Les class actions, du droit américain au droit européen Propos

UNIVERSITE PARIS-DAUPHINE
Paris Sciences & Lettres
INSTITUT DROIT DAUPHINE
Doctorat
Sous Convention Industrielle de Formation par la Recherche (CIFRE)
en partenariat avec la société TOTAL S.A.
Droit privé
LECLERC Mélanie
Les class actions, du droit américain au droit européen
Propos illustrés par le droit de la concurrence
Thèse dirigée en co-tutelle par Joël MONEGER et Georges CHALOT
Soutenue le 19 octobre 2011
Membres du Jury :
M. Paul NIHOUL, Professeur des Universités de l’Université catholique de Louvain
M. Georges DECOCQ, Professeur Agrégé des Universités à l’Université Paris Est Créteil Val de
Marne
Mme Marie-Anne FRISON-ROCHE, Professeur Agrégé des Universités, Ecole de droit de
l'Institut d'Etudes Politiques de Paris
M. Bernard GRELON, Professeur Agrégé des Universités à l’Université Paris-Dauphine
M. Georges CHALOT, Juriste d’entreprise au sein de TOTAL SA
M. Joël MONEGER, Professeur Agrégé des Universités à l’Université Paris-Dauphine
LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS
Aff. : affaire
ANC : Autorités nationales de concurrence
Ariz. L. Rev : Arizona Law Review
ass. : assemblée
Bull. : Bulletin
Bull. civ. : Bulletin des arrêts de la Cour de cassation
rendus en matière civile
Bull. crim. : Bulletin des arrêts de la Cour de
cassation rendus en matière criminelle
c. : contre
CA. : Cour d’appel
Cah. Dr. Entr. Cahiers de droit de l’entreprise
Cass. : Cour de cassation
- ch. mixte : chambre mixte
- civ. : chambre civile
- com. : chambre commerciale
- crim. : chambre criminelle
- soc. : sociale
C. civ. : Code civil
C. com : Code de commerce
C. consom. : Code de la consommation
CEDH : Cour Européenne des Droits de l’Homme
ch. : chambre
chron. : chronique
CJC : Civil Justice Council (UK)
CJCE : Cour de Justice des Communautés
Européennes
CJUE : Cour de Justice de l’Union européenne
C. mon. fin. : Code monétaire et financier
comm. : commentaire
Coll. : collection
Colum. L. Rev : Columbia Law review
Contrats. Concurr. Consom. : Contrats concurrence
consommation
Cons. constit. : Conseil constitutionnel
C. pr. civ : Code de procédure civile
C. pr. civ. it. : Code de procédure civile italien
Cornell L. Rev : Cornell Law review
D. : Recueil Dalloz-Sirey (après 1940)
- Chron. : chronique
- IR : information rapide
- Jur. : jurisprudence
- Somm. : sommaires commentés
D. aff. : Dalloz affaires
D. P. : Recueil Dalloz périodique (avant 1924)
dactyl. : dactylographiée
dir. : direction
éd. : édition
E. L. rev : European Law review
FRCP : Federal rules of Civil Procedure
Gaz. Pal. : Gazette du Palais
infra : ci-dessous/ supra : ci-dessus
J.-CI. :Juris-Classeur
JCP G : Jurisclasseur périodique (semaine juridique),
édition générale
JCP E : Jurisclasseur périodique (semaine juridique),
édition entreprise
JO : Journal Officiel
- CE : Communauté Européenne
- UE : Union Européenne
jur. : juridique
LPA : Petites affiches
obs. : observations
op. cit. : opere citato = dans l’ouvrage cité
plén. : plénière
préc. : précité
Rec. : Recueil des arrêts de la Cour et du Tribunal de
l’Union européenne
Rev. : Revue
Rev. crit. dr. intern. privé : revue critique de droit
internation privé
RDAI : Revue de droit des affaires internationales
RDC : Revue des Contrats
RLDI : Revue Lamy Droit de l’Immatériel
RID Comp : Revue internationale de droit comparé
Rev. sociétés : Revue des sociétés
RG : registre
RGDA : Revue Générale du droit des assurances
RJ com. : Revue de jurisprudence commerciale
R. M. D. E. : Revue marocaine de droit économique
RJDA : Revue de jurisprudence de droit des affaires
RTD civ. : Revue trimestrielle de droit civil
RTD com. : Revue trimestrielle de droit commercial
RTD eur. : Revue trimestrielle de droit européen
S. : Sirey
s. : suivants
s. dir. de. : sous la direction de
sec. : section
Soc. lég. comp. : Société des Législations comparées
somm. : sommaire
spéc. : spécialement
t. : tome
T. com. : tribunal de commerce
TGI : tribunal de grande instance
TPI : tribunal de première instance des Communautés
européennes
v. : versus
V. : voir
Wis. L. rev.: Wisconsin Law review
SOMMAIRE
PARTIE I : LES ACTIONS COLLECTIVES : DES PROCEDURES ORIGINALES
TITRE I : LES ACTIONS DE GROUPE : CONDITIONS D’EXISTENCE ET D’EXERCICE
Chapitre I : L’action en justice pour autrui : les conditions d’autorisation de l’action
Section 1) L’action en justice pour autrui : aux Etats-Unis d’Amérique, pays de Common Law
Section 2) L’action en justice pour autrui : dans les pays européens de droit de tradition romano-germanique
Chapitre II : L’action en justice par autrui : les modalités d’exercice de l’action
Section 1) L’action en justice par autrui : aux Etats-Unis d’Amérique, pays de Common Law
Section 2) L’action en justice par autrui : dans les pays européens de droit de tradition romano-germanique
TITRE II : LES ALTERNATIVES EUROPEENNES A L’ACTION DE GROUPE
Chapitre I : Les actions collectives judiciaires
Section 1) Les procédures dites « modèles » : des alternatives non représentatives à l’action de groupe
Section 2) Les procédures judiciaires existantes : entre l’amélioration et l’optimisation
Chapitre II : Les actions collectives et les procédures négociées
Section 1) Les procédures judiciaires déguisées en MARC : la transaction collective néerlandaise
Section 2) Les MARC, complément à l’action collective
PARTIE II : LES ACTIONS COLLECTIVES : ENJEUX ET FINALITES
TITRE I : LES ACTIONS COLLECTIVES : ENJEUX D’UNE POLITIQUE PUBLIQUE
Chapitre I : Le renforcement de l’effectivité de la politique répressive
Section 1) Le private enforcement et l’action collective
Section 2) Le private enforcement et ses conséquences sur les modalités de l’action collective
Chapitre II : La promotion de l’effectivité du droit à réparation des justiciables
Section 1) Une action collective pour connaître des petits litiges de consommation
Section 2) Une action collective financée pour assurer l’effectivité du droit à réparation
TITRE II : LES ACTIONS COLLECTIVES : ENJEUX DE COMPETENCE
Chapitre I : Les actions collectives : enjeux d’une politique européenne
Section 1) L’absence de pratiques uniformes au sein de l’Union européenne: les risques de Forum Shopping
Section 2) Le rôle limité des institutions de l’Union européenne dans l’harmonisation des procédures
Chapitre II : Les actions collectives : enjeux d’une politique française
Section 1) Le traitement des litiges de masse en France : Mécanismes et financement
Section 2) Le traitement des litiges de masse en France : Modalités d’autorisation et d’exercice des mécanismes
d’action collective, respectueuses des traditions juridiques
5
6
INTRODUCTION GENERALE1
0F
1. « Il n’y a de droit que dans son contexte, c'est-à-dire du droit réussi et du droit raté. Ainsi plus
l’acclimatation technique est difficile et plus la réforme risque d’être ratée »2. Ainsi, l’enjeu majeur de
1F
l’adoption de procédures d’actions collectives dans les pays européens de droit de tradition romanogermanique est défini. En effet, depuis plusieurs années, il est question d’avoir recours à ce type de
procédures, d’origine anglo-saxonne, qui permettent à un justiciable non seulement d’obtenir
réparation de son propre préjudice devant les tribunaux civils, mais encore d’agir pour tous ceux qui se
trouvent dans une situation similaire à la sienne 3, et qui pourront se prévaloir du jugement rendu pour
2F
obtenir réparation du défendeur. Cette procédure, dérogatoire au droit commun, vise à la
rationalisation du traitement des litiges de masse et au renforcement du droit à réparation des
justiciables dans une société en mutation où de nouveaux besoins, pour assurer la protection juridique
des justiciables, sont exprimés.
2. Le développement des litiges de masse dans la société moderne. La mécanisation des activités
humaines à partir de la Révolution industrielle, au 19ème siècle, renforcée par le développement du
progrès technique au 20ème siècle, a entraîné une multiplication des dommages subis par les individus,
du fait des défaillances des machines, et à une aggravation de ces derniers. Après les dommages
1
L’auteur de cette étude précise que ne sont citées que les références utilisées.
M-A. Frison-Roche, Les résistances mécaniques du système juridique français à accueillir la class action : obstacles et
compatibilités, LPA, 10 juin 2005, n° 115, p. 22.
3
J. Lemontey et N. Michon, Les class actions américaines et leur éventuelle reconnaissance en France, Journal du Droit
international (Clunet), n° 2, avr. 2009, var. 2.
2
7
corporels liés à la mécanisation des activités humaines, se sont multipliés à la fin des années 80, les
dommages corporels touchant à la santé des individus. Ainsi, il y eut les scandales de l’amiante, des
cigarettes ou encore des produits médicamenteux, comme les antidépresseurs. Aujourd’hui, sont visés
les litiges de masse de nature économique. Le développement de la société de consommation, la
standardisation des produits et la globalisation de notre société ont, en effet, conduit à une
multiplication des rapports économiques et commerciaux et a fortiori à une multiplication des litiges
nés de ces rapports commerciaux. Tous ces litiges concernent un grand nombre de personnes. C’est
pour prendre en compte ces nouveaux besoins qu’ont été progressivement dévellopées les notions de
dommages « sériels » ou « de masse » 4.
3F
3. Le droit à réparation dans les litiges de masse. Parallèlement ces évolutions se sont accompagnées
d’un changement de comportement de la part des individus, qui sont devenus de plus en plus
revendicatifs, et pour qui la réparation des dommages subis est devenue un droit 5. Cependant, des
4F
difficultés d’accès à la justice du fait de la lourdeur et des coûts de la procédure ont été soulignées,
notamment pour les petits litiges de masse. Les pouvoirs publics européens se sont, alors, interrogés
pour trouver le ou les moyens judiciaires de garantir l’effectivité de ce droit à réparation face aux
obstacles, qui peuvent être rencontrés par les justiciables. Ils se sont tournés vers le modèle américain
de la class action.
4. L’action collective, née en droit anglais. Les historiens situent l’origine de la class action au 17ème
siècle, en Angleterre, par référence au Bill of Peace (Déclaration de paix) 6. Cette procédure permettait
5F
à plusieurs demandeurs ou défendeurs de résoudre des questions communes dans le cadre d’une seule
action, portée devant les Courts of Chancery, qui jugent en Equity et non selon les règles issues du
Common Law 7. Dans ces recours, les plaignants devaient être physiquement présents à l’audience pour
6F
être légalement liés par le jugement. En pratique, lorsque les affaires concernaient un nombre trop
important de personnes pour permettre une présence physique de chacun, il était permis pour ces
4
P. Jourdain, Les principes de la responsabilité civile, 8ème éd., Dalloz 2010, p. 10.
P. Jourdain, Les principes de la responsabilité civile, 8ème éd., Dalloz 2010, p. 11.
6
Th. D. Rowe Jr, A distant mirror: the Bill of peace in early American Mass torts and its implications for modern class
actions, 39 Ariz. L. Rev. 711 (1997).
7
« L’Equity est une ensemble de règles élaborées principalement aux XVe et XVIe siècles pour compléter le système de la
Common Law qui est devenu insuffisant et défectueux. Lorsque les cours royales qui appliquaient la Common Law ne
pouvaient être saisies d’une affaire ou lorsqu’elles ne pouvaient offrir une solution appropriée, il était possible d’en
appeler à la conscience du roi et de lui demander d’intervenir en tant que justicier souverain. Le roi, puis le Chancelier
auquel il délégua ses pouvoirs, n’intervenait pas pour créer de nouvelles règles de droit : il intervenait uniquement au nom
de la morale », L’anglais juridique, Principes, pratiques & vocabulaire des professionnels, Business Management Series,
p. 17.
5
8
personnes de se faire représenter par une ou plusieurs autres afin d’exposer le cas au nom de tous les
demandeurs. Les représentants devaient faire la démonstration du fait qu’ils reflétaient, de manière
appropriée, les intérêts du groupe de demandeurs représentés, le jugement s’imposant à l’ensemble des
personnes représentées 8. Il ressort de l’ouvrage du professeur Yeazell 9 qu’il existe une longue
7F
8F
tradition, dans l’Angleterre médiévale, de plaintes formées par des groupes de personnes, plus ou
moins organisés10. Cependant, peu à peu le système d’actions collectives a laissé place à un système de
justice individualisé 11.
9F
5. Le développement de l’action aux Etats-Unis d’Amérique. Aux Etats-Unis, cette procédure a connu
des évolutions importantes. La Cour Suprême a reconnu, dans un arrêt de 1853 12, la validité des
10F
actions collectives représentatives. Cependant, elle s’oppose, dans un premier temps, à ce que les
jugements rendus par les cours de justice fédérales dans le cadre de ces recours lient les personnes
absentes du procès. Cette affaire se déroulait dans un contexte de pré-guerre civile alors que les Etats
du Sud et les Etats du Nord étaient divisés. En l’espèce, un groupe de prédicateurs des États du Sud
avait intenté une action en justice contre une organisation de prédicateurs méthodistes du Nord, qui
refusaient de leur verser leurs indemnités de retraite en raison de l’utilisation d’esclaves dans les États
du Sud. La Cour Suprême a reconnu la possibilité pour le représentant du groupe de prédicateurs des
États du Sud d’aller en justice et d’être l’interlocuteur unique au nom de tous ceux présents au
procès 13. Elle instaure ainsi l’Equity Rule n° 48. Cette règle demeurera jusqu’à la modernisation des
1F
règles d’Equity, en 1912, où elle sera remplacée par la Rule 38. Cette nouvelle règle permet, alors, que
le jugement rendu dans ce type de litige bénéficie aux personnes représentées, mais non présentes au
procès 14.
12F
6. En 1934, la class action américaine va connaître une nouvelle évolution. Le Chief Justice de la Cour
suprême des Etats-Unis est chargé d’unifier les règles de procédure des cours de justice fédérales, ce
8
Th. D. Rowe Jr. A distant mirror:the Bill of peace in early american Mass torts and its implications for modern class
actions, 39 Ariz. L. Rev. 711 (1997).
9
S. C. Yeazell, From Medieval group litigation to the modern class action, Yale University Press, 1987.
10
Voir aussi F. Polverino, A Class Action Model For Antitrust Damages Litigation In The European Union, University of
Chicago Law School, Working paper Series, August 29, 2006.
11
Ibid.
12
Smith v. Swormstedt, 57 US. (16 How) 288 (1853).
13
D. R. Hensler, N. M. Pace, B. Dombey-Moore, E. Giddens, J. Gross, E. Moller, Class actions dilemmas, Pursuing public
goals for private gain, RAND Institute for Civil Justice, Rand Publishing, 1 ère éd., 2000.
14
« When the question is one of common or general interest to many persons constituting a class so numerous as to make it
impracticable to bring them all before the court, one or more may sue or defend for the whole », D. R. Hensler, N.-M.
Pace, B. Dombey-Moore, E. Giddens, J. Gross, E. Moller, Class actions dilemmas, Pursuing public goals for private gain,
RAND Institute for Civil Justice, Rand Publishing, 1ère éd., 2000.
9
qui aboutit aux Federal Rules of Civil Procedure (FRCP) 15, promulguées en 1938 par le Congrès.
13F
Cette réforme est très importante aux Etats-Unis. Elle conduit à trois innovations majeures : la
définition de conditions de recevabilité des recours, la mise en place de la procédure de divulgation des
éléments de preuve entre parties (procédure de Discovery 16) et la distinction entre l’Equity et le droit
14F
issu du Common Law 17. Elle a, également, des conséquences importantes sur les recours collectifs. A
15F
partir de cette date, trois types de class actions sont distingués : true, spurious, et hybrid class actions.
Ces actions se qualifient en fonction de leurs effets à l’égard des personnes absentes de la procédure.
Dans les true class actions, le jugement lie toutes les personnes absentes du litige. Dans les spurious
class actions, le jugement lie les personnes représentées et les seuls individus qui le choisissent (optin). Enfin, dans les hybrid class actions, le jugement lie seulement une partie des absents 18. Plusieurs
16F
bases légales peuvent fonder ce dernier type de class actions, et le litige implique plusieurs formes de
dommages nés d’une responsabilité unique. Des sous-groupes peuvent alors être distingués par la cour,
qui doit traiter du litige 19. Cette distinction est posée à la Rule 23 FRCP, qui est la numérotation encore
17 F
en vigueur de nos jours. En 1939 et 1948, des modifications techniques mineures sont apportées à la «
Rule 23 ». Enfin, en 1966 20, une nouvelle version de la « Rule 23 » est adoptée. Cette réforme est
18F
majeure car elle marque l’évolution de cette procédure d’un système dans lequel le jugement était
rendu en Equity vers un système dans lequel le juge se prononce en droit 21. Ce changement implique
19F
que des conditions d’autorisation du recours à ce type de procédure soient définies. Les conditions de
15
N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature,
RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 42, dans The Globalization of class actions,
Conférence internationale co-sponsorisée par Stanford Law School et le Center for socio-legal studies, Oxford University,
13 & 14 déc. 2007; F. Polverino, A Class Action Model For Antitrust Damages Litigation In The European Union,
University of Chicago Law School, Working paper Series, August 29, 2006.
16
L’utilisation du terme Discovery en droit américain, fait référence à la phase d’investigation, préliminaire au procès, dans
laquelle chaque partie peut demander directement, sans l’autorisation du juge, à son adversaire, ou à tout témoin potentiel
de produire tout élément d’information, utile à la résolution du litige en cause. La procédure de Discovery permet à une
partie d’obtenir des documents demandés ou des éléments de preuve physiques. Les parties peuvent procéder à des
Depositions et à des Interrogatories. De plus, le demandeur peut formuler des Requests for admissions, qui consistent à
demander à l’autre partie d’admettre ou de réfuter telle ou telle allégation. Enfin, cette procédure permet de demander
l’ordonnancement d’expertises physiques ou psychologiques, voir Black’s Law dictionary, B. A. Garner, Rédacteur en
chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 1419.
17
D.R. Hensler, N. M. Pace, B. Dombey-Moore, E. Giddens, J. Gross, E. Moller, Class actions dilemmas, Pursuing public
goals for private gain, RAND Institute for Civil Justice, Rand Publishing, 1ère éd., 2000.
18
Ibid.
19
N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature,
RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 42, dans The Globalization of class actions,
Conférence internationale co-sponsorisée par Stanford Law School et le Center for socio-legal studies, Oxford University,
13 & 14 déc. 2007.
20
D.R.Hensler, N.-M. Pace, B. Dombey-Moore, E. Giddens, J. Gross, E. Moller, Class actions dilemmas, Pursuing public
goals for private gain, RAND Institute for Civil Justice, Rand Publishing, 1 ère éd., 2000, p. 12 et s. ; J. Lemontey et N.
Michon, Les class actions américaines et leur éventuelle reconnaissance en France, Journal du Droit international (Clunet),
n° 2, avr. 2009, var. 2.
21
D.R.Hensler, N.-M. Pace, B. Dombey-Moore, E. Giddens, J. Gross, E. Moller, ouvrage préc. note n° 18.
10
certification, encore en vigueur de nos jours, font leur apparition dans les Federal Rules of Civil
Procedure.
7. Les Etats-Unis d’Amérique, un système de Common Law de type accusatoire. Cette construction
du régime de la class action américaine est intervenue dans un système de Common Law de type
accusatoire. Le Common Law désigne « l’ensemble du système juridique qui est né en Angleterre il y
aura bientôt mille ans, qui s’y applique toujours et qui depuis lors s’est répandu, selon des
modalités bien diverses dans une grande partie du monde » 22, et notamment aux Etats-Unis
2 0F
d’Amérique. Il se définit en opposition au « Civil Law » qui désigne les systèmes de droit inspiré par
le droit romain et qui implique une codification des règles de droit. Les principes du Common Law
sont déterminés par les juges. Ces derniers ne vont pas appliquer des règles codifiées. Sur la base du
droit coutumier, des principes de droit naturel, de la pratique des acteurs de la société, de la doctrine
ou encore des décisions rendues dans d’autres pays de Common Law, ils définissent un principe, une
solution qui constitue un précédent, par lequel les cours de degré inférieur seront tenues 23. « Le sens
21F
exact [du Common Law] s’établit dans le cadre de la procédure accusatoire
» 24
2F
, qui se caractérise
par le rôle important joué par les parties dans le déclenchement des poursuites, la conduite de la
procédure et également dans la recherche de la vérité et sur le rôle d’arbitre du juge dans les rapports
entre les parties. Ce système repose sur une procédure orale, publique et contradictoire 25.
23F
8. Les pays d’accueil de la réforme: les pays européens de droit de tradition romano-germanique.
Cette procédure accusatoire se retrouve dans une minorité de pays au sein de l’Union européenne.
Elle existe au Royaume-Uni et à Malte, qui sont des pays de Common law. Elle se rencontre
également dans les pays dits mixtes, qui sont des pays de tradition civiliste, mais dont le droit
procédural a été fortement inspiré par le Common Law. Dans les pays scandinaves, comme en
Suède, bien que le droit s’inscrive dans la tradition romano-germanique, la procédure judiciaire est
plutôt de type accusatoire que de type inquisitoire. La structure du procès y est similaire à celle des
pays de Common Law. Les témoins peuvent être interrogés et contre-interrogés. De même, il existe
22
Dictionnaire de la culture juridique, s. la dir. de D. Alland et S. Rials, Lamy, PUF, 1 re éd., 2003, p. 239 à 243.
Voir définition de « Common Law », dans Lexique des termes juridiques 2012, S. Guinchard et Th. Debard, Dalloz 2011,
p. 180
24
Dictionnaire de la culture juridique, s. la dir. de D. Alland et S. Rials, Lamy, PUF, 1 re éd., 2003, p. 239.
25
Voir définition de « Procédure accusatoire », dans Lexique des termes juridiques 2012, S. Guinchard et Th. Debard,
Dalloz 2011, p. 683.
23
11
un système de financement des coûts de justice similaire au système anglais 26. Mais la grande
24F
majorité des Etats membres de l’Union européenne sont des pays de droit de tradition romanogermanique.
9. Historiquement, l’Europe occidentale s’est construite sur la culture romaine. L’héritage de cette
civilisation a façonné la conception de l’Etat. La tradition juridique romaine était « au service d’une
conception étatique de l’organisation et du fonctionnement du pouvoir politique, dont la
caractéristique était sa permanence, transcendant les détenteurs du pouvoir »27. La législation, la loi
25F
écrite et qui sera plus tard codifiée, a servi, dans plusieurs pays européens, le pouvoir royal en lui
permettant d’asseoir sa légitimité et de définir son champ d’action sur le territoire du royaume,
notamment vis-à-vis de la concurrence des seigneuries locales. En France, par exemple, elle servit le
pouvoir du Royaume de France du début du Moyen-Age jusqu’à l’Epoque Moderne 28. Partant de ces
26 F
évolutions, la procédure judiciaire dans ces pays s’est développée sur un modèle inquisitoire. Elle
est, par définition, « écrite, secrète et non contradictoire, le juge obéissant à son intime
conviction » 29, même si en pratique une large place est laissée au principe du contradictoire, garant
2 7F
du respect des droits de la défense 30.
28F
10. Le Common Law s’est développé en Angleterre en opposition à cette conception romaine du droit.
En effet, après la conquête normande, les cours royales anglo-saxonnes ont eu recours au Common
Law afin de rejeter les influences du droit romain imposé par les envahisseurs et de contrer le
développement des coutumes rurales. De plus, le rôle du Parlement explique le recours limité à la
législation pour asseoir le pouvoir royal 31. Dans ces conditions, l’introduction d’une procédure
29F
judiciaire, née et développée dans des pays de Common Law, en droit positif des Etats membres de
l’Union européenne, majoritairement de droit de tradition romano-germanique, peut poser quelques
difficultés.
11. La compatibilité de la class action avec les principes du droit romano-germanique. Cette
opposition de principe entre le système juridique qui a vu naître et qui a façonné cette procédure
26
H. Lindblom, Class Actions in Sweden, p. 10, dans Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court
and from both sides of the class action bar, 6ème Conférence annuelle sur le thème Strategies for Litigating, 6 & 7 mai
2010, Hotel Renaissance Seattle, à Seattle, WA.
27
A. Wijffels, Introduction historique au droit, France, Allemagne, Angleterre, PUF 2010, p. 56.
28
Ibid, p. 126.
29
Lexique des termes juridiques 2012, S. Guinchard et Th. Debard, Dalloz 2011, p. 686.
30
Ibid.
31
A. Wijffels, ouvrage préc., p. 110-111.
12
d’action de groupe et le système de réception de ladite procédure oblige à s’interroger en premier
lieu sur la compatibilité de l’action de groupe, telle qu’existante aux Etats-Unis d’Amérique avec les
principes qui gouvernent la procédure civile et plus généralement le droit de la responsabilité civile
dans ces pays d’accueil. En second lieu, si des obstacles à l’introduction d’une telle procédure sont
révélés, dans quelle mesure il pourra y être apporté des modifications en vue de garantir la
conformité à ces principes fondamentaux.
12. L’exercice de l’action collective en opposition à l’exercice de l’action individuelle : une
procédure dérogatoire au droit commun. La difficulté est accrue car l’action collective est, dans les
deux systèmes de droit, dérogatoire au droit commun. Elle s’oppose, en effet, à l’action individuelle.
Dès l’origine, elle fut considérée comme une procédure exceptionnelle. Les cours anglaises jugeant
en Equity parlaient d’« une exception à la règle selon laquelle l’action en justice est seulement
conduite par ou au nom d’un individu, identifié comme partie à la procédure » 32. Il va alors falloir
30 F
en définir les conditions exceptionnelles de mise en œuvre.
13. Un débat ancien. Le traitement des litiges de masse n’est pas une question nouvelle en Europe 33.
31F
La possibilité de développer des actions de groupe sur le modèle américain dans les pays de tradition
romano-germanique, en France notamment, a déjà été envisagée dans les années 90 pour optimiser
le traitement de ces litiges 34. Cependant, les législateurs des Etats membres de la Communauté
32 F
européenne se sont tournés vers d’autres types de procédure 35.
3F
14. Plan de l’introduction. Le débat sur les actions collectives dans les pays européens de droit
romano-germanique est complexe car il implique plusieurs plans de raisonnement.
15. D’abord, les actions de groupe ou class actions à l’américaine sont une forme d’actions
collectives, mais il existe au sein de l’Union européenne d’autres procédures judiciaires, qui
permettent un traitement collectif des demandes en justice. Il s’agit de les définir en amont afin
d’éviter toutes ambiguïtés dans les développements futurs (I).
32
Califano v. Yamasaki, 442 U.S. 682, 700-701, 99 S.Ct. 2545, 2557-2558 (1979): “an exception to the usual rule that
litigation is conducted by and on behalf of the individual named parties only.”
33
Voir Supra §. 2.
34
Un des projets de lois les plus anciens présentés en France concernant l’action de groupe est un projet de loi de la
Commission sur le règlement des litiges sur le droit de la consommation, sept. 1983, voir L. Martinez et A. du Chastel, Du
retour de l’action de groupe et du mythe du sisyphe, LPA, 10 mars 2009, n° 49.
35
Voir Supra §. 180.
13
16. Ensuite, ce thème pose une multiplicité de questions interdépendantes. De plus, derrière des
questions a priori de technique juridique, se dissimulent des enjeux de politique juridique, qui
impliquent une opposition entre droit romano-germanique et Common Law d’une part et une
opposition entre compétence des Etats membres et compétence communautaire d’autre part (II).
17. La démarche comparative suivie dans cette étude n’est pas exhaustive. Elle se limite à refléter les
antagonismes entre, d’une part, le schéma américain de la class action et les procédures développées
au sein de l’Union et, d’autre part, entre les droits des différents Etats membres (III).
18. Enfin, la structure de l’étude vise à clarifier les problématiques en séparant les questions
techniques des questions de politique juridique ce qui fondera le plan adopté. L’illustration en sera
donnée notamment à partir d’exemples de procès consécutifs à des infractions au droit de la
concurrence. (IV).
I- Les actions collectives, une multiplicité de procédures judiciaires
19. La notion d’action collective. Au sens générique, la notion d’actions collectives ou de recours
collectifs désigne toute procédure, permettant un traitement collectif de demandes multiples, qui
soulèvent des questions de droit et de fait communes. Cette procédure est utilisée dès lors qu’elle
apparaît comme le meilleur moyen de connaître de ces demandes en vue d’une bonne administration
de la justice, c'est-à-dire, en vue d’un traitement équitable, rapide, et efficient des demandes. Il peut
s’agir d’une procédure judiciaire ou extrajudiciaire, représentative ou non représentative.
20. La jonction de procédures, une simple mesure d’administration. La jonction d’instances 36, qui
34F
existe au sein de tous les systèmes judiciaires, doit être écartée car elle constitue une simple mesure
d’administration imposée d’office ou sur demande par le juge.
21. D’autres expressions comme, action de groupe, action en représentation ou encore procédure
« modèle », sont utilisées pour désigner certaines actions collectives en fonction des conditions
d’exercice de ces dernières. Le débat, engagé au sein de l’Union européenne, porte principalement
36
La jonction d’instance est une « mesure d’administration judiciaire par laquelle un tribunal (ou un juge de la mise en
état ou un juge rapporteur) décide d’instruire et de juger en même temps deux ou plusieurs instances unies par un lien
étroit de connexité », Lexique des termes juridiques 2012, Guinchard (S.) et Debard (T.), Dalloz, 19 ème éd., 2011, p. 489.
14
sur l’introduction d’une procédure d’action de groupe. Cependant, les deux autres formes d’action
collective doivent également être étudiées en tant qu’alternatives potentielles à l’action de groupe.
22. L’action de groupe, la procédure au cœur du sujet. L’action de groupe (ou class action dans le
système américain) est une procédure judiciaire représentative, qui se caractérise par la
représentation en justice d’un groupe de personnes par un justiciable qui a subi un dommage
similaire à celui des personnes représentées. Ce dernier agit en justice pour obtenir réparation de son
propre préjudice et de celui subi par les personnes placées dans une situation similaire à la sienne 37.
35F
23. Les acteurs de la procédure d’action de groupe : l’exemple de class action américaine. Dans le
système américain de la class action, un justiciable appelé « Demandeur Représentatif », introduit
une action en justice pour obtenir la réparation du préjudice qu’il a subi, mais également pour
obtenir la réparation des préjudices subis par toutes les personnes se trouvant dans une situation
similaire à la sienne (le groupe ou la « class ») 38. Il sollicite du juge l’autorisation de représenter ces
36 F
personnes et d’utiliser, à cet effet, la procédure d’action de groupe. Il présente au soutien de sa
prétention des éléments permettant de démontrer le bien-fondé de sa demande, mais également ses
qualités de représentant pour défendre au mieux les intérêts des autres personnes lésées 39. Il doit, en
37 F
outre, démontrer que cette procédure est la plus efficiente pour traiter de ces demandes multiples et
similaires, notamment au regard des autres procédures qui permettent une gestion collective des
litiges comme la jonction d’instance 40. S’il est autorisé à agir pour la défense des intérêts des
38F
membres du groupe au surplus de ses intérêts (certification de la class), il doit conduire la procédure
judiciaire pour lui-même et pour les membres du groupe.
24. Le Demandeur représentatif est assisté dans son rôle de représentant d’un cabinet d’avocats, qui
agit alors pour le Demandeur représentatif comme pour l’ensemble des membres du groupe. Il est le
conseil de toutes les personnes représentées (Representative Counsel). Il doit démontrer au juge qu’il
37
Voir définition donnée par N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the
empirical literature, RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, dans The Globalization of class
actions, Conférence internationale co-sponsorisée par Stanford Law School et le Center for socio-legal studies, Oxford
University, 13 & 14 déc. 2007: « any civil case in which parties at some point during the litigation indicated their intent to
sue on behalf of themselves as well as others not specifically named in the suit ».
38
J. Lemontey et N. Michon, Les class actions américaines et leur éventuelle reconnaissance en France, Journal du Droit
international (Clunet), n° 2, avr. 2009, var. 2.
39
Voir Infra §. 119 et s.
40
Ibid ; Rule 23 FRCP.
15
dispose de l’expérience et des ressources nécessaires pour mener à bien cette procédure 41. Son rôle
39 F
est central dans cette procédure. Il doit, en sa qualité de conseil, remplir sa mission d’assistance et de
représentation de ses clients 42. Il s’assure que les conditions d’autorisation de la procédure sont
40F
remplies ; il prend en charge la procédure de divulgation des éléments de preuve inter partes
(Discovery) ; il prépare le procès43. Le cabinet d’avocats peut également avoir un intérêt personnel et
pécuniaire à la réussite de l’affaire. En effet, il peut, par le biais de conventions d’honoraires
(Contingency fees agreements) 44, supporter le coût de la procédure et subordonner sa rémunération
41F
au seul succès de l’affaire. D’autre part, il peut voir engager sa responsabilité personnelle dans la
conduite de la procédure et notamment en cas de procédure abusive 45.
42 F
25. Les personnes représentées à la procédure sont, pour la plupart, seulement identifiables, et non
identifiées, au moment du dépôt de la demande 46. Elles ne devront consentir à l’exercice de la
43F
procédure par le Demandeur représentatif qu’une fois que ce dernier aura obtenu du juge
l’autorisation d’agir en justice dans le cadre de la procédure d’action de groupe 47. Elles seront
4F
informées de la procédure par une publicité dans les journaux et devront alors donner leur
consentement, de manière implicite (système d’opt out), ou de manière explicite (système d’opt
in) 48. Consentir à l’action implique pour les personnes représentées de déléguer la conduite de
45F
l’action au Demandeur représentatif et de renoncer à exercer une action individuelle devant les
tribunaux de première instance.
26. Cette procédure a été développée aux Etats-Unis. Cependant, les pays européens connaissent
également d’autres procédures, qui permettent un traitement en justice des demandes multiples et
similaires.
41
Voir Infra §.131.
J. Monéger et M.-L. Demeester, Profession : d'avocat. Accès à la profession, statuts et déontologie, préf. A. Damien,
Dalloz-Sirey, 2001.
43
F. Polverino, A Class Action Model For Antitrust Damages Litigation In The European Union, University of Chicago
Law School, Working paper Series, August 29, 2006
44
Les “Contingency Fees Agreements” (ou les honoraires de résultats ou Pacte de quota litis) sont « des conventions
d’honoraires qui prévoit que les honoraires ne seront versés à l’avocat en contrepartie de ses services de conseil et de
représentation qu’à condition que le procès aboutisse à un jugement en faveur du client ou à une transaction favorable à
ce dernier », voir la définition dans le Black’s Law dictionary, Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009,
p. 362.
45
Voir Rule 11 FRCP.
46
J. Lemontey et N. Michon, Les class actions américaines et leur éventuelle reconnaissance en France, Journal du Droit
international (Clunet), n° 2, avr. 2009, var. 2.
47
Voir Infra §. 243 et s.
48
Ibid.
42
16
27. L’action en représentation, l’action collective des associations de défense. L’action en
représentation est une procédure judiciaire représentative, qui se caractérise par la représentation en
justice d’un groupe de personnes, par une association, un organisme ou une fondation, habilité par
les pouvoirs publics pour agir pour la défense des intérêts personnels des personnes représentées. Il
peut s’agir d’un organisme public ou privé. Cette entité agit dans la plupart des systèmes sur mandat
des personnes représentées 49.
46F
28. Les procédures « modèles », des actions collectives non représentatives. Dans certains Etats
membres, il existe la procédure dite « modèle » ou procédure de « test case ». Cette procédure
judiciaire est non représentative. Le demandeur entend seulement faire bénéficier, les personnes
placées dans une situation similaire à la sienne, de la solution au fond retenue dans son affaire. Cette
procédure consiste à recenser l’ensemble des cas similaires, qui présentent des questions de droit ou
de fait communes, à désigner, parmi ces cas, le ou les plus représentatifs de la problématique
rencontrée, à trancher au fond le cas de référence dont la solution s’appliquera à toutes les autres
procédures judiciaires suspendues le temps du jugement au fond 50. Cette procédure contrairement
47F
aux deux autres a seulement pour objet de garantir une bonne administration de la justice en
rationnalisant le traitement des demandes et ne facilite le recours au juge qu’a minima.
II- Les actions collectives, des enjeux techniques et politiques
A) Des actions collectives, déjà présentes en Europe
29. Le débat sur le recours aux actions collectives en Europe a connu un développement sur un double
plan. La Commission européenne a élaboré plusieurs projets de texte, allant d’un Livre vert jusqu’à
une proposition de directive, mais aucun n’a été adopté (1). Plusieurs États membres ont en revanche
adopté des législations sur les actions collectives, allant de l’action de groupe à la procédure
« modèle » (2).
49
50
Voir Infra §. 180 et s.
Voir Infra §. 408 et s.
17
1) Des propositions communautaires sectorielles sur l’action collective
30. Les propositions de la Direction générale de la Concurrence de la Commission européenne. Le
débat sur l’introduction des recours collectifs a été engagé en 2005 par la Direction Générale de la
Concurrence de la Commission européenne (ci-après « DG Concurrence ») avec un Livre vert
consacré plus largement aux actions en réparation en cas de violation des règles communautaires du
droit de la concurrence 51. Dans cette publication, la DG Concurrence a proposé l’introduction dans
48 F
le droit des Etats membres de deux mécanismes de recours collectifs : une action de groupe ou en
représentation réservée aux consommateurs et, un recours collectif non défini, réservé aux acheteurs
autres que les consommateurs finaux. Elle a proposé, en complément de ces mécanismes, des
mesures de nature à assouplir certains principes de procédure et de responsabilité civile, tels que la
facilitation de la transmission des éléments de preuves inter partes, sur le modèle de la Discovery
américaine 52 ou encore l’assouplissement du principe de réparation intégrale du préjudice. Ce Livre
49F
vert, qui a fait l’objet d’une consultation publique, a été suivi par la publication d’un Livre blanc en
avril 2008 53, et d’un projet de directive en avril 2009 54.
50F
51F
31. Les propositions de la Direction Générale de la Santé et de la protection des consommateurs de
la Commission européenne. Entre temps, en novembre 2008, la Direction Générale de la Santé et de
la Protection des Consommateurs de la Commission (ci-après « DG Sanco ») a publié un Livre vert
sur les recours collectifs en matière de droit de la consommation 55. Elle propose, dans ce premier
52F
document, une option d’adopter indifféremment une procédure d’action de groupe, d’action en
représentation ou une procédure « modèle ». Elle publiera à la suite de la consultation publique un
second document dans laquelle elle proposera un système de procédure « modèle » dont l’initiative
51
Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les
abus de position dominante », Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, 25 déc. 2005,
COM(2005) 672 final.
52
Voir note de bas de page n° 16.
53
Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus
de position dominante, Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, 2 avr. 2008, COM(2008) 165
final.
54
Proposition de directive relative aux règles régissant les actions en dommages intérêts pour infraction aux articles 81 et
82 du traité, Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, avr. 2009 ; Cette proposition de directive
n’étant plus accessible sur le site de l’Union européenne, il faut voir les documents de la Chambre du Commerce et de
l’Industrie qui l’a commenté : Rapport de M. L-B. Krepper avec la collaboration de Mme C. Delacroix, département de
droit public et économique, à la Direction générale adjointe chargée des Études, de la Prospective et de l’Innovation
présenté au nom de la Commission du commerce et des échanges, Proposition de directive sur les actions en dommages et
intérêts relatives aux pratiques anticoncurrentielles, Réactions de la CCIP, adopté à l’Assemblée générale du 25 juin 2009,
accessible à l’adresse suivante www.etudes.ccip.fr/fichier?lien=sites%2Fwww...anticoncurrentielles...pdf
55
Livre vert sur les recours collectifs pour les consommateurs, Direction Générale de la Santé et de la Consommation de la
Commission européenne, 27 nov. 2008, COM(2008) 794 final.
18
serait laissée, tant aux demandeurs individuels, qui agiraient pour eux-mêmes et pour autrui, qu’aux
associations de défense.
32. Un instrument unique ? Face à la concurrence des propositions de la Commission européenne, le
Parlement européen a adopté, en 2009, une Résolution sur le Livre blanc de la DG Concurrence,
dans laquelle il demande à la Commission de s’interroger sur l’opportunité d’adopter un instrument
unique, indépendant du droit substantiel applicable au fond. Une nouvelle consultation publique,
élaborée conjointement par la DG Concurrence, la DG Sanco et par la Direction Générale de la
Justice, de la Liberté et de la Sécurité (ci-après « DG Justice »), a alors été publiée en février 2011,
qui laisse à penser, ou tout du moins à espérer, une approche de la question 56 indépendante du droit
53F
applicable au fond. Selon le calendrier annoncé par les commissaires européens, ce nouveau
questionnaire devrait conduire à la publication d’une nouvelle proposition législative au premier
trimestre 2012 57.
54F
2) Des avancées législatives sur le plan national
33. Depuis les années 2000, de nombreux Etats membres ont adopté des textes instaurant en droit
interne des actions collectives. Il en va ainsi du Portugal en 1995, de la Suède en 2000, de
l’Allemagne et des Pays-Bas en 2005, de l’Angleterre en 2008, de l’Italie en 2009, mais aussi de la
Pologne en 2010 58. Une accélération de ce développement est constatée à partir de 2005, date à
5F
laquelle la DG Concurrence a publié son Livre vert.
34. Certains auteurs ont opéré une classification des pays européens en fonction de leur niveau de
développement à ce sujet 59. Ils ont subdivisé les Etats membres de l’Union, en trois catégories : la
56F
première comprend les pays, qui ont adopté une procédure d’action de groupe ou en représentation
permettant un traitement efficace des demandes multiples et similaires. Il en est ainsi des pays
56
Renforcer la cohérence de l'approche européenne en matière de recours collectifs, document de travail des services de la
Commission européenne, consultation publique, 4 fév. 2011, SEC(2011) 173 final.
57
Le Parlement européen prépare un projet de rapport sur la consultation de la Commission intitulé « Towards a Coherent
European Approach to Collective Redress », qui devrait aboutir à la publication d’une nouvelle résolution à la fin de
l’année 2011, voir le site du Parlement européen :
http://www.europarl.europa.eu/activities/committees/draftReports/comparlDossier.do?dossier=JURI%2F7%2F05981&lang
uage=FR
58
Loi de juill. 2010 sur les recours collectifs, Dz. U . 2010, nr 7, poz. 44.
59
P. Taelman et S. Voet, Belgium and Collective Redress: the Last of the European Mohicans, p. 2, Class Actions,
Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, 6ème Conférence annuelle
sur le thème Strategies for Litigating, 6 & 7 mai 2010, Hotel Renaissance Seattle, à Seattle, WA.
19
scandinaves, notamment de la Suède, mais aussi de l’Italie, du Portugal ou encore de la Pologne 60.
57F
Dans ces pays, aucun législateur n’a opté pour l’action de groupe à l’américaine, même si certaines
modalités d’exercice de cette procédure ont été conservées. La seconde catégorie est composée des
pays, qui ont adopté des systèmes transitoires afin d’évaluer la meilleure procédure à adopter.
L’Allemagne et les Pays-Bas ont choisi cette option. Enfin la troisième regroupe les pays dans
lesquels il n’existe pas de procédure de ce type, comme la France ou la Belgique.
35. Plan. Les procédures adoptées dans ces pays obéissent à des modalités de mise en œuvre très
différentes (a). En France, malgré plusieurs projets et propositions de loi, aucun texte n’a été adopté
pour l’heure (b).
(a) Le développement des procédures d’action collectives dans les Etats membres de l’Union
36. La procédure d’action populaire au Portugal. Au Portugal, le recours collectif est qualifié
d’action populaire 61. Cette action n’est pas récente. Elle trouve ses origines au 16ème siècle. Il
58 F
s’agissait de mettre en œuvre la puissance publique du fait d’une initiative populaire. Cette action
populaire fut consacrée dans le texte de la Constitution portugaise en 1989, en son article 52(3), qui
prévoit deux types d’action populaire : une, de nature corrective, qui permet de soumettre au juge
certains actes de l’administration et une autre, de nature supplétive, qui permet aux citoyens de
suppléer les autorités locales, dès lors qu’elles ont omis de sanctionner une atteinte à la propriété et à
un droit de l’administration 62. Avec la loi du 31 août 1995 63, l’action populaire, d’abord réservée
59F
60F
aux questions de droit public, a été étendue à d’autres domaines du droit, comme en matière de santé
publique, d’environnement, de qualité de vie, de protection des consommateurs, ou de protection de
l’héritage culturel. Des spécificités sont prévues, selon les matières par des lois sectorielles, telle la
loi n° 24/96 du 22 août 1996 sur la protection des consommateurs, ou le décret-loi n° 486/99 du 13
novembre 1999 en matière boursière 64. Par exemple, en vertu de la loi relative à la protection des
61F
consommateurs, les associations de consommateurs peuvent agir en défense des intérêts personnels
60
Loi de juill. 2010 sur les recours collectifs, Dz. U . 2010, nr 7, poz. 44.
H. Sousa Antunes, Class Actions, Group Litigation & Other Forms of Collective Litigation (Portuguese Report), dans
The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Center for
socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007.
62
Ibid.
63
Loi n° 83/95, art. 1.
64
Voir H. Sousa Antunes, Class Actions, Group Litigation & Other Forms of Collective Litigation (Portuguese Report), p.
8, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le
Center for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007.
61
20
de ces derniers alors que les autres associations ne peuvent que défendre l’intérêt collectif des
personnes qu’elles défendent 65.
62F
37. Une avancée des pays scandinaves dans l’adoption de procédure d’action de groupe. Dans les
pays scandinaves, la Suède a été la première à légiférer en la matière. La loi du 22 mai 2002, entrée
en vigueur le 1er janvier 2003 a instauré un système d’actions collectives. Cette législation est
particulièrement intéressante car elle a introduit, non pas un, mais trois recours collectifs. En effet,
tout d’abord, il existe une action de groupe, dite « action privée », ouverte à tous les justiciables,
ayant un intérêt personnel à agir et ce, quelle que soit la nature de leur demande. Ensuite, le
législateur a adopté une action en représentation, ouverte aux seules organisations à but non lucratif,
agréées spécifiquement pour introduire ce type d’action, dont l’objet est la défense des
consommateurs ou la protection de l’environnement. Enfin, une action, dite « publique », est
réservée aux organismes publics spécialement habilités par le Gouvernement suédois pour agir dans
le cadre de ce type d’action 66. Le législateur suédois a entendu, à travers cette démarche, adapter les
63F
procédures en fonction des domaines couverts par l’action et par là même en fonction des victimes à
protéger. Il a ouvert l’initiative et la conduite de la procédure aux personnes et entités les plus à
même, à ses yeux, de défendre les intérêts de ces victimes en fonction de catégories qu’il a défini.
38. La Norvège 67, et le Danemark 68 ont adopté des législations relatives aux recours collectifs
64F
65F
respectivement en 2005 et en 2007. Ces pays ont opté pour une seule procédure, couvrant
l’ensemble des demandes introduites devant les juridictions civiles, ouverte aux justiciables,
personnes privées, mais également, aux organismes représentatifs et aux personnes publiques
spécialement habilitées à cet effet.
39. Enfin, la Finlande a adopté, en 2007, une loi n° 444/2007 sur les actions de groupe, entrée en
vigueur le 1er octobre. Cependant, le législateur finlandais n’a pas adopté une position similaire à
celle des autres législateurs scandinaves. En effet, il a organisé un système d’action en
représentation, ouvert seulement à l’Ombudsman 69 chargé des affaires de consommation 70.
6F
67F
65
Voir Loi n° 24/96 du 22 août 1996, art. 18.
H. Lindblom, Class Actions in Sweden, p. 3-4, dans Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court
and from both sides of the class action bar, 6ème Conférence annuelle sur le thème Strategies for Litigating, 6 & 7 mai
2010, Hotel Renaissance Seattle, à Seattle, WA.
67
Loi n° 90 du 17 juin 2005 relative à la médiation et à la procédure judiciaire en matière civile, section 35.
68
Loi n° 181/2007 de 2007.
69
« Terme suédois, désignant une personnalité indépendante, charge dans certains pays (pays scandinaves, GrandeBretagne…) d’examiner les plaintes formulées par les citoyens contre les autorités administratives, et d’intervenir, s’il y a
66
21
40. L’Italie, pays européen de droit de tradition romano-germanique. Depuis une loi du 23 juillet
2009 71, les justiciables italiens peuvent se regrouper pour exercer leur droit à réparation, en cas de
68F
litiges de consommation, de concurrence, ainsi qu’en cas de pratiques commerciales déloyales 72.
69F
Cette loi vise la protection des « droits homogènes des consommateurs et/ou des usagers »73. La
70F
procédure de recours collectif est ouverte aux associations de défense des consommateurs, comme
aux consommateurs ou usagers, agissant en tant que représentants du groupe. Ces derniers peuvent
agir en défense des droits homogènes des consommateurs et usagers, c'est-à-dire lorsqu’un groupe
de consommateurs ou d’usagers a subi un dommage ayant, pour origine, le même fait illicite ou la
même violation des termes du contrat, et étant de même nature 74. La procédure se déroule en deux
71 F
temps. Tout d’abord, le juge contrôle la recevabilité de la demande. Il vérifie que les conditions
propres à l’action de groupe sont remplies. Si la demande est déclarée admissible, il ordonne que la
publicité de la procédure soit opérée dans un délai donné et précise les intérêts homogènes
représentés, qui justifient la procédure. Le juge fixe, également, le délai dans lequel les
consommateurs devront se manifester pour participer à la procédure. La publicité est laissée à la
charge des demandeurs. Le système choisi pour recueillir le consentement des consommateurs à
l’action est celui de l’opt in. Ensuite, le juge se prononce sur la responsabilité du professionnel et
détermine le montant des dommages et intérêts. En Italie, le juge peut, à titre dérogatoire, être
autorisé à déterminer, selon des règles d’équité, le montant des dommages et intérêts 75. Tel sera le
72F
cas, ici, s’il lui est impossible de déterminer individuellement le montant du préjudice subi par
chacun des consommateurs et des usagers. Les parties peuvent faire appel de la décision
d’admissibilité comme du jugement au fond, dans un délai de 30 jours.
lieu, auprès du gouvernement », Lexique des termes juridiques 2012, Guinchard (S.) et Debard (T.), Dalloz, 19ème éd.,
2011, p. 600.
70
Antti Jokela, Class Actions in Finland, p. 1, dans Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court and
from both sides of the class action bar, 6ème Conférence annuelle sur le thème Strategies for Litigating, 6 & 7 mai 2010,
Hotel Renaissance Seattle, à Seattle, WA.
71
Loi n° 99 du 23 juil.2009, qui introduit un nouvel article 140-bis dans le Code de la consommation italien.
72
Voir Rapport sénatorial sur Les actions de groupe, Les documents de travail du Sénat, série Législation comparée, n° LC
206, mai 2010.
73
Voir Loi n° 99 du 23 juil.2009.
74
Voir M. Barcaroli et G. Patetta, Action de groupe : alors que la France recule, l’Italie avance…, Rev. Lamy Droit civil,
2010, p. 70.
75
C. pr. civ. it., art. 432.
22
41. De même, dans certains pays de l’Europe de l’Est, l’action collective a suscité un débat et a pu
aboutir à une nouvelle procédure judiciaire. Ainsi, la loi polonaise sur les recours collectif est entrée
en vigueur le 19 juillet 2010 76. En Hongrie, une proposition de loi a été formulée et adoptée afin
73F
d’introduire une action de groupe en cas de violation du droit de la concurrence 77.
74F
42. Les actions collectives, fruit d’une approche casuistique du traitement des litiges de masse.
Dans d’autres pays, il a été adopté des procédures qui, dans un premier temps, étaient provisoires. Il
s’agissait, en effet, de répondre à un besoin dans un litige donné. Par la suite, ces procédures ont été
conservées.
43. Aux Pays-Bas, il existe une procédure originale de transaction collective permettant un règlement
collectif à l’amiable des litiges de masse 78. Cette procédure est née d’un litige de masse concernant
75F
une hormone de synthèse. Cette procédure de transaction collective n’est pas une procédure
judiciaire bien que l’accord trouvé doive être homologué par le juge afin de permettre sa publicité.
En effet, le principe et le contenu de cette procédure extrajudiciaire sont non contraignants et
impliquent un accord entre les parties 79. Il existe, également, aux Pays-Bas une action en
76F
représentation collective des personnes qui les ont spécifiquement mandaté à cette effet. Cette
procédure se limite à faire cesser toute pratique illicite ou dommageable. Les demandes en
indemnisation sont exclues 80.
7F
44. L’Allemagne a également été confrontée à un problème de gestion d’un litige de masse en matière
boursière, ce qui l’a conduite à légiférer 81. Le législateur allemand a opté pour une procédure
78F
« modèle », qui existait déjà en droit administratif allemand. Il a alors limité le champ de l’action au
domaine du droit boursier 82. La loi a été adoptée pour une période de cinq. Elle devait faire l’objet
79F
d’une révision en 2010 mais le législateur a décidé de prolonger la période de test de deux ans.
76
Loi sur les recours collectif, Dz. U . 2010, n° 7, poz. 44.
M. Thill-Tayara, E. van den Broucke et M. Giner, Private enforcement: Hungary’a Amended Competition Act Offers
Somme Innovative Options, SALANS, publié sur Mondaq.com, 10 juil. 2009.
78
M.-J. van der Heijden, Class actions/actions collectives, National Report: Nederland’s, p. 3, dans Class Actions,
Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, 6ème Conférence annuelle
sur le thème Strategies for Litigating, 6 & 7 mai 2010, Hotel Renaissance Seattle, à Seattle, WA.
79
M.-J. van der Heijden, Class actions/actions collectives, National Report: Nederland’s, p. 4, dans Class Actions,
Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, op. cit.
80
M.-J. van der Heijden, préc. p. 9.
81
Voir infra §. 404.
82
Loi du 1er nov. 2005.
77
23
45. A minima des actions en représentation. Dans les autres Etats membres, il existe, a minima, une
action en représentation ouverte aux associations de défense agréées par les pouvoirs publics.
Cependant, des projets ou propositions de lois sur l’action de groupe ont pu être formulés sans
succès pour le moment. Il en est ainsi de la Belgique 83, de l’Autriche 84, ou encore de la France où
80F
81F
depuis 2004, de nombreux projets et propositions de lois ont été présentés.
(b) De nombreux projets et propositions de loi sur les recours collectifs en France
46. Une volonté politique affichée pour les litiges de consommation. En France, dans ses vœux
adressés aux « forces vives » de la Nation, le 4 janvier 2005, le Président de la République, M.
Jacques Chirac avait demandé au Gouvernement de proposer une modification de la législation pour
permettre à des groupes de consommateurs et à des associations de défense d’intenter des actions
collectives lorsque des pratiques abusives étaient observées sur certains marchés 85. Cette demande a
82 F
relancé le débat sur l’introduction d’un système de class action en France et a donné lieu à un
rapport élaboré par un groupe de travail présidé par M. Guillaume Cerruti et M. Marc Guillaume, et
rendu public en décembre 2005 86. Le groupe de travail a recensé les différentes formes d'actions
83F
actuellement ouvertes aux associations et dressé un bilan de leur mise en œuvre et de leurs limites. Il
a également examiné les systèmes juridiques étrangers où existe déjà l'action de groupe, tant au sein
de l'Union européenne qu'en dehors. Il a alors tracé les grandes lignes de possibles réformes.
Cependant, aucune de ces propositions de réformes n’a recueilli l'adhésion de l'ensemble des
membres du Groupe de travail. Le Gouvernement a décidé de poursuivre la concertation. Par la
suite, de nombreux projets et propositions de lois ont été élaborés par le gouvernement, les députés
et les sénateurs.
83
Voir par exemple, Avant-projet de loi belge relatif aux procédures en réparation collective, sept. 2009, qui propose une
double procédure d’action de groupe et d’action en représentation par une association de défense, ou une société à finalité
sociale. Il est intéressant de relever que le législateur belge a imaginé un système ouvert aux ressortissants des autres Etats
membres. Ainsi un système d’opt out serait prévu pour les résidents belges et un système d’opt in pour les non résidents,
même s’il existerait une possibilité de recours à un système d’opt in pour les résidents belges dès lors que cette procédure
serait expressément autorisée par le juge.
84
Voir en ce sens Walter H. Rechberger, Country Report Austria Abstract, 18ème Congrès international sur le droit
comparé, Washington 2010, Subject II – C – Civil Procedure, Class Actions / Les actions collectives.
85
L. Gaudin, L’introduction d’une action de groupe en droit français : Présentation du projet de loi en faveur des
consommateurs, LPA, 17 janv. 2007, n° 13, p. 3.
86
Rapport sur l’action de groupe, Groupe de travail présidé par G. Cerutti, Directeur général de la Concurrence, de la
Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) et M. Guillaume, Directeur des affaires civiles et du sceau,
remis le 16 déc. 2005 à Th. Breton, Ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie et P. Clément, Ministre de la
Justice, Garde des Sceaux.
24
47. Avril 2006 : la proposition de loi visant à instaurer les recours collectifs de consommateurs, du
député Luc Chatel. Une première proposition de loi a été déposée par M. le député, Luc Chatel, en
avril 2006. Elle prévoyait l’introduction d’une procédure d’action collective, pour les
consommateurs, dont l’exercice serait réservé aux associations de consommateurs agréées. La
procédure proposée s’organise en deux phases. Tout d’abord, le juge contrôle la recevabilité de
l’action et l’opportunité de la procédure. Si la demande est admissible, la décision est notifiée
individuellement aux demandeurs identifiés et collectivement aux demandeurs identifiables. Le
système proposé pour obtenir le consentement des personnes est celui de l’opt out. Aucun recours
n’est possible contre le jugement sur la recevabilité de la demande avant le recours contre le
jugement au fond. Ensuite, le juge examine les questions au fond et se prononce sur la responsabilité
de l’auteur de la pratique. En cas de responsabilité de ce dernier, le juge alloue individuellement des
dommages et intérêts si l’identification des consommateurs lésés est possible, et dans le cas
contraire, il procède à une allocation collective. Toute transaction, renonciation ou conciliation, doit
faire l’objet d’une homologation par le juge. L’association de consommateurs peut obtenir le
remboursement des frais engagés dans la procédure. En cas de rejet de sa demande, les frais et les
dépens auxquels elle doit être condamnée, seraient limités dans leur montant. Ces frais ne peuvent
être mis à la charge des consommateurs. La création d’un fonds d’aide à l’accès à la justice est
prévue. Il pourrait octroyer des avances pour couvrir les frais de notification si l’action de groupe
présente des chances sérieuses de succès 87.
84F
48. Novembre 2006 : Le chapitre IV du projet de loi en faveur des consommateurs. Quelques mois
plus tard, un projet de loi est déposé par le Ministre de l’Economie, de l’Industrie et des Finances,
M. Thierry Breton. Dans ce projet, la représentation des consommateurs est confiée à des
associations de consommateurs agréées sur le plan national. L’action est limitée à la réparation des
préjudices matériels des consommateurs, nés d’un manquement d’un professionnel à ses obligations
contractuelles, et dont la valeur n’est pas supérieure à 2 000 euros. Dans ce système, le juge statue,
tout d’abord, sur la responsabilité du professionnel. Le jugement est publié et cette publication fait
courir un délai, déterminé par le juge, pendant lequel les consommateurs peuvent adresser une
demande d’indemnisation au professionnel. Alors, le professionnel est dans l’obligation de formuler
une offre au consommateur, accompagnée du règlement du montant de l’offre. Si le professionnel
estime la demande infondée, il en informe le consommateur par lettre motivée. A l’expiration du
87
Proposition de loi visant à instaurer les recours collectifs de consommateurs, présenté par M. L. Chatel, député, 26 avr.
2006, n° 3055.
25
délai, l’affaire est rappelée devant le juge pour statuer sur les demandes d’indemnisation non
satisfaites. La procédure est alors simplifiée : sans audience ni représentation obligatoire. Enfin, ce
projet prévoyait l’octroi d’une réduction d’impôts de 66% en faveur des particuliers qui
effectueraient au profit des associations de consommateurs des versements, dans la limite d’un
plafond annuel de 100 euros 88.
85F
49. Octobre 2007 : la proposition de loi du député, M. Montebourg. Un groupe de députés, dont M.
Montebourg était à la tête, a déposé à l’Assemblée nationale, le 24 octobre 2007, une proposition de
loi, qui prévoit une action de groupe applicable en droit de la consommation, mais également en
matière de santé, d’environnement ou de concurrence 89.
86F
50. Janvier 2008 : la proposition issue du Rapport Coulon sur la dépénalisation du droit des
affaires. L’action de groupe a été envisagée comme une contrepartie de la dépénalisation du droit
des affaires. En effet, en octobre 2007, le Garde des sceaux a chargé le Premier Président honoraire
de la Cour d’appel de Paris, M. Jean-Marie Coulon, de mener une réflexion sur les sanctions pénales
applicables aux entreprises en matière de droit des sociétés, de droit financier et de droit de la
consommation. Ce dernier préconise, dans son rapport, publié en janvier 2008, l’introduction d’une
action de groupe réservée aux consommateurs en tant que contrepartie à la dépénalisation de
certaines infractions susceptibles de créer des préjudices individuels et à l’encadrement des
constitutions de parties civiles. Dans le système proposé, la représentation des consommateurs est
également confiée à une association agréée, l’agrément pouvant être conjointement consenti par le
Ministre de l’Économie et des finances et le Ministre de la Justice. Le juge contrôle préalablement
l’admissibilité de la demande. Le système envisagé est celui de l’opt in, c'est-à-dire que seuls les
consommateurs, ayant expressément exprimé leur volonté d’appartenir au groupe, peuvent invoquer
le jugement au fond. Le juge se prononce ensuite sur la responsabilité de l’auteur de la pratique et le
jugement est publié. Le rapport prévoit l’ouverture d’une période pendant laquelle les
consommateurs lésés peuvent formuler leur demande d’indemnisation auprès du professionnel. Il est
88
Projet de loi, en faveur des consommateurs, présenté au nom de M. D. de Villepin, Premier ministre, par M. Th. Breton,
ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, nov. 2006.
89
Proposition de loi relative à l’introduction de l’action de groupe en France, présentée par MM. A. Montebourg, et J-M.
Ayrault, et autres, députés, 24 oct. 2007, n° 324.
26
reconnu au juge un pouvoir de contrôle et d’injonction en cas de refus d’indemnisation ou d’absence
de réponse du professionnel 90.
87F
51. Mai 2008 : les propositions d’amendements à la Loi de Modernisation de l’Economie (LME).
L’adoption de la Loi sur la Modernisation de l’Economie (LME)91 fut aussi un terrain propice aux
8
propositions d’introduire une action collective en droit interne. En effet, plusieurs parlementaires ont
proposé des amendements à la LME visant à l’introduction d’une action de groupe. Par exemple, le
député, M. Charié, a proposé un amendement à la loi, le 26 mai 2008, prévoyant l’ouverture des
actions de groupe aux consommateurs, personnes physiques, en cas de violation des dispositions
contractuelles ou légales dans le cadre de la vente d’un produit ou de la fourniture d’un service, et en
cas de violation du droit de la concurrence 92. Cet amendement a été rejeté 93.
89F
90F
52. Février 2010 : La proposition de loi des sénateurs, Mme Bricq et M. Yung. La réforme de la
procédure d’action en représentation conjointe pour les consommateurs a été envisagée plus
récemment par les sénateurs, Mme Bricq et M. Yung, dans une proposition déposée au Sénat le 9
février 2010 94. Il propose un mécanisme ouvert aux seules associations agréées. Ces dernières
91 F
seraient autorisées à recourir au démarchage juridique pour obtenir les mandats nécessaires à
l’exercice de l’action. Ensuite, une procédure en deux temps permettrait de traiter au fond les
demandes des personnes ayant donné mandat à l’association pour les défendre en justice et une
seconde phase consisterait à identifier, suivant un système d’opt in, toutes les autres personnes,
placées dans une solution similaire, auxquelles la solution de fond serait appliquée.
53. Juillet et décembre 2010 : les propositions de loi du sénateur M. Béteille. Le Sénateur Béteille a
formulé une proposition de loi portant réforme de la responsabilité civile, en juillet 2009, dans
laquelle il propose l’introduction d’une action de groupe 95. Il distingue alors l'action en déclaration
92F
du principe de la responsabilité de l'auteur du manquement, qui peut être introduite par une
association de défense des consommateurs ou des investisseurs spécialement agréée, de la phase
90
La dépénalisation de la vie des affaires, rapport au Garde des Sceaux, Ministre de la justice, par un groupe de travail
présidé par J-M. Coulon, Premier président honoraire de la Cour d’appel de paris, La documentation française, janv. 2008,
p. 89.
91
Loi n° 2008-776 du 4 août 2008 sur la modernisation de l'économie, NOR: ECEX0808477L.
92
Proposition d’amendement n° 351, présenté par M. Charié, rapporteur au nom de la commission des affaires
économiques, 23 mai 2008.
93
Voir site de l’assemblée nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/13/amendements/0842/084200351.asp
94
Proposition de loi sur le recours collectif, présentée par Mme N. Bricq, M. R. Yung et autres, sénateurs, 9 fév. 2010, n°
277.
95
Proposition de loi portant réforme de la responsabilité civile, présentée par M. L. Béteille, sénateur, 10 juil. 2010, n° 657.
27
d’indemnisation collective du dommage. Il vise, à travers cette proposition, les litiges opposant
professionnels et consommateurs ainsi que les litiges nés de la violation des règles nationales du
droit de la concurrence et des règles du droit boursier. Il explique sa procédure, dans une seconde
proposition de loi, déposée le 22 décembre 2010 96, consacrée exclusivement à l’action de groupe.
93F
Dans cette seconde proposition, il restreint le champ de sa proposition aux contentieux contractuels
et précontractuels entre consommateurs et professionnels et aux manquements aux règles de
concurrence.
54. Synthèse. Dans la plupart des projets et propositions citées 97, les procédures d’action collective
94F
proposées tendaient à s’appliquer, en priorité, aux litiges de consommation. Il en est ainsi de la
proposition de loi de M. Luc Chatel, déposée en avril 2006 98, du projet de loi qui a suivi en
95F
novembre 2006 99 ou encore de la proposition issue du rapport de M. Jean-Marie Coulon sur la
96F
dépénalisation du droit des affaires 100. Plus récemment, les propositions de lois déposées par le
97F
sénateur, M. Béteille, en juillet 2010 101 et en décembre 2010 102, appréhendent elles-aussi les litiges
98F
9F
en matière de consommation, même si elles élargissent le champ de l’action aux manquements aux
règles du droit de la concurrence, et, pour l’une d’entre elles, aux règles du droit boursier. La
proposition de loi des sénateurs, Mme Bricq et Mme Yung, est plus subtile en ce qu’elle ouvre
l’action collective aux litiges entre une personne physique et un professionnel 103. En outre, la
10F
représentation par les associations de consommateurs agréées semble emporter la préférence des
pouvoirs publics. Enfin, les dernières propositions tendent à l’adoption d’un système d’opt in.
Aucune de ces propositions et projets de loi n’a abouti pour le moment. En effet, certaines matières,
comme le droit de la concurrence, présentent des caractéristiques spécifiques, qui poseraient la
question de l’introduction de certains principes qui viennent se heurter aux principes fondamentaux
96
Proposition de loi tendant à renforcer la protection des consommateurs par la création d'une action de groupe fondée sur
l'adhésion volontaire, présentée par M. L. Béteille, sénateur, 22 déc. 2010, n° 201.
97
L’étude ici réalisée ne se veut pas exhaustive.
98
Proposition de loi visant à instaurer les recours collectifs de consommateurs, présenté par M. L. Chatel, député, 26 avr.
2006, n° 3055.
99
Projet de loi, en faveur des consommateurs, présenté au nom de M. D. de Villepin, Premier ministre, par M. Th. Breton,
ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, nov. 2006.
100
La dépénalisation de la vie des affaires, rapport au Garde des Sceaux, Ministre de la justice, par un groupe de travail
présidé par J-M. Coulon, Premier président honoraire de la Cour d’appel de paris, La documentation française, janv. 2008,
p. 89.
101
Proposition de loi portant réforme de la responsabilité civile, présentée par M. L. Béteille, sénateur, 10 juil. 2010, n°
657.
102
Proposition de loi tendant à renforcer la protection des consommateurs par la création d'une action de groupe fondée sur
l'adhésion volontaire, présentée par M. L. Béteille, sénateur, 22 déc. 2010, n° 201.
103
Proposition de loi sur le recours collectif, présentée par Mme N. Bricq, M. R. YUNG et autres, sénateurs, 9 fév. 2010, n°
277.
28
de notre droit civil. Or le gouvernement a indiqué qu’il désirait « mettre en place un dispositif
compatible avec les principes et l’organisation judiciaire de notre pays » 104.
1 01F
55. Récapitulatif des projets et propositions de loi français étudiés.
Auteur et contexte de la
proposition
Proposition de loi du
député, M. Luc Chatel
Projet de loi du Ministre
de l’Economie, M.
Breton
Proposition de loi du
député, M. Montebourg
Proposition
de
M.
Coulon, issue du rapport
sur la dépénalisation du
droit des affaires
Proposition
d’amendement à la LME
du député, M. Charié
Proposition de loi des
sénateurs, Mme Bricq et
M. Yung
Proposition
de
loi
portant réforme de la
responsabilité civile du
sénateur, M. Béteille
Proposition de loi du
sénateur, M. Béteille
Système d’opt in ou
d’opt out
Personne habilitée à agir
Domaine d’intervention
Avril 2006
Associations de défense
agréées
Litiges de
consommation
Système d’opt out
Novembre 2006
Associations de défense
agréées
Litiges de
consommation d’un
montant inférieur à 2000
euros
Système d’opt out
Octobre 2007
Associations de défense
faisant la preuve de son
existence réelle et
sérieuse depuis cinq
années
Litiges de
consommation, de santé,
de concurrence ou
environnemental
Système d’opt out
Janvier 2008
Associations de défense
agréées
Litiges de
consommation
Système d’opt in
Mai 2008
Associations de défense
agréées
Litiges de concurrence
Système d’opt in
Février 2010
Associations de défense
agréées
Litiges entre une
personne physique et un
professionnel
Système d’opt in
Juillet 2010
Pas spécifié
Litiges de
consommation, de
concurrence, boursier
Pas spécifié
Décembre 2010
Associations de défense
agréées
Litiges de
consommation et de
concurrence
Système d’opt in
Date de la proposition
56. Transition. Cet état des lieux des différentes législations adoptées et des différents projets et
propositions de loi, présentés au niveau national, comme au niveau communautaire, permet de
souligner les premières difficultés du sujet, qui tiennent à la collision entre les propositions
communautaires et nationales ainsi qu’au choix de modalités diverses d’exercice de l’action de
groupe dans ces nombreuses propositions.
104
Voir projet de loi en faveur des consommateurs, 8 nov. 2006, p. 12.
29
B) Les actions de groupe dans les pays européens de droit civiliste : une équation à variables
multiples
57. Plan. Si depuis plus de cinq ans maintenant, la question n’a pas abouti à l’adoption d’un
instrument législatif au sein de l’Union européenne, et créée toujours des débats au sein des Etats
membres, c’est que la procédure de recours collectif est un sujet complexe, tant sur le plan technique
que sur le plan politique. Cette complexité tient principalement :
-
A la question de la compatibilité du système de l’action de groupe avec le système de droit
civiliste dès lors qu’une influence du système américain de la class action pèse sur le débat
européen (1),
-
A la question des besoins réels d’une telle procédure en Europe, qui influera sur les modalités
de mise en œuvre de la procédure (2) et,
-
A la question de compétence de l’Union pour légiférer en la matière (3).
(1) L’influence de la procédure américain de la class action sur le débat en Europe
58. Le modèle de la class action américaine a suscité et suscite encore beaucoup d’inquiétudes en
Europe du fait des nombreuses dérives financières qu’il a entrainé aux Etats-Unis, notamment au
détriment des entreprises. Certaines entreprises ont envisagé de quitter la place boursière américaine
afin d’éviter tout risque juridique. Cependant, comme démontré ci-après, ces dérives sont, en grande
partie, le fruit des modalités du système judiciaire américain lui-même comme la procédure de
Discovery, les Contingency fees agreements 105, ou les dommages et intérêts punitifs 106, qui sont
102F
103F
étrangères à la plupart des droits des Etats membres de l’Union européenne. Ces modalités ne sont
pas propres au système de la class action. Or, le débat, au sein de l’Union, sur les recours collectifs a
105
Les “Contingency Fees Agreements” sont « des conventions d’honoraires qui prévoit que les honoraires ne seront
versés à l’avocat en contrepartie de ses services de conseil et de représentation qu’à condition que le procès aboutisse à un
jugement en faveur du client ou à une transaction favorable à ce dernier », voir la définition dans le Black’s Law
dictionary, Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 362.
106
Les dommages et intérêts punitifs (punitive damages) sont des « dommages et intérêts octroyés en plus des dommages et
intérêts compensatoires lorsque le défendeur a agi avec insouciance, malice ou tromperie; Spéc. Dommages et intérêts
octroyés en vue de sanctionner l’auteur d’une mauvaise conduite ou de faire un exemple pour les autres. Les dommages et
intérêts punitifs qui ont pour objet de punir et de dissuader les conduites blamables ne sont généralement pas octroyés en
cas de violation des termes d’un contrat. La Cour Suprême a considéré que trois règles pouvaient aider à déterminer si
l’allocation de dommages et intérêts punitifs violaient les règles constitutionnelles du Due process: (1) le caractère
répréhensible de la conduite punie; (2) le caractère raisonnable du lien entre le préjudice causé et le montant des
dommages et intérêts punitifs; et (3) la différence entre le montant de ces dommages et intérêts punitifs et les sanctions
civiles autorisée dans un cas comparable, BMW of North America, Inc. v. Gore, 517 U.S 559, 116 S. Ct 1589 (1996) […] »,
Black Law Dictionnary, Garner (B. A.), Rédacteur en chef, West Publishing Company, 9 ème éd., 2009, p. 448
30
été engagé à partir de ce modèle et il est accompagné desdites modalités 107. Ces amalgames ont
104F
encore compliqué le débat.
59. Par ailleurs, la question de la compatibilité des modalités procédurales appliquées aux Etats-Unis
avec les principes fondamentaux des droits procéduraux et substantiels régissant les systèmes
juridiques des Etats européens est centrale dans ce débat 108. L’action de groupe est née et a été
105F
développée dans des pays de Common Law, où la conception du déroulement de la procédure
judiciaire est, par définition, opposée à celle des pays européens de droit de tradition romanogermanique 109. Elle permet à une personne de défendre non seulement ses propres intérêts mais
106F
également ceux d’autres personnes, non identifiées au moment de l’introduction de l’instance. De
même, le jugement rendu liera des personnes qui étaient absentes de la procédure. Il faudra ainsi
vérifier les conditions d’exercice de cette procédure afin de contrôler que les principes
fondamentaux, qui gouvernent la procédure civile et le droit de la responsabilité dans les pays
civilistes, ont été respectés. Dans le cas contraire, il faudra rechercher les modalités d’exercice de
l’action qui permettraient d’aboutir à une compatibilité avec les principes fondamentaux du droit en
cause.
60. Enfin, la procédure d’action de groupe est une procédure dérogatoire au droit commun quel que
soit le système judiciaire en cause. Il faudra en conséquence examiner les conditions d’autorisation
de la procédure à mettre en place.
(2) Les besoins européens d’une procédure d’action de groupe
61. Ensuite, il faut s’assurer que, d’une part, la mise à l’écart éventuelle de principes procéduraux
fondamentaux communément admis dans les pays de droit civiliste est justifiée et proportionnée par
rapport aux besoins et objectifs poursuivis qui devront être identifiés. D’autre part, il faudra
également s’interroger sur la possibilité de procéder à des aménagements de sorte que les règles
adoptées soient compatibles avec les principes procéduraux fondamentaux en cause. Cela
107
Voir Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et
les abus de position dominante », Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, 25 déc. 2005,
COM(2005) 672 final.
108
J. Monéger, Deux voyageurs au Maghreb al aqsa, Liber amicorum Xavier Blanc-Jouvan, Soc. lég. comp. 2005 ; J.
Monéger, Biographie d’un C.O.C. de la réception à l’assimilation d’un code étranger dans l’ordre juridique marocain, R.
M. D. E., 1984, n° 7, p. 15 et s. ; M-A. Frison-Roche, Les résistances mécaniques du système juridique français à accueillir
la class action : obstacles et compatibilités, LPA, 10 juin 2005, n° 115, p. 22.
109
Voir Supra §. 9.
31
permettraient, le cas échéant, d’introduire une action de groupe efficace au regard des objectifs
poursuivis.
62. Les finalités de l’action de groupe. L’action de groupe est, en premier lieu, un moyen de traiter,
de manière plus efficiente, les demandes en justice par rapport au traitement individualisé de
multiples demandes qui ont le même objet au moyen d’autant de procès. Il s’agit de rationnaliser de
la manière la plus efficiente possible un traitement équitable et dans un délai raisonnable des
demandes par le juge. C’est un objectif de bonne administration de la justice.
63. En deuxième lieu, le fait de permettre à un justiciable de mener une action en justice, dont le
résultat pourra bénéficier à toutes les personnes placées dans une situation similaire à la sienne,
contribue à garantir ou à renforcer l’effectivité du droit à réparation de justiciables, qui, dans
certaines circonstances, seraient dissuadés d’engager une action du fait des coûts et de la lourdeur de
la justice, en facilitant leur l’accès au juge.
64. Enfin, une troisième finalité de l’action a été développée en prenant modèle sur le système
américain de la class action. Aux Etats-Unis, la mise en œuvre de la procédure civile américaine est
perçue comme un système complémentaire du système pénal. La procédure civile et la class action
furent conçues comme un mode de dissuasion et un complément indispensable à l'action répressive
des pouvoirs publics. Le but du législateur américain est la mise en œuvre effective de la loi par les
citoyens, et non pas la seule obtention de la réparation de leur préjudice. Ce concept est appelé
« Private enforcement » 110. La procédure de la class action telle qu'elle existe aujourd'hui est issue
1 07F
de la réforme de 1966. La motivation du législateur était alors de garantir le respect de la loi mettant
fin à la ségrégation raciale en encourageant les victimes de discrimination à faire valoir leurs droits
devant la justice civile 111. Un tel objectif semble étranger à l’objet du procès civil dans les pays
108F
européen, et a fortiori aux rôles respectifs de l’individu et des pouvoirs publics, dans les sociétés
européennes.
110
Voir J. Nannes, Le private enforcement : l’expérience américaine, Concurrence & consommation, n° 153, juin 2007,
Numéro spécial, p. 27.
111
D. R. Hensler, N. M. Pace, B. Dombey-Moore, E. Giddens, J. Gross, E. Moller, Class actions dilemmas, Pursuing
public goals for private gain, RAND Institute for Civil Justice, Rand Publishing, 1 ère éd., 2000, p. 12; N. M. Pace Class
actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature, RAND Institute for Civil
Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 42, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale cosponsorisée par la Stanford Law School et le Center for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007.
32
65. Le ou les domaines de l’action de groupe. L’examen d’une telle procédure doit également amener
à s’interroger sur le domaine de l’action de groupe.
66. Doit-on réserver cette action à une catégorie de personnes et en particulier aux consommateurs ou
doit-on étendre le champ de cette procédure à toute victime potentielle ?
67. De même doit-on consacrer une mesure sectorielle, qui serait utilisée en cas de violation d’un
corps de règles, comme le droit de la concurrence ou le droit de la consommation ou doit-on
considérer tout litige de masse quelle que soit la nature de la faute à l’origine du dommage ?
68. Enfin doit-on prendre en compte l’importance du litige ? Autant de questions dont les réponses
pourront influer sur les modalités d’exercice de l’action.
(3) La compétence de l’Union européenne pour légiférer en la matière
69. La répartition des compétences entre les Etats membres et l’Union européenne. Les initiatives
législatives se développent en droit de l’Union européenne comme en droit interne des Etats
membres. Ainsi la première question qui se pose est celle de la compétence de l’Union ou des Etats
membres pour légiférer en la matière, sachant qu’il s’agit d’une nouvelle procédure judiciaire, que
les litiges transfrontaliers peuvent également être visés par la réforme et que seuls certains Etats
membres ont adopté des législations en la matière 112. La question du risque de Forum Shopping
109F
devra être abordée 113.
