Qu`est-ce qui vous anime?

8
Canadas
Possibles
Adam Kahane, Éditeur
PERSPECTIVES SUR NOS
PASSÉS, NOS PRÉSENTS
ET NOS AVENIRS
52
PERSPECTIVES SUR NOS PASSÉS, NOS PRÉSENTS, ET NOS AVENIRS
« J ’adore cette image qui,
je crois comprendre, est
traditionnelle dans la
vision du monde qu’ont
les Premières Nations :
Canadas
Possibles
- Michael Green
1957-2015
Ensemble, nous formons tous un
cercle. Au centre de ce cercle se
trouve un arbre et chacun a un
point de vue différent de cet
arbre. L’un dira : « Voilà des
fruits qui mûrissent. » Un autre
dira : « Cet arbre est malade. »
Un troisième dira : « C’est là
qu’il a été frappé par la foudre. »
Et ce sont toutes ces choses à la
fois! Si je ne reconnais pas les
signes de la maladie en question,
j’ai besoin d’une personne qui
puisse me les apprendre. Je ne
peux pas fonctionner sans cette
intelligence ou alors, je ne serai
qu’à demi renseigné. »
1
TABLE DES MATIÈRES
Avant-propos : Comment Créer un Bel Avenir pour les Canadiens?
Introduction : Une Pluralité de Canadas
PARTIE 1 : HUIT LENTILLES
Lentille 1 : Q
u’est-ce qui vous anime au sujet de ce qui se passe?
6
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12
La détermination des jeunes d’aujourd’hui
La créativité dans nos villes
Notre façon de faire fonctionner la diversité
Lentille 2 : Q
u’avons-nous hérité de notre passé?
14
16
« Avec toute notre créativité, nos gens intelligents et nos vaillants travailleurs,
pourquoi n’avons-nous pas mieux réussi? »
« Le pétrole a un effet corrosif sur nos pipelines tout comme il a des retombées sur notre démocratie. »
40
42
« Malheureusement, nous avons adopté le point de vue selon lequel les traités
étaient tout simplement des transactions immobilières. »
« Le Canada devrait renoncer à l’idée d’une seule interprétation ou d’une histoire officielle. »
Pat Carney sur les défis causés par la migration :
20
« Nous avons survécu à des pressions qui ont brisé le cœur de bien d’autres pays. »
Jean Charest sur la tolérance :
« Il y a des démagogues qui cherchent à cultiver le manque de sécurité et à diaboliser certains groupes. »
Michael Chong sur la réforme parlementaire :
« Les mécanismes de contrôle du pouvoir au parlement et dans notre système électoral se sont affaiblis. »
Zita Cobb sur l’appréciation de nos petites communautés :
« La nature et la culture sont les deux grands vêtements de la vie humaine. »
Brian Crowley sur les institutions dont nous avons hérité :
« Vous ne pouvez penser que le Canada est un mauvais endroit où vivre si vous n’avez jamais habité ailleurs. »
Nadia Duguay sur un Canada pour tous :
Lentille 6 : Si les choses tournaient bien, que se serait-il passé?28
Nous serions devenus plus ambitieux
Nous aurions transformé notre économie
Nous aurions rétabli nos liens entre nous et avec notre terre
« La conscientisation élargie des citoyens aux enjeux sociaux me nourrit chaque jour. »
Zahra Ebrahim sur le façonnement d’un avenir meilleur :
« Je m’inquiète du fait que nous pourrions rester embourbés dans un tourbillon d’indécision. »
David Emerson sur la transformation du leadership :
32
Comment utiliser prudemment nos ressources naturelles
Le rôle que nous devons jouer dans le monde
Comment augmenter notre capacité de risquer et d’innover
Lentille 8 : Que nous faudrait-il pour réussir à créer un bon avenir?36
44
46
John Borrows sur les traditions juridiques des peuples autochtones :
Simon Brault sur l’art de nous réinventer nous-mêmes :
Nous n’aurions pas reconnu et ne nous serions pas adaptés à un monde changeant
Nos systèmes d’éducation et de santé auraient échoué
Nous n’aurions pas investi là où il fallait
Notre société se serait effondrée
2
« Les endroits que je trouve les plus inspirants et énergisants sont ceux où il y a des jeunes. »
Tzeporah Berman sur la résistance au changement climatique :
Lentille 5 : Si les choses tournaient mal, que se serait-il passé?24
Avoir le courage de reconnaître nos défis
Nous engager et agir en partenariat pour relever ces défis
« La réindigénisation signifie devenir responsables de l’endroit où nous vivons. »
Scott Baker, Jonathan Glencross, Humera Jabir, Chris Penrose,
and Amara Possian sur la communauté :
La complaisance : Ne pas nous rendre compte que nous courons des risques
La dépendance de notre économie à l’égard des ressources naturelles
Le défaut de développer et de retenir les talents
La détérioration de notre démocratie
L’affaiblissement de notre capacité d’agir collectivement
Lentille 7 : Quels choix importants devons-nous faire?
38
Jim Balsillie sur la commercialisation de nos idées :
Nous modifions imprudemment nos écosystèmes
Notre compétitivité internationale diminue
Notre culture se transforme
L’inégalité économique et politique s’accentue
Notre société se fragmente
Notre discours politique devient de plus en plus polarisé
Lentille 4 : À quels risques faisons-nous face?
Jeannette Armstrong sur le besoin de dépasser la compréhension colonialiste :
Une histoire et une mentalité coloniales
Des institutions publiques robustes
La capacité de collaborer
Lentille 3 : Comment notre situation change-t-elle?
PARTIE 2 : CINQUANTE-DEUX CONVERSATIONS
« Nous avons donné libre cours à une mentalité de ruée vers l’or. »
Suzanne Fortier sur une nation éclairée et bienveillante :
« Il y a un sens de solidité entourant le Canada. »
Roger Gibbins sur le besoin de décider où nous allons :
« Nous avons créé ce type de pays à force de volonté. »
Anne Golden sur la résistance des villes :
« Nous nous rendons compte que les yachts sont soulevés plus rapidement que les chaloupes. »
Danny Graham sur l’engagement des citoyens :
« J’ai tout à fait confiance en M. et Mme Tout-le-Monde. »
48
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3
TABLE DES MATIÈRES (CONT.)
Michael Green sur le récit de notre histoire :
« Il n’y a jamais eu de conciliation. »
Steven Guilbeault sur l’innovation verte :
« Nos municipalités sont des porteuses d’espoir. »
Alex Himelfarb sur l’affaiblissement de notre collectif :
« L’extrême inégalité est corrosive. »
Don Iveson sur le cycle en dents de scie :
« Il semble que nous évitons certaines conversations que nous devrions pourtant avoir. »
Mark Jaccard sur la croissance responsable :
« Nous vivons dans l’ère anthropocène et savons que nous influençons la planète. »
Gord Lambert sur l’innovation collaborative :
« Le changement climatique est un défi crucial. »
Kevin Lynch sur un changement de cap au niveau international :
« Le Canada prospère quand il comprend le monde qui l’entoure. »
Preston Manning sur la conciliation de l’économie avec l’environnement :
« Les Canadiens ont besoin d’une bonne dose de réalisme par rapport à l’économie. »
Elizabeth May sur notre dictature élue :
« Notre Constitution est fondée sur le principe que ceux qui détiennent le pouvoir n’en abuseront pas. »
76
78
« Nous avons trop tendance à nous en remettre aux autres,
en partie par souci de respect, mais aussi à cause d’une sorte de passivité. »
Tanzeel Merchant sur notre façon de vivre :
« Je vois se produire des bouleversements et de la colère. »
Farah Mohamed sur notre avantage concurrentiel :
« L’humilité est une qualité louable, mais pas si elle nous empêche d’avancer. »
80
82
« C’est très bien d’avoir des produits de base, mais ces ressources ne
seront certainement pas un moteur pour la croissance. »
Ratna Omidvar sur la croissance par la diversité :
« Le Canada possède l’ossature voulue pour démontrer comment devrait fonctionner la société de demain. »
Lili-Anna Pereša sur les choix difficiles à faire :
« Nous en avons assez d’entendre de mauvaises nouvelles et notre scepticisme est à un très haut niveau. »
« À peu près tout ce que nous faisons provient de ce moment colonial où nous
avons tenté de déterminer comment nous pouvions voler les terres. »
Angus Reid sur l’état de notre démocratie :
« Nous élisons un premier ministre qui a un pouvoir quasiment dictatorial. »
Michelle Rempel sur le pluralisme et l’innovation :
4
« Nous jouissons d’une abondante classe créative dans ce pays. »
« Le confort est notre pire ennemi. »
Art Sterritt sur les économies durables :
92
« Il est temps que les gens reprennent le contrôle de ce que nous faisons dans ce pays. »
« Chaque groupe d’intérêt particulier semble avoir maintenant la capacité
de freiner la réalisation de projets de développement économique majeurs. »
Peter Tertzakian sur notre importante industrie énergétique :
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« Les décisions sont prises par un petit groupe de privilégiés
qui protègent leur propre position et leur propre pouvoir. »
130
« Pourquoi ne pouvons-nous pas être le pays qui exploite les
combustibles fossiles et les minéraux d’une façon plus responsable? »
« Les débats sont devenus polarisés et institutionnels plutôt qu’engagés et personnels. »
132
134
Sheila Watt-Cloutier sur le droit au froid :
« Les compagnies de développement des ressources sont ni plus ni
moins comme l’étaient les missionnaires et marchands de fourrures. »
136
Joseph Wilson sur l’apprentissage :
« Quand on se trouve à New York ou à Silicon Valley ou à Londres, on s’aperçoit
que les gens envient ce que nous réalisons dans le domaine de l’éducation. »
138
Yuen Pau Woo sur nos rapports avec l’Asie :
« Nous ne tenons pas compte du fait que la Chine a sauvé le Canada d’une
récession qui aurait pu être bien plus désastreuse que prévu. »
140
Armine Yalnizyan sur les politiques vouées à l’échec :
110
« Les gens qui passent le plus de temps à dire du mal des Canadiens sont les Canadiens eux-mêmes. »
Tamara Vrooman sur la démocratie économique :
108
118
Annette Verschuren sur l’innovation économique :
106
116
Michel Venne sur la participation :
96
98
114
Catherine Swift sur ce qu’il faut au monde des affaires :
Sherene Razack sur les legs de nos colons :
« Le Canada a cultivé une sorte d’intention civique pour que la diversité fonctionne. »
Janice Gross Stein sur la suffisance :
90
« Le processus est extrêmement motivant. »
Khalil Shariff sur la vertu du pluralisme :
88
« Lorsque les gens arrivent ici, ils sont toujours étonnés par notre
culture de collaboration et de “coopérativité”. »
Gabrielle Scrimshaw sur les leçons de notre passé :
86
« Les sociétés tendent à stagner lorsque les forces qui résistent au changement deviennent implantées. »
112
Janet Rossant sur la création d’un Centre de créativité :
84
« Les Canadiens doivent inclure les autochtones dans les institutions
canadiennes selon les conditions établies par les autochtones. »
Bill Robson sur le capital humain :
Gordon Nixon sur nos forces et nos faiblesses :
L. Jacques Ménard sur l’acquittement de nos responsabilités :
Jean-Paul Restoule sur l’établissement des relations :
« Nous sommes en train de devenir une corporatocratie, un État qui protège
d’abord et avant tout les intérêts des grosses entreprises. »
142
5
Comment
→
Stephen Huddart, Président et Directeur Général,
La Fondation de la Famille J. W. McConnell
AVANT-PROPOS
Créer un
Bel Avenir pour les
CANADIENS?
« Le passé nous divise, mais l’avenir est un
espace où nous pouvons réfléchir et rêver
ensemble. Canadas Possibles a créé un véhicule
pour colliger ces entrevues; l’organisme Les
fondations communautaires du Canada est fier
d’en faire partie. » — Ian Bird, président, Les
fondations communautaires du Canada
« L’écoute des voix authentiques de la collectivité est le fondement même du travail de
Maytree. Canadas Possibles a engagé la conversation avec les Canadiens des différentes communautés. Ce projet a la capacité d’entendre
une foule de voix, créant ainsi des narrations
imbriquées les unes dans les autres dans tout le
pays durant des années à venir. »
— Alan Broadbent, président de Maytree
« Il est plutôt rare que l’on prenne le temps de
penser, de réfléchir et de partager nos façons
d’envisager l’avenir du Canada. Cette occasion
procure l’espace nécessaire pour relever le défi
et contribuer à créer un Canada énergique,
égalitaire et équitable. »
— Jean-Marc Chouinard, vice-président,
stratégies et partenariats, La fondation Lucie
et André Chagnon
« Le Globe s’est impliqué dans ce projet en
fournissant aux décideurs une vaste plateforme leur permettant d’articuler certains
défis canadiens à relever dans les prochaines
décennies et en procurant à l’auditoire la
possibilité de faire progresser les entrevues
6
En quoi consiste le Canada?
Que deviendra-t-il?
Alors que nous nous préparons à célébrer le 150e anniversaire de notre nation en 2017, force est de constater que cette
confédération constitue l’une des grandes collaborations sur
le plan politique dans le monde. Toutefois, et pour beaucoup
d’autochtones, le climat ne semble pas si favorable à la collaboration et ces célébrations ne sont peut-être pas aussi
justifiées qu’on voudrait bien le croire. Le Canada a déjà été
une région où vivaient des tribus; il a ensuite formé une colonie, puis constitué un pays. En tant que nation, le Canada
s’est bâti une réputation enviable, celle d’un pays bâtisseur
d’avenirs florissants, particulièrement doué dans la résolution de problèmes et ouvert à l’immigration... d’une foule de
manières, un grand pays exemplaire sur notre petite planète.
Récemment, nous sommes aussi devenus un pays qui ravive
un pan de son histoire et qui travaille maintenant à la réconciliation entre autochtones et non-autochtones.
D’ici 2017, nous serons 38 millions de Canadiens. Au seuil de
cet anniversaire d’importance, il revient à nous tous d’évaluer
notre situation actuelle, d’examiner notre parcours et de
réfléchir sur nos objectifs. Les gouvernements et le secteur
privé ont sans doute de précieuses contributions à apporter.
Cependant, ils ne sont pas les seuls responsables de notre
avenir et pour le façonner, nous avons besoin de l’implication
du secteur communautaire.
Proportionnellement à la taille de notre économie, le secteur
communautaire du Canada est l’un des plus imposants dans
le monde. Nous sommes engagés à bâtir un pays innovateur,
humain, inclusif et durable. Nous recherchons la justice et la
réconciliation. Nous sommes aussi un partenaire essentiel en
matière d’avancement du discours public, de la mise en relief
de vérités dérangeantes et de la prise de risques calculés provoquant des améliorations au statu quo.
La fondation de la famille J. W. McConnell est fière de manifester son engagement en devenant partenaire fondatrice
de Canadas Possibles, un projet qui étudie à fond le passé,
le présent et l’avenir du pays. Les fondations communautaires du Canada, La fondation Rideau Hall, La fondation de
l’innovation sociale Mindset, La fondation George Cedric
Metcalf, La fondation Maytree, La fondation Tides Canada,
La fondation Lucie et André Chagnon et imagiNation 150 ont,
quant à elles, formé une coalition qui endosse nos convictions face à ce projet d’envergure.
Cette démarche a été entreprise par Adam Kahane et ses collègues aux bureaux canadiens de Reos Partners, une entreprise sociale internationale qui aide les gens à aller de l’avant
ensemble et qui s’engage à répondre à leurs questions difficiles et importantes.
Nous tenons à remercier les Canadiens perspicaces qui ont
accepté d’être interviewés afin de réaliser ce sondage initial
— mais en aucun cas définitif — sur ce que le Canada pourrait et devrait devenir. Leurs perspectives diverses, à la fois
modérées et dynamiques, ont donné le coup d’envoi au dialogue. Nous sommes aussi reconnaissants envers The Globe
and Mail, qui nous a donné un appui appréciable en publiant
une série d’extraits d’entrevues échelonnée sur six semaines.
Notre but consiste aujourd’hui à stimuler continuellement le
dialogue entre les Canadiens qui se préoccupent des 150 prochaines années de leur pays, « notre chez-soi » à nous tous.
Nous vous invitons à lire ces entrevues, à y réfléchir et à en
discuter entre vous. Nous vous invitons aussi à consulter le
site Web du projet au www.possiblecanadas.ca et à partager
vos réflexions et énergies afin de créer un avenir favorable à
tous les Canadiens.
proposées par Canadas Possibles. » — Gabe
Gonda, chef de la section Features and
Weekend, The Globe and Mail
Il semble y avoir un fossé inquiétant entre
«
le potentiel vigoureux, imaginatif et illimité
de notre pays et la portée, l’ambition tronquées des entrevues accordées à l’échelle
nationale. Canadas Possibles cherche à
ranimer un engagement nécessaire et en
retard dans notre avenir collectif. » — Sandy
Houston, présidente et directrice générale,
Fondation Metcalf
« Une des joies de cette expérience menant
à 2017 — et aussi, une des sources d’espoir
— est le partenariat avec Canadas Possibles.
Chez imagiNation 150, nous favorisons les
entrevues réfléchies et inclusives au sujet de
l’avenir du Canada afin de stimuler les nouvelles relations et de provoquer les actions
assurant la prospérité d’une nation. Les entretiens de ce livre inciteront les Canadiens
à instaurer le dialogue d’un océan à l’autre. »
— Colin Jackson, président, imagiNation 150
« Nous sommes convaincus que tous les Canadiens devraient avoir l’occasion de participer
à la mise en application des priorités courantes et futures de notre nation. Canadas Possibles dévoile des réflexions enrichissantes
pouvant provenir de la création des différentes perspectives, desquelles, nous l’espérons,
naîtront d’autres entrevues et collaborations
créatives. » — Alison Lawton, fondatrice et
présidente du conseil d’administration, Fondation de l’innovation sociale Mindset
« La fondation Tides Canada est persuadée que Canadas Possibles a la capacité de
ranimer un dialogue national au sujet du
Canada que nous voulons. Ces entrevues
procurent une fondation solide permettant
à la diversité des Canadiens de se refléter sur
leur pays et un potentiel énorme pour notre
avenir partagé. » — Ross McMillan, président et directeur général, Tides Canada
« Alors que nous approchons du 150e anniversaire du Canada, Canadas Possibles offre une
manière sérieuse d’analyser les 100 dernières
années du pays et de réfléchir au type de
Canada dans lequel nous aimerions vivre dans
les 100 prochaines années. En tant que fondation canadienne, nous croyons qu’il existe un
potentiel formidable, soit celui d’agir comme
catalyseur et d’appuyer le leadership et l’action
s’articulant autour un avenir prometteur pour
la collectivité. » — Vinod Rajasekaran, administrateur délégué, La fondation Rideau Hall
7
Une
→
Par Adam Kahane, Directeur, Reos Partners
INTRODUCTION
Pluralité
de
CANADAS
Quelqu’un m’a dit une fois que, pour un
individu, l’humilité était la plus grande
vertu. Quelle serait la plus grande vertu
pour une société — la vertu d’où naissent
toutes les autres vertus et capacités? Je
me demande si la capacité pour le pluralisme ne serait pas la source d’où naissent
toutes les autres. — Shariff
L e Canada devrait renoncer à l’idée d’une
seule interprétation ou d’une histoire
officielle. Il nous faut maintenir bien
vivante une discussion démocratique et
ouverte sur notre façon de voir le passé et
d’entrevoir l’avenir. — Brault
J’aime le fait que souvent, nous ne savons
pas qui nous sommes, parce que personne ne s’attend à ce que nous soyons
obligés de souscrire à quelque chose. Ceci
pourrait être un point faible ou un point
fort, dépendant de la forme que nous lui
donnons. Pour ma part, j’ai toujours vu cet
espace libre comme une occasion pour
moi de participer au récit de ce pays.
8
52
L’année 2017, 150e anniversaire de la
fondation du Canada, offre aux
Canadiens l’occasion de réfléchir sur le
lieu d’où nous venons, qui nous sommes
aujourd’hui, et où nous pourrions aller.
Afin de contribuer à cette réflexion, Reos Partners et la
Fondation de la famille J. W. McConnell, appuyés par
une coalition d’organismes philanthropiques et communautaires de toutes les régions du pays, ont créé un
projet intitulé Canadas Possibles. La première activité
de ce projet était simple : inviter cinquante personnes
à nous faire part de leurs réflexions sur ce qu’il faudrait
pour que les Canadiens réussissent à se créer un bon
avenir. Ce livre rapporte ce que nous avons entendu.
— Merchant
Nous voulions entendre ce qu’avaient à dire des
Canadiens perspicaces possédant un grand choix
d’expériences et de perspectives, et venant de divers
secteurs de la société civile, du monde des affaires
et du milieu gouvernemental. Nous avons consulté
8
nos collègues pour obtenir des suggestions quant aux personnes que nous pouvions interviewer, et comme résultat,
nous avons regroupé cinquante-deux conversations avec
cinquante-six personnes (un des entretiens comprenant cinq
jeunes activistes) qui constituent la base de ce volume.
Notre objectif pour ces entretiens était de voir le Canada
selon la perspective de chacune des personnes interviewées.
Nous leur avons donc posé des questions ouvertes, conçues
pour inciter chacune à révéler ce qu’il ou elle pensait être
l’aspect le plus significatif de la situation canadienne.
Questions Que
Nous Avons Posées:
1D’un point de vue personnel,
qu’est-ce qui vous a mené à
ce que vous faites maintenant
et aux perspectives que vous
tenez?
2Quand vous regardez la situation actuelle au Canada, que
voyez-vous? Qu’est-ce qui vous
préoccupe? Qu’est-ce qui vous
Chaque entretien a duré entre une et trois heures (la plupart en personne, quelques-uns au téléphone; nous avons
transcrit un enregistrement de chaque conversation; nous
en avons rédigé la transcription, puis nous avons demandé à
chaque personne de relire son entrevue, puis si elle le désirait, de la réviser. (Nous assumons la responsabilité de toute
décision définitive ou erreur de rédaction.) Le résultat de
ce simple groupe d’entretiens nous a à la fois surpris et touchés. Presque chaque personne, que nous avons approchée,
était intéressée à parler du Canada à l’âge de cent cinquante
ans. Au fur et à mesure que nous nous engagions dans ces
conversations, puis en préparant les transcriptions — avec
respect, avec diligence, réservant nos propres opinions et
jugements — notre appréciation de chaque interviewé, ainsi
que de ses points de vue uniques et réfléchis, ne cessait de
croître. En outre, notre appréciation du Canada, de ses défis
et de ses possibilités ne cessait de croître aussi. Cette expérience a réaffirmé pour nous la puissance avec laquelle un
dialogue empathique peut créer de la perspicacité, inciter le
rapprochement et l’engagement. DANS CE LIVRE DONC,
CINQUANTE-SIX INDIVIDUS NOUS OFFRENT LEURS
PERSPECTIVES SUR LE CANADA. LA PREMIÈRE PARTIE DU LIVRE PRÉSENTE CES PERSPECTIVES PAR
L’ENTREMISE DE HUIT LENTILLES CHEVAUCHANTES; LA DEUXIÈME PARTIE LES PRÉSENTE DANS
DE LONGS EXTRAITS DE CHAQUE CONVERSATION.
L’image qui en découle n’est ni évidente ni simple : elle est
richement complexe, parfois contradictoire, même déconcertante. Pour en arriver à votre propre compréhension de cette
image, nous vous proposons de lire le texte au complet, lentement et à plusieurs reprises. Nous offrons avec hésitation une
seule opinion qui nous est propre : qu’un tel pluralisme intentionnel puisse être en partie le meilleur aspect de ce qu’est le
Canada, et de ce qu’il faudrait pour que les Canadiens réussissent à se créer un bon avenir.
encourage?
3Si vous pouviez poser trois
questions à un voyant à propos
de l’avenir du Canada, qu’estce que vous aimeriez savoir?
4Si les choses allaient mal au
Canada pendant les prochaines
20 années, qu’est-ce qui se
passerait? Quel serait le récit de
ces difficultés?
5Si les choses allaient bien au
Canada pendant les prochaines
20 années, qu’est-ce qui se
passerait? Quel serait le récit de
ces succès?
6Quels sont des exemples où le
Canada a subi des échecs face
à ses défis ou dans la réalisation de son potentiel - quand
les choses se sont mal passées?
Dans ces exemples, qu’est-ce
qui a causé l’échec?
7Quels sont des exemples où
le Canada a connu des succès
face à ses défis ou dans la réalisation de son potentiel - quand
les choses se sont bien passées?
Dans ces exemples, qu’est-ce
qui a causé le succès?
8Quelles sont les leçons importantes du passé?
9Quelles sont les décisions
importantes qui s’en viennent
pour le Canada? Quels seront
les choix à faire lors des prochaines croisées des chemins?
10Quel est l’héritage que
vous souhaiteriez laisser?
Qu’aimeriez-vous retrouver
dans votre épitaphe?
9
Partie 1 :
8 LENTILLES
10
11
1 Qu’est-ce
LENTILLE 1
qui vous
anime au
sujet de ce
qui se passe?
La détermination des
jeunes d’aujourd’hui
Nos jeunes. Ce n’est pas à la mode de
défendre les adolescents, mais ils me
remplissent d’espoir. Les jeunes ont
l’esprit créateur, subversif et tenace,
et ils n’ont peur de rien. Nous pouvons
apprendre par leur exemple comment
nous mettre en colère plutôt que d’être
complaisants face à l’injustice.
— Wilson
12
Les endroits que je trouve les plus inspirants
et énergisants sont ceux où il y a des jeunes qui
discutent entre eux de ce à quoi pourrait ressembler l’avenir. Mais nous ne sommes pas les
détenteurs du pouvoir. Le système politique —
où se trouve le pouvoir décisionnel officiel — est
comme une barrière. C’est quelque chose qui
favorise le désengagement. — Possian
Les jeunes! J’ai passé ma vie à travailler avec des
jeunes, et cette génération-ci est la plus aventureuse, la plus lucide et la plus intransigeante
de toutes celles que j’ai connues. Ils dépendent
d’eux-mêmes, ils sont déterminés à acquérir
les meilleures compétences, ils ont un point de
vue mondial et ils n’ont pas peur du risque. Ils
ont assez de capacité et de confiance pour se
sortir des grandes institutions encombrantes.
— Stein
Lorsque je voyage d’un bout à l’autre du
Canada, j’entends beaucoup de jeunes
autochtones dire: « Je suis un militant »
ou « Je veux étudier le droit parce que je
veux aider nos communautés. » Comme
nos jeunes de dix-sept ans se battent pour
défendre ce qu’ils croient être juste, notre
collectivité est entre de très bonnes mains.
Chez les autochtones, notre génération est
considérée par certains comme étant le
huitième feu, c’est-à-dire la génération qui
va tout changer. J’ai la chair de poule quand
j’y pense, parce que je le crois. Je peux déjà
voir les courants qui commencent à bouger.
— Scrimshaw
La créativité dans nos villes
J’aime ce que nous avons réalisé dans
la partie urbaine du Canada; malgré les
énormes défis que les villes représentent,
nous avons réussi à créer des milieux
urbains qui sont assez sécuritaires, intéressants et énergiques. — Gibbins
Je suis vraiment contente de vivre à Toronto. Cette ville est à cinquante pour cent
non blanche et aucun groupe n’est dominant. C’est une combinaison incroyable
d’histoires et de politiques. S’il y a quelque
chose qui a la moindre chance de faire
éclater notre lamentable histoire coloniale, c’est bien cet extraordinaire mélange
de personnes réunies dans un seul espace
physique. Ici, personne ne supportera
l’oppression aussi facilement qu’ailleurs.
Ici, personne n’acceptera d’être exclu.
— Razack
Nos municipalités sont des porteuses
d’espoir. À Montréal, nous avons battu un
record de cinquante ans en utilisation du
transport en commun, parce que nous
avons investi dans l’infrastructure des
transports. La ceinture verte en périphérie
de Toronto est perçue par bien des gens
comme un modèle en Amérique du Nord.
Vancouver est probablement l’un des dix
meilleurs exemples dans le monde de ce
qui doit être fait au niveau municipal par
rapport à la durabilité. Dans chacun de ces
endroits, ce n’est pas juste une histoire
d’argent, mais c’est aussi un changement de
mentalité. Nous considérons ce défi comme
une occasion de mieux faire ce que nous
faisons, d’être plus résistants, plus
efficaces. — Guilbeault
u cours des vingt dernières anA
nées, chaque quartier de Montréal a
organisé une table ronde multidisciplinaire à laquelle participent des gens
d’organisations communautaires,
d’agences locales, de la ville, de la police,
des services de santé, des écoles et ainsi de
suite pour se parler et travailler ensemble.
Auparavant, seules les agences mobilisaient les citoyens. — Pereša
Somme toute, le Canada est une région
très diversifiée qui bénéficie d’une société
hétérogène. Cela contribue de façon considérable à notre force et à notre capacité
de voir les choses différemment et de
forger un avenir différent. À Vancouver,
soixante-quinze pour cent des jeunes
de dix-sept ans et moins ont un parent
qui ne vient pas de ce pays. Ceci entraîne
un énorme sens de renouvellement,
d’énergie, de tolérance et de créativité visà-vis de ce qui est possible. — Vrooman
Nous sommes un pays multiculturel qui
accepte et accueille des gens de tous les
coins du globe. Les gens viennent ici pour
bien des raisons différentes et ce mélange
de compétences et de points de vue nous
offre des occasions exceptionnelles. Nous
avons des centres urbains dynamiques qui
continuent de croître. Quand on incite les
gens à vivre rapprochés les uns des autres
et quand on fournit la bonne infrastructure, on peut entraîner des interactions
qui mènent à de nouvelles idées et à des
inventions. — Rossant
Notre façon de faire
fonctionner la diversité
Nous avons créé un climat de tranquillité
politique dans le pays qui peut être étouffant de certaines façons, mais qui nous
a aussi apporté beaucoup de réconfort
intérieur. Nous nous sommes raisonnablement bien débrouillés pour transformer
ce pays complexe en une société remarquablement inclusive et diversifiée.
— Gibbins
’est un moment propice pour nous d’être
C
Canadiens. Notre marque est forte et bien
appréciée dans le monde. Nous sommes
une fédération, et donc nous avons appris comment évoluer dans une société
fonctionnant avec une grande diversité au
niveau des régions, de la culture et de la
géographie. Dans ce sens, nous pouvons offrir de nombreuses idées à d’autres pays qui
veulent savoir comment gouverner dans ce
monde extrêmement diversifié et constamment en changement. — Reid
Ce qui me frappe le plus est la fierté que
nous ressentons à l’égard du pluralisme
canadien. Comme pays, nous avons un
ensemble de valeurs, dont l’égalité des
chances, les libertés individuelles accompagnées d’un sens de responsabilité,
et la possibilité de conserver nos identités
culturelles et religieuses. Ayant à faire face
à des questions telles que la sécurité énergétique et l’extrémisme religieux, notre
capacité d’avoir une identité nationale,
tout en étant une nation composée de cultures diverses, deviendra de plus en plus
importante. — Rempel
ous devons aussi continuer de donner
N
suffisamment d’espace pour permettre
à plusieurs collectivités canadiennes de
coexister. C’est là quelque chose que
nous avons plutôt bien réussi à faire, nous
avons pu accommoder toute une gamme
d’interprétations et de perspectives. Des
personnes de cultures différentes viennent s’établir ici et confèrent au pays son
caractère distinctif. Nous commençons à
voir que ceci forme une partie intégrante
de notre richesse en tant que pays et que
certaines des occasions d’affaires qui se
présentent nous viennent du fait que nous
ne sommes pas définis par un seul rôle.
— Fortier
Dans tous les coins de cette province, on
trouve des gens appartenant aux Premières
Nations qui luttent pour conserver les écosystèmes et pour mettre en place des économies durables à partir de ces écosystèmes.
Nous avons créé des partenariats avec tout
le monde à l’intérieur de nos régions : entreprises, syndicats, municipalités, industries
telles que la pêche sportive et l’exploitation
minière. Les non-autochtones locaux nous
apprécient, parce qu’ils comprennent qu’il
faut protéger l’endroit afin que l’air, l’eau et
la terre puissent continuer à nous soutenir
tous. — Sterritt
ans leurs annonces publicitaires, les comD
pagnies pétrolières disent que les oléoducs
sont des projets bâtisseurs de nations. Mais
ce que ces compagnies créent, c’est plutôt
une nation de résistance. Elles unissent les
gens de toutes origines et régions, et réveillent le monde au sujet des conséquences
de certaines politiques sur le climat et sur
la santé. Le meilleur antidote à la peur ou à
la dépression est l’engagement, et nous en
voyons en masse partout au pays.
— Berman
La composition diverse de notre pays constitue l’un de nos avantages concurrentiels.
Dans un univers de plus en plus mondialisé, c’est un avantage concurrentiel pour
n’importe quelle organisation ou n’importe
quel pays d’avoir une diversité d’opinions
autour de la table. Si les gens, qui sont là,
viennent tous de milieux semblables, on ne
peut pas vraiment comprendre ce qui se
passe à l’extérieur de la salle. Nous sommes
doués en ce qui a trait à la célébration de
la diversité; maintenant, il nous faut savoir
comment en tirer parti. — Mohamed
13
2
LENTILLE 2
Qu’avonsnous hérité de
notre passé?
Une histoire et une
mentalité coloniales
Ceci n’est pas le Canada : ceci est le territoire Syilx. Et ceci est le territoire Syilx
depuis au moins la période préglaciaire.
Nous devons apprendre que le projet colonial
qu’est le Canada n’est pas un projet viable, parce
qu’il n’est pas fondé sur un principe d’humanité
commune. Nous pourrions observer tous les
cas où la méchanceté et la répression évidentes
n’ont donné lieu à rien de bien, des moments où
le Canada a été tenté de se montrer extrêmement brutal envers les peuples autochtones. Si
ce principe définit notre pays, c’est alors quasiment assuré que nous ne pourrons pas aboutir
à quelque chose de bien. — Razack
— Armstrong
En 2014, la moitié des Canadiens ne savent toujours pas ce
qu’est un pensionnat autochtone. Si l’on ne sait pas ce que
c’est, on ne comprend pas ce que cela représente comme
héritage pour les autochtones. Si plus de gens comprenaient
comment le Canada a été colonisé, je crois que nous serions
un peu plus réticents à célébrer la fondation de notre pays.
En ce qui me concerne, pourquoi voudrais-je célébrer John
A. Macdonald quand je comprends comment il a colonisé
les hommes, femmes et enfants autochtones? Il a pris des
décisions qui ont mené au traitement abusif et à la mort de
milliers de personnes, mais ceci n’est pas généralement enseigné dans nos classes d’histoire. Si nous voulons honorer le
passé, je crois que nous devrions en tirer des leçons. Si nous
évitons le passé, nous ne faisons que nous cacher derrière
notre propre ignorance. — Scrimshaw
14
Des institutions publiques robustes
Notre plus grand atout est notre droit de vote et
notre liberté de contribuer au Parlement sans
dépenser des fortunes. Si l’on cherche à se faire
élire au Parlement et qu’on dépense plus que ce
que permettent les règlements, on aboutit en
prison avec son agent de campagne électorale.
Nous devons protéger la liberté d’accès au
système politique de toute personne n’ayant
pas été en prison… Selon les normes mondiales,
nous ne vivons pas dans une société oppressive.
Nous possédons la liberté individuelle et nous
avons la règle de droit accordée par le pouvoir
législatif, ce qui permet aux gens d’atteindre
leurs objectifs et de réaliser leurs ambitions.
Les Canadiens peuvent financer une idée et la
mettre en pratique, et ils peuvent mener la vie
qu’ils veulent. — Carney
Le Canada a de la chance comme pays. On
dit souvent que c’est parce que nous sommes richissimes en ressources naturelles,
mais cela ne peut pas expliquer l’entièreté
de notre succès comme société. Je
pourrais nommer cinquante pays dans le
monde qui possèdent de vastes richesses
en ressources naturelles, mais qui sont
néanmoins de véritables enfers où vous ne
voudriez jamais vivre. Donc, ce n’est pas
ce qui fait de nous une société formidable.
Nous sommes dotés d’une autre sorte de
richesse, beaucoup plus importante que
les ressources naturelles : les institutions et
les comportements dont nous avons hérité
des Britanniques au début et qui ont évolué
pour devenir les nôtres. Ceci inclut une
démocratie efficace, la primauté du droit,
des corps judiciaires et policiers non corrompus, un fardeau réglementaire et une
charge fiscale raisonnables, des services sociaux adéquats, une éthique de travail bien
pratiquée, l’application des contrats et le
respect de la propriété privée. — Crowley
Nous sommes reconnus dans le monde
entier pour notre système d’éducation.
L’enseignement public est une institution
respectée; nous payons nos enseignants
et enseignantes relativement bien; nous
avons un bon système d’examens de contrôle standardisés; et ici, l’écart en matière
d’égalité n’est pas énorme. Les Canadiens
accordent autant de valeur à leur système
d’éducation qu’à leur système de soins de
santé. Ceci engendre des pressions pour innover, autant dans le secteur privé que public. Toronto abrite ce qui est probablement
le plus important regroupement d’activités
innovatrices du monde en éducation. Nous
avons des universités de haute qualité ainsi
que des gens talentueux qui obtiennent
un diplôme de ces universités. Quand on
les livre à une situation problématique
comme celle de l’éducation, on obtient des
résultats vraiment intéressants. Prenez les
MOOC — les Massive Open Online Courses, ou cours ouverts offerts en ligne — qui
existent partout maintenant, mais qui ont
été inventés au Canada. Quand on se trouve
à New York ou à Silicon Valley ou à Londres,
les gens envient ce que nous faisons dans le
domaine de l’éducation. — Wilson
La capacité de collaborer
Nous sommes dans la 250e année du Traité
de Niagara. En 1764, deux mille autochtones
représentant vingt-quatre différentes nations ont rencontré le principal fonctionnaire en Amérique du Nord britannique, Sir
William Johnson, afin de conclure un traité
de paix, d’amitié et de respect. C’était après
la guerre de Sept Ans. D’une seule voix, ils
ont dit : « Voici à quoi ressemblera le Canada.
Nous aurions pu continuer à faire la guerre,
mais avons décidé contre. Nous avons opté
pour la persuasion, et non pour la force.
» À mon avis, il s’agit là d’une des fondations mêmes du Canada. Alors pourquoi
n’avons-nous pas célébré l’événement?
C’est que malheureusement, nous avons
adopté le point de vue selon lequel les traités
étaient tout simplement des transactions
immobilières. En adoptant ce point de vue,
nous avons perdu une partie de ce que nous
sommes à titre de nation. Nous n’avons pas
vu que notre nation est fondée sur des aspirations plus nobles. — Borrows
La plus importante décision politique
concernant la fondation du Canada a été
prise lorsque les Anglais se sont rendu
compte que ce serait sans espoir pour eux
de gouverner cette région de l’Amérique
du Nord sans pour autant reconnaître la
population française. Plus récemment,
les Francophones et les Anglophones ont
inclus les Premières Nations dans le partenariat. Chaque fois que nous nous sommes
écartés du chemin de l’inclusion, nous
avons eu des ennuis. Je pense que nous
comprenons que la diversité constitue un
atout pour nous. Nous préférons pécher
par excès de tolérance. C’est là quelque
chose de précieux. Pendant les élections
d’avril dernier, les Québécois ont choisi de
se distancer de ce qui fait ressortir la nature plus sombre de l’être humain. De par
leur histoire, ils comprennent qu’ils sont
une minorité, et que leur façon de traiter
les autres se reflétera sur la façon dont
les autres les traiteront. Ils ont aperçu le
précipice et ils s’en sont éloignés, en se disant : « Il y a quelque chose de travers ici, il y
a quelque chose qui ne va pas, et je refuse
d’aller dans cette voie. » — Charest
Selon notre tradition, nous travaillons ensemble, nous nous parlons de divers sujets
et nous sommes tolérants des différences
d’opinions. On ne voit plus cela beaucoup. Les débats sont devenus polarisés
et institutionnalisés plutôt qu’engagés et
personnels. Il n’y a plus d’occasions pour
les voix individuelles d’être cultivées et
encouragées. Je m’inquiète que dans notre
course pour bien faire les choses, pour être
compétitifs et efficaces, nous prenions des
décisions qui ne soient pas inclusives, qui
soient pour le court terme seulement, et
qui ne profitent pas des perspectives de
bien d’autres gens. Nous pouvons penser
que nous prenons une certaine décision,
que nous faisons avancer les choses, mais
à la fin, nous regretterons de ne pas avoir
inclus les diverses voix, parce que nous
n’aurons pas pris les meilleures décisions.
Et éventuellement, cette approche nous
ralentira et nous coûtera de l’argent, du
temps, du capital social et du capital na-
turel. Nous devons revenir à notre tradition
de nous engager, de consulter, de débattre,
d’écouter et de réfléchir. — Vrooman
Je suis animé par un nouveau modèle que
nous avons créé pour accélérer le rythme
de performance environnementale par le
biais de l’innovation et de la collaboration.
COSIA — Canada’s Oil Sands Innovation Alliance — en est l’exemple précis. Il
s’agit d’un réseau de treize entreprises qui
représentent plus de quatre-vingt-dix pour
cent de la production canadienne de sables
bitumineux, et qui compte quarante membres associés venant des universités, des
gouvernements et du secteur des affaires
en faveur de cette activité. — Lambert
La recherche scientifique sera à l’avenir un
moteur important de l’économie. Elle donne les meilleurs résultats lorsqu’elle a lieu
dans un contexte et une culture favorables
à la collaboration et à la coopération, ce
que nous offrons ici au Canada. Lorsque
les gens arrivent ici, ils sont toujours étonnés par notre culture de collaboration et
de « coopérativité ». Certaines personnes
disent que pour atteindre le sommet de
notre potentiel, nous devons être compétitifs. Mais en collaborant, nous pouvons
apporter de nouvelles idées à la table et
aussi partager nos ressources limitées de
façon pragmatique, afin d’avoir un impact
qui va au-delà des sommes que nous avons
investies. — Rossant
La dernière chose dont parlent les poissons
est l’eau dans laquelle ils évoluent : elle
est invisible. L’échafaudage de la société
canadienne — cet engagement envers le pluralisme — est invisible aux yeux de la plupart
des Canadiens. Nous ne le comprenons pas
toujours de manière explicite, et le tenons
peut-être pour acquis, mais il est néanmoins
ancré dans notre for intérieur. Je le crois,
à tout le moins, il est peu apprécié par les
Canadiens eux-mêmes, sinon par d’autres. Il
y a un double danger : que les Canadiens ne
soient pas assez humbles ou alors qu’ils soient trop humbles au sujet de leur pluralisme.
Personne ne peut tolérer de voir circuler
une poignée de pluralistes arrogants; par
contre, le fait d’être excessivement humbles
peut être une façon pour nous de dévaluer
un atout et en quelque sorte d’éviter notre
responsabilité de partager cet atout avec
d’autres. Bien sûr, le pluralisme n’est pas un
atout réservé aux Canadiens. C’est un atout
au Canada ou du Canada, mais c’est aussi un
atout humain à l’échelle mondiale. Nous n’en
sommes que les gardiens pour le reste du
monde. Qu’est-ce que cela signifie pour nous
d’utiliser cet atout avec le reste du monde
comme bénéficiaire? — Shariff
15
3Comment
LENTILLE 3
notre
situation
change-t-elle?
Nous modifions
imprudemment nos
écosystèmes
Nous vivons dans l’ère anthropocène et
savons que nous influençons la planète.
La question, c’est comment pouvonsnous le faire de manière beaucoup
moins imprudente, surtout de nos jours
en ce qui a trait aux émissions de gaz à
effet de serre? — Jaccard
Mais nous commençons à comprendre qu’il
se peut que le style de vie que nous avons travaillé si fort à créer — nos industries et notre
agriculture — ne soit pas durable. Nous sommes en train d’apprendre qu’après tout, nous
avons besoin d’un peu de cette sagesse que
les Premières Nations croyaient pouvoir nous
enseigner quand nous nous sommes pointés
chez eux, malades et mourants les uns après les
autres tous les hivers. — Green
Personne ne s’intéressait à l’Arctique avant
que la glace n’ait commencé à fondre, mais
maintenant que les ressources sont mises à
nu et sont donc plus faciles d’accès, des avions
bondés d’exploitants atterrissent chez nous.
Je m’inquiète du fait qu’on creuse la terre qui
est sacrée pour nous depuis des millénaires,
et qu’en même temps on leurre nos habitants en agitant l’argent et les fiches de travail
comme des appâts. Je crains que cela ne fasse
qu’aggraver les luttes que nous devons mener.
— Watt-Cloutier
J’ai beaucoup voyagé l’été dernier en
Ontario, où j’ai visité différentes réserves
et entendu les aînés dire : « Il y avait
beaucoup de chênes et d’érables dans
cette forêt autrefois, et ils ne sont plus là.
Nous ne voyons plus les diverses espèces
d’oiseaux, d’insectes ou de poissons
qui abondaient ici autrefois. » Après
les avoir entendus, je m’inquiète pour
l’environnement, je m’inquiète devant la
perte de diversité dans notre écosystème.
— Borrows
Notre compétitivité
internationale diminue
Les industries pétrolière et gazière
sont en train de subir leur plus profond
changement depuis cent ans. Les enjeux
touchant l’environnement, la politique, les
ressources et la démographie sont tous
en train de s’entrechoquer simultanément
pour transformer notre façon de fournir
et de consommer l’énergie. Nous ne sommes plus à une époque où nous pouvons
tout simplement attendre que les prix
de l’énergie augmentent. Nous devons
présumer que les prix resteront stables et
même qu’ils pourront baisser. La façon de
rester concurrentiel dans un marché aussi
féroce, c’est d’offrir un produit moins cher
que les autres. L’industrie canadienne
de l’énergie s’est réveillée devant ce fait
il y a quelques années, et nous devenons
assez habiles dans ce sens. Mais si nous
ne nous mettons pas bientôt à traiter des
problèmes environnementaux, si nous ne
continuons pas à faire preuve de discipline
pour maîtriser les coûts, et si nous ne commençons pas à établir des rapports avec
de nouveaux clients et nous adapter à de
nouveaux systèmes, nous serons voués à
l’échec. — Tertzakian
Nous ne serons pas éternellement un
aimant pour l’immigration. Ce que nous
avons à offrir n’est plus quelque chose
d’unique au Canada. D’autres régions du
monde deviennent tout aussi attrayantes
en offrant les mêmes sources de confort
qui font partie de notre vie ici. Nous
œuvrons selon l’hypothèse que nous continuerons d’attirer des immigrants et qu’ils
viendront vivre dans nos villes. Tout cela
pourrait changer du jour au lendemain, et
soudainement nous aurions un avenir très
différent. — Merchant
Une partie de notre succès futur dépendra
de la diversification des endroits où nous
ferons des affaires. Aujourd’hui, disons
qu’une entreprise a un bureau à Montréal
16
et un autre à Boston. Pour réussir, cette
entreprise aurait peut-être besoin de
bureaux à Montréal, à Johannesburg et
à Mumbai. De même, depuis la Seconde Guerre mondiale, nos universités
majeures ont créé des liens avec celles
du Royaume-Uni et des États-Unis. Nous
devrons désormais faire la même chose
avec le Brésil et la Chine. — Lynch
frontières nationales, des ondes radiophoniques contrôlées, une certaine hiérarchie
de goûts et de préférences culturels, et la
sous-évaluation de l’importance des questions touchant les autochtones. Ce qui est
le plus convaincant à l’heure actuelle, ce
sont les possibilités qui s’ouvrent à nous
pour nous réinventer et réimaginer ce qui
pourrait être. — Brault
Il nous faut réorienter nos engagements
nationaux et géopolitiques vers la commercialisation d’idées, surtout dans le
domaine complexe, prédateur et changeant de la gestion des droits de propriété
intellectuelle. La propriété et la commercialisation d’idées intangibles sont tout à
fait différentes de ce que cela représente
pour les ressources naturelles tangibles.
— Balsillie
En tant que ville la plus asiatique à
l’extérieur de l’Asie, comment évoluera
Vancouver? Aujourd’hui, environ
quarante-cinq pour cent de la population de la zone métropolitaine recensée
de Vancouver est d’origine ethnique
asiatique. D’ici dix ans, Vancouver sera une
ville majoritairement « asiatique ». Cela
entraînera-t-il des changements en ce qui
concerne le commerce, les affaires et la
culture populaire? Est-ce que Vancouver
se branchera sur le dynamisme et les défis
de l’Asie contemporaine et servira de lien
transpacifique ou est-ce que Vancouver
se contentera de suivre une trajectoire
nord-américaine caractéristique soit
celle d’une ville abritant un grand nombre
d’Asiatiques, mais ayant peu d’attaches
profondes avec l’Asie? — Woo
Avez-vous entendu le terme BANANA?
Build Absolutely Nothing, Anywhere Near
Anything (ne construisez absolument
rien, nulle part ni proche de rien.). Chaque
groupe d’intérêt particulier semble
maintenant capable d’empêcher la réalisation de projets majeurs consacrés au
développement économique. Tout autre
pays pourrait penser : « Quelle chance
vous avez de posséder toutes ces merveilleuses ressources! » Ici, le message qu’on
entend, c’est : « Non, vous ne devez pas les
exploiter! » — Swift
Nous pouvons faire beaucoup plus encore
dans nos rapports avec la Chine. Nous
traînons derrière les autres à cet égard,
pourtant, il n’y a pas de sens d’urgence ou
de stratégie à long terme pour nous permettre de rattraper la concurrence. Cette
complaisance est en partie attribuable
à un manque de compréhension de la
signification profonde des changements
économiques et politiques qui se déroulent à l’heure actuelle dans l’ensemble du
Pacifique. Les Canadiens ont bien sûr des
raisons légitimes d’exprimer des réserves
devant tous les défis que représentent
la Chine et d’autres pays d’Asie, mais ce
serait naïf de ne pas reconnaître que de
grands changements mondiaux sont en
cours, et que pour demeurer pertinent comme puissance, le Canada doit
s’engager vigoureusement. — Woo
Les gens commencent à se rendre compte
de l’importance d’inclure les perspectives autochtones dans les programmes
d’études et dans les milieux de travail. Je
reçois beaucoup de messages d’intérêt
de personnes qui veulent modifier leurs
méthodes d’enseignement, de formation
et de promotion pour inclure le savoir
culturel et l’identité autochtones, ainsi que
l’antiracisme. — Restoule
Nous devrons élaborer un concept
de développement qui établisse un
équilibre entre les enjeux économiques,
écologiques, autochtones et autres, tels
que les changements démographiques,
afin d’atteindre des objectifs compatibles. Nous sommes au début d’un
cycle économique beaucoup plus lent,
dans lequel il y aura moins d’argent
disponible alloué aux mesures sociales
ou économiques. De nombreux jeunes
Canadiens posent des choix de vie et de
travail qui sont davantage alignés avec une
économie à croissance lente. — Carney
Notre culture se transforme L’inégalité économique et
politique s’accentue
D’innombrables hypothèses étaient à
la base de nos espaces culturels, de nos
politiques et de nos instruments de travail
il y a cinquante ans et elles sont en train
de disparaître — tels les concepts des
Pourrons-nous combler le fossé grandissant entre les revenus et ainsi émousser
le côté tranchant du capitalisme? Nous
17
espérions que la participation dans une
économie du savoir mondialisée allait
rehausser les normes de vie partout, que
tous les bateaux allaient être soulevés par
la vague, mais nous nous rendons compte
aujourd’hui que les yachts sont soulevés
plus rapidement que les chaloupes. À Toronto, on peut observer la stagnation de la
classe moyenne et très peu d’amélioration
pour les classes pauvres. — Golden
Sans changement structurel, il est difficile d’imaginer comment les jeunes
d’aujourd’hui vont pouvoir économiser
comme ma génération a pu le faire. Les
écarts de revenu ont rendu les Canadiens à revenu faible, moyen et même
semi-élevé moins capables de maintenir
une bonne qualité de vie en comparaison
avec à celle des gens se situant en haut de
l’échelle salariale. La combinaison de la
hausse des prix (surtout dans le domaine
de l’habitation) et des choix dans le style
de vie des individus aura une incidence
sur l’image que projette notre pays. Bien
des gens vivent assez convenablement
aujourd’hui, mais ils n’économisent pas,
leurs fonds de retraite sont limités et ils
ne pourront certainement pas conserver
leur niveau de vie actuel avec la sécurité
sociale. — Nixon
Comment aborder les problèmes croissants de l’inégalité? On en voit partout. On
ne peut pas aller à l’aéroport sans apercevoir des riches qui passent impunément
en tête de file pendant que tous les autres
attendent leur tour pendant une heure
avant de monter à bord d’un avion. Et c’est
constamment la même chose partout
dans notre société, que ce soit sur le plan
des soins médicaux ou dans n’importe
quel autre service. — Reid
Comparativement à il y a vingt ans, il y a
plus d’inégalités de revenus. Ces inégalités
s’accroissent moins vite qu’ailleurs dans
le monde, mais elles s’élargissent malgré
tout, surtout entre les plus riches et le
reste de la société. On a aussi vu d’autres
fossés se creuser : une plus petite proportion de la population fréquente les salles
de concert ou les musées, un nombre
croissant de parents inscrivent leurs
enfants à l’école privée. Qui décroche de
l’école? Souvent les enfants de familles
moins favorisées. Mais si cette question
des dollars me préoccupe, je m’intéresse
surtout à celle de l’accès au pouvoir. Les
pauvres et les jeunes ont tendance à voter
moins que les autres groupes. Ceci a une
incidence sur la façon dont les politiques
gouvernementales sont adoptées. À partir
18
du moment où de moins en moins de gens
participent aux élections, les décisions
sont prises par un petit groupe de privilégiés qui protègent leur propre position et
leur propre pouvoir. — Venne
Les résultats des sondages montrent que
les Canadiens font de moins en moins confiance à leurs institutions démocratiques.
Le nombre d’électeurs qui vont aux urnes
a baissé précipitamment depuis vingt ans.
Lors des dernières élections fédérales,
quatre Canadiens sur dix ont choisi de ne
pas voter. C’est un des taux les plus faibles
parmi les démocraties occidentales.
— Chong
Il est difficile d’avoir une démocratie ou
un engagement au niveau politique si l’on
n’a pas une démocratie ou un engagement
au niveau économique. Dans mon travail,
je cherche à m’assurer que les personnes
aient accès à l’information et au soutien
qu’il leur faut pour prendre des décisions
éclairées. Nous cherchons également
les moyens d’inclure plus de gens dans
l’économie et dans le système financier,
c’est-à-dire les gens qui n’ont pas accès à
un compte bancaire et à d’autres services
que vous et moi tiendrions pour acquis.
Penser que la démocratie économique
n’a rien à voir avec l’inégalité des revenus
serait comme dire que le droit de vote n’a
rien à voir avec le suffrage universel.
— Vrooman
L’extrême pauvreté est corrosive. Quand
les gens au haut de l’échelle et les gens au
bas respirent un air tellement différent, il
est difficile d’identifier un intérêt public
commun ou de partager le même objectif.
Quand ceux qui sont en haut deviennent
tellement riches qu’ils décident qu’ils
n’ont plus besoin de services publics, alors
ils s’écartent ni plus ni moins de la société.
Lorsque l’écart est extrême, ils semblent
aussi croire qu’ils méritent tout ce qu’ils
possèdent. De là vient l’avarice échelonnée vers le bas. S’ils n’ont pas besoin de
services et s’ils méritent leur richesse,
pourquoi paieraient-ils des impôts? Les
gens qui sont au bas de l’échelle finissent
par penser que le jeu est injuste et qu’ils
n’ont rien à y gagner. Ils ne veulent pas
voter et eux non plus ne veulent pas payer
d’impôts. Pourquoi payer quand le jeu est
truqué? — Himelfarb
Notre société se fragmente
Nos petites communautés partout au
pays, pas uniquement à Terre-Neuve,
sont en train de se désintégrer devant nos
yeux, et pourtant, il est tellement possible
d’éviter que cela se produise. Je crois
que les affaires et la technologie sont des
outils puissants, et s’ils sont utilisés à bon
escient, ces outils peuvent contribuer aux
lieux et peuvent aider à créer des communautés rurales robustes et contemporaines. Nos communautés rurales sont de
puissantes sources de savoir, de créativité
et d’innovation; elles sont des forces, et
non des faiblesses. — Cobb
Cela m’inquiète de voir bien des gens se
sentir seuls et débranchés ou marginalisés. Il me semble que la situation n’était
pas aussi grave autrefois. Le fossé entre
ceux qui font partie du système et ceux
qui en sont exclus est plus profond et plus
abrupt qu’avant. — Brault
Notre discours politique
devient de plus en plus
polarisé
Depuis les années 1990, nos leaders
politiques sont devenus plus tranchants.
Les gens dans la politique n’accordent
plus d’importance aux idées des autres ou
alors manquent de respect à leur égard. La
politique est devenue ce monde insensé
où l’on se crie les uns aux autres : « Nous
avons raison, vous avez tort, taisez-vous,
asseyez-vous et faites attention à ce que
j’ai à dire. » Les attaques publicitaires sont
des symptômes de cette dynamique. Ce
qu’il faut retenir avant tout, c’est que ces
messages sont le symptôme d’un public
plus polarisé qui veut — et même, exige
— des réponses simples à des questions
complexes. Il doit se produire un change-
ment fondamental pour que nous puissions créer un nouveau point d’équilibre.
— Graham
Il est sain d’avoir différentes opinions,
mais non pas si l’on réduit les enjeux au
choix entre noir ou blanc. Quand on est
trop à droite ou trop à gauche vis-à-vis
d’un problème, il est très rare qu’on réussisse à le régler. La zone grise, c’est quand
on trouve des solutions. En ce moment,
nous nous attardons sur les détails et ne
nous penchons pas sur les grandes questions. Il faut que nous trouvions plus de
choses sur lesquelles nous pouvons tous
nous mettre d’accord. — Verschuren
Il y a toujours eu des éléments intolérants
dans notre société, mais une des choses
formidables du Canada, c’est notre respect
envers les différents points de vue et le
sentiment que nous pouvons arriver à un
consensus. Nous avons toujours cru pouvoir être en désaccord tout en n’étant pas
désagréables. Aujourd’hui, le Canadien poli
est en train de disparaître. On ne laisse plus
de place à la conversation. Tout ce qu’on a le
droit de faire, c’est de se lancer des slogans
des deux côtés de la salle. — May
Notre gouvernement fédéral est plus
politisé qu’à tout autre moment de notre
histoire. Généralement, c’est là une
mauvaise chose. Lorsqu’on va au-delà des
enjeux économiques, de la défense, de la
sécurité frontalière et de quelques autres
questions, on aboutit avec un gouvernement fédéral qui ne semble pas avoir une
vaste vision pour le pays, à part le fait de
déléguer des pouvoirs aux provinces et de
les laisser se débrouiller. — Reid
Ce qui m’empêche de dormir la nuit c’est la
déshumanisation croissante et institutionnalisée vis-à-vis de certains groupes. C’est
comme si la société évoluait selon le principe que la vie humaine ne compte pas.
