire ainsi que des régimes monétaires et fiscaux du gouvernement. Nous avons généreusement investi dans tous les domaines micro-économiques comme les incitatifs fiscaux, les programmes de subventions et le financement de projets RD, la question n’est donc pas d’avoir accès à plus d’argent du gouvernement. La question que nous devons nous poser est plutôt : « Comment se fait-il que toutes ces microcontributions ne nous donnent pas les macrorésultats voulus, alors que notre système est généralement si stable? » IL EXISTE À LA FOIS UN DÉFI ET UNE OCCA- Au Canada, durant le siècle dernier, nous avons réussi en assez grande mesure à gérer un écosystème favorisant une économie de ressources, et nous continuons de prospérer à cause de cela. Cet écosystème comprend les éléments physiques, tels que les réseaux routiers et les pipelines, les éléments géopolitiques, tels que l’accès aux marchés et la protection des investissements, les universités qui ont correctement instruit les étudiants et qui ont réalisé des travaux de recherche dans des domaines pertinents, sans oublier les tribunaux qui ont rendu des jugements impartiaux à l’égard de causes touchant le commerce 44 SION CRITIQUES POUR LES ÉLABORATEURS DE POLITIQUES ET LES CHEFS D’ENTREPRISES : C’EST DE COMPRENDRE ENTIÈREMENT LES DIFFÉRENCES ENTRE UN ÉCOSYSTÈME FAVORISANT UNE ÉCONOMIE DE RESSOURCES ET UN ÉCOSYSTÈME PRIVILÉGIANT UNE ÉCONOMIE D’INNOVATION PUIS DE S’ASSURER QUE TOUTES LES LACUNES SOIENT COMBLÉES. Une fois ce but at- teint, je suis convaincu que notre cote de rendement pour ce qui est de la commercialisation se mettra à grimper selon nos expectatives de toujours, vu nos niveaux d’investissement et nos compétences de calibre mondial. Quelles décisions importantes le Canada devra-t-il prendre pour combler ces lacunes dans l’écosystème et créer une économie d’innovation? Il nous faut réorienter nos engagements nationaux et géopolitiques vers la commercialisation d’idées, surtout dans le domaine complexe, prédateur et changeant de la gestion des droits de propriété intellectuelle. La propriété et la commercialisation d’idées intangibles sont tout à fait différentes de ce que cela représente pour les ressources naturelles tangibles. De plus en plus, il faudra faire preuve de grande dextérité, au fur et à mesure que de nouvelles économies émergentes chercheront aussi à promouvoir leurs propres innovateurs et au fur et à mesure que divers régimes de tarification du carbone s’inséreront dans le commerce mondial. Le corps universitaire doit mener à bien des travaux de recherche sur la commercialisation d’idées et nos écoles doivent l’enseigner, les tribunaux doivent adopter une stratégie pour la défendre, les programmes industriels doivent l’encourager et les structures reliant les secteurs public et privé doivent faire en sorte qu’elle soit considérée comme une priorité. La commercialisation, c’est là où le jeu de l’innovation se gagne ou se perd : c’est là où l’on vous paye pour vos idées. Quand on est payé pour ses idées — autrement dit, quand il y a un transfert de droits de propriété intellectuelle —, on peut dire qu’on a atteint la productivité multifactorielle, on a atteint la prospérité et la richesse, et on peut dépenser l’argent là où l’on veut. « Si les Canadiens veulent gagner, ils savent comment s’y prendre. » Quelles leçons importantes pouvons-nous apprendre du passé? Lorsque le Canada a été le pays hôte des Jeux olympiques d’abord à Montréal, puis ensuite à Calgary, nous n’avons pas remporté de Médailles d’or comme nation. Nous sommes sortis profondément déçus de notre performance nationale. Mais tout à notre honneur, nous n’avons pas cherché d’excuses en prétendant que les Médailles d’or n’avaient pas d’importance. Au contraire, nous avons mis sur pied et financé un programme cohérent appelé « À nous le podium » et avons réalisé son objectif ambitieux aux Jeux olympiques de Vancouver en remportant quinze Médailles d’or — plus que tout autre pays du monde. Ces résultats ont électrisé et inspiré notre nation tout entière. Cela nous montre bien ce qu’une approche ambitieuse, ordonnée et systémique peut faire. Ce sont là des exercices qui créent les nations et prouvent que si les Canadiens veulent gagner, ils savent comment s’y prendre. 45 Tzeporah Berman sur → Tzeporah Berman, auteure et militante écologiste, interviewée le 5 septembre 2014 par Monica Pohlmann Qu’est-ce qui vous anime? LA RÉSISTANCE au changement climatique : Dans leurs annonces publicitaires, les compagnies pétrolières disent que les oléoducs sont des projets bâtisseurs de nations. Mais ce que ces compagnies créent, c’est plutôt une nation de résistance. Elles unissent les gens de toutes origines et régions, et réveillent le monde « Le pétrole a un effet corrosif sur nos pipelines tout comme il a des retombées sur notre démocratie. » POHLMANN Qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit? 46 Le rôle croissant que jouent les Premières Nations dans le dialogue public par rapport à toute une gamme de sujets. Plusieurs communautés et chefs des Premières Nations en ont assez de ne pas être écoutés et de se faire imposer tous ces projets de pétrole et de gaz. Les Premières Nations se battent pour leurs territoires traditionnels, pour leur mode de vie traditionnel et, comme me le disait un des chefs au début de l’été, dans bien des sens, pour leur vie. au sujet des conséquences de certaines politiques sur le climat et sur la santé. Le meilleur antidote à la peur ou à la dépression est l’engagement, et nous en voyons en masse partout au pays. Lorsque j’ai commencé à mener des campagnes, on cherchait à trouver suffisamment de monde pour se réunir autour d’une table de cuisine. Maintenant, je rencontre de jeunes organisateurs qui peuvent communiquer en quelques secondes avec des dizaines de milliers de personnes. Ils ont d’innombrables renseignements à portée de la main et ils sont branchés dans une mesure que l’on n’aurait jamais imaginé possible. Cela transforme l’effet que nous pouvons avoir en tant qu’individus et en tant que groupes. BERMAN Le Canada fait moins à l’heure actuelle au sujet du changement climatique et a un système de réglementation plus faible que tout autre pays industrialisé pour contrer les menaces auxquelles fait face l’environnement. Au cours des deux dernières années, des douzaines de lois protégeant notre air, notre eau et notre biodiversité ont été éviscérées ou éliminées. La Loi sur les pêches n’offre plus la protection de l’habitat, c’est-à-dire que nous protégeons les poissons, mais non pas là où ils vivent. La Loi sur l’eau ne protège plus l’eau. Ces changements ont été apportés pour abattre les obstacles à l’expansion des projets d’exploration du pétrole et du gaz naturel. Les secteurs pétroliers et gaziers ont une influence sans précédent sur l’élaboration des politiques, juste au moment où la protection de l’environnement est cruciale à la stabilité future de notre économie et de notre climat. météorologiques extrêmes, les inondations et l’immigration. Nous sommes arrivés à un point de nonretour. Durant les deux dernières années, les investissements mondiaux dans les technologies de l’énergie renouvelable ont dépassé les rêves les plus fous de tout le monde. Cependant, nous misons notre avenir économique sur les ressources de pétrole et de gaz naturel, qui vont devenir des actifs bloqués, et par conséquent, nous serons économiquement désavantagés dans l’exploitation d’autres formes d’énergie. Notre future stabilité économique est directement liée à notre capacité de limiter dès maintenant l’exploitation des combustibles fossiles. Pour chaque dollar que nous dépensons aujourd’hui sur le développement de combustibles fossiles, nous aurons dépensé quatre dollars en 2020 pour traiter des résultats du changement climatique, entre autres les conditions La démocratie ne peut pas s’épanouir sans transparence, information ou participation. Chacune de ces trois choses est brimée présentement au Canada. On a sévèrement limité la possibilité pour le public de prendre part aux décisions qui touchent notre avenir. Si l’on veut parler ou envoyer une lettre à l’Office national de l’énergie au sujet d’une question quelconque, il faut d’abord remplir un formulaire de onze pages et faire approuver sa requête. Durant les examens réglementaires, les citoyens et les experts n’ont pas le droit d’intervenir au sujet de l’incidence qu’auraient certains projets proposés sur le changement climatique. Ces restrictions draconiennes facilitent beaucoup le processus d’approbation pour l’industrie. Ce que nous observons au Canada, c’est que le pétrole a un effet corrosif sur nos pipelines tout comme sur notre démocratie. CHAQUE JOUR, LA POLLUTION AU CANADA AUGMENTE AU LIEU DE DIMINUER. Notre tra- jectoire nationale est l’inverse de ce qu’elle devrait être, et nous sommes en déphasés par rapport à la plus grande partie de la communauté internationale. Les émissions baissent aux États-Unis, pendant que les Américains augmentent considérablement leurs budgets pour exploiter l’énergie renouvelable. Ici, ce n’est pas le cas. Notre gouvernement refuse de parler de changement climatique et a systématiquement mis fin à la plupart des activités scientifiques liées au climat dans ce pays. Ce n’est pas simplement le fait que nous n’agissions pas à l’égard du changement climatique; c’est aussi le fait que nous n’ayons même pas à l’heure actuelle de processus en place pour en discuter. Si les choses se déroulaient mal, à quoi le Canada ressemblerait-il dans vingt ans? Une forte hausse dans le nombre de feux de forêt et d’infestations de dendroctones détruira la majorité de nos forêts boréales intactes. Nous aurons à faire face à d’énormes vagues d’immigration provenant du monde entier, mais surtout de l’Asie du Sud-Est et de l’Afrique centrale. D’ici vingt ans, trente pour cent des habitants de l’Asie du Sud-Est auront perdu leurs foyers dû à l’élévation du niveau de la mer. Une population plus dense mettra à dure épreuve la capacité de nos villes, qui seront déjà fortement taxées par des inondations et des conditions météorologiques extrêmes. Les prix de la plupart des denrées alimentaires seront multipliés par trois ou par quatre en comparaison avec ce qu’ils sont aujourd’hui. « La démocratie ne peut pas s’épanouir sans transparence, information ou participation. Chacune de ces trois choses est brimée présentement au Canada. » Et si les choses se déroulaient bien au cours des vingt prochaines années, à quoi ressemblerait le Canada? Un réseau ferroviaire à grande vitesse reliera les grands corridors d’un bout à l’autre du pays. Il y aura un grand accroissement en ce qui a trait à l’usage des transports en commun, au cyclisme et à la marche, ainsi qu’une forte diminution du nombre de voitures dans les centres urbains. Plus d’entreprises comme Facebook viendront s’installer au Canada et y construiront leurs centres de données. Le Canada investira beaucoup dans les ressources à énergie renouvelable et dans sa capacité de vendre de l’énergie propre aux États-Unis. Nous verrons une augmentation dans la production d’énergie marémotrice sur les deux littoraux, ainsi que dans la production d’énergie géothermique, principalement celle de l’Alberta. Un plus grand nombre de foyers produiront leur propre énergie, qui à son tour, se réalimentera au réseau. Tout cela se traduira par la démocratisation de l’énergie et de l’économie; si personne n’est propriétaire des entrées d’énergie et si tout le monde peut produire de l’énergie pour servir la société, alors ce ne seront plus les mêmes qui détiendront le pouvoir. Quelles décisions importantes le Canada devra-t-il prendre dans un avenir rapproché? Les élections de 2015 : je pense que cela va transformer le visage du Canada. Il y a deux ans environ, j’ai eu une conversation avec un diplomate européen d’un certain âge pendant les pourparlers climatiques de l’ONU en Afrique du Sud. Les larmes aux yeux, il m’a dit : « Cela fait trente-cinq ans que je suis diplomate, et bon nombre de sujets sur lesquels je me suis penché impliquaient des partenaires canadiens. Tout cela a changé. Je ne comprends pas. Qu’arrive-t-il au Canada? » Ce fut un moment viscéral qui m’a fait penser que « je voudrais de nouveau être fière du Canada ». Nous sommes le pays qui a contribué à résoudre le problème du trou dans la couche d’ozone. Nous devons décider si nous serons à la tête du monde en ce qui a trait à la durabilité, à la justice sociale et à d’autres enjeux intransigeants. Je pense que oui. 47 John Borrows → John Borrows, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit autochtone à la Faculté de droit de l’Université de Victoria, interviewé le 2 septembre 2014 par Monica Pohlmann sur LES TRADITIONS Qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit? juridiques des peuples autochtones : « Malheureusement, nous avons adopté le point de vue selon lequel les traités étaient tout simplement des transactions immobilières. » POHLMANN BORROWS Qu’est-ce qui vous anime? Nous avons deux systèmes juridiques, un qui vient de la France et l’autre de l’Angleterre, et pourtant, on ne reconnaît pas suffisamment les systèmes qui viennent d’ici. Les traditions qui sont venues de France et d’Angleterre nous ont parfois bien servis, mais elles ont également laissé des lacunes et des points d’interrogation qui demeurent toujours sans solution, aujourd’hui. Je suis convaincu que le Canada serait enrichi par les traditions juridiques des peuples autochtones. J’aimerais tellement que les perspectives et les traditions juridiques des peuples salish, cri, blackfoot, inuit et micmac deviennent partie intégrante de nos normes de jugement, non pas seulement au sein des communautés au- tochtones, mais dans l’ensemble du Canada. Il pourrait être passionnant d’apprendre ce que la tradition juridique salish nous enseigne par rapport à la fracturation, aux oléoducs ou aux gazoducs, ou à tout problème local. Il se peut que la réponse ne soit ni entièrement dans le droit salish ni entièrement dans la Common Law, mais quand on juxtapose les deux systèmes — ça, c’est puissant! Il y a quelque chose dans le jumelage qui confère une nouvelle perspective. Tout comme nous avons différentes formes d’art, les peuples autochtones ont différents types de droit. Nous devons chercher comment nous approprier ce droit et le façonner en différentes formes nouvelles et inspirantes. Pourrons-nous revitaliser les langues autochtones? Un grand nombre d’entre elles sont au bord de l’extinction, et il est difficile de maintenir les autres vivantes, même si elles sont plus solidement ancrées — comme celles des Inuist, des Ojibwés et des Cris. Ce qui explique en partie cette tendance, c’est qu’environ cinquante pour cent des autochtones sont mariés à des non-autochtones. À peu près soixante pour cent des autochtones habitent maintenant des zones urbaines; les médias de langue anglaise exercent tellement d’influence sur la nouvelle génération. ondes. Ils grandissent en parlant anglais, mais ils sont Salish et déclarent « je veux parler le salish! » Il y a un tout petit nombre de personnes salish, dont le salish est la langue première, mais maintenant, il y en a de plus en plus qui l’étudient comme langue seconde. Si vous pouviez consulter un voyant sur l’avenir du Canada, que voudriez-vous savoir? Une bonne nouvelle, c’est qu’il y a beaucoup de gens qui apprennent les langues autochtones comme des langues sec- 48 J’APPRENDS L’OJIBWÉ DEPUIS QUELQUES ANNÉES. EN APPRENANT CETTE LANGUE, J’ACQUIERS DE NOUVELLES FAÇONS DE VOIR LE MONDE. Dans les langues algonquiennes, le monde est divisé entre les choses qui vivent et les choses qui ne vivent pas. En ojibwé, les roches et les arbres possèdent des forces vivantes; on les traite comme des personnes. On a un rapport différent avec le monde. Nous manquons à notre devoir envers les jeunes du Canada, en particulier les jeunes autochtones, en nous battant pour des questions idéologiques et en ne leur donnant pas les compétences les plus fondamentales. Même aujourd’hui, seulement trente-cinq pour cent des enfants en réserves terminent l’école secondaire. Et seulement quatre pour cent d’entre eux ont un niveau secondaire de scolarité. Nous avons perdu des générations entières de jeunes dans les pensionnats chrétiens, les services de protection de l’enfance, le système carcéral, les drogues et le décrochage scolaire. La perte en potentiel humain est stupéfiante. En enseignant aux jeunes, je perçois souvent en eux un sens d’espoir perdu ou de cynisme vis-à-vis de ce que l’avenir leur réserve, face à ce qu’ils peuvent faire dans le monde. J’essaie de les encourager à comprendre qu’ils peuvent en effet faire une différence, j’essaie de les aider à identifier le domaine dans lequel ils pourront donner et contribuer. C’est vraiment gratifiant, cependant, d’entendre les étudiants poser des questions. Ils ne se contentent pas de laisser les choses telles quelles. J’ai beaucoup voyagé l’été dernier en Ontario, où j’ai visité différentes réserves et entendu les aînés dire : « Il y avait beaucoup de chênes et d’érables dans cette forêt autrefois, et ils ne sont plus là. Nous ne voyons plus les diverses espèces d’oiseaux, d’insectes ou de poissons qui abondaient ici autrefois. » Après les avoir entendus, je m’inquiète pour l’environnement, je m’inquiète devant la perte de diversité dans notre écosystème. « Nous avons opté pour la persuasion, et non pour la force. À mon avis, il s’agit là d’une des fondations mêmes du Canada. » Si dans vingt ans les choses devaient mal tourner, que se serait-il passé? Nous n’aurions pas cultivé une façon saine d’aborder ce que nous pouvons appeler la spiritualité. Nous n’aurions pas prêté suffisamment attention à la manière non physique d’évoluer dans le monde, et aux questions de communauté et de liens. Nous aurions dû nous engager dans des conversations qui nous auraient fait sortir du moment et penser de façon plus large, de façon à nous demander « pourquoi sommes-nous ici? » Nous n’aurions pas réussi à créer un rapport différent avec notre environnement. Nous étions plus branchés sur les mouvements de l’énergie nationale et internationale, et pas assez conscients des énergies locales et de comment on les endommageait ou de comment on aurait pu mieux les exploiter. Pourriez-vous me citer quelques exemples importants où le Canada a réussi à atteindre son potentiel dans le passé? Nous sommes dans la 250e année du Traité de Niagara. En 1764, deux mille autochtones représentant vingt-quatre différentes nations ont rencontré le principal fonctionnaire en Amérique du Nord britannique, Sir William Johnson, afin de conclure un traité de paix, d’amitié et de respect. C’était après la guerre de Sept Ans. D’une seule voix, ils ont dit : « Voici à quoi ressemblera le Canada. Nous aurions pu continuer à faire la guerre, mais avons décidé contre. Nous avons opté pour la persuasion, et non pour la force. » À mon avis, il s’agit là d’une des fondations mêmes du Canada. Alors pourquoi n’avons-nous pas célébré l’événement? C’est que malheureusement, nous avons adopté le point de vue selon lequel les traités étaient tout simplement des transactions immobilières. En adoptant ce point de vue, nous avons perdu une partie de ce que nous sommes à titre de nation. Nous n’avons pas vu que notre nation est fondée sur des aspirations plus nobles. 49 Simon Brault → Simon Brault, directeur et chef de la direction du Conseil des Arts du Canada, interviewé le 5 novembre 2014 par Brenna Atnikov sur L’ART DE NOUS réinventer nous-mêmes : Si vous pouviez demander à un voyant tout ce que vous voulez savoir au sujet de l’avenir, que lui demanderiez-vous? « Le Canada devrait renoncer à l’idée d’une seule interprétation ou d’une histoire officielle. » ATNIKOV BRAULT De quelle manière votre vécu personnel a-t-il formé votre perspective? Depuis plus de vingt-cinq ans, je me préoccupe des moyens pour nous de revitaliser les villes. À mon avis, les arts et la culture sont des composants essentiels de toute tentative d’habiliter les gens et d’assurer que les collectivités se réinventent. Nous avons besoin d’artistes pour interpréter, exprimer et décoder l’état du monde, et nous diriger dans la voie de l’espoir. Pour être pertinent, l’art a besoin d’avoir un impact sur la société. Je suis profondément convaincu que l’art et la culture forment une partie intégrante de la liberté, de l’émancipation... un monde de possibilités. Qu’est-ce qui retient votre attention en ce moment? Notre pays est de plus en plus divisé sur les plans politique et idéologique. Il nous faut trouver des thèmes, des questions et des préoccupations qui aillent au-delà de ces divisions et il nous faut débattre d’idées en fonction de leur propre mérite et non en fonction des personnes qui les ont exprimées. Nous croyons toujours avoir besoin d’experts pour régler les choses. Mais l’expertise ne suffit pas à elle seule; il nous faut mieux voir et comprendre les défis et les éventuelles solutions qui se présentent. Le Canada doit percevoir ses penseurs, artistes et philosophes comme des personnes ayant des contributions pratiques à faire en vue de résoudre les problèmes. contenu canadien dans le but de former cet espace culturel. À mon avis, le défi à relever et aussi l’occasion à saisir aujourd’hui, est de réétudier, de remettre en question et même de contester cet espace culturel canadien. D’innombrables hypothèses étaient à la base de nos espaces culturels, de nos politiques et de nos instruments de travail il y a cinquante ans et elles sont en train de disparaître — tels les concepts des frontières nationales, des ondes radiophoniques contrôlées, une certaine hiérarchie de goûts et de préférences culturels, et la sous-évaluation de l’importance des questions touchant les autochtones. Ce qui est le plus convaincant à l’heure actuelle, ce sont les possibilités qui s’ouvrent à nous pour nous réinventer et réimaginer ce qui pourrait être. Il est temps d’inviter à la table les gens qui, jusqu’à maintenant, ont été exclus de la conversation portant sur les arts et la culture, afin d’imaginer ensemble comment créer un espace culturel nouveau et fiable. Ceci se produit couramment dans nos espaces culturels. Il y a soixante ans, la notion de créer un tel espace au Canada venait de l’idée d’avoir notre propre identité nationale qui soit différente et distincte de l’identité américaine. Nous avons élaboré un ensemble de règles, d’industries culturelles et de taux de 50 COMMENT ALLONS-NOUS METTRE LA DÉMOCRATIE EN PRATIQUE AU COURS DES PROCHAINES DÉCENNIES? LA DÉMOCRATIE — ET LA LIBERTÉ DE PAROLE, D’EXPRESSION ET DE CRÉATION — DEMEURE UN DES MOTEURS LES PLUS PUISSANTS AU DÉVELOPPEMENT D’UN PAYS. Le Canada devrait renoncer à l’idée d’une seule interprétation ou d’une histoire officielle. Il nous faut maintenir bien vivante une discussion démocratique et ouverte sur notre façon de voir le passé et d’entrevoir l’avenir. Avons-nous trouvé le moyen d’éviter l’isolement? Cela m’inquiète de voir bien des gens se sentir seuls et débranchés ou marginalisés. Il me semble que la situation n’était pas aussi grave autrefois. Le fossé entre ceux qui font partie du système et ceux qui en sont exclus est plus profond et plus abrupt qu’avant. Cela est relié à la pauvreté, à l’éducation et à la langue. Les arts et la culture ont un rôle à jouer dans la promotion d’un idéal où la société sera plus inclusive. Les pays qui parviennent à devenir plus inclusifs auront un meilleur avenir. Ceux qui continuent à favoriser l’exclusion auront de plus en plus de mal à réussir selon n’importe quel indicateur. Quel sera l’avenir de notre vie symbolique — musique, mouvement, images et récits que nous créons? Quel rôle joueront les artistes, qui sont les faiseurs, les interprètes et les proposeurs de symboles? Dans la société actuelle, nous ne pouvons pas rester inconscients de certaines tentatives de maîtriser notre vie symbolique et de la transformer en outil à des fins commerciales ou autres. Nous, au Canada, avons besoin de nous créer une vie symbolique, qui soit assez convaincante pour donner aux Canadiens un sens d’appartenance et offrir un monde de possibilités, tout en communiquant nos valeurs au reste de la planète. Il est facile à l’heure actuelle de vivre n’importe où dans le monde, de rester branché par l’entremise d’écrans et de vivre dans un univers symbolique qui n’a rien à voir avec le sentiment d’appartenance à un lieu. Mais je crois néanmoins qu’en habitant ensemble dans les collectivités et en partageant des institutions, des valeurs et un système politique communs, nous serons en mesure de créer un espace symbolique unique, où nous nous rencontrerons, discuterons, rêverons et imaginerons notre avenir. « Notre pays est de plus en plus divisé sur les plans politique et idéologique. » Si je pouvais imaginer une ville canadienne de demain dans vingt ans d’ici, dont la vie symbolique est particulièrement dynamique, que pourrais-je y voir en comparaison avec une ville canadienne d’aujourd’hui? Quelles leçons importantes pouvons-nous tirer du passé pour mieux savoir comment agir à l’avenir? Aujourd’hui, l’architecture, la circulation automobile, l’organisation dans les villes sont toutes conçues pour faciliter l’automobilisme, l’achat, la consommation. Il n’y a pas assez d’espaces de rencontre, pas assez d’endroits où échanger des idées, partager, s’entraider. Dans la ville canadienne de demain, j’ose espérer que les êtres humains seront à l’avant-scène de tout. Étant donné qu’on ne vit pas dans un monde infini, les quartiers seraient organisés de façon holistique, de manière à inclure le partage, la conservation et la protection du savoir et des produits de base. Les lieux de rencontre seraient attrayants, même dans les quartiers les plus pauvres. Les individus seraient branchés et se sentiraient appuyés. Ce qui m’intéresse le plus, c’est de savoir comment nous nous sommes extraits de différentes crises. La résistance est la capacité de revenir à un état d’harmonie et de bonheur relatifs, à la suite d’un bouleversement quelconque, soit dans un quartier, dans un secteur industriel ou dans une région particulière du pays. Nous pouvons fouiller dans notre passé pour découvrir qui ont été les individus, les propositions ou les idées qui ont servi de catalyseurs à notre résistance, et nous pouvons apprendre d’eux. Nous devons aussi penser désormais de façon beaucoup plus mondiale. Notre pensée est encore axée en grande partie sur le règlement et le protectionnisme. Le meilleur moyen de protéger une chose n’est pas de la placer dans un coffre-fort et d’en refermer la porte. C’est de la partager. Chaque fois que nous pensons à quelque chose, il nous faut décider si ce n’est pas uniquement une proposition dans l’intérêt du pays, mais également une proposition que nous désirons partager avec le reste du monde. 51 Pat Carney → Pat Carney, sénatrice émérite, interviewée le 7 octobre 2014 par Monica Pohlmann sur LES DÉFIS CAUSÉS par la migration : « Nous avons survécu à des pressions qui ont brisé le cœur de bien d’autres pays. » POHLMANN CARNEY Qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit? Le Canada est un pays jeune, bâti depuis l’époque des autochtones sur des vagues successives d’immigration. Ma propre grand-mère, Bridgit Casey, est née dans l’ouest du Canada cinq ans avant la création du Canada en 1867. Elle était la fille d’immigrants irlandais qui s’étaient engagés à exploiter la terre et à créer des racines pour leurs familles. Pendant des siècles, les gens venaient ici parce que le Canada était une nouvelle frontière; il y avait un nouveau monde à explorer qui comportait de nouvelles chances d’avoir une vie meilleure. Le Canada est devenu un sanctuaire pour ceux qui cherchaient à se libérer de l’oppression et de la pauvreté dans leurs propres pays. Ces nouveaux Canadiens comptaient sur l’appui collectif pour défricher la terre, ériger des granges et fonder des communautés. De plus, ils ont introduit de nouvelles coutumes, expressions artistiques et cultures dans la mosaïque canadienne. La diversité culturelle est devenue la nouvelle norme. Dans certains endroits du pays, nous semblons vivre à une période de migration qui est motivée surtout par l’âpreté au gain. Ces « immigrants du monde » viennent au Canada, y placent leur argent et puis s’en vont vivre ailleurs. Ceci se concrétise par Qu’est-ce qui vous anime? 52 L’idée que tout est possible au Canada. Selon les normes mondiales, nous ne vivons pas dans une société oppressive. Nous possédons la liberté individuelle et nous avons la règle de droit accordée par le pouvoir législatif, ce qui permet Les institutions canadiennes avancent-elles dans la bonne voie? le nombre de maisons et de condominiums vides, ici, à Vancouver. Une grande proportion de nouveaux logements est vendue à des résidents étrangers qui ne vivent au Canada qu’à temps partiel ou pas du tout. Quand on a une population flottante d’immigrants, la structure essentielle d’engagement et de liens communautaires risque d’être affaiblie. On le voit dans certaines communautés où le volontariat et l’appui aux arts sont à la baisse. D’autres pays, tels la Suisse et le Japon, ont réglé ce problème en percevant des impôts auprès des non-résidents ou en leur interdisant d’acheter des biens immobiliers. Mais au Canada, où nous avons besoin d’immigrants pour faire croître l’économie, nous n’exerçons pas ce genre de surveillance. Les vagues d’immigration, qui ont bâti le Canada, ont souvent imposé des pressions sur la trame communautaire existante. Durant les premières cent quarante-sept années du Canada, plusieurs immigrants considéraient encore d’autres pays comme leur « patrie ». QUAND LE CANADA DEVIENDRA LE CHEZ-SOI — OU « HOME PLACE », COMME DISAIENT MES GRANDS-PARENTS TERRIENS — DES GÉNÉRATIONS FUTURES, LE PAYS AURA ATTEINT L’ÂGE DE LA MATURITÉ. aux gens d’atteindre leurs objectifs et de réaliser leurs ambitions. Les Canadiens peuvent financer une idée et la mettre en pratique, et ils peuvent mener la vie qu’ils veulent. Nous respirons de l’air propre dans la majorité des endroits. Notre plus grand atout est notre droit de vote et notre liberté de contribuer au Parlement sans dépenser des fortunes. Si l’on cherche à se faire élire au Parlement et qu’on dépense plus que ce que permettent les règlements, on aboutit en prison avec son agent de campagne électorale. Nous devons protéger la liberté d’accès au système politique de toute personne n’ayant pas été en prison. Dans une phrase célèbre, Joe Clark a appelé le Canada « une communauté de communautés ». Il y a un sens de la communauté beaucoup plus fort aujourd’hui que lorsque je suis entrée en politique en 1980. Il est généralement accepté que le Canada soit composé de cinq régions. Personne n’exprime de rage au sujet des textes français et anglais figurant sur les boîtes de céréales. Maintenant, les gens sont plus préoccupés du fait que les journaux en langue chinoise se trouvent en haut de la distributrice, alors que ceux de langue anglaise se trouvent en bas. certaines régions du Canada et détestés dans d’autres. Nous avons survécu à l’antagonisme entre Canadiens-Français et Canadiens-Anglais. Nous apprenons maintenant à reconnaître le rôle important et les responsabilités des Canadiens autochtones. Nous avons survécu à des pressions qui ont brisé le cœur de bien d’autres pays. Nous avons survécu au Lac Meech. Nous avons survécu aux tensions entre l’ouest et l’est du Canada. Nous avons survécu à des personnages politiques, comme Pierre Trudeau, qui étaient aimés dans La question est de savoir si nous pouvons bâtir à même notre bilan historique et survivre aux conflits créés par la nouvelle vague d’immigration et la transformation potentielle de la démographie mondiale. Quand on a une population ethnique qui se sent désengagée du processus politique ou une population ethnique dans certaines circonscriptions qui exclut d’autres groupes, on peut se demander si la volonté politique de contribuer au pays va durer ou si elle va fissurer la trame nationale ou régionale. « Quand on a une population ethnique qui se sent désengagée du processus politique ou une population ethnique dans certaines circonscriptions qui exclut d’autres groupes, on peut se demander si la volonté politique de contribuer au pays va durer ou si elle va fissurer la trame nationale ou régionale. » Quelles décisions le Canada devra-t-il prendre bientôt? Nous devrons élaborer un concept de développement qui établisse un équilibre entre les enjeux économiques, écologiques, autochtones et autres, tels que les changements démographiques, afin d’atteindre des objectifs compatibles. Nous sommes au début d’un cycle économique beaucoup plus lent, dans lequel il y aura moins d’argent disponible alloué aux mesures sociales ou économiques. De nombreux jeunes Canadiens posent des choix de vie et de travail qui sont davantage alignés avec une économie à croissance lente. Nous pouvons préserver et cultiver notre pays bien-aimé et le meilleur style de vie au monde, si nous maintenons notre lien avec le pays dans son ensemble, avec le sens d’appartenance communautaire, et avec la réalité qu’il existe à la fois des éléments ruraux et non ruraux dans notre pays. Le Canada ne se limite pas aux zones métropolitaines de Toronto, Montréal et Vancouver. 53 Jean Charest → Jean Charest, ancien Premier Ministre du Québec, interviewé le 3 septembre 2014 par Adam Kahane sur LA TOLÉRANCE : « Il y a des démagogues qui cherchent à cultiver le manque de sécurité et à diaboliser certains groupes. » KAHANE CHAREST Lorsque vous songez au Canada et au Québec à cette époque-ci de notre histoire, qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit? Quand je regarde le tableau d’ensemble du Canada, je trouve que souvent nous manquons d’ambition. Lorsque nous fermons nos ambassades en Afrique et mettons fin à nos programmes internationaux, nous annonçons au reste du monde que nous ne sommes pas vraiment si importants que ça. Si nous ne nous affairons pas constamment à nous faire connaître à l’extérieur et à vendre notre marque, nous deviendrons moins pertinents. Il nous faut acquérir un sens plus clair de notre place dans le monde, trouver la meilleure façon de nous distinguer et de là, où nous pourrions faire une différence. Il nous faut savoir en quoi nous excellons, quels sont les atouts que nous possédons et qui nous permettront de mieux réussir, et comment faire durer ces réussites. Même si nous ne représentons que moins de trois pour cent de l’économie mondiale, nous pourrions, si nous le voulions, jouer un plus grand rôle dans le monde. Étant donné la diversité du Canada, à quoi ressemble une identité canadienne commune? Quels que soient les antécédents des gens, les Canadiens ont néanmoins des caractéristiques en commun. Nous voyons le monde de façon différente, nous connaissons des expériences différentes et nous avons une attitude différente de celle des gens dans d’autres pays. En tant que peuple, nous, Canadiens, ne sommes pas agressifs; nous n’avançons pas des discours politiques extrêmes; nous sommes plutôt orientés vers la collectivité. Nous entretenons des échanges civilisés entre nous. Nous nous conduisons bien à cet égard et j’aime cet aspect du Canada. Certains pensent que nous sommes trop gentils. Eh bien, j’ai vu l’autre monde, et je n’hésite pas du tout à choisir le monde « trop gentil ». Je pense que nous comprenons que la diversité constitue un atout pour nous. Nous préférons pécher par excès de tolérance. C’est là quelque chose de précieux. Pendant les élections d’avril dernier, les Québécois ont choisi de se distancer de ce qui fait ressortir la nature plus sombre de l’être humain. De par leur histoire, ils comprennent qu’ils sont une minorité, et que leur façon de traiter les autres se reflétera sur la façon dont les autres les traiteront. Ils ont aperçu le précipice et ils s’en sont éloignés, en se disant : « Il y a quelque chose de travers ici, il y a quelque chose qui ne va pas, et je refuse d’aller dans cette voie. » 54 Je m’inquiète également de l’unité du pays. Nous ne pouvons pas nous permettre de penser que les choses demeureront toujours ce qu’elles sont. Le mouvement séparatiste au Québec est passé de la majorité à la marge, mais il ne disparaîtra jamais. Nos leaders doivent déployer un effort constant, concerté et délibéré pour forger une identité commune fondée sur ce que nous partageons. Cela ne se produira pas automatiquement. Qu’est-ce qui pourrait miner notre sens de la tolérance? Il y a des démagogues qui cherchent à cultiver le manque de sécurité et à diaboliser certains groupes. Ils mettent l’accent sur nos différences plutôt que sur nos points communs. Si jamais cela se produisait, nous nous engagerions dans cette spirale où les sociétés risquent d’aboutir, une société où nous perdrions la capacité de nous faire confiance les uns les autres et de tenir un discours commun. Nous nous retrouverions dans un pays où l’on vit dans la méfiance des autres individus et des autres groupes. Et pourquoi cela pourrait-il se produire? LA NATURE HUMAINE EST TELLE QUE NOUS dans ce piège et d’encourager la division. La plus importante décision politique concernant la fondation du Canada a été prise lorsque les Anglais se sont rendu compte que ce serait sans espoir pour eux de gouverner cette région de l’Amérique du Nord sans pour autant reconnaître la population française. Plus récemment, les Francophones et les Anglophones ont inclus les Premières Nations dans le partenariat. Chaque fois que nous nous sommes écartés du chemin de l’inclusion, nous avons eu des ennuis. RETENONS MIEUX LES CHOSES NÉGATIVES QUE LES CHOSES POSITIVES. C’EST PLUS FACILE DE VOTER CONTRE QUELQUE CHOSE — OU QUELQU’UN — QUE DE VOTER EN FAVEUR. Pour les personnes politiques, il est toujours tentant de dresser un groupe contre un autre parce que cela fonctionne si bien et si facilement. Au Canada, dans la plupart des cas, nous avons résisté à cette tentation, mais nous avons besoin de chefs qui s’engageront toujours à élever le niveau du débat politique. Autrement, dû au fait qu’il y a tant de différences dans ce pays, ce serait facile pour nous de tomber « Je pense que nous comprenons que la diversité constitue un atout pour nous. » Voulez-vous dire que nous risquons de devenir complaisants? Le Canada sera toujours une œuvre inachevée. Le défi auquel s’affrontent nos leaders est de donner aux Canadiens l’exemple d’apprécier ce que nous avons, de reconnaître que rien n’est pour toujours et d’accepter qu’il nous faut être plus ambitieux et nous remettre plus souvent en question. 