EN MARGE DU COLLOQUE Photo de Valérie Callenaere TÉMOIGNAGE de Mme Valérie CALLENAERE, Membre de l’APIED (Association Pour l’Intégration des Enfants Différents) rattachée au Collectif AVEC; Maman de Marine, 20 ans, déficiente intellectuelle Marine est porteuse du Syndrome de Williams, une maladie génétique rare qui concerne 1 naissance sur 7 500. Si ses compétences verbales sont entières, elle manifeste une hyper sociabilité et affiche un visage particulier. Oui, Marine est une jeune femme différente. Sa maladie la rend différente, la place hors de la norme. Elle défend néanmoins son droit de vivre, d’être acceptée telle qu’elle est et pas telle qu’on préférerait qu’elle soit, sans chercher à la connaître, parce que c’est plus rassurant, plus facile. Marine n’a pas besoin d’être jugée, qu’on se substitue à elle, mais bien d’être accompagnée dans son projet de vie. Jusqu’en CE1, la petite Marine poursuit une scolarité normale quand à 7 ans et demi, sa maladie est diagnostiquée. Loin de cette «instabilité psychomotrice causée par l’angoisse des parents» avancée au départ, Marine est atteinte du Syndrome de Williams, maladie génétique rare induite par la perte d’une partie du chromosome 7. «Cette annonce ouvre un gouffre sans fond, ça bouleverse votre vie, vos repères», témoigne sa maman. Le monde s’écroule mais Marine est là. Elle est en vie, pleine de vie comme tous les enfants de son âge. Le combat commence. A toutes les étapes de la scolarisation, il faut se mobiliser pour que le milieu ordinaire accorde sa place à la différence. A l’époque la famille vit dans le département de Loire, à Saint-Etienne. Marine intègre une CLIS (CLasse d’Intégration Scolaire) dans une école ordinaire puis la première UPI (Unité Pédagogique d’Intégration) ouvre ses portes. «L’UPI était intégrée dans les classes : c’était génial», se souvient Valérie. Mais les places sont limitées. Des enfants resteront sur le carreau. Les parents se fédèrent. Plus d’un an sera nécessaire pour qu’une UPI collège soit créée. «Sous la pression des parents et avec le soutien de l’Inspection académique, nous y sommes arrivés. Il y avait la volonté et une bonne coopération entre l’Education nationale et les associations. A l’époque, il existait les Commissions Handiscoles où était dressé un état des besoins et des moyens : c’était transparent. Mais depuis la loi de 2005, certaines ont disparues. Ici, il n’y a plus rien, ni même une commission qui permettrait aux associations et à l’Education nationale de travailler ensemble», déplore Valérie. Colloque UNSA Emploi/Handicap-Oct.10-Témoignage La scolarité de Marine au collège se passe bien mais l’étape du lycée approche et là encore rien n’est acquis. En 2001, le premier UPI lycée se crée à la demande d’un réseau de parents d’enfants déficients, tous handicaps confondus. Valérie siège à la MDPH. Elle participe au combat. Nouveau virage dans le parcours de vie de Marine quand en 2008, la famille déménage à La Réunion. Dans notre département, il n’existe pas à l’époque d’UPI lycée. La jeune fille intègre donc un lycée professionnel. «La première année de CAP au lycée est une usine à gaz pour les déficients intellectuels», note Valérie. Déterminée, Marine tient bon, s’adapte et obtient son CAP Ingénierie des Locaux. Puis elle poursuit son cheminement par des stages en collectivité, en clinique, … Tout se passe, très bien même. Elle obtient d’excellentes appréciations, gagne en autonomie (usage des transports par exemple), en assurance. Marine veut travailler Aujourd’hui, Marine a 20 ans. La MDPH lui a proposé une orientation en ESAT° mais la jeune femme ne veut pas. Elle a fait toute sa scolarité en milieu ordinaire. C’est son choix, respecté et défendu comme tel par sa maman. Valérie mobilise donc l’Amendement Creton (voir par ailleurs) pour que sa prise en charge par le SESSAD°° soit prolongée d’un an. «Cet accompagnement lui permet de définir son projet professionnel, de connaitre ses limites, de développer encore ses compétences, explique Valérie. Un SESSAD pro devrait ouvrir ses portes mais rien.» Avec l’aide de l’éducateur du SESSAD, Marine recherche un contrat. C’est la condition pour que la jeune femme puisse bénéficier d’une formation à l’informatique financée par le FIphFP. «Il faut sans cesse pousser des portes mais une fois ouvertes, cela servira à tout le monde. Tout est toujours une question de personne. On a une loi mais on est toujours tributaire de la décision de personnes et il vaut mieux qu’elles se sentent concernées si l’on veut avancer.» Riche de ses différentes expériences de stages engagés dès la classe de 4ème, Marine pourrait intégrer une entreprise, travailler sous tutorat, mais il faut