Chaque matin, je lis au sujet de dix choses
qui me font penser que nous devenons de
plus en plus distancés les uns des autres.
Cela commence avec la race et devient une
structure qui envahit tout.— Razack
Dans certains endroits du pays, nous semblons vivre à une période de migration qui
est motivée surtout par l’âpreté au gain.
Ces « immigrants du monde » viennent au
Canada, y placent leur argent et puis s’en
vont vivre ailleurs. Ceci se concrétise par le
nombre de maisons et de condominiums
vides, ici, à Vancouver. Une grande proportion de nouveaux logements est vendue
à des résidents étrangers qui ne vivent
au Canada qu’à temps partiel ou pas du
tout. Quand on a une population flottante
d’immigrants, la structure essentielle
d’engagement et de liens communautaires
risque d’être affaiblie. On le voit dans
certaines communautés où le volontariat
et l’appui aux arts sont à la baisse.
— Carney
Nous avons également vu apparaître des
tendances inquiétantes. Nous avons perdu
notre engagement à la permanence. Nous
disions autrefois : « Venez au Canada et
trois ou quatre ans plus tard, vous deviendrez citoyen canadien. » Nous rendons
la citoyenneté plus difficile à obtenir et
plus facile à perdre. Nous importons des
travailleuses et travailleurs étrangers
temporaires qui n’ont aucun droit à la
permanence et créons ainsi une société à
deux niveaux. — Omidvar
« Quand les gens au haut
de l’échelle et les gens au
bas respirent un air
tellement différent, il est
difficile d’identifier un
intérêt public commun ou de
partager le même objectif. »
— Alex Himelfarb
19
4
LENTILLE 4
À quels
risques
faisons-nous
face?
La complaisance : Ne pas
nous rendre compte que nous
20
Le rapport tristement célèbre des Nations
unies, daté d’il y a une vingtaine d’années,
dans lequel le Canada était décrit comme le
meilleur endroit où vivre dans le monde, peut
nous avoir rendu un mauvais service en nous
encourageant à être plus complaisants. Nous
ne sommes pas faits cette réputation par accident; nous avons créé ce type de pays à force
de volonté. Si cette volonté devait s’affaiblir
ou perdre sa raison d’être, bien des atouts que
nous possédons aujourd’hui deviendraient
précaires. Ce que je crains, c’est qu’en dépit
d’avoir réglé les problèmes du passé, nous
soyons rapidement en train de nous laisser
submerger par les problèmes de demain. Il
faut que nous trouvions le moyen de cristalliser notre meilleur pouvoir de réflexion et de le
transformer en vision d’avenir. — Gibbins
Le Canada est vulnérable à toutes sortes
d’attaques. En raison de notre proximité avec
les États-Unis, nous avons toujours tenu pour
acquis que nous étions un pays sécuritaire et
que nous n’avions aucune raison de craindre la
guerre. Mais dans le monde d’aujourd’hui, les
guerres sont souvent livrées par des moyens
électroniques ou par le terrorisme plutôt qu’au
front de bataille et à cet égard nous sommes
très, très en retard par rapport à la majorité
des autres pays industrialisés. Nous n’avons pas
autant de services de renseignements qu’ont la
plupart des pays d’Europe ou les États-Unis, et
ceci nous rend très vulnérables aux attaques.
Un acte majeur de terrorisme pourrait vraiment
transformer notre pays. — Nixon
Nous ne nous préoccupons pas suffisamment
de l’économie dans notre pays. Les emplois ne
sont pas là, les fonds de pension ne sont pas là,
les gens ne vivront pas heureux jusqu’à la fin des
temps. Il se peut que nous n’ayons pas frappé le
mur assez fort. Je me demande avec inquiétude
d’où viendront les nouveaux emplois et si les
autres pays vont nous les voler. Nous devons
absolument nous rattraper. — Verschuren
À quelle qualité de vie nos enfants et
petits-enfants peuvent-ils s’attendre? Une
chose qui me préoccupe beaucoup, c’est
la mesure dans laquelle le présent tend
à voler les ressources de l’avenir, que ce
soit les gouvernements qui empruntent
en vue de soutenir le niveau de consommation actuel ou des promesses fondées
sur l’hypothèse de richesse future ou les
déchets auxquels on ne pense pas et qu’on
a du mal à évaluer. — Robson
Nous devenons passifs et nous risquons
de tenir pour acquises toutes ces choses
qui ont fait du Canada la société tolérante,
ouverte, diversifiée et accueillante dans
laquelle nous avons le privilège de vivre.
Notre grandeur ne s’est pas produite par
hasard. Si l’on n’y travaille pas assez, nous
courons le risque de la diminuer et de
la perdre. Et alors, quelle sorte de pays
allons-nous laisser à nos enfants et petitsenfants? — Vrooman
La dépendance de notre économie
à l’égard des ressources naturelles
Nous ne gérons pas bien notre richesse en
ressources naturelles. Nous ne prêtons
pas suffisamment attention à la croissance
à long terme, à la stabilité et à l’équité
entre les générations. J’observe ce que
nous faisons avec les ressources non
renouvelables et cela me désespère. Nous
avons donné libre cours à une mentalité de
ruée vers l’or… De façon semblable, nous
avons été témoins de l’érosion du secteur
manufacturier au sein de l’économie
canadienne, et cela aussi me préoccupe.
Je crois qu’un bon équilibre entre les
activités manufacturières, l’extraction des
ressources, la technologie et les services
est important pour assurer une économie
saine, dynamique et stable. — Emerson
S’il y a une province qui devrait posséder
les ressources nécessaires pour rester au
pas avec sa croissance, c’est bien l’Alberta.
Mais le cycle en dents de scie, avec ses
hausses et ses baisses, voulant qu’on utilise les revenus de ressources pour payer
les dépenses courantes, est incroyablement risqué. On ne peut pas décider de
financer les maternelles à temps plein et
ensuite, lorsque le prix du pétrole tombe
sous un certain montant par baril, éliminer
les maternelles à temps plein. Nous avons
commis des faux pas dans le passé, tout
d’abord en permettant au développement d’échapper à tout contrôle, et puis
en permettant aux entreprises extractives
d’évincer les entreprises à valeur ajoutée.
— Iveson
Nous sommes arrivés à un point de nonretour. Durant les deux dernières années,
les investissements mondiaux dans les
technologies de l’énergie renouvelable
ont dépassé les rêves les plus fous de
tout le monde. Cependant, nous misons
notre avenir économique sur les ressources de pétrole et de gaz naturel, qui
vont devenir des actifs bloqués, et par
conséquent, nous serons économiquement désavantagés dans l’exploitation
d’autres formes d’énergie. Notre future
stabilité économique est directement liée
à notre capacité de limiter dès maintenant
l’exploitation des combustibles fossiles.
— Berman
Lorsque les Canadiens songent au développement des ressources dans le Nord,
ils prennent rarement en considération
la dimension humaine. Le gouvernement
actuel considère l’Arctique comme une occasion offerte à la grande superpuissance
énergétique de nourrir le monde entier,
mais en pensant de la sorte, il ne reconnaît pas le fait que les familles inuites, qui
cherchent simplement à nourrir leurs
proches, seront négativement touchées
par la détérioration de l’environnement.
Il y a des gens qui ne saisissent pas tout
à fait pourquoi nous voulons chasser ou
manger des phoques plutôt que d’aller au
supermarché pour acheter du poulet ou
des côtelettes de porc. Ils ne comprennent
pas l’importance pour nos communautés
de continuer de respecter et d’absorber
la sagesse que nous apprend la culture de
chasse. — Watt-Cloutier
Au Canada, durant le siècle dernier, nous
avons réussi en assez grande mesure à
gérer un écosystème favorisant une économie de ressources, et nous continuons de
prospérer à cause de cela. Cet écosystème
comprend les éléments physiques, tels
que les réseaux routiers et les pipelines,
les éléments géopolitiques, tels que
l’accès aux marchés et la protection des
investissements, les universités qui ont
correctement instruit les étudiants et qui
ont réalisé des travaux de recherche dans
des domaines pertinents, sans oublier les
tribunaux qui ont rendu des jugements
impartiaux à l’égard de causes touchant
le commerce intérieur, et les structures
reliant le secteur public et le secteur privé
qui se penchent sur des questions importantes s’étalant sur plusieurs horizons
temporels. Il existe à la fois un défi et une
occasion critiques pour les élaborateurs
de politiques et les chefs d’entreprises
: c’est de comprendre entièrement les
différences entre un écosystème favorisant une économie de ressources et un
écosystème privilégiant une économie
d’innovation puis de s’assurer que toutes
les lacunes soient comblées. — Balsillie
Le défaut de développer et de
retenir les talents
Comment manque-t-on l’occasion de se
distinguer par ses talents? On fait deux
choses : on ne les exploite pas et on ne les
retient pas. Nous sommes des concurrents dans le monde et moins nous développerons des compétences uniques, plus
notre pays sera pauvre. On ne peut pas se
voir rétrécir tout en aspirant à la grandeur.
À un certain moment, nous devons nous
acquitter de responsabilités collectives les
uns envers les autres et envers les autres
générations. Les générations futures
jugeront durement celles d’aujourd’hui et
diront : « Regardez ce qu’ils ont fait avec
leur obsession envers la pensée individualiste. » — Ménard
Je m’inquiète du chômage parmi les jeunes.
Nous ne pouvons pas nous permettre
d’avoir une génération perdue. Et nous
ne pouvons pas être ignorants devant la
façon dont nos jeunes pensent, interagissent et entraînent le changement. Il nous
faut également songer à la stabilité : qui va
payer les impôts et qui va maintenir nos
programmes sociaux? Je voudrais que nous
pensions un peu moins à court terme et un
peu plus à long terme. — Mohamed
Notre système éducatif n’est pas bien
adapté au besoin que ressentent les
étudiants, celui de mettre au point des
compétences qui seront nécessaires dans
l’économie future. Nous devons apprendre à mieux anticiper d’où proviendront
les emplois et les possibilités, et offrir à
nos jeunes la formation et l’enseignement
dont ils ont besoin. — Swift
Nous manquons à notre devoir envers
les jeunes du Canada, en particulier les
jeunes autochtones, en nous battant pour
des questions idéologiques et en ne leur
donnant pas les compétences les plus
fondamentales. Même aujourd’hui, seulement trente-cinq pour cent des enfants en
réserves terminent l’école secondaire. Et
seulement quatre pour cent d’entre eux
ont un niveau secondaire de scolarité. Nous
avons perdu des générations entières de
jeunes dans les pensionnats chrétiens, les
services de protection de l’enfance, le système carcéral, les drogues et le décrochage
scolaire. La perte en potentiel humain est
stupéfiante. — Borrows
21
Si les choses tournent mal, nous n’aurons
pas su retenir nos jeunes au pays. Ils iront
là où le travail est intéressant et stimulant,
et là où ils peuvent contribuer à quelque
chose. Ce sera une perte énorme pour
nous. Si nous ne réorientons pas nos
institutions pour les rendre accueillantes aux membres de cette génération,
ils vont tout simplement les contourner
et faire quelque chose de différent. Nos
institutions vont s’atrophier, parce qu’elles
n’auront personne pour secouer les
choses et dire : « Non, nous n’allons plus le
faire de cette façon. » — Stein
Je m’inquiète du fait que nous pourrions
rester embourbés dans un tourbillon
d’indécisions, incapables de reconnaître
cette réalité et de saisir le bon moment
pour faire un acte de foi. Cette incapacité
de prendre des risques est justement ce
qui nous empêche d’être au premier rang
dans un si grand nombre de domaines et
ce qui cause l’exode de nos talents vers
d’autres pays. — Ebrahim
La détérioration de
notre démocratie
La démocratie ne peut pas s’épanouir sans
transparence, information ou participation. Chacune de ces trois choses est
brimée présentement au Canada. On a
sévèrement limité la possibilité pour le
public de prendre part aux décisions qui
touchent notre avenir. Si l’on veut parler
ou envoyer une lettre à l’Office national
de l’énergie au sujet d’une question quelconque, il faut d’abord remplir un formulaire de onze pages et faire approuver sa
requête. Durant les examens réglementaires, les citoyens et les experts n’ont pas
le droit d’intervenir au sujet de l’incidence
qu’auraient certains projets proposés sur
le changement climatique. — Berman
Nous aurons de graves problèmes si nous
perdons confiance en des institutions
impartiales et sérieuses comme l’Office
national de l’énergie. Au cours de notre
histoire, ces institutions ont eu le dernier
mot à l’égard de diverses décisions, mais
aujourd’hui, par le biais des médias sociaux
et d’autres techniques de communication, une minuscule minorité de gens peut
retarder l’exécution de projets. Tout le
monde doit accepter une part du fardeau,
même si cela veut dire avoir une ligne à
haute tension pas loin de chez soi. Voilà
peut-être ce qu’un individu doit accepter
pour le plus grand bien du pays. Le fait
que de petits groupes de gens puissent
contourner les institutions qui aident à
rendre notre pays formidable constitue un
problème national. — Tertzakian
Nous ne sommes une démocratie qu’en
théorie. Dans la pratique, nous sommes
une dictature élue. Les Canadiens ne se
sentent plus valorisés; ils sont devenus des consommateurs passifs. Ils ont
abandonné l’idée qu’ils ont des droits et
responsabilités dans la gestion du pays.
Il est très difficile d’éveiller les gens pour
qu’ils se rendent compte qu’ils ont du pouvoir. Quarante pour cent des Canadiens
ne votent pas. Aux élections partielles
dans Fort McMurray-Athabaska en juin
dernier, seulement quinze pour cent ont
voté! À moins qu’on ne change le système,
le prochain dictateur pourrait fort bien
être Trudeau ou Mulcair, et même si nous
préférions leurs décisions, ce ne serait
toujours pas une démocratie. — May
Nous souffrons de ce qu’on pourrait
appeler un « déficit démocratique »,
surtout chez les jeunes. Le plus simple
moyen de le mesurer, c’est par le déclin
dans le nombre de gens qui votent. Les
gens ont l’impression que leur voix ne
compte pas. Les sondages menés pour
déterminer comment les Canadiens perçoivent l’efficacité du gouvernement et
les processus démocratiques ont produit
des résultats extrêmement négatifs. Dans
une telle situation, les quelques-uns qui s’y
intéressent peuvent maîtriser le système
en entier. J’appelle cela « La Loi de fer de
la démocratie » : si vous décidez de ne pas
vous engager dans la politique, vous serez
gouverné par ceux qui s’y engagent.
— Manning
À court terme, les modèles de gouvernance par commandement et contrôle
peuvent entraîner d’énormes bénéfices,
mais à long terme, ils ne donnent rien.
Sans la reddition de comptes, un mauvais
chef arrive un jour et défait tous les bénéfices gagnés, et même plus. Les démocraties sont frustrantes dans le court terme,
parce que l’absence de pouvoir concentré
veut dire moins d’efficacité dans les prises
de décisions, mais à plus long terme, les
démocraties finissent par bien faire. Si l’on
regarde les cent quatre-vingts dernières
années, toutes les analyses démontrent
que les gens dans une société instruite,
civilisée et éclairée prendront les bonnes
décisions. — Chong
L’affaiblissement de notre
capacité d’agir collectivement
Une des raisons pour lesquelles nos
institutions, y compris nos institutions
politiques, ont tant d’importance c’est
que, comme le disait le Premier Ministre
Trudeau, le Canada est un véritable acte
de défiance. Le Canada est un contresens
: nous sommes dispersés sur le plan
géographique; nous avons un climat affreux; nous avons deux langues officielles
et plusieurs langues non officielles; nous
n’avons pas connu de moment révolutionnaire pour nous unir; nous sommes une
nation avec une grande diversité culturelle
et régionale. Pour toutes ces raisons, nous
sommes tenus de faire un effort pour être
le Canada. Et quand on ne fait plus confiance au gouvernement, quand on ne se
fait plus confiance les uns les autres, on est
affaibli… La plus importante répercussion de ce mouvement d’austérité, c’est
que celui-ci brime l’imagination politique.
Il donne l’impression que rien n’est collectivement possible. C’est la loi du chacun
pour soi. Donc, je vois non seulement
cette accentuation de l’inégalité, qui est
invisible, grandissante et rébarbative, mais
je vois aussi la perte de la capacité collective de faire quoi que ce soit pour changer
les choses. — Himelfarb
Je suis inquiète parce que je crains que
nous n’investissions pas suffisamment
dans notre « capital sacré » (capital
naturel, social, culturel, communautaire)
et dans la protection de nos divers modes
de savoir. Dans nos petites communautés,
il existe une pénurie croissante d’espoir
et donc, le désespoir prend racine. Je ne
comprends pas pourquoi nous ne sommes
pas plus consternés et pourquoi nous ne
faisons rien devant le fait que nous sommes en train de perdre une partie importante de notre identité canadienne et de
nos sources de résistance, d’imagination
et d’ingéniosité. Notre identité et notre
force sont provenues — et proviennent
toujours — de notre relation avec cette
merveille de la nature que nous appelons
le Canada. — Cobb
L’une de mes préoccupations est que de
plus en plus de gens ne font plus le lien
entre les impôts qu’ils paient et les ser-
vices qu’ils reçoivent. De plus en plus de
gens pensent que les autres ne paient pas
leur juste part. J’ai peur qu’avec le temps,
les gens acceptent de moins en moins le
principe de contribuer par leurs impôts au
bien commun. Les gens acceptent qu’une
bonne partie de leur salaire soit versée
au gouvernement parce qu’ils se sentent
appartenir à une société ou à une nation.
Dans notre société, à l’heure actuelle,
nous ne faisons pas confiance aux gens
qui ont du pouvoir et nous ne faisons pas
confiance non plus à ceux qui n’ont pas
de pouvoir. Nous vivons dans l’insécurité.
Nous sommes en train de perdre notre
sens de collectivité en tant que pays
dans son ensemble. Bien des gens ont
l’impression qu’il suffit d’avoir une communauté locale épanouie et une ligne
ferroviaire à grande vitesse menant à un
aéroport international pour n’avoir besoin
de rien d’autre. Par conséquent, les collectivités de niveaux provincial et national
ne comptent plus beaucoup. L’occasion
d’aller voir le monde et de revenir à sa base
est là, mais je m’inquiète du manque de
motivation du Canada, en général. Nous
perdons confiance en nos institutions politiques et en notre capacité d’agir ensemble. Les perspectives sont plus étroites, et
bien que ce phénomène ne soit pas limité
au Canada, le fait d’avoir des gens dans
ce pays vaste et maladroit, qui se replient
de plus en plus sur eux-mêmes, demeure
néanmoins alarmant. — Gibbins
« Sans la reddition
de comptes, un
mauvais chef
arrive un jour et
défait tous les
bénéfices gagnés, et même plus. »
22
Et quand on vit dans l’insécurité, on peut
décider soit de se tourner le dos les uns
aux autres, soit de se serrer les coudes.
J’espère qu’au Québec et au Canada, nous
déciderons de nous serrer les coudes.
— Venne
— Michael Chong
23
5
Nos systèmes d’éducation et de
santé auraient échoué
LENTILLE 5
Si les choses
tournaient
mal, que se
serait-il
passé?
Nous n’aurions pas reconnu
et ne nous serions pas adaptés
à un monde changeant
Nous n’avons pas changé de direction. Nous
avons continué de dépendre de choses qui
compromettent notre environnement. Les
mêmes types de personnes prennent les décisions et occupent des postes publics. Nous
avons pris du retard dans l’établissement
de l’infrastructure dont nous avons besoin.
Nous avons continué à fonctionner avec une
mentalité de pénurie, ce qui a fini par faire du
mal aux gens les plus touchés par les inégalités sociales. — Penrose
24
Une forte hausse dans le nombre de feux de
forêt et d’infestations de dendroctones détruira la majorité de nos forêts boréales intactes.
Nous aurons à faire face à d’énormes vagues
d’immigration provenant du monde entier, mais
surtout de l’Asie du Sud-Est et de l’Afrique centrale. D’ici vingt ans, trente pour cent des habitants de l’Asie du Sud-Est auront perdu leurs
foyers dû à l’élévation du niveau de la mer. Une
population plus dense mettra à dure épreuve la
capacité de nos villes, qui seront déjà fortement
taxées par des inondations et des conditions
météorologiques extrêmes. Les prix de la plupart des denrées alimentaires seront multipliés
par trois ou par quatre en comparaison avec ce
qu’ils sont aujourd’hui. — Berman
Nous nous retrouverons là où nous sommes
maintenant : un peu en retard par rapport au
reste du monde. L’innovation et la créativité
demeureront à l’extérieur et non au cœur même
de l’ADN des organismes, dont la capacité
d’adaptation restera limitée en conséquence.
Notre rôle au sein de la communauté sera stagnant, et nous serons toujours en train de nous
demander comment nous pouvons contribuer
à une conversation mondiale visant à être plus
inclusive, plus créative et plus centrée sur l’être
humain. — Ebrahim
Il existe un décalage considérable à l’heure
actuelle entre ce que nous savons être
nécessaire pour notre système éducatif
et ce que notre système éducatif est
capable de nous donner. Dans vingt ans,
nous pourrions bien y jeter un regard
rétrospectif et dire : « Nous savions qu’il
nous fallait redoubler nos efforts en innovation et en pensée créatrice pour le
bien de l’économie et pour résoudre des
problèmes complexes. Plutôt, nous avons
insisté pour que tout le monde acquière
les mêmes connaissances de base, et
nous avons ni plus ni moins anéanti toute
créativité chez nos enfants. Comme
résultat, nous ne possédons pas le capital
intellectuel ou créateur pour résoudre nos
problèmes colossaux. » — Wilson
L’éducation sera axée sur l’apprentissage
de métiers ou de compétences, plutôt que
sur l’apprentissage de la pensée critique.
On fermera la plupart des institutions où
les gens peuvent apprendre à penser de
façon critique. Celles qui resteront seront
petites ou très, très limitées. Le résultat,
c’est qu’on ne pourra pas demander pourquoi les choses sont comme elles sont,
pourquoi il y a des gens qui vivent bien
tandis que d’autres non, quel rapport on a
avec les autres dans le monde social. Il n’y
aura pas moyen d’analyser les mythologies
que l’on voit reproduites chaque jour dans
les journaux. — Razack
Nous aurons continué à réduire les
ressources consacrées à l’éducation
supérieure et à la recherche dans nos
universités et institutions. Nous aurons
décidé de rendre tout cet argent aux citoyens et abandonné notre responsabilité
collective de favoriser un meilleur système
d’éducation. Cela aura une incidence sur
notre bilan de réalisations dans le domaine
de l’innovation et des nouveaux brevets.
Le Canada aura érodé ses chances et
manqué l’occasion de mettre ses talents à
l’avant-scène. — Ménard
Dans vingt ans, notre système de soins
de santé pourrait être complètement
surchargé. Nous nous dirigeons vers
une sorte de tempête parfaite avec une
population vieillissante et un système
de santé déjà étiré jusqu’au bout, ce qui
risque de donner lieu à une société encore
plus inégale. Les nouveaux immigrants, les
autochtones, les populations vulnérables
pourraient ne pas avoir accès aux soins de
santé auxquels ils ont droit. — Wilson
Le coût des soins de santé continue
d’augmenter. Aujourd’hui, il a presque
atteint cinquante pour cent des budgets
provinciaux. À titre de chercheurs, mes
collègues et moi devons examiner de très
près tout ce que nous faisons, parce que
le système de soins de santé ne dispose
que de sommes limitées à investir. Nous
devons considérer l’aspect de la rentabilisation et déterminer si notre recherche
porte sur un sujet que les gouvernements
vont financer. — Rossant
Je me demande si cette génération-ci du «
baby-boom » poursuivra ses propres intérêts jusqu’au bout. Si les « baby-boomers »
insistent pour obtenir le plus haut niveau de
soins de santé et la meilleure technologie
jusqu’à la toute fin, ils pousseront les soins
de santé à la faillite et feront en sorte que
les plus jeunes générations ne puissent pas
avoir accès à certains aspects du système.
— Manning
Nous n’aurions pas investi
là où il fallait
Les gens sont devenus plus conscients
du fait que les coupures d’impôts ne sont
pas la solution à tous les maux. Dans le
contexte public, le monde commence
à reconnaître que ce à quoi nous nous
heurtons est moins un problème lié aux
dépenses qu’un problème lié au revenu.
Les ponts s’écroulent, et les égouts et tuyaux construits il y a un siècle ont maintenant besoin d’être réparés. Nous nageons
dans l’argent facile, mais pour une raison
étrange, nous n’avons pas d’argent pour
ces choses essentielles. Pendant ce temps,
nous dépensons des tas d’argent de nos
poches pour réparer nos maisons ou nos
voitures endommagées par une infrastructure en mauvais état. — Yalnizyan
Nous aurons rendu difficile la venue de
gens créatifs. Il nous faudrait être plus
ouverts aux personnes qui viennent au
Canada et qui en repartent. Nous n’aurons
pas investi dans la recherche fondamentale, l’innovation et la force créatrice. Si
nous ne nous concentrons pas sur l’avenir
et si nous ne bâtissons pas à même nos
forces, nous allons devenir une nation très
moyenne. Nous n’allons pas avoir l’impact
que nous pourrions avoir dans le monde,
que ce soit dans les arts, les sciences, les
affaires, les finances ou la politique.
— Rossant
Les pipelines essentiels au transport des
produits vers les marchés n’auront pas
été construits à temps. L’infrastructure
économique fondamentale, et surtout
l’infrastructure du transport, sera rejetée
dans chaque « quartier » stratégique, ce
qui reflète le remplacement des licences
réglementaires par le concept amorphe des « licences sociales ». Nous ne
parviendrons pas à restaurer l’élan initial
des pourparlers multilatéraux sur les
échanges commerciaux et nos tentatives
de forger des accords commerciaux régionaux fléchiront. Nous ne nous adapterons pas à la réalité du réchauffement
de la planète, et le monde se heurtera
à une crise internationale urgente en
matière de politique publique. En ce qui a
trait au climat, et à la mauvaise gestion de
nos ressources naturelles, nous verrons
apparaître de nouvelles technologies qui
mèneront les consommateurs à adopter
d’autres sources d’énergie que celles à
base de carbone. Étant donné que nous
sommes extrêmement dépendants de
l’énergie à base de carbone, notre économie et nos finances publiques seront
durement frappées. — Emerson
Nous ne réussirons pas si nous
n’investissons pas dans les changements
essentiels. À Toronto, par exemple,
nous n’avons presque rien investi dans
l’infrastructure; depuis l’an 2000, nous
avons apporté quelques améliorations,
mais pas assez pour rattraper notre retard.
Il nous faut investir dans la reconstruction de cette infrastructure ainsi que dans
les systèmes de gestion de déchets et
d’alimentation énergétique. Il nous faut
trouver de meilleurs moyens de permettre
à la ville de se développer et de grandir, en
reliant nos décisions touchant le transport
en commun et nos décisions touchant le
développement. Et nous ne réussirons pas
si nous ne luttons pas contre l’inégalité
croissante des revenus par une combinaison de changements aux régimes fiscaux et
d’instauration de programmes innovateurs.
— Golden
Notre société se
serait effondrée
Le Canada sera devenu de plus en plus
divisé au point de vue géographique reléguant les grands centres urbains d’un côté
et tout le reste de l’autre. Les collectivités
rurales sont rendues à un point critique
dans leur évolution et nous refusons de reconnaître qu’elles ont un problème. . Elles
n’auront peut-être plus une population
suffisante pour rester viables. Les gens qui
sont là vont vieillir. Il y a plus de gens que
jamais qui vivent en monoménages, dans
un type d’immeuble qui cultive l’isolement
25
et non la communauté. Tous ces facteurs
ensemble exercent une influence sur le
type de société que nous devenons et le
mode de vie que nous menons. Je vois se
produire des bouleversements et se soulever la colère. Je vois se fracturer petit à
petit l’identité canadienne. — Merchant
Je m’inquiète également de l’unité
du pays. Nous ne pouvons pas nous
permettre de penser que les choses
demeureront toujours ce qu’elles sont.
Le mouvement séparatiste au Québec est
passé de la majorité à la marge, mais il ne
disparaîtra jamais. Nos leaders doivent
déployer un effort constant, concerté et
délibéré pour forger une identité commune fondée sur ce que nous partageons.
Cela ne se produira pas automatiquement.
— Charest
Un mauvais scénario qui pourrait se
dérouler, ce serait que l’école universelle
n’existerait plus, et que chacun déciderait
ce qu’il veut apprendre. On perdrait alors
la compréhension commune du monde,
qui est fondée sur un compendium de connaissances accumulées au fil des siècles.
— Venne
Nous aurions laissé l’envie devenir
l’émotion dominante dans la politique. Le
régionalisme (engendré par l’envie) est
une force corrosive au Canada.
— Crowley
Nos dirigeants n’ont pas reconnu la valeur
d’avoir tout le monde qui bouge ensemble,
y compris les moins riches et les moins
puissants. C’est une manière très risquée
de procéder. Si nous restons sur la trajectoire du démantèlement d’un grand
nombre de nos structures sociales et nos
mesures d’appui au bien-être, et si nous
continuons à apporter des modifications
radicales à nos lois, nous pourrions créer
le type d’inégalité enracinée que nous
voyons aux États-Unis et au Royaume-Uni.
— Jabir
L’État poursuivrait son désengagement;
le système éducatif abdiquerait à se battre pour garder son indépendance et le
citoyen se désillusionnerait pour de bon.
Nous continuerions à mettre sur pied des
sociétés où le statut social, les origines ou
le niveau d’éducation des citoyens continueraient à renforcer les inégalités de droits.
Au lieu d’apprécier tout le potentiel de nos
différences, nous continuerions à créer
des frontières imaginaires entre chacun
de nous et à façonner nous-mêmes un
système qui nous montrerait pourtant ses
limites à chaque instant. — Duguay
26
Il y a des démagogues qui cherchent à cultiver le manque de sécurité et à diaboliser
certains groupes. Ils mettent l’accent sur
nos différences plutôt que sur nos points
communs. Si jamais cela se produisait,
nous nous engagerions dans cette spirale
où les sociétés risquent d’aboutir, une
société où nous perdrions la capacité de
nous faire confiance les uns les autres et
de tenir un discours commun. Nous nous
retrouverions dans un pays où l’on vit dans
la méfiance des autres individus et des
autres groupes. — Charest
Nous aurions permis à la pensée réductionniste de prendre le dessus. Nous
aurions oublié que la nature et la culture
sont les deux grands vêtements de la vie
humaine. Nous vivrions tous dans des
mégapoles et souffririons d’une sorte de
manque d’appartenance. Nous aurions
perdu notre connaissance innée du monde
naturel et serions devenus incapables
d’en tirer des leçons. Nous aurions perdu
ce que Pam Hall appelle « les moyens
du savoir qui proviennent d’un rapport
concret et interdépendant avec le monde
encore sauvage ». Nous mangerions de
la nourriture industrielle produite par
d’énormes entreprises qui transcendent
toutes les frontières. Nous serions soumis
au capital financier et nous n’aurions
aucune idée de qui nous sommes. Nous
n’aurions pas le sens de la continuité en
accord avec le passé. La sagesse et les nuances du patrimoine et du monde naturel
seraient perdues. — Cobb
Nous n’aurions pas cultivé une façon saine
d’aborder ce que nous pouvons appeler
la spiritualité. Nous n’aurions pas prêté
suffisamment attention à la manière non
physique d’évoluer dans le monde, et aux
questions de communauté et de liens.
Nous aurions dû nous engager dans des
conversations qui nous auraient fait sortir
du moment et penser de façon plus large,
de façon à nous demander « pourquoi sommes-nous ici? » Nous n’aurions pas réussi
à créer un rapport différent avec notre
environnement. Nous étions plus branchés
sur les mouvements de l’énergie nationale
et internationale, et pas assez conscients
des énergies locales et de comment on les
endommageait ou de comment on aurait
pu mieux les exploiter.
— Borrows
« Nous aurions
laissé l’envie
devenir l’émotion
dominante dans
la politique. »
— Brian Crowley
27
6
LENTILLE 6
Si les choses
tournaient bien,
que se serait-il
passé?
Nous serions devenus
plus ambitieux
Nous avons un gros défi à relever au Canada
: nous manquons d’ambition. Je ne suis pas
certain que ma génération soit suffisamment ambitieuse. Nous pouvons réussir bien
mieux dans le monde que ce que nous croyons. Certains parmi les Canadiens plus jeunes
croient qu’ils peuvent vaincre n’importe qui
s’ils étudient beaucoup, s’ils travaillent fort, et
s’ils sont suffisamment inventifs et astucieux.
Nous devons faire preuve d’assez d’ambition
pour garder ces jeunes au Canada, pour
qu’ils puissent lancer leurs activités et leurs
entreprises profitables ici, enseigner ici, se
porter candidats à des postes politiques ici.
Si nous ne sommes pas assez ambitieux, ils
iront ailleurs, parce qu’ils veulent faire une
différence. — Lynch
28
Lorsque le Canada a été le pays hôte des Jeux
olympiques d’abord à Montréal, puis ensuite à
Calgary, nous n’avons pas remporté de Médailles d’or comme nation. Nous sommes sortis
profondément déçus de notre performance nationale. Mais tout à notre honneur, nous n’avons
pas cherché d’excuses en prétendant que les
Médailles d’or n’avaient pas d’importance. Au
contraire, nous avons mis sur pied et financé un
programme cohérent appelé « À nous le podium » et avons réalisé son objectif ambitieux aux
Jeux olympiques de Vancouver en remportant
quinze Médailles d’or — plus que tout autre
pays du monde. Ces résultats ont électrisé et
inspiré notre nation tout entière. Cela nous
montre bien ce qu’une approche ambitieuse,
ordonnée et systémique peut faire. Ce sont là
des exercices qui créent les nations et prouvent
que si les Canadiens veulent gagner, ils savent
comment s’y prendre. — Balsillie
En me tournant vers l’avenir, je vois un
Canada différent, bâti à même la dynamique
d’aujourd’hui. Notre population a doublé. Donc,
nous avons maintenant dix et non plus quatre
grands centres urbains. Dans ces centres urbains
vivent des personnes d’une diversité inégalée.
Cela renforce notre économie et notre prospérité. Puisque nous sommes une économie
plus grande, nous sommes capables de produire
davantage, d’échanger davantage; nous pouvons
vendre à plus de gens, nous avons plus de gens
avec de grandes idées. Notre croissance
démographique s’est stabilisée avec
l’immigration et notre économie peut
accommoder un plus grand nombre
d’immigrants ayant tous les niveaux
d’aptitudes, et elle peut aussi accueillir
beaucoup plus de réfugiés. — Omidvar
Nous aurons pris le risque de nous concentrer sur une seule chose. Nous nous
sommes concentrés sur une grande question et nous avons rehaussé la barre d’un
cran. Cette grande question était peutêtre la réduction de la pauvreté, et nous
avons réduit considérablement le nombre
de personnes vivant dans la pauvreté dans
notre pays. Nous avons réussi, non pas en
voulant créer quelque chose pour laquelle
le monde nous verrait comme leader, mais
en mettant à profit l’intelligence que nous
avons à l’intérieur de nos frontières, pour
assurer que des changements audacieux
ne se produisent. Et ceci nous a aidés à
retenir les leaders en pensée créative, et
à démontrer que le Canada a un appétit
pour les risques. — Ebrahim
En tant que Canadiens, nous sommes
appelés à repenser à ce que nous voulons
devenir et à ce que les autres verront
en nous. Nous ne plaçons pas les bons
investissements aux bons endroits, parce
que nous ne savons pas où nous allons. Il
nous faut être plus optimistes et réussir à
pousser notre société vers la création de
notre propre valeur. Les gens veulent se
rallier derrière un avenir, mais à l’heure actuelle, personne ne leur décrit ce que sera
cet avenir. Le leadership peut vraiment
entraîner des changements, et les gens
suivront ce qu’ils croient être une vision
sensée pour le pays. Si la vision est claire,
nous trouverons le moyen d’y arriver.
Nous avons besoin de leaders inspirants
venant des syndicats, des Premières Nations, des affaires, du gouvernement pour
nous mener jusqu’à ce point.
— Verschuren
Nous aurions transformé
notre économie
Le Canada compte parmi les pays du
monde dont la population vieillit le plus
rapidement. Si nous conservons notre
modèle social et économique actuel, la
génération de travailleuses et travailleurs qui viendra dans vingt-cinq ans sera
obligée de produire beaucoup plus que
ma propre génération ou que celle de
mon père. Par conséquent, nous devons
devenir des chefs de file en éducation et
en notre capacité de stimuler l’innovation
et la créativité dans les sciences, les soins
de santé et les services.
— Ménard
Le Canada serait reconnu comme chef
de file à l’échelle mondiale sur le plan de
l’innovation et de la politique exercée sur
cette dernière. Les gens de toutes les convictions politiques reconnaissent que nous
devons utiliser notre immense richesse
en ressources afin de prévoir l’avenir et
développer des industries secondaires. Je
ne veux pas dire uniquement de fabriquer
des objets, mais aussi d’innover en matière
de politiques publiques. Nous aurions besoin de devenir une nation d’innovateurs.
Avec un peu de pression et de coordination, nous pourrions être reconnus pour
notre innovation et cela pourrait devenir
notre marque internationale. — Rempel
Le monde des affaires constitue la force
la plus puissante de la société en ce moment. Étant donné ce que je viens de dire,
ceci peut paraître étrange, mais je crois
qu’avec de solides institutions démocratiques en place, cette puissance pourrait
être utilisée pour créer un monde meilleur. Nous sommes à la veille d’une explosion de changements technologiques : de
l’intelligence artificielle au biomimétisme
aux merveilleuses percées médicales à Internet reliant les choses. Le Canada pourrait être à l’avant-garde de l’application
pratique de ces innovations. Il faudrait
d’abord rassembler tous les joueurs
afin de pouvoir utiliser le maximum
d’ingéniosité qui se trouve dans notre
population, et ensuite, bâtir à même leur
capacité de transformer les bonnes idées
en actions concrètes. — Yalnizyan
Le Canada sera vu comme un centre de
créativité et non comme le vieux Canada
qui produit du charbon et qui fabrique des
voitures. Nous aurons adopté le concept
des centres urbains comme moteurs
pour obtenir le succès du Canada, et nous
aurons investi dans notre infrastructure.
Le Canada sera devenu l’endroit de choix
pour les gens les plus créatifs et les plus
innovateurs au monde. — Rossant
Un réseau ferroviaire à grande vitesse
reliera les grands corridors d’un bout
à l’autre du pays. Il y aura un grand accroissement en ce qui a trait à l’usage des
transports en commun, au cyclisme et à
la marche, ainsi qu’une forte diminution
du nombre de voitures dans les centres
urbains. Plus d’entreprises comme Facebook viendront s’installer au Canada et y
construiront leurs centres de données.
Le Canada investira beaucoup dans les
ressources à énergie renouvelable et dans
sa capacité de vendre de l’énergie propre
aux États-Unis. Nous verrons une augmentation dans la production d’énergie
marémotrice sur les deux littoraux,
ainsi que dans la production d’énergie
géothermique, principalement celle de
l’Alberta. Un plus grand nombre de foyers produiront leur propre énergie, qui à
son tour, se réalimentera au réseau. Tout
cela se traduira par la démocratisation de
l’énergie et de l’économie; si personne
n’est propriétaire des entrées d’énergie et
si tout le monde peut produire de l’énergie
pour servir la société, alors ce ne seront
plus les mêmes qui détiendront le pouvoir.
— Berman
Nous avons la chance de servir d’excellent
exemple de ce qu’est une économie de
ressources qui, en même temps, est le
moteur de l’innovation. Par notre engagement au-delà des frontières disciplinaires,
organisationnelles, culturelles et gouvernementales, nous cherchons à obtenir
des résultats environnementaux, sociaux
et économiques qui profiteront à tous les
Canadiens. — Lambert
L’extraction et l’exportation des ressources
est un plan de croissance qui est tellement
du dix-neuvième siècle, tout comme le
sont la répartition des bénéfices et le calcul
des coûts. Nous avons besoin d’un plan
différent. Non pas un Plan B, parce qu’il
n’y a pas de Planète B. Le Plan A du Canada
devrait nous aider à devenir une superpuissance énergétique du vingt-et-unième
siècle, en construisant les maisons et les
moyens de transport les plus écoénergétiques du monde. Nous vivons dans un
climat froid et devons parcourir de longues
distances. Nous devrions être des chefs
de file mondiaux dans la maximisation de
l’efficacité énergétique, quelle qu’en soit
la source. Plutôt que penser à Énergie Est,
pensons à l’énergie moindre. Le changement climatique force toutes les sociétés
à affronter ce défi. Aucune nation ne peut
réussir sur une planète qui échoue.
— Yalnizyan
Si les choses tournent bien au cours des
vingt prochaines années, des changements
d’attitude se seront produits vis-à-vis des
ressources : il ne s’agira plus de ressources
destinées à être extraites par des entreprises étrangères, mais des ressources qui
font partie du paysage et des gens qui y
vivent. Dans une grande mesure, c’est un
savoir transmis par l’entremise de partenariats entre autochtones, qui se soucient
de protéger ce dont auront besoin les sept
prochaines générations. — Armstrong
29
La nouvelle économie viendra du fait que
l’on trouvera des moyens plus efficaces
de produire des aliments et de l’énergie,
d’utiliser l’eau, d’extraire et de raffiner le
pétrole et le gaz naturel, d’extraire des
minéraux. Pourquoi ne pouvons-nous
pas être le pays qui entreprend le défi de
réduire l’empreinte carbone? Pourquoi ne
pouvons-nous pas être le pays qui exploite
les combustibles fossiles et les minéraux
et autres produits semblables de la façon
la plus responsable au monde? Nous excellons dans tant de choses! — Verschuren
Nous aurions rétabli nos
liens entre nous et avec
notre terre
On peut imaginer que plus les citoyens, les politiciens, les organismes, les
différents composants de la société
s’écouteront, échangeront et se reconnaîtront comme des acteurs complémentaires qui ont la capacité de collaborer
afin de créer des solutions réelles. Nous
aurons pris conscience que les solutions
ne sont pas apportées par des organismes, des chercheurs ou des politiques,
mais qu’elles sont issues de la société
elle-même dans sa capacité à reconnaître
chaque individu. — Duguay
Si nous limitions nos exigences matérielles, nous aurions plus de temps pour
nos relations personnelles, familiales et
sociales. Si nous passions plus de temps
à nous occuper les uns des autres, nous
ne serions pas obligés de faire appel à
l’appui du gouvernement. Ceci est une
autre approche que celle de chercher
à tout résoudre par voie de règles ou
de lois. C’est facile de parler de l’avenir
par rapport à ce qu’il devrait être, sur
le plan économique, écologique, social
et politique. J’y ajouterais la dimension
spirituelle, aussi. — Manning
Nous serions un pays où chaque individu jouirait d’une bonne qualité de vie,
situation que nous n’avons pas encore
atteinte. Nous tenons pour acquis le fait
que même si nous venons d’une couche
sociale modeste ou d’un milieu difficile,
nous pouvons toujours réussir dans la
vie, mais en fait, nous devons continuer
d’offrir des chances d’égalité à tout le
monde. — Fortier
Le Canada serait un réseau national
d’endroits intensément locaux, dont
certains grands, plusieurs petits. Nous
aurions trouvé le moyen de rendre à ces
communautés leur caractère local, tout
en assurant qu’elles soient reliées entre
elles. Tout existe dans le contexte d’une
relation et dans les relations saines je
peux être plus moi et tu peux être plus toi.
Voilà le type de relations que nous devons
établir. Nos vies ne seraient pas dominées
par des hyper compagnies lointaines
dont les propriétaires vivent d’abord et
avant tout pour le rendement de capital
(éloigné). Nous aurions plutôt des entreprises de taille appropriée qui fonctionneraient de façon à renforcer le tissu
de nos communautés. Bien sûr, il y a des
cas où nous avons besoin d’entreprises
nationales de distribution, mais il y a des
manières créatives de réaliser des économies de taille, de placer le bien-être de
nos communautés tout en haut de notre
liste de priorités et au cœur même de nos
prises de décisions. — Cobb
C’est à ce moment-là que les choses
changent vraiment, quand on commence
à percevoir les comme des individus,
quand on ne voit plus un seul aspect de
leur identité. On se réunit autour d’intérêts
communs et puisqu’on a des façons légèrement différentes de percevoir le monde ou
d’avoir vécu l’expérience de se rapprocher
du monde, il y a de l’apprentissage qui se
produit. Il existe une humanité commune,
un sens partagé de responsabilité envers la
terre et les uns envers les autres, et c’est à
partir de là qu’il nous faudrait commencer.
— Restoule
30
« Nous aurons pris
conscience que les
solutions ne sont
pas apportées par
des organismes,
des chercheurs ou
des politiques,
mais qu’elles sont
issues de la société
elle-même dans sa
capacité à reconnaître
chaque individu. »
— Nadia Duguay
31
7
LENTILLE 7
Quels choix
importants
devons-nous
faire?
Comment utiliser
prudemment nos
ressources naturelles
Les Canadiens ont besoin d’une bonne dose
de réalisme par rapport à l’économie. Le
secteur des ressources est le cheval qui tire la
charrette économique actuelle. Nous devons
davantage prêter attention au renforcement
de ces industries et reconnaître ce qu’elles
contribuent. Afin de maintenir notre haut
niveau de vie, l’économie doit être assez forte
pour défrayer les coûts de notre réseau de
services sociaux. Au fur et à mesure que notre
population vieillira, les pressions sur nos systèmes de soins de santé et sur nos régimes de
retraite augmenteront. — Manning
32
Notre économie repose sur les ressources. Il
est assez sûr de prédire qu’une économie basée
sur les ressources ne fera rien pour nous dans
vingt ans. Nous devons nous transformer, mais
comment? Il y a bien des gens qui voudraient que
Calgary soit en tête dans le domaine de l’énergie.
Mais nous ne surpasserons jamais les Chinois en
énergie solaire ou les Allemands en énergie éolienne. Si nous voulons occuper une niche dans
l’économie mondiale, quelle serait-elle?
— Gibbins
Nous devons nous débarrasser de cette idée
que nous ne sommes que de simples coupeurs
de bois et puiseurs d’eau, et que nous ne sommes pas assez intelligents pour créer des industries secondaires et tertiaires. Nous ne pouvons
pourtant pas nous permettre de continuer à
exporter tous nos atouts. J’ai observé, depuis
trop de décennies maintenant, notre exportation systématique vers d’autres pays des ressources brutes et de l’énergie que l’on aurait pu
utiliser et raffiner ici. Plutôt que de dépendre
des autres, nous devrions être beaucoup plus
perspicaces dans notre façon d’utiliser nos ressources naturelles, en vue d’améliorer la vie des
gens de notre pays. — Sterritt
Nous sommes des hypocrites, dans le
sens que nous récoltons volontiers les
effets de l’essor économique et en même
temps, nous en critiquons l’impact. Nous
voulons l’argent, mais nous ne voulons pas
la destruction de l’environnement. Que
faisons-nous pour l’éviter? Avons-nous
changé nos habitudes de consommation?
Il faudra peut-être deux ou trois générations, mais ce que nous connaissons et
avons connu depuis quatre ou cinq cents
ans va changer, que nous causions nousmêmes ces changements ou que ce soit la
planète qui les apporte. Nous entrevoyons
déjà ce qui va se passer : les ravageurs
se déplacent vers le Nord, le pays se
réchauffe. Je voudrais vraiment savoir où
nous allons aboutir. — Merchant
La discussion de l’économie, d’une part
contre l’environnement, d’autre part.
Nous n’allons jamais innover si nous
restons polarisés sur ces deux questions.
Pourquoi ne pouvons-nous pas ajouter
de la valeur à nos industries et en même
temps assumer une plus grande part de
responsabilité dans la gestion de nos ressources naturelles? — Verschuren
Je suis inquiet pour le Grand Nord canadien. Au point de vue géographique, le
Canada est surtout composé d’une immense masse de terre et d’eau pénétrant
la zone arctique, particulièrement vulnérable au changement climatique et peu
peuplée. Petit à petit, nous devenons plus
conscients des problèmes et des préoccupations du Nord. Mais le défi posé dans
le Nord ressemblera au défi posé pendant
le développement du Canada à ses débuts.
Il faudra y réaliser d’énormes investissements et l’attente sera longue avant de
pouvoir en tirer « profit ». Les questions
relatives à la souveraineté et à la sécurité
seront primordiales. Les évaluations et
les impacts potentiels exigeront une discipline et une concentration intenses. Sir
John A. Macdonald doit se retourner dans
sa tombe. — Emerson
En tant que citoyen mondial, le Canada
peut avoir plus de poids que nous n’osons
le croire. Pendant la Deuxième Guerre
mondiale, nous avons déclaré la guerre
à l’Allemagne nazie avant que l’Union
soviétique ou les Américains ne l’aient fait.
Nous avons fait preuve de vrai leadership.
Évidemment, le leadership ne signifie pas
d’aller se joindre à quelque expédition
militaire; c’est une question de donner
l’exemple. De même, le Canada pourrait
jouer un rôle de chef de file à l’égard de
problèmes tels que le captage du carbone.
Entre 2005 et 2008, il y a eu une réelle
poussée pour que le Canada devienne un
leader mondial dans le captage et le stockage du carbone. Je suis profondément
déçu que nous n’ayons pas joué ce rôle
au moment où se manifestait un intérêt
authentique à le faire, même dans le milieu
des entreprises. Lorsque Stephen Harper
est arrivé au pouvoir, tout cela a disparu.
Le Canada pourrait revenir à l’avant-garde.
Nous pourrions dire : « Voici ce que nous
faisons. Voici nos politiques. Qui peut
faire de même? » Et puis, nous pourrions
vendre nos technologies et notre savoirfaire de façon à aider véritablement les
pays en développement, comme la Chine,
à réduire rapidement leurs émissions sans
pour autant encourir l’énorme dépense de
fermer toutes leurs centrales au charbon.
— Jaccard
Si nous voulons persévérer dans
l’industrie des sables bitumineux, nous
devons apprendre de nos erreurs passées
et démontrer que nous savons être les
bons gardiens de cette ressource complexe dont nous avons hérité par hasard.
Cette activité se produira sans doute; tant
et aussi longtemps que le prix du pétrole
sera plus élevé que 50 $ environ le baril,
l’extraction se poursuivra. Nous devons
agir avec détermination pour la rendre
moins chère, plus propre, plus verte,
plus rapide et plus sécuritaire, et ensuite
nous devons appliquer cette propriété
intellectuelle à d’autres défis écologiques
et à d’autres procédés industriels dans le
monde. Cela devrait être notre prochain
projet comme bâtisseurs de la nation, soit
créer une valeur à long terme à partir de
ce profit de courte durée. — Iveson
En revanche, il est frustrant que
l’industrie soit si durement critiquée et
ne soit pas reconnue pour ses réalisations. En fait, les personnes qui passent
le plus de temps à dire du mal des
Canadiens sont les Canadiens euxmêmes. Toutefois, à cause de nos normes
réglementaires, de l’État de droit et de
notre façon de fonctionner, le Canada
est l’un des cinq plus importants pays
producteurs d’énergie au monde. Cela n’a
pas de sens que tant d’effort et d’argent
soit dépensé pour diminuer notre rôle.
Si l’on veut que le monde soit un meilleur
endroit où vivre, pourquoi voudrait-on en
éliminer un des principaux producteurs?
— Tertzakian
Le rôle que nous devons
jouer dans le monde
Nous vivons dans une économie mondialisée et en tant que pays, nous devons
décider quelle place nous souhaitons
occuper dans le monde. Le Canada occupe
aujourd’hui une place qui est fort différente de celle qu’il occupait il y a quinze ans.
Nous devons décider, à partir d’une perspective culturelle, si nous sommes à l’aise
avec l’idée de devenir un défenseur franc
et agressif au sujet de nos convictions sur
la scène mondiale. Sinon, sommes-nous
plus à l’aise dans notre rôle traditionnel de
gardien de la paix et de médiateur : amical,
ni agressif ni revendicateur et penchant
vers le consensus? Il est clair que nous n’en
sommes pas là aujourd’hui. — Nixon
Nous faisons face à de constants défis
quand il s’agit de savoir jusqu’à quel
point nous sommes prêts à ouvrir nos
portes au reste du monde, que ce soit au
niveau de l’immigration, du commerce
ou de l’investissement. Le Canada se
dit internationaliste, et bien des gens se
reconnaissent dans cet aspect de notre
histoire. Mais quand on songe à un enjeu
en particulier, disons au commerce plus
libre avec l’Europe ou au Partenariat
Trans-Pacifique, il faut prendre une
décision : va-t-on encourir un certain
risque, s’engager avec le reste du monde,
envisager quelques pertes pour récolter
des gains? Ou va-t-on se retenir, éviter
tout risque et tenter de garder les choses
comme elles sont? Ces choix comptent.
Ils sont sensés et ils se dirigent dans deux
voies tout à fait différentes. — Robson
Il faudra que nous prenions des décisions
difficiles sur qui nous allons être et ce
que nous allons faire dans le monde.
Nous sommes un petit pays et nous ne
pouvons pas tout faire. Toute tentative
dans ce sens affaiblit notre impact où que
nous allions. Nous avons besoin de nous
engager dans ce débat. C’est ainsi que les
Canadiens deviendront fiers au lieu d’être
furieux. — Stein
Il y a deux ans environ, j’ai eu une conversation avec un diplomate européen
d’un certain âge pendant les pourparlers
climatiques de l’ONU en Afrique du Sud.
Les larmes aux yeux, il m’a dit : « Cela fait
trente-cinq ans que je suis diplomate, et
bon nombre de sujets sur lesquels je me
suis penché impliquaient des partenaires
canadiens. Tout cela a changé. Je ne
33
comprends pas. Qu’arrive-t-il au Canada?
» Ce fut un moment viscéral qui m’a fait
penser que « je voudrais de nouveau être
fière du Canada ». Nous sommes le pays
qui a contribué à résoudre le problème du
trou dans la couche d’ozone. Nous devons
décider si nous serons à la tête du monde
en ce qui a trait à la durabilité, à la justice
sociale et à d’autres enjeux intransigeants.
— Berman
Comment augmenter notre
capacité de risquer et d’innover
Nous sommes la première génération
à savoir que les choses vont probablement s’empirer. Bien sûr, on peut voir à ce
qu’elles soient un peu moins mauvaises,
mais même si l’on arrête dès demain
d’extraire les combustibles fossiles du sol,
il y aura déjà eu des changements climatiques irréversibles qui se répercuteront
sur notre façon de vivre. Nous cherchons
maintenant à trouver des solutions. Si
nous pouvions mettre en œuvre des
solutions qui permettent de changer la
manière dont les choses se sont faites et
de défier la dynamique du pouvoir, alors
nous pourrions en sortir encore plus forts.
— Possian
Nous avons l’occasion de nous affirmer
— de redéfinir notre marque — comme
plus grande puissance, vu ce qui se passe
dans le monde. Il y aura neuf milliards
de personnes à nourrir en 2050 et nous
avons des politiques agricoles parmi les
plus fortes au monde. Durant la crise
mondiale de 2008, nous avons su démontrer notre prouesse financière et nous
continuons d’être un chef de avec nos
systèmes fiscaux et bancaires, notre stabilité et notre taux de chômage relativement bas en comparaison avec d’autres
nations. Mais exportons-nous suffisamment ce bassin de connaissances? Non!
Mettons-nous assez en évidence combien
nous sommes impressionnants? Non! On
appelle cela le « syndrome du coquelicot
le plus grand » — nous ne voulons pas
attirer l’attention en étant le coquelicot le plus grand dans le champ, alors
quand les Canadiens font des choses
extraordinaires, nous ne voulons pas en
accepter le mérite. J’aimerais nous voir
plus patriotiques, mais tant que le monde
extérieur ne nous applaudit pas, nous ne
nous applaudissons pas nous-mêmes.
L’humilité est une qualité louable, mais
non pas si elle nous empêche d’avancer.
— Mohamed
34
Nous devons décider dans quel genre de
pays nous voulons être. On investit beaucoup à l’heure actuelle dans l’innovation
au sein de la fonction publique, et cet investissement va s’épuiser si nous ne nous
engageons pas à mettre en œuvre certaines des grandes idées qui ont circulé.
Arrêtons de parler de l’expérimentation
et commençons à nous engager envers
de nouvelles approches pour résoudre
les problèmes. Si nous ne pouvons pas
faire cela, alors nous devrions simplement nous engager à être un pays qui suit
les autres. — Ebrahim
Pour que le Canada soit sur une trajectoire
positive à l’avenir, nos systèmes doivent
devenir plus poreux et doivent accueillir
plus volontiers les idées émergentes et les
perturbations. En ce moment, il semble
que les structures en place ne savent pas
métaboliser les bonnes idées et les nouvelles perspectives, même si nous les avons
trouvées nous-mêmes. — Glencross
Nous constituons une société soumise
aux règles. Nous n’aimons pas prendre
trop de risques. La paix, l’ordre, la bonne
gouvernance : c’est ce que nous sommes.