10 F
70. La recherche d’un outil efficace. De plus, au sein de l’Union, les systèmes de droit diffèrent d’un
Etat membres à l’autre, certains étant de tradition romano-germanique, d’autres de Common Law et
d’autres encore puisant leur inspiration dans les deux modèles 114. Ainsi il faut s’assurer de la faculté,
1F
pour la Commission européenne, de trouver un système efficace et compatible avec les principes
fondamentaux et les traditions juridiques de chaque Etat membre 115. Se pose, le cas échéant, la
12F
112
Voir Renforcer la cohérence de l'approche européenne en matière de recours collectifs, document de travail des
services de la Commission européenne, consultation publique, 4 fév. 2011, SEC(2011) 173 final.
113
D. Cohen, Contentieux d’affaires et abus de forum shopping, Recueil Dalloz 2010, p. 975 ; J. Lemontey et N. Michon,
Les class actions américaines et leur éventuelle reconnaissance en France, Journal du Droit international (Clunet), n° 2,
avr. 2009, var. 2.
114
Voir Supra §. 9.
115
Voir Renforcer la cohérence de l'approche européenne en matière de recours collectifs, document de travail des
services de la Commission européenne, consultation publique, 4 fév. 2011, SEC(2011) 173 final.
33
question de l’outil législatif le plus adapté pour y parvenir. Enfin, les modes de financement de ces
actions les plus appropriés devront être déterminés.
III- Exposé de la méthode suivie : le droit comparé
71. La démarche comparative. Le travail présenté résulte d’une démarche comparative consistant à
étudier les législations de différents pays, ainsi que la jurisprudence développée, dans ces pays, en
matière d’actions collectives. L’étude porte également sur les principes procéduraux des différents
systèmes et législations en matière de procédure civile ainsi que sur les règles substantielles qui
régissent le droit de la responsabilité civile.
72. La justification du choix des pays étudiés : en Amérique du Nord. Le premier droit étudié est
celui des Etats-Unis d’Amérique. Berceau de la class action, ce système juridique est
incontournable. L’étude porte sur les procédures de class actions, mais également sur le
fonctionnement du système judiciaire aux Etats Unis, en tant que système de Common Law. Il s’agit
de comprendre le rapport original du citoyen américain à la justice, en comparaison avec le rapport
du citoyen européen face à la justice, dans les pays de droit romano-germanique, et ainsi se pencher
sur des considérations juridico-politiques et historiques. Le système canadien de la class action sera
étudié, à titre complémentaire, afin d’exposer les modalités de financement de cette procédure par le
biais d’un fonds.
73. La justification du choix des pays étudiés : en Europe. Il existe, au sein de l’Union européenne,
des pays de Common Law, des pays dits « de systèmes mixtes » et une grande majorité de pays de
droit de tradition romano-germanique. Il a fallu opérer des choix parmi ces pays.
74. Le Royaume-Uni s’est imposé en tant que pays européens de Common Law. Il entretient des liens
historiques et juridiques très étroits avec les Etats-Unis d’Amérique et pourtant le législateur refuse
pour le moment d’adopter une procédure de class actions à l’américaine, avec un système d’opt out.
Ce système juridique est intéressant car la mise en œuvre du droit anglais est influencée par les
systèmes voisins de droit civiliste. Il s’en rapproche notamment quant au rôle du juge dans l’examen
des techniques de preuve 116.
13 F
116
Voir Infra §. 737 et s.
34
75. Ensuite, la Suède est un pays intéressant à étudier car il s’agit d’un système de droit mixte entre la
Common Law et le droit civiliste. En effet, bien que, de tradition civiliste concernant le droit privé, il
a beaucoup emprunté, au système procédural propre au Common Law. Il s’agit de l’un des premiers
Etats membres de l’Union à avoir adopté non pas une, mais plusieurs procédures d’action collective.
De plus, la loi sur ces recours collectifs date de 2000, ce qui permet d’avoir un premier retour sur
l’utilisation de cette procédure. Les autres pays scandinaves seront également étudiés car bien que
très proches, ils ont opté pour des procédures qui ne sont pas identiques. La Finlande présente un
intérêt particulier car le législateur finnois a mis en place un système alternatif de résolution des
litiges, complémentaire de l’action collective.
76. Parmi les pays européens de droit de tradition romano-germanique, le choix s’est porté sur
l’Allemagne, l’Italie et la France. Ces trois pays rencontrent les mêmes difficultés pour concilier la
procédure d’action collective avec les principes procéduraux fondamentaux qu’ils appliquent, même
si des divergences existent, notamment en raison de leurs droits constitutionnels distincts. Ces trois
pays illustrent trois approches différentes sur les actions collectives. En effet, l’Italie a opté pour une
procédure d’action de groupe avec un système d’opt in. L’Allemagne a préféré adopter une
procédure alternative, la procédure « modèle » pour le traitement des litiges de masse, en matière
boursière. En France, malgré de nombreux projets et propositions de loi, la réflexion est toujours en
cours.
77. En outre, le système de la transaction collective néerlandaise, qui apparaît comme une
procédure originale entre la procédure judiciaire et le mode alternatif de règlement des litiges sera
étudié.
IV- Les délimitations du sujet et l’annonce du plan
78. La délimitation du sujet. Le thème des actions collectives dans les pays européens de droit de
tradition romano-germanique est vaste. Il implique plusieurs disciplines juridiques : outre le droit
processuel et le droit de la responsabilité civile, l’histoire du droit ou encore le droit comparé sont
incontournables. De plus, il revêt une dimension politique puisque deux visions du rôle du droit dans
l’organisation sociale s’affrontent. Pour ces raisons, des choix ont dû être opérés et le champ de
l’étude a été limité.
35
79. Tout d’abord, aux Etats-Unis, les class actions peuvent être utilisées pour obtenir la réparation des
dommages subis, mais également pour obtenir un jugement déclaratoire sur la responsabilité du
défendeur et une injonction de cesser la pratique infractionnelle. Les développements seront limités
aux actions collectives exercées pour la seule réparation des dommages subis. Le Conseil et le
Parlement européen ont, d’ores et déjà, adopté une directive relative aux actions en cessation en
matière de protection des intérêts des consommateurs 117. Il est possible de considérer que l’intérêt
14F
majeur de ces actions collectives, en l’état actuel du droit, est la réparation des préjudices subis dans
le cadre de litiges de masse.
80. Ensuite, les class actions ont été pensées tant pour permettre le regroupement des demandeurs que
le regroupement des défendeurs. Seule la première hypothèse sera retenue dans l’étude. L’action de
groupe pour les demandeurs est, en effet, au cœur du débat.
81. Enfin, les actions collectives sont des procédures judiciaires. Ainsi, par nature, elles peuvent
potentiellement être mises en œuvre pour tout type de litiges de masse, quelle que soit la nature du
dommage à l’origine du préjudice. Aux Etats-Unis, la procédure est utilisée pour tout type de
violation du droit allant du droit de la concurrence au droit social ou au droit de travail 118.
15F
Cependant, nos développements seront limités au champ économique, et en particulier aux litiges de
concurrence et de consommation, qui sont les seuls envisagés, pour le moment, par les institutions
communautaires. Certaines considérations et conclusions seront, in fine, utiles quelle que soit le
domaine juridique considéré (droit de l’environnement, litiges de santé publique etc.).
82. Annonce du Plan. Dans un premier temps, il faut envisager les actions collectives sous un angle
technique et examiner les modalités d’autorisation et d’exercice de l’action de groupe afin de
déterminer si elle est compatible avec les principes fondamentaux qui gouvernent la procédure civile
et le droit de la responsabilité, dans les pays de tradition romano-germanique. La procédure de class
action américaine servira de socle à cette étude. Cependant, le champ de l’analyse sera étendu aux
autres formes d’actions collectives qui existent en Europe, ainsi qu’aux modes alternatifs de
117
Directive 2009/22/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avr. 2009 relative aux actions en cessation en matière
de protection des intérêts des consommateurs (version codifiée), JO L 110 du 1 mai 2009, p. 30–36.
118
N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature,
RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 8, dans The Globalization of class actions,
Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Center for socio-legal studies, Oxford
University, 13 & 14 déc. 2007.
36
résolution des conflits (MARC) pour déterminer dans quelle mesure, ils pourraient se substituer
efficacement à l’action de groupe (Partie I).
83. Dans un second temps, il faut s’intéresser aux enjeux de politique juridique. L’étude des projets
européens de la DG Concurrence et de la DG Sanco permet de déterminer la ou les finalités de
l’action collective et son domaine d’application pour répondre aux besoins des justiciables. De
même, seront examinés les enjeux tant européens que nationaux de la réforme, pour conclure sur un
chapitre, de manière prospective, en esquissant des propositions susceptibles de contribuer à une
solution appropriée en France (Partie II).
37
38
PARTIE I : LES ACTIONS COLLECTIVES :
DES PROCEDURES ORIGINALES
84. L’action de groupe, développée aux Etats-Unis dans les années 60 apparait, aujourd’hui, comme
la procédure de recours collectif la plus aboutie 119. Elle a fortement inspiré les procédures d’action
16F
de groupe canadienne, et australienne
17 F
120
. Elle fait figure de référence au sein de l’Union européenne.
En effet, les pouvoirs publics, au niveau communautaire, comme au niveau national, s’interrogent
sur l’opportunité et la possibilité d’adopter de telles procédures, notamment en matière de droit de la
consommation et de droit de la concurrence 121.
18F
85. L’action de groupe présente certaines caractéristiques relatives à la représentation en justice par
autrui et pour autrui, qui seront mises en lumière par l’étude du système judiciaire de la class action.
Ces modalités d’exercice de l’action viennent heurter certains principes fondamentaux, qui
119
Voir N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature,
RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 8, dans The Globalization of class actions,
Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Center for socio-legal studies, Oxford
University, 13 & 14 déc. 2007; D.R. Hensler, N.-M. Pace, B. Dombey-Moore, E. Giddens, J. Gross, E. Moller, Class
actions dilemmas, Pursuing public goals for private gain, RAND Institute for Civil Justice, Rand Publishing, 1ère éd., 2000.
120
W. A. Bogart, J. Kalajdzic et I. Matthews, Class Actions in Canada: A National Procedure in a Multi-Jurisdictional
Society? dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le
Center for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007; V. Morabito, Group Litigation in Australia “Desperately Seeking” Effective Class Action Regimes Class Actions, dans The Globalization of class actions, Conférence
internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Center for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14
déc. 2007.
121
Voir en matière de droit de la concurrence : Proposition de directive relative aux règles régissant les actions en
dommages intérêts pour infraction aux articles 81 et 82 du traité, Direction Générale de la Concurrence de la Commission
européenne, avr. 2009; Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur
les ententes et les abus de position dominante, Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, 2 avr.
2008, COM(2008) 165 final ; Voir en matière de droit de la consommation : Livre vert du 27 nov. 2008 sur les recours
collectifs pour les consommateurs, Direction Générale pour la santé et la protection des consommateurs de la Commission
européenne, COM(2008) 794 final, non publié au Journal officiel.
39
gouvernent la procédure civile et le droit de la responsabilité civile dans certains Etats membres.
Une réflexion est menée sur la possibilité de passer outre ces obstacles ou d’adapter la procédure
d’action de groupe, afin de garantir la compatibilité de l’action avec ces principes. La procédure de
class action aux Etats-Unis s’inscrit dans un système de Common Law et elle est cohérente à l’égard
des principes qui gouvernent ce système. Une adaptation de la procédure de l’action de groupe, au
système de tradition romano-germanique dominant au sein de l’Union, semble nécessaire si les
pouvoirs publics optent pour cette procédure.
86. En outre, les Etats membres de l’Union ne sont pas démunis pour connaître des litiges de masse.
Des procédures judiciaires permettent, d’ores et déjà, un traitement collectif de ces cas. Renforcées
ou améliorées, elles peuvent constituer des alternatives intéressantes à l’action de groupe ou, a
minima, être étudiées comme source d’inspiration pour adapter l’action de groupe aux systèmes de
droit romano-germanique. De même, les procédures négociées sont des compléments utiles à la
résolution des litiges de masse, qu’il ne faut pas négliger.
87. Cela conduit à s’interroger sur les modalités d’existence et d’exercice des actions de groupe (Titre
1) ainsi que sur les alternatives procédurales à l’action de groupe, existantes au sein de l’Union,
auxquelles il serait possible de recourir, à titre subsidiaire ou à titre complémentaire (Titre 2).
40
TITRE I : LES ACTIONS DE GROUPE :
CONDITIONS D’EXISTENCE ET D’EXERCICE
88. La représentation en justice par un tiers. Les actions collectives sont des procédures judiciaires,
qui dérogent au droit commun, car elles se caractérisent par la représentation en justice de personnes
par un tiers. Les personnes représentées à la procédure sont réputées avoir consenti, tacitement ou
explicitement, à l’exercice de l’action par un autre justiciable. Ainsi, un Demandeur Représentatif va
ester en justice, pour une pluralité d’autres justiciables, simplement identifiables au moment de
l’introduction de la procédure, à l’encontre d’un ou plusieurs défendeurs, auteur d’une pratique
alléguée, censée avoir causé un préjudice similaire à l’ensemble des personnes représentées à la
procédure 122.
19F
89. La class action à l’américaine, un modèle de référence. La procédure américaine de la class
action, système d’action collective le plus abouti, à ce jour, se caractérise par le fait que l’une des
victimes potentielles de la pratique alléguée porte son affaire en justice pour obtenir la réparation de
son propre préjudice, mais également pour toutes les autres personnes placées dans une situation
similaire à la sienne 123. Cette procédure apparaît comme un modèle dans le débat sur le traitement
120F
des litiges de masse en Europe et en particulier en France. Son étude permet de mettre en lumière les
grandes étapes de la procédure et de déterminer les choix offerts aux législateurs européens dès lors
que l’introduction d’une nouvelle procédure d’action collective en droit positif serait décidée.
Cependant, la procédure de class action a été développée dans un système de Common Law de type
accusatoire. Or, il faut replacer la procédure d’action collective dans son contexte juridique de
destination 124 : les systèmes de droit romano-germanique de type inquisitoire, majoritaires au sein de
12F
122
J. Lemontey et N. Michon, Les class actions américaines et leur éventuelle reconnaissance en France, Journal du Droit
international (Clunet), n° 2, avr. 2009, var. 2.
123
D. R. Hensler, N.-M. Pace, B. Dombey-Moore, E. Giddens, J. Gross, E. Moller, Class actions dilemmas, Pursuing
public goals for private gain, RAND Institute for Civil Justice, Rand Publishing, 1ère éd., 2000, p. 12.
124
J. Monéger, Deux voyageurs au Maghreb al aqsa, Liber amicorum Xavier Blanc-Jouvan, Soc. lég. comp. 2005 ; J.
Monéger, Biographie d’un C.O.C. de la réception à l’assimilation d’un code étranger dans l’ordre juridique marocain, R.
41
l’Union européenne. Cette acclimatation permettra de déterminer les obstacles éventuels à
l’introduction d’une procédure d’action de groupe à l’américaine dans ces systèmes et de souligner
les modalités de l’action de groupe, indispensables à son bon fonctionnement.
90. Plan. Cette procédure se caractérise d’abord par ses conditions d’ouverture, limitées à certaines
personnes et à certaines circonstances. Il s’agit de justifier le recours à une procédure judiciaire
dérogatoire au droit commun (Chapitre 1). Elle doit ensuite être examinée au regard des personnes
représentées, et de leurs droits : droit à l’information, droit à consentir à l’exercice de leur action par
autrui et droit à réparation du préjudice subi (Chapitre 2).
M. D. E., 1984, n° 7, p. 15 et s. ; M-A. Frison-Roche, Les résistances mécaniques du système juridique français à accueillir
la class action : obstacles et compatibilités, LPA, 10 juin 2005, n° 115, p. 22.
42
CHAPITRE I : L’ACTION EN JUSTICE POUR AUTRUI :
LES CONDITIONS D’AUTORISATION DE L’ACTION
91. Une procédure judiciaire hors norme. La procédure d’action de groupe se caractérise, en premier
lieu, par la représentation en justice d’individus par une tierce personne. Un Demandeur Représentatif
porte son action en justice pour obtenir la réparation de son préjudice, mais également pour toutes les
autres personnes placées dans une situation similaire à la sienne. La procédure d’action de groupe
apparaît, au regard de ce seul élément, comme dérogatoire au droit commun. L’action individuelle est,
quel que soit le pays envisagé, l’action de principe. C’est pourquoi, l’action de groupe ne pourra être
mise en œuvre que dans certaines circonstances et sous certaines conditions, justifiant la dérogation à
la règle.
92. Une procédure soumise à autorisation dans le système américain. Cette caractéristique,
intrinsèque à l’action de groupe, justifie, dans le système américain, une phase d’examen, préalable à
l’examen du fond, dans laquelle le juge décidera ou non d’ouvrir une telle action. Il doit, lors de cette
phase, examiner la recevabilité de l’action, mais également trancher la question de l’opportunité de
recourir à la procédure d’action de groupe pour connaître du litige (phase de certification). Il s’agit,
pour le juge, de vérifier que la voie de l’action de groupe sera la plus à même de parvenir à un
traitement efficient de l’affaire et ce, en vue d’une bonne administration de la justice. Dans le cadre de
cet examen préalable, l’intérêt à agir pour autrui du représentant à l’action et son aptitude à conduire la
procédure dans l’intérêt de l’ensemble des personnes représentées sont analysées rigoureusement par le
« juge de la certification ». Le système américain présente sur ce point deux particularités. D’une part,
le Demandeur Représentatif est lui-même membre du groupe de représentés, et il a, à ce titre, qualité à
agir pour autrui. Ainsi, potentiellement tout justiciable américain peut intenter une telle action. D’autre
part, les avocats du Demandeur Représentatif jouent un rôle personnel dans la conduite et dans la
représentation en justice des tiers, ce qui justifiera un contrôle par le juge lors de la phase de
certification de leur compétence à cette représentation en justice hors norme (Section1).
93. La qualité à agir pour autrui dans les systèmes de droit de tradition romano-germanique. Ce
contrôle préalable de la recevabilité et de l’opportunité de la procédure permet de s’interroger sur les
personnes autorisées à engager ce type de procédure. Sur la recevabilité de la demande, le choix du
législateur américain d’ouvrir l’action à l’ensemble des justiciables ayant potentiellement souffert d’un
préjudice similaire à celui d’autres personnes peut soulever des difficultés dans certains Etats membres
43
de l’Union européenne. En effet, bien que certains pays européens, comme la Suède, l’Italie ou encore
le Portugal 125 aient adopté cette solution, cette dernière ne pourra être retenue, dans d’autres pays, que
12 F
si une qualité particulière est dévolue au demandeur pour pallier le défaut d’intérêt à agir pour
autrui 126. En France, par exemple, la qualité à agir pour autrui ne peut être conférée qu’à une certaine
123F
catégorie de justiciables, qui justifient de garanties particulières. Les législateurs européens doivent
composer avec ces dispositions légales et recourir aux alternatives proposées, notamment, à travers
l’action en représentation des associations de défense. S’agissant des autres conditions liées à
l’autorisation de la procédure et notamment de l’examen de l’opportunité de recourir à une telle
procédure, elles sont, pour le moment, adoptées dans l’ensemble des pays disposant d’une procédure
d’action collective même si de manière imparfaite. Elles constituent des mesures adaptées et efficaces
pour lutter contre les procédures abusives (Section 2).
SECTION 1 : L’ACTION EN JUSTICE POUR AUTRUI : AUX ETATSUNIS D’AMERIQUE, PAYS DE COMMON LAW
94. Un recours à l’action de groupe soumis à conditions. Le recours à la procédure d’action de
groupe n’est autorisé aux Etats-Unis que si les circonstances de l’espèce le justifient. Le Demandeur
Représentatif 127 (Representative plaintiff), qui sollicite le recours à une procédure d’action de groupe,
124F
doit, en effet, démontrer que certaines conditions sont remplies. Il doit satisfaire à des conditions de
recevabilité de l’action, similaires à celles connues dans la majorité des Etats membres, mais il doit
également mettre en lumière que les demandes seront traitées de manière plus efficiente, plus efficace
125
H. Lindblom, Class Actions in Sweden, p. 3-4, dans Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court
and from both sides of the class action bar, 6ème Conférence annuelle sur le thème Strategies for Litigating, 6 & 7 mai
2010, Hotel Renaissance Seattle, à Seattle, WA; Les actions de groupe, Les documents de travail du Sénat, série
Législation comparée, n° LC 206, mai 2010; H. Sousa Antunes, Class Actions, Group Litigation & Other Forms of
Collective Litigation (Portuguese Report), dans The Globalization of class actions, Conférence internationale cosponsorisée par la Stanford Law School et le Center for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007.
126
F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 10e éd., 2009.
127
Le Demandeur Représentatif désigne le justiciable désigné par le Tribunal au terme de la phase de certification pour
représenter l’ensemble de la class. Plusieurs justiciables peuvent être désignés en ce sens, voir Rule 23(a) FRCP
« Representative parties » (Ce sont les règles fédérales de procédure civile (ci-après « FRCP ») ; « Ces règles régissent la
conduite de toutes les actions civiles intentées devant des tribunaux de district fédéral. Alors qu'ils ne s'appliquent pas à
des poursuites devant les tribunaux d'État, les règles de nombreux Etats ont été calquées sur ces dispositions »,
http://translate.google.fr/translate?hl=fr&langpair=en%7Cfr&u=http://www.law.cornell.edu/rules/frcp/).
Ces justiciables et les autres membres de la class seront, en revanche, représentés en justice par un seul cabinet d’avocats
désigné comme le « Class Counsel », par le juge, au terme de la phase de certification, voir Rule 23(g) FRCP. Dans un
souci de simplification rédactionnelle, dans le corps de texte, l’expression de « Demandeur Représentatif » au singulier sera
utilisée.
44
et plus équitable, suivant cette procédure, que si elles étaient examinées individuellement. Cette phase
préalable d’examen est appelée « phase de certification de la class 128 ».
125F
95. La limitation de l’exposé à la procédure fédérale américaine. Les développements suivants
seront consacrés à la procédure américaine de la certification, dont le système apparaît comme la
référence dans le débat engagé. Plus précisément, l’étude portera sur le système fédéral américain de la
class action. Les Etats fédérés ont pu adopter des règlementations quelques peu divergentes de la
réglementation fédérale, mais le socle de base est commun 129. Cette phase préalable d’examen de
126F
l’opportunité de recourir à cette procédure d’action de groupe se retrouve dans d’autres Etats que les
Etats-Unis. Elle est présente au Canada, en Australie, ou en Suède, où les systèmes présentent des
conditions de certification similaires concernant les procédures d’actions de groupe adoptées.
96. Aux Etats-Unis, il existe deux séries de conditions de certification, au-delà des conditions de
recevabilité de l’action. La première série est commune à l’ensemble des procédures de class actions,
quel que soit le type de demande formulée et la matière concernée. Elle comprend les conditions de
Commonality 130, de Numerosity, de Typicality 131 et d’Adequacy of representation 132. Ensuite, une
127F
128F
129F
seconde série de conditions va intervenir dès lors qu’il s’agit d’un mass torts case 133, susceptible
130F
128
Le terme de « class » désigne un groupe de demandeurs potentiels à la procédure, se trouvant dans une situation
similaire à celle du Demandeur Représentatif, c'est-à-dire qui ont subi un préjudice de même nature, du fait d’une même
pratique, adoptée par un ou plusieurs défendeurs.
129
N. M. Pace,Class actions in the United States of America:an overview of the process and the empirical literature,
RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 2, dans The Globalization of class actions,
Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et the Center for socio-legal studies, Oxford
University, 13 & 14 déc. 2007 ; W. D. Torchiana, Expérience nationale : Les Etats-Unis, p. 30 et suivantes, dans Les
Recours collectifs : Etude comparée, Journée d’études du 27 janv. 2006, Société de législation comparée, Colloques,
volume 5 ; A titre d’exemple, certains Etats comme la Californie, a Floride ou l’Etat de New York ont adopté des
législations autorisant les recours des acheteurs indirects en matière d’Antitrust, alors que ces recours sont interdits au
niveau fédéral par une jurisprudence Illinois Brick, de la Cour Suprême (Illinois Brick Co. v. Illinois, 431 U.S. 720
(1977)) ; J. Nannes, Le private enforcement : l’expérience américaine, Concurrence & consommation n° 153, juin 2007,
Numéro spécial, p. 27- 30.
130
La condition de Commonality se comprend d’une condition de « communauté d’intérêts ». Les demandeurs constituent
un groupe social ayant un intérêt en commun, qui se matérialise dans un préjudice de même nature. Le litige porté devant
les juridictions doit présenter des questions de fait et de droit communes.
131
La condition de Typicallity se réfère à une exigence de représentativité. La situation du Demandeur représentatif et les
prétentions qu’il exprime, doivent apparaitre comme représentatives de celles des autres demandeurs potentiels à l’action.
Selon le Petit Larousse (1993), la représentativité se définit comme « la qualité d’un échantillon constitué de façon à
correspondre à la population dont il est extrait ». Le Demandeur Représentatif à la class action doit apparaître comme un
échantillon représentatif du groupe de personnes, membre de la class, choisi de façon à correspondre, au mieux, aux
caractéristiques présentées par les situations de l’ensemble des personnes représentées.
132
La condition d’Adequacy of représentation se réfère à une représentation adéquate des membres du groupe par le
Demandeur Représentatif. Ainsi, ce dernier doit agir conformément à l’objet de la représentation, c'est-à-dire, au mieux,
des intérêts de chacun des demandeurs, membres du groupe.
133
Le terme de “tort case” se traduit littéralement comme « un délit civil, autre qu’une violation d’un rapport contractuel,
pour lequel un remède peut être obtenu sous la forme de dommages et intérêts », B. A. Garner, Black’s Law dictionary,
45
d’aboutir au prononcé de dommages et intérêts. Il s’agit alors des conditions de Predominance 134 et de
13F
Superiority 135.
132F
97. Une phase originale d’autorisation de la procédure. Il s’agit dans cette première section de
mettre en lumière que les conditions de certification sont particulières à la procédure d’action de
groupe et se distinguent des conditions de recevabilité, connues en droit procédural des Etats membres
de l’Union Européenne, notamment en droit français 136, car elles ne procèdent pas du même objectif.
13F
En effet, contrairement au contrôle de la recevabilité de l’action, qui, par ailleurs, existe également
dans la procédure civile américaine 137, la phase de certification vise à garantir la bonne administration
134F
de la justice en contrôlant l’opportunité de recourir à cette procédure plutôt qu’à la procédure de droit
commun et en contrôlant les capacités de représentation du Demandeur Représentatif postulant 138.
135F
98. L’exemple du Marine Hoses Cartel. A titre d’exemple, sera examinée une affaire ayant donné
lieu à certification d’un groupe de demandeurs (class) portant réclamation d’un préjudice subi du fait
d’une pratique anticoncurrentielle commise par plusieurs entreprises, européennes et américaines, sur
le marché des tuyaux marins.
Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 1626. Ce terme couvre, en droit français, la responsabilité civile
extracontractuelle. L’adjectif « Mass » vient souligner la présence de plusieurs personnes au litige, voir en ce sens, Black’s
Law dictionary, op. cit.
134
Voir §. 156-163.
135
Voir §. 164-166.
136
Le droit positif français prévoit certaines conditions de recevabilité de la demande en justice qui portent sur la capacité à
agir du demandeur ainsi que sur son intérêt et sa qualité à agir, voir C. proc. civ., art. 31.
137
Le contrôle de recevabilité de la procédure judiciaire tend à vérifier la régularité de la demande en justice et son bienfondé, voir Y. Strickler, Procédure Civile, Paradigme 2007-2008, p. 80-81.
138
Rule 23FRCP.
46
Affaire du Cartel des tuyaux marins
Sur le volet pénal. En l’espèce, plusieurs fabricants de tuyaux marins tant européens qu’américains 139,
136F
se sont entendus pour la fixation du prix de leurs produits et pour la répartition du marché s’y référant,
sur la période 1986-2007. Cette pratique a donné lieu à des arrestations et des condamnations par les
autorités américaines et par les autorités européennes de concurrence.
Le cartel a été détecté par les autorités américaines (Department of Justice) qui ont procédé en mai
2007 à l’arrestation de huit responsables étrangers des entreprises, parties au cartel qui se rendaient à
une réunion à Houston et d’autres responsables basés sur le territoire américain 140. Les arrestations aux
137F
États-Unis ont conduit au prononcé :
-de sanctions pénales individuelles à l’encontre des responsables des entreprises mises en causes,
consistant en des peines d’amendes et des peines d’emprisonnement 141, et
138F
-de sanctions pécuniaires à l’encontre des entreprises, personnes morales 142.
139F
Simultanément aux arrestations effectuées aux États-Unis, l’autorité anglaise de concurrence (Office of
Fair Trading, OFT) 143 a, elle-aussi, obtenu des juridictions anglaises la délivrance des mandats
140F
d’arrêts, contre les responsables de Dunlop Oil & Marine LLP, en Europe. Ces derniers, qui ont plaidé
coupable devant les juridictions américaines, ont négocié leur extradition vers l’Angleterre, ce qui fut
opéré au mois de décembre 2007. Un accord a été conclu prévoyant que si les peines prononcées par
les juridictions anglaises étaient moins élevées que celles prononcées par les juridictions américaines,
les accusés s’engageaient à revenir aux Etats-Unis pour finir leur peine. Ainsi, arrivés à l’aéroport
d’Heathrow à Londres, les personnes en question ont été arrêtées par les autorités anglaises pour
répondre des charges pesant sur elles au titre de la législation anglaise de la concurrence. Les sanctions
prononcées furent des peines d’emprisonnement entre deux ans et demi et trois ans, des interdictions
139
Les entreprises impliquées dans cette affaire sont : Trelleborg Industry SA, Parker ITR, Manuli Rubber Industries S.p.a,
Bridgestone Corporation, Dunlop Oil & Marine Ltd et Yokohama Rubber Co Ltd, voir Décision de la Commission
européenne, relative à une mesure d'application de l'article 81 du traité et de l'article 53 de l'accord EEE, aff. COMP/39406Marine Hoses, 28 janv. 2009, non publiée au JOUE.
140
S. Hankey et J. Aldersey-Williams, UK Execs Arrested In US For Involvement In Alleged International Marine Hose
Cartel, Mondaq.com, 8 mai 2007, accessible à l’adresse suivante : http://www.mondaq.com/article.asp?articleid=48270;
Eight Executives Arrested on Charges of Conspiring to Rig Bids, Fix Prices, and Allocate Markets for Sales of Marine
Hose, US Department of Justice, Communiqué de presse du 2 mai 2007, accessible à l’adresse suivante :
http://www.justice.gov/opa/pr/2007/May/07_at_322.html.
141
Les peines de prison allaient de 20 à 30 mois et le montant des amendes infligées variait entre 75 000 ou 100 000
dollars.
142
Dunlop et Manuli ont plaidé coupable pour violation du droit de la concurrence américain, voir site Internet du DOJ :
www.usdoj.gov/opa/pr/2008/December/08-at-1055.html
143
Voir le site officiel de l’autorité anglaise de concurrence, l‘Office of Fair Trading (OFT) : http://www.oft.gov.uk/
47
d’exercer des postes de responsables allant de 5 à 7 ans, et des amendes pécuniaires 144, d’un montant
14 F
supérieur à celles prononcées par les juridictions américaines 145.
142F
La Commission européenne a mené des investigations séparées conduisant au prononcé d’une décision
administrative de condamnation, en date du 28 janvier 2009, à l’encontre des entreprises participantes
à l’entente, leur infligeant une amende supplémentaire d’un montant total de 131 millions d’euros 146.
143F
Sur le volet civil. Aux États-Unis, les acheteurs directs de tuyaux marins ont engagé, concomitamment
à l’action du Department of Justice (DOJ), une procédure de class action devant la District Court du
Sud de la Floride 147, arguant d’un préjudice du fait de la hausse artificielle des prix sur cette période,
14F
causée par les pratiques dénoncées. Cette requête a donné lieu à une décision de certification du
groupe de demandeurs (class), du 31 juillet 2009 148.
145F
99. L’analyse de la jurisprudence américaine, en ce domaine, est intéressante car elle démontre
l’importance de cette première phase de la procédure comme en témoigne le contrôle approfondi du
juge qui s’exerce sur les conditions de certification de la procédure. Il procède à un examen des
éléments fournis par le Demandeur Représentatif, à l’appui de sa requête, mais également des
circonstances de l’espèce. Dans sa décision relative au cartel des tuyaux marins, la District Court a
précisé, à titre préliminaire, que « l’analyse des conditions doit être rigoureuse et qu’elle ne doit pas se
limiter aux considérations de la requête et/ou de la demande de certification (Motion for class
certification)»149.
146F
100. Plan. Le juge américain de la certification vérifie, tout d’abord, la régularité de la procédure au
travers l’intérêt à agir du demandeur et au travers le bien fondé de la demande, comme le ferait le juge
français de la recevabilité (§1). Par ailleurs, cette phase préliminaire de la procédure a également pour
144
Voir http://www.oft.gov.uk/about-the-oft/legal-powers/enforcement_regulation/prosecutions/marine-hose
Regina v. Peter Whittle, Bryan Allison, David Brammar, 2008 EWCA Crim 2560, 2009 UKCLR 247, 2009 Lloyd's Rep
FC 77.
146
Décision de la Commission européenne relative à une mesure d'application de l'article 81 du traité et de l'article 53 de
l'accord EEE, aff. COMP/39406, Marine Hoses, op. cit.
147
L’US District Court of Southern District of Florida est une des cours fédérales de première instance. Au niveau fédéral,
les cours de justice de première instance sont appelées des “District Courts”. Il existe au moins une District Court par Etat,
et chaque district peut posséder plusieurs District Court, par exemple, la District Court du District Sud de l’Etat de New
York.
148
Marine Hose Antitrust Litigation, Master docket n° 08-MDL-1888-Graham/Turnoff, Order on class action and
preliminary settlements (S. D. Florida, Miami Division, July 31st, 2009).
149
Voir en ce sens, Love v. Turlington, 733 F2d 1562, 1564 (11th Cir. 1986).
145
48
objet de permettre au juge de s’assurer que l’utilisation de la procédure de la class action est le moyen
le plus efficient de traiter les demandes, qui apparaissent similaires et multiples (§2).
§1) Les conditions de recevabilité de l’action de groupe dans le système américain et la
contrôle de la régularité de la procédure
101. La phase de certification de la class est une étape procédurale originale, qui tend à s’assurer pour
le juge, de l’opportunité de recourir à une procédure judiciaire, dérogatoire au droit commun.
Cependant, le juge de la certification s’assure que sont remplies tant les conditions propres à cet
effet, que les conditions relatives à la régularité de la demande. Ainsi, il examine a priori si le
demandeur a un intérêt à agir en justice, c'est-à-dire s’il a un droit de porter son action en justice (A)
et si les allégations présentées au soutien de sa demande sont plausibles au regard des éléments de
preuves apportés dès ce stade de la procédure (B).
A) L’intérêt à agir du Demandeur représentatif, la condition première à la recevabilité de
la demande
102. Dans le cadre d’une procédure de certification d’une action de groupe aux États-Unis, le juge
vérifie, avant toute autre condition, que le Demandeur Représentatif postulant a la « compétence
requise »150 pour introduire une demande en justice. Le justiciable, qui prend l’initiative d’introduire
1 47F
une class action doit, en effet, justifier, à titre préliminaire, d’un intérêt personnel à agir en justice,
au-delà de sa volonté d’agir pour d’autrui et justifier de son droit substantiel à l’action. Il lui
appartient alors, comme tout justiciable, quels que soient la procédure envisagée et le pays
d’introduction de l’action, d’apporter des éléments au soutien de sa demande pour faire la
démonstration de son intérêt personnel à agir. Il s’agit de la condition première de la recevabilité de
la demande en droit processuel français. Il s’agit pour le juge américain de s’assurer de « l’existence
du droit de se faire entendre par le juge » 151. Dans le système américain de la class action, le
1 48F
Demandeur représentatif doit être un membre de la class et il doit souffrir du même préjudice que
les autres membres potentiels 152.
149F
150
Marine Hose Antitrust Litigation, Master docket n° 08-MDL-1888-Graham/Turnoff, Order on class action and
preliminary settlements, (S. D. Florida, Miami Division, July 31st, 2009), op. cit.
151
Yves Strickler, Procédure Civile, Paradigme 2007-2008, p. 80.
152
Marine Hose Antitrust Litigation, Master docket n° 08-MDL-1888-Graham/Turnoff, Order on class action and
preliminary settlements, (S. D. Florida, Miami Division, July 31st, 2009), op. cit. ; Prado-Steiman, v. Bush, 221 F. 3d 1266,
1278-79 (11th Cir. 2000); In re Terazosin Hydrochloride Antitrust Litigation, 220 F.R.D 672, 679 (S. D. Fla. 2004).
49
103. L’affaire du cartel des tuyaux marins présente une illustration intéressante de cette condition. En
l’espèce, le Demandeur Représentatif, la société Bayside, active sur le marché de la vente de tuyaux
marins, avait déposé sa demande au nom de « toutes les personnes […] qui avaient acheté des
tuyaux marins auprès des défendeurs à l’action sur le territoire des États-Unis »153. Cependant,
150F
cette société était, elle-même, dans l’incapacité de fournir ses factures justifiant des achats effectués
pendant la période de l’entente, cette période remontant à plus de 20 ans. La demande reposait
exclusivement sur les dépositions sous serment du vice président de l’entreprise, qui assurait avoir
acheté ledit produit durant la période concernée 154. La Cour a considéré qu’ « à ce stade du litige,
15 F
elle n’avait aucune raison de douter des déclarations de M. Gatlin (le vice président de l’entreprise
demanderesse) et de décliner la compétence de Bayside et ce, seulement du fait que l’entreprise n’a
pas été en mesure de localiser les factures relatives à des transactions remontant à plus de 20
ans » 155. Cette solution souligne deux aspects de la procédure américaine. Tout d’abord, le
152F
demandeur doit justifier du fait qu’il a été client du défendeur, sous peine de voir l’argument du
manque d’intérêt à agir soulevé par son adversaire. Ensuite, dans le droit américain de la preuve, une
simple déclaration sous serment suffit, la Cour ayant considéré que le représentant de la class n’est
pas dans l’obligation d’apporter des preuves documentaires justifiant des achats effectués auprès des
défendeurs à la class. En effet, à la différence des systèmes de tradition romano-germanique, comme
la France, où la preuve par écrit est prédominante des autres modes de preuve 156, le témoignage est,
153F
dans les pays de Common Law 157, le mode de preuve préféré.
154F
153
Marine Hose Antitrust Litigation, Master Docket n° 08-MDL-1888- Graham/O’Sullivan, Consolidated Class action
Complaint- Jury Trial Demanded (S. D. Florida, Miami Division, March 24, 2008), p. 1.
154
Le jugement de la District Court cite la déposition faite par M. Gatlin : « Lorsqu’il a été interrogé M. Gatlin a prêté
serment comme suit :

Question : Etes-vous sûr que la société Bayside a procédé à l’acquisition de tuyaux marins dans le milieu des
années 80 ?

Réponse : Tout à fait sûr.

Question : Est-il possible que vous vous souveniez [de l’achat] de tuyaux d’une autre nature ?

Réponse : Je ne vois pas comment est-ce qu’il me serait possible de m’en souvenir différemment. » (toutes les
traductions sont de l’auteur), Marine Hose Antitrust Litigation, Master docket n° 08-MDL-1888-Graham/Turnoff Order on
class action and preliminary settlements (S. D. Florida, Miami Division, July 31st, 2009), op. cit., p. 7.
155
Marine Hoses Antitrust Litigation, Order on class action and preliminary settlements, op. cit., p. 8.
156
En France, en droit civil, le mode de preuve n’est pas libre dès lors que le litige est né de la mise en œuvre d’une relation
contractuelle. L’article 1341 du Code Civil pose le principe de la preuve par écrit, preuve préconstituée de l’acte juridique.
Dans ce contexte, la preuve testimoniale ne constituera qu’un commencement de preuve (article 1347 du Code Civil), Ph.
Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, Defrénois 2ème éd, 2005, §. 557 et suivants.
157
La « Common Law » désigne un corps de droit, qui repose sur les décisions juridictionnelles, plutôt que sur les lois et les
constitutions. Historiquement, le Common Law se distingue du droit continental ; « Les textes de loi et de constitutions
codifiés précèdent les jugements tandis que la Common Law les succède […]. Si le Common Law gouverne, le juge, qui
estime que le passé doit être oublié, va trancher le litige en fonction de la morale et de la coutume et ensuite, d’autres juges
reprendront la solution », P. Devlin, The Judge, Oxford, Oxford University Press, 1979, 1981, p. 177 ; voir également la
définition du Black’s Law dictionary, par Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 313.
50
104. Un système judiciaire américain « ouvert » en quête de vérité. Pour comprendre la justification
de cette solution adoptée par le juge, au-delà de la place du témoignage dans le droit de la preuve
aux Etats-Unis, il faut rappeler, tout d’abord, que la procédure judiciaire américaine est guidée par la
recherche de la vérité. L’idée sous-jacente est que la vérité éclatera du fait de la mise en œuvre de la
procédure de divulgation d’informations entre les parties (Discovery) 158, qui débutent avant la
15F
première audience devant le juge (Pre-trial Discovery 159), et se poursuivit jusqu’au jour du procès.
156F
Ainsi, le juge peut considérer que les éléments nécessaires à la démonstration, par preuve
documentaire, de l’intérêt à agir du demandeur pourront être révélés a posteriori avec la divulgation
obligatoire par les parties des éléments de preuve pertinents pour la résolution du litige. De plus, il
existe pour le juge un garde-fou, qui est le pouvoir pour ce dernier, de modifier, ou d’annuler, avant
le prononcé du jugement au fond, la décision de certification de la class qu’il a rendue 160. Ces
157F
éléments permettent de comprendre qu’à ce stade, le juge peut accepter de reconnaître la
« compétence » du demandeur pour agir à titre personnel, sans que cela ne présente des risques
disproportionnés d’actions abusives.
105. Transition. Le demandeur doit également apporter à ce stade préliminaire de la procédure la
preuve du caractère « plausible »161 de ses allégations, s’agissant tant de la faute alléguée, c'est-à158F
dire de la pratique à l’origine de son action, que du préjudice qu’il dit avoir subi. Le juge vérifie, en
effet, le bien fondé de la demande afin d’écarter a priori les procédures, qui n’auraient pas leur place
dans les prétoires.
158
L’utilisation du terme Discovery en droit américain, fait référence à la phase d’investigation, préliminaire au procès,
dans laquelle chaque partie peut demander directement, sans l’autorisation du juge, à son adversaire, ou à tout témoin
potentiel de produire tout élément d’information, utile à la résolution du litige en cause. La procédure de Discovery permet
à une partie d’obtenir des documents demandés ou des éléments de preuve physiques. Les parties preuvent procéder à des
Depositions et à des Interrogatories. Un demandeur peut formuler des Requests for admissions, qui consistent à demander
à l’autre partie d’admettre ou de réfuter telle ou telle allégation. Enfin, cette procédure permet de demander
l’ordonnancement d’expertises physiques ou psychologiques, voir Black’s Law dictionary, Bryan A. Garner, Rédacteur en
chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 1419.
159
Voir Infra §. 705.
160
Voir Rule 23(d)2 FRCP.
161
Voir Bell Atlantic Corp. v. Twombly, 550 U.S 544 (2007); R. E. Donovan, Supreme Court’s Twombly Decision Should
Benefit Defendants In Many Commercial Cases, The Metropolitan Corporate Counsel, Juil. 2007, p. 21.
51
B) Le contrôle prima facie du caractère sérieux de la demande
106. Des allégations « plausibles ». Ce premier contrôle permet également au juge de vérifier le bienfondé de la demande et pour cela, il s’attache à la vraisemblance des allégations avancées par le
justiciable au soutien de sa demande, au regard des éléments de preuve que ce dernier lui apporte. Le
degré d’exigence du juge vis-à-vis du demandeur, quant à la preuve à rapporter à ce stade de la
procédure, a été renforcé, en mai 2007, par une jurisprudence de la Cour Suprême des Etats-Unis,
dans une affaire Bell Atlantic Corp. v. Twombly162, jugée en matière de droit de la concurrence.
159F
Cette dernière a considéré que les éléments de preuve apportés par le demandeur ne doivent pas
seulement démontrer que les allégations sont « concevables » (conceivable claims) ; ils doivent
démontrer que les allégations sont « plausibles » (plausible claims)163.
1
107. La jurisprudence Twombly. En l’espèce, des abonnés aux services de téléphonie et d’Internet
haut débit de plusieurs sociétés, dont Bell Atlantic Corporation, ont déposé une requête contre leurs
fournisseurs d’accès. Ils alléguaient d’un préjudice du fait de l’existence d’une entente entre ces
derniers, en violation des dispositions du Sherman Act 164. Pour faire la démonstration de la faute
16F
alléguée, c'est-à-dire de l’entente, les demandeurs apportaient la preuve d’un parallélisme de
comportements desdits fournisseurs. Il s’agissait de savoir si la démonstration d’un parallélisme des
comportements était suffisante pour considérer « concevable » l’existence d’une entente ou si un
élément supplémentaire permettant de présumer de l’élément moral de l’infraction était nécessaire.
108. La District Court en première instance a rejeté la demande au motif que les éléments de fait
étaient insuffisants pour démontrer un possible accord prohibé entre les défendeurs. Elle a accepté la
requête (motion to dismiss) visant à rejeter la demande présentée par ces derniers 165. La Cour
162F
d’appel (Second Circuit Court) a renversé cette solution considérant que les éléments de fait
apportés par les demandeurs étaient suffisants pour donner suite à la demande. La procédure de
Discovery permettrait, ensuite, de vérifier que les allégations faites par les demandeurs étaient vraies
162
Bell Atlantic Corp. v. Twombly, 550 U.S 544 (2007), op. cit.
R.E. Donovan, Supreme Court’s Twombly Decision Should Benefit Defendants In Many Commercial Cases, op. cit.
164
Sherman Act 1890, ch. 647, 26 Stat. 209, 15 U.S.C. §. 1-7, Section 1: “Every contract, combination in the form of trust
or otherwise, or conspiracy, in restraint of trade or commerce among the several States, or with foreign nations, is
declared to be illegal. Every person who shall make any contract or engage in any combination or conspiracy hereby
declared to be illegal shall be deemed guilty of a felony, and, on conviction thereof, shall be punished by fine not exceeding
$10,000,000 if a corporation, or, if any other person, $350,000, or by imprisonment not exceeding three years, or by both
said punishments, in the discretion of the court”.
165
Twombly v. Bell Atl. Corp., 313 F.Supp.2d 174 (S.D.N.Y.2003).
163
52
ou non 166. La Cour Suprême n’a pas suivi la Cour d’appel dans son raisonnement. Elle a, en effet,
163F
considéré qu’ « il n’est pas suffisant que les allégations portées dans une demande soient
imaginables ou envisageables, elles doivent être plausibles »167. Ainsi, en l’espèce, la preuve d’un
164F
parallélisme de comportements, qui ne révèle pas l’intention des auteurs, n’est pas suffisante pour
caractériser une allégation d’entente (Conspiracy). Dans ce cas, la demande doit être rejetée comme
non fondée.
109. Sur le fond, les demandeurs s’appuyaient sur une lecture combinée d’une jurisprudence Conley v.
Gibson 168 de 1957, de la Cour Suprême et des dispositions de la Rule 8(a)2 FRCP. Dans la
165F
jurisprudence Conley v. Gibson précitée, la Cour Suprême avait décidé, en matière de droit du
travail, qu’une « demande en justice ne devait pas être déclarée non fondée à moins qu’il existe des
doutes quant à la capacité du demandeur à apporter un faisceau d’indices au soutien de sa
demande »169. Et selon la Rule 8(a)2 FRCP, le demandeur, dans la requête, doit fournir un exposé
1 6F
bref et concis des faits et des griefs démontrant que le demandeur est fondé à engager l’action 170.
167F
Alors, les demandeurs soutenaient qu’une demande ne doit pas être rejetée sur la base de la Rule
8(a)2 FRCP, à moins qu’il apparaisse des doutes sérieux sur la capacité du Demandeur
Représentatif à apporter des éléments de fait suffisants au support de sa demande. Dans sa
jurisprudence Twombly, la Cour Suprême a précisé son interprétation de la Rule 8(a)2 FRCP. Bien
que cette disposition parle d’un « exposé des motifs bref et concis » (short and plain statement), il ne
faut pas oublier la seconde partie de la disposition, selon laquelle cet exposé des motifs doit être
suffisant solide pour « démontrer que le demandeur est bien fondé à porter sa demande en justice »
(to show that the pleader is entitled to relief).
110. La Cour Suprême a précisé le critère donné dans l’arrêt Towmbly, dans une jurisprudence de mai
2009, Ashcroft v. Iqbal 171, « en considérant que le demandeur doit prouver que ses griefs basés sur
168F
un comportement fautif du demandeur sont plausibles et non simplement qu’il est plausible que le
166
Twombly v. Bell Atl. Corp. (Twombly II), 425 F.3d 99 (2 d Cir. 2005).
« It is not enough that a claim be conceivable, it must be plausible”, Bell Atlantic Corp. v. Twombly, 550 U.S 544
(2007), op. cit.
168
Conley v. Gibson, 355 U.S. 41, 47 (1957).
169
Ibid, 45-46 : “a complaint should not be dismissed for failure to state a claim unless it appears beyond doubt that the
plaintiff can prove no set of facts in support of this claim which would entitle him to relief”.
170
Rule 8(a)2FRCP: “A pleading that states a claim for relief must contain […] a short and plain statement of the claim
showing that the pleader is entitled to relief”.
171
Ashcroft v. Iqbal, 556 U.S._, 129 S. Ct. 1937 (2009).
167
53
comportement du défendeur soit fautif » 172. Elle ajoute que l’appréciation de ce critère se fera en
169F
fonction du contexte de l’espèce, « sur la base de l’expérience du juge et de son sens commun » 173.
1 70 F
111. La jurisprudence Twombly a eu un impact limité, dans un premier temps, car les juges américains
en ont fait une interprétation restrictive la limitant au droit de la concurrence. Cependant, avec la
jurisprudence Ashcroft v. Iqbal, la Cour Suprême considère de manière non équivoque que les
standards posés dans l’arrêt Twombly 174 s’appliquent à toutes les demandes portées devant les
17F
juridictions civiles fédérales 175, quelle que soit la matière traitée.
172F
112. La justification du renforcement du contrôle du juge sur le bien-fondé de la demande. La Cour
a justifié expressément sa position tendant à un renforcement des exigences de preuve pour le
demandeur, par la volonté d’éviter les actions abusives et par là même les dépenses considérables
engagées, au titre des frais de justice et notamment des frais de Discovery, dès lors que l’action n’est
pas fondée 176. Beaucoup de commentateurs ont vu, dans cette décision de la Cour Suprême, une
173F
limitation bienvenue aux demandes abusives, venant encombrer les juridictions et aboutissant à des
coûts exorbitants pour les défendeurs 177.
174F
113. Conclusion du §1). Ainsi, en tout premier lieu, le juge américain contrôle la régularité de la
demande en justice, par le biais de l’intérêt personnel à agir du demandeur et du bien-fondé de la
demande au regard des éléments de preuves que peut apporter le demandeur au soutien de ses
prétentions. Dans le système américain, le Demandeur représentatif est obligatoirement un membre
du groupe des personnes représentées à la procédure de class action. Il agit en sa qualité de victime,
ce qui lui confère son intérêt et sa qualité à agir en justice. Cependant, le contrôle de ces conditions
de régularité n’est pas propre aux actions de groupe, il est exercé par le juge pour toute procédure
judiciaire, quelle que soit la forme de cette dernière. En revanche, il existe d’autres conditions dites
« de certification de la class », qui, elles, sont propres aux procédures de class action et qui vont
conditionner l’autorisation, recherchée par le demandeur, de voir traiter sa demande suivant les
principes gouvernant cette procédure judiciaire exceptionnelle, dérogatoire au droit commun.
172
Ibid, at 15.
Ibid, at 15: “draw on its judicial experience and common sense”.
174
Voir Supra §. 110
175
C. Mitchell & D. Wallach, Ashcroft v. Iqbal: Taking Twombly a Step Further, Global Competition Policy, juil. 2009(2)
release.
176
Voir Bell Atlantic Corp. v. Twombly, 550 U.S 544 (2007), op. cit.
177
R. E. Donovan, Supreme Court’s Twombly Decision Should Benefit Defendants In Many Commercial Cases, op. cit.
173
54
§2) Les conditions de la certification de l’action de groupe dans le système américain et
la recherche d’une bonne administration de la justice
114. L’auteur de la requête (motion to certification), qui a un intérêt à agir et qui est en mesure de
démontrer le bien-fondé de sa demande, sollicite, également, à ce premier stade de la procédure,
l’autorisation du juge de recourir à la procédure de la class action. Pour cela, il doit faire la
démonstration que l’on est en présence d’un litige de masse et que, face à ce litige hors norme, cette
procédure est la plus efficiente pour traiter des demandes en justice et ce, au regard de la recherche
d’une bonne administration de la justice.
115. Les procédures de class actions en droit américain. A titre préliminaire, il faut mentionner
l’existence, aux Etats-Unis, de plusieurs procédures de class actions, que l’on différencie selon le
type de demande formulée, et la nature de ces demandes. Une distinction est faite entre les
procédures de class actions, qui tendent à obtenir une injonction de cessation de pratiques à
l’encontre du (ou des) défendeur(s) 178, et les procédures, dont l’objet est l’obtention de dommages et
175F
intérêts en réparation d’un préjudice subi 179. Dans le premier cas, sont concernées, notamment, les
176F
procédures en matière sociale et en matière de discrimination et dans le second cas, il s’agit des
litiges en matière de responsabilité civile extracontractuelle ou quasi-délictuelle (Mass torts cases),
les litiges boursiers et tous autres litiges de nature financière 180.
17F
116. Cette catégorisation des litiges, en fonction de leur nature, a des répercussions sur les conditions à
remplir pour obtenir l’autorisation de recourir à la procédure de class action. En effet, il existe une
première série de conditions, qui est requise indépendamment de la nature du litige ou de la
demande. Ces conditions portent, d’une part, sur la multiplicité et sur la nécessaire similarité des
demandes et, d’autre part, sur l’aptitude du Demandeur Représentatif, et de son cabinet d’avocat, à
représenter l’ensemble des membres potentiels de la class au mieux de leurs intérêts dans le cadre de
cette procédure judiciaire (A). Ensuite, en cas de demande d’indemnisation, le juge doit également
contrôler que la procédure est réellement le moyen le plus efficace pour connaître de ces demandes.
Il doit vérifier que les questions de droit et de fait communes à l’ensemble des demandes sont
178
Règle 23(b)(2) et Règle 23(b)1(A) des règles fédérales de procédure civile (ci-après « FRCP ») – « Ces règles régissent
la conduite de toutes les actions civiles intentées devant des tribunaux de district fédéral. Alors qu'ils ne s'appliquent pas à
des poursuites devant les tribunaux d'État, les règles de nombreux Etats ont été calquées sur ces dispositions ».
179
Rules 23(b)(3) et 23(b)1(B) FRCP.
180
N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature,
RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 10-11, dans The Globalization of class actions,
Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Center for socio-legal studies, Oxford
University, 13 & 14 déc. 2007.
55
supérieures aux éventuelles questions individuelles que ces demandes peuvent également présenter,
et qu’il n’existe pas d’autres procédures plus appropriées pour connaître de ces demandes multiples
(B).
A) Les conditions de certification communes à toutes class actions
117. Les premières conditions de certification, communes à l’ensemble des litiges, sont décrites à la
Règle 23(a) des Règles fédérales de procédure civile (FRCP). Elle comporte des conditions relatives
à l’existence de demandes multiples et similaires (1) et des conditions propres aux qualités de
représentation du Demandeur Représentatif postulant et de son cabinet d’avocat (2).
1) Le regroupement de demandes multiples et similaires
118. Tout d’abord, l’ouverture d’une procédure de class action implique l’existence d’une multiplicité
de demandeurs ou de défendeurs (a), se trouvant dans des situations, posant des questions de droit et
des questions de fait similaires (b).
(a) La condition de Numerosity
119. Une jonction d’instance rendue impossible du fait du nombre de demandes potentielles. La
règle 23(a)1 FRCP dispose que « le groupe doit comprendre potentiellement tellement de demandes
que la jonction d’instances serait impossible » 181. Il s’agit de la condition de Numerosity.
1 78F
L’utilisation de la class action est réservée aux litiges pour lesquels le nombre de demandeurs
rendrait difficile un traitement par voie de jonction des demandes individuelles. Cette première
condition traduit l’objet de la procédure de la class action qui est l’optimisation du traitement des
demandes en justice.
120. Une interprétation casuistique de la condition de Numerosity. La Règle 23(a)1 FRCP ne
contient pas de numerus clausus. Le nombre de personnes nécessaires pour satisfaire à cette
condition n’est pas précisé. Les solutions diffèrent selon les tribunaux, et les litiges. Certaines cours
ont fixé le minimum à 21 demandes potentielles et d’autres à 40 182, et le maximum à plusieurs
179 F
181
Voir Rule 23(a)1 FRCP : “One or more members of a class may sue or be sued as representative parties on behalf of all
members only if: (1) the class is so numerous that joinder of all members is impracticable […]”.
182
Voir Cox. v. American Cast Iron Pipe Company, 784 F.2d 1546 (11th Cir. 1986); Marecek v. BellSouth telecoms, 49
F.3d 702 (11th Cir. 1995); Moreno-Spinosa v. J&J Ag. Prods., 247 F. R.D 686, 688 (S. D. Fla. 2007).
56
millions, voire dizaine de millions 183. L’appréciation de la District Court, dans l’affaire des tuyaux
180F
marins (Marine Hoses Litigation), montre que la question ne porte pas tant sur le nombre de
demandeurs potentiels que sur la capacité du Demandeur représentatif postulant à identifier ces
autres personnes lésées ou à démontrer par le biais d’un estimation justifiée que le nombre de
demandes potentiels est important. En effet, la Cour insiste sur la nécessité, pour le représentant de
la class, de produire une estimation plausible du nombre de membres potentiels dans la class et
d’apporter, dès ce stade de la procédure, des éléments de fait venant au soutien de cette estimation.
L’idée est de tendre vers une estimation raisonnable a priori des membres de la class et de limiter le
nombre de demandeurs simplement identifiables 184. Cette identification a priori permettra une
18F
meilleure appréciation des autres critères de la certification de la class et de la portée de l’action.
L’objectif de tendre vers une plus grande sécurité juridique pour chacune des parties intéressées au
litige sera renforcé. En l’espèce, le Demandeur Représentatif a eu recours à un expert, qui en se
basant sur les factures et les écritures comptables fournies par les défendeurs, a estimé le nombre
potentiel de membres à 66 185, ce qui a satisfait à l’exigence du juge. Ainsi, cette condition
182F
de Numerosity n’est pas une condition de nombre. Elle ne sera considérée comme remplie qu’en
fonction des circonstances de l’espèce et de la possibilité pour le juge, au regard de ces
circonstances, de connaître individuellement des demandes potentielles en procédant à une jonction
de procédures.
(b) La condition de Commonality
121. Un fondement juridique commun aux membres du groupe. Ensuite, des questions de droit ou de
fait, communes au groupe, doivent exister 186. Cette condition concerne les caractéristiques du
183F
groupe pris dans son ensemble. La District Court, dans l’affaire des tuyaux marins, souligne que
cette condition ne signifie pas que l’ensemble des questions de droit et de fait doivent être
communes à tous les membres potentiels de la class. La Cour précise que l’existence d’une seule
183
Voir L’introduction en droit français des class actions, S. la Dir. du Professeur Daniel Mainguy, LPA, 22 déc. 2005, n°
254, p. 6.
184
Voir en ce sens la proposition de directive relative aux règles régissant les actions en dommages intérêts pour infraction
aux articles 81 et 82 du traité, Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, avr. 2009, p. 17 ; voir
également Le Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les
ententes et les abus de position dominante, Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, 2 avr.
2008, COM(2008) 165 final, p. 4.
185
Marine Hoses Antitrust Litigation, Order on class action and preliminary settlements, op. cit., p. 12.
186
Rule 23(a)2 FRCP.
57
question de fait ou de droit commune suffit à considérer que la condition est remplie, dès lors qu’elle
affecte tous les membres du groupe 187.
184F
122. La violation des règles du droit de la concurrence, une question de droit commune aux victimes
de la pratique. En matière de droit de la concurrence (Antitrust Law), cette condition est réalisée dès
lors que les allégations portent sur une même pratique anticoncurrentielle des défendeurs à
l’encontre des membres de la class. Cette pratique constitue potentiellement une faute du défendeur.
Le fait d’alléguer que les défendeurs ont commis une entente (Conspiracy) ou un abus de position
dominante (Monopolisation) en violation de la section 1 ou de la section 2 du Sherman Act 188
185F
constitue un fondement juridique commun à l’ensemble des demandes des membres du groupe 189.
186 F
123. Une condition interprétée strictement par les juges américains : l’affaire Wal-Mart Stores Inc
v. Dukes190. La condition de Commonality a été au cœur d’une affaire fortement médiatisée aux
Etats-Unis et au-delà des frontières américaines. Ce litige opposait la société Wal-Mart Stores Inc, le
plus important employeur des Etats-Unis à ses employées, qui alléguaient de pratiques
discriminatoires envers les femmes de la société en violation du Titre VII du Civil Rights Act
1964191. La procédure fut hors norme du fait de l’importance du nombre de femmes concernées par
cette affaire : plus d’un million et demi de femmes qui travaillaient ou avaient travaillé pour le
groupe. La solution adoptée par la Cour Suprême des Etats-Unis, le 20 juin 2011 est elle-aussi à
noter. La cour du district nord de la Californie a certifié la class en considérant que les conditions
d’admissibilité des articles 23(a) et 23(b)(2) étaient réunies192. Cette décision fut confirmée par la
9ème Circuit Court of the Court of Appeal dans une décision de 2010193. Cependant la Cour Suprême
a annulé la décision de la Cour d’appel en considérant, d’une part, que la condition de Commonality
de la règle 23(a) FRCP n’était pas remplie et, d’autre part, que la class action en l’espèce ne
187
Marine Hoses Antitrust Litigation, Order on class action and preliminary settlements, op. cit., p. 14-15.
Sherman Act 1890, ch. 647, 26 Stat. 209, 15 U.S.C. §. 1-7, op. cit.
189
Marine Hoses Antitrust Litigation, Order on class action and preliminary settlements, op. cit., p. 14-15.
190
Wal-Mart Stores Inc v. Dukes, 564 U.S._(2011).
191
En 2000, trois femmes employées par le groupe Wal-Mart, se sont plaintes de comportements discriminatoires en raison
de leur sexe. Mme Dukes qui faisait l’objet d’une procédure disciplinaire releva que pour les mêmes infractions à la
politique de l’entreprise, aucun homme n’était jamais inquiété. Mme Kwapnoski a été l’objet de propos discriminatoires de
la part de son manager et enfin Mme Arana s’est vue refuser l’accès à des formations et par la même à la possibilité de
progresser au sein de l’entreprise. Ces plaintes ont conduit à la mise en place d’une class action. Les demanderesses
allègent de l’adoption par la société Wal-Mart d’une politique de discrimination en violation du Titre VII du Civil Rights
Act 1964 et ce depuis au moins le 26 décembre 1998, Wal-Mart Stores Inc v. Dukes, 564 U.S._(2011).
192
Dukes v. Wal-Mart Stores, Inc., 222 F.R.D. 137, 145-66 (N.D. Cal. 2004).
193
Dukes v. Wal-Mart Stores, Inc., 603 F.3d 5th (9th Cir. 2010).
188
58
pouvaient être fondée sur la règle 23(b)(2) FRCP du fait de la demande de restitution formulée par
les demanderesses194.
124. S’agissant de la condition de Commonality, les demandeurs faisaient valoir qu’il existait une
culture d’entreprise si forte et uniforme qu’elle influait, «même de manière inconsciente»195 sur
l’exercice du pouvoir discrétionnaire dévolu par la société aux managers locaux en charge des
salaires et des promotions des employés du groupe. Elles invoquaient à l’appui de leur demande un
rapport élaboré par un sociologue sur la culture et les pratiques personnelles, concluant que
l’entreprise est «vulnérable» s’agissant des pratiques discriminatoires envers les femmes196.
125. La Suprême Court of United States a considéré que les conditions de l’article 23(a) FRCP
n’étaient pas remplies. Elle rappelle tout d’abord que « leurs demandes doivent dépendre d'une
affirmation commune d'une nature telle qu'elle soit capable de conduire à la résolution du litige, ce qui signifie que la détermination de sa vérité ou la fausseté permettra de résoudre une question
qui est au cœur de la validité de chacune des demandes d'un seul coup »197. En l’espèce, elle
considère l’existence potentielle d’une pratique discriminatoire commune envers les femmes
employées du groupe comme la question cruciale. Elle rappelle également une affaire General
Telephone Co. of Southwest v. Falcon198, dans laquelle elle a considéré qu’il y avait une distinction
entre les demandes individuelles et les demandes sous la forme de class action en matière de
discrimination. Dans le second cas, la preuve doit être apportée que l’employeur a agi dans le cadre
194
Elles demandent au juge de déclarer l’entreprise responsable des allégations de discrimination et de lui enjoindre de
cesser toute pratique illicite. Elles demandent également le prononcé de dommages et intérêts punitifs mais non
compensatoires. Enfin, elles demandent la restitution des sommes perdues du fait de l’adoption de ces pratiques. Elles font
reposer leur demande la règle 23(b)(2) FRCP. Cependant, La cour a considéré que les demandes de restitution ne peuvent
pas être certifiées sous l’article 23(b)2 FRCP. Elles relèvent de l’article 23(b)3 à moins que la demande ne soit pas
incidente des demandes d’injonction ou de déclaration et si un dédommagement unique et indivisible peut être appliqué à
chacun des membres de la class. Les demandeurs faisaient valoir que les demandes monétaires pouvaient être certifiées
sous la règle 23(b)2 FRCP car ces demandes n’étaient pas prédominantes des demandes d’injonction et des demandes
déclaratoires. La Cour rappelle alors la différence existante entre les dispositions de la règle 23(b)2 et celles de la règle
23(b)3 FRCP et souligne la nécessité de la respecter afin de garantir les protections inhérentes à ces deux series de
dispositions. Elle a considéré que cette interprétation ne pouvait pas être retenue sur la base du texte de la règle et qu’elle
était en violation de la structure même de l’article 23(b). Elle relève également que les 2 règles citées s’appliquent
respectivement aux demandes monétaires formulées par les employés toujours salariés de l’entreprise et celles formulées
par les anciens employés de l’entreprise, Wal-Mart Stores Inc v. Dukes, 564 U.S._(2011).
195
Wal-Mart Stores Inc v. Dukes, 564 U.S._(2011).
196
Ibid.
197
“Their claims must depend upon a common contention of such a nature that it is capable of classwide resolution—which
means that determination of its truth or falsity will resolve an issue that is central to the validity of each one of the claims
in one stroke”, Wal-Mart Stores Inc v. Dukes, 564 U.S._(2011).
198
General Telephone Co. of Southwest v. Falcon, 457 U. S. 147 (1982).
59
d’une politique générale de discrimination199. En l’espèce, la politique de la société condamnait la
discrimination entre les hommes et les femmes et elle prévoyait des sanctions en cas d’adoption de
traitement inégalitaire. La cour en conclut alors que la preuve d’une politique générale de la société
Wal-Mart est inexistante. La cour relève enfin que la seule politique générale imposée par la société
est celle du pouvoir discrétionnaire dévolu aux managers locaux en matière de droit du travail. Elle
considère alors qu’il n’est pas possible de retenir que l’ensemble des managers locaux ont adopté
une politique discriminatoires à l’encontre des femmes employées dans le groupe sans que des
instructions n’aient été données par la direction générale200 et ce, en vertu notamment de la taille de
la société et de son implantation géographique201. La Cour écarte également les statistiques produites
par les demanderesses qui faisaient état de disparités entre le traitement des hommes et des femmes
en termes de remuneration et d’avancements en faisant valoir que ces statistiques reposaient sur des
données regionales et nationales et qu’elles ne reflétaient pas forcément une pratique uniforme au
niveau local.
126. Cette solution tend à un renforcement des exigences pour les demandeurs à la class action202. Ces
derniers doivent apporter la preuve significative d’une pratique illicite commune ayant causé un
préjudice similaire à chacun des membres du groupe de demandeurs. Il est alors possible de faire un
parallèle avec la décision Peroxyde d’hydrogène rendue par la Cour d’appel du 3ème Circuit en
2008203 sur la condition de Predominance, comme nous le verrons ci-après204.
127. Conclusion du 2). Une procédure de class action ne sera autorisée que dès lors qu’il existe un
nombre de demandes similaires suffisantes, qui justifient un traitement collectif de ces dernières, au
lieu d’un traitement individualisé. Le caractère similaire des demandes, qui porte sur le fondement
juridique de l’action, obéit, au même titre que la condition de Numerosity, à un objectif de bonne
199
“On the facts of this case, the conceptual gap between an individual’s discrimination claim and “the existence of a class
of persons who have suffered the same injury,” id., at 157–158, must be bridged by “[s]ignificant proof that an employer
operated under a general policy of discrimination”, Wal-Mart Stores Inc v. Dukes, 564 U.S._(2011).
200
Bien qu’il existe un programme de formation commun pour les managers et des critères de recrutement définis, il
n’existe pas de preuve significative que l’ensemble des managers du groupe aient adopté une politique de discrimination
envers les employées féminins du groupe, Wal-Mart Stores Inc v. Dukes, 564 U.S. (2011).
201
Wal-Mart dispose de magasins dans 7 Etats, 41 régions. Dans chaque région, il y a entre 80 et 85 magasins. Au total,
Wal-Mart possède plus de 3400 magasins et emploie plus d’un million de personnes, Wal-Mart Stores Inc v. Dukes, 564
U.S. (2011).
202
C. Fisk and E. Chemerinsky, The Failing Faith in Class Actions: Dukes v. Wal-Mart and AT&T Mobility v. Concepcion,
Duke Journal of Constitutional Law & Public Policy, Vol. 7, No. Special Issue, 2011, UC Irvine School of Law Research
Paper No. 11-54; A. John Trask, Wal-Mart v. Dukes: Class Actions and Legal Strategy, Cato Supreme Court Review,
September 19, 2011.
203
Hydrogen Peroxide Antitrust Litigation, D.C. Civil Action n° 05-civ-066 and MDL n° 1682 (3rd Cir. 2008).
204
Voir Infra §. 160.
60
administration de la justice. Le juge se prononcera une seule fois sur la responsabilité du (ou des)
défendeur(s). En outre, la personne, qui se présente comme Demandeur représentatif pour la
conduite de l’action, devra démontrer son aptitude et sa légitimité à assumer ce rôle.
2) L’aptitude du Demandeur Représentatif à représenter d’autres parties
128. Une représentation adéquate des intérêts des membres du groupe. Le Demandeur représentatif
postulant doit démontrer son intérêt personnel à agir et justifier du bien-fondé de sa demande pour
introduire son action en justice. Mais dès lors qu’il entend, également, agir pour toutes personnes
placées dans une situation similaire à la sienne, il doit justifier de qualités de représentation. Suivant
la Règle 23(a) FRCP, le juge de la certification vérifie que la personne, postulant au rôle de
Demandeur Représentatif, est apte à assurer une représentation adéquate des intérêts des membres
du groupe. La procédure de l’action de groupe a ce particularisme que le demandeur à l’action,
introduit son action pour son compte, mais également pour le compte d’autres personnes qui, par
nature 205, n’ont pas consenti à leur représentation en justice par ce demandeur, à ce stade de la
187F
procédure. Ainsi, il relève de la compétence du juge de contrôler que ce justiciable possède des
qualités de représentation suffisantes pour justifier de sa démarche au regard des intérêts des autres
demandeurs potentiels. Ce contrôle inclut les capacités de représentation du cabinet d’avocats, qui
deviendra le Class Counsel 206.
18F
129. Une mention lourde de conséquences. Sur le plan formel, le demandeur qui introduit l’action en
justice devra mentionner dans sa demande qu’il agit en justice afin de voir indemniser son préjudice
ou de voir ordonner au défendeur un changement de comportement et ce, pour son propre compte,
mais aussi « pour toute personne placée dans une situation similaire » (others similarly situated)207.
189F
Cette simple mention sur le formulaire de la demande suffit à exprimer sa volonté d’agir en
représentation des intérêts des autres victimes de la pratique ou du comportement allégué à la cause
du préjudice et donc de voir ouvrir une procédure de certification, en vue d’obtenir l’autorisation de
recourir à la class action.
205
La publicité de la procédure n’intervient qu’après la phase de certification de la procédure, voir Infra §. 244.
Rule 23(g) FRCP.
207
J. Lemontey et N. Michon, Les class actions américaines et leur éventuelle reconnaissance en France, Journal du Droit
international (Clunet), n° 2, avr. 2009, var. 2. ; N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of
the process and the empirical literature, RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 4, et p. 36,
in The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Center for
socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007.
206
61
130. Sur le fond, le Demandeur Représentatif postulant doit apporter des éléments de preuve, afin de
démontrer qu’il est apte à tenir le rôle de représentant de la class. La démonstration tend à
convaincre le juge de son aptitude à conduire l’action au mieux des intérêts de chacun des membres
de la class. De plus, si d’autres justiciables souhaitent tenir le rôle de Demandeur représentatif dans
la même affaire 208, il devra démontrer que, parmi ces demandeurs, il est le plus apte à tenir ce rôle
190 F
(a). Le degré d’exigence relatif aux garanties de représentation des Demandeurs Représentatifs, est
augmenté dans certains domaines du droit considérés comme « sensibles », pour éviter les dérives
financières de la procédure. Il en est ainsi en droit boursier (b).
(a) Les conditions propres à une représentation adéquate des membres du groupe
131. Le juge américain examine deux types de conditions relatives aux capacités de représentation du
Demandeur Représentatif postulant. Il s’agit de la condition de Typicality et de celle de l’Adequacy
of representation. Ces conditions concernent tant la personne du Demandeur Représentatif que son
cabinet d’avocats 209, qui sera désigné par le juge, au terme de la phase de certification, comme Class
19F
Counsel 210.
192F
132. Des demandes représentatives de celles des autres membres du groupe. Tout d’abord, les
demandes formulées par le Demandeur Représentatif doivent être typiques de celles des membres du
groupe de personnes représentées (Condition of Typicality) 211. Ces demandes doivent reposer sur un
193F
fondement légal commun à toutes les demandes potentielles. Elles ne doivent pas présenter de
nuances ou de particularités quant aux faits de l’espèce, qui pourraient, le cas échéant, justifier un
nouveau fondement à l’action ou un fondement supplémentaire, non commun aux autres demandes
potentielles. De même, la nature du dommage allégué par le demandeur, doit également être typique
de celle du dommage potentiel subi par les autres membres de la class. Concrètement, le demandeur
208
Plusieurs demandeurs peuvent être désignés comme Demandeurs Représentatifs, voir Rule 23(a) FRCP. En revanche, le
juge désigne un seul « Class Counsel », voir Rule 23(g) FRCP.
209
Les cabinets d’avocats aux Etats-Unis jouent un rôle déterminant dans la conduite de la class action. Ce sont, en
pratique, eux, qui animent la class. Ils vérifient que le cas de leur client remplit les conditions posées par la Rule 23 FRCP.
Ils s’assurent que le nombre de demandes potentielles sera suffisant au regard du critère de la Numerosity et recueillent le
témoignage des experts nécessaires à l’estimation précise du nombre de demandes. De même, ils identifient les questions
de droit ou de fait communes à l’ensemble des membres du groupe. Ils s’attachent à ce que la ou les demandes formulées
soient représentatives de celles des autres membres du groupe et que les éléments présentés au soutien des prétentions
soient communs à l’ensemble des membres de la class. Ils s’assurent, en outre, que les intérêts de leur client sont
conformes à ceux des autres personnes représentées à la procédure. Dans ce cadre, les avocats américains remplissent leur
fonction d’assistance et de représentation de leur client. Ils se substituent à ce dernier en vertu d’un mandat ad litem, voir R.
Martin, Déontologie de l’avocat, LexisNexis Litec, Jurisclasseur, 8ème éd., 2004, p. 15.
210
Voir note de bas de page n° 127.
211
Rule 23(a)3 FRCP.
62
doit apporter des éléments de preuve au soutien de ses prétentions, qui peuvent servir aux autres
membres de la class 212. Dans l’affaire du cartel des tuyaux marins, le fondement juridique de
194F
l’action était la violation de la section 1 du Sherman Act 213. Le demandeur à l’action a mis en
195F
lumière la pratique de fixation des prix opérée par les différentes entreprises, participantes au cartel,
sur laquelle investiguait le Department of Justice américain 214. Le demandeur a soutenu que cette
196F
pratique avait conduit à l’augmentation artificielle des prix des tuyaux marins au détriment des
acheteurs directs de ces produits, dont il faisait partie. Sa demande était donc typique des demandes
potentielles des autres acheteurs directs 215.
197F
133. Une représentation adéquate des intérêts des membres de la class. Ensuite, la Règle 23(a) FRCP
prévoit que le Demandeur Représentatif devra, de manière équitable et adéquate, protéger les
intérêts des membres du groupe (Adequacy of representation) 216. Cette condition fut interprétée
198F
largement par les juridictions judiciaires et elle concerne, aujourd’hui, tant le Demandeur
Représentatif que le Class Counsel. En effet, le juge de la certification examine, sous cette
condition, si le représentant est financièrement assez solide pour mener l’action, si les intérêts des
membres sont suffisamment proches de ceux du Demandeur Représentatif afin d’éviter tout conflit
d’intérêts et si les avocats du représentant sont suffisamment qualifiés pour connaître du cas 217.
19F
134. Le premier volet de la condition porte sur l’assise financière du justiciable, Demandeur
Représentatif. Il ne jouera en général que dans le cas où ce dernier n’a pas signé, avec son cabinet
d’avocats, d’accord sur les honoraires d’avocats. En effet, la rémunération des avocats aux EtatsUnis peut résulter d’une convention, appelée « Contingency fees agreement », qui fait dépendre les
honoraires d’avocats de la seule réussite de la procédure judiciaire 218. Les avocats du Demandeur
20 F
212
Brooks v. Southern Bell Tel&Tel Co, 133 F.R.D 54, 58 (S.D. Fla 1990).
Sherman Act, op. cit.
214
En l'espèce, les autorités américaines ont débuté leurs investigations à l’introduction de la procédure et la condamnation
desdites entreprises sur le volet pénal par les juridictions américaines est intervenue avant le jugement sur la certification de
la class, voir l’encadré Supra §. 100.
215
Marine Hoses Antitrust Litigation, Order on class action and preliminary settlements, op. cit., p. 17.
216
Rule 23(a)4 FRCP.
217
Georgine v. Amchem Prods, Inc, 83 F 3d 610, 630 (3d Cir. 1996); Aff’d Amcehm Prods, Inc, v. Windsor, 521 US 591,
117 s Ct 2231 (1997); Brooks v. Southern Bell Tel & Tel Co, 133 FRD 54, 58-59 (SD Fla 1990); voir également N. M.
Pace, Class actions in the United States of America : an overview of the process and the empirical literature, RAND
Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 7, dans The Globalization of class actions, Conférence
internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Center for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14
déc. 2007.
218
Les « Contingency Fees Agreements » sont « des conventions d’honoraires qui prévoit que les honoraires ne seront
versés à l’avocat en contrepartie de ses services de conseil et de représentation qu’à condition que le procès aboutisse à un
jugement en faveur du client ou à une transaction favorable à ce dernier », Black’s Law dictionary, Bryan A. Garner,
Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 362.
213
63
Représentatif, dans le cadre de la class action, font l’avance des frais de procédure et de leurs
honoraires. Ils se rembourseront et se rétribueront sur les dommages intérêts alloués à leur client à
l’issue de la procédure 219. En matière de class actions, les Contingency Fees Agreements sont très
201F
fréquents. Dès lors que le justiciable conclut ce type d’accord avec son avocat, le risque financier est
transféré au cabinet d’avocats, le juge devant alors porter son attention sur les ressources financière
et humaines du cabinet 220.
20F
135. Ensuite, le juge vérifie que le cabinet d’avocats choisi par le représentant est suffisamment
qualifié et expérimenté pour mener à bien l’action. Par exemple, la gestion de la procédure de
divulgation inter partes des documents et les interrogatoires et dépositions à mener (procédure de
Discovery) demandent une certaine expertise du cabinet retenu et une expérience de la procédure de
class action.
136. Enfin, la Cour vérifie que les intérêts du Demandeur Représentatif ne sont pas en contradiction
avec les intérêts des autres membres de la class 221. Sont ici visés les conflits d’intérêts potentiels
203F
entre les différents protagonistes. Cette préoccupation concerne, elle aussi, les justiciables en
demande comme les avocats. Il est possible d’imaginer un avocat ou une société d’avocats possédant
des actions d’une entreprise contre laquelle la requête serait formulée. Un conflit pourrait alors
surgir entre les intérêts personnels de l’avocat, et les intérêts de ses clients 222, la réussite de la
procédure pouvant entraîner une diminution de la valeur des titres de ladite entreprise 223. Un des
204F
critères d’appréciation de cette condition est la combativité avec laquelle le Demandeur
Représentatif et le Class Counsel cherche à défendre les intérêts des membres de la class 224.