55 Michael Chong sur → Michael Chong, député fédéral de Wellington-Halton Hills, interviewé le 26 septembre par Adam Kahane n’auraient plus la légitimité d’agir de façon décisive. Nous aurions un système doté d’un pouvoir exécutif encore plus grand et un corps législatif qui ne compterait plus beaucoup pour nous dans la vie publique. LA RÉFORME parlementaire : Si la réforme parlementaire échoue, cela augmentera le risque pour nous de ne plus pouvoir régler toute une gamme de problèmes. Par exemple, au fur et à mesure que notre économie devient plus urbaine et davantage fondée sur les services, nous faisons face à d’importants défis dans les régions de nos grandes villes, dont Toronto, Montréal, Vancouver, Calgary, Edmonton et Halifax. Voyons ce qui s’est passé à Pittsburgh et à Détroit. Les deux villes étaient de puissants centres manufacturiers et industriels à la fin du dix-neuvième siècle et pendant la première moitié du vingtième. Les deux villes sont devenues des villes du « Rust Belt » (ou de la ceinture de ferraille) associées au déclin du secteur manufacturier et de certains « Les mécanismes de contrôle du pouvoir au parlement et dans notre système électoral se sont affaiblis. » KAHANE CHONG Qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit? Un de nos défis, c’est le besoin de renouveler nos institutions démocratiques. La démocratie est l’une des plus grandes inventions de la société occidentale. Les freins et contrepoids au pouvoir qui existent avec un système parlementaire ou républicain ou tout autre système de gouvernement sont au cœur même de la démocratie occidentale. Au Canada, les mécanismes de contrôle du pouvoir au Parlement et dans notre système électoral se sont affaiblis depuis quelques décennies. Pour continuer à relever les défis du vingt-et-unième siècle, par exemple l’avènement des économies en développement, la diversité au sein de notre pays et le terrorisme, nous devons renforcer ces mécanismes fondamentaux. Que ce passera-t-il si les choses tournent mal au cours des vingt prochaines années? 56 précédent de décider qui seront les candidats de leur parti. Et troisièmement, les caucus ne sont plus des entités décisionnelles et leurs décisions n’obligent en rien les leaders des caucus. Comme résultat, les chefs de partis, en particulier le chef du parti au pouvoir, le Premier Ministre, ont un pouvoir quasiment absolu. CECI POSE UN DÉFI CONSIDÉRABLE À LA RÉSISTANCE DE NOTRE DÉMOCRATIE. Le Canada est maintenant un cas isolé parmi les démocraties parlementaires de Westminster à cause de plusieurs changements dans notre façon de faire les choses. Tout d’abord, les caucus ne peuvent plus participer directement aux décisions d’élire ou de changer le chef de leur parti. Ensuite, les chefs de partis possèdent maintenant le pouvoir sans À court terme, les modèles de gouvernance par commandement et contrôle peuvent entraîner d’énormes bénéfices, mais à long terme, ils ne donnent rien. Sans la reddition de comptes, un mauvais chef arrive un jour et défait tous les bénéfices gagnés, et même plus. Les démocraties sont frustrantes dans le court terme, parce que l’absence de pouvoir concentré veut dire moins d’efficacité dans les prises de décisions, mais à plus long terme, les démocraties finissent par bien faire. Si l’on regarde les cent quatre-vingts dernières années, toutes les analyses démontrent que les gens dans une société instruite, civilisée et éclairée prendront les bonnes décisions. Les résultats des sondages montrent que les Canadiens font de moins en moins confiance à leurs institutions démocratiques. Le nombre d’électeurs qui vont aux urnes a baissé précipitamment depuis vingt ans. Lors des dernières élections fédérales, quatre Canadiens sur dix ont choisi de ne pas voter. C’est un des taux les plus faibles parmi les démocraties occiden- tales. Si dans les vingt prochaines années, nous ne réussissons pas à renouveler nos institutions démocratiques, à vraiment engager les Canadiens et à rendre ces institutions plus pertinentes pour eux, il n’est pas inconcevable que la présence des électeurs aux urnes puisse baisser jusqu’à cinquante ou même quarante pour cent. Si jamais cela se produisait, ces institutions secteurs industriels en Amérique du Nord. Aujourd’hui, Pittsburgh est un symbole de succès, mais Détroit ne l’est pas. Pittsburgh avait une bonne gouvernance démocratique qui a pu réagir au déclin de l’industrie sidérurgique et réinventer la ville. Le problème avec Détroit n’est pas que l’industrie automobile ait été sur le déclin, mais plutôt que ses dirigeants et ses institutions démocratiques n’aient pas su réagir au défi posé par ce déclin. D’après la recherche scientifique, il est clair que la planète est arrivée à la limite de sa durabilité. Nous devons nous assurer que la terre dont nous avons hérité soit transmise aux générations futures dans un état aussi bon, sinon meilleur, que celui dans lequel nous l’avons reçue. Le chemin vers la durabilité environnementale passe par le Parlement. Une assemblée législative affaiblie rend moins facile l’atteinte d’un consensus sur les politiques significatives. « Le problème avec Détroit n’est pas que l’industrie automobile ait été sur le déclin, mais plutôt que ses dirigeants et ses institutions démocratiques n’aient pas su réagir au défi posé par ce déclin. » Notre histoire rapporte-t-elle un exemple par lequel la démocratie canadienne a pu surmonter un défi semblable? Il y en a eu plusieurs! Les rébellions de 1837 dans le Haut-Canada et le BasCanada ont eu lieu comme résultat direct de la concentration du pouvoir au sein de l’exécutif du gouvernement. Les gens de ce que sont maintenant l’Ontario et le Québec se sont révoltés parce qu’on n’écoutait pas les élus des corps législatifs. Ces rébellions ont donné lieu aux grandes réformes des années 1840, et au principe fondamental selon lequel l’exécutif n’est pas tenu de rendre des comptes au gouverneur en conseil, mais plutôt au corps législatif. Nous avons également connu l’expansion du droit de vote à la fin du dix-neuvième et au début du vingtième siècle, quand les femmes et tous les hommes d’âge adulte se sont vus accorder ce droit électoral. Puis au cours des années 1870, on a adopté le droit au scrutin secret pour les élections fédérales. Nous avons réussi à apporter des réformes auparavant, et je n’ai aucun doute que nous verrons à ce que le Parlement joue de nouveau un rôle prépondérant dans le débat public canadien. 57 Zita Cobb poisson. Ils ne sont pas aptes à tirer le plus grand profit de ces endroits, pourtant ils ont le pouvoir de mener à la ruine des communautés de 350 ans, d’un simple coup de plume, sans l’avantage d’avoir d’abord eu une conversation adéquate sur d’autres solutions possibles. → Zita Cobb, présidente de la Fondation Shorefast, interviewée le 17 octobre 2014 par Adam Kahane sur L’APPRÉCIATION Nous vivons à une époque où les communautés et la culture sont aplaties. Nos paysages sont aplatis par une monoculture de grandes surfaces et de magasins à succursales transnationales qui comprom- de nos petites communautés : « La nature et la culture sont les deux grands vêtements de la vie humaine. » ettent les petits commerces locaux — et bien sûr, à cause de leur grande taille, ils peuvent détruire ces petites entreprises qui ont toujours été partie intégrante de notre tissu communautaire. En plus de perdre les commerces familiaux de nos localités, je m’inquiète de ce que ce type de domination des marchés peut faire à notre liberté d’esprit — à l’épanouissement en soi. Par exemple, qui va vouloir ouvrir un petit café avec des spécialités uniques, quand il y a de grandes multinationales installées à chaque coin de rue? « Nos petites communautés partout au pays, pas uniquement à Terre-Neuve, sont en train de se désintégrer devant nos yeux, et pourtant, il est tellement possible d’éviter que cela se produise. » KAHANE COBB Que pourriez-vous me dire à votre sujet qui m’aiderait à comprendre ce qui retient votre attention aujourd’hui? J’ai grandi dans une communauté de pêcheurs sur une île au large de la côte nord-est de Terre-Neuve. Depuis des siècles, nous avons ce don de dieu : un lieu que nous chérissons, un lieu duquel nous apprenons. Ce n’était pas une société qui accumulait du capital. Nous prenions autant de poissons et cultivions autant de navets et de choux qu’il nous fallait pour l’hiver. C’était une façon de vivre remarquable, et le résultat, c’est que maintenant, j’ai une compréhension profonde de ce que signifie une communauté : c’est un lieu qu’on partage tout comme on y partage les mêmes intérêts. Une communauté, c’est vivre comme si l’on partageait la même destinée. Quand j’avais neuf ans, les navires-usines sont arrivés et il n’a fallu que trente ans pour que la morue soit sur le point de disparaître. Du jour au lendemain, tout ce que nous savions de la manière de gagner notre vie dans l’Atlantique Nord est devenu complètement inconséquent. Les parents ne pouvaient plus rien enseigner à leurs enfants. Nous sommes devenus des réfugiés économiques. Mon père nous a dit : « Il faut que vous ayez de l’éducation, parce qu’il n’y a pas d’emploi pour vous ici. » J’ai étudié les affaires parce que je voulais comprendre comment cette destruction avait pu se produire. Nos petites communautés partout au pays, pas uniquement à Terre-Neuve, sont en train de se désintégrer devant nos yeux, et pourtant, il est tellement possible d’éviter que cela se produise. Je crois que les affaires et la technologie sont des outils puissants, et s’ils sont utilisés à bon escient, ces outils peuvent contribuer aux lieux et peuvent aider à créer des communautés rurales robustes et contemporaines. Nos communautés rurales sont de puissantes sources de savoir, de créativité et d’innovation; elles sont des forces, et non des faiblesses. Advenant le cas où les choses tourneraient mal au cours des vingt prochaines années, de quoi aurait l’air notre monde? Nous aurions permis à la pensée réductionniste de prendre le dessus. Nous aurions oublié que la nature et la culture sont les deux grands vêtements de la vie humaine. Nous vivrions tous dans des mégapoles et souffririons d’une sorte de manque d’appartenance. Nous aurions perdu notre connaissance innée du monde naturel et serions devenus incapables d’en tirer des leçons. Nous aurions perdu ce que Pam Hall appelle « les moyens du savoir qui provien- nent d’un rapport concret et interdépendant avec le monde encore sauvage ». Nous mangerions de la nourriture industrielle produite par d’énormes entreprises qui transcendent toutes les frontières. Nous serions soumis au capital financier et nous n’aurions aucune idée de qui nous sommes. Nous n’aurions pas le sens de la continuité en accord avec le passé. La sagesse et les nuances du patrimoine et du monde naturel seraient perdues. Quelles leçons devons-nous apprendre de nos échecs passés? LE CANADA, VU DANS SON ENSEMBLE, EST et de l’identité? Pouvons-nous travailler de manière collaborative parmi tous les joueurs — y compris les entreprises — pour prendre des décisions dans le meilleur intérêt de nos communautés? Il y a de plus en plus de pensée réductionniste autour de nous, ce qui nous fait perdre de vue les choses essentielles et sacrées. Nous ne pouvons peut-être pas sauver toutes les communautés, mais j’aimerais qu’une déclaration nationale dise : « En tant que Canadiens, nous apprécions nos petites communautés rurales. » Ce serait vraiment encourageant et un bon début pour trouver un moyen profitable de protéger le bien-être des communautés. COMME UNE JOLIE COURTEPOINTE. IL Y A TANT DE CULTURES ET DE COMMUNAUTÉS AU CANADA. LA MANIÈRE DE COUDRE TOUTES CES PETITES PIÈCES ENSEMBLE POUR EN FAIRE UNE COURTEPOINTE PASSE PAR NOS SYSTÈMES D’ENTREPRISES ET DE GOUVERNEMENTS. AUTREFOIS, NOUS LES COUSIONS ENSEMBLE DE FAÇON À RESPECTER TOUTES LES PIÈCES, LES GRANDES COMME LES PETITES. MAINTENANT, ON DIRAIT QUE NOUS NOUS ATTENDONS À CE QUE TOUTES LES PIÈCES Qu’est-ce qui vous préoccupe au sujet du Canada ces jours-ci? 58 Je suis inquiète parce que je crains que nous n’investissions pas suffisamment dans notre « capital sacré » (capital naturel, social, culturel, communautaire) et dans la protection de nos divers modes de savoir. Dans nos petites communautés, il existe une pénurie croissante d’espoir et donc, le désespoir prend racine. Je ne comprends pas pourquoi nous ne sommes pas plus consternés et pourquoi nous ne faisons rien devant le fait que nous sommes en train de perdre une partie importante de notre identité canadienne et de nos sources de résistance, d’imagination et d’ingéniosité. Notre identité et notre force sont provenues — et proviennent toujours — de notre relation avec cette merveille de la nature que nous appelons le Canada. Nous sommes loin d’avoir assez fait pour renforcer, habiliter et investir dans nos espaces spéciaux à cette époque de mondialisation rapide, alors que le plus grand semble toujours être le meilleur et qu’on laisse le local et le précis devenir trop souvent asservis à cette quête d’efficacité. Je parle à des gens qui ont grandi dans des petites fermes en Saskatchewan où ce mode de vie semble avoir été perdu. La pêche est un autre exemple : dans bien des cas, elle est sous le contrôle de gens qui ne vivent pas de l’océan ni du poisson, qui n’ont pas ce sens d’ « enracinement » dans le lieu, qui ne sont pas sensibles ou qui n’interagissent pas avec le lieu; des gens qui administrent le capital financier dans des salles de conseil d’administration, très loin de l’odeur du SOIENT IDENTIQUES. S’il y en a une ou deux qui se détachent et tombent, nous n’avons pas l’air d’être dérangés par le trou dans la courtepointe. Sommes-nous toujours capables d’apprécier la valeur de la culture Si les choses tournent bien d’ici vingt ans, que pourrait-on dire de notre pays? Le Canada serait un réseau national d’endroits intensément locaux, dont certains grands, plusieurs petits. Nous aurions trouvé le moyen de rendre à ces communautés leur caractère local, tout en assurant qu’elles soient reliées entre elles. Tout existe dans le contexte d’une relation et dans les relations saines je peux être plus moi et tu peux être plus toi. Voilà le type de relations que nous devons établir. Nos vies ne seraient pas dominées par des hyper compagnies lointaines dont les proprié- taires vivent d’abord et avant tout pour le rendement de capital (éloigné). Nous aurions plutôt des entreprises de taille appropriée qui fonctionneraient de façon à renforcer le tissu de nos communautés. Bien sûr, il y a des cas où nous avons besoin d’entreprises nationales de distribution, mais il y a des manières créatives de réaliser des économies de taille, de placer le bien-être de nos communautés tout en haut de notre liste de priorités et au cœur même de nos prises de décisions. 59 Brian Crowley → Brian Crowley, directeur général de l’Institut Macdonald-Laurier, interviewé le 5 septembre 2014 par Adam Kahane sur de voir des gens essayer de miner nos institutions sans comprendre ce qu’elles ont réalisé pour nous. LES INSTITUTIONS J’ai la motivation personnelle suivante : soyons reconnaissants d’avoir ce que nous avons et comprenons l’énorme succès que cela nous a apporté. Prenons un exemple concret : même si cela coûte 20,00 $ le baril pour produire du pétrole dont nous avons hérité : « Vous ne pouvez penser que le Canada est un mauvais endroit où vivre si vous n’avez jamais habité ailleurs. » KAHANE CROWLEY De nos jours, quel sujet vous anime sur le Canada? Le Canada a de la chance comme pays. On dit souvent que c’est parce que nous sommes richissimes en ressources naturelles, mais cela ne peut pas expliquer l’entièreté de notre succès comme société. Je pourrais nommer cinquante pays dans le monde qui possèdent de vastes richesses en ressources naturelles, mais qui sont néanmoins de véritables enfers où vous ne voudriez jamais vivre. Donc, ce n’est pas ce qui fait de nous une société formidable. QUE LES RESSOURCES NATURELLES : LES INSTITUTIONS ET LES COMPORTEMENTS DONT NOUS AVONS HÉRITÉ DES BRITANNIQUES AU DÉBUT ET QUI ONT ÉVOLUÉ POUR DEVENIR LES NÔTRES. Ceci inclut une démocratie efficace, la primauté du droit, des corps judiciaires et policiers non corrompus, un fardeau réglementaire et une charge fiscale raisonnables, des services sociaux adéquats, une éthique de travail bien pratiquée, l’application des contrats et le respect de la propriété privée. NOUS SOMMES DOTÉS D’UNE AUTRE SORTE DE RICHESSE, BEAUCOUP PLUS IMPORTANTE Comment sommes-nous arrivés à posséder cette grande richesse en institutions? Ce n’est pas un phénomène universel dans toutes les anciennes colonies britanniques, mais les endroits comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les États-Unis et le Canada ont hérité de ces institutions à partir de la même source. Hong-Kong démontre que ces institutions ne sont pas uniques à une seule culture, puisque Hong-Kong est formée essentiellement d’institutions britanniques au sein desquelles vivent des Chinois. Hong-Kong a traditionnellement connu le même type de succès : les individus peuvent songer au long terme, ils peuvent créer et ils ne sont pas obligés de craindre, s’ils investissent quelque chose dans la société, que l’année suivante ce soit volé par le frère du président — quoique les manifestations récentes de là-bas indiquent que ces institutions sont loin d’être intouchables. Ceci confirme combien de telles institutions sont rares dans le monde, et le Canada est peut-être celui qui a le mieux réussi parmi les héritiers. Cette richesse est-elle en danger? Les Canadiens ne comprennent pas toujours ce qu’ils possèdent. Je me bats constamment contre ce qu’aiment raconter certains, que le Canada est un endroit affreux, que nous sommes des racistes et que nous détruisons l’environnement. Je ne prétends pas que notre histoire soit sans faille et qu’il n’y ait pas lieu de nous améliorer. Mais vous ne pouvez penser que le Canada est un mauvais endroit qui doit être démoli et reconstruit que si vous n’êtes jamais parti d’ici et n’avez jamais vu comment vivent et travaillent les personnes dans d’autres pays. Comme dit la chanson, vous ne savez pas ce que vous avez avant de l’avoir perdu. Cela m’inquiète 60 Imaginons que les choses se dérouleraient très mal au cours des cinquante prochaines années au Canada. Que se serait-il passé? Tout d’abord, nous aurions manqué l’occasion d’arriver à une réconciliation avec les autochtones. Deuxièmement, nous aurions permis à la peur du terrorisme de nous rendre insulaires et craintifs des autres. L’ouverture du Canada vis-à-vis du monde ainsi que notre volonté d’accueillir les gens de partout constituent nos points forts. Et troisièmement, nous aurions laissé l’envie devenir l’émotion dominante dans la politique. Le régionalisme (engendré par l’envie) est une force corrosive au Canada. Les gens d’ici ont en Arabie Saoudite et peut-être 80,00 $ le baril pour le produire ici à partir des sables bitumineux, les producteurs de pétrole du monde entier viennent frapper à nos portes pour investir dans nos sables bitumineux. C’est justement parce que ces ressources naturelles sont imbriquées dans nos riches institutions que les investisseurs peuvent y investir en toute sécurité. fortement tendance à blâmer les autres pour leurs malheurs et à éviter d’assumer leur part de responsabilité. J’ai passé beaucoup de temps avec les Américains et je n’ai jamais entendu dire : « Ces maudits Texans; ils ont du pétrole, alors ils embobinent le reste du pays! » Au Canada cependant, vous pouvez entendre les gens dire des choses semblables tous les jours au sujet de différentes régions du pays. C’est comme si l’on pensait que le succès des uns se fait aux dépens des autres. « Je crois en une société qui laisse de la place à l’expérimentation, à l’initiative dans tous les domaines, chose que le gouvernement sait beaucoup mieux étouffer qu’encourager. » Quel rôle doit jouer le gouvernement pour assurer l’avenir du Canada? À mon avis, le gouvernement n’est pas la solution à tout, au point de vue social et culturel autant qu’économique. Je crois que la liberté est la condition essentielle à la réussite des sociétés. Je crois en une société qui laisse de la place à l’expérimentation, à l’initiative dans tous les domaines, chose que le gouvernement sait beaucoup mieux étouffer qu’encourager. Aujourd’hui, il nous faut récupérer notre capacité de faire preuve d’initiative. Le gouvernement a un rôle important à jouer, mais il y a des limites à ce qu’il peut faire. Il s’agit d’équilibre. Ce n’est pas toujours une mauvaise chose que le gouvernement perçoive des impôts, et ce n’est pas toujours une bonne chose que les gens dépensent eux-mêmes. Le défi, c’est lorsque nous créons un déséquilibre entre ce que le gouvernement fournit à la collectivité et ce que l’individu choisit de faire. Ce déséquilibre ne peut que miner les institutions qui nous ont permis de réussir. 61 Nadia Duguay → Nadia Duguay, cofondatrice de Exeko, interviewée le 12 novembre 2014 par Elizabeth Pinnington sur UN CANADA pour tous : « La conscientisation élargie des citoyens aux enjeux sociaux me nourrit chaque jour. » PINNINGTON DUGUAY Qu’est-ce qui t’encourage dans l’actualité du Canada? L’actualité du Canada n’est pas des plus encourageantes ces jours-ci. En revanche, la conscientisation élargie des citoyens aux enjeux sociaux — tels les inégalités, la discrimination, le rôle de la culture ou encore l’environnement me nourrit chaque jour! Reconnaître le potentiel individuel en allant au-delà des préjugés et encourager la pensée critique, créative et la participation citoyenne n’est plus un acte utopique, mais bien la première étape de la transformation sociale déjà enclen- Qu’est-ce qui te décourage dans l’actualité du Canada? Ce sera dû à quoi si les choses se déroulent mal d’ici 20 ans? 62 Ce sera dû à quoi si les choses se déroulent bien d’ici 20 ans l’avenir? On peut imaginer que plus les citoyens, les politiciens, les organismes, les différents composants de la société s’écouteront, échangeront et se reconnaîtront comme des acteurs complémentaires qui ont la capacité de collaborer afin de créer des solutions réelles. Bien souvent, on s’attaque, mais on oublie que d’autres ont pu réfléchir, proposer et tester des initiatives. On doit miser sur l’ouverture des savoirs et le partage des expériences pour enfin regarder l’autre comme quelqu’un qui pourrait nourrir nos connaissances. Si tout se passe bien d’ici 20 ans, nous aurons pris conscience que les solutions ne sont pas apportées par des organismes, des chercheurs ou des politiques, mais qu’elles sont issues de la société elle-même dans sa capacité à reconnaître chaque individu. Quelles sont les leçons importantes à tirer de l’histoire du Canada? Je crois que les Pensionnats autochtones constituent une notion très importante de notre histoire qu’on a trop souvent passée sous silence ou minimisée. LA SOCIÉTÉ A LE le alors même qu’une partie des personnes impliquées avaient de bonnes intentions; elles voulaient faire du bien et aider. C’est là où l’on a beaucoup à apprendre, à la fois sur l’importance de l’identité culturelle et sur le fait que ce n’est pas parce qu’on veut aider quelqu’un qu’on peut le faire. Et ce n’est que l’histoire qui nous apporte une deuxième lecture, indispensable pour construire l’avenir. DEVOIR DE REGARDER DE FACE CETTE PÉRIODE TERRIFIANTE DE NOTRE HISTOIRE POUR chée. Même si le parcours est encore très long et que nous aurons besoin de beaucoup plus d’acteurs sur le plan du changement, il est effectivement encourageant de voir des initiatives citoyennes naître partout au pays. Au niveau politique, il faudra regarder du côté des municipalités pour être encouragé! L’ouverture à la créativité, à l’innovation, à la collaboration et le soutien aux initiatives individuelles ou collectives au-delà des normes prescrites par une société qui a tout sectorisé, tout cela me semble indéniable. Le Canada est un des 10 pays les plus développés du monde et pourtant, les inégalités sont encore flagrantes. Et il est encore plus décourageant de constater le doigté avec lequel la désinformation fait son œuvre. Nombreux sont les Canadiens qui pensent d’ailleurs toujours qu’il est injustifié de parler des droits puisqu’ils seraient aujourd’hui tous respectés! La réalité, c’est que si vous naissez autochtone au Canada, vous allez être confronté à des difficultés d’accès au logement. Par exemple, 68 % des Inuits du Nunavik habitent dans des logements surpeuplés et 53 % habitent dans des maisons qui ne respectent pas le standard minimum en matière de santé. Vous aurez 8 fois plus de chances de connaître l’itinérance dans votre vie ou encore 10 fois plus de chances d’avoir une peine de prison et attention, dans 50 % des cas, vous aurez une sentence plus longue pour le même crime commis par tout autre Canadien. De sérieuses questions s’imposent. D’ici 20 ans, si nous pensons à un panorama des plus sombres, l’État poursuivrait son désengagement; le système éducatif abdiquerait à se battre pour garder son indépendance et le citoyen se désillusionnerait pour de bon. Nous continuerions à mettre sur pied des sociétés où le statut social, les origines ou le niveau d’éducation des citoyens continueraient à renforcer les inégalités de droits. Au lieu d’apprécier tout le potentiel de nos différences, nous continuerions à créer des frontières imaginaires entre chacun de nous et à façonner nous-mêmes un système qui nous montrerait pourtant ses limites à chaque instant. EN TIRER DES APPRENTISSAGES ET UNE MEILLEURE COMPRÉHENSION DES ENJEUX ACTUELS DANS NOTRE SOCIÉTÉ. Si le Canada n’a pas connu de grandes guerres, le pays a fait preuve d’une grande violence culturel- « Mais il n’y a personne qui n’aide personne, chacun a quelque chose à apprendre ou à donner à l’autre, peu importe sa position sociale. » Quels échecs a subis le Canada dans le passé? Les relations autochtones allochtones. Aujourd’hui encore, les autochtones ne sont pas considérés comme des citoyens à part entière. La société est restée dans une relation dominant/dominé dans laquelle elle n’a rien à apprendre des autochtones, mais n’a seulement qu’à les aider. Mais il n’y a personne qui n’aide personne, chacun a quelque chose à apprendre ou à donner à l’autre, peu importe sa position sociale. On ne peut pas construire le Canada de demain sans tous les Canadiens. Se positionner en tant qu’apprenant et non comme maître disposant du savoir est indispensable à la création d’un dialogue social inclusif. 63 Zahra Ebrahim → Zahra Ebrahim, administratrice principale et fondatrice d’ArchiTEXT, interviewée le 10 novembre 2014 par Brenna Atnikov sur LE FAÇONNEMENT d’un avenir meilleur : « Je m’inquiète du fait que nous pourrions rester embourbés dans un tourbillon d’indécision. » ATNIKOV EBRAHIM Comment votre travail a-t-il façonné votre perspective? Les concepteurs sont très bien placés pour examiner la complexité, et cela pour deux raisons : nous comprenons les êtres humains et nous sommes à l’aise dans l’expérimentation de prototypes. Lorsqu’on leur confie un problème, les concepteurs regardent d’abord les personnes en cause, leurs desiderata, leurs souhaits, leurs besoins et leurs craintes. Mais bien des concepteurs, qui veulent se servir de leurs compétences pour provoquer un change- ment social, trouvent qu’il est difficile de se faire apprécier pour plus que leur capacité de fabriquer des artéfacts. Nous devons comprendre que les concepteurs forment une partie essentielle de n’importe quelle équipe stratégique, de sorte que lorsque des réunions sont convoquées pour discuter des soins de santé, de la réduction de la pauvreté ou de l’environnement, il y ait toujours un concepteur présent. Comment ma génération peut-elle avoir recours aux compétences que nous avons acquises dans les secteurs de l’entrepreneuriat, de l’innovation sociale, de la technologie et des secteurs émergents, et s’en servir en vue de perturber l’industrie et le gouvernement? Un grand nombre de mes pairs partent à la recherche de postes décisionnels, mais une fois là, ils sont rapidement écrasés par les obligations de la responsabilité institutionnelle et ils ne sont plus motivés à prendre des risques et à réaliser des choses créatives. Quand les gens ne réussissent pas à transformer ces institutions, ce n’est pas par manque de créativité ou de talent, c’est parce qu’ils auraient eu besoin de nouvelles capacités dont leurs prédécesseurs n’avaient pas besoin. Ces choses prennent beaucoup de temps, donc nous devons apprendre à modifier nos méthodes pour appuyer cette nouvelle génération de chefs de file. Quels risques majeurs avons-nous pris? Comment avons-nous fait face au succès et comment avons-nous fait face à l’échec? Avons-nous mûri suffisamment pour savoir écouter un ensemble plus diversifié de citoyens, pour répondre à leurs besoins plutôt que d’y réagir en faisant la soude oreille? Avons-nous appris comment aligner les efforts des gens qui tentent d’agir pareillement dans tout le pays? L’alignement et la collaboration sont dans l’ADN des Canadiens, mais nous ne savons toujours pas comment les appliquer. Qu’est-ce qui vous préoccupe ces jours-ci? Si vous pouviez demander n’importe quoi à un voyant au sujet de l’avenir, que voudriez-vous savoir d’abord et avant tout? 64 Je m’inquiète également de la mesure dans laquelle nous incluons la voix des citoyens. Je m’inquiète du fait que nous ne formerons jamais une culture où ils seront authentiquement engagés dans les conversations nationales critiques. Je m’inquiète du fait que nous pourrions rester embourbés dans un tourbillon d’indécisions, incapables de reconnaître cette réalité et de saisir le bon moment pour faire un acte de foi. Cette incapacité de prendre des risques est justement ce qui nous empêche d’être au premier rang dans un si grand nombre de domaines et ce qui cause l’exode de nos talents vers d’autres pays. Si les choses tournent bien au cours des vingt prochaines années, quel sera le geste le plus risqué que le Canada aura posé? Nous aurons pris le risque de nous concentrer sur une seule chose. Nous nous sommes concentrés sur une grande question et nous avons rehaussé la barre d’un cran. Cette grande question était peut-être la réduction de la pauvreté, et nous avons réduit considérablement le nombre de personnes vivant dans la pauvreté dans notre pays. Nous avons réussi, non pas en voulant créer quelque chose pour laquelle le monde nous verrait comme leader, mais en met- tant à profit l’intelligence que nous avons à l’intérieur de nos frontières, pour assurer que des changements audacieux ne se produisent. Et ceci nous a aidés à retenir les leaders en pensée créative, et à démontrer que le Canada a un appétit pour les risques. Au lieu de parler de combien nos villes sont métropolitaines, nous avons agi pour qu’elles le soient et ainsi nous avons montré au monde, plutôt que parlé au monde. Si ce type de culture ne devient pas la norme au Canada, où allons-nous nous retrouver? NOUS NOUS RETROUVERONS LÀ OÙ NOUS comment nous pouvons contribuer à une conversation mondiale visant à être plus inclusive, plus créative et plus centrée sur l’être humain. Là où nous sommes maintenant n’est pas un endroit si mauvais que cela; c’est seulement que nous nous limitons nous-mêmes parce que nous ne sommes pas à l’aise avec l’idée d’intégrer de nouveaux procédés dans notre vieux SOMMES MAINTENANT : UN PEU EN RETARD PAR RAPPORT AU RESTE DU MONDE. L’innovation et la créativité demeureront à l’extérieur et non au cœur même de l’ADN des organismes, dont la capacité d’adaptation restera limitée en conséquence. Notre rôle au sein de la communauté sera stagnant, et nous serons toujours en train de nous demander « Comment ma génération peut-elle avoir recours aux compétences que nous avons acquises dans les secteurs de l’entrepreneuriat, de l’innovation sociale, de la technologie et des secteurs émergents, et s’en servir en vue de perturber l’industrie et le gouvernement? » Quelles décisions devons-nous prendre? Nous devons décider dans quel genre de pays nous voulons être. On investit beaucoup à l’heure actuelle dans l’innovation au sein de la fonction publique, et cet investissement va s’épuiser si nous ne nous engageons pas à mettre en œuvre certaines des grandes idées qui ont circulé. Arrêtons de parler de l’expérimentation et commençons à nous engager envers de nouvelles approches pour résoudre les problèmes. Si nous ne pouvons pas faire cela, alors nous devrions simplement nous engager à être un pays qui suit les autres. 65 David Emerson → David Emerson, ancien ministre du Commerce, interviewé le 15 août 2014 par Monica Pohlmann sur LA TRANSFORMATION du leadership : « Nous avons donné libre cours à une mentalité de ruée vers l’or. » POHLMANN EMERSON Qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit au sujet de ce qui se passe actuellement au Canada? Nous ne gérons pas bien notre richesse en ressources naturelles. Nous ne prêtons pas suffisamment attention à la croissance à long terme, à la stabilité et à l’équité entre les générations. J’observe ce que nous faisons avec les ressources non renouvelables et cela me désespère. Nous avons donné libre cours à une mentalité de ruée vers l’or. Quand les marchés sont forts, nous voyons d’énormes investissements dans les projets, tels que les sables bitumineux, ce qui mène à l’inflation des coûts, aux maux de croissance sociale et économique et aux pressions environnementales. Ensuite, nous prenons les recettes provenant de ces ressources — recettes que nous n’obtenons qu’une seule fois avec la vente d’un bien public — et les utilisons pour payer les soins de santé, les programmes gouvernementaux et les services qui sont solidement ancrés dans notre système de dépenses publiques. Mais le cycle tourne inévitablement et nous nous retrouvons devant la dévastation fiscale et économique. Les recettes ne sont plus là, mais les dépenses associées aux programmes perdurent. Les coûts qui ont augmenté si facilement ne baisseront plus. Cette approche envers la gestion des ressources ne fait qu’alimenter la volatilité, à la fois sur le plan national et interrégional. Cette volatilité a également un effet déstabilisant sur la partie de notre base économique qui est mobile au niveau mondial. Les coûts et les pressions fiscales créés pendant les périodes de prospérité sont très persistants et ne se corrigent que très lentement et très douloureusement. L’industrie, les capitaux et les compétences humaines nécessaires pour stimuler 66 Si dans vingt ans les choses ne se sont pas bien déroulées au Canada, que se serait-il passé? l’innovation et les nouveaux produits destinés au marché mondial peuvent aller ailleurs et y vont effectivement. Au fond, on force l’économie à dépendre des activités qui sont proches de la ressource… l’inverse de la diversification économique. De façon semblable, nous avons été témoins de l’érosion du secteur manufacturier au sein de l’économie canadienne, et cela aussi me préoccupe. Je crois qu’un bon équilibre entre les activités manufacturières, l’extraction des ressources, la technologie et les services est important pour assurer une économie saine, dynamique et stable. Nous sommes également aux prises avec certaines politiques publiques qui vont à l’encontre de la dépendance du Canada à l’égard du commerce international et à l’encontre de l’investissement dans notre avenir économique. Nous poursuivons toujours des politiques protectionnistes dans plusieurs secteurs, par exemple l’agriculture et les télécommunications. Nos propres politiques protectionnistes minent notre réputation en tant que nation de libre commerce et entravent notre capacité de négocier le genre d’accords commerciaux qu’il nous faudrait pour soutenir un avenir économique robuste. Bien que cette situation s’améliore peu à peu, cela demeure néanmoins une grande source d’inquiétude. En dernier lieu, je suis inquiet pour le Grand Nord canadien. Au point de vue géographique, le Canada est surtout composé d’une immense masse de terre et d’eau pénétrant la zone arctique, particulièrement vulnérable au changement climatique et peu peuplée. Petit à petit, nous devenons plus conscients des problèmes et des préoccupations du Nord. Mais le défi posé dans le Nord ressemblera au défi posé pendant le développement du Canada à ses débuts. Il faudra y réaliser d’énormes investissements et l’attente sera longue avant de pouvoir en tirer « profit ». Les questions relatives à la souveraineté et à la sécurité seront primordiales. Les évaluations et les impacts potentiels exigeront une discipline et une concentration intenses. SIR JOHN A. MACDONALD Ce scénario négatif ferait preuve d’échecs dans plusieurs domaines. Les pipelines essentiels au transport des produits vers les marchés n’auront pas été construits à temps. L’infrastructure économique fondamentale, et surtout l’infrastructure du transport, sera rejetée dans chaque « quartier » stratégique, ce qui reflète le remplacement des licences réglementaires par le concept amorphe des « licences sociales ». Nous ne parviendrons pas à restaurer l’élan initial des pourparlers multilatéraux sur les échanges commerciaux et nos tentatives de forger des accords commerciaux régionaux fléchiront. Nous ne nous adapterons pas à la réalité du réchauffement de la planète, et le monde se heurtera à une crise internationale urgente en matière de politique publique. En ce qui a trait au climat, et à la mauvaise gestion de nos ressources naturelles, nous verrons apparaître de nouvelles technologies qui mèneront les consommateurs à adopter d’autres sources d’énergie que celles à base de carbone. Étant donné que nous sommes extrêmement dépendants de l’énergie à base de carbone, notre économie et nos finances publiques seront durement frappées. DOIT SE RETOURNER DANS SA TOMBE. Les délais requis pour instaurer des changements profonds et transformateurs sont extrêmement longs, qu’ils soient rattachés aux règles, aux lois ou à l’infrastructure. Nous n’aurons pas su dompter les forces du court-termisme, et ceci ne fera qu’encourager les partis politiques à poursuivre leur tendance à négliger une vision plus large du pays et jouer en faveur d’assises politiques individuelles plus étroites, à se munir de corbeilles de gourmandises et de faveurs réservées aux assises en question. En bref, les générations futures de Canadiens auront un grave défi à relever pour réaliser le type de chances et de normes de vie rendues accessibles aux générations de l’après-guerre. « Les délais requis pour instaurer des changements profonds et transformateurs sont extrêmement longs, qu’ils soient rattachés aux règles, aux lois ou à l’infrastructure. » Quelles décisions le Canada devra-t-il prendre? Les personnes dotées de vision, d’intelligence, de sagesse et d’énergie devront s’extraire de leurs zones de confort et se dévouer à la tâche de convaincre leurs concitoyens que nous avons beaucoup de travail ardu à faire. Il y aura de la controverse et parfois de brefs sacrifices à faire, mais les Canadiens devront appuyer les leaders qui assumeront le gros du travail, non pas pour des raisons de défendre leurs intérêts, mais pour des raisons de fierté nationale et de foi en notre responsabilité envers les générations futures. Si les gens ayant des talents exceptionnels ne se manifestent pas et si les Canadiens ne leur donnent pas l’appui qu’il faut, le scénario négatif deviendra le scénario de base. Il y a eu de nombreux leaders qui ont changé le cours des choses au fil de l’histoire. J’adore lire à leur sujet, parce que plusieurs d’entre eux ont dû faire face à des échecs et essuyer des revers, mais ils ont persévéré malgré tout. Steve Jobs avait une vision obsessionnelle et non ambiguë à l’égard d’ Apple. Elle n’était pas appréciée par tout le monde, mais elle a bien profité à Apple et aujourd’hui, on le révère pour sa détermination à faire non pas ce qui était à la mode, mais plutôt ce en quoi il croyait. Le Canada a besoin de ce type de leadership innovateur : des gens qui se consacrent à faire ce qui est difficile, épuisant, et parfois même impopulaire, mais néanmoins avantageux pour l’avenir à long terme du pays. 67 Suzanne Fortier sur → Suzanne Fortier, rectrice de l’Université McGill, interviewée le 13 novembre 2014 par Brenna Atnikov UNE NATION éclairée et bienveillante : « Il y a un sens de solidité entourant le Canada. » ATNIKOV FORTIER Qu’est-ce qui vous anime au sujet du Canada? Le privilège de vivre et de travailler avec la nouvelle génération de notre pays. Les étudiants se préoccupent de ce qui se passe ici à Montréal et au Canada, mais aussi de ce à quoi nous faisons face au niveau de la planète. Ils réinventent des choses comme l’engagement et la communauté. Ils veulent être des leaders. Il nous incombe en tant que société de les encourager et de leur donner la chance de développer les compétences qu’il leur faut. En ce moment, il est trop facile de s’isoler, de simplement observer ce qui se passe autour de soi par l’entremise d’Internet et de jouer le rôle de critique. Nous avons besoin que nos jeunes soient des gens d’action, des bâtisseurs. Dans le monde du hockey, les gens disent : « En fin de compte, on a besoin d’avoir son temps sur la glace » c’est-à-dire, on a besoin de se trouver dans l’arène, d’avoir un rôle dans la partie et de prendre part à l’action. Nos jeunes Canadiens ont eux aussi besoin d’avoir leur « temps sur la glace ». Quels sont les types de qualités de leadership dont le Canada aura besoin afin de réussir? LE GOUVERNEUR GÉNÉRAL NOUS A LANCÉ À CELLE DE LA COLLECTIVITÉ. Pour franchir UN APPEL POUR CRÉER « UN PAYS DE CŒUR les étapes nécessaires sur le plan des connaissances et de la créativité, nos leaders devront être réceptifs à de nouvelles idées et pouvoir entendre divers points de vue provenant de personnes ayant des origines, des expériences et des cultures différentes. ET D’AVENIR », UNE NATION ÉCLAIRÉE ET BIENVEILLANTE. C’EST UNE BONNE JUXTAPOSITION : IL NOUS FAUT DES GENS REMPLIS D’ASPIRATIONS ET D’AMBITIONS QUI DÉSIRENT CONSACRER LEURS TALENTS ET LEURS EFFORTS À LEUR PROPRE AMÉLIORATION ET Si vous pouviez demander tout ce que vous vouliez à une voyante ou à un voyant au sujet de l’avenir du Canada, qu’aimeriez-vous savoir? 