Ne pas prendre de risques veut dire nous
entourer des mêmes idées ressassées et
des mêmes personnes qui reflètent ces
idées. La recherche montre que si nous
voulons développer ce genre de pensée
rigide, nous devons avoir une équipe
homogène. Par contre, si nous souhaitons
produire quelque chose de nouveau, de
différent, d’un peu fou, alors nous devons
nous assurer d’avoir une équipe de gens
complètement différents de nous. Cela
peut créer des conflits temporaires et du
chaos, mais cela va aussi engendrer de la
créativité et nous avons besoin de cette
créativité. — Omidvar
Jusqu’à maintenant, la société canadienne a été comparativement ouverte à
l’innovation. Nous sommes plutôt à l’aise
avec les gens qui viennent ici et font les
choses différemment. Tout cas individuel, où des intérêts établis essaieraient
d’arrêter l’introduction de quelque chose
de nouveau ou d’empêcher la concurrence
d’entrer en jeu, peut à première vue ne
pas sembler très grave. Toutefois, il s’agit
d’une bataille de plus grande envergure :
ce qui est par opposition à ce qui pourrait
être. En tant que société, nous souhaitons
que ceux, qui ont de l’initiative et tentent
de faire quelque chose de novateur et
de différent, puissent y gagner plus qu’y
perdre. — Robson
« Arrêtons de
parler de
l’expérimentation
et commençons à
nous engager
envers de nouvelles
approches pour
résoudre les
problèmes. »
— Zahra Ebrahim
35
8
LENTILLE 8
Que nous
faudrait-il
pour réussir
à créer un
bon avenir?
Avoir le courage de
reconnaître nos défis
Les personnes dotées de vision, d’intelligence, de sagesse et
d’énergie devront s’extraire de leurs
zones de confort et se dévouer à
la tâche de convaincre leurs concitoyens que nous avons beaucoup
de travail ardu à faire. Il y aura de
la controverse et parfois de brefs
sacrifices à faire, mais les Canadiens
devront appuyer les leaders qui assumeront le gros du travail, non pas
36
pour des raisons de défendre leurs
intérêts, mais pour des raisons de
fierté nationale et de foi en notre
responsabilité envers les générations futures. Si les gens ayant des
talents exceptionnels ne se manifestent pas et si les Canadiens ne
leur donnent pas l’appui qu’il faut, le
scénario négatif deviendra le scénario de base. — Emerson
Les principales forces de changement
aujourd’hui ne sont pas canadiennes;
elles sont mondiales. Le Canada prospère
ou réussit moins bien en fonction de sa
compréhension du monde qui l’entoure.
Quand il ne le comprend pas, les choses
ne vont pas bien… Il nous faut également
créer un contexte dans lequel les sujets
les plus importants du moment dominent
le discours public. Lisez cinq journaux et
écoutez cinq postes de radio aujourd’hui,
et aucun d’eux ne mentionnera ces sujets.
Faites-en de même à Singapour et eux les
mentionneront. En Suède, ils le feraient
aussi. — Lynch
Nous ne pouvons pas nous permettre
d’aborder l’avenir en somnambules; nous
devons être pleinement conscients de
notre insatisfaction envers la voie dans
laquelle nous sommes engagés et nous
devons nous servir de notre volonté collective pour apporter les changements
nécessaires. La course est commencée,
entre ce que nous pouvons faire par
intentionnalité et volonté, et ce que
réussiront à faire les forces qui sévissent
au sein de la société canadienne, si l’on
n’intervient pas. — Reid
Avec un cycle électoral de quatre ans, les
politiciens mènent leurs campagnes et
peignent un très joli tableau, mais ils ne
racontent pas l’histoire au complet. Une
fois au pouvoir, ils se rendent compte
qu’ils ont de dures décisions à prendre. Et
puis les gens sont mécontents parce que
les élus ne font pas ce qu’ils avaient promis
de faire. Quand nous élisons certains
individus, il nous faut avoir le courage de
les laisser faire ce qu’ils doivent faire sans
succomber à la pression de faire ce qui est
bien vu par le public. — Pereša
Nous avons connu des moments spectaculaires où nous aurions dû nous arrêter et
dire : « Attendez un peu, ceci est vraiment
mauvais. » Nous devons constamment
saisir ces moments et se politiser à leur
sujet, organiser des événements autour
d’eux, apprendre ces moments à d’autres,
les exposer. Il nous faut dire aux personnes
blanches : « Je ne veux pas que vous
m’aidiez. Je veux que vous compreniez que
votre vie sera vraiment mauvaise si rien ne
change. » Si vous désirez vivre derrière les
barricades et avoir des fusils et tirer sur les
gens qui vous confrontent, si vous croyez
que ce serait la bonne vie, alors vous ne
verrez pas la cause commune. Mais vous
ne pourrez pas avoir une vie agréable,
encore moins une vie morale, au milieu
d’une société où tant de choses affreuses
arrivent à d’autres. — Razack
Au cours des derniers 400 ans de civilisation humaine, on est passé du temps où
les rois possédaient à eux seuls un pouvoir
qui, disaient-ils, leur venait directement de
Dieu, à l’avènement de la démocratie où le
pouvoir venait du peuple. Ceci démontre
qu’il est possible pour l’humanité de surmonter la barbarie. Mais nous sommes en
train de recréer les élites aristocratiques
qui accaparent le pouvoir. Heureusement, nous avons un sens solide du passé,
et nous avons la capacité de renverser
les tendances. C’est pour ça que je peux
dormir la nuit. Mais il faut persévérer, et de
temps en temps il faut se mettre en colère.
— Venne
Nous engager et agir en
partenariat pour relever
ces défis
Nous ne contribuons pas selon notre
plein potentiel, ni à l’intérieur de notre
pays ni à l’extérieur dans le monde. En
tant que sociaux-démocrates, nous avons
tendance à trop vouloir nous en remettre
aux autres, en partie par souci de respect,
mais aussi à cause d’une sorte de passivité
qui nous pousse à vouloir attendre qu’on
nous guide. La façon pour nous de mieux
agir serait d’assumer la responsabilité de
ce que sera le Canada à l’avenir. Il faut que
nous nous rappelions que la solution ne
viendra pas du gouvernement et elle ne
viendra pas non plus d’ailleurs : le Canada
sera ce que nous en ferons. — Ménard
La société est restée dans une relation
dominant/dominé dans laquelle elle n’a
rien à apprendre des autochtones, mais
n’a seulement qu’à les aider. Mais il n’y a
personne qui n’aide personne, chacun a
quelque chose à apprendre ou à donner
à l’autre, peu importe sa position sociale.
On ne peut pas construire le Canada
de demain sans tous les Canadiens. Se
positionner en tant qu’apprenant et non
comme maître disposant du savoir est
indispensable à la création d’un dialogue
social inclusif. — Duguay
Le Gouverneur général nous a lancé un
appel pour créer « un pays de cœur et
d’avenir », une nation éclairée et bienveillante. C’est une bonne juxtaposition : il
nous faut des gens remplis d’aspirations
et d’ambitions qui désirent consacrer
leurs talents et leurs efforts à leur propre
amélioration et à celle de la collectivité.
Pour franchir les étapes nécessaires sur le
plan des connaissances et de la créativité,
nos leaders devront être réceptifs à de
nouvelles idées et pouvoir entendre divers
points de vue provenant de personnes
ayant des origines, des expériences et des
cultures différentes. — Fortier
Si nous échouons dans notre tentative
d’apporter les changements nécessaires,
ce ne sera pas parce que les solutions
n’existaient pas ou parce qu’elles n’étaient
pas économiquement viables. Ce sera parce
que nous ne pensions pas en être capables
et n’avons pas mobilisé assez de gens de
tous les secteurs de notre société pour que
ceci devienne une réalité. — Guilbeault
Depuis quelque temps, je réfléchis sur les
moyens de travailler ensemble à l’avenir en
vue de relever les défis écologiques ou sociaux. Je me sers d’une métaphore inspirée
par le cyclisme routier du même type que
celui du Tour de France, une course intensément compétitive, avec plusieurs équipes
de cyclistes et stratégies, et aussi une
course profondément collaborative. Les
cavaliers seuls n’y ont pas leur place. Chacun doit faire sa part. Il faut que la confiance
règne. Le but est d’accélérer le progrès
pour atteindre un résultat prédéfini.
Pouvons-nous créer de tels pelotons pour
mobiliser les efforts et les talents conjoints
en vue d’atteindre nos résultats ambitieux,
hardis et positifs? — Lambert
Si nous faisons confiance aux individus et
les invitons plus souvent à participer aux
délibérations et aux décisions entre — et
non seulement pendant — les élections,
le Canada deviendra de nouveau un pays
vivant, prospère, durable et progressiste.
Pour y arriver, nous devrons rendre possibles les conversations entre citoyens,
surtout à propos d’enjeux importants et
complexes. — Graham
Nous, au Canada, avons besoin de nous
créer une vie symbolique, qui soit assez
convaincante pour donner aux Canadiens
un sens d’appartenance et offrir un monde
de possibilités, tout en communiquant nos
valeurs au reste de la planète. Il est facile à
l’heure actuelle de vivre n’importe où dans
le monde, de rester branché par l’entremise
d’écrans et de vivre dans un univers symbolique qui n’a rien à voir avec le sentiment
d’appartenance à un lieu. Mais je crois
néanmoins qu’en habitant ensemble dans
les collectivités et en partageant des institutions, des valeurs et un système politique
communs, nous serons en mesure de créer
un espace symbolique unique, où nous
nous rencontrerons, discuterons, rêverons
et imaginerons notre avenir.— Brault
37
Partie 2 :
52
INTERVIEWS
38
39
→ Jeannette Armstrong, titulaire de la Chaire de recherche
du Canada sur le savoir et la philosophie des Okanagan à
l’Université de Colombie-Britannique, interviewée le
7 novembre 2014 par Elizabeth Pinnington
Jeannette
Armstrong sur
LE BESOIN DE DÉPASSER
la compréhension colonialiste :
« La réindigénisation signifie devenir
responsables de l’endroit où nous vivons. »
PINNINGTON
ARMSTRONG
Dans votre
expérience
personnelle, à
quoi attribuez-vous
l’orientation des
perspectives que
vous avez et le
travail que vous
faites, aujourd’hui?
Je suis autochtone et je suis autochtone
de cette partie du Canada, des régions
tribales du Plateau, et plus particulièrement, de la Nation salish de l’Intérieur.
Donc UNE DES CHOSES QUI DICTE MA
Donc qu’est-ce
que la réconciliation
implique?
PERSPECTIVE, C’EST QUE CECI N’EST PAS LE
CANADA : CECI EST LE TERRITOIRE SYILX. Et
ceci est le territoire Syilx depuis au moins
la période préglaciaire, selon toutes
les recherches qui ont été faites par les
linguistes et les archéologues. Une seule
culture, ici sur ce territoire.
Par conséquent, l’histoire de mon peuple
dicte ma façon de voir la colonisation du
Canada. Par exemple, quand j’étais au
secondaire et puis à l’université, on nous
enseignait l’histoire du Canada. Je me suis
rendu compte qu’ici, l’histoire locale était
vraiment déformée, d’après ce qu’on lisait
dans les livres scolaires. On y présentait
les premières colonies d’un point de vue
très positif et dilué, afin que ce soit plus
acceptable dans le système d’éducation
de la société coloniale. C’est quelque
Je crois que la société en sortira meilleure
de ce fait et je crois que les Canadiens
sont dans une grande mesure désireux de
bien agir, s’ils sont renseignés. Je suis très
optimiste que les peuples du Canada sont
prêts à choisir la voie la plus honnête et
serviront ainsi de modèles pour le reste
du monde.
Je regarde ce cent cinquantième anniversaire et je me dis : « Si c’est un anniversaire,
qui donc s’est marié ici? » Les partenariats
avec les peuples autochtones sont néces-
40
Si vous pouviez
poser trois questions
à un sur l’avenir
du Canada,
qu’aimeriez-vous
lui demander?
chose qui a vraiment influencé ce que
je ressens à propos de ces injustices qui
n’ont pas été réparées.
La réconciliation n’est pas seulement
d’entendre la vérité, c’est d’agir sur la
vérité, d’apporter des changements et
de remédier à certaines injustices graves
qui se produisent toujours à l’heure actuelle et qui sont toujours bien présentes
(l’injustice économique, par exemple).
Les proclamations gouvernementales
continuent de voir nos terres comme
des terres à prendre, des ressources à
prendre, sans jamais reconnaître la vérité.
Nous occupons ces terres légalement
depuis des milliers d’années et avons le
droit de prendre part aux décisions touchant ces terres, autant les décisions portant
sur leur développement que les décisions
portant sur leur protection. Alors ce sont
là certains enjeux qui d’après moi restent
encore à régler, et sur lesquels le Canada
doit se pencher en réfléchissant à ses cent
cinquante années d’existence.
des populations coloniales. Pourtant nous
avons survécu en affirmant nos propres
identités et nous continuerons de survivre
avec nos propres identités, et c’est pour le
bien du Canada et non à son détriment. Le
fait d’avoir trouvé des moyens de survivre
nous a donné des forces, des outils, ainsi
qu’une meilleure compréhension de la
façon dont nous pourrions être des partenaires dans ce pays.
D’abord, le Canada a-t-il abandonné sa
compréhension colonialiste de ce qu’est
le Canada? S’est-il indigénisé devant la
réalité de ce pays-ci ou a-t-il conservé une
ancienne interprétation européenne de
domination et de gouvernance?
L’autre chose que je demanderais, c’est à
quel point sommes-nous arrivés en comparaison avec d’autres nations du monde,
qui sont beaucoup plus avancées que le
Canada quant à leur examen des questions
fondamentales qui se rapportent au savoir
autochtone et aux peuples autochtones?
Alors en poursuivant l’exemple du changement climatique, sommes-nous vraiment
en train de nous indigéniser à cet égard,
et sommes-nous en train de revoir les systèmes éducatifs et médiatiques afin qu’ils
reflètent cette indigénisation? Ce que cela
veut dire c’est que très, très peu de gens
n’importe où comprennent quoi que ce
soit de leur environnement, de leur bassin
hydrographique, de leur faune et flore
autochtones, et pourtant ils votent en vue
de prendre des décisions sur ces choses.
Donc la réindigénisation ne veut pas dire
transformer les personnes en Indiens ou je
ne sais quoi, cela signifie devenir responsables envers l’endroit où nous sommes,
d’avoir un point de vue informé permettant des prises de décisions éclairées sur
des questions qui nous concernent tous.
Aussi, je demanderais si le Canada a adopté
une position ferme pour ce qui est de travailler conjointement avec ses partenaires
autochtones, en vue de résoudre certains
problèmes qui touchent profondément
la société tout entière. Par exemple, ces
politiques qui créent des minorités, ou
l’idée qu’il existe des minorités. Vraiment,
il ne s’agit que d’un concept, un concept
qui crée des ethnies et l’idée qu’il existe
des minorités. En réalité celles-ci n’existent
pas ; nous sommes des êtres humains et
nous vivons dans différentes régions de ce
pays, et nous devons utiliser différentes
méthodes et procédures pour coopérer au
niveau local vis-à-vis de l’environnement
ou de nos besoins économiques ou de nos
exigences sur le plan social. Il n’y a pas de
minorités dans tout cela.
« Je regarde ce cent
cinquantième anniversaire et
je me dis : « Si c’est un anniversaire,
qui donc s’est marié ici? »
saires pour améliorer la situation qui existe
actuellement dans les communautés
autochtones partout dans ce pays.
Par exemple, la façon dont nous définissons l’indigénéité en soi peut déterminer
comment nous devons aborder le changement climatique. Les autochtones ont
survécu à ces cent cinquante années. Tout
comme George Manuel et d’autres dirigeants ont dit dans le passé, nous n’étions
pas censés survivre : nous devions être entièrement assimilés et être comme le reste
i les choses
S
tournent bien au
cours des vingt
prochaines années,
que se sera-t-il passé?
i les choses tournent bien au cours des
S
vingt prochaines années, des changements d’attitude se seront produits
vis-à-vis des ressources : il ne s’agira plus
de ressources destinées à être extraites
par des entreprises étrangères, mais des
ressources qui font partie du paysage et
des gens qui y vivent. Dans une grande
mesure, c’est un savoir transmis par
l’entremise de partenariats entre autochtones, qui se soucient de protéger ce
dont auront besoin les sept prochaines
générations. Si dans vingt ans, la conjoncture légale a ouvert certaines portes et a
avancé vers un partenariat authentique et
équilibré avec les peuples autochtones, le
Canada aura franchi un pas de géant.
41
Scott Baker, Jonathan Glencross, Humera
Jabir, Chris Penrose, et Amara Possian sur
→ Scott Baker, chercheur-boursier au Studio Y de MaRS Discovery
District; Jonathan Glencross, consultant chez Purpose Capital;
Humera Jabir, étudiante en Droit à l’Université McGill; Chris
Penrose, directeur exécutif de Success Beyond Limits et
Amara Possian, directrice de campagne à Leadnow.ca, tous
interviewés le 1er septembre 2014 par Adam Kahane
LA COMMUNAUTÉ :
« Les endroits que je trouve les plus inspirants
et énergisants sont ceux où il y a des jeunes. »
KAHANE
GLENCROSS
Qu’est-ce qui
vous empêche de
dormir la nuit?
Je suis particulièrement préoccupé par
le fait que les gens semblent incapables
d’imaginer un avenir entièrement différent, non seulement en tant qu’individus,
mais aussi en tant que pays. Parmi mes
amis les plus branchés et les plus engagés,
il y en a qui passent beaucoup de temps
à défendre leurs activités courantes en
opposition à ce qu’on leur disait quand ils
étaient plus jeunes : allez à l’école, décrochez un bon emploi, travaillez fort, fondez
une famille, établissez-vous dans un bel
endroit et sachez raconter simplement ce
que vous faites. Cette préoccupation les
empêche de rêver à de nouvelles manières
de fonctionner.
POSSIAN
Je pense beaucoup à nos candidats politiques qui ne peuvent pas offrir des visions
convaincantes de l’avenir. Les endroits que
je trouve les plus inspirants et énergisants
sont ceux où il y a des jeunes qui discutent
entre eux de ce à quoi pourrait ressembler
l’avenir. Mais nous ne sommes pas les détenteurs du pouvoir. Le système politique
— où se trouve le pouvoir décisionnel
officiel — est comme une barrière. C’est
quelque chose qui favorise le désengage-
Si les choses tournent
mal dans vingt ans, que
se sera-t-il passé?
42
ment. Et de plus, nos mouvements sociaux
sont fragmentés. Nous sommes d’accord
sur quatre-vingt-dix-neuf pour cent des
choses, nous reconnaissons qu’il nous faut
affronter des forces systémiques, mais
parfois, il semble que nous n’allons jamais
pouvoir travailler ensemble. Nous avons
peut-être les mêmes objectifs, mais nous
n’avons pas nécessairement la capacité
d’agir collectivement.
JABIR
Je viens d’un milieu d’immigrants et ma
ville, Toronto, est maintenant une ville
majoritairement composée d’immigrants.
Ceci a formé ma compréhension des
personnes qui se considèrent en marge où
qui ne font pas partie du discours politique
conventionnel. Je m’inquiète beaucoup
de l’inégalité et de ceux qui sont laissés
pour compte dans nos décisions d’avenir.
Lorsque les services sociaux sont réduits
ou supprimés, lorsque le chômage chez les
jeunes est négligé, lorsque la dette est mise
sur le dos des jeunes... toutes ces actions
limitent la prospérité future des gens ainsi
que leur capacité d’avoir une voix et de
participer de façon égale à la société.
PENROSE
POSSIAN
Nous n’avons pas changé de direction. Nous
avons continué de dépendre de choses qui
compromettent notre environnement.
Les mêmes types de personnes prennent les décisions et occupent des postes
publics. Nous avons pris du retard dans
l’établissement de l’infrastructure dont
nous avons besoin. Nous avons continué à
fonctionner avec une mentalité de pénurie,
ce qui a fini par faire du mal aux gens les plus
touchés par les inégalités sociales.
À un moment donné, nous avons perdu
confiance en notre vision. Nous nous
trouvons maintenant dans une situation où
UN PETIT SEGMENT DE LA SOCIÉTÉ A RÉUSSI
À RENDRE IMPORTANTES AUX YEUX DE LA
PLUPART DES GENS CERTAINES QUESTIONS
PEU PERTINENTES. SI CETTE TENDANCE SE
POURSUIVAIT, NOUS SERIONS NOMBREUX À
NOUS SENTIR TELLEMENT IMPUISSANTS QUE
NOUS NOUS RETIRERIONS COMPLÈTEMENT.
Nos dirigeants n’ont pas reconnu la valeur
d’avoir tout le monde qui bouge ensemble,
y compris les moins riches et les moins
puissants. C’est une manière très risquée
de procéder. Si nous restons sur la tra-
jectoire du démantèlement d’un grand
nombre de nos structures sociales et nos
mesures d’appui au bien-être, et si nous
continuons à apporter des modifications
radicales à nos lois, nous pourrions créer le
type d’inégalité enracinée que nous voyons
aux États-Unis et au Royaume-Uni.
GLENCROSS
JABIR
Pour que le Canada soit sur une trajectoire
positive à l’avenir, nos systèmes doivent
devenir plus poreux et doivent accueillir
plus volontiers les idées émergentes et les
perturbations. En ce moment, il semble
que les structures en place ne savent
pas métaboliser les bonnes idées et les
nouvelles perspectives, même si nous les
avons trouvées nous-mêmes.
Nous nous engagerions à travailler ensemble pour mener à bien un projet
d’envergure nationale. La Finlande a
réussi à se concentrer sur un des meilleurs
systèmes d’éducation au monde. Il est
impossible de tout résoudre, mais si nous
pouvions rechercher l’excellence dans un
seul domaine, cela nous donnerait un peu
de motivation.
JABIR
Si les choses
tournent bien, que
pourrait-on en dire
et comment les
choses se seraientelles déroulées?
« Nous sommes peut-être plus conscients des barrières qu’une génération plus âgée qui aurait déjà
trouvé son chemin. Il existe un grand sentiment d’anxiété parmi les membres de ma génération. »
Ce que je remarque dans
cette conversation jusqu’à
maintenant, c’est combien
vos commentaires
initiaux ont été plus
désespérés que ceux de
bien d’autres personnes
que nous avons
interviewées. Je me
demande si vos positions
de jeunes leaders vous
font voir des choses que
d’autres plus âgés que
vous n’ont pas captées.
Qu’est-ce qui
vous anime?
JABIR
Nous sommes peut-être plus conscients
des barrières qu’une génération plus âgée
qui aurait déjà trouvé son chemin. Il existe
un grand sentiment d’anxiété parmi les
membres de ma génération. Vous pouvez
le constater par le nombre de jeunes qui
ont recours aux conseils des praticiens de
santé mentale dans les universités ou qui
sont stressés à l’idée de trouver un emploi.
Bien des gens appartenant au groupe d’âge
de vingt à trente ans ignorent quel sera leur
prochain geste, ou comment ils devront s’y
prendre pour arriver là où ils veulent aller.
BAKER
C’est facile pour moi de décrire le pire des
scénarios et c’est difficile pour moi de décrire le meilleur des scénarios et comment on
y arrive. C’est probablement très caractéristique du millénaire. À partir du moment
où nous avons commencé à ressentir une
certaine curiosité vis-à-vis du monde, nous
avons appris que les choses sont allées de
mal en pis à bien des égards. Nous avons
JABIR
Nous avons beau parler des changements
liés aux politiques et de tout ce qu’il importe de faire aux plus hauts niveaux, mais
en fin de compte, il faut commencer par
les familles et les communautés. Si ces éléments ne sont pas solides, alors la création
de mouvements et l’activisme ne sont pas
également fini par comprendre que le
monde bouge de façon incroyablement
rapide et imprévisible, et par conséquent,
en affrontant des défis terrifiants, nous
sommes confiants que demain les choses
pourraient être très différentes qu’elles ne
le sont aujourd’hui. C’est ce qui continue de
me motiver malgré tout mon pessimisme.
POSSIAN
Nous sommes la première génération
à savoir que les choses vont probablement s’empirer. Bien sûr, on peut voir à ce
qu’elles soient un peu moins mauvaises,
mais même si l’on arrête dès demain
d’extraire les combustibles fossiles du sol,
il y aura déjà eu des changements climatiques irréversibles qui se répercuteront
sur notre façon de vivre. Nous cherchons
maintenant à trouver des solutions. Si nous
pouvions mettre en œuvre des solutions
qui permettent de changer la manière dont
les choses se sont faites et de défier la dynamique du pouvoir, alors nous pourrions
en sortir encore plus forts.
possibles. Un des problèmes les plus difficiles à surmonter, c’est l’immense solitude
que bien des gens ressentent. En devenant
de plus en plus isolés, nous perdons les
bases nécessaires pour faire quoi que ce
soit de ce que nous voulons faire. Je veux
rapprocher les gens, parce que sans cela,
tout le reste n’est vraiment pas possible.
43
Jim
Balsillie
→ Jim Balsillie, cofondateur de RIM/BlackBerry,
interviewé le 22 septembre 2014 par
Monica Pohlmann
sur
LA COMMERCIALISATION
de nos idées :
« Avec toute notre créativité, nos gens
intelligents et nos vaillants travailleurs,
pourquoi n’avons-nous pas mieux réussi? »
POHLMANN
BALSILLIE
u’est-ce qui vous
Q
préoccupe au sujet
du Canada?
Laissez-moi dire tout d’abord que je suis
extrêmement optimiste face aux perspectives d’avenir du Canada. Nous avons de
forts éléments fondamentaux ainsi qu’une
main-d’œuvre créative. Toutefois, je me
préoccupe de la prospérité du Canada, précisément sur la façon de voir comment nous
commercialisons nos idées à l’échelle mondiale. Au cours des trente-deux dernières
années, la croissance dans la productivité
multifactorielle du Canada — (qui mesure
comment nous commercialisons nos idées)
— a été de zéro pour cent. Et pourtant, pendant cette même période aux États-Unis,
la productivité multifactorielle a grimpé en
flèche. Avec ce type de prospérité, on peut
payer pour avoir une multitude de services
sociaux, d’hôpitaux, d’écoles et de réseaux
de transport. En tant que pays jouissant
d’une immense créativité, de gens intelligents et de vaillants travailleurs, pourquoi
n’avons-nous pas mieux réussi à commercialiser nos idées.
intérieur, et les structures reliant le secteur
public et le secteur privé qui se penchent
sur des questions importantes s’étalant sur
plusieurs horizons temporels.
Nous avons su bien calculer un grand
nombre d’éléments macro-économiques,
par exemple en assurant la stabilité
de notre système bancaire ainsi que
des régimes monétaires et fiscaux du
gouvernement. Nous avons généreusement investi dans tous les domaines
micro-économiques comme les incitatifs
fiscaux, les programmes de subventions
et le financement de projets RD, la question n’est donc pas d’avoir accès à plus
d’argent du gouvernement. La question
que nous devons nous poser est plutôt
: « Comment se fait-il que toutes ces
microcontributions ne nous donnent pas
les macrorésultats voulus, alors que notre
système est généralement si stable? »
IL EXISTE À LA FOIS UN DÉFI ET UNE OCCA-
Au Canada, durant le siècle dernier, nous
avons réussi en assez grande mesure à gérer
un écosystème favorisant une économie
de ressources, et nous continuons de
prospérer à cause de cela. Cet écosystème
comprend les éléments physiques, tels
que les réseaux routiers et les pipelines, les
éléments géopolitiques, tels que l’accès aux
marchés et la protection des investissements, les universités qui ont correctement
instruit les étudiants et qui ont réalisé des
travaux de recherche dans des domaines
pertinents, sans oublier les tribunaux qui
ont rendu des jugements impartiaux à
l’égard de causes touchant le commerce
44
SION CRITIQUES POUR LES ÉLABORATEURS
DE POLITIQUES ET LES CHEFS D’ENTREPRISES
: C’EST DE COMPRENDRE ENTIÈREMENT
LES DIFFÉRENCES ENTRE UN ÉCOSYSTÈME
FAVORISANT UNE ÉCONOMIE DE RESSOURCES ET UN ÉCOSYSTÈME PRIVILÉGIANT UNE ÉCONOMIE D’INNOVATION PUIS
DE S’ASSURER QUE TOUTES LES LACUNES
SOIENT COMBLÉES. Une fois ce but at-
teint, je suis convaincu que notre cote de
rendement pour ce qui est de la commercialisation se mettra à grimper selon nos
expectatives de toujours, vu nos niveaux
d’investissement et nos compétences de
calibre mondial.
Quelles décisions
importantes le
Canada devra-t-il
prendre pour
combler ces lacunes
dans l’écosystème et
créer une économie
d’innovation?
Il nous faut réorienter nos engagements
nationaux et géopolitiques vers la commercialisation d’idées, surtout dans le domaine complexe, prédateur et changeant
de la gestion des droits de propriété intellectuelle. La propriété et la commercialisation d’idées intangibles sont tout à fait différentes de ce que cela représente pour les
ressources naturelles tangibles. De plus en
plus, il faudra faire preuve de grande dextérité, au fur et à mesure que de nouvelles
économies émergentes chercheront aussi
à promouvoir leurs propres innovateurs et
au fur et à mesure que divers régimes de
tarification du carbone s’inséreront dans le
commerce mondial. Le corps universitaire
doit mener à bien des travaux de recherche
sur la commercialisation d’idées et nos
écoles doivent l’enseigner, les tribunaux
doivent adopter une stratégie pour la
défendre, les programmes industriels doivent l’encourager et les structures reliant
les secteurs public et privé doivent faire en
sorte qu’elle soit considérée comme une
priorité. La commercialisation, c’est là où
le jeu de l’innovation se gagne ou se perd
: c’est là où l’on vous paye pour vos idées.
Quand on est payé pour ses idées — autrement dit, quand il y a un transfert de droits
de propriété intellectuelle —, on peut dire
qu’on a atteint la productivité multifactorielle, on a atteint la prospérité et la richesse,
et on peut dépenser l’argent là où l’on veut.
« Si les Canadiens
veulent gagner,
ils savent comment
s’y prendre. »
Quelles leçons
importantes
pouvons-nous
apprendre
du passé?
Lorsque le Canada a été le pays hôte des
Jeux olympiques d’abord à Montréal, puis
ensuite à Calgary, nous n’avons pas remporté de Médailles d’or comme nation.
Nous sommes sortis profondément déçus
de notre performance nationale. Mais tout
à notre honneur, nous n’avons pas cherché
d’excuses en prétendant que les Médailles
d’or n’avaient pas d’importance. Au contraire, nous avons mis sur pied et financé
un programme cohérent appelé « À nous
le podium » et avons réalisé son objectif
ambitieux aux Jeux olympiques de Vancouver en remportant quinze Médailles
d’or — plus que tout autre pays du monde.
Ces résultats ont électrisé et inspiré notre
nation tout entière. Cela nous montre bien
ce qu’une approche ambitieuse, ordonnée
et systémique peut faire. Ce sont là des
exercices qui créent les nations et prouvent que si les Canadiens veulent gagner, ils
savent comment s’y prendre.
45
Tzeporah
Berman sur
→ Tzeporah Berman, auteure et militante
écologiste, interviewée le 5 septembre
2014 par Monica Pohlmann
Qu’est-ce qui
vous anime?
LA RÉSISTANCE
au changement climatique :
Dans leurs annonces publicitaires, les
compagnies pétrolières disent que les
oléoducs sont des projets bâtisseurs
de nations. Mais ce que ces compagnies
créent, c’est plutôt une nation de résistance. Elles unissent les gens de toutes
origines et régions, et réveillent le monde
« Le pétrole a un effet corrosif sur nos pipelines tout
comme il a des retombées sur notre démocratie. »
POHLMANN
Qu’est-ce qui
vous empêche de
dormir la nuit?
46
Le rôle croissant que jouent les Premières
Nations dans le dialogue public par rapport
à toute une gamme de sujets. Plusieurs
communautés et chefs des Premières Nations en ont assez de ne pas être écoutés
et de se faire imposer tous ces projets de
pétrole et de gaz. Les Premières Nations
se battent pour leurs territoires traditionnels, pour leur mode de vie traditionnel et,
comme me le disait un des chefs au début
de l’été, dans bien des sens, pour leur vie.
au sujet des conséquences de certaines
politiques sur le climat et sur la santé. Le
meilleur antidote à la peur ou à la dépression est l’engagement, et nous en voyons
en masse partout au pays. Lorsque j’ai
commencé à mener des campagnes, on
cherchait à trouver suffisamment de
monde pour se réunir autour d’une table
de cuisine. Maintenant, je rencontre de
jeunes organisateurs qui peuvent communiquer en quelques secondes avec des
dizaines de milliers de personnes. Ils ont
d’innombrables renseignements à portée
de la main et ils sont branchés dans une
mesure que l’on n’aurait jamais imaginé
possible. Cela transforme l’effet que nous
pouvons avoir en tant qu’individus et en
tant que groupes.
BERMAN
Le Canada fait moins à l’heure actuelle
au sujet du changement climatique et
a un système de réglementation plus
faible que tout autre pays industrialisé
pour contrer les menaces auxquelles fait
face l’environnement. Au cours des deux
dernières années, des douzaines de lois
protégeant notre air, notre eau et notre biodiversité ont été éviscérées ou éliminées. La
Loi sur les pêches n’offre plus la protection de l’habitat, c’est-à-dire que nous
protégeons les poissons, mais non pas là
où ils vivent. La Loi sur l’eau ne protège plus
l’eau. Ces changements ont été apportés
pour abattre les obstacles à l’expansion des
projets d’exploration du pétrole et du gaz
naturel. Les secteurs pétroliers et gaziers
ont une influence sans précédent sur
l’élaboration des politiques, juste au moment où la protection de l’environnement
est cruciale à la stabilité future de notre
économie et de notre climat.
météorologiques extrêmes, les inondations
et l’immigration.
Nous sommes arrivés à un point de nonretour. Durant les deux dernières années,
les investissements mondiaux dans les
technologies de l’énergie renouvelable ont
dépassé les rêves les plus fous de tout le
monde. Cependant, nous misons notre avenir économique sur les ressources de pétrole et de gaz naturel, qui vont devenir des
actifs bloqués, et par conséquent, nous serons économiquement désavantagés dans
l’exploitation d’autres formes d’énergie.
Notre future stabilité économique est
directement liée à notre capacité de
limiter dès maintenant l’exploitation des
combustibles fossiles. Pour chaque dollar
que nous dépensons aujourd’hui sur le
développement de combustibles fossiles,
nous aurons dépensé quatre dollars en
2020 pour traiter des résultats du changement climatique, entre autres les conditions
La démocratie ne peut pas s’épanouir sans
transparence, information ou participation.
Chacune de ces trois choses est brimée
présentement au Canada. On a sévèrement
limité la possibilité pour le public de prendre part aux décisions qui touchent notre
avenir. Si l’on veut parler ou envoyer une
lettre à l’Office national de l’énergie au sujet
d’une question quelconque, il faut d’abord
remplir un formulaire de onze pages et faire
approuver sa requête. Durant les examens
réglementaires, les citoyens et les experts
n’ont pas le droit d’intervenir au sujet de
l’incidence qu’auraient certains projets proposés sur le changement climatique. Ces restrictions draconiennes facilitent beaucoup
le processus d’approbation pour l’industrie.
Ce que nous observons au Canada, c’est que
le pétrole a un effet corrosif sur nos pipelines tout comme sur notre démocratie.
CHAQUE JOUR, LA POLLUTION AU CANADA
AUGMENTE AU LIEU DE DIMINUER. Notre tra-
jectoire nationale est l’inverse de ce qu’elle
devrait être, et nous sommes en déphasés
par rapport à la plus grande partie de la
communauté internationale. Les émissions
baissent aux États-Unis, pendant que les
Américains augmentent considérablement
leurs budgets pour exploiter l’énergie
renouvelable. Ici, ce n’est pas le cas. Notre
gouvernement refuse de parler de changement climatique et a systématiquement
mis fin à la plupart des activités scientifiques liées au climat dans ce pays. Ce n’est
pas simplement le fait que nous n’agissions
pas à l’égard du changement climatique;
c’est aussi le fait que nous n’ayons même
pas à l’heure actuelle de processus en
place pour en discuter.
Si les choses se
déroulaient mal,
à quoi le Canada
ressemblerait-il
dans vingt ans?
Une forte hausse dans le nombre de feux
de forêt et d’infestations de dendroctones détruira la majorité de nos forêts
boréales intactes. Nous aurons à faire
face à d’énormes vagues d’immigration
provenant du monde entier, mais surtout
de l’Asie du Sud-Est et de l’Afrique centrale. D’ici vingt ans, trente pour cent des
habitants de l’Asie du Sud-Est auront perdu
leurs foyers dû à l’élévation du niveau de la
mer. Une population plus dense mettra à
dure épreuve la capacité de nos villes, qui
seront déjà fortement taxées par des inondations et des conditions météorologiques
extrêmes. Les prix de la plupart des
denrées alimentaires seront multipliés par
trois ou par quatre en comparaison avec ce
qu’ils sont aujourd’hui.
« La démocratie ne peut pas s’épanouir sans transparence, information ou
participation. Chacune de ces trois choses est brimée présentement au Canada. »
Et si les choses se
déroulaient bien au
cours des vingt
prochaines années,
à quoi ressemblerait
le Canada?
Un réseau ferroviaire à grande vitesse reliera les grands corridors d’un bout à l’autre
du pays. Il y aura un grand accroissement
en ce qui a trait à l’usage des transports
en commun, au cyclisme et à la marche,
ainsi qu’une forte diminution du nombre
de voitures dans les centres urbains. Plus
d’entreprises comme Facebook viendront
s’installer au Canada et y construiront leurs
centres de données. Le Canada investira
beaucoup dans les ressources à énergie
renouvelable et dans sa capacité de vendre
de l’énergie propre aux États-Unis. Nous
verrons une augmentation dans la production d’énergie marémotrice sur les deux
littoraux, ainsi que dans la production
d’énergie géothermique, principalement
celle de l’Alberta. Un plus grand nombre de
foyers produiront leur propre énergie, qui
à son tour, se réalimentera au réseau. Tout
cela se traduira par la démocratisation de
l’énergie et de l’économie; si personne n’est
propriétaire des entrées d’énergie et si tout
le monde peut produire de l’énergie pour
servir la société, alors ce ne seront plus les
mêmes qui détiendront le pouvoir.
Quelles décisions
importantes le
Canada devra-t-il
prendre dans un
avenir rapproché?
Les élections de 2015 : je pense que cela va
transformer le visage du Canada. Il y a deux
ans environ, j’ai eu une conversation avec un
diplomate européen d’un certain âge pendant les pourparlers climatiques de l’ONU
en Afrique du Sud. Les larmes aux yeux, il
m’a dit : « Cela fait trente-cinq ans que je
suis diplomate, et bon nombre de sujets sur
lesquels je me suis penché impliquaient des
partenaires canadiens. Tout cela a changé.
Je ne comprends pas. Qu’arrive-t-il au Canada? » Ce fut un moment viscéral qui m’a fait
penser que « je voudrais de nouveau être
fière du Canada ». Nous sommes le pays
qui a contribué à résoudre le problème du
trou dans la couche d’ozone. Nous devons
décider si nous serons à la tête du monde
en ce qui a trait à la durabilité, à la justice
sociale et à d’autres enjeux intransigeants.
Je pense que oui.
47
John
Borrows
→ John Borrows, titulaire de la Chaire de recherche du Canada
en droit autochtone à la Faculté de droit de l’Université de
Victoria, interviewé le 2 septembre 2014 par Monica Pohlmann
sur
LES TRADITIONS
Qu’est-ce qui
vous empêche de
dormir la nuit?
juridiques des peuples autochtones :
« Malheureusement, nous avons adopté le
point de vue selon lequel les traités étaient
tout simplement des transactions immobilières. »
POHLMANN
BORROWS
Qu’est-ce qui
vous anime?
Nous avons deux systèmes juridiques,
un qui vient de la France et l’autre de
l’Angleterre, et pourtant, on ne reconnaît
pas suffisamment les systèmes qui viennent d’ici. Les traditions qui sont venues
de France et d’Angleterre nous ont parfois
bien servis, mais elles ont également laissé
des lacunes et des points d’interrogation
qui demeurent toujours sans solution,
aujourd’hui. Je suis convaincu que le Canada
serait enrichi par les traditions juridiques
des peuples autochtones. J’aimerais tellement que les perspectives et les traditions
juridiques des peuples salish, cri, blackfoot,
inuit et micmac deviennent partie intégrante de nos normes de jugement, non pas
seulement au sein des communautés au-
tochtones, mais dans l’ensemble du Canada.
Il pourrait être passionnant d’apprendre
ce que la tradition juridique salish nous
enseigne par rapport à la fracturation,
aux oléoducs ou aux gazoducs, ou à tout
problème local. Il se peut que la réponse
ne soit ni entièrement dans le droit salish
ni entièrement dans la Common Law, mais
quand on juxtapose les deux systèmes — ça,
c’est puissant! Il y a quelque chose dans le
jumelage qui confère une nouvelle perspective. Tout comme nous avons différentes
formes d’art, les peuples autochtones ont
différents types de droit. Nous devons chercher comment nous approprier ce droit et
le façonner en différentes formes nouvelles
et inspirantes.
Pourrons-nous revitaliser les langues
autochtones? Un grand nombre d’entre
elles sont au bord de l’extinction, et il est
difficile de maintenir les autres vivantes,
même si elles sont plus solidement ancrées
— comme celles des Inuist, des Ojibwés
et des Cris. Ce qui explique en partie cette
tendance, c’est qu’environ cinquante pour
cent des autochtones sont mariés à des
non-autochtones. À peu près soixante
pour cent des autochtones habitent
maintenant des zones urbaines; les médias
de langue anglaise exercent tellement
d’influence sur la nouvelle génération.
ondes. Ils grandissent en parlant anglais,
mais ils sont Salish et déclarent « je veux
parler le salish! » Il y a un tout petit nombre
de personnes salish, dont le salish est la
langue première, mais maintenant, il y en
a de plus en plus qui l’étudient comme
langue seconde.
Si vous pouviez
consulter un
voyant sur l’avenir
du Canada, que
voudriez-vous
savoir?
Une bonne nouvelle, c’est qu’il y a beaucoup de gens qui apprennent les langues
autochtones comme des langues sec-
48
J’APPRENDS L’OJIBWÉ DEPUIS QUELQUES
ANNÉES. EN APPRENANT CETTE LANGUE,
J’ACQUIERS DE NOUVELLES FAÇONS DE VOIR
LE MONDE. Dans les langues algonquiennes,
le monde est divisé entre les choses qui
vivent et les choses qui ne vivent pas. En
ojibwé, les roches et les arbres possèdent
des forces vivantes; on les traite comme
des personnes. On a un rapport différent
avec le monde.
Nous manquons à notre devoir envers
les jeunes du Canada, en particulier les
jeunes autochtones, en nous battant pour
des questions idéologiques et en ne leur
donnant pas les compétences les plus
fondamentales. Même aujourd’hui, seulement trente-cinq pour cent des enfants
en réserves terminent l’école secondaire.
Et seulement quatre pour cent d’entre
eux ont un niveau secondaire de scolarité. Nous avons perdu des générations
entières de jeunes dans les pensionnats
chrétiens, les services de protection de
l’enfance, le système carcéral, les drogues
et le décrochage scolaire. La perte en
potentiel humain est stupéfiante.
En enseignant aux jeunes, je perçois
souvent en eux un sens d’espoir perdu
ou de cynisme vis-à-vis de ce que l’avenir
leur réserve, face à ce qu’ils peuvent faire
dans le monde. J’essaie de les encourager
à comprendre qu’ils peuvent en effet faire
une différence, j’essaie de les aider à identifier le domaine dans lequel ils pourront
donner et contribuer. C’est vraiment gratifiant, cependant, d’entendre les étudiants
poser des questions. Ils ne se contentent
pas de laisser les choses telles quelles.
J’ai beaucoup voyagé l’été dernier en
Ontario, où j’ai visité différentes réserves
et entendu les aînés dire : « Il y avait
beaucoup de chênes et d’érables dans
cette forêt autrefois, et ils ne sont plus là.
Nous ne voyons plus les diverses espèces
d’oiseaux, d’insectes ou de poissons
qui abondaient ici autrefois. » Après
les avoir entendus, je m’inquiète pour
l’environnement, je m’inquiète devant la
perte de diversité dans notre écosystème.
« Nous avons opté pour la persuasion,
et non pour la force. À mon avis, il s’agit là
d’une des fondations mêmes du Canada. »
Si dans vingt ans
les choses devaient
mal tourner, que se
serait-il passé?
Nous n’aurions pas cultivé une façon saine
d’aborder ce que nous pouvons appeler
la spiritualité. Nous n’aurions pas prêté
suffisamment attention à la manière non
physique d’évoluer dans le monde, et aux
questions de communauté et de liens. Nous
aurions dû nous engager dans des conversations qui nous auraient fait sortir du
moment et penser de façon plus large, de
façon à nous demander « pourquoi sommes-nous ici? » Nous n’aurions pas réussi
à créer un rapport différent avec notre
environnement. Nous étions plus branchés
sur les mouvements de l’énergie nationale
et internationale, et pas assez conscients
des énergies locales et de comment on les
endommageait ou de comment on aurait pu
mieux les exploiter.
Pourriez-vous me citer
quelques exemples
importants où le
Canada a réussi à
atteindre son
potentiel dans le passé?
Nous sommes dans la 250e année du
Traité de Niagara. En 1764, deux mille
autochtones représentant vingt-quatre
différentes nations ont rencontré le principal fonctionnaire en Amérique du Nord
britannique, Sir William Johnson, afin de
conclure un traité de paix, d’amitié et de
respect. C’était après la guerre de Sept
Ans. D’une seule voix, ils ont dit : « Voici à
quoi ressemblera le Canada. Nous aurions
pu continuer à faire la guerre, mais avons
décidé contre. Nous avons opté pour la
persuasion, et non pour la force. » À mon
avis, il s’agit là d’une des fondations mêmes
du Canada. Alors pourquoi n’avons-nous
pas célébré l’événement? C’est que malheureusement, nous avons adopté le point
de vue selon lequel les traités étaient tout
simplement des transactions immobilières. En adoptant ce point de vue, nous
avons perdu une partie de ce que nous
sommes à titre de nation. Nous n’avons
pas vu que notre nation est fondée sur des
aspirations plus nobles.
49
Simon
Brault
→ Simon Brault, directeur et chef de la direction
du Conseil des Arts du Canada, interviewé le
5 novembre 2014 par Brenna Atnikov
sur
L’ART DE NOUS
réinventer nous-mêmes :
Si vous pouviez
demander à un
voyant tout ce
que vous voulez
savoir au sujet de
l’avenir, que lui
demanderiez-vous?
« Le Canada devrait renoncer à l’idée d’une seule
interprétation ou d’une histoire officielle. »
ATNIKOV
BRAULT
De quelle manière
votre vécu personnel
a-t-il formé votre
perspective?
Depuis plus de vingt-cinq ans, je me préoccupe des moyens pour nous de revitaliser
les villes. À mon avis, les arts et la culture
sont des composants essentiels de toute
tentative d’habiliter les gens et d’assurer
que les collectivités se réinventent. Nous
avons besoin d’artistes pour interpréter,
exprimer et décoder l’état du monde, et
nous diriger dans la voie de l’espoir. Pour
être pertinent, l’art a besoin d’avoir un impact sur la société. Je suis profondément
convaincu que l’art et la culture forment
une partie intégrante de la liberté, de
l’émancipation... un monde de possibilités.
Qu’est-ce qui retient
votre attention en
ce moment?
Notre pays est de plus en plus divisé sur les
plans politique et idéologique. Il nous faut
trouver des thèmes, des questions et des
préoccupations qui aillent au-delà de ces
divisions et il nous faut débattre d’idées en
fonction de leur propre mérite et non en
fonction des personnes qui les ont exprimées. Nous croyons toujours avoir besoin
d’experts pour régler les choses. Mais
l’expertise ne suffit pas à elle seule; il nous
faut mieux voir et comprendre les défis et
les éventuelles solutions qui se présentent.
Le Canada doit percevoir ses penseurs,
artistes et philosophes comme des personnes ayant des contributions pratiques à
faire en vue de résoudre les problèmes.
contenu canadien dans le but de former
cet espace culturel. À mon avis, le défi à relever et aussi l’occasion à saisir aujourd’hui,
est de réétudier, de remettre en question
et même de contester cet espace culturel
canadien. D’innombrables hypothèses
étaient à la base de nos espaces culturels,
de nos politiques et de nos instruments de
travail il y a cinquante ans et elles sont en
train de disparaître — tels les concepts des
frontières nationales, des ondes radiophoniques contrôlées, une certaine hiérarchie
de goûts et de préférences culturels, et la
sous-évaluation de l’importance des questions touchant les autochtones. Ce qui est
le plus convaincant à l’heure actuelle, ce
sont les possibilités qui s’ouvrent à nous
pour nous réinventer et réimaginer ce
qui pourrait être. Il est temps d’inviter à la
table les gens qui, jusqu’à maintenant, ont
été exclus de la conversation portant sur
les arts et la culture, afin d’imaginer ensemble comment créer un espace culturel
nouveau et fiable.
Ceci se produit couramment dans nos
espaces culturels. Il y a soixante ans, la
notion de créer un tel espace au Canada
venait de l’idée d’avoir notre propre
identité nationale qui soit différente et
distincte de l’identité américaine. Nous
avons élaboré un ensemble de règles,
d’industries culturelles et de taux de
50
COMMENT ALLONS-NOUS METTRE LA
DÉMOCRATIE EN PRATIQUE AU COURS DES
PROCHAINES DÉCENNIES? LA DÉMOCRATIE —
ET LA LIBERTÉ DE PAROLE, D’EXPRESSION ET
DE CRÉATION — DEMEURE UN DES MOTEURS
LES PLUS PUISSANTS AU DÉVELOPPEMENT
D’UN PAYS. Le Canada devrait renoncer à
l’idée d’une seule interprétation ou d’une
histoire officielle. Il nous faut maintenir
bien vivante une discussion démocratique
et ouverte sur notre façon de voir le passé
et d’entrevoir l’avenir.
Avons-nous trouvé le moyen d’éviter
l’isolement? Cela m’inquiète de voir bien
des gens se sentir seuls et débranchés ou
marginalisés. Il me semble que la situation
n’était pas aussi grave autrefois. Le fossé
entre ceux qui font partie du système et ceux
qui en sont exclus est plus profond et plus
abrupt qu’avant. Cela est relié à la pauvreté,
à l’éducation et à la langue. Les arts et la
culture ont un rôle à jouer dans la promotion
d’un idéal où la société sera plus inclusive.
Les pays qui parviennent à devenir plus
inclusifs auront un meilleur avenir. Ceux qui
continuent à favoriser l’exclusion auront de
plus en plus de mal à réussir selon n’importe
quel indicateur.
Quel sera l’avenir de notre vie symbolique
— musique, mouvement, images et récits
que nous créons? Quel rôle joueront les
artistes, qui sont les faiseurs, les interprètes
et les proposeurs de symboles? Dans la
société actuelle, nous ne pouvons pas
rester inconscients de certaines tentatives
de maîtriser notre vie symbolique et de la
transformer en outil à des fins commerciales
ou autres. Nous, au Canada, avons besoin de
nous créer une vie symbolique, qui soit assez
convaincante pour donner aux Canadiens
un sens d’appartenance et offrir un monde
de possibilités, tout en communiquant nos
valeurs au reste de la planète. Il est facile à
l’heure actuelle de vivre n’importe où dans
le monde, de rester branché par l’entremise
d’écrans et de vivre dans un univers symbolique qui n’a rien à voir avec le sentiment
d’appartenance à un lieu. Mais je crois
néanmoins qu’en habitant ensemble dans
les collectivités et en partageant des institutions, des valeurs et un système politique
communs, nous serons en mesure de créer
un espace symbolique unique, où nous nous
rencontrerons, discuterons, rêverons et
imaginerons notre avenir.
« Notre pays est de plus en plus divisé sur les plans politique et idéologique. »
Si je pouvais imaginer une ville
canadienne de demain dans vingt
ans d’ici, dont la vie symbolique
est particulièrement dynamique,
que pourrais-je y voir en
comparaison avec une ville
canadienne d’aujourd’hui?
Quelles leçons importantes
pouvons-nous tirer du
passé pour mieux savoir
comment agir à l’avenir?
Aujourd’hui, l’architecture, la circulation automobile, l’organisation dans les
villes sont toutes conçues pour faciliter
l’automobilisme, l’achat, la consommation.
Il n’y a pas assez d’espaces de rencontre,
pas assez d’endroits où échanger des
idées, partager, s’entraider. Dans la ville
canadienne de demain, j’ose espérer que
les êtres humains seront à l’avant-scène
de tout. Étant donné qu’on ne vit pas dans
un monde infini, les quartiers seraient
organisés de façon holistique, de manière à
inclure le partage, la conservation et la protection du savoir et des produits de base.
Les lieux de rencontre seraient attrayants,
même dans les quartiers les plus pauvres.
Les individus seraient branchés et se sentiraient appuyés.
Ce qui m’intéresse le plus, c’est de savoir
comment nous nous sommes extraits
de différentes crises. La résistance est la
capacité de revenir à un état d’harmonie
et de bonheur relatifs, à la suite d’un
bouleversement quelconque, soit dans
un quartier, dans un secteur industriel
ou dans une région particulière du pays.
Nous pouvons fouiller dans notre passé
pour découvrir qui ont été les individus,
les propositions ou les idées qui ont servi
de catalyseurs à notre résistance, et nous
pouvons apprendre d’eux.
Nous devons aussi penser désormais de
façon beaucoup plus mondiale. Notre
pensée est encore axée en grande partie
sur le règlement et le protectionnisme.
Le meilleur moyen de protéger une chose
n’est pas de la placer dans un coffre-fort
et d’en refermer la porte. C’est de la
partager. Chaque fois que nous pensons
à quelque chose, il nous faut décider si
ce n’est pas uniquement une proposition
dans l’intérêt du pays, mais également
une proposition que nous désirons partager avec le reste du monde.
51
Pat
Carney
→ Pat Carney, sénatrice émérite, interviewée le
7 octobre 2014 par Monica Pohlmann
sur
LES DÉFIS CAUSÉS
par la migration :
« Nous avons survécu à des pressions qui ont
brisé le cœur de bien d’autres pays. »
POHLMANN
CARNEY
Qu’est-ce qui vous
empêche de dormir
la nuit?
Le Canada est un pays jeune, bâti depuis
l’époque des autochtones sur des vagues
successives d’immigration. Ma propre grand-mère, Bridgit Casey, est née
dans l’ouest du Canada cinq ans avant la
création du Canada en 1867. Elle était la
fille d’immigrants irlandais qui s’étaient
engagés à exploiter la terre et à créer des
racines pour leurs familles.
Pendant des siècles, les gens venaient ici
parce que le Canada était une nouvelle
frontière; il y avait un nouveau monde
à explorer qui comportait de nouvelles
chances d’avoir une vie meilleure. Le
Canada est devenu un sanctuaire pour
ceux qui cherchaient à se libérer de
l’oppression et de la pauvreté dans leurs
propres pays. Ces nouveaux Canadiens
comptaient sur l’appui collectif pour
défricher la terre, ériger des granges et
fonder des communautés. De plus, ils ont
introduit de nouvelles coutumes, expressions artistiques et cultures dans la mosaïque canadienne. La diversité culturelle
est devenue la nouvelle norme.
Dans certains endroits du pays, nous semblons vivre à une période de migration qui
est motivée surtout par l’âpreté au gain.
Ces « immigrants du monde » viennent au
Canada, y placent leur argent et puis s’en
vont vivre ailleurs. Ceci se concrétise par
Qu’est-ce qui
vous anime?
52
L’idée que tout est possible au Canada.
Selon les normes mondiales, nous ne
vivons pas dans une société oppressive.
Nous possédons la liberté individuelle
et nous avons la règle de droit accordée
par le pouvoir législatif, ce qui permet
Les institutions
canadiennes
avancent-elles dans
la bonne voie?
le nombre de maisons et de condominiums vides, ici, à Vancouver. Une grande
proportion de nouveaux logements est
vendue à des résidents étrangers qui ne
vivent au Canada qu’à temps partiel ou pas
du tout. Quand on a une population flottante d’immigrants, la structure essentielle
d’engagement et de liens communautaires
risque d’être affaiblie. On le voit dans certaines communautés où le volontariat et
l’appui aux arts sont à la baisse.
D’autres pays, tels la Suisse et le Japon,
ont réglé ce problème en percevant des
impôts auprès des non-résidents ou en
leur interdisant d’acheter des biens immobiliers. Mais au Canada, où nous avons
besoin d’immigrants pour faire croître
l’économie, nous n’exerçons pas ce genre
de surveillance.
Les vagues d’immigration, qui ont bâti le
Canada, ont souvent imposé des pressions
sur la trame communautaire existante.
Durant les premières cent quarante-sept
années du Canada, plusieurs immigrants
considéraient encore d’autres pays comme
leur « patrie ». QUAND LE CANADA DEVIENDRA LE CHEZ-SOI — OU « HOME PLACE »,
COMME DISAIENT MES GRANDS-PARENTS
TERRIENS — DES GÉNÉRATIONS FUTURES, LE
PAYS AURA ATTEINT L’ÂGE DE LA MATURITÉ.
aux gens d’atteindre leurs objectifs et de
réaliser leurs ambitions. Les Canadiens
peuvent financer une idée et la mettre en
pratique, et ils peuvent mener la vie qu’ils
veulent. Nous respirons de l’air propre
dans la majorité des endroits.
Notre plus grand atout est notre droit
de vote et notre liberté de contribuer au
Parlement sans dépenser des fortunes.
Si l’on cherche à se faire élire au Parlement et qu’on dépense plus que ce que
permettent les règlements, on aboutit
en prison avec son agent de campagne
électorale. Nous devons protéger la liberté d’accès au système politique de toute
personne n’ayant pas été en prison.
Dans une phrase célèbre, Joe Clark a
appelé le Canada « une communauté
de communautés ». Il y a un sens de
la communauté beaucoup plus fort
aujourd’hui que lorsque je suis entrée
en politique en 1980. Il est généralement
accepté que le Canada soit composé
de cinq régions. Personne n’exprime
de rage au sujet des textes français
et anglais figurant sur les boîtes de
céréales. Maintenant, les gens sont plus
préoccupés du fait que les journaux en
langue chinoise se trouvent en haut de
la distributrice, alors que ceux de langue
anglaise se trouvent en bas.
certaines régions du Canada et détestés
dans d’autres. Nous avons survécu à
l’antagonisme entre Canadiens-Français
et Canadiens-Anglais. Nous apprenons
maintenant à reconnaître le rôle important et les responsabilités des Canadiens
autochtones.