205F
137. Aux Etats-Unis, les avocats ont un rôle central dans la conduite des procédures judiciaires, dans
lesquelles ils s’engagent à titre personnel. Ils peuvent avoir un intérêt financier à la réussite de la
procédure, leur rémunération étant dépendante de cette réussite au titre des Contingency Fees
219
Ils fixent contractuellement, au titre de leur rémunération, un pourcentage de la somme qui sera allouée aux victimes au
titre des dommages et intérêts, Black’s Law dictionary, Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 362.
220
Voir Rule 23(g)(1)(iv) FRCP. Cette règle porte d’une manière générale sur les conditions de désignation du Class
Counsel. Elle ne vise pas expressément la situation financière du cabinet d’avocats. Le législateur américain emploie le
terme de « ressources », qui inclut tant les ressources financières qu’humaines.
221
Griffin v. Carlin, 755 F. 2d 1516, 1533 (11th Circuit 1985).
222
F. Polverino, A Class Action Model For Antitrust Damages Litigation In The European Union, University of Chicago
Law School, Working paper Series, August 29, 2006, p. 15.
223
Voir §. 247 sur l’estimation de l’atteinte à la valeur boursière des actions d’une entreprise à la procédure.
224
Terazosin Hydrochloride Antitrust litigation, 220 F.R.D. 672, op. cit., at 688.
64
Agreements 225. De plus, ils peuvent voir leur responsabilité professionnelle être engagée en cas de
206F
non respect des règles fédérales de procédure civile 226.
207F
138. Conclusion du a). Jouant un rôle déterminant dans la conduite de la procédure, le Demandeur
Représentatif postulant, comme son cabinet d’avocats, doivent faire la démonstration de leur
compétence pour défendre les intérêts des autres personnes représentées à l’action. Le juge porte son
attention sur les caractéristiques du cas d’espèce présentées par le Demandeur représentatif
postulant et sur les ressources et les compétences du cabinet d’avocats du justiciable pour devenir
Class Counsel. Ce contrôle approfondi du juge souligne l’importance du choix des représentants de
la class dans ce type de procédure. Le système américain présente cette particularité que bien qu’il
s’agisse de désigner un représentant, victime au même titre que les membres du groupe, il s’agit in
fine de sélectionner une équipe, composée d’une victime et de son cabinet d’avocats à la tête de la
class, qui agiront, normalement, au mieux dans l’intérêt de tous.
139. Transition. Cependant, de dérives financières 227 liées aux class actions américaines sont
208F
dénoncées. La motivation purement financière des demandeurs et des cabinets d’avocats, est mise en
avant. Pour tenter de lutter contre ces dérives, le législateur, comme les juges américains, ont imposé
des conditions supplémentaires aux postulants à la conduite de l’action dans certaines matières
considérées comme sensibles.
(b) Les conditions propres à garantir une représentation non faussée : l’exemple des
Securities class actions
140. Des conditions renforcées dans les domaines à risques. Dans certains domaines du droit, comme
en matière boursière 228, les risques de détournement de la procédure de class action à des fins
209F
purement financières sont plus élevés que dans d’autres domaines du droit, comme en droit social.
225
Sur ce volet, un conflit d’intérêts peut surgir entre le cabinet d’avocats et ses clients, membres de la class en cas de
proposition de transaction, le cabinet d’avocat pouvant conseiller à ses clients de suivre cette voie plutôt que de poursuivre
l’action, au motif personnel de s’assurer une rémunération satisfaisante et ce, au détriment de l’indemnisation des
demandeurs, voir. §. 910-911.
226
Voir à titre d’exemple la Rule 11 FRCP, relative aux procédures intentées de manière abusive.
227
Le coût du système des class actions aux Etats-Unis a été estimé à 252 milliards de dollars en 2007, soit 1.9% du PIB
américain, "Target: Europe, Global Export of US-Style Class action Lawsuits”, US Chamber, Institute for Legal Reform
paper, 13 mai 2009 ; En 2005, l’estimation était de 247 milliard de dollars, soit 1.87% du PIB américain, Empirical
research on Class Actions in USA, Christopher Hodges, étude jointe au rapport sur le système américain, intitulé “Class
actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature”, Nicholas M. Pace, RAND
Institute for Civil Justice, dans The Globalization of class actions,Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford
Law School et le Center for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007.
228
L. Rickard, The Class action Debate in Europe: Lessons from the U.S Experience, The European Business Review, 6
fév. 2009.
65
Ainsi, le législateur a ajouté des conditions supplémentaires à la certification d’une class en matière
boursière. Ces règles viennent compléter les dispositions de la Règle 23 FRCP.
141. Des enjeux financiers importants en matière boursière, justifiant de précautions
supplémentaires. Aux États-Unis, les class actions en matière boursière (Securities Class actions)
occupent une place de premier ordre 229 et ce, du fait notamment de l’influence que ces actions
210F
peuvent avoir sur les cours de bourses. Il a été estimé qu’une entreprise cotée perdait en moyenne
3.5% de la valeur de son action, dès lors qu’une class action en matière boursière était introduite
devant les juridictions américaines et ce, indépendamment du résultat du jugement rendu
ultérieurement sur la responsabilité de l’entreprise 230.
21F
142. Les spécificités des Securities Class actions. La procédure de class action en la matière présente,
de plus, certaines spécificités procédurales, à même de favoriser les situations abusives. Tout
d’abord, les textes relatifs aux Securities Class actions sont les seuls à autoriser, en amont de la
phase de certification, la publicité de la procédure dès le dépôt de la demande 231. Le demandeur et
21F
son cabinet d’avocat peuvent, en effet, diffuser par voie de presse une notice d’information sur
l’introduction de la procédure judiciaire 232. Ensuite, le rôle du Demandeur représentatif est plus
213F
important que dans les autres types de class actions. En effet, en droit boursier, le Demandeur
représentatif que l’on qualifie de « Lead plaintiff » a un rôle de gestion de la procédure plus poussé
que le Demandeur représentatif dans les autres types de class actions 233. Ainsi, il sera le seul à
214F
229
Les Etats-Unis ont vu le nombre de procédure de class action introduites devant les juridictions se multiplier avec la
crise boursière en 2008, voir en ce sens M. Prandi, La deuxième jeunesse des « class actions » aux Etats-Unis, Journal Les
Echos, 5 déc. 2008.
230
Voir Target: Europe, Global Export of US-Style Class action Lawsuits, US Chamber, Institute for Legal Reform paper,
13 mai 2009, partie sur l’impact sur la compétitivité.
231
N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature,
RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 17, dans The Globalization of class actions,
Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Center for socio-legal studies, Oxford
University, 13 & 14 déc. 2007.
232
Dans les 20 jours à compter de notification de la demande, le demandeur doit publier une notice d’avertissement
destinée aux membres de la class dans une publication commerciale, diffusée sur l’ensemble du territoire national, ou par
l’intermédiaire d’un service de télégramme. Cette notice doit informer qu’une action est pendante devant la Cour. Elle doit
notamment préciser les demandes formulées, et mentionner que les membres présumés de la class ont 60 jours pour se
manifester auprès de la Cour saisie dès lors qu’ils désirent postuler au rôle de représentant. Cette notice doit être publiée en
plus de celles devant faire l’objet d’une publication en vertu des règles fédérales de procédure civile (Rule 23 FRCP). La
publication impacte le délai du jugement en ce sens où la cour a, à compter de cette publication, 90 jours pour connaître des
requêtes (Motions) déposées en réponse à la notice d’avertissement et notamment aux requêtes de postulation au rôle de
représentant. Il devra déterminer lequel ou lesquels des demandeurs sont les plus à même de représenter, de manière
adéquate, les intérêts des membres de la class, voir le Securities Exchange Act of 1934, Section 21D, p. 214.
233
N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature,
RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 17, dans The Globalization of class actions,
66
pouvoir conduire les négociations en cas de recherche d’une solution transactionnelle234 à la
résolution du litige235. Ces spécificités ont conduit le législateur à strictement encadrer ce type de
class action.
143. Un encadrement justifié des Securities Class actions. Les procédures de Securities Class actions
ont fait l’objet d’un premier encadrement en 1995 puis en 1996 avec l’adoption du Private Securities
Litigation Reform Act (PSLRA 236 et du Securities Litigation Uniform Standards Act 237. Ensuite, en
6F
217F
2004, le Securities Exchange Act de 1934 238, concernant la régulation des marchés financiers
F
secondaires
239
219F
, au niveau fédéral, a également été réformé240. Selon les dispositions de ces textes,
deux types d’actions peuvent être portées devant les juridictions américaines : les Private Securities
Class Actions, qui tendent à l’obtention de dommages intérêts en cas de manipulation frauduleuse du
marché ou de pratiques abusives mises en œuvre sur le marché secondaire des actifs financiers et les
Securities Fraud actions, qui tendent à faire sanctionner le comportement frauduleux des
investisseurs, outre la recherche de dommages et intérêts. Notre étude se limitera à la première
catégorie d’actions, qui est régie par Securities Exchange Act de 1934 et plus précisément la Section
21D, intitulée Private Securities Litigation.
144. Plan. Il existe, en droit boursier, des conditions de certification complémentaires à celles posées
par la règle 23 FRCP, qui prennent en compte la spécificité de la matière et qui amènent à un degré
d’exigence beaucoup plus élevé pour les candidats au rôle de Demandeur Représentatif (i). Des
conditions spécifiques sont prévues en cas de multiples demandeurs postulants - situation favorisée
avec la publicité en amont de la procédure de certification de la class (ii).
Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Center for socio-legal studies, Oxford
University, 13 & 14 déc. 2007.
234
Le nombre de transactions en matière de Securities Class Actions a considérablement augmenté depuis la fin des années
90 aux Etats-Unis, M. Bajaj, S. C. Mazumdar and A. Sarin, Securities Class action settlements: an empirical analysis, 43
Santa Clara L. Rev. 1001, 1010 (2003).
235
Dans les autres types de Class actions, les membres de la class peuvent intervenir à la négociation de la transaction
envisagée, voir §. 287.
236
Private Securities Litigation Reform Act (PSLRA), Pub. L. 104-67, 109 Stat. 737.
237
Securities Litigation Uniform Standards Act (SLUSA), 112 Stat. 3227.
238
Securities Exchange Act (1934).
239
Marché de l'achat et de la vente d'actifs financiers déjà existants : http://www.guidefinance.ch/ica_french/les_marches/tout_savoir_sur_les_marches/les_marches/wcga4.html.
240
Pour un commentaire de la réforme, voir J. G. Coffee Jr., Reforming the Securities Class Action: an Essai on Deterrence
and its Implementing, 106 Colum. L. Rev. 1534, 1539-40 (2006).
67
i-Les conditions supplémentaires à remplir pour devenir Lead plaintiff
145. Un affidavit d’engagement à la procédure du Demandeur Représentatif. Tout d’abord, les
précautions procédurales sont multipliées. La demande en justice doit être accompagnée de certains
documents. Le demandeur, voulant être désigné comme Demandeur Représentatif de la class, doit
fournir une déclaration sous serment 241, faisant foi de son engagement personnel dans la procédure
20F
et de sa responsabilité quant à la conduite de cette dernière.
146. Les mentions obligatoires de la demande en justice. Cette déclaration doit comprendre les
mentions particulières suivantes 242 :
21F
 Le Demandeur Représentatif certifie qu’il a eu connaissance du contenu de la requête et
qu’il autorise sa notification.
 Il certifie ne pas avoir acheté les actions, qui font l’objet du litige, à la demande de son
conseil ou dans le but de participer à toute action privée prévue par cette loi.
 Il certifie également qu’il est disposé à être le représentant de la class, ce qui inclut de
fournir son témoignage tant lors des dépositions qu’au procès, si cela est nécessaire.
 Il doit joindre, au dépôt de la requête, un récapitulatif de toutes les transactions relatives
aux valeurs qui sont l’objet de la demande et ce, durant toute la période couverte par la
demande.
 Le Demandeur Représentatif mentionne les autres actions en justice pour lesquelles il a
été le Demandeur Représentatif de la class, sur une période de 3 ans précédant la
notification de la demande, et enfin,
 Il certifie qu’il n’a reçu aucun paiement pour représenter les membres de la class.
147. Il est intéressant, au vu de cette série de mentions obligatoires, de constater que le législateur est
soucieux de prévenir les fraudes potentielles à la mise en œuvre de la procédure des Securities Class
actions. Une certaine défiance envers les cabinets d’avocats, comme envers les autres membres de la
class, est mise en lumière. Ces derniers pourraient être tentés de proposer une compensation
financière au justiciable, afin qu’il assume le rôle de Lead plaintiff dans un litige, qui
potentiellement peut aboutir au versement de dommages intérêts importants et à une prime
241
242
U.S Code §78u-4, (a) (2) (A).
U.S Code §78u-4, (a) (2) (A).
68
conséquente pour le cabinet d’avocats. Cette défiance du juge concerne également le justiciable luimême. Il lui est demandé de mentionner l’ensemble des procédures dans lequel il aurait tenu ce
même rôle dans une période de trois années précédant le jour du dépôt de la demande. Il est, en effet,
interdit à une personne d’être le Demandeur Représentatif d’une class ou le supérieur, le directeur
ou le « trustee » 243 du Demandeur représentatif d’une class dans plus de cinq class actions portant
2 2F
sur des titres boursiers, sur une période de trois ans, sauf dérogation de la Cour 244. Cette interdiction
23F
tend à lutter contre la fraude et en particulier contre la pratique consistant à multiplier les actions
judiciaires afin d’en retirer des revenus.
148. Cette inquiétude du juge sur les motivations financières du Demandeur Représentatif se retrouve
avec l’indemnisation de ce dernier. Elle est conditionnée au nombre de valeurs mobilières détenues.
La part du Lead plaintiff doit être égale à celle des autres membres du groupe, fixée au prorata des
parts détenues, sauf le cas échéant, si une rétribution a été ordonnée ou approuvée par la Cour,
conformément aux dispositions de la Section 21D(a) §4 du Securities Exchange Act of 1934. De
plus, le juge ne prend en compte que les dépenses raisonnables, engagées par le représentant au titre
de sa mission, qu’il apprécie librement.
149. L’ensemble de ces règles vient s’ajouter à celles de la Règle 23 FRCP. Elles tendent ainsi à
prévenir des dérives constatées, dans la mise en œuvre de la procédure de class action, s’agissant de
fraudes boursières, notamment la professionnalisation du recours en justice. Le postulant à la
représentation de la class doit démontrer la bonne foi, qui accompagne sa démarche.
243
Un « Trustee » est une personne qui détient « un titre de propriété, réel ou personnel, pour le bénéfice d’une ou de
plusieurs autres personnes. Dans un trust, le propriétaire originel remet son bien en toute confiance entre les mains d’une
personne, afin que cette personne (le trustee) détienne ledit bien pour le bénéfice d’un autre. Le droit des trusts [droit
purement anglo-saxon] remonte au Moyen-âge : il dérive de l’usufruit féodal inventé pour adoucir la rigueur des règles de
la Common Law qui s’opposaient à ce que l’on puisse disposer de la terre, c'est-à-dire à ce que l’on puisse la transmettre
par testament, et également pour alléger les charges féodales imposées au détenteur d’un terre en tenure libre et
perpétuelle. Au décès d’un tel détenteur, son fils et héritier devait payer au seigneur du manoir des droits féodaux très
élevés. Par le biais de l’ « usufruit », au terme duquel le détenteur de la terre remettait celle-ci à un ou plusieurs amis, ces
amis devenaient les propriétaires légaux de la terre aux yeux de la Common Law, et ils donnaient au détenteur (qui n’était
désormais que le simple bénéficiaire de l’usufruit) le revenu de ladite terre. Au décès du détenteur originel, son héritier
n’était pas assujetti au paiement des droits féodaux, dans la mesure où la terre continuait d’appartenir officiellement aux
amis auxquels on l’avait remise, qui donnait au nouveau bénéficiaire (le fils) les revenus de ladite terre. En un second
temps, du fait que la Common Law considérait les détenteurs officiels comme les propriétaires légaux de la terre, pour les
empêcher d’utiliser la terre d’une manière contraire à leurs obligations, le tribunal de la chancellerie intervenait en équité
et protégeait les droits des bénéficiaires. Par la suite, les usufruits furent appelés les trusts », Bernard Dhuicq et Danièle
Frison, L’anglais juridique, the English and American Legal Systems, Pocket, 1993, p. 209; Voir aussi Black’s Law
dictionary, Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 1656.
244
U.S Code §78u-4, (a) (3) (B) (vi).
69
ii-La bataille des postulants au rôle de Lead plaintiff.
150. La procédure des Securities class actions a la particularité de permettre la publicité de la
procédure en amont de la phase de certification, ce qui favorise la multiplication des justiciables
postulant au rôle de Demandeur représentatif. Le juge doit, dans ce cas, déterminer lequel (ou
lesquels) des justiciables postulants est le plus à même de défendre au mieux les intérêts de la class.
Pour faciliter le travail du juge, le législateur a posé une présomption simple au profit de toute
personne qui remplirait les critères suivants 245 :
24F
 Le Demandeur Représentatif a expressément manifesté sa volonté de devenir le
représentant de la class, soit en étant à l’origine du dépôt de la requête, soit en ayant
introduit, auprès de la cour saisie, une requête (motion) en ce sens, après la publication
de la notice d’avertissement.
 Le Demandeur Représentatif a justifié de l’intérêt financier le plus important au vu des
griefs formulés par la class.
 Le Demandeur Représentatif satisfait aux conditions de la Règle 23 FRCP.
151. Outre ces conditions de la Règle 23 FRCP, le législateur oriente le contrôle sur la réactivité du
justiciable et sur l’intérêt pécuniaire potentiel de ce dernier à porter l’action tout au long de la
procédure. L’indemnisation en matière de Securities Class actions est fonction du nombre de titres
détenus. Il apparaît logique de présumer que plus le demandeur détient de titres, plus l’enjeu
financier est important et plus il sera motivé pour défendre aux mieux les intérêts des autres
membres de la class comme ses propres intérêts.
152. La présomption peut être renversée si l’un des demandeurs ayant également postulé au titre de
Demandeur représentatif démontre que bien que les trois conditions soient réunies, le représentant
désigné n’accomplira pas sa tache de manière juste et adéquate au vu des intérêts des membres de la
class ou que ce dernier est sujet à des moyens de défense différents de ceux des autres membres de
la class, ce qui le rend incapable de représenter, de manière adéquate, les intérêts de la class 246. Au
25F
245
246
U.S Code §78u-4, (a) (3) (B) (iii).
U.S Code §78u-4, (a) (3) (B) (iii) (II).
70
regard de la formulation de la disposition 247 et des critères posés, il apparaît que cette présomption
26F
ne sera réfutable que dans des cas exceptionnels.
153. Sans dénaturer les conditions de la Règle 23 FRCP, le législateur américain est ainsi parvenu à
régler la question des multiples postulations au rôle de Demandeur représentatif en matière
boursière, en recourant à la présomption réfragable et en minimisant la création de « contentieux
dans le contentieux ».
154. Avec la déclaration d’engagements du Demandeur Représentatif et avec la gestion par le juge des
multiples postulants au rôle de Demandeur représentatif, il est mis en lumière qu’en matière
boursière, les conditions propres au Demandeur Représentatif, plus qu’à son cabinet d’avocats,
redeviennent prédominantes. Le législateur à travers ces différentes réformes a voulu responsabiliser
davantage les justiciables face aux possibilités de fraudes financières, collatérales au système de la
Securities Class Action, et accrues par rapport aux autres types de class actions. Il a, de plus, apposé
à ces conditions des garde-fous, tels que l’interdiction de participer directement ou indirectement à
la conduite d’une Security class action plus de cinq fois en trois ans. Elles tendent à éviter la
prolifération de ce type de class actions, phénomène constaté depuis les années 2000 248.
27F
155. Conclusion du 2). La capacité du Demandeur représentatif à protéger au mieux les intérêts des
membres du groupe est centrale dans la certification de la procédure. Elle tient principalement à la
situation de ce dernier. Mais sont également primordiales les qualités professionnelles du cabinet
d’avocats, qui aura la tache de rendre la procédure lisible pour le juge à travers l’exposé du litige et
l’apport des pièces justificatives nécessaires. L’autorisation de recourir à la procédure de class
action tient ainsi, dans la plupart des cas à l’habileté, l’expérience et les ressources tant financières
qu’humaines du cabinet d’avocat, qui sera désigné alors comme Class Counsel. L’exemple du droit
boursier montre que le législateur américain a tenté, avec les réformes opérées en la matière, de
renforcer la responsabilité personnelle du Demandeur Représentatif. L’objectif est de réduire les
possibles dérives financières en renforçant les exigences quant aux preuves que le Demandeur
représentatif postulant doit apporter pour recevoir cette qualité.
247
U.S Code §78u-4, (a) (3) (B) (iii): “Rebuttal evidence. The presumption described in subclause (I) may be rebutted only
upon proof by a member of the purported plaintiff class that the presumptively most adequate plaintiff—
(aa) will not fairly and adequately protect the interests of the class; or
(bb) is subject to unique defenses that render such plaintiff incapable of adequately representing the class”.
248
Voir M. Prandi, La deuxième jeunesse des « class actions » aux Etats-Unis, Journal Les Echos, du 5 déc. 2008, op. cit.
71
156. Conclusion du A). La phase de certification de la procédure permet ainsi au juge de vérifier que le
recours à la class action est le moyen le plus efficient de traiter les demandes en justice, qui
apparaissent similaires et multiples. L’objet du recours à ce type de procédure est avant tout la bonne
administration de la justice. Le Demandeur Représentatif postulant et le cabinet d’avocat ont un rôle
déterminant dans ce processus d’examen de la requête a priori. Ils doivent apparaître comme les
plus à même de protéger les intérêts de l’ensemble des personnes représentées à la procédure. Les
précautions et les exigences renforcées des juges américains soulignent, cependant, d’une part, le
caractère exceptionnel de la mise en œuvre de la procédure d’action de groupe et, d’autre part, la
nécessité d’en contrôler l’usage afin d’éviter des abus éventuels, notamment d’ordre financier. La
seconde série de conditions posées pour les seuls recours en indemnisation va, également, dans le
sens d’un recours nécessairement contrôlé et limité à la procédure de la class action.
B) Des conditions de certification supplémentaires pour les mass torts class actions 249
28F
157. La règle 23(b)(3) FRCP pose une seconde série de conditions à la certification des class actions
en matière de responsabilité civile extracontractuelle, en matière boursière et encore en matière
financière. Ces matières comportent plus de risques de dérives financières du fait de leur objet. Ces
conditions supplémentaires sont la prépondérance des questions communes sur les questions
individuelles (Condition of Predominance) (1) et la supériorité de la class action sur les procédures
de droit commun (Condition of Superiority) (2). Là encore, la jurisprudence américaine récente
apporte des éclaircissements intéressants quant à l’appréciation de ces conditions par le juge,
restrictive du champ de l’action.
1) La condition de Prédominance
158. La prédominance des questions communes. Les demandeurs aux actions en indemnisation
doivent démontrer, de surcroit, que les questions de droit et de fait communes sont prédominantes
des questions individuelles, que soulèvent les litiges 250. Cette condition vient compléter la condition
29F
de Commonality. Au-delà de l’existence de questions de droit ou de fait communes, le législateur
249
Le terme de Tort case se traduit littéralement comme « un délit civil, autre qu’une violation d’un rapport contractuel,
pour lequel un remède peut être obtenu sous la forme de dommages et intérêts », Black’s Law dictionary, Bryan A. Garner,
Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 1626. Ce terme couvre, en droit français, la responsabilité civile
extracontractuelle. L’adjectif « Mass » vient souligner la présence de plusieurs personnes au litige, voir en ce sens, Black’s
Law dictionary, op.cit.
250
Rule 23(b)3 FRCP.
72
américain exige que ces questions soient prédominantes des questions individuelles que peuvent
présenter les affaires soumises au juge de la certification.
159. L’interprétation juridictionnelle de la condition. La Cour fédérale de première instance, dans
l’affaire des tuyaux marins, en précise les trois aspects 251.
230F
 Le fondement juridique de l’action. Tout d’abord, le fondement juridique de l’action
doit être le même pour chacun des membres de la class pour que la question de droit
soit considérée comme prédominante des questions individuelles.
 Des questions de fait communes. Ensuite, pour les questions de fait, elles prédominent
sur les questions individuelles si les éléments de fait en question peuvent être apportés à
l’appui des moyens relatifs à la responsabilité du défendeur ou à tous autres moyens
soulevés possiblement par chacun des membres de la class 252.
231F
 Des preuves communes. Enfin, les preuves venant au soutien des questions communes
de droit ou de fait doivent être des preuves communes à tous les membres de la class et
non des preuves individuelles 253.
23F
160. Dans le cadre de cette condition, il s’agit pour le justiciable en demande de démontrer que les
questions de droit et de fait communes sont prédominantes des questions individuelles pour chacun
des demandeurs et non pour l’ensemble du groupe. Les autres demandeurs à la procédure sont
envisagés dans leur individualité, ce qui renforce le degré d’exigence pour le justiciable en ce qui
concerne l’apport de la preuve.
161. L’exemple : faits & procédure. Ce dernier volet de la condition de Predominance fut illustré dans
un arrêt du 30 décembre 2008, rendu par la Cour d’appel fédérale du 3ème Circuit 254, dans lequel
23F
cette dernière a invalidé la décision de certification d’une class, du Tribunal fédéral de première
251
Marine Hoses Antitrust Litigation, Master docket n° 08-MDL-1888-Graham Turnoff, Order on class action and
preliminary settlements, op. cit., p. 19-21.
252
Klay v. Humana Inc., 382 F 3d 1241, 1255 (11th Cir. 2004).
253
Kerr v. City of West Palm Beach, 875 F.2d1546, 1558 (11th Cir. 1989); Bell Atlantic Corp. v. Twombly, 550 U.S 544,
2007 WL 1461066 (2007).
254
Hydrogen Peroxide Antitrust Litigation, D.C. Civil Action n° 05-civ-066 and MDL n° 1682 (3rd Cir. 2008).
73
instance, rendue en janvier 2007, dans l’affaire du Cartel sur les peroxydes d’hydrogène 255. Dans
234 F
cette affaire, en parallèle des investigations menées par les autorités américaines (Department Of
Justice) et les autorités européennes sur les pratiques alléguées d’ententes sur les prix entre
producteurs 256 sur la période de janvier 1994 à janvier 2005, plusieurs acheteurs directs américains
235F
ont déposé une requête, auprès de la District Court du District Est de la Pennsylvanie, en vue
d’obtenir réparation du préjudice subi du fait de la pratique alléguée. Les demandeurs exprimèrent
leur volonté de voir le litige traité selon la procédure de class action. Les défendeurs ont alors
riposté par le dépôt d’une requête (motion to dismiss 257), visant à voir écarter la demande de
236F
certification de la class par le juge, en arguant du fait que les conditions de certification n’étaient pas
remplies. Ils ont été déboutés de leur demande par le juge et ils ont alors présenté une Petition 258
237F
pour que soit formé un appel à l’encontre de l’opinion de la District court.
162. L’exemple : le débat sur la condition de Predominance. En substance, les demandeurs à l’action
avaient produit un rapport d’expertise fondé sur des moyennes de prix soutenant qu’il serait possible
sur cette base d’établir, le moment venu, que l’ensemble des membres de la class avaient
effectivement subi un préjudice résultant de l’entente alléguée. Alors, il serait possible pour le juge
de considérer que les preuves communes à tous les membres de la class, pour établir, tant l’existence
que le quantum du préjudice allégué par chacun des membres, prédominaient sur les preuves
individuelles à rapporter sur ces deux questions. Les défendeurs avaient eux-aussi produit un rapport
d’expertise. L’expert-économiste de ces derniers établissait que la démonstration de l’existence d’un
préjudice selon des méthodes communes à l’ensemble des membres de la class était impossible dans
la mesure où les prix étaient systématiquement négociés individuellement avec chaque client. Ainsi,
les défendeurs soutenaient que seuls des preuves individualisées pourraient permettre de déterminer
255
Hydrogen Peroxide Antitrust Litigation (Hydrogen Peroxide I), 240 F.R.D. 163 (E.D. Pa. 2007).
Ces pratiques alléguées sont prohibées par l’article 81 CE (devenu 101TFUE) en Europe et par le §. 4 du Clayton Act
(15 USC §. 15) et le §. 1 du Sherman Act (15 USC§1) aux Etats-Unis.
257
Une Motion to dismiss est une requête formulée auprès de la Cour, avant toute audience, en vue de voir rejeter la
demande et ce, à cause de l’intervention d’un accord à l’amiable entre les parties, en cas de renonciation de la part du
demandeur ou dès lors qu’il y aurait un vice de procédure. En vertu des règles fédérales de procédure civile (FRCP), cette
requête peut être formulée par le demandeur dès lors qu’il entend renoncer au dépôt de sa demande (Règle 41(a) FRCP) ou
par le défendeur, qui a le pouvoir de soutenir plusieurs moyens de défense, listés dans la Règle 12(b) FRCP. Parmi ces
moyens, se trouvent par exemple, le défaut de compétence, materiae, loci ou personae de la Cour saisie et l’insuffisance des
éléments avancés à l’appui de la demande, Black’s Law dictionary, Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9 ème éd., WEST
2009, p. 1109.
258
En droit américain, l’appel n’est pas, par principe, de droit (Appeal by right). Dès lors que l’une des parties au procès
désire faire appel d’une décision, elle doit adresser une lettre (Petition) à la Cour d’appel lui demandant d’accepter sa
demande (Appeal by application). La Cour d’appel est libre de refuser ou de rejeter la requête. Le choix relève de son
pouvoir discrétionnaire. Cependant, il existe des cas d’appel obligatoires dans certains domaines, West's Encyclopedia of
American Law, 1998, publié par Thomson Gale, définition de « Appeal ».
256
74
l’existence même du préjudice et son quantum pour chacun. De ce fait, ils contestaient la décision de
certification de la class, faute de prédominance des questions communes sur les questions
individuelles.
163. L’exemple : les juges de première instance. Le juge de première instance avait certifié la class en
se fondant sur deux motifs. D’une part, il considérait que la question posée par l’expert des
défendeurs était une question de fond, qui n’était pas du ressort du juge en charge de la question de
la certification. D’autre part, il avançait que les instances civiles, en matière de lutte contre les
cartels, viennent au soutien de l’action éventuelle des pouvoirs publics. Ces deux arguments, selon le
juge, suffisaient à justifier la prise en compte de la seule vraisemblance des allégations des
demandeurs dans le processus de certification en écartant l’argumentation des défendeurs. En
d’autres termes, le juge a écarté implicitement la condition de Predominance.
164. L’exemple : la solution de principe. La Cour d’Appel a estimé que la décision du juge de la
certification était infondée. Elle fait valoir tout d’abord qu’il n’est pas suffisant que les représentants
de la class fassent la démonstration de la vraisemblance d’un préjudice affectant l’ensemble de ses
membres. Au contraire, ils doivent établir l’existence effective du préjudice qu’ils allèguent au
moyen de preuves communes. Il résulte de ce principe qu’en cas de contestation de la part des
demandeurs sur ce point, le juge de la certification doit trancher le débat même si sa solution
implique l’examen de questions qui devront ultérieurement faire l’objet du jugement sur le fond.
Dans ce cadre, le juge de la certification ne peut pas se contenter d’une démonstration approximative
quant à l’existence même du préjudice, qui doit résulter de preuves communes à la class et ce, même
si, en matière de concurrence, les class actions ont pour objet de renforcer l’action répressive des
pouvoirs publics. Cette circonstance est indifférente à la bonne administration de la justice. En effet,
à défaut de remplir cette condition de Predominance, chaque préjudice subi par un membre de la
class devra, tant dans son existence que dans son quantum, être réglé de façon individuelle. Ce point
central est alors incompatible avec un traitement de masse des demandes par l’action de groupe, qui
est une procédure d’exception, à l’application nécessairement restreinte.
165. Un recours tourné vers la recherche d’une bonne administration de la justice. Cet exemple, qui
a abouti à l’annulation de la décision de certification de la class montre qu’il ne s’agit pas
simplement de demander pour obtenir le traitement collectif de la demande. Le traitement de la
demande par le biais de la procédure de class action nécessite qu’il soit plus efficient de recourir à
75
cette procédure. Dès lors qu’un examen individuel est nécessaire, le recours à la procédure de la
class action n’est plus justifié. L’action est tournée vers la bonne administration de la justice. Cette
seule condition peut aboutir à l’autorisation par le juge de la procédure, comme l’illustre
parfaitement la dernière condition à examiner, la condition de Superiority.
2) La condition de Superiority
166. La procédure de la class action doit enfin apparaître comme la meilleure méthode pour
administrer des demandes. L’objectif est d’aboutir à un jugement plus juste et plus efficient des
demandes 259. Au travers de la notion d’efficience, se retrouvent des considérations liées au
238F
traitement efficace des demandes en justice, qui permettent de garantir certains principes
procéduraux fondamentaux, dont le droit d’être entendu par un juge dans un délai raisonnable 260. En
239F
effet, dans le cadre d’un litige où les demandeurs potentiels sont très nombreux, la gestion matérielle
du dossier peut être lourde pour la juridiction saisie et aboutir à une durée de procédure conséquente.
Alors la durée du litige pourra être jugée comme déraisonnable au regard de principes du « Due
process »261 aux Etats-Unis, qui sont comparables à l’exigence de l’article 6§1 de la Convention
2 40F
européenne de sauvegarde des droits de l’homme 262 (CESDH), dans les pays européens ayant ratifié
241F
cette convention. Dans des cas extrêmes, un risque de « déni de justice » pourrait même se
réaliser 263. Par exemple, en Allemagne, la procédure d’action collective en droit boursier a été
24 F
introduite en droit positif à la suite d’un recours porté devant la Cour fédérale allemande pour déni
de justice, dans une affaire Deutsche Telekom 264. Environ 16 000 actionnaires, dans plus de 2 000
243 F
procédures individuelles ont assigné l’entreprise Deutsche Telekom devant le Tribunal de première
instance de Frankfort, pour obtenir la réparation de leur préjudice. Trois ans après l’introduction des
259
Rule 23(b)3 FRCP.
Voir 5e et 14e amendements de la Constitution américaine.
261
Le Due process est consacré aux Etats-Unis par le cinquième et le quatorzième amendement de la Constitution. Cette
notion se réfère à la conduite des procédures légales en conformité avec les règles et les principes adoptés en vue de la
protection et de la mise en œuvre des droits privés, incluant le droit à un procès équitable devant un tribunal impartial,
Black’s Law dictionary, Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 575.
262
Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (CESDH), STCE n° 005,
signée à Rome le 4 nov. 1950 et entrée en vigueur le 3 sept. 1953, article 6. §. 1 : «Toute personne a droit à ce que sa cause
soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial »; Voir
également CEDH, arrêt du 15 oct. 2002, Viesiez c/ France, sur recours gracieux.
263
Voir les propos de M. Jules Marc Baudel, tenus lors de la table ronde sur le thème Problèmes constitutionnels, principe
de l’autorité de la chose jugée et périmètre de l’action de groupe, dans Les Recours collectifs: Etude comparée, journée
d’études du 27 janv. 2006, Actes publiés, Editions Société de législation comparée, Colloques, vol. 5, p. 102.
264
L’affaire Deutsche Telekom (DT) portait sur les pertes subies par les actionnaires de l’entreprise à la suite de la
troisième phase de l’introduction en bourse des actions DT. Les actionnaires reprochaient à l’entreprise d’avoir divulgué de
fausses informations dans deux offres publicitaires de 1999 et 2000, conduisant à une surévaluation de la valeur de ces
actions de plus de 2 milliards d’euros. Le préjudice global représenté par les demandes était évalué à environ 150 millions
d’euros, voir Infra §. 404.
260
76
procédures, aucune audition n’avait été organisée. Une partie des demandeurs a formé un recours
auprès de la Cour fédérale allemande (Bundesverfassungsgericht) pour déni de justice265. La
procédure d’action de groupe tend vers une gestion efficace des demandes en justice dans les
conditions du procès équitable.
167. Dans la recherche d’un traitement plus juste des demandes, du législateur américain montre sa
volonté de favoriser l’accès au juge, d’une part, pour les personnes les plus démunies, la procédure
de class action permettant aux membres de la class de ne pas supporter les coûts de justice. D’autre
part, pour les litiges de masse de faible valeur, l’action de groupe permet aux justiciables de faire
valoir leur droit à réparation, alors que le faible montant de la demande les aurait dissuadé de porter
leur action en justice à titre individuel 266. En effet, les coûts de justice et la lourdeur de la procédure
24F
ont, dans le cadre de ces litiges, pour effet de rendre la balance entre les coûts et les avantages
d’engager une procédure judiciaire neutre ou même négative et ainsi de dissuader les demandeurs
individuels.
168. Ces deux conditions, dites de « Prédominance » et de « Superiority » viennent s’ajouter aux
conditions de la Règle 23(a) FRCP. Elles restreignent encore le champ de la procédure de class
action pour les simples demandes indemnitaires. Elles renforcent ainsi l’objectif premier de la
procédure de class action, qui est la recherche d’une bonne administration de la justice en favorisant
le regroupement des seules demandes qui présentent des questions de fait et de droit communes et
dont le traitement collectif apparaît comme plus efficient. Elles reflètent l’exceptionnalité des
conditions d’espèce, qui permettent ce traitement collectif des demandes.
169. Conclusion du §2). L’examen de l’opportunité de recourir à ce type de procédure judiciaire pour
connaître des demandes en justice est une étape indispensable dans le système présenté. L’action de
groupe est par définition une procédure judiciaire, dérogatoire au droit commun, dont l’utilisation
doit, à ce titre, être justifiée au vu de la recherche d’une bonne administration de la justice. Elle est,
de plus, susceptible de conduire à une déresponsabilisation des justiciables et à des abus d’ordre
financier. Ainsi, le contrôle du juge a priori est nécessaire. Dans ce contexte, il s’agit pour le
265
Voir pour un commentaire de l’affaire : S. M. Grace, Strengthening Investor Confidence in Europe: US Style Securities
Class Actions and the Acquis Communautaire, 15 J. Transnat’l L & Pol’y (2006).
266
N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature,
RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 13, dans The Globalization of class actions,
Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre for socio-legal studies, Oxford
University, 13 & 14 déc. 2007.
77
Demandeur Représentatif postulant et son cabinet d’avocat de démontrer, au moyen de preuves
communes, tout d’abord que des circonstances exceptionnelles existent venant justifier le recours à
cette procédure dérogatoire du droit commun. Il faudra pour cela qu’une multiplicité de demandes
similaires existent pour lesquelles un traitement collectif apparaitrait plus efficient qu’un traitement
individuel. Ensuite, ils devront démontrer chacun dans leur rôle respectif de Demandeur
Représentatif et de Class Counsel qu’ils sont des personnes ou entités à même de défendre au mieux
les intérêts des membres de la class par leur capacités matérielles et humaines et par leur expérience
à conduire une telle procédure. Dans cette phase de certification de la class, le rôle du juge est
central. Il participe au succès de la procédure en tant que garant de l’utilisation parcimonieuse et
réfléchie de cette dernière en vue d’en limiter tous les excès.
Conclusion sur la Section 1
170. La procédure américaine de la class action ne peut être introduite que par un justiciable ayant subi
un préjudice à titre personnel du fait du comportement du défendeur, et qui souhaite agir pour
l’ensemble des personnes placées dans une situation similaire à la sienne. Il doit, pour cela, apporter
des éléments venant démontrer les qualités de représentation nécessaires à l’exercice de l’action
pour autrui, et il doit faire la preuve de l’existence de demandes multiples et similaires potentielles,
qui viendraient justifier le recours à ce type de procédure, dérogatoire au droit commun.
171. L’exigence d’un contrôle de la pertinence du choix procédural. L’analyse du système américain
de la certification a priori de la class, qui a été présenté, permet de tirer quelques enseignements de
cette pratique. Le premier enseignement à retenir est celui du caractère exceptionnel de la mise en
œuvre de ladite procédure. Un contrôle a priori est nécessaire afin de s’assurer de la pertinence du
choix procédural 267, - contrôle qui se distingue du contrôle de recevabilité, connu de nos systèmes
245F
juridiques de tradition romano-germanique. L’action de groupe ne peut être utilisée que dans des
conditions et des circonstances spécifiques. La procédure est ouverte à tous les justiciables, qui ont
subi un préjudice du fait d’un comportement allégué, mais dans les limites des qualités de
représentation appropriées à la mise en œuvre de la procédure, dont le Demandeur représentatif doit
justifier et des circonstances de l’espèce. De plus, le Demandeur représentatif doit être assisté d’un
cabinet d’avocat, qui a un rôle central dans la conduite de la procédure engagée pour l’ensemble des
victimes potentielles, et qui doit, dans ce cadre, lui-même, justifier de garanties propres à son
267
Michel Verpeaux, L’action de groupe est-elle soluble dans la Constitution ? Recueil Dalloz 2007, p. 258.
78
expérience et aux moyens financiers et humains dont il dispose. Enfin, tous les litiges ne peuvent pas
être tranchés selon cette procédure. Elle est réservée aux seuls litiges, qui comprennent
potentiellement une multitude des demandes similaires. Le premier objectif de l’utilisation de cette
procédure est la bonne administration de la justice. Ainsi, elle ne peut pas être envisagée si la
procédure individuelle de droit commun, ou de toute autre procédure, apparaît plus à même de
parvenir à un traitement judiciaire efficient des demandes.
172. Un contrôle maximum de la pertinence du choix procédural. Le second enseignement à tirer de
la procédure américaine de certification est celui de la rigueur nécessaire de l’examen mené par le
juge dès cette phase. Il ne suffit pas aux demandeurs de formuler une requête pour obtenir gain de
cause ou tout du moins pour obtenir l’ouverture de la procédure au fond. En effet, bien
qu’intrinsèquement, la procédure de la class action ait un rôle de facilitation de l’accès au juge, elle
ne doit pas engendrer le développement d’abus. Les éléments de preuve à fournir par le demandeur,
au soutien de la prétention, doivent être fondés et solides. De plus, l’examen des conditions de
l’autorisation du recours à la procédure nécessite, dans certains cas, que le juge de la certification
s’intéresse très en amont au fond de l’affaire. Ces éléments sont essentiels dès lors qu’il s’agit
d’éviter les dérives.
173. Le risque de dérives financières. Le troisième élément à retenir de la procédure américaine est de
s’assurer dès l’introduction de la procédure, dans le droit positif, qu’il existe bien des garde-fous
permettant d’éviter les dérives financières inhérentes à sa mise en œuvre. Le législateur américain en
1966 ne pouvait imaginer l’essor de la société de consommation et des litiges de masse. Il ne pouvait
pas non plus prévoir l’importance de l’activité économique et financière, qui se créerait autour de
ces procédures. Aujourd’hui, il tente de pallier ces dérives en adoptant des réformes sectorielles, les
décisions de la Cour Suprême venant renforcer son action.
174. Il faut, néanmoins, nuancer cette considération au regard du système judiciaire américain luimême. En effet, la class action américaine s’inscrit, plus largement, dans un système de Common
Law où les modalités d’exercice de la justice sont très différentes de celles existantes dans les
systèmes de droit romano-germanique. Les dérives souvent dénoncées du système américain de la
class action tiennent, pour la plupart, à ces modalités propres au système judicaire américain luimême et non aux modalités spécifiques à la procédure de class action.
79
175. Cette présentation du système américain amène à s’interroger sur la situation dans les Etats
membres de l’Union et sur le caractère transposable des conditions d’ouverture de l’action de groupe
telle que présentée dans des systèmes de droit en grande majorité de tradition romano-germanique.
SECTION 2 : L’ACTION EN JUSTICE POUR AUTRUI : DANS LES
PAYS EUROPEENS DE DROIT DE TRADITION ROMANOGERMANIQUE
176. Comme mentionné en introduction, il existe de nombreux projets de réforme au niveau
communautaire comme au niveau national visant à l’introduction d’une action collective en droit
positif des Etats membres. De nombreux Etats ont déjà adopté des mesures en ce sens et d’autres
comme la France s’interrogent encore sur le chemin à adopter pour cette réforme. La voie offerte par
la procédure d’action de groupe à l’américaine, et ses conditions d’ouverture de l’action sont alors à
examiner au regard des principes qui gouvernent la procédure civile dans les pays européens et tout
particulièrement dans les pays de droit de tradition romano-germanique.
177. En France, en Belgique ou encore en Allemagne, certaines conditions propres à la recevabilité de
l’action en justice font obstacles à l’exercice de l’action en justice par un tiers. Dans ces pays, une
qualité à agir pour autrui est conférée, à titre dérogatoire, à certains organismes, qui présentent un
certain nombre de garanties. Il ne s’agit alors pas d’action de groupe, mais d’action en représentation
(§1). Cependant, au regard de l’expérience des pays européens comme la Suède 268, le Danemark 269,
246F
247F
la Norvège 270, mais aussi le Portugal 271, et l’Italie272, qui ont adopté des procédures d’action de
248F
249F
250
groupe ouvertes à l’ensemble des justiciables, personnes physiques, il est possible d’opérer un
rapprochement entre les conditions de certification de l’action de groupe et les conditions
d’agrément des associations de défense dans les actions en représentation. Cet examen laisse
268
Loi du 22 mai 2002.
Loi n° 181/2007 de 2007; P. Møgelvang-Hansen, Class Actions, National Report: Denmark, p. 1, dans Class Actions,
Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, 6ème Conférence annuelle
sur le thème Strategies for Litigating, 6&7 mai 2010, Hotel Renaissance Seattle, à Seattle, WA.
270
Loi n° 90 du 17 Juin 2005 relative à la médiation et à la procédure judiciaire en matière civile, section 35; Class Actions,
Group Litigation & Other Forms of Collective Litigation in the Norwegian Courts, p. 15-16, dans The Globalization of
class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre for socio-legal studies,
Oxford University, 13 & 14 déc. 2007.
271
Loi n° 83/95 du 31 août 1995 ; Loi n° 24/96 du 22 août 1996 sur la protection des consommateurs, Décret-loi n° 486/99
du 13 nov. 1999 en matière boursière ; H. Sousa Antunes, Class Actions, Group Litigation & Other Forms of Collective
Litigation (Portuguese Report), p. 8, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par
la Stanford Law School et le Centre for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007.
272
Loi n° 99 du 23 juil. 2009, qui est venue introduire un article 140-bis dans le Code de la Consommation ; Les actions de
groupe, Les documents de travail du Sénat, série Législation comparée, n° LC 206, mai 2010.
269
80
finalement apparaître la recherche d’objectifs similaires à travers l’exigence de garanties très
proches (§2).
§1) L’action en représentation comme alternative à l’action de groupe dans les pays
européens de droit romano-germanique: l’exemple du droit français
178. Dans la plupart des systèmes de droit, avant de pouvoir donner lieu à un examen au fond une
demande en justice quelle qu’elle soit doit être jugée recevable. Des conditions de recevabilité sont
ainsi imposées par le législateur. Il existe des conditions de recevabilité de forme, qui visent à la
transparence de la procédure, et des conditions de recevabilité de fond, qui visent à vérifier le droit à
l’action 273 du demandeur, c'est-à-dire l’existence d’un intérêt légitime à porter sa demande en
251F
justice. En France, par exemple, l’article 31 du Code de procédure civile dispose que « l’action est
ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention ». Cet intérêt à
agir doit alors présenter certaines caractéristiques. Il doit être légitime, direct et personnel ainsi que
né et actuel 274. Dans le cadre d’une procédure d’action de groupe, l’interprétation du caractère actuel
25 F
et du caractère légitime de l’intérêt à agir du demandeur, ne pose pas de difficulté particulière.
L’intérêt légitime à agir recoupe le droit subjectif substantiel, sous jacent à la demande en justice
formulée 275, qui va être commun au Demandeur Représentatif et aux membres du groupe. En
253F
revanche, l’exigence d’un intérêt à agir, direct et personnel, du Demandeur Représentatif est a priori
273
Au-delà du droit substantiel, qui conduit le justiciable à porter son action devant les juridictions judiciaires, le droit
français a consacré un droit subjectif procédural, qui est le droit à l’action. Aux termes de l’article 30 du Code de procédure
civile, « l’action est le droit, pour l’auteur d’une prétention, d’être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise
bien ou mal fondée ».
274
Y. Strickler, Procédure Civile, Paradigme 2007-2008, n° 171, p. 81; En Belgique, dans un arrêt Eikendael du 9 nov.
1982, la Cour de cassation a déclaré qu’"à moins que la loi en dispose autrement, une action engagée par une personne
physique ou morale est irrecevable si le demandeur n'a pas un intérêt personnel et direct à agir, il s'agit d'un son propre
intérêt, un intérêt général [collectif] n'est pas son intérêt personnel et direct », pour plus de détails voir Piet Taelman, et
Stefaan Voet, Belgium and Collective Redress: the Last of the European Mohicans, Rapport national lors du 18ème Congrès
international sur le droit comparé, 25 juil. 2010–1er août 2010, Washington D.C., Section II – C – Civil Procedure, Class
Actions / Les actions collectives, question n° 14.
275
L’intérêt légitime a, pendant très longtemps, été considéré comme l’intérêt juridiquement protégé, avant que par un arrêt
du 27 fév. 1970 (Cass. Ch. Mixte, 27 fév. 1970, D. 1970, p. 201, note Combaldieu ; JCP G 1970, II, 16305, concl. Lindon
et note Parlange), la chambre mixte de la Cour de Cassation pose comme principe la distinction entre le droit à l’action et le
droit substantiel sous-jacent. Il s’agissait de mettre fin à la situation des concubines, qui, du fait de l’illicéité de leur statut,
ne pouvaient engager une action en réparation du préjudice subi, en cas de décès accidentel de leur concubin. L’intérêt
légitime est maintenant examiné par les juges au regard de deux types de considérations : des considérations d’ordre moral
et des considérations d’opportunité. Concernant les premières considérations, il s’agit pour les juges de confronter l’intérêt
à agir allégué aux deux adages que sont nemo auditur propriam turpitudinem suam allegans et in pari causa turpitudinis
cessat repetitio. Les juges vont également prendre en compte l’opportunité de la requête. C’est ainsi qu’en matière de
changement de nom, la Cour de cassation a pu rejeter la demande de deux personnes, qui avaient été naturalisées français et
qui voulaient abandonner leur prénom d’origine afin d’adapter ces derniers à leur nouvelle nationalité, en faisant valoir que
« la cour d'appel a pu retenir que les époux X... ne faisaient état que d'une convenance personnelle, exclusive d'un intérêt
de nature à justifier leur demande ». Il n’en demeure pas moins que pour que la demande soit recevable un intérêt juridique
doit exister venant sous tendre à la prétention du demandeur, Y. Strickler, Procédure Civile, Paradigme 2007-2008.
81
difficilement conciliable avec la volonté de ce dernier d’ester en justice pour autrui. En effet, lorsque
le Demandeur Représentatif agit pour obtenir réparation de son propre préjudice, il peut justifier
d’un intérêt direct et personnel à agir 276. Cependant, dès lors qu’il décide d’agir pour l’ensemble des
254 F
personnes ayant subi un préjudice similaire au sien, il lui est impossible de justifier d’un intérêt
direct et personnel à agir, pour autrui 277.
25F
179. Il en est de même dans le système belge. L’article 17 du Code judiciaire belge stipule que
« l’'action ne peut être admise si le demandeur n'a pas qualité et intérêt pour la former ». L’article
18 du même Code stipule que « l'intérêt doit être né et actuel. L'action peut être admise lorsqu'elle a
été intentée, même à titre déclaratoire, en vue de prévenir la violation d'un droit gravement
menacé ». S’agissant de l’intérêt direct et personnel à agir, la Cour de cassation a adopté une
jurisprudence très restrictive déniant la qualité à agir aux personnes morales qui agiraient dans
l’intérêt collectif d’une catégorie de personnes en déclarant, dans un arrêt Eikendael du 9 novembre
1982 278, qu’« à moins que la loi en dispose autrement, une action engagée par une personne
256F
physique ou morale est irrecevable si le demandeur n'a pas un intérêt personnel et direct à agir, il
s'agit de son propre intérêt, un intérêt général [collectif] n'est pas son intérêt personnel et
direct »279.
257 F
180. Ces conditions de la recevabilité de l’action se trouvent également en droit allemand et ce, bien
que formellement elles ne soient pas formulées de la même manière. En effet, en droit allemand, la
notion d’intérêt à agir fait référence au contrôle par le juge de l’existence d’un « besoin de
protection juridique » (Rechtschutzbedürfnis), par lequel le demandeur devra prouver qu’il a un
motif légitime à saisir le tribunal aux fins de faire juger son litige. Cependant, la recevabilité de
l’action tient essentiellement à des conditions de capacité à agir, en distinguant la capacité de
276
S. Guinchard, L’action de groupe en procédure civile française, Rev. Internationale de droit comparé, vol. 42, n° 2,
Avril-juin 1990, Etudes de droit contemporain, p. 599 à 635.
277
M.-A. Frison-Roche, Les résistances mécaniques du système juridique français à accueillir la class action : obstacles et
compatibilités, LPA, 10 juin 2005, n° 115, p. 22.
278
Cass., 19 nov. 1982, Arr. Cass., 1982-1983, concl. Krings, Pas., 1983. l, 338 et R.W., 1983-84, 2029, note J. Laenens.
279
Voir en ce sens Piet Taelman et Stefaan Voet, Belgium and Collective Redress: the Last of the European Mohicans,
Rapport national lors du 18ème Congrès international sur le droit comparé, 25 juil. 2010 – 1er août 2010, Washington D.C.,
Section II – C – Civil Procedure, Class Actions / Les actions collectives, question n° 12- n°14; Y. Strickler, Procédure
Civile, Paradigme 2007-2008, n° 171, p. 81.
82
jouissance du demandeur, c'est-à-dire son droit à agir en justice 280 et la capacité processuelle à agir,
258F
c'est-à-dire sa capacité à se présenter devant un juge 281.
259 F
181. En France, le législateur français a permis, à titre dérogatoire, la représentation en justice de
personnes ou de catégories de personnes par des groupements de défense spécialement habilités à cet
effet 282. Ces groupements se voient conférer, à titre dérogatoire, une qualité à agir par les pouvoirs
260F
publics, qui leur permettra d’agir en justice pour le compte des personnes qu’ils représentent. La
dénomination retenue pour cette procédure est « l’action en représentation ». Pour l’introduction
d’actions de groupe, il s’agit d’examiner si le Demandeur Représentatif pourrait bénéficier de cette
qualité à agir, octroyée à titre dérogatoire, pour représenter les membres du groupe à la procédure.
Pour ce faire, il faut s’interroger sur les circonstances et les motivations du législateur pour octroyer
de telles prérogatives à des organismes de défense (A) et sur les conditions et garanties que
présentent ces organismes, justifiant l’octroi d’une telle qualité à agir pour autrui (B).
A) Les circonstances de l’octroi d’une qualité à agir pour la défense des intérêts personnels
d’autrui
182. La qualité à agir de l’article 31 CPC. L’article 31 CPC, dans sa rédaction complète, dispose que :
«l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention,
sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle
qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé »
(soulignements ajoutés). La notion de qualité à agir est venue au secours des cas dans lesquels la
représentation en justice par un tiers s’est révélée nécessaire, en consacrant une dérogation à la règle
de l’intérêt direct et personnel, et en dissociant ainsi l’intérêt à agir et de la qualité à agir. Dans une
action individuelle, l’intérêt et la qualité à agir vont se confondre, certains auteurs considérant même
que la qualité à agir apparaît alors « comme un aspect particulier de l’intérêt »283. Cependant, la
261F
qualité à agir peut également servir aux pouvoirs publics pour conférer à certaines personnes le droit
280
ZPO, art. 50, alinéa 1
ZPO, art. 51; Pour plus de détails, F. Ferrand et E.Lambert, Action de groupe : l’outil du droit comparé, Rev. Lamy
Droit civil n° 32, nov. 2006, p. 7.
282
Le législateur français a utilisé cette faculté pour réserver certaines actions à un type d’individus intéressés directement à
l’action, c'est-à-dire pour réserver le droit d’agir en justice, à certains justiciables, en excluant toute autre personne, pouvant
apparaître comme intéressée au litige. Il s’agit des actions attitrées. Par exemple, les actions en recherche que maternité
(art. 325 C. civ) ou en recherche de paternité (art. 327 C. Civ) sont réservés aux enfants. Dans ce cas, on écarte les actions
de certaines personnes, intéressées au litige, mais dont l’intérêt personnel ne parait pas assez direct. L’action serait menée
dans l’intérêt d’autrui, Y. Strickler, Procédure Civile, Paradigme 2007-2008. Ces actions seront exclues des
développements du corps de texte.
283
Y. Strickler, Procédure Civile, Paradigme 2007-2008, p. 87.
281
83
d’agir en défense non pas de leur intérêt personnel, mais de l’intérêt personnel de tiers. Des
groupements de défense, tels que les associations de consommateurs agréées ou les associations de
défense des investisseurs boursiers ou encore les syndicats se sont ainsi vues conférer des
prérogatives, exorbitantes du droit commun, pour défendre les intérêts personnels d’individus ou de
catégories d’individus. Ils vont ainsi, en quelque sorte, se voir conférer « une mission d’utilité
publique », agissant ainsi au bénéfice d’un groupe de citoyens et non au bénéfice d’un individu seul
ou pour leur propre compte. Il s’agit d’action en représentation 284.
26F
183. Sous l’impulsion de la jurisprudence, le législateur a utilisé le mécanisme de la délégation de la
qualité à agir pour octroyer des prérogatives aux syndicats et aux associations de défense pour
défendre en justice, dans un premier temps, les intérêts personnels de leurs adhérents et dans un
second temps, les intérêts personnels de toutes les personnes qu’ils représentent en vertu de leur
objet social (1). Cette délégation de la qualité à agir en justice pour autrui a été opérée en faveur de
ces organismes dans certains domaines du droit où le renforcement du droit d’accès au juge est
apparu nécessaire (2).
1) La consécration des actions en représentation par le législateur français
184. De la théorie de l’action « associationnelle »… Une jurisprudence ancienne a consacré un droit
dévolu aux associations d’agir en justice en défense des intérêts individuels de ses membres. La
Cour de cassation a considéré, dans un arrêt du 23 juillet 1918, qu’une association « peut faire par
voie d’action collective, ce que chacun de ses membres peut faire à titre individuel »285. Il s’agit de
263F
la théorie de l’action « associationnelle »286. Un seul des membres lésés suffit à fonder l’action de
264F
l’association 287, dès lors que son objet statutaire prévoit expressément la possibilité pour
265F
l’association d’agir en justice en défense des intérêts de ses membres 288. Cette action consentie par
26F
la jurisprudence aux associations ne nécessite pas le recueil de mandats de la part des membres de
284
Sous toutes réserves d’examen des conditions de mise en œuvre de cette capacité concernant les organisations de
défense allemandes, il est possible de faire un rapprochement entre la notion de qualité à agir en droit français et la
légitimation de la représentation en droit allemand et en droit espagnol. En effet, avec cette seconde condition, le juge
allemand examine, en cas d’incapacité processuelle d’exercice du demandeur, les conditions de représentation de ce dernier
et l’existence éventuelle d’un mandat de représentation (legitimation). Cette même condition de légitimation de la
représentation se retrouve en droit espagnol (article 11 du Code de procédure civile). La capacité à agir des groupements de
défense sera examinée en fonction de cette dernière.
285
Cass. Civ. 23 juil. 1918, D.P. 1918, 1.52, S.1921.1.289, note Chavegrin.
286
Voir S. Guinchard, L’action de groupe en procédure civile française, Rev. Internationale de droit comparé, vol. 42, n° 2,
Avril-juin 1990, Etudes de droit contemporain, p. 599 à 635.
287
Cass. Civ. 1er, 27 mai 1975, Bull. I, n° 174, p. 147, D. 1976, 318, note Viney; Rev. trim. dr. civ. 1976, 145, obs. Durry.
288
Cass. Civ. 3e, 10 oct. 1978, D. 1979, 581, note E. Franck.
84
l’association, qui confèrent in fine par leur adhésion un mandat ad litem à l’association, et ce, par
dérogation au principe du Nul ne plaide par procureur 289. Cette action n’est en revanche pas
267F
exclusive et les membres de l’association peuvent choisir d’introduire à titre individuel une action en
justice.
185. … à la défense des intérêts personnels d’une catégorie de personnes en dehors de toute
affiliation. Mais le législateur a été plus loin. La qualité à agir pour autrui a également été octroyée
par les pouvoirs publics à des organismes habilités pour la défense des intérêts personnels des
personnes représentées, en dehors de toute affiliation. Ces associations de défendent les intérêts
personnels d’une catégorie d’individus, définie en vertu de l’ « objet social » de l’association. Cette
évolution résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation concernant l’action civile dans l’intérêt
collectif des consommateurs, la jurisprudence avait en effet apprécié largement la notion de «
défense de l’intérêt collectif des consommateurs », laquelle devait constituer « l’objet statutaire
explicite » des associations. L’association ne devait pas agir simplement pour ses membres, mais
pour l’ensemble des consommateurs 290.
268F
186. L’action en substitution des syndicats. La première action consacrée par le législateur fut l’action
en substitution des syndicats pour la défense des intérêts propres des salariés même non adhérents.
Les organisations syndicales sont autorisées à introduire au nom des salariés concernés une action en
justice afin d’obtenir le respect des règles du droit du travail et la réparation du préjudice subi par
ces derniers. Les syndicats peuvent exercer ce type d’action concernant l’emploi des étrangers, le
travail temporaire, les contrats à durée déterminée, le travail à domicile, les licenciements pour motif
économique, ainsi que, les discriminations (L. 122-45-1 du code du travail) et le harcèlement moral
(L. 122-53). Il s’agissait pour le législateur d’étendre les mêmes droits aux associations de défense
agréées 291.
269F
187. L’action en représentation conjointe en matière de droit de la consommation. En matière de
droit de la consommation, tout d’abord, les associations, agréées au titre de l’article L421-1 du Code
de la consommation, se sont vues attribuer une qualité à agir en vue de la défense des intérêts
personnels des consommateurs. Il s’agit de l’action en représentation conjointe prévue à l’article
289
S. Guinchard, L’action de groupe en procédure civile française, Rev. Internationale de droit comparé, vol. 42, n° 2,
Avril-juin1990, Etudes de droit contemporain, p. 599 à 635.
290
S. Guinchard, L’action de groupe en procédure civile française, Rev. Internationale de droit comparé, vol. 42, n° 2,
Avril-juin1990, Etudes de droit contemporain, p. 599 à 635.
291
Ibid.
85
L422-1 du Code de la consommation. Depuis 1992 292, le législateur français permet en effet à ces
270F
associations d’agir au nom d’au moins deux consommateurs en vue de la réparation de leurs
préjudices individuels. Le Code de la consommation prévoit que « lorsque plusieurs
consommateurs, personnes physiques, identifiés ont subi des préjudices individuels qui ont été
causés par le fait d’un même professionnel, et qui ont une origine commune, toute association
agréée et reconnue représentative sur le plan national […] peut, […] agir en réparation devant
toute juridiction au nom de ces consommateurs». Pour se faire, l’association doit être mandatée
expressément par les consommateurs concernés.
188. Une action similaire en droit boursier. De même, en matière boursière, l’article L452-2 du Code
monétaire et financier dispose que : « lorsque plusieurs personnes physiques, identifiées en leur
qualité d'investisseur, ont subi des préjudices individuels qui ont été causés par le fait d'une même
personne et qui ont une origine commune, toute association mentionnée à l'article L. 452-1 peut, si
elle a été mandatée par au moins deux des investisseurs concernés, agir en réparation devant toute
juridiction, au nom de ces investisseurs »293.
271F
189. L’exigence de production de mandats. Dans ces deux actions, en matière boursière comme en
matière de droit de la consommation, le législateur exige que les associations justifient d’au moins
deux mandats 294 de consommateurs ou d’investisseurs boursiers pour pouvoir exercer leur action en
27F
justice
295
273F
. Cette condition s’entend d’une transmission des conventions à la justice. L’obligation de
justifier de mandats pour l’association de défense va présenter plusieurs avantages. Tout d’abord,
l’association n’ayant pas d’intérêt personnel à agir puisqu’elle n’a pas elle-même subi de préjudice,
le juge peut contrôler l’intérêt à agir direct et personnel de ces mandants. De plus, la production de
mandats a priori, est indispensable à l’établissement de la demande et à la bonne conduite de la
procédure judiciaire. Le fait de faire reposer l’affaire sur des situations individuelles identifiées
permet alors aux associations de déterminer au mieux l’objet de leur demande ainsi que son contenu,
c'est-à-dire ses moyens de droit et de fait. Il permet en outre d’obtenir les éléments de preuve
nécessaires à la démonstration du bien-fondé de la demande au stade de la recevabilité de l’action.
292
Loi n° 92-60 du 18 janv. 1992, renforçant la protection des consommateurs, NOR : SECX9100043L.
Cette action est issue de la loi n° 94-679 du 8 août 1994, portant diverses dispositions d'ordre économique et financier,
et venant modifier la loi n° 88-14 du 5 janv. 1988, relative aux actions en justice des associations agréées de
consommateurs et à l'information des consommateurs, NOR: ECOX9300054L, art. 29, JORF du 10 août1994.
294
Le terme de « mandat » désigne en droit français, «l’acte par lequel une personne est chargée d’en représenter une
autre pour l’accomplissement d’un ou plusieurs actes juridiques», Lexique des termes juridiques 2012, Guinchard (S.) et
Debard (T.), Dalloz, 19ème éd., 2011, p. 540.
295
C. conso., art. L422-1 et C. mon. et fin., art. L452-2.
293
86
Enfin, le mandat permet d’identifier certaines des personnes représentées par l’association. Ainsi, le
fait de devoir justifier d’un nombre minimum de mandats est utile à l’analyse de l’opportunité du
recours à cette procédure. Cependant, comme cela sera examiné par la suite 296, l’obtention de tels
274F
mandats peut se révéler complexe et même constituer un frein à l’exercice de ces actions.
190. Certaines associations ont obtenu du législateur le droit d’agir en justice pour défendre l’intérêt
personnel d’une catégorie de personnes, qu’elles entendent représenter en vertu de leur objet social.
L’exercice de cette qualité à agir est, dans la plupart des cas, conditionné à la justification d’un
nombre minimum de mandats de la part des personnes représentées. Cette délégation a été opérée de
manière sectorielle pour la défense da catégories particulières d’individus, placés potentiellement
dans des positions de faiblesse.
2) Le développement des actions en représentation pour le renforcement du droit d’accès
au juge
191. Tout d’abord, le législateur est intervenu de manière sectorielle. Il a légiféré en matière de droit du
travail en vue de la protection des salariés, puis, en droit de la consommation, et enfin, en droit
boursier. Il aurait pu adopter une loi générale autorisant l’ensemble des associations de défense
agréées à agir en justice pour la défense des intérêts personnels de la catégorie de personnes qu’elles
représentent en vertu de leur statut social, d’autant que le législateur est intervenu dans ces
différentes matières, à quelques années d’intervalles 297. Cette pratique du législateur français
275F
s’explique par sa volonté de faire face aux impératifs sociaux et économiques dans un contexte de
crise et de protéger alors les personnes les plus vulnérables. Ainsi la loi sur l’action en représentation
conjointe a été adoptée au début des années 90’s 298. Dans ce contexte, le législateur français a
276F
dérogé à la règle de l’intérêt personnel et direct pour assurer la protection de certaines catégories de
personnes, jugées en situation de déséquilibre par rapport aux défendeurs potentiels à l’action : le
salarié face à l’employeur, le consommateur face au professionnel et l’actionnaire minoritaire face
au conseil d’administration de l’entreprise.
296
Voir Infra § 313.
Ibid.; La loi instaurant l’action en substitution ouverte aux syndicats date de 1990, la loi relative à l’action en
représentation conjointe pour la protection des droits des consommateurs est de 1992 et la loi relative à l’action ouverte aux
associations de défense des investisseurs boursiers fut adoptée en 1994.
298
Le législateur français a adopté la même politique concernant les lois relatives aux actions en justice ouvertes aux
associations de défense et aux syndicats concernant la défense de l’intérêt collectif des personnes ou catégories de
personnes, représentées en vertu de l’objet social de ces organismes, voir supra §. 190.
297
87
192. Cependant, il est important de ne pas confondre le but poursuivi par le législateur dans le cadre
des actions en représentation pour la défense des intérêts personnels et les mêmes actions engagées
pour la défense d’un intérêt collectif 299. En effet, la notion d’intérêt collectif, ne se confond pas avec
27F
la notion d’intérêt personnel des personnes représentées. La somme des intérêts personnels des
personnes représentées ne constitue pas l’intérêt collectif de ces personnes. La notion d’intérêt
collectif, revêt un caractère d’utilité publique, qui va expliquer la délégation de la qualité à agir par
les pouvoirs publics. Il ne s’agit pas d’une action en substitution de tiers mais d’une action, propre à
l’association, en vue de représenter un « intérêt supérieur » dont la défense entre dans son objet
social 300. Avec l’exercice de cette qualité à agir, il est recherché la cessation de l’infraction ou de la
278F
pratique dommageable de la part de son auteur et sa condamnation. L’association ou le groupement
habilité va alors tendre à la protection de la Société et à la réparation du dommage subi par cette
dernière, d’où l’idée sous jacente d’une délégation de prérogatives de puissance publique. Il pourrait
être considéré que les associations et groupements de défense, dans ce cas, agissent comme des
procureurs privés, spécialement habilités par les pouvoirs publics pour soutenir l’action du Procureur
de la République 301. En droit de la consommation, le législateur a instauré l’action civile dans
279F
l’intérêt collectif des consommateurs, qui permet aux associations de consommateurs agréées
d’exercer «des droits reconnus à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou
indirect à l’intérêt collectif des consommateurs» (article L421-1 du Code de la consommation) 302 et,
280F
l’action en intervention volontaire 303, qui confère aux associations agréées, un droit d’intervention
281F
devant la juridiction civile, au soutien d’une demande initiale introduite par un ou plusieurs
consommateurs, toujours dans l’intérêt collectif des consommateurs. L’exemple du droit de la
consommation est intéressant car il souligne que l’initiative du législateur tendait dans un premier
temps à renforcer l’action du Procureur de la République, les associations de consommateurs ne
pouvant exercer que l’action civile devant les juridictions pénales. Ce n’est que dans un second
temps, que la compétence des associations a pu être mise en œuvre devant les juridictions civiles
299
« Le préjudice collectif résulte d’une atteinte essentiellement morale à la situation de tous ceux qu’unit une même
condition sociale, professionnelle ou encore un même idéal », Y. Strickler, Procédure civile, Paradigme 2007-2008, p. 8990.
300
L’association agit, dans ce cadre, en vertu d’un intérêt personnel et direct. Les dommages et intérêts éventuellement
obtenus ne reviendront pas directement aux personnes appartement à la catégorie des individus ayant souffert d’un
préjudice collectif, mais reviendront à l’association afin qu’elle poursuive sa mission, Y. Strickler, Procédure civile,
Paradigme 2007-2008, p. 90.
301
Y. Strickler, Procédure civile, Paradigme 2007-2008, p. 90.
302
Cette action est issue de la loi du 27 déc. 1973, d’orientation du commerce et de l’artisanat, dite loi « Royer », JORF du
30 déc. 1973, p. 14139. Deux conditions restrictives doivent être réunies pour l’exercice de l’action civile : d’une part, la
constatation d’une infraction pénale, d’autre part, l’existence d’un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif des
consommateurs, qui doit être distinct et caractérisé par rapport au préjudice subi personnellement par les victimes de
l’infraction. Cette action ne peut être portée que devant les juridictions pénales statuant sur l’action civile.
303
C. conso., art. L421-7
88
avec l’action en intervention volontaire. Des dispositions similaires existent pour les associations de
défense des investisseurs boursiers 304 et les syndicats disposent de l’action syndicale, prévue à
28F
l’article L411-10 du Code du Travail pour agir en justice pour les salariés d’une entreprise pour le
compte de toute la profession 305.
283F
193. Les actions en représentation visant la défense de l’intérêt personnel des personnes représentées
ne sont pas l’expression de la délégation, à des organismes habilités, d’une mission d’utilité
publique, similaire à celle afférente aux actions en défense des intérêts collectifs, protégeant alors un
intérêt général supérieur ou tout du moins protégeant le même intérêt général supérieur. Pour ces
actions, l’intention du législateur apparaît sensiblement différente. En effet, en revenant aux origines
de l’action en représentation conjointe, ouverte aux associations de consommateurs agréées, il est
possible de constater que l’objectif recherché était le renforcement de l’effectivité du droit d’accès
au juge. En effet, cette action est la résultante d’un premier débat sur l’introduction des actions de
groupe en droit français 306. Cet argumentaire demeure dans le débat actuel 307. Il s’agit de mettre en
284F
285F
avant la nécessité de faciliter le recours au juge, pour toutes les personnes, pour qui les lourdeurs et
les coûts de la procédure judiciaire peuvent avoir un effet dissuasif quant à l’introduction de
procédure en justice pour obtenir réparation de leur préjudice, et en particulier pour les personnes les
plus démunies. L’action de groupe ou l’action en représentation à l’époque, permettant au-delà de
l’agrégation des demandes, la prise en charge de la conduite de la procédure par un tiers,
apparaissent comme des moyens de renforcer l’accès au juge, plus que de garantir l’effectivité du
droit subjectif sous jacent, même si l’action y contribue in fine. Le débat aujourd’hui porte
essentiellement sur les recours en justice pour les petits litiges, c'est-à-dire les litiges de faibles
valeurs, qui concernent potentiellement un grand nombre de personnes.
304
En droit boursier, selon l’article L452-1 du Code monétaire et financier, « les associations régulièrement déclarées
ayant pour objet statutaire explicite la défense des investisseurs en titres financiers ou en produits financiers peuvent agir
en justice devant toutes les juridictions même par voie de constitution de partie civile, relativement aux faits portant un
préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des investisseurs ou de certaines catégories d'entre eux ».
305
Des prérogatives similaires sont conférées aux associations de défense de l’environnement, et aux unions nationales et
départementales des associations familiales.
306
E. Jeuland, Expérience nationale : La France, dans Les Recours collectifs : Etude comparée, journée d’études du 27
janv. 2006, Actes publiés, Editions Société de législation comparée, Colloques, vol. 5, p. 78.
307
Cour de justice des communautés européennes (CJCE), 20 sept. 2001, aff. C-453/99, Courage et Crehan, Recueil 2001,
p. I-6297, et CJCE, 13 juil. 2006, affaires jointes C-295–298/04, Manfredi, Recueil 2006, p. I-6619 ; Voir également le
Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus
de position dominante, Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne du 2 avr. 2008, COM(2008)
165 final ; Proposition de directive relative aux règles régissant les actions en dommages et intérêts pour infraction aux
articles 81 et 82 du traité, Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, avr. 2009, version nonofficielle.
89
194. Ainsi, dans les actions en représentation, la délégation de la qualité à agir pour autrui, est motivée
par la volonté du législateur de renforcer le droit d’accès au juge, dans des domaines particuliers où
il existe une situation de déséquilibre potentiel entre le (ou les) demandeur(s) et le (ou les)
défendeur(s).
195. Conclusion du A). La représentation en justice par un tiers, caractéristique intrinsèque de l’action
de groupe, a ainsi pu être autorisée par le législateur français, pour la défense de certaines catégories
de personnes dans des domaines du droit limités. La délégation de la qualité à agir a pu se faire pour
la défense d’intérêts personnels, comme cela serait le cas pour l’action de groupe. Le but du
législateur était alors de renforcer le droit à l’accès au juge des justiciables, placés dans une situation
de faiblesse. Cependant, ces autorisations n’ont été octroyées qu’à des organismes offrant des
garanties de contrôle sur leur action et ce, que ce soit pour la défense d’un intérêt collectif comme
pour la défense d’un intérêt personnel. Ces contrôles sont réalisés au travers l’attribution par les
pouvoirs publics d’un agrément ou par la représentation syndicale.
B) L’octroi d’une qualité à agir pour autrui, à des organismes habilités
196. La qualité à agir pour la défense des intérêts personnels d’autrui a été conférée par les pouvoirs
publics à des syndicats ou à des associations agréées. Les syndicats offrent par leur nature de
nombreuses garanties quant à l’exercice de leurs prérogatives 308. Les conditions de création et de
286F
contrôle de l’activité des syndicats qui apparaissent comme tout à fait spécifiques ne seront pas
abordées. En revanche, il est intéressant de s’attarder sur le contrôle étroit par les pouvoirs publics
de l’activité des associations de défense, opéré à travers l’octroi et le renouvellement d’un agrément
(1) et sur ce défaut d’agrément pour le Demandeur Représentatif pour les actions de groupe (2).
1) Des organismes légitimés par un agrément
197. En matière de droit de la consommation 309 comme en matière boursière 310, au-delà d’un objet
287F
28F
statutaire explicite pour la défense, d’une part, des consommateurs et, d’autre part, des investisseurs
en valeurs boursières ou en produits financiers, les associations doivent recevoir un agrément par les
pouvoirs publics pour mettre en œuvre ces actions. Cet agrément est accordé aux associations
308
S. Guinchard, Une class action à la française ?, Recueil Dalloz 2005, p. 2180.
C. conso. , art. L421-1.
310
C. mon. fin., art. L451-1 (issu de la loi n° 88-14, du 5 janv. 1988, relative aux actions en justice des associations agréées
de consommateurs et à l'information des consommateurs, art. 12, abrogé par l’ordonnance n° 2000-1223, du 14 déc. 2000,
art. 4, JORF du 16 déc. 2000).
309
90
nationales par un décret conjoint signé par le Garde des sceaux et le Ministre chargé de la
consommation, ainsi que pour les associations de défense des investisseurs par le Ministre de
l’Economie et des finances. Pour les associations locales en matière de consommation, l’agrément
sera consenti par le préfet. Les pouvoirs publics vont, pour cela, procéder à un contrôle a priori de
l’action des associations de défense au travers de l’examen des conditions d’octroi de l’agrément à
l’association (a) et également à un contrôle a posteriori avec la procédure de renouvèlement ou de
retrait de l’agrément (b).
(a) Les conditions d’obtention de l’agrément
198. Avant toute chose, les associations doivent être régulièrement déclarées auprès de la Préfecture et
être indépendante de toute forme d'activité professionnelle 311. Une fois cette condition remplie,
289F
l’octroi de l’agrément se fait après avis du Ministère public, soit du procureur général près la cour
d’appel dans le ressort de laquelle l’association a son siège, et également pour les associations de
défense des investisseurs, de l’avis de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF).
199. Les conditions de l’agrément pour les associations de consommateurs. Pour les associations de
consommateurs, l’agrément est accordé à toute association « 1° Qui justifie à la date de la demande
d'agrément d'une année d'existence à compter de sa déclaration ; 2° Qui, pendant cette année
d'existence, justifie d'une activité effective et publique en vue de la défense des intérêts des
consommateurs, appréciée notamment en fonction de la réalisation et de la diffusion de publications
de la tenue de réunions d'information et de permanences ; 3° Qui réunit, à la date de la demande
d'agrément, un nombre de membres cotisant individuellement :
a) Au moins égal à 10 000 pour les associations nationales, cette condition pouvant ne pas
être exigée des associations se livrant à des activités de recherche et d'analyse de
caractère scientifique ;
b) Suffisant, eu égard au cadre territorial de leur activité, pour les associations locales,
départementales ou régionales »312.
290F
200. Les conditions spécifiques de l’agrément pour les associations de défense des investisseurs. Pour
les associations de défense en matière boursière, selon l’article L451-1 du Code monétaire et
financier, il s’agit des « associations agréées, dans des conditions fixées par décret, après avis du
311
312
C. conso. , art. L421-1.
C. conso. , art. R411-1 (crée par le Décret n° 97-298 du 27 mars 1997, art. 1 (V), JORF du 3 avr. 1997).
91
ministère public et de l'Autorité des marchés financiers, lorsqu'elles justifient de six mois d'existence
et, pendant cette même période, d'au moins deux cents membres cotisant individuellement et lorsque
leurs dirigeants remplissent des conditions d'honorabilité et de compétence fixées par décret
313
291F
».
201. L’activité des associations de défense, ayant obtenu l’agrément, est, de plus, contrôlée
annuellement par les pouvoirs publics. Les associations de consommateurs agréées doivent rendre
un rapport annuel à la Direction Général de la Consommation, de la Concurrence et de la Répression
des Fraudes (DGCCRF) 314 et les associations de défense des investisseurs sont tenues par des
29F
obligations annuelles comptables comprenant un rapport de gestion de l’association 315. Ce contrôle
293F
est prolongé, dans le temps, grâce à la procédure de renouvellement et de retrait de l’agrément.