68 Quel rôle le Canada jouera-t-il sur le plan mondial vis-à-vis des énormes défis auxquels la planète doit faire face? Le Canada est bien placé pour faire sa part, parce qu’il est privilégié au niveau des ressources qu’il possède. Étant donné que le Canada est composé de personnes qui viennent de tous les coins du monde, les gens ici se préoccupent non seulement de questions qui touchent leur voisinage immédiat, mais aussi de questions plus internationales. Ils comprennent qu’il est impossible de régler les problèmes en travaillant isolément, qu’on soit dans le monde des affaires ou qu’on soit expert en agriculture. Nous ne pourrons y arriver que si nous réunissons des personnes dotées d’une gamme de compétences différentes. Cela étant le cas, je me demande si nous saurons saisir cette occasion et devenir un endroit crucial pour améliorer le bien-être de la planète. Si les choses tournaient mal au cours des vingt prochaines années, à quoi ressemblerait le Canada? À quoi ressemblerait le Canada dans vingt ans si les enjeux d’aujourd’hui tournaient mal? Nous serions un pays plus divisé, moins tolérant et moins sécuritaire. Il y aurait une disparité accrue dans la condition de vie des gens et cela occasionnerait de l’agitation sociale. Nous gaspillerions nos précieuses ressources. Et si les choses tournaient bien au cours des vingt prochaines années, qu’est-ce qu’on pourrait en dire? De quelle façon parlerions-nous du Canada dans vingt ans si les enjeux actuels tournaient bien?? Nous serions un pays où chaque individu jouirait d’une bonne qualité de vie, situation que nous n’avons pas encore atteinte. Nous tenons pour acquis le fait que même si nous venons d’une couche sociale modeste ou d’un milieu difficile, nous pouvons toujours réussir dans la vie, mais en fait, nous devons continuer d’offrir des chances d’égalité à tout le monde. avons pu accommoder toute une gamme d’interprétations et de perspectives. Des personnes de cultures différentes viennent s’établir ici et confèrent au pays son caractère distinctif. Nous commençons à voir que ceci forme une partie intégrante de notre richesse en tant que pays et que certaines des occasions d’affaires qui se présentent nous viennent du fait que nous ne sommes pas définis par un seul rôle. À mon avis, une portion de notre succès reposera toujours sur le fait que nous savons nous définir d’une manière qui accommode des points de vue différents. Nous devons aussi continuer de donner suffisamment d’espace pour permettre à plusieurs collectivités canadiennes de coexister. C’est là quelque chose que nous avons plutôt bien réussi à faire, nous « Nos jeunes Canadiens ont eux aussi besoin d’avoir leur temps sur la glace. » Quel serait un exemple d’une des plus grandes réussites du Canada? Depuis quelques années, la plupart des pays du monde subissent le choc provoqué par la récente crise économique brutale. Nous possédons une dose équilibrée d’intelligence et de prudence, et donc nous avons construit une base vraiment solide ici. Même si cette période n’a pas été exactement facile à traverser, elle n’a pas été aussi difficile que dans bien d’autres endroits sur la planète. Il y a un sens de solidité entourant le Canada. Nous avons bien fait les choses en ce qui concerne les éléments fondamentaux d’une société. Bien sûr, il faut toujours s’appliquer à faire mieux, mais nos fondations sont fortes. 69 Roger Gibbins → Roger Gibbins, chercheur principal de la Canada West Foundation, interviewé le 5 septembre 2014 par Monica Pohlmann sur LE BESOIN Quelles leçons devons-nous tirer de nos échecs passés? Vous avez sans doute entendu cette vieille expression albertaine : « Donnez-moi un autre boom pétrolier, et je promets de ne pas le dilapider! » L’Alberta est un excellent exemple d’un endroit où nous avons bénéficié d’énormes richesses sans nous en sortir mieux pour autant. En ColombieBritannique, la Première Ministre, Christy Clark, a une vision selon laquelle les revenus du gaz liquide naturel engendreront une abondance de richesses pouvant servir à différentes fins au sein de cette province. Elle est sur la bonne voie, dans le sens qu’il nous faut utiliser ces revenus de façon à transformer les choses. Parallèlement, si l’on est dans le commerce du voyage, on vend la destination et non le trajet. Christy Clark essaie pour sa part de vendre le trajet, et ce n’est pas suffisant. Harper a une destination en tête, mais ne l’a pas clairement articulée. Si les gens ont peur de la fin que Harper a en tête, ils ne vont pas en accepter les moyens. Si nous avions une vision claire de notre destination comme pays ou comme province, une vision un peu meilleure que celle d’avoir simplement les impôts les plus bas et les salaires les plus élevés, alors cet objectif serait plus facile à vendre. En ce moment, il est plutôt difficile de contrer les oppositions qui surviennent. Qu’est-ce qui vous anime au sujet du Canada? J’aime ce que nous avons réalisé dans la partie urbaine du Canada; malgré les énormes défis que les villes représentent, nous avons réussi à créer des milieux urbains qui sont assez sécuritaires, intéressants et énergiques. Nous avons créé un climat de tranquillité politique dans le pays qui peut être étouffant de certaines façons, mais qui nous a aussi apporté beaucoup de réconfort intérieur. Dans notre politique nationale, nous ne cherchons pas à démolir les gens. Nous nous sommes raisonnablement bien débrouillés pour transformer ce pays complexe en une société remarquablement inclusive et diversifiée. Nous avons joué un rôle important sur le plan international. Nous nous critiquons constamment au sujet de notre engagement écologique et pourtant, nous avons beaucoup fait à l’échelle locale. Il y a des exceptions, mais en dépit de cela, nous nous sommes assez bien tirés d’affaire. Nous devrions être fiers de ce que nous avons réalisé dans ce pays. de décider où nous allons : « Nous avons créé ce type de pays à force de volonté. » POHLMANN GIBBINS Qu’est-ce qui vous préoccupe au sujet du Canada, en ce moment? Nous sommes en train de perdre notre sens de collectivité en tant que pays dans son ensemble. BIEN DES GENS ONT L’IMPRESSION QU’IL SUFFIT D’AVOIR UNE COMMUNAUTÉ LOCALE ÉPANOUIE ET UNE LIGNE FERROVIAIRE À GRANDE VITESSE MENANT À UN AÉROPORT INTERNATIONAL POUR N’AVOIR BESOIN DE RIEN D’AUTRE. PAR CONSÉQUENT, LES COLLECTIVITÉS DE NIVEAUX PROVINCIAL ET NATIONAL NE COMPTENT PLUS BEAUCOUP. L’occasion d’aller voir le monde et de revenir à sa base est là, mais je m’inquiète du manque de motivation du Canada, en général. Nous perdons confiance en nos institutions politiques et en notre capacité d’agir ensemble. Les perspectives sont plus étroites, et bien que ce phénomène ne soit pas limité au Canada, le fait d’avoir des gens dans ce pays vaste et maladroit, qui se replient de plus en plus sur eux-mêmes, demeure néanmoins alarmant. On peut dire que dans l’ensemble, la situation chez les autochtones est positive et qu’elle déploie beaucoup d’énergie et d’innovation. Mais je crains aussi que les Quelles décisions importantes devons-nous prendre? 70 Premières Nations deviennent de plus en plus isolées au lieu de devenir de plus en plus partie intégrante du courant national. Notre économie repose sur les ressources. Il est assez sûr de prédire qu’une économie basée sur les ressources ne fera rien pour nous dans vingt ans. Nous devons nous transformer, mais comment? Il y a bien des gens qui voudraient Un tel isolement ne sera pas sain. Lorsque les groupes sont rapprochés de la plus grande société, tous les aspects positifs de l’intégration peuvent fonctionner. Ce sont les communautés plus petites et plus isolées qui me préoccupent. Ce n’est pas ce qu’on appelle un avenir. Nous avons une approche quasi obsessionnelle vis-à-vis de l’environnement : nous nous concentrons sur ces sept arbres ou bien sur ce lac en particulier, et nous n’acceptons pas de compromis. On oserait espérer que si je suis dans mon quartier en train de protéger mes arbres, il existe évidemment un lien local, mais aussi il y a toujours cette pensée sous-jacente dans ma tête qui demande si ce geste est bon pour la province, pour le Canada? On veut que ce débat se déroule dans la tête des gens, et je ne crois pas que ce soit le cas en ce moment. que Calgary soit en tête dans le domaine de l’énergie. Mais nous ne surpasserons jamais les Chinois en énergie solaire ou les Allemands en énergie éolienne. Si nous voulons occuper une niche dans l’économie mondiale, quelle serait-elle? « Si nous voulons occuper une niche dans l’économie mondiale, quelle serait-elle? » En tant que pays, il y a des choses dont nous ne parlons pas et dont nous devrions pourtant parler. Quelles sont ces choses, d’après vous? Le 150e anniversaire fournit l’occasion de pousser les Canadiens à réfléchir sur l’avenir. En 1967, les premiers ministres de l’Ontario et du Québec ont coprésidé une assemblée intitulée Conférence sur la Confédération de demain. Il est temps pour nous d’avoir une autre conférence nationale sur toute une série de questions pressantes. Le monde semble être en train de se désintégrer très rapidement et de manière très décourageante. Cela veut dire qu’il est encore plus important que les Canadiens commencent à discuter de façon constructive de notre pays, de ce que nous pouvons faire ici et de comment nous protégerons le type de prospérité et d’harmonie sociale que nous avons eues jusqu’à maintenant. Le rapport tristement célèbre des Nations unies, daté d’il y a une vingtaine d’années, dans lequel le Canada était décrit comme le meilleur endroit où vivre dans le monde, peut nous avoir rendu un mauvais service en nous encourageant à être plus complaisants. Nous ne sommes pas faits cette réputation par accident; nous avons créé ce type de pays à force de volonté. Si cette volonté devait s’affaiblir ou perdre sa raison d’être, bien des atouts que nous possédons aujourd’hui deviendraient précaires. Ce que je crains, c’est qu’en dépit d’avoir réglé les problèmes du passé, nous soyons rapidement en train de nous laisser submerger par les problèmes de demain. Il faut que nous trouvions le moyen de cristalliser notre meilleur pouvoir de réflexion et de le transformer en vision d’avenir. 71 Anne Golden → Anne Golden, ancienne PDG du Conference Board du Canada, interviewée le 12 septembre 2014 par Adam Kahane sur LA RÉSISTANCE des villes : « Nous nous rendons compte que les yachts sont soulevés plus rapidement que les chaloupes. » KAHANE GOLDEN Que se passe-t-il au Canada qui, d’après vous, mérite notre attention? Il y a deux forces qui transforment le monde à l’heure actuelle, la mondialisation et l’urbanisation. Ces deux forces se concentrent sur les villes. Ce que j’entends par mondialisation, ce sont tous les changements facilités par la révolution technologique, y compris la restructuration de l’économie, l’intensification de la concurrence et la vitesse croissante à laquelle tous ces phénomènes se produisent. La révolution de la technologie de l’information est en train de tout transformer :chaque industrie et chaque emploi, le système d’éducation, les soins de santé, la démocratie, même comment pensent et communiquent les gens. La deuxième force majeure, l’urbanisation, est une révolution démographique. Il y a quelques années, nous avons dépassé le point où plus de la moitié des humains sur la planète vivaient dans les villes. Au Canada, quatre-vingts pour cent d’entre nous vivent dans des villes de dix mille habitants ou plus. Si l’on combine cela avec le vieillissement de la population et le fait que notre économie dépend de l’immigration, nos villes se heurtent à d’énormes défis. Et c’est là où vont les gens, où a lieu l’innovation, où est engendrée la richesse de notre pays, où sont concentrées nos plus grandes institutions d’enseignement et de soins de santé. Les villes font plus que leur part lorsqu’il s’agit de bâtir le PIB du pays. Le succès futur de nos villes est crucial pour que le Canada puisse être concurrentiel dans l’économie mondiale. Nous ne réussirons pas si nous n’investissons pas dans les changements essentiels. À Toronto, par exemple, nous n’avons presque rien investi dans l’infrastructure; depuis l’an 2000, nous avons apporté quelques améliorations, mais pas assez pour rattraper notre retard. Il nous faut investir dans la reconstruction de cette infrastructure ainsi que dans les systèmes de gestion de déchets et d’alimentation énergétique. Il nous faut trouver de meilleurs moyens de permettre à la ville de se développer et de grandir, en reliant nos décisions touchant le transport en commun et nos décisions touchant le développement. Et nous ne réussirons pas si nous ne luttons pas contre l’inégalité croissante des revenus par une combinaison de changements aux régimes fiscaux et d’instauration de programmes innovateurs. Si les choses tournent mal au cours des vingt prochaines années, que se serait-il produit? 72 Qu’est-ce qui nous mènerait à prendre des décisions sages ou peu sages? Si vous pouviez consulter un voyant et le questionner sur l’avenir, que voudriez-vous savoir? Nous avons besoin d’un public suffisamment éclairé pour comprendre que les villes et leurs alentours se trouvent au seuil d’une nouvelle ère, et que nous devons regarder devant nous et non derrière nous. Nous devons observer les preuves et être très prudents en prenant des décisions parce qu’elles entraînent des conséquences. Nous devons être prêts à payer nos im- pôts, car c’est le prix d’une société civilisée, sécuritaire et progressive. AUSSI, IL NOUS Allons-nous résoudre les problèmes de congestion et de connexions qui sont tellement fondamentaux à la prospérité de nos villes? Si nous n’encourageons pas les gens à sortir de leurs voitures et si nous ne relions pas toutes les parties de la région, nous devrons payer très cher, c’est-à-dire que nous perdrons beaucoup au niveau de la productivité et de la qualité de vie. Avec l’arrivée de nouveaux groupes, pourronsnous continuer à faire preuve d’ouverture d’esprit et de tolérance, qualités qui, jusqu’à maintenant, ont été à la base de notre succès, ou verrons-nous apparaître des tensions comme ailleurs dans le monde? Et finalement, pourrons-nous combler le fossé grandissant entre les revenus et ainsi émousser le côté tranchant du capitalisme? Nous espérions que la participation dans une économie du savoir mondialisée allait rehausser les normes de vie partout, que tous les bateaux allaient être soulevés par la vague, mais nous nous rendons compte aujourd’hui que les yachts sont soulevés plus rapidement que les chaloupes. À Toronto, on peut observer la stagnation de la classe moyenne et très peu d’amélioration pour les classes pauvres. FAUT DES LEADERS COMME NAHEED NENSHI DE CALGARY, DES LEADERS QUI ENCOURAGENT LES DISCUSSIONS RESPONSABLES, QUI N’ONT PAS PEUR DE DIRE LA VÉRITÉ ET QUI NE PORTENT PAS DE JUGEMENTS HÂTIFS, MAIS ATTENDENT PLUTÔT DE VOIR ET DE SOUPESER LA PREUVE. « Il y a deux forces qui transforment le monde à l’heure actuelle, la mondialisation et l’urbanisation. » 73 Danny Graham → Danny Graham, ancien chef du Parti libéral de la NouvelleÉcosse et président fondateur de Engage Nova Scotia, interviewé le 2 juillet 2014 par Adam Kahane sur L’ENGAGEMENT des citoyens : « J’ai tout à fait confiance en M. et Mme Tout-le-Monde. » KAHANE GRAHAM Qu’est-ce qui vous préoccupe le plus dans ce qui se passe au Canada? Depuis les années 1990, nos leaders politiques sont devenus plus tranchants. Les gens dans la politique n’accordent plus d’importance aux idées des autres ou alors manquent de respect à leur égard. La politique est devenue ce monde insensé où l’on se crie les uns aux autres : « Nous avons raison, vous avez tort, taisez-vous, asseyez-vous et faites attention à ce que j’ai à dire. » Les attaques publicitaires sont des symptômes de cette dynamique. Ce qu’il faut retenir avant tout, c’est que ces messages sont le symptôme d’un public plus polarisé qui veut — et même, exige — des réponses simples à des questions complexes. Il doit se produire un changement fondamental pour que nous puissions créer un nouveau point d’équilibre. À quoi pourrait ressembler ce changement? Les facteurs de ce changement comportent une profonde réforme démocratique et en particulier, l’engagement des citoyens. L’essence même de la démocratie réside dans la sagesse commune. Si nous faisons confiance aux individus et les invitons plus souvent à participer aux délibérations et aux décisions entre — et non seulement pendant — les élections, le Canada deviendra de nouveau un pays vivant, prospère, durable et progressiste. Pour y arriver, nous devrons rendre possibles les conversations entre citoyens, surtout à propos d’enjeux importants et complexes. Pouvez-vous songer à un exemple où nous avons pu engager les citoyens comme vous le jugez nécessaire? Pendant les années 1990, le public et les leaders politiques estimaient que la Loi sur les jeunes contrevenants avait comme résultat de permettre aux jeunes criminels qui commettaient des délits graves d’échapper à toute punition. La réalité, c’est que le Canada mettait les jeunes en prison plus fréquemment que presque tous les autres pays occidentaux. En réponse au tollé général, Ralph Klein, à l’époque Premier Ministre de l’Alberta, qui préconisait des mesures pénales plus strictes, avait convoqué une assemblée publique de quelque 150 Albertains pour tracer la voie du système de justice pénale en Alberta. Certains s’attendaient à ce que le groupe recommande des pénalités plus dures. Au cours des trois jours de l’assemblée, ces citoyens furent renseignés à fond sur les choix qu’ils pouvaient faire. Ce qui émergea de ces délibérations fut une série de recommandations excellentes et sensées sur le chemin à suivre pour créer un système de justice pénale qui soit dicté par les pratiques exemplaires et la preuve, et non pas par la rhétorique. 74 Est-ce que vous dites que les citoyens moyens savent faire preuve de plus de bon sens que les politiciens? Pensez-vous qu’un nouveau groupe de leaders pourrait modifier le discours politique actuel? Je ne suis pas sûr de vouloir dire cela. Mais d’ÊTRE DANS LA VIE POLITIQUE EST UNE EXPÉRIENCE TRÈS DÉBOUSSOLANTE, DANS CE SENS QUE VOUS POUVEZ ÊTRE FACILEMENT DÉSORIENTÉ SI VOUS PRÊTEZ TROP ATTENTION AUX MÉDIAS OU AUX CONSEILLERS EN COMMUNICATION. Aucune chance! Zéro! Ça ne peut pas se produire uniquement du haut vers le bas, pour diverses raisons : les gens ont moins confiance en leurs institutions; il y a une absence de dialogue éclairé sur les vrais défis et les enjeux sont vraiment complexes. Il y a une centaine d’années, nous vivions à une époque où les gens avaient davantage J’ai tout à fait confiance en « M. et Mme Tout-le-Monde ». La recherche a démontré que si vous leur donnez la chance d’appliquer leur sagesse à quelque chose, ils en viendront habituellement à une décision plus sage et le reste d’entre nous en acceptera généralement le résultat. Pensez à la mesure dans laquelle le grand public accepte les décisions des jurys. confiance en l’élite à cause du manque d’instruction et de l’échange limité de renseignements. De nos jours, les gens ne vont simplement pas accepter une solution à moins d’avoir eu l’occasion de bien l’étudier. Donc, tout changement fondamental doit venir du haut vers le bas ainsi que du bas vers le haut. « Les facteurs de ce changement comportent une profonde réforme démocratique et en particulier, l’engagement des citoyens. » Croyez-vous que les Canadiens se soucient assez du Canada pour faire ce que vous voudriez qu’ils fassent? Permettez-moi de vous raconter une anecdote au sujet de la passion pour le Canada dont j’ai été témoin. J’ai emmené mon fils cadet, Colin, aux Jeux olympiques d’hiver à Vancouver en 2110, et là nous avons appris beaucoup sur l’amour que ressentent les Canadiens ordinaires pour leur pays, chose à laquelle je ne m’attendais pas. Nous nous trouvions par un heureux hasard dans la rue Robson le dernier jour des Jeux, le Canada ayant remporté plusieurs Médailles d’or. Nous marchions avec des dizaines de milliers de parfaits étrangers et tout le monde se donnait des « high five ». Au milieu des célébrations, je me suis trouvé dans une file de conga indo-canadienne, aux côtés d’un vieil Asiatique vêtu d’un chandail de Crosby, et parmi des sans-abris qui étaient venus à pied de l’autre bout de la ville pour sourire et partager leur ardeur envers notre pays. Il existe un ingrédient magique chez les Canadiens, qui n’est pas manifesté très souvent. Si nous le cultivions et le faisions monter à la surface, il libérerait tout un potentiel ainsi que des chances que nous ne connaissons pas encore complètement. Si nous étions assis en cet endroit dans vingt ans, et si les choses s’étaient vraiment mal passées, qu’est-ce qui aurait eu lieu? Nous serions devenus encore plus polarisés. Quand vous tenez compte des exemples extrêmes d’événements dans des endroits comme le Moyen-Orient et certains pays d’Afrique, vous constatez que le plus grand défi ne tourne pas autour des idées, mais plutôt autour des relations humaines et des processus. Personne n’a créé suffisamment d’occasions pour que les idées opposées et les partis politiques convergent de manière constructive. Je crois que l’endroit idéal pour l’innovation et les possibilités ne se trouve pas dans les marges, mais plutôt au milieu, là où il existe une combinaison de perspectives. Accepter que tout soit possible engendre le magique. 75 → Michael Green, directeur de la création du projet Making Treaty 7, interviewé le 30 juillet 2014 par Brenna Atnikov. Making Treaty 7 est un événement culturel qui invite les gens de Calgary à imaginer un avenir commun, par le biais du prisme du Traité 7 signé à Blackfoot Crossing, en 1877 Michael Green sur LE RÉCIT de notre histoire : « Il n’y a jamais eu de conciliation. » ATNIKOV GREEN Les projets tels que Making Treaty 7 indiquent-ils que nous sommes arrivés à un nouveau moment de réconciliation au Canada? Un de mes amis, Adrian Stimson, qui est un artiste visuel de la nation Siksika, refuse d’utiliser le terme « réconciliation ». Il dit qu’il n’y a jamais eu de conciliation. Les colons sont venus ici avec une idée décidément victorienne de ce qu’était le succès, de ce qu’était la richesse et du rôle que chacun jouait à l’intérieur de cette « machine ». Les Européens ont vu des gens qui vivaient de la terre et ils étaient tout à fait incapables de valoriser le mode de vie de ces gens. Ils ont enfermé les enfants des Premières Nations dans des pensionnats et ils ont plus ou moins annihilé leur culture à force de coups. tries et notre agriculture — ne soit pas durable. Nous sommes en train d’apprendre qu’après tout, nous avons besoin d’un peu de cette sagesse que les Premières Nations croyaient pouvoir nous enseigner quand nous nous sommes pointés chez eux, malades et mourants les uns après les autres tous les hivers. Nous allons voir bientôt venir le temps où les Premières Nations surmonteront ces générations d’oppression et assumeront leur place comme dirigeants de notre pays. Le fait que nous produisions Making Treaty 7 démontre que nous sommes maintenant prêts à tenir cette conversation au Canada. Je ne sais pas si nous l’étions auparavant. Mais nous commençons à comprendre qu’il se peut que le style de vie que nous avons travaillé si fort à créer — nos indus- Qu’est-ce que vous espérez réaliser avec Making Treaty 7? Making Treaty 7 est une expérience théâtrale, mais les intentions sont très sérieuses. La plupart des gens n’ont absolument aucune idée de ce qu’est le Traité 7, et même si certains le savent, ils ne le voient que d’une seule perspective. Nous avons travaillé avec plusieurs cultures différentes — les Blackfoots et les Stoneys et les Tsuu T’inas — pour monter le spectacle. Tenter d’unifier une vision commune représente toute une aventure. Par contre quand ça marche, il en ressort tout d’un coup quelque chose de vraiment intéressant. J’adore cette image qui, je crois comprendre, est traditionnelle dans la vision du monde qu’ont les Premières Nations : « Nous formons tous un cercle. » Dans le cen- 76 tre de ce cercle se trouve un arbre, et chacun a un point de vue différent de cet arbre. L’un dira : « Voilà des fruits qui mûrissent. » Un autre dira : « Cet arbre est malade. » Un troisième dira : « C’est là qu’il a été frappé par la foudre. » Et ce sont toutes ces choses à la fois! Si je ne reconnais pas les signes de la maladie en question, j’ai besoin de la personne qui puisse me l’indiquer. Je ne peux pas fonctionner sans cette intelligence ou alors, je ne serai qu’à demi renseigné. Si Making Treaty 7 contribue aux changements que vous espérez voir survenir, à quoi pourrait ressembler le Canada au cours des vingt prochaines années? Il nous faut avancer au-delà de la simple tolérance et embrasser un paradigme plus éclairé, plus large, de ce que représente l’humanité dans son ensemble. Je pense que c’est là la promesse du Canada. la société a fait un énorme pas en avant à peu près à cette époque, puis nous avons commencé à apprendre ce que c’est que d’être multiculturel. JE NE PEUX PAS M’EMPÊCHER DE SENTIR Il ne faut surtout pas croire que nous sommes une utopie de tolérance depuis longtemps dans notre histoire, pourtant nous étions sur la bonne voie pendant un certain temps. Le défi sera de tenter de retrouver cette vision que signifiait le Canada de Trudeau. QUE NOUS ÉTIONS PLUS OUVERTS ET PLUS RÉCEPTIFS PENDANT L’ÈRE DE TRUDEAU. Il a fait sortir l’église et les tribunaux de nos chambres à coucher afin que nous puissions être qui nous sommes sans crainte de représailles; le rôle des femmes dans « Nous sommes en train d’apprendre qu’après tout, nous avons besoin d’un peu de cette sagesse que les Premières Nations croyaient pouvoir nous enseigner quand nous nous sommes pointés chez eux, malades et mourants les uns après les autres tous les hivers. » Si nous commençons tous à apprécier cette façon de voir la vie ensemble, nous pourrons alors nous efforcer de créer un monde meilleur. C’est ce à quoi nous aspirons avec Making Treaty 7. C’est vraiment l’histoire de tout le monde. 77 Steven Guilbeault → Steven Guilbeault, cofondateur d’Équiterre, interviewé le 12 juin 2014 par Elizabeth Pinnington sur L’INNOVATION Si les choses devaient mal tourner au cours des vingt prochaines années, que se serait-il passé? verte : « Nos municipalités sont des porteuses d’espoir. » PINNINGTON GUILBEAULT Qu’est-ce qui vous anime dans ce qui se passe à l’heure actuelle au Canada? Nos municipalités sont des porteuses d’espoir. À Montréal, nous avons battu un record de cinquante ans en utilisation du transport en commun, parce que nous avons investi dans l’infrastructure des transports. La ceinture verte en périphérie de Toronto est perçue par bien des gens comme un modèle en Amérique du Nord. Vancouver est probablement l’un des dix meilleurs exemples dans le monde de ce qui doit être fait au niveau municipal par rapport à la durabilité. Dans chacun de ces endroits, ce n’est pas juste une histoire d’argent, mais c’est aussi un changement de mentalité. Nous considérons ce défi comme une occasion de mieux faire ce que nous faisons, d’être plus résistants, plus efficaces. Récemment, nous avons organisé un événement rassembleur pour souligner le succès du Québec dans l’atteinte de sa cible en 2012 de réduire les émissions de gaz à effet de serre, le plus ambitieux Qu’y a-t-il dans la situation actuelle au Canada qui vous empêche de dormir la nuit? 78 SI VOUS REGARDEZ LA SCÈNE FÉDÉRALE, ELLE N’EST PAS JOLIE. LE CANADA ÉTAIT AUTREFOIS UN CHEF DE FILE EN CE QUI A TRAIT AUX QUESTIONS ENVIRONNEMENTALES ET HUMANITAIRES. NOUS N’ÉTIONS PAS TOUJOURS LES MEILLEURS, MAIS NOUS FAISIONS PARTIE DU GROUPE DE PAYS EN TÊTE. Le Protocole de Montréal a été signé en 1988 pour ralentir l’amincissement de la couche d’ozone. Le Canada a amorcé plan de l’Amérique du Nord. Durant cet événement, Monsieur Charest a déclaré que lorsqu’on jette un coup d’œil au reste du monde, les pays qui sont capables de résoudre des problèmes et de relever des défis peuvent le faire parce que ces problèmes et défis transcendent l’affiliation politique et idéologique. Partout dans notre pays et dans le monde, quand il y a des activités de durabilité qui ont lieu, c’est parce que ces questions vont au-delà de nos affiliations politiques et de notre mentalité politique. Bien sûr, il y a inévitablement des différences entre les partis politiques, mais tant et aussi longtemps qu’il est possible pour nous de reconnaître que nous partageons le même but et qu’il nous faut atteindre le même objectif, alors la discussion peut porter sur comment nous y arriverons. Nous avons vu cela se produire dans bien des régions du Canada, et ceci m’anime profondément. l’effort pour interdire les mines antipersonnelles, menant à la Convention d’Ottawa en 1997. Autrefois, notre pays avait une bonne réputation. Maintenant, quand je vais à des réunions de l’ONU à l’étranger, les ministres de haut rang de divers pays s’approchent et me demandent : « Qu’arrive-t-il au Canada? On ne vous reconnaît plus. » En ce moment, le Canada dans son ensemble focalise sur la création d’une économie du dix-neuvième siècle, basée sur ses ressources naturelles. L’économie du vingt-et-unième siècle se concentrera sur la connaissance, le savoir-faire, l’innovation et la créativité. Si nous restons collés à une économie de pétrole et de gaz naturel, nous serons forcés d’importer des technologies mises au point par d’autres que nous. Nous ne nous préparons pas pour le monde de demain. De plus, bien des gens parlent de durabilité, mais ils n’agissent pas en conséquence. Nous avons un rôle à jouer, à la fois comme citoyens et comme consommateurs. J’ai un ami qui dit : « Acheter, c’est voter. » Nous devons devenir plus conscients des choix que nous faisons chaque jour en tant qu’individus, y compris dans l’arène politique. Ces enjeux doivent faire davantage partie des choix posés par les gens. Si nous échouons dans notre tentative d’apporter les changements nécessaires, ce ne sera pas parce que les solutions n’existaient pas ou parce qu’elles n’étaient pas économiquement viables. Ce sera parce que nous ne pensions pas en être capables et n’avons pas mobilisé assez de gens de tous les secteurs de notre société pour que ceci devienne une réalité. « Nous ne pouvons pas avoir une société prospère au détriment de la planète. » Si les choses se passent bien pendant les vingt prochaines années, qu’est-ce qui se sera produit? Les gens se seront rendu compte que nous ne pouvons pas avoir une société prospère au détriment de la planète. Heureusement, de plus en plus de dirigeants d’entreprises se font entendre sur certains de ces enjeux. Ils doivent faire partie de la solution, parce qu’ils peuvent réaliser des choses que je ne peux pas réaliser moi-même à titre de défenseur de l’environnement et que les gouvernements ne peuvent pas réaliser non plus. Si je me trouve aux côtés d’une personne appartenant au monde des affaires, j’aurai alors ajouté d’un seul coup au poids de notre message et augmenté la taille du public qui sera réceptif à ce message. Pourquoi certains dirigeants d’entreprises ont-ils commencé à plaider pour la durabilité de l’environnement? Au-delà de l’obligation morale de penser et d’agir de façon à défendre la durabilité, il y a des avantages matériels pour eux. Je parlais avec Robert Dutton, ancien PDG de la quincaillerie RONA. Sous sa tutelle, l’entreprise a pris un spectaculaire tournant en faveur de la durabilité. Il a dit : « Aujourd’hui, j’accorde des entrevues à des gens dans le but de les faire venir travailler pour moi, mais les valeurs des gens ont beaucoup changé. C’est toujours une question de chèque de paye, mais aussi du type de compagnie que l’on est. Êtes-vous un citoyen d’entreprise responsable? Bientôt, ce sera moi qui serai interviewé par les gens que je voudrais avoir comme employés. La dynamique sera complètement inversée. À moins que ma compagnie se comporte de manière responsable, j’aurai du mal à attirer du monde nouveau. » Il m’a également dit que lorsque RONA réduit le volume de ses déchets d’environ quatre-vingts pour cent dans ses grandes quincailleries, l’entreprise économise environ 80 000 $ par année en collecte de déchets. Si ce n’est pas là un bon exemple de comment mener une affaire, je ne sais pas quoi invoquer d’autre. 79 Alex Himelfarb → Alex Himelfarb, ancien greffier du Conseil privé, interviewé le 23 juin 2014 par Adam Kahane sur L’AFFAIBLISSEMENT de notre collectif : D’après vous, comment cette inégalité croissante se répercute-t-elle sur notre société? L’extrême pauvreté est corrosive. Quand les gens au haut de l’échelle et les gens au bas respirent un air tellement différent, il est difficile d’identifier un intérêt public commun ou de partager le même objectif. Quand ceux qui sont en haut deviennent tellement riches qu’ils décident qu’ils n’ont plus besoin de services publics, alors ils s’écartent ni plus ni moins de la société. Lorsque l’écart est extrême, ils semblent aussi croire qu’ils méritent tout ce qu’ils possèdent. De là vient l’avarice échelonnée vers le bas. S’ils n’ont pas besoin de services et s’ils méritent leur richesse, pourquoi paieraient-ils des impôts? Les gens qui sont au bas de l’échelle finissent par penser que le jeu est injuste et qu’ils n’ont rien à y gagner. Ils ne veulent pas voter et eux non plus ne veulent pas payer d’impôts. Pourquoi payer quand le jeu est truqué? Le gouvernement a-t-il un rôle à jouer pour contrer ces problèmes? NOUS AVONS CONNU TRENTE ANS En voilà une distraction! Et cela a vraiment bien marché. C’est évident qu’il faut améliorer le gouvernement, mais ce sera impossible tant qu’on percevra le gouvernement comme étant le problème. « L’extrême inégalité est corrosive. » KAHANE HIMELFARB Qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit? Selon moi, le problème qui me préoccupe le plus, c’est l’inégalité. Pensons au bas, au milieu et au haut de la société. Au bas, même si, comme certains le laissent entendre, la situation des pauvres ne s’est pas nécessairement aggravée depuis quelques années, elle ne s’est pas améliorée pour autant, et sûrement pas aussi rapidement que ce qu’on a vu dans plusieurs autres pays riches. Comparativement à d’autres pays riches, le Canada s’en tire mal, et par rapport aux Premières Nations et aux autochtones en général ainsi que par rapport à la pauvreté chez les enfants, la situation au Canada est inexcusable. Ce qui est le plus troublant de tout, c’est que nous allons dans la mauvaise direction. L’austérité à tous les paliers gouvernementaux — principalement autoimposés à cause d’années de réductions d’impôt inabordables — érode nos principales institutions redistributrices, c’est-àdire le bien-être et l’assurance-emploi, et continue de comprimer les programmes conçus pour alléger les conséquences de l’inégalité, y compris l’assurance-maladie. L’austérité a donné lieu à une sorte d’avarice échelonnée vers le bas. Inévitablement, ses conséquences se font surtout ressentir parmi les plus vulnérables. On n’a qu’à penser aux politiques récentes qui cherchent à refuser aux réfugiés leurs demandes pour les soins médicaux ou l’assistance sociale dont ils ont besoin. Et comment se fait-il que nous trouvions toujours assez d’argent pour la guerre, mais ne puissions pas trouver les ressources qu’il faut pour bien servir nos anciens combattants? La liste est longue et la direction est erronée. 