Nous avons survécu à des pressions qui
ont brisé le cœur de bien d’autres pays.
Nous avons survécu au Lac Meech. Nous
avons survécu aux tensions entre l’ouest
et l’est du Canada. Nous avons survécu
à des personnages politiques, comme
Pierre Trudeau, qui étaient aimés dans
La question est de savoir si nous
pouvons bâtir à même notre bilan
historique et survivre aux conflits créés
par la nouvelle vague d’immigration
et la transformation potentielle de la
démographie mondiale. Quand on a
une population ethnique qui se sent
désengagée du processus politique
ou une population ethnique dans
certaines circonscriptions qui exclut
d’autres groupes, on peut se demander
si la volonté politique de contribuer
au pays va durer ou si elle va fissurer la
trame nationale ou régionale.
« Quand on a une population ethnique qui se sent
désengagée du processus politique ou une population ethnique
dans certaines circonscriptions qui exclut d’autres groupes,
on peut se demander si la volonté politique de contribuer au
pays va durer ou si elle va fissurer la trame nationale ou régionale. »
Quelles décisions le
Canada devra-t-il
prendre bientôt?
Nous devrons élaborer un concept de
développement qui établisse un équilibre
entre les enjeux économiques, écologiques,
autochtones et autres, tels que les changements démographiques, afin d’atteindre
des objectifs compatibles. Nous sommes
au début d’un cycle économique beaucoup
plus lent, dans lequel il y aura moins d’argent
disponible alloué aux mesures sociales ou
économiques. De nombreux jeunes Canadiens posent des choix de vie et de travail
qui sont davantage alignés avec une économie à croissance lente.
Nous pouvons préserver et cultiver notre
pays bien-aimé et le meilleur style de vie au
monde, si nous maintenons notre lien avec
le pays dans son ensemble, avec le sens
d’appartenance communautaire, et avec
la réalité qu’il existe à la fois des éléments
ruraux et non ruraux dans notre pays. Le
Canada ne se limite pas aux zones métropolitaines de Toronto, Montréal et Vancouver.
53
Jean
Charest
→ Jean Charest, ancien Premier Ministre
du Québec, interviewé le 3 septembre 2014
par Adam Kahane
sur
LA TOLÉRANCE :
« Il y a des démagogues qui cherchent à cultiver le
manque de sécurité et à diaboliser certains groupes. »
KAHANE
CHAREST
Lorsque vous songez
au Canada et au
Québec à cette
époque-ci de notre
histoire, qu’est-ce
qui vous empêche
de dormir la nuit?
Quand je regarde le tableau d’ensemble du
Canada, je trouve que souvent nous manquons d’ambition. Lorsque nous fermons
nos ambassades en Afrique et mettons fin
à nos programmes internationaux, nous
annonçons au reste du monde que nous ne
sommes pas vraiment si importants que
ça. Si nous ne nous affairons pas constamment à nous faire connaître à l’extérieur et
à vendre notre marque, nous deviendrons
moins pertinents. Il nous faut acquérir
un sens plus clair de notre place dans le
monde, trouver la meilleure façon de nous
distinguer et de là, où nous pourrions faire
une différence. Il nous faut savoir en quoi
nous excellons, quels sont les atouts que
nous possédons et qui nous permettront
de mieux réussir, et comment faire durer
ces réussites. Même si nous ne représentons que moins de trois pour cent de
l’économie mondiale, nous pourrions, si
nous le voulions, jouer un plus grand rôle
dans le monde.
Étant donné la
diversité du Canada,
à quoi ressemble une
identité canadienne
commune?
Quels que soient les antécédents des gens,
les Canadiens ont néanmoins des caractéristiques en commun. Nous voyons le monde
de façon différente, nous connaissons des
expériences différentes et nous avons une
attitude différente de celle des gens dans
d’autres pays. En tant que peuple, nous,
Canadiens, ne sommes pas agressifs; nous
n’avançons pas des discours politiques
extrêmes; nous sommes plutôt orientés
vers la collectivité. Nous entretenons des
échanges civilisés entre nous. Nous nous
conduisons bien à cet égard et j’aime cet aspect du Canada. Certains pensent que nous
sommes trop gentils. Eh bien, j’ai vu l’autre
monde, et je n’hésite pas du tout à choisir le
monde « trop gentil ».
Je pense que nous comprenons que la
diversité constitue un atout pour nous.
Nous préférons pécher par excès de
tolérance. C’est là quelque chose de
précieux. Pendant les élections d’avril
dernier, les Québécois ont choisi de se
distancer de ce qui fait ressortir la nature
plus sombre de l’être humain. De par
leur histoire, ils comprennent qu’ils sont
une minorité, et que leur façon de traiter
les autres se reflétera sur la façon dont
les autres les traiteront. Ils ont aperçu le
précipice et ils s’en sont éloignés, en se
disant : « Il y a quelque chose de travers
ici, il y a quelque chose qui ne va pas, et je
refuse d’aller dans cette voie. »
54
Je m’inquiète également de l’unité du pays.
Nous ne pouvons pas nous permettre
de penser que les choses demeureront
toujours ce qu’elles sont. Le mouvement
séparatiste au Québec est passé de la
majorité à la marge, mais il ne disparaîtra
jamais. Nos leaders doivent déployer un
effort constant, concerté et délibéré pour
forger une identité commune fondée
sur ce que nous partageons. Cela ne se
produira pas automatiquement.
Qu’est-ce qui
pourrait miner notre
sens de la tolérance?
Il y a des démagogues qui cherchent à cultiver le manque de sécurité et à diaboliser
certains groupes. Ils mettent l’accent sur
nos différences plutôt que sur nos points
communs. Si jamais cela se produisait,
nous nous engagerions dans cette spirale
où les sociétés risquent d’aboutir, une
société où nous perdrions la capacité de
nous faire confiance les uns les autres et
de tenir un discours commun. Nous nous
retrouverions dans un pays où l’on vit dans
la méfiance des autres individus et des
autres groupes.
Et pourquoi cela
pourrait-il se
produire?
LA NATURE HUMAINE EST TELLE QUE NOUS
dans ce piège et d’encourager la division.
La plus importante décision politique
concernant la fondation du Canada a été
prise lorsque les Anglais se sont rendu
compte que ce serait sans espoir pour eux
de gouverner cette région de l’Amérique
du Nord sans pour autant reconnaître la
population française. Plus récemment,
les Francophones et les Anglophones
ont inclus les Premières Nations dans le
partenariat. Chaque fois que nous nous
sommes écartés du chemin de l’inclusion,
nous avons eu des ennuis.
RETENONS MIEUX LES CHOSES NÉGATIVES
QUE LES CHOSES POSITIVES. C’EST PLUS FACILE DE VOTER CONTRE QUELQUE CHOSE —
OU QUELQU’UN — QUE DE VOTER EN FAVEUR.
Pour les personnes politiques, il est
toujours tentant de dresser un groupe
contre un autre parce que cela fonctionne
si bien et si facilement. Au Canada, dans la
plupart des cas, nous avons résisté à cette
tentation, mais nous avons besoin de
chefs qui s’engageront toujours à élever le
niveau du débat politique. Autrement, dû
au fait qu’il y a tant de différences dans ce
pays, ce serait facile pour nous de tomber
« Je pense que nous comprenons
que la diversité constitue
un atout pour nous. »
Voulez-vous dire
que nous risquons
de devenir
complaisants?
Le Canada sera toujours une œuvre
inachevée. Le défi auquel s’affrontent
nos leaders est de donner aux Canadiens l’exemple d’apprécier ce que nous
avons, de reconnaître que rien n’est pour
toujours et d’accepter qu’il nous faut
être plus ambitieux et nous remettre plus
souvent en question.
55
Michael
Chong sur
→ Michael Chong, député fédéral de
Wellington-Halton Hills, interviewé le
26 septembre par Adam Kahane
n’auraient plus la légitimité d’agir de façon
décisive. Nous aurions un système doté
d’un pouvoir exécutif encore plus grand et
un corps législatif qui ne compterait plus
beaucoup pour nous dans la vie publique.
LA RÉFORME
parlementaire :
Si la réforme parlementaire échoue, cela
augmentera le risque pour nous de ne
plus pouvoir régler toute une gamme
de problèmes. Par exemple, au fur et
à mesure que notre économie devient
plus urbaine et davantage fondée sur les
services, nous faisons face à d’importants
défis dans les régions de nos grandes
villes, dont Toronto, Montréal, Vancouver,
Calgary, Edmonton et Halifax. Voyons ce
qui s’est passé à Pittsburgh et à Détroit.
Les deux villes étaient de puissants centres
manufacturiers et industriels à la fin du
dix-neuvième siècle et pendant la première
moitié du vingtième. Les deux villes sont
devenues des villes du « Rust Belt » (ou de
la ceinture de ferraille) associées au déclin
du secteur manufacturier et de certains
« Les mécanismes de contrôle du pouvoir au parlement
et dans notre système électoral se sont affaiblis. »
KAHANE
CHONG
Qu’est-ce qui vous
empêche de dormir
la nuit?
Un de nos défis, c’est le besoin de renouveler nos institutions démocratiques.
La démocratie est l’une des plus grandes
inventions de la société occidentale.
Les freins et contrepoids au pouvoir qui
existent avec un système parlementaire
ou républicain ou tout autre système de
gouvernement sont au cœur même de la
démocratie occidentale. Au Canada, les
mécanismes de contrôle du pouvoir au
Parlement et dans notre système électoral
se sont affaiblis depuis quelques décennies. Pour continuer à relever les défis
du vingt-et-unième siècle, par exemple
l’avènement des économies en développement, la diversité au sein de notre pays et
le terrorisme, nous devons renforcer ces
mécanismes fondamentaux.
Que ce passera-t-il si
les choses tournent
mal au cours des vingt
prochaines années?
56
précédent de décider qui seront les candidats de leur parti. Et troisièmement,
les caucus ne sont plus des entités décisionnelles et leurs décisions n’obligent en
rien les leaders des caucus. Comme résultat, les chefs de partis, en particulier
le chef du parti au pouvoir, le Premier
Ministre, ont un pouvoir quasiment absolu. CECI POSE UN DÉFI CONSIDÉRABLE À
LA RÉSISTANCE DE NOTRE DÉMOCRATIE.
Le Canada est maintenant un cas isolé
parmi les démocraties parlementaires
de Westminster à cause de plusieurs
changements dans notre façon de faire
les choses. Tout d’abord, les caucus ne
peuvent plus participer directement aux
décisions d’élire ou de changer le chef
de leur parti. Ensuite, les chefs de partis
possèdent maintenant le pouvoir sans
À court terme, les modèles de gouvernance par commandement et contrôle
peuvent entraîner d’énormes bénéfices,
mais à long terme, ils ne donnent rien.
Sans la reddition de comptes, un mauvais
chef arrive un jour et défait tous les bénéfices gagnés, et même plus. Les démocraties sont frustrantes dans le court terme,
parce que l’absence de pouvoir concentré
veut dire moins d’efficacité dans les prises
de décisions, mais à plus long terme,
les démocraties finissent par bien faire.
Si l’on regarde les cent quatre-vingts
dernières années, toutes les analyses
démontrent que les gens dans une société
instruite, civilisée et éclairée prendront
les bonnes décisions.
Les résultats des sondages montrent que
les Canadiens font de moins en moins confiance à leurs institutions démocratiques.
Le nombre d’électeurs qui vont aux urnes
a baissé précipitamment depuis vingt ans.
Lors des dernières élections fédérales,
quatre Canadiens sur dix ont choisi de
ne pas voter. C’est un des taux les plus
faibles parmi les démocraties occiden-
tales. Si dans les vingt prochaines années,
nous ne réussissons pas à renouveler nos
institutions démocratiques, à vraiment
engager les Canadiens et à rendre ces
institutions plus pertinentes pour eux, il
n’est pas inconcevable que la présence des
électeurs aux urnes puisse baisser jusqu’à
cinquante ou même quarante pour cent. Si
jamais cela se produisait, ces institutions
secteurs industriels en Amérique du Nord.
Aujourd’hui, Pittsburgh est un symbole
de succès, mais Détroit ne l’est pas.
Pittsburgh avait une bonne gouvernance
démocratique qui a pu réagir au déclin de
l’industrie sidérurgique et réinventer la
ville. Le problème avec Détroit n’est pas
que l’industrie automobile ait été sur le
déclin, mais plutôt que ses dirigeants et ses
institutions démocratiques n’aient pas su
réagir au défi posé par ce déclin.
D’après la recherche scientifique, il est
clair que la planète est arrivée à la limite de
sa durabilité. Nous devons nous assurer
que la terre dont nous avons hérité soit
transmise aux générations futures dans
un état aussi bon, sinon meilleur, que celui
dans lequel nous l’avons reçue. Le chemin
vers la durabilité environnementale passe
par le Parlement. Une assemblée législative
affaiblie rend moins facile l’atteinte d’un
consensus sur les politiques significatives.
« Le problème avec Détroit n’est pas que
l’industrie automobile ait été sur le déclin,
mais plutôt que ses dirigeants et
ses institutions démocratiques n’aient
pas su réagir au défi posé par ce déclin. »
Notre histoire
rapporte-t-elle un
exemple par lequel
la démocratie
canadienne a pu
surmonter un
défi semblable?
Il y en a eu plusieurs! Les rébellions de
1837 dans le Haut-Canada et le BasCanada ont eu lieu comme résultat
direct de la concentration du pouvoir
au sein de l’exécutif du gouvernement.
Les gens de ce que sont maintenant
l’Ontario et le Québec se sont révoltés
parce qu’on n’écoutait pas les élus
des corps législatifs. Ces rébellions
ont donné lieu aux grandes réformes
des années 1840, et au principe fondamental selon lequel l’exécutif n’est
pas tenu de rendre des comptes au
gouverneur en conseil, mais plutôt au
corps législatif. Nous avons également
connu l’expansion du droit de vote à
la fin du dix-neuvième et au début du
vingtième siècle, quand les femmes et
tous les hommes d’âge adulte se sont
vus accorder ce droit électoral. Puis au
cours des années 1870, on a adopté le
droit au scrutin secret pour les élections fédérales. Nous avons réussi à
apporter des réformes auparavant, et
je n’ai aucun doute que nous verrons à
ce que le Parlement joue de nouveau
un rôle prépondérant dans le débat
public canadien.
57
Zita
Cobb
poisson. Ils ne sont pas aptes à tirer le plus
grand profit de ces endroits, pourtant ils
ont le pouvoir de mener à la ruine des communautés de 350 ans, d’un simple coup de
plume, sans l’avantage d’avoir d’abord eu
une conversation adéquate sur d’autres
solutions possibles.
→ Zita Cobb, présidente de la Fondation
Shorefast, interviewée le 17 octobre 2014
par Adam Kahane
sur
L’APPRÉCIATION
Nous vivons à une époque où les communautés et la culture sont aplaties. Nos
paysages sont aplatis par une monoculture
de grandes surfaces et de magasins à succursales transnationales qui comprom-
de nos petites communautés :
« La nature et la culture sont les deux
grands vêtements de la vie humaine. »
ettent les petits commerces locaux — et
bien sûr, à cause de leur grande taille, ils
peuvent détruire ces petites entreprises qui
ont toujours été partie intégrante de notre
tissu communautaire. En plus de perdre les
commerces familiaux de nos localités, je
m’inquiète de ce que ce type de domination des marchés peut faire à notre liberté
d’esprit — à l’épanouissement en soi. Par
exemple, qui va vouloir ouvrir un petit café
avec des spécialités uniques, quand il y a de
grandes multinationales installées à chaque
coin de rue?
« Nos petites communautés partout au pays, pas uniquement à Terre-Neuve, sont en train de
se désintégrer devant nos yeux, et pourtant, il est tellement possible d’éviter que cela se produise. »
KAHANE
COBB
Que pourriez-vous
me dire à votre sujet
qui m’aiderait à
comprendre ce qui
retient votre
attention aujourd’hui?
J’ai grandi dans une communauté de
pêcheurs sur une île au large de la côte
nord-est de Terre-Neuve. Depuis des
siècles, nous avons ce don de dieu : un
lieu que nous chérissons, un lieu duquel
nous apprenons. Ce n’était pas une
société qui accumulait du capital. Nous
prenions autant de poissons et cultivions
autant de navets et de choux qu’il nous
fallait pour l’hiver. C’était une façon de
vivre remarquable, et le résultat, c’est
que maintenant, j’ai une compréhension
profonde de ce que signifie une communauté : c’est un lieu qu’on partage tout
comme on y partage les mêmes intérêts.
Une communauté, c’est vivre comme si
l’on partageait la même destinée. Quand
j’avais neuf ans, les navires-usines sont arrivés et il n’a fallu que trente ans pour que
la morue soit sur le point de disparaître.
Du jour au lendemain, tout ce que nous
savions de la manière de gagner notre vie
dans l’Atlantique Nord est devenu complètement inconséquent. Les parents ne
pouvaient plus rien enseigner à leurs enfants. Nous sommes devenus des réfugiés
économiques. Mon père nous a dit : « Il
faut que vous ayez de l’éducation, parce
qu’il n’y a pas d’emploi pour vous ici. »
J’ai étudié les affaires parce que je voulais
comprendre comment cette destruction
avait pu se produire.
Nos petites communautés partout au
pays, pas uniquement à Terre-Neuve,
sont en train de se désintégrer devant nos
yeux, et pourtant, il est tellement possible
d’éviter que cela se produise. Je crois
que les affaires et la technologie sont des
outils puissants, et s’ils sont utilisés à bon
escient, ces outils peuvent contribuer aux
lieux et peuvent aider à créer des communautés rurales robustes et contemporaines. Nos communautés rurales sont de
puissantes sources de savoir, de créativité
et d’innovation; elles sont des forces, et
non des faiblesses.
Advenant le cas où les
choses tourneraient
mal au cours des vingt
prochaines années,
de quoi aurait l’air
notre monde?
Nous aurions permis à la pensée réductionniste de prendre le dessus. Nous aurions
oublié que la nature et la culture sont les
deux grands vêtements de la vie humaine.
Nous vivrions tous dans des mégapoles
et souffririons d’une sorte de manque
d’appartenance. Nous aurions perdu notre
connaissance innée du monde naturel et
serions devenus incapables d’en tirer des
leçons. Nous aurions perdu ce que Pam Hall
appelle « les moyens du savoir qui provien-
nent d’un rapport concret et interdépendant avec le monde encore sauvage ». Nous
mangerions de la nourriture industrielle
produite par d’énormes entreprises qui
transcendent toutes les frontières. Nous
serions soumis au capital financier et nous
n’aurions aucune idée de qui nous sommes.
Nous n’aurions pas le sens de la continuité
en accord avec le passé. La sagesse et les
nuances du patrimoine et du monde naturel
seraient perdues.
Quelles leçons
devons-nous
apprendre de nos
échecs passés?
LE CANADA, VU DANS SON ENSEMBLE, EST
et de l’identité? Pouvons-nous travailler
de manière collaborative parmi tous les
joueurs — y compris les entreprises —
pour prendre des décisions dans le meilleur intérêt de nos communautés? Il y a de
plus en plus de pensée réductionniste autour de nous, ce qui nous fait perdre de vue
les choses essentielles et sacrées. Nous
ne pouvons peut-être pas sauver toutes
les communautés, mais j’aimerais qu’une
déclaration nationale dise : « En tant que
Canadiens, nous apprécions nos petites
communautés rurales. » Ce serait vraiment encourageant et un bon début pour
trouver un moyen profitable de protéger le
bien-être des communautés.
COMME UNE JOLIE COURTEPOINTE. IL Y A
TANT DE CULTURES ET DE COMMUNAUTÉS AU
CANADA. LA MANIÈRE DE COUDRE TOUTES
CES PETITES PIÈCES ENSEMBLE POUR EN
FAIRE UNE COURTEPOINTE PASSE PAR NOS
SYSTÈMES D’ENTREPRISES ET DE GOUVERNEMENTS. AUTREFOIS, NOUS LES COUSIONS ENSEMBLE DE FAÇON À RESPECTER TOUTES LES
PIÈCES, LES GRANDES COMME LES PETITES.
MAINTENANT, ON DIRAIT QUE NOUS NOUS
ATTENDONS À CE QUE TOUTES LES PIÈCES
Qu’est-ce qui vous
préoccupe au sujet du
Canada ces jours-ci?
58
Je suis inquiète parce que je crains que
nous n’investissions pas suffisamment dans
notre « capital sacré » (capital naturel,
social, culturel, communautaire) et dans la
protection de nos divers modes de savoir.
Dans nos petites communautés, il existe
une pénurie croissante d’espoir et donc, le
désespoir prend racine. Je ne comprends
pas pourquoi nous ne sommes pas plus
consternés et pourquoi nous ne faisons rien
devant le fait que nous sommes en train de
perdre une partie importante de notre identité canadienne et de nos sources de résistance, d’imagination et d’ingéniosité. Notre
identité et notre force sont provenues — et
proviennent toujours — de notre relation
avec cette merveille de la nature que nous
appelons le Canada.
Nous sommes loin d’avoir assez fait pour
renforcer, habiliter et investir dans nos espaces spéciaux à cette époque de mondialisation rapide, alors que le plus grand semble
toujours être le meilleur et qu’on laisse
le local et le précis devenir trop souvent
asservis à cette quête d’efficacité. Je parle
à des gens qui ont grandi dans des petites
fermes en Saskatchewan où ce mode de
vie semble avoir été perdu. La pêche est un
autre exemple : dans bien des cas, elle est
sous le contrôle de gens qui ne vivent pas
de l’océan ni du poisson, qui n’ont pas ce
sens d’ « enracinement » dans le lieu, qui
ne sont pas sensibles ou qui n’interagissent
pas avec le lieu; des gens qui administrent le
capital financier dans des salles de conseil
d’administration, très loin de l’odeur du
SOIENT IDENTIQUES. S’il y en a une ou deux
qui se détachent et tombent, nous n’avons
pas l’air d’être dérangés par le trou dans
la courtepointe. Sommes-nous toujours
capables d’apprécier la valeur de la culture
Si les choses tournent
bien d’ici vingt ans,
que pourrait-on dire
de notre pays?
Le Canada serait un réseau national
d’endroits intensément locaux, dont
certains grands, plusieurs petits. Nous
aurions trouvé le moyen de rendre à ces
communautés leur caractère local, tout en
assurant qu’elles soient reliées entre elles.
Tout existe dans le contexte d’une relation
et dans les relations saines je peux être plus
moi et tu peux être plus toi. Voilà le type de
relations que nous devons établir. Nos vies
ne seraient pas dominées par des hyper
compagnies lointaines dont les proprié-
taires vivent d’abord et avant tout pour
le rendement de capital (éloigné). Nous
aurions plutôt des entreprises de taille
appropriée qui fonctionneraient de façon
à renforcer le tissu de nos communautés.
Bien sûr, il y a des cas où nous avons besoin
d’entreprises nationales de distribution, mais il y a des manières créatives de
réaliser des économies de taille, de placer
le bien-être de nos communautés tout en
haut de notre liste de priorités et au cœur
même de nos prises de décisions.
59
Brian
Crowley
→ Brian Crowley, directeur général de l’Institut
Macdonald-Laurier, interviewé le 5 septembre 2014
par Adam Kahane
sur
de voir des gens essayer de miner nos institutions sans comprendre ce qu’elles ont
réalisé pour nous.
LES INSTITUTIONS
J’ai la motivation personnelle suivante
: soyons reconnaissants d’avoir ce que
nous avons et comprenons l’énorme
succès que cela nous a apporté. Prenons
un exemple concret : même si cela coûte
20,00 $ le baril pour produire du pétrole
dont nous avons hérité :
« Vous ne pouvez penser que le Canada est un mauvais
endroit où vivre si vous n’avez jamais habité ailleurs. »
KAHANE
CROWLEY
De nos jours, quel
sujet vous anime
sur le Canada?
Le Canada a de la chance comme pays. On
dit souvent que c’est parce que nous sommes richissimes en ressources naturelles,
mais cela ne peut pas expliquer l’entièreté
de notre succès comme société. Je
pourrais nommer cinquante pays dans le
monde qui possèdent de vastes richesses
en ressources naturelles, mais qui sont
néanmoins de véritables enfers où vous ne
voudriez jamais vivre. Donc, ce n’est pas ce
qui fait de nous une société formidable.
QUE LES RESSOURCES NATURELLES : LES INSTITUTIONS ET LES COMPORTEMENTS DONT
NOUS AVONS HÉRITÉ DES BRITANNIQUES AU
DÉBUT ET QUI ONT ÉVOLUÉ POUR DEVENIR
LES NÔTRES. Ceci inclut une démocratie
efficace, la primauté du droit, des corps
judiciaires et policiers non corrompus,
un fardeau réglementaire et une charge
fiscale raisonnables, des services sociaux
adéquats, une éthique de travail bien
pratiquée, l’application des contrats et le
respect de la propriété privée.
NOUS SOMMES DOTÉS D’UNE AUTRE SORTE
DE RICHESSE, BEAUCOUP PLUS IMPORTANTE
Comment
sommes-nous
arrivés à posséder
cette grande richesse
en institutions?
Ce n’est pas un phénomène universel dans
toutes les anciennes colonies britanniques,
mais les endroits comme l’Australie, la
Nouvelle-Zélande, les États-Unis et le Canada ont hérité de ces institutions à partir
de la même source. Hong-Kong démontre
que ces institutions ne sont pas uniques
à une seule culture, puisque Hong-Kong
est formée essentiellement d’institutions
britanniques au sein desquelles vivent
des Chinois. Hong-Kong a traditionnellement connu le même type de succès : les
individus peuvent songer au long terme, ils
peuvent créer et ils ne sont pas obligés de
craindre, s’ils investissent quelque chose
dans la société, que l’année suivante ce soit
volé par le frère du président — quoique
les manifestations récentes de là-bas
indiquent que ces institutions sont loin
d’être intouchables. Ceci confirme combien de telles institutions sont rares dans le
monde, et le Canada est peut-être celui qui
a le mieux réussi parmi les héritiers.
Cette richesse est-elle
en danger?
Les Canadiens ne comprennent pas
toujours ce qu’ils possèdent. Je me bats
constamment contre ce qu’aiment raconter certains, que le Canada est un endroit
affreux, que nous sommes des racistes et
que nous détruisons l’environnement. Je
ne prétends pas que notre histoire soit
sans faille et qu’il n’y ait pas lieu de nous
améliorer. Mais vous ne pouvez penser
que le Canada est un mauvais endroit
qui doit être démoli et reconstruit que
si vous n’êtes jamais parti d’ici et n’avez
jamais vu comment vivent et travaillent les
personnes dans d’autres pays. Comme dit
la chanson, vous ne savez pas ce que vous
avez avant de l’avoir perdu. Cela m’inquiète
60
Imaginons que
les choses se
dérouleraient très
mal au cours des
cinquante prochaines
années au Canada.
Que se serait-il passé?
Tout d’abord, nous aurions manqué
l’occasion d’arriver à une réconciliation avec les autochtones. Deuxièmement, nous aurions permis à la peur du
terrorisme de nous rendre insulaires et
craintifs des autres. L’ouverture du Canada
vis-à-vis du monde ainsi que notre volonté
d’accueillir les gens de partout constituent
nos points forts. Et troisièmement, nous
aurions laissé l’envie devenir l’émotion
dominante dans la politique. Le régionalisme (engendré par l’envie) est une force
corrosive au Canada. Les gens d’ici ont
en Arabie Saoudite et peut-être 80,00 $ le
baril pour le produire ici à partir des sables
bitumineux, les producteurs de pétrole
du monde entier viennent frapper à nos
portes pour investir dans nos sables bitumineux. C’est justement parce que ces ressources naturelles sont imbriquées dans
nos riches institutions que les investisseurs
peuvent y investir en toute sécurité.
fortement tendance à blâmer les autres
pour leurs malheurs et à éviter d’assumer
leur part de responsabilité. J’ai passé
beaucoup de temps avec les Américains et
je n’ai jamais entendu dire : « Ces maudits
Texans; ils ont du pétrole, alors ils embobinent le reste du pays! » Au Canada cependant, vous pouvez entendre les gens dire
des choses semblables tous les jours au
sujet de différentes régions du pays. C’est
comme si l’on pensait que le succès des uns
se fait aux dépens des autres.
« Je crois en une société qui laisse de la place à
l’expérimentation, à l’initiative dans tous
les domaines, chose que le gouvernement sait
beaucoup mieux étouffer qu’encourager. »
Quel rôle doit jouer
le gouvernement
pour assurer l’avenir
du Canada?
À mon avis, le gouvernement n’est pas
la solution à tout, au point de vue social
et culturel autant qu’économique. Je
crois que la liberté est la condition essentielle à la réussite des sociétés. Je
crois en une société qui laisse de la place
à l’expérimentation, à l’initiative dans
tous les domaines, chose que le gouvernement sait beaucoup mieux étouffer
qu’encourager. Aujourd’hui, il nous faut
récupérer notre capacité de faire preuve
d’initiative. Le gouvernement a un rôle
important à jouer, mais il y a des limites à ce
qu’il peut faire. Il s’agit d’équilibre. Ce n’est
pas toujours une mauvaise chose que le
gouvernement perçoive des impôts, et ce
n’est pas toujours une bonne chose que les
gens dépensent eux-mêmes. Le défi, c’est
lorsque nous créons un déséquilibre entre
ce que le gouvernement fournit à la collectivité et ce que l’individu choisit de faire. Ce
déséquilibre ne peut que miner les institutions qui nous ont permis de réussir.
61
Nadia
Duguay
→ Nadia Duguay, cofondatrice de Exeko,
interviewée le 12 novembre 2014 par
Elizabeth Pinnington
sur
UN CANADA
pour tous :
« La conscientisation élargie des citoyens aux
enjeux sociaux me nourrit chaque jour. »
PINNINGTON
DUGUAY
Qu’est-ce qui
t’encourage dans
l’actualité du Canada?
L’actualité du Canada n’est pas des plus
encourageantes ces jours-ci. En revanche,
la conscientisation élargie des citoyens aux
enjeux sociaux — tels les inégalités, la discrimination, le rôle de la culture ou encore
l’environnement me nourrit chaque jour!
Reconnaître le potentiel individuel en
allant au-delà des préjugés et encourager la pensée critique, créative et la
participation citoyenne n’est plus un acte
utopique, mais bien la première étape de
la transformation sociale déjà enclen-
Qu’est-ce qui te
décourage dans
l’actualité du Canada?
Ce sera dû à quoi si les
choses se déroulent
mal d’ici 20 ans?
62
Ce sera dû à quoi
si les choses se
déroulent bien d’ici
20 ans l’avenir?
On peut imaginer que plus les citoyens, les
politiciens, les organismes, les différents
composants de la société s’écouteront,
échangeront et se reconnaîtront comme
des acteurs complémentaires qui ont
la capacité de collaborer afin de créer
des solutions réelles. Bien souvent, on
s’attaque, mais on oublie que d’autres ont
pu réfléchir, proposer et tester des initiatives. On doit miser sur l’ouverture des
savoirs et le partage des expériences pour
enfin regarder l’autre comme quelqu’un
qui pourrait nourrir nos connaissances. Si
tout se passe bien d’ici 20 ans, nous aurons
pris conscience que les solutions ne sont
pas apportées par des organismes, des
chercheurs ou des politiques, mais qu’elles
sont issues de la société elle-même dans sa
capacité à reconnaître chaque individu.
Quelles sont les leçons
importantes à tirer de
l’histoire du Canada?
Je crois que les Pensionnats autochtones
constituent une notion très importante de
notre histoire qu’on a trop souvent passée
sous silence ou minimisée. LA SOCIÉTÉ A LE
le alors même qu’une partie des personnes
impliquées avaient de bonnes intentions;
elles voulaient faire du bien et aider. C’est
là où l’on a beaucoup à apprendre, à la fois
sur l’importance de l’identité culturelle
et sur le fait que ce n’est pas parce qu’on
veut aider quelqu’un qu’on peut le faire.
Et ce n’est que l’histoire qui nous apporte
une deuxième lecture, indispensable pour
construire l’avenir.
DEVOIR DE REGARDER DE FACE CETTE PÉRIODE TERRIFIANTE DE NOTRE HISTOIRE POUR
chée. Même si le parcours est encore très
long et que nous aurons besoin de beaucoup plus d’acteurs sur le plan du changement, il est effectivement encourageant
de voir des initiatives citoyennes naître
partout au pays. Au niveau politique, il
faudra regarder du côté des municipalités
pour être encouragé! L’ouverture à la créativité, à l’innovation, à la collaboration et
le soutien aux initiatives individuelles ou
collectives au-delà des normes prescrites
par une société qui a tout sectorisé, tout
cela me semble indéniable.
Le Canada est un des 10 pays les plus développés du monde et pourtant, les inégalités
sont encore flagrantes. Et il est encore plus
décourageant de constater le doigté avec
lequel la désinformation fait son œuvre.
Nombreux sont les Canadiens qui pensent
d’ailleurs toujours qu’il est injustifié
de parler des droits puisqu’ils seraient
aujourd’hui tous respectés! La réalité, c’est
que si vous naissez autochtone au Canada,
vous allez être confronté à des difficultés
d’accès au logement. Par exemple, 68 %
des Inuits du Nunavik habitent dans des
logements surpeuplés et 53 % habitent
dans des maisons qui ne respectent pas le
standard minimum en matière de santé.
Vous aurez 8 fois plus de chances de connaître l’itinérance dans votre vie ou encore
10 fois plus de chances d’avoir une peine de
prison et attention, dans 50 % des cas, vous
aurez une sentence plus longue pour le
même crime commis par tout autre Canadien. De sérieuses questions s’imposent.
D’ici 20 ans, si nous pensons à un panorama des plus sombres, l’État poursuivrait
son désengagement; le système éducatif
abdiquerait à se battre pour garder son
indépendance et le citoyen se désillusionnerait pour de bon. Nous continuerions à
mettre sur pied des sociétés où le statut
social, les origines ou le niveau d’éducation
des citoyens continueraient à renforcer
les inégalités de droits. Au lieu d’apprécier
tout le potentiel de nos différences, nous
continuerions à créer des frontières imaginaires entre chacun de nous et à façonner
nous-mêmes un système qui nous montrerait pourtant ses limites à chaque instant.
EN TIRER DES APPRENTISSAGES ET UNE MEILLEURE COMPRÉHENSION DES ENJEUX ACTUELS DANS NOTRE SOCIÉTÉ. Si le Canada
n’a pas connu de grandes guerres, le pays a
fait preuve d’une grande violence culturel-
« Mais il n’y a personne qui n’aide
personne, chacun a quelque chose à
apprendre ou à donner à l’autre,
peu importe sa position sociale. »
Quels échecs a subis le
Canada dans le passé?
Les relations autochtones allochtones.
Aujourd’hui encore, les autochtones ne
sont pas considérés comme des citoyens à part entière. La société est restée
dans une relation dominant/dominé
dans laquelle elle n’a rien à apprendre
des autochtones, mais n’a seulement
qu’à les aider. Mais il n’y a personne qui
n’aide personne, chacun a quelque chose
à apprendre ou à donner à l’autre, peu
importe sa position sociale. On ne peut
pas construire le Canada de demain sans
tous les Canadiens. Se positionner en
tant qu’apprenant et non comme maître
disposant du savoir est indispensable à la
création d’un dialogue social inclusif.
63
Zahra
Ebrahim
→ Zahra Ebrahim, administratrice principale et
fondatrice d’ArchiTEXT, interviewée le
10 novembre 2014 par Brenna Atnikov
sur
LE FAÇONNEMENT
d’un avenir meilleur :
« Je m’inquiète du fait que nous pourrions rester
embourbés dans un tourbillon d’indécision. »
ATNIKOV
EBRAHIM
Comment votre
travail a-t-il façonné
votre perspective?
Les concepteurs sont très bien placés
pour examiner la complexité, et cela pour
deux raisons : nous comprenons les êtres
humains et nous sommes à l’aise dans
l’expérimentation de prototypes. Lorsqu’on
leur confie un problème, les concepteurs
regardent d’abord les personnes en cause,
leurs desiderata, leurs souhaits, leurs
besoins et leurs craintes. Mais bien des
concepteurs, qui veulent se servir de leurs
compétences pour provoquer un change-
ment social, trouvent qu’il est difficile de se
faire apprécier pour plus que leur capacité
de fabriquer des artéfacts. Nous devons
comprendre que les concepteurs forment
une partie essentielle de n’importe quelle
équipe stratégique, de sorte que lorsque
des réunions sont convoquées pour discuter des soins de santé, de la réduction de
la pauvreté ou de l’environnement, il y ait
toujours un concepteur présent.
Comment ma génération peut-elle avoir
recours aux compétences que nous
avons acquises dans les secteurs de
l’entrepreneuriat, de l’innovation sociale, de
la technologie et des secteurs émergents,
et s’en servir en vue de perturber l’industrie
et le gouvernement? Un grand nombre
de mes pairs partent à la recherche de
postes décisionnels, mais une fois là, ils sont
rapidement écrasés par les obligations de
la responsabilité institutionnelle et ils ne
sont plus motivés à prendre des risques et
à réaliser des choses créatives. Quand les
gens ne réussissent pas à transformer ces
institutions, ce n’est pas par manque de
créativité ou de talent, c’est parce qu’ils auraient eu besoin de nouvelles capacités dont
leurs prédécesseurs n’avaient pas besoin.
Ces choses prennent beaucoup de temps,
donc nous devons apprendre à modifier
nos méthodes pour appuyer cette nouvelle
génération de chefs de file.
Quels risques majeurs avons-nous pris?
Comment avons-nous fait face au succès
et comment avons-nous fait face à l’échec?
Avons-nous mûri suffisamment pour
savoir écouter un ensemble plus diversifié
de citoyens, pour répondre à leurs besoins
plutôt que d’y réagir en faisant la soude
oreille? Avons-nous appris comment
aligner les efforts des gens qui tentent
d’agir pareillement dans tout le pays?
L’alignement et la collaboration sont dans
l’ADN des Canadiens, mais nous ne savons
toujours pas comment les appliquer.
Qu’est-ce qui
vous préoccupe
ces jours-ci?
Si vous pouviez demander
n’importe quoi à un
voyant au sujet de l’avenir,
que voudriez-vous savoir
d’abord et avant tout?
64
Je m’inquiète également de la mesure dans
laquelle nous incluons la voix des citoyens.
Je m’inquiète du fait que nous ne formerons
jamais une culture où ils seront authentiquement engagés dans les conversations
nationales critiques. Je m’inquiète du fait
que nous pourrions rester embourbés
dans un tourbillon d’indécisions, incapables
de reconnaître cette réalité et de saisir
le bon moment pour faire un acte de foi.
Cette incapacité de prendre des risques
est justement ce qui nous empêche d’être
au premier rang dans un si grand nombre
de domaines et ce qui cause l’exode de nos
talents vers d’autres pays.
Si les choses tournent
bien au cours des vingt
prochaines années,
quel sera le geste le plus
risqué que le Canada
aura posé?
Nous aurons pris le risque de nous concentrer sur une seule chose. Nous nous
sommes concentrés sur une grande question et nous avons rehaussé la barre d’un
cran. Cette grande question était peut-être
la réduction de la pauvreté, et nous avons
réduit considérablement le nombre de personnes vivant dans la pauvreté dans notre
pays. Nous avons réussi, non pas en voulant
créer quelque chose pour laquelle le monde
nous verrait comme leader, mais en met-
tant à profit l’intelligence que nous avons à
l’intérieur de nos frontières, pour assurer
que des changements audacieux ne se
produisent. Et ceci nous a aidés à retenir les
leaders en pensée créative, et à démontrer
que le Canada a un appétit pour les risques.
Au lieu de parler de combien nos villes
sont métropolitaines, nous avons agi pour
qu’elles le soient et ainsi nous avons montré
au monde, plutôt que parlé au monde.
Si ce type de culture ne
devient pas la norme au
Canada, où allons-nous
nous retrouver?
NOUS NOUS RETROUVERONS LÀ OÙ NOUS
comment nous pouvons contribuer à une
conversation mondiale visant à être plus
inclusive, plus créative et plus centrée
sur l’être humain. Là où nous sommes
maintenant n’est pas un endroit si mauvais
que cela; c’est seulement que nous nous
limitons nous-mêmes parce que nous ne
sommes pas à l’aise avec l’idée d’intégrer
de nouveaux procédés dans notre vieux
SOMMES MAINTENANT : UN PEU EN RETARD PAR RAPPORT AU RESTE DU MONDE.
L’innovation et la créativité demeureront
à l’extérieur et non au cœur même de
l’ADN des organismes, dont la capacité
d’adaptation restera limitée en conséquence. Notre rôle au sein de la communauté sera stagnant, et nous serons
toujours en train de nous demander
« Comment ma génération peut-elle avoir
recours aux compétences que nous
avons acquises dans les secteurs de
l’entrepreneuriat, de l’innovation sociale,
de la technologie et des secteurs émergents,
et s’en servir en vue de perturber
l’industrie et le gouvernement? »
Quelles décisions
devons-nous prendre?
Nous devons décider dans quel genre de
pays nous voulons être. On investit beaucoup à l’heure actuelle dans l’innovation au
sein de la fonction publique, et cet investissement va s’épuiser si nous ne nous engageons pas à mettre en œuvre certaines
des grandes idées qui ont circulé.
Arrêtons de parler de l’expérimentation
et commençons à nous engager envers
de nouvelles approches pour résoudre les
problèmes. Si nous ne pouvons pas faire
cela, alors nous devrions simplement nous
engager à être un pays qui suit les autres.
65
David
Emerson
→ David Emerson, ancien ministre du
Commerce, interviewé le 15 août 2014
par Monica Pohlmann
sur
LA TRANSFORMATION
du leadership :
« Nous avons donné libre cours à
une mentalité de ruée vers l’or. »
POHLMANN
EMERSON
Qu’est-ce qui vous
empêche de dormir la
nuit au sujet de ce qui
se passe actuellement
au Canada?
Nous ne gérons pas bien notre richesse en
ressources naturelles. Nous ne prêtons
pas suffisamment attention à la croissance
à long terme, à la stabilité et à l’équité
entre les générations. J’observe ce que
nous faisons avec les ressources non
renouvelables et cela me désespère. Nous
avons donné libre cours à une mentalité
de ruée vers l’or. Quand les marchés sont
forts, nous voyons d’énormes investissements dans les projets, tels que les sables
bitumineux, ce qui mène à l’inflation des
coûts, aux maux de croissance sociale et
économique et aux pressions environnementales. Ensuite, nous prenons les
recettes provenant de ces ressources —
recettes que nous n’obtenons qu’une seule
fois avec la vente d’un bien public — et
les utilisons pour payer les soins de santé,
les programmes gouvernementaux et les
services qui sont solidement ancrés dans
notre système de dépenses publiques.
Mais le cycle tourne inévitablement et
nous nous retrouvons devant la dévastation fiscale et économique. Les recettes ne
sont plus là, mais les dépenses associées
aux programmes perdurent. Les coûts qui
ont augmenté si facilement ne baisseront
plus. Cette approche envers la gestion des
ressources ne fait qu’alimenter la volatilité,
à la fois sur le plan national et interrégional.
Cette volatilité a également un effet
déstabilisant sur la partie de notre base
économique qui est mobile au niveau
mondial. Les coûts et les pressions fiscales
créés pendant les périodes de prospérité
sont très persistants et ne se corrigent que
très lentement et très douloureusement.
L’industrie, les capitaux et les compétences humaines nécessaires pour stimuler
66
Si dans vingt ans les
choses ne se sont pas
bien déroulées
au Canada, que se
serait-il passé?
l’innovation et les nouveaux produits destinés au marché mondial peuvent aller ailleurs et y vont effectivement. Au fond, on
force l’économie à dépendre des activités
qui sont proches de la ressource… l’inverse
de la diversification économique.
De façon semblable, nous avons été témoins de l’érosion du secteur manufacturier au sein de l’économie canadienne,
et cela aussi me préoccupe. Je crois qu’un
bon équilibre entre les activités manufacturières, l’extraction des ressources, la
technologie et les services est important
pour assurer une économie saine, dynamique et stable.
Nous sommes également aux prises avec
certaines politiques publiques qui vont à
l’encontre de la dépendance du Canada
à l’égard du commerce international et à
l’encontre de l’investissement dans notre
avenir économique. Nous poursuivons
toujours des politiques protectionnistes
dans plusieurs secteurs, par exemple
l’agriculture et les télécommunications.
Nos propres politiques protectionnistes
minent notre réputation en tant que nation de libre commerce et entravent notre
capacité de négocier le genre d’accords
commerciaux qu’il nous faudrait pour
soutenir un avenir économique robuste.
Bien que cette situation s’améliore peu à
peu, cela demeure néanmoins une grande
source d’inquiétude.
En dernier lieu, je suis inquiet pour le
Grand Nord canadien. Au point de vue
géographique, le Canada est surtout
composé d’une immense masse de terre
et d’eau pénétrant la zone arctique,
particulièrement vulnérable au changement climatique et peu peuplée. Petit à
petit, nous devenons plus conscients des
problèmes et des préoccupations du Nord.
Mais le défi posé dans le Nord ressemblera
au défi posé pendant le développement
du Canada à ses débuts. Il faudra y réaliser
d’énormes investissements et l’attente
sera longue avant de pouvoir en tirer «
profit ». Les questions relatives à la souveraineté et à la sécurité seront primordiales.
Les évaluations et les impacts potentiels
exigeront une discipline et une concentration intenses. SIR JOHN A. MACDONALD
Ce scénario négatif ferait preuve d’échecs
dans plusieurs domaines. Les pipelines
essentiels au transport des produits vers
les marchés n’auront pas été construits
à temps. L’infrastructure économique
fondamentale, et surtout l’infrastructure
du transport, sera rejetée dans chaque
« quartier » stratégique, ce qui reflète le
remplacement des licences réglementaires par le concept amorphe des «
licences sociales ». Nous ne parviendrons
pas à restaurer l’élan initial des pourparlers
multilatéraux sur les échanges commerciaux et nos tentatives de forger des accords commerciaux régionaux fléchiront.
Nous ne nous adapterons pas à la réalité du
réchauffement de la planète, et le monde
se heurtera à une crise internationale
urgente en matière de politique publique.
En ce qui a trait au climat, et à la mauvaise
gestion de nos ressources naturelles, nous
verrons apparaître de nouvelles technologies qui mèneront les consommateurs à
adopter d’autres sources d’énergie que
celles à base de carbone. Étant donné que
nous sommes extrêmement dépendants
de l’énergie à base de carbone, notre
économie et nos finances publiques seront
durement frappées.
DOIT SE RETOURNER DANS SA TOMBE.
Les délais requis pour instaurer des
changements profonds et transformateurs sont extrêmement longs, qu’ils
soient rattachés aux règles, aux lois ou
à l’infrastructure. Nous n’aurons pas su
dompter les forces du court-termisme,
et ceci ne fera qu’encourager les partis
politiques à poursuivre leur tendance à négliger une vision plus large du pays et jouer
en faveur d’assises politiques individuelles
plus étroites, à se munir de corbeilles de
gourmandises et de faveurs réservées aux
assises en question.
En bref, les générations futures de Canadiens auront un grave défi à relever pour
réaliser le type de chances et de normes de
vie rendues accessibles aux générations de
l’après-guerre.
« Les délais requis pour instaurer des changements
profonds et transformateurs sont
extrêmement longs, qu’ils soient rattachés
aux règles, aux lois ou à l’infrastructure. »
Quelles décisions le
Canada devra-t-il
prendre?
Les personnes dotées de vision,
d’intelligence, de sagesse et d’énergie
devront s’extraire de leurs zones de confort
et se dévouer à la tâche de convaincre leurs
concitoyens que nous avons beaucoup de
travail ardu à faire. Il y aura de la controverse
et parfois de brefs sacrifices à faire, mais les
Canadiens devront appuyer les leaders qui
assumeront le gros du travail, non pas pour
des raisons de défendre leurs intérêts, mais
pour des raisons de fierté nationale et de foi
en notre responsabilité envers les générations futures. Si les gens ayant des talents
exceptionnels ne se manifestent pas et si
les Canadiens ne leur donnent pas l’appui
qu’il faut, le scénario négatif deviendra le
scénario de base.
Il y a eu de nombreux leaders qui ont changé
le cours des choses au fil de l’histoire.
J’adore lire à leur sujet, parce que plusieurs
d’entre eux ont dû faire face à des échecs et
essuyer des revers, mais ils ont persévéré
malgré tout. Steve Jobs avait une vision
obsessionnelle et non ambiguë à l’égard d’
Apple. Elle n’était pas appréciée par tout le
monde, mais elle a bien profité à Apple et
aujourd’hui, on le révère pour sa détermination à faire non pas ce qui était à la mode,
mais plutôt ce en quoi il croyait. Le Canada a
besoin de ce type de leadership innovateur :
des gens qui se consacrent à faire ce qui est
difficile, épuisant, et parfois même impopulaire, mais néanmoins avantageux pour
l’avenir à long terme du pays.
67
Suzanne
Fortier sur
→ Suzanne Fortier, rectrice de l’Université
McGill, interviewée le 13 novembre 2014
par Brenna Atnikov
UNE NATION
éclairée et bienveillante :
« Il y a un sens de solidité
entourant le Canada. »
ATNIKOV
FORTIER
Qu’est-ce qui vous
anime au sujet
du Canada?
Le privilège de vivre et de travailler avec la
nouvelle génération de notre pays. Les étudiants se préoccupent de ce qui se passe
ici à Montréal et au Canada, mais aussi de
ce à quoi nous faisons face au niveau de la
planète. Ils réinventent des choses comme
l’engagement et la communauté. Ils
veulent être des leaders. Il nous incombe
en tant que société de les encourager
et de leur donner la chance de développer les compétences qu’il leur faut. En ce
moment, il est trop facile de s’isoler, de
simplement observer ce qui se passe autour de soi par l’entremise d’Internet et de
jouer le rôle de critique. Nous avons besoin
que nos jeunes soient des gens d’action,
des bâtisseurs. Dans le monde du hockey,
les gens disent : « En fin de compte, on
a besoin d’avoir son temps sur la glace
» c’est-à-dire, on a besoin de se trouver
dans l’arène, d’avoir un rôle dans la partie
et de prendre part à l’action. Nos jeunes
Canadiens ont eux aussi besoin d’avoir leur
« temps sur la glace ».
Quels sont les types de
qualités de leadership
dont le Canada aura
besoin afin de réussir?
LE GOUVERNEUR GÉNÉRAL NOUS A LANCÉ
À CELLE DE LA COLLECTIVITÉ. Pour franchir
UN APPEL POUR CRÉER « UN PAYS DE CŒUR
les étapes nécessaires sur le plan des connaissances et de la créativité, nos leaders
devront être réceptifs à de nouvelles idées
et pouvoir entendre divers points de vue
provenant de personnes ayant des origines,
des expériences et des cultures différentes.
ET D’AVENIR », UNE NATION ÉCLAIRÉE ET
BIENVEILLANTE. C’EST UNE BONNE JUXTAPOSITION : IL NOUS FAUT DES GENS REMPLIS
D’ASPIRATIONS ET D’AMBITIONS QUI DÉSIRENT CONSACRER LEURS TALENTS ET LEURS
EFFORTS À LEUR PROPRE AMÉLIORATION ET
Si vous pouviez
demander tout ce que
vous vouliez à une
voyante ou à un
voyant au sujet de
l’avenir du Canada,
qu’aimeriez-vous savoir?
68
Quel rôle le Canada jouera-t-il sur le plan
mondial vis-à-vis des énormes défis auxquels la planète doit faire face? Le Canada
est bien placé pour faire sa part, parce qu’il
est privilégié au niveau des ressources
qu’il possède. Étant donné que le Canada
est composé de personnes qui viennent
de tous les coins du monde, les gens ici se
préoccupent non seulement de questions
qui touchent leur voisinage immédiat, mais
aussi de questions plus internationales. Ils
comprennent qu’il est impossible de régler
les problèmes en travaillant isolément,
qu’on soit dans le monde des affaires ou
qu’on soit expert en agriculture. Nous ne
pourrons y arriver que si nous réunissons
des personnes dotées d’une gamme de
compétences différentes. Cela étant le cas,
je me demande si nous saurons saisir cette
occasion et devenir un endroit crucial pour
améliorer le bien-être de la planète.
Si les choses tournaient mal
au cours des vingt prochaines
années, à quoi ressemblerait
le Canada? À quoi ressemblerait le Canada dans vingt ans
si les enjeux d’aujourd’hui
tournaient mal?
Nous serions un pays plus divisé, moins
tolérant et moins sécuritaire. Il y aurait
une disparité accrue dans la condition
de vie des gens et cela occasionnerait de
l’agitation sociale. Nous gaspillerions nos
précieuses ressources.
Et si les choses tournaient bien
au cours des vingt prochaines
années, qu’est-ce qu’on pourrait
en dire? De quelle façon
parlerions-nous du Canada
dans vingt ans si les enjeux
actuels tournaient bien??
Nous serions un pays où chaque individu
jouirait d’une bonne qualité de vie, situation
que nous n’avons pas encore atteinte. Nous
tenons pour acquis le fait que même si nous
venons d’une couche sociale modeste ou
d’un milieu difficile, nous pouvons toujours
réussir dans la vie, mais en fait, nous devons
continuer d’offrir des chances d’égalité à
tout le monde.
avons pu accommoder toute une gamme
d’interprétations et de perspectives. Des
personnes de cultures différentes viennent
s’établir ici et confèrent au pays son caractère distinctif. Nous commençons à voir que
ceci forme une partie intégrante de notre
richesse en tant que pays et que certaines
des occasions d’affaires qui se présentent
nous viennent du fait que nous ne sommes
pas définis par un seul rôle. À mon avis, une
portion de notre succès reposera toujours
sur le fait que nous savons nous définir
d’une manière qui accommode des points
de vue différents.
Nous devons aussi continuer de donner
suffisamment d’espace pour permettre
à plusieurs collectivités canadiennes de
coexister. C’est là quelque chose que
nous avons plutôt bien réussi à faire, nous
« Nos jeunes Canadiens
ont eux aussi besoin d’avoir
leur temps sur la glace. »
Quel serait un exemple
d’une des plus grandes
réussites du Canada?
Depuis quelques années, la plupart des
pays du monde subissent le choc provoqué
par la récente crise économique brutale.
Nous possédons une dose équilibrée
d’intelligence et de prudence, et donc
nous avons construit une base vraiment
solide ici. Même si cette période n’a pas été
exactement facile à traverser, elle n’a pas
été aussi difficile que dans bien d’autres
endroits sur la planète. Il y a un sens de
solidité entourant le Canada. Nous avons
bien fait les choses en ce qui concerne les
éléments fondamentaux d’une société.
Bien sûr, il faut toujours s’appliquer à faire
mieux, mais nos fondations sont fortes.
69
Roger
Gibbins
→ Roger Gibbins, chercheur principal de la
Canada West Foundation, interviewé le
5 septembre 2014 par Monica Pohlmann
sur
LE BESOIN
Quelles leçons
devons-nous tirer
de nos échecs passés?
Vous avez sans doute entendu cette vieille
expression albertaine : « Donnez-moi un
autre boom pétrolier, et je promets de ne
pas le dilapider! » L’Alberta est un excellent exemple d’un endroit où nous avons
bénéficié d’énormes richesses sans nous
en sortir mieux pour autant. En ColombieBritannique, la Première Ministre, Christy
Clark, a une vision selon laquelle les revenus du gaz liquide naturel engendreront
une abondance de richesses pouvant
servir à différentes fins au sein de cette
province. Elle est sur la bonne voie, dans le
sens qu’il nous faut utiliser ces revenus de
façon à transformer les choses.
Parallèlement, si l’on est dans le commerce
du voyage, on vend la destination et non le
trajet. Christy Clark essaie pour sa part de
vendre le trajet, et ce n’est pas suffisant.
Harper a une destination en tête, mais ne
l’a pas clairement articulée. Si les gens ont
peur de la fin que Harper a en tête, ils ne
vont pas en accepter les moyens. Si nous
avions une vision claire de notre destination comme pays ou comme province, une
vision un peu meilleure que celle d’avoir
simplement les impôts les plus bas et les
salaires les plus élevés, alors cet objectif
serait plus facile à vendre. En ce moment,
il est plutôt difficile de contrer les oppositions qui surviennent.
Qu’est-ce qui vous anime
au sujet du Canada?
J’aime ce que nous avons réalisé dans
la partie urbaine du Canada; malgré les
énormes défis que les villes représentent,
nous avons réussi à créer des milieux
urbains qui sont assez sécuritaires, intéressants et énergiques. Nous avons créé
un climat de tranquillité politique dans le
pays qui peut être étouffant de certaines
façons, mais qui nous a aussi apporté
beaucoup de réconfort intérieur. Dans
notre politique nationale, nous ne cherchons pas à démolir les gens. Nous nous
sommes raisonnablement bien débrouillés pour transformer ce pays complexe en
une société remarquablement inclusive et
diversifiée. Nous avons joué un rôle important sur le plan international. Nous nous
critiquons constamment au sujet de notre
engagement écologique et pourtant, nous
avons beaucoup fait à l’échelle locale. Il y a
des exceptions, mais en dépit de cela, nous
nous sommes assez bien tirés d’affaire.
Nous devrions être fiers de ce que nous
avons réalisé dans ce pays.
de décider où nous allons :
« Nous avons créé ce type de
pays à force de volonté. »
POHLMANN
GIBBINS
Qu’est-ce qui vous
préoccupe au sujet
du Canada, en ce
moment?
Nous sommes en train de perdre notre sens
de collectivité en tant que pays dans son
ensemble. BIEN DES GENS ONT L’IMPRESSION
QU’IL SUFFIT D’AVOIR UNE COMMUNAUTÉ
LOCALE ÉPANOUIE ET UNE LIGNE FERROVIAIRE À GRANDE VITESSE MENANT À UN
AÉROPORT INTERNATIONAL POUR N’AVOIR
BESOIN DE RIEN D’AUTRE. PAR CONSÉQUENT,
LES COLLECTIVITÉS DE NIVEAUX PROVINCIAL
ET NATIONAL NE COMPTENT PLUS BEAUCOUP. L’occasion d’aller voir le monde et de
revenir à sa base est là, mais je m’inquiète
du manque de motivation du Canada, en
général. Nous perdons confiance en nos
institutions politiques et en notre capacité
d’agir ensemble. Les perspectives sont
plus étroites, et bien que ce phénomène ne
soit pas limité au Canada, le fait d’avoir des
gens dans ce pays vaste et maladroit, qui
se replient de plus en plus sur eux-mêmes,
demeure néanmoins alarmant.