convaincre. Convaincre les employeurs sur la base déjà d’une évaluation de ses compétences, mais force est de constater qu’en dépit des fonds mobilisés, rien n’est mis en œuvre pour les déficients intellectuels. «Le responsable du FIPHFP national était très étonné d'apprendre que personne n'était réellement en capacité de réaliser des bilans de compétences pour de jeunes déficients intellectuels sur le département et d'entendre CAP emploi se dire désarmé faute d'intervenants formés», constate Valérie qui a pu aborder ce problème lors du colloque. De son côté, elle ne désarme pas même si elle sait que seule «une révolution des mentalités et des pratiques» permettra de faire avancer les choses. «Le handicap est encore une affaire de spécialistes; les personnes extérieures sont très rapidement noyées sous des sigles et circuits qu'elles ne connaissent pas. Les représentations des employeurs sur le handicap restent inchangées et ne concernent que le handicap sensoriel ou moteur. Il n'est jamais question de déficience intellectuelle ou de handicap psychique, sans doute par peur mais aussi, probablement, par oubli et manque d'information. Les employeurs recherchent un profil, une qualification globale. Il est évident que Marine donne satisfaction dans ses stages, elle rend énormément de services. Elle pourrait selon moi occuper un emploi et se rendre utile, développer des compétences sur un certain nombre de tâches délimitées. En revanche, son profil ne correspond pas et ne correspondra jamais à celui d'agent administratif ou d’aide soignante. Entre l'offre et la demande nous avons deux pièces de puzzle qui ne peuvent s'emboîter.» «Je souhaite à ma fille de rencontrer un jour, une personne, qui passe au dessus des représentations pour lui donner l'occasion de se rendre utile et de montrer ce qu'elle peut faire. Une personne qui ne se souciera pas seulement d'atteindre des quotas mais qui aura une réelle volonté de recruter une personne en situation de handicap tout simplement parce qu'elle en percevra tout l'intérêt.» ° Etablissement et Service d’aide par le Travail (ESAT), anciennement Centre d’Aide par le Travail (CAT) est un organisme médico-social chargé de la mise au travail, accompagnée d’un soutien médical et social, des personnes handicapées dans l’impossibilité de travailler dans un autre cadre. °° Service d’Education Spécialisée et de Soins à Domicile (SESSAD) : établissement ou partie d’un établissement qui devient mobile et qui va travailler «à domicile», comprendre dans les lieux de vie où l’enfant ou l’adolescent vit et exerce ordinairement ses activités (école, crèche, sport, loisirs…) et dans les locaux du service ; l’idée étant que c’est l’environnement de l’enfant qui doit être pris en compte. L’équipe des SESSAD est composé d’une équipe pluridisciplinaire (éducateur, psychologue, personnel médical…). Le suivi par le SESSAD est assuré jusqu’à 20 ans. La procédure d’affectation en SESSAD est identique à celle pour les établissements spécialisés. Ce sont les parents qui doivent en faire la demande auprès de la MDPH. Pour en savoir plus, «Intégration Scolaire et Partenariat» (http://scolaritepartenariat.chez-alice.fr/page75.htm) . Amendement Creton : du provisoire qui dure L’article 22 de la Loi n° 89-18 du 13 janvier 1989 (Diverses mesures d’ordre social) a modifié l’article 6 de la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées du 30 juin 1975 et créé l’alinéa suivant dit “amendement Creton” : «I bis. - La prise en charge la plus précoce possible est nécessaire. Elle doit pouvoir se poursuivre tant que l’état de la personne handicapée le justifie et sans limite d’âge ou de durée. «Lorsqu’une personne handicapée placée dans un établissement d’éducation spéciale ne peut être immédiatement admise dans un établissement pour adulte désigné par la commission technique d’orientation et de reclassement professionnel, conformément au cinquième alinéa (3°) du paragraphe I de l’article L. 323-11 du code du travail, ce placement peut être prolongé au-delà de l’âge de vingt ans ou, si l’âge limite pour lequel l’établissement est agréé est supérieur, au-delà de cet âge dans l’attente de l’intervention d’une solution adaptée, par une décision conjointe de la commission départementale de l’éducation spéciale et de la commission technique d’orientation et de reclassement professionnel.» Lors de l’adoption de l’amendement Creton en 1989, le gouvernement de l’époque avait insisté sur la nécessité de créer rapidement davantage de places en établissements pour adultes. Plus de 20 ans après, l’amendement Creton constitue une alternative initialement provisoire qui dure.
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