80 La classe moyenne aussi est sans aucun doute étirée jusqu’à la limite. Il y a deux facteurs qui masquent l’étendue du problème. Tout d’abord, au cours de la dernière décennie, les femmes ont travaillé plus d’heures qu’auparavant, indiquant que bien des foyers n’ont pas vraiment subi une baisse de revenus, quoique les gens doivent travailler plus longtemps pour demeurer à leur niveau. Le deuxième facteur, ce sont les pétro-emplois. Les provinces riches en pétrole ont bien réussi auprès de certains membres de la classe ouvrière, parce que leurs emplois sont relativement bien payés, mais il s’agit de réussites axées sur les intérêts régionaux et elles sont fragiles. Et même en Alberta, le taux d’inégalité est élevé; les avantages sont répartis de façon inégale. Et surtout pour ce qui est du marché du travail, notre rendement a été médiocre, les salaires ne sont pas restés au pas avec les gains en productivité et à peine avec l’inflation. Un nombre croissant de Canadiens (particulièrement de jeunes Canadiens) se retrouvent avec des emplois précaires, sans sécurité, sans avantages sociaux et sans perspective d’avenir, et de plus, ils sont lourdement endettés. Par conséquent, on a d’importants problèmes rattachés à la classe moyenne, et si l’on les néglige, ils ne feront que se dégrader. Mais parce que nous lisons toutes ces manchettes sur notre situation enviable comparée à celle des États-Unis (qui ont les plus graves problèmes d’inégalité parmi les pays riches), cette question ne pèse pas très lourd. Un grand nombre de personnes, spécialement dans mon groupe d’âge, ont assez bien réussi, ce qui est sans doute une autre explication pour le niveau dangereusement élevé de notre complaisance. Puis au haut de l’échelle, nous avons vu les très riches devenir considérablement plus riches. Le capital parle toujours plus fort que le travail — c’est pour cela qu’on dit « capitalisme » et non pas « travaillisme » —, mais aujourd’hui, le pouvoir de négociation du capital a défoncé le plafond. Donc l’argent parle plus fort que jamais. D’ATTAQUES CONTRE LE GOUVERNEMENT. LÀ OÙ LA DROITE A RÉUSSI LE MIEUX, C’EST EN REDÉFINISSANT LES IMPÔTS COMME UN FARDEAU OU UNE PUNITION ET COMME UNE CONTRAINTE INJUSTIFIABLE IMPOSÉE À NOTRE LIBERTÉ, ET EN ASSOCIANT LE GOUVERNEMENT À L’INEFFICACITÉ ET À LA CORRUPTION. Pendant des dizaines d’années, nous avons entendu que le principal problème était la taille du gouvernement. Est-ce que le problème est le changement climatique? Non, le problème est la taille du gouvernement. Est-ce que c’est l’inégalité? Non, le problème est la taille du gouvernement. Et la solution au problème, c’est de réduire la taille du gouvernement. En voilà un tour de magie! La plus importante répercussion de ce mouvement d’austérité, c’est que celui-ci brime l’imagination politique. Il donne l’impression que rien n’est collectivement possible. C’est la loi du chacun pour soi. Donc, je vois non seulement cette accentuation de l’inégalité, qui est invisible, grandissante et rébarbative, mais je vois aussi la perte de la capacité collective de faire quoi que ce soit pour changer les choses. « Quand les gens au haut de l’échelle et les gens au bas respirent un air tellement différent, il est difficile d’identifier un intérêt public commun ou de partager le même objectif. » Mais cette confiance affaiblie que nous éprouvons à l’égard des autres ne rend-elle pas l’action collective encore plus difficile pour nous? Une des raisons pour lesquelles nos institutions, y compris nos institutions politiques, ont tant d’importance c’est que, comme le disait le Premier Ministre Trudeau, le Canada est un véritable acte de défiance. Le Canada est un contresens : nous sommes dispersés sur le plan géographique; nous avons un climat affreux; nous avons deux langues officielles et plusieurs langues non officielles; nous n’avons pas connu de moment révolutionnaire pour nous unir; nous sommes un pays d’immigrants; nous sommes une nation avec une grande diversité culturelle et régionale. Pour toutes ces raisons, nous sommes tenus de faire un effort pour être le Canada. Et quand on ne fait plus confiance au gouvernement, quand on ne se fait plus confiance les uns les autres, on est affaibli. 81 Don Iveson → Don Iveson, maire d’Edmonton, interviewé le 24 juillet 2014 par Brenna Atnikov sur LE CYCLE EN DENTS DE SCIE : « Il semble que nous évitons certaines conversations que nous devrions pourtant avoir. » ATNIKOV IVESON Si vous pouviez parler avec un clairvoyant au sujet de l’avenir du Canada, que voudriez-vous savoir d’abord et avant tout? Quelle belle occasion! Quelle sera l’incidence du changement climatique sur ce pays au cours des décennies à venir? Je m’inquiète que le Canada y soit moins résistant à cause de son envergure. L’immensité du pays est l’une des choses qui nous rendent magnifiques et cela signifie que nous disposons d’une abondance de ressources dont nous pouvons bénéficier. Mais puisque notre superficie est tellement vaste, nous avons des milliers de kilomètres de routes et de tuyauterie. Tout cela est potentiellement vulnérable aux changements de climat. VOUS POUVEZ ATTENDRE QUE VOTRE PAYS SOIT INONDÉ, OU VOUS POUVEZ BÂTIR LES DIGUES DÈS AUJOURD’HUI, OU ENCORE, VOUS POUVEZ FAIRE PARTIE D’UN EFFORT LÉGITIME POUR FREINER LE CHANGEMENT CLIMATIQUE. Le gouvernement fédéral ne parle pas du changement climatique parce que c’est incompatible avec son approche envers le développement du pays comme superpuissance énergétique. Nous aurions besoin d’une stratégie nationale pour gérer l’infrastructure physique qui est menacée par des événements météorologiques extrêmes. Et en toute honnêteté, il nous faudra des Comment la richesse en ressources a-t-elle ajouté aux enjeux complexes d’Edmonton? 82 S’il y a une province qui devrait posséder les ressources nécessaires pour rester au pas avec sa croissance, c’est bien l’Alberta. Mais le cycle en dents de scie, avec ses hausses et ses baisses, voulant qu’on utilise les revenus de ressources pour payer les dépenses courantes, est incroyablement risqué. On ne peut pas décider de financer les maternelles à temps plein et ensuite, sommes considérables pour en défrayer les coûts. Une autre question que je voudrais poser, c’est où en sommes-nous en ce qui a trait à la réconciliation avec les autochtones? Parce que c’est là un des énormes éléments de travail inachevé dans ce pays. Malgré toutes les tentatives de les assimiler, on n’a pas réussi, et c’est purement à cause de leur résistance que les autochtones sont toujours ici. Ma troisième question serait, le pays continuera-t-il à exister ou se fragmentera-t-il parce qu’il n’y aura plus rien pour le cimenter? Nous sommes devenus allergiques aux crises constitutionnelles, mais d’autres pays les éprouvent et ils s’en sortent bien. C’est comme le mariage : si vous laissez tout s’envenimer, et dites à la fin ce que vous pensez, c’est difficile alors de régler les problèmes. Si nous sommes prêts à en débattre en tant que pays et en finissons tous plus forts, tout ira bien. Mais il semble que nous évitons certaines conversations que nous devrions pourtant avoir. lorsque le prix du pétrole tombe sous un certain montant par baril, éliminer les maternelles à temps plein. Nous avons commis des faux pas dans le passé, tout d’abord en permettant au développement d’échapper à tout contrôle, et puis en permettant aux entreprises extractives d’évincer les entreprises à valeur ajoutée. Qu’est-ce qui a façonné votre façon de voir les choses et qui vous a amenés à faire ce que vous faites? Si nous voulons persévérer dans l’industrie des sables bitumineux, nous devons apprendre de nos erreurs passées et démontrer que nous savons être les bons gardiens de cette ressource complexe dont nous avons hérité par hasard. Cette activité se produira sans doute; tant et aussi longtemps que le prix du pétrole sera plus élevé que 50 $ environ le baril, l’extraction se poursuivra. Nous devons agir avec détermination pour la rendre moins chère, plus propre, plus verte, plus rapide et plus sécuritaire, et ensuite nous devons appliquer cette propriété intellectuelle à d’autres défis écologiques et à d’autres procédés industriels dans le monde. Cela devrait être notre prochain projet comme bâtisseurs de la nation, soit créer une valeur à long terme à partir de ce profit de courte durée. Comme cela, quand nous aurons terminé dans le Nord, quand nous aurons extrait la dernière goutte de cette ressource extractible de manière économiquement faisable, il demeurera toujours une raison d’exister pour Edmonton. En 2002, j’ai fait partie d’un atelier sur le besoin de construire des villes pouvant attirer et retenir des individus talentueux, créatifs et innovateurs. J’avais des antécédents en sciences politiques, et cette question m’a fait beaucoup réfléchir sur ce que les villes canadiennes doivent devenir pour être en mesure d’offrir une expérience urbaine complète tout en demeurant concurrentielles. et entreprendre une carrière, Edmonton y gagne vis-à-vis de Toronto pour ce qui est du logement abordable et de la qualité de l’enseignement public. En fin de compte, nous avons choisi de rester ici et nous ne regrettons pas ce choix. Quelques années plus tard, ma compagne et moi songions à l’endroit où nous voulions vivre. Mes amis n’étaient pas attirés vers Edmonton comme endroit où vivre et nous étions déchirés entre plusieurs villes canadiennes, mais si vous pensez à où vous souhaiter vous établir, élever une famille Je suis maintenant le maire d’Edmonton et je me consacre bien sûr entièrement à cette ville. Il y a des gens qui se lancent dans la politique locale parce qu’ils y voient des possibilités d’amélioration, et il y a ceux qui aiment les choses exactement comme elles sont. J’appartiens fermement à la catégorie de gens qui adorent l’endroit, mais qui, en même temps, voient beaucoup d’occasions de l’améliorer. « Si nous voulons persévérer dans l’industrie des sables bitumineux, nous devons apprendre de nos erreurs passées et démontrer que nous savons être les bons gardiens de cette ressource complexe dont nous avons hérité par hasard. » Qu’aimeriez-vous laisser comme héritage personnel? Je désire contribuer à l’édification d’une ville que mes enfants voudront habiter. J’imagine facilement que dans sept générations, cet endroit sera toujours plein de vitalité, et les choses que nous aurons créées et pour lesquelles nous aurons investi tant de temps et d’énergie perdur- eront, et les valeurs, qui auront fait de nous un endroit merveilleux où vivre, seront toujours là. L’infrastructure physique aura peut-être changé entièrement, mais les valeurs qui unissent les gens entre eux resteront toujours vraies. 83 Mark Jaccard → Mark Jaccard, professeur en Énergie durable à l’Université Simon Fraser, interviewé le 4 septembre 2014 par Monica Pohlmann sur LA CROISSANCE responsable : « Nous vivons dans l’ère anthropocène et savons que nous influençons la planète. » POHLMANN JACCARD Qu’est-ce qui vous préoccupe au sujet du Canada ces jours-ci? Notre gouvernement fédéral actuel et son expansion rapide des industries de combustibles fossiles est quelque chose d’inadmissible. Il y a un manque de volonté à combattre les forces puissantes qui retirent d’amples profits à partir de ces activités. Le fait est que, de par leur nature, ceux que j’appelle les vrais conservateurs ne sont pas enthousiastes à l’idée d’intensifier l’industrie des combustibles fossiles en dépit des incidences sur la planète. Plusieurs politiciens de centre droite, y compris Gordon Campbell en ColombieBritannique et Arnold Schwarzenegger en Californie, ont mis en place des politiques climatiques efficaces. Nous vivons dans l’ère anthropocène et savons que nous influençons la planète. La question, c’est comment pouvons-nous le faire de manière beaucoup moins imprudente, surtout de nos jours en ce qui a trait aux émissions de gaz à effet de serre? Si l’on regarde le Québec avec les liens qu’il a établis récemment avec le système de plafonnement et d’échanges de la Californie, si l’on regarde ce qui a été réalisé en Colombie-Britannique il y a à peine cinq ou sept ans avec notre politique d’électricité à zéro émission et la taxe sur le carbone, si l’on regarde plus loin de nous les exemples comme la Californie avec son règlement imposé aux combustibles, aux véhicules et à l’électricité, on voit qu’il y a des choses que l’on peut faire. L’économie canadienne continuera de croître, mais il ne s’agira pas d’une croissance intensément polluante. Cette croissance sera distribuée plus équitablement, afin que les enfants de familles moins privilégiées puissent avoir accès aux mêmes chances que les enfants de familles aisées. Je suis quelqu’un d’assez optimiste et je vois des êtres humains qui sont aux prises avec toutes sortes de problèmes graves. Quand j’étais étudiant diplômé, j’étudiais les gros problèmes environnementaux que nous avons éventuellement pu résoudre de façon assez efficace, tels que la pollution atmosphérique urbaine, l’amincissement de la couche d’ozone et les pluies acides. Lorsque certains essaient de monter en épingle le changement climatique, et qu’ils s’en préoccupent plus qu’ils ne le devraient à mon avis, je leur mentionne ces premiers succès. Si tout se déroule bien au cours des vingt prochaines années, que pouvez-vous nous en dire? 84 Quelles sont les décisions importantes que nous devons prendre? Je me suis confié la tâche d’aider notre société à croître tout en protégeant et en conservant le monde naturel. NOUS NE SONT UNE FORME INCROYABLE D’ÉNERGIE DEVRIONS PAS DIABOLISER LES COMBUSTI- LA POLLUTION PAR LE CARBONE. Quelles leçons importantes du passé pourraient servir au Canada? En tant que citoyen mondial, le Canada peut avoir plus de poids que nous n’osons le croire. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, nous avons déclaré la guerre à l’Allemagne nazie avant que l’Union soviétique ou les Américains ne l’aient fait. Nous avons fait preuve de vrai leadership. dans le captage et le stockage du carbone. Je suis profondément déçu que nous n’ayons pas joué ce rôle au moment où se manifestait un intérêt authentique à le faire, même dans le milieu des entreprises. Lorsque Stephen Harper est arrivé au pouvoir, tout cela a disparu. Évidemment, le leadership ne signifie pas d’aller se joindre à quelque expédition militaire; c’est une question de donner l’exemple. Le Canada pourrait revenir à l’avant-garde. Nous pourrions dire : « Voici ce que nous faisons. Voici nos politiques. Qui peut faire de même? » Et puis, nous pourrions vendre nos technologies et notre savoir-faire de façon à aider véritablement les pays en développement, comme la Chine, à réduire rapidement leurs émissions sans pour autant encourir l’énorme dépense de fermer toutes leurs centrales au charbon. CHIMIQUE QUI A ASSURÉ NOTRE BIEN-ÊTRE D’AUJOURD’HUI. LE VRAI PROBLÈME, C’EST BLES FOSSILES; LES COMBUSTIBLES FOSSILES De même, le Canada pourrait jouer un rôle de chef de file à l’égard de problèmes tels que le captage du carbone. Entre 2005 et 2008, il y a eu une réelle poussée pour que le Canada devienne un leader mondial « En tant que citoyen mondial, le Canada peut avoir plus de poids que nous n’osons le croire. » 85 Gord Lambert → Gord Lambert, conseiller exécutif en matière de durabilité et d’innovation à Suncor Energy, interviewé le 17 juillet 2014 par Monica Pohlmann sur L’INNOVATION collaborative : « Le changement climatique est un défi crucial. » POHLMANN LAMBERT Qu’est-ce qui vous anime de nos jours? Je suis animé par un nouveau modèle que nous avons créé pour accélérer le rythme de performance environnementale par le biais de l’innovation et de la collaboration. COSIA — Canada’s Oil Sands Innovation Alliance — en est l’exemple précis. Il s’agit d’un réseau de treize entreprises qui représentent plus de quatre-vingt-dix pour cent de la production canadienne de sables bitumineux, et qui compte quarante membres associés venant des universités, des gouvernements et du secteur des affaires en faveur de cette activité. En mettant nos ressources en commun et en partageant nos connaissances, nos pratiques exemplaires et même notre propriété intellectuelle, nous espérons améliorer notre performance économique, sociale et environnementale à titre d’entreprises individuelles et à titre d’industries, en général. À ce jour, les compagnies membres ont partagé environ un milliard de dollars de propriété intellectuelle. Que se passe-t-il au Canada qui a retenu votre attention? Nous avons la chance de servir d’excellent exemple de ce qu’est une économie de ressources qui, en même temps, est le moteur de l’innovation. Par notre engagement au-delà des frontières disciplinaires, organisationnelles, culturelles et gouvernementales, nous cherchons à obtenir des résultats environnementaux, sociaux et économiques qui profiteront à tous les Canadiens. Qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit? Il n’y a pas de doute que le changement climatique est un défi crucial. LA RÉPUTA- Les problèmes du vingt-et-unième siècle sont beaucoup plus complexes que les défis environnementaux précédents, tels que la pluie acide. Dans le cas des émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, nous faisons tous partie du problème et nous devons tous faire partie de la solution. Et pourtant, même aujourd’hui, nous cherchons automatiquement à porter le blâme sur les autres. Nous n’arrivons pas à traiter séparément l’offre et la demande en matière d’énergie. Les problèmes complexes, qui outrepassent les frontières, exigent d’être étudiés par de multiples sources d’expertise et d’intérêts venant de divers milieux et engagés à trouver les solutions ensemble au lieu d’être considérés de façon isolée et incompatible. 86 TION DU CANADA A DIMINUÉ EN RAISON DE LA PERCEPTION QUE NOUS NE SOMMES PAS ENGAGÉS À TROUVER DES SOLUTIONS. Il y a eu beaucoup d’arrêts et de départs dans l’effort de maîtriser cette crise mondiale. Plusieurs programmes valables ont été victimes des changements à saveur politique. Même quand les gouvernements sont bien partis et ont amorcé l’ébauche d’un projet acceptable, il y a presque toujours eu des critiques, soit que les résultats escomptés n’étaient pas assez audacieux pour protéger l’environnement, ou alors qu’ils étaient trop audacieux et dommageables pour l’économie. On aboutit donc dans une impasse. Si les choses tournent bien au Canada au cours des vingt prochaines années, que se sera-t-il passé? Depuis quelque temps, je réfléchis sur les moyens de travailler ensemble à l’avenir en vue de relever les défis écologiques ou sociaux. Je me sers d’une métaphore inspirée par le cyclisme routier du même type que celui du Tour de France, une course intensément compétitive, avec plusieurs équipes de cyclistes et stratégies, et aussi une course profondément collaborative. Les cavaliers seuls n’y ont pas leur place. Chacun doit faire sa part. Il faut que la confiance règne. Le but est d’accélérer le progrès pour atteindre un résultat prédéfini. Pouvons-nous créer de tels pelotons pour mobiliser les efforts et les talents conjoints en vue d’atteindre nos résultats ambitieux, hardis et positifs? La Canada’s Oil Sands Innovation Alliance est justement un exemple réunissant treize entreprises qui déterminent les règles pour former un peloton et travailler ensemble au progrès. Ceci pourrait servir de source d’information à d’autres nouveaux modèles de collaboration. « Pouvons-nous créer de tels pelotons pour mobiliser les efforts et les talents conjoints en vue d’atteindre nos résultats ambitieux, hardis et positifs? » Comment votre expérience personnelle a-t-elle influencé ce que vous faites et la perspective que vous avez aujourd’hui? Mon premier emploi en sortant de l’université se trouvait à Cold Lake, en Alberta, où j’ai travaillé avec la communauté, y compris les Premières Nations et les commerces locaux. Je travaillais avec le projet Cold Lake d’Imperial Oil à titre de spécialiste environnemental. J’ai commencé à apprendre ce qu’il faut faire pour créer les rapports et la confiance entre humains, éléments qui sont néces- saires à une collaboration constructive et mutuellement avantageuse. Nous étions d’accord sur certaines choses, nous nous préoccupions de certaines autres ou parfois, nous étions carrément en désaccord, mais grâce au dialogue et au respect mutuel, nous arrivions à régler nos différends et à trouver des solutions. Notre manière d’interagir est essentielle à ce que nous voulons réaliser. 87 Kevin Lynch → Kevin Lynch, vice-président de BMO Groupe financier, interviewé le 2 juillet 2014 par Adam Kahane sur Que faudrait-il pour changer le discours national? UN CHANGEMENT de cap au niveau international : « Le Canada prospère quand il comprend le monde qui l’entoure. » KAHANE LYNCH Qu’est-ce qui vous préoccupe le plus sur ce qui se passe à l’heure actuelle au Canada? Les principales forces de changement aujourd’hui ne sont pas canadiennes; elles sont mondiales. Le Canada prospère ou réussit moins bien en fonction de sa compréhension du monde qui l’entoure. Quand il ne le comprend pas, les choses ne vont pas bien. Il est vraiment important pour notre succès que nous nous assurions de ne pas être trop paroissiaux dans notre attitude. Toutes les politiques sont locales, mais dans le contexte de la mondialisation, il faut définir de façon plus large ce que signifient les besoins locaux. Quel serait un exemple de la façon d’élargir notre perspective? En ce moment, nos relations commerciales sont surtout calquées sur les quarante dernières années et ne visent donc pas l’avenir. Or quatre-vingt-dix pour cent de notre commerce se fait avec les pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) et seulement dix pour cent avec le monde émergent. Mais si vous regardez où la globalisation amène la croissance économique, c’est dans le monde émergent. réussir, cette entreprise aurait peut-être besoin de bureaux à Montréal, à Johannesburg et à Mumbai. De même, depuis la Seconde Guerre mondiale, nos universités majeures ont créé des liens avec celles du Royaume-Uni et des États-Unis. Nous devrons désormais faire la même chose avec le Brésil et la Chine. Une partie de notre succès futur dépendra de la diversification des endroits où nous ferons des affaires. Aujourd’hui, disons qu’une entreprise a un bureau à Montréal et un autre à Boston. Pour Quelle sorte d’infrastructure nous faut-il pour appuyer ce type d’effort? 88 Tout comme avant, il nous faut des ports et des routes, mais il nous faut aussi une infrastructure « douce », telle que la compétence linguistique. Aujourd’hui, nos enfants ont tendance à suivre des cours d’allemand, d’italien ou de grec plutôt que Nous avons la possibilité de nous diversifier mieux et plus rapidement que les Américains, les Britanniques et les Français. Si nous pouvions bâtir notre marque, notre présence et nos rapports dans les pays émergents, nous pourrions faire partie d’un marché gigantesque. des cours de mandarin. Pourtant, ce n’est pas là que se produira la croissance. Pour être assurés de succès personnel, sociétal et économique, nous devons réorienter notre système éducatif. Y a-t-il des cas où il a été possible de surmonter le statu quo? Qu’est-ce qui a permis à ces efforts de réussir? La plupart des gens opteront pour le statu quo à moins qu’il n’y ait un fort mouvement en faveur du changement ou qu’ils soient convaincus de changer. Qui n’agirait pas ainsi? C’est la nature humaine. Donc, je devrai soit vous faire peur en disant que le monde va s’écrouler si l’on ne fait rien, soit vous inciter et vous engager dans un dialogue réaliste. Il nous faut également créer un contexte dans lequel les sujets les plus importants du moment dominent le discours public. Lisez cinq journaux et écoutez cinq postes de radio aujourd’hui, et aucun d’eux ne mentionnera ces sujets. Faites-en de même à Singapour et eux les mentionneront. L’ACCORD DE LIBRE-ÉCHANGE A ÉTÉ UN pays du monde? », la grande majorité répondait « non ». POINT TOURNANT SPECTACULAIRE RÉALISÉ En Suède, ils le feraient aussi. PAR LES CITOYENS ET LES CONTRIBUABLES CANADIENS. De même, au milieu des années 1990, nous avons été responsables d’un important changement de cap dans notre politique fiscale. On dit que ce fut abrupt et même agressif, mais franchement, le résultat fut brillant. De plus, il ne s’est pas agi là d’un de nos changements graduels typiques; ce fut un changement profond. Selon les sondages, l’opinion publique était contre ces deux actions. À l’époque, si vous demandiez aux gens : « Désirez-vous changer de fond en comble tous nos accords commerciaux avec le plus important Ces tournants ont réussi grâce au leadership — pas uniquement de la part du gouvernement, mais aussi de la part du monde des affaires et de différents autres milieux. Surtout pour ce qui est de l’Accord de libre-échange, les Canadiens pouvaient être témoins des débats honnêtes qui se déroulaient entre les gens d’affaires, les universitaires et divers autres. Il a fallu un leadership exceptionnel pour convaincre le Canadien moyen que dans l’ensemble, compte tenu des risques et des avantages, l’Accord était en fait une chose positive. « Une partie de notre succès futur dépendra de la diversification des endroits où nous ferons des affaires. » La conjoncture actuelle est-elle favorable à un changement fondamental au Canada? Il est plus facile de convaincre les gens à poser des gestes importants s’il existe une confiance collective en ceux qui proposent les changements. Les résultats des sondages réalisés dans les pays oc- cidentaux indiquent qu’au cours des vingt dernières années, la confiance a connu un déclin considérable dans tous les secteurs de la société. Avez-vous confiance dans notre capacité d’apporter les changements nécessaires? Nous avons un gros défi à relever au Canada : nous manquons d’ambition. Je ne suis pas certain que ma génération soit suffisamment ambitieuse. Nous pouvons réussir bien mieux dans le monde que ce que nous croyons. fort, et s’ils sont suffisamment inventifs et astucieux. Nous devons faire preuve d’assez d’ambition pour garder ces jeunes au Canada, pour qu’ils puissent lancer leurs activités et leurs entreprises profitables ici, enseigner ici, se porter candidats à des postes politiques ici. Si nous ne sommes pas assez ambitieux, ils iront ailleurs, parce qu’ils veulent faire une différence. Certains parmi les Canadiens plus jeunes croient qu’ils peuvent vaincre n’importe qui s’ils étudient beaucoup, s’ils travaillent 89 Preston Manning Il faut aussi que nous répondions aux préoccupations environnementales, surtout lorsqu’elles interviennent dans le développement des ressources. Nous ne pouvons pas continuer de nous engager dans une dispute polarisée de « l’environnement contre l’économie ». Personne ne veut détruire l’environnement ou l’économie — on a besoin des deux —, mais il y a bien des gens qui veulent prendre parti pour l’un ou pour l’autre. Il y a différentes façons de concilier l’économie et l’environnement, certaines du côté de l’offre et d’autres du côté de la demande. Peu de groupes dans la société parlent de restreindre les demandes. → Preston Manning, président du Manning Centre for Building Democracy, interviewé le 16 septembre 2014 par Brenna Atnikov sur LA CONCILIATION de l’économie avec l’environnement : « Les Canadiens ont besoin d’une bonne dose de réalisme par rapport à l’économie. » UN ÉVEIL SPIRITUEL PARMI LES CANADIENS POURRAIT FAIRE PARTIE D’UNE VOLONTÉ RENOUVELÉE DE TEMPÉRER NOS DEMANDES ATNIKOV MANNING Quand vous regardez le Canada, qu’est-ce qui vous frappe? J’aimerais que le Canada soit la démocratie la mieux gouvernée du monde; qu’il ait la plus forte économie et la meilleure qualité de vie au monde. Une façon de renforcer la gouvernance démocratique est de rehausser les connaissances, les aptitudes, l’éthique et les capacités des représentants élus. Il y a beaucoup plus de cellules de réflexion, de groupes d’intérêt et de programmes de formation pour les élus provinciaux et fédéraux que pour les plus de 25 000 élus municipaux. Il faut trente heures de formation pour servir chez Starbucks, mais on peut devenir législateur au parlement sans une seule heure de formation. Est-ce que cela a du bon sens? Il devient impossible de persuader les gens compétents qui sont au sommet de leurs capacités de se lancer dans la vie politique, parce qu’ils ne veulent pas se soumettre ou soumettre leurs familles aux attaques personnelles et aux examens minutieux que l’on retrouve dans les médias. Nous souffrons de ce qu’on pourrait appeler un « déficit démocratique », surtout chez les jeunes. Le plus simple moyen de le mesurer, c’est par le déclin dans le nombre de gens qui votent. Les gens ont l’impression que leur voix ne compte pas. Les sondages menés pour Qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit? 90 Les Canadiens ont besoin d’une bonne dose de réalisme par rapport à l’économie. Le secteur des ressources est le cheval qui tire la charrette économique actuelle. Nous devons davantage prêter attention au renforcement de ces industries et reconnaître ce qu’elles contribuent. DANS L’INTÉRÊT DE L’AVENIR. Mais les déterminer comment les Canadiens perçoivent l’efficacité du gouvernement et les processus démocratiques ont produit des résultats extrêmement négatifs. Dans une telle situation, les quelques-uns qui s’y intéressent peuvent maîtriser le système en entier. J’appelle cela « La Loi de fer de la démocratie » : si vous décidez de ne pas vous engager dans la politique, vous serez gouverné par ceux qui s’y engagent. Au plus haut niveau, la politique a pour but de concilier les intérêts divergents. Les plus difficiles à concilier sont ceux où les deux côtés sont valables. À titre de nation, nous avons désespérément cherché le juste milieu depuis le tout début, ce qui a aidé à garder le pays uni. C’est pourquoi nous sommes bilingues; c’est pourquoi nous avons choisi une combinaison du système parlementaire britannique et du système fédéraliste américain. Nous devons continuer de chercher le juste milieu sur de nouveaux fronts, y compris le front économique-écologique. Autrement, nous risquons de plonger dans une autre crise d’unité nationale, amorcée par les provinces de l’Ouest et leur sentiment de subventionner tout ce qui est à l’est de la rivière des Outaouais. Afin de maintenir notre haut niveau de vie, l’économie doit être assez forte pour défrayer les coûts de notre réseau de services sociaux. Au fur et à mesure que notre population vieillira, les pressions sur nos systèmes de soins de santé et sur nos régimes de retraite augmenteront. groupes écologiques préfèrent plutôt se servir de règles pour freiner certaines activités. Toutefois, si l’on examine l’exploitation des sables pétrolifères en Alberta, la raison pour laquelle les entreprises ont retardé leurs projets n’est pas parce que l’Office national de l’énergie a émis une ordonnance réglementaire quelconque, mais à cause de facteurs économiques. Lorsque le prix de l’essence a défoncé le plafond, ceci a entraîné un ralentissement dans l’exploitation des sables bitumineux, parce que les compagnies utilisent le gaz naturel pour alimenter l’extraction. Les messages qui parviennent le mieux à convaincre les exploitants de sables bitumineux sont les messages qui se rapportent aux finances et aux marchés. Les conservateurs peuvent jouer un rôle important dans la conciliation de ces intérêts. Les mots « conservateur » et « conservation » sont issus de la même racine. Vivre selon ses moyens — principe auquel adhèrent les gens financièrement conservateurs — est en fait un concept écologique. On ne peut pas retirer plus d’un système naturel que ce qui y est remis. Les conservateurs pourraient mobiliser les mécanismes de marché pour la protection de l’environnement et en faire leur contribution de marque. « Les gens ont l’impression que leur voix ne compte pas. » Si les choses devaient mal tourner au cours des vingt prochaines années, que pourrait-on en dire? Je me demande si cette génération-ci du « baby-boom » poursuivra ses propres intérêts jusqu’au bout. Si les « babyboomers » insistent pour obtenir le plus haut niveau de soins de santé et la meil- leure technologie jusqu’à la toute fin, ils pousseront les soins de santé à la faillite et feront en sorte que les plus jeunes générations ne puissent pas avoir accès à certains aspects du système. Et si en revanche les choses devaient bien aller au cours des vingt prochaines années, que se serait-il passé? La doctrine centrale de la foi chrétienne est la conciliation, que ce soit entre les personnes et quiconque elles perçoivent comme étant Dieu, ou entre les personnes et leurs prochains, ou entre les personnes et leur for intérieur, ou encore entre les personnes et le monde physique. L’intérêt renouvelé dans la gérance responsable de l’environnement — rétablir le rapport entre les êtres humains et la nature — comporte certains éléments de spiritualité. Cette perspective a un rôle à jouer pour aider les gens à reconnaître le besoin de sacrifier la satisfaction immédiate pour quelque chose qui viendra à l’avenir, pour la génération suivante, pour l’environnement. Si nous limitions nos exigences matérielles, nous aurions plus de temps pour nos relations personnelles, familiales et sociales. Si nous passions plus de temps à nous occuper les uns des autres, nous ne serions pas obligés de faire appel à l’appui du gouvernement. Ceci est une autre approche que celle de chercher à tout résoudre par voie de règles ou de lois. C’est facile de parler de l’avenir par rapport à ce qu’il devrait être, sur le plan économique, écologique, social et politique. J’y ajouterais la dimension spirituelle, aussi. 91 Elizabeth May sur → Elizabeth May, chef du Parti vert du Canada et députée fédérale de Saanich-Gulf Islands, interviewée le 8 septembre 2014 par Monica Pohlmann NOTRE Quelles leçons devons-nous apprendre de nos erreurs passées? Nous sommes comme un petit kiosque qui vend des glaces. Si vous êtes impitoyable, vous pouvez facilement nous renverser. Cependant, notre Constitution est fondée sur le principe que ceux qui détiennent le pouvoir n’en abuseront pas. Il n’existe pas de règles contre l’abus de pouvoir; c’est simplement que ça ne se fait pas. Stephen Harper n’a pas de vrai respect pour la démocratie parlementaire de Westminster. Je ne crois pas qu’il travaille dans l’intérêt du Canada. Qu’est-ce qui vous préoccupe à propos du rôle que joue le Canada sur la scène internationale? En ce moment, nous ne comptons pas dans les négociations internationales sur le climat, parce que le reste du monde sait que nous ne ferons pas la bonne chose. Nous ne sommes pas au diapason avec le grand mouvement mondial qui se manifeste à l’heure actuelle. Parmi les voix les plus éloquentes qui appellent à l’action sur la crise climatique, on compte entre autres le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, l’Agence internationale de l’Énergie et l’Organisation de coopération et de développement économique. Christine Lagarde du FMI a dit lors des rencontres de Davos l’an dernier que si nous n’agissions pas face à la crise climatique, les générations futures seront rôties, frites et grillées. Shell et BP disent tous les deux qu’il est temps d’imposer une sorte de taxe sur le carbone. dictature élue : « Notre Constitution est fondée sur le principe que ceux qui détiennent le pouvoir n’en abuseront pas. » POHLMANN MAY Qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit? Nous ne sommes une démocratie qu’en théorie. Dans la pratique, nous sommes une dictature élue. Les Canadiens ne se sentent plus valorisés; ils sont devenus des consommateurs passifs. Ils ont abandonné l’idée qu’ils ont des droits et responsabilités dans la gestion du pays. Il est très difficile d’éveiller les gens pour qu’ils se rendent compte qu’ils ont du pouvoir. Quarante pour cent des Canadiens ne votent pas. Aux élections partielles dans Fort McMurray-Athabaska en juin dernier, seulement quinze pour cent ont voté! À moins qu’on ne change le système, le prochain dictateur pourrait fort bien être Trudeau ou Mulcair, et même si nous préférions leurs décisions, ce ne serait toujours pas une démocratie. De nos jours, les gouvernements démocratiquement élus ont peu de connaissance du pouvoir souverain et sont redevables aux sociétés transnationales en vertu d’instruments divers comme les accords entre les investisseurs et l’État. Il nous faut rappeler aux gens que les démocraties (et les citoyens) peuvent choisir ce qu’ils veulent faire, que ce soit dire non au projet de pipelines Enbridge Northern Gateway ou donner leur opinion sur le traité d’investissement CanadaChine. Nous avons eu des années de déréglementation, de privatisation et de libéralisation du commerce. Les impôts et tout ce qui est collectif sont diabolisés. Nos enfants ont grandi à une époque où le message était que « le gouvernement 92 est une mauvaise chose ». Quand je parle aux jeunes, ils disent : « Je ne veux pas que ce soit le gouvernement qui fasse ceci ou cela. » Pourtant, dans une démocratie, nous devrions sentir que le gouvernement est en quelque sorte une prolongation de nos doigts, nous permettant de faire collectivement ce que nous ne pouvons pas faire individuellement. Notre capacité de savoir ce qui se passe a été réduite. Internet a permis la circulation de quantités énormes de faux renseignements déguisés en de véritables renseignements. Les médias sociaux ont amplifié les voix des intolérants, des racistes, des misogynes et des homophobes. Je suis branchée sur Twitter et parfois les messages qu’on m’envoie sont horripilants. Il y a toujours eu des éléments intolérants dans notre société, mais une des choses formidables du Canada, c’est notre respect envers les différents points de vue et le sentiment que nous pouvons arriver à un consensus. Nous avons toujours cru pouvoir être en désaccord tout en n’étant pas désagréables. Aujourd’hui, le Canadien poli est en train de disparaître. On ne laisse plus de place à la conversation. Tout ce qu’on a le droit de faire, c’est de se lancer des slogans des deux côtés de la salle. « Nous ne sommes une démocratie qu’en théorie. Dans la pratique, nous sommes une dictature élue. » Qu’est-ce qui vous anime? Les provinces nous offrent une lueur d’espoir par rapport au changement climatique. Leurs premiers ministres disent qu’il leur faut une politique énergétique. En l’absence d’une politique fédérale, disentils, tout est aléatoire, ce qui permet aux entreprises de régner. Si nous avions une politique énergétique nationale, la sécurité énergétique compterait pour quelque chose, de sorte que nous n’exporterions qu’une fois les besoins nationaux satisfaits. Toute action concernant le climat compterait. Et ce qui compterait aussi, c’est l’accroissement du nombre d’emplois pour chaque baril de bitume produit. NOUS POURRIONS TOUT COORDONNER SI NOUS ÉTIONS ASSIS À LA MÊME TABLE EN TRAIN DE RÉGLER NOS PROBLÈMES, SI NOUS REVENIONS À NOS VALEURS COMMUNAUTAIRES ET NOUS OCCUPIONS LES UNS DES AUTRES. Nous n’arriverons pas à résoudre la crise climatique si nous ne sommes pas une démocratie fonctionnelle. 