On peut dire que dans l’ensemble, la situation chez les autochtones est positive
et qu’elle déploie beaucoup d’énergie et
d’innovation. Mais je crains aussi que les
Quelles décisions
importantes
devons-nous prendre?
70
Premières Nations deviennent de plus en
plus isolées au lieu de devenir de plus en
plus partie intégrante du courant national.
Notre économie repose sur les ressources. Il est assez sûr de prédire qu’une
économie basée sur les ressources ne
fera rien pour nous dans vingt ans. Nous
devons nous transformer, mais comment? Il y a bien des gens qui voudraient
Un tel isolement ne sera pas sain. Lorsque
les groupes sont rapprochés de la plus
grande société, tous les aspects positifs de
l’intégration peuvent fonctionner. Ce sont
les communautés plus petites et plus isolées
qui me préoccupent. Ce n’est pas ce qu’on
appelle un avenir.
Nous avons une approche quasi obsessionnelle vis-à-vis de l’environnement :
nous nous concentrons sur ces sept arbres
ou bien sur ce lac en particulier, et nous
n’acceptons pas de compromis. On oserait
espérer que si je suis dans mon quartier
en train de protéger mes arbres, il existe
évidemment un lien local, mais aussi il y a
toujours cette pensée sous-jacente dans ma
tête qui demande si ce geste est bon pour
la province, pour le Canada? On veut que ce
débat se déroule dans la tête des gens, et je
ne crois pas que ce soit le cas en ce moment.
que Calgary soit en tête dans le domaine
de l’énergie. Mais nous ne surpasserons
jamais les Chinois en énergie solaire ou
les Allemands en énergie éolienne. Si
nous voulons occuper une niche dans
l’économie mondiale, quelle serait-elle?
« Si nous voulons occuper une niche dans l’économie mondiale, quelle serait-elle? »
En tant que pays, il y a
des choses dont nous
ne parlons pas et dont
nous devrions pourtant
parler. Quelles sont ces
choses, d’après vous?
Le 150e anniversaire fournit l’occasion
de pousser les Canadiens à réfléchir sur
l’avenir. En 1967, les premiers ministres
de l’Ontario et du Québec ont coprésidé
une assemblée intitulée Conférence sur la
Confédération de demain. Il est temps pour
nous d’avoir une autre conférence nationale
sur toute une série de questions pressantes. Le monde semble être en train de se
désintégrer très rapidement et de manière
très décourageante. Cela veut dire qu’il est
encore plus important que les Canadiens
commencent à discuter de façon constructive de notre pays, de ce que nous pouvons
faire ici et de comment nous protégerons
le type de prospérité et d’harmonie sociale
que nous avons eues jusqu’à maintenant.
Le rapport tristement célèbre des Nations
unies, daté d’il y a une vingtaine d’années,
dans lequel le Canada était décrit comme
le meilleur endroit où vivre dans le monde,
peut nous avoir rendu un mauvais service
en nous encourageant à être plus complaisants. Nous ne sommes pas faits cette
réputation par accident; nous avons créé
ce type de pays à force de volonté. Si cette
volonté devait s’affaiblir ou perdre sa raison
d’être, bien des atouts que nous possédons
aujourd’hui deviendraient précaires. Ce que
je crains, c’est qu’en dépit d’avoir réglé les
problèmes du passé, nous soyons rapidement en train de nous laisser submerger par
les problèmes de demain. Il faut que nous
trouvions le moyen de cristalliser notre
meilleur pouvoir de réflexion et de le transformer en vision d’avenir.
71
Anne
Golden
→ Anne Golden, ancienne PDG du Conference
Board du Canada, interviewée le 12 septembre 2014
par Adam Kahane
sur
LA RÉSISTANCE
des villes :
« Nous nous rendons compte que les yachts sont
soulevés plus rapidement que les chaloupes. »
KAHANE
GOLDEN
Que se passe-t-il au
Canada qui, d’après
vous, mérite notre
attention?
Il y a deux forces qui transforment le
monde à l’heure actuelle, la mondialisation et l’urbanisation. Ces deux forces se
concentrent sur les villes. Ce que j’entends
par mondialisation, ce sont tous les
changements facilités par la révolution
technologique, y compris la restructuration de l’économie, l’intensification de
la concurrence et la vitesse croissante
à laquelle tous ces phénomènes se
produisent. La révolution de la technologie de l’information est en train de tout
transformer :chaque industrie et chaque
emploi, le système d’éducation, les soins
de santé, la démocratie, même comment
pensent et communiquent les gens. La
deuxième force majeure, l’urbanisation,
est une révolution démographique. Il y
a quelques années, nous avons dépassé
le point où plus de la moitié des humains
sur la planète vivaient dans les villes. Au
Canada, quatre-vingts pour cent d’entre
nous vivent dans des villes de dix mille habitants ou plus. Si l’on combine cela avec le
vieillissement de la population et le fait que
notre économie dépend de l’immigration,
nos villes se heurtent à d’énormes défis.
Et c’est là où vont les gens, où a lieu
l’innovation, où est engendrée la richesse
de notre pays, où sont concentrées nos
plus grandes institutions d’enseignement
et de soins de santé. Les villes font plus
que leur part lorsqu’il s’agit de bâtir le PIB
du pays. Le succès futur de nos villes est
crucial pour que le Canada puisse être concurrentiel dans l’économie mondiale.
Nous ne réussirons pas si nous
n’investissons pas dans les changements
essentiels. À Toronto, par exemple,
nous n’avons presque rien investi dans
l’infrastructure; depuis l’an 2000, nous
avons apporté quelques améliorations,
mais pas assez pour rattraper notre retard.
Il nous faut investir dans la reconstruction de cette infrastructure ainsi que dans
les systèmes de gestion de déchets et
d’alimentation énergétique. Il nous faut
trouver de meilleurs moyens de permettre
à la ville de se développer et de grandir, en
reliant nos décisions touchant le transport
en commun et nos décisions touchant le
développement. Et nous ne réussirons pas
si nous ne luttons pas contre l’inégalité
croissante des revenus par une combinaison de changements aux régimes fiscaux et
d’instauration de programmes innovateurs.
Si les choses tournent
mal au cours des vingt
prochaines années, que
se serait-il produit?
72
Qu’est-ce qui nous
mènerait à prendre
des décisions sages
ou peu sages?
Si vous pouviez
consulter un voyant
et le questionner
sur l’avenir, que
voudriez-vous savoir?
Nous avons besoin d’un public suffisamment éclairé pour comprendre que les
villes et leurs alentours se trouvent au seuil
d’une nouvelle ère, et que nous devons
regarder devant nous et non derrière nous.
Nous devons observer les preuves et être
très prudents en prenant des décisions
parce qu’elles entraînent des conséquences. Nous devons être prêts à payer nos im-
pôts, car c’est le prix d’une société civilisée,
sécuritaire et progressive. AUSSI, IL NOUS
Allons-nous résoudre les problèmes de
congestion et de connexions qui sont tellement fondamentaux à la prospérité de
nos villes? Si nous n’encourageons pas les
gens à sortir de leurs voitures et si nous ne
relions pas toutes les parties de la région,
nous devrons payer très cher, c’est-à-dire
que nous perdrons beaucoup au niveau de
la productivité et de la qualité de vie. Avec
l’arrivée de nouveaux groupes, pourronsnous continuer à faire preuve d’ouverture
d’esprit et de tolérance, qualités qui, jusqu’à
maintenant, ont été à la base de notre
succès, ou verrons-nous apparaître des
tensions comme ailleurs dans le monde?
Et finalement, pourrons-nous combler le
fossé grandissant entre les revenus et ainsi
émousser le côté tranchant du capitalisme?
Nous espérions que la participation dans
une économie du savoir mondialisée allait
rehausser les normes de vie partout, que
tous les bateaux allaient être soulevés par
la vague, mais nous nous rendons compte
aujourd’hui que les yachts sont soulevés
plus rapidement que les chaloupes. À Toronto, on peut observer la stagnation de la
classe moyenne et très peu d’amélioration
pour les classes pauvres.
FAUT DES LEADERS COMME NAHEED NENSHI
DE CALGARY, DES LEADERS QUI ENCOURAGENT LES DISCUSSIONS RESPONSABLES, QUI
N’ONT PAS PEUR DE DIRE LA VÉRITÉ ET QUI
NE PORTENT PAS DE JUGEMENTS HÂTIFS,
MAIS ATTENDENT PLUTÔT DE VOIR ET DE
SOUPESER LA PREUVE.
« Il y a deux forces qui
transforment le monde
à l’heure actuelle,
la mondialisation et
l’urbanisation. »
73
Danny
Graham
→ Danny Graham, ancien chef du Parti libéral de la NouvelleÉcosse et président fondateur de Engage Nova Scotia,
interviewé le 2 juillet 2014 par Adam Kahane
sur
L’ENGAGEMENT
des citoyens :
« J’ai tout à fait confiance en M. et Mme Tout-le-Monde. »
KAHANE
GRAHAM
Qu’est-ce qui vous
préoccupe le plus
dans ce qui se passe
au Canada?
Depuis les années 1990, nos leaders
politiques sont devenus plus tranchants.
Les gens dans la politique n’accordent
plus d’importance aux idées des autres ou
alors manquent de respect à leur égard. La
politique est devenue ce monde insensé
où l’on se crie les uns aux autres : « Nous
avons raison, vous avez tort, taisez-vous,
asseyez-vous et faites attention à ce que
j’ai à dire. » Les attaques publicitaires sont
des symptômes de cette dynamique. Ce
qu’il faut retenir avant tout, c’est que ces
messages sont le symptôme d’un public
plus polarisé qui veut — et même, exige —
des réponses simples à des questions complexes. Il doit se produire un changement
fondamental pour que nous puissions
créer un nouveau point d’équilibre.
À quoi pourrait
ressembler ce
changement?
Les facteurs de ce changement comportent une profonde réforme démocratique et en particulier, l’engagement des
citoyens. L’essence même de la démocratie réside dans la sagesse commune. Si
nous faisons confiance aux individus et
les invitons plus souvent à participer aux
délibérations et aux décisions entre — et
non seulement pendant — les élections,
le Canada deviendra de nouveau un pays
vivant, prospère, durable et progressiste.
Pour y arriver, nous devrons rendre possibles les conversations entre citoyens,
surtout à propos d’enjeux importants
et complexes.
Pouvez-vous songer à un
exemple où nous avons
pu engager les citoyens
comme vous le jugez
nécessaire?
Pendant les années 1990, le public et
les leaders politiques estimaient que la
Loi sur les jeunes contrevenants avait
comme résultat de permettre aux jeunes
criminels qui commettaient des délits
graves d’échapper à toute punition. La
réalité, c’est que le Canada mettait les
jeunes en prison plus fréquemment que
presque tous les autres pays occidentaux.
En réponse au tollé général, Ralph Klein,
à l’époque Premier Ministre de l’Alberta,
qui préconisait des mesures pénales plus
strictes, avait convoqué une assemblée
publique de quelque 150 Albertains pour
tracer la voie du système de justice pénale
en Alberta. Certains s’attendaient à ce
que le groupe recommande des pénalités
plus dures. Au cours des trois jours de
l’assemblée, ces citoyens furent renseignés
à fond sur les choix qu’ils pouvaient faire.
Ce qui émergea de ces délibérations fut
une série de recommandations excellentes et sensées sur le chemin à suivre pour
créer un système de justice pénale qui soit
dicté par les pratiques exemplaires et la
preuve, et non pas par la rhétorique.
74
Est-ce que vous dites
que les citoyens moyens
savent faire preuve de
plus de bon sens que les
politiciens?
Pensez-vous qu’un
nouveau groupe de
leaders pourrait
modifier le discours
politique actuel?
Je ne suis pas sûr de vouloir dire cela. Mais
d’ÊTRE DANS LA VIE POLITIQUE EST UNE
EXPÉRIENCE TRÈS DÉBOUSSOLANTE, DANS CE
SENS QUE VOUS POUVEZ ÊTRE FACILEMENT
DÉSORIENTÉ SI VOUS PRÊTEZ TROP ATTENTION AUX MÉDIAS OU AUX CONSEILLERS EN
COMMUNICATION.
Aucune chance! Zéro! Ça ne peut pas se
produire uniquement du haut vers le bas,
pour diverses raisons : les gens ont moins
confiance en leurs institutions; il y a une absence de dialogue éclairé sur les vrais défis
et les enjeux sont vraiment complexes.
Il y a une centaine d’années, nous vivions à
une époque où les gens avaient davantage
J’ai tout à fait confiance en « M. et Mme
Tout-le-Monde ». La recherche a démontré que si vous leur donnez la chance
d’appliquer leur sagesse à quelque chose,
ils en viendront habituellement à une décision plus sage et le reste d’entre nous en
acceptera généralement le résultat. Pensez
à la mesure dans laquelle le grand public accepte les décisions des jurys.
confiance en l’élite à cause du manque
d’instruction et de l’échange limité de renseignements. De nos jours, les gens ne vont
simplement pas accepter une solution à
moins d’avoir eu l’occasion de bien l’étudier.
Donc, tout changement fondamental doit
venir du haut vers le bas ainsi que du bas
vers le haut.
« Les facteurs de ce changement comportent
une profonde réforme démocratique et en
particulier, l’engagement des citoyens. »
Croyez-vous que les
Canadiens se
soucient assez du
Canada pour faire ce
que vous voudriez
qu’ils fassent?
Permettez-moi de vous raconter une anecdote au sujet de la passion pour le Canada
dont j’ai été témoin. J’ai emmené mon fils
cadet, Colin, aux Jeux olympiques d’hiver à
Vancouver en 2110, et là nous avons appris
beaucoup sur l’amour que ressentent les
Canadiens ordinaires pour leur pays, chose
à laquelle je ne m’attendais pas. Nous nous
trouvions par un heureux hasard dans la rue
Robson le dernier jour des Jeux, le Canada
ayant remporté plusieurs Médailles d’or.
Nous marchions avec des dizaines de milliers de parfaits étrangers et tout le monde
se donnait des « high five ». Au milieu des
célébrations, je me suis trouvé dans une file
de conga indo-canadienne, aux côtés d’un
vieil Asiatique vêtu d’un chandail de Crosby,
et parmi des sans-abris qui étaient venus à
pied de l’autre bout de la ville pour sourire
et partager leur ardeur envers notre pays. Il
existe un ingrédient magique chez les Canadiens, qui n’est pas manifesté très souvent.
Si nous le cultivions et le faisions monter à
la surface, il libérerait tout un potentiel ainsi
que des chances que nous ne connaissons
pas encore complètement.
Si nous étions assis en
cet endroit dans vingt
ans, et si les choses
s’étaient vraiment mal
passées, qu’est-ce qui
aurait eu lieu?
Nous serions devenus encore plus polarisés.
Quand vous tenez compte des exemples
extrêmes d’événements dans des endroits
comme le Moyen-Orient et certains pays
d’Afrique, vous constatez que le plus grand
défi ne tourne pas autour des idées, mais
plutôt autour des relations humaines et des
processus. Personne n’a créé suffisamment
d’occasions pour que les idées opposées et
les partis politiques convergent de manière
constructive.
Je crois que l’endroit idéal pour l’innovation
et les possibilités ne se trouve pas dans les
marges, mais plutôt au milieu, là où il existe
une combinaison de perspectives. Accepter
que tout soit possible engendre le magique.
75
→ Michael Green, directeur de la création du projet Making
Treaty 7, interviewé le 30 juillet 2014 par Brenna Atnikov.
Making Treaty 7 est un événement culturel qui invite les
gens de Calgary à imaginer un avenir commun, par le biais
du prisme du Traité 7 signé à Blackfoot Crossing, en 1877
Michael
Green sur
LE RÉCIT
de notre histoire :
« Il n’y a jamais eu de conciliation. »
ATNIKOV
GREEN
Les projets tels que
Making Treaty 7
indiquent-ils que nous
sommes arrivés à un
nouveau moment
de réconciliation
au Canada?
Un de mes amis, Adrian Stimson, qui est
un artiste visuel de la nation Siksika, refuse
d’utiliser le terme « réconciliation ». Il dit
qu’il n’y a jamais eu de conciliation.
Les colons sont venus ici avec une idée
décidément victorienne de ce qu’était le
succès, de ce qu’était la richesse et du rôle
que chacun jouait à l’intérieur de cette «
machine ». Les Européens ont vu des gens
qui vivaient de la terre et ils étaient tout à
fait incapables de valoriser le mode de vie
de ces gens. Ils ont enfermé les enfants des
Premières Nations dans des pensionnats et
ils ont plus ou moins annihilé leur culture à
force de coups.
tries et notre agriculture — ne soit pas
durable. Nous sommes en train d’apprendre
qu’après tout, nous avons besoin d’un
peu de cette sagesse que les Premières
Nations croyaient pouvoir nous enseigner
quand nous nous sommes pointés chez
eux, malades et mourants les uns après les
autres tous les hivers.
Nous allons voir bientôt venir le temps où
les Premières Nations surmonteront ces
générations d’oppression et assumeront
leur place comme dirigeants de notre pays.
Le fait que nous produisions Making Treaty
7 démontre que nous sommes maintenant
prêts à tenir cette conversation au Canada.
Je ne sais pas si nous l’étions auparavant.
Mais nous commençons à comprendre
qu’il se peut que le style de vie que nous
avons travaillé si fort à créer — nos indus-
Qu’est-ce que vous
espérez réaliser avec
Making Treaty 7?
Making Treaty 7 est une expérience
théâtrale, mais les intentions sont très
sérieuses. La plupart des gens n’ont absolument aucune idée de ce qu’est le Traité 7, et
même si certains le savent, ils ne le voient
que d’une seule perspective. Nous avons
travaillé avec plusieurs cultures différentes
— les Blackfoots et les Stoneys et les Tsuu
T’inas — pour monter le spectacle. Tenter
d’unifier une vision commune représente
toute une aventure. Par contre quand ça
marche, il en ressort tout d’un coup quelque
chose de vraiment intéressant.
J’adore cette image qui, je crois comprendre, est traditionnelle dans la vision du
monde qu’ont les Premières Nations : «
Nous formons tous un cercle. » Dans le cen-
76
tre de ce cercle se trouve un arbre, et chacun a un point de vue différent de cet arbre.
L’un dira : « Voilà des fruits qui mûrissent. »
Un autre dira : « Cet arbre est malade. » Un
troisième dira : « C’est là qu’il a été frappé
par la foudre. » Et ce sont toutes ces choses
à la fois! Si je ne reconnais pas les signes de
la maladie en question, j’ai besoin de la personne qui puisse me l’indiquer. Je ne peux
pas fonctionner sans cette intelligence ou
alors, je ne serai qu’à demi renseigné.
Si Making Treaty 7
contribue aux
changements que vous
espérez voir survenir, à
quoi pourrait ressembler
le Canada au cours des
vingt prochaines années?
Il nous faut avancer au-delà de la simple
tolérance et embrasser un paradigme plus
éclairé, plus large, de ce que représente
l’humanité dans son ensemble. Je pense
que c’est là la promesse du Canada.
la société a fait un énorme pas en avant à
peu près à cette époque, puis nous avons
commencé à
apprendre ce que c’est que d’être
multiculturel.
JE NE PEUX PAS M’EMPÊCHER DE SENTIR
Il ne faut surtout pas croire que nous
sommes une utopie de tolérance depuis
longtemps dans notre histoire, pourtant
nous étions sur la bonne voie pendant
un certain temps. Le défi sera de tenter
de retrouver cette vision que signifiait le
Canada de Trudeau.
QUE NOUS ÉTIONS PLUS OUVERTS ET PLUS
RÉCEPTIFS PENDANT L’ÈRE DE TRUDEAU. Il a
fait sortir l’église et les tribunaux de nos
chambres à coucher afin que nous puissions être qui nous sommes sans crainte
de représailles; le rôle des femmes dans
« Nous sommes en train d’apprendre
qu’après tout, nous avons besoin
d’un peu de cette sagesse que
les Premières Nations croyaient
pouvoir nous enseigner quand
nous nous sommes pointés
chez eux, malades et mourants les
uns après les autres tous les hivers. »
Si nous commençons tous à apprécier cette
façon de voir la vie ensemble, nous pourrons alors nous efforcer de créer un monde
meilleur. C’est ce à quoi nous aspirons avec
Making Treaty 7. C’est vraiment l’histoire de
tout le monde.
77
Steven
Guilbeault
→ Steven Guilbeault, cofondateur d’Équiterre,
interviewé le 12 juin 2014 par Elizabeth Pinnington
sur
L’INNOVATION
Si les choses devaient
mal tourner au cours
des vingt prochaines
années, que se
serait-il passé?
verte :
« Nos municipalités sont des porteuses d’espoir. »
PINNINGTON
GUILBEAULT
Qu’est-ce qui vous
anime dans ce qui
se passe à l’heure
actuelle au Canada?
Nos municipalités sont des porteuses
d’espoir. À Montréal, nous avons battu un
record de cinquante ans en utilisation du
transport en commun, parce que nous
avons investi dans l’infrastructure des
transports. La ceinture verte en périphérie
de Toronto est perçue par bien des gens
comme un modèle en Amérique du Nord.
Vancouver est probablement l’un des dix
meilleurs exemples dans le monde de ce
qui doit être fait au niveau municipal par
rapport à la durabilité. Dans chacun de ces
endroits, ce n’est pas juste une histoire
d’argent, mais c’est aussi un changement de
mentalité. Nous considérons ce défi comme
une occasion de mieux faire ce que nous faisons, d’être plus résistants, plus efficaces.
Récemment, nous avons organisé un
événement rassembleur pour souligner
le succès du Québec dans l’atteinte de
sa cible en 2012 de réduire les émissions
de gaz à effet de serre, le plus ambitieux
Qu’y a-t-il dans la
situation actuelle
au Canada qui
vous empêche de
dormir la nuit?
78
SI VOUS REGARDEZ LA SCÈNE FÉDÉRALE,
ELLE N’EST PAS JOLIE. LE CANADA ÉTAIT
AUTREFOIS UN CHEF DE FILE EN CE QUI A
TRAIT AUX QUESTIONS ENVIRONNEMENTALES ET HUMANITAIRES. NOUS N’ÉTIONS
PAS TOUJOURS LES MEILLEURS, MAIS NOUS
FAISIONS PARTIE DU GROUPE DE PAYS EN
TÊTE. Le Protocole de Montréal a été signé
en 1988 pour ralentir l’amincissement de
la couche d’ozone. Le Canada a amorcé
plan de l’Amérique du Nord. Durant cet
événement, Monsieur Charest a déclaré
que lorsqu’on jette un coup d’œil au reste
du monde, les pays qui sont capables de
résoudre des problèmes et de relever des
défis peuvent le faire parce que ces problèmes et défis transcendent l’affiliation
politique et idéologique.
Partout dans notre pays et dans le monde,
quand il y a des activités de durabilité qui
ont lieu, c’est parce que ces questions
vont au-delà de nos affiliations politiques
et de notre mentalité politique. Bien sûr,
il y a inévitablement des différences entre
les partis politiques, mais tant et aussi
longtemps qu’il est possible pour nous de
reconnaître que nous partageons le même
but et qu’il nous faut atteindre le même
objectif, alors la discussion peut porter sur
comment nous y arriverons. Nous avons vu
cela se produire dans bien des régions du
Canada, et ceci m’anime profondément.
l’effort pour interdire les mines antipersonnelles, menant à la Convention
d’Ottawa en 1997. Autrefois, notre pays
avait une bonne réputation. Maintenant,
quand je vais à des réunions de l’ONU à
l’étranger, les ministres de haut rang de
divers pays s’approchent et me demandent
: « Qu’arrive-t-il au Canada? On ne vous
reconnaît plus. »
En ce moment, le Canada dans son
ensemble focalise sur la création d’une
économie du dix-neuvième siècle, basée
sur ses ressources naturelles. L’économie
du vingt-et-unième siècle se concentrera sur la connaissance, le savoir-faire,
l’innovation et la créativité. Si nous restons
collés à une économie de pétrole et de gaz
naturel, nous serons forcés d’importer des
technologies mises au point par d’autres
que nous. Nous ne nous préparons pas
pour le monde de demain.
De plus, bien des gens parlent de durabilité,
mais ils n’agissent pas en conséquence.
Nous avons un rôle à jouer, à la fois comme
citoyens et comme consommateurs. J’ai
un ami qui dit : « Acheter, c’est voter. »
Nous devons devenir plus conscients des
choix que nous faisons chaque jour en tant
qu’individus, y compris dans l’arène politique. Ces enjeux doivent faire davantage
partie des choix posés par les gens.
Si nous échouons dans notre tentative
d’apporter les changements nécessaires,
ce ne sera pas parce que les solutions
n’existaient pas ou parce qu’elles n’étaient
pas économiquement viables. Ce sera parce
que nous ne pensions pas en être capables
et n’avons pas mobilisé assez de gens de
tous les secteurs de notre société pour que
ceci devienne une réalité.
« Nous ne pouvons
pas avoir une société
prospère au détriment
de la planète. »
Si les choses se passent
bien pendant les vingt
prochaines années,
qu’est-ce qui se sera
produit?
Les gens se seront rendu compte que nous
ne pouvons pas avoir une société prospère
au détriment de la planète. Heureusement,
de plus en plus de dirigeants d’entreprises
se font entendre sur certains de ces enjeux.
Ils doivent faire partie de la solution, parce
qu’ils peuvent réaliser des choses que je
ne peux pas réaliser moi-même à titre de
défenseur de l’environnement et que les
gouvernements ne peuvent pas réaliser non
plus. Si je me trouve aux côtés d’une personne appartenant au monde des affaires,
j’aurai alors ajouté d’un seul coup au poids
de notre message et augmenté la taille du
public qui sera réceptif à ce message.
Pourquoi certains
dirigeants d’entreprises
ont-ils commencé à
plaider pour la durabilité
de l’environnement?
Au-delà de l’obligation morale de penser
et d’agir de façon à défendre la durabilité,
il y a des avantages matériels pour eux. Je
parlais avec Robert Dutton, ancien PDG
de la quincaillerie RONA. Sous sa tutelle,
l’entreprise a pris un spectaculaire tournant en faveur de la durabilité. Il a dit : «
Aujourd’hui, j’accorde des entrevues à des
gens dans le but de les faire venir travailler
pour moi, mais les valeurs des gens ont
beaucoup changé. C’est toujours une
question de chèque de paye, mais aussi du
type de compagnie que l’on est. Êtes-vous
un citoyen d’entreprise responsable?
Bientôt, ce sera moi qui serai interviewé
par les gens que je voudrais avoir comme
employés. La dynamique sera complètement inversée. À moins que ma compagnie
se comporte de manière responsable,
j’aurai du mal à attirer du monde nouveau.
» Il m’a également dit que lorsque RONA
réduit le volume de ses déchets d’environ
quatre-vingts pour cent dans ses grandes
quincailleries, l’entreprise économise
environ 80 000 $ par année en collecte de
déchets. Si ce n’est pas là un bon exemple
de comment mener une affaire, je ne sais
pas quoi invoquer d’autre.
79
Alex
Himelfarb
→ Alex Himelfarb, ancien greffier du Conseil privé,
interviewé le 23 juin 2014 par Adam Kahane
sur
L’AFFAIBLISSEMENT
de notre collectif :
D’après vous, comment
cette inégalité croissante
se répercute-t-elle sur
notre société?
L’extrême pauvreté est corrosive. Quand
les gens au haut de l’échelle et les gens au
bas respirent un air tellement différent, il
est difficile d’identifier un intérêt public
commun ou de partager le même objectif.
Quand ceux qui sont en haut deviennent
tellement riches qu’ils décident qu’ils n’ont
plus besoin de services publics, alors ils
s’écartent ni plus ni moins de la société.
Lorsque l’écart est extrême, ils semblent
aussi croire qu’ils méritent tout ce qu’ils
possèdent. De là vient l’avarice échelonnée
vers le bas. S’ils n’ont pas besoin de services et s’ils méritent leur richesse, pourquoi
paieraient-ils des impôts? Les gens qui sont
au bas de l’échelle finissent par penser que
le jeu est injuste et qu’ils n’ont rien à y gagner. Ils ne veulent pas voter et eux non plus
ne veulent pas payer d’impôts. Pourquoi
payer quand le jeu est truqué?
Le gouvernement a-t-il
un rôle à jouer pour
contrer ces problèmes?
NOUS AVONS CONNU TRENTE ANS
En voilà une distraction! Et cela a vraiment bien marché. C’est évident qu’il faut
améliorer le gouvernement, mais ce sera
impossible tant qu’on percevra le gouvernement comme étant le problème.
« L’extrême inégalité est corrosive. »
KAHANE
HIMELFARB
Qu’est-ce qui vous
empêche de dormir
la nuit?
Selon moi, le problème qui me préoccupe le
plus, c’est l’inégalité. Pensons au bas, au milieu et au haut de la société. Au bas, même si,
comme certains le laissent entendre, la situation des pauvres ne s’est pas nécessairement aggravée depuis quelques années,
elle ne s’est pas améliorée pour autant,
et sûrement pas aussi rapidement que ce
qu’on a vu dans plusieurs autres pays riches.
Comparativement à d’autres pays riches,
le Canada s’en tire mal, et par rapport aux
Premières Nations et aux autochtones en
général ainsi que par rapport à la pauvreté
chez les enfants, la situation au Canada est
inexcusable. Ce qui est le plus troublant de
tout, c’est que nous allons dans la mauvaise
direction. L’austérité à tous les paliers
gouvernementaux — principalement autoimposés à cause d’années de réductions
d’impôt inabordables — érode nos principales institutions redistributrices, c’est-àdire le bien-être et l’assurance-emploi, et
continue de comprimer les programmes
conçus pour alléger les conséquences de
l’inégalité, y compris l’assurance-maladie.
L’austérité a donné lieu à une sorte d’avarice
échelonnée vers le bas. Inévitablement, ses
conséquences se font surtout ressentir
parmi les plus vulnérables. On n’a qu’à penser aux politiques récentes qui cherchent à
refuser aux réfugiés leurs demandes pour
les soins médicaux ou l’assistance sociale
dont ils ont besoin. Et comment se fait-il que
nous trouvions toujours assez d’argent pour
la guerre, mais ne puissions pas trouver les
ressources qu’il faut pour bien servir nos
anciens combattants? La liste est longue et
la direction est erronée.
80
La classe moyenne aussi est sans aucun
doute étirée jusqu’à la limite. Il y a deux
facteurs qui masquent l’étendue du problème. Tout d’abord, au cours de la dernière
décennie, les femmes ont travaillé plus
d’heures qu’auparavant, indiquant que
bien des foyers n’ont pas vraiment subi une
baisse de revenus, quoique les gens doivent
travailler plus longtemps pour demeurer
à leur niveau. Le deuxième facteur, ce sont
les pétro-emplois. Les provinces riches en
pétrole ont bien réussi auprès de certains
membres de la classe ouvrière, parce
que leurs emplois sont relativement bien
payés, mais il s’agit de réussites axées sur
les intérêts régionaux et elles sont fragiles.
Et même en Alberta, le taux d’inégalité
est élevé; les avantages sont répartis de
façon inégale. Et surtout pour ce qui est du
marché du travail, notre rendement a été
médiocre, les salaires ne sont pas restés
au pas avec les gains en productivité et à
peine avec l’inflation. Un nombre croissant
de Canadiens (particulièrement de jeunes
Canadiens) se retrouvent avec des emplois
précaires, sans sécurité, sans avantages
sociaux et sans perspective d’avenir, et
de plus, ils sont lourdement endettés. Par
conséquent, on a d’importants problèmes
rattachés à la classe moyenne, et si l’on
les néglige, ils ne feront que se dégrader.
Mais parce que nous lisons toutes ces
manchettes sur notre situation enviable
comparée à celle des États-Unis (qui ont les
plus graves problèmes d’inégalité parmi les
pays riches), cette question ne pèse pas très
lourd. Un grand nombre de personnes, spécialement dans mon groupe d’âge, ont assez
bien réussi, ce qui est sans doute une autre
explication pour le niveau dangereusement
élevé de notre complaisance.
Puis au haut de l’échelle, nous avons vu les
très riches devenir considérablement plus
riches. Le capital parle toujours plus fort
que le travail — c’est pour cela qu’on dit «
capitalisme » et non pas « travaillisme » —,
mais aujourd’hui, le pouvoir de négociation du capital a défoncé le plafond. Donc
l’argent parle plus fort que jamais.
D’ATTAQUES CONTRE LE GOUVERNEMENT.
LÀ OÙ LA DROITE A RÉUSSI LE MIEUX, C’EST
EN REDÉFINISSANT LES IMPÔTS COMME UN
FARDEAU OU UNE PUNITION ET COMME UNE
CONTRAINTE INJUSTIFIABLE IMPOSÉE À
NOTRE LIBERTÉ, ET EN ASSOCIANT LE GOUVERNEMENT À L’INEFFICACITÉ ET À LA CORRUPTION. Pendant des dizaines d’années,
nous avons entendu que le principal
problème était la taille du gouvernement.
Est-ce que le problème est le changement climatique? Non, le problème est
la taille du gouvernement. Est-ce que
c’est l’inégalité? Non, le problème est la
taille du gouvernement. Et la solution
au problème, c’est de réduire la taille du
gouvernement. En voilà un tour de magie!
La plus importante répercussion de ce
mouvement d’austérité, c’est que celui-ci
brime l’imagination politique. Il donne
l’impression que rien n’est collectivement
possible. C’est la loi du chacun pour soi.
Donc, je vois non seulement cette accentuation de l’inégalité, qui est invisible, grandissante et rébarbative, mais je vois aussi la
perte de la capacité collective de faire quoi
que ce soit pour changer les choses.
« Quand les gens au haut de l’échelle et les
gens au bas respirent un air tellement
différent, il est difficile d’identifier
un intérêt public commun ou de
partager le même objectif. »
Mais cette confiance
affaiblie que nous
éprouvons à l’égard des
autres ne rend-elle pas
l’action collective encore
plus difficile pour nous?
Une des raisons pour lesquelles nos institutions, y compris nos institutions politiques,
ont tant d’importance c’est que, comme le
disait le Premier Ministre Trudeau, le Canada est un véritable acte de défiance. Le
Canada est un contresens : nous sommes
dispersés sur le plan géographique; nous
avons un climat affreux; nous avons deux
langues officielles et plusieurs langues
non officielles; nous n’avons pas connu de
moment révolutionnaire pour nous unir;
nous sommes un pays d’immigrants; nous
sommes une nation avec une grande diversité culturelle et régionale. Pour toutes
ces raisons, nous sommes tenus de faire
un effort pour être le Canada. Et quand on
ne fait plus confiance au gouvernement,
quand on ne se fait plus confiance les uns
les autres, on est affaibli.
81
Don
Iveson
→ Don Iveson, maire d’Edmonton, interviewé le
24 juillet 2014 par Brenna Atnikov
sur
LE CYCLE EN DENTS DE SCIE :
« Il semble que nous évitons certaines
conversations que nous devrions pourtant avoir. »
ATNIKOV
IVESON
Si vous pouviez parler
avec un clairvoyant
au sujet de l’avenir
du Canada, que
voudriez-vous savoir
d’abord et avant tout?
Quelle belle occasion! Quelle sera
l’incidence du changement climatique
sur ce pays au cours des décennies à
venir? Je m’inquiète que le Canada y soit
moins résistant à cause de son envergure. L’immensité du pays est l’une des
choses qui nous rendent magnifiques et
cela signifie que nous disposons d’une
abondance de ressources dont nous
pouvons bénéficier. Mais puisque notre
superficie est tellement vaste, nous avons
des milliers de kilomètres de routes et de
tuyauterie. Tout cela est potentiellement
vulnérable aux changements de climat.
VOUS POUVEZ ATTENDRE QUE VOTRE PAYS
SOIT INONDÉ, OU VOUS POUVEZ BÂTIR LES
DIGUES DÈS AUJOURD’HUI, OU ENCORE,
VOUS POUVEZ FAIRE PARTIE D’UN EFFORT
LÉGITIME POUR FREINER LE CHANGEMENT
CLIMATIQUE. Le gouvernement fédéral
ne parle pas du changement climatique
parce que c’est incompatible avec son
approche envers le développement du
pays comme superpuissance énergétique. Nous aurions besoin d’une stratégie
nationale pour gérer l’infrastructure
physique qui est menacée par des événements météorologiques extrêmes. Et
en toute honnêteté, il nous faudra des
Comment la richesse
en ressources a-t-elle
ajouté aux
enjeux complexes
d’Edmonton?
82
S’il y a une province qui devrait posséder
les ressources nécessaires pour rester au
pas avec sa croissance, c’est bien l’Alberta.
Mais le cycle en dents de scie, avec ses
hausses et ses baisses, voulant qu’on utilise
les revenus de ressources pour payer les
dépenses courantes, est incroyablement
risqué. On ne peut pas décider de financer
les maternelles à temps plein et ensuite,
sommes considérables pour en défrayer
les coûts.
Une autre question que je voudrais poser,
c’est où en sommes-nous en ce qui a trait
à la réconciliation avec les autochtones?
Parce que c’est là un des énormes éléments de travail inachevé dans ce pays.
Malgré toutes les tentatives de les assimiler, on n’a pas réussi, et c’est purement à
cause de leur résistance que les autochtones sont toujours ici.
Ma troisième question serait, le pays
continuera-t-il à exister ou se fragmentera-t-il parce qu’il n’y aura plus rien pour
le cimenter? Nous sommes devenus
allergiques aux crises constitutionnelles,
mais d’autres pays les éprouvent et ils s’en
sortent bien. C’est comme le mariage : si
vous laissez tout s’envenimer, et dites à la
fin ce que vous pensez, c’est difficile alors
de régler les problèmes.
Si nous sommes prêts à en débattre en
tant que pays et en finissons tous plus
forts, tout ira bien. Mais il semble que
nous évitons certaines conversations que
nous devrions pourtant avoir.
lorsque le prix du pétrole tombe sous un
certain montant par baril, éliminer les
maternelles à temps plein. Nous avons
commis des faux pas dans le passé, tout
d’abord en permettant au développement d’échapper à tout contrôle, et puis
en permettant aux entreprises extractives
d’évincer les entreprises à valeur ajoutée.
Qu’est-ce qui a façonné
votre façon de voir les
choses et qui vous a
amenés à faire ce que
vous faites?
Si nous voulons persévérer dans l’industrie
des sables bitumineux, nous devons apprendre de nos erreurs passées et démontrer que nous savons être les bons gardiens
de cette ressource complexe dont nous
avons hérité par hasard. Cette activité se
produira sans doute; tant et aussi longtemps que le prix du pétrole sera plus élevé
que 50 $ environ le baril, l’extraction se
poursuivra. Nous devons agir avec détermination pour la rendre moins chère, plus
propre, plus verte, plus rapide et plus sécuritaire, et ensuite nous devons appliquer
cette propriété intellectuelle à d’autres
défis écologiques et à d’autres procédés
industriels dans le monde. Cela devrait être
notre prochain projet comme bâtisseurs
de la nation, soit créer une valeur à long
terme à partir de ce profit de courte durée.
Comme cela, quand nous aurons terminé
dans le Nord, quand nous aurons extrait
la dernière goutte de cette ressource
extractible de manière économiquement
faisable, il demeurera toujours une raison
d’exister pour Edmonton.
En 2002, j’ai fait partie d’un atelier sur le
besoin de construire des villes pouvant
attirer et retenir des individus talentueux,
créatifs et innovateurs. J’avais des antécédents en sciences politiques, et cette
question m’a fait beaucoup réfléchir sur ce
que les villes canadiennes doivent devenir
pour être en mesure d’offrir une expérience urbaine complète tout en demeurant
concurrentielles.
et entreprendre une carrière, Edmonton y
gagne vis-à-vis de Toronto pour ce qui est
du logement abordable et de la qualité de
l’enseignement public. En fin de compte,
nous avons choisi de rester ici et nous ne
regrettons pas ce choix.
Quelques années plus tard, ma compagne
et moi songions à l’endroit où nous voulions vivre. Mes amis n’étaient pas attirés
vers Edmonton comme endroit où vivre et
nous étions déchirés entre plusieurs villes
canadiennes, mais si vous pensez à où vous
souhaiter vous établir, élever une famille
Je suis maintenant le maire d’Edmonton
et je me consacre bien sûr entièrement
à cette ville. Il y a des gens qui se lancent
dans la politique locale parce qu’ils y voient
des possibilités d’amélioration, et il y a ceux
qui aiment les choses exactement comme
elles sont. J’appartiens fermement à la catégorie de gens qui adorent l’endroit, mais
qui, en même temps, voient beaucoup
d’occasions de l’améliorer.
« Si nous voulons persévérer dans
l’industrie des sables bitumineux,
nous devons apprendre de nos erreurs
passées et démontrer que nous savons être
les bons gardiens de cette ressource
complexe dont nous avons hérité par hasard. »
Qu’aimeriez-vous
laisser comme
héritage personnel?
Je désire contribuer à l’édification d’une
ville que mes enfants voudront habiter.
J’imagine facilement que dans sept générations, cet endroit sera toujours plein
de vitalité, et les choses que nous aurons
créées et pour lesquelles nous aurons
investi tant de temps et d’énergie perdur-
eront, et les valeurs, qui auront fait de nous
un endroit merveilleux où vivre, seront
toujours là. L’infrastructure physique aura
peut-être changé entièrement, mais les
valeurs qui unissent les gens entre eux
resteront toujours vraies.
83
Mark
Jaccard
→ Mark Jaccard, professeur en Énergie durable
à l’Université Simon Fraser, interviewé le
4 septembre 2014 par Monica Pohlmann
sur
LA CROISSANCE
responsable :
« Nous vivons dans l’ère anthropocène et
savons que nous influençons la planète. »
POHLMANN
JACCARD
Qu’est-ce qui vous
préoccupe au sujet du
Canada ces jours-ci?
Notre gouvernement fédéral actuel et
son expansion rapide des industries de
combustibles fossiles est quelque chose
d’inadmissible. Il y a un manque de volonté
à combattre les forces puissantes qui
retirent d’amples profits à partir de ces
activités. Le fait est que, de par leur nature,
ceux que j’appelle les vrais conservateurs ne sont pas enthousiastes à l’idée
d’intensifier l’industrie des combustibles
fossiles en dépit des incidences sur la planète. Plusieurs politiciens de centre droite,
y compris Gordon Campbell en ColombieBritannique et Arnold Schwarzenegger en
Californie, ont mis en place des politiques
climatiques efficaces.
Nous vivons dans l’ère anthropocène et
savons que nous influençons la planète. La
question, c’est comment pouvons-nous le
faire de manière beaucoup moins imprudente, surtout de nos jours en ce qui a trait
aux émissions de gaz à effet de serre? Si
l’on regarde le Québec avec les liens qu’il
a établis récemment avec le système de
plafonnement et d’échanges de la Californie, si l’on regarde ce qui a été réalisé en
Colombie-Britannique il y a à peine cinq ou
sept ans avec notre politique d’électricité
à zéro émission et la taxe sur le carbone, si
l’on regarde plus loin de nous les exemples
comme la Californie avec son règlement
imposé aux combustibles, aux véhicules et
à l’électricité, on voit qu’il y a des choses
que l’on peut faire.
L’économie canadienne continuera
de croître, mais il ne s’agira pas d’une
croissance intensément polluante. Cette
croissance sera distribuée plus équitablement, afin que les enfants de familles
moins privilégiées puissent avoir accès
aux mêmes chances que les enfants de
familles aisées. Je suis quelqu’un d’assez
optimiste et je vois des êtres humains
qui sont aux prises avec toutes sortes
de problèmes graves. Quand j’étais
étudiant diplômé, j’étudiais les gros
problèmes environnementaux que nous
avons éventuellement pu résoudre de
façon assez efficace, tels que la pollution
atmosphérique urbaine, l’amincissement
de la couche d’ozone et les pluies acides.
Lorsque certains essaient de monter en
épingle le changement climatique, et
qu’ils s’en préoccupent plus qu’ils ne le
devraient à mon avis, je leur mentionne
ces premiers succès.
Si tout se déroule
bien au cours des vingt
prochaines années,
que pouvez-vous
nous en dire?
84
Quelles sont les décisions
importantes que nous
devons prendre?
Je me suis confié la tâche d’aider notre
société à croître tout en protégeant et en
conservant le monde naturel. NOUS NE
SONT UNE FORME INCROYABLE D’ÉNERGIE
DEVRIONS PAS DIABOLISER LES COMBUSTI-
LA POLLUTION PAR LE CARBONE.
Quelles leçons
importantes du
passé pourraient
servir au Canada?
En tant que citoyen mondial, le Canada
peut avoir plus de poids que nous n’osons
le croire. Pendant la Deuxième Guerre
mondiale, nous avons déclaré la guerre à
l’Allemagne nazie avant que l’Union soviétique ou les Américains ne l’aient fait. Nous
avons fait preuve de vrai leadership.
dans le captage et le stockage du carbone.
Je suis profondément déçu que nous
n’ayons pas joué ce rôle au moment où
se manifestait un intérêt authentique à le
faire, même dans le milieu des entreprises.
Lorsque Stephen Harper est arrivé au pouvoir, tout cela a disparu.
Évidemment, le leadership ne signifie
pas d’aller se joindre à quelque
expédition militaire; c’est une question
de donner l’exemple.
Le Canada pourrait revenir à l’avant-garde.
Nous pourrions dire : « Voici ce que nous
faisons. Voici nos politiques. Qui peut faire
de même? » Et puis, nous pourrions vendre
nos technologies et notre savoir-faire de
façon à aider véritablement les pays en
développement, comme la Chine, à réduire
rapidement leurs émissions sans pour autant encourir l’énorme dépense de fermer
toutes leurs centrales au charbon.
CHIMIQUE QUI A ASSURÉ NOTRE BIEN-ÊTRE
D’AUJOURD’HUI. LE VRAI PROBLÈME, C’EST
BLES FOSSILES; LES COMBUSTIBLES FOSSILES
De même, le Canada pourrait jouer un rôle
de chef de file à l’égard de problèmes tels
que le captage du carbone. Entre 2005
et 2008, il y a eu une réelle poussée pour
que le Canada devienne un leader mondial
« En tant que citoyen
mondial, le Canada
peut avoir plus de
poids que nous
n’osons le croire. »
85
Gord
Lambert
→ Gord Lambert, conseiller exécutif en matière de
durabilité et d’innovation à Suncor Energy, interviewé
le 17 juillet 2014 par Monica Pohlmann
sur
L’INNOVATION
collaborative :
« Le changement climatique est un défi crucial. »
POHLMANN
LAMBERT
Qu’est-ce qui vous
anime de nos jours?
Je suis animé par un nouveau modèle que
nous avons créé pour accélérer le rythme
de performance environnementale par le
biais de l’innovation et de la collaboration.
COSIA — Canada’s Oil Sands Innovation
Alliance — en est l’exemple précis. Il s’agit
d’un réseau de treize entreprises qui
représentent plus de quatre-vingt-dix pour
cent de la production canadienne de sables
bitumineux, et qui compte quarante membres associés venant des universités, des
gouvernements et du secteur des affaires
en faveur de cette activité. En mettant nos
ressources en commun et en partageant nos connaissances, nos pratiques
exemplaires et même notre propriété
intellectuelle, nous espérons améliorer
notre performance économique, sociale
et environnementale à titre d’entreprises
individuelles et à titre d’industries, en général. À ce jour, les compagnies membres
ont partagé environ un milliard de dollars
de propriété intellectuelle.
Que se passe-t-il au
Canada qui a retenu
votre attention?
Nous avons la chance de servir d’excellent
exemple de ce qu’est une économie de
ressources qui, en même temps, est le
moteur de l’innovation. Par notre engagement au-delà des frontières disciplinaires,
organisationnelles, culturelles et gouvernementales, nous cherchons à obtenir
des résultats environnementaux, sociaux
et économiques qui profiteront à tous
les Canadiens.
Qu’est-ce qui vous
empêche de dormir
la nuit?
Il n’y a pas de doute que le changement
climatique est un défi crucial. LA RÉPUTA-
Les problèmes du vingt-et-unième siècle
sont beaucoup plus complexes que les défis environnementaux précédents, tels que
la pluie acide. Dans le cas des émissions
de gaz à effet de serre dans l’atmosphère,
nous faisons tous partie du problème et
nous devons tous faire partie de la solution. Et pourtant, même aujourd’hui, nous
cherchons automatiquement à porter le
blâme sur les autres. Nous n’arrivons pas
à traiter séparément l’offre et la demande
en matière d’énergie. Les problèmes complexes, qui outrepassent les frontières,
exigent d’être étudiés par de multiples
sources d’expertise et d’intérêts venant de
divers milieux et engagés à trouver les solutions ensemble au lieu d’être considérés
de façon isolée et incompatible.
86
TION DU CANADA A DIMINUÉ EN RAISON DE
LA PERCEPTION QUE NOUS NE SOMMES PAS
ENGAGÉS À TROUVER DES SOLUTIONS. Il y a
eu beaucoup d’arrêts et de départs dans
l’effort de maîtriser cette crise mondiale.
Plusieurs programmes valables ont été victimes des changements à saveur politique.
Même quand les gouvernements sont bien
partis et ont amorcé l’ébauche d’un projet
acceptable, il y a presque toujours eu des
critiques, soit que les résultats escomptés n’étaient pas assez audacieux pour
protéger l’environnement, ou alors qu’ils
étaient trop audacieux et dommageables
pour l’économie. On aboutit donc dans
une impasse.
Si les choses tournent
bien au Canada au
cours des vingt
prochaines années,
que se sera-t-il passé?
Depuis quelque temps, je réfléchis sur les
moyens de travailler ensemble à l’avenir
en vue de relever les défis écologiques
ou sociaux. Je me sers d’une métaphore
inspirée par le cyclisme routier du même
type que celui du Tour de France, une
course intensément compétitive, avec
plusieurs équipes de cyclistes et stratégies, et aussi une course profondément
collaborative. Les cavaliers seuls n’y ont
pas leur place. Chacun doit faire sa part.
Il faut que la confiance règne. Le but est
d’accélérer le progrès pour atteindre un
résultat prédéfini. Pouvons-nous créer de
tels pelotons pour mobiliser les efforts et
les talents conjoints en vue d’atteindre nos
résultats ambitieux, hardis et positifs? La
Canada’s Oil Sands Innovation Alliance est
justement un exemple réunissant treize
entreprises qui déterminent les règles
pour former un peloton et travailler ensemble au progrès. Ceci pourrait servir de
source d’information à d’autres nouveaux
modèles de collaboration.
« Pouvons-nous créer
de tels pelotons pour
mobiliser les efforts et
les talents conjoints en vue
d’atteindre nos résultats
ambitieux, hardis et positifs? »
Comment votre
expérience personnelle
a-t-elle influencé ce
que vous faites et la
perspective que vous
avez aujourd’hui?
Mon premier emploi en sortant de
l’université se trouvait à Cold Lake, en
Alberta, où j’ai travaillé avec la communauté, y compris les Premières Nations
et les commerces locaux. Je travaillais
avec le projet Cold Lake d’Imperial Oil à
titre de spécialiste environnemental. J’ai
commencé à apprendre ce qu’il faut faire
pour créer les rapports et la confiance
entre humains, éléments qui sont néces-
saires à une collaboration constructive et
mutuellement avantageuse. Nous étions
d’accord sur certaines choses, nous nous
préoccupions de certaines autres ou
parfois, nous étions carrément en désaccord, mais grâce au dialogue et au respect
mutuel, nous arrivions à régler nos différends et à trouver des solutions. Notre
manière d’interagir est essentielle à ce
que nous voulons réaliser.
87
Kevin
Lynch
→ Kevin Lynch, vice-président de BMO Groupe financier,
interviewé le 2 juillet 2014 par Adam Kahane
sur
Que faudrait-il pour
changer le discours
national?
UN CHANGEMENT
de cap au niveau international :
« Le Canada prospère quand il comprend le
monde qui l’entoure. »
KAHANE
LYNCH
Qu’est-ce qui vous
préoccupe le plus sur
ce qui se passe à l’heure
actuelle au Canada?
Les principales forces de changement
aujourd’hui ne sont pas canadiennes;
elles sont mondiales. Le Canada prospère
ou réussit moins bien en fonction de sa
compréhension du monde qui l’entoure.
Quand il ne le comprend pas, les choses
ne vont pas bien.
Il est vraiment important pour notre succès que nous nous assurions de ne pas
être trop paroissiaux dans notre attitude.
Toutes les politiques sont locales, mais
dans le contexte de la mondialisation, il
faut définir de façon plus large ce que signifient les besoins locaux.
Quel serait un exemple
de la façon d’élargir
notre perspective?
En ce moment, nos relations commerciales sont surtout calquées sur les quarante
dernières années et ne visent donc pas
l’avenir. Or quatre-vingt-dix pour cent de
notre commerce se fait avec les pays de
l’OCDE (Organisation de coopération et
de développement économiques) et seulement dix pour cent avec le monde émergent. Mais si vous regardez où la globalisation amène la croissance économique,
c’est dans le monde émergent.
réussir, cette entreprise aurait peut-être
besoin de bureaux à Montréal, à Johannesburg et à Mumbai. De même, depuis la
Seconde Guerre mondiale, nos universités majeures ont créé des liens avec celles
du Royaume-Uni et des États-Unis. Nous
devrons désormais faire la même chose
avec le Brésil et la Chine.
Une partie de notre succès futur dépendra de la diversification des endroits où
nous ferons des affaires. Aujourd’hui,
disons qu’une entreprise a un bureau
à Montréal et un autre à Boston. Pour
Quelle sorte
d’infrastructure nous
faut-il pour appuyer
ce type d’effort?
88
Tout comme avant, il nous faut des ports
et des routes, mais il nous faut aussi une
infrastructure « douce », telle que la
compétence linguistique. Aujourd’hui, nos
enfants ont tendance à suivre des cours
d’allemand, d’italien ou de grec plutôt que
Nous avons la possibilité de nous diversifier mieux et plus rapidement que les
Américains, les Britanniques et les Français. Si nous pouvions bâtir notre marque,
notre présence et nos rapports dans les
pays émergents, nous pourrions faire
partie d’un marché gigantesque.
des cours de mandarin. Pourtant, ce n’est
pas là que se produira la croissance. Pour
être assurés de succès personnel, sociétal
et économique, nous devons réorienter
notre système éducatif.
Y a-t-il des cas où il a
été possible de
surmonter le statu quo?
Qu’est-ce qui a permis à
ces efforts de réussir?
La plupart des gens opteront pour le
statu quo à moins qu’il n’y ait un fort
mouvement en faveur du changement
ou qu’ils soient convaincus de changer.
Qui n’agirait pas ainsi? C’est la nature
humaine. Donc, je devrai soit vous faire
peur en disant que le monde va s’écrouler
si l’on ne fait rien, soit vous inciter et vous
engager dans un dialogue réaliste.
Il nous faut également créer un contexte
dans lequel les sujets les plus importants
du moment dominent le discours public.
Lisez cinq journaux et écoutez cinq postes
de radio aujourd’hui, et aucun d’eux ne mentionnera ces sujets. Faites-en de même à
Singapour et eux les mentionneront.
L’ACCORD DE LIBRE-ÉCHANGE A ÉTÉ UN
pays du monde? », la grande majorité
répondait « non ».
POINT TOURNANT SPECTACULAIRE RÉALISÉ
En Suède, ils le feraient aussi.
PAR LES CITOYENS ET LES CONTRIBUABLES
CANADIENS. De même, au milieu des années
1990, nous avons été responsables d’un
important changement de cap dans notre
politique fiscale. On dit que ce fut abrupt
et même agressif, mais franchement, le
résultat fut brillant. De plus, il ne s’est pas
agi là d’un de nos changements graduels
typiques; ce fut un changement profond.
Selon les sondages, l’opinion publique
était contre ces deux actions. À l’époque, si
vous demandiez aux gens : « Désirez-vous
changer de fond en comble tous nos accords commerciaux avec le plus important
Ces tournants ont réussi grâce au leadership — pas uniquement de la part du
gouvernement, mais aussi de la part du
monde des affaires et de différents autres
milieux. Surtout pour ce qui est de l’Accord
de libre-échange, les Canadiens pouvaient
être témoins des débats honnêtes qui se
déroulaient entre les gens d’affaires, les
universitaires et divers autres. Il a fallu un
leadership exceptionnel pour convaincre
le Canadien moyen que dans l’ensemble,
compte tenu des risques et des avantages,
l’Accord était en fait une chose positive.
« Une partie de notre succès futur
dépendra de la diversification des
endroits où nous ferons des affaires. »
La conjoncture actuelle
est-elle favorable à
un changement
fondamental au Canada?
Il est plus facile de convaincre les gens
à poser des gestes importants s’il existe
une confiance collective en ceux qui
proposent les changements. Les résultats
des sondages réalisés dans les pays oc-
cidentaux indiquent qu’au cours des vingt
dernières années, la confiance a connu un
déclin considérable dans tous les secteurs
de la société.
Avez-vous confiance
dans notre capacité
d’apporter les
changements
nécessaires?
Nous avons un gros défi à relever au
Canada : nous manquons d’ambition. Je
ne suis pas certain que ma génération soit
suffisamment ambitieuse. Nous pouvons
réussir bien mieux dans le monde que ce
que nous croyons.
fort, et s’ils sont suffisamment inventifs
et astucieux. Nous devons faire preuve
d’assez d’ambition pour garder ces jeunes
au Canada, pour qu’ils puissent lancer leurs
activités et leurs entreprises profitables
ici, enseigner ici, se porter candidats à des
postes politiques ici. Si nous ne sommes
pas assez ambitieux, ils iront ailleurs, parce
qu’ils veulent faire une différence.