313
C. mon. fin., art. D452-2 : « Pour que l'association puisse obtenir l'agrément, ses membres dirigeants, au sens de
l'article 5 de la loi du 1er juil.1901 susvisée, doivent remplir les conditions suivantes :
1° Avoir la majorité légale ;
2° Justifier :
a) Soit du baccalauréat ou un diplôme équivalent ;
b) Soit d'une formation professionnelle adaptée dans le domaine économique, juridique et financier ;
c) Soit d'une expérience professionnelle d'une durée minimale de deux ans dans le domaine économique, juridique et
financier. Cette expérience doit avoir été acquise au cours des cinq années précédant la désignation des intéressés comme
dirigeants de l'association ;
3° Ne pas avoir fait l'objet d'une condamnation définitive mentionnée au II de l'article L. 500-1 depuis moins de dix ans ou
de la durée prévue en application du III de cet article ;
4° Ne pas faire l'objet :
a) D'une interdiction d'exercer à titre temporaire ou définitif une activité ou un service, en application des dispositions de
l'article L. 621-15 ou au titre d'une sanction prononcée avant le 24 nov. 2003 par la Commission des opérations de bourse,
le conseil des marchés financiers ou le conseil de discipline de la gestion financière ;
b) Des sanctions prévues aux 4 et 5 de l'article L. 613-21 ou aux 3° à 5° de l'article L. 310-18 du code des assurances ;
c) D'une mesure de faillite personnelle ou une autre mesure d'interdiction dans les conditions prévues par le livre VI du
code de commerce ou, dans le régime antérieur, à l'article 108 de la loi n° 67-563 du 13 juil.1967 sur le règlement
judiciaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et les banqueroutes, pendant la durée de celle-ci ; Une
déclaration sur l'honneur est produite à cet effet par les personnes mentionnées au premier alinéa du présent article »;
Décret n° 2005-1211 du 21 sept. 2005 portant application de l'article 126 de la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité
financière relatif aux conditions d'agrément d'associations de défense des investisseurs, NOR: ECOT0420036D.
314
Arrêté du 21 juin 1988, J.O. du 30 juin 1998.
315
C. mon. fin., art. D452-7: « Les associations rendent compte annuellement de leur activité selon des modalités fixées par
arrêté pris dans les formes prévues à l'article D. 452-5. Les associations établissent des comptes annuels. Ces comptes
annuels comportent un bilan, un compte de résultat et une annexe selon les principes et méthodes comptables définis au
code de commerce et dans les textes pris pour son application, sous réserve des adaptations que rend nécessaires leur
forme juridique ou la nature de leur activité. Le plan comptable applicable à ces associations est approuvé par arrêté du
garde des sceaux, ministre de la justice, et des ministres chargés de l'économie et du budget, après avis du Conseil national
de la comptabilité. Si des particularités d'activité, de structure ou d'opérations le justifient, des adaptations pourront être
apportées, dans les mêmes formes, aux dispositions de ce plan comptable. Les comptes annuels sont soumis, en même
temps que le rapport de gestion, à l'approbation de l'organe délibérant au plus tard dans les six mois de la clôture de
l'exercice, et le cas échéant, transmis aux commissaires aux comptes quarante-cinq jours au moins avant la réunion à
laquelle ils doivent être approuvés. Ce délai peut être prorogé à la demande du représentant légal de la personne morale,
par ordonnance du président du tribunal de grande instance, statuant sur requête », Décret n° 2005-1211, 21 sept. 2005,
op. cit.
92
(b) La procédure de renouvellement ou de retrait de l’agrément
202. Un agrément à validité limitée. L’agrément est octroyé pour une durée de 5 ans 316 en matière de
294F
consommation et pour une durée de 3 ans en matière boursière 317. Ainsi, il incombe aux associations
295F
de procéder à une demande de renouvellement de l’agrément à compter de l’expiration du délai de
l’agrément initial, qui va donner lieu à un nouvel examen de l’activité de l’association. Ce
renouvellement est octroyé, dans les mêmes conditions, que celles requises pour l’octroi de
l’agrément initial 318. Si ces conditions ne sont plus remplies, pendant le délai de l’agrément, ce
296F
dernier peut être retiré à l’association par les pouvoirs publics compétents sur décision motivée 319.
297F
203. Ainsi, les associations, auxquelles des prérogatives, dérogatoires au droit commun, sont octroyées,
en vue de la défense des intérêts personnels des consommateurs et des investisseurs, sont soumises à
un contrôle strict et régulier de leur activité, par les pouvoirs publics. Ces derniers vont contrôler, au
travers des conditions d’octroi de l’agrément, tant la représentativité constante de l’organisme que
son dynamisme quant à la poursuite de sa mission. En outre, ce contrôle apparaît d’autant plus
légitime qu’un financement de l’Etat accompagne l’agrément. Cette question du financement de
l’action sera examinée ultérieurement. Les garanties offertes par l’octroi de l’agrément à
l’association par les pouvoirs publics, dans le cadre des actions en représentation vont cependant
faire défaut dès lors que l’on se trouve en présence d’une action de groupe.
2) La dispense d’agrément pour le Demandeur Représentatif
204. L’action de groupe se caractérise par le fait qu’un demandeur entend exercer son droit à l’action
devant les juridictions judiciaires pour obtenir réparation de son propre préjudice, mais également
pour toute autre personne placée dans une situation similaire à la sienne. Pour ce faire, il adresse une
demande au juge, qui, en fonction des circonstances de l’espèce, l’autorisera ou non à agir en justice
pour autrui. En transposant le raisonnement opéré dans l’analyse de l’article 31 CPC et l’application
qui en a été faite par le législateur français, il apparaît que la délégation de la qualité à agir pour
autrui serait opérée au profit d’un justiciable « ordinaire ». Cette délégation de la qualité à agir pour
316
C. conso., art. R411-1 (crée par le Décret n° 97-298, 27 mars 1997, art. 1 (V), JORF du 3 avr. 1997).
C. mon. fin., art. D452-3; Décret n° 2005-1211, 21 sept. 2005, op. cit.
318
C. conso., art. R411-2 et C. mon. fin., art. D452-3.
319
C. conso., art. R411-7 et C. mon. fin., art. D452-8.
317
93
autrui lui serait ainsi accordée, à titre général, en fonction des circonstances de l’espèce (a). De plus,
le contrôle et l’autorisation de la délégation seraient opérés par un juge et non par le législateur (b).
(a) Une qualité à agir pour autrui, octroyée à un individu ou la consécration d’une
« dérogation à un caractère général »
205. Une qualité à agir pour autrui octroyée à tout justiciable ordinaire. Dans le cadre de l’action de
groupe, la délégation ne serait pas opérée envers un organisme spécialement habilité à la défense
d’une catégorie d’individus en fonction de son objet social, mais à un justiciable ordinaire, qui
considèrerait que son action pourrait profiter à d’autres que lui. Une « dérogation à caractère
général » serait ainsi instaurée. Elle pourrait bénéficier, à tout à chacun, dès lors que d’autres
personnes auraient souffert d’un préjudice similaire à celui du Demandeur Représentatif et que ce
dernier a la volonté d’agir en ce sens.
206. Les qualités du représentant pour agir en justice pour autrui. La logique mise en œuvre dans le
cadre des actions en représentation est alors toute différente de celle qui serait adoptée pour les
actions de groupe. Cette délégation d’une qualité à agir pour autrui dans le cadre des actions en
représentation vise à renforcer le droit d’accès au juge de certaines catégories de personnes en
permettant à un organisme, habilité à cet effet, de porter leurs demandes au nom et pour le compte
de ces dernières. Le transfert du risque financier sur l’association et la prise en charge de la
procédure par cette dernière permettent que des actions en indemnisation soient portées devant le
juge à titre collectif là où elles ne l’auraient pas été à titre individuel. De plus, recourir à des
associations dont l’activité est contrôlée régulièrement par les pouvoirs publics permet de prévenir
les risques d’actions abusives. Il faut souligner que les associations agréées ne poursuivent pas de
but lucratif.
207. Dans le cadre de l’action de groupe, tout justiciable pourrait se voir conférer cette mission dès
lors que d’autres personnes auraient potentiellement subi un préjudice similaire au sien. Mais se
pose la question de l’incitation du justiciable à aller porter son action en justice, ne serait ce que pour
son propre compte, dès lors qu’il devra assumer les frais de justice et que son préjudice est de faible
valeur. Aux Etats-Unis, ces actions sont fréquentes car les cabinets d’avocats prennent en charge les
coûts et la conduite de la procédure. De plus, les dommages et intérêts prononcés par les juges sont
beaucoup plus importants que ceux prononcés par les juges européens du fait notamment des
94
dommages et intérêts punitifs 320, ce qui permet aux avocats d’y trouver un intérêt financier majeur.
298F
Cependant, tant les Contingency fees agreements 321 que les dommages et intérêts punitifs sont
29F
inconnus de nos systèmes de droit. De plus, ils sont les premières causes invoquées pour expliquer
les dérives financières du système judiciaire, contre lesquelles les autorités américaines tentent de
lutter 322. Ainsi les choix laissés aux législateurs européens sont plus limités dès lors qu’ils cherchent
30F
à adopter une procédure efficace afin de garantir un accès au juge, dans le cadre de petits litiges, tout
en tentant de pallier les actions abusives potentielles.
208. En revanche, ces actions peuvent tout de même avoir un intérêt certain dès lors que l’enjeu du
litige est plus important. Dans ce cas, l’incitation financière du demandeur peut être la propre
réparation de son préjudice et l’attrait pour agir pour autrui peut résider dans l’obtention de preuves
supplémentaires en possession des personnes placées dans une situation similaire à la sienne. Mais la
question des critères de dérogations à la règle générale de l’action individuelle demeure alors,
surtout en l’absence de prise en charge de la procédure par un cabinet d’avocats, habilité
spécialement par le juge.
209. Le cas des organismes ad hoc. Les autorités communautaires de la concurrence notamment ont
également envisagé le cas, des organismes ad hoc, c'est-à-dire spécialement créés pour représenter
en justice une catégorie de personnes, mais seulement pour un litige donné 323. Dans ce cas, certes,
301F
un contrôle des pouvoirs publics pourraient être exercés en amont de l’habilitation. Cependant, cette
habilitation ne pourrait être donnée sur des critères similaires à ceux adoptés dans le Code de la
320
Les dommages et intérêts punitifs (punitive damages) sont des « dommages et intérêts octroyés en plus des dommages et
intérêts compensatoires lorsque le défendeur a agi avec insouciance, malice ou tromperie; Spéc. Dommages et intérêts
octroyed en vue de sanctionner l’auteur d’une mauvaise conduite ou de faire un exemple pour les autres. Les dommages et
intérêts punitifs qui ont pour objet de punir et de dissuader les conduites blamables ne sont généralement pas octroyés en
cas de violation des termes d’un contrat. La Cour Suprême a considéré que trois règles pouvaient aider à déterminer si
l’allocation de dommages et intérêts punitifs violaient les règles constitutionnelles du Due process: (1) le caractère
répréhensible de la conduite punie; (2) le caractère raisonnable du lien entre le préjudice causé et le montant des
dommages et intérêts punitifs; et (3) la différence entre le montant de ces dommages et intérêts punitifs et les sanctions
civiles autorisée dans un cas comparable, BMW of North America, Inc. v. Gore, 517 U.S 559, 116 S. Ct 1589 (1996) […] »,
Black Law Dictionnary, Garner (B. A.), Rédacteur en chef, West Publishing Company, 9ème éd., 2009, p. 448 ; Voir Infra §
268.
321
Les “Contingency Fees Agreements” (ou Pacte de quota litis) sont des conventions d’honoraires qui prévoient que les
honoraires ne seront versés à l’avocat en contrepartie de ses services de conseil et de représentation qu’à condition que le
procès aboutisse à un jugement en faveur du client ou à une transaction favorable à ce dernier (“A fee charged for a
lawyer’s services only if the lawsuit is successful or is favorably settled out of Court”), Black’s Law dictionary, Bryan A.
Garner, Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 362.
322
Voir en ce sens les réformes opérées en matière de droit boursier, Supra §. 141.
323
Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les
abus de position dominante, Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, 2 avr. 2008,
COM(2008)165 final.
95
consommation ou dans le Code monétaire et financier, les associations ad hoc ne justifiant pas d’une
durée d’existence minimum, ni d’une activité régulière. De plus, la mise en œuvre de cette procédure
d’agrément par les pouvoirs publics pourrait être difficilement conciliable avec les délais de l’action
en justice. Ainsi, cette solution apparaît approchante de celle consentie jusqu’alors par le législateur
français aux associations agréées. Il pourrait également, comme pour le Demandeur représentatif
dans le cadre de l’action de groupe, être envisagé de déléguer le contrôle de la représentativité et des
qualités de représentation de l’organisme au juge.
(b) Une délégation de la qualité à agir pour autrui par le juge
210. Une délégation de la qualité à agir pour autrui consentie d’une manière générale à tout citoyen
par le législateur et mise en œuvre au cas par cas par le juge. Ensuite, bien que la procédure
d’action de groupe repose nécessairement sur l’adoption d’un texte de loi, l’attribution de la qualité à
agir se ferait de facto par le juge par l’analyse des conditions de certification du groupe, en fonction
des circonstances de l’espèce. Dans ce sens, Mme Frison Roche déclare que « l’admission que l’on
puisse agir « sans intérêt » et obtenir du juge l’attribution d’une qualité pour mener la procédure,
est le socle de la class action »324. Il s’agirait, pour le législateur d’acter, par principe, à la possible
302F
dérogation au principe de l’action individuelle en justice et d’en laisser l’application au juge et à sa
libre appréciation, en fonction des circonstances de l’espèce et suivant des critères définis par
avance.
211. Conclusion du §1). L’intérêt direct et personnel à agir du demandeur s’oppose, dans différents
pays européens de tradition romano-germanique, comme en France, ou en Belgique, à la possibilité
d’agir en justice pour la défense des intérêts d’autrui. Cependant, l’exemple de la France montre que
des dérogations ont pu être conférées à certains organismes afin de garantir le droit d’accès au juge,
dans certains domaines du droit où une protection particulière des justiciables a été jugée nécessaire,
comme en droit de la consommation. Il s’agit des actions en représentation. Transposer, aux actions
de groupe, le raisonnement appliqué aux actions en représentation, dans le cadre de l’article 31 CPC,
reviendrait à permettre au juge d’accorder, au cas par cas, à un justiciable une dérogation au principe
de représentation individuelle en justice. Il s’agirait alors de définir très précisément les conditions
devant être réunies pour que le Demandeur représentatif ou, de même, une association ad hoc
puissent se faire conférer par le juge une qualité à agir pour autrui. Les conditions prévues dans le
324
M.-A. Frison-Roche, Les résistances mécaniques du système juridique français à accueillir la class action: obstacles et
compatibilités, op. cit.
96
cadre des actions en représentation sont, en effet, très strictes pour les associations de
consommateurs afin de préserver le caractère exceptionnel de l’utilisation d’une telle procédure et de
prévenir le risque d’abus.
§2) L’action de groupe et les conditions de la certification dans les pays européens
212. Aux Etats-Unis, le législateur a posé des conditions de certification de la class très strictes,
renforcées par un contrôle du juge poussé. Ainsi le justiciable qui veut agir dans le cadre d’une
action de groupe doit démontrer que les demandes potentielles sont si nombreuses qu’elles
s’opposent à la jonction de procédures ; qu’elles portent sur des questions de droit ou de fait
similaires ; que les demandes du Demandeur représentatif sont typiques de celles des personnes
représentées ; et que le Demandeur représentatif défendra, de manière juste et adéquate, les intérêts
des membres de la class. Cette dernière condition concerne aussi bien la personne du demandeur que
le cabinet d’avocat choisi qui sera en charge de la défense des intérêts du Demandeur représentatif
comme de l’ensemble des membres de la class (Class Counsel). Enfin, dans les actions en
indemnisation, la procédure devra apparaître comme la plus appropriée, avec la condition de
Superiority qui oblige le juge à vérifier que d’autres procédures ne permettraient pas de rendre un
jugement plus juste, et plus efficient. De plus, la condition de Predominance exige que les questions
de droit ou de fait communes à l’ensemble des membres du groupe soient plus nombreuses que les
questions individuelles que soulève le litige.
213. Ces conditions se retrouvent dans la plupart des pays européens, qui ont adopté une procédure
d’action collective ouverte à tout justiciable, y compris les personnes privées. L’énoncé de ces
conditions varie selon les pays, mais la marge de manœuvre plus ou moins importante laissée aux
juges nationaux permet d’aboutir à des conditions similaires (A). Ces conditions sont assez proches
des conditions d’agrément consenties aux associations, ce qui laisserait une marge de manœuvre aux
législateurs pour déroger par ce biais à l’exigence d’un intérêt personnel et direct à agir des
justiciables, tout en préservant les garanties qui doivent être prises pour prévenir toute action abusive
(B).
97
A) Les conditions d’admissibilité des demandes dans les pays européens dotés d’une
action de groupe
214. La plupart des pays européens dotés de procédures d’action collective ont adopté des conditions
d’admissibilité de la procédure équivalentes aux conditions de certification de la class action aux
Etats-Unis. Par exemple, au Danemark, dans la procédure d’action de groupe adoptée en 2007 325, le
30F
législateur a considéré, tout d’abord, que les demandes doivent être uniformes, c'est-à-dire qu’elles
doivent être fondées sur les mêmes questions de droit et de fait. Ensuite, la Cour saisie doit être
compétente pour connaître des demandes, conformément aux règles de compétence applicables aux
juridictions danoises. De plus, l’action de groupe doit apparaître comme le meilleur moyen de
connaître des demandes multiples, c'est-à-dire le moyen le plus juste et le plus efficient. Un
comparatif doit être fait avec les autres modes de traitement des demandes multiples comme la
jonction de procédure. Encore, il doit être possible d’identifier les membres du groupe de personnes
représentées de manière appropriée, soit via la notification individuelle, soit par voie de presse.
Enfin, un représentant, capable de représenter au mieux les intérêts des autres membres doit être
nommé 326. Des conditions similaires de recevabilité de l’action se retrouvent en Norvège 327, et en
304F
305 F
Suède 328.
306F
215. Ces conditions, portant sur l’admissibilité de la procédure, se retrouvent également dans les
procédures d’actions collectives, qui peuvent être qualifiées d’« originales ». Ainsi, aux Pays-Bas, le
législateur a adopté une procédure extrajudiciaire de transaction collective 329, qui permet aux
307F
associations de défense de négocier une solution à l’amiable aux litiges de masse au nom et pour le
compte des personnes ayant souffert d’un préjudice. Cette procédure nécessite alors que l’accord
trouvé entre les parties soit homologué par le juge afin d’en permettre la publicité. Dans ce cadre,
des conditions d’admissibilité similaires à celles prévues par la Règle 23 FRCP sont prévues 330. La
308F
différence réside dans le fait que ces conditions ne seront pas vérifiées a priori lors du contrôle de
recevabilité de la procédure, mais a posteriori c'est-à-dire au stade de l’homologation de l’accord par
le juge. Le juge contrôle divers éléments de la transaction afin de déterminer si elle est juste et
325
Loi n° 181/2007, qui est venue introduire un §. 254 dans le Code de l’Administration de la justice.
Le législateur danois a posé les conditions de recevabilité de l’action de groupe au §. 254(b) du Code de
l’Administration de la Justice.
327
Loi n° 90 du 17 juin 2005 relative à la médiation et à la procédure judiciaire en matière civile, Section 35-2.
328
Loi du 30 mai 2002 relative aux procdures judiciaires collectives.
329
Loi du 23 juin 2005 portant modification du Code civil et du Code de procédure civile, destinée à faciliter le règlement
collectif des dommages de masse (Wet collective afhandeling massachade-WCAM).
330
Ibid.
326
98
raisonnable, parmi lesquels l’existence de demandes similaires et multiples, qui permettent de
justifier le recours à cette procédure et les qualités de représentation de l’association ou de la
fondation, qui a négocié l’accord avec le défendeur 331. Le critère de la représentation est, dans le
309F
cadre de cette procédure, très important car s’il n’est pas rempli, il peut conduire au refus
d’homologation de l’accord. Cette disposition de la loi néerlandaise justifie alors que plusieurs
associations puissent engager, de manière séparée, des négociations visant la transaction collective
des mêmes faits 332.
310F
216. De même, en Finlande, le législateur n’a décidé de recourir à la procédure d’action collective
que dans des circonstances limitées puisque le système d’action en représentation adopté 333 est
31 F
seulement ouvert à l’Ombudsman chargé des affaires de consommation 334. Cette procédure a été
312F
créée comme un système complémentaire du celui des réclamations collectives mis en œuvre devant
le Bureau des Consommateurs. Les consommateurs finnois qui rencontrent un problème avec un
professionnel peuvent, en effet, porter réclamation au Bureau des Consommateurs, qui va, au regard
des circonstances, émettre une recommandation pour régler le différend. En cas de non respect de
cette recommandation, l’Ombudsman chargé des affaires de consommation peut engager une action
de groupe devant la juridiction compétente 335. Le législateur finlandais a, lui-aussi, défini sur le
31F
modèle de l’action de groupe américaine des conditions d’admissibilité, propres à cette procédure,
pour vérifier la justification du recours à ce type de procédure. Il examine s’il existe une pluralité de
demandeurs potentiels, qui peuvent justifier d’un préjudice causé par un même comportement du ou
des défendeurs. Il n’existe pas de numerus clausus, mais les demandes potentielles doivent être
suffisamment nombreuses pour justifier du recours à la procédure d’action en représentation. Dans
331
M.-J. Van der Heijden, Class actions/actions collectives, National Report: Nederland’s, p. 10-11, dans Class Actions,
Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, 6ème Conférence annuelle
sur le thème Strategies for Litigating, 6 & 7 mai 2010, Hotel Renaissance Seattle à Seattle, WA.
332
M.-J. Van der Heijden, Class actions/actions collectives, National Report: Nederland’s, p. 8, préc.; Le juge doit tenir
compte d’autres facteurs pour déterminer si l’accord est juste et raisonnable. Il s’appuie sur la nature et la mesure du
préjudice, l’opportunité de la méthode utilisée pour déterminer le montant du préjudice, les actifs de la société en défense,
et la nature de la relation entre la société et les personnes intéressées à l’accord, voir Class actions/actions collectives,
National Report: Nederland’s, op. cit., p.8-9.
333
Loi n° 444/2007 sur les actions de groupe; voir aussi Prof. Antti Jokela, Class Actions in Finland, p. 1, dans Class
Actions, Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, 6ème Conférence
annuelle sur le thème Strategies for Litigating, 6 & 7 mai 2010, Hotel Renaissance Seattle à Seattle, WA.
334
« Terme suédois, désignant une personnalité indépendante, charge dans certains pays (pays scandinaves, GrandeBretagne…) d’examiner les plaintes formulées par les citoyens contre les autorités administratives, et d’intervenir, s’il y a
lieu, auprès du gouvernement », Lexique des termes juridiques 2012, Guinchard (S.) et Debard (T.), Dalloz, 19ème éd.,
2011, p. 600.
335
Prof. Antti Jokela, Class Actions in Finland, p. 1, dans Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the
court and from both sides of the class action bar, 6ème Conférence annuelle sur le thème Strategies for Litigating, 6 & 7 mai
2010, Hotel Renaissance Seattle à Seattle, WA.
99
ce cadre, l’Ombudsman doit définir, de manière très précise, la nature des demandes afin de
permettre au juge un tel contrôle 336. Dans ce cas, les conditions ne portent pas sur les qualités de
314F
représentation du demandeur, mais seulement sur la similarité et la multitude de demandes, ce qui
s’explique par le fait que seul l’Ombudsman, un organisme public, peut agir.
217. En Italie, pour l’azione di gruppo 337, le législateur italien a posé la règle que « lors d'une première
315F
audience, le tribunal rejette la demande si elle est manifestement infondée, s'il constate un conflit
d'intérêt, si les droits individuels invoqués pour recourir à l'action de groupe ne sont pas identiques,
ou si le demandeur n'est pas capable de gérer de façon adéquate l'intérêt du groupe. La décision
juridictionnelle détermine notamment le cours de la procédure dans le respect du principe du
contradictoire et dans le cadre d'un procès équitable, efficace et rapide »338. La condition de
316 F
Commonality, qui a trait à l’existence de questions de droit ou de fait communes aux différentes
demandes potentielles, se retrouve dans cette disposition. Une différence de rédaction avec la Règle
23 FRCP, qui exige que la requête du Demandeur représentatif présente des questions de droit et de
fait similaires à celles des demandes des membres du groupe, est à noter. Cette différence s’explique
par la possibilité laissée aux associations de défense italiennes, mandatées à cet effet, de saisir le
tribunal pour engager une telle action. Ces dernières ne pourront pas se prévaloir de leur propre
préjudice, mais seulement des préjudices subis par les personnes qu’elles représentent. Ensuite, le
juge italien contrôle les qualités de représentation du demandeur en s’assurant, d’une part, qu’il est
« capable de gérer de façon adéquate l’intérêt du groupe » et, d’autre part, qu’il n’existe pas de
conflit d’intérêt entre le demandeur principal et les membres du groupe de personnes représentées.
218. Depuis l’entrée en vigueur le 1er janvier 2010 de la loi italienne sur les actions de groupe, les
recours se sont multipliés, ce qui a permis au juge italien d’exercer son contrôle sur les conditions de
recevabilité de l’action et d’en donner une interprétation stricte, à l’instar des juges américains.
Ainsi, dans une ordonnance du 27 avril 2010, le Tribunal de Turin 339 a précisé les conditions
317F
336
Ibid, p. 2.
L’action de groupe est issue, en Italie, de la loi n° 99 du 23 juil. 2009 intitulée “Disposizioni per lo sviluppo e
l'internazionalizzazione delle imprese, nonché in materia di energia" (pubblicata nella Gazzetta Ufficiale n. 176 del 31
luglio 2009 - Supplemento ordinario n. 136), qui est venue introduire un article 140-bis dans le Code de la Consommation.
338
C. Conso. It., art. 140-bis (6):“La domanda è dichiarata inammissibile quando è manifestamente infondata, quando
sussiste un conflitto di interessi ovvero quando il giudice non ravvisa l'identità dei diritti individuali tutelabili ai sensi del
comma 2, nonchè quando il proponente non appare in grado di curare adeguatamente l'interesse della classe”; Voir aussi
Les actions de groupe, Les documents de travail du Sénat, série Législation comparée, n° LC 206, 6 mai 2010, p. 10.
339
En Italie, le législateur a donné compétence pour connaitre des recours introduits sous la disposition 140- bis du Code de
la consommation à seulement onze tribunaux, dont le Tribunal de Milan; voir en ce sens Les actions de groupe, Les
documents de travail du Sénat, série Législation comparé, n° LC 206, mai 2006.
337
100
relatives à la légitimité du demandeur à agir. Il considère que : « il n'y a pas de légitimité parce que
le demandeur a l'intention de représenter les intérêts de la classe, mais parce que ses intérêts
coïncident avec ceux de la classe […]»340. De même, la Cour d’appel de Milan, qui se prononçait en
318F
appel sur l’admissibilité d’un recours porté devant le Tribunal de Milan 341 précise que le tribunal
319F
doit d'abord s'assurer de la qualité pour agir de la requérante, en sa qualité d’association de défense
et ce, bien que le paragraphe 6 de l'article 140 bis ne prévoit pas expressément cette condition
d’admissibilité de l'action de groupe. Elle doit être considérée comme relevant de la condition selon
laquelle l’action ne doit pas être manifestement infondée, de sorte que l’absence de qualité pour agir
conduit à la déclaration d'irrecevabilité de l'action 342.
320F
219. Seul le Portugal ne connaît pas de conditions de recevabilité équivalentes aux conditions de
certification dans le système américain 343. Le seul contrôle a priori dans le cadre de l’action
321F
populaire portugaise est celui de la légalité de la demande, opéré par le Procureur de la République
et du bien-fondé de cette dernière effectué par le juge 344. Cette absence de contrôle de l’opportunité
32 F
de la procédure a pu surprendre et même inquiéter certains auteurs 345. Cela est d’autant plus
32F
étonnant que le système retenu au Portugal est celui de l’opt out, qui prévoit une représentation très
large des victimes potentielles. Cependant, il faut rappeler que cette action populaire n’est pas
récente. Elle trouve ses origines au 16ème siècle. Il s’agissait alors de pallier une carence de la
puissance publique du fait d’une initiative populaire 346. Avec la loi du 31 août 1995 347, l’action
324F
325F
populaire réservée aux litiges mettant en cause les pouvoirs publics, a été étendu à d’autre domaine
340
Sentenza Tribunale Torino, 27. 5.2010 : “in altre parole non sussiste la legittimazione perché il proponente intende
rappresentare gli interessi della classe ma perché il suo interesse coincide con quello della classe essendo egli portatore
del medesimo diritto individuale omogeneo di cui sono titolari gli appartenenti alla classe”.
341
Sentenza Tribunale Milano, 16-20 dicembre 2010.
342
Corte d’appello di Milano, Sezione prima civile, 19 aprile 2011, Voden Medical Instruments s.p.a e. Codacons,
Coordinamento delle associazioni e dei comitati di tutela dell’ambiente e dei diritti degi utenti e dei consumatori,
n°130/2011: “Il Tribunale deve innanzitutto verificare la legittimazione attiva del proponente che, anche se il 6° comma
dell’art 140 bis non prevede espressamente che rientri nella verifica delle condizioni per l’ammissibilità dell’azione, deve
ritenersi rientri nel giudizio di manifesta infondatezza dell’azione sicché l’eventuale difetto di legittimazione attiva conduce
alla dichiarazione di inammissibilità dell’azione”.
343
H. Sousa Antunes, Class Actions, Group Litigation & Other Forms of Collective Litigation (Portuguese Report), p. 23,
dans The Globalization of class actions, Conference internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre
for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007.
344
Loi n° 83/95 du 31 août 1995, art. 13, voir également H. Sousa Antunes, Class Actions, Group Litigation & Other
Forms of Collective Litigation (Portuguese Report), p. 23, dans The Globalization of class actions, Conférence
internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14
déc. 2007.
345
H. Sousa Antunes, Class Actions, Group Litigation & Other Forms of Collective Litigation (Portuguese Report), p. 23,
dans The Globalization of class actions, Conference internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre
for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007.
346
Ibid.
347
Loi n° 83/95, art. 1.
101
du droit, comme en matière de santé publique, d’environnement, de qualité de vie, de protection des
consommateurs, ou de protection de l’héritage culturel et ce, sans que ses modalités de mise en
œuvre ne soient modifiées. Ensuite, le rôle peu conventionnel du procureur public dans ce type de
procédure peut être souligné. Outre le contrôle a priori de la légalité de la demande, ce dernier peut
se substituer au demandeur représentant le groupe dès lors qu’il décide de mettre fin à l’action, si
une transaction qu’il estime inappropriée intervient ou si le représentant adopte un comportement
inadéquat, eu égard à la défense des intérêts qu’il poursuit 348. Ces éléments peuvent expliquer, sinon
326F
justifier pour partie, le fait que le législateur portugais n’ait pas adopté des conditions de recevabilité
similaires à celles rencontrées dans les autres pays. De plus, il est intéressant de noter que, parmi les
réformes du système de l’action populaire envisagée par le législateur portugais, figure le
renforcement des critères de compétences des associations ad hoc également autorisées à agir, en
leur imposant un agrément par l’Institut de la Consommation. Enfin, à l’instar de ce qui existe déjà
en droit boursier, il serait demandé aux associations de posséder plus de 100 membres et d’exercer
une activité depuis plus d’un an 349.
327F
220. A l’exception du Portugal, l’ensemble des pays européens qui ont adopté une procédure d’action
de groupe ouverte aux personnes physiques assortit l’admissibilité de la procédure à des conditions
qui portent tant sur la personne du représentant que sur la nature du litige et la multiplicité des
demandes. Ces conditions paraissent indispensables en vue d’une part de prévenir les risques d’abus
dans l’exercice de l’action par les personnes habilitées à le faire et d’autre part, de garantir la bonne
administration de la justice en s’assurant que cette procédure dérogatoire au droit commun ne sera
réservée qu’aux litiges de masse justifiant d’un tel recours350.
B) Des conditions de certification de la class et d’agrément de nature à prévenir tout abus
de procédure et une utilisation appropriée de cette procédure
221. On peut distinguer deux grandes catégories de conditions dans les législations décrites ci-dessus,
qui poursuivent deux buts distincts. Le juge s’attache, d’une part, aux qualités de représentation du
Demandeur représentatif et d’autre part, à la similarité du préjudice subi par un nombre important de
personnes. Ces conditions se retrouvent dans la procédure d’agrément des associations de défense,
seules habilitées en France à agir en représentation des intérêts personnels d’autrui (1). Ces
348
H. Sousa Antunes, Class Actions, Group Litigation & Other Forms of Collective Litigation (Portuguese Report), p. 11,
dans The Globalization of class actions, préc.
349
Ibid., p. 29, dans The Globalization of class actions, préc.
350
Voir en ce sens A. Gidi, The Class Action Code: A Model for Civil Law Countries, Arizona Journal of International and
Comparative Law, Vol. 23, p. 37, 2005, U of Houston Law Center No. 2006-A-20.
102
conditions visent toutes à la prévention des risques d’abus et à une utilisation appropriée de la
procédure afin de garantir une bonne administration de la justice (2).
1) Des conditions de certification proches des conditions d’agrément
222. La recherche d’une représentation adéquate des membres du groupe. Tout d’abord, les
personnes souhaitant représenter des tiers en justice doivent justifier de qualités de représentation
pour être habilitées à tenir ce rôle. Dans l’action de groupe, il s’agit, pour le juge, outre le contrôle
du bien-fondé des demandes, de vérifier que la personne qui va prendre en charge la conduite de la
procédure est à même de le faire au mieux des intérêts des membres du groupe de personnes qu’elle
entend représenter. Il examine si le représentant est financièrement assez solide pour mener l’action,
si les intérêts des membres du groupe sont suffisamment proches des siens, s’il n’existe pas de
conflit d’intérêts et si ses avocats sont suffisamment qualifiés et expérimentés pour connaître du
cas 351.
328F
223. Dans le cadre de la procédure d’octroi d’un agrément, la représentativité des associations de
défense est également au cœur des préoccupations des pouvoirs publics en France. En effet, ils vont
vérifier que l’association est bien représentative du plus grand nombre, en examinant le nombre
d’adhérents 352. De même, les pouvoirs publics contrôlent l’activité de l’association à travers les
329F
rapports annuels qu’elle doit leur fournir comme à travers la durée de son existence. Ces éléments
leurs permettent de vérifier que l’association dispose d’une certaine expérience dans la défense des
droits de ses membres et qu’elle sera effectivement capable de conduire une procédure judicaire à
bien dans l’intérêt des membres du groupe représenté. De plus, les associations agréées ne
poursuivent pas de but lucratif, ce qui permet d’éviter tout conflit d’intérêt d’ordre financier avec les
membres du groupe représentés.
224. Des demandes typiques de celles des membres du groupe. Le juge américain contrôle,
également, lors de la phase de certification, si la demande formulée par le Demandeur Représentatif
est typique de celles possiblement formulées par d’autres demandeurs se trouvant dans une situation
similaire 353. Dans le cadre de l’action en représentation, la demande n’est pas propre à l’association
30F
de défense agréée, qui n’a pas elle-même subi de préjudice. Les pouvoirs publics demandent à
351
Rule 23 FRCP.
C. conso., art. R411-1
353
Rule 23 FRCP.
352
103
l’association de justifier de mandats 354, ce qui permettra au juge de vérifier que les affaires sur
31F
lesquelles repose la demande de l’association sont caractéristiques des demandes potentielles
d’autres personnes placées dans une situation similaire. Ces mandats vont être également utiles pour
déterminer s’il s’agit d’un litige de masse.
225. Des questions multiples et similaires. Ensuite, le Demandeur représentatif dans le cadre de
l’action de groupe doit justifier de l’existence de demandes multiples et similaires. Comme cela a été
relevé, dans la plupart des systèmes ayant adopté une action de groupe, il n’existe pas de numerus
clausus, le législateur laissant au juge le soin d’apprécier s’il est en présence d’un litige de masse 355.
32F
Dans le système d’action en représentation, l’exigence porte, en France, sur a minima deux
mandats 356, pour permettre de vérifier l’existence potentielle d’une pluralité de demandeurs placés
3F
dans une situation similaire, c'est-à-dire dont les demandes présentent des questions de droit et de
fait communes. Des conditions d’autorisation tenant aux qualités de représentation du Demandeur
représentatif et à l’existence d’un litige de masse se retrouvent tant dans l’action de groupe, que
dans l’action en représentation ouverte aux associations de défense agréées. Ces similarités
s’expliquent par la poursuite de buts identiques, qui sont, d’une part, la prévention des actions
abusives et, d’autre part, la recherche d’une bonne administration de la justice.
2) Action de groupe et action en représentation : des objectifs similaires
226. L’objectif de pallier les actions abusives. Tout d’abord, les conditions de représentativité tant
dans le cadre de l’action de groupe que de l’action en représentation tendent à prévenir les dérives
possibles dans l’utilisation des actions collectives. Les pouvoirs publics ont pour objectif d’éviter
que le Demandeur représentatif agisse dans son propre intérêt au détriment des intérêts des
personnes représentées et qu’il détourne l’exercice de la procédure à des fins purement financières.
C’est pourquoi l’exercice de l’action est strictement limité aux seules associations agréées d’un coté
354
Il en est ainsi en France (C. conso., art. L 422-1 et s. et C. mon. fin., art. L452-1 et s.), mais également en Italie (C.
conso. it., art.140-bis) ou encore aux Pays-Bas (Voir M.-J. Van Der Heijden, Class actions/actions collectives, National
Report: Nederland’s, p. 3, dans Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of
the class action bar, 6ème Conférence annuelle sur le thème « Strategies for Litigating », 6 & 7 mai 2010, Hotel Renaissance
Seattle à Seattle, WA) ou en Allemagne.
355
Voir par exemple le système américain (§. 123) ou le système danois (Loi n° 181/2007, qui est venue introduire un §.
254 dans le Code de l’Administration de la justice).
356
Voir l’exemple de la France avec l’action en représentation des associations de consommateurs agréées, prévue à
l’article L422-1 du Code de la consommation ou l’action en représentation ouverte aux associations de défense des
investisseurs boursiers, prévue à l’article L452-2 du Code monétaire et financier, qui imposent à ces organismes la
production d’« au moins deux mandats » de consommateurs ou d’investisseurs.
104
et de l’autre coté aux seuls justiciables qui sont capables d’apporter la preuve de leur capacité de
représentation.
227. La recherche de la bonne administration de la justice. De plus, l’existence contrôlée d’une
pluralité de demandes présentant des questions de droit ou de fait communes, dans l’action de
groupe comme dans l’action en représentation vise à s’assurer que l’utilisation de cette procédure est
réservée aux litiges de masse. Ces litiges sont les seuls de nature à justifier le recours à ces
procédures, dérogatoires au droit commun. Il s’agit d’utiliser, dans les deux cas, la procédure la plus
efficace et la plus efficiente pour connaître de ces demandes et ce, dans le but d’une bonne
administration de la justice.
228. Conclusion de la Section 2. L’action collective de prédilection des pays européens de droit de
tradition romano-germanique était jusqu’à présent l’action en représentation ouverte dans la plupart
des pays aux seules associations de défense à qui il est octroyé la capacité d’agir pour autrui. Cette
dernière vient pallier le défaut d’intérêt personnel à agir de ces associations. Pour ce faire, les
organismes de défense doivent obtenir des pouvoirs publics un agrément spécifique qui les autorise
explicitement à défendre les intérêts personnels d’une catégorie de personnes déterminée.
Cependant, à la lumière de l’expérience d’autres pays européens ayant adopté des procédures
d’action de groupe, il apparaît que des conditions de certification visant, d’une part, à contrôler les
qualités de représentation du demandeur principal et, d’autre part, à vérifier qu’il s’agit bien d’un
litige de masse justifiant le recours à cette procédure dérogatoire au droit commun, sont de même
nature que les conditions d’agrément. Elles poursuivent des objectifs similaires.
105
Conclusion du Chapitre 1
229. L’action de groupe, une procédure d’exception. Ce premier chapitre repose sur une description
du système américain de la class action, qui est le système d’action de groupe le plus abouti à ce
jour. Il démontre que cette procédure ne peut être utilisée que dans des cas particuliers, dès lors que
les conditions de certification posées par le législateur et interprétées par le juge sont remplies. Ces
conditions portent d’une part sur les qualités de représentation que doit présenter le Demandeur
représentatif et sur la nature du litige. L’action de groupe ne peut en effet être autorisée que pour des
litiges de masse, c'est-à-dire pour des litiges comportant un grand nombre de demandeurs potentiels
ayant subi un préjudice identique. La première série de conditions portant sur la représentativité du
Demandeur représentatif vise à prévenir les risques d’abus dans l’exercice de l’action en évitant tout
détournement au profit de celui-ci à son profit personnel au détriment des personnes représentées. La
seconde série de conditions permet un recours limité à ce type de procédure et ce, dans le but d’une
bonne administration de la justice. Cette procédure, dérogatoire au droit commun, ne peut être
utilisée que lorsqu’elle apparaît comme le moyen le plus efficient et efficace pour traiter les
demandes en justice. Les conditions d’autorisation de l’action de groupe définies par le législateur
américain sont inhérentes et indispensables à la procédure. La plupart des pays européens dotés
d’une action de groupe, ouverte aux personnes physiques, ont adopté des conditions d’autorisation
similaires aux conditions de certification américaines.
230. L’action en représentation, une variante de l’action de groupe. Dans les pays de droit de
tradition romano-germanique, comme en Allemagne, en France ou en Belgique, la seule dérogation
consentie au principe de l’action individuelle fut au bénéfice d’associations de défense agréées. Ces
organismes se voient octroyer une qualité à agir pour exercer l’action en justice au nom et pour le
compte d’une catégorie de personnes déterminée. Ils doivent pour cela remplir des conditions dites
« d’agrément ». Or à l’instar des conditions de certification, ces exigences visent à vérifier la
représentativité et l’expérience de l’association et ainsi à pallier les abus éventuels dans l’exercice de
cette procédure. De plus, dans le cadre de ces actions en représentation, les associations doivent
justifier de plusieurs mandats des personnes représentées. Le législateur cherche à limiter l’emploi
de cette procédure aux seuls litiges de masse, pour lesquels l’action en représentation lui est apparue
comme la plus appropriée.
106
231. Ainsi dès lors que des conditions d’autorisation de la procédure adaptées et suffisantes existent,
l’action de groupe pourrait être adoptée dans les pays européens de droit romano-germanique, sous
réserve toutefois que les autres modalités d’exercice d’une telle action soient compatibles avec les
principes fondamentaux gouvernant tant la procédure civile que le droit de la responsabilité civile.
107
108
CHAPITRE II : L’ACTION EN JUSTICE PAR AUTRUI : LES MODALITES
D’EXERCICE DE L’ACTION
232. La représentation par autrui ou un consentement à l’action a posteriori. Le Demandeur
Représentatif exerce son action en justice en son nom, ainsi qu’au nom de toute personne se trouvant
dans une situation similaire à la sienne. A l’introduction de l’action, les personnes représentées vont
être simplement identifiables et non identifiées. Elles n’ont pas connaissance de la procédure et elles
n’ont pas consenti à son exercice pour la défense de leur droit. Cette caractéristique de la procédure
d’action de groupe est celle, qui suscite le plus d’inquiétudes et qui a fait couler le plus d’encre en
France notamment. Elle s’oppose, par essence, à la liberté individuelle de tout citoyen d’agir en
justice 357.
34F
233. Les conséquences procédurales de l’identification a posteriori des parties à la procédure. Cette
absence d’identification des personnes représentées dans la procédure judiciaire engagée par un tiers
implique ainsi qu’il soit prévu des modalités de mise en œuvre de la procédure, qui permettent,
d’une part, l’information des personnes représentées sur l’introduction de la procédure et, d’autre
part, leur identification, à un stade ultérieur de cette dernière. Ces modalités de mise en œuvre vont
être, elles aussi, exorbitantes du droit commun. Il s’agit, d’une part, d’envisager la publicité de la
procédure, dans la plupart des systèmes de droit, avant le prononcé du jugement au fond, et, d’autre
part, de prévoir un processus d’identification permettant de répertorier les personnes souhaitant
bénéficier de l’action intentée par le Demandeur Représentatif et de recueillir leur consentement à
l’exercice de la procédure. Par ailleurs, n’étant pas, à proprement parler, des parties à la procédure,
la question du rôle de ces personnes dans la conduite de la procédure se pose. Les modalités de mise
en œuvre permettant l’identification des personnes représentées à la procédure vont pouvoir revêtir
plusieurs formes suivant les modèles juridiques. Le modèle américain constitue un exemple
intéressant de système d’identification des membres potentiels du groupe, dans le déroulement de la
procédure. Il présente en effet un fonctionnement cohérent de la procédure d’action collective au
regard des contraintes liées à l’identification des personnes représentées (Section 1).
234. Dans les pays européens, en particulier dans les systèmes de droit de tradition romanogermanique, cette absence d’identification des personnes doit être considérée au regard des principes
directeurs de la procédure civile et du droit de la responsabilité civile. Le respect de ces principes,
357
Voir Infra §. 301.
109
consacrés dans la plupart des pays européens par les plus hautes juridictions est en effet primordial
pour l’acceptation juridique de la procédure dans le système judiciaire dans laquelle elle trouvera à
s’inscrire. Une adaptation des modalités d’exercice de l’action collective sera alors nécessaire pour
pallier les obstacles que peuvent constituer ces principes. Cette question sera étudiée à la lumière des
systèmes français et allemand et aussi au regard du droit européen (Section 2)
SECTION 1 : LES ACTIONS EN JUSTICE PAR AUTRUI : AUX ETATSUNIS D’AMERIQUE, PAYS DE COMMON LAW
235. Le fait de ne pouvoir identifier les personnes, représentées à la procédure au stade préliminaire de
l’action, alimente les fantasmes quant aux procédures induisant un très grand nombre de demandeurs
potentiels, pouvant selon certaines sources se chiffrer en milliers, voire en millions de personnes 358.
35F
Le système américain avec notamment, une politique de démarchage des clients potentiels très
poussée des cabinets d’avocats spécialisés, a largement contribué à entretenir cette vision de la
procédure de la class action. Il est possible de mentionner, en ce sens, une publicité, formulée par un
cabinet d’avocats américain, spécialisé dans la défense des associations de protection de
l’environnement et autres victimes de pollution. Le texte de sa publicité était le suivant : « Si vous
respirez de l’air, vous êtes un plaignant. Pourquoi ? Parce ce que vos avocats travaillent pour vous
en protégeant l’air, la terre, l’eau, la faune et la flore contre les grands pollueurs »359. Cependant,
36F
dans la réalité judiciaire, le mécanisme d’identification des représentés à la procédure est beaucoup
plus précis que cette publicité pourrait le laisser entendre et le contrôle du juge sur les conditions
d’exercice de l’action est très rigoureux (§1).
236. De même, bien que la plupart des membres du groupe de personnes représentées ne soient ni
informés, ni identifiés à un stade préliminaire de la procédure, ils ont tout de même un rôle à jouer
dans la conduite de la procédure, même si ce dernier est limité (§2).
358
N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature,
RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 5-6, dans The Globalization of class actions,
Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre for socio-legal studies, Oxford
University, 13 & 14 déc. 2007.
359
Texte en version anglaise: “If you breathe air, you’re a plaintiff. Why? Because our lawyers are working for you by
protecting the air, land, water and wildlife from big polluters”; Voir aussi, Target: Europe, Global Export of US-Style
Class action Lawsuits, US Chamber Institute for Legal Reform, 13 mai 2009.
110
§1) L’identification des personnes représentées à la procédure
237. Le processus d’identification des personnes représentées dans la procédure se déroule en deux
temps. Au stade de la certification, il s’agit d’obtenir une estimation raisonnable du nombre de
demandeurs potentiels. Cette identification partielle s’opère via la définition du groupe de personnes
représentées par le Demandeur Représentatif postulant. À l’issue de la phase de certification, les
personnes composant le groupe ne sont pour la plupart qu’identifiables et non identifiées (A).
L’identification personnelle des membres de la class se fera dans un second temps après que le juge
ait ordonné la publicité de la procédure. Cette publicité permet l’information des personnes
représentées et le recueil de leur consentement à l’action. L’identification formelle interviendra soit
aussitôt l’expiration du délai de la publicité, soit au stade de l’indemnisation, suivant les modalités
retenues pour l’obtention du consentement des personnes représentées, selon les règles du droit
substantiel applicable (B).
A) Des personnes représentées identifiables lors de la certification de la class
238. Des demandeurs potentiels placés dans une situation similaire à celle du représentant du
groupe. L’identification des demandeurs potentiels passe, tout d’abord, par la définition du groupe
de personnes représentées qui sera le fait du Demandeur Représentatif postulant dans le cadre de la
certification de la class. En effet, la délimitation des caractéristiques dont il entend se prévaloir en
tant que demandeur donne un certain nombre d’informations sur les personnes susceptibles
d’appartenir au groupe, qui permettra, notamment, une publicité plus ciblée de la procédure, le cas
échéant, dans des revues spécialisées. La procédure de class action vise des catégories définies de
personnes et non un ensemble général d’individus.
239. Un préjudice commun à l’ensemble du groupe. Tout d’abord, les membres du groupe doivent
avoir subi un dommage, similaire à celui du Demandeur Représentatif. Le préjudice est défini par ce
dernier dans la demande, ainsi que les circonstances dans lesquelles il est intervenu. Ce dommage
implique un fait générateur et un lien de causalité également identiques. Il repose sur une même
pratique ou un même comportement de la part du ou des défendeurs. À titre d’exemple, dans le
cadre d’une action de groupe faisant suite à une condamnation de plusieurs sociétés pour entente sur
les prix d’un produit déterminé (Antitrust), le Demandeur Représentatif, acheteur direct du produit,
estime avoir payé un prix trop élevé pour le produit concerné du fait de l’entente et exige réparation
de son préjudice. Au regard des termes de la requête déposée par ce dernier, les membres du groupe
111
sont les acheteurs directs du produit déterminé ayant passé commande auprès de l’une des sociétés
incriminées pour la pratique anticoncurrentielle et ce, à une période déterminée, la période de
l’infraction.
240. Dès lors que le préjudice subi diffère selon les demandeurs potentiels, les juges américains
subdivisent les groupes 360 et donc séparent les procédures. A titre d’exemple, les dommages
37F
corporels et les dommages aux biens sont, la plupart du temps, traités indépendamment. Les juges
distinguent, ainsi, au sein des Torts Class actions361, d’une part, les dommages à la personne
(personal injuries class actions) et d’autre part, les dommages aux biens (property damages class
actions)362.
241. Des questions de droit et de fait communes. Cette première analyse se poursuit avec
l’identification des questions de droit et de fait communes. Seuls les cas qui présentent des questions
de droit et de fait similaires seront admis dans la procédure. Dans notre exemple relatif à une entente
sur les prix, les questions de droit et de fait communes soulevées par les demandes potentielles des
acheteurs directs sont a priori similaires. Le dommage est né de la même violation des règles du
droit de la concurrence.
242. La condition de Numerosity, une estimation chiffrée des demandeurs potentiels. De plus,
comme cela a été relevé concernant les conditions de la certification de la class et particulièrement la
condition de Numerosity 363, les juges exigent une estimation raisonnable du nombre de demandeurs.
340F
Cette exigence oblige alors le demandeur à identifier individuellement une partie des demandeurs
potentiels à l’action en fonction des éléments qu’il détient, ce qui conduit à une identification
360
Rule 23 FRCP.
Le terme de Tort case se traduit littéralement comme « un délit civil, autre qu’une violation d’un rapport contractuel,
pour lequel un remède peut être obtenu sous la forme de dommages et intérêts », Black’s Law dictionary, Bryan A. Garner,
Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 1626. Ce terme couvre, en droit français, la responsabilité civile
extracontractuelle. L’adjectif « Mass » vient souligner la présence de plusieurs personnes au litige, Black’s Law dictionary,
op.cit.
362
N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature,
RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 13, dans The Globalization of class actions,
361
Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre for socio-legal studies,
Oxford University, 13 & 14 déc. 2007; Voir également la notion de « hybrids class action », actions qui sont
subdivisées en fonction des demandes formulées et de la nature des remèdes demandés, N. M. Pace, Class actions in the
United States of America: an overview of the process and the empirical literature, RAND Institute for Civil Justice, Santa
Monica, California, U.S.A, p. 25, op. cit ; Définition du Black’s Law dictionary, op. cit., p. 284.
363
Voir §. 121.
112
individuelle, a minima, partielle des membres de la class. Ainsi, la méconnaissance apparente du
nombre de demandeurs potentiellement concernés par la procédure est à nuancer.
243. Une identification a priori d’une pluralité de demandeurs, le résultat d’un démarchage actif des
cabinets d’avocats. Il faut enfin tenir compte du fait que, dans le cadre de la plupart des class
actions aux Etats-Unis, l’initiative de la procédure n’est pas nécessairement individuelle. En effet,
plusieurs demandeurs peuvent se manifester auprès des juridictions, qui vont ensuite pouvoir
grouper les demandes et ouvrir une phase de certification afin de déterminer lequel des demandeurs
est le plus à même de représenter les autres personnes ayant subi un préjudice similaire 364. Cette
341F
multiplicité des demandeurs au commencement de la procédure est le fait de l’initiative individuelle
de demandeurs, mais elle résulte souvent également du travail de démarchage opéré par les cabinets
d’avocats. Aux Etats-Unis, le démarchage par les cabinets d’avocats (Plaintifs Bar) 365 est autorisé366
342F
34F
pour les class actions. Ils peuvent, ainsi, faire de la publicité, mais également aller solliciter les
victimes potentielles d’une pratique alléguée 367. Dès lors que l’éventualité d’une class action se
34F
présente, les cabinets d’avocats vont rechercher les victimes, afin de leur proposer un accord de
représentation en justice. Plusieurs cabinets concurrents peuvent opérer de la même manière
concernant la même affaire. Il appartiendra, alors, au juge de déterminer celui qui sera le plus à
même de représenter au mieux les intérêts de la class. Il arrive souvent, également, que les différents
cabinets d’avocats forment un consortium pour assurer collectivement la défense de la class. Il
s’agit, la plupart du temps, de se garantir les moyens financiers et humains suffisants pour mener à
bien la procédure, qui peut se révéler très consommatrice de temps comme d’argent. Ainsi, en amont
de la procédure de certification, le Demandeur Représentatif et son cabinet d’avocats sont rarement
seuls.
364
Voir Supra §. 148.
Le barreau américain est divisé en deux parties. Il existe les cabinets d’avocats spécialisés dans la défense des victimes
(Plaintiff Bar) et les cabinets d’avocats en charge exclusivement de la défense des accusés (Defendant Bar).
366
La publicité pour les avocats est autorisée aux Etats-Unis depuis un arrêt de la Cour Suprême de 1977 (Bates et O’Steen
v. State Bar of Arizona, 433 U.S. 350 (1977)). La Cour Suprême a estimé que le droit à recourir à la publicité pour les
avocats découle du Premier Amendement de la Constitution américaine, à savoir de la liberté d’expression. La Cour
Suprême y a également vu un moyen, pour les citoyens, de s’informer sur la nature, et les prix des prestations offertes et
ainsi sur les opportunités qui leur étaient offertes. Cependant, cette liberté de recourir à la publicité est réglementée. Ainsi,
par exemple elle ne doit pas être mensongère, voir D. Mouralis, L’avocat et la publicité, Bull. Aix, 2005-2, questions
pratiques, p. 168.
367
La sollicitation des clients (démarchage) est tolérée dès lors que l’avocat poursuit un but autre que pécuniaire et que sa
démarche témoigne d’un engagement politique ou idéologique, ce qui ressort a priori de la procédure de class action
américaine. En effet, aux Etats-Unis, cette procédure est utilisée pour obtenir la réparation des préjudices subis du fait de la
pratique incriminée, mais elle poursuit également un but de cessation de l’infraction et de punition des auteurs de la
pratique, les demandeurs apparaissant comme des procureurs privés agissant pour le bien collectif, R. Martin, Déontologie
de l’avocat, LexisNexis Litec, Jurisclasseur, 8ème éd., 2004, p. 239.
365
113
244. L’ensemble de ces éléments montre que le processus d’identification des membres du groupe,
commence dès l’introduction de la demande et de manière plus poussée, dès la phase de certification
de la class. Ce travail de définition du groupe a priori, résultant de l’action conjuguée du
Demandeur représentatif, de son avocat, et du juge, conduit à ce que les membres du groupe de
personnes représentées sont à l’issue de cette première analyse, pour certains, déjà identifiés et pour
les autres, a minima identifiables. Cela nuance ainsi l’affirmation d’une absence d’identification des
demandeurs. Cette première phase d’analyse est essentielle, tant pour la future publicité de la
procédure, que pour la préparation de la défense des personnes, à l’encontre desquelles l’action est
intentée, qui vont d’ores et déjà pouvoir préparer leur défense. L’identification formelle des
demandeurs intervient dans un second temps.
B) Des personnes représentées identifiées après la publicité de la procédure
245. L’identification formelle de l’ensemble des demandeurs intervient après la certification de la
class, et la publicité de la procédure, qui vise à informer ces derniers de son existence (1). Une fois
informées de l’existence de la procédure, les personnes concernées vont pouvoir consentir à
l’exercice de l’action par le tiers désigné. Ils vont s’inclure ou s’exclure de la class, se réservant
alors le droit de porter leur action en justice individuellement. Une identification individuelle de
l’ensemble des membres de la class intervient alors. Le système américain présente l’originalité
d’une identification a posteriori du jugement au fond (2).
1) La publicité de l’action, nécessaire à l’information des membres du groupe sur
l’existence de la procédure
246. Dès lors que le recours à l’action de groupe est autorisé par le juge (certification de la class), ce
dernier rend une ordonnance de certification en fonction de laquelle une notice est établie et publiée.
Cette publicité apparaît indispensable pour le bon déroulement de la procédure et l’identification des
demandeurs de la class. Cependant, elle comporte un risque d’atteinte à l’image du défendeur, dont
la responsabilité n’a pas été reconnue à ce stade et, le cas échéant, à son activité économique (a).
Ainsi l’encadrement a priori de la publicité sous le contrôle du juge est nécessaire pour limiter ce
risque (b).
114
a) La publicité de l’action, potentiellement préjudiciable au défendeur
247. La publicité de l’action intervient après que le juge se soit prononcé positivement sur
l’opportunité de recourir à la procédure de la class action, mais avant tout jugement sur le fond et
donc avant que la responsabilité du ou des défendeurs soit reconnue.
248. Le schéma procédural de la class action.
Dépôt de
la demande
Phase
de
certificatio
n
Publicité
de la
procédure
Procès
/
Transactio
n
Indemnisa
tion
249. Le fait que la publicité intervienne, en amont de la phase de jugement au fond, a soulevé de vives
critiques de la part des observateurs européens, mais également américains 368. Cette publicité de la
345F
procédure peut causer un dommage au défendeur. La simple allégation d’un comportement illicite ou
dommageable peut entacher la réputation de la société défenderesse et peut impacter le comportement
des clients actuels ou potentiels de cette dernière, ainsi que celui des investisseurs. Il a, par exemple,
été estimé que dès lors qu’une société, cotée en bourse, est assignée devant un juge dans le cadre d’une
Securities Class actions, c'est-à-dire une action de groupe basée sur une allégation de fraude
boursière369, elle perdait en moyenne 3.5% sur la valeur de son action370.
250. Ces implications économiques sont critiquables dès lors qu’elles peuvent être le résultat d’une
action infondée ou abusive. Les entreprises ayant fait l’objet d’une procédure abusive de la part des
demandeurs à la procédure pourraient former elles-mêmes une action en justice pour demander
368
Target: Europe, Global Export of US-Style Class action Lawsuits, US Chamber Institute for Legal Reform Paper, 13
mai 2009.
369
Les Private Securities Class Actions tendent à l’obtention de dommages intérêts en cas de manipulation frauduleuse du
marché ou de pratiques abusives sur le marché secondaire des actifs financiers, Securities Exchange Act 1934, Section 21D.
370
Target: Europe, Global Export of US-Style Class action Lawsuits, US Chamber Institute for Legal Reform Paper, op.
cit.
115
réparation de leur préjudice. Cependant, il est important d’agir en amont, afin de ne pas engendrer une
multiplication des contentieux. Il s’agit alors de prévenir ce type d’atteinte tout en préservant ce mode
d’information, qui apparaît indispensable à l’information des personnes non identifiées à la procédure
dans ce type d’action. Le système américain montre qu’il est possible d’atténuer cet effet néfaste pour
les défendeurs. Il s’agit, tout d’abord, de procéder à un contrôle sérieux et poussé a priori du bien
fondé de la demande, comme précédemment souligné avec la phase de certification de la class 371. Mais
348F
il s’agit, également, de permettre au juge de contrôler aussi bien le contenu et que la diffusion de la
publicité.
(b) La publicité de l’action, un contrôle nécessaire du juge sur son contenu et sa
diffusion
251. Une identification par notification individuelle privilégiée. Dans le cadre des Mass torts Class
actions et des autres domaines couverts par la Règle 23(b)(3) FRCP372, dès lors que les membres de la
class peuvent être identifiés individuellement sans que cela requiert un effort déraisonnable, la
procédure doit leur être notifiée individuellement 373. Ainsi une partie des demandeurs se verra
350F
informée individuellement de l’existence de l’action.
252. Une publicité sur autorisation du juge. Pour les autres cas, le juge pourra ordonner la publication
d’une notice visant à informer les demandeurs de l’existence de la procédure. Le juge détermine les
modalités de la publicité afin que l’information soit diffusée au plus grand nombre de personnes
intéressées à la procédure, selon la voie la plus efficace. La publicité se fera par voie de presse au
niveau local, régional, ou national, dans des publications généralistes ou spécialisées, selon les
circonstances de l’espèce.
371
Voir Supra §. 108.
La Règle 23(b)(3) FRCP s’applique en matière de responsabilité civile extracontractuelle, en matière boursière et encore
en matière financière ; Voir Supra §. 155.
373
Rule 23(c)(2)(B) FRCP : « For (b)(3) Classes. For any class certified under Rule 23(b)(3), the court must direct to class
members the best notice that is practicable under the circumstances, including individual notice to all members who can be
identified through reasonable effort ».
372
116
253. De plus, le contenu de la notice est déterminé, de manière détaillée, dans la Règle 23 FRCP. La
notification doit comprendre obligatoirement et exclusivement
374
351F
:
–
La nature de la class,
–
La définition de la class,
–
Les prétentions des demandeurs,
–
Les questions de droit,
–
Les moyens de défense,
–
La mention qu’un membre peut signifier son intention de comparaître en justice s’il le désire,
–
Une mention précisant que la Cour exclura de la class toute personne qui en fera la demande 375,
–
La période dans laquelle la demande d’exclusion doit être formulée et les modalités de cette
352F
demande, et
–
Une mention précisant que le jugement au fond à intervenir aura un caractère obligatoire pour
les membres de la class.
254. La publicité de la procédure est contrôlée par le juge sous deux aspects. En premier lieu, à la suite
de la procédure de certification de la class, le juge rend une ordonnance dans laquelle il définit luimême certains éléments, qui devront figurer dans la notice à publier. Cette ordonnance de
certification du juge comprend obligatoirement la définition de la class, les demandes, les questions
de droit identifiées, les moyens de défense avancés et la nomination du représentant légal, autant de
mentions que l’on doit retrouver dans la notice d’informations, dans la forme et la rédaction dictées
par le juge 376. En second lieu, il est toujours possible pour le défendeur à l’action de déposer une
35F
requête (motion to) auprès du juge dès lors qu’une irrégularité ou une erreur dans la publicité serait
intervenue ou que cette dernière aurait été rédigée d’une telle manière qu’elle porterait atteinte à
l’image de l’entreprise défenderesse ou à son activité économique. Cet encadrement de la phase de
publicité par le juge permet ainsi de limiter considérablement les abus dans la publicité de l’action
mise à la charge du Demandeur représentatif et du Class Counsel.
374
Rule 23(c)(2)(B) FRCP: “The notice must clearly and concisely state in plain, easily understood language:
(i) the nature of the action;
(ii) the definition of the class certified;
(iii) the class claims, issues, or defenses;
(iv) that a class member may enter an appearance through an attorney if the member so desires;
(v) that the court will exclude from the class any member who requests exclusion;
(vi) the time and manner for requesting exclusion; and
(vii) the binding effect of a class judgment on members under Rule 23(c)(3).”.
375
Infra § 255.
376
Rule 23(c) (1) (B) FRCP: “Defining the Class; Appointing Class Counsel. An order that certifies a class action must
define the class and the class claims, issues, or defenses, and must appoint class counsel under Rule 23(g)”.
117
255. La prise en charge des frais de procédure par le Demandeur Représentatif. Outre le problème
principal de l’atteinte au droit de la défense en cas d’actions abusives ou infondées, la publicité de la
procédure a également suscité des interrogations en Europe concernant sa prise en charge financière.
En effet, les associations de défense, notamment en France, ont demandé à ce qu’elle soit mise à la
charge des entreprises, qui sont réputées disposer de moyens plus conséquents, tandis que les
entreprises font valoir qu’en toute logique, cette charge doit reposer sur les demandeurs étant donné
que la responsabilité des personnes en défense n’est pas tranchée à ce stade de la procédure. Aux
Etats-Unis, le coût de la publicité de la procédure fait partie des frais de justice au même titre que les
frais de notification d’une assignation. Ces frais sont mis à la charge des demandeurs. Le principe du
perdant payeur n’existe pas à proprement parler aux Etats-Unis pour les class actions. Cette solution
pourrait être retenue en Europe et en particulier en France, dès lors que nos systèmes connaissent le
principe du perdant payeur 377.
354F
2) L’information des personnes représentées nécessaire au recueil de leur consentement:
le choix possible de s’inclure ou de s’exclure
256. Deux systèmes existent pour permettre aux demandeurs potentiels de devenir membre du groupe
de personnes représentées à l’action concernée. Il sera demandé à ces personnes soit de manifester
leur volonté d’être inclus dans la procédure - système d’opt in –, soit d’en être exclues - système
d’opt out (a). Le choix d’un système ou de l’autre marque un souci de fonctionnement cohérent de la
procédure envisagée. Les autres modalités de la procédure sont déterminantes pour opérer ce choix
comme le montre l’exemple américain (b).
a) Le choix des systèmes d’identification des membres du groupe
257. Un système d’exclusion, sujet à toutes les critiques. Comme le montrent les mentions obligatoires
figurant dans la publicité 378, le législateur américain a fait sur le principe le choix du système de
35F
l’exclusion, dit système « d’opt out ». Dans ce cas, les personnes, qui ne se manifestent pas pendant
le délai mentionné dans la notice publiée dans la presse, seront automatiquement incluses dans la
procédure, ce qui signifie qu’elles pourront bénéficier du jugement rendu, mais également qu’elles
perdront leur droit d’agir en justice individuellement, si le résultat de la procédure pendante ne leur
377
378
F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, les obligations, Précis Dalloz, 10ème éd., 2009.
Rule 23 FRCP.
118
convient pas 379. Ce premier système, caractérisant la procédure américaine, fait l’objet de beaucoup
356F
de critiques en Europe notamment parce que plus que tacite, le consentement des demandeurs est
présumé. En effet, le recours à la publicité de la procédure ne garantit pas une information
personnelle de chacune des personnes concernées, le recours à la presse comportant un aléa.
Cependant, dès lors que ces personnes ne se seront pas manifestées pour s’exclure de la procédure,
elles perdent leur droit d’ester individuellement en justice. La seconde critique formulée à l’encontre
du système d’opt out est que ce système est défavorable aux défendeurs dès lors que ce dernier ne
permet pas, à ce stade de la procédure, d’identifier individuellement les demandeurs à l’action. Cela
crée un déséquilibre dans le rapport demandeur/défendeur, le second ne connaissant pas l’identité de
ces derniers et se trouvant par conséquent privé ainsi de moyens de défense individuels qu’il pourrait
le cas échéant leur opposer.
258. Un avantage pratique pour les défendeurs : la prévisibilité du terme du litige. Cependant, on
notera que le système d’opt out présente tout de même un avantage par rapport à un système d’opt in
pour une entreprise défenderesse. Cet avantage est la connaissance du nombre exact de recours
potentiels, qui pourront suivre la procédure de class action. Dès lors qu’un demandeur s’exclut de la
class, il pourra engager individuellement un procès. En revanche, toutes les personnes n’ayant pas
exercé ce droit seront irrévocablement forcloses dans leur droit d’ester en justice sur cette question à
titre individuel 380. Dans le système d’opt in, des actions pourront continuer à être intentées sur le
357F
même fondement jusqu’à expiration du délai de prescription applicable, laissant ainsi le défendeur
dans l’incertitude. Ainsi sur ce point, le système d’opt out présente une plus grande sécurité
juridique pour l’entreprise, défenderesse que le système d’opt in.
259. Un système d’inclusion, porteur de garanties quant au respect des droits procéduraux
fondamentaux. Le système d’inclusion, dit système « d’opt in », à la différence du système d’opt
out, oblige les parties à agir positivement pour devenir membres du groupe. Toute personne qui ne
s’est pas manifestée pendant le délai imparti par le juge ne pourra pas bénéficier du jugement, mais
conservera le droit de porter individuellement son action en justice. Ce système d’inclusion apparaît,
379
N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature,
RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, dans The Globalization of class actions, Conférence
internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14
déc. 2007.
380
Rule 23 FRCP.
119
aux yeux des observateurs 381, comme offrant plus de garanties quant au respect des droits
358F
fondamentaux relatifs au libre accès à la justice, notamment dans les systèmes de droit de tradition
romano-germanique. En effet, dans le cadre d’un système d’opt in, il appartient à toute personne,
désirant être représentée à la procédure par le Demandeur Représentatif et ainsi se voir appliquer le
jugement final, de se manifester auprès des avocats des demandeurs. Dans ce cas, il n’existe pas de
doute sur la volonté des personnes représentées d’exercer leur droit à agir en justice par
l’intermédiaire de la procédure intentée par le Demandeur Représentatif puisque le consentement
exprimé est explicite. Ce système permet, de plus, de garantir le respect du principe de l’égalité des
armes entre les demandeurs et le défendeur à l’action 382, les personnes représentées étant alors
359F
identifiées individuellement avant le procès. Cette question de la compatibilité du système de l’opt
out avec le respect des droits de la défense sera examinée dans la seconde section de ce chapitre
consacrée à l’appréciation de la procédure d’action collective au vu des principes procéduraux
fondamentaux dans les pays de droit de tradition romano-germanique 383.
360F
260. Les deux systèmes d’opt in et d’opt out, présentent des avantages. Le choix résultera de la
cohérence recherchée dans l’orchestration de la procédure elle-même et dans l’articulation de cette
procédure avec le système judiciaire, dans lequel elle s’inscrit. La procédure américaine avec son
système d’opt out, bien que pouvant faire l’objet de remarques notamment vis-à-vis des droits
procéduraux fondamentaux tels qu’envisagés dans nos systèmes de tradition romano-germanique,
offre un bel exemple de cohérence tant au regard de la structure de la procédure de class action ellemême qu’au regard du fonctionnement du système judiciaire américain dans lequel elle s’inscrit.
(b) Un choix conditionné par la recherche de l’efficacité procédurale
261. L’appréciation du système américain de l’opt out, au regard de la procédure de class action.
Aux Etats-Unis, le système retenu par principe est celui de l’opt out. L’identification individuelle
des personnes composant la class de demandeurs à la procédure intervient a posteriori du jugement
sur la responsabilité du défendeur. Comme examiné dans les développements qui vont suivre, ce
système a attiré les foudres des commentateurs, notamment au regard du respect des droits de la
381
F. Polverino, A Class Action Model For Antitrust Damages Litigation In The European Union, University of Chicago
Law School, Working paper Series, August 29, 2006, p. 35 ; M.-A. Frison-Roche, Les résistances mécaniques du système
juridique français à accueillir la class action: obstacles et compatibilités, LPA, 10 juin 2005, n° 115, p. 22.
382
Ibid.
383
Infra §. 315.
120
défense, mais aussi concernant les principes directeurs de la responsabilité civile 384. Cependant,
361F
plusieurs réponses à ces critiques peuvent être formulées si l’on envisage la cohérence interne de la
class action américaine et qu’on la considère dans le cadre plus général du système judiciaire
américain. En effet, bien que ne répondant pas aux exigences du procès civil en France, ou plus
généralement dans les pays de tradition romano-germanique et à certains égards dans certains pays
de Common Law, la class action est cohérente avec l’objectif « social »385, qu’elle poursuit avec
pragmatisme et obtient des résultats.
262. Des dérogations sectorielles consenties. Le principe de l’opt out a pu être écarté au profit d’une
optimisation de la procédure dans certaines matières comme pour les class actions portant sur le
droit du travail 386. Il est clairement stipulé dans la loi que tout employé ne peut être demandeur à la
36F
class action que dès lors qu’il a donné son consentement par écrit et que ce consentement a été
notifié à la cour compétente387. Le législateur américain agit avec pragmatisme et toujours dans
l’idée de garantir une meilleure administration de la justice.
263. Plan. Les procédures judiciaires portées devant les juridictions civiles aux Etats-Unis n’ont pas
vocation exclusive à l’indemnisation des préjudices subis par les justiciables américains. En effet, il
n’existe pas une barrière définie entre justice pénale à vocation répressive et justice civile à vocation
indemnitaire. Aux Etats-Unis, il n’y a pas de principe indemnitaire, limitant l’indemnisation à la
seule réparation du préjudice subi (i). Ainsi l’identification des représentés peut n’intervenir
qu’après la détermination du montant des dommages et intérêts sans que cela bloque le déroulement
de la procédure. L’identification n’intervient qu’au moment de l’indemnisation (ii).
i) L’opt out et un système d’indemnisation globalisé devant les juridictions civiles
américaines
264. L’absence de principe de réparation intégrale du préjudice. La procédure civile américaine n’a
pas pour vocation unique la réparation du préjudice subi par les demandeurs, elle tend aussi à la
384
Voir infra §. 315.
N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature,
RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 8, dans The Globalization of class actions,
Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre for socio-legal studies, Oxford
University, 13 & 14 déc. 2007.
386
La procédure de class action en droit du travail (Labor Class action) ont été instituée par le Fair Labor Standard Act
(FLSA) de 1938, révisé en mars 2004, dont les dispositions ont été transposées dans le US Code (Compilation des
législations fédérales en vigueur) - 29 U.S.C Chapter 8-Fair Labor Standards - Sections 201- 219.
387
29 U.S.C, Chapter 8, Fair Labor Standard Act, §. 216, Penalties (b): "No employee shall be a party plaintiff to any such
action unless he gives his consent in writing to become such a party and such consent is filed in the court in which such
action is brought”.
385
121
détection et à la sanction de comportements illicites. En effet, comme cela sera souligné dans nos
développements futurs388, le Demandeur Représentatif agit en tant que procureur privé pour obtenir
36
certes la réparation du préjudice subi par la communauté de demandeurs, mais également pour faire
sanctionner le comportement du défendeur à l’origine du dommage. Ainsi, le principe indemnitaire,
connu en France, c'est-à-dire, le principe de la réparation intégrale du préjudice389, n’est pas la règle
dans les procédures de class action, ni son corollaire, le principe de l’enrichissement sans cause390.
Cette conception de la justice civile aux Etats-Unis explique que l’absence d’identification
individuelle des demandeurs ne nuit pas à l’évaluation du montant des dommages et intérêts à
allouer aux demandeurs identifiés ou simplement identifiables. Pour procéder à la détermination du
montant à verser par le défendeur reconnu responsable de la pratique dommageable, le juge
américain va procéder, avec pragmatisme, en plusieurs étapes.
265. Les frais d’avocats de la class action. Premièrement, le juge, que ce soit à l’issue du procès ou
suite à une demande d’homologation d’une transaction391 demande aux avocats du Demandeur
Représentatif de produire le montant de leurs frais, les justificatifs y afférents et le pourcentage
demandé au titre de la prime négociée dans le Contingency fees Agreement 392. En effet, les
F
honoraires d’avocats sont aux Etats-Unis soumis au contrôle du juge dès lors qu’une telle convention
est conclue393.
266. Les dommages-intérêts aux victimes. Deuxièmement, le jury populaire dans le cadre d’un
procès394 ou les parties dans le cadre d’une transaction, vont s’intéresser à l’indemnisation à
388
Voir Infra §. 568.
« Le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage
et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit », Cass.
Civ. 2e, 9 juil.1981, Bull.civ. II, n° 156 ; Cass. Civ. 1re, 17 juil.1996, Bull. Civ. I, n° 327 ; Voir également, Ph. Malaurie, L.
Aynès, et Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, Defrénois, 2ème éd., 2005, p. 127, §. 240 et suivants.
390
Ce principe correspond à l’« enrichissement d’une personne en relation directe avec l’appauvrissement d’une autre,
alors que le désequilibre des patrimoines n’est pas justifié par une raison juridique », Lexique des termes juridiques 2012,
Guinchard (S.) et Debard (T.), Dalloz, 19ème éd., 2011, p. 364. En France, ce principe découle de l’article 1371 du Code
civil.
391
Rule 23(e) FRCP.
392
Les “Contingency Fees Agreements” sont des conventions d’honoraires qui prévoient que les honoraires ne seront versés
à l’avocat en contrepartie de ses services de conseil et de représentation qu’à condition que le procès aboutisse à un
jugement en faveur du client ou à une transaction favorable à ce dernier (“A fee charged for a lawyer’s services only if the
lawsuit is successful or is favorably settled out of Court”), Black’s Law dictionary, Bryan A. Garner, Rédacteur en chef,
9ème éd., WEST 2009, p. 362.
393
Rule 23(h) FRCP.
394
En matière civile, le droit d’être jugé par un jury populaire est, comme en matière pénale, prévu par la Constitution, voir
les amendements 3,7 et 14 de la Constitution américaine du 17 sept. 1987. Le septième amendement de la Constitution
américaine stipule que : « dans un procès en matière de Common Law, si la valeur du litige excède vingt dollars, le droit
d’être jugé par un jury populaire doit être préservé et aucun fait examiné par un jury ne pourra faire l’objet d’un réexamen
389
122
accorder à chaque victime de la pratique condamnée. Ils raisonnent alors de manière globale en
procédant à une estimation du préjudice subi par chacun des demandeurs. Ainsi, dans le cadre d’une
class action en droit de la concurrence, relative à une pratique d’entente sur les prix, il pourra être
décidé d’octroyer, au titre de la réparation du préjudice subi, à chaque personne lésée, un
pourcentage du montant total des achats effectués concernant le produit en cause, sur la période de
l’infraction, auprès de l’un ou de plusieurs des défendeurs à l’action. En fonction de l’estimation du
nombre de personnes composant la class, il sera déterminé une somme globale correspondant à un
niveau de dommages et intérêts raisonnable. Ce pourcentage du prix payé correspond à l’estimation
de l’augmentation artificielle des prix, occasionnée par la pratique infractionnelle 395. En matière
372F
boursière, le juge procède à une évaluation de la perte capitalistique par action, engendrée par la
pratique frauduleuse sur la période déterminée. La répartition capitaliste et le nombre d’actions
émises par l’entreprise étant connu, la détermination du montant global d’indemnisation est alors
aisée. L’allocation des sommes à chacun des demandeurs se fera en fonction du nombre d’actions
détenues par chacun.
267. Cette méthode de détermination des dommages intérêts à allouer à chacun des demandeurs
montre que cette procédure de la class action ne peut être mise en œuvre que dès lors que les
préjudices sont identiques. Il n’y a pas de place dans ces procédures, pour les questions
individuelles, qui pourraient engendrer une adaptation des dommages intérêts à verser au
demandeur.
268. Schéma de transaction : exemple
par une cour de justice américaine, et ce quelle qu’elle soit, conformément aux règles de la Common Law » (« In Suits at
common law, where the value in controversy shall exceed twenty dollars, the right of trial by jury shall be preserved, and
no fact tried by a jury, shall be otherwise re-examined in any Court of the United States, than according to the rules of the
Common law »). Cette faculté est dévolue aux parties, dès lors que les demandes formulées portent sur une réparation
pécuniaire des préjudices. En revanche, dès lors qu’il s’agit de demander le prononcé d’une injonction, une annulation ou
une révocation ou toutes autres sanctions prononcées jadis dans les procès jugés en Equity, le choix se laissait à la
discrétion du juge, Bernard Dhuicq et Danièle Frison, L’anglais juridique, the English and American Legal Systems,
Pocket, 1993, p. 121.
395
Voir Schéma de transaction ci-dessous.
123
*Extrait d’une transaction 396 conclue entre plusieurs sociétés et une plaintiffs class dans une affaire faisant
37F
suite à la condamnation desdites entreprises pour entente sur les prix d’un produit dans l’industrie chimique.
The proposed Settlements
The X Settlement Agreement
Plaintiffs, on behalf of the Settlement Classes defined above, have entered into a proposed settlement agreement with the
X Defendants in this lawsuit. The following is a summary of the terms of the X Settlement Agreement itself.