93 L. Jacques Ménard sur → L. Jacques Ménard, président du Conseil d’administration de BMO Nesbitt Burns et président de BMO Groupe financier, Québec, interviewé le 15 novembre 2014 par Adam Kahane L’ACQUITTEMENT de nos responsabilités : « Nous avons trop tendance à nous en remettre aux autres, en partie par souci de respect, mais aussi à cause d’une sorte de passivité. » Si les choses devaient mal tourner au cours des vingt prochaines années, qu’est-ce que l’on pourrait en dire? Nous aurons continué à réduire les ressources consacrées à l’éducation supérieure et à la recherche dans nos universités et institutions. Nous aurons décidé de rendre tout cet argent aux citoyens et abandonné notre responsabilité collective de favoriser un meilleur système d’éducation. Cela aura une incidence sur notre bilan de réalisations dans le domaine de l’innovation et des nouveaux brevets. Le Canada aura érodé ses chances et manqué l’occasion de mettre ses talents à l’avant-scène. COMMENT MANQUE-T-ON L’OCCASION DE SE DISTINGUER PAR SES TALENTS? ON FAIT DEUX CHOSES : ON NE LES EXPLOITE PAS ET ON NE LES RETIENT PAS. Nous sommes KAHANE MÉNARD Que voyez-vous se produire dans le pays, qui mérite notre attention? En tant que Canadiens, nous avons certains droits. Nous avons aussi des obligations ainsi que la responsabilité de contribuer au bien public, surtout si l’on a le privilège d’exercer un certain niveau d’influence. Cela est vrai pour le pays aussi. Nous avons un pays qui est privilégié. Nous gémissons et nous nous plaignons de nos lacunes, mais quand nous regardons les bulletins de nouvelles, nous voyons pourquoi le Canada fait l’envie du monde. Nous sommes privilégiés parce qu’il se fait que nous sommes situés dans cet hémisphère et parce que notre culture nous permet de nous gouverner comme nous le faisons. La crise de 2008 n’a pas eu le même impact ici qu’elle a eu ailleurs. Comment pouvons-nous partager notre expertise, nos expériences et nos valeurs de manière à faire preuve de solidarité vis-à-vis d’autres dans le monde qui n’ont pas reçu les mêmes privilèges? Nous ne contribuons pas selon notre plein potentiel, ni à l’intérieur de notre pays ni à l’extérieur dans le monde. En tant que sociaux-démocrates, nous avons tendance à trop vouloir nous en remettre aux autres, en partie par souci de respect, mais aussi à cause d’une sorte de passivité qui nous pousse à vouloir attendre qu’on nous guide. La façon pour nous de mieux agir serait d’assumer la responsabilité de ce que sera le Canada à l’avenir. Il faut que nous nous rappelions que la solution ne viendra pas du gouvernement et elle ne viendra pas non plus d’ailleurs : le Canada sera ce que nous en ferons. La compassion, l’équité, la solidarité, l’ingéniosité et l’esprit innovateur sont tous des valeurs canadiennes. Le Canada sera un meilleur endroit si nos dirigeants et nos citoyens acceptent plus la responsabilité de mettre ces valeurs en pratique et de créer de meilleures chances de réussite pour les gens. Le Canada est-il devenu un modèle dans le domaine de l’éducation? Le Canada compte parmi les pays du monde dont la population vieillit le plus rapidement. Si nous conservons notre modèle social et économique actuel, la génération de travailleuses et travailleurs qui viendra dans vingt-cinq ans sera obligée de produire beaucoup plus que ma propre génération ou que celle de mon père. Par conséquent, nous devons devenir des chefs de file en éducation et en notre capacité de stimuler l’innovation et la créativité dans les sciences, les soins de santé et les services. Au point de vue économique, nous sommes un petit pays, et nous ne pourrons grandir que si nous devenons beaucoup plus efficaces et récupérons notre rôle comme important exportateur d’idées, de services et de certains produits. Nous ne devons plus dépendre entièrement de nos ressources naturelles. Nous pouvons quand même demeurer un pays fondé sur les ressources; nous pouvons toujours expédier nos produits pétroliers et miniers à l’extérieur, mais nous avons besoin d’une économie plus équilibrée. Si vous pouviez poser des questions à un clairvoyant au sujet de l’avenir, que voudriez-vous savoir? 94 des concurrents dans le monde et moins nous développerons des compétences uniques, plus notre pays sera pauvre. On ne peut pas se voir rétrécir tout en aspirant à la grandeur. À un certain moment, nous devons nous acquitter de responsabilités collectives les uns envers les autres et envers les autres généra- tions. Les générations futures jugeront durement celles d’aujourd’hui et diront : « Regardez ce qu’ils ont fait avec leur obsession envers la pensée individualiste. » Un grand nombre de jeunes Canadiens imaginatifs, énergiques et hautement instruits auraient quitté le pays. De nombreuses jeunes personnes intelligentes ont déjà quitté le Québec. À titre de réponse, ici à Montréal, nous nous sommes rendu compte que nous pouvions faire l’une ou l’autre de deux choses : nous pouvons soit continuer à ressasser nos points faibles soit décider de développer nos points forts. Nous pouvons attendre que d’autres définissent qui nous sommes, quel est notre potentiel et quelle est notre mission comme ville ou alors, nous pouvons agir à partir des avantages que nous possédons déjà comme collectivité et comme citoyens. Il y a de l’énergie, de la créativité et du talent dans cette ville, et l’un des défis consiste à découvrir comment retenir ces atouts, comment en attirer d’autres et comment les mettre en valeur. « On ne peut pas se voir rétrécir tout en aspirant à la grandeur. À un certain moment, nous devons nous acquitter de responsabilités collectives les uns envers les autres et envers les autres générations. » 95 Tanzeel Merchant → Tanzeel Merchant, directeur général du Ryerson City Building Institute, interviewé le 16 septembre 2014 par Monica Pohlmann sur NOTRE FAÇON DE VIVRE : « Je vois se produire des bouleversements et de la colère. » POHLMANN MERCHANT Qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit quand vous songez à ce qui se passe au Canada? Notre système d’éducation est fixé sur l’atteinte d’un certain statut et non sur la qualité de l’enseignement. Plus tard, il sera difficile de trouver les personnes appropriées parmi la population active pour faire le type de travail dont on a besoin. Aussi, les jeunes doivent perfectionner des compétences de base pour articuler leurs pensées et échanger leurs idées. Il ne s’agit pas uniquement de savoir utiliser Twitter; il s’agit de savoir comment s’engager dans la collectivité et dans le discours politique. Et il ne s’agit pas uniquement d’importer d’ailleurs des personnes qui ont des compétences; il s’agit de déterminer ce en quoi nous voulons exceller. Certaines de nos conversations sur la diversité doivent être formulées de façon Qu’est-ce qui vous anime? J’aime le fait que souvent nous ne savons pas qui nous sommes, parce que personne ne s’attend à ce que nous soyons obligés de souscrire à quelque chose. Ceci pourrait être un point faible ou un point fort, dépendant de la forme que nous lui donnons. Pour ma part, j’ai toujours vu cet espace libre comme une occasion pour moi de participer au récit de ce pays. Nous avons toujours le pouvoir économique et les ressources nécessaires pour faire une grosse différence dans le monde. La question qu’il faut se poser les uns les autres, c’est si nous voulons faire cette différence. Il est facile de faire ce que nous faisons, de lancer de l’argent en l’air pour résoudre des problèmes, mais la vraie question, c’est de savoir si nous possédons la volonté politique d’aborder les questions vraiment difficiles. Si nous 96 différente. Par exemple, nous utilisons toujours l’expression « minorité visible » quand nous parlons d’un segment de la population qui n’est plus une minorité. Nous ne faisons pas assez d’effort pour engager les nouveaux venus. Nous avons recours à des modèles d’engagement qui peuvent leur être étrangers ou qui peuvent ne plus être pertinents. Aussi, nous créons des ghettos. Il suffit d’aller à Rexdale ou à Mississauga ou à Brampton pour comprendre comment nous avons tendance à regrouper les communautés ethniques en un seul endroit. Les immigrants choisissent eux-mêmes de s’établir là, mais nous ne nous faisons pas suffisamment d’efforts pour intégrer ces communautés dans la vie courante de la ville. n’en sommes pas capables, comment alors pouvons-nous faire quoi que ce soit? Si nous identifions les problèmes et en assumons la responsabilité, nous pourrons réaliser des choses merveilleusement créatives. Le Canada a accepté de rassembler les gens sans imposer d’idéologie, de les encourager à discuter de problèmes et de les résoudre ensemble. J’aime que cela fasse partie de ma vie et j’aime cela dans ma nation, une société qui n’est pas polarisée, qui est inclusive, qui fomente la conversation et qui ne décide pas ce qui est bon et ce qui est mauvais avant même que nous ne commencions à en discuter entre nous. Ça, c’est quelque chose que nous faisons bien. Nous sommes encore jeunes comme pays, et il reste encore beaucoup d’histoires à écrire. Nous pouvons dès maintenant commencer à façonner ces histoires de manière positive. Si vous pouviez demander à un clairvoyant de vous parler du Canada de l’avenir, qu’aimeriezvous savoir? Je voudrais savoir quel chemin nous allons prendre vis-à-vis de l’environnement. Nord, le pays se réchauffe. Je voudrais vraiment savoir où nous allons aboutir. NOUS SOMMES DES HYPOCRITES, DANS LE SENS QUE NOUS RÉCOLTONS VOLONTIERS LES EFFETS DE L’ESSOR ÉCONOMIQUE ET EN MÊME TEMPS, NOUS EN CRITIQUONS L’IMPACT. NOUS VOULONS L’ARGENT, MAIS NOUS NE VOULONS PAS LA DESTRUCTION DE L’ENVIRONNEMENT. QUE FAISONS-NOUS POUR L’ÉVITER? Avons-nous changé nos habitudes de consommation? Il faudra peutêtre deux ou trois générations, mais ce que nous connaissons et avons connu depuis quatre ou cinq cents ans va changer, que nous causions nous-mêmes ces changements ou que ce soit la planète qui les apporte. Nous entrevoyons déjà ce qui va se passer : les ravageurs se déplacent vers le Nous ne serons pas éternellement un aimant pour l’immigration. Ce que nous avons à offrir n’est plus quelque chose d’unique au Canada. D’autres régions du monde deviennent tout aussi attrayantes en offrant les mêmes sources de confort qui font partie de notre vie ici. Nous œuvrons selon l’hypothèse que nous continuerons d’attirer des immigrants et qu’ils viendront vivre dans nos villes. Tout cela pourrait changer du jour au lendemain, et soudainement nous aurions un avenir très différent. J’aimerais bien savoir où nous allons avec cela. « Nous ne faisons pas assez d’effort pour engager les nouveaux venus. Nous avons recours à des modèles d’engagement qui peuvent leur être étrangers ou qui peuvent ne plus être pertinents. Aussi, nous créons des ghettos. » Si dans vingt ans les choses sont allées mal au Canada, qu’est-ce qui se sera passé? Le Canada sera devenu de plus en plus divisé au point de vue géographique reléguant les grands centres urbains d’un côté et tout le reste de l’autre. Les collectivités rurales sont rendues à un point critique dans leur évolution et nous refusons de reconnaître qu’elles ont un problème. Sur le plan politique, elles ont toujours du pouvoir à cause de la répartition des sièges et elles s’attendent à un certain niveau de vie qu’elles ne peuvent plus avoir. Dans trente, cinquante ou cent ans, elles deviendront des endroits tout à fait différents. Elles n’auront peut-être plus une population suffisante pour rester viables. Les gens qui sont là vont vieillir. Dans certaines municipalités de l’Ontario, de soixante à soixantedix pour cent de la population sera âgée de plus de soixante-cinq ans d’ici l’an 2040. Il y a plus de gens que jamais qui vivent en monoménages, dans un type d’immeuble qui cultive l’isolement et non la communauté. Tous ces facteurs ensemble exercent une influence sur le type de société que nous devenons et le mode de vie que nous menons. Je vois se produire des bouleversements et se soulever la colère. Je vois se fracturer petit à petit l’identité canadienne. 97 Farah Mohamed → Farah Mohamed, PDG de G(irls)20, interviewée le 19 septembre 2014 par Brenna Atnikov sur NOTRE AVANTAGE concurrentiel : « L’humilité est une qualité louable, mais pas si elle nous empêche d’avancer. » ATNIKOV MOHAMED Quand vous réfléchissez au Canada d’aujourd’hui, qu’est-ce qui retient votre attention? La composition diverse de notre pays constitue l’un de nos avantages concurrentiels. Dans un univers de plus en plus mondialisé, c’est un avantage concurrentiel pour n’importe quelle organisation ou n’importe quel pays d’avoir une diversité d’opinions autour de la table. Si les gens, qui sont là, viennent tous de milieux semblables, on ne peut pas vraiment comprendre ce qui se passe à l’extérieur de la salle. Nous sommes doués en ce qui a trait à la célébration de la diversité; maintenant, il nous faut savoir comment en tirer parti. Nous pourrions commencer en ayant plus de diversité — d’ethnicités, de genres, d’orientations sexuelles, de personnes handicapées — au sein de nos gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux. Il nous faut aussi changer les programmes d’études dans les écoles. Les étudiants apprennent toujours plus au sujet des deux guerres mondiales qu’au sujet de la contribution positive des Canadiens autochtones ou de l’immigration. Nous avons l’occasion de nous affirmer — de redéfinir notre marque — comme plus Qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit? JE M’INQUIÈTE DU CHÔMAGE PARMI LES JEUNES. NOUS NE POUVONS PAS NOUS PERMETTRE D’AVOIR UNE GÉNÉRATION PERDUE. Nobel — choisiront de s’établir ailleurs, et nous ne pouvons pas nous permettre cela. Nous n’avons pas perdu notre lustre à cet égard, mais nous devons le polir et lui redonner son éclat. Nous devons cultiver l’aptitude des gens à prendre des décisions éclairées. Il est absolument ridicule que le vote ne soit pas obligatoire. Si nous étions forcés de voter, nous ferions plus attention à nos leaders, aux risques encourus par notre pays et à sa réputation à l’étranger. Nous serions davantage engagés dans les politiques et les personnes qui nous représentent. Les gens d’autres pays meurent pour avoir le droit de voter. Ici, certains adoptent l’attitude qui les pousse à dire : « Il pleut, je n’irai pas voter aujourd’hui. » Si je dirigeais le monde, je ne permettrais on que ce type de personne possède un passeport, une carte de santé ou un permis de conduire. Pour s’engager, les gens ont besoin de garder espoir, de croire qu’ils ont un rôle à jouer, que leur opinion compte pour quelque chose. « Nous avons l’occasion de nous affirmer — de redéfinir notre marque — comme plus grande puissance, vu ce qui se passe dans le monde. » sociaux? Je voudrais que nous pensions un peu moins à court terme et un peu plus à long terme. ET NOUS NE POUVONS PAS ÊTRE IGNORANTS DEVANT LA FAÇON DONT NOS JEUNES PENSENT, INTERAGISSENT ET ENTRAÎNENT LE CHANGEMENT. Il nous faut également songer à la stabilité : qui va payer les impôts et qui va maintenir nos programmes 98 grande puissance, vu ce qui se passe dans le monde. Il y aura neuf milliards de personnes à nourrir en 2050 et nous avons des politiques agricoles parmi les plus fortes au monde. Durant la crise mondiale de 2008, nous avons su démontrer notre prouesse financière et nous continuons d’être un chef de avec nos systèmes fiscaux et bancaires, notre stabilité et notre taux de chômage relativement bas en comparaison avec d’autres nations. Mais exportons-nous suffisamment ce bassin de connaissances? Non! Mettons-nous assez en évidence combien nous sommes impressionnants? Non! On appelle cela le « syndrome du coquelicot le plus grand » — nous ne voulons pas attirer l’attention en étant le coquelicot le plus grand dans le champ, alors quand les Canadiens font des choses extraordinaires, nous ne voulons pas en accepter le mérite. J’aimerais nous voir plus patriotiques, mais tant que le monde extérieur ne nous applaudit pas, nous ne nous applaudissons pas nous-mêmes. L’humilité est une qualité louable, mais non pas si elle nous empêche d’avancer. Comment mieux nous assurer de ne pas gaspiller les occasions qui s’offrent à nous? doit toujours être assurée par le biais de l’immigration. Si nos lois en matière d’immigration ne sont pas ouvertes, nous ne connaîtrons pas la croissance voulue. Et comme résultat, les meilleurs de tous — les innovateurs, les scientifiques et les prix Nous devons être prudents en ce qui a trait aux politiques qui touchent les gens des autres pays qui veulent s’établir et travailler ici. La croissance de notre population 99 Gordon Nixon sur → Gordon Nixon, ancien président de la Banque Royale du Canada, interviewé le 30 juillet 2014 par Monica Pohlmann NOS FORCES et nos faiblesses : « C’est très bien d’avoir des produits de base, mais ces ressources ne seront certainement pas un moteur pour la croissance. » POHLMANN NIXON Lorsque vous pensez au Canada aujourd’hui, qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit? Sur le plan historique, nous avons été une économie de produits de base secondée par un secteur manufacturier fort, et maintenant nous sommes toujours une économie de produits de base, mais avec un secteur manufacturier faible. C’est très bien d’avoir des produits de base, mais ce secteur n’est pas un employeur important et ne sera certainement pas un moteur pour la croissance. Le Canada doit trouver son chemin dans le monde de l’innovation, des technologies émergentes et des méthodes manufacturières avancées. Nous devons également nous assurer de continuer à faire preuve de discipline au point de vue fiscal. Nous parlons du succès financier du pays, mais le Québec et l’Ontario ont tous les deux d’importants déficits et fardeaux financiers. Dans le passé, nous avons pu observer les répercussions négatives d’un manque de discipline fiscale. Nous vivons dans une économie mondialisée et en tant que pays, nous devons décider quelle place nous souhaitons occuper dans le monde. Le Canada occupe aujourd’hui une place qui est fort différente de celle qu’il occupait il y a quinze ans. Nous devons décider, à partir d’une per- Qu’est-ce qui vous anime? 100 Il y a peu de pays au monde qui offrent la même qualité de vie, la même stabilité, la même sécurité et la même cohérence que le Canada. En ce qui a trait à l’égalité du revenu, à la qualité de gouvernance et même au rendement économique, la situation est plutôt positive. Nous avons travaillé spective culturelle, si nous sommes à l’aise avec l’idée de devenir un défenseur franc et agressif au sujet de nos convictions sur la scène mondiale. Sinon, sommes-nous plus à l’aise dans notre rôle traditionnel de gardien de la paix et de médiateur : amical, ni agressif ni revendicateur et penchant vers le consensus? Il est clair que nous n’en sommes pas là aujourd’hui. En dernier lieu, le Canada est vulnérable à toutes sortes d’attaques. En raison de notre proximité avec les États-Unis, nous avons toujours tenu pour acquis que nous étions un pays sécuritaire et que nous n’avions aucune raison de craindre la guerre. Mais dans le monde d’aujourd’hui, les guerres sont souvent livrées par des moyens électroniques ou par le terrorisme plutôt qu’au front de bataille et à cet égard nous sommes très, très en retard par rapport à la majorité des autres pays industrialisés. Nous n’avons pas autant de services de renseignements qu’ont la plupart des pays d’Europe ou les États-Unis, et ceci nous rend très vulnérables aux attaques. Un acte majeur de terrorisme pourrait vraiment transformer notre pays. très fort pour surmonter notre géographie, notre éléphant au Sud et notre histoire. LA DIVERSITÉ EST, SANS DOUTE, NOTRE Si les choses tournaient mal au Canada au cours des vingt prochaines années, qu’est-ce qui se serait passé? valeurs fondamentales en tant que pays. En 1980, nous n’avions qu’une seule femme parmi nos cadres; aujourd’hui, notre conseil d’administration est présidé par une femme et quarante pour cent de nos cadres sont des femmes. Et nous servons d’exemple en démontrant combien peut vraiment bien fonctionner une mosaïque d’ethnies. Si vous regardez quelle est notre base d’effectifs, vous découvrirez que presque tous les pays du monde y sont représentés. Tout le monde sait que le pays a été bâti par des immigrants, mais on ne reconnaît pas souvent que le pays continue toujours d’être bâti par des immigrants. On ne voudrait pas que la diversité, dont nous avons si bien assuré le succès, transforme sa force incroyable en faiblesse. Si nous devenons complaisants, notre succès multiculturel risque de se transformer en défis ethniques. Nous sommes incapables d’être concurrentiels en matière d’innovation et de technologie manufacturière de pointe, et notre rendement économique devient inférieur à celui du reste du monde. Le sous-rendement rattaché à la croissance économique aurait un effet boule de neige donnant lieu à un taux plus élevé de chômage, à des déficits gouvernementaux et à un pays généralement moins optimiste l’enseignement universitaire est probablement une mauvaise décision à prendre pour plus de la moitié de nos jeunes. Il y a aussi un décalage entre la formation offerte et les emplois de l’avenir. Le secteur universitaire est probablement le moins innovateur de tous les secteurs de notre économie, si l’on considère les cours traditionnels et les professeurs permanents et tout le reste. Les autres secteurs ont tous été forcés de s’adapter à la suite des changements technologiques entre autres, mais ce n’est vraiment pas le cas de notre système éducatif. En ce qui concerne l’acquisition des compétences requises pour les emplois de demain, Donc sans changement structurel, il est difficile d’imaginer comment les jeunes d’aujourd’hui vont pouvoir économiser comme ma génération a pu le faire. Les écarts de revenu ont rendu les Canadiens à revenu faible, moyen et même semi-élevé moins capables de maintenir une bonne qualité de vie en comparaison avec à celle des gens se situant en haut de l’échelle salariale. La combinaison de la hausse des prix (surtout dans le domaine de l’habitation) et des choix dans le style de vie des individus aura une incidence sur l’image que projette notre pays. Bien des gens vivent assez convenablement aujourd’hui, mais ils n’économisent pas, leurs fonds de retraite sont limités et ils ne pourront certainement pas conserver leur niveau de vie actuel avec la sécurité sociale. « Sans changement structurel, il est difficile d’imaginer comment les jeunes d’aujourd’hui vont pouvoir économiser comme ma génération a pu le faire. » POINT LE PLUS FORT. C’est l’une de nos valeurs fondamentales en tant qu’entreprise et c’est aussi l’une de nos 101 Ratna Omidvar → Ratna Omidvar, directrice générale du Global Diversity Exchange (GDX) à la Ted Rogers School of Management, Université Ryerson, interviewée le 16 octobre 2014 par Elizabeth Pinnington sur LA CROISSANCE par la diversité : « Le Canada possède l’ossature voulue pour démontrer comment devrait fonctionner la société de demain. » PINNINGTON Qu’est-ce qui vous anime? OMIDVAR Le Canada possède l’ossature voulue pour démontrer comment devrait fonctionner la société de demain. Nous sommes aujourd’hui ce que plusieurs autres sociétés deviendront probablement; nous sommes l’endroit où vivent de nombreuses nationalités, races et religions. La diversité fait partie de notre ADN, particulièrement dans les centres urbains. Nous fonctionnons généralement bien... il n’y a pas d’émeutes dans nos rues, les gens sont polis entre eux, on monte à bord du métro bondé de monde le soir et personne ne lance des insultes racistes à quiconque. Les institutions locales ont grandement contribué à cet état de choses. À Toronto, par exemple, les écoles ont fait part d’un progressisme remarquable en intégrant le visage multiculturel du Canada dans leurs programmes d’études. Ce n’est plus « Jeanne et Pierrot vont au magasin pour acheter du sucre », mais plutôt « Fatima et Ali vont au magasin pour acheter du riz ». Ces choses font une différence. Par ailleurs, les entreprises ont choisi divers moyens de s’adapter à la nouvelle réalité de notre diversité. Un exemple inté- Si les choses tournent bien au cours des vingt prochaines années, que pourrait-on en dire? 102 Qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit? En me tournant vers l’avenir, je vois un Canada différent, bâti à même la dynamique d’aujourd’hui. Notre population a doublé. Donc, nous avons maintenant dix et non plus quatre grands centres urbains. Dans ces centres urbains vivent des personnes d’une diversité inégalée. Cela renforce notre économie et notre prospérité. Puisque nous sommes une économie plus grande, nous sommes capables de ressant du secteur des services financiers, c’est le changement apporté aux règles qui déterminent qui peut être admissible à une hypothèque. Autrefois, les banques n’avaient qu’à calculer les revenus de deux individus : le couple. Certains employés immigrants dans une institution bancaire ont fait remarquer que cette pratique lassait passer une occasion de faire de meilleures affaires. Ils ont dit : « Attendez un peu, les familles immigrantes ne vivent pas systématiquement comme mari et femme; elles vivent comme mari, femme, frère, sœur, tante, oncle. » Toute la famille travaille ensemble pour pouvoir acheter un domicile, ce qui en plus de la citoyenneté constitue un important indicateur d’appartenance. En conséquence, les institutions de services financiers au Canada ont modifié leurs critères, afin de permettre aux familles d’être décrites différemment et de jumeler leurs revenus pour devenir admissibles aux prêts hypothécaires. Les entreprises vont là où se trouve le marché, et notre secteur de services financiers s’est rendu compte que si l’on veut servir sa clientèle, il faut connaître sa clientèle. Nous faisons des progrès. C’est simplement que cela prend beaucoup de temps. produire davantage, d’échanger davantage; nous pouvons vendre à plus de gens, nous avons plus de gens avec de grandes idées. Notre croissance démographique s’est stabilisée avec l’immigration et notre économie peut accommoder un plus grand nombre d’immigrants ayant tous les niveaux d’aptitudes, et elle peut aussi accueillir beaucoup plus de réfugiés. Deuxièmement, nous sommes une véritable puissance économique en raison du fait que nous avons des échanges commerciaux avec beaucoup plus de pays et ne dépendons plus autant des États-Unis. Nous avons su nous libérer de ce recours excessif à un seul marché en diversifiant vigoureusement nos rapports tant politiques qu’entrepreneuriaux. Par le biais de l’immigration et des réseaux diasporiques, nos liens naturels avec le monde extérieur se sont multipliés. Les Canadiens sont habiles quant à l’interprétation des règles et règlements écrits et tacites des différents marchés et ils se déplacent facilement d’une culture à l’autre. L’avenir du Canada est axé sur l’attention qu’il donnera à cette force latente que sont les immigrants d’aujourd’hui et d’hier, sur sa capacité de donner libre cours à cette force et de renforcer les liens qui existent entre les endroits, les marchés, les fournisseurs et les idées. Nous constituons une société soumise aux règles. Nous n’aimons pas prendre trop de risques. La paix, l’ordre, la bonne gouvernance : c’est ce que nous sommes. Ne pas prendre de risques veut dire nous entourer des mêmes idées ressassées et des mêmes personnes qui reflètent ces idées. La recherche montre que si nous voulons développer ce genre de pensée rigide, nous devons avoir une équipe homogène. Par contre, si nous souhaitons produire quelque chose de nouveau, de différent, d’un peu fou, alors nous devons nous assurer d’avoir une équipe de gens complètement différents de nous. Cela peut créer des conflits temporaires et du chaos, mais cela va aussi engendrer de la créativité et nous avons besoin de cette créativité. Nous avons également vu apparaître des tendances inquiétantes. Nous avons perdu notre engagement à la permanence. NOUS DISIONS AUTREFOIS : « VENEZ À Toronto, tandis que notre population de minorités est d’environ quarante-neuf pour cent, elle n’occupe que treize pour cent des postes de leadership. Les personnes qui sont assises dans les salles du conseil et qui détiennent le pouvoir institutionnel ressemblent au vieux Canada; elles ne ressemblent pas au nouveau Canada. Pourquoi ne sommes-nous pas Silicon Valley, mis à part le soleil? Parce qu’à Silicon Valley, le coût du billet d’entrée n’est pas lié au lieu où l’on est né, mais aux idées qu’on apporte. Nous n’en sommes pas encore arrivés là. AU CANADA ET TROIS OU QUATRE ANS PLUS TARD, VOUS DEVIENDREZ CITOYEN CANADIEN. » NOUS RENDONS LA CITOYENNETÉ PLUS DIFFICILE À OBTENIR ET PLUS FACILE À PERDRE. Nous importons des travaille- uses et travailleurs étrangers temporaires qui n’ont aucun droit à la permanence et créons ainsi une société à deux niveaux. Nous avons appris des États-Unis et de l’Europe que bien des travailleurs temporaires ne partent pas; ils laissent passer les dates d’échéance de leurs visas et entrent dans la clandestinité. Imaginez venir à titre de travailleur étranger temporaire en provenance du Mexique, de la Chine ou des Philippines. Vous êtes lié à un employeur. Vous n’êtes pas libre de quitter. Si cet employeur vous maltraite, allez-vous vous plaindre? Nous sommes en train de perdre de vue les valeurs autour desquelles nous avons bâti cette grande nation. La compassion est une de ces valeurs. Nous nous sommes carrément éloignés de la compassion avec notre piètre effort pour aider les réfugiés de la Syrie et de l’Irak à venir s’établir ici. « Ne pas prendre de risques veut dire nous entourer des mêmes idées ressassées et des mêmes personnes qui reflètent ces idées. » Que désirez-vous laisser comme héritage? Par le biais du Global Diversity Exchange à Ryerson, nous créons des mouvements favorisant le changement, qui ont des racines locales et qui sont fondés sur des idées consacrées à la diversité, l’immigration et l’inclusion. Les commu- nautés locales ont l’immense potentiel de se rejoindre au-delà des frontières, de tisser des liens avec les autres communautés, d’apprendre et de s’inspirer les unes des autres. Ceci est beaucoup trop difficile à faire pour les états nations. 103 Lili-Anna Pereša sur → Lili-Anna Pereša, présidente de Centraide du Grand Montréal, interviewée le 3 septembre 2014 par Adam Kahane LES CHOIX difficiles à faire : Croyez-vous qu’à l’heure actuelle nous faisons de sages investissements pour l’avenir? En ce moment, on investit beaucoup dans les soins de santé. Pourquoi? C’est parce que les gens craignent la maladie pour eux-mêmes et leurs proches, et veulent avoir l’assurance qu’ils auront accès à de bons soins dans un tel cas. Mais puisque la population des quartiers défavorisés est en moins bonne santé et a une plus faible espérance de vie, réduire la pauvreté réduirait en même temps la pression sur notre système de santé. Et, comme il y a un lien entre le faible niveau de scolarité et la pauvreté, investir davantage dans l’éducation serait une stratégie plus durable que d’engloutir de plus en plus d’argent dans le système de santé. Mais comment des élus, qui ont un mandat de quatre ou cinq ans, peuvent-ils avoir le courage d’investir à long terme dans la prévention? Est-ce que Montréal est capable d’apporter les changements nécessaires? Au cours des vingt dernières années, chaque quartier de Montréal a organisé une table ronde multidisciplinaire à laquelle participent des gens d’organisations communautaires, d’agences locales, de la ville, de la police, des services de santé, des écoles et ainsi de suite pour se parler et travailler ensemble. Auparavant, seules les agences mobilisaient les citoyens. si nous ne partageons pas les mêmes vues politiques, nous savons que nous devons nous serrer les coudes pour faire avancer les choses. « Nous en avons assez d’entendre de mauvaises nouvelles et notre scepticisme est à un très haut niveau. » KAHANE PEREŠA Quand vous regardez ce qui se passe à Montréal, au Québec, au Canada, qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit? CE QUI ME PRÉOCCUPE LE PLUS, C’EST QUE L’INÉGALITÉ SOCIALE CONTINUE DE CROÎTRE AU CANADA, MÊME SI ELLE N’EST PAS AUSSI PRONONCÉE QU’AILLEURS. Partout dans le monde, l’inégalité croissante donne lieu à beaucoup de tension. Au Canada, nous avons été protégés en partie de cette tension parce que nous ne partageons pas de frontières avec des pays ayant d’extrêmes inégalités et donc, nous n’avons pas à subir les pressions de la migration. Cependant, nous avons la responsabilité d’être plus ouverts que nous ne l’avons été récemment. Quand mon père est arrivé ici comme immigrant croate, cette communauté-ci l’a merveilleusement accueilli. Le Canada a une longue histoire quant à l’ouverture de ses portes aux réfugiés ou à d’autres nationalités Si les choses ne tournaient pas bien au Canada dans les prochaines décennies, qu’est-ce qui se serait passé, et pourquoi se seraient-elles passées? 104 Nous — c’est-à-dire nous, les citoyens, ainsi que les dirigeants politiques — n’aurions pas réussi à faire preuve de courage en prenant les décisions difficiles et à long terme auxquelles nous faisions face. Avec un cycle électoral de quatre ans, les politiciens mènent leurs campagnes et peignent un très joli tableau, mais ils ne racontent pas l’histoire au complet. Une fois au pouvoir, qui sont victimes de discrimination dans leur pays. Mais il y a tout de même eu un déclin dans notre façon d’accueillir les immigrants. Ceux-ci arrivent et en général, se retrouvent dans ce que nous appelons « la pauvreté transitoire ». Au Canada, il fallait environ sept ans pour que les gens se sentent à l’aise financièrement, après quoi ils déménageaient en banlieue. Mais aujourd’hui, il faut quatorze ans pour qu’une personne atteigne l’indépendance financière. Le taux de pauvreté à Montréal est de vingt-trois pour cent, ce qui veut dire que presque une personne sur quatre vit en dessous du seuil de pauvreté. Nous avons la responsabilité collective de nous assurer que les plus vulnérables soient protégés et puissent profiter des mêmes chances que le reste d’entre nous. ils se rendent compte qu’ils ont de dures décisions à prendre. Et puis les gens sont mécontents parce que les élus ne font pas ce qu’ils avaient promis de faire. Quand nous élisons certains individus, il nous faut avoir le courage de les laisser faire ce qu’ils doivent faire sans succomber à la pression de faire ce qui est bien vu par le public. Je pense que nous en avons assez de recevoir de mauvaises nouvelles et notre scepticisme est à un très haut niveau. Nous voulons de bonnes nouvelles et nous savons que nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes pour créer ces bonnes nouvelles. Même Malgré le taux élevé de pauvreté à Montréal, quand on lit les données statistiques sur le niveau de contentement et la qualité de vie, c’est un des meilleurs endroits où vivre, et c’est parce que nous possédons un solide réseau communautaire. La raison pour laquelle nous avons un faible taux de criminalité, une qualité de vie supérieure et une société qui se mobilise de manière pacifique est que notre culture est ouverte et que notre tissu social permet aux gens d’espérer. « Malgré le taux élevé de pauvreté à Montréal, quand on lit les données statistiques sur le niveau de contentement et la qualité de vie, c’est un des meilleurs endroits où vivre, et c’est parce que nous possédons un solide réseau communautaire. » 105 Sherene Razack → Sherene Razack, docteure et professeure au département d’Études en sociologie et en équité à l’Université de Toronto, interviewée le 7 octobre 2014 par Elizabeth Pinnington sur Comment pouvonsnous l’affronter? de nos colons : PINNINGTON RAZACK Qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit? La déshumanisation croissante et institutionnalisée vis-à-vis de certains groupes. C’est comme si la société évoluait selon le principe que la vie humaine ne compte pas. Chaque matin, je lis au sujet de dix choses qui me font penser que nous devenons de plus en plus distancés les uns des autres. Cela commence avec la race et devient une structure qui envahit tout. Les Blancs déshumanisent systématiquement les autochtones. Je parle de toute une gamme d’actes violents, comme lorsque des Quelles sont certaines leçons importantes que les Canadiens peuvent retirer du passé? Je pense toujours à la façon dont les sujets dominants se rendent dominants euxmêmes. On ne naît pas comme cela. Je dis à ma classe : « Personne n’est né Blanc. » Vous devez l’apprendre et le mettre en pratique chaque jour. Les gens ne croient pas facilement qu’ils sont supérieurs ou que les autres sont des formes inférieures d’êtres humains. Les gens doivent s’en convaincre et cela les hante terriblement. Les colons ont été obligés d’apprendre que les autochtones étaient inférieurs, qu’ils étaient des sauvages. Mais cette leçon a été très dure à apprendre, notamment parce qu’ils ne le sont pas. Les autochtones possédaient bien des connaissances au sujet de cet endroit, et de toute évidence leur société était développée. Étant donné qu’on doit nous enseigner à ne pas reconnaître le caractère humain des autres, nous pourrions peutêtre interrompre ce processus. Nous devons apprendre que le projet colonial qu’est le Canada n’est pas un projet viable, parce qu’il n’est pas fondé sur 106 agents de police emmènent un homme en dehors de la ville dans leur voiture et le laissent mourir de froid. Le principe, c’est que la vie de cette personne ne vaut pas autant que la vôtre. C’est à la fois un acte quotidien et une pratique de l’État. Pensons aux activités « sévir durement contre le crime » que les Conservateurs aiment tellement. Quels sentiments de cruauté et de mépris pour la vie humaine peuvent sortir ce type de politiques? un principe d’humanité commune. Nous pourrions observer tous les cas où la méchanceté et la répression évidentes n’ont donné lieu à rien de bien, des moments où le Canada a été tenté de se montrer extrêmement brutal envers les peuples autochtones. Si ce principe définit notre pays, c’est alors quasiment assuré que nous ne pourrons pas aboutir à quelque chose de bien. Nous ne pouvons pas nous mettre à reconnaître le caractère humain des réfugiés ou d’autres gens si notre vie quotidienne est fondamentalement structurée autour de l’inhumanité avec laquelle nous avons traité les autochtones. À peu près tout ce que nous faisons provient de ce moment colonial où nous avons tenté de déterminer comment nous pouvions voler la terre. Nous devons carrément affronter ce paradigme colonial avant de pouvoir ouvrir la voie aux autres. TACULAIRES OÙ NOUS AURIONS DÛ NOUS ARRÊTER ET DIRE : « ATTENDEZ UN PEU, CECI EST VRAIMENT MAUVAIS. » Nous devons constamment saisir ces moments et se politiser à leur sujet, organiser des événements autour d’eux, apprendre ces moments à d’autres, les exposer. Il nous faut dire aux personnes blanches : « Je ne veux pas que vous m’aidiez. Je veux que vous compreniez que votre vie sera vraiment LES LEGS « À peu près tout ce que nous faisons provient de ce moment colonial où nous avons tenté de déterminer comment nous pouvions voler les terres. » NOUS AVONS CONNU DES MOMENTS SPEC- Si vous pouviez demander à un voyant de vous dépeindre l’avenir, que voudriezvous savoir? Je voudrais savoir si la destruction massive et les torts causés aux communautés autochtones se poursuivront. Les Blancs détruisent les communautés autochtones parce qu’elles se trouvent sur le chemin de l’or, du pétrole et des Blancs qui pensent que cette terre leur appartient et qu’ils ont le droit d’en faire ce qu’ils veulent. Je voudrais savoir si, en fin de compte, les autochtones perdront. mauvaise si rien ne change. » Si vous désirez vivre derrière les barricades et avoir des fusils et tirer sur les gens qui vous confrontent, si vous croyez que ce serait la bonne vie, alors vous ne verrez pas la cause commune. Mais vous ne pourrez pas avoir une vie agréable, encore moins une vie morale, au milieu d’une société où tant de choses affreuses arrivent à d’autres. J’aimerais aussi savoir ce que nous ferions avec les sables bitumineux. Le moment est venu de reconnaître ce que nous, les êtres humains, sommes en train de faire pour détruire le climat. Si nous ne pouvons pas affronter dès maintenant ce problème, il sera impossible pour nous de revenir en arrière. J’espère que les gens vont tout d’un coup se demander : « Pourquoi faisons-nous cela? » « Chaque matin, je lis au sujet de dix choses qui me font penser que nous devenons de plus en plus distancés les uns des autres. » Si les choses se déroulent mal au cours des vingt prochaines années, que se sera-t-il produit? L’éducation sera axée sur l’apprentissage de métiers ou de compétences, plutôt que sur l’apprentissage de la pensée critique. On fermera la plupart des institutions où les gens peuvent apprendre à penser de façon critique. Celles qui resteront seront petites ou très, très limitées. Le résultat, c’est qu’on ne pourra pas demander pourquoi les choses sont comme elles sont, pourquoi il y a des gens qui vivent bien tandis que d’autres non, quel rapport on a avec les autres dans le monde social. Il n’y aura pas moyen d’analyser les mythologies que l’on voit reproduites chaque jour dans les journaux. Si l’on vous enseigne que les autochtones sont une race mourante, vous n’aurez pas le moyen de remettre cela en question. Qu’est-ce qui vous anime? Je suis vraiment contente de vivre à Toronto. Cette ville est à cinquante pour cent non blanche et aucun groupe n’est dominant. C’est une combinaison incroyable d’histoires et de politiques. S’il y a quelque chose qui a la moindre chance de faire éclater notre lamentable histoire coloniale, c’est bien cet extraordinaire mélange de personnes réunies dans un seul espace physique. Ici, personne ne supportera l’oppression aussi facilement qu’ailleurs. Ici, personne n’acceptera d’être exclu. Quel message souhaitezvous laisser aux autres par l’entremise de votre travail? Qu’il est possible et nécessaire de dénoncer à haute voix ce qui se passe, mais je ne peux pas le faire individuellement. Écrire un livre ou enseigner, c’est comme lancer un petit caillou dans un étang. J’espère que je fais partie d’une communauté qui pense de la même façon et qui pourra agir collectivement sans se faire bâillonner. 