Certains parmi les Canadiens plus jeunes
croient qu’ils peuvent vaincre n’importe
qui s’ils étudient beaucoup, s’ils travaillent
89
Preston
Manning
Il faut aussi que nous répondions aux
préoccupations environnementales,
surtout lorsqu’elles interviennent dans
le développement des ressources. Nous
ne pouvons pas continuer de nous engager dans une dispute polarisée de «
l’environnement contre l’économie ». Personne ne veut détruire l’environnement
ou l’économie — on a besoin des deux —,
mais il y a bien des gens qui veulent prendre parti pour l’un ou pour l’autre. Il y a
différentes façons de concilier l’économie
et l’environnement, certaines du côté de
l’offre et d’autres du côté de la demande.
Peu de groupes dans la société parlent de
restreindre les demandes.
→ Preston Manning, président du Manning Centre for
Building Democracy, interviewé le 16 septembre 2014
par Brenna Atnikov
sur
LA CONCILIATION
de l’économie avec l’environnement :
« Les Canadiens ont besoin d’une bonne
dose de réalisme par rapport à l’économie. »
UN ÉVEIL SPIRITUEL PARMI LES CANADIENS
POURRAIT FAIRE PARTIE D’UNE VOLONTÉ
RENOUVELÉE DE TEMPÉRER NOS DEMANDES
ATNIKOV
MANNING
Quand vous regardez
le Canada, qu’est-ce
qui vous frappe?
J’aimerais que le Canada soit la démocratie
la mieux gouvernée du monde; qu’il ait la
plus forte économie et la meilleure qualité
de vie au monde. Une façon de renforcer
la gouvernance démocratique est de
rehausser les connaissances, les aptitudes,
l’éthique et les capacités des représentants élus. Il y a beaucoup plus de cellules
de réflexion, de groupes d’intérêt et de
programmes de formation pour les élus
provinciaux et fédéraux que pour les plus
de 25 000 élus municipaux. Il faut trente
heures de formation pour servir chez
Starbucks, mais on peut devenir législateur
au parlement sans une seule heure de
formation. Est-ce que cela a du bon sens? Il
devient impossible de persuader les gens
compétents qui sont au sommet de leurs
capacités de se lancer dans la vie politique,
parce qu’ils ne veulent pas se soumettre
ou soumettre leurs familles aux attaques
personnelles et aux examens minutieux
que l’on retrouve dans les médias.
Nous souffrons de ce qu’on pourrait
appeler un « déficit démocratique »,
surtout chez les jeunes. Le plus simple
moyen de le mesurer, c’est par le déclin
dans le nombre de gens qui votent. Les
gens ont l’impression que leur voix ne
compte pas. Les sondages menés pour
Qu’est-ce qui vous
empêche de dormir
la nuit?
90
Les Canadiens ont besoin d’une bonne
dose de réalisme par rapport à l’économie.
Le secteur des ressources est le cheval
qui tire la charrette économique actuelle.
Nous devons davantage prêter attention au renforcement de ces industries
et reconnaître ce qu’elles contribuent.
DANS L’INTÉRÊT DE L’AVENIR. Mais les
déterminer comment les Canadiens perçoivent l’efficacité du gouvernement et
les processus démocratiques ont produit
des résultats extrêmement négatifs. Dans
une telle situation, les quelques-uns qui s’y
intéressent peuvent maîtriser le système
en entier. J’appelle cela « La Loi de fer de
la démocratie » : si vous décidez de ne pas
vous engager dans la politique, vous serez
gouverné par ceux qui s’y engagent.
Au plus haut niveau, la politique a pour but
de concilier les intérêts divergents. Les
plus difficiles à concilier sont ceux où les
deux côtés sont valables. À titre de nation,
nous avons désespérément cherché le
juste milieu depuis le tout début, ce qui a
aidé à garder le pays uni. C’est pourquoi
nous sommes bilingues; c’est pourquoi
nous avons choisi une combinaison du
système parlementaire britannique et
du système fédéraliste américain. Nous
devons continuer de chercher le juste
milieu sur de nouveaux fronts, y compris le
front économique-écologique. Autrement,
nous risquons de plonger dans une autre
crise d’unité nationale, amorcée par les
provinces de l’Ouest et leur sentiment de
subventionner tout ce qui est à l’est de la
rivière des Outaouais.
Afin de maintenir notre haut niveau de
vie, l’économie doit être assez forte pour
défrayer les coûts de notre réseau de
services sociaux. Au fur et à mesure que
notre population vieillira, les pressions sur
nos systèmes de soins de santé et sur nos
régimes de retraite augmenteront.
groupes écologiques préfèrent plutôt se
servir de règles pour freiner certaines
activités. Toutefois, si l’on examine
l’exploitation des sables pétrolifères en
Alberta, la raison pour laquelle les entreprises ont retardé leurs projets n’est pas
parce que l’Office national de l’énergie
a émis une ordonnance réglementaire
quelconque, mais à cause de facteurs
économiques. Lorsque le prix de l’essence
a défoncé le plafond, ceci a entraîné un
ralentissement dans l’exploitation des
sables bitumineux, parce que les compagnies utilisent le gaz naturel pour alimenter
l’extraction. Les messages qui parviennent
le mieux à convaincre les exploitants de
sables bitumineux sont les messages qui se
rapportent aux finances et aux marchés.
Les conservateurs peuvent jouer un rôle
important dans la conciliation de ces
intérêts. Les mots « conservateur » et
« conservation » sont issus de la même
racine. Vivre selon ses moyens — principe
auquel adhèrent les gens financièrement
conservateurs — est en fait un concept
écologique. On ne peut pas retirer plus
d’un système naturel que ce qui y est remis.
Les conservateurs pourraient mobiliser les
mécanismes de marché pour la protection
de l’environnement et en faire leur contribution de marque.
« Les gens ont l’impression
que leur voix ne compte pas. »
Si les choses devaient
mal tourner au cours des
vingt prochaines années,
que pourrait-on en dire?
Je me demande si cette génération-ci du
« baby-boom » poursuivra ses propres
intérêts jusqu’au bout. Si les « babyboomers » insistent pour obtenir le plus
haut niveau de soins de santé et la meil-
leure technologie jusqu’à la toute fin, ils
pousseront les soins de santé à la faillite
et feront en sorte que les plus jeunes
générations ne puissent pas avoir accès à
certains aspects du système.
Et si en revanche les
choses devaient bien
aller au cours des vingt
prochaines années, que
se serait-il passé?
La doctrine centrale de la foi chrétienne
est la conciliation, que ce soit entre les
personnes et quiconque elles perçoivent
comme étant Dieu, ou entre les personnes
et leurs prochains, ou entre les personnes
et leur for intérieur, ou encore entre
les personnes et le monde physique.
L’intérêt renouvelé dans la gérance responsable de l’environnement — rétablir
le rapport entre les êtres humains et la
nature — comporte certains éléments de
spiritualité. Cette perspective a un rôle
à jouer pour aider les gens à reconnaître
le besoin de sacrifier la satisfaction immédiate pour quelque chose qui viendra à
l’avenir, pour la génération suivante, pour
l’environnement. Si nous limitions nos
exigences matérielles, nous aurions plus
de temps pour nos relations personnelles,
familiales et sociales. Si nous passions
plus de temps à nous occuper les uns des
autres, nous ne serions pas obligés de
faire appel à l’appui du gouvernement.
Ceci est une autre approche que celle
de chercher à tout résoudre par voie de
règles ou de lois. C’est facile de parler de
l’avenir par rapport à ce qu’il devrait être,
sur le plan économique, écologique, social
et politique. J’y ajouterais la dimension
spirituelle, aussi.
91
Elizabeth
May sur
→ Elizabeth May, chef du Parti vert du Canada et
députée fédérale de Saanich-Gulf Islands, interviewée
le 8 septembre 2014 par Monica Pohlmann
NOTRE
Quelles leçons
devons-nous apprendre
de nos erreurs passées?
Nous sommes comme un petit kiosque qui
vend des glaces. Si vous êtes impitoyable,
vous pouvez facilement nous renverser.
Cependant, notre Constitution est fondée
sur le principe que ceux qui détiennent le
pouvoir n’en abuseront pas. Il n’existe pas
de règles contre l’abus de pouvoir; c’est
simplement que ça ne se fait pas. Stephen
Harper n’a pas de vrai respect pour la
démocratie parlementaire de Westminster. Je ne crois pas qu’il travaille dans
l’intérêt du Canada.
Qu’est-ce qui vous
préoccupe à propos
du rôle que joue le
Canada sur la scène
internationale?
En ce moment, nous ne comptons pas
dans les négociations internationales sur
le climat, parce que le reste du monde sait
que nous ne ferons pas la bonne chose.
Nous ne sommes pas au diapason avec le
grand mouvement mondial qui se manifeste à l’heure actuelle. Parmi les voix les
plus éloquentes qui appellent à l’action
sur la crise climatique, on compte entre
autres le Fonds monétaire international, la
Banque mondiale, l’Agence internationale
de l’Énergie et l’Organisation de coopération et de développement économique.
Christine Lagarde du FMI a dit lors des rencontres de Davos l’an dernier que si nous
n’agissions pas face à la crise climatique,
les générations futures seront rôties, frites
et grillées. Shell et BP disent tous les deux
qu’il est temps d’imposer une sorte de taxe
sur le carbone.
dictature élue :
« Notre Constitution est fondée sur le principe que
ceux qui détiennent le pouvoir n’en abuseront pas. »
POHLMANN
MAY
Qu’est-ce qui vous
empêche de dormir
la nuit?
Nous ne sommes une démocratie qu’en
théorie. Dans la pratique, nous sommes
une dictature élue. Les Canadiens ne se
sentent plus valorisés; ils sont devenus
des consommateurs passifs. Ils ont abandonné l’idée qu’ils ont des droits et responsabilités dans la gestion du pays. Il est
très difficile d’éveiller les gens pour qu’ils
se rendent compte qu’ils ont du pouvoir.
Quarante pour cent des Canadiens ne
votent pas. Aux élections partielles dans
Fort McMurray-Athabaska en juin dernier,
seulement quinze pour cent ont voté!
À moins qu’on ne change le système, le
prochain dictateur pourrait fort bien
être Trudeau ou Mulcair, et même si nous
préférions leurs décisions, ce ne serait
toujours pas une démocratie.
De nos jours, les gouvernements
démocratiquement élus ont peu de connaissance du pouvoir souverain et sont
redevables aux sociétés transnationales
en vertu d’instruments divers comme les
accords entre les investisseurs et l’État.
Il nous faut rappeler aux gens que les
démocraties (et les citoyens) peuvent
choisir ce qu’ils veulent faire, que ce soit
dire non au projet de pipelines Enbridge
Northern Gateway ou donner leur opinion sur le traité d’investissement CanadaChine. Nous avons eu des années de
déréglementation, de privatisation et de
libéralisation du commerce. Les impôts
et tout ce qui est collectif sont diabolisés.
Nos enfants ont grandi à une époque où
le message était que « le gouvernement
92
est une mauvaise chose ». Quand je parle
aux jeunes, ils disent : « Je ne veux pas que
ce soit le gouvernement qui fasse ceci ou
cela. » Pourtant, dans une démocratie,
nous devrions sentir que le gouvernement est en quelque sorte une prolongation de nos doigts, nous permettant
de faire collectivement ce que nous ne
pouvons pas faire individuellement.
Notre capacité de savoir ce qui se passe
a été réduite. Internet a permis la circulation de quantités énormes de faux
renseignements déguisés en de véritables
renseignements. Les médias sociaux ont
amplifié les voix des intolérants, des racistes, des misogynes et des homophobes.
Je suis branchée sur Twitter et parfois
les messages qu’on m’envoie sont horripilants. Il y a toujours eu des éléments
intolérants dans notre société, mais
une des choses formidables du Canada,
c’est notre respect envers les différents
points de vue et le sentiment que nous
pouvons arriver à un consensus. Nous
avons toujours cru pouvoir être en désaccord tout en n’étant pas désagréables.
Aujourd’hui, le Canadien poli est en train
de disparaître. On ne laisse plus de place
à la conversation. Tout ce qu’on a le droit
de faire, c’est de se lancer des slogans des
deux côtés de la salle.
« Nous ne sommes une
démocratie qu’en théorie.
Dans la pratique, nous
sommes une dictature élue. »
Qu’est-ce qui
vous anime?
Les provinces nous offrent une lueur
d’espoir par rapport au changement climatique. Leurs premiers ministres disent qu’il
leur faut une politique énergétique. En
l’absence d’une politique fédérale, disentils, tout est aléatoire, ce qui permet aux
entreprises de régner. Si nous avions une
politique énergétique nationale, la sécurité
énergétique compterait pour quelque
chose, de sorte que nous n’exporterions
qu’une fois les besoins nationaux satisfaits. Toute action concernant le climat
compterait. Et ce qui compterait aussi,
c’est l’accroissement du nombre d’emplois
pour chaque baril de bitume produit. NOUS
POURRIONS TOUT COORDONNER SI NOUS
ÉTIONS ASSIS À LA MÊME TABLE EN TRAIN
DE RÉGLER NOS PROBLÈMES, SI NOUS REVENIONS À NOS VALEURS COMMUNAUTAIRES
ET NOUS OCCUPIONS LES UNS DES AUTRES.
Nous n’arriverons pas à résoudre la crise
climatique si nous ne sommes pas une
démocratie fonctionnelle.
93
L. Jacques
Ménard sur
→ L. Jacques Ménard, président du Conseil d’administration de
BMO Nesbitt Burns et président de BMO Groupe financier,
Québec, interviewé le 15 novembre 2014 par Adam Kahane
L’ACQUITTEMENT
de nos responsabilités :
« Nous avons trop tendance à nous en remettre aux
autres, en partie par souci de respect, mais aussi
à cause d’une sorte de passivité. »
Si les choses devaient
mal tourner au cours
des vingt prochaines
années, qu’est-ce que
l’on pourrait en dire?
Nous aurons continué à réduire les
ressources consacrées à l’éducation
supérieure et à la recherche dans nos
universités et institutions. Nous aurons
décidé de rendre tout cet argent aux
citoyens et abandonné notre responsabilité collective de favoriser un meilleur
système d’éducation. Cela aura une
incidence sur notre bilan de réalisations
dans le domaine de l’innovation et des
nouveaux brevets. Le Canada aura érodé
ses chances et manqué l’occasion de
mettre ses talents à l’avant-scène.
COMMENT MANQUE-T-ON L’OCCASION DE
SE DISTINGUER PAR SES TALENTS? ON FAIT
DEUX CHOSES : ON NE LES EXPLOITE PAS
ET ON NE LES RETIENT PAS. Nous sommes
KAHANE
MÉNARD
Que voyez-vous se
produire dans le
pays, qui mérite
notre attention?
En tant que Canadiens, nous avons certains
droits. Nous avons aussi des obligations
ainsi que la responsabilité de contribuer
au bien public, surtout si l’on a le privilège
d’exercer un certain niveau d’influence.
Cela est vrai pour le pays aussi. Nous avons
un pays qui est privilégié. Nous gémissons
et nous nous plaignons de nos lacunes,
mais quand nous regardons les bulletins de
nouvelles, nous voyons pourquoi le Canada
fait l’envie du monde. Nous sommes privilégiés parce qu’il se fait que nous sommes
situés dans cet hémisphère et parce que
notre culture nous permet de nous gouverner comme nous le faisons. La crise de
2008 n’a pas eu le même impact ici qu’elle
a eu ailleurs. Comment pouvons-nous
partager notre expertise, nos expériences
et nos valeurs de manière à faire preuve de
solidarité vis-à-vis d’autres dans le monde
qui n’ont pas reçu les mêmes privilèges?
Nous ne contribuons pas selon notre plein
potentiel, ni à l’intérieur de notre pays ni
à l’extérieur dans le monde. En tant que
sociaux-démocrates, nous avons tendance
à trop vouloir nous en remettre aux autres,
en partie par souci de respect, mais aussi
à cause d’une sorte de passivité qui nous
pousse à vouloir attendre qu’on nous
guide. La façon pour nous de mieux agir serait d’assumer la responsabilité de ce que
sera le Canada à l’avenir. Il faut que nous
nous rappelions que la solution ne viendra
pas du gouvernement et elle ne viendra pas
non plus d’ailleurs : le Canada sera ce que
nous en ferons. La compassion, l’équité,
la solidarité, l’ingéniosité et l’esprit innovateur sont tous des valeurs canadiennes.
Le Canada sera un meilleur endroit si nos
dirigeants et nos citoyens acceptent plus
la responsabilité de mettre ces valeurs en
pratique et de créer de meilleures chances
de réussite pour les gens.
Le Canada est-il devenu un modèle dans
le domaine de l’éducation? Le Canada
compte parmi les pays du monde dont la
population vieillit le plus rapidement. Si
nous conservons notre modèle social et
économique actuel, la génération de travailleuses et travailleurs qui viendra dans
vingt-cinq ans sera obligée de produire
beaucoup plus que ma propre génération
ou que celle de mon père. Par conséquent,
nous devons devenir des chefs de file en
éducation et en notre capacité de stimuler
l’innovation et la créativité dans les sciences, les soins de santé et les services.
Au point de vue économique, nous sommes un petit pays, et nous ne pourrons
grandir que si nous devenons beaucoup
plus efficaces et récupérons notre rôle
comme important exportateur d’idées,
de services et de certains produits. Nous
ne devons plus dépendre entièrement de
nos ressources naturelles. Nous pouvons
quand même demeurer un pays fondé sur
les ressources; nous pouvons toujours
expédier nos produits pétroliers et miniers
à l’extérieur, mais nous avons besoin d’une
économie plus équilibrée.
Si vous pouviez poser
des questions à un
clairvoyant au sujet
de l’avenir, que
voudriez-vous savoir?
94
des concurrents dans le monde et moins
nous développerons des compétences
uniques, plus notre pays sera pauvre.
On ne peut pas se voir rétrécir tout en
aspirant à la grandeur. À un certain moment, nous devons nous acquitter de
responsabilités collectives les uns envers
les autres et envers les autres généra-
tions. Les générations futures jugeront
durement celles d’aujourd’hui et diront : «
Regardez ce qu’ils ont fait avec leur obsession envers la pensée individualiste. »
Un grand nombre de jeunes Canadiens
imaginatifs, énergiques et hautement
instruits auraient quitté le pays. De nombreuses jeunes personnes intelligentes ont
déjà quitté le Québec. À titre de réponse,
ici à Montréal, nous nous sommes rendu
compte que nous pouvions faire l’une ou
l’autre de deux choses : nous pouvons soit
continuer à ressasser nos points faibles
soit décider de développer nos points
forts. Nous pouvons attendre que d’autres
définissent qui nous sommes, quel est
notre potentiel et quelle est notre mission
comme ville ou alors, nous pouvons agir à
partir des avantages que nous possédons
déjà comme collectivité et comme citoyens. Il y a de l’énergie, de la créativité et
du talent dans cette ville, et l’un des défis
consiste à découvrir comment retenir ces
atouts, comment en attirer d’autres et
comment les mettre en valeur.
« On ne peut pas se voir rétrécir tout
en aspirant à la grandeur. À un certain
moment, nous devons nous acquitter de
responsabilités collectives les uns envers les
autres et envers les autres générations. »
95
Tanzeel
Merchant
→ Tanzeel Merchant, directeur général du
Ryerson City Building Institute, interviewé le
16 septembre 2014 par Monica Pohlmann
sur
NOTRE FAÇON DE VIVRE :
« Je vois se produire des
bouleversements et de la colère. »
POHLMANN
MERCHANT
Qu’est-ce qui vous
empêche de dormir
la nuit quand vous
songez à ce qui se
passe au Canada?
Notre système d’éducation est fixé sur
l’atteinte d’un certain statut et non sur
la qualité de l’enseignement. Plus tard, il
sera difficile de trouver les personnes appropriées parmi la population active pour
faire le type de travail dont on a besoin.
Aussi, les jeunes doivent perfectionner des
compétences de base pour articuler leurs
pensées et échanger leurs idées. Il ne s’agit
pas uniquement de savoir utiliser Twitter;
il s’agit de savoir comment s’engager dans
la collectivité et dans le discours politique.
Et il ne s’agit pas uniquement d’importer
d’ailleurs des personnes qui ont des compétences; il s’agit de déterminer ce en quoi
nous voulons exceller.
Certaines de nos conversations sur la
diversité doivent être formulées de façon
Qu’est-ce qui
vous anime?
J’aime le fait que souvent nous ne savons
pas qui nous sommes, parce que personne
ne s’attend à ce que nous soyons obligés
de souscrire à quelque chose. Ceci pourrait être un point faible ou un point fort,
dépendant de la forme que nous lui donnons. Pour ma part, j’ai toujours vu cet
espace libre comme une occasion pour
moi de participer au récit de ce pays.
Nous avons toujours le pouvoir
économique et les ressources nécessaires
pour faire une grosse différence dans le
monde. La question qu’il faut se poser les
uns les autres, c’est si nous voulons faire
cette différence. Il est facile de faire ce
que nous faisons, de lancer de l’argent en
l’air pour résoudre des problèmes, mais
la vraie question, c’est de savoir si nous
possédons la volonté politique d’aborder
les questions vraiment difficiles. Si nous
96
différente. Par exemple, nous utilisons
toujours l’expression « minorité visible
» quand nous parlons d’un segment de
la population qui n’est plus une minorité.
Nous ne faisons pas assez d’effort pour
engager les nouveaux venus. Nous avons
recours à des modèles d’engagement qui
peuvent leur être étrangers ou qui peuvent
ne plus être pertinents. Aussi, nous créons
des ghettos. Il suffit d’aller à Rexdale ou
à Mississauga ou à Brampton pour comprendre comment nous avons tendance
à regrouper les communautés ethniques
en un seul endroit. Les immigrants choisissent eux-mêmes de s’établir là, mais nous
ne nous faisons pas suffisamment d’efforts
pour intégrer ces communautés dans la vie
courante de la ville.
n’en sommes pas capables, comment alors
pouvons-nous faire quoi que ce soit? Si
nous identifions les problèmes et en assumons la responsabilité, nous pourrons
réaliser des choses merveilleusement
créatives. Le Canada a accepté de rassembler les gens sans imposer d’idéologie,
de les encourager à discuter de problèmes
et de les résoudre ensemble. J’aime que
cela fasse partie de ma vie et j’aime cela
dans ma nation, une société qui n’est pas
polarisée, qui est inclusive, qui fomente la
conversation et qui ne décide pas ce qui est
bon et ce qui est mauvais avant même que
nous ne commencions à en discuter entre
nous. Ça, c’est quelque chose que nous
faisons bien. Nous sommes encore jeunes
comme pays, et il reste encore beaucoup
d’histoires à écrire. Nous pouvons dès
maintenant commencer à façonner ces
histoires de manière positive.
Si vous pouviez
demander à un
clairvoyant de vous
parler du Canada de
l’avenir, qu’aimeriezvous savoir?
Je voudrais savoir quel chemin nous allons prendre vis-à-vis de l’environnement.
Nord, le pays se réchauffe. Je voudrais vraiment savoir où nous allons aboutir.
NOUS SOMMES DES HYPOCRITES, DANS LE
SENS QUE NOUS RÉCOLTONS VOLONTIERS
LES EFFETS DE L’ESSOR ÉCONOMIQUE ET
EN MÊME TEMPS, NOUS EN CRITIQUONS
L’IMPACT. NOUS VOULONS L’ARGENT, MAIS
NOUS NE VOULONS PAS LA DESTRUCTION
DE L’ENVIRONNEMENT. QUE FAISONS-NOUS
POUR L’ÉVITER? Avons-nous changé nos
habitudes de consommation? Il faudra peutêtre deux ou trois générations, mais ce que
nous connaissons et avons connu depuis
quatre ou cinq cents ans va changer, que
nous causions nous-mêmes ces changements ou que ce soit la planète qui les
apporte. Nous entrevoyons déjà ce qui va
se passer : les ravageurs se déplacent vers le
Nous ne serons pas éternellement un
aimant pour l’immigration. Ce que nous
avons à offrir n’est plus quelque chose
d’unique au Canada. D’autres régions du
monde deviennent tout aussi attrayantes
en offrant les mêmes sources de confort
qui font partie de notre vie ici. Nous
œuvrons selon l’hypothèse que nous continuerons d’attirer des immigrants et qu’ils
viendront vivre dans nos villes. Tout cela
pourrait changer du jour au lendemain, et
soudainement nous aurions un avenir très
différent. J’aimerais bien savoir où nous
allons avec cela.
« Nous ne faisons pas assez
d’effort pour engager les nouveaux
venus. Nous avons recours à des
modèles d’engagement qui peuvent
leur être étrangers ou qui
peuvent ne plus être pertinents.
Aussi, nous créons des ghettos. »
Si dans vingt ans les
choses sont allées mal
au Canada, qu’est-ce
qui se sera passé?
Le Canada sera devenu de plus en plus
divisé au point de vue géographique reléguant les grands centres urbains d’un côté
et tout le reste de l’autre. Les collectivités
rurales sont rendues à un point critique
dans leur évolution et nous refusons de
reconnaître qu’elles ont un problème. Sur
le plan politique, elles ont toujours du pouvoir à cause de la répartition des sièges et
elles s’attendent à un certain niveau de vie
qu’elles ne peuvent plus avoir. Dans trente,
cinquante ou cent ans, elles deviendront
des endroits tout à fait différents. Elles
n’auront peut-être plus une population
suffisante pour rester viables. Les gens qui
sont là vont vieillir. Dans certaines municipalités de l’Ontario, de soixante à soixantedix pour cent de la population sera âgée de
plus de soixante-cinq ans d’ici l’an 2040.
Il y a plus de gens que jamais qui vivent en
monoménages, dans un type d’immeuble
qui cultive l’isolement et non la communauté. Tous ces facteurs ensemble exercent une
influence sur le type de société que nous devenons et le mode de vie que nous menons.
Je vois se produire des bouleversements
et se soulever la colère. Je vois se fracturer
petit à petit l’identité canadienne.
97
Farah
Mohamed
→ Farah Mohamed, PDG de G(irls)20, interviewée le
19 septembre 2014 par Brenna Atnikov
sur
NOTRE AVANTAGE
concurrentiel :
« L’humilité est une qualité louable,
mais pas si elle nous empêche d’avancer. »
ATNIKOV
MOHAMED
Quand vous
réfléchissez au
Canada d’aujourd’hui,
qu’est-ce qui retient
votre attention?
La composition diverse de notre pays
constitue l’un de nos avantages concurrentiels. Dans un univers de plus en plus
mondialisé, c’est un avantage concurrentiel pour n’importe quelle organisation ou
n’importe quel pays d’avoir une diversité
d’opinions autour de la table. Si les gens,
qui sont là, viennent tous de milieux
semblables, on ne peut pas vraiment comprendre ce qui se passe à l’extérieur de la
salle. Nous sommes doués en ce qui a trait
à la célébration de la diversité; maintenant,
il nous faut savoir comment en tirer parti.
Nous pourrions commencer en ayant plus
de diversité — d’ethnicités, de genres,
d’orientations sexuelles, de personnes
handicapées — au sein de nos gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux.
Il nous faut aussi changer les programmes
d’études dans les écoles. Les étudiants
apprennent toujours plus au sujet des deux
guerres mondiales qu’au sujet de la contribution positive des Canadiens autochtones
ou de l’immigration.
Nous avons l’occasion de nous affirmer —
de redéfinir notre marque — comme plus
Qu’est-ce qui vous
empêche de dormir
la nuit?
JE M’INQUIÈTE DU CHÔMAGE PARMI LES
JEUNES. NOUS NE POUVONS PAS NOUS PERMETTRE D’AVOIR UNE GÉNÉRATION PERDUE.
Nobel — choisiront de s’établir ailleurs,
et nous ne pouvons pas nous permettre
cela. Nous n’avons pas perdu notre lustre
à cet égard, mais nous devons le polir et lui
redonner son éclat.
Nous devons cultiver l’aptitude des gens à
prendre des décisions éclairées. Il est absolument ridicule que le vote ne soit pas
obligatoire. Si nous étions forcés de voter,
nous ferions plus attention à nos leaders,
aux risques encourus par notre pays et à
sa réputation à l’étranger. Nous serions
davantage engagés dans les politiques et
les personnes qui nous représentent. Les
gens d’autres pays meurent pour avoir
le droit de voter. Ici, certains adoptent
l’attitude qui les pousse à dire : « Il pleut,
je n’irai pas voter aujourd’hui. » Si je dirigeais le monde, je ne permettrais on que
ce type de personne possède un passeport, une carte de santé ou un permis de
conduire. Pour s’engager, les gens ont besoin de garder espoir, de croire qu’ils ont
un rôle à jouer, que leur opinion compte
pour quelque chose.
« Nous avons l’occasion
de nous affirmer —
de redéfinir notre marque —
comme plus grande
puissance, vu ce qui se
passe dans le monde. »
sociaux? Je voudrais que nous pensions un
peu moins à court terme et un peu plus à
long terme.
ET NOUS NE POUVONS PAS ÊTRE IGNORANTS
DEVANT LA FAÇON DONT NOS JEUNES
PENSENT, INTERAGISSENT ET ENTRAÎNENT
LE CHANGEMENT. Il nous faut également
songer à la stabilité : qui va payer les impôts et qui va maintenir nos programmes
98
grande puissance, vu ce qui se passe dans
le monde. Il y aura neuf milliards de personnes à nourrir en 2050 et nous avons
des politiques agricoles parmi les plus
fortes au monde. Durant la crise mondiale
de 2008, nous avons su démontrer notre
prouesse financière et nous continuons
d’être un chef de avec nos systèmes fiscaux et bancaires, notre stabilité et notre
taux de chômage relativement bas en
comparaison avec d’autres nations. Mais
exportons-nous suffisamment ce bassin
de connaissances? Non! Mettons-nous
assez en évidence combien nous sommes
impressionnants? Non! On appelle cela le
« syndrome du coquelicot le plus grand »
— nous ne voulons pas attirer l’attention
en étant le coquelicot le plus grand dans
le champ, alors quand les Canadiens
font des choses extraordinaires, nous
ne voulons pas en accepter le mérite.
J’aimerais nous voir plus patriotiques,
mais tant que le monde extérieur ne nous
applaudit pas, nous ne nous applaudissons pas nous-mêmes. L’humilité est une
qualité louable, mais non pas si elle nous
empêche d’avancer.
Comment mieux nous
assurer de ne pas
gaspiller les occasions
qui s’offrent à nous?
doit toujours être assurée par le biais
de l’immigration. Si nos lois en matière
d’immigration ne sont pas ouvertes, nous
ne connaîtrons pas la croissance voulue.
Et comme résultat, les meilleurs de tous —
les innovateurs, les scientifiques et les prix
Nous devons être prudents en ce qui a trait
aux politiques qui touchent les gens des autres pays qui veulent s’établir et travailler
ici. La croissance de notre population
99
Gordon
Nixon sur
→ Gordon Nixon, ancien président de la
Banque Royale du Canada, interviewé le
30 juillet 2014 par Monica Pohlmann
NOS FORCES
et nos faiblesses :
« C’est très bien d’avoir des produits de base,
mais ces ressources ne seront certainement
pas un moteur pour la croissance. »
POHLMANN
NIXON
Lorsque vous
pensez au Canada
aujourd’hui, qu’est-ce
qui vous empêche de
dormir la nuit?
Sur le plan historique, nous avons été une
économie de produits de base secondée
par un secteur manufacturier fort, et
maintenant nous sommes toujours une
économie de produits de base, mais avec
un secteur manufacturier faible. C’est très
bien d’avoir des produits de base, mais ce
secteur n’est pas un employeur important
et ne sera certainement pas un moteur
pour la croissance. Le Canada doit trouver
son chemin dans le monde de l’innovation,
des technologies émergentes et des méthodes manufacturières avancées. Nous
devons également nous assurer de continuer à faire preuve de discipline au point
de vue fiscal. Nous parlons du succès financier du pays, mais le Québec et l’Ontario
ont tous les deux d’importants déficits et
fardeaux financiers. Dans le passé, nous
avons pu observer les répercussions négatives d’un manque de discipline fiscale.
Nous vivons dans une économie mondialisée et en tant que pays, nous devons
décider quelle place nous souhaitons
occuper dans le monde. Le Canada occupe
aujourd’hui une place qui est fort différente de celle qu’il occupait il y a quinze ans.
Nous devons décider, à partir d’une per-
Qu’est-ce qui
vous anime?
100
Il y a peu de pays au monde qui offrent la
même qualité de vie, la même stabilité,
la même sécurité et la même cohérence
que le Canada. En ce qui a trait à l’égalité
du revenu, à la qualité de gouvernance et
même au rendement économique, la situation est plutôt positive. Nous avons travaillé
spective culturelle, si nous sommes à l’aise
avec l’idée de devenir un défenseur franc
et agressif au sujet de nos convictions sur
la scène mondiale. Sinon, sommes-nous
plus à l’aise dans notre rôle traditionnel de
gardien de la paix et de médiateur : amical,
ni agressif ni revendicateur et penchant
vers le consensus? Il est clair que nous n’en
sommes pas là aujourd’hui.
En dernier lieu, le Canada est vulnérable
à toutes sortes d’attaques. En raison de
notre proximité avec les États-Unis, nous
avons toujours tenu pour acquis que nous
étions un pays sécuritaire et que nous
n’avions aucune raison de craindre la
guerre. Mais dans le monde d’aujourd’hui,
les guerres sont souvent livrées par des
moyens électroniques ou par le terrorisme
plutôt qu’au front de bataille et à cet égard
nous sommes très, très en retard par rapport à la majorité des autres pays industrialisés. Nous n’avons pas autant de services
de renseignements qu’ont la plupart des
pays d’Europe ou les États-Unis, et ceci
nous rend très vulnérables aux attaques.
Un acte majeur de terrorisme pourrait
vraiment transformer notre pays.
très fort pour surmonter notre géographie,
notre éléphant au Sud et notre histoire.
LA DIVERSITÉ EST, SANS DOUTE, NOTRE
Si les choses tournaient
mal au Canada au cours
des vingt prochaines
années, qu’est-ce qui se
serait passé?
valeurs fondamentales en tant que pays.
En 1980, nous n’avions qu’une seule femme
parmi nos cadres; aujourd’hui, notre
conseil d’administration est présidé par
une femme et quarante pour cent de nos
cadres sont des femmes. Et nous servons
d’exemple en démontrant combien peut
vraiment bien fonctionner une mosaïque
d’ethnies. Si vous regardez quelle est notre
base d’effectifs, vous découvrirez que
presque tous les pays du monde y sont
représentés. Tout le monde sait que le pays
a été bâti par des immigrants, mais on ne
reconnaît pas souvent que le pays continue
toujours d’être bâti par des immigrants.
On ne voudrait pas que la diversité, dont
nous avons si bien assuré le succès, transforme sa force incroyable en faiblesse. Si
nous devenons complaisants, notre succès
multiculturel risque de se transformer en
défis ethniques.
Nous sommes incapables d’être concurrentiels en matière d’innovation et de technologie manufacturière de pointe, et notre
rendement économique devient inférieur
à celui du reste du monde. Le sous-rendement rattaché à la croissance économique
aurait un effet boule de neige donnant
lieu à un taux plus élevé de chômage, à des
déficits gouvernementaux et à un pays
généralement moins optimiste
l’enseignement universitaire est probablement une mauvaise décision à prendre
pour plus de la moitié de nos jeunes.
Il y a aussi un décalage entre la formation offerte et les emplois de l’avenir. Le
secteur universitaire est probablement
le moins innovateur de tous les secteurs
de notre économie, si l’on considère les
cours traditionnels et les professeurs
permanents et tout le reste. Les autres
secteurs ont tous été forcés de s’adapter à
la suite des changements technologiques
entre autres, mais ce n’est vraiment pas le
cas de notre système éducatif. En ce qui
concerne l’acquisition des compétences
requises pour les emplois de demain,
Donc sans changement structurel, il est
difficile d’imaginer comment les jeunes
d’aujourd’hui vont pouvoir économiser
comme ma génération a pu le faire. Les
écarts de revenu ont rendu les Canadiens à
revenu faible, moyen et même semi-élevé
moins capables de maintenir une bonne
qualité de vie en comparaison avec à celle
des gens se situant en haut de l’échelle salariale. La combinaison de la hausse des prix
(surtout dans le domaine de l’habitation)
et des choix dans le style de vie des individus aura une incidence sur l’image que
projette notre pays. Bien des gens vivent
assez convenablement aujourd’hui, mais ils
n’économisent pas, leurs fonds de retraite
sont limités et ils ne pourront certainement pas conserver leur niveau de vie
actuel avec la sécurité sociale.
« Sans changement structurel,
il est difficile d’imaginer
comment les jeunes
d’aujourd’hui vont pouvoir
économiser comme ma
génération a pu le faire. »
POINT LE PLUS FORT. C’est l’une de
nos valeurs fondamentales en tant
qu’entreprise et c’est aussi l’une de nos
101
Ratna
Omidvar
→ Ratna Omidvar, directrice générale du Global Diversity Exchange
(GDX) à la Ted Rogers School of Management, Université
Ryerson, interviewée le 16 octobre 2014 par Elizabeth Pinnington
sur
LA CROISSANCE
par la diversité :
« Le Canada possède l’ossature voulue pour démontrer
comment devrait fonctionner la société de demain. »
PINNINGTON
Qu’est-ce qui
vous anime?
OMIDVAR
Le Canada possède l’ossature voulue pour
démontrer comment devrait fonctionner la société de demain. Nous sommes
aujourd’hui ce que plusieurs autres sociétés
deviendront probablement; nous sommes
l’endroit où vivent de nombreuses nationalités, races et religions. La diversité fait
partie de notre ADN, particulièrement dans
les centres urbains. Nous fonctionnons
généralement bien... il n’y a pas d’émeutes
dans nos rues, les gens sont polis entre eux,
on monte à bord du métro bondé de monde
le soir et personne ne lance des insultes
racistes à quiconque.
Les institutions locales ont grandement
contribué à cet état de choses. À Toronto,
par exemple, les écoles ont fait part d’un
progressisme remarquable en intégrant
le visage multiculturel du Canada dans
leurs programmes d’études. Ce n’est plus
« Jeanne et Pierrot vont au magasin pour
acheter du sucre », mais plutôt « Fatima et
Ali vont au magasin pour acheter du riz ».
Ces choses font une différence.
Par ailleurs, les entreprises ont choisi
divers moyens de s’adapter à la nouvelle
réalité de notre diversité. Un exemple inté-
Si les choses tournent
bien au cours des vingt
prochaines années, que
pourrait-on en dire?
102
Qu’est-ce qui vous
empêche de dormir
la nuit?
En me tournant vers l’avenir, je vois un Canada différent, bâti à même la dynamique
d’aujourd’hui. Notre population a doublé.
Donc, nous avons maintenant dix et non
plus quatre grands centres urbains. Dans
ces centres urbains vivent des personnes
d’une diversité inégalée. Cela renforce
notre économie et notre prospérité.
Puisque nous sommes une économie
plus grande, nous sommes capables de
ressant du secteur des services financiers,
c’est le changement apporté aux règles
qui déterminent qui peut être admissible
à une hypothèque. Autrefois, les banques
n’avaient qu’à calculer les revenus de deux
individus : le couple. Certains employés immigrants dans une institution bancaire ont
fait remarquer que cette pratique lassait
passer une occasion de faire de meilleures
affaires. Ils ont dit : « Attendez un peu, les
familles immigrantes ne vivent pas systématiquement comme mari et femme; elles
vivent comme mari, femme, frère, sœur,
tante, oncle. » Toute la famille travaille ensemble pour pouvoir acheter un domicile,
ce qui en plus de la citoyenneté constitue
un important indicateur d’appartenance.
En conséquence, les institutions de services financiers au Canada ont modifié leurs
critères, afin de permettre aux familles
d’être décrites différemment et de jumeler
leurs revenus pour devenir admissibles aux
prêts hypothécaires. Les entreprises vont
là où se trouve le marché, et notre secteur
de services financiers s’est rendu compte
que si l’on veut servir sa clientèle, il faut
connaître sa clientèle. Nous faisons des
progrès. C’est simplement que cela prend
beaucoup de temps.
produire davantage, d’échanger davantage; nous pouvons vendre à plus de gens,
nous avons plus de gens avec de grandes
idées. Notre croissance démographique
s’est stabilisée avec l’immigration et notre
économie peut accommoder un plus
grand nombre d’immigrants ayant tous les
niveaux d’aptitudes, et elle peut aussi accueillir beaucoup plus de réfugiés.
Deuxièmement, nous sommes une véritable
puissance économique en raison du fait
que nous avons des échanges commerciaux avec beaucoup plus de pays et ne
dépendons plus autant des États-Unis.
Nous avons su nous libérer de ce recours
excessif à un seul marché en diversifiant
vigoureusement nos rapports tant politiques qu’entrepreneuriaux. Par le biais de
l’immigration et des réseaux diasporiques,
nos liens naturels avec le monde extérieur
se sont multipliés. Les Canadiens sont
habiles quant à l’interprétation des règles et
règlements écrits et tacites des différents
marchés et ils se déplacent facilement d’une
culture à l’autre. L’avenir du Canada est axé
sur l’attention qu’il donnera à cette force latente que sont les immigrants d’aujourd’hui
et d’hier, sur sa capacité de donner libre
cours à cette force et de renforcer les liens
qui existent entre les endroits, les marchés,
les fournisseurs et les idées.
Nous constituons une société soumise aux
règles. Nous n’aimons pas prendre trop
de risques. La paix, l’ordre, la bonne gouvernance : c’est ce que nous sommes. Ne
pas prendre de risques veut dire nous entourer des mêmes idées ressassées et des
mêmes personnes qui reflètent ces idées.
La recherche montre que si nous voulons
développer ce genre de pensée rigide, nous
devons avoir une équipe homogène. Par
contre, si nous souhaitons produire quelque
chose de nouveau, de différent, d’un peu
fou, alors nous devons nous assurer d’avoir
une équipe de gens complètement différents de nous. Cela peut créer des conflits
temporaires et du chaos, mais cela va aussi
engendrer de la créativité et nous avons
besoin de cette créativité.
Nous avons également vu apparaître
des tendances inquiétantes. Nous avons
perdu notre engagement à la permanence. NOUS DISIONS AUTREFOIS : « VENEZ
À Toronto, tandis que notre population de
minorités est d’environ quarante-neuf pour
cent, elle n’occupe que treize pour cent des
postes de leadership. Les personnes qui
sont assises dans les salles du conseil et qui
détiennent le pouvoir institutionnel ressemblent au vieux Canada; elles ne ressemblent pas au nouveau Canada. Pourquoi ne
sommes-nous pas Silicon Valley, mis à part
le soleil? Parce qu’à Silicon Valley, le coût du
billet d’entrée n’est pas lié au lieu où l’on est
né, mais aux idées qu’on apporte. Nous n’en
sommes pas encore arrivés là.
AU CANADA ET TROIS OU QUATRE ANS PLUS
TARD, VOUS DEVIENDREZ CITOYEN CANADIEN. » NOUS RENDONS LA CITOYENNETÉ
PLUS DIFFICILE À OBTENIR ET PLUS FACILE
À PERDRE. Nous importons des travaille-
uses et travailleurs étrangers temporaires
qui n’ont aucun droit à la permanence et
créons ainsi une société à deux niveaux.
Nous avons appris des États-Unis et de
l’Europe que bien des travailleurs temporaires ne partent pas; ils laissent passer
les dates d’échéance de leurs visas et entrent dans la clandestinité. Imaginez venir
à titre de travailleur étranger temporaire
en provenance du Mexique, de la Chine ou
des Philippines. Vous êtes lié à un employeur. Vous n’êtes pas libre de quitter. Si cet
employeur vous maltraite, allez-vous vous
plaindre? Nous sommes en train de perdre de vue les valeurs autour desquelles
nous avons bâti cette grande nation. La
compassion est une de ces valeurs. Nous
nous sommes carrément éloignés de la
compassion avec notre piètre effort pour
aider les réfugiés de la Syrie et de l’Irak à
venir s’établir ici.
« Ne pas prendre de risques veut dire nous
entourer des mêmes idées ressassées et des
mêmes personnes qui reflètent ces idées. »
Que désirez-vous laisser
comme héritage?
Par le biais du Global Diversity Exchange
à Ryerson, nous créons des mouvements favorisant le changement, qui ont
des racines locales et qui sont fondés
sur des idées consacrées à la diversité,
l’immigration et l’inclusion. Les commu-
nautés locales ont l’immense potentiel
de se rejoindre au-delà des frontières, de
tisser des liens avec les autres communautés, d’apprendre et de s’inspirer les unes
des autres. Ceci est beaucoup trop difficile
à faire pour les états nations.
103
Lili-Anna
Pereša sur
→ Lili-Anna Pereša, présidente de Centraide du
Grand Montréal, interviewée le 3 septembre 2014
par Adam Kahane
LES CHOIX
difficiles à faire :
Croyez-vous qu’à l’heure
actuelle nous faisons de
sages investissements
pour l’avenir?
En ce moment, on investit beaucoup dans
les soins de santé. Pourquoi? C’est parce
que les gens craignent la maladie pour
eux-mêmes et leurs proches, et veulent
avoir l’assurance qu’ils auront accès à de
bons soins dans un tel cas. Mais puisque
la population des quartiers défavorisés
est en moins bonne santé et a une plus
faible espérance de vie, réduire la pauvreté
réduirait en même temps la pression sur
notre système de santé. Et, comme il y a
un lien entre le faible niveau de scolarité
et la pauvreté, investir davantage dans
l’éducation serait une stratégie plus durable que d’engloutir de plus en plus d’argent
dans le système de santé. Mais comment
des élus, qui ont un mandat de quatre
ou cinq ans, peuvent-ils avoir le courage
d’investir à long terme dans la prévention?
Est-ce que Montréal
est capable d’apporter
les changements
nécessaires?
Au cours des vingt dernières années, chaque quartier de Montréal a
organisé une table ronde multidisciplinaire à laquelle participent des gens
d’organisations communautaires,
d’agences locales, de la ville, de la police,
des services de santé, des écoles et ainsi
de suite pour se parler et travailler ensemble. Auparavant, seules les agences
mobilisaient les citoyens.
si nous ne partageons pas les mêmes
vues politiques, nous savons que nous
devons nous serrer les coudes pour
faire avancer les choses.
« Nous en avons assez d’entendre de mauvaises
nouvelles et notre scepticisme est à un très haut niveau. »
KAHANE
PEREŠA
Quand vous
regardez ce qui se
passe à Montréal, au
Québec, au Canada,
qu’est-ce qui vous
empêche de dormir
la nuit?
CE QUI ME PRÉOCCUPE LE PLUS, C’EST QUE
L’INÉGALITÉ SOCIALE CONTINUE DE CROÎTRE AU CANADA, MÊME SI ELLE N’EST PAS
AUSSI PRONONCÉE QU’AILLEURS. Partout
dans le monde, l’inégalité croissante
donne lieu à beaucoup de tension. Au
Canada, nous avons été protégés en
partie de cette tension parce que nous
ne partageons pas de frontières avec des
pays ayant d’extrêmes inégalités et donc,
nous n’avons pas à subir les pressions de
la migration.
Cependant, nous avons la responsabilité
d’être plus ouverts que nous ne l’avons
été récemment. Quand mon père est
arrivé ici comme immigrant croate,
cette communauté-ci l’a merveilleusement accueilli. Le Canada a une longue
histoire quant à l’ouverture de ses portes
aux réfugiés ou à d’autres nationalités
Si les choses ne
tournaient pas bien
au Canada dans les
prochaines décennies,
qu’est-ce qui se serait
passé, et pourquoi se
seraient-elles passées?
104
Nous — c’est-à-dire nous, les citoyens, ainsi que les dirigeants politiques — n’aurions
pas réussi à faire preuve de courage en prenant les décisions difficiles et à long terme
auxquelles nous faisions face. Avec un
cycle électoral de quatre ans, les politiciens
mènent leurs campagnes et peignent un
très joli tableau, mais ils ne racontent pas
l’histoire au complet. Une fois au pouvoir,
qui sont victimes de discrimination dans
leur pays. Mais il y a tout de même eu un
déclin dans notre façon d’accueillir les immigrants. Ceux-ci arrivent et en général,
se retrouvent dans ce que nous appelons
« la pauvreté transitoire ». Au Canada, il
fallait environ sept ans pour que les gens
se sentent à l’aise financièrement, après
quoi ils déménageaient en banlieue. Mais
aujourd’hui, il faut quatorze ans pour
qu’une personne atteigne l’indépendance
financière. Le taux de pauvreté à Montréal
est de vingt-trois pour cent, ce qui veut
dire que presque une personne sur quatre
vit en dessous du seuil de pauvreté.
Nous avons la responsabilité collective
de nous assurer que les plus vulnérables
soient protégés et puissent profiter des
mêmes chances que le reste d’entre nous.
ils se rendent compte qu’ils ont de dures
décisions à prendre. Et puis les gens sont
mécontents parce que les élus ne font pas
ce qu’ils avaient promis de faire. Quand
nous élisons certains individus, il nous faut
avoir le courage de les laisser faire ce qu’ils
doivent faire sans succomber à la pression
de faire ce qui est bien vu par le public.
Je pense que nous en avons assez de
recevoir de mauvaises nouvelles et
notre scepticisme est à un très haut
niveau. Nous voulons de bonnes
nouvelles et nous savons que nous ne
pouvons compter que sur nous-mêmes
pour créer ces bonnes nouvelles. Même
Malgré le taux élevé de pauvreté à Montréal, quand on lit les données statistiques sur le niveau de contentement et
la qualité de vie, c’est un des meilleurs
endroits où vivre, et c’est parce que
nous possédons un solide réseau communautaire. La raison pour laquelle
nous avons un faible taux de criminalité,
une qualité de vie supérieure et une
société qui se mobilise de manière pacifique est que notre culture est ouverte
et que notre tissu social permet aux
gens d’espérer.
« Malgré le taux élevé de pauvreté à
Montréal, quand on lit les données
statistiques sur le niveau de contentement
et la qualité de vie, c’est un des meilleurs
endroits où vivre, et c’est parce que nous
possédons un solide réseau communautaire. »
105
Sherene
Razack
→ Sherene Razack, docteure et professeure au département
d’Études en sociologie et en équité à l’Université de Toronto,
interviewée le 7 octobre 2014 par Elizabeth Pinnington
sur
Comment pouvonsnous l’affronter?
de nos colons :
PINNINGTON
RAZACK
Qu’est-ce qui vous
empêche de dormir
la nuit?
La déshumanisation croissante et institutionnalisée vis-à-vis de certains groupes.
C’est comme si la société évoluait selon le
principe que la vie humaine ne compte pas.
Chaque matin, je lis au sujet de dix choses
qui me font penser que nous devenons de
plus en plus distancés les uns des autres.
Cela commence avec la race et devient
une structure qui envahit tout. Les Blancs
déshumanisent systématiquement les
autochtones. Je parle de toute une gamme
d’actes violents, comme lorsque des
Quelles sont certaines
leçons importantes que
les Canadiens peuvent
retirer du passé?
Je pense toujours à la façon dont les sujets
dominants se rendent dominants euxmêmes. On ne naît pas comme cela. Je dis
à ma classe : « Personne n’est né Blanc. »
Vous devez l’apprendre et le mettre en pratique chaque jour. Les gens ne croient pas
facilement qu’ils sont supérieurs ou que les
autres sont des formes inférieures d’êtres
humains. Les gens doivent s’en convaincre
et cela les hante terriblement. Les colons
ont été obligés d’apprendre que les autochtones étaient inférieurs, qu’ils étaient des
sauvages. Mais cette leçon a été très dure
à apprendre, notamment parce qu’ils ne le
sont pas. Les autochtones possédaient bien
des connaissances au sujet de cet endroit,
et de toute évidence leur société était
développée. Étant donné qu’on doit nous
enseigner à ne pas reconnaître le caractère
humain des autres, nous pourrions peutêtre interrompre ce processus.
Nous devons apprendre que le projet
colonial qu’est le Canada n’est pas un
projet viable, parce qu’il n’est pas fondé sur
106
agents de police emmènent un homme en
dehors de la ville dans leur voiture et le laissent mourir de froid. Le principe, c’est que
la vie de cette personne ne vaut pas autant
que la vôtre. C’est à la fois un acte quotidien et une pratique de l’État. Pensons aux
activités « sévir durement contre le crime
» que les Conservateurs aiment tellement.
Quels sentiments de cruauté et de mépris
pour la vie humaine peuvent sortir ce type
de politiques?
un principe d’humanité commune. Nous
pourrions observer tous les cas où la méchanceté et la répression évidentes n’ont
donné lieu à rien de bien, des moments
où le Canada a été tenté de se montrer
extrêmement brutal envers les peuples
autochtones. Si ce principe définit notre
pays, c’est alors quasiment assuré que
nous ne pourrons pas aboutir à quelque
chose de bien. Nous ne pouvons pas nous
mettre à reconnaître le caractère humain
des réfugiés ou d’autres gens si notre vie
quotidienne est fondamentalement structurée autour de l’inhumanité avec laquelle
nous avons traité les autochtones. À peu
près tout ce que nous faisons provient de
ce moment colonial où nous avons tenté
de déterminer comment nous pouvions
voler la terre. Nous devons carrément
affronter ce paradigme colonial avant de
pouvoir ouvrir la voie aux autres.
TACULAIRES OÙ NOUS AURIONS DÛ NOUS
ARRÊTER ET DIRE : « ATTENDEZ UN PEU, CECI
EST VRAIMENT MAUVAIS. » Nous devons
constamment saisir ces moments et se
politiser à leur sujet, organiser des événements autour d’eux, apprendre ces moments à d’autres, les exposer. Il nous faut
dire aux personnes blanches : « Je ne veux
pas que vous m’aidiez. Je veux que vous
compreniez que votre vie sera vraiment
LES LEGS
« À peu près tout ce que nous faisons provient de ce
moment colonial où nous avons tenté de déterminer
comment nous pouvions voler les terres. »
NOUS AVONS CONNU DES MOMENTS SPEC-
Si vous pouviez
demander à un
voyant de vous
dépeindre l’avenir,
que voudriezvous savoir?
Je voudrais savoir si la destruction massive et les torts causés aux communautés
autochtones se poursuivront. Les Blancs
détruisent les communautés autochtones
parce qu’elles se trouvent sur le chemin
de l’or, du pétrole et des Blancs qui
pensent que cette terre leur appartient
et qu’ils ont le droit d’en faire ce qu’ils
veulent. Je voudrais savoir si, en fin de
compte, les autochtones perdront.
mauvaise si rien ne change. » Si vous désirez vivre derrière les barricades et avoir
des fusils et tirer sur les gens qui vous
confrontent, si vous croyez que ce serait
la bonne vie, alors vous ne verrez pas la
cause commune. Mais vous ne pourrez
pas avoir une vie agréable, encore moins
une vie morale, au milieu d’une société
où tant de choses affreuses arrivent à
d’autres.
J’aimerais aussi savoir ce que nous
ferions avec les sables bitumineux. Le
moment est venu de reconnaître ce que
nous, les êtres humains, sommes en train
de faire pour détruire le climat. Si nous ne
pouvons pas affronter dès maintenant ce
problème, il sera impossible pour nous de
revenir en arrière. J’espère que les gens
vont tout d’un coup se demander : « Pourquoi faisons-nous cela? »
« Chaque matin, je lis au sujet de
dix choses qui me font penser que
nous devenons de plus en plus
distancés les uns des autres. »
Si les choses se déroulent
mal au cours des vingt
prochaines années, que
se sera-t-il produit?
L’éducation sera axée sur l’apprentissage
de métiers ou de compétences, plutôt que
sur l’apprentissage de la pensée critique.
On fermera la plupart des institutions où les
gens peuvent apprendre à penser de façon
critique. Celles qui resteront seront petites
ou très, très limitées. Le résultat, c’est qu’on
ne pourra pas demander pourquoi les choses sont comme elles sont, pourquoi il y a
des gens qui vivent bien tandis que d’autres
non, quel rapport on a avec les autres
dans le monde social. Il n’y aura pas moyen
d’analyser les mythologies que l’on voit
reproduites chaque jour dans les journaux.
Si l’on vous enseigne que les autochtones
sont une race mourante, vous n’aurez pas le
moyen de remettre cela en question.
Qu’est-ce qui
vous anime?
Je suis vraiment contente de vivre à Toronto. Cette ville est à cinquante pour cent
non blanche et aucun groupe n’est dominant. C’est une combinaison incroyable
d’histoires et de politiques. S’il y a quelque
chose qui a la moindre chance de faire
éclater notre lamentable histoire coloniale,
c’est bien cet extraordinaire mélange de
personnes réunies dans un seul espace
physique. Ici, personne ne supportera
l’oppression aussi facilement qu’ailleurs.
Ici, personne n’acceptera d’être exclu.
Quel message souhaitezvous laisser aux autres
par l’entremise de
votre travail?
Qu’il est possible et nécessaire de dénoncer à haute voix ce qui se passe, mais je ne
peux pas le faire individuellement. Écrire
un livre ou enseigner, c’est comme lancer
un petit caillou dans un étang. J’espère que
je fais partie d’une communauté qui pense
de la même façon et qui pourra agir collectivement sans se faire bâillonner.
107
Angus
Reid sur
→ Angus Reid, président de l’Institut Angus Reid,
interviewé le 30 septembre 2014
par Monica Pohlmann
L’ÉTAT DE
notre démocratie :
« Nous élisons un premier ministre qui
a un pouvoir quasiment dictatorial. »
POHLMANN
REID
À quoi les Canadiens
pensent-ils surtout
ces jours-ci?
Il y a vingt ans, les soins de santé figuraient
au cinquième rang parmi les questions qui
préoccupaient le plus les Canadiens. C’est
maintenant passé au premier rang. Ils ont
l’impression que la qualité du système s’est
détériorée. En 1994, moins de quarante
pour cent croyaient que les riches dans ce
pays avaient un accès privilégié à nos res-
sources de soins de santé; c’est maintenant monté à soixante-cinq ou soixante-dix
pour cent. Malgré les préoccupations des
Canadiens au sujet de certains aspects du
système, quand on leur demande ce qu’il
y a de vraiment spécial dans le fait d’être
Canadien, ils répondent de plus en plus : les
soins de santé.
Quand vous regardez
le Canada aujourd’hui,
qu’est-ce qui vous rend
optimiste?
C’est un moment propice pour nous d’être
Canadiens. Notre marque est forte et bien
appréciée dans le monde. Nous sommes
une fédération, et donc nous avons appris comment évoluer dans une société
fonctionnant avec une grande diversité au
niveau des régions, de la culture et de la
géographie. Dans ce sens, nous pouvons
offrir de nombreuses idées à d’autres pays
qui veulent savoir comment gouverner
dans ce monde extrêmement diversifié et
constamment en changement.