Under the X Settlement Agreement, the X Defendants have paid $Y million into an account to be administered in
accordance with the provisions of the X Settlement Agreement. The X Defendants have the right to terminate the X
Settlement Agreement based on the occurrence of certain conditions set forth in the X Settlement Agreement and in a
separate letter agreement that will be filed in camera and under seal if so ordered by the Court.
The Settlement payments by the X Defendants will be the sole source of payment for the costs of notice and
administration of this settlement, the payment of attorneys ‘fees, and for satisfaction of the Settlement Classes members’
claims against the X Defendants
The proposed Plan of Distribution
If the proposed Settlements are finally approved, you will be entitled to share in the Settlement funds, provided that you
have returned a timely and valid Proof of claim form.
The portion of the Settlement funds that will be distributed to members of the Settlement Classes who submit a valid and
timely Proof of Claim form is that portion of the Settlement funds that remains after deduction of notice and
administration costs, including the fees and costs of the Claims Administrator that have already been or may hereafter
be approved by the Court and any attorneys’ fees and expenses the court may hereafter award to Plaintiffs’ Counsel (the
“Net Settlement Funds”).
The proposed Plan of distribution provides that the Net Settlement Funds will be distributed to each eligible member of
the Settlement Classes who submits a valid and timely Proof of Claims form based on his, her or its total “recognized
Claim”.
396
Le règlement du litige est, la plupart du temps, obtenu par le biais d’une transaction (90 -95% des cas). Dans les 5-10%
des cas restant, l’affaire sera portée devant un jury. En cas de transaction, une nouvelle publicité devra avoir lieu pour
permettre aux membres de la class de s’exprimer sur le montant négocié des indemnités et leur donner la possibilité de
s’exclure de la transaction, voir pour les statistiques, Dr Christopher Hodges, Empirical research on Class Actions in USA,
dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre
for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007.
124
The Recognized Claim for purchases Product Z during the period January 1, WWWW through December, 31, SSSS,
shall be equal to the total dollar amount of a Settlement Class Member’s purchases of Product Z in the United States
directly from any of the Defendants named in the Action, or any present or former parent, subsidiary or affiliate thereof.
The recognized Claim for purchases of Product Z during the period from January 1, XXXX through December, 31,
VVVV, shall be 10% of the total dollar amount of a Settlement Class member’s purchase of Product Z in the United
States directly from any of the Defendants named in the Action, or any present or former parent, subsidiary or affiliate
thereof. For example, if a Settlement Class Member purchased $100 of Product Z directly from Defendants during the
period January 1, WWWW through December, 31, SSSS, and $100of Product Z directly from Defendants during the
period from January 1, XXXX through December, 31, VVVV, its total Recognized Claim would be $110.
The proposed Plan of Distribution is based on an evaluation and analysis of the evidence by class Counsel.
269. Les dommages et intérêts punitifs. Troisièmement, en fonction de la gravité de l’infraction, le
juge ou les jurés peuvent décider d’augmenter le montant de l’amende, non pour réparer le préjudice
subi par les victimes, mais afin de sanctionner le comportement à l’origine du dommage. Il s’agit de
« dommages intérêts punitifs » (Punitive damages)397. Le montant de ces dommages intérêts sera
fonction de l’effet dissuasif recherché et de la gravité de l’infraction commise. Cette somme est
généralement supérieure aux dommages intérêts alloués en réparation du préjudice. Dans certains
domaines du droit, comme en droit de la concurrence, le prononcé de dommages intérêts punitifs est
rendu obligatoire par le législateur 398. Ainsi si le dommage subi par les demandeurs résulte d’une
375F
infraction au droit américain de la concurrence, le juge devra prononcer en plus des dommages et
intérêts, des dommages et intérêts punitifs, dont le montant sera de deux fois la somme consentie au
titre des autres dommages intérêts alloués pour la réparation du préjudice (Treble damages). Le juge
n’a alors aucune marge de manœuvre, ni sur le prononcé des dommages intérêts punitifs, ni sur le
montant de ces derniers 399. Cette règle n’est pas propre à la procédure de class action. Elle concerne
376F
tous les recours portés devant les juridictions civiles.
397
Les dommages et intérêts punitifs (punitive damages) sont des « dommages et intérêts octroyés en plus des dommages et
intérêts compensatoires lorsque le défendeur a agi avec insouciance, malice ou tromperie; Spéc. Dommages et intérêts
octroyés en vue de sanctionner l’auteur d’une mauvaise conduite ou de faire un exemple pour les autres. Les dommages et
intérêts punitifs qui ont pour objet de punir et de dissuader les conduites blamables ne sont généralement pas octroyés en
cas de violation des termes d’un contrat. La Cour Suprême a considéré que trois règles pouvaient aider à déterminer si
l’allocation de dommages et intérêts punitifs violaient les règles constitutionnelles du Due process: (1) le caractère
répréhensible de la conduite punie; (2) le caractère raisonnable du lien entre le préjudice causé et le montant des
dommages et intérêts punitifs; et (3) la différence entre le montant de ces dommages et intérêts punitifs et les sanctions
civiles autorisée dans un cas comparable, BMW of North America, Inc. v. Gore, 517 U.S 559, 116 S. Ct 1589 (1996) […] »,
Black Law Dictionnary, Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, West Publishing Company, 9ème éd., 2009, p. 448; Voir aussi
C. Jauffret-Spinosi, Les dommages et intérêts punitifs dans les systèmes de droit étrangers, LPA, 20 nov. 2002, n° 232, p.
8; Robert Saint-Esteben, Pour ou contre les dommages et intérêts punitifs, LPA, 20 janv. 2005, n° 14, p. 53.
398
Clayton Act 1914; 15 U.S.C. §. 12-27; 29 U.S.C. § 52; 29 U.S.C., §. 53.
399
J. Nannes, Le private enforcement: l’expérience américaine, Concurrence & consommation n° 153, juin 2007, Numéro
spécial, p. 28.
125
270. Cette dérogation au principe indemnitaire en matière civile américaine, que constituent les
dommages et intérêts punitifs, s’explique par la conception de la justice civile par rapport à la justice
pénale aux Etats-Unis avec des liens entre les deux qui apparaissent plus étroits, que les liens
entretenus entre justice civile et justice pénale en France notamment 400. Ainsi, les juridictions civiles
37F
américaines vont pouvoir jouer un rôle répressif, bien qu’il ne s’agisse pas de leur fonction
historique et bien que l’action ait été mise en œuvre par le justiciable et non par les pouvoirs publics.
Cette conception particulière de la justice civile explique alors que la détermination du montant des
dommages intérêts à allouer aux demandeurs puisse être possible même en l’absence d’identification
individuelle des demandeurs à la procédure.
271. Somme de tous les montants. L’addition de ces deux montants, à savoir les dommages intérêts
alloués au titre de la réparation et les dommages intérêts punitifs constitue alors la somme à payer
par la défenderesse. Les frais de justice et les frais d’avocats vont être versés en priorité 401 et la
378F
somme restante sera partagée entre les victimes en fonction du plan de distribution déterminé à
l’avance. Dans le cas des transactions notamment, les défendeurs peuvent s’engager à payer le
montant des préjudices subis par les demandeurs en fonction des principes directeurs décrits cidessus, en fixant simplement un plafond d’indemnisation global402.
ii) Un retour à l’opt in au stade de l’indemnisation
272. Une fois déterminée la somme globale à payer par les défendeurs reconnus responsables, elle sera
consignée 403. Le plus souvent, aux Etats-Unis, un fond (Common found) est crée, à titre temporaire,
380F
pour déterminer les détails de l’indemnisation404. La notice de la transaction ou du jugement fera
3
l’objet d’une publication informant les demandeurs potentiels du résultat de la procédure et du délai
dans lequel les victimes devront se faire connaître. C’est alors que les demandeurs, membres de la
400
L’action civile peut être portée devant les juridictions pénales en France, voir F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit
Civil, Les obligations, Précis Dalloz, 10ème éd., 2009.
401
N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature,
RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 41, dans The Globalization of class actions,
Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre for socio-legal studies, Oxford
University, 13 & 14 déc. 2007.
402
Ibid.
403
La consignation est « le dépôt d’espèces, de valeurs ou d’objets entre les mains d’une tierce personne à charge pour elle
de les remettre à qui de droit. Ainsi du plaideur qui dépose au greffe de la juridiction la somme nécessaire à la couverture
des frais ou des vacations de l’expert », Lexique des termes juridiques 2012, Guinchard (S.) et Debard (T.), Dalloz, 19ème
éd., 2011, p. 220.
404
N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature,
RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, dans The Globalization of class actions, Conférence
internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14
déc. 2007.
126
class vont se manifester et ainsi pouvoir être identifiés individuellement. Il appartiendra alors à
chacun de fournir les éléments de preuve documentaires permettant de justifier des achats effectués
et la réclamation formulée. Au terme du délai déterminé dans la notice d’information, un bilan des
personnes qui se sont manifestées et des sommes à allouer est effectué. Si une somme globale a été
fixée en amont et un principe de la distribution complète a été adopté, l’indemnisation individuelle
sera ajustée. Dans le cas contraire, si une partie du montant consigné n’a pas été réclamée, le
défendeur peut récupérer la somme restante 405. Dans le cadre, d’une transaction, il peut être décidé
382F
d’un partage de la somme restante entre le défendeur et les demandeurs.
273. Un retour au système d’opt in après le jugement au fond. Ainsi, finalement après le jugement au
fond, une dernière phase existe dans la procédure de class action. Cette ultime phase est consacrée à
la vérification des preuves documentaires, qui vont être nécessaires pour le paiement des sommes
allouées aux demandeurs. L’identification des personnes représentées à la class intervient de
manière individualisée à ce stade de la procédure seulement. En effet, les personnes doivent se
manifester explicitement auprès du tiers en charge de la répartition de l’indemnisation, pour
bénéficier du jugement, dont les modalités ont fait l’objet de la publication.
274. Une initiative similaire, originale en Europe. Une initiative originale d’une société en Europe sur
la base de ce système globalisé de détermination des dommages intérêts a été adoptée. Ce système
de globalisation de l’indemnisation a, en effet, été appliqué en Europe récemment, en matière de
concurrence, dans l’affaire des tuyaux marins 406, par la société Parker ITR, partie à l’entente et
38F
condamnée, à ce titre, par les autorités européennes de la concurrence 407. Elle a créé, en dehors de
384F
toute procédure judiciaire, un fond d’indemnisation au profit de ses clients pour les achats effectués
en dehors des Etats-Unis 408.
385F
275. La transaction proposée, dont a eu la charge le cabinet d’avocats londonien Hausfeld LLP
prévoyait qu’en contrepartie de l’abandon des poursuites contre Parker ITR, ses filiales, et son
personnel, les acheteurs avaient vocation à recevoir:
405
Ibid, p. 41.
Voir Supra §. 100.
407
Décision du 28 janv. 2009, relative à une mesure d'application de l'article 81 du traité et de l'article 53 de l'accord EEE,
aff. COMP/39406, Tuyaux marins, non publiée au JOUE.
408
Voir site Internet du Cabinet Hausfeld LLP : http://www.hausfeldllp.com/pages/current_investigations/167/marine-hose; De nombreuses firmes d’avocats américaines ont vu avec les différentes propositions de la Commission européenne une
opportunité de développer leur activité en matière de recours collectifs en Europe, voir A. Garamfalvi, US Firm prepare for
European Class action, Legal Times, June 25, 2007.
406
127
–
une indemnité limitée en moyenne, à 16% du montant de leurs achats pour une période
déterminée après vérification des preuves documentaires relatives à la réalité de ces achats par
un expert indépendant ;
–
la coopération de Parker ITR dans le cadre de leurs actions judiciaires à l’encontre des autres
entreprises ayant participé au cartel.
A ce titre, elle offrait de leur fournir (i) des éléments de preuve (témoignages, documents…) qui
pourraient leur être nécessaires et (ii) de supporter le coût des frais qui seraient mis à leur charge en
cas d’échec de la procédure. L’estimation du préjudice dans ce cas est forfaitaire et le règlement est
confié à un expert indépendant qui opérera en fonction des pièces justificatives apportées par les
demandeurs. La transaction prend également en charge les recours éventuels formés par les
acheteurs à l’encontre des autres entreprises, partie à l’entente afin d’anticiper sur la question de la
responsabilité conjointe et solidaire des auteurs des pratiques sanctionnées 409.
386F
276. Contrairement au système américain, l’indemnisation proposée ne pouvait donner lieu à un
contrôle du juge. De plus, cette initiative européenne n’a pu intervenir qu’en dehors des prétoires, au
titre d’une transaction privée car dans l’ensemble des pays de l’Union, les juges sont tenus par le
principe de la réparation intégrale du préjudice et par son corollaire, le principe de l’enrichissement
sans cause 410. Ainsi, en aucun cas, sauf disposition législative expresse, un juge en Europe ne
387 F
pourrait procéder suivant cette méthode de détermination globale du préjudice, en l’état actuel du
droit positif.
Conclusion du paragraphe 1
277. L’action de groupe implique qu’a priori les personnes représentées à l’action ne sont pas au moins
pour partie identifiées à la procédure et donc que des modalités d’exercice de l’action doivent être
mises en œuvre pour permettre l’identification de ces personnes, modalités qui seront
nécessairement elles-aussi exorbitantes du droit commun.
278. A titre préliminaire, l’exemple américain montre que bien que non identifiées de manière
individuelle et complète dans le premier stade de la procédure, les personnes représentées sont tout
409
410
Ibid.
Voir Supra §. 356 et s.
128
de même identifiables à l’issue de la phase de certification de la class, qui apparait ainsi d’autant
plus indispensable au bon déroulement de la procédure d’action de groupe.
279. Ensuite, premièrement, l’autorisation de la procédure devra être suivie d’une publicité de la
procédure dont l’objet sera l’information des personnes représentées. Cette publicité de la procédure
conditionne alors son déroulement. Elle est indispensable à l’identification des personnes
représentées. Cependant, cette publicité devra être strictement encadrée et contrôlée par le juge pour
limiter les atteintes potentielles aux droits des défendeurs.
280. Deuxièmement, une fois informées de l’existence de l’action, les personnes représentées devront
se manifester afin de consentir à l’exercice de leur droit d’action dans le cadre de la procédure. Ceci
permettra, selon le système retenu, de les identifier individuellement. Il existe en effet deux systèmes
permettant leur identification. Le choix entre ces systèmes conditionnera le mode de détermination
de l’indemnisation des demandeurs. Le premier système dit « d’opt in » repose sur un consentement
explicite des parties potentielles à la procédure concernant la représentation en justice par un tiers. Il
aboutit à une identification de ces personnes avant le jugement au fond et permet une indemnisation
individuelle des personnes. Le second système dit « d’opt out » repose lui sur un consentement tacite
des parties à la représentation par un tiers à la procédure, dont l’identification individuelle
n’interviendra qu’au moment du paiement de l’indemnisation, soit après le jugement au fond. Dans
ce second système, la détermination du montant des dommages et intérêts ne pourra se faire que de
façon globalisée. Le système américain montre que le choix va ainsi être déterminé en fonction des
principes sous-jacents à l’action collective, c'est-à-dire en fonction des principes de la responsabilité
civile et du système judiciaire dans lequel elle s’inscrit, le but étant de parvenir à une solution qui
fonctionne. Il montre ainsi l’exemple d’une procédure cohérente, menée à son terme, permettant une
indemnisation des personnes représentées, aussi nombreuses soient elles, et ce, dans le respect des
principes fondamentaux du droit américain et de la conception de la justice civile de ce dernier.
281. De ces modalités originales d’exercice de l’action en justice, deux enseignements peuvent être
retenus. Le premier est que la procédure doit apparaître cohérente, au regard de la mise en œuvre de
ces modalités d’exercice de l’action, et notamment en prenant en compte les principes fondamentaux
du droit, dans lequel va s’inscrire la procédure. Le second enseignement est que ces formalités,
exorbitantes du droit commun, vont entraîner une conduite de la procédure plus complexe et
nécessitent plus de formalités que pour une action en justice ordinaire. Cela entrainera une
129
augmentation des coûts et des délais de procédure. Il faudra en tenir compte lorsque la question du
domaine d’application de la procédure se posera.
282. Transition. Les personnes représentées n’étant informées et identifiées que, dans le second temps
de la procédure, il est possible de s’interroger sur le rôle de ces dernières, dans cette procédure hors
norme. Il s’agit de déterminer comment et dans quelle mesure, dans le système de référence
américain, les interventions des personnes représentées vont être rendues possibles.
§2) L’intervention des personnes représentées à la procédure
283. L’acceptation de se faire représenter à la procédure d’action de groupe par un tiers signifie que les
personnes représentées ne peuvent plus intervenir à la procédure pour orienter la conduite de la class
de manière formelle. En effet, les membres du groupe ne sont pas considérés, au niveau procédural,
comme des parties à l’action et elles n’ont ainsi pas les droits afférents à ce statut, hormis celui de se
prévaloir du jugement final. Le fait de s’inclure dans la class induit que les personnes acceptent que
la conduite de la procédure soit assumée par le Demandeur représentatif et le Class Counsel.
284. Cependant, la procédure américaine de la class action aménage des phases dans lesquelles les
membres du groupe vont pourvoir s’identifier individuellement et intervenir volontairement à la
procédure. Cette possibilité leur est donnée en amont de la procédure tout d’abord puis en cours de
procédure avant le jugement au fond (A). De plus, en cas de transaction proposée, les personnes
représentées vont devoir intervenir pour l’acceptation de cet accord et, ce du fait de la nature
conventionnelle de la solution alors adoptée (B).
A) L’intervention des membres du groupe en tant que partie à la procédure
285. Une intervention possible à l’action dans la bataille des postulants. Il apparait en premier lieu
que les personnes représentées à la procédure vont pouvoir demander à comparaître personnellement
devant le juge, en amont de la procédure, soit en candidatant au rôle de Demandeur Représentatif
(Representative plaintiff), soit en contestant la candidature d’un autre demandeur souhaitant assumer
ce rôle 411.
38 F
411
Voir Supra §. 164.
130
286. Une intervention volontaire possible des membres du groupe en amont du jugement. En second
lieu, dans le cadre de la publicité de la procédure, il est précisé dans la notice publiée par le juge de
la certification que « les demandeurs, qui ne demandent pas l’exclusion du groupe, pourront, s’ils le
désirent, comparaître en justice à travers la représentation de leur avocat »412. Ainsi, dès lors
3 89F
qu’une personne prend connaissance de l’existence de la procédure et décide d’exercer son droit à
l’action au sein de la procédure de class action, elle peut décider d’apparaître à la procédure, soit en
signant une convention de représentation avec le Class Counsel, soit en s’arrogeant les services d’un
autre avocat, qui entrera en contact avec le Class Counsel pour être tenu informé des avancements
de la procédure. Mais le rôle de ces personnes dans la conduite de la procédure sera limité. Elles
pourront par exemple, être citées comme témoin par la partie adverse comme par le Class
Counsel 413. La procédure américaine de la class action prévoit une obligation d’information pour ce
390F
dernier envers les parties représentées limitée à leur droit à intervenir volontairement à l’instance 414.
391F
Le législateur américain vise ainsi la cohérence dans la conduite de la procédure.
287. Ainsi, le consentement donné par les parties représentées lors de la phase d’identification (système
d’opt out), s’entend du droit à agir, ainsi que de l’exercice discrétionnaire de ce droit, la limite étant
que le représentant est tenu de représenter au mieux les intérêts des membres du groupe sous peine
de voir contester son action au bénéfice d’un autre représentant. Il est toujours possible, dans la
relation représentant/représentés, pour le représenté, de fournir, de manière informelle, des éléments
au soutien des prétentions du groupe et de demander l’audition de certaines personnes, à titre de
témoins, via son propre avocat. En revanche, dans le cadre d’un règlement à l’amiable du litige, les
personnes, membres potentiels de la class retrouvent le droit d’intervenir à l’instance.
B) L’intervention des membres du groupe en cas de transaction
288. Un possible règlement du litige à l’amiable. En vertu de la Règle 23(e) FRCP, à tout moment de
l’instance, les parties peuvent conclure un arrangement à l’amiable. Un projet de transaction peut
être rédigé par l’avocat du Demandeur Représentatif, en concertation avec l’avocat des défendeurs
dès lors qu’un accord est trouvé entre les différentes parties. En pratique, un projet de transaction
circule entre les différentes parties (et plus précisément entre les différents avocats) jusqu’à ce que
chacun soit d’accord sur la rédaction de la transaction. Ensuite, cette transaction, destinée à être
412
Voir Rule 23 (c)(2) FRCP.
Voir D. R. Hensler, N.-M. Pace, B. Dombey-Moore, E. Giddens, J. Gross, E. Moller, Class actions dilemmas, Pursuing
public goals for private gain, RAND Institute for Civil Justice, Rand Publishing, 1ère éd., 2000.
414
Voir Rule 23 (f) FRCP.
413
131
opposée à tous les membres de la class, sera soumise au contrôle et à l’approbation du juge, qui
devra vérifier si la proposition de transaction est « juste, raisonnable et adéquate » 415 pour les
3 92F
membres du groupe. Le juge organise alors une audition (Fairness Hearing) au cours de laquelle les
personnes représentées, informées préalablement par voie de publicité, pourront faire valoir leur
opinion sur les propositions formulées416. Une décision d’homologation ou de rejet sera rendue au
terme du processus 417.
39F
289. La publicité de la transaction. Dès lors que la transaction est envisagée après la certification de
la class, la publicité des propositions formulées doit être organisée. La notice publiée va alors
comprendre plusieurs informations relatives au projet de transaction. L’objet du litige y est
présenté418. Un avertissement est donné aux lecteurs sur la nécessité de prêter attention à ce
3
document car il comprend les droits à dommages et intérêts de chacun et les modalités à suivre afin
d’obtenir sa part de dommages et intérêts. Par exemple, sont précisées les conditions d’envoi des
justificatifs nécessaires à la détermination du bien fondé de la demande à réparation, en ce y compris
le délai fixé pour se manifester en ce sens. Plusieurs transactions peuvent être conclues dès lors qu’il
existe une pluralité de défendeurs. La notice comprend alors un descriptif sommaire du contenu des
différentes transactions avec le montant global que chacun des défendeurs a accepté de payer
individuellement et le type de frais que recouvre cette somme d’argent. L’adresse du greffe de la
juridiction compétente apparait également afin de pouvoir consulter l’intégralité des accords
conclus. Dans le projet de transaction figure également la clef de répartition des dommages et
415
Rule 23(e)(2) FRCP.
Il resort de l’étude de MM. Th. Eisenberg, et G. P. Miller que le nombre d’objections soulevées est souvent faible, Th.
Eisenberg, G. P. Miller, The Role of Opt-Outs and Objectors in Class Action Litigation: Theoretical and Empirical Issues,
Law & Economics Research Paper Series, New York University, March 23, 2004.
417
Voir pour les modalités d’homologation des transactions par le juge, N. M. Pace, Class actions in the United States of
America: an overview of the process and the empirical literature, RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica,
California, U.S.A, p. 41, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford
Law School et le Centre for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007.
418
Un descriptif approfondi du litige:
1. Rappel des défendeurs,
2. Rappel des préjudices allégués,
3. Rappel des éléments de procédure accomplis,
4. Rappel du fait que les défendeurs ne reconnaissent pas leur responsabilité,
5. Mention que le choix de la transaction est fait pour éviter des dépenses, inconvénients supplémentaires et une procédure
longue (to avoid further expense, inconvenience, and the distraction of burdensome and protracted litigation),
6. Mention selon laquelle si la transaction est acceptée par la cour elle mettra fin au litige, et
7. Mention que les plaignants et leur avocat considèrent que l’accord a été rédigé dans le meilleur intérêt des membres de la
class et qu’il est « fair, reasonable and adequate » et que la décision de transiger a été prise après avoir pris en compte
les chances de succès au cas où l’affaire devrait être portée devant un jury.
416
132
intérêts entre les membres de la class. Les honoraires d’avocats et les frais sont traités par un acte
particulier appelé « Fee petition » lui-même soumis à l’approbation du juge 419.
395 F
290. La possibilité d’exclusion de la transaction des membres du groupe. La notice donne ensuite une
explication relative aux choix qui s’offrent aux membres de la Class et de leurs conséquences 420.
396F
Ces choix sont les suivants :
 Possibilité de rester dans la class et de bénéficier de la transaction. Dans ce cas, il sera
nécessaire pour le membre du groupe de faire parvenir ses justificatifs suivant les
modalités prévues dans un formulaire, appelé le « Proof of Claim Form » avant la date
prévue.
 Possibilité de rester dans la class et de bénéficier de la transaction, mais par
l’intermédiaire de son propre avocat. Dans ce cas, le demandeur devra faire parvenir
au greffe de la juridiction et aux différents avocats des autres demandeurs et des
défendeurs un document précisant qu’il souhaite apparaître à la procédure (Entry of
Appearance). Cette notification doit se faire, avant l’expiration du délai imparti, et lui
permettra alors de faire entendre son opinion au cours de l’audition, préalable à
l’homologation de l’accord.
 Possibilité de s’exclure de la class ayant choisi de recourir à la transaction. Le
demandeur devra envoyer une demande d’exclusion au greffe de la juridiction en
précisant son nom et son adresse et en identifiant, de manière précise, la class, de
laquelle il souhaite s’exclure. Cet envoi doit se faire dans un délai donné de 20 jours
avant l’audition (Fairness Hearing). Toute personne qui s’exclut ne pourra pas réclamer
le bénéfice de la transaction. Cependant, rien ne l’empêche d’entamer une nouvelle
action contre les défendeurs à titre individuel.
419
Rule 23(h) FRCP: “In a certified class action, the court may award reasonable attorney's fees and nontaxable costs that
are authorized by law or by the parties' agreement. The following procedures apply:
(1) A claim for an award must be made by motion under Rule 54(d)(2), subject to the provisions of this subdivision (h),
at a time the court sets. Notice of the motion must be served on all parties and, for motions by class counsel, directed to
class members in a reasonable manner.
(2) A class member, or a party from whom payment is sought, may object to the motion.
(3) The court may hold a hearing and must find the facts and state its legal conclusions under Rule 52(a).
(4) The court may refer issues related to the amount of the award to a special master or a magistrate judge, as
provided in Rule 54(d)(2)(D)”.
420
Voir Rule 23(e) FRCP.
133
 Possibilité de contester la transaction, mais simplement le plan de distribution et la
Fees Petition. Dans ce cas, le demandeur devra envoyer ses objections au greffe de la
juridiction dans les vingt jours, précédant la Fairness Hearing et une copie aux avocats
du Demandeur Représentatif et des défendeurs 421.
397F
291. L’audition (Fairness Hearing). Le processus d’homologation de la transaction par le juge inclut
une procédure orale, dont l’objet est l’examen de la validité de la proposition de transaction, qui doit
apparaître comme « juste, adéquate et raisonnable », du plan de distribution et du Fees Petition. Les
objectifs de cette audience comme la date à laquelle elle se tiendra sont précisés dans la notice
publiée. Au cours de cette audition, les membres de la class vont pouvoir intervenir oralement et
faire valoir leur point de vue et leurs objections éventuelles devant le juge 422. Pour cela, ils doivent
envoyer une lettre au greffe exprimant leur volonté d’apparaître à la procédure et d’être entendu
(Notice of Intention to Appear) et une copie de cette lettre aux avocats des demandeurs et des
défendeurs.
292. Les effets des transactions. Au terme du processus, si l’accord est approuvé, il est consommé.
Les membres de la class seront alors forclos dans leurs droits. En revanche, si l’accord n’est pas
approuvé par le juge, le litige se poursuivra.
293. Ainsi, les membres potentiels de la class peuvent intervenir dans le processus de transaction du
litige. Ils peuvent, tout d’abord, s’exclure de la procédure et ainsi refuser de se voir opposer la
transaction, conservant alors le droit d’aller porter leur action en justice de manière individuelle.
Ensuite, dès lors qu’ils souhaitent conserver leur statut de membres de la class, ils peuvent contester
les termes de la transaction concernant le caractère « juste, adéquat et raisonnable » du projet de
transaction, la détermination du plan de distribution et des honoraires d’avocats, lors de l’audience
d’homologation devant le juge. L’intervention des représentés, dans ce cas, plus importante que dans
le cadre d’un règlement judiciaire du litige, s’explique par la nature même de la transaction,
nécessitant la rencontre des volontés de chacun des participants afin de parvenir à une solution à
l’amiable, dans lequel le rôle des juridictions est moindre.
421
Les coordonnées des avocats sont mentionnées à la fin de la notice.
Pour une étude comparative entre les objections soulevées en cas de proposition de transaction et l’exercice des voix
dans un contexte politique, voir J. C. Coffee, Jr., Class Action Accountability: Reconciling Exit, Voice, and Loyalty in
Representative Litigation, 100 Colum. L. Rev. 370, 420 (2000).
422
134
Conclusion de la Section 1
294. Dès lors qu’il est permis à une personne d’ester en justice pour autrui, il faut alors prendre en
compte le statut des personnes représentées et concilier leurs intérêts avec celui du Demandeur
Représentatif. L’étude du modèle américain montre alors qu’il existe deux postulats, sous jacents à
la question du statut des représentés, dans l’action collective. D’une part, les personnes représentées
ne vont être que simplement identifiables, à l’introduction de l’action, et ainsi devoir être identifiées
au cours de l’instance. D’autre part, elles vont potentiellement pouvoir ou devoir intervenir à la
procédure. Ces caractéristiques propres à l’action collective vont avoir des conséquences
procédurales importantes, certaines étapes de la procédure apparaissant indispensables au bon
fonctionnement de cette dernière.
295. En premier lieu, il est indispensable d’obtenir le consentement des personnes représentées à
l’action à un moment ou à un autre de la procédure. Pour cela, il faut les informer de l’existence de
la procédure et de leurs droits dans le cadre de cette action. Ainsi, une publicité de la décision de la
certification de la class, dont le contenu et la diffusion devront être soumis au contrôle du juge,
devra être mise en œuvre. Le consentement à la procédure sera lui explicite ou implicite suivant le
modèle choisi d’inclusion ou d’exclusion du groupe de personnes représentées.
296. En second lieu, bien que le fait d’accepter d’être représenté par un tiers signifie renoncer à
l’exercice de ses droits sur la conduite de la procédure au cours de l’instance, dans certaines
circonstances, comme lors d’une transaction, les membres du groupe vont être amenés à intervenir à
la procédure. En conséquence, la procédure de l’action collective devra être aménagée pour
permettre ces interventions. Au regard de ces différents éléments, il apparaît que l’action collective
est une procédure judiciaire nécessairement plus complexe à mettre en œuvre que la procédure
individuelle de droit commun.
297. Ces constatations expliquent d’autant plus le contrôle rigoureux du juge sur les conditions de
certification, portant notamment sur l’aptitude du représentant à conduire la procédure et sur la
garantie qu’il sera le plus à même de servir au mieux les intérêts de la class. Ces conditions de
certification apparaissent ainsi comme essentielles à l’équilibre de la procédure et à la justification
de son recours dans des conditions justifiant d’une dérogation au droit commun. Cependant, ces
modalités de mises en œuvre de la procédure de class action en droit américain peuvent venir se
135
heurter à certains principes considérés comme fondamentaux dans les pays européens de droit
romano-germanique. Ainsi il faudra pour les législateurs européens choisir les contraintes les moins
importantes dès lors qu’ils auront la volonté politique d’adopter de telles procédures.
SECTION II : DANS LES PAYS EUROPEENS DE DROIT DE
TRADITION ROMANO-GERMANIQUE
298. Le fait que les parties à la procédure d’action collective ne soient qu’identifiables à l’introduction
de l’instance est contraire à l’obligation de loyauté, qui gouverne l’exercice de l’action en justice
dans les pays de droit de tradition romano-germanique et en particulier en France, et qui conditionne
les principes fondamentaux applicables. Ainsi dès lors que l’on envisage cette procédure en tant que
procédure dérogatoire au droit commun, il faut s’interroger sur la compatibilité de ces principes avec
respectivement le système d’opt in et le système d’opt out, qui permettent d’identifier les personnes
représentées et de recueillir leur consentement. Ainsi, il pourra être déterminé laquelle de ces
modalités porte le moins atteinte aux principes sous-jacents à l’action en justice (§1).
299. De même, comme l’a démontré le modèle américain, le fait que les personnes représentées ne
soient qu’identifiables peut avoir des répercussions sur la méthode de détermination du montant du
préjudice subi par ces dernières. Cependant, dans les pays européens de droit de tradition romanogermanique, les principes gouvernant la responsabilité civile sont celui de la réparation intégrale des
préjudices et celui de l’interdiction de l’enrichissement sans cause. Les modalités de mise en œuvre
de l’action devront être déterminées en fonction du respect de ses deux principes (§2).
§1) La préservation des principes fondamentaux gouvernant l’action civile
300. L’obligation de loyauté 423 dans l’exercice de l’action en justice – action individuelle – se retrouve
398F
en droit français avec notamment la maxime Nul ne plaide par procureur 424. Datant de l’époque
39F
révolutionnaire, cette maxime désignait alors une obligation de présence des parties lors du procès.
Le principe de la représentation en justice, à travers l’institution de l’avocat est désormais établi et la
423
On retrouve en droit allemand l’idée de loyauté qui se matérialise à travers la transparence de la procédure. En effet, le
Code de procédure civile en droit allemand prévoit que les actes de procédure doivent contenir des renseignements sur les
parties comme sur leur représentant (ZPO §. 129 et s. (dispositions communes à toutes les juridictions) et ZPO §. 253, al. 2
pour les tribunaux régionaux).
424
La Maxime est officiellement « Nul ne plaide par procureur, hormis le roi », Etablissements de Saint Louis, Livre II,
chapitre VIII (recueil d'ordonnances et règlements publiés par Louis IX en 1269); « La maxime s’est maintenue avec un
sens nouveau; elle a interdit la pratique employée par certains seigneurs et consistant à plaider sous un prête-nom; elle a
déclaré impossible pour le dominus litis de faire disparaître sa personnalité derrière celle de son mandataire. Tel est
actuellement la portée de cette règle », J. Vincent et S. Guinchard, Procédure civile, Précis Dalloz, 27ème éd., Broché.
136
maxime signifie aujourd’hui que les justiciables ne peuvent pas être représentés en justice par un
mandataire, qui occulterait la véritable partie à l’instance, ce qui se traduit in concreto par une
obligation d’être nominativement identifié dans les actes de procédure 425. Cette maxime apparaît
40F
manifestement comme un obstacle à la recevabilité d’une action en groupe dans laquelle, les
demandeurs représentés ne sont pas identifiés nominativement à l’introduction de l’action.
Cependant, aujourd’hui, cette maxime est considérée comme une condition de recevabilité de pure
forme 426. Il faut également tenir compte du contexte d’adoption de ce principe. En effet, à cette
401F
époque, il s’agissait pour les pouvoirs publics de prévenir leur crainte de voir se constituer des corps
intermédiaires, tels que les syndicats ou les associations. Mais cette crainte n’a plus lieu d’être
aujourd’hui. Par ailleurs, dans ce principe, est exprimée la volonté de protéger les justiciables et les
droits de la défense. Cependant, dans le cadre de l’action de groupe, telle que décrite dans le chapitre
précédent, les modalités de l’action, en particulier dans le système d’opt in, sont pensées pour
permettre une identification des parties représentées, en vue de garantir, d’une part, les droits de la
défense, et d’autre part, les intérêts des personnes représentées. L’application de ce principe pourrait
être écarté, à titre dérogatoire, pour les actions de groupe et ce, au nom de la bonne administration de
la justice, objectif auquel entend répondre l’action de groupe 427. M. Le président de la Cour de
402F
Cassation, G. Canivet, s’est interrogé en ce sens dans un colloque sur le thème « Pour de véritables
actions de groupe : un accès efficace et démocratique à la justice », organisé par l’association UFCQue Choisir, le 10 novembre 428. Par ailleurs, certains auteurs ont d’ores et déjà pris position en
403F
faveur de la suppression de ce principe pour les actions de groupe 429. La maxime du Nul ne plaide
40F
par procureur ne semble pas être un obstacle majeur à l’introduction d’action collective en Europe.
301. En revanche, d’autres principes régissant l’exercice de l’action en justice, et consacrés par les plus
hautes juridictions françaises posent plus de difficultés. Il en est ainsi de la liberté individuelle d’agir
en justice qui pose alors la question du consentement à l’action et de la compatibilité de ce principe
425
S. Cabrillac, Pour l’introduction de la class action en droit français, LPA, 18 août 2006, n° 165, p. 4; H. Roland et L.
Boyer, Locutions latines du droit français, Litec, 4ème éd., 1998, p. 551; L. Martinet et A. Du Chastel, Du retour de l’action
de groupe et du Mythe du Sisyphe, LPA, 10 mars 2009, n° 49.
426
F. Caballero, De l’archaïsme procédural à l’action de groupe, RTD civ. 1985, p. 252; MM. Henri Laurent et Laurent
Boyer ont considéré que le principe du Nul ne plaide par procureur était une « maxime de pure procédure », H. Roland et
L. Boyer, Locutions latines du droit français, op. cit., note 7, p. 554.
427
Voir Supra. §. 64.
428
Des obstacles juridiques à l’action de groupe, Discours prononcé par le Premier président de la Cour de Cassation, G.
Canivet, au colloque organisé le 10 nov. 2005, par l’association UFC-Que choisir, sur le thème « Pour de véritables actions
de groupe : un accès efficace et démocratique à la justice ».
429
S. Cabrillac, Pour l’introduction de la class action en droit français, LPA, 18 août 2006, n° 165, p. 4; D. Houtcieff, Les
class actions devant le juge français: rêve ou cauchemar?, LPA, 2005, n° 115, p. 22; F. Caballero, Plaidons par
procureur! De l’archaïsme procédural à l’action de groupe, op. cit., p. 247.
137
fondamental avec le système d’opt out (A). De même, les principes directeurs de l’action en justice,
tel que le respect des droits de la défense, l’autorité de la chose jugée ou encore l’interdiction des
arrêts de règlement sont autant de principes à examiner au regard du système d’opt out et du système
d’opt in pour s’assurer que les modalités d’exercice de l’action sont compatibles avec ces principes
(B).
A) Le consentement des personnes représentées à l’exercice de l’action en justice
302. La liberté fondamentale d’agir en justice apparaît comme une des composantes de la liberté
individuelle, consacrée, à ce titre, au plus haut niveau de la hiérarchie des normes. Ainsi l’article 6§1
de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales
(CESDH) la consacre au niveau européen au travers le droit à un procès équitable. De même, les
plus hautes juridictions des Etats membre de l’Union européenne, comme le Conseil Constitutionnel
et la Cour de cassation en France et la Cour fédérale allemande, ont reconnu le caractère
fondamental de cette liberté. En Allemagne par exemple, la Loi fondamentale consacre comme
principe constitutionnel « le droit de tout citoyen à être entendu et à participer à la procédure
judiciaire »
430
405F
. La liberté d’agir en justice induit alors que l’exercice de ce droit par un tiers
nécessite de recueillir le consentement de la personne, détenteur du droit.
303. La forme la plus aboutie de consentement à l’exercice du droit par autrui est le mandat 431,
406F
résultante d’un consentement réciproque des parties, par lequel le mandataire va accomplir un ou
plusieurs actes juridiques au nom et pour le compte du mandant. Cependant, dans le cadre de
l’action de groupe, la production formalisée de mandats par les personnes représentées à
l’introduction de l’instance est écartée, le Demandeur Représentatif agissant en dehors de toute
délégation de pouvoir. Le consentement des parties est alors exigé en aval de la procédure. Dans un
système d’opt out, l’identification individuelle des personnes représentées et le recueil explicite de
leur consentement sont prévus à l’issue de la procédure, au moment de l’indemnisation, ce qui a
conduit certaines autorités en Europe, dont le Conseil de la concurrence français à s’y opposer (1).
430
La liberté pour tout justiciable d’agir en justice occupe également une place importante dans le système allemand, qui
consacre, dans sa Loi fondamentale, « le droit de tout citoyen à être entendu et à participer à la procédure judiciaire » (Loi
fondamentale pour la République fédérale d'Allemagne du 23 mai 1949, Journal officiel fédéral, p. 1, BGBl. III 100-1, art.
103). Ce principe constitue en Allemagne également un point de blocage à la reconnaissance de l’action de groupe en droit
positif, D. Baetge, Class Actions, Group Litigation & Other Forms of Collective Litigation: Germany, dans The
Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre for sociolegal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007.
431
Voir définition dans le Lexique des termes juridiques 2012, Guinchard (S.) et Debard (T.), Dalloz, 19ème éd., 2011, p.
340.
138
En revanche, dans le cadre du système d’opt in, l’identification des personnes représentées à la
procédure et le recueil de leur consentement sont opérés avant le jugement au fond, ce qui apparaît
comme compatible avec les exigences constitutionnelles en la matière (2).
1) Le système d’opt out face à la liberté d’agir en justice des personnes représentées :
l’exemple français
304. Dans le cadre du système d’opt out, seules les personnes qui ne souhaitent pas bénéficier du
jugement final ou de la transaction éventuelle du litige doivent se manifester dans un délai donné.
Toutes les personnes qui ne se manifestent pas, sont réputées avoir consenties à l’exercice de
l’action par autrui pour leur compte, renonçant ainsi au droit d’aller porter leur action en justice
devant les juges de première instance. Dans ce cas, le consentement des personnes représentées est
seulement présumé, les législateurs partant du postulat que la publicité de la procédure a permis de
prévoir et d’informer suffisamment l’ensemble des personnes susceptibles d’appartenir au groupe de
demandeurs représentés. Cependant, le Conseil constitutionnel français a jugé cette modalité de
recueil des consentements non conforme avec la Constitution française, en ce qu’il porte atteinte à la
liberté individuelle des justiciables. Dans une décision de 1989432, il a en effet censuré un projet de
4
loi portant sur les modalités de mise en œuvre de l’action en substitution des syndicats.
305. La décision du Conseil de 1989: le déferrement de la loi relative à l’action en substitution des
syndicats. En date du 3 juillet 1989, plusieurs sénateurs ont saisis le Conseil constitutionnel
concernant la compatibilité d’un projet de loi modifiant le Code du travail et relative à la prévention
du licenciement économique et au droit de la conversion à la constitution. Ce projet de loi prévoyait
notamment, en son article 29, l’ajout au Code du travail d’une disposition relative au droit d’ester en
justice des associations syndicales ainsi formulée : «les organisations syndicales représentatives
peuvent exercer en justice toutes actions qui naissent des dispositions légales, réglementaires ou
conventionnelles régissant le licenciement pour motif économique et la rupture du contrat de travail
visée au troisième alinéa de l'article L. 321-6 du présent code en faveur d'un salarié, sans avoir à
justifier d'un mandat de l'intéressé. Celui-ci doit avoir été averti par lettre recommandée avec
accusé de réception et ne s'y être pas opposé dans un délai de quinze jours à compter de la date à
laquelle l'organisation syndicale lui a notifié son intention. A l'issue de ce délai, l'organisation
432
Décision n°89-257 DC, du 25 juil. 1989, sur la Loi modifiant le code du travail et relative à la prévention du
licenciement économique et au droit à la conversion, JO du 28 juil. 1989, p. 9503, Recueil, p. 59, comm. Pouvoirs,
Actualité juridique droit administratif, 1989, p. 796, obs. Rohmer-Benoit (Fl.); Annuaire international de justice
constitutionnelle, 1989, p. 488, 503 et 504, obs. Genevois (B.).
139
syndicale avertit l'employeur par lettre recommandée avec accusé de réception de son intention
d'ester en justice. Le salarié peut toujours intervenir à l'instance engagée par le syndicat. »
(Soulignements ajoutés). La loi consacrait ainsi un système d’exclusion (système d’opt out) dans le
cadre de l’action en substitution des syndicats, les personnes représentées ne devant se manifester
qu’en cas de désaccord avec la représentation en justice proposée.
306. La décision du Conseil de 1989 : les motifs de sa saisine. Les sénateurs ont alors protesté
arguant de la violation d’une part des dispositions du Préambule de la Constitution étant donné que
le projet de loi conférait des prérogatives aux organisations syndicales pour tous les salariés qu’ils
soient ou non syndiqués, alors que pour les sénateurs, la défense des droits individuels des
travailleurs par un syndicat devait être dépendante de leur adhésion au syndicat. D’autre part, les
auteurs de la saisine ont argué de la violation à l’article 1 er de la Déclaration des droits de
l’Homme 433 proclamant la liberté individuelle, en ce sens où la loi aboutissait à « placer les
408F
organisations syndicales au dessus des individus », portant ainsi « atteinte à la liberté des salariés et
notamment à leur liberté de conscience »434.
4 09F
307. La décision du Conseil de 1989 : les étapes du raisonnement du Conseil. Le Conseil
constitutionnel a considéré que les dispositions constitutionnelles citées par les sénateurs ne faisaient
pas obstacles à l’allocation de prérogatives aux organisations syndicales pour la défense des intérêts
des salariés en justice et ce, que ces derniers soient membres ou non dudit syndicat. Cette position
apparaît cohérente au regard des droits conférés aux différentes associations de défense autorisées à
agir dans le domaine précisé dans leur objet statutaire, indépendamment de la filiation à
l’organisme 435. Cependant, il ajoute que « les modalités de mise en œuvre de (ces) prérogatives […]
410F
doivent respecter la liberté personnelle du salarié, qui comme la liberté syndicale, a valeur
constitutionnelle ».
436
41F
308. La décision du Conseil de 1989 : La solution de principe. Le Conseil considère alors : « que,
s'il est loisible au législateur de permettre à des organisations syndicales représentatives
d'introduire une action en justice à l'effet non seulement d'intervenir spontanément dans la défense
d'un salarié mais aussi de promouvoir à travers un cas individuel, une action collective, c'est à la
433
Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen (DDHC) du 26 août 1789, art. 1er : « Les hommes naissent et
demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune ».
434
Décision n° 89-257DC, op. cit., considérant 21.
435
Voir Supra § 182.
436
Décision n° 89-257DC, op. cit., considérant 23.
140
condition que l'intéressé ait été mis à même de donner son assentiment en pleine connaissance de
cause et qu'il puisse conserver la liberté de conduire personnellement la défense de ses intérêts et de
mettre un terme à cette action »437 (Soulignements ajoutés). Il a alors ajouté, après avoir repris les
412F
modalités de l’exercice 438, que « de telles dispositions pour respecter la liberté du salarié vis-à-vis
413F
des organisations syndicales, impliquent que soient contenues dans la lettre adressée à l'intéressé
toutes précisions utiles sur la nature et l'objet de l'action exercée, sur la portée de son acceptation et
sur le droit à lui reconnu de mettre un terme à tout moment à cette action ; que l'acceptation tacite
du salarié ne peut être considérée comme acquise qu'autant que le syndicat justifie, lors de
l'introduction de l'action, que le salarié a eu personnellement connaissance de la lettre comportant
les mentions sus-indiquées ; que c'est seulement sous ces réserves que l'article 29 de la loi n'est pas
contraire à la liberté personnelle du salarié »439 (Soulignements ajoutés).
41F
309. La consécration par le Conseil d’une obligation d’information a priori des membres
représentés. Ainsi le Conseil constitutionnel souligne le caractère fondamental de la liberté
individuelle d’agir en justice dans la problématique abordée. Il ne conclut pas à la violation de la
Constitution, mais pose certaines réserves. Il n’exige pas, de manière explicite, un mandat exprès, a
priori, des personnes potentiellement membre du groupe dans le cadre des actions en représentation.
En revanche, il consacre a minima une obligation d’information des personnes représentées, qui
doivent pouvoir décider d’exercer leur droit d’ester en justice « en pleine connaissance de
cause »440. Cette information doit être dispensée personnellement aux personnes concernées. Elle est
4 15F
à la charge de l’organisme représentant, qui doit alors justifier de sa réalisation, à l’introduction de
l’action.
310. Une solution de principe requérant un consentement explicite ou le refus du système
d’exclusion (opt-out) à l’américaine. Cette décision du Conseil constitutionnel a fait couler
beaucoup d’encre 441. Elle est considérée par certains auteurs comme l’obstacle majeur à
416F
437
Décision n° 89-257DC, op. cit., considérant 24.
Il n’est pas exigé de justifier d’un mandat, mais l’information doit être dispensée au salarié par lettre recommandée avec
accusé de réception, et ce dernier ne s’oppose pas à l’action du syndicat dans les quinze jours de la réception, il est réputé
avoir accepté tacitement.
439
Décision n° 89-257DC, op. cit., considérant 26.
440
Décision n° 89-257DC, op. cit., considérant 24 ; L. Martinet et A.Du Chastel, Du retour de l’action de groupe et du
Mythe du Sisyphe, LPA, 10 mars 2009, n° 49.
441
Voir par exemple J. Lemontey et N. Michon, Les « class actions » américaines et leur éventuelle reconnaissance en
France, Journal du droit international (Clunet) n° 2, Avr. 2009, var. 2, point 79; S. Guinchard, Une class action à la
française?, Recueil Dalloz 2005, p. 2180; L. Martinet et A. du Chastel, Du retour de l’action de groupe et du Mythe du
Sisyphe, LPA, 10 mars 2009, n° 49.
438
141
l’introduction d’une action de groupe en France. La Cour constitutionnelle allemande a rendu une
décision similaire, qui explique en partie que le législateur allemand n’ait pas adopté pour l’heure un
tel type de procédure 442. Elle paraît a minima s’opposer à l’adoption d’un système d’exclusion (opt417F
out), tel que prévu dans les systèmes de class actions aux Etats-Unis 443. En effet, le Conseil écarte la
418F
possibilité de consentir à l’exercice de l’action en son nom et pour son compte de manière implicite.
De plus, le système d’opt out ne consacre pas d’obligation d’information individuelle des personnes
représentées. En effet, la publicité de la procédure, bien que contenant des informations de nature à
éclairer raisonnablement le consentement des parties potentielles à la procédure 444, est opérée par
419 F
voie de presse, dès lors que les personnes ne peuvent pas être individuellement identifiées. Ainsi il
n’est pas possible de s’assurer pour le Demandeur Représentatif que l’ensemble des personnes
représentées, in fine, à la procédure, aient eu accès, pendant le laps de temps dédié, à
l’information 445. Ce défaut potentiel d’information fut également souligné par les experts allemands
420F
appelés à se prononcer sur la jurisprudence américaine en matière de Securities Class actions 446. Il a
421F
été reproché, à la procédure américaine, par ces experts, la fait que les demandeurs représentés à
l’action ne se voient pas notifier la décision d’ouverture de la procédure d’action de groupe, la
notification apparaissant comme le mode d’information du justiciable le plus fiable et le plus
complet 447.
42F
311. La confirmation de la position du Conseil vis-à-vis de l’opt out. Le Conseil constitutionnel
français a confirmé cette analyse, dans ses Cahiers, indiquant que « faute de respect de cet
assentiment individualisé, qui n’existe par exemple pas dans les mécanismes anglo-saxon d’opt
out », l’individu serait privé abusivement d’un droit en violation de la Constitution »448. Ainsi il est
4
prévisible que si un projet ou une proposition de loi portant sur un système d’action collective,
devait être adopté avec un système d’opt out, il pourrait être déclaré non conforme à la Constitution.
Reste à s’interroger sur le système d’inclusion à la procédure.
442
Voir pour l’exemple de l’Allemagne, D. Baetge, Class Actions, Group Litigation & Other Forms of Collective
Litigation – German, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford
Law School et le Centre for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007.
443
S. Guinchard, Une class action à la française?, Recueil Dalloz 2005, p. 2180.
444
Voir Supra §. 251.
445
L. Martinet et A. Du Chastel, Du retour de l’action de groupe et du Mythe du Sisyphe, LPA, 10 mars 2009, n° 49.
446
Voir In re Vivendi Universal SA, Securities Litigation, 242 F.R.D. 76, 81 (S. D. N. Y. 2007).
447
Voir In re Vivendi Universal SA, Securities Litigation, 242 F.R.D. 76, 81 (S. D. N. Y. 2007); S. J. Choi and L. J.
Silberman, Transnational litigation and global securities class-action lawsuits, 2009 Wis. L. Rev. 465.
448
Voir Commentaire de la décision n° 2007-556DC du 16 août 2007, Les cahiers du Conseil Constitutionnel, Cahier n°
23, p. 22, accéssible sur le site du Conseil constitutionnel.
142
2) Le système d’opt in face à la liberté d’agir en justice des personnes représentées :
l’exemple français
312. Le système d’opt in, qui prévoit un principe de consentement explicite des personnes représentées
à l’exercice de l’action en leur nom, semble plus respectueux de la jurisprudence
constitutionnelle 449. En effet, avant l’expiration du délai de la publicité de la procédure, les
42F
personnes souhaitant se voir incluses dans le groupe de personnes représentées doivent se manifester
positivement auprès des personnes en charge de la conduite de la procédure. Les justiciables qui ne
se manifestent pas et qui donc ne consentent pas à être représentées au sein de l’action, conservent
alors leur droit d’exercer personnellement une action individuelle à l’encontre du défendeur à
l’action devant les juridictions de première instance. Ce système permet alors de pallier les risques
liés à l’absence d’information d’une des personnes représentées qui n’aurait pas eu connaissance de
l’existence de la procédure.
313. Demeure tout de même la question du moment de l’information. En effet, le Conseil
constitutionnel déclare dans sa décision de 1989 que : « l'acceptation tacite du salarié ne peut être
considérée comme acquise qu'autant que le syndicat justifie, lors de l'introduction de l'action, que le
salarié a eu personnellement connaissance de la lettre comportant les mentions sus-indiquées »
(soulignements ajoutés). Si cette condition est interprétée strictement, le moment du recueil des
consentements dans la procédure pose problème, car il s’effectue après l’introduction de l’instance,
même s’il intervient avant le jugement au fond. Le fait d’imposer au Demandeur représentatif de
justifier de la réalisation de l’obligation d’information, à l’introduction de l’instance, signifie
réinstaurer l’obligation d’obtention des consentements a priori, donc de mandats de la part des
personnes représentées.
314. Cependant, comme l’on fait valoir les associations de consommateurs notamment 450, cette
425F
formalité de l’obtention a priori de mandats, nécessaire en France dans l’exercice des actions en
représentation 451, rend très difficile l’exercice de cette action. En effet, cela implique de mobiliser
426F
449
S. Guinchard, Une class action à la française?, Recueil Dalloz 2005, p. 2180.
Les partisans de l’action de groupe en France, en particulier les associations de consommateurs, vont valoir que l’action
de groupe à l’américaine, suivant un mécanisme d’opt out, permettrait de meilleurs résultats considérant l’objectif tendant à
renforcer l’effectivité du droit d’accès au juge des citoyens français, voir Massot (J.), Baudel (J.-M.), Fourvel (J.), PuisaisJauvin (M.), Table ronde sur le thème Problèmes constitutionnels, principe de l’autorité de la chose jugée et périmètre de
l’action de groupe, dans Les Recours collectifs: Etude comparée, journée d’études du 27 janv. 2006, Actes publiés,
Editions de la Société de législation comparée, Colloques, volume 5, p. 99 et suivantes.
451
L’action en représentation conjointe ouverte aux associations de consommateurs en vertu de l’article L422-1 du Code de
la consommation, comme l’action en représentation ouverte aux associations de défense des investisseurs boursiers prévue
450
143
des moyens importants quant au traitement de ces mandats, qu’il s’agisse de moyens financiers ou
en ressources humaines. Ensuite, en France, les associations se heurtent au principe de l’interdiction
du démarchage 452, comme l’a démontré l’affaire des cartels dans la téléphonie mobile 453, ce qui
427F
428F
empêche les associations de faire de la publicité autour de l’action qu’elles envisagent d’introduire
pour obtenir ces mandats. Ainsi le fait que l’association se fonde sur un ou deux cas pour
l’introduction de l’instance apparait justifié car, cela permet à l’association de démontrer l’existence
d’une multiplicité de demandes potentielles comprenant des questions de droit et de fait similaires,
qu’elle peut alors préciser. En revanche, leur imposer de produire dès l’introduction de l’instance des
mandats pour l’ensemble des personnes qu’elle vise dans le cadre de l’action collective apparait très
restrictif. Dans le cadre de l’opt in, même si le consentement des parties n’est pas recueilli à
l’introduction de l’instance, il est seulement différé de quelques semaines, le temps de se prononcer
sur la recevabilité et l’opportunité de l’action et il intervient en tout état de cause avant le jugement
au fond 454. Ainsi pourrait être admise l’option d’opt in, qui permet un consentement explicite des
429F
à l’article L452-2 du Code monétaire et financier, imposent à ces organismes la production d’« au moins deux mandats » de
consommateurs ou d’investisseurs.
452
Loi n° 71-1130 du 31 déc. 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.
453
Le Conseil de la Concurrence a, en date du 30 déc. 2005, rendu une décision de condamnation à l’encontre des trois
opérateurs de téléphonie mobile français– Bouygues Telecom, SFR, et Orange France - pour échanges d'informations
stratégiques portant sur les nouveaux abonnements et les résiliations, et un accord conclu entre 2000 et 2002 entre les trois
opérateurs portant sur la stabilisation de leurs parts de marché autour d'objectifs définis en commun (Décision n° 05-D-65,
30 nov. 2005 relative à des pratiques constatées dans le secteur de la téléphonie mobile). Cette décision a fait l’objet d’un
appel de la part des opérateurs de téléphonie qui fut rejeté (CA Paris, 12 déc. 2006, RG n° 2006/00048). Ils ont alors formé
un pourvoi en cassation. La Cour de cassation a cassé partiellement l’arrêt et renvoie l’affaire devant la Cour d’appel de
Paris (Cass. Com., 29 juin 2007, pourvois n° 07-10303, 07-10354 et 07-10397). L’arrêt de la Cour d’appel (CA Paris, 11
mars 2009, RG n° 2007/19110) confirme au moins partiellement la décision du Conseil : Echange d’informations ayant «
accru artificiellement la transparence sur le marché et révélé aux opérateurs leur stratégie respective, leur permettant ainsi
du fait de cet accord de limiter la concurrence résiduelle du marché ». Cet arrêt a fait lui aussi l’objet d’un pourvoi devant
la Cour de cassation (Cass. Com, 7 avr. 2010, pourvois n° 09-12984, 09-13163 et 09-65940), qui a partiellement cassé
l’arrêt de la Cour d’appel et renvoyé devant la Cour d’appel de Paris, autrement composée.). Avant même le prononcé de
cette décision, l’association de consommateurs avait engagé les préparatifs d’une action en réparation des dommages subis
par les consommateurs du fait de l’entente illicite, dans l’espoir de la parution annoncée d’une loi sur les actions collectives
de consommateurs. Elle avait ainsi commandé une étude auprès du Cabinet Aldex en vue de mettre au point un calculateur
informatique pour les dommages intérêts à réclamer. Le lendemain de la publication de la décision du Conseil, elle a
informé les consommateurs, indépendamment de leur affiliation ou non à l’UFC, par le biais du site Internet
www.cartelmobile.org, de l’action envisagée au civil et de la mise à disposition du calculateur. Elle leur avait alors proposé
de donner un mandat en ligne à l’UFC pour engager une action en réparation. L’UFC avait relancé ensuite par emails
personnels les internautes ayant visité le site sans remplir le dossier. Les pratiques préliminaires de l’UFC QUE CHOISIR,
étaient alors assimilable à du démarchage juridique, prohibé en soi au titre de la loi n° 71-1130 de 1971, op. cit. Consciente
des limites de sa démarche, l’association a introduit son action sous le fondement de l’action civile dans l’intérêt collectif
des consommateurs de l’article L421-1 du Code de la consommation, qui permet aux associations d’exercer « des droits
reconnus à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif des
consommateurs ». Le Tribunal de Commerce de Paris dans un jugement du 6 déc. 2007 a requalifié l’action en défense des
intérêts collectifs des consommateurs en action en représentation conjointe et a constaté l’infraction à l’interdiction du
démarchage juridique. Il a alors déclaré irrecevable la demande pour violation d’une des conditions de fond de l’action,
Voir Infra pour la suite de l’affaire §. 466 et s.
454
N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature,
RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, dans The Globalization of class actions, Conférence
144
personnes représentées et une information personnelle de ces dernières, même si cette information
était postérieure à l’introduction de l’instance.
315. La volonté de renforcer l’accès au juge des justiciables et de rendre effectif ce droit par les
pouvoirs publics vient se confronter à la liberté individuelle de porter une action en justice,
constitutionnellement protégée. Le système américain de l’opt out ne semble pas compatible avec
certains de nos principes fondamentaux procéduraux en la matière. Cette modalité d’exercice de
l’action porte en effet atteinte, outre au principe de la liberté individuelle des justiciable, à
l’obligation d’information des personnes représentées à la procédure, telle que consacrée par la
plupart des juridictions nationales européennes opérant dans un système de droit romanogermanique. Seul, demeure compatible le système d’opt in, sous réserve de permettre que
l’information soit dispensée en aval de l’introduction de l’instance et avant le jugement au fond. Le
système d’opt out doit également être confronté aux autres principes fondamentaux qui gouvernent
l’exercice de l’action en justice.
B) Le système d’opt out face aux principes directeurs de l’action en justice
316. Le système d’opt out pose également la question du respect des droits de la défense et du principe
d’égalité devant la juge, dans la mesure où l’identification des personnes représentées intervient en
amont du jugement au fond (1). En outre, le jugement va se voir opposer à l’ensemble des personnes
représentées à la procédure alors que ces dernières n’étaient pas identifiées lors du déroulement de la
procédure. Il faut alors s’interroger sur le respect, d’une part, de l’interdiction des arrêts de
règlement et d’autre part, sur le respect du principe de l’autorité relative de la chose jugée (2).
1) L’identification des personnes représentées et les aspects du droit à un « procès
équitable »
317. La procédure de la class action doit être envisagée au regard du droit à un procès équitable et de
certaines de ses composantes, comme le principe du respect des droits de la défense et le principe de
l’égalité devant la justice. Ces principes, qui ont une valeur constitutionnelle et/ou supraconstitutionnelle (a) peuvent constituer des obstacles sérieux à la procédure d’action de groupe avec
un système d’opt out (b).
internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14
déc. 2007.
145
a) La valeur constitutionnelle et supra-constitutionnelle du respect des droits de la
défense et de l’égalité devant la justice
318. Le principe du respect des droits de la défense, y compris le principe du respect du
contradictoire. Le Conseil constitutionnel a reconnu la valeur constitutionnelle du principe du
respect des droits de la défense, dans la décision du 2 décembre1976, portant sur la loi relative au
développement de la prévention des accidents du travail 455. Ce principe comprend le principe du
430F
contradictoire 456, qui « implique la liberté pour chacune des parties, de faire connaître tout ce qui
431 F
est nécessaire au succès de sa demande ou de sa défense. Il impose que toute démarche, toute
présentation au juge d’une pièce, d’un document, d’une preuve par l’adversaire soit portée à la
connaissance de l’autre partie et librement discutée à l’audience »457.
4
319. Le principe d’égalité devant la justice. Le principe d’égalité devant la justice a, quant à lui, été
consacré par le Conseil constitutionnel, dans une décision du 23 juillet 1975 458, comme découlant du
43F
principe d’égalité des citoyens devant la loi, qui figure à l’article 6 de la Déclaration des droits de
l’homme de 1789. Il consacre le droit au juge naturel, les justiciables se trouvant dans une situation
identique devant être jugés par un même tribunal, selon les mêmes règles de procédure et de fond.
Ces principes visant au respect des droits de la défense et à l’égalité devant la justice se rattache in
fine au droit à un procès équitable, consacré par l’article 6§1 de la CESDH 459.
43 F
455
Décision n° 70-76 DC, du 2 déc. 1976, sur la Loi relative au développement de la prévention des accidents du travail,
Journal officiel du 7 déc. 1976, p. 7052, Recueil p. 39, Rev. de droit public, 1978, p. 817, obs. Favoreu (L.); Voir
également Décision n° 93-325DC du 13 août 1993, sur la Loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions
d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France, Journal officiel du 18 août 1993, p. 11722, Recueil, p. 224,
Pouvoirs, 1993 (68), p. 166-167, 172, obs. Avril (P.) et Gicquel (J.); Rev. française de droit constitutionnel, 1993, p. 583,
obs. Favoreu (L.); Rev. de jurisprudence sociale, 10/93 (1041), obs. Anonyme.
456
« Le respect du principe du contradictoire est la condition indispensable de la liberté de la défense », Lexique des
termes juridiques 2012, Guinchard (S.) et Debard (T.), Dalloz, 19ème éd., 2011, p. 225.
457
Lexique des termes juridiques 2012, op. cit., p. 142 ; Ce principe est consacré, en France, à l’article 16 du Code de
procédure civile : « Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la
contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par
les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de
droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ».
458
Décision n° 75-56 DC du 23 juil. 1975, portant sur la Loi modifiant et complétant certaines dispositions de procédure
pénale spécialement le texte modifiant les articles 398 et 398-1 du Code de procédure pénale, Journal officiel du 24 juil.
1975, p. 7533, Recueil p. 22, Comparative Constitutional Law, 1975, p. 69 et 372, obs. Beardsley (J.E.) ; Rev. du droit
public, 1975, p. 1313, obs. Favoreu (L.); Semaine juridique (J.C.P.), 1975, II, 18200, obs. Franck (C.) ; Grandes Décisions
de la Jurisprudence Constitutionnelle, p. 10, obs. Franck (C.); Dalloz, 1977, Jur., p. 629, obs. Hamon (L.) et Levasseur
(G.) ; J. Rivero, Actualité juridique droit administratif, 1976, p. 44.
459
Propos de M. Massot lors de la table ronde sur le thème Problèmes constitutionnels, principe de l’autorité de la chose
jugée et périmètre de l’action de groupe, op. cit., intervenue lors de la journée d’étude sur Les recours collectifs: étude de
droit comparé, du 27 janv. 2006, Actes publiés, Editions de Société de législation comparée, Colloques, vol. 5, p. 114.
146
b) L’action de groupe face aux principes du respect des droits de la défense et de
l’égalité devant la justice
320. L’absence d’identification des demandeurs à la procédure, une modalité en soi constitutive
d’une rupture d’égalité entre les parties. Dans le cadre de l’action de groupe avec un système d’opt
out, le défendeur ne connait pas les parties en demande, tout du moins l’ensemble des parties en
demande, car elles ne sont que simplement identifiables à la procédure jusqu’au moment de
l’indemnisation. Ainsi, il ne peut se battre avec les mêmes armes que son adversaire en demande.
L’égalité devant la justice est par principe rompue 460.
435 F
321. L’impossibilité pour les défendeurs de soulever des moyens de défense propres à chaque
personne représentée. De plus, cette absence d’individualisation des demandeurs à la procédure se
heurte au principe du contradictoire461. Elle peut entraîner une asymétrie d’informations qui va
4
éventuellement priver le défendeur de soulever des causes écartant certaines parties de l’action au
regard de circonstances personnelles particulières. Il est possible d’imaginer un comportement fautif
de la victime, qui ne pourrait pas être relevé par le défendeur 462.
437F
322. L’absence d’identification des demandeurs, représentés à la procédure, avant le jugement au fond,
dans la procédure d’action de groupe, caractérisé par un système d’opt out se heurte ainsi aux
principes du respect des droits de la défense et d’égalité devant la justice, consacrés par la plus haute
juridiction de France comme par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH)463. En
revanche, le système d’opt in pourrait apparaître conforme à ces principes, dans la mesure où le
jugement au fond intervient après l’identification des parties, dans ce cas de figure. D’autres
460
S. Guinchard, Une class action à la française?, Recueil Dalloz 2005, p. 2180; Le premier président de la Cour de
cassation, G. Canivet, a déclaré, dans son discours prononcé lors du Colloque sur le thème « Pour de véritables actions de
groupe : un accès efficace et démocratique à la justice », organisé par l’association UFC-Que Choisir, le 10 nov. 2005,
que : « la rupture d’égalité parait bel et bien attestée par le fait que le défendeur ne connaîtra pas tous ses adversaires,
alors que le représentant de la class action l’identifiera quant à lui parfaitement ».
461
Voir S. Guinchard, Une class action à la française?, Recueil Dalloz 2005, p. 2180.
462
Voir F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Précis Dalloz, Droit civil, Les obligations, 10ème éd., 2009.
463
La Cour européenne des droits de l’Homme est « une juridiction unique, située à Strasbourg, créée par la Convention
européenne des droits de l’Homme, pour assurer la protection des droits. Elle est composé de juges élus au titre de chaque
Etat membre ayant ratifié la Convention européenne. La Cour est l’organe d’interprétation des termes de la Convention.
Elle peut déclarer la violation d’un droit garanti par un Etat et, le cas échéant, condamner ce dernier à verser une
satisfaction équivalente au requérant. Ses arrêts ont un effet déclaratoire, sans que des procédures coercitives soient
utilisables contre l’Etat condamné. En ratifiant la Convention européenne, les Etats se sont engagés à respecter les
obligations positives définies par la Cour EDH pour rendre effectifs les droits garantis, et le Comité des Ministres assure
le suivi de l’exécution des arrêts définitifs de la Cour EDH », Ambroise-Catérot (C.), Fricero (N.), Henry (L.-C.) et Jacq
(P.), Glossaire des procédures, Gualino éditeur 2007, Coll. « Glossaire », p. 53.
147
principes relatifs aux principes directeur du procès sont à analyser au regard des caractéristiques de
la procédure d’opt out.
2) L’identification des personnes représentées et le dénouement du procès
323. Les personnes représentées, membre du groupe, tel que défini lors de la phase de certification,
vont pouvoir bénéficier du jugement final et se le voir opposer. Cependant, dans le cadre du système
de class action à l’américaine, et du système d’identification par exclusion (système d’opt out), ces
personnes ne seront identifiées individuellement que lorsqu’elles se manifesteront pour obtenir le
paiement de l’indemnisation obtenue. Ainsi, les critiques portent sur l’effet du jugement sur ces
personnes en considérant, d’une part, que le jugement rendu, dans ces conditions, serait considéré
comme un arrêt de règlement, le juge se prononçant pour une catégorie de personnes non identifiées
(a). D’autre part, les opposants au système soulèvent également le principe de l’autorité relative de
la chose jugée, contestant alors l’octroi de la qualité de « partie à la procédure » aux personnes
représentées au litige (b).
a) Une violation contestable du principe d’interdiction des arrêts de règlement
324. Certains auteurs ont soulevé le principe d’interdiction des arrêts de règlement à l’appui de leur
opposition à l’introduction d’une action de groupe en droit français 464.
439F
i) L’acceptation du principe de prohibition des arrêts de règlement dans son contexte
général
325. Selon l’article 5 du Code civil, « il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition
générale et réglementaire sur les causes qui lui sont soumises ». La doctrine française parle alors du
principe de prohibition des arrêts de règlement 465. Ainsi, il est interdit pour les juridictions françaises
40F
de prendre des décisions, qui ont une portée générale et qui lient les juridictions inférieures 466.
41 F
326. La valeur et la portée du principe. Ce principe n’a pas, lui-même une valeur constitutionnelle car
il n’a jamais été consacré en tant que principe fondamental reconnu par les lois de la République 467.
42F
464
J.-P. Grandjean, Class actions américaines et ordre public français, Journal Les échos, 11 fév. 2010.
S. Cabrillac, Pour l’introduction de la class action en droit français, LPA, 18 août 2006, n° 165, p. 4.
466
Voir Interdiction des arrêts de règlement, définition du Lexique des termes juridiques 2012, Dalloz, 19ème éd., 2011, p.
69.
467
« Expression vague, figurant à l’alinéa 1 du Préambule de la Constitution de 1946, auquel renvoie celui de la
Constitution de 1958, et sur laquelle le Conseil constitutionnel s’est fondé pour invalider certaines lois contraires aux
465
148
Cependant, il découle directement du principe de séparation des pouvoirs 468 et de l’interdiction faite
43F
aux juges d’empiéter sur le pouvoir législatif proclamée par la loi des 16 et 24 août 1790 sur
l’organisation judiciaire 469. Ainsi ce principe découle directement d’un principe à valeur
4F
constitutionnelle 470.
45F
327. Les différentes acceptations du principe. La jurisprudence a ajouté à la définition de l’article 5 du
Code civil, en retenant que «la référence à une décision rendue dans un litige différent de celui
soumis à une juridiction ne saurait en toute hypothèse, servir de fondement à la décision de cette
dernière»471. Ainsi, elle interdit la reprise en tant que référence par une autre juridiction, d’une
4 46F
décision prononcée dans le cadre d’un litige déterminé. A fortiori, la solution adoptée dans le cadre
d’un litige présent ne doit pas tenir les parties à un litige futur et elle doit être limitée aux seules
parties du litige en question. Mme Frison-Roche propose dans un article intitulé Les résistances
mécaniques du système juridique français à accueillir la class action: obstacles et compatibilités 472,
47F
la définition suivante: un arrêt qui « lie non seulement d’autres personnes que les parties identifiées
à l’instance particulière mais encore, et le critère est cumulatif, choisit une solution qui vaut pour
l’avenir puisque celle-ci sera obligatoirement reprise pour des cas ultérieurs»473. Il apparait ainsi
48F
que la notion d’arrêt de règlement vise, dans son acceptation classique, l’adoption d’une solution
pour l’avenir. La doctrine semble, majoritaire sur ce point 474. L’attachement à l’identité de parties se
49F
rattache plus certainement au principe d’autorité de la chose jugée.
ii) Le principe d’interdiction des arrêts de règlement et l’action de groupe
principes qu’il estimait relever de cette catégorie », Lexique des termes juridiques 2012, Guinchard (S.) et Debard (T.),
Dalloz, 19ème éd., 2011, p. 678.
468
Suivant l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et des Citoyen (DDHC) de 1789, « Toute société dans
laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution »,
Voir sur ce principe par F. Terré, Introduction générale au droit, Dalloz, 6ème éd., 2003, p. 85.
469
La Loi sur l’organisation judiciaire des 16-24 août 1790 interdit aux tribunaux de « prendre, directement ou
indirectement, aucune part à l’exercice du pouvoir législatif, ni empêcher ou suspendre l’exécution des décrets du Corps
législatif à peine de forfaiture », F. Terré, Introduction générale au droit, Dalloz, 6ème éd., 2003, p. 85 ; Voir également
Prof. Daniel Mainguy (s. dir. de), L’introduction en droit français des class actions, LPA, 22 déc. 2005, n° 254, p. 6; S.
Cabrillac, Pour l’introduction de la class action en droit français, LPA, 18 août 2006, n° 165, p. 4; Y. Strickler, Procédure
Civile, Paradigme 2007-2008, p. 24, n° 43.
470
Propos de M. Massot lors de la table ronde sur le thème Problèmes constitutionnels, principe de l’autorité de la chose
jugée et périmètre de l’action de groupe, intervenue lors de la journée d’étude sur Les recours collectifs : étude de droit
comparé, du 27 janv. 2006, Actes publiés, Editions Société de législation comparée, Colloques, vol. 5, p. 113, op. cit.
471
Cass. Soc., 27 fév. 1991, Bull. Civ. V, n° 102; Cass. Civ. 3e, 27 mars 1991, Bull. Civ. III, n° 101, note n° 1 sous art. 5 du
Code civil.
472
LPA, 10 juin 2005, n° 115, p. 22, op. cit.
473
Ibid.
474
S. Cabrillac, Pour l’introduction de la class action en droit français, LPA, 18 août 2006, n° 165, p. 4.
149
328. Au regard de la définition rappelée de l’arrêt de règlement, il semble peu probable de considérer
que l’action de groupe amène le juge à se prononcer dans le cadre d’un litige futur dès lors que
l’indemnisation prévue par ce dernier est versée aux personnes, membres du groupe, qui ne furent
que simplement identifiables au cours de la procédure, mais qui sont identifiées au terme de cette
dernière. Dans la procédure d’action de groupe, la solution du jugement sur la responsabilité ne vaut
ainsi pas pour l’avenir, mais seulement pour le litige en cause, dont le dommage est déjà intervenu.
329. L’autre aspect de l’arrêt de règlement est son caractère général et réglementaire. Certains auteurs
se sont interrogés sur la possibilité de considérer que le juge se prononce, dans ce type de procédure,
pour une catégorie générale d’individus et par conséquent, sa décision aurait une portée générale 475.
450 F
Cependant, bien que les membres du groupe de personnes, représentés à la procédure ne soient pas
identifiés, en particulier dans le système d’opt out, il a été mis en lumière que ces personnes étaient a
minima identifiables. Le point commun qui les unit est l’obtention de la réparation de leurs
préjudices, qui sont similaires, et causés par la pratique unique d’un ou plusieurs défendeurs
identifiés. Ainsi, le juge se prononce pour un groupe de personnes défini et non pas pour
« l’ensemble des sujets de droits »476. Ainsi, il ne semble pas que le juge, dans ce cas, vienne
451F
modifier les règles de droit objectives. Et ainsi, il semblerait difficile de qualifier les jugements
rendus dans le cadre de ces procédures comme des arrêts de règlement au sens de l’article 5 du Code
civil.
330. De ce fait, le principe d’interdiction des arrêts de règlements ne semble pas constituer un obstacle
sérieux à l’introduction de l’action de groupe même avec un système d’opt out, encore que la
solution soit dépendante de l’interprétation éventuelle du Conseil Constitutionnel, qui semble hostile
au mécanisme de l’opt out. Un autre principe semble cependant plus problématique, le principe de
l’autorité relative de la chose jugée.
b) Une remise en cause possible du principe de l’autorité relative de la chose jugée
331. Selon l’article 1351 du Code civil, « l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a
fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur
475
Prof. Daniel Mainguy (s. dir. de), L’introduction en droit français des class actions, op. cit.; M.-A. Frison-Roche, Les
résistances mécaniques du système juridique français à accueillir la class action : obstacles et compatibilités, LPA, 10 juin
2005, n° 115, p. 22.
476
Voir hypothèse dégagée par Anne-Marie Frison-Roche, dans Les résistances mécaniques du système juridique français
à accueillir la class action : obstacles et compatibilités, LPA, 10 juin 2005, n° 115, p. 22.
150
la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en
la même qualité ».
332. La valeur du principe de l’autorité relative de la chose jugée. Le principe de l’autorité relative,
posé dans l’article 1351 du Code civil, n’a pas été consacré comme principe à valeur
constitutionnelle. Il a d’ailleurs pu souffrir d’exception comme en témoignent les jugements ayant
autorité absolue de la chose jugée 477. Cependant comme pour le principe d’interdiction des arrêts de
452F
règlement, ce principe découle d’un principe constitutionnel qui est le principe de la liberté
personnelle, interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision de 1989 478. Il ressort de cette
453F
décision que le principe de la liberté personnelle « consiste à conserver la liberté de conduire,
personnellement, la défense de ses intérêts et de mettre un terme à toute action contentieuse » 479.
4 54F
333. Une problématique liée à la qualité procédurale de « partie ». Dans le cadre d’une action de
groupe, le jugement rendu par le juge au terme de la procédure va s’appliquer au Demandeur
Représentatif ainsi qu’à l’ensemble des personnes représentées, qui n’étaient pas identifiées à la
procédure. Cependant, au regard du principe de l’autorité relative de la chose jugée, le jugement ne
peut produire ses effets qu’à l’égard des parties à la procédure. In fine, la question de l’atteinte au
principe de l’autorité relative de la chose jugée dépend de la qualité des membres de la class. Ces
derniers sont-ils des « parties à la procédure » ? Les prétentions du Demandeur Représentatif et des
parties sont les mêmes ainsi que la cause de l’action car ces éléments servent à la définition du
groupe de personnes représentées. En revanche, la difficulté porte sur la qualité processuelle des
personnes représentées à la procédure et sur les droits et obligations tenant à cette qualité
processuelle de « partie à l’instance ».
334. Le premier postulat est que l’on ne peut être partie à la procédure sans y avoir consenti. Par
définition, une partie est une personne physique ou morale, privée ou publique « engagée dans une
instance judiciaire »480. Elle doit, à ce titre, consentir à l’ouverture de la procédure ou dans le cas de
45F
l’action de groupe, à son intégration à la procédure déjà ouverte. De facto, le consentement à l’action
inclut le consentement à se voir opposer le jugement qu’il lui soit favorable ou non. Au-delà, il
477
Y. Stricker, Procédure civile, op. cit.
Décision n° 89-257DC, op. cit. ; voir pour le détail infra §. 304 et s.
479
Propos de M. Massot lors de la table ronde sur le thème Problèmes constitutionnels, principe de l’autorité de la chose
jugée et périmètre de l’action de groupe, intervenue lors de la journée d’étude sur Les recours collectifs : étude de droit
comparé, du 27 janv. 2006, Actes publiés, Editions Société de législation comparée, Colloques, vol. 5, p. 114.
480
Définition du Lexique des termes juridiques 2012, Guinchard (S.) et Debard (T.), Dalloz, 19ème éd., 2011, p. 625 .