107 Angus Reid sur → Angus Reid, président de l’Institut Angus Reid, interviewé le 30 septembre 2014 par Monica Pohlmann L’ÉTAT DE notre démocratie : « Nous élisons un premier ministre qui a un pouvoir quasiment dictatorial. » POHLMANN REID À quoi les Canadiens pensent-ils surtout ces jours-ci? Il y a vingt ans, les soins de santé figuraient au cinquième rang parmi les questions qui préoccupaient le plus les Canadiens. C’est maintenant passé au premier rang. Ils ont l’impression que la qualité du système s’est détériorée. En 1994, moins de quarante pour cent croyaient que les riches dans ce pays avaient un accès privilégié à nos res- sources de soins de santé; c’est maintenant monté à soixante-cinq ou soixante-dix pour cent. Malgré les préoccupations des Canadiens au sujet de certains aspects du système, quand on leur demande ce qu’il y a de vraiment spécial dans le fait d’être Canadien, ils répondent de plus en plus : les soins de santé. Quand vous regardez le Canada aujourd’hui, qu’est-ce qui vous rend optimiste? C’est un moment propice pour nous d’être Canadiens. Notre marque est forte et bien appréciée dans le monde. Nous sommes une fédération, et donc nous avons appris comment évoluer dans une société fonctionnant avec une grande diversité au niveau des régions, de la culture et de la géographie. Dans ce sens, nous pouvons offrir de nombreuses idées à d’autres pays qui veulent savoir comment gouverner dans ce monde extrêmement diversifié et constamment en changement. Et qu’est-ce qui vous préoccupe? Notre système électoral ne fonctionne pas. Nous élisons un premier ministre qui a un pouvoir quasiment dictatorial. Un de nos problèmes est le nombre décroissant d’électeurs qui vont aux urnes et aussi le manque de connaissances politiques, surtout chez les jeunes. Il existe un déficit alarmant dans la compréhension des aspects les plus fondamentaux de notre démocratie. premier ministre dont le français n’est pas parfait, mais qui a un lieutenant bilingue. Ça n’est pas une idée acceptée par bien des gens, mais elle me tient beaucoup à cœur, parce que la formation de bons leaders est cruciale pour l’avenir du pays. AU PALIER FÉDÉRAL, LA POSSIBILITÉ POUR NOUS DE RECRUTER DE BONS DIRIGEANTS A ÉTÉ QUELQUE PEU MINÉE PAR CETTE RÈGLE TACITE SELON LAQUELLE LES PERSONNES ÉLUES À DE HAUTS NIVEAUX DOIVENT ÊTRE ENTIÈREMENT BILINGUES. Au fond, nous empêchons la majorité des politiciens anglophones d’accéder à ces postes. Il faut comprendre qu’il est possible d’avoir un 108 Une grande source d’inquiétude, c’est le déclin des médias imprimés et le déclin remarquable de ce que j’appelle les médias bâtisseurs de consensus. Les journaux locaux ne publient plus d’articles sur les événements de la communauté. Quand on ne fait que réécrire l’information transmise par des fils de presse, comment alors peuton rapporter ce qui se passe au Conseil municipal ou encore, des actes criminels locaux ou d’autres types de nouvelles? Si vous pouviez questionner un clairvoyant sur l’avenir du Canada, que voudriezvous savoir? Comment aborder les problèmes croissants de l’inégalité? On en voit partout. On ne peut pas aller à l’aéroport sans apercevoir des riches qui passent impunément en tête de file pendant que tous les autres attendent leur tour pendant une heure avant de monter à bord d’un avion. Et c’est constamment la même chose partout dans notre société, que ce soit sur le plan des soins médicaux ou dans n’importe quel autre service. Notre société a enrichi bien des gens grâce à la technologie et à d’autres changements. Il nous faut découvrir comment rétablir un genre d’équilibre. Allons-nous devenir une société de plus en plus inégale ou allons-nous trouver des mécanismes qui permettront de réinventer le rêve de la classe moyenne? De quoi auront l’air les ménages dans vingt ans, dans cinquante ans? Nous observons d’énormes changements dans la définition de la famille et toutes sortes d’accommodements différents deviennent légitimes. Pour certains qui considèrent que la famille traditionnelle constitue la fondation de la société, tout mouvement rapide dans l’autre sens est une source de soucis. Mais j’ai d’autres amis qui pensent que nous devrions plutôt célébrer la disparition de la famille traditionnelle. À quoi ressemblera la vie dans vingt ou vingt-cinq ans, lorsque mes cinq petitsenfants entreront dans le marché du travail? Verront-ils leur niveau de vie comme étant inférieur à celui de leurs parents ou grands-parents? Auront-ils accès à des soins de santé de haute qualité? Le Canada sera-t-il toujours une société équitable et compatissante, ou bien la technologie et les forces mondiales compromettront-elles ces éléments qui ont créé l’expérience canadienne? « Le courant actuel se heurte contre l’idée typique de ce que cela signifie d’être Canadien, de ce qu’est le rêve canadien. » Quelles tendances significatives percevez-vous? Le courant actuel se heurte contre l’idée typique de ce que cela signifie d’être Canadien, de ce qu’est le rêve canadien. C’est pourquoi il est tellement important d’avoir de bons dirigeants. Nous allons nous en sortir à condition de trouver des leaders qui sachent pousser la nation à contrer ce courant. Nous ne pouvons pas nous permettre d’aborder l’avenir en somnambules; nous devons être pleinement conscients de notre insatisfaction envers la voie dans laquelle nous sommes engagés et nous devons nous servir de notre volonté collective pour apporter les changements nécessaires. La course est commencée, entre ce que nous pouvons faire par inten- tionnalité et volonté, et ce que réussiront à faire les forces qui sévissent au sein de la société canadienne, si l’on n’intervient pas. Notre gouvernement fédéral est plus politisé qu’à tout autre moment de notre histoire. Généralement, c’est là une mauvaise chose. Lorsqu’on va au-delà des enjeux économiques, de la défense, de la sécurité frontalière et de quelques autres questions, on aboutit avec un gouvernement fédéral qui ne semble pas avoir une vaste vision pour le pays, à part le fait de déléguer des pouvoirs aux provinces et de les laisser se débrouiller. 109 Michelle Rempel → Michelle Rempel, ministre de la Diversification économique de l’Ouest, interviewée le 26 septembre 2014 par Brenna Atnikov sur LE PLURALISME et l’innovation : « Nous jouissons d’une abondante classe créative dans ce pays. » ATNIKOV REMPEL Sur quoi portez-vous votre attention en ce moment au Canada? Ce qui me frappe le plus est la fierté que nous ressentons à l’égard du pluralisme canadien. Comme pays, nous avons un ensemble de valeurs, dont l’égalité des chances, les libertés individuelles accompagnées d’un sens de responsabilité, et la possibilité de conserver nos identités culturelles et religieuses. Ayant à faire face à des questions telles que la sécurité énergétique et l’extrémisme religieux, notre capacité d’avoir une identité nationale, tout en étant une nation composée de cultures diverses, deviendra de plus en plus importante. Au fur et à mesure que notre pays se développe et mûrit, nous devons nous assurer que tout le monde continue d’avoir accès à des chances égales, qu’il s’agisse des personnes qui vont venir au Canada ou de celles qui vivent déjà ici. À votre avis, qu’est-ce qui va particulièrement bien au Canada? et qui conçoivent les innovations. Ces innovations doivent aboutir quelque part. Si c’est un objet, est-il destiné à l’industrie? Si c’est un nouveau modèle économique, aura-t-il une incidence sur la façon dont le budget fédéral sera élaboré? Et puis on a tous les autres acteurs dans la communauté de l’innovation : les bâilleurs de fonds gouvernementaux, les organismes sans but lucratif, les chambres de commerce, les groupes de réflexion, mais le système est plutôt disparate à l’heure actuelle. Pour mettre de l’ordre dans cet univers aux grands enjeux entourant les politiques, nous sommes en train de déterminer où chacun des éléments se place sur le convoyeur et de nous assurer que ces éléments soient bien financés, bien connectés et qu’ils sont axés tous vers un but commun. Nous avons un bon système politique. Il est relativement équitable en ce qui concerne les occasions d’en faire partie. SI mes dotés d’une abondante classe créative dans ce pays. Il y a des innovateurs dans tous les secteurs de notre société. Et plus important encore, nous possédons les moyens d’intégrer leurs meilleures idées dans notre processus décisionnel concernant les politiques publiques UNE JEUNE FEMME VENANT D’UNE FAMILLE DE CLASSE MOYENNE DU QUARTIER SUD DE WINNIPEG PEUT DEVENIR MINISTRE, ALORS Il y a plusieurs mois, lorsque se sont enflammées les hostilités entre Israël et la Palestine, des manifestations ont eu lieu à Calgary. Une agression physique s’est produite à l’une de ces manifestations entre Si les choses tournent bien au cours des vingt prochaines années, que pourrait-on en dire? 110 Le Canada serait reconnu comme chef de file à l’échelle mondiale sur le plan de l’innovation et de la politique exercée sur cette dernière. Les gens de toutes les convictions politiques reconnaissent que nous devons utiliser notre immense richesse en ressources afin de prévoir l’avenir et développer des industries secondaires. Je ne veux pas dire uniquement de fabriquer des objets, mais aussi d’innover en matière de les groupes représentant les deux côtés. J’ai pensé : « Le Canada n’est pas ça! » Il y a certaines choses que nous ne faisons tout simplement pas comme pays. Nous pouvons être en désaccord total sur les politiques ou d’autres sujets, mais à la fin de tout, cet échange d’idées et de convictions est ce qui nous fait grandir comme nation. Il faut que nous puissions parler entre nous de problèmes difficiles sans en venir aux mains. Par exemple, nous prisons la liberté de religion, mais nous prisons aussi l’égalité hommes-femmes pour ce qui est de l’orientation sexuelle. Comment assurer la quadrature de ces cercles? Ce que j’espère, c’est que nous reconnaissions qu’il existe certaines valeurs qui l’emportent sur la discrimination, et que nous n’hésitions pas à nommer la discrimination pour ce qu’elle est, plutôt que de chercher à la voiler. Nous avons bâti ici quelque chose d’unique et de particulier. Si nous ne protégeons pas cet atout et ne le célébrons pas, et si nous ne disons rien quand il est menacé, alors je m’inquiète pour nous. N’IMPORTE QUI PEUT LE FAIRE. Nous som- « Ayant à faire face à des questions telles que la sécurité énergétique et l’extrémisme religieux, notre capacité d’avoir une identité nationale, tout en étant une nation composée de cultures diverses, deviendra de plus en plus importante. » politiques publiques. Nous aurions besoin de devenir une nation d’innovateurs. Avec un peu de pression et de coordination, nous pourrions être reconnus pour notre innovation et cela pourrait devenir notre marque internationale. En voyant l’écosystème de l’innovation au Canada comme une constellation, on a les innovateurs, les personnes qui pensent 111 Jean-Paul Restoule → Jean-Paul Restoule, professeur adjoint, Department of Leadership, Higher and Adult Education, Université de Toronto, interviewé le 8 octobre 2014 par Elizabeth Pinnington sur L’ÉTABLISSEMENT des relations : « Les Canadiens doivent inclure les autochtones dans les institutions canadiennes selon les conditions établies par les autochtones. » PINNINGTON RESTOULE Qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit? Il y a beaucoup d’optimisme parmi les jeunes autochtones tandis que le taux de natalité chez les Canadiens en général demeure relativement bas. La population autochtone est jeune et rapidement croissante. Elle a besoin d’être encouragée afin de combler les vides dans le monde du travail. Avec l’éducation et la formation, le potentiel est énorme. dent des mensonges flagrants au sujet du droit canadien, du droit autochtone et des communautés autochtones. Ils déforment la vérité pour que le monde se joigne à leurs propos haineux; ils attisent la peur et les tensions qui font partie de l’histoire du Canada. LES GENS SE BRAQUENT LORSQU’ON LES FORCE À RECONNAÎTRE QUE LE CANADA EXISTE SUR DES TERRES VOLÉES AUX AUTOCH- À partir de quel niveau scolaire serait-il utile d’entretenir ce dialogue? Quels carrefours importants nous attendent au fur et à mesure que nous avançons collectivement ou comme nation? 112 Il existe cependant de forts courants de racisme dans certains milieux, comme la section consacrée aux commentaires d’un grand nombre de principaux sites d’actualité, où des gens disent des choses affreuses au sujet des autochtones. Certaines personnalités médiatiques répan- TONES. ILS CRAIGNENT DE PERDRE QUELQUE Les gens commencent à se rendre compte de l’importance d’inclure les perspectives autochtones dans les programmes d’études et dans les milieux de travail. Je reçois beaucoup de messages d’intérêt de personnes qui veulent modifier leurs méthodes d’enseignement, de formation et de promotion pour inclure le savoir culturel et l’identité autochtones, ainsi que l’antiracisme. Cela fait maintenant vingt ans que l’Ontario a inauguré le premier cours d’Études sur les Premières Nations dans le programme scolaire au niveau secondaire. Je commence à en voir les conséquences dans les cours d’études supérieures que je donne. Il y a dix ans, si je demandais à ma classe : « Qui a déjà entendu parler des pensionnats autochtones? », une ou deux mains se seraient levées. Maintenant, c’est plutôt un quart ou un tiers des étudiants qui sont au courant. Je pense que dans vingt ans, le dialogue sera différent, parce qu’au lieu de retourner au passé et de décrire les fondations permettant d’établir un dialogue , les gens connaîtront déjà l’histoire, ils sauront au moins cela. Le fait d’avoir une surreprésentation d’autochtones dans le système de justice pénale, en opposition au fait d’avoir une représentation proportionnelle d’autochtones dans les institutions d’enseignement et dans la population active. On dépense tellement d’argent pour traiter les symptômes, plutôt que pour éviter ce type de choix dès le départ. Les Canadiens doivent inclure les autochtones dans les institutions canadiennes, mais selon les conditions établies par les autochtones. CHOSE S’ILS PARLENT DE CE QUE CELA SIGNIFIE DE PARTAGER CE QUI A ÉTÉ VOLÉ OU D’ABANDONNER UNE PART DU POUVOIR QUI A ÉTÉ APPROPRIÉ. Ces craintes sont légitimes, mais le discours est souvent mal informé et méprisant. Comment pouvonsnous assurer le respect mutuel? Quand nous ouvrons les lieux de travail et les écoles à la participation des autochtones, cela détruit les stéréotypes des gens. Les rapports humains éloignent la peur. Parmi d’autres choses, les programmes d’échange entre les jeunes autochtones et non-autochtones remplacent certains stéréotypes tirés du cinéma et des médias, par des relations authentiques qui sont riches et complexes. Plus nous pourrons encourager ce type de relations, mieux ce sera. Par exemple, les ententes visant à améliorer l’éducation des autochtones en Colombie-Britannique, selon lesquelles le corps enseignant doit établir des contacts avec les parents et les communautés, ont entraîné beaucoup plus de participation de la part des élèves et des parents dans la vie de l’école et de la collectivité. Ce qui veut dire qu’au lieu d’avoir des enseignantes ou enseignants qui essaient d’apaiser les tensions entre les étudiants ou familles autochtones et non-autochtones, ces relations deviennent des occasions d’enrichir les activités dans l’école. Les autochtones et leurs familles tendent davantage à vouloir s’impliquer et agir ensemble pour contribuer à l’école ou à partager des expériences avec les non-autochtones. Ceci aide également les élèves non-autochtones, qui ont alors la possibilité de visiter des autochtones dans leurs communautés, de voir le genre de choses qu’ils font, comme restaurer la santé de la rivière où tout le monde puise son eau. Voilà une des choses qui font une différence significative. Il y a d’autres manières de bâtir le respect mutuel. Par exemple, au début de la journée de cours, les enseignants et leurs étudiants peuvent reconnaître que nous sommes en territoire Sechelt ou en territoire Nuu-Chal-Nuth, tout comme lorsque nous chantons l’hymne national, ou hissons le drapeau canadien, ou mettons au mur des portraits de la Reine. Certains cercles militants demandent aussi à des aînés de faire une cérémonie d’ouverture avant les réunions. Lorsque cela devient une pratique habituelle, l’étape suivante est de sonder plus profondément et de trouver des moyens pour les aînés de prendre part aux événements. Plusieurs non-autochtones ont été les bienvenus dans les communautés, parce qu’ils ont fait preuve de bonne foi, d’intégrité et d’humilité. Ils disent : « Je voudrais en savoir davantage, comment dois-je m’y prendre? » À partir de là, le processus est simple : « Venez au rassemblement de la communauté, au festin, au pow-wow. » Et puis cela devient plus profond : « Venez aux cérémonies. » Avant longtemps, les amitiés et les relations se forment. C’est à ce moment-là que les choses changent vraiment, quand on commence à percevoir les comme des individus, quand on ne voit plus un seul aspect de leur identité. On se réunit autour d’intérêts communs et puisqu’on a des façons légèrement différentes de percevoir le monde ou d’avoir vécu l’expérience de se rapprocher du monde, il y a de l’apprentissage qui se produit. Il existe une humanité commune, un sens partagé de responsabilité envers la terre et les uns envers les autres, et c’est à partir de là qu’il nous faudrait commencer. « Il existe une humanité commune, un sens partagé de responsabilité envers la terre et les uns envers les autres, et c’est à partir de là qu’il nous faudrait commencer. » 113 Bill Robson → Bill Robson, président et chef de la direction de l’Institut C. D. Howe, interviewé le 20 octobre 2014 par Adam Kahane sur LE CAPITAL HUMAIN : « Les sociétés tendent à stagner lorsque les forces qui résistent au changement deviennent implantées. » KAHANE ROBSON Sur quoi portez-vous votre attention ces jours-ci au Canada? Sur la mesure dans laquelle nous sommes capables d’évoluer et d’attirer des individus talentueux. À l’avenir, il y aura toujours peu d’obstacles au mouvement de personnes, de produits, de services et de capitaux dans le monde et les gens pourront de plus en plus s’établir dans des endroits agréables à vivre et où travailler. Quand on parle aux gens qui fondent des entreprises à Toronto, y compris dans les domaines de la haute technologie, et qu’on leur demande pourquoi ils sont venus ici, ils répondent souvent que c’est un des rares endroits au monde où ils peuvent rencontrer des personnes qui font toutes les choses qu’ils apprécient, à partir des fournisseurs jusqu’aux employés éventuels. Ces gens aiment vivre ici, et par conséquent, c’est ici que se produisent les investissements de capital physique, c’est ici que viennent les capitaux financiers et c’est ici qu’est élaborée la technologie dont ils ont besoin. Ceci est encourageant, parce que le Canada possède déjà un avantage en capital humain. Nous avons un niveau relativement bon d’éducation primaire et secondaire et un taux d’inscription très élevé dans les études postsecondaires. L’immigration a été et continue d’être une histoire à succès, accueillant au Canada un grand nombre de personnes compétentes et douées. Nous devons bâtir à même cet avantage et demeurer un endroit attrayant pour les gens qui ont des talents ou qui veulent venir les développer ici. À QUELLE QUALITÉ DE VIE NOS ENFANTS ET Je voudrais aussi savoir jusqu’à quel point nous pourrons maintenir à la fois la liberté et l’ordre. Les personnes, qui ont vécu durant la propagation du totalitarisme dans le monde au cours des années 1930, seraient agréablement surprises par la liberté, le dynamisme et les chances qui existent aujourd’hui dans tant d’endroits. Ce fut un épanouissement remarquable et il est naturel de nous demander si nous allons pouvoir continuer ainsi. Le débat actuel sur le recours à la quarantaine pour lutter contre le virus Ebola constitue un exemple concret des enjeux autour desquels se jouent les tensions. Même à cette époque, où nous nous plaignons du fait d’avoir perdu une grande partie de notre liberté avec l’expansion de l’état réglementaire et du fait d’être presque constamment sous surveillance, nous Si vous pouviez poser des questions à un clairvoyant au sujet de l’avenir, que voudriezvous savoir? 114 PETITS-ENFANTS PEUVENT-ILS S’ATTENDRE? Une chose qui me préoccupe beaucoup, c’est la mesure dans laquelle le présent tend à voler les ressources de l’avenir, que ce soit les gouvernements qui empruntent en vue de soutenir le niveau de consommation actuel ou des promesses fondées sur l’hypothèse de richesse future ou les déchets auxquels on ne pense pas et qu’on a du mal à évaluer. Je m’inquiète de la mesure dans laquelle les Canadiens vont devoir s’acquitter des engagements que nous avons faits en leur nom dans vingt ou trente ans. Pour que le Canada continue à attirer et à retenir les talents, les gens doivent sentir qu’il y a ici de plus en plus de possibilités pour eux et pour leurs enfants. Ai-je raison de désirer que mes enfants demeurent dans ce pays? Si les choses tournaient mal au cours des vingt prochaines années, que se serait-il passé? sommes quand même arrivés jusqu’à maintenant à maintenir un certain équilibre entre l’individualisme et l’ordre pub- lic. C’est sans aucun doute un des facteurs qui fait du Canada un si grand succès. Les sociétés tendent à stagner lorsque les forces qui résistent au changement deviennent implantées. Je m’intéresse à la bataille qui se livre actuellement entre les industries de taxis et d’hôtels, et en particulier entre les services comme Uber et Airbnb. Il y a de bonnes raisons pour justifier l’existence de réglementations dans ces domaines, mais on doit commencer à s’inquiéter lorsque les défenseurs des intérêts établis font appel à l’état pour défendre leur position. Si les gens qui aiment les monopoles sont capables de convaincre le gouvernement qu’il faut interdire les nouveaux joueurs, cela limite le choix des consommateurs et étouffe l’innovation. Pire encore, l’enracinement du statu quo peut avoir une incidence négative sur l’attitude des gens vis-à-vis du changement. Jusqu’à maintenant, la société canadienne a été comparativement ouverte à l’innovation. Nous sommes plutôt à l’aise avec les gens qui viennent ici et font les choses différemment. Tout cas individuel, où des intérêts établis essaieraient d’arrêter l’introduction de quelque chose de nouveau ou d’empêcher la concurrence d’entrer en jeu, peut à première vue ne pas sembler très grave. Toutefois, il s’agit d’une bataille de plus grande envergure : ce qui est par opposition à ce qui pourrait être. En tant que société, nous souhaitons que ceux, qui ont de l’initiative et tentent de faire quelque chose de novateur et de différent, puissent y gagner plus qu’y perdre. « Ces choix comptent. Ils sont sensés et ils se dirigent dans deux voies tout à fait différentes. » Quelles décisions importantes devons-nous prendre? Nous faisons face à de constants défis quand il s’agit de savoir jusqu’à quel point nous sommes prêts à ouvrir nos portes au reste du monde, que ce soit au niveau de l’immigration, du commerce ou de l’investissement. Le Canada se dit internationaliste, et bien des gens se reconnaissent dans cet aspect de notre histoire. Mais quand on songe à un enjeu en particulier, disons au commerce plus libre avec l’Europe ou au Partenariat Trans-Pacifique, il faut prendre une décision : va-t-on encourir un certain risque, s’engager avec le reste du monde, envisager quelques pertes pour récolter des gains? Ou va-t-on se retenir, éviter tout risque et tenter de garder les choses comme elles sont? Ces choix comptent. Ils sont sensés et ils se dirigent dans deux voies tout à fait différentes. Que voudriez-vous avoir comme épitaphe? La plupart des gens sont motivés par une vision de la société qui prédit que demain sera meilleur qu’aujourd’hui. Si l’on réussit à résoudre ce prochain problème pour avancer d’un pas, la personne qui suivra pourra voir encore plus loin devant elle. C’est comme débroussailler le terrain. Au début, on se demande souvent comment on peut faire quelque progrès que ce soit. Alors on commence par émonder quelques branches. Quand elles sont hors du chemin, on peut voir un peu plus loin. Je suis un émondeur. 115 Janet Rossant → Janet Rossant, responsable de la recherche à la Hospital for Sick Children (l’Hôpital pour enfants malades), interviewée le 12 novembre 2014 par Brenna Atnikov sur LA CRÉATION d’un Centre de créativité : « Lorsque les gens arrivent ici, ils sont toujours étonnés par notre culture de collaboration et de “coopérativité”. » ATNIKOV ROSSANT Qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit? Avec notre population vieillissante, nous devons réétudier nos méthodes de fournir les soins de santé. Entre autres, nous devons élaborer un modèle plus intégré, qui ramène les soins de santé à la communauté et dans les foyers. Le traitement de maladies chroniques à la maison peut offrir une bien meilleure qualité de vie que dans un hôpital, et cela coûte moins cher. Toutefois, pour en arriver là, il faut de solides systèmes de soins qui apportent l’appui nécessaire aux patients et à leurs familles. Le coût des soins de santé continue d’augmenter. Aujourd’hui, il a presque atteint cinquante pour cent des budgets provinciaux. À titre de chercheurs, mes collègues et moi devons examiner de très près tout ce que nous faisons, parce que le système de soins de santé ne dispose que de sommes limitées à investir. Nous devons considérer l’aspect de la rentabilisation et déterminer si notre recherche porte sur un sujet que les gouvernements vont financer. Ils vont demander : « Est-ce que ce traitement va vraiment nous faire économiser de l’argent? Comparativement à tout ce qui a été fait auparavant, est-il à ce point meilleur pour en justifier l’investissement? » Si les choses tournent bien au Canada au cours des vingt prochaines années, que se sera-t-il passé? Nous commencerons à voir des changements technologiques dans la prestation des soins et cela ne coûtera pas nécessairement plus cher que ce que nous dépensons aujourd’hui, y compris pour les nouveaux médicaments et les traitements curatifs ponctuels. Un domaine entièrement nouveau, par exemple, sera l’administration de médicaments spécialisés aux patients, identifiant les gènes défectueux d’un cancer et utilisant un remède particulier pour le traiter. On économise parce qu’on ne traite que les gens appropriés au moment approprié et avec le médicament approprié. Des traitements par cellules souches, particuliers à chaque patient, seront disponibles pour guérir des maladies comme le diabète, la maladie de Parkinson et la perte de vision. Quand nous étendrons cette approche personnalisée à toutes sortes d’autres maladies, cela réduira nos coûts d’ensemble, améliorera les traitements et mènera à une société en meilleure santé. 116 Le Canada sera vu comme un centre de créativité et non comme le vieux Canada qui produit du charbon et qui fabrique des voitures. Nous aurons adopté le concept des centres urbains comme moteurs pour obtenir le succès du Canada, et nous aurons investi dans notre infrastructure. Le Canada sera devenu l’endroit de choix pour les gens les plus créatifs et les plus innovateurs au monde. Si les choses tournent mal au Canada au cours des vingt prochaines années, qu’est-ce qu’on pourrait en dire? Nous aurons rendu difficile la venue de gens créatifs. Il nous faudrait être plus ouverts aux personnes qui viennent au Canada et qui en repartent. Nous n’aurons pas investi dans la recherche fondamentale, l’innovation et la force créatrice. Si nous ne nous concentrons pas sur l’avenir et si nous ne bâtissons pas à même nos forces, nous allons devenir une nation très moyenne. Nous n’allons pas avoir l’impact que nous pourrions avoir dans le monde, que ce soit dans les arts, les sciences, les affaires, les finances ou la politique. Qu’est-ce qui vous anime au sujet du Canada? Nous sommes un pays multiculturel qui accepte et accueille des gens de tous les coins du globe. Les gens viennent ici pour bien des raisons différentes et ce mélange de compétences et de points de vue nous offre des occasions exceptionnelles. Nous avons des centres urbains dynamiques qui continuent de croître. Quand on incite les gens à vivre rapprochés les uns des autres et quand on fournit la bonne infrastructure, on peut entraîner des interactions qui mènent à de nouvelles idées et à des inventions. Cependant, dans presque tous les cas, même les centres urbains dynamiques ont leur classe de sous-privilégiés. Nous devons offrir des chances aux gens pour qu’ils puissent naviguer dans le système ou le filet social qui les appuie quand ils ne peuvent pas le faire. Si nous n’améliorons pas nos centres urbains, nous risquons fort d’être perdants par rapport au reste du monde. LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE SERA À L’AVENIR UN MOTEUR IMPORTANT DE L’ÉCONOMIE. ELLE DONNE LES MEILLEURS RÉSULTATS LORSQU’ELLE A LIEU DANS UN CONTEXTE ET UNE CULTURE FAVORABLES À LA COLLABORATION ET À LA COOPÉRATION, CE QUE NOUS OFFRONS ICI AU CANADA. Lorsque les gens arrivent ici, ils sont toujours étonnés par notre culture de collaboration et de « coopérativité ». Certaines personnes disent que pour atteindre le sommet de notre potentiel, nous devons être compétitifs. Mais en collaborant, nous pouvons apporter de nouvelles idées à la table et aussi partager nos ressources limitées de façon pragmatique, afin d’avoir un impact qui va au-delà des sommes que nous avons investies. « Quand on incite les gens à vivre rapprochés les uns des autres et quand on fournit la bonne infrastructure, on peut entraîner des interactions qui mènent à de nouvelles idées et à des inventions. » 117 Gabrielle Scrimshaw → Gabrielle Scrimshaw, cofondatrice de l’Association professionnelle autochtone du Canada (Aboriginal Professional Association of Canada), interviewée le 16 septembre 2014 par Monica Pohlmann sur LES LEÇONS de notre passé : « Le processus est extrêmement motivant. » Qu’est-ce qui vous anime? s’appliquer aux enfants, parce que les enfants sont tous nés égaux et pleins de potentiel. Le plus petit pot équivaut à la pauvreté et au peu d’accès à l’éducation. Au Canada, aujourd’hui, les jeunes autochtones sont placés dès leur naissance dans le plus petit pot. Nous investissons quarante pour cent de moins dans leur éducation que dans celle des autres enfants, puis nous leur demandons pourquoi ils ne s’épanouissent pas. Le pire, c’est que nous nous servons constamment de méthodologies démodées pour essayer de trouver des solutions visant à combler cet écart. LORSQUE JE VOYAGE D’UN BOUT À L’AUTRE d’autres du Québec qui les retransmettaient. Le processus est extrêmement motivant; les jeunes s’engagent dans une conversation et leurs voix sont validées par leurs pairs. Chez les autochtones, notre génération est considérée par certains comme étant le huitième feu, c’est-à-dire la génération qui va tout changer. J’ai la chair de poule quand j’y pense, parce que je le crois. Je peux déjà voir les courants qui commencent à bouger. DU CANADA, J’ENTENDS BEAUCOUP DE JEUNES AUTOCHTONES DIRE: « JE SUIS UN MILITANT » OU « JE VEUX ÉTUDIER LE DROIT PARCE QUE JE VEUX AIDER NOS COMMUNAUTÉS. » COMME NOS JEUNES DE DIX-SEPT ANS SE BATTENT POUR DÉFENDRE CE QU’ILS CROIENT ÊTRE JUSTE, NOTRE COLLECTIVITÉ EST ENTRE DE TRÈS BONNES MAINS. Idle No POHLMANN SCRIMSHAW Pourquoi faites-vous ce que vous faites? J’ai toujours senti que j’avais une responsabilité envers la génération actuelle des jeunes autochtones. Quand j’avais dix-neuf ans, j’ai suivi un cours d’été à Régina. Tard un soir, environ une dizaine d’entre nous étions réunis chez un ami. Un des gars racontait avec enthousiasme au reste du groupe que son père, son oncle et son frère étaient agents de la GRC et qu’il avait envoyé une demande pour en devenir un lui aussi. Dans un moment qui restera toujours gravé dans ma mémoire, il a dit : « Je ne peux pas attendre de devenir un agent de police, pour aller tirer sur ces maudits Indiens. » Le silence qui s’ensuivit était absolu. Environ cinq ou six personnes dans la pièce savaient que j’appartenais à une des Premières Nations et personne n’a rien dit. Mais ce qui est encore plus impardonnable, c’est que moi-même, je n’ai rien dit. Tout ce dont je me souviens, c’est de m’être sentie honteuse et gênée de réaliser que, d’après ce gars, je ne valais rien de plus que d’être abattue d’une balle. De plus, je ne voulais pas chercher la chicane et commencer une querelle. Un mois plus tard, j’ai raconté l’incident à ma sœur. Visiblement ébranlée, elle m’a dit : « Peu importe ce que tu as ressenti à ce moment-là. Qu’arrivera-t-il si ce gars devient vraiment un agent de la GRC et décide que l’autochtone sur qui il veut tirer, c’est Ethan? » Ethan est mon neveu, qui avait un an à l’époque. En cet instant, je me suis rendu compte que les choses que je disais et que je faisais pouvaient avoir de l’influence, mais tout aussi important que cela, les choses que je choisissais de ne pas dire étaient également lourdes de conséquences. J’ai décidé de m’armer de courage et de tenter de faire une différence, et je me suis promis de toujours défendre ce que je croyais être juste. Les rapports entre les autochtones et les non-autochtones dans ce pays. Lorsque les Canadiens voyagent dans le monde, ils disent qu’ils sont « le pays de l’avenir ». Je crois que c’est ce que nous souhaitons être, mais cela ne représente pas réellement qui nous sommes, aujourd’hui. La vérité, c’est qu’il y a beaucoup de gens qui sont laissés pour compte et qui vivent juste à côté de chez nous. Ce que j’espère, c’est que les Canadiens commencent à s’engager sincèrement avec les autochtones, partout au pays. Pourquoi est-ce important? La population autochtone est le groupe démographique qui connaît le taux de croissance le plus élevé au Canada. du travail. Trois autochtones sur dix sont âgés de moins de quatorze ans. Nous avons une merveilleuse occasion d’éduquer et d’équiper ces jeunes, qui viennent d’un milieu dont la culture est bien établie. Si nous ne discutons pas dès maintenant de cette occasion et si nous ne nous efforçons pas de la saisir comme il faut, nous vivrons avec les conséquences de notre inaction pendant des générations à venir. Qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit? D’ici 2026, environ 400 000 jeunes autochtones vont entrer dans le monde 118 Muhammad Yunus, détenteur du Prix Nobel et fondateur de la Banque Grameen, se sert d’une brillante analogie. Il dit que si vous mettez une semence dans un grand pot et une semence dans un petit pot, bien sûr, la semence qui est dans le plus grand pot deviendra une plante beaucoup plus grande. La même chose peut More aussi a été une force unique pour nous. Avec ce mouvement, on avait des jeunes qui envoyaient des tweets du nord de la Saskatchewan et puis « La vérité, c’est qu’il y a beaucoup de gens qui sont laissés pour compte et qui vivent juste à côté de chez nous. » Si vous regardez les échecs passés du Canada, que pouvonsnous apprendre pour l’avenir? Que peut-on apprendre pour l’avenir des échecs passés du Canada? Nous n’aurions pas à faire face à de nombreux défis qui nous accablent aujourd’hui et n’aurions pas à prendre de nombreuses décisions que nous devons prendre maintenant, si nous avions enseigné notre véritable histoire et en avions tiré quelque chose. Pendant plus de cent ans, les enfants autochtones ont dû subir l’horreur des pensionnats, dont le mandat du gouvernement était de « faire sortir l’Indien de l’enfant ». Les enfants ont été enlevés à leurs parents, séparés de leurs frères et sœurs et empêchés de parler leur langue. Plusieurs d’entre eux ont souffert des abus physiques, mentaux et sexuels. C’est à cause des pensionnats que j’ai grandi sans ma mère. Je n’ai jamais connu le réconfort de revenir à la maison après une mauvaise journée et de pleurer sur l’épaule d’une maman. Je ne parle pas ma langue. Je vis chaque jour avec ce que nous ont laissé les pensionnats comme héritage. En 2014, la moitié des Canadiens ne savent toujours pas ce qu’est un pensionnat autochtone. Si l’on ne sait pas ce que c’est, on ne comprend pas ce que cela représen- te comme héritage pour les autochtones. Si plus de gens comprenaient comment le Canada a été colonisé, je crois que nous serions un peu plus réticents à célébrer la fondation de notre pays. En ce qui me concerne, pourquoi voudrais-je célébrer John A. Macdonald quand je comprends comment il a colonisé les hommes, femmes et enfants autochtones? Il a pris des décisions qui ont mené au traitement abusif et à la mort de milliers de personnes, mais ceci n’est pas généralement enseigné dans nos classes d’histoire. Si nous voulons honorer le passé, je crois que nous devrions en tirer des leçons. Si nous évitons le passé, nous ne faisons que nous cacher derrière notre propre ignorance. Voulons-nous que les futures générations disent que nous avons évité des vérités parce que nous nous sentions mal à l’aise, ou voulons-nous qu’elles disent que nous avons surmonté ce sentiment pour pouvoir prendre des décisions éclairées en vue de l’avenir? 