Et qu’est-ce qui vous
préoccupe?
Notre système électoral ne fonctionne
pas. Nous élisons un premier ministre qui
a un pouvoir quasiment dictatorial. Un de
nos problèmes est le nombre décroissant
d’électeurs qui vont aux urnes et aussi le
manque de connaissances politiques, surtout chez les jeunes. Il existe un déficit alarmant dans la compréhension des aspects
les plus fondamentaux de notre démocratie.
premier ministre dont le français n’est pas
parfait, mais qui a un lieutenant bilingue.
Ça n’est pas une idée acceptée par bien des
gens, mais elle me tient beaucoup à cœur,
parce que la formation de bons leaders est
cruciale pour l’avenir du pays.
AU PALIER FÉDÉRAL, LA POSSIBILITÉ POUR
NOUS DE RECRUTER DE BONS DIRIGEANTS A
ÉTÉ QUELQUE PEU MINÉE PAR CETTE RÈGLE
TACITE SELON LAQUELLE LES PERSONNES
ÉLUES À DE HAUTS NIVEAUX DOIVENT ÊTRE
ENTIÈREMENT BILINGUES. Au fond, nous
empêchons la majorité des politiciens
anglophones d’accéder à ces postes. Il faut
comprendre qu’il est possible d’avoir un
108
Une grande source d’inquiétude, c’est le
déclin des médias imprimés et le déclin
remarquable de ce que j’appelle les médias
bâtisseurs de consensus. Les journaux locaux ne publient plus d’articles sur les événements de la communauté. Quand on ne
fait que réécrire l’information transmise
par des fils de presse, comment alors peuton rapporter ce qui se passe au Conseil
municipal ou encore, des actes criminels
locaux ou d’autres types de nouvelles?
Si vous pouviez
questionner un
clairvoyant sur
l’avenir du Canada,
que voudriezvous savoir?
Comment aborder les problèmes croissants de l’inégalité? On en voit partout.
On ne peut pas aller à l’aéroport sans
apercevoir des riches qui passent impunément en tête de file pendant que
tous les autres attendent leur tour pendant une heure avant de monter à bord
d’un avion. Et c’est constamment la même
chose partout dans notre société, que
ce soit sur le plan des soins médicaux ou
dans n’importe quel autre service. Notre
société a enrichi bien des gens grâce à la
technologie et à d’autres changements.
Il nous faut découvrir comment rétablir
un genre d’équilibre. Allons-nous devenir
une société de plus en plus inégale ou
allons-nous trouver des mécanismes qui
permettront de réinventer le rêve de la
classe moyenne?
De quoi auront l’air les ménages dans
vingt ans, dans cinquante ans? Nous
observons d’énormes changements dans
la définition de la famille et toutes sortes
d’accommodements différents deviennent
légitimes. Pour certains qui considèrent
que la famille traditionnelle constitue la
fondation de la société, tout mouvement
rapide dans l’autre sens est une source de
soucis. Mais j’ai d’autres amis qui pensent
que nous devrions plutôt célébrer la disparition de la famille traditionnelle.
À quoi ressemblera la vie dans vingt ou
vingt-cinq ans, lorsque mes cinq petitsenfants entreront dans le marché du
travail? Verront-ils leur niveau de vie
comme étant inférieur à celui de leurs
parents ou grands-parents? Auront-ils accès à des soins de santé de haute qualité?
Le Canada sera-t-il toujours une société
équitable et compatissante, ou bien
la technologie et les forces mondiales
compromettront-elles ces éléments qui
ont créé l’expérience canadienne?
« Le courant actuel se heurte contre
l’idée typique de ce que cela signifie d’être
Canadien, de ce qu’est le rêve canadien. »
Quelles tendances
significatives
percevez-vous?
Le courant actuel se heurte contre l’idée
typique de ce que cela signifie d’être Canadien, de ce qu’est le rêve canadien. C’est
pourquoi il est tellement important d’avoir
de bons dirigeants. Nous allons nous en
sortir à condition de trouver des leaders
qui sachent pousser la nation à contrer
ce courant. Nous ne pouvons pas nous
permettre d’aborder l’avenir en somnambules; nous devons être pleinement conscients de notre insatisfaction envers la
voie dans laquelle nous sommes engagés et
nous devons nous servir de notre volonté
collective pour apporter les changements
nécessaires. La course est commencée,
entre ce que nous pouvons faire par inten-
tionnalité et volonté, et ce que réussiront
à faire les forces qui sévissent au sein de la
société canadienne, si l’on n’intervient pas.
Notre gouvernement fédéral est plus
politisé qu’à tout autre moment de notre
histoire. Généralement, c’est là une
mauvaise chose. Lorsqu’on va au-delà des
enjeux économiques, de la défense, de la
sécurité frontalière et de quelques autres
questions, on aboutit avec un gouvernement fédéral qui ne semble pas avoir une
vaste vision pour le pays, à part le fait de
déléguer des pouvoirs aux provinces et de
les laisser se débrouiller.
109
Michelle
Rempel
→ Michelle Rempel, ministre de la Diversification
économique de l’Ouest, interviewée le
26 septembre 2014 par Brenna Atnikov
sur
LE PLURALISME
et l’innovation :
« Nous jouissons d’une abondante
classe créative dans ce pays. »
ATNIKOV
REMPEL
Sur quoi portez-vous
votre attention en ce
moment au Canada?
Ce qui me frappe le plus est la fierté que
nous ressentons à l’égard du pluralisme
canadien. Comme pays, nous avons un
ensemble de valeurs, dont l’égalité des
chances, les libertés individuelles accompagnées d’un sens de responsabilité,
et la possibilité de conserver nos identités
culturelles et religieuses. Ayant à faire face
à des questions telles que la sécurité énergétique et l’extrémisme religieux, notre capacité d’avoir une identité nationale, tout
en étant une nation composée de cultures
diverses, deviendra de plus en plus importante. Au fur et à mesure que notre pays
se développe et mûrit, nous devons nous
assurer que tout le monde continue d’avoir
accès à des chances égales, qu’il s’agisse
des personnes qui vont venir au Canada ou
de celles qui vivent déjà ici.
À votre avis, qu’est-ce
qui va particulièrement
bien au Canada?
et qui conçoivent les innovations. Ces innovations doivent aboutir quelque part. Si
c’est un objet, est-il destiné à l’industrie?
Si c’est un nouveau modèle économique,
aura-t-il une incidence sur la façon dont
le budget fédéral sera élaboré? Et puis on
a tous les autres acteurs dans la communauté de l’innovation : les bâilleurs de fonds
gouvernementaux, les organismes sans
but lucratif, les chambres de commerce,
les groupes de réflexion, mais le système
est plutôt disparate à l’heure actuelle. Pour
mettre de l’ordre dans cet univers aux
grands enjeux entourant les politiques, nous
sommes en train de déterminer où chacun
des éléments se place sur le convoyeur et de
nous assurer que ces éléments soient bien
financés, bien connectés et qu’ils sont axés
tous vers un but commun.
Nous avons un bon système politique.
Il est relativement équitable en ce qui
concerne les occasions d’en faire partie. SI
mes dotés d’une abondante classe créative
dans ce pays. Il y a des innovateurs dans
tous les secteurs de notre société. Et plus
important encore, nous possédons les
moyens d’intégrer leurs meilleures idées
dans notre processus décisionnel concernant les politiques publiques
UNE JEUNE FEMME VENANT D’UNE FAMILLE
DE CLASSE MOYENNE DU QUARTIER SUD DE
WINNIPEG PEUT DEVENIR MINISTRE, ALORS
Il y a plusieurs mois, lorsque se sont enflammées les hostilités entre Israël et la
Palestine, des manifestations ont eu lieu
à Calgary. Une agression physique s’est
produite à l’une de ces manifestations entre
Si les choses tournent
bien au cours des vingt
prochaines années, que
pourrait-on en dire?
110
Le Canada serait reconnu comme chef
de file à l’échelle mondiale sur le plan de
l’innovation et de la politique exercée sur
cette dernière. Les gens de toutes les convictions politiques reconnaissent que nous
devons utiliser notre immense richesse en
ressources afin de prévoir l’avenir et développer des industries secondaires. Je ne
veux pas dire uniquement de fabriquer des
objets, mais aussi d’innover en matière de
les groupes représentant les deux côtés.
J’ai pensé : « Le Canada n’est pas ça! » Il
y a certaines choses que nous ne faisons
tout simplement pas comme pays. Nous
pouvons être en désaccord total sur les
politiques ou d’autres sujets, mais à la fin de
tout, cet échange d’idées et de convictions
est ce qui nous fait grandir comme nation.
Il faut que nous puissions parler entre nous
de problèmes difficiles sans en venir aux
mains. Par exemple, nous prisons la liberté
de religion, mais nous prisons aussi l’égalité
hommes-femmes pour ce qui est de
l’orientation sexuelle. Comment assurer la
quadrature de ces cercles? Ce que j’espère,
c’est que nous reconnaissions qu’il existe
certaines valeurs qui l’emportent sur la
discrimination, et que nous n’hésitions pas
à nommer la discrimination pour ce qu’elle
est, plutôt que de chercher à la voiler. Nous
avons bâti ici quelque chose d’unique et
de particulier. Si nous ne protégeons pas
cet atout et ne le célébrons pas, et si nous
ne disons rien quand il est menacé, alors je
m’inquiète pour nous.
N’IMPORTE QUI PEUT LE FAIRE. Nous som-
« Ayant à faire face à des questions
telles que la sécurité énergétique et
l’extrémisme religieux, notre capacité
d’avoir une identité nationale, tout
en étant une nation composée de
cultures diverses, deviendra de
plus en plus importante. »
politiques publiques. Nous aurions besoin
de devenir une nation d’innovateurs. Avec
un peu de pression et de coordination,
nous pourrions être reconnus pour notre
innovation et cela pourrait devenir notre
marque internationale.
En voyant l’écosystème de l’innovation au
Canada comme une constellation, on a les
innovateurs, les personnes qui pensent
111
Jean-Paul
Restoule
→ Jean-Paul Restoule, professeur adjoint, Department
of Leadership, Higher and Adult Education, Université
de Toronto, interviewé le 8 octobre 2014
par Elizabeth Pinnington
sur
L’ÉTABLISSEMENT
des relations :
« Les Canadiens doivent inclure les autochtones
dans les institutions canadiennes selon les
conditions établies par les autochtones. »
PINNINGTON
RESTOULE
Qu’est-ce qui vous
empêche de dormir
la nuit?
Il y a beaucoup d’optimisme parmi les
jeunes autochtones tandis que le taux de
natalité chez les Canadiens en général
demeure relativement bas. La population autochtone est jeune et rapidement
croissante. Elle a besoin d’être encouragée
afin de combler les vides dans le monde du
travail. Avec l’éducation et la formation, le
potentiel est énorme.
dent des mensonges flagrants au sujet du
droit canadien, du droit autochtone et des
communautés autochtones. Ils déforment
la vérité pour que le monde se joigne à leurs
propos haineux; ils attisent la peur et les tensions qui font partie de l’histoire du Canada.
LES GENS SE BRAQUENT LORSQU’ON LES
FORCE À RECONNAÎTRE QUE LE CANADA EXISTE SUR DES TERRES VOLÉES AUX AUTOCH-
À partir de quel niveau
scolaire serait-il utile
d’entretenir ce dialogue?
Quels carrefours importants nous
attendent au fur et à mesure que
nous avançons collectivement
ou comme nation?
112
Il existe cependant de forts courants de
racisme dans certains milieux, comme
la section consacrée aux commentaires
d’un grand nombre de principaux sites
d’actualité, où des gens disent des choses
affreuses au sujet des autochtones. Certaines personnalités médiatiques répan-
TONES. ILS CRAIGNENT DE PERDRE QUELQUE
Les gens commencent à se rendre compte
de l’importance d’inclure les perspectives autochtones dans les programmes
d’études et dans les milieux de travail. Je
reçois beaucoup de messages d’intérêt
de personnes qui veulent modifier leurs
méthodes d’enseignement, de formation
et de promotion pour inclure le savoir
culturel et l’identité autochtones, ainsi que
l’antiracisme. Cela fait maintenant vingt ans
que l’Ontario a inauguré le premier cours
d’Études sur les Premières Nations dans le
programme scolaire au niveau secondaire.
Je commence à en voir les conséquences
dans les cours d’études supérieures que
je donne. Il y a dix ans, si je demandais à ma
classe : « Qui a déjà entendu parler des pensionnats autochtones? », une ou deux mains
se seraient levées. Maintenant, c’est plutôt
un quart ou un tiers des étudiants qui sont
au courant. Je pense que dans vingt ans, le
dialogue sera différent, parce qu’au lieu de
retourner au passé et de décrire les fondations permettant d’établir un dialogue , les
gens connaîtront déjà l’histoire, ils sauront
au moins cela.
Le fait d’avoir une surreprésentation
d’autochtones dans le système de justice
pénale, en opposition au fait d’avoir
une représentation proportionnelle
d’autochtones dans les institutions
d’enseignement et dans la population active. On dépense tellement d’argent pour
traiter les symptômes, plutôt que pour
éviter ce type de choix dès le départ. Les
Canadiens doivent inclure les autochtones dans les institutions canadiennes,
mais selon les conditions établies par
les autochtones.
CHOSE S’ILS PARLENT DE CE QUE CELA
SIGNIFIE DE PARTAGER CE QUI A ÉTÉ VOLÉ
OU D’ABANDONNER UNE PART DU POUVOIR
QUI A ÉTÉ APPROPRIÉ. Ces craintes sont
légitimes, mais le discours est souvent mal
informé et méprisant.
Comment pouvonsnous assurer le
respect mutuel?
Quand nous ouvrons les lieux de travail et
les écoles à la participation des autochtones, cela détruit les stéréotypes des
gens. Les rapports humains éloignent
la peur. Parmi d’autres choses, les programmes d’échange entre les jeunes
autochtones et non-autochtones remplacent certains stéréotypes tirés du cinéma
et des médias, par des relations authentiques qui sont riches et complexes. Plus
nous pourrons encourager ce type de
relations, mieux ce sera.
Par exemple, les ententes visant à améliorer l’éducation des autochtones en
Colombie-Britannique, selon lesquelles le
corps enseignant doit établir des contacts
avec les parents et les communautés,
ont entraîné beaucoup plus de participation de la part des élèves et des parents
dans la vie de l’école et de la collectivité.
Ce qui veut dire qu’au lieu d’avoir des
enseignantes ou enseignants qui essaient
d’apaiser les tensions entre les étudiants
ou familles autochtones et non-autochtones, ces relations deviennent des
occasions d’enrichir les activités dans
l’école. Les autochtones et leurs familles
tendent davantage à vouloir s’impliquer
et agir ensemble pour contribuer à l’école
ou à partager des expériences avec les
non-autochtones. Ceci aide également
les élèves non-autochtones, qui ont alors
la possibilité de visiter des autochtones
dans leurs communautés, de voir le genre
de choses qu’ils font, comme restaurer la
santé de la rivière où tout le monde puise
son eau. Voilà une des choses qui font une
différence significative.
Il y a d’autres manières de bâtir le respect
mutuel. Par exemple, au début de la
journée de cours, les enseignants et leurs
étudiants peuvent reconnaître que nous
sommes en territoire Sechelt ou en territoire Nuu-Chal-Nuth, tout comme lorsque
nous chantons l’hymne national, ou hissons le drapeau canadien, ou mettons au
mur des portraits de la Reine. Certains
cercles militants demandent aussi à des
aînés de faire une cérémonie d’ouverture
avant les réunions. Lorsque cela devient
une pratique habituelle, l’étape suivante
est de sonder plus profondément et de
trouver des moyens pour les aînés de prendre part aux événements.
Plusieurs non-autochtones ont été
les bienvenus dans les communautés,
parce qu’ils ont fait preuve de bonne
foi, d’intégrité et d’humilité. Ils disent :
« Je voudrais en savoir davantage, comment dois-je m’y prendre? » À partir de
là, le processus est simple : « Venez au
rassemblement de la communauté, au
festin, au pow-wow. » Et puis cela devient
plus profond : « Venez aux cérémonies. »
Avant longtemps, les amitiés et les relations se forment.
C’est à ce moment-là que les choses changent vraiment, quand on commence à
percevoir les comme des individus, quand
on ne voit plus un seul aspect de leur
identité. On se réunit autour d’intérêts
communs et puisqu’on a des façons
légèrement différentes de percevoir
le monde ou d’avoir vécu l’expérience
de se rapprocher du monde, il y a de
l’apprentissage qui se produit. Il existe
une humanité commune, un sens partagé
de responsabilité envers la terre et les
uns envers les autres, et c’est à partir de là
qu’il nous faudrait commencer.
« Il existe une humanité commune,
un sens partagé de responsabilité envers la terre
et les uns envers les autres, et c’est à partir
de là qu’il nous faudrait commencer. »
113
Bill
Robson
→ Bill Robson, président et chef de la direction
de l’Institut C. D. Howe, interviewé le 20 octobre 2014
par Adam Kahane
sur
LE CAPITAL HUMAIN :
« Les sociétés tendent à stagner lorsque les forces
qui résistent au changement deviennent implantées. »
KAHANE
ROBSON
Sur quoi portez-vous
votre attention ces
jours-ci au Canada?
Sur la mesure dans laquelle nous sommes
capables d’évoluer et d’attirer des individus
talentueux. À l’avenir, il y aura toujours peu
d’obstacles au mouvement de personnes,
de produits, de services et de capitaux dans
le monde et les gens pourront de plus en
plus s’établir dans des endroits agréables
à vivre et où travailler. Quand on parle aux
gens qui fondent des entreprises à Toronto,
y compris dans les domaines de la haute
technologie, et qu’on leur demande pourquoi ils sont venus ici, ils répondent souvent
que c’est un des rares endroits au monde où
ils peuvent rencontrer des personnes qui
font toutes les choses qu’ils apprécient, à
partir des fournisseurs jusqu’aux employés
éventuels. Ces gens aiment vivre ici, et par
conséquent, c’est ici que se produisent les
investissements de capital physique, c’est ici
que viennent les capitaux financiers et c’est
ici qu’est élaborée la technologie dont ils ont
besoin. Ceci est encourageant, parce que le
Canada possède déjà un avantage en capital
humain. Nous avons un niveau relativement
bon d’éducation primaire et secondaire
et un taux d’inscription très élevé dans les
études postsecondaires. L’immigration a
été et continue d’être une histoire à succès,
accueillant au Canada un grand nombre de
personnes compétentes et douées. Nous
devons bâtir à même cet avantage et demeurer un endroit attrayant pour les gens
qui ont des talents ou qui veulent venir les
développer ici.
À QUELLE QUALITÉ DE VIE NOS ENFANTS ET
Je voudrais aussi savoir jusqu’à quel
point nous pourrons maintenir à la fois la
liberté et l’ordre. Les personnes, qui ont
vécu durant la propagation du totalitarisme dans le monde au cours des années
1930, seraient agréablement surprises par
la liberté, le dynamisme et les chances qui
existent aujourd’hui dans tant d’endroits.
Ce fut un épanouissement remarquable
et il est naturel de nous demander si nous
allons pouvoir continuer ainsi. Le débat
actuel sur le recours à la quarantaine
pour lutter contre le virus Ebola constitue
un exemple concret des enjeux autour
desquels se jouent les tensions. Même
à cette époque, où nous nous plaignons
du fait d’avoir perdu une grande partie
de notre liberté avec l’expansion de l’état
réglementaire et du fait d’être presque
constamment sous surveillance, nous
Si vous pouviez poser
des questions à un
clairvoyant au sujet de
l’avenir, que voudriezvous savoir?
114
PETITS-ENFANTS PEUVENT-ILS S’ATTENDRE?
Une chose qui me préoccupe beaucoup,
c’est la mesure dans laquelle le présent
tend à voler les ressources de l’avenir,
que ce soit les gouvernements qui empruntent en vue de soutenir le niveau de
consommation actuel ou des promesses
fondées sur l’hypothèse de richesse
future ou les déchets auxquels on ne
pense pas et qu’on a du mal à évaluer. Je
m’inquiète de la mesure dans laquelle les
Canadiens vont devoir s’acquitter des
engagements que nous avons faits en leur
nom dans vingt ou trente ans. Pour que le
Canada continue à attirer et à retenir les
talents, les gens doivent sentir qu’il y a ici
de plus en plus de possibilités pour eux et
pour leurs enfants. Ai-je raison de désirer
que mes enfants demeurent dans ce pays?
Si les choses tournaient
mal au cours des vingt
prochaines années,
que se serait-il passé?
sommes quand même arrivés jusqu’à
maintenant à maintenir un certain équilibre entre l’individualisme et l’ordre pub-
lic. C’est sans aucun doute un des facteurs
qui fait du Canada un si grand succès.
Les sociétés tendent à stagner lorsque
les forces qui résistent au changement
deviennent implantées. Je m’intéresse à
la bataille qui se livre actuellement entre
les industries de taxis et d’hôtels, et en
particulier entre les services comme Uber
et Airbnb. Il y a de bonnes raisons pour justifier l’existence de réglementations dans
ces domaines, mais on doit commencer à
s’inquiéter lorsque les défenseurs des intérêts établis font appel à l’état pour défendre leur position. Si les gens qui aiment les
monopoles sont capables de convaincre le
gouvernement qu’il faut interdire les nouveaux joueurs, cela limite le choix des consommateurs et étouffe l’innovation. Pire
encore, l’enracinement du statu quo peut
avoir une incidence négative sur l’attitude
des gens vis-à-vis du changement. Jusqu’à
maintenant, la société canadienne a été
comparativement ouverte à l’innovation.
Nous sommes plutôt à l’aise avec les gens
qui viennent ici et font les choses différemment. Tout cas individuel, où des intérêts
établis essaieraient d’arrêter l’introduction
de quelque chose de nouveau ou
d’empêcher la concurrence d’entrer en
jeu, peut à première vue ne pas sembler
très grave. Toutefois, il s’agit d’une bataille
de plus grande envergure : ce qui est par
opposition à ce qui pourrait être. En tant
que société, nous souhaitons que ceux,
qui ont de l’initiative et tentent de faire
quelque chose de novateur et de différent,
puissent y gagner plus qu’y perdre.
« Ces choix comptent. Ils sont sensés et ils
se dirigent dans deux voies tout à fait différentes. »
Quelles décisions
importantes
devons-nous prendre?
Nous faisons face à de constants défis
quand il s’agit de savoir jusqu’à quel
point nous sommes prêts à ouvrir nos
portes au reste du monde, que ce soit au
niveau de l’immigration, du commerce
ou de l’investissement. Le Canada se
dit internationaliste, et bien des gens se
reconnaissent dans cet aspect de notre
histoire. Mais quand on songe à un enjeu
en particulier, disons au commerce plus
libre avec l’Europe ou au Partenariat
Trans-Pacifique, il faut prendre une décision : va-t-on encourir un certain risque,
s’engager avec le reste du monde, envisager quelques pertes pour récolter des
gains? Ou va-t-on se retenir, éviter tout
risque et tenter de garder les choses
comme elles sont? Ces choix comptent.
Ils sont sensés et ils se dirigent dans deux
voies tout à fait différentes.
Que voudriez-vous
avoir comme épitaphe?
La plupart des gens sont motivés par une
vision de la société qui prédit que demain
sera meilleur qu’aujourd’hui. Si l’on réussit
à résoudre ce prochain problème pour
avancer d’un pas, la personne qui suivra
pourra voir encore plus loin devant elle.
C’est comme débroussailler le terrain.
Au début, on se demande souvent comment on peut faire quelque progrès que
ce soit. Alors on commence par émonder
quelques branches. Quand elles sont hors
du chemin, on peut voir un peu plus loin. Je
suis un émondeur.
115
Janet
Rossant
→ Janet Rossant, responsable de la recherche à la Hospital for
Sick Children (l’Hôpital pour enfants malades), interviewée
le 12 novembre 2014 par Brenna Atnikov
sur
LA CRÉATION
d’un Centre de créativité :
« Lorsque les gens arrivent ici, ils sont toujours
étonnés par notre culture de
collaboration et de “coopérativité”. »
ATNIKOV
ROSSANT
Qu’est-ce qui vous
empêche de dormir
la nuit?
Avec notre population vieillissante, nous
devons réétudier nos méthodes de fournir
les soins de santé. Entre autres, nous
devons élaborer un modèle plus intégré,
qui ramène les soins de santé à la communauté et dans les foyers. Le traitement de
maladies chroniques à la maison peut offrir
une bien meilleure qualité de vie que dans
un hôpital, et cela coûte moins cher. Toutefois, pour en arriver là, il faut de solides
systèmes de soins qui apportent l’appui
nécessaire aux patients et à leurs familles.
Le coût des soins de santé continue
d’augmenter. Aujourd’hui, il a presque
atteint cinquante pour cent des budgets
provinciaux. À titre de chercheurs, mes
collègues et moi devons examiner de très
près tout ce que nous faisons, parce que
le système de soins de santé ne dispose
que de sommes limitées à investir. Nous
devons considérer l’aspect de la rentabilisation et déterminer si notre recherche
porte sur un sujet que les gouvernements
vont financer. Ils vont demander : « Est-ce
que ce traitement va vraiment nous faire
économiser de l’argent? Comparativement à tout ce qui a été fait auparavant,
est-il à ce point meilleur pour en justifier
l’investissement? »
Si les choses tournent
bien au Canada au cours
des vingt prochaines
années, que se
sera-t-il passé?
Nous commencerons à voir des changements technologiques dans la prestation
des soins et cela ne coûtera pas nécessairement plus cher que ce que nous
dépensons aujourd’hui, y compris pour
les nouveaux médicaments et les traitements curatifs ponctuels. Un domaine
entièrement nouveau, par exemple,
sera l’administration de médicaments
spécialisés aux patients, identifiant les
gènes défectueux d’un cancer et utilisant
un remède particulier pour le traiter. On
économise parce qu’on ne traite que les
gens appropriés au moment approprié et
avec le médicament approprié. Des traitements par cellules souches, particuliers à
chaque patient, seront disponibles pour
guérir des maladies comme le diabète,
la maladie de Parkinson et la perte de
vision. Quand nous étendrons cette approche personnalisée à toutes sortes
d’autres maladies, cela réduira nos coûts
d’ensemble, améliorera les traitements et
mènera à une société en meilleure santé.
116
Le Canada sera vu comme un centre de
créativité et non comme le vieux Canada
qui produit du charbon et qui fabrique
des voitures. Nous aurons adopté le concept des centres urbains comme moteurs
pour obtenir le succès du Canada, et nous
aurons investi dans notre infrastructure.
Le Canada sera devenu l’endroit de choix
pour les gens les plus créatifs et les plus
innovateurs au monde.
Si les choses tournent
mal au Canada au cours
des vingt prochaines
années, qu’est-ce qu’on
pourrait en dire?
Nous aurons rendu difficile la venue de
gens créatifs. Il nous faudrait être plus ouverts aux personnes qui viennent au Canada et qui en repartent. Nous n’aurons pas
investi dans la recherche fondamentale,
l’innovation et la force créatrice. Si nous
ne nous concentrons pas sur l’avenir et si
nous ne bâtissons pas à même nos forces,
nous allons devenir une nation très moyenne. Nous n’allons pas avoir l’impact que
nous pourrions avoir dans le monde, que
ce soit dans les arts, les sciences, les affaires, les finances ou la politique.
Qu’est-ce qui vous anime
au sujet du Canada?
Nous sommes un pays multiculturel qui
accepte et accueille des gens de tous les
coins du globe. Les gens viennent ici pour
bien des raisons différentes et ce mélange
de compétences et de points de vue nous
offre des occasions exceptionnelles. Nous
avons des centres urbains dynamiques
qui continuent de croître. Quand on incite
les gens à vivre rapprochés les uns des
autres et quand on fournit la bonne infrastructure, on peut entraîner des interactions qui mènent à de nouvelles idées et à
des inventions. Cependant, dans presque
tous les cas, même les centres urbains dynamiques ont leur classe de sous-privilégiés. Nous devons offrir des chances aux
gens pour qu’ils puissent naviguer dans
le système ou le filet social qui les appuie
quand ils ne peuvent pas le faire. Si nous
n’améliorons pas nos centres urbains,
nous risquons fort d’être perdants par
rapport au reste du monde.
LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE SERA À
L’AVENIR UN MOTEUR IMPORTANT DE
L’ÉCONOMIE. ELLE DONNE LES MEILLEURS
RÉSULTATS LORSQU’ELLE A LIEU DANS UN
CONTEXTE ET UNE CULTURE FAVORABLES
À LA COLLABORATION ET À LA COOPÉRATION, CE QUE NOUS OFFRONS ICI AU
CANADA. Lorsque les gens arrivent ici, ils
sont toujours étonnés par notre culture
de collaboration et de « coopérativité
». Certaines personnes disent que pour
atteindre le sommet de notre potentiel,
nous devons être compétitifs. Mais en
collaborant, nous pouvons apporter de
nouvelles idées à la table et aussi partager
nos ressources limitées de façon pragmatique, afin d’avoir un impact qui va au-delà
des sommes que nous avons investies.
« Quand on incite les gens à vivre
rapprochés les uns des autres et
quand on fournit la bonne
infrastructure, on peut entraîner
des interactions qui mènent à de
nouvelles idées et à des inventions. »
117
Gabrielle
Scrimshaw
→ Gabrielle Scrimshaw, cofondatrice de l’Association
professionnelle autochtone du Canada (Aboriginal
Professional Association of Canada), interviewée le
16 septembre 2014 par Monica Pohlmann
sur
LES LEÇONS
de notre passé :
« Le processus est extrêmement motivant. »
Qu’est-ce qui
vous anime?
s’appliquer aux enfants, parce que les
enfants sont tous nés égaux et pleins de
potentiel. Le plus petit pot équivaut à la
pauvreté et au peu d’accès à l’éducation.
Au Canada, aujourd’hui, les jeunes autochtones sont placés dès leur naissance
dans le plus petit pot. Nous investissons
quarante pour cent de moins dans leur
éducation que dans celle des autres
enfants, puis nous leur demandons pourquoi ils ne s’épanouissent pas. Le pire,
c’est que nous nous servons constamment de méthodologies démodées pour
essayer de trouver des solutions visant à
combler cet écart.
LORSQUE JE VOYAGE D’UN BOUT À L’AUTRE
d’autres du Québec qui les retransmettaient. Le processus est extrêmement motivant; les jeunes s’engagent
dans une conversation et leurs voix
sont validées par leurs pairs. Chez les
autochtones, notre génération est
considérée par certains comme étant
le huitième feu, c’est-à-dire la génération qui va tout changer. J’ai la chair de
poule quand j’y pense, parce que je le
crois. Je peux déjà voir les courants qui
commencent à bouger.
DU CANADA, J’ENTENDS BEAUCOUP DE
JEUNES AUTOCHTONES DIRE: « JE SUIS UN
MILITANT » OU « JE VEUX ÉTUDIER LE DROIT
PARCE QUE JE VEUX AIDER NOS COMMUNAUTÉS. » COMME NOS JEUNES DE DIX-SEPT
ANS SE BATTENT POUR DÉFENDRE CE QU’ILS
CROIENT ÊTRE JUSTE, NOTRE COLLECTIVITÉ
EST ENTRE DE TRÈS BONNES MAINS. Idle No
POHLMANN
SCRIMSHAW
Pourquoi faites-vous
ce que vous faites?
J’ai toujours senti que j’avais une responsabilité envers la génération actuelle des
jeunes autochtones. Quand j’avais dix-neuf
ans, j’ai suivi un cours d’été à Régina. Tard
un soir, environ une dizaine d’entre nous
étions réunis chez un ami. Un des gars
racontait avec enthousiasme au reste du
groupe que son père, son oncle et son
frère étaient agents de la GRC et qu’il avait
envoyé une demande pour en devenir un
lui aussi. Dans un moment qui restera toujours gravé dans ma mémoire, il a dit : « Je
ne peux pas attendre de devenir un agent
de police, pour aller tirer sur ces maudits
Indiens. » Le silence qui s’ensuivit était absolu. Environ cinq ou six personnes dans la
pièce savaient que j’appartenais à une des
Premières Nations et personne n’a rien dit.
Mais ce qui est encore plus impardonnable,
c’est que moi-même, je n’ai rien dit. Tout ce
dont je me souviens, c’est de m’être sentie
honteuse et gênée de réaliser que, d’après
ce gars, je ne valais rien de plus que d’être
abattue d’une balle. De plus, je ne voulais
pas chercher la chicane et commencer une
querelle. Un mois plus tard, j’ai raconté
l’incident à ma sœur. Visiblement ébranlée,
elle m’a dit : « Peu importe ce que tu as ressenti à ce moment-là. Qu’arrivera-t-il si ce
gars devient vraiment un agent de la GRC
et décide que l’autochtone sur qui il veut
tirer, c’est Ethan? » Ethan est mon neveu,
qui avait un an à l’époque. En cet instant, je
me suis rendu compte que les choses que
je disais et que je faisais pouvaient avoir de
l’influence, mais tout aussi important que
cela, les choses que je choisissais de ne pas
dire étaient également lourdes de conséquences. J’ai décidé de m’armer de courage et de tenter de faire une différence, et
je me suis promis de toujours défendre ce
que je croyais être juste.
Les rapports entre les autochtones et les
non-autochtones dans ce pays. Lorsque
les Canadiens voyagent dans le monde, ils
disent qu’ils sont « le pays de l’avenir ».
Je crois que c’est ce que nous souhaitons
être, mais cela ne représente pas réellement qui nous sommes, aujourd’hui. La
vérité, c’est qu’il y a beaucoup de gens
qui sont laissés pour compte et qui vivent
juste à côté de chez nous. Ce que j’espère,
c’est que les Canadiens commencent à
s’engager sincèrement avec les autochtones, partout au pays. Pourquoi est-ce
important? La population autochtone est
le groupe démographique qui connaît le
taux de croissance le plus élevé au Canada.
du travail. Trois autochtones sur dix sont
âgés de moins de quatorze ans. Nous avons
une merveilleuse occasion d’éduquer et
d’équiper ces jeunes, qui viennent d’un
milieu dont la culture est bien établie. Si
nous ne discutons pas dès maintenant de
cette occasion et si nous ne nous efforçons
pas de la saisir comme il faut, nous vivrons
avec les conséquences de notre inaction
pendant des générations à venir.
Qu’est-ce qui vous
empêche de dormir
la nuit?
D’ici 2026, environ 400 000 jeunes
autochtones vont entrer dans le monde
118
Muhammad Yunus, détenteur du Prix Nobel et fondateur de la Banque Grameen,
se sert d’une brillante analogie. Il dit que
si vous mettez une semence dans un
grand pot et une semence dans un petit
pot, bien sûr, la semence qui est dans le
plus grand pot deviendra une plante beaucoup plus grande. La même chose peut
More aussi a été une force unique pour
nous. Avec ce mouvement, on avait
des jeunes qui envoyaient des tweets
du nord de la Saskatchewan et puis
« La vérité, c’est qu’il y a beaucoup de gens qui sont laissés
pour compte et qui vivent juste à côté de chez nous. »
Si vous regardez les
échecs passés du
Canada, que pouvonsnous apprendre pour
l’avenir? Que peut-on
apprendre pour
l’avenir des échecs
passés du Canada?
Nous n’aurions pas à faire face à de nombreux défis qui nous accablent aujourd’hui
et n’aurions pas à prendre de nombreuses
décisions que nous devons prendre
maintenant, si nous avions enseigné notre
véritable histoire et en avions tiré quelque
chose. Pendant plus de cent ans, les enfants autochtones ont dû subir l’horreur
des pensionnats, dont le mandat du gouvernement était de « faire sortir l’Indien
de l’enfant ». Les enfants ont été enlevés
à leurs parents, séparés de leurs frères et
sœurs et empêchés de parler leur langue.
Plusieurs d’entre eux ont souffert des abus
physiques, mentaux et sexuels. C’est à
cause des pensionnats que j’ai grandi sans
ma mère. Je n’ai jamais connu le réconfort
de revenir à la maison après une mauvaise
journée et de pleurer sur l’épaule d’une
maman. Je ne parle pas ma langue. Je vis
chaque jour avec ce que nous ont laissé les
pensionnats comme héritage.
En 2014, la moitié des Canadiens ne savent
toujours pas ce qu’est un pensionnat
autochtone. Si l’on ne sait pas ce que c’est,
on ne comprend pas ce que cela représen-
te comme héritage pour les autochtones.
Si plus de gens comprenaient comment
le Canada a été colonisé, je crois que nous
serions un peu plus réticents à célébrer
la fondation de notre pays. En ce qui me
concerne, pourquoi voudrais-je célébrer
John A. Macdonald quand je comprends
comment il a colonisé les hommes,
femmes et enfants autochtones? Il a pris
des décisions qui ont mené au traitement
abusif et à la mort de milliers de personnes, mais ceci n’est pas généralement
enseigné dans nos classes d’histoire. Si
nous voulons honorer le passé, je crois
que nous devrions en tirer des leçons.
Si nous évitons le passé, nous ne faisons
que nous cacher derrière notre propre
ignorance. Voulons-nous que les futures
générations disent que nous avons évité
des vérités parce que nous nous sentions
mal à l’aise, ou voulons-nous qu’elles disent que nous avons surmonté ce sentiment pour pouvoir prendre des décisions
éclairées en vue de l’avenir?
119
Khalil
Shariff
→ Khalil Shariff, président directeur général de la
Fondation Aga Khan Canada, interviewé le
5 septembre 2014 par Adam Kahane
sur
sont toutes deux d’importants stimulateurs de pluralisme. On ne peut pas avoir
des institutions politiques qui penchent
en faveur de la discorde ou qui dressent
les gens les uns contre les autres, sinon
tout s’écroulera. Et pour soutenir une
société pluraliste, on a également besoin
d’une vie culturelle qui puisse inclure des
thèmes unificateurs tout en laissant beaucoup de place aux expressions culturelles
individuelles et aux activités interculturelles originales.
Les Canadiens sont-ils
activement conscients de
l’importance du pluralisme pour notre société?
La dernière chose dont parlent les poissons est l’eau dans laquelle ils évoluent :
elle est invisible. L’échafaudage de la société canadienne — cet engagement envers
le pluralisme — est invisible aux yeux de la
plupart des Canadiens. Nous ne le comprenons pas toujours de manière explicite, et
le tenons peut-être pour acquis, mais il est
néanmoins ancré dans notre for intérieur.
Nous le voyons clairement dans le cas des
Canadiens qui travaillent à l’étranger. Les
Canadiens peuvent fonctionner dans plusieurs milieux différents et difficiles, et je
crois que cela est dû au fait que nous sommes assez sensibles au fonctionnement
d’une société pluraliste.
Le pluralisme est donc
un de nos atouts inexploités ou peu appréciés?
Je le crois, à tout le moins, il est peu apprécié par les Canadiens eux-mêmes, sinon
par d’autres. Il y a un double danger : que
les Canadiens ne soient pas assez humbles
ou alors qu’ils soient trop humbles au
sujet de leur pluralisme. Personne ne peut
tolérer de voir circuler une poignée de
pluralistes arrogants; par contre, le fait
d’être excessivement humbles peut être
une façon pour nous de dévaluer un atout
et en quelque sorte d’éviter notre responsabilité de partager cet atout avec d’autres.
Bien sûr, le pluralisme n’est pas un atout
réservé aux Canadiens. C’est un atout au
Canada ou du Canada, mais c’est aussi un
atout humain à l’échelle mondiale. Nous
n’en sommes que les gardiens pour le reste
du monde. Qu’est-ce que cela signifie pour
nous d’utiliser cet atout avec le reste du
monde comme bénéficiaire?
LA VERTU
du pluralisme :
« Le Canada a cultivé une sorte d’intention
civique pour que la diversité fonctionne. »
KAHANE
SHARIFF
Y a-t-il quelque
chose de particulier
aujourd’hui qui
distingue le Canada
du reste du monde?
Le Canada a cultivé une sorte d’intention
civique pour que la diversité fonctionne.
Dans notre société, il existe un sentiment
général selon lequel nous ne désirons pas
vraiment nous livrer à l’opportunisme politique de la division.
Pourquoi le pluralisme
est-il si important?
Comme tout autre pays, nous avons à
surmonter des défis, des difficultés, ainsi
que des sources de division dont certaines
sont naturelles et d’autres sont vulnérables
à l’exploitation. Ce qui pour nous est important de comprendre, c’est comment notre
pays réagit à ces types de chocs et ce qui arriverait si ces mêmes chocs se produisaient
dans d’autres contextes.
La notion de l’homogénéité est en train de
disparaître rapidement dans l’ensemble
du monde et pour deux raisons. Premièrement, nous sommes plus conscients
que jamais de nos différences sur le
plan individuel, de ce qui nous caractérise en tant qu’individus. Deuxièmement, nous avons vécu des mouvements
démographiques sans précédent dans
l’histoire. Ces deux facteurs signifient que
l’idée d’accommoder la différence et de
vivre dans une forme de cadre commun
pourrait fort bien être fondamentale pour
n’importe quelle société aujourd’hui.
Quelqu’un m’a dit une fois que, pour un
individu, l’humilité était la plus grande
vertu. Quelle serait la plus grande vertu
pour une société? La vertu d’où naissent
toutes les autres vertus et capacités? Je
120
Par exemple, le fait que l’on ait débattu et
analysé la Charte de la laïcité pendant la
campagne électorale du Québec, lorsque
les enjeux étaient élevés et les opinions
claires et arrêtées est en quelque sorte
choquant. Et puis cela ne s’est pas intensifié! D’une certaine façon, nos structures
institutionnelles, culturelles, historiques et
politiques nous ont servi de guides quant
à l’inquiétude que nous ressentions tous.
À mon avis, l’expression de nos valeurs que
cet événement a suscitée demeure inégalée
dans le monde entier. Cela laisse entendre
quelque chose de fondamental au sujet du
Canada et c’est que le pluralisme canadien a
des racines extrêmement profondes.
me demande si la capacité pour le pluralisme ne serait pas la source d’où naissent
toutes les autres.
SI L’ON PEUT BÂTIR LA CAPACITÉ SOCIALE
« Personne ne peut tolérer de voir circuler
une poignée de pluralistes arrogants; par contre,
le fait d’être excessivement humbles peut être
une façon pour nous de dévaluer un atout et en
quelque sorte d’éviter notre responsabilité
de partager cet atout avec d’autres. »
POUR TRAITER AVEC LE PLURALISME, ON
PEUT ALORS TRAITER DE TOUTES SORTES
D’AUTRES QUESTIONS. Il est impossible
de maintenir une société vibrante et
pluraliste si l’on n’a pas d’abord réfléchi
longuement à la nature et à la structure
de son économie. Les fortes inégalités
économiques, ou encore les institutions exclusivistes ou extractives sont
incompatibles avec le pluralisme. Donc,
pour souscrire au pluralisme, il faut un
certain type de système économique. Les
institutions politiques et la capacité de
répondre à la grande diversité de besoins,
d’aspirations et d’identités des humains
Qu’aimeriez-vous avoir
comme épitaphe?
« Il a apporté une modeste contribution canadienne aux grands enjeux de son époque.
» Pour moi, mentionner l’élément canadien
n’est pas un moyen de manier un slogan ou
de vendre la feuille d’érable. Il s’agit en réalité de capter tout un ensemble d’idées et
d’idéaux que ce pays représente, et d’utiliser
cela comme tremplin pour contribuer au
reste du monde. Dans son livre At Home In
the World, Jennifer Welsh dit que nous ne
devrions pas être une puissance moyenne,
mais plutôt une puissance modèle. Elle
avance que la meilleure contribution que le
Canada puisse faire, serait d’exceller dans
son rôle d’être le Canada. Donc, je suppose
qu’il y a un certain sens à dire que nous entrevoyons dans le casse-tête du monde un
espace qui a la forme du Canada.
121
Janice
Gross Stein
→ Janice Gross Stein, directrice de The Munk School of
Global Affairs à l’Université de Toronto, interviewée le
16 septembre 2014 par Monica Pohlmann
sur
LA SUFFISANCE :
Si les choses tournent
mal au cours des vingt
prochaines années,
que se sera-t-il passé?
« Le confort est notre pire ennemi. »
Nous n’aurons pas su retenir nos jeunes au
pays. Ils iront là où le travail est intéressant
et stimulant, et là où ils peuvent contribuer
à quelque chose. Ce sera une perte énorme
pour nous. Si nous ne réorientons pas
nos institutions pour les rendre accueillantes aux membres de cette génération,
ils vont tout simplement les contourner
et faire quelque chose de différent. Nos
institutions vont s’atrophier, parce qu’elles
n’auront personne pour secouer les
choses et dire : « Non, nous n’allons plus le
faire de cette façon. »
terminale, la suffisance et la fatuité. Sinon,
nous n’exigerons pas assez de nous-mêmes
et finirons par glisser dans une médiocrité
abrutissante. Le reste du monde change
plus rapidement que nous. Regardez ce
qu’était la Chine il y a cinquante ans et
ce qu’elle est aujourd’hui. Inimaginable!
Regardez les expériences sociales qui se
passent au Brésil. Nous avons beaucoup à apprendre. Ce qui manque ici,
c’est l’urgence. Le confort est notre pire
ennemi. Les dirigeants de nos institutions
établies doivent se réveiller et comprendre
ce qui se passe dans le monde.
Nous échouerons également si nous ne
nous remettons pas de notre maladie
POHLMANN
STEIN
Qu’est-ce qui vous
empêche de dormir
la nuit?
Le fait que les Canadiens ne sont pas des
promoteurs de changement. Nous sommes
très, très réticents à prendre des risques.
Si l’on nous donne le choix, nous opterons
pour le statu quo, parce nous croyons
que cela entraîne moins de risque. Ce que
nous ne comprenons pas, c’est le coût de
l’inaction. La plupart de nos institutions
publiques sont enfouies sous les processus.
Dans l’année qui vient de s’écouler, de minuscules scandales au sujet de minuscules
montants d’argent ont consommé les activités du secteur public. Tout ce qui compte,
c’est l’évaluation des processus plutôt
qu’une conversation portant sur ce que
nous souhaitons réaliser ensemble. Nous
ne nous servons pas du processus pour
habiliter, nous nous en servons pour bloquer. Aussi, le processus nous mène à une
position intermédiaire. À force de ne pas
offenser qui que ce soit, on n’obtient pas
de solutions imaginatives ou innovatrices.
En fin de compte, cette attitude pourrait
dégrader notre qualité de vie.
Le secteur des entreprises est moins apte
à éviter les risques. Il a un sens plus développé du risque et il comprend que le statu
Qu’est-ce qui
vous anime?
122
Les jeunes! J’ai passé ma vie à travailler
avec des jeunes, et cette génération-ci
est la plus aventureuse, la plus lucide et
la plus intransigeante de toutes celles
que j’ai connues. Ils dépendent d’euxmêmes, ils sont déterminés à acquérir les
meilleures compétences, ils ont un point
quo ne peut pas durer. D’où provient le
véritable leadership environnemental dans
ce pays? Du secteur privé, de l’industrie de
l’assurance et du secteur de l’énergie. Dès
que l’industrie de l’assurance commencera
à créer un marché autour du risque environnemental, nous agirons beaucoup plus
rapidement que nous ne l’avons fait jusqu’à
maintenant. Le secteur de l’énergie est
celui qui dit qu’il nous faut une politique
écologiquement responsable, parce c’est
essentiellement dans son intérêt.
Nous avons besoin d’un esprit d’entreprise
dans ce pays, surtout dans le secteur public
et dans les organisations sans but lucratif.
Il faut aller au-delà du gouvernement pour
trouver des bâtisseurs. Le secteur sans but
lucratif devient constamment de plus en
plus entrepreneurial. Une partie de ce qui
motive ce secteur à entreprendre ses diverses activités innovatrices, c’est qu’il y a
si peu d’argent et tant d’ambition. Dans ces
circonstances, on est poussé à trouver de
nouvelles choses à faire. Le bon côté dans
tout cela, c’est que nous sommes mieux
capables que nous ne le croyons de nous
autogérer dans ce pays.
de vue mondial et ils n’ont pas peur du
risque. Nos étudiants à la Munk School
of Global Affairs sont des entrepreneurs
débutants! Ils ont assez de capacité et
de confiance pour se sortir des grandes
institutions encombrantes.
Si vous pouviez
demander tout ce que
vous vouliez à un voyant
au sujet de l’avenir
du Canada, quelles
questions lui
poseriez-vous?
Serons-nous en mesure de tirer parti de
l’énorme réservoir d’intelligence et de
créativité que nous avons dans ce pays
pour enrichir la qualité de l’innovation?
Mes collègues et moi sommes à la recherche de politiques que les gouvernements
et le secteur privé pourraient utiliser
afin de mettre en valeur les avantages de
l’innovation à ceux qui se lancent dans
cette voie. Il deviendra très important de
déterminer qui retirerait les avantages
de l’innovation et qui n’en retirerait pas.
Dans certaines sociétés innovatrices, les
avantages de l’innovation sont distribués
de façon égale, mais dans certaines autres,
ce n’est pas le cas. Si dans la nôtre, ceux
qui sont innovateurs sont généreusement récompensés pendant que ceux qui
demeurent à l’extérieur de ce cercle sont
entièrement désavantagés, nous n’aurons
pas le Canada que nous voulons. Et comment peut-on impliquer les minorités,
y compris les jeunes autochtones, dans
une économie et une société palpitantes
d’innovations? Voilà d’importantes questions concernant les politiques.
« J’ai passé ma vie à travailler avec des jeunes,
et cette génération-ci est la plus aventureuse,
la plus lucide et la plus intransigeante
de toutes celles que j’ai connues. »
Quelles décisions
importantes le Canada
devra-t-il prendre?
IL FAUDRA QUE NOUS PRENIONS DES DÉCISIONS DIFFICILES SUR QUI NOUS ALLONS
ÊTRE ET CE QUE NOUS ALLONS FAIRE DANS
LE MONDE. NOUS SOMMES UN PETIT PAYS ET
NOUS NE POUVONS PAS TOUT FAIRE. TOUTE
TENTATIVE DANS CE SENS AFFAIBLIT NOTRE
IMPACT OÙ QUE NOUS ALLIONS. Nous avons
besoin de nous engager dans ce débat.
C’est ainsi que les Canadiens deviendront
fiers au lieu d’être furieux.
Nous dépendons entièrement de
l’immigration pour notre avenir. Nous
sommes très habiles à cela, mais encore,
nous risquons de devenir suffisants. Selon
des recherches fiables, nos grandes villes
ne réussissent pas aussi bien qu’il y a vingt
ans à ouvrir les portes aux emplois et à la
promotion pour les immigrants. Pourtant,
si nous voulons nous épanouir comme
société, nous devons accueillir encore
plus d’immigrants que dans le passé. Aux
yeux de bien des gens dans le monde entier, nous sommes le pays le plus attirant
où venir s’établir. Nous devons être à la
hauteur de cette réputation.
123
Art
Sterritt
→ Art Sterritt, directeur exécutif de la Coastal First Nations Great
Bear Initiative (Initiative Great Bear des Premières Nations
côtières), interviewé le 7 octobre 2014 par Monica Pohlmann
sur
LES ÉCONOMIES
durables :
« Il est temps que les gens reprennent le contrôle
de ce que nous faisons dans ce pays. »
POHLMANN
Êtes-vous de l’avis
que l’origine des gens
façonne leur façon de
concevoir l’avenir?
J’ai grandi dans une partie très riche du
haut Skeena à une époque où presque
toutes les industries forestières appartenaient aux Premières Nations. Mon
grand-père et mon oncle avaient une
scierie, comme c’était le cas pour bien des
autochtones. En fait, les Premières Nations
menaient toutes les activités industrielles
de la région et le chômage n’existait pas.
Il y avait des règles strictes qui dictaient
combien nous pouvions prendre de
l’environnement naturel. Mon père et ses
cousins et la plupart de ses amis avaient
des permis qui s’appelaient des « limites
», c’est-à-dire qu’on limitait les quantités qu’ils pouvaient exploiter. Quand les
grosses entreprises sont arrivées avec des
permis d’exploitation forestière que leur
octroyait le gouvernement provincial, je
me souviens d’avoir été dans une zone de
coupe à blanc et j’ai été horrifié par ce que
j’ai vu. Des arbres qui mesuraient à peu
près un pied de circonférence gisaient
au sol, en train de pourrir, abattus tout
simplement parce qu’ils bloquaient le chemin aux travaux. Et une fois qu’il n’y avait
plus d’arbres à cet endroit, les compagnies
fermaient la scierie.
les Premières Nations dirigeaient toute
l’industrie de la pêche. Les Premières
Nations exploitaient la pêche à la senne, la
pêche au filet maillant, la pêche à la traîne,
les empaqueteurs, les industries de crustacés et la pêche au flétan et à la morue
charbonnière. Il y a quarante-sept ans,
toutes les pêcheries étaient durables. Puis
les grosses entreprises ont commencé
à rationaliser la pêche et à repousser les
Premières Nations. Alors le capital naturel,
qui nous avait soutenus pendant des millénaires, a commencé à disparaître.
Il n’y avait pas de chômage avant cela.
Notre réseau social était notre filet de
sécurité. Nous étions chez nous! Nous
avions un taux d’emploi de 100 pour cent.
Si quelqu’un avait besoin d’un emploi ou de
quoi manger, il pouvait toujours en trouver.
Mais depuis une trentaine d’années, les entreprises ont envahi l’économie côtière et
ont érodé notre territoire. De nos jours, les
gens voient les Premières Nations comme
une sorte de race appauvrie. Ne commettez jamais l’erreur de nous regarder
de haut! Nous avons bien vécu et avons
subvenu à nos besoins depuis le début des
temps. Nous savons qu’il est possible pour
nous de revenir aux grandes richesses qui
étaient les nôtres auparavant.
DANS TOUS LES COINS DE CETTE PROV-
AVEC TOUT LE MONDE À L’INTÉRIEUR DE
INCE, ON TROUVE DES GENS APPARTENANT
NOS RÉGIONS : ENTREPRISES, SYNDICATS,
AUX PREMIÈRES NATIONS QUI LUTTENT
MUNICIPALITÉS, INDUSTRIES TELLES QUE
POUR CONSERVER LES ÉCOSYSTÈMES ET
LA PÊCHE SPORTIVE ET L’EXPLOITATION
POUR METTRE EN PLACE DES ÉCONOMIES
MINIÈRE. Les non-autochtones locaux nous
DURABLES À PARTIR DE CES ÉCOSYSTÈMES.
apprécient, parce qu’ils comprennent qu’il
faut protéger l’endroit afin que l’air, l’eau et
NOUS AVONS CRÉÉ DES PARTENARIATS
124
autrui, parfois même à notre détriment.
J’entrevois un avenir où nous pourrons
tous travailler ensemble de nouveau.
Le Canada aurait utilisé une petite fraction
de nos ressources non renouvelables afin de
créer une société plus viable. C’est la responsabilité qui nous incombe. Nous avons passé
les dernières quarante à cinquante années
à extraire les énergies non renouvelables en
ne tenant pas compte du capital naturel ni de
la région. Nous avons maintenant atteint un
point où nous devons protéger ces ressources plutôt que de faire le contraire. Notre
environnement naturel a toujours vu à notre
bien-être. Maintenant, c’est à nous de veiller
au sien. Ça, c’est le type de Canada que nous
voulons bâtir durant le proche avenir.
STERRITT
La même chose s’est produite sur la côte
de la Colombie-Britannique. Quand je
m’y suis installé il y a quarante-sept ans,
Qu’est-ce qui
vous anime?
Si les choses se déroulaient bien au cours des
vingt prochaines années,
que se serait-il passé?
la terre puissent continuer à nous soutenir
tous. Quand je grandissais, il n’existait
pas de « eux » et de « nous ». Nos chefs
aînés parlaient toujours de partager avec
« Il est temps que les gens reprennent la maîtrise de ce que nous faisons dans ce pays.
Je crois que nous sommes à la veille de démontrer aux Canadiens que ces
grosses compagnies ne peuvent plus agir comme cela. Il ne faut pas être très
intelligent pour connaître la différence entre le bien et le mal, mais il faut être
très courageux pour choisir entre faire ce qui est bien et faire ce qui est mal. »
Quelles décisions
importantes devonsnous prendre en tant
que pays?
Nous devons nous débarrasser de cette
idée que nous ne sommes que de simples
coupeurs de bois et puiseurs d’eau, et que
nous ne sommes pas assez intelligents
pour créer des industries secondaires et
tertiaires. Nous ne pouvons pourtant pas
nous permettre de continuer à exporter
tous nos atouts. J’ai observé, depuis trop
de décennies maintenant, notre exportation systématique vers d’autres pays des
ressources brutes et de l’énergie que l’on
aurait pu utiliser et raffiner ici. Plutôt que
de dépendre des autres, nous devrions être
beaucoup plus perspicaces dans notre façon
d’utiliser nos ressources naturelles, en vue
d’améliorer la vie des gens de notre pays.
Quelles leçons
devons-nous apprendre
de nos échecs passés?
Certaines compagnies disent : « Nous
n’avons pas assez de monde pour faire ce
que nous devons faire, alors il faut aller
chercher des gens ailleurs, dans d’autres
pays. » Pourquoi devons-nous prendre
plus que ce que nous sommes capables
de prendre avec les gens que nous avons
pour le faire? Si nous avons suffisamment de pêcheurs pour prendre 300 000
poissons par année, nous pouvons le faire
indéfiniment. Mais les entreprises disent :
« Doublons nos effectifs pour pouvoir en
prendre deux fois plus. » Toutefois, ceci
ne sera viable que pour encore trente ans.
Les personnes qui vivent dans ces régions
ne veulent pas nécessairement prendre et
prendre démesurément. Les gens cherchent la durabilité et une bonne qualité de vie.
Il y a maintenant environ trois décennies
que les grandes entreprises ont pris le
contrôle et se sont mises à décimer notre
capital naturel. Il est temps que les gens reprennent la maîtrise de ce que nous faisons
dans ce pays. Je crois que nous sommes à
la veille de démontrer aux Canadiens que
ces grosses compagnies ne peuvent plus
agir comme cela. Il ne faut pas être très
intelligent pour connaître la différence
entre le bien et le mal, mais il faut être très
courageux pour choisir entre faire ce qui est
bien et faire ce qui est mal.