478
151
inclut le devoir de conduire la procédure judiciaire481. Concernant le système d’opt in, ce principe ne
45
semble pas poser de difficulté, les parties potentielles au litige expriment un consentement positif à
leur insertion à l’action et ainsi acceptent de se voir opposer le jugement. Elles vont de même
consentir de manière explicite au fait que la conduite de la procédure soit déléguée au représentant
de la class. Ce consentement pourra être considéré comme éclairé, notamment par les termes de la
publicité de l’action, qui comprend les prétentions des demandeurs, les questions de droit, les
moyens de défense ainsi que des avertissements concernant le caractère obligatoire du jugement
final, ou les règles d’exclusion de la class 482. En revanche, dès lors que l’on envisage un système
457F
d’opt out, il n’est pas certain que l’ensemble des personnes concernées par la procédure ait eu
connaissance de la procédure engagée par le représentant. Ainsi elles peuvent se voir tenues par le
jugement sans avoir « consenties » à l’exercice de l’action et elles perdront le droit d’aller porter leur
action en justice devant les juridictions de première instance 483.
458F
335. L’autorité relative de la chose jugée interprétée au regard de l’effet extinctif du jugement.
Certains auteurs ont pu également considérer le principe de l’autorité relative de la chose jugée en
s’attachant à « l’effet extinctif du jugement »484. La class action et son système d’opt out mettent fin
4
à l’action en ce sens où dès lors que le membre de la class ne s’est pas manifesté à la suite de la
publicité de la procédure, pour être exclus de la class, il ne peut plus engager de procédure devant
les juridictions de première instance. Les membres de la class sont forclos de leur droit à l’action
concernant le litige en cause. Ainsi, l’objet de la class action, et du système d’opt-out est
d’empêcher les nouveaux recours, basés sur les mêmes prétentions, avec la même cause à l’action et
entre les mêmes parties. L’action de groupe et le jugement qui en découle mettent fin au litige.
Cependant, cette approche du principe de l’autorité de la chose jugée est partielle car l’absence de
consentement à l’action des membres de la class demeure.
Conclusion du Paragraphe 1
Les parties à l’instance ont un rôle d’initiative et d’impulsion, Y. Strickler, Procédure civile, Paradigme
2007, p. 142 et s.; En ce sens, l’article 1er du Code de procédure civile français dispose que « seules les parties
introduisent l'instance, hors les cas où la loi en dispose autrement. Elles ont la liberté d'y mettre fin avant
qu'elle ne s'éteigne par l'effet du jugement ou en vertu de la loi » et l’article 2 du même code que : « Les parties
481
conduisent l'instance sous les charges qui leur incombent. Il leur appartient d'accomplir les actes de la procédure dans les
formes et délais requis ».
482
Voir infra §. 304.
483
S. Guinchard, Une class action à la française?, Recueil Dalloz 2005, p. 2180.
484
Prof. Daniel Mainguy (s. dir. de), L’introduction en droit français des class actions, op. cit.; M.-A. Frison-Roche, Les
résistances mécaniques du système juridique français à accueillir la class action : obstacles et compatibilités, op.cit.
152
336. L’action de groupe avec l’option d’opt out apparaît ainsi difficilement compatible avec les
principes fondamentaux, qui dirigent l’action en justice, dans les pays de tradition romanogermanique. En effet, le principe de la liberté d’agir en justice, mais également les principes du
respect des droits de la défense, de l’égalité devant la justice et de l’autorité de la chose jugée,
consacrés par les plus hautes juridictions françaises et européennes, seraient remis en cause par ce
type d’action.
337. Ainsi deux choix s’offrent aux législateurs nationaux et communautaires : l’abandon du système
d’opt out au profit d’un système d’opt in ou la consécration de dérogations pour le champ de l’action
de groupe. Dans ce second cas, se pose la question du champ et de la nécessité de l’action. Il
s’agirait en effet de s’interroger sur l’hypothèse d’une dérogation possible au principe justifié par un
principe d’intérêt supérieur ou par une limitation du champ d’action de l’action de groupe. Mme
Frison Roche a par exemple proposé de limiter l’action de groupe au contentieux objectif de la
réparation afin de pallier les obstacles éventuels à l’introduction de telles actions en droit positif
français 485. Cette possibilité sera examinée avec la question du champ de l’action, dans la seconde
460F
partie des développements 486. Mais la cohérence de la procédure à l’égard du système juridique dans
461F
lequel elle va s’inscrire est déterminante s’agissant de l’efficacité de cette action, comme l’a montré
notre analyse du système américain.
338. En outre, cette analyse de la jurisprudence constitutionnelle française sur la liberté d’ester en
justice et des principes directeurs de l’action en justice, souligne encore une fois l’importance de la
publicité de la procédure. Indispensable à l’information des justiciables et au recueil de leur
consentement à l’exercice de l’action par un tiers, la publicité est une des modalités clefs des recours
collectifs. De cette publicité va dépendre en grande partie l’efficacité de la procédure. Il faudra
revenir sur le contenu de cette dernière, ses modalités de diffusion ainsi que sur le moment de la
diffusion.
339. Transition. Au-delà de règles générales relatives à l’action en justice, les modalités d’exercice de
l’action de groupe doivent également être appréciées au regard du droit de la responsabilité civile,
dans les pays de droit romano-germanique, et en particulier au regard du principe de réparation
intégrale du préjudice et de son corollaire le principe de l’enrichissement sans cause.
485
M.-A. Frison-Roche, Les résistances mécaniques du système juridique français à accueillir la class action : obstacles et
compatibilités, op. cit.
486
Voir Partie II, §. 519 et s.
153
§2) La préservation des principes fondamentaux gouvernant le droit de la
responsabilité civile
340. La détermination du montant du dommage réel dans le contentieux civil est une question, par
nature, délicate et la notion même de dommage est l’objet de nombreux débats 487. Cette
462F
problématique est, cependant, déterminante dans les actions de groupe où par nature tous les
membres doivent avoir subi un préjudice identique et où les personnes représentées à la procédure
ne sont pas nécessairement identifiés a priori. Leur préjudice personnel est difficilement analysable.
Au-delà de cette complexité, le domaine du litige peut lui aussi rendre difficile la détermination du
dommage réel. Ainsi la tentation est grande de recourir à la méthode américaine de globalisation du
dommage et d’adopter ainsi une approche facilitée de la mission des juges (A). Cependant, dans les
pays de droit romano-germanique, le principe de la réparation intégrale du préjudice laisse peu de
marge de manœuvre pour apprécier de manière approximative le dommage réel subi (B).
A) La facilitation de la détermination des dommages et intérêts pour les contentieux de
masse et les contentieux spécialisés
341. Les américains ont décidé de se départir du principe de la responsabilité intégrale pour favoriser le
recours à l’action en justice (1), ce qui a fortement inspiré les institutions communautaires dans leurs
propositions de réforme (2).
1) L’exemple américain de la globalisation du préjudice
342. Dans une procédure d’action de groupe à l’américaine, les personnes représentées peuvent être
identifiées, soit en aval de la détermination du montant des dommages et intérêts à allouer, dans un
système d’opt out, soit en amont de ce processus dans un système d’opt in. Dans le premier cas, la
méconnaissance de l’identité des demandeurs au litige et de leur situation personnelle ne permet pas
au juge d’apprécier individuellement le préjudice réel de chacun. De même, dans le second cas, le
grand nombre de personnes, partie à l’action, tendrait à compliquer le travail d’examen de la
situation individuelle de chacun des demandeurs. Ainsi le juge américain a recours à une méthode de
globalisation du préjudice pour déterminer le montant des dommages et intérêts à allouer. Placé dans
un système d’opt out, il fait, d’une part, reposer l’indemnisation sur une évaluation approximative du
nombre de demandeurs et d’autre part, il évalue la perte commune subie par les demandeurs sans
tenir compte des spécificités individuelles. Par exemple, en Europe, la date d’acquisition du bien par
487
Voir F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit Civil, Les obligations, Précis Dalloz, 10ème éd., 2009, p. 712 et suivantes.
154
le demandeur pourrait avoir un impact sur les intérêts moratoires liés au dommage. De même, les
pertes de profits potentiels nécessitent un examen individuel de la situation du demandeur. Le juge
américain ne s’attache lui qu’à la seule perte directe subie par les demandeurs. A titre d’exemple, la
méthode adoptée en cas de litige sur la valeur de titres boursiers du fait d’une mauvaise information
de l’émetteur peut être rappelée. Le juge établit un plan de répartition de l’indemnisation, qui repose
sur le nombre de titres détenus et sur le montant de la perte estimée par titre. Le détenteur de titres
ayant acheté ses valeurs pendant la période de l’infraction déterminée par le juge, est en droit de
réclamer une indemnisation de X pourcent de la valeur de son titre, qui compense le surcoût payé
estimé et ce, multiplié par le nombre de titres détenus 488.
463F
343. Le juge américain se prononce alors en équité 489 plutôt qu’en droit, comme cela est le cas en droit
46F
français et en droit de tradition romano-germanique en général. Cette notion d’équité sera étudiée
dans un second temps. Le juge américain a, également, la faculté ou l’obligation, dans certaines
matières, d’infliger des dommages et intérêts punitifs en complément des dommages et intérêts
compensatoires, ce qui lui permet d’aller au-delà de la seule réparation du préjudice.
344. Ce système de globalisation de l’indemnisation présente de nombreux avantages, dont celui de
faciliter, pour le juge, la détermination du montant des dommages et intérêts à allouer aux victimes,
en particulier dans le cadre de l’action de groupe. Ainsi les pouvoirs publics en Europe, qui visent la
facilitation des recours civils et notamment à l’introduction de recours collectifs, ont envisagé cette
méthode de détermination du montant du préjudice et tenté d’implanter ce procédé américain en
Europe. Cette méthode a de plus un écho particulier dans certaines matières économiques pour
lesquelles la détermination du préjudice subi par les victimes peut s’avérer compliquée. Ainsi les
pouvoirs publics européens se sont intéressés à la question lorsqu’ils ont envisagé de renforcer
l’accès au juge civil et de favoriser les actions collectives en droit de la concurrence notamment.
2) Les propositions européennes de l’approximation du préjudice
488
Voir §. 280.
« L’Equity est une ensemble de règles élaborées principalement aux XVe et XVIe siècles pour compléter le système de la
Common Law qui est devenu insuffisant et défectueux. Lorsque les cours royales qui appliquaient la Common Law ne
pouvaient être saisies d’une affaire ou lorsqu’elles ne pouvaient offrir une solution appropriée, il était possible d’en
appeler à la conscience du roi et de lui demander d’intervenir en tant que justicier souverain. Le roi, puis le Chancelier
auquel il délégua ses pouvoirs, n’intervenait pas pour créer de nouvelles règles de droit : il intervenait uniquement au nom
de la morale », L’anglais juridique, Principes, pratiques & vocabulaire des professionnels, Business Management Series,
p. 17.
489
155
345. La Direction générale de la Concurrence de la Commission européenne (ci-après « DG
Concurrence ») a, dans son livre vert sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux
règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, de décembre 2005490,
proposé différentes options concernant cette question de la détermination du montant de
l’indemnisation. Elle a réitéré ses propositions dans le Livre blanc, qui a suivi en avril 2008 491. Elle
46F
a envisagé, d’une manière générale, d’autoriser la détermination approximative des dommages et
intérêts comme un moyen de remédier à la difficulté que représente l’exercice pour le domaine du
droit de la concurrence 492 (b) et a aussi formulé des propositions propres aux actions de groupe (a).
467F
a) Pour les contentieux de masse
346. Tout d’abord, la Commission propose de différencier la phase du jugement sur la responsabilité au
fond de l’auteur de l’infraction, de la phase d’indemnisation, en ce y compris, la détermination du
montant des dommages et intérêts, afin de favoriser une résolution à l’amiable entre les parties pour
cette seconde phase 493.
468F
347. La Commission ne précise pas que cette mesure serait spécifique aux actions collectives.
Cependant, elle apparaît avoir plus de sens dans le cadre d’un recours collectif 494. En effet, la
469F
490
Le Livre vert, intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et
les abus de position dominante », Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, 25 déc. 2005,
COM(2005) 672 final.
491
Le Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les
abus de position dominante, Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, 2 avr. 2008 COM(2008)
165 final.
492
La Commission fait valoir que « le calcul [du quantum des dommages et intérêts, tels que défini par la CJCE], qui
nécessite une comparaison avec la situation économique de la victime dans le scénario hypothétique d’un marché
compétitif, constitue souvent un exercice très compliqué ». Elle ajoute que ce calcul « peut se révéler excessivement
difficile, voire pratiquement impossible, si le principe selon lequel le montant exact du dommage subi doit toujours être
calculé avec précision est appliqué strictement ». Ainsi elle propose « d'établir un cadre contenant des orientations
pragmatiques et non contraignantes pour l'évaluation des dommages et intérêts dans les affaires d'ententes et d'abus de
position dominante, par exemple au moyen de méthodes d'approximation ou de règles simplifiées pour l'estimation des
dommages subis », Le livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur
les ententes et les abus de position dominante, Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, 2 avr.
2008, COM(2008) 165 final, p. 8.
493
Le Livre vert, intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et
les abus de position dominante », Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, 25 déc. 2005,
COM(2005) 672 final, p. 20.
494
Selon l’AFEC, cette option peut donner lieu à deux lectures. Tout d’abord on envisage la procédure proposée comme un
moyen pour les parties en demandes de ne pas se préoccuper dans un premier temps du calcul du montant des dommages et
intérêts et de s’intéresser seulement à l’établissement de la responsabilité de l’auteur sur le volet civil. Dans ce premier cas,
l’AFEC note alors que cette solution aurait pour inconvénient majeur de rallonger la durée des procédures de matière
conséquente, réflexion à laquelle on peut s’associer. Ensuite on peut envisager la procédure proposée comme spécifique
aux recours collectifs, ce qui semble plus logique, Réponse au Livre vert « Action en dommages et intérêts pour infraction
aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », Association Française des Etudes de
Concurrence (AFEC), 2006, p. 12,
156
différenciation du jugement au fond de la détermination de l’indemnisation permettrait de pallier la
méconnaissance de l’identité des demandeurs, la détermination des dommages et intérêts intervenant
qu’après que ces derniers soient identifiés individuellement.
348. Dans ce cas, il serait possible de déterminer le préjudice réel de chacun des demandeurs. En effet,
chacun d’entre eux serait en mesure de faire valoir auprès de l’entreprise les éléments nécessaires à
la détermination de toutes les composantes de l’indemnisation du préjudice réellement subi. Cette
proposition se rapproche du mécanisme des procédures « modèles », connues en droit allemand et en
droit anglais, qui peuvent apparaître comme des alternatives intéressantes à l’action de groupe telles
qu’envisagées jusqu’à présent en droit de la concurrence 495.
470F
349. Cependant, s’agissant du recours à la procédure amiable pour la détermination du montant des
dommages et intérêts, quelques réserves peuvent être émises. Ce système présente un avantage pour
les services de la justice en terme de temps et de coûts et à partir du moment où le principe de
responsabilité est établi, l’indemnisation ne sera qu’une formalité. Cependant, un retour possible à la
justice doit être prévu, en cas de désaccord inextricable, entre les parties, afin que le jugement ne
reste pas sans application, ou que la phase d’indemnisation ne dure pas un temps déraisonnable.
350. La proposition de la Commission de séparer la phase du jugement sur la responsabilité et la phase
d’indemnisation apparait tout à fait pertinente dans le cadre des actions collectives où l’identification
des parties à la procédure peut être différée. En revanche, il faut rester prudent quant au recours à la
procédure amiable à ce stade de la procédure étant donné que la détermination du montant du
préjudice peut constituer un exercice délicat et ce, en particulier dans certains contentieux
spécialisés, comme en droit de la concurrence.
b) pour les contentieux spécialisés
351. Revenons à la question de la détermination du montant du préjudice en droit de la concurrence.
Ce droit repose sur une réalité économique, qui nécessite de prendre en compte des conditions
économiques pour sa mise en œuvre et ainsi de procéder à des analyses économiques 496. Ces aspects
471F
Accessible à l’adresse suivante: http://ec.europa.eu/competition/antitrust/actionsdamages/green_paper_comments.html.
495
Voir §. 408 et s.
496
Voir Quantifying antitrust damages, towards non binding guidance for courts, Etude préparée pour la Commission
européenne, par Oxera et par une équipe de juristes pluridisciplinaires, dirigée par le Dr. Assimakis Komninos, avec
157
économiques vont alors peser dans le processus d’évaluation des préjudices subis par les acheteurs
en cas de violation des règles de la concurrence libre et non faussée sur le marché. Prenons comme
exemple, une des infractions au droit de la concurrence, jugée comme la plus grave: l’entente entre
concurrents sur les prix497. Dans ce cas, plusieurs entreprises concurrentes ont fixé de façon
4
concertée les prix d’un produit sur un marché donné. Il peut être considéré que l’acheteur a subi un
préjudice du fait de la hausse artificielle des prix engendrée par la concertation. Il faut alors
déterminer le montant du surplus payé par l’acheteur et ainsi fixer le dommage réel subi par ce
dernier. Pour ce faire, il existe deux méthodes économiques développées aux Etats-Unis. La
première méthode consiste à regarder l’évolution des prix sur un marché voisin et tenter de procéder
à un comparatif de ces évolutions aux vues des conditions et caractéristiques du marché de produits
en cause (Yard Stick)498. La seconde méthode consiste en une comparaison des caractéristiques du
4
marché pertinent avant la pratique anticoncurrentielle et après cette dernière (Before & After)499. La
4
mise en œuvre de ces méthodes nécessite alors de procéder à des analyses économiques
approfondies.
352. La Commission s’est alors interrogée sur l’opportunité de recourir à des « modèles économiques
complexes » pour la détermination du montant des dommages et intérêts 500. Cependant, comme l’a
475F
souligné l’Association Française d’Etude de la Concurrence (ci-après « AFEC ») dans sa réponse au
Livre vert de la Commission 501, la mise en œuvre de ces modèles nécessite une certaine compétence,
476F
dont ne disposent pas forcément les juges et les parties et le recours systématique à des experts
pourrait alors se révéler couteux pour les parties. De plus, ce système aurait pour effet d’avantager
par nature plus les entreprises que les demandeurs, en particulier si ces derniers sont des
l’assistance économique du Dr. Walter Beckert, du Professeur Eric Van Damme, du Professeur Mathias Dewatripont, du
Professeur Julian Franks, du Dr. Adriaan Ten Kate et du Professor Patrick Legros, Déc. 2009.
497
« On entend par “entente injustifiable” un accord anticoncurrentiel, une pratique concertée anticoncurrentielle ou un
arrangement anticoncurrentiel entre concurrents visant à fixer des prix, procéder à des soumissions concertées, établir des
restrictions ou des quotas à la production, ou à partager ou diviser des marchés par répartition de la clientèle, de
fournisseurs, de territoires ou de lignes d’activité », Une action efficace contre les ententes injustifiables,
Recommandations du Conseil de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), 25 mars
1998, C(98)35/FINAL, point 2. Dans cette recommandation, l’OCDE a qualifié ces ententes comme les infractions les plus
graves au droit de la concurrence.
498
F. Polverino, A Class Action Model For Antitrust Damages Litigation In The European Union, University of Chicago
Law School, Working paper Series, August 29, 2006, p. 27; R. Saint-Esteben, Pour ou contre les dommages et intérêts
punitifs, LPA, 20 janv. 2005, n° 14, p. 53.
499
Ibid.
500
Le Livre vert, intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et
les abus de position dominante », Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, 25 déc. 2005,
COM(2005) 672 final, p. 20.
501
Réponse au Livre vert « Action en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et
les abus de position dominante », Association Française des Etudes de Concurrence (AFEC), 2006, accessible à l’adresse
suivante : http://ec.europa.eu/competition/antitrust/actionsdamages/green_paper_comments.html.
158
consommateurs. En effet, les entreprises disposent de moyens plus importants pour ordonner des
contre-expertises et pourraient ainsi plus facilement contester les évaluations faites par les
demandeurs 502. La question du coût de l’expertise se pose dans tous les domaines du droit. Ainsi la
47F
plupart des juges en Europe essayent toujours de restreindre l’utilisation de cette mesure
d’instruction. Cependant, en Allemagne, lors de la réforme de la procédure civile en 2001, le
législateur a décidé d’élargir le pouvoir de nomination des experts503. Le juge allemand peut recourir
47
à l’expertise sur demande des parties et également d’office504. S’agissant du surcoût que cela peut
4
engendrer vis-à-vis des demandeurs, dans le cadre d’une action collective, le législateur allemand a,
dans sa procédure dite « modèle » en droit boursier505, accordé des facilités de paiements aux
4
demandeurs et a ordonné une mutualisation des coûts entre les différents demandeurs 506. Ainsi il
4
pourrait être fait le choix, malgré le coût supplémentaire, de recourir plus facilement aux experts en
la matière, dès lors que cette mesure serait couplée avec des dispositions particulières pour la prise
en charge des coûts.
353. A ce premier degré de complexité peuvent s’ajouter d’autres éléments à prendre en compte.
Ainsi, dès lors que le marché de produits concerné par l’infraction au droit de la concurrence serait
un marché d’intermédiaires, il faut s’interroger sur la possibilité que l’acheteur direct ait répercuté le
surplus payé sur l’acheteur indirect et s’assurer alors en cas d’indemnisation de l’acheteur direct que
cet enrichissement ait bien une cause507.
354. La Commission a formulé deux autres propositions pour remédier à ces difficultés de
détermination du montant des dommages et intérêts à allouer. Tout d’abord, elle propose l’adoption
par le tribunal d’une approche équitable au moment de la détermination du montant des dommages
et intérêts 508. Elle s’inspire ainsi directement de la mesure de Common Law où les juges ont la
483F
502
Réponse au Livre vert « Action en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et
les abus de position dominante », Association Française des Etudes de Concurrence (AFEC), 2006, p. 12, accessible à
l’adresse suivante : http://ec.europa.eu/competition/antitrust/actionsdamages/green_paper_comments.html.
503
P. L. Murray et R. Stürner, German Civil Justice, Carolina Academic Press, 2004, p. 241.
504
Code de procédure civile allemand/Zivilprozessordnung (ZPO), §. 273.
505
Voir infra §. 407 et s.
506
La mutualisation des frais de justice est une des pistes intéressantes qui doit être exploitée pour résoudre la question du
financement de l’action, qui est l’une des questions déterminantes s’agissant de l’efficacité de l’action collective. Voir §.
435-438.
507
La théorie de la répercusson des surcouts fut développée par la Commission européenne dans son Livre vert, Le Livre
vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de
position dominante », Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, 25 déc. 2005, COM(2005) 672
final, p. 8, point 2.4. Cette question sera examinée avec les propositions de la DG Concurrence, Voir §. 600 et s.
508
Le Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et
les abus de position dominante », Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, 25 déc. 2005,
COM(2005) 672 final, p. 20, option n° 18.
159
possibilité de se prononcer en équité et non en droit509. Au surplus, elle se propose d’élaborer des
4
lignes directrices sur la détermination du montant des dommages et intérêts 510 pour faciliter le rôle
485F
du juge national. Elle a par ailleurs sur ce point publié une étude sur la quantification des dommages
et intérêts en matière de droit des ententes en décembre 2009511, dans laquelle elle fournit aux
4
juridictions nationales un guide non contraignant pour la quantification des dommages en droit de la
concurrence. La Commission expose les étapes du raisonnement pour déterminer les dommages et
intérêts, puis donne des méthodes et des modèles économiques pouvant être utilisés à titre
complémentaire. L’AFEC, dans sa réponse au Livre vert 512, a considéré que la Commission
487F
européenne n’est peut-être pas la bonne institution pour élaborer ce type de document étant donné
qu’elle n’est pas compétente pour allouer des dommages et intérêts et ainsi ne dispose pas
d’expérience en la matière. En revanche, elle fait valoir qu’il serait intéressant d’élaborer un
document de référence reprenant une typologie des préjudices potentiels suivant les infractions
commises et en déterminant « les preuves documentaires qui permettent généralement de constater
les effets de telles pratiques et donc les préjudices éventuellement subis »513. La Commission a
48F
soumis à consultation un document de projet de document d'orientation sur la quantification du
préjudice dans les actions en dommages et intérêts fondées sur des infractions à l'article 101 ou 102
TFUE 514. Dans certains Etats membres, le contentieux de la concurrence relève de la compétence de
89F
juridictions spécialisées 515. Il est alors possible d’envisager l’ajout de chambres civiles au sein de
490F
509
« L’Equity est une ensemble de règles élaborées principalement aux XVe et XVIe siècles pour compléter le système de la
Common Law qui est devenu insuffisant et défectueux. Lorsque les cours royales qui appliquaient la Common Law ne
pouvaient être saisies d’une affaire ou lorsqu’elles ne pouvaient offrir une solution appropriée, il était possible d’en
appeler à la conscience du roi et de lui demander d’intervenir en tant que justicier souverain. Le roi, puis le Chancelier
auquel il délégua ses pouvoirs, n’intervenait pas pour créer de nouvelles règles de droit : il intervenait uniquement au nom
de la morale », L’anglais juridique, Principes, pratiques & vocabulaire des professionnels, Business Management Series,
p. 17, op. cit.
510
Le Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et
les abus de position dominante », Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, 25 déc. 2005,
COM(2005) 672 final, p. 20.
511
Quantifying antitrust damages, towards non binding guidance for courts, Etude préparée pour la Commission
européenne, par Oxera et par une équipe de juristes pluridisciplinaires, dirigée par le Dr. Assimakis Komninos, avec
l’assistance économique du Dr. Walter Beckert, du Professeur Eric Van Damme, du Professeur Mathias Dewatripont, du
Professeur Julian Franks, du Dr. Adriaan Ten Kate et du Professor Patrick Legros, Déc. 2009.
512
Réponse au Livre vert « Action en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et
les abus de position dominante », Association Française des Etudes de Concurrence (AFEC), 2006, p. 13, accessible à
l’adresse suivante : http://ec.europa.eu/competition/antitrust/actionsdamages/green_paper_comments.html
513
Réponse au Livre vert « Action en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et
les abus de position dominante », Association Française des Etudes de Concurrence (AFEC), 2006, p. 13, accessible à
l’adresse suivante : http://ec.europa.eu/competition/antitrust/actionsdamages/green_paper_comments.html.
514
Projet de document d'orientation sur la quantification du préjudice dans les actions en dommages et intérêts fondées sur
des infractions à l'article 101 ou 102 du traité, Direction générale de la Concurrence de la Commission européenne, juin
2011, disponible à l’adresse suivante http://ec.europa.eu/competition/consultations/2011_actions_damages/index_fr.html.
515
En France, voir Décret n° 2005-1756 du 30 déc. 2005 fixant la liste et le ressort des juridictions spécialisées en matière
de concurrence, de propriété industrielle et de difficultés des entreprises, JORF n° 304 du 31 déc. 2005, p. 20831.
160
ces juridictions, les juges ayant eu l’expérience de la détermination des dommages et intérêts en
matière économique.
355. Cette démarche de la Commission rejoint une réflexion du Conseil de la concurrence français
(devenu l’Autorité de la concurrence) dans un avis de 2006 sur les actions de groupe 516. Ce dernier a
4
en effet mis en lumière le pouvoir du Competition Appeal Tribunal (CAT) de connaître des
demandes en indemnisation des victimes dès lors qu’il est saisi d’un appel sur une décision rendue
par l’Office Fair Trading (OFT), l’autorité de la concurrence anglaise. Le Conseil de la concurrence
français avait alors souligné le gain de temps dans la procédure grâce à cette mesure 517. Il faut rester
492F
très prudent sur ce sujet car la réparation du préjudice relève d’une part de la compétence de la
juridiction judiciaire, et non de la compétence d’une autorité administrative. Cependant, dans de
nombreux Etats membres de l’Union, la compétence est dévolue en droit de la concurrence à des
autorités administratives indépendantes et non à des juridictions relevant de l’ordre judiciaire.
D’autre part, la mise en œuvre de la responsabilité civile relève de la compétence de la juridiction
civile. En France, par exemple ce principe souffre d’exceptions. Ainsi l’action civile peut être mise
en œuvre devant la juridiction pénale 518. Cependant, les autorités de concurrence, telle que l’Autorité
493F
française de la concurrence, ne peuvent être assimilées à des juridictions pénales, puisqu’elles ne
relèvent pas de l’ordre judiciaire, contrairement au CAT anglais et le droit de la concurrence n’est
pas considérée comme une matière pénale 519, contrairement au droit anglais.
F
356. La détermination du montant du dommage subi est un exercice délicat pour tous les juges quel que
soit le domaine et quelle que soit la procédure. Adopter de la souplesse dans ce processus faciliterait
ainsi considérablement la tâche du juge dès lors qu’il serait confronté à un litige de nature
économique, qui nécessite des analyses économiques complexes et/ou dès lors qu’il serait en
présence d’un contentieux de masse où examiner le préjudice subi individuellement par l’ensemble
des demandeurs demanderait un temps considérable et des moyens conséquents. La Commission
s’est fortement impliquée pour pallier ces difficultés. Cependant, ces solutions font fi des principes
516
Avis du Conseil de la concurrence relatif à l’introduction de l’action de groupe en matière de pratiques
anticoncurrentielles, 21 sept. 2006, disponible à l’adresse suivante : www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/classactions.pdf.
517
Ibid, p. 19.
518
Selon l’article 3 alinéa 3 du Code de procédure pénale, la victime d’un dommage peut porter sont action devant la
juridiction pénale plutôt que devant la juridiction civile pour obtenir réparation de son dommage « pour tous les chefs de
dommages aussi bien matériels que corporels ou moraux, qui découleront des faits objets de la poursuite », voir F. Terré,
P. Simler et Y. Lequette, Droit Civil, Les obligations, op. cit., p. 886, n° 877.
519
Voir art. 23 §.5 du Règlement (CE) n°1/2003 du Conseil, du 16 déc. 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de
concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, Journal Officiel n° L1 du 4 janv. 2003, p. 1-25.
161
de fond régissant la responsabilité civile dans les pays de Civil Law et en particulier du principe de
réparation intégrale du préjudice.
B) L’obstacle du principe de réparation intégrale du préjudice
357. Le droit de la responsabilité civile est gouverné par le principe selon lequel toute personne qui
cause un dommage à autrui doit le réparer 520. A titre d’exemple, l’article 1382 du Code civil français
495F
dispose que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la
faute duquel il est arrivé, à le réparer »). Il en est de même de l’article 2043 du Code civil italien 521.
496F
La réparation peut être alors effectuée en nature ou par équivalent, c'est-à-dire, par le versement de
dommages et intérêts 522.
497F
358. Dans les pays de droit romano-germanique, la réparation du préjudice subi s’entend alors d’une
réparation intégrale du dommage avec la maxime « tout le dommage », mais également « rien que le
dommage »523. La responsabilité civile est gouvernée par le principe de la réparation intégrale du
4 98F
préjudice et par son corollaire, le principe d’interdiction de l’enrichissement sans cause. A cette
définition, s’ajoute un dernier élément, qui est la « seule prise en compte de la situation de la
victime », à l’exclusion de la nature ou de la gravité de la faute commise et du comportement de
l’auteur de la faute, c'est-à-dire, s’il a agi, de manière intentionnelle ou de manière réitérée 524.
49F
359. En partant de ces principes, les législateurs et les juges ont dégagé les éléments à prendre en
compte pour déterminer le montant des dommages et intérêts à verser à la victime en cas de
dommage causé. Par définition, en matière civile et commerciale, les dommages et intérêts couvrent
la perte matérielle subie par la victime (Damnum emergens), la perte de profits (Lucrum cessans)
ainsi que les intérêts moratoires, que l’on fait courir, soit à compter de la date du jugement, soit à
compter de la pratique ou de l’apparition du préjudice 525. A titre d’exemple, en droit français,
50F
l’article 1149 du Code civil en matière de responsabilité contractuelle dispose que « les dommages et
intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a fait et du gain dont il a été privé, sauf
520
F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit Civil, Les obligations, Précis Dalloz, 10ème éd., 2009, p. 685-686.
C. civ. it, art. 2043: « Qualunque fatto doloso o colposo, che cagiona ad altri un danno ingiusto, obbligo colui che ha
commesso il fatto a risarcire il danno ».
522
F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit Civil, Les obligations, Précis Dalloz, 10ème éd., 2009, p. 909.
523
F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit Civil, Les obligations, Précis Dalloz, 10ème éd., 2009, p. 913, n° 900.
524
Sur la date d’évaluation du dommage, voir Droit Civil, Les obligations, op. cit., p. 916, n° 902 et suivants.
525
Voir à titre d’exemple, C. civ., art. 1153-1: « [Les dommages et intérêts] ne sont dus que du jour de la sommation de
payer, « ou d’un autre acte équivalent telle une lettre missive s’il en ressort une interpellation suffisante, » excepté dans le
cas où la loi les fait courir de plein droit ».
521
162
les exceptions et les modifications ci-après ». De même en droit italien, l’article 1223 du Code civil
dispose que « Les dommages-intérêts pour rupture de contrat ou pour le retard doivent donc inclure
la perte subie par le créancier ainsi que la perte de profits, quand elles sont immédiates et que la
conséquence est directe » 526.
5 01F
360. Ces principes ont été consacrés, au niveau communautaire, par la Cour de justice de l’Union
européenne, comme par le Parlement européen, s’agissant des contentieux en droit de la concurrence
notamment. Tout d’abord, dans un arrêt Manfredi de 2006 527, la Cour de Justice des Communautés
502F
européennes (CJCE, devenue la Cour de Justice)
528
503F
rappelle sa jurisprudence constante 529 sur le
504F
respect du principe de l’enrichissement sans cause. Ainsi selon la Cour de Justice, « le droit
communautaire ne fait pas obstacle à ce que les juridictions nationales veillent à ce que la
protection des droits garantis par l’ordre juridique communautaire n’entraine pas un
enrichissement sans cause des ayants droit »530. De plus, elle précise les composantes du préjudice à
5 05F
réparer en se basant, d’une part, sur le principe d’effectivité et, d’autre part, sur le « droit de toute
personne de demander réparation du dommage causé par un contrat ou un comportement
susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence » 531, tel que consacré par sa
5 06 F
jurisprudence Courage 532. Ainsi selon la Cour de Justice, la réparation doit porter sur le « dommage
507F
réel (damnum emergens), mais également [sur le] manque à gagner (lucrum cessans) ainsi que [sur
le] paiement d’intérêts »533. Sur le manque à gagner, elle précise spécialement que « l’exclusion
508 F
totale, au titre du dommage réparable, du manque à gagner ne peut être admise en cas de violation
du droit communautaire, car, spécialement à propos de litiges d’ordre économique ou commercial,
une telle exclusion totale du manque à gagner serait de nature à rendre en fait impossible la
réparation du dommage (voir arrêts Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, point 87, et du 8
526
Art. 1223 Risarcimento del danno « Il risarcimento del danno per l’inadempimento o per il ritardo deve comprendere
cosi la perdita subita dal creditore come il mancato guadagno, in quanto ne siano conseguenza immediata e diretta ».
527
Arrêt de la CJCE, 13 juil.2006, Vincenzo Manfredi c/Lloyd Adriatico Assicurazioni SpA, aff. jointes C-295/04 à C298/04, Recueil 2006, p. I-6619; Voir §. 554 et s.
528
Voir Articles 9 et suivants du Traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1 er déc. 2009. Selon le Traité, « la Cour de justice
de l'Union européenne comprend la Cour de justice, le Tribunal et des tribunaux spécialisés. Elle assure le respect du droit
dans l'interprétation et l'application des traités ».
529
CJCE, 4 oct. 1979, Ireks-Arkady c/Conseil et Commission, aff. 238/78, Recueil 1979 p. 2955, point 14; CJCE, 27 fév.
1980, Just, aff. 68/79, Recueil 1980 p. 501, point 26; CJCE, 21 sept. 2000, Michailidis, Affaires jointes C-441/98 et C442/98, Recueil 2000 p. I-7145, point 31 : « selon une jurisprudence constante, la protection des droits garantis en la
matière par l'ordre juridique communautaire n'exige pas d'accorder une restitution de taxes indûment perçues dans des
conditions qui entraîneraient un enrichissement sans cause des ayants droit ».
530
CJCE, 13 juil.2006, Vincenzo Manfredi c/Lloyd Adriatico Assicurazioni SpA, op. cit., point 94.
531
CJCE, 13 juil.2006, Vincenzo Manfredi c/Lloyd Adriatico Assicurazioni SpA, op. cit., point 95.
532
CJCE, 20 sept. 2001, Courage Ltd c/ Bernard Crehan, Affaire C-453/99, Recueil 2001, p. I-6297, sur question
préjudicielle, point 24.
533
CJCE, 13 juil.2006, Vincenzo Manfredi c/Lloyd Adriatico Assicurazioni SpA, op. cit., point 95.
163
mars 2001, Metallgesellschaft e.a., C-397/98 et C-410/98, Rec. p. I-1727, point 91) » 534. Quant au
5 09F
paiement d’intérêts, la Cour rappelle son arrêt Marshall, du 2 août 1993 535 selon lequel leur octroi,
510 F
selon les règles nationales applicables, constitue une composante indispensable d’un
dédommagement.
361. Le Parlement européen, dans une Résolution du 27 avril 2007 536, a également repris ces principes.
51F
Il déclare que « l'indemnisation reconnue aux requérants devrait avoir un caractère compensatoire
et ne pas dépasser la perte subie ("damnum emergens") et le manque à gagner ("lucrum cessans")
effectifs »537. Il justifie alors sa position en s’appuyant sur le principe de l’interdiction de
512F
l’enrichissement sans cause 538. Le Parlement apporte également une précision intéressante en ce
513F
qu’il considère que « la capacité de la victime à minimiser la perte subie et le manque à gagner peut
être prise en compte » 539. Il ajoute de plus que « les intérêts devraient être calculés à compter de la
5 14F
date de l'infraction » en matière de droit de la concurrence 540. Dans sa résolution du 26 mars 2009
51F
sur le Livre blanc, le Parlement réitère sa position en se félicitant que « la réparation soit considérée
comme une compensation pour les pertes subies, mais aussi pour le manque à gagner, y compris les
suppléments et les intérêts. [Il] demande [alors] que ce principe préside au fonctionnement de tous
les mécanismes de recours collectifs au niveau communautaire »541.
516 F
362. Ainsi tel que rappelé par les plus hautes juridictions tant en droit interne qu’en droit
communautaire, les principes de la réparation intégrale du préjudice et de l’interdiction de
l’enrichissement sans cause s’oppose à l’adoption d’un système de détermination approximative du
montant des dommages et intérêts. La détermination du préjudice subi par le justiciable suppose, en
effet, un examen individualisé de la situation de la victime. La solution adoptée par le législateur
danois dans sa loi n° 181/2007, relative à l’action de groupe, peut être relevée. En effet, pour tenir
compte du fait que l’évaluation des dommages et intérêts pouvait nécessiter une analyse individuelle
534
CJCE, 13 juil.2006, Vincenzo Manfredi c/Lloyd Adriatico Assicurazioni SpA, op. cit., point 95.
CJCE, 2 août 1993, Marshall c/ Southampton and South West Hampshire Area Health Authority, Affaire C-271/91,
Recueil 1993, p. I-4367, point 31.
536
Résolution du Parlement européen, du 25 avr. 2007, sur le Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour
infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », (2006/2207 (INI)).
537
Ibid, point 17.
538
Ibid.
539
Ibid.; On notera que cette obligation est connue des systèmes anglo-saxons et se retrouve dans certaines conventions
internationales s’agissant en particulier de responsabilité contractuelle. En France, la question est très discutée, la Cour de
cassation s’étant prononcée contre cette obligation dans une affaire relative à un accident de la circulation en des termes
très généraux (D. 2003.2326, note Chazal), voir Droit Civil, Les obligations, op. cit., p. 911-913, n° 899-1.
540
Résolution du Parlement européen, du 25 avr. 2007, sur le Livre vert, op. cit., point 17.
541
Résolution du Parlement européen du 26 mars 2009 sur le Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour
infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante (2008/2154(INI)), point 16.
535
164
de la situation des victimes, le législateur a considéré qu’il était possible d’introduire une telle action
seulement pour obtenir un jugement déclaratoire sur la responsabilité du défendeur. Dans ce cas de
figure, les justiciables danois sont alors renvoyés à l’action individuelle pour obtenir le prononcé des
dommages et intérêts 542.
517F
363. La procédure d’action de groupe, pose des difficultés quant à la détermination du montant des
préjudices subis du fait, d’une part, de l’absence d’identification a priori des demandeurs et, d’autre
part, de la multiplicité de ces derniers. La difficulté est accrue dans certains domaines du droit où
l’évaluation du préjudice s’entend à travers des études économiques complexes. Outre, les difficultés
techniques, l’évaluation peut alors se révéler coûteuse. La Commission européenne a proposé
différentes mesures tendant à pallier ces difficultés. Elle suggère, en particulier, d’introduire une part
d’approximation dans ce processus. Cependant, elle n’a pas tenu compte des principes généraux de
responsabilité civile existant dans la majorité des pays européens et qui nécessiteraient d’être
assouplis ou écartés au moins à titre dérogatoire. Il est possible de retenir la proposition de
différencier le jugement au fond et le jugement sur la responsabilité, qui permettrait le respect du
principe de la réparation intégrale du préjudice dans le cadre d’un système d’opt in et qui a été
adopté dans les faits par le législateur danois.
364. Conclusion du Chapitre 2. L’action de groupe, respectueuse des principes sous jacents au
système dans lequel elle s’inscrit. Des choix sont possibles, quant à l’orchestration de la procédure,
en particulier, entre un système d’exclusion et un système d’inclusion des personnes représentées
dans le groupe, qui ont des répercussions importantes sur les autres modalités de mises en œuvre de
la procédure. Le système américain montre, in fine, que quels que soient les choix opérés,
l’important est qu’ils soient cohérents au regard des autres modalités de mise en œuvre de la
procédure et au regard du système judiciaire dans lequel il s’inscrit afin de ne pas nuire à l’efficacité
de la procédure.
542
P. Møgelvang-Hansen, Class Actions, National Report: Denmark, p. 2, dans Class Actions, Featuring a national panel
of leaders from the court and from both sides of the class action bar, 6ème Conférence annuelle sur le thème “Strategies for
Litigating”, 6 & 7 mai 2010, Hotel Renaissance Seattle à Seattle, WA.
165
166
CONCLUSION DU TITRE I
365. Un contrôle nécessaire de la capacité à agir pour autrui. En Europe et particulièrement en
France, les actions collectives sont réservées aux seuls organismes de défense agréées dans le cadre
des actions en représentation. A défaut d’un intérêt personnel à agir, ils se voient octroyer une
capacité à agir pour défendre en justice les intérêts personnels d’autrui. Les pouvoirs publics
contrôlent alors l’activité et la représentativité de ces organismes aux travers l’octroi d’un agrément.
Suivant la même logique, ouvrir cette action à tous les justiciables nécessite également d’instaurer
un contrôle des qualités de représentation des Demandeurs représentatifs afin de pallier tout
détournement éventuel de la procédure au détriment des intérêts des personnes représentées. Les
conditions de certification de la procédure américaine, reprises par l’ensemble des législateurs
européens s’étant dotés d’une procédure d’action de groupe semblent ainsi indispensables.
366. Un contrôle nécessaire de l’opportunité de recourir à une telle procédure pour connaître des
demandes multiples. De même, il est indispensable qu’un contrôle de l’opportunité de la procédure
soit effectué par le juge. La procédure d’action de groupe, en tant que dérogatoire au droit commun,
ne doit être utilisée que dans certains litiges de masse, dont les cas présentent des questions de droit
et de fait similaires. La procédure d’action de groupe doit apparaître comme le moyen le plus
approprié pour connaître de ces demandes, et ce, dans l’intérêt d’une bonne administration de la
justice.
367. Envisager la procédure d’action de groupe, c’est également prendre en compte les droits des
personnes représentées. L’action de groupe implique également des modalités de mise en œuvre
exorbitantes du droit commun afin de permettre l’identification des personnes représentées à la
procédure. Une publicité de la procédure, qui devra être effectuée sous le contrôle strict du juge est
ainsi indispensable pour informer ces personnes de l’existence de la procédure. Elle va leur
permettre de consentir à ce que leur droit d’agir en justice soit exercé par le tiers désigné.
368. Une procédure conforme aux principes directeurs de l’action en justice dans les pays
européens de droit romano-germanique. Le recueil de ce consentement suivant le système d’opt out
implique que les personnes représentées ne seront pas identifiées individuellement et qu’elles
n’auront pas explicitement donné leur accord à l’exercice de leur action par le Demandeur
167
représentatif avant le jugement au fond. Cette modalité est incompatible avec d’une part les
principes directeurs de l’action en justice, que sont la liberté individuelle d’ester en justice, le respect
des droits de la défense, l’égalité devant la justice ou encore l’autorité de la chose juge. D’autre part,
elle s’oppose au principe de la réparation intégrale du principe et de son corollaire l’enrichissement
sans cause. Seul un système d’opt in apparaît compatible avec ces principes. Comme l’a montré la
procédure américaine de class action, l’efficacité de la procédure une cohérence entre les modalités
de la procédure et le système judiciaire dans laquelle elle s’inscrit. Ainsi dans les systèmes de droit
romano-germanique, il faut tenir compte de nos principes fondamentaux pour déterminer les
modalités de mise en œuvre de cette procédure.
369. Une procédure nécessairement plus longue et complexe qu’une procédure individuelle. Ces
particularités de l’action de groupe font que cette procédure est intrinsèquement plus complexe et
plus longue que l’action en justice individuelle de droit commun. Il est ainsi inexact de penser que
l’action de groupe « a pour effet la simplification des modalités de l’action en justice » 543.
518 F
543
Voir la proposition de loi sénatoriale sur le recours collectif, déposée par les sénateurs, Mme Bricq et M. Yung, le 9 fév.
2010.
168
TITRE II : LES ALTERNATIVES
EUROPEENNES A L’ACTION DE GROUPE
370. En Europe, de nombreux Etats membres ont décidé d’adopter des procédures d’action de groupe.
Il en est ainsi de la Suède, de la Norvège, du Danemark, mais aussi de l’Italie, du Portugal ou encore
de la Pologne. D’autres pays ont opté pour des solutions alternatives à l’action de groupe afin de
faciliter le règlement des litiges de masse. Certains pays ont ainsi choisi de recourir à des procédures
judiciaires appelées les procédures de « test case ». Ces procédures ne sont pas des actions
représentatives. Elles visent seulement à faciliter le traitement des litiges de masse en compilant les
demandes et en choisissant parmi ces demandes les plus représentatives. Les demandes
sélectionnées sont tranchées au fond et la solution est appliquée aux autres demandes. D’autres Etats
réfléchissent à l’amélioration des procédures qui existent déjà dans leur droit positif, notamment
l’action en représentation ouverte aux seuls organismes agréés. Des solutions sont aussi venues des
initiatives originales des justiciables (Chapitre 1). Les réflexions se portent également vers les
modes alternatifs de résolution des litiges, qui apparaissent intéressants notamment pour les petits
litiges de consommation. En particulier, la procédure de transaction collective mise en place aux
Pays-Bas sera examinée (Chapitre 2).
169
170
CHAPITRE I : LES ACTIONS COLLECTIVES JUDICIAIRES
371. Certains législateurs européens ont adopté des procédures nouvelles en droit civil afin de pallier
les difficultés rencontrées par leurs juges nationaux dans des litiges comprenant un grand nombre de
demandeurs. Notamment, les législateurs anglais et allemands ont eu recours à une procédure, dite
« modèle ». Ces actions se distinguent des actions de groupe car les demandeurs doivent, à titre
individuel, introduire une demande en justice. Ce n’est que, dans un second temps, que ces
demandes vont être compilées afin que le juge n’ait à se prononcer que par une seule décision sur le
problème au fond, commun à toutes les demandes. Non représentatives, ces procédures présentent
un intérêt évident concernant la sauvegarde des principes fondamentaux, qui gouvernent la
procédure civile, en particulier, dans le système romano-germanique, comme l’exemple allemand le
montre (Section 1).
372. Les juges nationaux ont également fait preuve d’ouverture face aux actions innovantes des
demandeurs en justice, comme cela apparaît avec les actions intentées par l’entreprise belge, Cartel
Damages Claims (CDC), qui a eu recours au système du rachat de créance. De plus, certains Etats
membres réfléchissent à améliorer les procédures judiciaires existantes pour traiter collectivement
les demandes en justice (Section 2).
SECTION 1) LES PROCEDURES DITES « MODELES » : DES
ALTERNATIVES NON REPRESENTATIVES A L’ACTION DE
GROUPE
373. Les législateurs anglais et allemands ont trouvé un moyen de passer outre les difficultés liées à la
qualité à agir du Demandeur représentatif et aux droits des personnes présentées, que peut poser la
procédure d’action de groupe, notamment dans les systèmes de droit romano-germanique, en
adoptant un mécanisme de test case, appelé aussi procédure « modèle ».
374. Une procédure non représentative. Cette procédure est, comme les procédures d’action de
groupe, un mode d’administration collectif des demandes en justice présentant des questions de droit
et de fait en commun. Cependant, cette procédure revêt une réalité toute différente des class actions
aux États-Unis. En effet, cette procédure n’est pas représentative 544. Bien que la procédure
519F
544
Le Royaume-Uni connaît une procédure de recours dite « représentative » dans laquelle le demandeur principal peut
représenter toutes les parties ayant un même intérêt. Les modalités de cette procédure sont prévues par les règles de
171
« modèle » vise à un règlement collectif des litiges similaires, le demandeur à l’origine de la
procédure ne représente pas les personnes placées dans une situation similaire à la sienne. Sa
démarche consiste simplement à faire bénéficier les personnes, qui ont engagé une action pour un
préjudice similaire au sien, du jugement rendu dans sa propre procédure. Les actions engagées
restent des actions individuelles. L’idée sous jacente du législateur est seulement de permettre de
rationaliser l’administration des demandes en justice.
375. Une procédure adoptée en réponse à un cas d’espèce. Ces procédures sont nées, en Allemagne
comme en Angleterre, de la pratique des juges, qui ont eu à connaître des litiges impliquant un grand
nombre de demandeurs. Face à la complexité de traitement de ces demandes les juges ont eu recours
à certaines innovations procédurales, codifiées ensuite par le législateur.
376. Plan. Il est intéressant d’examiner l’une et l’autre des procédures, l’une, s’inscrivant dans un
système de Common Law, et l’autre, dans un système de droit romano-germanique. Cette différence
fondamentale entre les deux systèmes, qui reposent pourtant sur une structure procédurale analogue,
justifie la mise en œuvre, par le législateur allemand, de modalités de fonctionnement de la
procédure « modèle » toutes singulières. Ces particularismes sont justifiés par son souci de garantir
le respect du droit d’accès au juge, protégé constitutionnellement en Allemagne. Le système anglais,
dit « Group litigation Order » (GLO) 545, repose sur un système de contrôle a priori du juge, qui rend
520F
l’utilisation de la procédure « modèle » très exceptionnelle (§1). Cette procédure « modèle » apparait
in fine comme un outil prometteur, qui permet de pallier un certain nombre de blocages éventuels à
l’adoption d’une action de groupe (§2).
procédures civiles anglaises (Part 19.6). Ce mécanisme est ancien (plus de 100 ans), mais il n’a été que rarement utilisé car
il a fait l’objet d’une interprétation restrictive par les juges, notamment concernant la notion de « même intérêt » (Voir
Duke of Bedford v. Ellis [1901] AC1, HL.). C’est notamment pour pallier ces carences que la procédure du Group
Litigation Order a été adoptée.
545
Voir Civil Procedure Rules, Part 19, Practice Direction 19B.
172
§1) Des procédures «modèles» ou la rationalisation du traitement des demandes
individuelles en justice
377. L’étude des deux procédures, anglaises et allemandes, est intéressante. En effet, la procédure
« modèle », adoptée en droit allemand, est riche d’enseignements sur sa compatibilité avec les
principes procéduraux fondamentaux en particulier, dans les systèmes de droit romano-germanique
(B). Toute aussi garante des droits fondamentaux des justiciables anglais, que peut l’être la
procédure allemande, la procédure anglaise sera étudiée au regard de la procédure de contrôle a
priori de la mise en œuvre de cette mesure de bonne administration de la justice, qui souligne que
son utilisation ne peut être faite que dans des circonstances particulières (A).
A) La mise en œuvre du GLO en droit anglais, l’illustration d’une procédure à l’utilisation
exceptionnelle
378. La procédure du Group Litigation Order résulte d’une adaptation du juge aux circonstances
exceptionnelles d’un cas d’espèce (1), et elle se distingue par des modalités de fonctionnement très
singulières, qui permettent au juge en charge du litige de masse, de rationaliser le traitement de ces
demandes (2).
1) Le contexte d’adoption de la procédure du « Group Litigation Order » en droit anglais,
un fort pouvoir d’initiative et de création des juges
379. La simple recherche de rationalisation du traitement des litiges de masse. Le contexte
d’adoption des lois instituant des procédures « modèles » est éclairant sur la finalité de cette
procédure, qui tend vers une rationalisation du traitement des demandes, en vue d’une bonne
administration de la justice. La finalité de la class action américaine va au-delà de cet objectif, ce
qui a des conséquences sur les modalités de mise en œuvre de la procédure 546. La différence
521F
d’approche adoptée par le législateur américain et par le législateur anglais est d’autant plus
intéressante que ces deux pays sont des pays de Common Law. Ils partagent une histoire commune,
qui conduit à de nombreuses ressemblances sur bien d’autres aspects.
380. La réapparition de litiges de masse en Angleterre dans les années 80-90. Comme cela a été
souligné en introduction, les recours collectifs sont nés en Angleterre avec la Bill of peace 547.
52F
Cependant les juges anglais ont, par la suite, abandonné le système de la justice collective au profit
546
547
Voir Infra §. 567 à 571.
Voir introduction §. 5.
173
d’une justice individuelle. La question de l’action collective est apparue, de nouveau, en Angleterre
dans les années 80-90 avec la survenance de litiges de masse, concernant principalement des
questions de santé publique 548. Les juges anglais ont eu à traiter des affaires, comprenant un grand
523F
nombre de demandeurs, dans le domaine des produits pharmaceutiques et médicaux. Les affaires
relatives à des tranquillisants (Benzodiazépine litigation 549), à des implants contraceptifs (Norplant
524F
litigation 550) ou encore à des vaccins (MMR vaccins litigation) peuvent être citées. Ces litiges de
52F
masse ont conduit les juges anglais à envisager la création de nouvelles règles procédurales pour
faciliter l’administration de ces cas « hors norme », qui ont mis en lumière la rigidité des procédures
judiciaires. Le travail du juge Ian Kennedy J. Took dans l’affaire de la Benzodiazépine est
particulièrement intéressant à cet égard.
L’affaire de la Benzodiazépine 551
526F
La Benzodiazépine est un produit médicamenteux, prescrit en cas de dépression, d’insomnie et
autres maladies nerveuses. Synthétisé pour la première fois en 1947, à partir des années 60, il est
substitué aux barbituriques, par les médecins britanniques, pour le traitement des maladies
nerveuses. A cette époque, les barbituriques sont critiqués pour leurs effets secondaires, tels que la
dépendance ou l’interaction néfaste avec d’autres substances, comme l’alcool, pouvant entraîner un
coma ou la mort. Cependant, à la fin des années 80, de vives critiques sont également formulées
contre une prescription abusive de la benzodiazépine, qui, par une consommation régulière, peut
entraîner des effets secondaires néfastes pour la santé telle que la dépendance.
Les premières demandes en justice furent formulées en 1987. Elles visèrent les producteurs, et les
médecins ayant prescrit ces produits.
Cette affaire fit l’objet d’une forte publicité par les cabinets d’avocats, qui fut relayée par les médias,
ce qui eut un impact considérable sur le nombre de plaintes déposées. Les chiffres relatifs à cette
548
C. Hodges, Multi-party Actions, Oxford University Press 2001.
Voir l’encadré ci-dessous.
550
Il s’agit d’un litige mondial concernant un implant contraceptif Norplant ayant conduit à des dérèglements hormonaux
chez certaines femmes et entraînant des effets secondaires parfois permanents. En Angleterre, plusieurs centaines de
femmes se sont regroupées pour engager une action en justice, mais l’aide juridictionnelle leur ayant été refusée, elles
durent renoncer ; Voir C. Hodges, Multi-party actions, op. cit.,
551
C. Hodges, Multi-party actions, op. cit.
549
174
affaire sont impressionnants : 15 000 demandeurs, 5 500 procédures et environ 3000 cabinets
d’avocats.
Face à l’ampleur du litige, le Lord Chief Justice 552 en décembre 1990 attribue la compétence
527F
exclusive au juge Ian Kennedy pour connaître de l’ensemble des demandes en indemnisation des
préjudices personnels causés par la benzodiazépine, soit environ 15 000 demandes.
C’est dans ce contexte que le juge Ian Kennedy J. Took va, en l’absence de règles de procédure
définies, jouer de son pouvoir discrétionnaire et recourir à des techniques procédurales innovantes,
indispensables à l’administration du litige.
381. L’adoption par le juge de règles procédurales hors-norme pour le traitement des demandes
multiples. Pour garantir le traitement des demandes, le juge Ian Kennedy J. Took a fait preuve
d’imagination, et il a assoupli les règles de procédure existantes. Tout d’abord, il a sanctionné les
retards dans le transfert des demandes vers sa juridiction. Ensuite, il a rationalisé la gestion des actes
de procédure, en recourant à des formulaires pour recueillir les demandes, à des citations collectives
à comparaître, c'est-à-dire, à des listes des demandeurs avec les moyens avancés par chacun et à des
« Master pleadings », c'est-à-dire, à des conclusions, qui recoupent l’opinion de la majorité des
demandeurs. Le juge a également demandé aux personnes agissant en justice qu’ils renoncent à la
confidentialité liée au secret médical pour permettre au défendeur d’obtenir, le cas échéant, un accès
aux preuves. Il a encore procédé à un contrôle préalable des affaires en faisant la balance entre les
coûts et les bénéfices, écartant les affaires dont les chances de succès étaient nulles et les affaires
pour lesquelles les coûts seraient supérieurs aux éventuels bénéfices pour le justiciable. Enfin, le
juge Ian Kennedy J. Took a mis en place un système de date-butoir (cut-off dates) pour recueillir les
demandes des justiciables 553.
528F
382. L’échec de la procédure pour les demandeurs. Ainsi grâce à ces innovations procédurales, le
juge a pu examiner les demandes au fond. Cependant, les demandeurs ont vu leur requête rejetée. En
effet, les plaintes formulées contre les producteurs 554 furent introduites sur le fondement de la
529F
négligence. Cependant, la majorité de ces producteurs avaient formulé sur le produit une mise en
552
Le Lord Chief Justice est le président de la Haute Cour de Justice (Hight Court of justice). Il siège également au sein de
la Court of Appeal; L’anglais juridique, Principes, pratiques & vocabulaire des professionnels, préc, p. 43.
553
Ibid.
554
Les sociétés Wyeth, Roche, Upjohn et Halcion.
175
garde contre une utilisation prolongée à plus de quatre semaines. De plus, pour la plupart des cas, il
n’était pas possible de faire la preuve, ni du lien de causalité entre le produit et les maladies
alléguées, ni parfois de l’existence de la maladie et donc du dommage causé. Les demandes ont ainsi
été rejetées. Concernant particulièrement les recours contre les médecins, l’échec de ce litige tient
finalement surtout aux différences existantes entre les situations des demandeurs, qui n’avaient pas
tous reçu les mêmes informations de leur médecin, et dont le traitement et la durée de ce dernier
avaient été différents (interactions avec d’autres prescriptions), ainsi que le type de dommage causé.
Il est possible de noter, avec ce point, une première similarité avec l’action de groupe. En effet, cela
sera développé ci-après en détail, dans l’action « modèle » comme dans l’action de groupe,
l’existence de questions de droit et de fait communes à l’ensemble des demandeurs est impérative
pour la mise en œuvre de la procédure. Cette considération se rapproche de la condition de
Commonality 555 du droit américain de la class action.
530F
383. Une opération couteuse pour le Bureau d’aide judiciaire (Legal Aid Board), malgré la
rationalisation du traitement des demandes d’aide. Le Bureau d’aide judiciaire a fait preuve
d’innovation dans le traitement des demandes d’aide liées à cette affaire. Face, à l’ampleur du
nombre de demandes et constatant que beaucoup de ces demandes étaient non fondées, il a ordonné
un audit des demandes individuelles afin de déterminer le bien fondé de ces demandes et leur
chances d’aboutir, ce qui lui a permis d’écarter bon nombre de cas. De même, il a eu recours à
l’imposition d’une date-butoir pour pallier l’afflux permanent des demandes. Cependant, le Bureau
de l’aide judiciaire anglais a opéré un bilan au terme de cette affaire. Le bilan financier de
l’opération (comprenant les couts de gestion de l’affaire et l’octroi des aides) fut catastrophique
puisque le Legal Aid Board a dépensé 40 millions de pounds pour que, in fine, l’affaire soit rejetée
par la Cour au fond 556. Il encourage ainsi le recours in futurum à des tests cas afin de permettre une
531F
réduction des coûts.
555
Voir Supra §. 123 et s.
L’originalité de cette affaire quant à son importance se manifeste également par le traitement des demandes d’aide
juridictionnelle par le Legal Aid Board; Voir C. Hodges, Multi-party actions, op. cit.,
556
176
384. Le récapitulatif de la période de la mise en état de la procédure dans l’affaire de la
Benzodiazépine (Multy-party Actions, Christopher Hodges, 2001)
•Dépôt des premières demandes en justice
1987-1988
6 Décembre
1990
20 Septembre
1991
Mars-avril 1992
3 Nivembre
1992
•Le Lord Chief Justice donne compétence exclusive au juge Ian Kennedy pour connaître de
toutes les demandes de réparation des préjudices personnels causés par l'absorption de
benzodiazépine.
• Date-butoir fixée par le Bureau d'aide légale pour recevoir les demandes d'aide.
•Le Legal Aid Board ordonne un audit pour évaluer le bien-fondé et les chances de réussite de
chaque demande afin d'en écarter.
•Date-butoir fixée par le juge pour déposer toute demande ou tout document à verser au
dossier.
385. Les suites de l’affaire Benzodiazépine : la refonte de la procédure civile anglaise. Cette pratique
des juges anglais tendant à une flexibilité optimale dans la conduite des litiges de masse, a suscité
une nouvelle réflexion conduisant à la refonte de toute la procédure civile anglaise. Cette réflexion
fut concrétisée en 1998 avec l’introduction des Civil Procedure Rules (CPR) 557 en droit positif. Lord
532F
Woolf, qui a beaucoup œuvré pour cette réforme 558, a particulièrement insisté sur la complexité, les
53F
délais et les coûts excessifs de la procédure civile anglaise, ce qui a conduit à l’introduction de
nouveaux principes généraux procéduraux. Par exemple, les cours de justice furent habilitées à
557
Ces règles sont des Rules of Court. Elles sont issues de la pratique des juges et viennent remplacer les Rules of the
Supreme Court et les County Court Rules. Elles sont entrées en vigueur en avril 1999.
558
En juillet 1996, Lord Woolf, agissant sur instruction du Lord Chancellor (haut fonctionnaire du gouvernement), a publié
un rapport intitulé Access to Justice, dans lequel il définit les grands principes devant sous-tendre la procédure civile
anglaise et propose des changements, qui constitueront le corps de la réforme de 1998. Les grands axes de la réforme sont
les suivants. Lord Woolf fait valoir que, pour s’assurer d’un accès effectif à la justice, le système doit répondre à certaines
exigences : « il doit
a. Être juste dans les résultats auxquels il aboutit;
b. Être juste quant à la manière de traiter les justiciables ;
c. Offrir des procédures appropriées à un coût raisonnable ;
d. Statuer sur les affaires dans un délai raisonnable ;
e. Être intelligible pour les justiciables ;
f. Répondre aux besoins des justiciables ;
g. Définir avec un degré de certitude élevé la nature des cas introduit en justice et ;
h. Être effectif : fournir des ressources et une organisation suffisante » (traduction non littérale).
177
appliquer le principe de proportionnalité pour les coûts, en s’inspirant de la pratique en matière de
transaction, et les parties furent encouragées, via certaines procédures, à fournir les éléments de la
demande en amont de la mise en œuvre de la procédure, afin de faciliter la vérification des faits et
des éléments de preuves et d’encourager les transactions. D’une manière générale, le juge anglais fut
incité à mener les affaires, qui lui sont soumises avec la plus grande fermeté, afin que les affaires
soient résolues dans un délai réduit et à un coût faible et proportionné 559.
534F
386. Une finalité différente de celle de l’action de groupe. Concernant le traitement des litiges de
masse, les CPR 560 consacrèrent le mécanisme du Group Litigation Order (GLO), qui s’inscrivit dans
53F
cette nouvelle approche de la procédure civile, développée par les praticiens du droit 561. La volonté
536F
du législateur anglais fut toute différente de celle guidant le législateur américain lors de la réforme
du système de la class action en 1966 562. En effet, le but du GLO n’est pas de renforcer l’effectivité
537F
du droit sous-jacent, mais de rationaliser le traitement des demandes, introduites en grand nombre
devant les juridictions anglaises, et qui sont relatives à un seul et même litige, présentant des
questions de droit et de fait similaires. L’objectif premier de cette procédure est de rendre une justice
équitable, dans un délai raisonnable et à un moindre coût 563. Par ailleurs, il existait à l’époque, en
538F
droit positif anglais, une procédure, dite « représentative », qui permettait de traiter les litiges
collectifs sur le modèle de l’action de groupe 564. Cependant, ce mécanisme vieux de plus de 100 ans
539F
était rarement utilisé du fait d’une interprétation très restrictive de la notion de « même intérêt » que
devait présenter le demandeur principal pour être autorisé à agir pour autrui 565. Cette différence de
540F
positionnement sur l’action de groupe entre le Royaume-Uni, et les Etats-Unis s’explique,
notamment, par le fait qu’au Royaume-Uni, comme d’ailleurs dans les autres pays européens, le rôle
des pouvoirs publics pour s’assurer du respect de la loi est prédominant.
559
Voir C. Hodges, Multi-party actions, op. cit.,
Partie 19. III des CPR, qui fut complétée par les bonnes pratiques que l’on intitule en droit anglais Practice Direction.
561
C. Hodges, Country report : England and Wales, p. 10, dans The Globalization of class actions, Conférence
internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14
déc. 2007.
562
La réforme de la class action en 1966 a été motivée par la nécessité d’agir en défense des droits des populations noirs
dès lors que la ségrégation fut déclarée inconstitutionnelle afin de faire respecter leurs droits ; Voir D. R. Hensler, N.-M.
Pace, B. Dombey-Moore, E. Giddens, J. Gross, E. Moller, Class actions dilemmas, Pursuing public goals for private gain,
RAND Institute for Civil Justice, Rand Publishing, 1 ère éd., 2000, p. 533 et s.
563
C. Hodges, Multi-party actions, op. cit..
564
Ibid.
565
Duke of Bedford v. Ellis [1901] AC1, HL, préc.
560
178
387. Ainsi le règlement collectif des litiges a été réinventé, après plus de deux siècles 566, en tant que
541F
procédure non représentative, permettant une rationalisation du traitement des demandes en justice
dès lors que l’on est face à un litige de masse 567. Cette finalité différente de la procédure d’action de
542 F
groupe a des conséquences importantes sur les modalités de mise en œuvre de la procédure.
2) La procédure du Group Litigation Order, une mesure de bonne administration de la
justice
a) Les étapes de la procédure
388. L’initiative de la procédure. Dans le système anglais, un justiciable, qui agit pour obtenir la
réparation d’un préjudice subi ou pour obtenir l’ordonnancement de la cessation d’une pratique
illicite, peut demander l’ouverture d’une procédure de Group Litigation Order, dès lors qu’il
considère que d’autres justiciables sont susceptibles d’avoir subi un préjudice similaire au sien ou
sont victimes de la même pratique illicite. De même, un défendeur, qui se voit adresser des
demandes présentant les mêmes questions de fait ou de droit, peut également formuler une telle
demande auprès du juge saisi. Enfin, le juge lui-même peut d’office décider de procéder à un GLO
dès qu’il considère que d’autres litiges, de même nature, présentant des questions communes,
peuvent intervenir ou dès lors que d’autres demandes similaires ont été d’ores et déjà introduites
devant la Cour 568.
543F
389. La demande d’ouverture d’une procédure de GLO est examinée par le juge. Il s’interroge, tout
d’abord, sur la recevabilité de la demande, ainsi que sur l’opportunité, étant donné les circonstances
en l’espèce, de recourir à la procédure « modèle », que l’on rappelle dérogatoire du droit
commun 569. S’il considère la demande recevable, il adopte une ordonnance, le Group Litigation
54F
Order. Cette ordonnance prévoit la mise en place d’un registre destiné à répertorier l’ensemble des
demandes 570 comportant des questions de droit ou de fait similaires à celles comprises dans la
54F
demande initiale et explicitement identifiées dans l’ordonnance du juge 571. Ensuite, la cour saisie
546 F
566
Voir les origines de la procédure (Bill of right) dans l’introduction, §. 5.
Selon Christopher Hodges, le phénomène de promotion des actions collectives au Royaume-Uni a également été rendu
possible grâce à l’existence de mode de financement des investigations et des poursuites; Voir C. Hodges, Multi-party
actions, op. cit. Nous reviendrons plus en détail sur la question centrale du financement des actions en justice dans la
seconde partie de cet exposé, §. 869 et s.
568
Voir Practice Direction 19B (4) – Group litigation (complément de la section III de la Partie 19 des CRP).
569
Voir ci-dessous pour le détail des conditions de recevabilité et d’opportunité de la procédure, §. 395 et s.
570
Part III, 19.11 (2) (a) CRP.
571
Part III, 19.11 (2) (b) CRP.
567
179
désigne la cour (Management Court) qui sera compétente pour connaitre des demandes au fond. La
Cour saisie peut soit reconnaître sa propre compétence pour devenir Management Court, soit
ordonner le transfert des demandes vers une autre cour 572. En effet, en fonction des circonstances de
547F
l’espèce, l’ordonnance peut prévoir un transfert des demandes vers cette autre cour jugée
compétente, ou ordonner directement que les demandes figurent dans le registre 573. En outre,
548 F
l’ordonnance précise les modalités de publicité de la procédure et la date-butoir après laquelle ne
pourront plus être acceptées les demandes, présentant des questions de droit ou de fait similaires,
dans le registre 574. La publicité de la procédure s’entend généralement d’une transmission d’une
549F
copie du GLO à la Law Society, qui le gardera à disposition des avocats au service d’information sur
les multy-parties actions et au Senior Master de la Queens Bench Division 575. Une publicité dans les
50F
journaux peut également être ordonnée.
390. Les compétences de la Management Court, une fois la procédure déclarée admissible. La
Management Court désignée 576 peut, aussitôt la procédure ouverte ou peu après, fixer des directions
51F
pour le traitement des demandes transmises par les autres cours de justice 577. A ce titre, elle peut
52F
spécifier les critères d’inscription sur le registre, qui correspondent aux détails de la demande
initiale, et la date à laquelle aucune autre demande ne pourra être inscrite au registre sans sa
permission préalable. Elle peut se prononcer sur la possibilité pour une demande d’être inscrite sur le
registre eu égard aux points de droit ou de fait concernés. Pour ce faire, la cour peut demander aux
auteurs des requêtes de répondre à un questionnaire, qui lui permettra d’identifier plus facilement les
demandes devant être inscrites sur le registre 578. Elle peut encore modifier les points de droit
53F
pertinents au titre du GLO ou désigner l’avocat de l’une des parties pour être l’avocat en charge de la
procédure, qu’il s’agisse des demandeurs ou des défendeurs.
391. La désignation du ou des cas de référence. Au terme du délai fixé, la Management Court
détermine l’affaire ou les affaires, qui seront tranchées au fond. Pour déterminer l’affaire ou les
affaires de référence (test claims), le juge porte son attention sur les cas présentant les questions les
plus représentatives de l’ensemble des demandes présentées 579. La Management Court tranche elle54F
572
Part III, 19.11 (3)(a) (i) CRP.
Part III, 19.11 (3)(a) CRP.
574
Part III, 19.11 (3)(c) CRP.
575
Practice Direction 19B (11).
576
La Cour saisie de la demande peut se désigner elle-même comme Management Court ; Voir Practice Direction 19B.
577
Voir Part III, 19.13 CRP.
578
Practice Direction 19B (14.3).
579
Part III, 19.13 (b) CRP.
573
180
même les questions communes à tous les litiges. Concernant les questions individuelles posées par
les demandes inscrites au registre, elle peut soit décider de les trancher elle-même, soit les renvoyer
à la cour locale territorialement compétente pour chacune des parties 580. Le jugement rendu au fond
5F
est opposable à l’ensemble des demandes inscrites au registre à la date à laquelle il est rendu 581.
56 F
Cependant, la Cour a le pouvoir d’étendre ses effets contraignants à toute procédure introduite après
le prononcé du jugement 582.
57F
392. Schéma sur les effets du jugement du cas de référence, vis-à-vis des autres demandes
mentionnées au registre.
Demandes inscrites au
registre
Si la Cour donne des
indications en ce sens,
le jugement s’applique
également aux
demandes inscrites
postérieurement au
registre
JUGEMENT
Le jugement
s’applique à toutes
les demandes
inscrites au registre
avant que le
jugement ne soit
rendu
Autres demandes présentant
des questions de droit ou de
fait similaires
393. L’appel du jugement de référence. Sous réserve des demandes inscrites au registre après le
jugement, toute personne, qui serait affectée par la décision de la Cour, qui lui est opposable, peut
demander la permission de faire appel du jugement ou de l’injonction 583. Les personnes, dont les
58F
demandes ont été inscrites postérieurement au prononcé du jugement, peuvent seulement introduire
une requête auprès de la cour de justice afin de voir déclarer que le jugement leur est inopposable 584.
59F
580
Practice Direction 19B (15.1 et 15.2).
Part III, 19.12 (1) (a) CRP.
582
Part III, 19.12 (1) (b) CRP.
583
Part III, 19.12 (2) CRP.
584
Part III, 19.12 (3) CRP.
581
181
394. Ainsi la procédure « modèle » anglaise comporte deux phases successives. La première phase
tend, d’une part, à déterminer si la demande est recevable et si l’utilisation de la procédure « modèle »
est opportune. Elle permet, d’autre part, d’identifier les demandes et de déterminer la ou les affaire(s)
les plus représentatives des questions de droit et de fait soulevées au litige. Dans un second temps, le
juge anglais se prononce sur le fond en examinant une ou plusieurs affaires, dont la solution sera
applicable à l’ensemble des demandeurs. Ainsi, le juge anglais, désigné pour trancher les demandes
multiples organise le traitement judiciaire des demandes afin d’aboutir, dans un temps raisonnable, à
une solution équitable pour l’ensemble des demandeurs. Il ressort de ce fonctionnement que toutes les
parties à la procédure sont identifiées 585, et que les personnes représentées formulent des demandes et
560F
des moyens, qui seront analysés par la cour au stade de la détermination du Test Claims ou après le
jugement du Test Claims, pour les questions individuelles. De même, chaque personne, qui se voit
opposé le jugement au fond, a le droit de faire appel de la décision qui lui fait grief.
395. Cette procédure « modèle » est de facto plus longue que la procédure individuelle du fait de ces
deux phases successives, qui sont nécessaires au regard des circonstances particulières, c'est-à-dire, au
regard de l’existence de multiples demandes similaires. Ces mêmes circonstances particulières
justifient que cette procédure demeure une procédure dérogatoire du droit commun anglais et qu’elle
ne pourra être autorisée que, dans certaines conditions qui laissent apparaître qu’elle est le meilleur
moyen pour traiter l’ensemble des demandes similaires. A travers ce contrôle de l’opportunité de la
procédure, le juge s’assure que la procédure ne sera utilisée que si cela aboutit à un traitement efficient
de toutes les demandes, dans les meilleures conditions pour le justiciable, en ce compris, dans le
respect des droits des justiciables 586.
561F
b) Les conditions d’autorisation du recours à la procédure « modèle » en droit anglais
396. L’existence de demandes similaires. Avant le dépôt de la demande, l’avocat du demandeur doit
consulter le service d’information de la Law Society 587 sur les Multi-party actions pour obtenir des
562F
renseignements sur l’existence éventuelle de demandes, qui concerneraient des points de droit ou de
fait similaires à ceux présents dans l’affaire de son client ou sur l’existence d’un GLO sur ces points de
585
Il s’agit d’un système d’opt in, Voir §. 258.
Comme en droit américain, ce contrôle a priori permet la garantie d’un procès équitable pour les justiciables, voir
Hansberry et al. v. Lee et al. (311 U. S. 32, 61 S. Ct. 115, 85 L. éd. 22 (1940).
587
La Law Society est l’ordre des notaires et des conseils en Grande-Bretagne. Instituée par la Charte royale de 1845, elle a
pour but « d’améliorer le niveau de la profession et de promouvoir la connaissance du droit » ; Voir L’anglais juridique,
Principes, pratiques & vocabulaire des professionnels, Business Management Séries, p. 73.
586
182
droit 588. Si plusieurs demandes similaires ont été déposées auprès des juridictions anglaises, les
563F
avocats des différents demandeurs doivent se réunir pour former un groupe d’avocats. Un des avocats
est désigné comme représentant du GLO (Lead Solicitor) et son rôle, par rapport aux autres conseils,
est défini dans un document écrit 589. A partir de ce moment là, vont être définies collectivement les
564F
questions de droit et de fait communes (GLO Issues), qui vont supporter la demande en justice, chacun
des solicitors pouvant faire valoir les arguments de son client 590.
56F
397. Schéma d’organisation des relations entre les solicitors des différentes parties intéressées.
LEAD SOLICITOR
Détermination en commun
des questions de droit et de
fait (GLO Issues)
Solicitor du demandeur
individuel
Solicitor du demandeur
individuel
Solicitor du demandeur
individuel
Demandeur individuel
Demandeur individuel
Demandeur individuel
398. La condition de Numerosity. Ensuite, l’avocat du demandeur (Lead solicitor) doit s’assurer que
la procédure est adaptée au type de litige. La requête déposée doit comprendre certains éléments en
588
Practice Direction 19B (2.1) – Group litigation (complément de la section III de la Partie 19 des CRP).
Ibid.
590
On notera que les autres solicitors formeront des demandes en justice en parallèle afin que le cas de leur client soit
inscrit au registre du GLO, engagé par le lead sollicitor.
589
183
ce sens, dont le nombre et la nature des demandes déjà introduites en justice 591, le nombre de parties
56F
qui sont susceptibles d’être concernées 592 ou encore s’il existe des éléments qui permettent de
567F
distinguer des sous-groupes de demandeurs parmi l’ensemble 593. Ces conditions visent à une
568F
identification au plus proche des demandeurs à l’action. Contrairement à la procédure allemande, le
nombre de demandes existantes ou potentielles n’est pas une condition formelle de l’autorisation de
la procédure. Les CPR ne prévoient aucune disposition en la matière. La Practice Direction ne
détermine pas non plus un nombre minimum de demandes, nécessaires à la constitution d’un GLO,
bien que, dans le projet de Practice Direction, les rédacteurs faisaient état de dix demandes
minimum. Entre 1992 et 1997, dans les Legal Aid Board’s Arrangements, le GLO était défini
comme « any action or actions in which 10 or more assisted persons have causes of action which
involve common issues of fact or law arising common issues ». En 1997, le Bureau considère que
fixer le nombre à dix conduit à un manque de flexibilité et préfère abandonner cette référence 594.
569 F
399. Des demandes recevables et des questions de droit et de faits communes. Une fois la demande
déposée, le juge procède à l’examen de la recevabilité de la demande, à savoir, à l’examen du bien
fondé de la demande, et de sa compétence pour en connaître. Le juge identifie à cette occasion les
questions de droit et de fait communes aux différentes affaires (GLO issues). Le juge définit
strictement ces questions. Par exemple, dans un litige environnemental Norton Aluminum
Litigation 595, le juge a désigné les GLO Issues comme suit : “Si à compter du 26 février 2002, les
570F
demandeurs ont subi des nuisances dues à des odeurs, des fumées ou des particules de sulfure ou de
phénols, émises par la défenderesse en raison de la gestion et du fonctionnement de ses activités de
fonderie, à Norton Canes, Cannock, Staffordshire 596”. De manière encore plus précise, dans un litige
571F
McDonaldc Hot Drinks 597, la Court Management désignée a considéré que ne pouvaient être
572F
inscrites au Registre que les procédures qui présentaient les questions de droit et de fait communes
suivantes : “(a) Est-ce que le défendeur a été négligent dans la distribution et le service des
591
Practice Direction 19B (3.2) (2) – Group litigation.
Practice Direction 19B (3.2) (3) – Group litigation.
593
Practice Direction 19B (3.2) (5) – Group litigation.
594
C. Hodges, Multi-party actions, op. cit..
595
Ordonnance du 26 mai 2010, Référence du dossier n° 72, disponible à l’adresse suivante :
http://www.hmcourts-service.gov.uk/cms/150_15300.html.
596
Traduction non littérale: "Whether for the period beginning on 26th February 2002 the Claimants' complaints of
nuisance as a result of phenolic, sulphurous or other odurs, noise, smoke abd fumes and particulate matter/dust are
complaints about emissions caused by the Defendant as a result of the management and operation of its foundry business at
Norton Canes, Cannock, Staffordshire. (2 other common or related issues of fact or law are included), Ordonnance du 26
mai 2010, Référence du dossier n° 72, préc.