119 Khalil Shariff → Khalil Shariff, président directeur général de la Fondation Aga Khan Canada, interviewé le 5 septembre 2014 par Adam Kahane sur sont toutes deux d’importants stimulateurs de pluralisme. On ne peut pas avoir des institutions politiques qui penchent en faveur de la discorde ou qui dressent les gens les uns contre les autres, sinon tout s’écroulera. Et pour soutenir une société pluraliste, on a également besoin d’une vie culturelle qui puisse inclure des thèmes unificateurs tout en laissant beaucoup de place aux expressions culturelles individuelles et aux activités interculturelles originales. Les Canadiens sont-ils activement conscients de l’importance du pluralisme pour notre société? La dernière chose dont parlent les poissons est l’eau dans laquelle ils évoluent : elle est invisible. L’échafaudage de la société canadienne — cet engagement envers le pluralisme — est invisible aux yeux de la plupart des Canadiens. Nous ne le comprenons pas toujours de manière explicite, et le tenons peut-être pour acquis, mais il est néanmoins ancré dans notre for intérieur. Nous le voyons clairement dans le cas des Canadiens qui travaillent à l’étranger. Les Canadiens peuvent fonctionner dans plusieurs milieux différents et difficiles, et je crois que cela est dû au fait que nous sommes assez sensibles au fonctionnement d’une société pluraliste. Le pluralisme est donc un de nos atouts inexploités ou peu appréciés? Je le crois, à tout le moins, il est peu apprécié par les Canadiens eux-mêmes, sinon par d’autres. Il y a un double danger : que les Canadiens ne soient pas assez humbles ou alors qu’ils soient trop humbles au sujet de leur pluralisme. Personne ne peut tolérer de voir circuler une poignée de pluralistes arrogants; par contre, le fait d’être excessivement humbles peut être une façon pour nous de dévaluer un atout et en quelque sorte d’éviter notre responsabilité de partager cet atout avec d’autres. Bien sûr, le pluralisme n’est pas un atout réservé aux Canadiens. C’est un atout au Canada ou du Canada, mais c’est aussi un atout humain à l’échelle mondiale. Nous n’en sommes que les gardiens pour le reste du monde. Qu’est-ce que cela signifie pour nous d’utiliser cet atout avec le reste du monde comme bénéficiaire? LA VERTU du pluralisme : « Le Canada a cultivé une sorte d’intention civique pour que la diversité fonctionne. » KAHANE SHARIFF Y a-t-il quelque chose de particulier aujourd’hui qui distingue le Canada du reste du monde? Le Canada a cultivé une sorte d’intention civique pour que la diversité fonctionne. Dans notre société, il existe un sentiment général selon lequel nous ne désirons pas vraiment nous livrer à l’opportunisme politique de la division. Pourquoi le pluralisme est-il si important? Comme tout autre pays, nous avons à surmonter des défis, des difficultés, ainsi que des sources de division dont certaines sont naturelles et d’autres sont vulnérables à l’exploitation. Ce qui pour nous est important de comprendre, c’est comment notre pays réagit à ces types de chocs et ce qui arriverait si ces mêmes chocs se produisaient dans d’autres contextes. La notion de l’homogénéité est en train de disparaître rapidement dans l’ensemble du monde et pour deux raisons. Premièrement, nous sommes plus conscients que jamais de nos différences sur le plan individuel, de ce qui nous caractérise en tant qu’individus. Deuxièmement, nous avons vécu des mouvements démographiques sans précédent dans l’histoire. Ces deux facteurs signifient que l’idée d’accommoder la différence et de vivre dans une forme de cadre commun pourrait fort bien être fondamentale pour n’importe quelle société aujourd’hui. Quelqu’un m’a dit une fois que, pour un individu, l’humilité était la plus grande vertu. Quelle serait la plus grande vertu pour une société? La vertu d’où naissent toutes les autres vertus et capacités? Je 120 Par exemple, le fait que l’on ait débattu et analysé la Charte de la laïcité pendant la campagne électorale du Québec, lorsque les enjeux étaient élevés et les opinions claires et arrêtées est en quelque sorte choquant. Et puis cela ne s’est pas intensifié! D’une certaine façon, nos structures institutionnelles, culturelles, historiques et politiques nous ont servi de guides quant à l’inquiétude que nous ressentions tous. À mon avis, l’expression de nos valeurs que cet événement a suscitée demeure inégalée dans le monde entier. Cela laisse entendre quelque chose de fondamental au sujet du Canada et c’est que le pluralisme canadien a des racines extrêmement profondes. me demande si la capacité pour le pluralisme ne serait pas la source d’où naissent toutes les autres. SI L’ON PEUT BÂTIR LA CAPACITÉ SOCIALE « Personne ne peut tolérer de voir circuler une poignée de pluralistes arrogants; par contre, le fait d’être excessivement humbles peut être une façon pour nous de dévaluer un atout et en quelque sorte d’éviter notre responsabilité de partager cet atout avec d’autres. » POUR TRAITER AVEC LE PLURALISME, ON PEUT ALORS TRAITER DE TOUTES SORTES D’AUTRES QUESTIONS. Il est impossible de maintenir une société vibrante et pluraliste si l’on n’a pas d’abord réfléchi longuement à la nature et à la structure de son économie. Les fortes inégalités économiques, ou encore les institutions exclusivistes ou extractives sont incompatibles avec le pluralisme. Donc, pour souscrire au pluralisme, il faut un certain type de système économique. Les institutions politiques et la capacité de répondre à la grande diversité de besoins, d’aspirations et d’identités des humains Qu’aimeriez-vous avoir comme épitaphe? « Il a apporté une modeste contribution canadienne aux grands enjeux de son époque. » Pour moi, mentionner l’élément canadien n’est pas un moyen de manier un slogan ou de vendre la feuille d’érable. Il s’agit en réalité de capter tout un ensemble d’idées et d’idéaux que ce pays représente, et d’utiliser cela comme tremplin pour contribuer au reste du monde. Dans son livre At Home In the World, Jennifer Welsh dit que nous ne devrions pas être une puissance moyenne, mais plutôt une puissance modèle. Elle avance que la meilleure contribution que le Canada puisse faire, serait d’exceller dans son rôle d’être le Canada. Donc, je suppose qu’il y a un certain sens à dire que nous entrevoyons dans le casse-tête du monde un espace qui a la forme du Canada. 121 Janice Gross Stein → Janice Gross Stein, directrice de The Munk School of Global Affairs à l’Université de Toronto, interviewée le 16 septembre 2014 par Monica Pohlmann sur LA SUFFISANCE : Si les choses tournent mal au cours des vingt prochaines années, que se sera-t-il passé? « Le confort est notre pire ennemi. » Nous n’aurons pas su retenir nos jeunes au pays. Ils iront là où le travail est intéressant et stimulant, et là où ils peuvent contribuer à quelque chose. Ce sera une perte énorme pour nous. Si nous ne réorientons pas nos institutions pour les rendre accueillantes aux membres de cette génération, ils vont tout simplement les contourner et faire quelque chose de différent. Nos institutions vont s’atrophier, parce qu’elles n’auront personne pour secouer les choses et dire : « Non, nous n’allons plus le faire de cette façon. » terminale, la suffisance et la fatuité. Sinon, nous n’exigerons pas assez de nous-mêmes et finirons par glisser dans une médiocrité abrutissante. Le reste du monde change plus rapidement que nous. Regardez ce qu’était la Chine il y a cinquante ans et ce qu’elle est aujourd’hui. Inimaginable! Regardez les expériences sociales qui se passent au Brésil. Nous avons beaucoup à apprendre. Ce qui manque ici, c’est l’urgence. Le confort est notre pire ennemi. Les dirigeants de nos institutions établies doivent se réveiller et comprendre ce qui se passe dans le monde. Nous échouerons également si nous ne nous remettons pas de notre maladie POHLMANN STEIN Qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit? Le fait que les Canadiens ne sont pas des promoteurs de changement. Nous sommes très, très réticents à prendre des risques. Si l’on nous donne le choix, nous opterons pour le statu quo, parce nous croyons que cela entraîne moins de risque. Ce que nous ne comprenons pas, c’est le coût de l’inaction. La plupart de nos institutions publiques sont enfouies sous les processus. Dans l’année qui vient de s’écouler, de minuscules scandales au sujet de minuscules montants d’argent ont consommé les activités du secteur public. Tout ce qui compte, c’est l’évaluation des processus plutôt qu’une conversation portant sur ce que nous souhaitons réaliser ensemble. Nous ne nous servons pas du processus pour habiliter, nous nous en servons pour bloquer. Aussi, le processus nous mène à une position intermédiaire. À force de ne pas offenser qui que ce soit, on n’obtient pas de solutions imaginatives ou innovatrices. En fin de compte, cette attitude pourrait dégrader notre qualité de vie. Le secteur des entreprises est moins apte à éviter les risques. Il a un sens plus développé du risque et il comprend que le statu Qu’est-ce qui vous anime? 122 Les jeunes! J’ai passé ma vie à travailler avec des jeunes, et cette génération-ci est la plus aventureuse, la plus lucide et la plus intransigeante de toutes celles que j’ai connues. Ils dépendent d’euxmêmes, ils sont déterminés à acquérir les meilleures compétences, ils ont un point quo ne peut pas durer. D’où provient le véritable leadership environnemental dans ce pays? Du secteur privé, de l’industrie de l’assurance et du secteur de l’énergie. Dès que l’industrie de l’assurance commencera à créer un marché autour du risque environnemental, nous agirons beaucoup plus rapidement que nous ne l’avons fait jusqu’à maintenant. Le secteur de l’énergie est celui qui dit qu’il nous faut une politique écologiquement responsable, parce c’est essentiellement dans son intérêt. Nous avons besoin d’un esprit d’entreprise dans ce pays, surtout dans le secteur public et dans les organisations sans but lucratif. Il faut aller au-delà du gouvernement pour trouver des bâtisseurs. Le secteur sans but lucratif devient constamment de plus en plus entrepreneurial. Une partie de ce qui motive ce secteur à entreprendre ses diverses activités innovatrices, c’est qu’il y a si peu d’argent et tant d’ambition. Dans ces circonstances, on est poussé à trouver de nouvelles choses à faire. Le bon côté dans tout cela, c’est que nous sommes mieux capables que nous ne le croyons de nous autogérer dans ce pays. de vue mondial et ils n’ont pas peur du risque. Nos étudiants à la Munk School of Global Affairs sont des entrepreneurs débutants! Ils ont assez de capacité et de confiance pour se sortir des grandes institutions encombrantes. Si vous pouviez demander tout ce que vous vouliez à un voyant au sujet de l’avenir du Canada, quelles questions lui poseriez-vous? Serons-nous en mesure de tirer parti de l’énorme réservoir d’intelligence et de créativité que nous avons dans ce pays pour enrichir la qualité de l’innovation? Mes collègues et moi sommes à la recherche de politiques que les gouvernements et le secteur privé pourraient utiliser afin de mettre en valeur les avantages de l’innovation à ceux qui se lancent dans cette voie. Il deviendra très important de déterminer qui retirerait les avantages de l’innovation et qui n’en retirerait pas. Dans certaines sociétés innovatrices, les avantages de l’innovation sont distribués de façon égale, mais dans certaines autres, ce n’est pas le cas. Si dans la nôtre, ceux qui sont innovateurs sont généreusement récompensés pendant que ceux qui demeurent à l’extérieur de ce cercle sont entièrement désavantagés, nous n’aurons pas le Canada que nous voulons. Et comment peut-on impliquer les minorités, y compris les jeunes autochtones, dans une économie et une société palpitantes d’innovations? Voilà d’importantes questions concernant les politiques. « J’ai passé ma vie à travailler avec des jeunes, et cette génération-ci est la plus aventureuse, la plus lucide et la plus intransigeante de toutes celles que j’ai connues. » Quelles décisions importantes le Canada devra-t-il prendre? IL FAUDRA QUE NOUS PRENIONS DES DÉCISIONS DIFFICILES SUR QUI NOUS ALLONS ÊTRE ET CE QUE NOUS ALLONS FAIRE DANS LE MONDE. NOUS SOMMES UN PETIT PAYS ET NOUS NE POUVONS PAS TOUT FAIRE. TOUTE TENTATIVE DANS CE SENS AFFAIBLIT NOTRE IMPACT OÙ QUE NOUS ALLIONS. Nous avons besoin de nous engager dans ce débat. C’est ainsi que les Canadiens deviendront fiers au lieu d’être furieux. Nous dépendons entièrement de l’immigration pour notre avenir. Nous sommes très habiles à cela, mais encore, nous risquons de devenir suffisants. Selon des recherches fiables, nos grandes villes ne réussissent pas aussi bien qu’il y a vingt ans à ouvrir les portes aux emplois et à la promotion pour les immigrants. Pourtant, si nous voulons nous épanouir comme société, nous devons accueillir encore plus d’immigrants que dans le passé. Aux yeux de bien des gens dans le monde entier, nous sommes le pays le plus attirant où venir s’établir. Nous devons être à la hauteur de cette réputation. 123 Art Sterritt → Art Sterritt, directeur exécutif de la Coastal First Nations Great Bear Initiative (Initiative Great Bear des Premières Nations côtières), interviewé le 7 octobre 2014 par Monica Pohlmann sur LES ÉCONOMIES durables : « Il est temps que les gens reprennent le contrôle de ce que nous faisons dans ce pays. » POHLMANN Êtes-vous de l’avis que l’origine des gens façonne leur façon de concevoir l’avenir? J’ai grandi dans une partie très riche du haut Skeena à une époque où presque toutes les industries forestières appartenaient aux Premières Nations. Mon grand-père et mon oncle avaient une scierie, comme c’était le cas pour bien des autochtones. En fait, les Premières Nations menaient toutes les activités industrielles de la région et le chômage n’existait pas. Il y avait des règles strictes qui dictaient combien nous pouvions prendre de l’environnement naturel. Mon père et ses cousins et la plupart de ses amis avaient des permis qui s’appelaient des « limites », c’est-à-dire qu’on limitait les quantités qu’ils pouvaient exploiter. Quand les grosses entreprises sont arrivées avec des permis d’exploitation forestière que leur octroyait le gouvernement provincial, je me souviens d’avoir été dans une zone de coupe à blanc et j’ai été horrifié par ce que j’ai vu. Des arbres qui mesuraient à peu près un pied de circonférence gisaient au sol, en train de pourrir, abattus tout simplement parce qu’ils bloquaient le chemin aux travaux. Et une fois qu’il n’y avait plus d’arbres à cet endroit, les compagnies fermaient la scierie. les Premières Nations dirigeaient toute l’industrie de la pêche. Les Premières Nations exploitaient la pêche à la senne, la pêche au filet maillant, la pêche à la traîne, les empaqueteurs, les industries de crustacés et la pêche au flétan et à la morue charbonnière. Il y a quarante-sept ans, toutes les pêcheries étaient durables. Puis les grosses entreprises ont commencé à rationaliser la pêche et à repousser les Premières Nations. Alors le capital naturel, qui nous avait soutenus pendant des millénaires, a commencé à disparaître. Il n’y avait pas de chômage avant cela. Notre réseau social était notre filet de sécurité. Nous étions chez nous! Nous avions un taux d’emploi de 100 pour cent. Si quelqu’un avait besoin d’un emploi ou de quoi manger, il pouvait toujours en trouver. Mais depuis une trentaine d’années, les entreprises ont envahi l’économie côtière et ont érodé notre territoire. De nos jours, les gens voient les Premières Nations comme une sorte de race appauvrie. Ne commettez jamais l’erreur de nous regarder de haut! Nous avons bien vécu et avons subvenu à nos besoins depuis le début des temps. Nous savons qu’il est possible pour nous de revenir aux grandes richesses qui étaient les nôtres auparavant. DANS TOUS LES COINS DE CETTE PROV- AVEC TOUT LE MONDE À L’INTÉRIEUR DE INCE, ON TROUVE DES GENS APPARTENANT NOS RÉGIONS : ENTREPRISES, SYNDICATS, AUX PREMIÈRES NATIONS QUI LUTTENT MUNICIPALITÉS, INDUSTRIES TELLES QUE POUR CONSERVER LES ÉCOSYSTÈMES ET LA PÊCHE SPORTIVE ET L’EXPLOITATION POUR METTRE EN PLACE DES ÉCONOMIES MINIÈRE. Les non-autochtones locaux nous DURABLES À PARTIR DE CES ÉCOSYSTÈMES. apprécient, parce qu’ils comprennent qu’il faut protéger l’endroit afin que l’air, l’eau et NOUS AVONS CRÉÉ DES PARTENARIATS 124 autrui, parfois même à notre détriment. J’entrevois un avenir où nous pourrons tous travailler ensemble de nouveau. Le Canada aurait utilisé une petite fraction de nos ressources non renouvelables afin de créer une société plus viable. C’est la responsabilité qui nous incombe. Nous avons passé les dernières quarante à cinquante années à extraire les énergies non renouvelables en ne tenant pas compte du capital naturel ni de la région. Nous avons maintenant atteint un point où nous devons protéger ces ressources plutôt que de faire le contraire. Notre environnement naturel a toujours vu à notre bien-être. Maintenant, c’est à nous de veiller au sien. Ça, c’est le type de Canada que nous voulons bâtir durant le proche avenir. STERRITT La même chose s’est produite sur la côte de la Colombie-Britannique. Quand je m’y suis installé il y a quarante-sept ans, Qu’est-ce qui vous anime? Si les choses se déroulaient bien au cours des vingt prochaines années, que se serait-il passé? la terre puissent continuer à nous soutenir tous. Quand je grandissais, il n’existait pas de « eux » et de « nous ». Nos chefs aînés parlaient toujours de partager avec « Il est temps que les gens reprennent la maîtrise de ce que nous faisons dans ce pays. Je crois que nous sommes à la veille de démontrer aux Canadiens que ces grosses compagnies ne peuvent plus agir comme cela. Il ne faut pas être très intelligent pour connaître la différence entre le bien et le mal, mais il faut être très courageux pour choisir entre faire ce qui est bien et faire ce qui est mal. » Quelles décisions importantes devonsnous prendre en tant que pays? Nous devons nous débarrasser de cette idée que nous ne sommes que de simples coupeurs de bois et puiseurs d’eau, et que nous ne sommes pas assez intelligents pour créer des industries secondaires et tertiaires. Nous ne pouvons pourtant pas nous permettre de continuer à exporter tous nos atouts. J’ai observé, depuis trop de décennies maintenant, notre exportation systématique vers d’autres pays des ressources brutes et de l’énergie que l’on aurait pu utiliser et raffiner ici. Plutôt que de dépendre des autres, nous devrions être beaucoup plus perspicaces dans notre façon d’utiliser nos ressources naturelles, en vue d’améliorer la vie des gens de notre pays. Quelles leçons devons-nous apprendre de nos échecs passés? Certaines compagnies disent : « Nous n’avons pas assez de monde pour faire ce que nous devons faire, alors il faut aller chercher des gens ailleurs, dans d’autres pays. » Pourquoi devons-nous prendre plus que ce que nous sommes capables de prendre avec les gens que nous avons pour le faire? Si nous avons suffisamment de pêcheurs pour prendre 300 000 poissons par année, nous pouvons le faire indéfiniment. Mais les entreprises disent : « Doublons nos effectifs pour pouvoir en prendre deux fois plus. » Toutefois, ceci ne sera viable que pour encore trente ans. Les personnes qui vivent dans ces régions ne veulent pas nécessairement prendre et prendre démesurément. Les gens cherchent la durabilité et une bonne qualité de vie. Il y a maintenant environ trois décennies que les grandes entreprises ont pris le contrôle et se sont mises à décimer notre capital naturel. Il est temps que les gens reprennent la maîtrise de ce que nous faisons dans ce pays. Je crois que nous sommes à la veille de démontrer aux Canadiens que ces grosses compagnies ne peuvent plus agir comme cela. Il ne faut pas être très intelligent pour connaître la différence entre le bien et le mal, mais il faut être très courageux pour choisir entre faire ce qui est bien et faire ce qui est mal. 125 Catherine Swift sur nous faire profiter au maximum de nos ressources. AVEZ-VOUS ENTENDU LE TERME → Catherine Swift, présidente du Conseil de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, interviewée le 1er août 2014 par Monica Pohlmann BANANA? BUILD ABSOLUTELY NOTHING, ANYWHERE NEAR ANYTHING (NE CONSTRUISEZ ABSOLUMENT RIEN, NULLE PART NI PROCHE DE RIEN). Chaque groupe d’intérêt CE QU’IL FAUT au monde des affaires : « Chaque groupe d’intérêt particulier semble avoir maintenant la capacité de freiner la réalisation de projets de développement économique majeurs. » POHLMANN SWIFT Quand vous réfléchissez au Canada d’aujourd’hui, qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit? La mesure dans laquelle le monde organisé du travail domine notre agenda. Nous sommes le seul pays qui force encore les employés à payer des cotisations syndicales. Les syndicats ont d’énormes réserves d’argent et peuvent utiliser les revenus de ces cotisations comme bon leur semble. J’ai entendu dire qu’ils ont dépensé des dizaines de millions de dollars exclusivement en publicité pendant la campagne électorale de l’Ontario. C’est beaucoup plus que n’importe quel parti politique a dépensé. Et la semaine dernière à peine, le syndicat des postes a pris part à une marche avec Hamas à Ottawa. Ce type de chose serait inadmissible dans un autre pays. En fin de compte, il s’agit d’une question financière. Ici, en Ontario, nos fonctionnaires reçoivent des salaires excessivement élevés. Dans le secteur privé, le même emploi serait loin de correspondre au même taux salarial ou aux mêmes avan- Si vous pouviez poser n’importe quelle question à un clairvoyant sur l’avenir du Canada, quelle question lui poseriez-vous? 126 De quoi se composera notre nouvelle classe moyenne? Car ce ne sera sûrement pas la vieille version. En effet, les types d’emplois exigeant des compétences relativement faibles, mais payant des salaires élevés, emplois que nous avons perdus au profit de la technologie et de la mondialisation, ne reviendront jamais. Notre système éducatif n’est pas bien adapté au besoin que ressentent les particulier semble maintenant capable En tant que pays, de quel sujet devrionsnous traiter dans nos conversations que nous ne traitons pas? Même si nous devions accélérer l’immigration, nous ne pourrions raisonnablement accepter qu’environ 200 000 à 250 000 personnes par an. Le problème est en partie dû au fait que notre politique sur l’immigration favorise presque exclusivement les personnes hautement qualifiées. Nous faisons venir des gens qui ont un niveau de scolarité relativement élevé, mais en même temps, nous leur rendons souvent très difficile l’accès à des emplois dans leur domaine. Par conséquent, on a tages sociaux. Les syndicats accordent aux gens plus qu’ils ne devraient recevoir. Quand le gouvernement devient de plus en plus coûteux, vous pouvez fort bien pousser une économie à la faillite. Nous l’avons d’ailleurs vu se produire en Grèce et à Détroit. Ceci m’inquiète aussi du point de vue sociologique, parce que notre système d’éducation est lourdement dominé par le monde syndical. Les enseignantes et enseignants s’opposent à ce que leur rendement soit évalué, et pourtant tout le monde sur la planète doit se conformer sous une forme ou une autre à un objectif de rendement. Dans un milieu de travail syndiqué, la promotion est fondée sur l’ancienneté et non pas sur le bon rendement. Lorsque les mauvais joueurs ne font pas face aux conséquences et que les meilleurs ne sont pas récompensés, pourquoi vouloir exceller? étudiants, celui de mettre au point des compétences qui seront nécessaires dans l’économie future. Nous devons apprendre à mieux anticiper d’où proviendront les emplois et les possibilités, et offrir à nos jeunes la formation et l’enseignement dont ils ont besoin. Nous devrions davantage nous demander où nous allons trouver nos travailleurs et travailleuses. Aujourd’hui, un grand nombre d’entreprises lancent un appel à l’aide et disent : « Nous leur offrirons la formation, nous les paierons bien, nous sommes prêts à tout pour trouver des travailleurs! » Qu’est-ce qui retient le plus votre attention dans ce qui se passe de nos jours? Nous sommes dotés de beaucoup plus d’énergie d’entreprise que ne pensent bien des gens. Les États-Unis ont la réputation d’être le pays où l’esprit d’entreprise est poussé à l’extrême. Mais nous avons fait des recherches qui montrent qu’en ce qui a trait à sa tendance de fonder de nouvelles entreprises, et en fonction d’autres indicateurs également, le Canada est tout à fait au pas avec les États-Unis. Là où la comparaison d’empêcher la réalisation de projets majeurs consacrés au développement économique. Tout autre pays pourrait penser : « Quelle chance vous avez de posséder toutes ces merveilleuses ressources! » Ici, le message qu’on entend, c’est : « Non, vous ne devez pas les exploiter! » des gens qui détiennent des doctorats et qui conduisent des taxis. Il nous faut des personnes hautement éduquées, mais il nous faut également des travailleurs et travailleuses moins compétents. Le Canada possède l’une des populations issues du baby-boom les plus disproportionnées du monde, et les gens n’ont plus autant d’enfants qu’avant. Quand on a une population vieillissante, cela signifie que les gens vont quitter le monde du travail, acheter moins, et en d’autres mots, ne vont pas stimuler l’économie. Ces tendances veulent dire que nous pourrions nous retrouver avec une population stagnante, ce qui mène toujours à une économie stagnante. Lorsqu’un pays a une population en déclin, ce à quoi le Japon fait face à l’heure actuelle, il lui faut beaucoup de temps pour s’en remettre. ne joue pas en notre faveur, c’est dans la quantité d’obstacles bureaucratiques qui entravent les entreprises et aussi dans la diabolisation du monde des affaires en général. On ne voit jamais cela aux États-Unis. Mais ici, il y a encore des gens qui croient que les affaires sont maléfiques. Sans profits, nous n’aurions rien, mes amis! Nous n’aurions même pas de gouvernement! « Nous sommes dotés de beaucoup plus d’énergie d’entreprise que ne pensent bien des gens. » Qu’espérez-vous laisser comme héritage? J’espèrerais laisser les petites entreprises canadiennes en meilleur état qu’elles ne l’auraient été autrement. Selon certaines données, beaucoup de jeunes aujourd’hui sortent des écoles en déclarant : « Je veux avoir ma propre entreprise. » C’est en partie comme cela qu’on influence l’opinion publique : il s’agit de respecter les choix de carrière. J’aimerais aussi savoir si nous trouverons une façon de surmonter toute l’opposition qui se dresse contre les projets visant à 127 Peter Tertzakian → Peter Tertzakian, économiste en chef de l’Énergie et directeur général de ARC Financial, interviewé le 11 septembre 2014 par Brenna Atnikov sur NOTRE IMPORTANTE industrie énergétique : « Les gens qui passent le plus de temps à dire du mal des Canadiens sont les Canadiens eux-mêmes. » Si les choses devaient mal tourner au cours des vingt prochaines années, qu’est-ce qui se serait passé? Quand on se promène dans le centreville de Calgary ou qu’on voyage dans cette merveilleuse province, on sent la présence de la prospérité. Nous sommes fréquemment cités comme l’un des cinq ou dix meilleurs endroits où vivre. Voilà les bonnes nouvelles. Les mauvaises nouvelles, c’est que si nous ne sommes pas prudents, nous n’aurons vraiment qu’un seul chemin à suivre, et c’est celui nous attirant vers le bas. Le sentiment de polarisation qui accompagne la richesse engendre l’animosité. NOUS AURONS DE GRAVES PROBLÈMES SI NOUS PERDONS CONFIANCE EN DES INSTITUTIONS IMPARTIALES ET SÉRIEUSES COMME ATNIKOV TERTZAKIAN Que se passe-t-il au Canada qui attire votre attention? Les industries pétrolière et gazière sont en train de subir leur plus profond changement depuis cent ans. Les enjeux touchant l’environnement, la politique, les ressources et la démographie sont tous en train de s’entrechoquer simultanément pour transformer notre façon de fournir et de consommer l’énergie. Il est vrai que l’industrie de pétrole et de gaz a été complaisante : elle savait que les gens étaient dépendants du produit et donc, elle n’a pas cherché à innover. Cependant, depuis 2008 ou 2009, le niveau d’innovation a été profond. Nous allons continuellement voir des innovations jusqu’au milieu de la prochaine décennie. Depuis l’avènement du Modèle T, nous avons été tributaires d’un système de conduite automobile axé sur le pétrole. Cela est à la veille de changer de manière importante. L’apparition cumulative de nouveaux produits, tels que les véhicules électriques, les véhicules électriques hybrides et différents moyens de transport, sera conséquente à l’industrie canadienne de pétrole et de gaz. Aucun de ces produits ne peut à lui seul remplacer le pétrole, mais ensemble ils seront tous assez importants pour amenuiser la croissance exagérée de la demande pour le pétrole, phénomène dont le monde entier est témoin depuis le début ce cette décennie. Nous ne sommes plus à une époque où nous pouvons tout simplement attendre que les prix de l’énergie augmentent. Nous devons présumer que les prix resteront stables et même qu’ils pourront baisser. La façon de rester concurrentiel dans un marché aussi féroce, c’est d’offrir un produit moins cher que les autres. L’industrie canadienne de l’énergie s’est réveillée devant ce fait il y a quelques années, et nous devenons assez habiles dans ce sens. Mais si nous ne nous mettons pas bientôt à traiter des problèmes environnementaux, si nous ne continuons pas à faire preuve de discipline pour maîtriser les coûts, et si nous ne commençons pas à établir des rapports avec de nouveaux clients et nous adapter à de nouveaux systèmes, nous serons voués à l’échec. En revanche, il est frustrant que l’industrie soit si durement critiquée et ne soit pas reconnue pour ses réalisations. En fait, les personnes qui passent le plus de temps à dire du mal des Canadiens sont les Canadiens eux-mêmes. Toutefois, à cause de nos normes réglementaires, de l’État de droit et de notre façon de fonctionner, le Canada est l’un des cinq plus importants pays producteurs d’énergie au monde. Cela n’a pas de sens que tant d’effort et d’argent soit dépensé pour diminuer notre rôle. Si l’on veut que le monde soit un meilleur endroit où vivre, pourquoi voudrait-on en éliminer un des principaux producteurs? Qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit? 128 L’OFFICE NATIONAL DE L’ÉNERGIE. Au cours de notre histoire, ces institutions ont eu le dernier mot à l’égard de diverses décisions, mais aujourd’hui, par le biais des médias sociaux et d’autres techniques de communication, une minuscule minorité de gens peut retarder l’exécution de projets. Ils pourraient dire : « Je ne veux pas d’éoliennes dans ma cour arrière, je ne veux pas cette centrale hydroélectrique dans ma rivière, je ne veux pas de panneaux solaires envahissant cette superficie. » Mais du même souffle, ils disent qu’ils veulent de l’énergie à bon marché. Tout le monde doit accepter une part du fardeau, même si cela veut dire avoir une ligne à haute tension pas loin de chez soi. Voilà peut-être ce qu’un individu doit accepter pour le plus grand bien du pays. Le fait que de petits groupes de gens puissent contourner les institutions qui aident à rendre notre pays formidable constitue un problème national. L’autre extrémité de ce spectre serait l’autoritarisme, ce que nous ne voulons pas non plus. J’ai toujours eu l’impression que nous avions un bon équilibre, mais je deviens maintenant un peu nerveux vis-à-vis de la direction dans laquelle nous nous acheminons. « Les mauvaises nouvelles, c’est que si nous ne sommes pas prudents, nous n’aurons vraiment qu’un seul chemin à suivre, et c’est celui nous attirant vers le bas. » 129 Michel Venne → Michel Venne, directeur général de l’Institut du Nouveau Monde, interviewé le 27 juin 2014 par Adam Kahane sur LA PARTICIPATION : « Les décisions sont prises par un petit groupe de privilégiés qui protègent leur propre position et leur propre pouvoir. » KAHANE VENNE Y a-t-il quelque chose dans votre propre vécu qui explique ce qui vous intéresse et vous anime aujourd’hui? En 1971, mon père est mort de cancer à l’âge de 48 ans. L’Assurance maladie du Québec venait d’être créée et le Régime des rentes du Québec était très récent. Sa mort a plongé ma famille dans la pauvreté. Nous sommes rapidement passés de la classe moyenne à une classe défavorisée. Il ne faut pas beaucoup de temps pour se rendre compte que d’être pauvre veut dire être exclu; on n’a pas de place dans le jeu de la société, on n’est même pas sur le terrain, on est à peine spectateur. J’ai choisi le journalisme comme carrière parce que l’information, c’est le pouvoir. Le Québec est-il une société égalitaire? D’après vous, quelles seront les conséquences à long terme de cette tendance? 130 J’ai toujours imaginé mon rôle de journaliste ainsi : partir à la recherche de la connaissance, la rendre accessible, puis la transmettre à ceux qui n’ont pas de pouvoir pour qu’ils en aient davantage. J’ai fini par comprendre que oui, l’information c’est le pouvoir, mais le vrai pouvoir, ai-je compris plus tard, c’est la participation. Quand je parle aujourd’hui de l’importance de la participation à des gens du monde des affaires ou du monde politique, je leur dis que la participation signifie partager le pouvoir. Nous sommes la société la plus égalitaire de l’Amérique du Nord, mais comparativement à il y a vingt ans, il y a plus d’inégalités de revenus, aujourd’hui, au Québec. Ces inégalités s’accroissent moins vite qu’ailleurs dans le monde, mais elles s’élargissent malgré tout, surtout entre les plus riches et le reste de la société. On a aussi vu d’autres fossés se creuser : une plus petite proportion de la population fréquente les salles de concert ou les musées, un nombre croissant de parents inscrivent leurs enfants à l’école privée. Qui décroche de l’école? Souvent les enfants de familles moins favorisées. MAIS SI CETTE QUESTION DES DOLLARS ME Si l’on continue dans la même veine, dans vingt ou trente ans, la société canadienne sera encore plus fragmentée au point de vue économique, social et culturel. Je ne suis pas un maniaque du consensus, parce qu’il est possible d’avoir de bonnes discussions dans une société qui est unie. Donc, il ne s’agit pas d’unanimité, parce que l’unanimité mènerait à la dictature. Cependant, il faut cultiver ce qui nous unit pour mieux vivre ensemble. Il nous faut au moins un tronc commun. Quelles sont certaines des forces qui pourraient nous diviser davantage? Quelle incidence la fragmentation peutelle avoir sur notre système politique? L’une de mes préoccupations est que de plus en plus de gens ne font plus le lien entre les impôts qu’ils paient et les services qu’ils reçoivent. De plus en plus de gens pensent que les autres ne paient pas leur juste part. J’ai peur qu’avec le temps, les gens acceptent de moins en moins le principe de contribuer par leurs impôts au bien commun. Les gens acceptent qu’une bonne partie de leur salaire soit versée au gouvernement parce qu’ils se sentent ap- partenir à une société ou à une nation. Dans notre société, à l’heure actuelle, nous ne faisons pas confiance aux gens qui ont du pouvoir et nous ne faisons pas confiance non plus à ceux qui n’ont pas de pouvoir. Nous vivons dans l’insécurité. Et quand on vit dans l’insécurité, on peut décider soit de se tourner le dos les uns aux autres, soit de se serrer les coudes. J’espère qu’au Québec et au Canada, nous déciderons de nous serrer les coudes. Un mauvais scénario qui pourrait se dérouler, ce serait que l’école universelle n’existerait plus, et que chacun déciderait ce qu’il veut apprendre. On perdrait alors la compréhension commune du monde, qui est fondée sur un compendium de connaissances accumulées au fil des siècles. Notre façon de consommer l’information est également un facteur. Avant l’arrivée d’Internet, les 350 000 personnes qui lisaient La Presse en format imprimé chaque matin voyaient les mêmes pages. Le million de gens, qui regardaient le téléjournal chaque soir, étaient tous soumis au même discours. Ces sources médiatiques constituaient une sorte de place publique, où nous nous rassemblions tous pour partager et débattre des questions du jour. Maintenant, je lis La Presse sur mon iPad et je cherche précisément les articles que je veux lire. Mon voisin fait de même et ne choisit probablement pas les mêmes articles. Encore une fois, cette segmentation mine notre sens d’appartenance au collectif. Je vois se fracturer notre forme parlementaire de gouvernement, mais je ne vois pas encore ce qui la remplacera. Toutes les institutions sont destinées à mourir et à être remplacées par d’autres. Pour moi, le véritable défi consiste à savoir comment on va prendre des décisions pour continuer à répondre aux besoins de la société de manière juste, équitable et efficace. PRÉOCCUPE, JE M’INTÉRESSE SURTOUT À CELLE DE L’ACCÈS AU POUVOIR. Les pauvres et les jeunes ont tendance à voter moins que les autres groupes. Ceci a une incidence sur la façon dont les politiques gouvernementales sont adoptées. À partir du moment où de moins en moins de gens participent aux élections, les décisions sont prises par un petit groupe de privilégiés qui protègent leur propre position et leur propre pouvoir. « Je vois se fracturer notre forme parlementaire de gouvernement, mais je ne vois pas encore ce qui la remplacera. » Qu’avons-nous appris du passé qui pourrait nous être utile dans les années à venir? Au cours des derniers 400 ans de civilisation humaine, on est passé du temps où les rois possédaient à eux seuls un pouvoir qui, disaient-ils, leur venait directement de Dieu, à l’avènement de la démocratie où le pouvoir venait du peuple. Ceci démontre qu’il est possible pour l’humanité de surmonter la barbarie. Mais nous sommes en train de recréer les élites aristocratiques qui accaparent le pouvoir. Heureusement, nous avons un sens solide du passé, et nous avons la capacité de renverser les tendances. C’est pour ça que je peux dormir la nuit. Mais il faut persévérer, et de temps en temps il faut se mettre en colère. 