125
Catherine
Swift sur
nous faire profiter au maximum de nos
ressources. AVEZ-VOUS ENTENDU LE TERME
→ Catherine Swift, présidente du Conseil de la Fédération
canadienne de l’entreprise indépendante, interviewée le
1er août 2014 par Monica Pohlmann
BANANA? BUILD ABSOLUTELY NOTHING,
ANYWHERE NEAR ANYTHING (NE CONSTRUISEZ ABSOLUMENT RIEN, NULLE PART NI
PROCHE DE RIEN). Chaque groupe d’intérêt
CE QU’IL FAUT
au monde des affaires :
« Chaque groupe d’intérêt particulier semble
avoir maintenant la capacité de freiner la réalisation de
projets de développement économique majeurs. »
POHLMANN
SWIFT
Quand vous
réfléchissez au Canada
d’aujourd’hui, qu’est-ce
qui vous empêche de
dormir la nuit?
La mesure dans laquelle le monde organisé du travail domine notre agenda. Nous
sommes le seul pays qui force encore
les employés à payer des cotisations
syndicales. Les syndicats ont d’énormes
réserves d’argent et peuvent utiliser les
revenus de ces cotisations comme bon
leur semble. J’ai entendu dire qu’ils ont
dépensé des dizaines de millions de dollars exclusivement en publicité pendant
la campagne électorale de l’Ontario.
C’est beaucoup plus que n’importe quel
parti politique a dépensé. Et la semaine
dernière à peine, le syndicat des postes a
pris part à une marche avec Hamas à Ottawa. Ce type de chose serait inadmissible
dans un autre pays.
En fin de compte, il s’agit d’une question
financière. Ici, en Ontario, nos fonctionnaires reçoivent des salaires excessivement élevés. Dans le secteur privé, le
même emploi serait loin de correspondre
au même taux salarial ou aux mêmes avan-
Si vous pouviez poser
n’importe quelle
question à un
clairvoyant sur l’avenir
du Canada, quelle
question lui
poseriez-vous?
126
De quoi se composera notre nouvelle
classe moyenne? Car ce ne sera sûrement
pas la vieille version. En effet, les types
d’emplois exigeant des compétences relativement faibles, mais payant des salaires
élevés, emplois que nous avons perdus au
profit de la technologie et de la mondialisation, ne reviendront jamais.
Notre système éducatif n’est pas bien
adapté au besoin que ressentent les
particulier semble maintenant capable
En tant que pays, de
quel sujet devrionsnous traiter dans nos
conversations que
nous ne traitons pas?
Même si nous devions accélérer
l’immigration, nous ne pourrions raisonnablement accepter qu’environ 200 000
à 250 000 personnes par an. Le problème
est en partie dû au fait que notre politique
sur l’immigration favorise presque exclusivement les personnes hautement qualifiées. Nous faisons venir des gens qui ont
un niveau de scolarité relativement élevé,
mais en même temps, nous leur rendons
souvent très difficile l’accès à des emplois
dans leur domaine. Par conséquent, on a
tages sociaux. Les syndicats accordent
aux gens plus qu’ils ne devraient recevoir.
Quand le gouvernement devient de plus
en plus coûteux, vous pouvez fort bien
pousser une économie à la faillite. Nous
l’avons d’ailleurs vu se produire en Grèce
et à Détroit.
Ceci m’inquiète aussi du point de vue
sociologique, parce que notre système
d’éducation est lourdement dominé par
le monde syndical. Les enseignantes et
enseignants s’opposent à ce que leur
rendement soit évalué, et pourtant tout
le monde sur la planète doit se conformer
sous une forme ou une autre à un objectif
de rendement. Dans un milieu de travail
syndiqué, la promotion est fondée sur
l’ancienneté et non pas sur le bon rendement. Lorsque les mauvais joueurs ne
font pas face aux conséquences et que
les meilleurs ne sont pas récompensés,
pourquoi vouloir exceller?
étudiants, celui de mettre au point des
compétences qui seront nécessaires dans
l’économie future. Nous devons apprendre
à mieux anticiper d’où proviendront les
emplois et les possibilités, et offrir à nos
jeunes la formation et l’enseignement dont
ils ont besoin.
Nous devrions davantage nous demander
où nous allons trouver nos travailleurs
et travailleuses. Aujourd’hui, un grand
nombre d’entreprises lancent un appel à
l’aide et disent : « Nous leur offrirons la
formation, nous les paierons bien, nous
sommes prêts à tout pour trouver des
travailleurs! »
Qu’est-ce qui retient
le plus votre attention
dans ce qui se passe
de nos jours?
Nous sommes dotés de beaucoup plus
d’énergie d’entreprise que ne pensent bien
des gens. Les États-Unis ont la réputation
d’être le pays où l’esprit d’entreprise est
poussé à l’extrême. Mais nous avons fait des
recherches qui montrent qu’en ce qui a trait
à sa tendance de fonder de nouvelles entreprises, et en fonction d’autres indicateurs
également, le Canada est tout à fait au pas
avec les États-Unis. Là où la comparaison
d’empêcher la réalisation de projets
majeurs consacrés au développement
économique. Tout autre pays pourrait
penser : « Quelle chance vous avez de posséder toutes ces merveilleuses ressources!
» Ici, le message qu’on entend, c’est : «
Non, vous ne devez pas les exploiter! »
des gens qui détiennent des doctorats et
qui conduisent des taxis. Il nous faut des
personnes hautement éduquées, mais il
nous faut également des travailleurs et
travailleuses moins compétents.
Le Canada possède l’une des populations
issues du baby-boom les plus disproportionnées du monde, et les gens n’ont plus
autant d’enfants qu’avant. Quand on a
une population vieillissante, cela signifie
que les gens vont quitter le monde du
travail, acheter moins, et en d’autres
mots, ne vont pas stimuler l’économie.
Ces tendances veulent dire que nous
pourrions nous retrouver avec une population stagnante, ce qui mène toujours à
une économie stagnante. Lorsqu’un pays
a une population en déclin, ce à quoi le
Japon fait face à l’heure actuelle, il lui faut
beaucoup de temps pour s’en remettre.
ne joue pas en notre faveur, c’est dans la
quantité d’obstacles bureaucratiques qui
entravent les entreprises et aussi dans la
diabolisation du monde des affaires en général. On ne voit jamais cela aux États-Unis.
Mais ici, il y a encore des gens qui croient
que les affaires sont maléfiques. Sans
profits, nous n’aurions rien, mes amis! Nous
n’aurions même pas de gouvernement!
« Nous sommes dotés de beaucoup
plus d’énergie d’entreprise que ne
pensent bien des gens. »
Qu’espérez-vous laisser
comme héritage?
J’espèrerais laisser les petites entreprises
canadiennes en meilleur état qu’elles ne
l’auraient été autrement. Selon certaines
données, beaucoup de jeunes aujourd’hui
sortent des écoles en déclarant : « Je
veux avoir ma propre entreprise. » C’est
en partie comme cela qu’on influence
l’opinion publique : il s’agit de respecter
les choix de carrière.
J’aimerais aussi savoir si nous trouverons
une façon de surmonter toute l’opposition
qui se dresse contre les projets visant à
127
Peter
Tertzakian
→ Peter Tertzakian, économiste en chef de l’Énergie et
directeur général de ARC Financial, interviewé le
11 septembre 2014 par Brenna Atnikov
sur
NOTRE IMPORTANTE
industrie énergétique :
« Les gens qui passent le plus de temps à dire du
mal des Canadiens sont les Canadiens eux-mêmes. »
Si les choses devaient
mal tourner au cours
des vingt prochaines
années, qu’est-ce qui
se serait passé?
Quand on se promène dans le centreville de Calgary ou qu’on voyage dans
cette merveilleuse province, on sent la
présence de la prospérité. Nous sommes
fréquemment cités comme l’un des cinq
ou dix meilleurs endroits où vivre. Voilà
les bonnes nouvelles. Les mauvaises
nouvelles, c’est que si nous ne sommes
pas prudents, nous n’aurons vraiment
qu’un seul chemin à suivre, et c’est celui
nous attirant vers le bas. Le sentiment de
polarisation qui accompagne la richesse
engendre l’animosité.
NOUS AURONS DE GRAVES PROBLÈMES SI
NOUS PERDONS CONFIANCE EN DES INSTITUTIONS IMPARTIALES ET SÉRIEUSES COMME
ATNIKOV
TERTZAKIAN
Que se passe-t-il au
Canada qui attire
votre attention?
Les industries pétrolière et gazière sont en
train de subir leur plus profond changement depuis cent ans. Les enjeux touchant
l’environnement, la politique, les ressources
et la démographie sont tous en train de
s’entrechoquer simultanément pour transformer notre façon de fournir et de consommer l’énergie. Il est vrai que l’industrie
de pétrole et de gaz a été complaisante :
elle savait que les gens étaient dépendants
du produit et donc, elle n’a pas cherché à
innover. Cependant, depuis 2008 ou 2009,
le niveau d’innovation a été profond. Nous
allons continuellement voir des innovations
jusqu’au milieu de la prochaine décennie.
Depuis l’avènement du Modèle T, nous
avons été tributaires d’un système de
conduite automobile axé sur le pétrole.
Cela est à la veille de changer de manière
importante. L’apparition cumulative de
nouveaux produits, tels que les véhicules
électriques, les véhicules électriques hybrides et différents moyens de transport,
sera conséquente à l’industrie canadienne
de pétrole et de gaz. Aucun de ces produits
ne peut à lui seul remplacer le pétrole, mais
ensemble ils seront tous assez importants
pour amenuiser la croissance exagérée de la
demande pour le pétrole, phénomène dont
le monde entier est témoin depuis le début
ce cette décennie.
Nous ne sommes plus à une époque où
nous pouvons tout simplement attendre
que les prix de l’énergie augmentent.
Nous devons présumer que les prix
resteront stables et même qu’ils pourront
baisser. La façon de rester concurrentiel
dans un marché aussi féroce, c’est d’offrir
un produit moins cher que les autres.
L’industrie canadienne de l’énergie s’est
réveillée devant ce fait il y a quelques années, et nous devenons assez habiles dans
ce sens. Mais si nous ne nous mettons
pas bientôt à traiter des problèmes environnementaux, si nous ne continuons pas
à faire preuve de discipline pour maîtriser
les coûts, et si nous ne commençons pas
à établir des rapports avec de nouveaux
clients et nous adapter à de nouveaux
systèmes, nous serons voués à l’échec.
En revanche, il est frustrant que
l’industrie soit si durement critiquée et ne
soit pas reconnue pour ses réalisations.
En fait, les personnes qui passent le plus
de temps à dire du mal des Canadiens
sont les Canadiens eux-mêmes. Toutefois,
à cause de nos normes réglementaires, de
l’État de droit et de notre façon de fonctionner, le Canada est l’un des cinq plus
importants pays producteurs d’énergie
au monde. Cela n’a pas de sens que tant
d’effort et d’argent soit dépensé pour
diminuer notre rôle. Si l’on veut que le
monde soit un meilleur endroit où vivre,
pourquoi voudrait-on en éliminer un des
principaux producteurs?
Qu’est-ce qui vous
empêche de dormir
la nuit?
128
L’OFFICE NATIONAL DE L’ÉNERGIE. Au cours
de notre histoire, ces institutions ont eu
le dernier mot à l’égard de diverses décisions, mais aujourd’hui, par le biais des
médias sociaux et d’autres techniques de
communication, une minuscule minorité
de gens peut retarder l’exécution de projets. Ils pourraient dire : « Je ne veux pas
d’éoliennes dans ma cour arrière, je ne
veux pas cette centrale hydroélectrique
dans ma rivière, je ne veux pas de panneaux
solaires envahissant cette superficie. »
Mais du même souffle, ils disent qu’ils
veulent de l’énergie à bon marché. Tout le
monde doit accepter une part du fardeau,
même si cela veut dire avoir une ligne à
haute tension pas loin de chez soi. Voilà
peut-être ce qu’un individu doit accepter
pour le plus grand bien du pays. Le fait
que de petits groupes de gens puissent
contourner les institutions qui aident à
rendre notre pays formidable constitue
un problème national. L’autre extrémité
de ce spectre serait l’autoritarisme, ce que
nous ne voulons pas non plus. J’ai toujours
eu l’impression que nous avions un bon
équilibre, mais je deviens maintenant un
peu nerveux vis-à-vis de la direction dans
laquelle nous nous acheminons.
« Les mauvaises nouvelles,
c’est que si nous ne sommes
pas prudents, nous n’aurons
vraiment qu’un seul chemin
à suivre, et c’est celui nous
attirant vers le bas. »
129
Michel
Venne
→ Michel Venne, directeur général de l’Institut
du Nouveau Monde, interviewé le 27 juin 2014
par Adam Kahane
sur
LA PARTICIPATION :
« Les décisions sont prises par un petit
groupe de privilégiés qui protègent leur
propre position et leur propre pouvoir. »
KAHANE
VENNE
Y a-t-il quelque chose
dans votre propre vécu
qui explique ce qui
vous intéresse et vous
anime aujourd’hui?
En 1971, mon père est mort de cancer à
l’âge de 48 ans. L’Assurance maladie du
Québec venait d’être créée et le Régime
des rentes du Québec était très récent. Sa
mort a plongé ma famille dans la pauvreté.
Nous sommes rapidement passés de la
classe moyenne à une classe défavorisée.
Il ne faut pas beaucoup de temps pour se
rendre compte que d’être pauvre veut
dire être exclu; on n’a pas de place dans le
jeu de la société, on n’est même pas sur le
terrain, on est à peine spectateur.
J’ai choisi le journalisme comme carrière
parce que l’information, c’est le pouvoir.
Le Québec est-il
une société égalitaire?
D’après vous, quelles
seront les conséquences
à long terme de cette
tendance?
130
J’ai toujours imaginé mon rôle de journaliste ainsi : partir à la recherche de la
connaissance, la rendre accessible, puis la
transmettre à ceux qui n’ont pas de pouvoir pour qu’ils en aient davantage.
J’ai fini par comprendre que oui,
l’information c’est le pouvoir, mais le vrai
pouvoir, ai-je compris plus tard, c’est la
participation. Quand je parle aujourd’hui
de l’importance de la participation à des
gens du monde des affaires ou du monde
politique, je leur dis que la participation
signifie partager le pouvoir.
Nous sommes la société la plus égalitaire
de l’Amérique du Nord, mais comparativement à il y a vingt ans, il y a plus d’inégalités
de revenus, aujourd’hui, au Québec. Ces inégalités s’accroissent moins vite qu’ailleurs
dans le monde, mais elles s’élargissent
malgré tout, surtout entre les plus riches
et le reste de la société. On a aussi vu
d’autres fossés se creuser : une plus petite
proportion de la population fréquente
les salles de concert ou les musées, un
nombre croissant de parents inscrivent
leurs enfants à l’école privée. Qui décroche
de l’école? Souvent les enfants de familles
moins favorisées.
MAIS SI CETTE QUESTION DES DOLLARS ME
Si l’on continue dans la même veine, dans
vingt ou trente ans, la société canadienne
sera encore plus fragmentée au point de
vue économique, social et culturel. Je
ne suis pas un maniaque du consensus,
parce qu’il est possible d’avoir de bonnes
discussions dans une société qui est unie.
Donc, il ne s’agit pas d’unanimité, parce
que l’unanimité mènerait à la dictature.
Cependant, il faut cultiver ce qui nous unit
pour mieux vivre ensemble. Il nous faut au
moins un tronc commun.
Quelles sont certaines
des forces qui
pourraient nous
diviser davantage?
Quelle incidence la
fragmentation peutelle avoir sur notre
système politique?
L’une de mes préoccupations est que de
plus en plus de gens ne font plus le lien entre les impôts qu’ils paient et les services
qu’ils reçoivent. De plus en plus de gens
pensent que les autres ne paient pas leur
juste part. J’ai peur qu’avec le temps, les
gens acceptent de moins en moins le principe de contribuer par leurs impôts au
bien commun. Les gens acceptent qu’une
bonne partie de leur salaire soit versée au
gouvernement parce qu’ils se sentent ap-
partenir à une société ou à une nation.
Dans notre société, à l’heure actuelle,
nous ne faisons pas confiance aux gens
qui ont du pouvoir et nous ne faisons pas
confiance non plus à ceux qui n’ont pas
de pouvoir. Nous vivons dans l’insécurité.
Et quand on vit dans l’insécurité, on peut
décider soit de se tourner le dos les uns
aux autres, soit de se serrer les coudes.
J’espère qu’au Québec et au Canada, nous
déciderons de nous serrer les coudes.
Un mauvais scénario qui pourrait se
dérouler, ce serait que l’école universelle
n’existerait plus, et que chacun déciderait
ce qu’il veut apprendre. On perdrait alors
la compréhension commune du monde,
qui est fondée sur un compendium de connaissances accumulées au fil des siècles.
Notre façon de consommer l’information
est également un facteur. Avant l’arrivée
d’Internet, les 350 000 personnes qui
lisaient La Presse en format imprimé
chaque matin voyaient les mêmes pages.
Le million de gens, qui regardaient le téléjournal chaque soir, étaient tous soumis
au même discours. Ces sources médiatiques constituaient une sorte de place
publique, où nous nous rassemblions tous
pour partager et débattre des questions
du jour. Maintenant, je lis La Presse sur
mon iPad et je cherche précisément les
articles que je veux lire. Mon voisin fait
de même et ne choisit probablement
pas les mêmes articles. Encore une fois,
cette segmentation mine notre sens
d’appartenance au collectif.
Je vois se fracturer notre forme parlementaire de gouvernement, mais je
ne vois pas encore ce qui la remplacera.
Toutes les institutions sont destinées à
mourir et à être remplacées par d’autres.
Pour moi, le véritable défi consiste à
savoir comment on va prendre des décisions pour continuer à répondre aux
besoins de la société de manière juste,
équitable et efficace.
PRÉOCCUPE, JE M’INTÉRESSE SURTOUT À
CELLE DE L’ACCÈS AU POUVOIR. Les pauvres
et les jeunes ont tendance à voter moins que
les autres groupes. Ceci a une incidence sur
la façon dont les politiques gouvernementales sont adoptées. À partir du moment
où de moins en moins de gens participent
aux élections, les décisions sont prises par
un petit groupe de privilégiés qui protègent
leur propre position et leur propre pouvoir.
« Je vois se fracturer notre forme
parlementaire de gouvernement, mais je
ne vois pas encore ce qui la remplacera. »
Qu’avons-nous appris
du passé qui pourrait
nous être utile dans les
années à venir?
Au cours des derniers 400 ans de civilisation humaine, on est passé du temps où
les rois possédaient à eux seuls un pouvoir
qui, disaient-ils, leur venait directement de
Dieu, à l’avènement de la démocratie où le
pouvoir venait du peuple. Ceci démontre
qu’il est possible pour l’humanité de surmonter la barbarie. Mais nous sommes en
train de recréer les élites aristocratiques
qui accaparent le pouvoir. Heureusement,
nous avons un sens solide du passé, et nous
avons la capacité de renverser les tendances. C’est pour ça que je peux dormir la
nuit. Mais il faut persévérer, et de temps en
temps il faut se mettre en colère.
131
Annette
Verschuren
→ Annette Verschuren, PDG de la compagnie de
stockage d’énergie NRStor., interviewée le
7 octobre 2014 par Brenna Atnikov
sur
L’INNOVATION
économique :
« Pourquoi ne pouvons-nous pas être le pays
qui exploite les combustibles fossiles et les
minéraux d’une façon plus responsable? »
ATNIKOV
VERSCHUREN
Qu’est-ce qui vous
empêche de dormir
la nuit?
La discussion de l’économie, d’une part
contre l’environnement, d’autre part. Nous
n’allons jamais innover si nous restons polarisés sur ces deux questions. Pourquoi ne
pouvons-nous pas ajouter de la valeur à nos
industries et en même temps assumer une
plus grande part de responsabilité dans la
gestion de nos ressources naturelles? Il est
sain d’avoir différentes opinions, mais non
pas si l’on réduit les enjeux au choix entre
noir ou blanc. Quand on est trop à droite
ou trop à gauche vis-à-vis d’un problème, il
est très rare qu’on réussisse à le régler. La
zone grise, c’est quand on trouve des solutions. En ce moment, nous nous attardons
sur les détails et ne nous penchons pas
sur les grandes questions. Il faut que nous
trouvions plus de choses sur lesquelles nous
pouvons tous nous mettre d’accord.
La nouvelle économie viendra du fait que
l’on trouvera des moyens plus efficaces
de produire des aliments et de l’énergie,
d’utiliser l’eau, d’extraire et de raffiner le
pétrole et le gaz naturel, d’extraire des
minéraux. Pourquoi ne pouvons-nous
pas être le pays qui entreprend le défi de
réduire l’empreinte carbone? Pourquoi ne
pouvons-nous pas être le pays qui exploite
les combustibles fossiles et les minéraux et
autres produits semblables de la façon la
plus responsable au monde? Nous excellons
dans tant de choses! Nous comptons parmi
les chefs de file mondiaux en recherche sur
le cerveau et en diagnostic du cancer. Il y a
aussi des choses formidables qui se passent
ici en technologie de l’information et des
communications, en gestion des données,
en analyse de mégadonnées. Armés de
notre main-d’œuvre hautement compétente et d’une multitude d’installations de
recherche partout au pays, nous avons un
énorme potentiel pour résoudre toutes
sortes de problèmes.
Si les choses tournent
bien au cours des vingt
prochaines années,
qu’est-ce qui devra
se produire?
132
NOUS NE NOUS PRÉOCCUPONS PAS SUFFISAMMENT DE L’ÉCONOMIE DANS NOTRE
PAYS. LES EMPLOIS NE SONT PAS LÀ, LES
FONDS DE PENSION NE SONT PAS LÀ, LES
GENS NE VIVRONT PAS HEUREUX JUSQU’À
LA FIN DES TEMPS. Il se peut que nous
n’ayons pas frappé le mur assez fort. Je me
demande avec inquiétude d’où viendront
les nouveaux emplois et si les autres pays
vont nous les voler. La technologie propre
utilisée par la Corée, la Chine, le Japon et
certaines régions européennes est tellement avancée en comparaison avec ce que
nous faisons ici. Nous devons absolument
nous rattraper.
Quelles sont les
décisions importantes
que devra bientôt
prendre le Canada?
énergétique. Il possède les meilleures villes
avec les meilleurs réseaux de transport en
commun. Pour que cela se réalise, nous
devons adopter une perspective à plus long
terme; nous ne pouvons pas nous contenter
d’attendre au prochain trimestre pour voir
les résultats qui vont sortir.
En tant que Canadiens, nous sommes
appelés à repenser à ce que nous voulons
devenir et à ce que les autres verront
en nous. Nous ne plaçons pas les bons
investissements aux bons endroits, parce
que nous ne savons pas où nous allons. Il
nous faut être plus optimistes et réussir à
pousser notre société vers la création de
notre propre valeur. Les gens veulent se
rallier derrière un avenir, mais à l’heure
actuelle, personne ne leur décrit ce que
sera cet avenir. Le leadership peut vraiment entraîner des changements, et les
gens suivront ce qu’ils croient être une
vision sensée pour le pays. Si la vision est
claire, nous trouverons le moyen d’y arriver. Nous avons besoin de leaders inspirants venant des syndicats, des Premières
Nations, des affaires, du gouvernement
pour nous mener jusqu’à ce point.
« La zone grise,
c’est quand on trouve
des solutions. »
J’aimerais qu’on dise un jour que le Canada
a été un peu hésitant pendant quelques
années à choisir la voie il allait s’engager,
mais regardez aujourd’hui tout ce qu’il
a réussi à faire. Il a réduit son empreinte
133
Tamara
Vrooman
→ Tamara Vrooman, présidente directrice générale
de Vancity, interviewée le 25 septembre 2014
par Monica Pohlmann
sur
LA DÉMOCRATIE
économique :
« Les débats sont devenus polarisés et
institutionnels plutôt qu’engagés et personnels. »
POHLMANN
VROOMAN
Qu’est-ce qui vous
empêche de dormir
la nuit?
Le fait que nous devenons passifs et que
nous risquons de tenir pour acquises
toutes ces choses qui ont fait du Canada
la société tolérante, ouverte, diversifiée
et accueillante dans laquelle nous avons le
privilège de vivre. Notre grandeur ne s’est
pas produite par hasard. Si l’on n’y travaille
pas assez, nous courons le risque de la
diminuer et de la perdre. Et alors, quelle
sorte de pays allons-nous laisser à nos
enfants et petits-enfants?
Selon notre tradition, nous travaillons ensemble, nous nous parlons de divers sujets
et nous sommes tolérants des différences
d’opinions. On ne voit plus cela beaucoup.
Les débats sont devenus polarisés et institutionnalisés plutôt qu’engagés et personnels. Il n’y a plus d’occasions pour les voix
individuelles d’être cultivées et encoura-
Qu’est-ce qui vous
anime au sujet
du Canada?
134
Somme toute, le Canada est une région
très diversifiée qui bénéficie d’une société
hétérogène. Cela contribue de façon considérable à notre force et à notre capacité de
voir les choses différemment et de forger
un avenir différent. À Vancouver, soixantequinze pour cent des jeunes de dix-sept ans
et moins ont un parent qui ne vient pas de
ce pays. Ceci entraîne un énorme sens de
renouvellement, d’énergie, de tolérance et
de créativité vis-à-vis de ce qui est possible.
gées. Je m’inquiète que dans notre course
pour bien faire les choses, pour être
compétitifs et efficaces, nous prenions des
décisions qui ne soient pas inclusives, qui
soient pour le court terme seulement, et
qui ne profitent pas des perspectives de
bien d’autres gens. Nous pouvons penser
que nous prenons une certaine décision,
que nous faisons avancer les choses, mais
à la fin, nous regretterons de ne pas avoir
inclus les diverses voix, parce que nous
n’aurons pas pris les meilleures décisions.
Et éventuellement, cette approche nous
ralentira et nous coûtera de l’argent,
du temps, du capital social et du capital
naturel. Nous devons revenir à notre
tradition de nous engager, de consulter, de
débattre, d’écouter et de réfléchir.
Je suis animée par le fait qu’enfin, après
si longtemps, nous entretenions des
échanges sur la réconciliation avec les peuples autochtones. Les non-autochtones
commencent seulement à comprendre le
privilège que cela représente de partager
un pays avec les autochtones, de qui nous
avons beaucoup à apprendre. La sagesse
autochtone forme une très grande partie
de notre histoire ainsi que de notre avenir.
Je suis tellement impressionnée par la
façon dont l’effort de réconciliation est
repris partout au pays.
Selon vous, quelles
leçons importantes du
passé devrions-nous
retenir en avançant
vers l’avenir?
Ce n’est pas facile de juger les actions des
autres qui ont évolué dans un contexte
différent, mais en rétrospective, quand les
choses ne se sont pas bien passées, c’est
parce que nous n’avons pas écouté ou compris ou collaboré avec d’autres. Les pensionnats en sont un exemple. À part le racisme
évident et la souffrance personnelle dont
nous sommes responsables, nous avons
perdu toute une génération de chances
d’apprendre et de croître ensemble. Ce fut
une perte colossale de capital humain, de
potentiel humain.
Que souhaitez-vous
contribuer par
votre travail?
IL EST DIFFICILE D’AVOIR UNE DÉMOCRATIE
accès à un compte bancaire et à d’autres
services que vous et moi tiendrions pour
acquis. Nous entendons de plus en plus
parler de l’inégalité des revenus. Penser
que la démocratie économique n’a rien
à voir avec l’inégalité des revenus serait
comme dire que le droit de vote n’a rien à
voir avec le suffrage universel. C’est évident qu’il y a un lien entre les deux.
OU UN ENGAGEMENT AU NIVEAU POLITIQUE
SI L’ON N’A PAS UNE DÉMOCRATIE OU UN ENGAGEMENT AU NIVEAU ÉCONOMIQUE. Dans
mon travail, je cherche à m’assurer que
les personnes aient accès à l’information
et au soutien qu’il leur faut pour prendre
des décisions éclairées. Nous cherchons
également les moyens d’inclure plus de
gens dans l’économie et dans le système
financier, c’est-à-dire les gens qui n’ont pas
« Quand les choses ne
se sont pas bien
passées, c’est parce
que nous n’avons pas
écouté ou compris ou
collaboré avec d’autres. »
135
Sheila
Watt-Cloutier
→ Sheila Watt-Cloutier, ancienne présidente du
Conseil circumpolaire Inuit, interviewée le
14 octobre 2014 par Adam Kahane
sur
LE DROIT
Imaginez un avenir
florissant où les choses
auraient bien tourné. À
quoi cela serait-il dû?
Il n’est pas si difficile d´interviewer des
chefs d’entreprise, de choisir lesquels on
va accueillir et de signer un contrat en
bonne et due forme. En revanche, il est
beaucoup plus difficile de bien étudier et
de planifier réellement les actions qu’il
nous faut entreprendre dans l’intérêt de
nos communautés. Il est important pour
nous de ne pas nous sentir piégés par
cette unique proposition qu’on nous fait
miroiter. Nous pouvons puiser à même
l’ingéniosité, la créativité et la sagesse
des Inuits pour assurer la durabilité des
ressources dans nos communautés.
Nous nous dirigeons actuellement vers la
création d’entreprises se rapportant aux
mines, et ceci est un moyen pour nous de
nous habiliter nous-mêmes. Nous sommes en train d’acquérir les compétences
nécessaires pour maîtriser nos moyens
de survie et de prospérité dans notre
contexte futur.
Qu’est-ce qui retient
votre attention ces
jours-ci?
Lorsque les Canadiens songent au développement des ressources dans le Nord,
ils prennent rarement en considération la
dimension humaine. Le gouvernement actuel considère l’Arctique comme une occasion offerte à la grande superpuissance
énergétique de nourrir le monde entier,
mais en pensant de la sorte, il ne reconnaît pas le fait que les familles inuites, qui
cherchent simplement à nourrir leurs
proches, seront négativement touchées
par la détérioration de l’environnement.
Il y a des gens qui ne saisissent pas tout
à fait pourquoi nous voulons chasser ou
manger des phoques plutôt que d’aller au
supermarché pour acheter du poulet ou
des côtelettes de porc. Ils ne comprennent pas l’importance pour nos communautés de continuer de respecter et
d’absorber la sagesse que nous apprend
la culture de chasse. La terre, la glace et la
neige sont un terrain de formation pour
développer notre sens d’identité et notre
force de caractère. Nous y apprenons
la patience. Nous y apprenons à être
courageux et audacieux au bon moment.
Nous y apprenons à ne pas être impulsifs,
parce qu’autrement, nous courons des
risques pour nous-mêmes ainsi que pour
nos êtres chers. Nous y apprenons comment endurer des situations stressantes
et avoir un jugement et une sagesse
solides. Nous y apprenons non seulement comment le monde fonctionne,
mais aussi comment nous fonctionnons.
Dans l’enseignement scolaire institutionnalisé, ces valeurs sont très distinctes les
unes des autres, mais dans la tradition de
chasse, elles font partie d’un tout.
au froid :
« Les compagnies de développement des
ressources sont ni plus ni moins comme l’étaient les
missionnaires et marchands de fourrures. »
KAHANE
WATT-CLOUTIER
Qu’est-ce qui vous
empêche de dormir
la nuit?
Les Canadiens entendent parler des taux
élevés de suicide, de toxicomanie et de
violence au sein de la population inuite.
Ils observent ces symptômes, mais ils
n’en comprennent pas le contexte, alors
ils portent des jugements à notre égard.
C’est toute cette question des « autres ».
Ils ne peuvent pas suivre le programme, ils
ne savent pas comment faire ceci ou cela.
L’adaptation est un des points forts des
peuples autochtones, donc ce n’est pas
que nous ne nous adaptons pas; c’est la
soudaineté avec laquelle les événements
ont eu lieu, les traumatismes historiques
et les politiques qui nous ont rendus
dépendants et nous ont fait perdre le sens
de qui nous étions.
NOUS AVONS CÉDÉ NOTRE SAGESSE ET
NOTRE CONTRÔLE À UN POUVOIR QUE
NOUS CRAIGNIONS. Voilà pourquoi il est
important d’habiliter nos gens pour qu’ils
fassent les choix que nous estimons être
bons pour nous, afin d’alléger les problèmes auxquels nous nous heurtons, comme la toxicomanie et le manque d’emploi,
ou encore d’améliorer nos systèmes de
santé et d’éducation. Mon livre est intitulé
Le droit au froid. Ce n’est pas que nous
voulons avoir froid et frissonner; le livre
porte sur ce que cela signifie pour les
habitants de l’Arctique de défendre notre
droit de faire nos propres choix tout en
protégeant notre environnement, ainsi
que notre culture de chasse traditionnelle
qui dépend du froid.
C’est facile pour les gouvernements de
faire miroiter le développement des ressources avec la promesse de réduire la
136
pauvreté en procurant des emplois à tout
le monde. Mais quand ils répètent perpétuellement : « Nous savons ce qui est dans
votre meilleur intérêt », ils n’ont pas tout
à fait saisi. Lorsque les compagnies du
développement des ressources viennent
s’installer, elles agissent ni plus ni moins
comme le faisaient les missionnaires et
les marchands de fourrures à l’époque.
L’approche des missionnaires est de dire
: « Si vous faites ce que je vous dis, votre
âme sera sauvée. » Avec ces nouvelles
institutions, c’est pareil.
Personne ne s’intéressait à l’Arctique
avant que la glace n’ait commencé à fondre, mais maintenant que les ressources
sont mises à nu et sont donc plus faciles
d’accès, des avions bondés d’exploitants
atterrissent chez nous. Certaines entreprises offrent de gros montants d’argent
au ministère de l’Éducation du Nunavut
pour qu’il commence à élaborer des programmes pour enfants dès la troisième
année scolaire, dans le but d’intégrer
éventuellement ces enfants dans leur
main-d’œuvre. Mais qu’arrivera-t-il quand
l’exploitation minière s’en ira? Sera-t-il
possible de transférer ces compétences
à d’autres emplois? Ces entreprises sont
déjà venues et reparties ailleurs dans le
monde, ne laissant derrière elles que des
communautés dévastées. Je m’inquiète
du fait qu’on creuse la terre qui est sacrée
pour nous depuis des millénaires, et qu’en
même temps on leurre nos habitants en
agitant l’argent et les fiches de travail
comme des appâts. Je crains que cela
ne fasse qu’aggraver les luttes que nous
devons mener.
« Nous sommes en train d’acquérir les compétences
nécessaires pour maîtriser nos moyens de survie
et de prospérité dans notre contexte futur. »
Qu’est-ce que les autres
peuvent apprendre
des Inuits?
Peu de gens savent et apprécient le fait que
les Inuits sont les inventeurs du qajaac, un
des bateaux les mieux conçus au monde.
Nous sommes les architectes d’une maison
de neige assez chaude pour dormir nus avec
des couvertures de fourrure. Nous savons
comment interpréter les conditions météorologiques et comment nous déplacer
avec les constellations comme guides.
Toutes les façons pour nous non seulement de survivre, mais de prospérer dans
l’Arctique, nous viennent de notre ingéniosité. Nous avons pu nous épanouir dans un
milieu où la plupart des gens ne survivraient
pas plus d’une heure.
Nous savons bien des choses sur la durabilité. Dans la culture de chasse, les principes fondamentaux sont de respecter la
nature, de se respecter les uns les autres, de
partager et de ne prendre que ce dont on a
besoin. Ce sont là les piliers fondamentaux
d’un monde durable. La culture inuite peut
servir de modèle d’un Arctique durable et
d’une planète durable.
137
Joseph
Wilson
→ Joseph Wilson, conseiller en éducation au
MaRS Discovery District, interviewé le
2 août 2014 par Monica Pohlmann
sur
Qu’est-ce qui vous
anime ces jours-ci au
sujet du Canada?
Nos jeunes. Ce n’est pas à la mode de
défendre les adolescents, mais ils me
remplissent d’espoir. Les jeunes ont
l’esprit créateur, subversif et tenace,
et ils n’ont peur de rien. Nous pouvons
apprendre par leur exemple comment
nous mettre en colère plutôt que d’être
complaisants face à l’injustice. Nous, les
adultes, avons tendance à porter nos in-
stitutions gouvernementales, religieuses,
familiales et économiques à un niveau de
révérence qu’elles ne méritent pas. Nous
avons besoin de nos enfants pour poser
des questions difficiles, à savoir d’où sont
venus ces systèmes et pourquoi sont-ils
comme ils sont. Nous avons besoin d’eux
pour fouiller les questions en profondeur
et ne pas nous satisfaire du statu quo.
Si les choses devaient
mal tourner au cours
des vingt prochaines
années, qu’est-ce qui
se serait passé?
IL EXISTE UN DÉCALAGE CONSIDÉRABLE À
résultat, nous ne possédons pas le capital
intellectuel ou créateur pour résoudre
nos problèmes colossaux. »Dans vingt ans,
notre système de soins de santé pourrait
être complètement surchargé. Nous nous
dirigeons vers une sorte de tempête parfaite avec une population vieillissante et un
système de santé déjà étiré jusqu’au bout,
ce qui risque de donner lieu à une société
encore plus inégale. Les nouveaux immigrants, les autochtones, les populations
vulnérables pourraient ne pas avoir accès
aux soins de santé auxquels ils ont droit.
Et si les choses allaient
bien au cours des vingt
prochaines années, que
pourrait-on en dire?
On ne peut pas commencer à inculquer
une culture d’entrepreneuriat chez des
étudiants diplômés âgés de vingt-cinq ans.
Nous enseignons la pensée d’entreprise
dans les écoles primaires, secondaires et
intermédiaires, et aussi, depuis peu, dans
les maternelles. Les habitudes de pensée
des bons entrepreneurs correspondent
fidèlement aux compétences du vingt-etunième siècle qu’on leur a enseignées dès
‘APPRENTISSAGE :
« Quand on se trouve à New York ou à Silicon Valley ou
à Londres, on s’aperçoit que les gens envient ce que
nous réalisons dans le domaine de l’éducation. »
POHLMANN
WILSON
Quels sont les cas où
nous avons su réaliser
notre potentiel à titre
de nation?
Nous sommes reconnus dans le monde
entier pour notre système d’éducation.
L’enseignement public est une institution
respectée; nous payons nos enseignants
et enseignantes relativement bien; nous
avons un bon système d’examens de
contrôle standardisés; et ici, l’écart en
matière d’égalité n’est pas énorme. Les
Canadiens accordent autant de valeur
à leur système d’éducation qu’à leur
système de soins de santé. Ceci engendre
des pressions pour innover, autant dans le
secteur privé que public. Toronto abrite
ce qui est probablement le plus important
regroupement d’activités innovatrices
du monde en éducation. Nous avons des
universités de haute qualité ainsi que
des gens talentueux qui obtiennent un
diplôme de ces universités. Quand on les
livre à une situation problématique comme celle de l’éducation, on obtient des
résultats vraiment intéressants. Prenez
les MOOC — les Massive Open Online
Courses, ou cours ouverts offerts en ligne
— qui existent partout maintenant, mais
qui ont été inventés au Canada. Quand on
se trouve à New York ou à Silicon Valley
ou à Londres, les gens envient ce que nous
faisons dans le domaine de l’éducation.
Qu’est-ce qui vous
inquiète au sujet du
Canada aujourd’hui?
Le manque d’attention vis-à-vis de
l’enseignement des autochtones est
honteux! À l’avenir, c’est quelque chose
qui nous hantera et nous dirons : « J’ai
du mal à croire qu’en 2014, l’éducation
des autochtones était tellement sous
financée! » La plus récente proposition
du gouvernement fédéral concernant
l’éducation autochtone a été un échec. Je
me préoccupe du fait qu’il faudra encore
dix ans avant qu’une autre occasion se
présente pour réexaminer cette question en profondeur. Le sexisme demeure
endémique au sein de la société. Une
donnée statistique, que j’ai entendue
récemment, dit que si nous financions
les femmes entrepreneures au même
taux que les hommes entrepreneurs, cela
créerait six millions d’emplois au cours de
cinq ans. Les investisseurs en capital de
risque ont tendance à favoriser les gens
qu’ils comprennent, c’est-à-dire surtout
les hommes blancs. Mais certaines des
meilleures idées que l’on voit, surtout
en éducation et en innovation sociale,
proviennent des femmes. Si celles-ci sont
exclues du type traditionnel de financement, nous avons là un problème, non
seulement au point de vue moral, mais
aussi au point de vue de notre économie
et de la création d’emplois.
138
L’HEURE ACTUELLE ENTRE CE QUE NOUS
SAVONS ÊTRE NÉCESSAIRE POUR NOTRE SYSTÈME ÉDUCATIF ET CE QUE NOTRE SYSTÈME
ÉDUCATIF EST CAPABLE DE NOUS DONNER.
Dans vingt ans, nous pourrions bien y jeter
un regard rétrospectif et dire : « Nous savions qu’il nous fallait redoubler nos efforts
en innovation et en pensée créatrice pour
le bien de l’économie et pour résoudre
des problèmes complexes. Plutôt, nous
avons insisté pour que tout le monde
acquière les mêmes connaissances de
base, et nous avons ni plus ni moins anéanti
toute créativité chez nos enfants. Comme
l’école primaire, y compris les communications, l’endurance et le travail d’équipe.
Les entrepreneurs qui œuvrent seuls ne
sont pas financés. Le travail se fait toujours
en équipe et les membres de ces équipes
doivent démontrer qu’ils peuvent travailler ensemble, faire face aux situations
adverses et connaître leurs points faibles
autant que leurs points forts. Ce sont des
aptitudes qu’on apprend dès la maternelle.
« Nous avons besoin de nos enfants pour
poser des questions difficiles, à savoir d’où sont venus
ces systèmes et pourquoi sont-ils comme ils sont. »
Quelles leçons
devons-nous apprendre
de nos échecs passés?
La situation déplorable et perpétuelle
des autochtones, ainsi que l’incapacité
de bien des immigrants de prospérer
dans ce pays, sont des échecs sur le plan
moral et économique. Tout ce potentiel
inutilisé et cette créativité inexploitée
constituent une énorme perte pour notre
société. Nous devons reconnaître que le
type d’autosatisfaction qui accompagne
le succès peut servir d’outil d’oppression.
Malheureusement, le fait que nous ayons
eu l’arrogance de vouloir imposer aux
autres nos propres structures et systèmes
ne semble pas avoir été une leçon que nous
avons très bien apprise.
139
Yuen
Pau Woo
qui vivent à l’étranger et à les considérer
comme faisant partie d’une stratégie
d’interconnexion globale. Par exemple,
les Canadiens qui vivent à l’étranger
depuis plus de cinq ans n’ont pas le droit
de voter. AU FOND, CETTE LOI DIT QU’UN
→ Yuen Pau Woo, ancien président et chef de la direction
de la Fondation Asie Pacifique du Canada, interviewé le
4 septembre 2014 par Monica Pohlmann
sur
NOS RAPPORTS
CANADIEN QUI HABITE À L’INTÉRIEUR DES
LIMITES GÉOGRAPHIQUES DU PAYS EST
DAVANTAGE UN CITOYEN QU’UN CANADIEN
VIVANT À L’EXTÉRIEUR DU PAYS. Nous devri-
avec l’Asie :
« Nous ne tenons pas compte du fait que la
Chine a sauvé le Canada d’une récession qui aurait pu
être bien plus désastreuse que prévu. »
POHLMANN
WOO
Quand vous regardez
ce qui se passe au
Canada, qu’est-ce
qui vous empêche
de dormir la nuit?
La complaisance. Le Canada a le privilège
de posséder d’abondantes richesses naturelles et de nombreux atouts politiques
et institutionnels. Mais notre cote est en
train de baisser et la position que nous
occupons dans le monde pourrait se détériorer très nettement.
Qu’est-ce qui vous anime
au sujet du Canada?
140
Nous pouvons faire beaucoup plus encore
dans nos rapports avec la Chine. Nous
traînons derrière les autres à cet égard,
pourtant, il n’y a pas de sens d’urgence ou
de stratégie à long terme pour nous permettre de rattraper la concurrence. Cette
complaisance est en partie attribuable
à un manque de compréhension de la
signification profonde des changements
économiques et politiques qui se déroulent à l’heure actuelle dans l’ensemble du
Pacifique. Les Canadiens ont bien sûr des
raisons légitimes d’exprimer des réserves
devant tous les défis que représentent
la Chine et d’autres pays d’Asie, mais ce
serait naïf de ne pas reconnaître que de
grands changements mondiaux sont en
cours, et que pour demeurer pertinent comme puissance, le Canada doit
s’engager vigoureusement. Par exemple,
ce serait une erreur de présumer qu’avec
la relance de l’économie américaine déjà
en cours, le Canada peut revenir à la situation d’avant 2008 et peut donc oublier la
diversification des marchés. L’économie
américaine subit des changements
structurels, avec l’émergence du gaz et
de l’huile de schiste américains étant un
facteur parmi les autres qui se répercuteront sur le Canada de façon négative dans
un environnement économique changeant. Nos dirigeants politiques et nos chefs
d’entreprises ont fortement tendance à
vouloir faire revivre l’époque pré-2008 et
à éviter l’effort qui consiste à s’orienter
davantage vers le monde extérieur.
Que les Canadiens se rendent compte
que leur avenir, et par conséquent l’avenir
du Canada, dépend des liens établis avec
le reste du monde. Toutefois, il y a un
écart entre les individus canadiens qui
ont des aspirations sur le plan mondial
et un grand nombre de nos institutions,
structures ou lois qui découragent les Canadiens de se mondialiser. Il y a beaucoup
de résistance à reconnaître les Canadiens
Ce qu’on entend dire le plus souvent pour
expliquer pourquoi le Canada n’a pas
plongé dans une récession plus grave en
2008, c’est que nous avons des banques
solides et un bon système de réglementation financière, par exemple, nous
n’avions pas le problème américain de
prêts hypothécaires à haut risque. Cela
est vrai, mais nous ne tenons pas compte
du fait que la Chine a sauvé le Canada
d’une récession qui aurait pu être bien
plus désastreuse que prévu. Si l’on veut
savoir ce qui a empêché une chute encore
plus abrupte du taux de croissance entre
2008 et 2011, la réponse est claire, c’est
la demande chinoise. Les exportations
du Canada vers la Chine ont doublé entre
2008 et 2013. Les exportations du Canada
vers le reste du monde, y compris les
États-Unis, n’ont toujours pas rejoint les
niveaux qu’elles avaient en 2007.
ons pourtant être fiers des Canadiens
qui poursuivent l’excellence dans leurs
carrières ou dans diverses autres activités à l’étranger et nous devrions faire de
Si vous pouviez poser
des questions à un
voyant sur l’avenir du
Canada, que lui
demanderiez-vous?
En tant que ville la plus asiatique à
l’extérieur de l’Asie, comment évoluera
Vancouver? Aujourd’hui, environ
quarante-cinq pour cent de la population de la zone métropolitaine recensée
de Vancouver est d’origine ethnique
asiatique. D’ici dix ans, Vancouver sera une
ville majoritairement « asiatique ». Cela
entraînera-t-il des changements en ce qui
concerne le commerce, les affaires et la
culture populaire? Est-ce que Vancouver
se branchera sur le dynamisme et les défis
de l’Asie contemporaine et servira de lien
transpacifique ou est-ce que Vancouver
se contentera de suivre une trajectoire
nord-américaine caractéristique soit
celle d’une ville abritant un grand nombre
d’Asiatiques, mais ayant peu d’attaches
profondes avec l’Asie? Beaucoup de
l’empreinte internationale du Canada un
aspect positif de notre marque dans le
monde. Chaque fois que je mentionne le
besoin d’être plus orientés vers le monde
extérieur, une des réponses représentatives qu’on me donne est : « Oui, mais
vous n’avez qu’à vous promener dans les
rues de Vancouver ou de Toronto, et vous
verrez trente différentes nationalités et
souches ethniques en l’espace d’un pâté
de maisons. » Ce qui laisse entendre
qu’on peut être « mondialisé » sans
nécessairement quitter le pays.
gens me disent : « Je veux bien qu’on ait
des immigrants, mais à condition qu’ils
deviennent des Canadiens. » Il est certain
que l’intégration des immigrants est une
question très importante sur laquelle nous
devons constamment travailler. Mais comment définit-on « être Canadien »? Est-ce
que c’est quelque chose de fixe? Est-ce que
les nouveaux venus peuvent avec le temps
façonner ce que signifie « être Canadien
»? La réponse est sans doute oui, mais
comment cela va-t-il se produire et quels
seront les compromis à faire? Pour choisir
une illustration simple, ne devrait-on pas
enseigner davantage les langues asiatiques
dans les écoles de Vancouver, puisqu’une
si grande proportion de la population est
d’origine asiatique?
« Nos dirigeants politiques et nos chefs d’entreprises
ont fortement tendance à vouloir faire revivre l’époque
pré-2008 et à éviter l’effort qui consiste à s’orienter
davantage vers le monde extérieur. »
Quelles décisions
importantes devonsnous prendre?
Nous devons déterminer la nature de nos
rapports énergétiques avec l’Asie. L’Asie
investit considérablement en énergie
renouvelable, mais entre-temps, les pays
de cette région auront besoin d’obtenir
du pétrole et du gaz de quelque part. Ils
préféreraient de beaucoup l’obtenir du
Canada plutôt que du Golfe persique. Les
pays asiatiques comprennent très bien
notre situation : nous avons des actifs non
performants qui valent très peu à moins
qu’ils n’atteignent les marchés, ce qui
aujourd’hui signifie de plus en plus l’Asie
et non les États-Unis. Du point de vue des
pays asiatiques, le besoin qu’ils ont d’avoir
une source sûre d’approvisionnement
énergétique correspond parfaitement au
besoin que nous éprouvons d’avoir une
demande sûre pour nos produits. Ils voient
ceci comme l’union par excellence, et ils
ne comprennent pas pourquoi nous avons
tant de mal à la rendre possible. Si en fait
nous sommes incapables de transformer
en réalité le commerce transpacifique de
l’énergie, nos amis asiatiques vont naturellement se demander : « Qu’êtes-vous alors
capables de faire? » Et ce problème, à son
tour, se répercutera sur l’ensemble des
relations entre le Canada et l’Asie.
141
Armine
Yalnizyan
→ Armine Yalnizyan, économiste principale au
Centre canadien des politiques alternatives, interviewée
le 11 septembre 2014 par Monica Pohlmann
sur
LES POLITIQUES
vouées à l’échec :
Comment décrivezvous l’état de notre
démocratie?
« Nous sommes en train de devenir une
corporatocratie, un État qui protège d’abord et avant
tout les intérêts des grosses entreprises. »
POHLMANN
YALNIZYAN
Qu’est-ce qui vous
empêche de dormir
la nuit?
La façon dont nos points de vue changent
vis-à-vis de l’immigration au Canada. Au
cours des décennies à venir, les états nations se feront concurrence pour attirer
du monde et non seulement des capitaux.
Le vieillissement de la population a lieu
dans toutes les nations avancées du monde
industrialisé. Sans nouveaux venus, la
population active canadienne se mettrait
à diminuer dans un an ou deux. Une tendance troublante est apparue au Canada.
Maintenant, la politique publique favorise
une hausse dans le nombre de travailleurs temporaires par rapport au nombre
d’immigrants économiques permanents.
Lorsque les entreprises disent qu’elles font
face à une pénurie de personnel compétent, la solution est trop souvent de faire
venir un travailleur étranger sur une base
temporaire pour régler une pénurie qui,
dans bien des cas, n’est pas temporaire.
Ces travailleurs sont liés à leur employeur
et peuvent se faire déporter s’ils osent se
plaindre de quoi que ce soit.
Le problème survient à cause du point de
vue répandu selon lequel les salaires bas
et les impôts bas sont « bons pour les affaires ». Ce qui peut être bon pour un individu peut être une voie sans issue pour
la société et pour l’économie dans son
ensemble. Les salaires et les impôts ne
de nos poches pour réparer nos maisons
ou nos voitures endommagées par une
infrastructure en mauvais état. Certaines
collectivités ont décidé d’agir et investis-
sent dans des soins dentaires préventifs
pour tous les enfants d’âge scolaire, en
vue d’améliorer la santé et de réduire les
coûts futurs
Nous avons des rapports houleux avec nos
institutions démocratiques. Nous devons
nous débarrasser de l’idée que le gouvernement est quelque chose d’autre ou
quelqu’un d’autre. Le gouvernement, c’est
nous. L’idée que les gouvernements sont
en grande partie inutiles, qu’ils vont probablement gâcher les choses plutôt que les
régler, est précisément ce que les entreprises veulent nous faire croire. Elles sont
ainsi plus libres de se servir de l’immense
pouvoir de l’État à leur avantage.
d’affaires qui rédigent les lois, exercent
des pressions politiques, utilisent les fonds
des campagnes pour façonner la sphère
publique : quelle est sa taille, que fait-elle,
qui sert-elle. Ceci est l’épreuve la plus importante à laquelle la démocratie fait face
aujourd’hui.
Nous sommes en train de devenir une
corporatocratie, un état qui protège les
intérêts des grosses entreprises d’abord
et avant tout. Ce sont des groupes de gens
sont jamais assez bas pour les commerçants. Leur travail consiste à maximiser
leurs profits. Mais la poussée constante
vers des salaires et des impôts plus bas affaiblit la puissance économique d’un pays.
Le message destiné aux travailleurs est
de « s’attendre à moins », même lorsque
les entreprises croissent et que les profits
augmentent. L’idée que la main-d’œuvre
n’est qu’un coût parmi d’autres, plutôt
que l’élément essentiel du rendement, est
un non-sens destructif.
On élimine les emplois de la classe
moyenne et on les remplace par plus
d’emplois à salaires modiques, et par
quelques emplois mieux rémunérés.
Les salaires de la majorité des gens
n’augmentent pas au même rythme que
les coûts et le niveau de leurs épargnes
baisse. De plus en plus de Canadiens
n’auraient pas assez d’argent pour arriver
à la fin du mois s’ils perdaient leur chèque
de paye. Nous rendons hommage à une
classe moyenne abondante et résistante
comme indice d’une économie florissante partout dans le monde, tandis que
notre propre classe moyenne est assaillie
par des compressions de toutes parts
et, chose ironique, on dit que c’est dans
l’intérêt de la croissance économique.
Qu’est-ce qui vous anime
au sujet du Canada?
Le monde des affaires constitue la force la
plus puissante de la société en ce moment.
Étant donné ce que je viens de dire, ceci
peut paraître étrange, mais je crois qu’avec
de solides institutions démocratiques en
place, cette puissance pourrait être utilisée
pour créer un monde meilleur. Nous sommes à la veille d’une explosion de changements technologiques : de l’intelligence
artificielle au biomimétisme aux merveil-
Quelles décisions
importantes devonsnous prendre?
L’extraction et l’exportation des ressources est un plan de croissance qui est
tellement du dix-neuvième siècle, tout
comme le sont la répartition des bénéfices
et le calcul des coûts. Nous avons besoin
d’un plan différent. Non pas un Plan B,
parce qu’il n’y a pas de Planète B. LE PLAN
DEVENIR UNE SUPERPUISSANCE ÉNERGÉ-
142
Les gens sont devenus plus conscients
du fait que les coupures d’impôts ne sont
pas la solution à tous les maux. Dans le
contexte public, le monde commence
à reconnaître que ce à quoi nous nous
heurtons est moins un problème lié aux
dépenses qu’un problème lié au revenu.
Les ponts s’écroulent, et les égouts et
tuyaux construits il y a un siècle ont maintenant besoin d’être réparés. Nous nageons dans l’argent facile, mais pour une
raison étrange, nous n’avons pas d’argent
pour ces choses essentielles. Pendant ce
temps, nous dépensons des tas d’argent
leuses percées médicales à Internet reliant
les choses. Le Canada pourrait être à l’avantgarde de l’application pratique de ces
innovations. Il faudrait d’abord rassembler
tous les joueurs afin de pouvoir utiliser le
maximum d’ingéniosité qui se trouve dans
notre population, et ensuite, bâtir à même
leur capacité de transformer les bonnes
idées en actions concrètes.
« Nous avons des rapports
houleux avec nos
institutions démocratiques. »
A DU CANADA DEVRAIT NOUS AIDER À
Entrevoyez-vous des
changements positifs?
Il existe un début de résistance, un éveil
qui a commencé avec le mouvement «
Occupy ». Cela n’a pas encore donné
beaucoup de résultats, mais je ne pense
pas que la résistance va cesser. Il y a des
centaines d’années, le public a décidé de
séparer l’église de l’État. Maintenant, nous
cherchons les moyens de séparer les entreprises de l’État.
TIQUE DU VINGT-ET-UNIÈME SIÈCLE, EN
CONSTRUISANT LES MAISONS ET LES MOY-
ENS DE TRANSPORT LES PLUS ÉCOÉNERGÉTIQUES DU MONDE. Nous vivons dans un
climat froid et devons parcourir de longues
distances. Nous devrions être des chefs
de file mondiaux dans la maximisation de
l’efficacité énergétique, quelle qu’en soit
la source. Plutôt que penser à Énergie Est,
pensons à l’énergie moindre. Le changement climatique force toutes les sociétés
à affronter ce défi. Aucune nation ne peut
réussir sur une planète qui échoue.
143
PARTENAIRES ET PERSONNEL DU PROJET
Organisations partenaires
Les Fondations Communautaires Canadiennes
La George Cedric Metcalf Charitable Foundation
The Globe and Mail
imagiNation 150
La Fondation de la Famille J.W. McConnell
La Fondation Lucie et André Chagnon
Maytree
La Mindset Social Innovation Foundation
Reos Partners
La Fondation Rideau Hall
Tides Canada
Personnel du projet
Adam Kahane, Directeur
Mitch Anthony, Communications
Brenna Atnikov, Intervieweuse
Danielle Choquette, Traductrice
Aaron Haesaert, Concepteur
Janice Molloy, Rédactrice
Elizabeth Pinnington, Intervieweuse
Monica Pohlmann, Intervieweuse
Manuela Restrepo, Transcriptrice
Maureen Sullivan, Communications
Publié par:
Canadas Possibles
925 Boul de Maisonneuve Ouest #212,
Montréal, Québec H3A 0A5, Canada
ISBN 978-0-9940562-0-7
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