597
Ordonnance du 22 mai 2001, référence du dossier n° 8, disponible à l’adresse suivante :
http://www.hmcourts-service.gov.uk/cms/150_552.html.
592
184
boissons chaudes à la température à laquelle ils le faisaient dans ce cas ? (b) Est-ce qu’il était
nécessaire, pour le défendeur, afin de s'acquitter convenablement de toute obligation de diligence
envers les demandeurs, de distribuer et servir ses boissons chaudes à température plus basse que ce
qu’il a servi, et, si oui, à quelle température maximale aurait-il dû le faire ? (c) Est-ce que les tasses
utilisées par le défendeur étaient construites dans un matériel inapproprié en raison de son usage,
de telle sorte que l’utilisation de ces tasses par le défendeur peut être qualifié de négligence ? (d)
Est-ce que les couvercles utilisés par le défendeur étaient mal ajustés ou inappropriés pour l’usage
qu’il en a été fait, de telle sorte que leur utilisation de la partie défenderesse pour le service des
boissons chaudes à ses clients, peut être qualifiée de négligence ? (e) Est-ce que le défendeur avait
le devoir d'avertir ses clients quant aux risques de brûlure par des boissons chaudes ? (f) Le cas
échéant, est ce que le défendeur a violé son obligation ? (g) Est-ce que le défendeur a violé les
dispositions de la Loi sur la protection du consommateur de 1987 considérant que les boissons
vendues par cette dernière étaient défectueuses ?” 598.
573F
400. La condition de Superiority. Ensuite l’examen de la recevabilité de la procédure consiste,
également, pour le juge, au-delà de la recevabilité stricto sensu de la demande, à vérifier que cette
procédure est l’outil procédural le plus efficient pour connaître des multiples demandes. Le juge
vérifiera si la jonction de procédure ou l’action représentative, également prévue par les CRP 599, ne
574F
sont pas des moyens plus appropriés pour connaître des demandes 600. Il examine les arguments
57F
soulevés par les demandeurs.
401. Le choix d’ouvrir une procédure « modèle » en Angleterre, fruit d’une décision collégiale.
L’appréciation de ces conditions est laissée à la discrétion du juge. Cependant, ce dernier ne prend
pas seul la décision. Il doit en référer au président du tribunal saisi 601. La Practice Direction prévoit
576F
598
Traduction non littérale : "(a) whether the Defendant was negligent in dispensing and serving hot drinks at the
temperature at which in fact they did in these cases, (b) whether it was necessary for the Defendant in order to properly
discharge any duty of care owed towards the Claimants, to dispense and serve their hot drinks at some lower temperature
than in fact they did, and, if so, at what maximum temperature, (c) whether the cups used by the Defendant were of such
unsound and /or inadequate construction as to render the Defendant’s use of them for the service of hot drinks to their
customers, negligent, (d) whether the lids used by the Defendant for such purposes were of such poor fit or otherwise so
inappropriate as to render the Defendant’s use of them for the service of hot drinks to their customers, negligent, (e)
whether there was a duty upon the Defendant to warn their customers as to the risk of scalding from hot drinks, (f) if there
was such a duty, whether the Defendant was in breach of it, (g) as regards the hot drinks which they produced for sale to
the customers, whether the Defendant was in breach of the Consumer Protection Act 1987 because those hot drinks were
"defective", Ordonnance du 22 mai 2001, référence du dossier n° 8, préc..
599
Section II of Part 19 CRP - Representative parties.
600
Practice Direction 19B (2.3) – Group litigation.
601
Practice Direction 19B (3.3) – Group litigation.
185
qu’un GLO ne peut être faite devant la Queen’s Bench Division 602 de la Hight Court 603 sans le
57F
578F
consentement du Lord Chief Justice 604, ou devant la Chancery Division 605 sans le consentement d’un
579F
Vice-chancellor
606
581F
580F
, ou devant une County Court
582F
607
sans le consentement du Head of Civil Justice.
De plus, la Cour, devant laquelle la procédure est transférée, doit communiquer, au Lord Chief
Justice ou au Vice-Chancellor, une copie de l’acte introductif d’instance, une copie de toutes les
preuves écrites considérée comme pertinentes et un exposé détaillé des arguments venant à l’appui
du choix de la procédure par GLO 608. Ces règles peuvent être mises en œuvre, soit avant, soit après
583F
l’audition relative à l’adoption de l’ordonnance 609. Les autorisations de recourir à la procédure du
584F
GLO sont le fruit d’une décision collégiale entre le juge de première instance saisi de la demande et
les juges « senior » exerçant leur fonction au plus haut sommet de la hiérarchie.
402. La recherche de la préservation des droits des justiciables. Ces précautions sont perçues, dans
les systèmes de Common Law, comme des moyens de préserver les droits des justiciables 610. Le
58F
602
« Le Tribunal du Banc de la Reine (Queen’s Bench Division) est composé du Lord Chief Justice (Voir note de pas
suivante) et de 44 juges permanents. Il s’agit principalement d’un tribunal de première instance. Il est compétent pour tous
les litiges qui ne sont pas explicitement définis comme étant de la compétence d’un autre Tribunal de la Haute Cour (Hight
Court of Justice). Il est ainsi compétent en matière de : responsabilité civile, rupture de contrat, poursuite en recouvrement
de bien-fonds ; litiges commerciaux et litiges maritimes […]. Aucun plafond n’est fixé pour le montant des dommages et
intérêts qu’il est possible de demander devant le Tribunal du Banc de la Reine. Ce Tribunal peut aussi siéger en tant que
juridiction d’appel et connaître des appels contre des décisions du Tribunal disciplinaire des Solicitors ou sur des
problèmes de loyers. Il a par ailleurs la tache de contrôler le travail des tribunaux inférieurs, des tribunaux administratifs
et des autorités administratives qui exercent des fonctions judiciaires » ; L’anglais juridique, Principes, pratiques &
vocabulaire des professionnels, Business Management Séries, p. 45.
603
« La Haute Cour de Justice (Hight Court of justice) est constituée de trois divisions : le Tribunal du Banc de la Reine
(Queen’s Bench Division), le Tribunal de la Famille (Family Division) et le Tribunal de la Chancellerie (Chancery
Division) ». Les trois divisions sont compétentes pour connaître de tous les affaires civiles, mais pour des raisons
d’organisation, les compétences sont réparties entre les trois divisions; L’anglais juridique, Principes, pratiques &
vocabulaire des professionnels, Business Management Séries, p. 45.
604
Le Lord Chief Justice est le président de la Haute Cour de Justice (Hight Court of justice). Il siège également au sein de
la Court of Appeal; L’anglais juridique, Principes, pratiques & vocabulaire des professionnels, préc., p. 43.
605
« Le Tribunal de la Chancellerie se compose du Grand Chancelier (Lord Chancellor), qui d’ordinaire délègue ses
fonctions au Vice-Chancelier (Vice-Chancellor) et d’au moins quatre juges de la Haute Cour. Ce tribunal est compétent en
matière d’administration des biens des défunts, de dissolution de sociétés de personnes, d’hypothèques […]. Le Tribunal de
la Chancellerie est normalement une juridiction de première instance, mais il peut statuer sur des recours émanant des
cours inférieures, relatifs à des problèmes de fidéicommis ou de faillite »; L’anglais juridique, Principes, pratiques &
vocabulaire des professionnels, préc., p. 47.
606
Ibid.
607
« Les Cours de Comté ont été instituées aux fins de soulager la Haute Cour d’une partie importante de son travail et
d’offrir aux justiciables une justice locale plus rapide et moins couteuse. La Loi de 1990 sur les cours et les services
juridiques a redistribué les taches entre la Haute Cour et les cours de comté. […]. Les Cours de comté sont compétentes en
matière de : contrats, responsabilité civile, problèmes relevant de l’equity (voir note de bas de page n° PPP), ect […] »;
L’anglais juridique, Principes, pratiques & vocabulaire des professionnels, op. cit., p. 47.
608
Practice Direction 19B (3.4) – Group litigation.
609
Ibid.
610
Par exemple, la Cour Suprême des Etats-Unis a considéré dans une affaire Hansberry et al. v. Lee et al. (311 U. S. 32,
61 S. Ct. 115, 85 L. éd. 22 (1940)) que les droits fondamentaux (Due process) sont garantis dans les actions de groupe à
partir du moment où l’intérêt de la personne qui porte l’action est le même que celui des personnes représentées à la
procédure; Voir L. Sinopoli et P. Fournier, Actions de groupe et procès équitable, Rev. Lamy Droit civil 206, 32.
186
système est autorisé en sachant que les modalités de la procédure sont optimum pour connaître des
demandes. Les ordonnances rendues par le juge sont précédées d’une audience au cours de laquelle
les parties peuvent exprimer leur opinion. Ainsi, le principe du contradictoire est respecté.
403. Une procédure d’exception. La mise en œuvre de la procédure apparait exceptionnelle, comme
en témoigne le faible nombre d’ordonnances adoptées en 10 ans. En effet, seules 73 ordonnances ont
été adoptées depuis 2001 611. La procédure du GLO relève d’une mesure de bonne administration de
586 F
la justice, utilisée pour connaître des multiples demandes en justice présentant des questions de droit
et de fait communes. La même finalité a conduit le juge allemand à légiférer en matière boursière.
Cependant, ce dernier a prévu des modalités d’exercice de la procédure quelque peu divergentes,
guidé par la nécessité du strict respect du droit d’être entendu par un juge, constitutionnellement
protégé en droit allemand.
B) la procédure « modèle » allemande, l’illustration d’une procédure respectueuse des
droits procéduraux fondamentaux des justiciables dans un système de droit romanogermanique
404. Le domaine limité de la procédure « modèle » allemande. Le droit allemand connaît, lui aussi,
une procédure, dite « modèle » ou de « test case », en matière boursière. Cette procédure fut
instituée par la loi du 1er novembre 2005 sur le recours collectif en cas de litige sur les valeurs
mobilières (« Kapitalanleger- Musterverfahrensgesetz or KapMuG ») 612. Cette loi a pour objet de
587F
permettre la réparation du préjudice subi par des investisseurs du fait de la diffusion d’une
information fausse, ou trompeuse ou du fait de l’absence de diffusion d’une information. Elle
s’applique également pour les litiges liés à l’exécution des contrats, basés sur les dispositions de la
loi sur le commerce des valeurs mobilières du 26 juillet 1994 613 et sur la loi sur la compilation,
58F
l'approbation et la publication du prospectus à publier dans l'offre publique de valeurs mobilières ou
l'admission de valeurs mobilières à la négociation sur un marché réglementé régissant la matière
boursière, du 22 juin 2005 614.
589F
405. L’origine casuistique de la procédure « modèle » allemande. Comme la procédure anglaise,
cette procédure allemande en matière boursière est née de la pratique, même si elle s’inspire d’une
611
Voir liste des GLO, http://www.hmcourts-service.gov.uk/cms/150.html.
Gesetz über Musterverfahren in kapitalmarktrechtlichen Streitigkeiten, du 16 oct. 2005, BGBl. I, p. 2437.
613
Wertpapierhandelsgesetz (WpHG).
614
Wertpapierprospektgesetz – (WpPG), 22.06.2005.
612
187
procédure administrative connue du système allemand 615. En effet, le législateur allemand a légiféré
590F
à la suite de l’affaire Deutsche Telekom (DT), qui portait sur les pertes subies par les actionnaires de
l’entreprise à la suite de la troisième phase de l’introduction en bourse des actions « DT ». En août
2001, environ 16 000 actionnaires, dans plus de 2 000 procédures individuelles ont assigné
l’entreprise Deutsche Telekom devant le Tribunal de première instance de Frankfort, pour obtenir
une compensation des pertes subies. Les actionnaires reprochaient à l’entreprise d’avoir divulgué de
fausses informations dans deux offres publicitaires de 1999 et 2000, conduisant à une surévaluation
de la valeur de ces actions de plus de 2 milliards d’euros. Le préjudice global représenté par les
plaintes était évalué à environ 150 millions d’euros 616. Le juge Meinrad Wosthoff, saisi des
591F
différentes procédures a connu des difficultés pour traiter ces demandes. Trois ans après
l’introduction des procédures, aucune audition n’avait été organisée617.
406. Une partie des demandeurs a formé un recours, auprès de la Cour fédérale allemande
(Bundesverfassungsgericht), pour déni de justice. La Cour fédérale a rejeté leur appel 618. Elle
592F
constate que le juge saisi n’a pas encore fixé la date des débats oraux, trois ans après le début de
l’affaire 619. Néanmoins, elle relève les difficultés rencontrées par le juge Wosthoff notamment
593F
l’importance de l’affaire, la difficulté due au domaine spécialisé de l’affaire et l’augmentation
continuelle des plaintes. In fine, la Cour a invité le tribunal saisi à accélérer la procédure et dans ce
contexte, elle a explicitement fait état de la possibilité pour le juge d’avoir recours à d’autres
procédures en citant, à titre d’exemple, la procédure « modèle », qui existait déjà en droit
administratif allemand.
407. Une procédure ancienne, connue du droit administratif allemand. Cette procédure « modèle »
fut
inspirée
de
ce
qui
existait
déjà
dans
le
Code
de
procédure
administrative
(« Verwaltungsgerichtsordnung ou VwGO ») 620 à l’article 93a 621. Cette disposition prévoit qu’il est
594F
59 F
615
D. Baetge, Class actions, group litigation & others Forms of Collective Litigation – Germany, rapport rédigé pour la
conférence organisée par la Standford Law School et le centre d’études socio-légales de l’Université d’Oxford sur le thème
de la class actions en décembre 2007.
616
Ibid.
Pour un commentaire de l’affaire, voir S. M. Grace, Strengthening Investor Confidence in Europe: US Style
Securities Class Actions and the Acquis Communautaire, 15 J. Transnat’l L & Pol’y (2006).
617
618
Voir BVerfG, du 27 juil.2004, 57 NJW 3320 (2004).
Voir BVerfG, du 27 juil.2004, 1BvR1196/04 (2004) –§. II (7).
620
Code de procédure administrative (Verwaltungsgerichtsordnung ou VwGO) du 1er janv. 1960, dans sa version du 19
mars 1991, BGB1 I, p. 686.
621
Cette disposition a été introduite en droit allemand à la suite de procédure relative à la construction de l’aéroport de
Munich II. Elle fut mise en œuvre et donna un résultat positif en 2006 dans une affaire concernant l’extension des aéroports
619
188
possible, pour un tribunal administratif saisi de plus de vingt procédures à l’encontre d’une même
mesure administrative, de suspendre ces procédures et de procéder à un échantillonnage des
demandes, afin de statuer par une seule décision sur la légalité de l’acte administratif mis en cause
dans les différentes demandes. Cet article du Code de procédure administrative allemand est
particulièrement intéressant car il prévoit expressément que le juge administratif ne peut mettre en
œuvre cette procédure que dès lors que l’ensemble des parties aux différents litiges a pu être
préalablement entendu par le juge 622. En effet, en droit allemand, certains principes procéduraux
596 F
sont expressément garantis par la Constitution, dont, notamment, le droit d’être entendu par un
juge 623. Ce droit est considéré, en droit processuel, comme le droit le plus important. Il s’apparente
597F
au droit d’accès à la justice, à savoir le droit à une protection judicaire efficace et ce, dans un délai
raisonnable. Ce principe a d’ailleurs été expressément rappelé dans la jurisprudence Deutsche
Telekom 624 de la Cour constitutionnelle allemande 625.
598F
59F
408. A la suite de cet arrêt, le législateur allemand a immédiatement réagi en adoptant la loi du 1er
novembre 2005, instituant la procédure « modèle » en droit boursier. Le législateur allemand a fait le
choix d’une procédure sectorielle - propre à la matière boursière - se laissant l’opportunité d’étendre
le champ de la procédure, au terme de la période d’expérimentation de 5 ans, prévue par la loi. Le
fonctionnement de cette procédure judiciaire sera examiné succinctement, avant de procéder à une
étude approfondie des modalités d’exercice de cette procédure, qui se justifient par le souci du
respect des droits procéduraux fondamentaux en droit civil.
régionaux devant la Cour suprême administrative fédérale (« bundesverwaltungsgericht »). Cette procédure « modèle »
était déjà applicable en droit allemand bien que non prévu dans le code. En effet, cette possibilité
(Musterprozessvereinbarung) pouvait être prévue contractuellement entre les parties dans des situations spécifiques, voir D.
Baetge, Class actions, group Litigation & Others Forms of Collective Litigation – Germany, Conférence des 13 et 14 déc.
2007, organisée par la Standford Law School.
622
Voir Code de procédure administrative allemand, art. 93a (1).
623
Loi fondamentale pour la République fédérale d'Allemagne du 23 mai 1949 (Journal officiel fédéral, p. 1) (BGBl. III
100-1) avec les 52 modifications intervenues depuis cette date, article 103 (1).
624
Voir BVerfG, du 27 juil. 2004, 1BvR1196/04 (2004), citée note n° 37, §. II (5) et (6).
625
Gesetz über Musterverfahren in kapitalmarktrechtlichen Streitigkeiten, du 16 oct. 2005, BGBl. I, p. 2437.
189
1) La mise en œuvre de la procédure « modèle » allemande
409. La procédure « modèle » allemande se déroule, en trois étapes : l’autorisation de la procédure, le
jugement au fond du cas de référence et l’application par le juge du district du jugement de référence
aux autres affaires portant sur des questions de droit similaires.
410. L’ouverture de la procédure « modèle ». Tout d’abord, comme pour la procédure anglaise, tout
actionnaire considérant avoir subi un préjudice du fait d’une manipulation de l’information sur les
titres de l’entreprise de laquelle il détient des parts, peut agir en justice pour obtenir réparation de
son préjudice devant le tribunal régional compétent (Landgericht). Dès lors qu’il considère que
d’autres personnes peuvent avoir subi le même préjudice, il mentionne dans sa demande sa volonté
d’ouvrir une procédure « modèle » et de devenir le cas de référence de cette procédure. La procédure
peut également être engagée par le défendeur 626. Dans l’acte introductif d’instance, le demandeur
60F
doit apporter des éléments au soutien de ses prétentions 627, mais également des éléments permettant
601F
de justifier de l’ouverture d’une procédure « modèle » 628. Il doit démontrer que le jugement de son
6 02F
affaire pourra bénéficier à d’autres personnes placées dans une situation similaire 629. Le juge saisi se
603F
prononce sur l’admissibilité de la procédure, en examinant, d’une part, la recevabilité de la demande
et, d’autre part, l’opportunité de procéder au règlement du litige par le biais de la procédure instaurée
par la Loi de 2005.
411. L’admission de la procédure « modèle ». Si la juge considère la demande recevable, il ordonne,
dans son jugement, la publication d’un avis 630 dans la Gazette fédérale électronique 631. La publicité
604F
605F
626
Loi allemande du 1er nov. 2005, Partie 2, Section 1 (1).
La demande doit préciser :
-les questions de droit nécessitant une clarification,
-l’information publique relative aux marchés boursiers sur laquelle repose la demande le cas échéant,
-les circonstances de fait et de droit qui nécessitent une clarification ou une décision,
-les éléments de preuves que le demandeur ou le défendeur a l’intention d’utiliser pour soutenir ou réfuter les
demandes; Voir Loi du 1er nov. 2005, Partie 1, section 1(2).
628
Voir Loi du 1er nov. 2005, Partie 1, section 1(2).
629
Ibid.
630
Cet avis doit contenir un certain nombre d’informations (voir loi du 1er nov. 2005, Partie 1, section 2(1)):
-Le nom complet du défendeur et de son représentant légal,
-Le nom des émetteurs des actions ou des offreurs d’autres investissements auxquels la procédure se réfère,
-Le nom de la cour de justice compétente pour connaître du litige,
-Le nombre de demandes déposées auprès de la cour de justice afin de devenir un cas de référence,
-Les questions de droit à clarifier,
-La date exacte de la publication de l’avis dans la Gazette.
631
Sous la rubrique « Registre des plaintes sur le fondement de la Loi sur la procédure « modèle » en matière de marchés
de capitaux.», Voir Loi du 1er nov. 2005, Partie 1, section 2(1).
627
190
a pour effet de suspendre la procédure pour une période de quatre mois 632. Pendant ce laps de temps,
60F
les autres investisseurs, se trouvant dans une situation similaire à celle du demandeur, peuvent
adresser une demande au juge. Ces demandes sont publiées dans la Gazette, suivant leur ordre de
réception, sous la même rubrique que la première 633. A l’expiration du délai de quatre mois, à
607F
compter de la date de la publication de l’avis, deux cas de figure peuvent se présenter. Si, seulement
neufs cas ont été notifiés au tribunal régional à l’origine dudit avis ou à d’autres tribunaux de
première instance, concernant les mêmes faits, le tribunal responsable de l’ouverture de la procédure
« modèle » refuse de poursuivre l’application de la procédure. Les affaires sont traitées de manière
individuelle. En revanche, si dix demandes et plus ont été formulées dans le délai imparti, le tribunal
régional poursuit la procédure « modèle » 634.
6 08 F
412. Le choix discrétionnaire du cas de référence. Le tribunal régional saisit alors le tribunal régional
supérieur (Oberlandesgericht) compétent 635, par injonction 636 et l’informe des questions de droit
609F
devant être clarifiées
637
61F
610F
. Ce dernier choisit alors l’affaire qu’il considère la plus à même à devenir le
cas de référence de la procédure. Pour opérer son choix, le juge prend en compte notamment les
différents aspects des questions de droit soulevées par les affaires et le montant de la demande
formulée par le requérant. Il dispose, en la matière, d’un pouvoir discrétionnaire 638. Sa décision ne
612F
peut pas faire l’objet d’un appel 639. Une fois le cas de référence choisi, le tribunal supérieur annonce
613F
publiquement - toujours par une publicité dans le registre des plaintes - l’admissibilité de la
procédure « modèle » 640 et l’affaire ayant été retenue comme cas de référence. Cette annonce
6 14F
632
Loi du 1er nov. 2005, Partie 1, section 4(4).
Loi du 1er nov. 2005, Partie 1, section 2(1).
634
Loi du 1er nov. 2005, Partie 1, section 4(1).
635
Plusieurs tribunaux régionaux supérieurs (dans des États différents ou non) peuvent être saisis par différents tribunaux
régionaux concernant des litiges similaires. Dans ce cas, les différentes demandes peuvent être transférées à un seul des
tribunaux régionaux supérieurs et ce, sur intervention des gouvernements des différents États concernés. Ce pouvoir peut
être délégué aux services en charge de l’administration de la justice. Cette compétence transférée à l’un des tribunaux
régionaux supérieur peut concerner certains districts à l’intérieur d’une région ou de plusieurs régions, par nature
autonomes les unes des autres; Voir Loi du 1er nov. 2005, Partie 1, section 4(5).
636
Cette décision n’est pas susceptible d’appel et s’impose au tribunal régional supérieur; Voir Loi du 1er nov. 2005, Partie
1, section 4(1). En revanche, elle doit faire l’objet d’une publication dans la Gazette officielle par le tribunal régional, Loi
du 1er nov. 2005, Partie 1, section 4(3).
637
L’injonction transférant l’affaire à la Cour régionale doit contenir, Loi du 1er nov. 2005, Partie 1, section 4(1).
-Les questions de droit justifiant d’une intervention,
-Tous les points du litige pertinents dans la présente affaire,
-Les éléments de preuve décrits, et
-Un bref résumé de la teneur des droits appuyant la demande.
638
Loi du 1er nov. 2005, Partie 2, section 8(2).
639
Ainsi le tribunal supérieur n’est pas obligé de choisir le premier requérant ayant formulé une demande.
640
L’avis alors publié dans la Gazette doit comprendre certaines mentions (Loi du 1er nov. 2005, Partie 2, section 6):
-Le nom du plaignant retenu et le nom de son représentant légal,
-Le nom du défendeur retenu et le nom de son représentant légal,
633
191
entraine la suspension de toutes les procédures individuelles, pendantes devant les tribunaux
régionaux en première instance 641, qui sont directement intéressées par le règlement des questions de
615F
droit sous jacentes au cas de référence (ci-après « tiers intéressés » ou « parties intéressées »).
413. L’encadrement des auditions. A compter de la publication de la décision de mise en œuvre de la
procédure « modèle », le juge dispose d’un délai de 4 semaines pour procéder aux auditions des
Tiers intéressés. A la suite des auditions, le tribunal régional supérieur se prononce sur le cas de
référence et rend un jugement, qui sera signifié au demandeur et au défendeur du cas de référence.
Les Parties intéressées, soient les personnes dont les actions ont été suspendues, ne seront pas citées
au jugement, mais elles en seront informées par une notification informelle, via une publicité dans le
Registre des plaintes.
414. Les cas de remplacement du cas de référence. Le demandeur « modèle » peut retirer sa plainte
au cours de l’instance. Cependant, ce retrait n’aura pas pour effet de stopper la procédure. En effet,
le juge devra désigner un nouveau cas de référence. La même procédure de remplacement doit être
appliquée si une procédure d’insolvabilité ou de faillite est engagée à l’encontre du demandeur ou si
le décès ou l’incapacité (physique ou légale) de ce dernier intervient. Le retrait de sa plainte par l’un
des Tiers intéressés cités à comparaître n’aura, en revanche, aucune incidence sur le déroulement de
la procédure.
415. La transaction au sein de la procédure « modèle ». En outre, en droit allemand, comme en droit
américain, le juge est tenu de faciliter tout recours à la transaction comme moyen amiable de
règlement du litige. La procédure « modèle » ne déroge pas à la règle. Ainsi, il est également
possible, dans ce cadre, de transiger l’affaire. Cependant, dans ce cas, le requérant principal, qui
souhaiterait transiger l’affaire devra obtenir l’accord de l’ensemble des demandeurs concernés pour
que la transaction soit valable 642. La transaction nécessite la rencontre des volontés et un
61F
consentement explicite des parties à l’accord. Dans le cadre d’une procédure où les parties sont
-Les questions de droit soulevées par le cas de référence,
-Le nombre d’affaires transmises à la cour régionale, et
-La teneur de l’injonction adressée à la Cour régionale par la cour du district.
641
Précisons que cette suspension concerne les demandes introduites en dehors de la procédure « modèle », ainsi que les
demandes n’ayant pas été retenues au titre de la procédure. Les tribunaux de première instance doivent informer sans délai
la cour régionale de la suspension des différentes procédures pendantes et elles doivent pour chacune des procédures
préciser le montant des dommages et intérêts réclamés si ces dernières ont pour objet une demande en indemnisation d’un
préjudice subi. Ces décisions de suspendre les procédures ne peuvent faire l’objet d’aucun appel, voir Loi du 1er nov. 2005,
Partie 2, section 7(1).
642
Loi du 1er nov. 2005, Partie 2, section 14(3).
192
multiples, il peut être difficile pour les volontés de se rencontrer et de s’accorder sur les modalités de
la transaction.
416. L’appel du jugement de référence. Le jugement portant sur le cas de référence peut faire l’objet
d’un appel en droit devant la Cour fédérale de Justice 643. Cet appel pourra être interjeté par
617F
l’ensemble des personnes concernées par la procédure, y compris les parties des actions pendantes
devant les tribunaux régionaux. Si le demandeur principal forme, lui-même, un appel portant sur des
points de droit, son appel devient l’appel de référence. Il poursuit la procédure de référence engagée
à la phase antérieure. Dans le cas contraire, s’il ne forme pas d’appel ou s’il se désiste au cours de la
procédure, l’esprit de la procédure demeure et la Cour d’appel devra désigner, selon les règles et
conditions déterminées pour le cas de référence, un autre cas d’appel en tant qu’appel de référence.
417. Les effets du jugement de référence. Le jugement, devenu définitif, sera appliqué par les
juridictions de première instance aux procédures suspendues. Le jugement s’applique en tous points
même si les demandeurs n’avaient pas soulevés une des questions tranchées dans leurs propres
conclusions. Il s’applique également aux Tiers intéressés, qui n’auraient pas soulevé appel de la
décision de référence. Les Tiers intéressés, qui ne souhaiteraient pas se voir appliquer le jugement
peuvent à tout moment retirer leur plainte. Cependant, le Tiers intéressé, dont le retrait de la plainte
intervient après le début de la procédure de référence 644, se verra appliquer le même jugement s’il
618F
introduit a posteriori une nouvelle demande. Au contraire, tout autre tiers, qui désirerait formuler
une demande en justice après le prononcé du jugement sur l’affaire « modèle », pourra introduire
une nouvelle procédure, mais il ne pourra en aucun cas se prévaloir de la décision « modèle », ni
demander l’ouverture d’une nouvelle procédure « modèle » 645. Cette disposition s’explique par
6 19F
l’importance donnée au droit d’être entendu en droit constitutionnel allemand. Il faut en effet pour
cela que le demandeur ait été mis en capacité d’influer sur la procédure. In fine, comme l’a souligné
un auteur 646, cette procédure relève plus du mécanisme de la question préjudicielle, telle que connue
620F
en droit communautaire, qu’elle ne constitue une procédure séparée.
418. Schéma de la procédure « modèle » en droit boursier allemand.
643
Loi du 1er nov. 2005, Partie 2, section 15(1).
Après la publication de la décision du tribunal régional de transmettre l’affaire au tribunal régional supérieur.
645
Loi du 1er nov. 2005, Partie 3, section 16.
646
Voir D. Baetge, Class actions, group litigation & others Forms of Collective Litigation – Germany, rédigé pour la
conférence organisée par la Standford Law School et le centre d’études socio-légales de l’Université d’Oxford sur le thème
de la class actions en décembre 2007.
644
193
AUTORISATION DE LA PROCEDURE
RECEVABILITE DE LA PROCEDURE
DEPOT D’UNE DEMANDE, devant le tribunal régional
JUGEMENT SUR L’ADMISSIBILITE
Absence d’admissibilité
Admissibilité
Appel possible
PUBLICITE D’UN AVIS dans la Gazette officielle
AJOUT DES DEMANDES d’autres investisseurs dans la Gazette
Dans les quatre mois de la publicité,
ABSENCE DES NEUF
DEMANDES
Dans les quatre mois de la publicité,
AJOUT DE NEUF DEMANDES
ADDITIONNELLES
Retour à une procédure individuelle,
sans appel possible de la DC de rejet
ADMISSION DE LA PROCEDURE – Saisine du Tribunal régional supérieur, par
le tribunal régional, avec publicité de la décision de saisine
DETERMINATION DU CAS « MODELE »
CHOIX D’UN CAS « MODELE », par le Tribunal régional supérieur, sans appel
possible
PUBLICITE D’UN AVIS dans la Gazette officielle
SUSPENSION DE TOUTES LES PROCEDURES, dont la solution dépend du
jugement sur le cas de référence
JUGEMENT AU FOND DU CAS « MODELE »
APPEL DU JUGEMENT
Par une partie intéressée
Par le demandeur principal
ABSENCE
D’APPEL
Détermination d’un nouveau
cas « modèle »
JUGEMENT DE L’APPEL, par la Cour fédérale de justice
APPLICATION DU JUGEMENT DEFINITIF PAR LES TRIBUNAUX
REGIONAUX
194
419. Conclusion. Dans la procédure allemande, il existe le même processus de base que dans la
procédure anglaise, avec une phase d’autorisation du recours à la procédure « modèle » et une
identification des cas concernés. Dans un second temps, une analyse au fond de l’une ou de plusieurs
affaires jugées représentatives des questions de droit et de fait, soulevées dans l’ensemble des
procédures, est effectuée. Comme dans le système anglais, la procédure collective se termine avec
un retour à la procédure individuelle avec une application du jugement au fond et un traitement par
le tribunal régional compétent des questions individuelles. Malgré cette structure commune entre la
procédure anglaise et la procédure allemande, les droits accordés aux personnes non parties au
jugement du cas de référence sont très différents. Les personnes, parties aux procédures
individuelles suspendues, ont le droit de jouer un rôle actif dans la conduite de la procédure
allemande, contrairement aux tiers demandeurs dans le GLO anglais. Le législateur allemand a
entendu garantir le droit d’accès au juge constitutionnellement protégé.
2) La procédure « modèle » allemande et les droits procéduraux fondamentaux
420. Les droits constitutionnels des Parties intéressées à la procédure « modèle ». L’apport majeur
de la procédure « modèle » allemande pour l’étude menée réside dans la volonté du législateur de
garantir le droit d’accès au juge pour tout justiciable – droit protégé constitutionnellement en
Allemagne. Au travers ce droit, la Cour constitutionnelle a entendu protéger le droit d’être entendu,
le principe du contradictoire ou encore le principe de l’égalité des armes 647. Toutes les parties
621F
intéressées au litige peuvent bénéficier de ces garanties constitutionnelles, d’où le statut particulier
des personnes, dont la procédure individuelle a été suspendue lors du jugement sur le cas de
référence. Les Parties intéressées sont associées à la procédure principale (Beigeladene). Elles
peuvent participer à la procédure du cas de référence. Bien qu’elles ne soient pas considérées comme
partie à la procédure, à proprement parler, les Tiers intéressés, dans le cadre de la procédure
« modèle », ont un statut similaire à celui des intervenants auxiliaires (Nebenintervenient) en droit
allemand, c'est-à-dire qu’elles peuvent appuyer la position du demandeur « modèle » en fournissant
leurs propres conclusions sur certains éléments de fait ou de droit 648 et être auditionnées par le juge.
62F
647
La jurisprudence allemande a décliné abondamment les différents aspects du droit d’être entendu en consacrant le droit
d’être informé de la procédure (en ce compris le droit de connaître les griefs qui lui sont faits ou le contenu du dossier), le
droit de s’exprimer ou encore le droit de participer à l’administration de la preuve, F. Ferrand et E. Lambert Action de
groupe : l’outil du droit comparé, préc.
648
Concernant les questions de droit à clarifier dans le cadre de la procédure, les demandeurs, les défendeurs ou les tiers
intéressées peuvent soulever des moyens additionnels, mais ce, seulement à la condition que ces points de droit soient
contingents à ceux soulevés dans la procédure initiale et que le tribunal de première instance les considère comme
pertinents. L’extension du champ d’intervention de la procédure est décidée par le tribunal de première instance, elle
s’impose au tribunal régional supérieur et sa décision n’est pas susceptible d’appel. Le tribunal régional supérieur doit alors
195
De même, elles peuvent utiliser tous les outils procéduraux, comme nommer des témoins. Elles ont
in fine les mêmes droits que les parties au procès sous réserve que leur comportement ne rentre pas
en contradiction avec la conduite adoptée par le demandeur « modèle » 649. En revanche, pour des
6 23 F
raisons d’économies procédurales, les Tiers intéressés ne sont pas informés automatiquement de tous
les développements de la procédure. Ils doivent formuler des demandes pour avoir accès aux
conclusions du demandeur « modèle » ou aux conclusions des autres Tiers intéressés par exemple 650.
624F
421. De même, en appel, les parties intéressées peuvent se joindre à l’appel formé par le demandeur
« modèle » dans un délai d’un mois à compter de la notification du récépissé 651. Elles ont un mois de
625F
plus pour produire leurs écrits. Elles sont en droit d’intervenir à la procédure d’appel, mais elles ne
sont pas, parties à la procédure, et de ce fait, elles ne peuvent produire des éléments contraires à
ceux avancés par le demandeur « modèle ». Si l’appel est formé par le défendeur, le demandeur
« modèle » dans la procédure de référence demeure le demandeur en appel. Le statut particulier,
accordé aux tiers intéressés à la procédure, permet de pallier de nombreuses difficultés soulevées
dans l’exposé de la procédure d’action de groupe concernant les droits procéduraux fondamentaux
des justiciables.
422. Les droits procéduraux fondamentaux des Parties intéressées à la procédure « modèle ». Le
législateur allemand, face à l’originalité de cette procédure, a fait peu de concessions concernant les
garanties constitutionnelles. Il en est de même concernant les principes du Code de procédure civile.
La loi prévoit des dispositions dérogatoires au Code de procédure civile et fait mention expresse
dans son corps de texte que seules les dispositions dérogatoires mentionnées peuvent être
considérées comme valables 652. Par exemple, pour faciliter le droit d’accès au juge, le législateur a
62F
autorisé que soit suspendue l’obligation pour les parties de faire l’avance des frais d’expertise
engagés au titre de la procédure. Ces frais peuvent se révéler être un frein à l’action du fait de leurs
coûts élevés potentiels 653. Dans l’affaire Deutsche Telekom précitée 654, ils se sont élevés à 17
627F
628F
procéder à la publicité de cette extension du champ de la procédure dans le Registre des plaintes, voir Loi du 1 er nov. 2005,
Partie 2, section 13.
649
Loi du 1er nov. 2005, Partie 2, section 12.
650
Loi du 1er nov. 2005, Partie 2, section 10.
651
En appel, la demande déposée devant le juge d’appel devra être notifiée individuellement aux tiers intéressés ; Loi du 1er
nov. 2005, Partie 2, section 15.
652
Loi du 1er nov. 2005, Partie 2, section 9.
653
Voir Infra §. 882 et s.
654
Voir Supra §. 404 et s.
196
millions d’euros 655. De plus, il a instauré la règle du partage des frais de justice relatif au jugement
629F
du cas de référence, entre le demandeur « modèle » et les parties intéressées. En effet, en matière
civile, la loi sur les frais de justice (Gerichtskostengesetz - GKG) 656 prévoit une obligation générale
630 F
de provisions des frais de justice, dont le montant est déterminé en fonction de la valeur du litige, à
savoir dans le cadre d’un procès civil, en fonction du montant des dommages intérêts demandés et
ce, dans la limite d’une valeur de 30 millions d’euros 657.
631F
423. D’une manière générale, le financement des actions en justice en Allemagne n’est pas considéré
comme un obstacle à l’accès à la justice et ce, du fait d’un système d’aide juridictionnelle
performant, d’un système d’assurance développé et du fait que les honoraires d’avocats ne soient pas
très élevés 658. En revanche, dès lors qu’un individu ne satisfait pas au critère d’octroi de l’aide
632 F
juridictionnelle et ne possède pas d’assurance pour le frais de justice, le financement peut s’avérer
être un frein à l’exercice de l’action. Pour remédier à cette difficulté, le législateur allemand a mis en
place un système de mutualisation des coûts en vue d’éviter tout défaut de paiement 659.
63F
424. Le législateur a également dû faire des concessions concernant les appels possibles contre les
différentes décisions rendues. En effet, face à la multiplication des décisions de justice pour la même
procédure 660, le législateur a choisi de limiter le droit des justiciables de faire appel de toutes ces
634F
décisions leur faisant potentiellement grief 661. En effet, seule la décision sur l’admissibilité de la
635F
procédure « modèle » et seule la décision de jugement au fond peuvent faire l’objet d’un appel. Le
législateur allemand a ainsi justifié son choix par le souci de ne pas allonger, de manière
déraisonnable, la procédure, qui est par nature déjà plus longue qu’une procédure individuelle.
655
Voir F. Ferrand et E. Lambert, Action de groupe : l’outil du droit comparé, op. cit.
"Gerichtskostengesetz vom 5. Mai 2004 (BGBl. I S. 718), das durch Artikel 12 des Gesetzes vom 30. Juli 2009 (BGBl. I
S. 2479) geändert worden ist", artikel 12.
657
"Gerichtskostengesetz vom 5. Mai 2004 (BGBl. I S. 718), das durch Artikel 12 des Gesetzes vom 30. Juli 2009 (BGBl. I
S. 2479) geändert worden ist", artikel 39 (2).
658
Voir Supra §. 891 et s.
659
La décision portant sur les coûts engendrés par la procédure de référence reste de la compétence des juridictions de
premier degré devant lesquelles les différentes procédures ont été suspendues, loi du 1er nov. 2005, Partie 2, section 14(2).
660
Décision sur l’admissibilité de la demande d’ouverture de la procédure « modèle » et sur sa publicité dans le registre des
plaintes, décision sur l’admission de l’ouverture de la procédure « modèle » et son transfert au tribunal régional supérieur,
décision de suspension des procédures individuelles, décision sur le choix de l’affaire qui sera jugée comme cas de
référence, et jugement sur le fond de l’affaire.
661
Pour la décision de publicité de la procédure au stade de l’admissibilité de la procédure, voir loi du 1er nov. 2005, partie
1, section 2(1); Pour la décision d’admission de la procédure et de transfert des affaires au tribunal régional supérieur, voir
loi du 1er nov. 2005, partie 1, section 4(1); Pour la décision de nomination du cas de référence et de suspension des
procédures individuelles, voir loi du 1er nov. 2005, partie 2, section 7.
656
197
Cependant, à chaque stade de la procédure, le défendeur à l’action peut faire valoir ces arguments.
Les décisions, qui ne sont pas susceptibles d’appel, sont prises dans le respect du contradictoire 662.
63F
425. Conclusion. La procédure « modèle » allemande apparaît comme un exemple de procédure
respectueuse des droits des justiciables, à titre individuel, au regard des standards du droit romanogermanique. D’une manière générale, la procédure « modèle » semble pallier les difficultés
rencontrées avec l’action de groupe concernant la liberté individuelle de tout justiciable de recourir à
un juge, chacun devant introduire une demande individuelle en justice et ainsi consentir
personnellement à la mise en œuvre de la procédure. Cependant, il est possible de se demander si
cette procédure peut apparaître comme un substitut efficace à l’action de groupe.
§2) La procédure « modèle » face à l’action de groupe
426. Au-delà de l’apport manifeste de la procédure « modèle » concernant la question du respect de la
liberté individuelle des justiciables d’agir en justice, d’autres modalités d’exercice de la procédure
« modèle » apparaissent séduisantes concernant le respect des droits procéduraux fondamentaux (A).
Cependant, contrairement à l’action de groupe et en particulier aux développements escomptés par
les pouvoirs publics européens de l’action de groupe en faveur de la protection des consommateurs,
la procédure « modèle » présente certains inconvénients, voire même obstacles s’agissant des petits
litiges de masse. Elle demeure cependant intéressante pour les litiges de masse, qui porteraient sur
des montants d’une certaine valeur (B).
A) D’autres modalités de mise en œuvre de la procédure conciliables avec les principes
fondamentaux procéduraux
427. D’autres aspects de la procédure « modèle » telle qu’adoptée tant en Allemagne qu’en Angleterre
permettent de répondre aux critiques formulées à l’encontre de la procédure d’action de groupe. Il en
est ainsi d’une publicité mise à la charge de l’Etat ou de l’existence de conditions d’autorisation de
la procédure strictement mises en œuvre ou encore de la mutualisation des coûts de procédure entre
les différents demandeurs.
662
Par exemple, pour la décision de suspension des procédures individuelles, voir loi du 1er nov. 2005, partie 2, section
7(1).
198
1) La publicité de la procédure aux mains du juge
428. Dans le système anglais comme allemand de la procédure « modèle », la publicité des actes de
procédure est principalement de nature légale. Dans le système allemand, les actes sont publiés dans
la Gazette. La publicité des actes et décisions prises par le juge se fait au frais de l’Etat, le juge est
responsable du contenu du texte publié et aucun appel n’est possible à l’encontre de la décision du
juge de procéder à la publication de son jugement 663. Dans le système anglais, la publicité se fait
637F
également principalement par la voie légale via le Service des Multy-party Actions de la Law
Society 664.
638F
429. Dans le cadre de la procédure allemande présentée, plusieurs décisions prises par le juge doivent
faire l’objet d’une publicité, ce qui pourrait avoir un coût conséquent dès lors que cette publicité
devrait se faire dans des journaux privés, à tirage national. Le débat porterait alors sur la question de
savoir sur qui la charge de ces coûts de publicité reposerait, soit sur le demandeur et le cas échéant
sur l’association de consommateur, soit sur l’entreprise défenderesse. Les associations de
consommateur en France tout du moins vont valoir notamment dans le cadre de l’action en
représentation conjointe (Article L422-1 du Code de la consommation) qu’elles ne disposent pas de
moyens suffisants pour mettre en œuvre efficacement la procédure. Elles prônent alors une prise en
charge des coûts par les entreprises et notamment des coûts de publicité de la procédure. Cependant,
il peut apparaître paradoxal de faire reposer la charge de la publicité de l’action sur les entreprises
défenderesses à la procédure dès lors qu’aucun jugement au fond n’a été prononcé et que leur
responsabilité n’a pas été reconnue. Le système de la publicité dans une rubrique spécialement
dédiée de la Gazette officielle permet d’éviter le débat sur ce point. Cette publicité publique prise en
charge par le juge est peu couteuse et les éventuels frais pouvant en résulter pourraient être comptés
au titre des frais de justice mis à la charge du perdant au procès. Ensuite, le contrôle de la publicité
par le juge permet d’éviter tout abus potentiel dans la rédaction de la publicité, qui pourrait porter
atteinte à l’image des entreprises en défense et à leur économie 665. Cette modalité ajoute à la
639F
neutralité de la procédure.
663
Voir Loi du 1er nov. 2005, op. cit., partie 1, section 2(1) et section 2(2).
On notera quelques dérogations possibles à l’initiative du juge, ce dernier pouvant ordonner sur de courtes durées la
publication de l’ordonnance dans un journal à diffusion nationale. Par exemple dans une affaire Lloyd’s Names UK
Government Group litigation, la Commercial Court saisie de la demande de GLO a, dans une ordonnance du 5 avril 2004
enjoint aux demandeurs d’assurer la publication des détails de l’ordonnance et de la date-butoir pour transmettre les
demandes, dans deux journaux nationaux et ce, pour une période d’une semaine ; ordonnance accessible à l’adresse
suivante http://www.docstoc.com/docs/26444919/The-Lloyds-Names-UK-Government-Group-Litigation-Order-dated-5th.
665
Voir §. 245 et s.
664
199
430. L’absence d’appel possible contre la décision de publicité des actes de procédure a également
pour effet de ne pas prolonger la procédure déjà plus longue que la procédure de droit commun. Ce
souci de faciliter un règlement accéléré du litige se retrouve tout au long de la procédure allemande,
avec, par exemple, la fixation d’un délai de quatre semaines pour l’audition des tiers intéressés par le
tribunal régional supérieur. Cette absence de possibilité d’appel n’entraîne pas pour autant un
déséquilibre de la procédure du fait du respect du principe du contradictoire par le juge allemand
tout au long de la procédure. Ces modalités de publicité semblent les plus à même d’écarter tous les
points de blocage, relatifs à la nécessaire publicité d’une telle procédure de recours collectif, quelles
que soient les modalités de la procédure adoptée. Il appartient seulement aux demandeurs de faire
preuve de diligence et de s’informer des éventuelles procédures engagées, dont ils pourraient
bénéficier.
431. Enfin, la publicité est indispensable pour l’information des parties représentées. Cependant,
l’analyse de la jurisprudence américaine en droit boursier 666, montre d’un doute demeure en cas de
640F
publicité et qu’ainsi est regretté le fait que les demandeurs représentés à l’action ne se voient pas
notifier la décision d’ouverture de la procédure d’action de groupe, qui apparaît comme le mode
d’information du justiciable le plus fiable et le plus complet. En droit allemand, la procédure
« modèle » ne prévoit pas non plus une notification personnelle de la décision d’ouverture de la
procédure. Cependant, l’information est considérée comme dispensée de manière adéquate du fait de
l’envoi à chaque partie à une action individuelle de la décision de suspendre cette procédure
individuelle le temps que le jugement du cas de référence soit rendu 667.
641 F
2) Une phase d’appréciation de l’opportunité de recourir à la procédure « modèle »
432. Dans une procédure « modèle », il appartenait aux législateurs de préserver l’esprit de la mesure, à
savoir la recherche d’une bonne administration de la justice. Ainsi plusieurs conditions vérifiables a
priori ont été fixées pour s’assurer de l’opportunité de l’utilisation de la procédure. Cependant la
toute première question à se poser pour le juge demeure celle du bien fondé de la demande. Ainsi il
666
Voir In re Vivendi Universal SA, Securities Litigation, 242 F.R.D. 76, 81 (S. D. N. Y. 2007) ; S. J. Choi and L. J.
Silberman, Transnational litigation and global securities class-action lawsuits, 2009 Wis. L. Rev. 465.
667
La décision de suspension doit également permettre de les informer sur deux points.
- Les coûts de la procédure « modèle » font partie des coûts de leur propre procès (partage à hauteur des demandes de
dommages intérêts de chacun).
Les coûts de la procédure n’auront pas à être supportés par le demandeur qui retire sa plainte dans les 2 semaines à
compter de la décision de suspendre la procédure ; Loi du 1er nov. 2005, partie 2, section 8 (3).
200
doit, selon la loi, contrôler a priori que les éléments fournis à l’appui de la demande d’ouverture de
la procédure « modèle » justifient la demande, que cette dernière ne soit pas formulée dans un but
dilatoire, que les éléments de preuve amenés à l’appui des prétentions sont adaptés et que le litige
présente une question de droit qui nécessite une clarification. Dès lors qu’une de ces conditions n’est
pas remplie, la loi de 2005 prévoit que le juge doit déclarer la demande irrecevable 668.
642 F
433. Ensuite sur l’opportunité du recours à la procédure « modèle », les systèmes allemand et anglais
divergent, le premier ayant recours à un numerus clausus contrairement au second. En effet, le
législateur allemand a posé une condition de numerus clausus fixant le seuil d’admissibilité de la
procédure à dix demandes formulées. Cette condition du nombre a le mérite d’être objective et rend
l’applicabilité de la loi prévisible. Elle justifie alors l’absence de recours possible contre la décision
de transmettre l’affaire au tribunal régional supérieur pour qu’il choisisse le cas de référence parmi
les affaires déclarées. Sur ce point, le législateur anglais s’en est remis à la libre appréciation du
juge. En contrepartie au Royaume-Uni, l’ouverture d’une procédure « modèle » résulte d’une
décision collégiale, la décision devant recueillir l’assentiment du président du tribunal en charge de
la demande.
434. Le rôle du juge dans les deux procédures diffère. Le système allemand, dans la tradition romanogermanique place le juge au cœur de la conduite de la procédure, contrairement au système anglais
où la procédure est aux mains des parties et le juge n’intervient qu’en tant qu’arbitre en cas de litige
entre les parties. Ainsi, le choix du cas devant servir de référence pour la décision sur le fond de
l’affaire, dans le système allemand, relève de l’appréciation du juge régional, compétent également
pour connaître du fond de l’affaire. Dans l’exercice de son libre pouvoir d’appréciation, le juge
régional ne sera pas tenu de choisir le premier des demandeurs à avoir formulé sa requête. Il pourra
désigner l’un des demandeurs ayant vu sa plainte portée sur le registre officiel et ce, sans que sa
décision ne soit susceptible d’appel. Le juge se basera pour cela sur les questions de droit et de fait
présentées par les différentes affaires et le montant des demandes formulées. Cette modalité présente
un avantage certain au regard du problème de professionnalisation de la procédure bien connu du
système américain. En effet, aux Etats-Unis, et particulièrement concernant les « mass torts » et les
procédures en droit bousier, il a pu être constaté une multiplication de recours introduits par un
même demandeur, lequel voyant dans le système judicaire un moyen d’obtenir des revenus
suffisants lui permettant de ne pas exercer une activité professionnelle. Le système allemand permet
668
Loi du 1er nov. 2005, op. cit., partie 1, section 1(3).
201
si ce n’est d’éradiquer le développement de telles dérives, de les limiter fortement. Au contraire,
dans le procédure anglaise de Common Law, le choix de la demande qui sera l’objet de la procédure
« modèle » est le fruit d’une négociation entre les différents solicitors dont les clients ont formulé
une demande en justice individuelle sur des questions de droit et de fait similaires, cette négociation
devant se solder par un accord écrit.
435. In fine, les deux systèmes prévoient un certain nombre de conditions, qui sont fonction du système
judiciaire dans lequel la procédure judiciaire s’inscrit. Ces conditions sont à apprécier dans leur
globalité pour constater la sévérité du contrôle a priori de la demande. Dans les deux systèmes
étudiés, toute demande ne sera pas admissible et la procédure « modèle » s’adresse à certains types
de litiges et peut difficilement être détournée de sa finalité première. Enfin, la procédure « modèle »,
telle qu’issue des systèmes anglais et allemand, présente un autre avantage concernant la prise en
charge des coûts de procédure.
3) La mutualisation des coûts de procédure
436. Comme l’affaire Benzodiazépine 669 et l’affaire Deutsche Telekom 670 le soulignent, les procédures
643F
64F
comprenant un grand nombre de demandeurs peuvent être très couteuses pour les justiciables, du fait
notamment des possibles frais d’expertise. Dès lors que les législateurs ont souhaité rationaliser le
traitement des demandes par le juge, ils ont décidé de mutualiser les coûts relatifs au jugement du
Test Claims sur le fond de l’affaire.
437. En effet, dans la procédure anglaise, une distinction est faite entre les coûts communs (Generic
Costs) et les coûts individuels 671. Les coûts communs sont les frais engagés par le Lead Solicitor
645F
pour l’administration du groupe, les coûts relatifs aux GLO Issues et les coûts individuels engagés
pour une procédure qui deviendra le cas de référence (Test claims) 672. Ces coûts sont mis à la charge
64F
de tous les demandeurs et répartis de manière égale entre ces derniers 673. Le Lead Solicitor assure la
647F
répartition des frais, sous le contrôle de la Cour 674. Il doit tous les trois mois en faire le décompte 675
648F
649F
et en informer les différents demandeurs. Au terme de la procédure, chaque demandeur est
669
Voir §. 379.
Voir §. 404.
671
Voir Multy-party Actions, par Christopher Hodges, op.cit.
672
CRP 48.6A (2) (b).
673
CRP 48.6A (3).
674
CRP 48.6A.
675
Voir P. Garsden, Group Actions Leaflet, Abney Garsden McDonald solicitors. Il existe des règles spécifiques pour les
personnes, qui se dessaisissent de la procédure judiciaire en cours, voir CRP 48.6A (7).
670
202
responsable d’une partie des coûts communs et de ses coûts individuels 676. En droit allemand, la
650F
règle est par principe la même 677. En revanche, la répartition des coûts communs est fonction du
651F
montant de la demande de dommages-intérêts de chacun des demandeurs, en pratique, elle est ainsi
fonction du nombre d’actions détenues par chacun des demandeurs 678. La répartition des coûts entre
652F
les différents demandeurs est laissée à la charge des Tribunaux. Les contestations pourront être faites
devant les tribunaux régionaux compétents pour appliquer la solution du jugement de référence aux
cas individuels et pour connaître des questions individuelles.
438. Cette répartition des charges financières entre demandeurs a pour effet de rassurer tout justiciable
qui souhaiterait se joindre à la procédure, bien que ce dernier reste responsable des frais de justice
pour ses propres coûts et pour une part des coûts communs. En effet, ce mode de financement n’a
pas pour effet de faire peser le risque financier sur un tiers. Il s’agit d’une simple mutualisation des
coûts. Le système allemand est intéressant car il existe une certaine équité à faire supporter une plus
grosse partie des coûts communs par ceux dont les demandes sont les plus importantes. Ces derniers
ont en effet un intérêt à agir plus important à la procédure et auraient été susceptibles d’introduire à
titre individuel une demande. En revanche, concernant les demandeurs ayant un dommage de faible
valeur, ils sont encouragés à porter en justice leur action, bénéficiant de cette mise en commun de la
charge des coûts. Ce mode de financement de l’action comporte de plus peu de risques de dérives
comparé à un éventuel recours au tiers financier comme cela sera abordé dans la partie consacrée au
financement.
439. Ainsi, au delà de la question du respect des droits procéduraux fondamentaux des justiciables, la
procédure « modèle » permet de pallier un certain nombre d’autres obstacles soulevés concernant les
class actions. Ces différentes modalités d’exercice de l’action en justice apparaissent alors comme
des sources d’inspiration intéressantes au regard de la mise en œuvre d’une action de groupe en
Europe dans les différents Etats membres et en particulier dans les pays de tradition romanogermanique comme la France. Cependant, elle fait également l’objet de certaines critiques et des
doutes peuvent être émis quant à la possibilité de la substituer à une éventuelle procédure d’action de
groupe, notamment dès lors que cette nouvelle procédure envisagée aurait pour objet de renforcer
l’accès au juge des consommateurs.
676
CRP 48.6A (4).
Section 17 de la loi de 2005, op.cit.
678
Ibid.
677
203
B) Les critiques de la procédure « modèle »
440. Deux questions se posent quant à l’utilisation de la procédure « modèle » comme alternative à
l’action de groupe: le domaine de cette dernière et sa finalité.
441. Tout d’abord, il faut s’interroger sur la possibilité d’étendre la procédure « modèle » à l’ensemble
des domaines du droit. En Allemagne, le législateur a pris le parti de limiter le champ de l’action à la
matière boursière. Il s’agissait d’opérer une expérimentation pendant une durée de cinq ans dans une
matière qui s’y prête. Cette période probatoire permet d’évaluer l’opportunité de l’introduire à titre
permanent dans le Code de procédure civile allemand et d’étendre son champ d’application à
d’autres matières. La loi expirait à compter du 1er novembre 2010 et le législateur a décidé d’étendre
cette période de test de deux ans. Cependant, plusieurs auteurs ont déjà manifesté le souhait d’élargir
le champ de la procédure. En Angleterre, la procédure « modèle » a été utilisée principalement dans
les années 80 dans deux domaines : les accidents de transport et les accidents liés aux produits
pharmaceutiques ou médicaux (vaccins, tranquillisants, et contraceptifs) 679. Depuis la moitié des
653F
années 90, elle s’est développée dans d’autres domaines comme les assurances, la protection des
investisseurs ou bien encore dans le domaine environnemental ou portant sur des questions de
logement. Ainsi il ne semble pas y avoir de règles particulières ni d’obstacles en la matière. Le
recours à la procédure « modèle » dépend en effet plus de l’existence de questions de droit et de fait
communes à un ensemble de demandes, le but de la procédure « modèle » étant de se prononcer sur
le principe commun de responsabilité. De plus, la procédure « modèle » apparait, comparée à la
procédure de class action, une procédure plus ouverte, puisqu’elle permet l’existence de questions
individuelles annexes ou supplémentaires à travers le retour à la procédure individuelle une fois la
ou les questions de fond tranchées. Ainsi la nature du litige en cause semble avoir peu d’importance.
Il apparaît possible d’élargir la procédure à d’autres matières que la matière boursière, la condition
étant de ne connaître que des affaires faisant état d’un fait dommageable et d’un dommage commun.
La matière boursière et notamment les infractions résultant d’un défaut volontaire d’information des
investisseurs sur la situation économique de l’entreprise s’y prête particulièrement. En effet, le fait
générateur est commun puisque résultant du défaut d’information, le dommage identique consistant
en une perte de la valeur de l’action, et enfin, la détermination du préjudice de chacun et l’allocation
de dommages intérêts sont facilités puisqu’ils sont fonction du nombre de parts détenues dans
l’entreprise. Cependant, un litige en matière de droit de l’environnement, par exemple une pollution
679
C. Hodges, Multi-party actions, op.cit.
204
de l’eau provoquée par une fuite de pétrole sur une plateforme pétrolière en mer, opérée par un
pétrolier, qui aurait causé un préjudice économique aux pêcheurs, pourrait être imaginé. Dans ce cas,
le fait dommageable et la nature du dommage sont identiques. Le juge pourrait déterminer un
montant des dommages intérêts à attribuer aux pêcheurs en se basant sur le chiffre d’affaires, réalisé
par ces derniers, les années précédant le dommage. La question centrale apparaît avec le dommage,
qui devra être identique par nature pour chacun, ou tout du moins pouvoir faire l’objet d’une
typologie, afin de permettre au juge de dresser une méthode de détermination du montant des
dommages et intérêts. A priori, le domaine de l’action « modèle » ne doit pas forcément être limité
aux actions en matière boursière comme en Allemagne et pourrait être étendu à tout autre litige de
nature différente, comme en matière de droit de la consommation, dès lors que les conditions liées à
l’existence de questions de droit et de fait communes seraient respectées.
442. La limite de l’action « modèle » porte sur un autre point : sa finalité. En effet, la procédure
« modèle » moderne 680 est née en droit anglais comme en droit allemand de la pratique des juges,
654F
qui, ont eut à connaître d’un litige de masse d’une grande complexité, comprenant un grand nombre
de demandeurs et qui, face aux difficultés rencontrées ont fait preuve de créativité. Les législateurs
anglais et allemand sont intervenus pour encadrer les innovations de la pratique, visant à pallier les
défaillances du système judiciaire, qui conduisaient à une justice inefficace et couteuse. Les
législateurs ont entendu adopter des procédures, qui permettent au juge de traiter, de manière
efficace, les nombreuses demandes en justice, qui présentent des questions de droit et de fait
similaires. Cependant, ils n’ont pas envisagé la procédure « modèle », comme un moyen de
renforcer l’accès des individus au juge en cas de demandes d’un faible montant, comme les pouvoirs
publics européens peuvent l’envisager, pour les actions de groupe, ni comme un moyen de renforcer
l’effectivité du droit sous jacent au travers l’action du justiciable comme aux Etats-Unis 681. Cette
65F
procédure « modèle » a pour but unique de rationaliser le traitement des procédures judiciaires
individuelles dès lors que les demandes apparaissent comme similaires. Elle a été instituée pour
faciliter le travail du juge, et non pour faciliter l’accès des justiciables au juge. La procédure
« modèle » diffère des actions de groupe ou class actions américaines car il s’agit in fine d’une
combinaison/juxtaposition de procédures individuelles et d’une procédure collective 682, les
65 F
demandeurs non parties à la procédure du cas de référence étant tout de même partie dans le cadre de
680
On rappellera que cette procédure existait déjà en droit administratif allemand, Code de procédure administrative, art.
93a du.
681
Voir infra §. 567 et s.
682
Voir en ce sens F. Ferrand et E. Lambert, Action de groupe : l’outil du droit comparé, Rev. Lamy Droit civil n° 32, de
nov. 2006.
205
la procédure individuelle. Ainsi la procédure « modèle » semble moins attractive face à la volonté de
renforcer l’accès au juge pour les litiges de faibles montants en matière de consommation. Les
pouvoirs publics nationaux comme européens envisageant en effet une délégation complète de la
gestion de la procédure à un demandeur agissant pour autrui, qu’il s’agisse d’une personne physique
ou d’une association agréée, qui se substituerait en tous points aux autres demandeurs potentiels sans
que ces derniers n’aient à introduire par eux-mêmes une action en justice.
443. Face à l’objectif poursuivi, la procédure « modèle » a pu faire l’objet de nombreuses critiques,
notamment de la part des partisans de l’introduction d’une action de groupe. Sur la procédure
allemande en particulier, les points de critique portent sur la longueur de la première phase relative à
l’introduction de la procédure devant le juge régional et à la détermination de cas de référence et sur
l’insuffisance des règles dérogatoires au droit commun (partage des coûts, pas d’avance des frais
d’expertise …) adoptées par le gouvernement eu égard au but recherché de facilitation et de
simplification de la procédure 683. En effet, le fait pour un justiciable de devoir tout de même
657 F
s’adjoindre les services d’un avocat pour l’introduction de la procédure, pour une éventuelle
participation à la conduite de la procédure au fond et pour l’application du jugement au fond à son
propre litige semble plus dissuasif que le fait d’en confier le soin à un tiers sans avoir à entrer dans le
fond du débat. De même, la mutualisation des coûts de procédure semble moins favorable au
justiciable, qui reste en charge du risque de la procédure, que le transfert du risque vers un tiers.
444. In fine, à partir du moment où la procédure « modèle » est appréhendée comme une simple mesure
d’administration de la justice au même titre que la jonction de procédures par exemple, elle apparait
optimum. Cependant, cette procédure doit être regardée simplement comme une mesure de
facilitation du travail du juge. Elle ne facilite pas l’accès des justiciables au juge. Ces derniers
devront en effet toujours introduire par eux-mêmes et ils devront supporter le risque financier
afférent à la procédure judiciaire même si ces coûts sont mutualisés entre les différents demandeurs.
683
Voir rapport national de D. Baetge, Class actions, group litigation & others Forms of Collective Litigation – Germany,
rédigé pour la Conférence organisée par la Standford Law School et le centre d’études socio-légales de l’Université
d’Oxford sur le thème de la class actions en décembre 2007.
206
445. Conclusion de la Section 1. La procédure « modèle » est pleine d’enseignements et constitue une
source précieuse d’inspiration dès lors que l’on souhaite introduire une procédure de traitement
collectif de litige de masse. Les apports concernant les droits fondamentaux sont majeurs, en
particulier pour les pays de tradition romano-germanique. Elle permet une identification personnelle
des demandeurs à l’action, chacun étant partie à une action individuelle et ensuite répertorié dans un
registre. Chaque demandeur peut être entendu par le juge et agir positivement sur la conduite de la
procédure « modèle ». De plus, certaines des modalités d’application de la procédure, telles que la
mutualisation des coûts, la prise en charge de la publicité de la procédure par l’Etat ou encore un
contrôle a priori poussé de l’opportunité de la procédure sont à prendre en exemple au titre de
l’équilibre de la procédure. Enfin, elle semble pouvoir s’appliquer à tous les domaines du droit dès
lors que les demandeurs font état d’un préjudice similaire causé par un fait dommageable identique.
Cependant la procédure « modèle » n’est pas à proprement parler une procédure collective. Il s’agit
d’une juxtaposition de procédures individuelles qui obligent chaque justiciable à agir
personnellement en justice et ainsi à supporter le risque financier de la procédure. Seule la procédure
au fond sur la question de la responsabilité fait l’objet d’une procédure unique. La procédure
« modèle » n’apparaît donc pas comme un moyen efficient de renforcer l’accès au juge pour les
consommateurs, victimes d’un dommage de faible valeur dans un litige de consommation. En
revanche, elle pourrait être envisagée par les pouvoirs publics comme une nouvelle mesure de bonne
administration de la justice dès lors que les demandes en justice similaires seraient très importantes
et que la jonction de procédure semblerait insuffisante 684.
658F
684
C. Hodges Multi-party Actions, op. cit., p. 7.
207
SECTION 2) LES PROCEDURES JUDICIAIRES EXISTANTES :
ENTRE L’AMELIORATION ET L’OPTIMISATION
446. D’autres pistes de réflexion doivent être envisagées au-delà de l’introduction des actions de
groupe pour traiter des litiges de masse. En effet, certains se sont interrogés sur l’opportunité d’agir
avec les éléments qui se trouvent d’ores et déjà dans nos droits positifs. Ainsi une société belge CDC
a utilisé le rachat de créance comme fondement à une demande de traitement groupé d’une multitude
de requête en indemnisation, ce qui fut accueilli favorablement par le juge allemand (§1).
447. En outre, les pays européens ne sont pas totalement démunis face au traitement des litiges de
masse. En effet, il existe dans la plupart des Etats membres de l’Union une action en représentation
ouvertes aux seules associations de défense agréées. De même, au niveau communautaire, le
Parlement européen et le Conseil ont adopté le 22 juillet 2007 un Règlement instituant une
procédure européenne de règlement des petits litiges 685, qui pourraient être utilisés dès lors que l’on
659 F
est en présence de petits litiges de masse. Ces mesures peuvent apparaître comme imparfaites et
nécessiter des adaptations pour en faire des procédures efficientes pour les litiges de masse. Mais
pourquoi alors ne pas envisager ces réformes, plutôt que de recourir à une nouvelle procédure
judiciaire (§2).
§1) Le développement de solutions innovantes à partir de l’existant: le rachat de
créances
448. Le droit à réparation, une créance. Une initiative originale de justiciables devant les juridictions
allemandes, qui constitue une alternative intéressante au recueil des mandats peut être mentionnée. Il
s’agit du rachat de créance. L’hypothèse est la suivante. Une personne qui subi un préjudice du fait
du comportement fautif d’une entreprise détient un droit d’exiger la réparation de son préjudice
auprès de cette dernière et ainsi, dans nos systèmes de droit une compensation financière. Ce droit à
réparation fut alors analysé comme une créance de l’entreprise envers la personne lésée. La personne
lésée peut alors céder cette créance à un tiers, qui peut aller en demander le paiement devant les
tribunaux civils.
449. La démarche de la société Cartel Damages Claims (CDC). Cette initiative fut lancée par une
société de droit belge dénommée CDC Cartel Damage Claims SA. Constituée en 2002, l’objet de
685
Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juil.2007 instituant une procédure européenne
de règlement des petits litiges, JO L 199 du 31.7.2007, p. 1–22.
208
cette société est de racheter les créances des personnes ayant subi un préjudice du fait de pratiques
anticoncurrentielles commises par des entreprises sur le territoire de l’Union et d’en demander le
paiement dans le cadre d’un procès au civil. Concrètement, cette société a identifié les clients de
sociétés condamnées par une autorité européenne de concurrence pour entente. Elle a alors conclu
des contrats avec ces derniers aux termes desquels les parties lésées acceptent de céder leur créance
à la société CDC en contrepartie de quoi elles percevront un pourcentage de la somme allouée au
terme du procès. Ainsi, les personnes lésées cèdent à la société CDC leur droit d’agir en justice pour
demander réparation de leur préjudice. L’hypothèse est ici différente du mandat. La société CDC ne
va pas agir au nom et pour le compte des clients lésés du fait de la pratique anticoncurrentielle. Elle
agit pour son propre compte afin d’obtenir le paiement de sa créance. Elle dispose ainsi d’un intérêt
personnel à agir. Ce montage ne dispense pas la société CDC de ramener la preuve du préjudice subi
par les clients de ces sociétés conformément au droit de la responsabilité civile. Une clause est alors
prévue au contrat prévoyant l’assistance des personnes lésées pour établir le préjudice subi. Elles
vont confier à la société CDC l’ensemble des pièces qui se trouvent en leur possession et qui
pourrait se révéler utiles pour établir le préjudice.
450. Une démarche approuvée par les juridictions allemandes. La société CDC a choisi les
juridictions allemandes pour porter sa première réclamation. Il est possible de penser que la réforme
de la loi allemande sur la concurrence en 2005 686 ait pesé dans la décision de saisir cette juridiction.
60F
En effet, l’Allemagne a reconnu l’autorité de la chose jugée des décisions des autorités européennes
de concurrence. Ainsi désormais dès lors qu’une autorité européenne de concurrence adopte une
décision constatant la violation à une règle du droit de la concurrence, le demandeur dans le cadre de
l’action en indemnisation n’a pas à prouver la violation, il lui suffit de démontrer que la pratique
sanctionnée lui a causé un préjudice à titre personnel 687. Il doit apporter la preuve du préjudice et du
61F
lien de causalité entre la faute et le préjudice.
451. Une première procédure a été engagée devant les juridictions allemandes, à la suite de la
condamnation pour entente, en janvier 2003, par le Bundeskartellamt 688 de douze entreprises et leurs
62F
filiales actives sur le marché allemand du ciment. La pratique sanctionnée s’est déroulée entre 1989
et 2002 et le montant global de l’amende prononcée s’est élevé à 702 millions d’euros. La société
686
Loi allemande relative aux restrictions de concurrence, 7ème amendement, disponible en anglais sur le site du
Bundeskartellamt à l’adresse suivante : http://www.bundeskartellamt.de/wFranzoesisch/index.php.
687
Voir Bundeskartellamt, Activity Report 2005/2006 (short version), p. 7.
688
Office des cartels, l’Autorité de la concurrence allemande, voir le site du Bundeskartellamt
http://www.bundeskartellamt.de/.
209
CDC a conclu des accords avec 29 entreprises alléguant d’un préjudice du fait de l’entente. Le
montant global estimé du préjudice subi par ces entreprises est d’environ 152 millions d’euros 689. En
63F
août 2005, la société CDC a déposé une demande en indemnisation devant la Cour régionale de
Düsseldorf. La juridiction allemande de première instance a déclaré recevable sa demande le 21
février 2007. La Cour fédérale allemande a confirmé la recevabilité de la demande dans une décision
du 7 avril 2009 690. Cette décision des juridictions allemandes d’accueillir ce type de démarche ne
64F
serait peut être pas suivie par l’ensemble des juridictions européennes. En effet, certaines pourraient
considérer que le droit d’agir en justice n’est pas un droit que l’on peut céder. Cependant, cette seule
décision de la juridiction allemande suffit à valider la démarche de la société CDC comme le montre
les résultats obtenus dans d’autres affaires.
452. Une démarche qui porte déjà ses fruits. Une seconde procédure a été engagée par la société
CDC 691 devant le Tribunal de Dortmund le 16 mars 2009. Elle fait suite de la condamnation, le 3
65F
mai 2006, par la Commission européenne de sept entreprises et leurs filiales pour une entente sur les
prix sur le marché du peroxyde d’hydrogène entre 1994 et 2000 692. Dans cette affaire, la société
6F
CDC a conclu des accords avec 32 entreprises, qui alléguaient avoir subi un préjudice du fait de
l’entente. Le 29 septembre 2009, CDC a renoncé à son recours à l’encontre d’une des sociétés
participantes à l’infraction, cette dernière ayant choisi de conclure un accord avec la société CDC.
453. Bien que la solution adaptée par la société CDC soit des plus originales et qu’elle ne pourrait
certainement pas être adoptée dans l’ensemble des Etats membres, elle a abouti aux paiements de
dommages et intérêts. Il faut se demander si l’adoption d’une réelle procédure judiciaire pour les
litiges de masse ne serait pas préférable afin d’éviter de tendre vers des dérives spéculatives à
l’exercice de l’action en justice. Pour cela, certaines procédures existent déjà. Quelques
aménagements pourraient être envisagés afin de devenir des procédures efficaces.
689
Extension de la demande en déc. de la même année (Réf. No. 34 O (Kart) 147/05).
CDC vs. Dyckerhoff AG, KZR 42/08.
691
Dans cette affaire, ce n’est pas la société Cartel Damages Claims SA qui a agi directement, mais une de ses filiales, la
société CDC Cartel Damage Claims Hydrogen Peroxide SA.
692
Décision relative à une mesure d'application de l'article 81 du traité et de l'article 53 de l'accord EEE, Affaire
COMP/F/38.620, Peroxyde d’hydrogène, du 3 mai 2006, non publiée au JOUE.
690
210
§2) Le renforcement de l’efficacité des procédures judiciaires existantes
454. Dans sa réponse au Livre vert de la Commission européenne, l’Association Française des Etudes
de Concurrence (AFEC) fait valoir que bien que le droit positif puisse évoluer afin de lever certains
obstacles à l’exercice de l’action en indemnisation en cas de violation du droit communautaire, « il
convient surtout que les victimes s’emparent des instruments qui existent déjà et qui sont parfois mal
ou sous-utilisés »693.
67F
455. Deux procédures judiciaires existantes semblent ainsi pouvoir être utilisées pour les litiges de
masse, notamment si des améliorations y sont apportées. Tout d’abord, au niveau communautaire, la
procédure de règlement des petits litiges transfrontaliers, encore nouvelle dans le paysage judiciaire
européen, devrait être favorisée et promue. Elle pourrait de même être améliorée afin de permettre la
formulation de demandes jointes (A). Au niveau national, la procédure d’action en représentation,
notamment en France a montré ses limites tenant tant à l’interdiction de démarchage des demandes
qu’à l’organisation et les ressources qu’elle nécessite pour les associations. Ainsi il pourrait être
envisagé de réformer respectivement les articles L422-1 du Code de la consommation et l’article
L452-1 du Code monétaire et financier afin de faciliter l’usage des actions en représentation en
matière de consommation comme en matière boursière (B).
A) Le règlement européen sur les petits litiges transfrontaliers : un mode de résolution des
litiges en devenir
456. Les litiges de masse concernent un grand nombre de personnes. Ils sont favorisés en cas de contrat
d’adhésion et peuvent ainsi porter sur des petits montants. Dès 2002, la Commission européenne
propose des mesures visant à simplifier et à accélérer le règlement des litiges portant sur des
montants de faible importance 694. Elle part du constat que dans le cadre de petits litiges, il est
68 F
nécessaire de « simplifier et accélérer le règlement des litiges portant sur des montants de faible
importance, un domaine dans lequel il importe particulièrement de rationaliser les mécanismes et de
limiter leur coût afin de faire en sorte que le règlement des litiges de ce type ne devienne pas
693
Réponse de l’AFEC au Livre vert « Action en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les
ententes et les abus de position dominante », p. 1,
accessible à l’adresse suivante http://ec.europa.eu/competition/antitrust/actionsdamages/green_paper_comments.html.
694
Livre vert sur une procédure Européenne d'injonction de payer et sur des mesures visant à simplifier et à accélérer le
règlement des litiges portant sur des montants de faible importance, COM/2002/0746 final, Non publié au JO.
211
déraisonnable en termes économiques » 695. Elle vise ainsi le renforcement de l’accès à la justice 696.
6 69F
670F
Les obstacles liés aux coûts, aux délais ou aux formalités à accomplir pour obtenir une décision sont
augmentés dans les litiges transfrontaliers. Le Parlement européen et le Conseil adoptent alors en
2007 un Règlement instituant la procédure européenne de règlement des petits litiges
transfrontaliers 697.
671 F
457. Cette procédure vise les litiges en matière civile et commerciale, qui portent sur un montant égal
ou inférieur à 2000 euros, hors intérêts, frais et débours 698. Elle s’applique aux seuls litiges
672 F
transfrontaliers, litiges « dans lequel au moins une des parties a son domicile ou sa résidence
habituelle dans un État membre autre que l’État membre de la juridiction saisie »699. La
673F
Commission avait pour objectif premier de faciliter l’introduction de la demande. Elle a alors
envisagé une mode de transmission directe des demandes aux juridictions compétentes de l’Etat
membre concerné. De même, les demandeurs doivent simplement remplir un formulaire auquel ils
joignent les pièces utiles au soutien de leur demande. La tenue d’une audience n’est pas prévue sauf
si le juge l’estime nécessaire ou si l’une des parties le demande. La procédure est essentiellement
écrite 700. Et les parties sont dispensées du ministère d’avocat.
674F
458. Les délais sont accélérés. A compter de la réception du formulaire du demandeur, la juridiction
dispose de 14 jours pour notifier ou signifier la demande au défendeur. Pour réduire les frais, les
demandeurs ne sont pas dans l’obligation de trouver un conseil domicilié dans l’Etat du défendeur
pour la notification ou la signification de l’acte. Les formalités sont opérées via la juridiction
compétente du pays. A compter de la notification ou de la signification de l’acte, le défendeur a 30
jours pour adresser sa réponse et les pièces justificatives qu’il juge utiles. Il dispose pour cela
695
Livre vert sur une procédure Européenne d'injonction de payer et sur des mesures visant à simplifier et à accélérer le
règlement des litiges portant sur des montants de faible importance, COM/2002/0746 final, Non publié au JO.
696
Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juil.2007 instituant une procédure européenne
de règlement des petits litiges, JO L 199 du 31.7.2007, p. 1–22, point (7).
697
Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juil.2007 instituant une procédure européenne
de règlement des petits litiges, JO L 199 du 31.7.2007, p. 1–22.
698
Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juill. 2007 instituant une procédure
européenne de règlement des petits litiges, JO L 199 du 31.7.2007, p. 1–22, art. 2. Sont expréssement exclus du champ de
la procédure, les litiges en matière matières fiscales, douanières ou administratives, la responsabilité de l’État pour des
actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique, de même que « a) l’état et la capacité des
personnes physiques ; b) les régimes matrimoniaux, obligations alimentaires, testaments et successions ; c) les faillites,
concordats et autres procédures analogues ; d) la sécurité sociale ; e) l’arbitrage ; f) le droit du travail ; g) les baux
d’immeubles, exception faite des procédures relatives à des demandes pécuniaires ; h) les atteintes à la vie privée et aux
droits de la personnalité, y compris la diffamation », art. 2 (2).
699
Règlement (CE) N° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juill. 2007 instituant une procédure
européenne de règlement des petits litiges, JO L 199 du 31.7.2007, p. 1–22, art. 3.
700
Ibid, art. 5(1).
212
également d’un formulaire. La juridiction transmet alors, dans un délai de 14 jours, une copie de la
réponse au demandeur, qui a lui-même 30 jours pour répondre aux demandes reconventionnelles
éventuelles 701. La Cour saisie doit alors dans un délai de 30 jours également rendre une décision ou
675F
« demande aux parties de fournir des renseignements complémentaires au sujet de la demande dans
un certain délai, qui n’est pas supérieur à trente jours ; b) obtient des preuves conformément à
l’article 9; ou c) convoque les parties à comparaître à une audience, qui doit se tenir dans un délai
de trente jours à compter de la convocation 702 ».
67F
459. Des démarches procédurales allégées. Toujours en vue de faciliter le recours, la juridiction
désignée dans le pays concerné aura un rôle d’information auprès des demandeurs, s’agissant tant du
déroulement de la procédure que du formulaire à remplir. De plus, la demande pourra être rédigée
dans la langue de la juridiction saisie. Le défendeur pourra cependant demander la traduction des
pièces justificatives et des informations à fournir pour remplir le formulaire au demandeur s’il
l’estime nécessaire pour sa compréhension 703. De même, le Règlement prévoit expressément que la
67F
juridiction doit opter pour le moyen d’obtention des preuves « le plus simple et le moins
contraignant »704. Il invite enfin la juridiction à favoriser le règlement à l’amiable entre les
678F
parties 705.