131 Annette Verschuren → Annette Verschuren, PDG de la compagnie de stockage d’énergie NRStor., interviewée le 7 octobre 2014 par Brenna Atnikov sur L’INNOVATION économique : « Pourquoi ne pouvons-nous pas être le pays qui exploite les combustibles fossiles et les minéraux d’une façon plus responsable? » ATNIKOV VERSCHUREN Qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit? La discussion de l’économie, d’une part contre l’environnement, d’autre part. Nous n’allons jamais innover si nous restons polarisés sur ces deux questions. Pourquoi ne pouvons-nous pas ajouter de la valeur à nos industries et en même temps assumer une plus grande part de responsabilité dans la gestion de nos ressources naturelles? Il est sain d’avoir différentes opinions, mais non pas si l’on réduit les enjeux au choix entre noir ou blanc. Quand on est trop à droite ou trop à gauche vis-à-vis d’un problème, il est très rare qu’on réussisse à le régler. La zone grise, c’est quand on trouve des solutions. En ce moment, nous nous attardons sur les détails et ne nous penchons pas sur les grandes questions. Il faut que nous trouvions plus de choses sur lesquelles nous pouvons tous nous mettre d’accord. La nouvelle économie viendra du fait que l’on trouvera des moyens plus efficaces de produire des aliments et de l’énergie, d’utiliser l’eau, d’extraire et de raffiner le pétrole et le gaz naturel, d’extraire des minéraux. Pourquoi ne pouvons-nous pas être le pays qui entreprend le défi de réduire l’empreinte carbone? Pourquoi ne pouvons-nous pas être le pays qui exploite les combustibles fossiles et les minéraux et autres produits semblables de la façon la plus responsable au monde? Nous excellons dans tant de choses! Nous comptons parmi les chefs de file mondiaux en recherche sur le cerveau et en diagnostic du cancer. Il y a aussi des choses formidables qui se passent ici en technologie de l’information et des communications, en gestion des données, en analyse de mégadonnées. Armés de notre main-d’œuvre hautement compétente et d’une multitude d’installations de recherche partout au pays, nous avons un énorme potentiel pour résoudre toutes sortes de problèmes. Si les choses tournent bien au cours des vingt prochaines années, qu’est-ce qui devra se produire? 132 NOUS NE NOUS PRÉOCCUPONS PAS SUFFISAMMENT DE L’ÉCONOMIE DANS NOTRE PAYS. LES EMPLOIS NE SONT PAS LÀ, LES FONDS DE PENSION NE SONT PAS LÀ, LES GENS NE VIVRONT PAS HEUREUX JUSQU’À LA FIN DES TEMPS. Il se peut que nous n’ayons pas frappé le mur assez fort. Je me demande avec inquiétude d’où viendront les nouveaux emplois et si les autres pays vont nous les voler. La technologie propre utilisée par la Corée, la Chine, le Japon et certaines régions européennes est tellement avancée en comparaison avec ce que nous faisons ici. Nous devons absolument nous rattraper. Quelles sont les décisions importantes que devra bientôt prendre le Canada? énergétique. Il possède les meilleures villes avec les meilleurs réseaux de transport en commun. Pour que cela se réalise, nous devons adopter une perspective à plus long terme; nous ne pouvons pas nous contenter d’attendre au prochain trimestre pour voir les résultats qui vont sortir. En tant que Canadiens, nous sommes appelés à repenser à ce que nous voulons devenir et à ce que les autres verront en nous. Nous ne plaçons pas les bons investissements aux bons endroits, parce que nous ne savons pas où nous allons. Il nous faut être plus optimistes et réussir à pousser notre société vers la création de notre propre valeur. Les gens veulent se rallier derrière un avenir, mais à l’heure actuelle, personne ne leur décrit ce que sera cet avenir. Le leadership peut vraiment entraîner des changements, et les gens suivront ce qu’ils croient être une vision sensée pour le pays. Si la vision est claire, nous trouverons le moyen d’y arriver. Nous avons besoin de leaders inspirants venant des syndicats, des Premières Nations, des affaires, du gouvernement pour nous mener jusqu’à ce point. « La zone grise, c’est quand on trouve des solutions. » J’aimerais qu’on dise un jour que le Canada a été un peu hésitant pendant quelques années à choisir la voie il allait s’engager, mais regardez aujourd’hui tout ce qu’il a réussi à faire. Il a réduit son empreinte 133 Tamara Vrooman → Tamara Vrooman, présidente directrice générale de Vancity, interviewée le 25 septembre 2014 par Monica Pohlmann sur LA DÉMOCRATIE économique : « Les débats sont devenus polarisés et institutionnels plutôt qu’engagés et personnels. » POHLMANN VROOMAN Qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit? Le fait que nous devenons passifs et que nous risquons de tenir pour acquises toutes ces choses qui ont fait du Canada la société tolérante, ouverte, diversifiée et accueillante dans laquelle nous avons le privilège de vivre. Notre grandeur ne s’est pas produite par hasard. Si l’on n’y travaille pas assez, nous courons le risque de la diminuer et de la perdre. Et alors, quelle sorte de pays allons-nous laisser à nos enfants et petits-enfants? Selon notre tradition, nous travaillons ensemble, nous nous parlons de divers sujets et nous sommes tolérants des différences d’opinions. On ne voit plus cela beaucoup. Les débats sont devenus polarisés et institutionnalisés plutôt qu’engagés et personnels. Il n’y a plus d’occasions pour les voix individuelles d’être cultivées et encoura- Qu’est-ce qui vous anime au sujet du Canada? 134 Somme toute, le Canada est une région très diversifiée qui bénéficie d’une société hétérogène. Cela contribue de façon considérable à notre force et à notre capacité de voir les choses différemment et de forger un avenir différent. À Vancouver, soixantequinze pour cent des jeunes de dix-sept ans et moins ont un parent qui ne vient pas de ce pays. Ceci entraîne un énorme sens de renouvellement, d’énergie, de tolérance et de créativité vis-à-vis de ce qui est possible. gées. Je m’inquiète que dans notre course pour bien faire les choses, pour être compétitifs et efficaces, nous prenions des décisions qui ne soient pas inclusives, qui soient pour le court terme seulement, et qui ne profitent pas des perspectives de bien d’autres gens. Nous pouvons penser que nous prenons une certaine décision, que nous faisons avancer les choses, mais à la fin, nous regretterons de ne pas avoir inclus les diverses voix, parce que nous n’aurons pas pris les meilleures décisions. Et éventuellement, cette approche nous ralentira et nous coûtera de l’argent, du temps, du capital social et du capital naturel. Nous devons revenir à notre tradition de nous engager, de consulter, de débattre, d’écouter et de réfléchir. Je suis animée par le fait qu’enfin, après si longtemps, nous entretenions des échanges sur la réconciliation avec les peuples autochtones. Les non-autochtones commencent seulement à comprendre le privilège que cela représente de partager un pays avec les autochtones, de qui nous avons beaucoup à apprendre. La sagesse autochtone forme une très grande partie de notre histoire ainsi que de notre avenir. Je suis tellement impressionnée par la façon dont l’effort de réconciliation est repris partout au pays. Selon vous, quelles leçons importantes du passé devrions-nous retenir en avançant vers l’avenir? Ce n’est pas facile de juger les actions des autres qui ont évolué dans un contexte différent, mais en rétrospective, quand les choses ne se sont pas bien passées, c’est parce que nous n’avons pas écouté ou compris ou collaboré avec d’autres. Les pensionnats en sont un exemple. À part le racisme évident et la souffrance personnelle dont nous sommes responsables, nous avons perdu toute une génération de chances d’apprendre et de croître ensemble. Ce fut une perte colossale de capital humain, de potentiel humain. Que souhaitez-vous contribuer par votre travail? IL EST DIFFICILE D’AVOIR UNE DÉMOCRATIE accès à un compte bancaire et à d’autres services que vous et moi tiendrions pour acquis. Nous entendons de plus en plus parler de l’inégalité des revenus. Penser que la démocratie économique n’a rien à voir avec l’inégalité des revenus serait comme dire que le droit de vote n’a rien à voir avec le suffrage universel. C’est évident qu’il y a un lien entre les deux. OU UN ENGAGEMENT AU NIVEAU POLITIQUE SI L’ON N’A PAS UNE DÉMOCRATIE OU UN ENGAGEMENT AU NIVEAU ÉCONOMIQUE. Dans mon travail, je cherche à m’assurer que les personnes aient accès à l’information et au soutien qu’il leur faut pour prendre des décisions éclairées. Nous cherchons également les moyens d’inclure plus de gens dans l’économie et dans le système financier, c’est-à-dire les gens qui n’ont pas « Quand les choses ne se sont pas bien passées, c’est parce que nous n’avons pas écouté ou compris ou collaboré avec d’autres. » 135 Sheila Watt-Cloutier → Sheila Watt-Cloutier, ancienne présidente du Conseil circumpolaire Inuit, interviewée le 14 octobre 2014 par Adam Kahane sur LE DROIT Imaginez un avenir florissant où les choses auraient bien tourné. À quoi cela serait-il dû? Il n’est pas si difficile d´interviewer des chefs d’entreprise, de choisir lesquels on va accueillir et de signer un contrat en bonne et due forme. En revanche, il est beaucoup plus difficile de bien étudier et de planifier réellement les actions qu’il nous faut entreprendre dans l’intérêt de nos communautés. Il est important pour nous de ne pas nous sentir piégés par cette unique proposition qu’on nous fait miroiter. Nous pouvons puiser à même l’ingéniosité, la créativité et la sagesse des Inuits pour assurer la durabilité des ressources dans nos communautés. Nous nous dirigeons actuellement vers la création d’entreprises se rapportant aux mines, et ceci est un moyen pour nous de nous habiliter nous-mêmes. Nous sommes en train d’acquérir les compétences nécessaires pour maîtriser nos moyens de survie et de prospérité dans notre contexte futur. Qu’est-ce qui retient votre attention ces jours-ci? Lorsque les Canadiens songent au développement des ressources dans le Nord, ils prennent rarement en considération la dimension humaine. Le gouvernement actuel considère l’Arctique comme une occasion offerte à la grande superpuissance énergétique de nourrir le monde entier, mais en pensant de la sorte, il ne reconnaît pas le fait que les familles inuites, qui cherchent simplement à nourrir leurs proches, seront négativement touchées par la détérioration de l’environnement. Il y a des gens qui ne saisissent pas tout à fait pourquoi nous voulons chasser ou manger des phoques plutôt que d’aller au supermarché pour acheter du poulet ou des côtelettes de porc. Ils ne comprennent pas l’importance pour nos communautés de continuer de respecter et d’absorber la sagesse que nous apprend la culture de chasse. La terre, la glace et la neige sont un terrain de formation pour développer notre sens d’identité et notre force de caractère. Nous y apprenons la patience. Nous y apprenons à être courageux et audacieux au bon moment. Nous y apprenons à ne pas être impulsifs, parce qu’autrement, nous courons des risques pour nous-mêmes ainsi que pour nos êtres chers. Nous y apprenons comment endurer des situations stressantes et avoir un jugement et une sagesse solides. Nous y apprenons non seulement comment le monde fonctionne, mais aussi comment nous fonctionnons. Dans l’enseignement scolaire institutionnalisé, ces valeurs sont très distinctes les unes des autres, mais dans la tradition de chasse, elles font partie d’un tout. au froid : « Les compagnies de développement des ressources sont ni plus ni moins comme l’étaient les missionnaires et marchands de fourrures. » KAHANE WATT-CLOUTIER Qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit? Les Canadiens entendent parler des taux élevés de suicide, de toxicomanie et de violence au sein de la population inuite. Ils observent ces symptômes, mais ils n’en comprennent pas le contexte, alors ils portent des jugements à notre égard. C’est toute cette question des « autres ». Ils ne peuvent pas suivre le programme, ils ne savent pas comment faire ceci ou cela. L’adaptation est un des points forts des peuples autochtones, donc ce n’est pas que nous ne nous adaptons pas; c’est la soudaineté avec laquelle les événements ont eu lieu, les traumatismes historiques et les politiques qui nous ont rendus dépendants et nous ont fait perdre le sens de qui nous étions. NOUS AVONS CÉDÉ NOTRE SAGESSE ET NOTRE CONTRÔLE À UN POUVOIR QUE NOUS CRAIGNIONS. Voilà pourquoi il est important d’habiliter nos gens pour qu’ils fassent les choix que nous estimons être bons pour nous, afin d’alléger les problèmes auxquels nous nous heurtons, comme la toxicomanie et le manque d’emploi, ou encore d’améliorer nos systèmes de santé et d’éducation. Mon livre est intitulé Le droit au froid. Ce n’est pas que nous voulons avoir froid et frissonner; le livre porte sur ce que cela signifie pour les habitants de l’Arctique de défendre notre droit de faire nos propres choix tout en protégeant notre environnement, ainsi que notre culture de chasse traditionnelle qui dépend du froid. C’est facile pour les gouvernements de faire miroiter le développement des ressources avec la promesse de réduire la 136 pauvreté en procurant des emplois à tout le monde. Mais quand ils répètent perpétuellement : « Nous savons ce qui est dans votre meilleur intérêt », ils n’ont pas tout à fait saisi. Lorsque les compagnies du développement des ressources viennent s’installer, elles agissent ni plus ni moins comme le faisaient les missionnaires et les marchands de fourrures à l’époque. L’approche des missionnaires est de dire : « Si vous faites ce que je vous dis, votre âme sera sauvée. » Avec ces nouvelles institutions, c’est pareil. Personne ne s’intéressait à l’Arctique avant que la glace n’ait commencé à fondre, mais maintenant que les ressources sont mises à nu et sont donc plus faciles d’accès, des avions bondés d’exploitants atterrissent chez nous. Certaines entreprises offrent de gros montants d’argent au ministère de l’Éducation du Nunavut pour qu’il commence à élaborer des programmes pour enfants dès la troisième année scolaire, dans le but d’intégrer éventuellement ces enfants dans leur main-d’œuvre. Mais qu’arrivera-t-il quand l’exploitation minière s’en ira? Sera-t-il possible de transférer ces compétences à d’autres emplois? Ces entreprises sont déjà venues et reparties ailleurs dans le monde, ne laissant derrière elles que des communautés dévastées. Je m’inquiète du fait qu’on creuse la terre qui est sacrée pour nous depuis des millénaires, et qu’en même temps on leurre nos habitants en agitant l’argent et les fiches de travail comme des appâts. Je crains que cela ne fasse qu’aggraver les luttes que nous devons mener. « Nous sommes en train d’acquérir les compétences nécessaires pour maîtriser nos moyens de survie et de prospérité dans notre contexte futur. » Qu’est-ce que les autres peuvent apprendre des Inuits? Peu de gens savent et apprécient le fait que les Inuits sont les inventeurs du qajaac, un des bateaux les mieux conçus au monde. Nous sommes les architectes d’une maison de neige assez chaude pour dormir nus avec des couvertures de fourrure. Nous savons comment interpréter les conditions météorologiques et comment nous déplacer avec les constellations comme guides. Toutes les façons pour nous non seulement de survivre, mais de prospérer dans l’Arctique, nous viennent de notre ingéniosité. Nous avons pu nous épanouir dans un milieu où la plupart des gens ne survivraient pas plus d’une heure. Nous savons bien des choses sur la durabilité. Dans la culture de chasse, les principes fondamentaux sont de respecter la nature, de se respecter les uns les autres, de partager et de ne prendre que ce dont on a besoin. Ce sont là les piliers fondamentaux d’un monde durable. La culture inuite peut servir de modèle d’un Arctique durable et d’une planète durable. 137 Joseph Wilson → Joseph Wilson, conseiller en éducation au MaRS Discovery District, interviewé le 2 août 2014 par Monica Pohlmann sur Qu’est-ce qui vous anime ces jours-ci au sujet du Canada? Nos jeunes. Ce n’est pas à la mode de défendre les adolescents, mais ils me remplissent d’espoir. Les jeunes ont l’esprit créateur, subversif et tenace, et ils n’ont peur de rien. Nous pouvons apprendre par leur exemple comment nous mettre en colère plutôt que d’être complaisants face à l’injustice. Nous, les adultes, avons tendance à porter nos in- stitutions gouvernementales, religieuses, familiales et économiques à un niveau de révérence qu’elles ne méritent pas. Nous avons besoin de nos enfants pour poser des questions difficiles, à savoir d’où sont venus ces systèmes et pourquoi sont-ils comme ils sont. Nous avons besoin d’eux pour fouiller les questions en profondeur et ne pas nous satisfaire du statu quo. Si les choses devaient mal tourner au cours des vingt prochaines années, qu’est-ce qui se serait passé? IL EXISTE UN DÉCALAGE CONSIDÉRABLE À résultat, nous ne possédons pas le capital intellectuel ou créateur pour résoudre nos problèmes colossaux. »Dans vingt ans, notre système de soins de santé pourrait être complètement surchargé. Nous nous dirigeons vers une sorte de tempête parfaite avec une population vieillissante et un système de santé déjà étiré jusqu’au bout, ce qui risque de donner lieu à une société encore plus inégale. Les nouveaux immigrants, les autochtones, les populations vulnérables pourraient ne pas avoir accès aux soins de santé auxquels ils ont droit. Et si les choses allaient bien au cours des vingt prochaines années, que pourrait-on en dire? On ne peut pas commencer à inculquer une culture d’entrepreneuriat chez des étudiants diplômés âgés de vingt-cinq ans. Nous enseignons la pensée d’entreprise dans les écoles primaires, secondaires et intermédiaires, et aussi, depuis peu, dans les maternelles. Les habitudes de pensée des bons entrepreneurs correspondent fidèlement aux compétences du vingt-etunième siècle qu’on leur a enseignées dès ‘APPRENTISSAGE : « Quand on se trouve à New York ou à Silicon Valley ou à Londres, on s’aperçoit que les gens envient ce que nous réalisons dans le domaine de l’éducation. » POHLMANN WILSON Quels sont les cas où nous avons su réaliser notre potentiel à titre de nation? Nous sommes reconnus dans le monde entier pour notre système d’éducation. L’enseignement public est une institution respectée; nous payons nos enseignants et enseignantes relativement bien; nous avons un bon système d’examens de contrôle standardisés; et ici, l’écart en matière d’égalité n’est pas énorme. Les Canadiens accordent autant de valeur à leur système d’éducation qu’à leur système de soins de santé. Ceci engendre des pressions pour innover, autant dans le secteur privé que public. Toronto abrite ce qui est probablement le plus important regroupement d’activités innovatrices du monde en éducation. Nous avons des universités de haute qualité ainsi que des gens talentueux qui obtiennent un diplôme de ces universités. Quand on les livre à une situation problématique comme celle de l’éducation, on obtient des résultats vraiment intéressants. Prenez les MOOC — les Massive Open Online Courses, ou cours ouverts offerts en ligne — qui existent partout maintenant, mais qui ont été inventés au Canada. Quand on se trouve à New York ou à Silicon Valley ou à Londres, les gens envient ce que nous faisons dans le domaine de l’éducation. Qu’est-ce qui vous inquiète au sujet du Canada aujourd’hui? Le manque d’attention vis-à-vis de l’enseignement des autochtones est honteux! À l’avenir, c’est quelque chose qui nous hantera et nous dirons : « J’ai du mal à croire qu’en 2014, l’éducation des autochtones était tellement sous financée! » La plus récente proposition du gouvernement fédéral concernant l’éducation autochtone a été un échec. Je me préoccupe du fait qu’il faudra encore dix ans avant qu’une autre occasion se présente pour réexaminer cette question en profondeur. Le sexisme demeure endémique au sein de la société. Une donnée statistique, que j’ai entendue récemment, dit que si nous financions les femmes entrepreneures au même taux que les hommes entrepreneurs, cela créerait six millions d’emplois au cours de cinq ans. Les investisseurs en capital de risque ont tendance à favoriser les gens qu’ils comprennent, c’est-à-dire surtout les hommes blancs. Mais certaines des meilleures idées que l’on voit, surtout en éducation et en innovation sociale, proviennent des femmes. Si celles-ci sont exclues du type traditionnel de financement, nous avons là un problème, non seulement au point de vue moral, mais aussi au point de vue de notre économie et de la création d’emplois. 138 L’HEURE ACTUELLE ENTRE CE QUE NOUS SAVONS ÊTRE NÉCESSAIRE POUR NOTRE SYSTÈME ÉDUCATIF ET CE QUE NOTRE SYSTÈME ÉDUCATIF EST CAPABLE DE NOUS DONNER. Dans vingt ans, nous pourrions bien y jeter un regard rétrospectif et dire : « Nous savions qu’il nous fallait redoubler nos efforts en innovation et en pensée créatrice pour le bien de l’économie et pour résoudre des problèmes complexes. Plutôt, nous avons insisté pour que tout le monde acquière les mêmes connaissances de base, et nous avons ni plus ni moins anéanti toute créativité chez nos enfants. Comme l’école primaire, y compris les communications, l’endurance et le travail d’équipe. Les entrepreneurs qui œuvrent seuls ne sont pas financés. Le travail se fait toujours en équipe et les membres de ces équipes doivent démontrer qu’ils peuvent travailler ensemble, faire face aux situations adverses et connaître leurs points faibles autant que leurs points forts. Ce sont des aptitudes qu’on apprend dès la maternelle. « Nous avons besoin de nos enfants pour poser des questions difficiles, à savoir d’où sont venus ces systèmes et pourquoi sont-ils comme ils sont. » Quelles leçons devons-nous apprendre de nos échecs passés? La situation déplorable et perpétuelle des autochtones, ainsi que l’incapacité de bien des immigrants de prospérer dans ce pays, sont des échecs sur le plan moral et économique. Tout ce potentiel inutilisé et cette créativité inexploitée constituent une énorme perte pour notre société. Nous devons reconnaître que le type d’autosatisfaction qui accompagne le succès peut servir d’outil d’oppression. Malheureusement, le fait que nous ayons eu l’arrogance de vouloir imposer aux autres nos propres structures et systèmes ne semble pas avoir été une leçon que nous avons très bien apprise. 139 Yuen Pau Woo qui vivent à l’étranger et à les considérer comme faisant partie d’une stratégie d’interconnexion globale. Par exemple, les Canadiens qui vivent à l’étranger depuis plus de cinq ans n’ont pas le droit de voter. AU FOND, CETTE LOI DIT QU’UN → Yuen Pau Woo, ancien président et chef de la direction de la Fondation Asie Pacifique du Canada, interviewé le 4 septembre 2014 par Monica Pohlmann sur NOS RAPPORTS CANADIEN QUI HABITE À L’INTÉRIEUR DES LIMITES GÉOGRAPHIQUES DU PAYS EST DAVANTAGE UN CITOYEN QU’UN CANADIEN VIVANT À L’EXTÉRIEUR DU PAYS. Nous devri- avec l’Asie : « Nous ne tenons pas compte du fait que la Chine a sauvé le Canada d’une récession qui aurait pu être bien plus désastreuse que prévu. » POHLMANN WOO Quand vous regardez ce qui se passe au Canada, qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit? La complaisance. Le Canada a le privilège de posséder d’abondantes richesses naturelles et de nombreux atouts politiques et institutionnels. Mais notre cote est en train de baisser et la position que nous occupons dans le monde pourrait se détériorer très nettement. Qu’est-ce qui vous anime au sujet du Canada? 140 Nous pouvons faire beaucoup plus encore dans nos rapports avec la Chine. Nous traînons derrière les autres à cet égard, pourtant, il n’y a pas de sens d’urgence ou de stratégie à long terme pour nous permettre de rattraper la concurrence. Cette complaisance est en partie attribuable à un manque de compréhension de la signification profonde des changements économiques et politiques qui se déroulent à l’heure actuelle dans l’ensemble du Pacifique. Les Canadiens ont bien sûr des raisons légitimes d’exprimer des réserves devant tous les défis que représentent la Chine et d’autres pays d’Asie, mais ce serait naïf de ne pas reconnaître que de grands changements mondiaux sont en cours, et que pour demeurer pertinent comme puissance, le Canada doit s’engager vigoureusement. Par exemple, ce serait une erreur de présumer qu’avec la relance de l’économie américaine déjà en cours, le Canada peut revenir à la situation d’avant 2008 et peut donc oublier la diversification des marchés. L’économie américaine subit des changements structurels, avec l’émergence du gaz et de l’huile de schiste américains étant un facteur parmi les autres qui se répercuteront sur le Canada de façon négative dans un environnement économique changeant. Nos dirigeants politiques et nos chefs d’entreprises ont fortement tendance à vouloir faire revivre l’époque pré-2008 et à éviter l’effort qui consiste à s’orienter davantage vers le monde extérieur. Que les Canadiens se rendent compte que leur avenir, et par conséquent l’avenir du Canada, dépend des liens établis avec le reste du monde. Toutefois, il y a un écart entre les individus canadiens qui ont des aspirations sur le plan mondial et un grand nombre de nos institutions, structures ou lois qui découragent les Canadiens de se mondialiser. Il y a beaucoup de résistance à reconnaître les Canadiens Ce qu’on entend dire le plus souvent pour expliquer pourquoi le Canada n’a pas plongé dans une récession plus grave en 2008, c’est que nous avons des banques solides et un bon système de réglementation financière, par exemple, nous n’avions pas le problème américain de prêts hypothécaires à haut risque. Cela est vrai, mais nous ne tenons pas compte du fait que la Chine a sauvé le Canada d’une récession qui aurait pu être bien plus désastreuse que prévu. Si l’on veut savoir ce qui a empêché une chute encore plus abrupte du taux de croissance entre 2008 et 2011, la réponse est claire, c’est la demande chinoise. Les exportations du Canada vers la Chine ont doublé entre 2008 et 2013. Les exportations du Canada vers le reste du monde, y compris les États-Unis, n’ont toujours pas rejoint les niveaux qu’elles avaient en 2007. ons pourtant être fiers des Canadiens qui poursuivent l’excellence dans leurs carrières ou dans diverses autres activités à l’étranger et nous devrions faire de Si vous pouviez poser des questions à un voyant sur l’avenir du Canada, que lui demanderiez-vous? En tant que ville la plus asiatique à l’extérieur de l’Asie, comment évoluera Vancouver? Aujourd’hui, environ quarante-cinq pour cent de la population de la zone métropolitaine recensée de Vancouver est d’origine ethnique asiatique. D’ici dix ans, Vancouver sera une ville majoritairement « asiatique ». Cela entraînera-t-il des changements en ce qui concerne le commerce, les affaires et la culture populaire? Est-ce que Vancouver se branchera sur le dynamisme et les défis de l’Asie contemporaine et servira de lien transpacifique ou est-ce que Vancouver se contentera de suivre une trajectoire nord-américaine caractéristique soit celle d’une ville abritant un grand nombre d’Asiatiques, mais ayant peu d’attaches profondes avec l’Asie? Beaucoup de l’empreinte internationale du Canada un aspect positif de notre marque dans le monde. Chaque fois que je mentionne le besoin d’être plus orientés vers le monde extérieur, une des réponses représentatives qu’on me donne est : « Oui, mais vous n’avez qu’à vous promener dans les rues de Vancouver ou de Toronto, et vous verrez trente différentes nationalités et souches ethniques en l’espace d’un pâté de maisons. » Ce qui laisse entendre qu’on peut être « mondialisé » sans nécessairement quitter le pays. gens me disent : « Je veux bien qu’on ait des immigrants, mais à condition qu’ils deviennent des Canadiens. » Il est certain que l’intégration des immigrants est une question très importante sur laquelle nous devons constamment travailler. Mais comment définit-on « être Canadien »? Est-ce que c’est quelque chose de fixe? Est-ce que les nouveaux venus peuvent avec le temps façonner ce que signifie « être Canadien »? La réponse est sans doute oui, mais comment cela va-t-il se produire et quels seront les compromis à faire? Pour choisir une illustration simple, ne devrait-on pas enseigner davantage les langues asiatiques dans les écoles de Vancouver, puisqu’une si grande proportion de la population est d’origine asiatique? « Nos dirigeants politiques et nos chefs d’entreprises ont fortement tendance à vouloir faire revivre l’époque pré-2008 et à éviter l’effort qui consiste à s’orienter davantage vers le monde extérieur. » Quelles décisions importantes devonsnous prendre? Nous devons déterminer la nature de nos rapports énergétiques avec l’Asie. L’Asie investit considérablement en énergie renouvelable, mais entre-temps, les pays de cette région auront besoin d’obtenir du pétrole et du gaz de quelque part. Ils préféreraient de beaucoup l’obtenir du Canada plutôt que du Golfe persique. Les pays asiatiques comprennent très bien notre situation : nous avons des actifs non performants qui valent très peu à moins qu’ils n’atteignent les marchés, ce qui aujourd’hui signifie de plus en plus l’Asie et non les États-Unis. Du point de vue des pays asiatiques, le besoin qu’ils ont d’avoir une source sûre d’approvisionnement énergétique correspond parfaitement au besoin que nous éprouvons d’avoir une demande sûre pour nos produits. Ils voient ceci comme l’union par excellence, et ils ne comprennent pas pourquoi nous avons tant de mal à la rendre possible. Si en fait nous sommes incapables de transformer en réalité le commerce transpacifique de l’énergie, nos amis asiatiques vont naturellement se demander : « Qu’êtes-vous alors capables de faire? » Et ce problème, à son tour, se répercutera sur l’ensemble des relations entre le Canada et l’Asie. 141 Armine Yalnizyan → Armine Yalnizyan, économiste principale au Centre canadien des politiques alternatives, interviewée le 11 septembre 2014 par Monica Pohlmann sur LES POLITIQUES vouées à l’échec : Comment décrivezvous l’état de notre démocratie? « Nous sommes en train de devenir une corporatocratie, un État qui protège d’abord et avant tout les intérêts des grosses entreprises. » POHLMANN YALNIZYAN Qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit? La façon dont nos points de vue changent vis-à-vis de l’immigration au Canada. Au cours des décennies à venir, les états nations se feront concurrence pour attirer du monde et non seulement des capitaux. Le vieillissement de la population a lieu dans toutes les nations avancées du monde industrialisé. Sans nouveaux venus, la population active canadienne se mettrait à diminuer dans un an ou deux. Une tendance troublante est apparue au Canada. Maintenant, la politique publique favorise une hausse dans le nombre de travailleurs temporaires par rapport au nombre d’immigrants économiques permanents. Lorsque les entreprises disent qu’elles font face à une pénurie de personnel compétent, la solution est trop souvent de faire venir un travailleur étranger sur une base temporaire pour régler une pénurie qui, dans bien des cas, n’est pas temporaire. Ces travailleurs sont liés à leur employeur et peuvent se faire déporter s’ils osent se plaindre de quoi que ce soit. Le problème survient à cause du point de vue répandu selon lequel les salaires bas et les impôts bas sont « bons pour les affaires ». Ce qui peut être bon pour un individu peut être une voie sans issue pour la société et pour l’économie dans son ensemble. Les salaires et les impôts ne de nos poches pour réparer nos maisons ou nos voitures endommagées par une infrastructure en mauvais état. Certaines collectivités ont décidé d’agir et investis- sent dans des soins dentaires préventifs pour tous les enfants d’âge scolaire, en vue d’améliorer la santé et de réduire les coûts futurs Nous avons des rapports houleux avec nos institutions démocratiques. Nous devons nous débarrasser de l’idée que le gouvernement est quelque chose d’autre ou quelqu’un d’autre. Le gouvernement, c’est nous. L’idée que les gouvernements sont en grande partie inutiles, qu’ils vont probablement gâcher les choses plutôt que les régler, est précisément ce que les entreprises veulent nous faire croire. Elles sont ainsi plus libres de se servir de l’immense pouvoir de l’État à leur avantage. d’affaires qui rédigent les lois, exercent des pressions politiques, utilisent les fonds des campagnes pour façonner la sphère publique : quelle est sa taille, que fait-elle, qui sert-elle. Ceci est l’épreuve la plus importante à laquelle la démocratie fait face aujourd’hui. Nous sommes en train de devenir une corporatocratie, un état qui protège les intérêts des grosses entreprises d’abord et avant tout. Ce sont des groupes de gens sont jamais assez bas pour les commerçants. Leur travail consiste à maximiser leurs profits. Mais la poussée constante vers des salaires et des impôts plus bas affaiblit la puissance économique d’un pays. Le message destiné aux travailleurs est de « s’attendre à moins », même lorsque les entreprises croissent et que les profits augmentent. L’idée que la main-d’œuvre n’est qu’un coût parmi d’autres, plutôt que l’élément essentiel du rendement, est un non-sens destructif. On élimine les emplois de la classe moyenne et on les remplace par plus d’emplois à salaires modiques, et par quelques emplois mieux rémunérés. Les salaires de la majorité des gens n’augmentent pas au même rythme que les coûts et le niveau de leurs épargnes baisse. De plus en plus de Canadiens n’auraient pas assez d’argent pour arriver à la fin du mois s’ils perdaient leur chèque de paye. Nous rendons hommage à une classe moyenne abondante et résistante comme indice d’une économie florissante partout dans le monde, tandis que notre propre classe moyenne est assaillie par des compressions de toutes parts et, chose ironique, on dit que c’est dans l’intérêt de la croissance économique. Qu’est-ce qui vous anime au sujet du Canada? Le monde des affaires constitue la force la plus puissante de la société en ce moment. Étant donné ce que je viens de dire, ceci peut paraître étrange, mais je crois qu’avec de solides institutions démocratiques en place, cette puissance pourrait être utilisée pour créer un monde meilleur. Nous sommes à la veille d’une explosion de changements technologiques : de l’intelligence artificielle au biomimétisme aux merveil- Quelles décisions importantes devonsnous prendre? L’extraction et l’exportation des ressources est un plan de croissance qui est tellement du dix-neuvième siècle, tout comme le sont la répartition des bénéfices et le calcul des coûts. Nous avons besoin d’un plan différent. Non pas un Plan B, parce qu’il n’y a pas de Planète B. LE PLAN DEVENIR UNE SUPERPUISSANCE ÉNERGÉ- 142 Les gens sont devenus plus conscients du fait que les coupures d’impôts ne sont pas la solution à tous les maux. Dans le contexte public, le monde commence à reconnaître que ce à quoi nous nous heurtons est moins un problème lié aux dépenses qu’un problème lié au revenu. Les ponts s’écroulent, et les égouts et tuyaux construits il y a un siècle ont maintenant besoin d’être réparés. Nous nageons dans l’argent facile, mais pour une raison étrange, nous n’avons pas d’argent pour ces choses essentielles. Pendant ce temps, nous dépensons des tas d’argent leuses percées médicales à Internet reliant les choses. Le Canada pourrait être à l’avantgarde de l’application pratique de ces innovations. Il faudrait d’abord rassembler tous les joueurs afin de pouvoir utiliser le maximum d’ingéniosité qui se trouve dans notre population, et ensuite, bâtir à même leur capacité de transformer les bonnes idées en actions concrètes. « Nous avons des rapports houleux avec nos institutions démocratiques. » A DU CANADA DEVRAIT NOUS AIDER À Entrevoyez-vous des changements positifs? Il existe un début de résistance, un éveil qui a commencé avec le mouvement « Occupy ». Cela n’a pas encore donné beaucoup de résultats, mais je ne pense pas que la résistance va cesser. Il y a des centaines d’années, le public a décidé de séparer l’église de l’État. Maintenant, nous cherchons les moyens de séparer les entreprises de l’État. TIQUE DU VINGT-ET-UNIÈME SIÈCLE, EN CONSTRUISANT LES MAISONS ET LES MOY- ENS DE TRANSPORT LES PLUS ÉCOÉNERGÉTIQUES DU MONDE. Nous vivons dans un climat froid et devons parcourir de longues distances. Nous devrions être des chefs de file mondiaux dans la maximisation de l’efficacité énergétique, quelle qu’en soit la source. Plutôt que penser à Énergie Est, pensons à l’énergie moindre. Le changement climatique force toutes les sociétés à affronter ce défi. Aucune nation ne peut réussir sur une planète qui échoue. 143 PARTENAIRES ET PERSONNEL DU PROJET Organisations partenaires Les Fondations Communautaires Canadiennes La George Cedric Metcalf Charitable Foundation The Globe and Mail imagiNation 150 La Fondation de la Famille J.W. McConnell La Fondation Lucie et André Chagnon Maytree La Mindset Social Innovation Foundation Reos Partners La Fondation Rideau Hall Tides Canada Personnel du projet Adam Kahane, Directeur Mitch Anthony, Communications Brenna Atnikov, Intervieweuse Danielle Choquette, Traductrice Aaron Haesaert, Concepteur Janice Molloy, Rédactrice Elizabeth Pinnington, Intervieweuse Monica Pohlmann, Intervieweuse Manuela Restrepo, Transcriptrice Maureen Sullivan, Communications Publié par: Canadas Possibles 925 Boul de Maisonneuve Ouest #212, Montréal, Québec H3A 0A5, Canada ISBN 978-0-9940562-0-7 144 POSSIBLECANADAS.CA
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