679F
460. Des coûts de procédure réduits. L’absence de ministère d’avocats, tant pour la représentation que
pour la signification des actes réduit considérablement les coûts de procédure. Le demandeur par le
biais du formulaire peut ainsi adresser sa demande au juge en toute simplicité sans avoir à qualifier
juridiquement les faits comme cela sera nécessaire devant le juge national de droit commun 706. Cela
680F
facilite le recours pour ce dernier. En revanche, le principe du perdant payeur demeure. Ainsi, dès
lors que le demandeur succombe à la procédure, il sera tenu de prendre en charge. Le règlement
prévoit seulement que « la juridiction n’accorde pas à la partie qui a eu gain de cause le
remboursement des dépens qui n’étaient pas indispensables ou qui étaient disproportionnés au
701
Ces délais sont fixés à l’article 5 du Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juill. 2007
instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges, préc.
702
Article 7 du Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juil.2007 instituant une procédure
européenne de règlement des petits litiges, préc.
703
Article 6 du Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juil.2007 instituant une procédure
européenne de règlement des petits litiges, préc.
704
Article 9 (3) du Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juill. 2007 instituant une
procédure européenne de règlement des petits litiges, préc.
705
Article 12(3) du Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juill. 2007 instituant une
procédure européenne de règlement des petits litiges, préc
706
Article 12(1) du Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juill. 2007 instituant une
procédure européenne de règlement des petits litiges, préc
213
regard du litige » 707. Comme cela sera développé 708, il a été proposé de modifier ce principe dans le
6 81F
682 F
cadre des actions de groupe afin de ne pas dissuader les demandeurs de porter leurs actions en
justice. Cependant, ce principe connu de l’ensemble des Etats membres de l’Union permet de
prévenir les actions abusives. Ainsi dans le cadre du Règlement instituant la procédure européenne
de règlement des petits litiges, le Conseil et le Parlement européen ont tranché en faveur de maintien
du principe du perdant payeur.
461. L’exécution de la décision rendue. Sous réserve des droits d’appel de la décision, cette dernière
est directement exécutoire. Il n’est pas nécessaire pour le demandeur de constituer une sûreté 709.
683 F
Tout demandeur qui formule une demande d’exécution doit seulement produire une copie
authentique de la décision et une copie du certificat délivrée par la juridiction qui a rendu la
décision. Ce certificat doit être traduit, en cas de demande, dans la langue officielle du pays de la
juridiction d’exécution. Le demandeur n’a pas besoin de justifier d’un représentant autorisé ou d’une
adresse postale dans le pays d’exécution 710. Le refus d’exécution ne pourra alors lui être opposée
684F
que si « a) la décision antérieure a été rendue entre les mêmes parties dans un litige ayant la même
cause ; b) la décision antérieure a été rendue dans l’État membre d’exécution ou réunit les
conditions nécessaires à sa reconnaissance dans l’État membre d’exécution; et que c)
l’incompatibilité des décisions n’a pas été et n’aurait pas pu être invoquée au cours de la procédure
judiciaire dans l’État membre dans lequel la décision dans le cadre de la procédure européenne de
règlement des petits litiges a été rendue » 711.
6 85F
462. Ces différentes mesures montrent qu’il est possible de rationaliser le traitement des demandes en
justice afin d’en faciliter l’exercice pour les justiciables. Ainsi, recourir à des formulaires pour
introduire sa demande en justice permet d’une part de faciliter le recours pour le demandeur et de se
passer dans des cas très spécifiques comme les litiges de faible valeur des services couteux d’un
avocat. De même, les facilités liées à l’exécution de la décision permet au justiciable d’économiser
des frais supplémentaires.
707
Article 16 du Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juill. 2007 instituant une
procédure européenne de règlement des petits litiges, préc.
708
Voir infra §. 938.
709
Article 20 (1) du Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juill. 2007 instituant une
procédure européenne de règlement des petits litiges, préc.
710
Article 21 du Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juill. 2007 instituant une
procédure européenne de règlement des petits litiges, préc.
711
Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juill. 2007 instituant une procédure
européenne de règlement des petits litiges, JO L 199 du 31.7.2007, p. 1–22, art. 22(1).
214
463. Une fréquence d’utilisation est encore méconnue, mais une information diffusée plus
largement semble nécessaire. Le Règlement instituant cette procédure de règlement des petits litiges
transfrontaliers est applicable depuis le 1er décembre 2009 712. La Commission a mis en place un site
68F
Internet sur lequel sont désignées les juridictions compétentes selon l’Etat membre concerné 713. Il
687F
comprend également les conditions de mise en œuvre de la procédure, propres à chaque Etat. Une
version des quatre formulaires est mise à la disposition des citoyens dans la langue officielle des
différents pays. Cependant, pour le moment il est difficile de connaître les résultats de cette nouvelle
procédure 714. Malgré la recommandation du Conseil et du Parlement dans ce Règlement 715, cette
68F
689 F
procédure n’est peu, voire pas, connue des citoyens européens, ce qui nuit irrévocablement à son
utilisation 716. Ainsi avant toute chose il pourrait être envisagé de renforcer l’information sur
690F
l’existence de cette procédure et ses modalités de mise en œuvre auprès du grand public afin de
rendre son utilisation plus fréquente 717.
691 F
464. Pour les petits litiges de masse, cette procédure peut également apparaître comme une source
d’inspiration intéressante. Tout d’abord, ce système permet aux demandeurs d’accéder plus
facilement au juge. Il renforce alors l’incitation des demandeurs individuels à porter leur requête en
justice et ce, que le litige en question concerne un seul ou plusieurs demandeurs. Ensuite, certaines
modalités de l’action sont également à examiner dans le cadre de l’action de groupe. Ainsi, le
recours à des formulaires notamment pour le recueil des consentements dans un système d’opt-in
pourrait être un moyen de faciliter cette phase de l’action. De même, les facilités accordées pour
l’exécution de la décision sont intéressantes pour les litiges de masse transfrontaliers. Ces modalités
712
Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juill. 2007 instituant une procédure
européenne de règlement des petits litiges, JO L 199 du 31.7.2007, p. 1–22, art. 29.
713
Voir site de la Commission intitulé « Atlas judiciaire européen en matière civile » :
http://ec.europa.eu/justice_home/judicialatlascivil/html/sc_information_fr.htm?countrySession=3&
714
La Commission devrait rendre un rapport sur le fonctionnement de ce système au plus tard le 1 er janv. 2014, art. 28 du
Règlement (CE) n° 861/2007, op. cit.
715
L’article 24 du Règlement (CE) n° 861/2007, op. cit., stipule que « Les États membres collaborent pour faire en sorte
que le grand public et les professionnels soient informés de la procédure européenne de règlement des petits litiges, y
compris des frais y afférents, notamment par l’intermédiaire du réseau judiciaire européen en matière civile et
commerciale créé conformément à la décision 2001/470/CE ».
716
Un article « Locations de vacances à l'étranger : les pièges à éviter », de Martine DENOUNE, a été publié dans le
journal Les Echos, du 22 juill. 2010, qui met en garde contre les risques liés à la location de vacances et reprend les
principales conditions d’exercice de la procédure de règlement des petits litiges transfrontaliers.
717
Voir en ce sens les réponses opérées par le MEDEF et l‘AFEP à la consultation de la Commission européenne sur le
thème « Renforcer la cohérence de l'approche européenne en matière de recours collectifs », Document de travail des
services de la Commission européenne, Consultation publique, 4 fév. 2011, SEC(2011) 173 final.
215
seraient de même intéressantes dans le cadre des actions en représentation dont les limites ont pu
être soulignées en France avec l’affaire du cartel de la téléphonie mobile 718.
692F
B) L’amélioration de l’action en représentation des associations de défense
465. L’action en représentation existe dans l’ensemble des Etats membres de l’Union 719, y compris
693F
depuis 2002 en Angleterre. En effet, alors qu’il aurait pu décider d’adopter un système d’action de
groupe similaire au système américain 720, le législateur anglais a fait le choix de recourir à l’action
694F
en représentation en matière de droit de la concurrence. La section 18 de l’Enterprise Act de 2002
prévoit, en effet, l’introduction d’une section 47b dans la Loi anglaise sur le droit de la concurrence
(Competition Act 1998), qui permet au gouvernement d’agréer certaines associations de
consommateurs pour agir en représentation des consommateurs dans les actions en indemnisation
qui font suite aux condamnations d’entreprises pour violation au droit de la concurrence (follow-on
claims) 721.
695F
718
Voir Décision n° 05-D-65 du 30 nov. 2005 relative à des pratiques constatées dans le secteur de la téléphonie mobile.
Cette décision a fait l’objet d’un appel de la part des opérateurs de téléphonie qui fut rejeté (CA Paris, 12 déc. 2006, RG n°
2006/00048). Ils ont alors formé un pourvoi en cassation. La Cour de cassation a cassé partiellement l’arrêt et renvoie
l’affaire devant la Cour d’appel de Paris (Cass. Com., 29 juin 2007, pourvois n° 07-10303, 07-10354 et 07-10397). L’arrêt
de la Cour d’appel (CA Paris, 11 mars 2009, RG n° 2007/19110) confirme au moins partiellement la décision du Conseil :
Echange d’informations ayant « accru artificiellement la transparence sur le marché et révélé aux opérateurs leur stratégie
respective, leur permettant ainsi du fait de cet accord de limiter la concurrence résiduelle du marché ». Cet arrêt a fait lui
aussi l’objet d’un pourvoi devant la Cour de cassation (Cass. Com, 7 avr. 2010, pourvois n° 09-12984, 09-13163 et 0965940), qui a partiellement cassé l’arrêt de la Cour d’appel et renvoyé devant la Cour d’appel de Paris, autrement
composée.
719
Evaluation of the effectiveness and efficiency of collective redress mechanisms in the European Union, Final Report,
part I: Main Report, submitted by Civic Consulting (Lead) and Oxford Economics, 26 August 2008
720
Plus récemment le Civil Justice council (CJC), qui est l’organe de conseil du gouvernement concernant les éventuelles
réformes à mettre en œuvre relativement au système judiciaire en matière civile, s’est prononcé en faveur de l’adoption
d’un système d’action de groupe avec opt out, Improving Access to Justice through Collective Actions, Developing a More
Efficient and Effective Procedure for Collective Actions, A Series of Recommendations to the Lord Chancellor, John
Sorabji, Michael Napier CBE QC, Robert Musgrove, Civil Justice council, Juill. 2008.
721
Cette procédure est mise en œuvre devant le CAT dès lors qu’une entreprise a enfreint le droit de la concurrence, y
compris les articles 101 et 102 TFUE. Elle ne concerne que les actions de suites, c'est-à-dire les actions intentées à la suite
d’une condamnation d’une entreprise par l’autorité de la concurrence nationale, à savoir l’OFT ou par la Commission
européenne. Seules les associations agrées par le « Secretary of State » conformément au Specified Body (Consumer
Claims) Order 2005 peuvent exercer ce type d’action en représentation des consommateurs. Les associations doivent
remplir un certain nombre de critères notamment elles doivent démontrer qu’elles sont représentatives et à même de
défendre les intérêts des consommateurs et qu’elles pourront agir de manière impartiale, indépendante et avec intégrité.
Pour le moment, seule l’association « Which ? » a été agrée par le « Secretary of State ». L’association « Which ? » a
intenté une action à l’encontre de la société JJB Sports PLC. Il s’agissait d’une action intentée suite à la condamnation de 7
entreprises pour entente sur le prix des T-shirts de football entre 2000 et 2001. Cette action intentée s’est soldée par une
transaction en 2008. Cette action peut être intentée dès qu’au moins deux individus nommément identifiés peuvent être
représentés (section 47B (1) Competition Act 1998). Le consentement des individus concernés par la procédure est requis.
Cette procédure ne vise qu’à l’obtention de dommages intérêts. La Court of Appeal a refusé de reconnaître la validité des
dommages intérêts punitifs en la matière (Devenish NutritionLimited v. Sanofi-Aventis SA (France) & Others, [2008]
EWCA Civ. 1086), Christopher Hodges, Country report : England & Wales, dans The Globalisation of class actions,
Conférence internationale co-sponsorisée par la Standford Law School et le centre d’études socio- légales de la Oxford
University, 13 &14 déc. 2007 ; Voir Alison Brown, et Ian Dodds Smith, England & Wales, The International Comparative
216
466. Cependant, certains auteurs ont souligné la nécessité de réformer le système de l’action en
représentation afin d’en accroître l’efficacité. En France, les difficultés de fonctionnement de la
procédure, le problème du financement de l’action et des ressources que nécessite la gestion des
litiges de masse ont été relevés 722. L’exemple l’affaire de la téléphonie mobile et les difficultés
69F
rencontrées, par l’association de consommateurs française, l’UFC-Que-Choisir, dans cette affaire,
illustre les limites de l’action en représentation conjointe 723 (1). Ces constats ont conduit à des
697F
propositions de réforme de la procédure d’action en représentation, comme l’illustre une proposition
de loi sénatoriale en France datant de février 2010 724. De nouvelles modalités d’exercice de l’action
698F
sont à retenir (2).
1) Les limites de l’action en représentation : illustration en France par l’affaire de la
téléphonie mobile
467. Pour parvenir à un traitement de l’ensemble des demandes multiples et similaires que présente un
affaire, l’action en représentation ouvertes aux associations de consommateurs n’apparaît pas
comme le moyen le plus efficient et efficace. En France, les limites de l’action en représentation
conjointe ont été soulignées dans une affaire opposant l’association de défense des consommateurs
l’UFC Que Choisir à une entreprise de téléphonie mobile, Bouygues Telecom. Par ailleurs, cette
action n’a été utilisée que cinq fois depuis sa création en 1992.
468. La condamnation des opérateurs de téléphonie pour entente. Le 30 décembre 2005, l’autorité
française de concurrence a prononcé une condamnation à l'encontre des trois opérateurs de
téléphonie mobile français, Bouygues Telecom, SFR, et Orange France, pour violation des règles du
droit de la concurrence 725. Elle leur reproche des échanges d'informations stratégiques portant sur les
69 F
Legal Guide to: Class and Group Actions 2009, publié par Global Legal Group, Janv. 2009, p. 66 et suivantes. Cette
disposition fut précédée d’une section 47a qui autorise le Competition Appeal Tribunal à connaître des demandes en
indemnisation des consommateurs dans le cadre du réexamen de la décision de condamnation pour violation au droit de la
concurrence (Section 17 de l’Enterprise Act qui est venu introduire une section 47a dans le Competition Act 1998).
722
C. Prieto, Inciter les dommages et intérêts en droit de la concurrence : le point de vue d’une concurrentialiste, p. 8-9,
point 6, dans Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les
ententes et les abus de position dominante, Journée d’étude organisée conjointement par le Collège européen de Paris de
l’Université Panthéon-Assas (Paris II), et l’Association Française d’Etude de la Concurrence (AFEC), Paris, le 13 juin
2008, Actes publiés s. dir. du prof. L. Idot, dans la Revue Concurrences n°2-2009.
723
C. Prieto, Inciter les dommages et intérêts en droit de la concurrence : le point de vue d’une concurrentialiste, p. 9,
point 12, dans Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les
ententes et les abus de position dominante, op. cit.
724
Proposition de loi sénatoriale sur le recours collectif, déposée par les sénateurs, Mme Bricq et M. Yung, le 9 fév. 2010.
725
Décision n° 05-D-65 du 30 nov. 2005 relative à des pratiques constatées dans le secteur de la téléphonie mobile. Cette
décision a fait l’objet d’un appel de la part des opérateurs de téléphonie qui fut rejeté (CA Paris, 12 déc. 2006, RG n°
2006/00048). Ils ont alors formé un pourvoi en cassation. La Cour de cassation a cassé partiellement l’arrêt et renvoie
l’affaire devant la Cour d’appel de Paris (Cass. Com., 29 juin 2007, pourvois n° 07-10303, 07-10354 et 07-10397). L’arrêt
217
nouveaux abonnements et les résiliations, et un accord entre 2000 et 2002 entre les trois opérateurs
portant sur la stabilisation de leurs parts de marché autour d'objectifs définis en commun. Ces
pratiques sont sanctionnées car elles ont pour effet de restreindre la concurrence sur le marché. Dans
la théorie économique, une restriction de concurrence porte atteinte au bon fonctionnement du
marché et cause un préjudice aux acheteurs qui vont contracter à des conditions faussées du fait de
l’entente. En l’espèce, il était présumé une augmentation artificielle des prix payés par les acheteurs
directs des abonnements 726.
70F
469. La stratégie en amont de l'UFC Que Choisir. Avant même le prononcé de cette décision,
l'association de consommateurs, l’UFC-Que-Choisir avait engagé les préparatifs d'une action en
réparation des dommages subis par les acheteurs directs-consommateurs du fait de l'entente illicite.
Elle avait ainsi commandé une étude auprès du Cabinet Aldex en vue de mettre au point un
calculateur informatique pour déterminer le montant des préjudices subis et les dommages intérêts à
réclamer. Le lendemain de la publication de la décision du Conseil, elle a informé les
consommateurs,
indépendamment
de
leur
affiliation,
par
le
biais
du
site
Internet
www.cartelmobile.org, de l'action envisagée au civil et de la mise à disposition du calculateur. Elle
leur proposait de lui donner un mandat en ligne pour engager une action en réparation en leur nom et
pour leur compte. L'UFC Que Choisir avait relancé ensuite par emails personnels les internautes
ayant visité le site sans remplir le dossier 727.
701F
470. Contexte législatif de l’affaire. Il est important de rappeler le contexte législatif de l’affaire. La
décision du Conseil de la Concurrence a été rendue en 2005. Cependant, dans ses vœux adressés aux
« forces vives » de la nation le 4 janvier 2005, le Président Jacques Chirac avait demandé au
Gouvernement de proposer une modification de la législation pour permettre à des groupes de
consommateurs et à leurs associations d’intenter des actions collectives contre les pratiques abusives
observées sur certains marchés. Ainsi une modification de la loi était attendue. Cependant, en l’état
de la législation en 2005 et qui demeure encore en 2011, deux actions en indemnisation étaient et
de la Cour d’appel (CA Paris, 11 mars 2009, RG n° 2007/19110) confirme au moins partiellement la décision du Conseil :
Echange d’informations ayant « accru artificiellement la transparence sur le marché et révélé aux opérateurs leur stratégie
respective, leur permettant ainsi du fait de cet accord de limiter la concurrence résiduelle du marché ». Cet arrêt a fait lui
aussi l’objet d’un pourvoi devant la Cour de cassation (Cass. Com, 7 avr. 2010, pourvois n° 09-12984, 09-13163 et 0965940), qui a partiellement cassé l’arrêt de la Cour d’appel et renvoyé devant la Cour d’appel de Paris, autrement
composée.
726
On rappelle que la décision de condamnation n’est pas défnitive.
727
Voir Cour d’appel de Paris, 11ème Chambre, 22 janv. 2010, RG n° 08-09844, L’UFC Que Choisir et autres c/ SA
Bouygues Telecom.
218
restent ouvertes aux associations de consommateurs, agrées conformément aux dispositions du Code
de la consommation :
 L'action en représentation conjointe de l'article L422-1 du Code de la consommation.
Cette action leur permet d'agir au nom des consommateurs pour la défense de leur
intérêt personnel dès lors qu'est recueilli un mandat exprès des personnes représentées.
Ce mandat ne peut cependant pas être sollicité par voie d'appel public télévisé ou
radiophonique, ni par voie d'affichage, de tract ou de lettre personnalisée.
 L'action civile dans l'intérêt collectif des consommateurs de l'article L421-1 du Code de
la consommation. Cette action permet aux associations d'exercer " des droits reconnus à
la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt
collectif des consommateurs ". Deux conditions doivent être réunies : la constatation
d'une infraction pénale et l'existence d'un préjudice à l'intérêt collectif des
consommateurs, qui doit être distinct et caractérisé par rapport au préjudice subi
personnellement par les victimes de l'infraction.
471. Le contournement de l’interdiction du démarchage juridique. Les pratiques préliminaires de
l'UFC Que Choisir, étaient assimilables à du démarchage juridique, prohibé en soi au titre de la loi
de 1971 728. Elles constituaient ainsi un obstacle à l'exercice de l'action en représentation conjointe.
702F
Consciente de cet obstacle, l'association a tenté de contourner la difficulté en intervenant
volontairement à une action déjà engagée par un consommateur sur le fondement de l'action en
défense des intérêts collectifs des consommateurs. Trois milles sept cents cinquante autres
consommateurs sont également intervenus volontairement à la procédure. Les demandeurs à l'action,
y compris l'UFC, ont retenu le même avocat et ont déposé des conclusions similaires 729.
703F
472. La requalification de la procédure. A la lumière de ces éléments, le Tribunal de Commerce de
Paris a requalifié l'action en défense des intérêts collectifs des consommateurs en action en
728
Loi n° 71-1130 du 31 déc. 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, Article 66- 4 : « Sera
puni des peines [*sanctions pénales*] prévues à l'article 72 quiconque se sera livré au démarchage en vue de donner des
consultations ou de rédiger des actes en matière juridique. Toute publicité aux mêmes fins est subordonnée au respect de
conditions fixées par le décret visé à l'article 66-6 ».
729
Voir Cour d’appel de Paris, 11ème Chambre, 22 janv. 2010, RG n° 08-09844, L’UFC Que Choisir et autres c/ SA
Bouygues Telecom.
219
représentation conjointe et a constaté l'infraction à l'interdiction du démarchage juridique 730. Il a
704 F
alors déclaré irrecevable la demande pour violation d'une des conditions de fond de l'action. La Cour
d'appel de Paris rejette également le recours de l'UFC Que Choisir, mais sur un autre fondement. La
cour confirme l'existence d'un démarchage prohibé. Toutefois, elle écarte la requalification opérée
par le Tribunal de Commerce et annule le jugement. Pour elle, le recours de l'UFC est bien une
action en défense des intérêts collectifs des consommateurs. Mais, la procédure est déclarée nulle.
En effet, comme les 3750 abonnés, l'UFC est venue, par voie d'intervention volontaire, greffer son
recours sur celui d'un des consommateurs concernés. Or, pour que ce recours soit valable, encore
faut-il que le recours initial ne soit pas nul. Or, cette nullité est constatée par la cour dans la mesure
où ce dernier avait été " piloté " par l'UFC qui avait choisi l'avocat de ce consommateur, et s'était
engagé à supporter les coûts de la procédure. Pour la Cour, le consommateur ayant engagé le recours
principal avait donc mandaté pour sa défense l'UFC et non l'avocat censé le représenter. La cour
conclut donc à la nullité de l'assignation introductive d'instance comme des actes d'intervention
volontaire pour « pour défaut de pouvoir des personnes assurant la représentation en justice par
application de l'article 117 du code de procédure civile »731.
7 05F
473. Les limites de l’action en représentation conjointe. Cette affaire a été très largement médiatisée
et elle a permis de mettre en lumière les insuffisances de l’action en représentation conjointe pour
traiter les litiges de masse sur le plan judiciaire. En l’espèce, le surcoût payé par les abonnés, basé
sur étude de l’UFC Que Choisir, était estimé à 67.20€. Les consommateurs individuels demandaient
alors l’allocation d’éventuels dommages et intérêts et la somme de 150€ au titre de l’article 700
CPC 732. Il s’agit d’un litige de faible valeur, pour lequel le regroupement des demandes via
706F
l’association de consommateurs aurait pu permettre la réparation des préjudices individuellement.
Cependant, la nécessité de recueillir des mandats comme l’interdiction de démarchage des
consommateurs lésés ne permet pas aux associations de réunir un grand nombre de consommateurs
lésés, qui justifierait alors le recours à cette procédure. De plus, la gestion même de la procédure
pour les associations de consommateurs peut se révéler lourdes, et couteuses. Par exemple, dans
l’affaire de la téléphonie mobile, l’association de consommateur UFC-Que-Choisir, a monopolisé
des ressources exceptionnelles : « vingt et un juristes chargés de constituer les dossiers individuels,
730
T. Com. Paris, 6 déc. 2007.
Cour d’appel de Paris, 11ème Chambre, 22 janv. 2010, RG n° 08-09844, L’UFC Que Choisir et autres c/ SA
Bouygues Telecom.
732
T. Com. Paris, 6 déc. 2007.
731
220
3m3 de dossiers papier et 500 000 euros » 733. Ainsi une simplification et rationalisation de la
70 F
procédure pourraient être bénéfiques. C’est ce qu’on envisageait les sénateurs Mme Bricq et M.
Yung, dans une proposition de loi du 9 février 2010 734.
708F
2) Les améliorations possibles de l’action en représentation
474. Dès lors que le débat sur l’action de groupe n’a pas abouti en France à l’adoption d’une nouvelle
procédure judiciaire, certains sénateurs ont proposé une réforme de l’existant, afin de faciliter le
recours en justice des associations de consommateurs. Les sénateurs Mme Bricq et M. Yung ont
ainsi proposé de substituer à l’action en représentation conjointe un recours collectif innovant, qui
combine la procédure du test case 735 et la procédure d'action de groupe. Bien que cette proposition
709F
soit intéressante, elle demeure encore imparfaite, un déséquilibre se créant entre les garanties des
droits de la défense et les droits accordés aux demandeurs (a). D’autres propositions peuvent alors
être formulées pour pallier ce déséquilibre (b).
a) Les tentatives de réforme des actions en représentation
475. Les sénateurs, Mme Bricq et M. Yung ont déposé une proposition de loi sur les recours collectif,
le 9 février 2010. Le mécanisme de recours collectif, qu'ils proposent, serait ouvert aux associations
de consommateurs, agissant pour le compte de deux personnes au moins. Cette procédure nouvelle
viendrait remplacer l'action en représentation conjointe prévue aux articles L422-1 et suivants du
Code de la consommation, jugée insuffisante. La proposition de loi vise uniquement les litiges
opposant les personnes physiques et les professionnels et prévoit une possibilité de restreindre
encore le choix d'application de manière sectorielle par décret pris en Conseil des Ministres. La
modification des articles du Code de la consommation serait accompagnée de dispositions sur les
modalités d'exercice de la procédure, introduites dans le Code de procédure civile à l'article 31,
relatif à l'intérêt pour agir 736.
710 F
733
M. Barcaroli et G. Patetta, Action de groupe : alors que la France recule, l’Italie avance…, Rev. Lamy Droit civil,
2010, p. 70.
734
Proposition de loi sénatoriale sur le recours collectif, déposée par les sénateurs, Mme Bricq et M. Yung, le 9 fév. 2010.
735
Pour rappel, la procédure de « test case » consiste à faire juger une demande, considérée, au terme d’un processus de
désignation, comme la plus représentative des problématiques posées dans plusieurs affaires similaires. Ces dernières sont
alors suspendues le temps du jugement et se voit appliquer la solution de principe retenue au terme du jugement de
référence.
736
L’introduction de ces dispositions à l’article 31 CPC apparait comme un choix réfléchi car cet article relatif à l’intérêt
pour agir constitue en droit interne français l’un des obstacles principaux à l’introduction d’une action de groupe, en ce
qu’elle rend nécessaire un mandat exprès donné au représentant.
221
476. Le mécanisme du recours collectif proposé. Le mécanisme proposé dans la proposition de loi
sénatoriale se décompose en deux phases. Il est tout d’abord prévu une action en déclaration de
responsabilité pour préjudice de masse. Dans cette première phase, la recevabilité du recours 737,
71F
l'opportunité de recourir à une action collective ainsi que la question de la responsabilité du
défendeur sont examinées par le juge. Le prononcé du jugement entraine alors la suspension de la
procédure pour une durée d'un mois, ce qui permet au défendeur ou au demandeur de faire appel de
la décision. L’appel se fait alors en référé. A l’expiration de ce délai ou en l'absence de recours,
s’ouvre une seconde phase consacrée à l’indemnisation des victimes. Le juge évalue le préjudice
individuel subi par les demandeurs initiaux à l'action et fixe le montant des dommages intérêts qui
leur est dus. Il est procédé à la publicité du jugement pour permettre l'identification des autres
consommateurs lésés du fait de la pratique dénoncée, suivant un système d'opt in. Le juge examine
alors individuellement chaque nouvelle demande soumise et procède à l'allocation de dommages
intérêts à chacune des victimes. Les sommes allouées sont alors consignées à la caisse des dépôts et
leur répartition est confiée à l'association de consommateurs.
477. Les autres mesures de la proposition. Pour l’obtention des mandats nécessaires à l’introduction
de la procédure, les sénateurs proposent le recours au démarchage juridique. Cette dérogation à
l’interdiction du démarchage juridique posée par la loi de 1971 ne vaudrait que pour les associations
de consommateurs agréées dans le cadre de cette procédure. Les sénateurs envisagent également un
encadrement
de
la
rémunération
des
avocats
selon
le
principe
des
« honoraires
complémentaires » 738.
7 12F
478. Les avancées de la proposition. Ce mécanisme est très intéressant car il combine les aspects de la
procédure de Test case et ceux de l’action de groupe. En effet, il permet tout d’abord un jugement au
fond en présence de consommateurs identifiés, bien qu’ils agissent par l’intermédiaire de
l’association. Cette première mesure garantit alors le respect des droits de la défense pour les
professionnels en défense. Ensuite, la publicité de la procédure permet une identification des autres
consommateurs, victimes de la même pratique, à qui l’on va appliquer la solution retenue au fond.
737
On entend par recevabilité de la procédure, l’intérêt à agir du demandeur, la compétence du tribunal saisi et le bien
fondé de la demande.
738
Tout en maintenant la prohibition traditionnelle en droit français du pacte « de quota litis », la loi du 10 juillet 1991
l’atténue en permettant aux avocats français de convenir avec leur client d’une rémunération complémentaire
proportionnelle au produit de l’action judiciaire. Cette faculté se distingue du mécanisme anglo-saxon des contingency fees
agreements (pacte de quota litis) qui font dépendre les honoraires d’avocat de la seule réussite du procès. Ce dernier
système est considéré comme favorable aux « demandeurs démunis », mais est critiqué dans la plupart des pays de droit
continental en Europe, qui prohibent le démarchage de la clientèle.
222
Cette publicité intervient après le jugement sur la responsabilité et pallie alors tous risques d’atteinte
au commerce ou à l’image de l’entreprise en dehors des cas avérés de responsabilité du
professionnel. Le système retenu est celui de l’opt in, seul de nature à garantir le droit individuel
d’ester en justice des justiciables français au regard de la jurisprudence constitutionnelle. Enfin, le
préjudice subi par chacun des consommateurs fait l’objet d’une évaluation individuelle par le juge,
ce qui permet de ne pas heurter le principe de la réparation intégrale des préjudices.
479. Les critiques du mécanisme proposé. Malgré l’ensemble des avancées que présente cette
proposition, certaines modalités semblent critiquables car elles nuisent à la cohérence de la
procédure. Elles peuvent en outre conduire à un allongement de la durée de la procédure de manière
injustifiée ou encore à un déséquilibre entre les droits des demandeurs et ceux des défendeurs. Il est
possible tout d’abord de s'interroger sur la nécessité d'un démarchage en amont de la procédure pour
l'obtention des mandats 739. En effet, seuls deux mandats sont nécessaires pour autoriser l’association
713F
à porter son action en justice. De plus, les autres consommateurs potentiellement concernés seront
informés de la procédure grâce à la publicité du jugement qui interviendra dans la seconde phase de
la procédure. De même, il est possible de s’interroger sur l’opportunité de séparer la phase de
jugement au fond et la phase d’indemnisation pour les cas individuels à l’origine de la procédure.
Encore, le fait de confier la répartition des sommes allouées à l'association alors que le juge a
déterminé, de manière individuelle, le montant des dommages intérêts à verser, apparait inutile. En
outre, plus grave, la voie du référé pour le recours contre le jugement en responsabilité,
manifestement choisie par souci de rapidité, ne permet pas un "véritable" réexamen de l'affaire, le
juge des référés n'étant pas un juge de la réformation, mais le juge de l'urgence. Un appel ne serait
possible sur l'ensemble de la décision probablement qu'après la publicité. Encore aucune disposition
relative à l'examen de l'opportunité de recourir à une telle procédure ne figure dans les articles
proposés, alors que cette étape requiert des conditions éprouvées 740. Enfin, l'ordonnancement par le
714F
juge de la publicité du jugement n'apparait pas non plus dans le dispositif de la loi alors que le
contrôle du juge sur la publicité de la procédure est indispensable pour éviter tout risque d’abus. Des
doutes peuvent être émis sur l'effectivité de ces mesures et, in fine, sur la procédure proposée plus
739
Seuls deux mandats sont nécessaires à l’association pour agir en justice et une publicité est prévue en aval de la
procédure pour l’identification des victimes.
740
Le groupe doit potentiellement comprendre tellement de demandes que la jonction d’instances serait impossible ; Des
questions de droit ou de fait communes au groupe doivent exister ; Les demandes du demandeur principal doivent être
représentatives de celles des membres non identifiés du groupe ; Le représentant doit pouvoir représenter de manière
adéquate les intérêts des membres du groupe – voir pour référence Rule 23 FRCP.
223
largement. Cependant, cette proposition amène à pouvoir formuler des propositions de modification
de la loi existante.
b) Les améliorations à retenir
480. L’action en représentation est par principe l’action retenue jusqu’à présent dans les systèmes de
droit romano-germanique. Ainsi il est possible de la conserver et de la modifier afin d’en faire une
procédure efficace et efficiente pour traiter les litiges de masse. Pour cela, il est possible de
s’inspirer des procédures tant de la procédure d’action de groupe que de la procédure « modèle », à
l’instar de la proposition des sénateurs Mme Bricq et M. Yung.
481. Les conditions d’ouverture de l’action. Il apparaît qu’un choix doit être opéré entre d’une part
l’autorisation du démarchage juridique avant l’introduction de l’action pour les associations de
défense agréées et d’autre part la publicité de la procédure après l’introduction de la procédure. En
effet, les deux mécanismes tendent à informer les demandeurs potentiels à l’action de l’existence de
la procédure ou de l’intention d’introduire une demande en justice. Les deux mécanismes feraient
dans une certaine mesure doublon. L’association doit s’appuyer pour présenter sa demande sur des
cas concrets. Elle sera ainsi toujours obligée d’obtenir des mandats des consommateurs qu’elle
entend représenter. A cet égard, comme cela a été vu avec l’affaire de la téléphonie mobile, le
démarchage peut s’avérer utile. Cependant, un très petit nombre de mandats est nécessaire pour
permettre à l’association d’introduire son action. En France, elle ne doit justifier que de deux
mandats. Ainsi, l’association peut obtenir ces deux mandats sans le concours du démarchage
juridique 741. En outre, la publicité de la procédure après l’introduction de la procédure permet de
715F
prévoir un contrôle du juge sur le contenu comme sur les moyens de cette publicité. Ce contrôle
offre alors des garanties quant aux abus éventuels liés à la diffusion de l’information. Le recours à la
publicité dans la proposition ici formulée semble plus opportun.
482. Sur les conditions d’ouverture de la procédure, la proposition de loi sénatoriale fait mention d’un
contrôle de l’opportunité de la procédure. Les sénateurs ne détaillent pas les conditions, que le juge
devra contrôler. Cependant, il est indispensable que le juge prévoie expressément dans la loi la
nature de ces conditions sur le modèle défini dans le premier chapitre. Seul le législateur peut
741
Il pourrait être soulevé l’argument contraire lié à la détermination des cas les plus représentatifs comme cela est le cas
dans la procédure « modèle ». Cependant, dès lors que l’on se trouve en présence d’un « réel » litige de masse, c'est-à-dire
une pratique unique ayant causé un préjudice identique à l’ensemble des demandeurs, il ne semble pas insurmontable de
trouver deux cas qui seront représentatifs des autres demandes.
224
décider des conditions dans lesquelles il est permis de déroger au principe d’action individuelle et à
l’intérêt personnel et direct à agir. Les conditions liées à la nature du litige et à l’efficacité de cette
procédure pour connaître des demandes multiples et similaires, devront être définies.
483. Une procédure en deux étapes et la publicité de la procédure. Ensuite, et dans un souci de
cohérence, la proposition des sénateurs de séparer entre la phase de jugement et la phase
d’indemnisation des autres victimes sur le modèle de la procédure allemande ou anglaise de « test
case » apparaît intéressante. Cependant, se pose alors la question du moment de la publicité de la
procédure, qui va impacter les modalités de mise en œuvre de l’action. En effet, dans une première
hypothèse, un jugement au fond est rendu dans un premier temps concernant les personnes
identifiées ayant donné mandat à l’association. Ce jugement pose la méthode d’évaluation et
d’indemnisation du préjudice appliquée aux demandeurs en question. Un appel est alors possible
dans les conditions d’appel de droit commun. Dans un second temps, une publicité est ordonnée par
le juge dans des conditions fixées par lui-même eu égard aux circonstances de l’espèce. Toutes les
personnes qui se manifestent bénéficient de la solution au fond. Dans une seconde hypothèse, le juge
se prononce tout d’abord sur la recevabilité et l’opportunité de la procédure. S’il considère la
demande recevable, il ordonne ensuite la publicité de la procédure afin d’en informer les
demandeurs potentiels. Ces derniers vont pouvoir donner mandat à l’association et/ou se joindre à la
procédure en tant que partie. Le jugement au fond s’applique alors à toutes les personnes s’étant
manifestées dans le délai. Dans le même jugement, le juge tranche la question de la responsabilité et
applique la solution aux différents demandeurs à titre individuel. Dans les deux cas de figure, les
personnes qui n’ont pas consenti à l’action conservent leur droit d’agir individuellement en justice.
Toutefois, les deux hypothèses n’offrent pas les mêmes garanties. En effet, dans la première
hypothèse, les personnes informées de la procédure postérieurement au jugement sur le fond
n’auront pas l’opportunité de jouer un rôle sur la conduite de la procédure, sauf à engager à titre
individuel une nouvelle action devant les tribunaux. En revanche, dans la seconde hypothèse, il
pourrait être envisagé un système similaire à celui de la procédure « modèle » en Allemagne, qui
permet à tout demandeur inscrit sur le registre de faire parvenir des conclusions aux juges ou de
demander à être entendu, dès lors que ces actions ne sont pas contraires ou ne nuisent pas à celles du
demandeur « modèle ». Mais dans la seconde hypothèse, la publicité intervient avant le jugement au
fond, ce qui comporte un risque pour le défendeur. Cependant, et à la condition que le juge vienne
encadrer la publicité de la procédure, cette seconde hypothèse apparaît comme celle qui offre le plus
de garanties au regard des principes qui gouvernent notre procédure civile. En effet, elle permet de
225
pallier au problème du respect de l’autorité de la chose jugée, du principe du contradictoire et des
droits de la défense plus largement. De plus, l’évaluation des préjudices demeure individuelle.
484. La rationalisation de la procédure. Les actions collectives qu’il s’agisse des actions de groupe ou
des actions en représentation sont par nature plus longues que les actions individuelles et il ne pourra
en être autrement. En revanche, il est possible de tenter de faciliter le travail tant du juge que de
l’association de consommateurs, dans un souci de bonne administration de la justice. Ainsi pourrait
être reprise l’idée des formulaires, qui permettraient de recueillir le consentement des personnes,
mais également toutes les informations utiles à leur indemnisation et les pièces justificatives. Un
contrôle a priori des informations transmises pourraient être opéré par l’association. Sur le modèle
de la procédure européenne de règlement des petits litiges transfrontaliers, un second formulaire
pourrait être prévu en cas de demande supplémentaire nécessaire. Ces formulaires pourraient alors
être transmis directement au juge pour lui permettre de trancher la question des indemnisations
individuelles.
485. Conclusion du Chapitre 1. Les pays européens ne sont pas démunis en l’absence d’action de
groupe. Plusieurs solutions judiciaires existent pour le traitement des litiges de masse. Ainsi
l’Allemagne et l’Angleterre se sont dotées d’une procédure « modèle » non représentative, qui
permet aux juges de rationaliser les demandes en justice. La France se dirige quant à elle vers une
réforme de la procédure d’action en représentation conjointe. Au niveau communautaire également,
la Commission a adopté des procédures innovantes comme l’illustre la procédure de règlement des
petits litiges transfrontaliers. Ces procédures judiciaires ne sont pas parfaites. Mais elles demandent
simplement à être optimisées ou améliorées afin de permettre aux juges de rendre leurs décisions
dans les meilleures conditions et dans les meilleurs délais. Alors par la rationalisation des procédures
judiciaires, le droit à l’accès au juge sera renforcé pour les justiciables européens. De plus, il existe
des solutions extrajudiciaires pour le règlement des litiges de masse.
226
CHAPITRE II : LES ACTIONS COLLECTIVES ET LES
PROCEDURES NEGOCIEES
486. Les modes alternatifs de résolution des confits (ci-après les « MARC ») se développent de
manière considérable depuis plusieurs années en matière civile et commerciale. Pour les entreprises,
les MARC permettent une gestion maitrisée, discrète et rapide des contentieux et pour les personnes
en demande, ils permettent de supprimer les lourdeurs et les coûts liés aux procédures judiciaires.
Ainsi ces modes de résolution des conflits à l’amiable doivent être examinés au recours de l’objectif
de traitement des litiges de masse. Aux Pays-Bas, un mode de résolution à l’amiable des litiges dédié
à la résolution des litiges de masse a été institutionnalisé par le législateur. Ce mécanisme de
transaction collective repose sur un accord entre une entreprise et une association de défense qui
entend défendre les intérêts personnels des personnes lésées. Cependant, l’intervention du juge pour
l’homologation de cet accord en fait en réalité une procédure judicaire dont les modalités sont
calquées sur celles de la class action américaine 742 (Section 1).
716F
487. Les autres solutions proposées par les MARC, tel que la médiation ne semblent pas appropriés
pour le traitement des litiges de masse dès lors que l’on recherche une solution efficace et efficiente
qui permette de connaître du plus grand nombre de demandes. Elles ne sont pas des alternatives à
l’action de groupe. En revanche, elles sont des compléments utiles à l’action de groupe. Elles
pourront également être appréhendées comme modalités d’exercice de l’action de groupe (Section
2).
SECTION 1) LES PROCEDURES JUDICIAIRES DEGUISEES EN
MARC : LA TRANSACTION COLLECTIVE NEERLANDAISE
488. Aux Pays-Bas, il existe une procédure originale de transaction collective permettant un règlement
collectif des litiges de masse. Cette procédure résulte elle-aussi de la nécessaire adaptation de la
législation à une situation de faits 743. Bien que reposant sur un accord à l’amiable entre les parties,
71F
cette procédure fut fortement encadrée par le juge. Elle apparaît aujourd’hui comme une procédure
quasi-judiciaire (§1). Les conditions de mise en œuvre de la procédure calquées sur la procédure
742
M.-J. Van Der Heijden, Class actions/actions collectives, National Report: Nederland’s, p. 1, in Class Actions,
Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, The Sixth Annual
Conference on Strategies for Litigating, May 6 & 7, 2010, Renaissance Seattle Hotel in Seattle, WA.
743
Voir l’origine des procédures de “test case” en droit anglais et en droit allemand, §. 374.
227
américaine permettent de s’interroger sur la possibilité de déroger aux obstacles que constituent les
principes procéduraux fondamentaux dans les pays de droit civiliste en cas de recours à une
transaction et non à une solution judiciaire. Cette procédure montre les limites des MARC pour un
traitement efficace et efficient des litiges de masse (§2).
§1) La transaction collective néerlandaise : une procédure quasi-judiciaire
489. L’origine de la procédure de transaction collective. Cette procédure est née d’un litige
concernant le DES, une hormone de synthèse. Dans les années 80, plusieurs utilisateurs de ce
produit médicamenteux ont des troubles physiques. Six personnes ont alors assigné 13 fabricants en
justice. Après que la Cour suprême néerlandaise ait rendu sa décision, un centre a ouvert ses portes
afin d’enregistrer les personnes qui ont souffert de préjudices corporels du fait de l’absorption de
cette substance. Après très peu de temps, plus de 18 000 personnes s’inscrivirent sur ce registre et
une négociation fut amorcée avec les assureurs et les entreprises pharmaceutiques. Cette négociation
a alors conduit à la création d’un fond d’indemnisation alimenté par ces derniers par une somme de
35 millions d’euros. Il s’agissait alors de prévoir une indemnisation pour l’ensemble des
ressortissants néerlandais, utilisateurs du produit, estimé à 440 000 personnes. Afin de garantir
l’effectivité du système, il est apparu nécessaire aux protagonistes que des recours individuels
parallèles ne puissent pas être formés 744. Ainsi le législateur a dû intervenir pour prévoir les
718F
modalités de la transaction en adoptant la loi de 2005 745. La transaction intervenue dans le litige
719F
relatif à l’hormone de synthèse fut alors homologuée par le juge en 2006 746.
720 F
490. On notera qu’il existe aux Pays-Bas une action en représentation 747. Cette action en représentation
721F
est ouverte aux associations et aux fondations, qui visent la défense des intérêts personnels des
personnes, qui les ont spécifiquement mandatés à cet effet. Cependant, cette procédure ne peut être
mise en œuvre que pour demander au juge d’ordonner au défendeur de cesser toute pratique illicite
ou dommageable, mais sont exclues les demandes en indemnisation. Ainsi le mécanisme de
transaction collective peut apparaître comme complémentaire du mécanisme d’action en
744
M.-J. Van Der Heijden, Class actions/actions collectives, National Report: Nederland’s, p. 3, in Class Actions,
Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, The Sixth Annual
Conference on Strategies for Litigating, May 6 & 7, 2010, Renaissance Seattle Hotel in Seattle, WA.
745
Loi du 23 juin 2005 portant modification du Code civil et du Code de procédure civile, déstinée à faciliter le règlement
collectif des litiges de masse (Wet collectieve afhandeling massaschade, WCAM), qui a introduit un article 7-907-910 BW
dans le Code civil et les articles 1013 à 1018 Rv dans le Code de procédure civile.
746
Amsterdam Court of Appeals 1 June 2006, LJN: AX6640, (it endorsed HR 9 October 1992, NJ 1994, 1994, 535 (DES);
Frenk 2006, p. 149-153.
747
Article 3:305a-c du Code civil (Burgerlijk Wetboerk – BW).
228
représentation. Une association porte l’affaire devant le juge afin d’obtenir un jugement déclaratoire
reconnaissant la responsabilité de l’entreprise. Et ensuite, en se prévalant de ce jugement, elle
négocie un accord avec l’entreprise reconnue responsable afin de déterminer le montant de
l’indemnisation à octroyer aux personnes lésées. Elle fait alors homologuer l’accord dans le cadre
d’une transaction collective 748. Cela fut le cas dans une affaire relative à des polices d’assurance sur
72F
la vie 749. Cependant, dans la plupart des cas traités jusqu’à présent, la transaction collective a été
723F
utilisée de manière autonome 750.
724F
491. Le mécanisme de la transaction collective. La procédure de transaction collective néerlandaise
consiste à faire reconnaître par le juge le caractère contraignant d’un accord trouvé entre un
organisme de représentation et une contrepartie publique ou privée sur l’indemnisation à octroyer
aux personnes lésées non identifiées du fait d’une pratique de cette contrepartie 751. Les deux parties
725F
à l’accord adressent une demande conjointe au juge 752. Cette procédure est ouverte à toute
726F
association, organisme ou fondation public ou privé qui sont habilités à défendre les intérêts des
personnes lésées en vertu de leur objet statutaire ou de manière ad hoc. Elle peut être mise en œuvre
pour tout type de litige dès lors que la demande est de nature indemnitaire. Les associations vont agir
en dehors de tout mandat octroyé par les victimes potentielles et le règlement trouvé s’appliquera à
toute victime, sauf si ces dernières refusent expressément de participer à l’accord. Le système retenu
est celui de l’opt out 753. Le juge 754, qui considère la transaction valide, ordonne une première
72F
728F
notification de la transaction. Cette notification doit être directe dès lors que les personnes
représentées sont identifiées nommément. Pour les autres, une publicité dans les journaux ou sur des
748
M.-J. Van Der Heijden, Class actions/actions collectives, National Report: Nederland’s, p. 6, in Class Actions,
Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, The Sixth Annual
Conference on Strategies for Litigating, May 6 & 7, 2010, Renaissance Seattle Hotel in Seattle, WA.
749
Amsterdam Court of Appeals, 29 April 2009, LJN: BI2717 (Vie d’Or).
750
M.-J. Van Der Heijden, Class actions/actions collectives, National Report: Nederland’s, p. 18, in Class Actions,
Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, The Sixth Annual
Conference on Strategies for Litigating, May 6 & 7, 2010, Renaissance Seattle Hotel in Seattle, WA.
751
Article 7:907(1) BW : ‘[a]n [settlement] agreement concerning the compensation for damages caused by an event or
similar events entered into by a foundation or association with full legal capacity with one or more other parties, who
undertake thereby to compensate these damages, may, upon the joint request of the parties that have concluded the
agreement, be declared binding by the court upon [the class of] persons to whom the damages have been caused, provided
the foundation or association, by virtue of its articles of association, represents the interests of these persons’.
752
M.-J. Van Der Heijden, Class actions/actions collectives, National Report: Nederlands, p. 10, in Class Actions,
Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, The Sixth Annual
Conference on Strategies for Litigating, May 6 & 7, 2010, Renaissance Seattle Hotel in Seattle, WA.
753
M.-J. Van Der Heijden, Class actions/actions collectives, National Report: Nederlands, p. 4, in Class Actions, Featuring
a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, The Sixth Annual Conference on
Strategies for Litigating, May 6 & 7, 2010, Renaissance Seattle Hotel in Seattle, WA.
754
La Cour d’appel d’Amsterdam a compétence exclusive en premier et dernier ressort pour connaître des demandes
d’homologation de trannsaction collective, Article 1013(3) Rv.
229
sites Internet pourra avoir lieu 755. Ces dernières peuvent alors formuler des objections concernant les
729F
termes de la transaction. Une audience est organisée. A l’issue de cette audience, le juge ordonne
une seconde notification de la transaction, possiblement modifiée. Alors les personnes lésées
peuvent s’exclure de la procédure dans le délai imparti. Au terme de ce délai, la transaction sera
déclarée définitive. Elle aura alors un effet contraignant pour toutes les personnes qui ne se sont pas
exclues.
492. Les éléments de la transaction. La transaction doit comprendre une description du groupe de
personnes représentées à l’accord. Des distinctions peuvent être faites en fonction de la nature du
dommage causé et de son importance. Une estimation du nombre de personnes concernées sera
exigée. Ensuite, la transaction doit comprendre le montant de l’indemnisation sur lequel porte
l’accord, les conditions exigées pour l’obtention de cette indemnisation, la méthode retenue pour
déterminer le montant individualisé de cette indemnisation et les formalités à accomplir pour obtenir
cette somme. Enfin, l’adresse à laquelle doivent être envoyées les demandes d’exclusion si les
termes de l’accord ne conviennent pas à la personne lésée et le délai dans lequel cette exclusion est
possible seront précisés 756.
730 F
493. Les conditions d’homologation de la transaction par le juge. Le contrôle du juge consiste à
vérifier que le montant de la compensation n’est pas déraisonnable au vu du préjudice subi par les
personnes représentées; que le défendeur a agi avec suffisamment de garanties, que l’association qui
a négocié l’accord représente de manière adéquate les intérêts des personnes lésées et que le nombre
de demandeurs potentiels est suffisant pour justifier le recours à cette procédure. Cependant, la Cour
saisie de la demande d’homologation peut prendre en compte d’autres éléments. Ainsi, par le cas
Shell en matière boursière 757, la Cour a fixé un seuil relatif au nombre de personnes demandant à
731F
être exclues pour déterminer si l’accord pouvait être homologué. Sur la base de l’estimation donnée
des personnes lésées, elle a considéré que si plus de 5% de ces personnes demandaient à être exclues
755
Article 1013(5) Rv.
Article 7:907(2)(a)-(f) BW.
757
Amsterdam Court of Appeals 29 May 2009, LJN: BI5744 (Shell Petroleum N.V. and the Shell Transport and Trading
Comp Ltd et al v. Dexia Bank Nederland N.V. et al). Dans cette affaire, la société Shell était mise en cause par ses
actionnaires pour avoir divulguée de fausses informations ayant eu des repercussions negatives sur les cours de bourses sur
la période du 8 avr. 1999 au 18 mars 2004. Cette transaction fut particulièrement médiatisée, car ce fut la première
transaction internationale. En effet, la transaction concernait tous les porteurs de titres à l’exception de ceux dont les titres
étaient enregistrés à la bourse de New York, M.-J. Van Der Heijden, Class actions/actions collectives, National Report:
Nederlands, p. 13, in Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class
action bar, The Sixth Annual Conference on Strategies for Litigating, May 6 & 7, 2010, Renaissance Seattle Hotel in
Seattle, WA.
757
Article 3:305a-c du Code civil (Burgerlijk Wetboerk – BW).
756
230
de la transaction, elle refusera l’homologation de cette dernière 758. Le contrôle du juge, bien que
732 F
limité dans les textes, se révèle beaucoup plus important en pratique. Les juges néerlandais
n’hésitent pas à utiliser leur pouvoir discrétionnaire pour ordonner des mesures et influer sur les
termes de l’accord. En effet, la Cour a pu recourir à des experts pour vérifier que l’indemnisation
proposée correspondait raisonnablement au préjudice subi 759.
73F
§2) La transaction collective néerlandaise : les limites de l’adaptation des MARC au
règlement des litiges de masse
494. Cette procédure hors norme amène à s’interroger sur deux points. Tout d’abord, les modalités de
mise en œuvre de cette procédure sont très proches des modalités de la class action américaine et
que bien que cette transaction résulte à l’origine d’un accord entre partie, elle s’apparente au terme
du processus à la procédure américaine de la class action. Rappelons que 95% des litiges de masse
aux Etats-Unis se règlent sur la base d’une transaction 760. Ainsi sous couvert de transaction
734F
collective, le législateur néerlandais a fait le choix de transposer la procédure américaine au PaysBas, avec y compris un système d’opt out. Les Pays-Bas ont un système de droit civiliste. Ils ont dû
modifier tant le Code civil que le Code de procédure civile et adopter des règles dérogatoires au
droit commun pour cette procédure 761. Il est possible de se demander si le simple fait de recourir à
735 F
une procédure transactionnelle suffit à justifier la dérogation consentie aux principes procéduraux
fondamentaux qui gouvernent la procédure civile dans les pays de droit de tradition romanogermanique. Cette question de la justification de règles dérogatoires au droit commun en la matière
sera abordée dans la seconde partie des développements en s’interrogeant sur le champ et la finalité
de l’action de groupe.
495. Ensuite, il est possible de se demander si les MARC sont appropriés pour traiter des litiges de
masse. En effet, l’objet de ces procédures d’action collective est de garantir l’accès au juge pour les
personnes lésées. Dans ce but, la rationalisation des procédures judiciaires ou extrajudiciaires est
758
M.-J. Van Der Heijden, Class actions/actions collectives, National Report: Nederlands, p. 10, in Class Actions,
Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, The Sixth Annual
Conference on Strategies for Litigating, May 6 & 7, 2010, Renaissance Seattle Hotel in Seattle, WA.
759
M.-J. Van Der Heijden, Class actions/actions collectives, National Report: Nederlands, p. 16, in Class Actions,
Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, The Sixth Annual
Conference on Strategies for Litigating, May 6 & 7, 2010, Renaissance Seattle Hotel in Seattle, WA
760
Voir Empirical research on Class Actions in USA, rapport du Dr Christopher Hodges, p. 4, présenté lors de la
conférence The Globalization of class actions, co-organisée par Stanford Law School et the Centre for socio-legal studies,
Oxford University, 13 & 14 déc. 2007.
761
M.-J. Van Der Heijden, Class actions/actions collectives, National Report: Nederland’s, p. 6, in Class Actions,
Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, The Sixth Annual
Conference on Strategies for Litigating, May 6 & 7, 2010, Renaissance Seattle Hotel in Seattle, WA.
231
recherchée, afin de permettre que le plus grand nombre de demandes soit traité. Or pour parvenir à
ce résultat, une publicité doit entourer les actions engagées par les demandeurs eux-mêmes ou par
leur représentant, personne morale. Une contradiction semble exister entre le mode de résolution
amiable des litiges, qui se veut discret et l’exigence de publicité dans ce type de litige. Ensuite, si
même la solution repose sur un accord à l’amiable, il semble in fine nécessaire de recourir au juge
afin de permettre un règlement efficient du litige. La publicité de la transaction nécessite une
intervention a priori du juge pour éviter tout risque d’abus. De même, le fait que l’accord soit
négocié par un représentant non mandaté par les personnes qu’elle vise à défendre nécessite que des
précautions soient prises et qu’un contrôle de la représentativité de cet organisme soit opéré par le
juge.
496. Conclusion de la Section 1. L’exemple de la transaction collective néerlandaise montre que les
modes alternatifs de résolution des litiges ne peuvent à eux-seuls apparaître comme un moyen
satisfaisant pour résoudre les litiges de masse. L’adoption d’une procédure judiciaire efficace et
efficiente semble nécessaire dès lors que l’on aspire à un traitement rationalisé des litiges
comportant un grand nombre de demandeurs. En revanche, le recours aux MARC peut apparaître
souhaitable comme complément de l’action collective.
232
SECTION 2) LES MARC, COMPLEMENT A L’ACTION
COLLECTIVE
497. Les modes de résolution alternatifs des conflits sont des solutions à ne pas écarter et même à
favoriser en particulier dans les contentieux économiques de masse. Tout d’abord, il est possible
d’envisager les MARC, et en particulier la médiation, en tant que mode alternatif au recours
collectif, procédure judiciaire. Tous les litiges ne nécessitent pas un traitement judiciaire des
demandes et une solution entre les parties même nombreuses peut être trouvée de manière amiable.
Certains pays ont même institutionnalisé ces procédures alternatives de règlement des litiges en
mettant en place des structures appropriées et en désignant un médiateur spécialement habilité à cet
effet (§1). Ensuite, il est aussi possible d’envisager les MARC, comme une phase du recours
collectif. En effet, comme proposé par la Direction Générale de la Concurrence, il pourrait être
distingué entre la phase de jugement sur la responsabilité de l’auteur de la pratique et la phase
d’indemnisation du préjudice. La médiation interviendrait pour la seconde phase. Dans ce cas, deux
options seraient possibles, soit les personnes représentées formulent directement leur réclamation
auprès de l’entreprise, dont la responsabilité aurait été reconnue, soit la personne à l’origine du
recours collectif se charge de recueillir les réclamations et de négocier l’accord général avec
l’entreprise (§2).
§1) Du développement de la médiation à la self régulation encadrée par les autorités en
charge de la consommation : les voies proposées
498. La Commission a déclaré qu’« une résolution non-judiciaire volontaire des demandes de
dommages-intérêts peut souvent être préférable pour les victimes ainsi que pour les contrevenants,
étant donné que cette résolution ne comporte pas les mêmes coûts et le même fardeau de la preuve
que les procédures judiciaires, et elle permet en général la résolution rapide des questions en jeu.
Cependant, la résolution extrajudiciaire des différends (ADR) et d'autres mécanismes volontaires ne
peuvent être efficaces et efficients que s’il existe une autre option efficace pour la victime qui ne
nécessite pas l’obtention de l’accord de l’auteur de l’infraction »
762
736F
. C’est ainsi que les MARC
seront abordées dans cette partie, en tant que complément à l’action de groupe et non comme
alternative.
762
Document de travail des Services de la Commission, accompagnant le Livre blanc de la Commission européenne, du 2
avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de
position dominante, COM(2008) 165 final, p. 16, point 41.
233
499. Parmi les modes alternatifs de résolution des litiges, la médiation connaît un essor, depuis
plusieurs années, en matière économique et commerciale, et de nombreuses entreprises y ont recours
en cas de litige avec leur cocontractant. Bien qu’elle ait pu être envisagée comme une mesure
collective, elle présente un intérêt en tant que mesure individuelle, apparaissant comme un
complément satisfaisant à l’action de groupe (A). Certains pays, en particulier les pays scandinaves,
ont favorisé ces modes de résolution des litiges en mettant en place des structures intermédiaires
encadrées par un médiateur, appelé en Scandinavie, le « Ombudsman ». Ces structures sont
organisées pour permettre le règlement des litiges concernant plusieurs demandeurs (B).
A) L’essor de la Médiation
500. En 2008, au terme d’un processus débuté en 2002 763, le Parlement européen et le Conseil ont
73F
adopté une directive sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale, qui vise à
encourager l’utilisation de la procédure de médiation dans les litiges transfrontaliers 764. En 2004, un
738F
Code de conduite du médiateur avait également été adopté au niveau communautaire 765.
739F
501. La définition. La médiation se définit comme « un processus structuré, quelle que soit la manière
dont il est nommé ou visé, dans lequel deux ou plusieurs parties à un litige tentent par elles-mêmes,
volontairement, de parvenir à un accord sur la résolution de leur litige avec l’aide d’un médiateur.
Ce processus peut être engagé par les parties, suggéré ou ordonné par une juridiction ou prescrit
par le droit d’un État »766.
740F
502. Les avantages de la procédure pour les litiges de masse. Cette procédure présente de nombreux
intérêts pour les justiciables. D’après la Commission, ces mesures « sont généralement plus courtes
et moins couteuses pour les consommateurs que les procédures judicaires et leur flexibilité offre des
avantages en permettant une approche adaptée et spécifique du litige »767. Dans les litiges de masse,
741 F
les obstacles soulevés à l’introduction d’une action individuelle sont les coûts de la procédure
judiciaire, mais également les lourdeurs de la procédure. Le demandeur doit notamment apporter les
763
Livre vert sur les modes alternatifs de résolution des conflits relevant du droit civil et commercial, COM(2002) 196
final, Non publié au Journal officiel.
764
Directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en
matière civile et commerciale, JO L 136 du 24 mai 2008, p. 3–8.
765
Code de conduite européen des médiateurs, 2 juill. 2004,
Disponible à l’adresse suivante : http://ec.europa.eu/civiljustice/adr/adr_ec_code_conduct_en.html.
766
Directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en
matière civile et commerciale, JO L 136 du 24 mai 2008, p. 3–8, art. 3(a).
767
Consultation paper for discussion on the follow-up to the Green Paper on Consumer Collective Redress, p. 5, point 12.
234
éléments de preuve au soutien de ses prétentions, ce qui n’est pas toujours aisé dans les litiges en
matière commerciale. Ainsi dans certains cas, la recherche d’une solution amiable avec l’entreprise
peut apparaître plus efficace. De même, les demandeurs seront plus enclins à porter réclamation à
titre individuel dès lors que les démarches à accomplir sont aisées. Enfin, il est possible de
s’interroger sur l’opportunité d’aller porter son action devant les tribunaux pour un préjudice
s’élevant à quelques dizaines d’euros. Ce litige pourrait être résolu par l’octroi par une entreprise de
bon d’achats ou d’une ristourne sur facture. Les solutions, qui pourraient être apportées dans la cadre
d’une procédure négociée, peuvent apparaître plus adaptées à la résolution de certains litiges.
503. Le développement de la médiation. Ce mode alternatif de résolution des litiges est fortement
encouragé. Des centres de médiation ont vu le jour au niveau national. Des règlements
d’encadrement de la procédure ont été adoptés dans le cadre de ces centres. Les entreprises, ellesaussi, se sont engagées à développer ce mode alternatif de résolution des litiges 768. Ainsi, les
742F
banques françaises se sont dotées d’un médiateur, dont le rôle consiste à recevoir les demandes des
clients de la banque dès lors qu’aucune solution n’a pu être trouvée directement entre les deux
parties 769.
743F
504. Les garanties à prévoir en vue d’une procédure efficiente. Cependant, pour garantir un système
de résolution des litiges efficient, certaines conditions à l’exercice de cette procédure doivent être
requises. Certaines de ces conditions ont été identifiées par la directive sur certains aspects de la
médiation en matière civile et commerciale 770. Tout d’abord, la directive souligne la nécessité de
74F
garantir une articulation saine entre la médiation et la procédure judiciaire. Le juge doit promouvoir
ce mécanisme en informant les parties sur la possibilité qui leur est offerte. Il est important de
veiller, au sein des Etats membres, à ce que les règles de prescription ne soient pas un obstacle à la
saisine du juge ou au recours à l’arbitrage, si la médiation échoue. En outre, une clause de
confidentialité des échanges doit être prévue, afin d’empêcher que les informations divulguées ne
puissent être utilisées en dehors de cette procédure, notamment dans le cadre d'une procédure
judiciaire ultérieure. L'accord trouvé entre les parties, au terme du processus de médiation, doit
également pouvoir être rendu exécutoire, soit par un jugement, soit par un acte authentique. Ensuite,
des garanties doivent être données aux utilisateurs quant à l’indépendance et la formation du
768
A-M. Guillerme, et A. Job, A vos MARC ! (Ou comment éviter la course judiciaire), Option Droit & Affaires, n° 39, 15
juillet 2010.
769
C. mon. fin., art. L. 312-1-3.
770
Directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en
matière civile et commerciale, JO L 136 du 24 mai 2008, p. 3–8.
235
médiateur. La Direction générale de la Santé et de la Consommation de la Commission européenne a
publié un document de consultation sur le recours au règlement extrajudiciaire des litiges pour régler
des litiges relatifs aux transactions et aux pratiques commerciales dans l’Union européenne en
janvier 2011 771. Dans ce document, elle s’interroge sur les gages d’indépendance offerts par les
745F
médiateurs des entreprises, qui sont rémunérés par les entreprises. Un encadrement de la procédure
doit être prévu pour garantir un système efficace dans lequel les justiciables auront confiance.
505. La médiation collective. Enfin, il aurait pu être imaginé de mettre en place une médiation
collective. A l’occasion de la préparation des actes nécessaires à la transposition, en droit positif
français, des dispositions de la directive, de 2008, sur certains aspects de la médiation en matière
civile et commerciale 772, une procédure de médiation collective aurait pu être envisagée. Par
746F
exemple, une association de défense pourrait être autorisée à engager des négociations, au nom d’un
groupe de personnes lésées, pour trouver avec la société concernée une solution à l’amiable.
Cependant, s’il lui est permis d’agir au nom d’un groupe de personne non défini, la situation est la
même que pour la transaction collective. Un recours au juge, pour ordonner la publicité, est
nécessaire et l’accord doit être rendu public. Dans un second cas, l’association agit pour les
personnes qui l’ont mandaté à cet effet. Alors la médiation individuelle suffit, l’association étant
réputée agir au nom et pour le compte de ces personnes. Dans ce second cas, la question de
l’obtention des mandats se pose encore. L’idée d’une procédure de médiation collective ne semble
pas appropriée.
506. La médiation, le complément d’une procédure judiciaire. Pour certains litiges de masse,
notamment pour les litiges de faibles valeurs, la médiation peut permettre l’indemnisation des
personnes lésées, qui du fait de la simplification de la procédure seront incitées à agir
individuellement. Cette mesure peut apparaître comme la mesure la plus efficiente du fait de la
flexibilité qu’elle offre. Cependant rappelons que ce mécanisme repose exclusivement sur la bonne
volonté des parties. Si l’une des parties n’est pas prête à jouer le jeu, il ne sera pas possible de
parvenir à un accord. Ainsi, la médiation ne peut apparaître que comme un mode complémentaire à
771
Ce document est disponible à l’adresse suivante :
http://ec.europa.eu/dgs/health_consumer/dgs_consultations/ca/adr_consultation_18012011_en.html. La Consultation s’est
déroulée du 18 janv. 2011 au 15 mars 2011.
772
Avant projet d’ordonnance portant transposition de la directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21
mai 2008, sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale ; Avant-projet de décret n° du relatif à la
résolution amiable des différends, textes disponibles à l’adresse suivante :
http://www.textes.justice.gouv.fr/projets-de-reformes-10179/mediation-en-matiere-civile-et-commerciale-22286.html
236
la procédure judiciaire de l’action collective. Il est alors intéressant d’étudier les mécanismes mis en
place dans les pays scandinaves, qui ont institutionnalisé la rationalisation du traitement des litiges
de masse en mettant en place des bureaux de réclamations où un médiateur (Ombudsman) tente de
trouver avec les différentes parties une solution à l’amiable. Le système finlandais est un exemple de
la complémentarité entre ces bureaux de réclamations et l’action collective.
B) Le développement de la self regulation encadrée par les autorités en charge de la
protection des consommateurs : l’exemple des pays scandinaves
507. Les bureaux des plaintes dans les pays scandinaves. Il ressort de l’étude menée par la DG Sanco
de la Consommation dans le cadre de l’élaboration de son Livre vert sur les recours collectifs pour
les consommateurs 773 que les modes alternatifs de résolution des litiges en matière de droit de la
74F
consommation sont particulièrement développés dans les pays scandinaves, en particulier en Suède
et en Finlande. Dans ces systèmes, il existe des bureaux nationaux de plaintes, qui peuvent être saisis
en général par l’Ombudsman chargé de la protection des consommateurs. Le bureau examine alors
les éléments de l’affaire et formule des recommandations qui ne sont pas des mesures
contraignantes. Les recommandations visent alors l’ensemble des personnes lésées (opt out) 774.
748F
508. La complémentarité du Bureaux des Consommateurs et de l’action collective : l’exemple
finnois. En Finlande, la procédure d’action collective adopté en 2007
775
749F
a été conçue au regard de ce
système des Bureaux des plaintes comme une procédure complémentaire nécessaire à l’efficacité du
traitement des demandes dans les litiges de masse. En effet, sur le modèle décrit ci-dessus, il existe
en Finlande un Bureau des Consommateurs qui émet des recommandations lorsqu’il est saisi par
l’Ombudsman chargé des affaires de consommation d’un différent opposant un professionnel à un
groupe de consommateurs. En cas de non respect de cette recommandation, l’ombudsman chargé
des affaires de consommation est alors autorisé à agir en justice pour la défense des intérêts
personnels de l’ensemble des consommateurs lésés. Le législateur finnois a limité l’ouverture de
773
Livre vert sur les recours pour les consommateurs, du 27 nov. 2008, COM(2008) 794 final.
Consultation paper for discussion on the follow-up to the Green Paper on Consumer Collective Redress, p. 5, point 9 :
« en Suède et en Finlande, les demandes multiples sont introduites auprès des bureaux nationaux des plaintes. Alors qu’en
Suède, certaines demandes peuvent être initiées par le médiateur (ombudsman) à la consommation, une association de
consommateurs ou un syndicat, en Finlande, elles peuvent seulement être introduites par un médiateur (ombudsman). En
Suède comme en Finlande, ces procédures sont basées sur un principe d’opt out. Les bureaux des plaintes suédois et
finlandais établissent un instrument non contraignant dans lequel ils formulent des recommandations pour la résolution du
litige. En Slovénie, une loi est en préparation laquelle envisage la création d’un bureau d’arbitrage lequel pourrait
connaître des recours collectifs ».
775
Loi n° 444/2007 sur les actions de groupe.
774
237
cette procédure d’action collective aux demandes de l’Ombudsman. En contrepartie, le système
retenu est celui de l’opt out 776.
750F
§2) Le développement des MARC en tant qu’étape de l’action de groupe
509. La médiation a été aussi envisagée par les pouvoirs publics communautaires et nationaux comme
partie intégrante de l’action collective. Une médiation pourrait ainsi intervenir à tout moment de la
procédure dès lors qu’un accord semble possible entre les parties. Mais la médiation pourrait
également être imposée par le juge pour la détermination de l’indemnisation une fois le principe de
responsabilité tranchée. Dans les deux cas de figure une homologation de l’accord semble
nécessaire.
510. La médiation pour la détermination du montant de l’indemnisation. Au niveau communautaire
comme au niveau national, les pouvoirs publics ont imaginé des systèmes d’action collective en
plusieurs étapes. Ainsi, la Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne en
2005, dans son Livre vert sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles
communautaires sur les ententes et les abus de position dominante 777 a proposé de séparer le
751F
jugement sur la responsabilité de la phase de détermination du montant des dommages et intérêts,
afin de laisser une place à la transaction 778. Le juge se prononcerait sur la responsabilité de
752F
l’entreprise, avant de laisser, les parties, négocier le montant de l’indemnisation. Bien que ce schéma
n’ait pas été privilégié par l’auteur, dans ses hypothèses précédentes, toutes les possibilités, offertes
aux pouvoirs publics, doivent être étudiées. Le recours à la médiation permettrait, tout d’abord, de
soulager le juge du traitement des demandes individuelles d’indemnisation. Ensuite, la négociation
de la solution indemnitaire permettrait de contourner le principe indemnitaire, afin de pallier les
difficultés de détermination du préjudice. Le juge pourrait déterminer le cadre de négociation pour
faciliter la médiation. Cependant, il semble, dans ce cas, nécessaire qu’une possibilité soit prévue de
revenir devant le juge pour faire homologuer l’accord s’il est trouvé ou pour obtenir une solution
judiciaire, à la question, si aucun accord n’a pu être trouvé. De même, un délai pourrait être fixé afin
de ne pas faire durer inutilement la procédure en cas de désaccord inextricable. Enfin, le recours à la
médiation, à ce stade, nécessiterait une nouvelle publicité de l’accord, car, comme toute solution
776
A. Jokela, Class Actions in Finland, p. 1, in Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court and
from both sides of the class action bar, The Sixth Annual Conference on Strategies for Litigating, May 6 & 7, 2010,
Renaissance Seattle Hotel in Seattle, WA.
777
Le Livre vert de la Commission européenne du 19 déc. 2005, intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction
aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante » COM(2005) 672 final.
778
Voir Propositions de l’Etude Ashurst, Comparative Report, op. cit., p. 11-12.
238
conventionnelle, elle doit se faire avec le consentement des parties. Cette exigence aura pour effet
d’allonger d’autant la procédure et entraînera alors de nouveaux frais. Bien que cette solution
présente certains avantages, elle risque de complexifier le déroulement de la procédure d’action
collective, qui est déjà par nature plus long que les procédures individuelles.
511. La médiation, à tout moment de l’audience. Une proposition de loi française du 22 décembre
2010 tendant à renforcer la protection des consommateurs par la création d'une action de groupe
fondée sur l'adhésion volontaire 779 prévoit également la médiation au sein de l’action permettant à
753F
tout moment que soit engagée une procédure de médiation entre l’association qui conduit la
procédure pour la défense des intérêts des consommateurs et l’entreprise. La proposition sénatoriale
prévoit que « Les articles L. 412-11 à L. 412-13 organisent les médiations qui pourraient, le cas
échéant, être organisées entre le professionnel et les consommateurs lésés en vue d'un accord
indemnitaire. À compter de l'engagement de l'action de groupe, seule l'association requérante ou
l'association ayant été désignée chef de file pourrait participer à une médiation au nom du groupe.
Le juge aurait la possibilité d'inviter les parties à se soumettre à une médiation conduite par un
médiateur qu'il désigne. L'accord éventuellement conclu à l'issue de la médiation serait soumis à
homologation par le juge afin qu'il s'assure qu'il ne porte pas atteinte aux droits des consommateurs
intéressés et qu'il lui confère force exécutoire ». Il est alors intéressant de noter que le recours au
juge pour l’homologation de l’accord est là encore prévu. Si un accord était trouvé, il sera nécessaire
d’organiser la publicité de l’accord afin de recueillir le consentement des parties à l’accord.
779
Proposition de loi tendant à renforcer la protection des consommateurs par la création d'une action de groupe fondée sur
l'adhésion volontaire, présentée par le Sénateur, M. Béteille au Sénat, le 22 déc. 2010
239
240
CONCLUSION DE LA PARTIE 1
512. L’action de groupe un choix nécessairement réfléchi et encadré. L’action de groupe fait une
place au justiciable individuel dans la résolution des litiges de masse. Le domaine gardé des
associations de défense agréées dans les pays européens de droit de tradition romano-germanique
serait donc accessible à tout à chacun et étendue au profit de toute victime potentielle. Ce
développement ne sera pas insurmontable, d’un point de vue procédural, dès lors que des conditions
strictes de représentativité et d’opportunité de la procédure seraient posées. De même, un
encadrement par le juge de la publicité de l’action alors nécessaire à son exercice est indispensable.
Et enfin seul un système d’opt in est de nature à garantir les droits fondamentaux qui gouvernent
l’action en justice.
513. Des alternatives à considérer. Cependant, cette modalité la plus extrême de la résolution des
litiges de masse connaît des alternatives possibles. L’action en représentation, dès lors qu’elle serait
remodelée, pourrait constituer une de ces alternatives. De même, la procédure « modèle » peut être
utilement envisagée car bien que non représentatives, elle permet de rationaliser le traitement par le
juge des demandes multiples et similaires.
514. Des besoins à déterminer. Le choix parmi ces procédures dépend in fine des besoins exprimés en
Europe. S’agit-il simplement de pallier au manquement de moyens de la justice, en recherchant à
rationaliser le traitement des demandes multiples et similaires ou de renforcer le droit d’accès au
juge dans certains litiges où les obstacles sont tels qu’ils empêchent l’effectivité du droit à réparation
des justiciables ? En outre, s’agit-il de renforcer la répression à l’encontre des entreprises
contrevenantes en favorisant les recours civils ?
515. Une initiative législative à opérer. Quelques soient les besoins rencontrés, il est important de
légiférer en la matière car l’on voit se multiplier les initiatives privées qui tendent plus à favoriser un
commerce de la justice qu’à garantir l’effectivité du droit à réparation des victimes. L’instauration
d’une ou de plusieurs procédures d’action collectives en droit national servirait à renforcer la
sécurité juridique des entreprises.
241
516. Une place pour les MARC. Enfin, il ne faut pas oublier de développer les modes alternatifs de
résolution des litiges qui apparaissent comme des compléments précieux à l’action collective. Ils ne
peuvent en aucun cas se substituer à une procédure judiciaire. Cependant, tous les litiges ne
nécessitent pas un recours au juge. Ainsi ils sont de nature à permettre d’une part le désengorgement
des tribunaux et ils concourent d’autre part à maintenir un équilibre dans notre société afin que celleci ne tend pas vers le « tout judiciaire ». Les questions de la finalité et du champ des actions
collectives en Europe, questions déterminantes des modalités de mise en œuvre de ces procédures
doivent être étudiées.
242
PARTIE II : LES ACTIONS COLLECTIVES :
ENJEUX ET FINALITES
517. Le débat de l’introduction en Europe d’une procédure d’action de groupe à l’américaine n’est pas
nouveau puisque déjà dans les années 90, à la suite des grands procès touchant à la santé publique
aux Etats-Unis, les gouvernements européens se sont déjà interrogés sur l’opportunité d’introduire
dans leur droit positif une telle procédure. Le débat est revenu sur le devant de la scène au début des
années 2000 avec une initiative de la Direction Générale de la Concurrence de la Commission
européenne (ci-après « DG Concurrence »). Cette dernière a engagé un processus de consultation,
toujours en cours, sur les moyens à adopter pour favoriser les recours civils, et ce y compris des
recours collectifs, en cas de violation au droit de la concurrence. Sa démarche consiste alors à
améliorer l’effectivité du droit de la concurrence afin de parvenir à un meilleur fonctionnement du
marché intérieur et à garantir ainsi le bien-être des consommateurs. En parallèle, la Direction
Générale de la Santé et de la Consommation de la Commission européenne (ci-après « DG Sanco »),
elle aussi, a formulé des propositions visant à l’introduction de recours collectifs, mais pour les
violations au droit de la consommation. Deux projets très différents sont ainsi nés de l’action de la
Commission européenne à une même période.
518. Plan. Ces initiatives permettent alors de s’interroger sur la finalité et les besoins de l’action de
groupe (Titre 1) En outre, ces initiatives et les réflexions menées au sein des Etats membres posent
la question du rôle respectif de l’Union européenne et des Etats membres dans l’adoption d’une
nouvelle procédure judiciaire. Un point sera consacré aux choix qui s’offrent au législateur français
(Titre 2).
243
244
TITRE I : LES ACTIONS COLLECTIVE :
ENJEUX D’UNE POLITIQUE PUBLIQUE
519. Les initiatives de la Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne et celle
de la Direction Générale de la Santé et de la Protection des consommateurs sont très intéressantes
car elles permettent de s’interroger sur les besoins d’une telle procédure et sur sa finalité. Comme
mentionné dans la première partie, l’objectif premier des procédures d’actions collectives est de
rationaliser le traitement des demandes en justice dans un souci de bonne administration de la
justice.
520. Le projet de la DG Concurrence va au-delà de cet objectif en proposant outre l’introduction
d’action de groupe des modalités de mise en œuvre de cette action facilitée et un assouplissement
des règles de la responsabilité civile. Sur le modèle américain du private enforcement, elle propose
une mise en œuvre du droit par l’action du justiciable privé devant les juridictions civiles. Ainsi se
pose la question de la comptabilité de la démarche de la DG Concurrence avec la conception de la
justice civile dans les pays européens de droit de tradition romano-germanique. De plus, les
propositions d’assouplissement des règles actuelles, telle le recours à la Discovery pour faciliter la
recherche de la preuve ou l’introduction de dommages et intérêts punitifs doivent être examinées au
regard des solutions existantes dans ces pays (Chapitre 1).
521. La DG Sanco vise le renforcement du droit d’accès aux juges pour les consommateurs et ainsi le
renforcement de l’effectivité de leur droit à réparation. Compatible avec l’approche civiliste de la
justice civile, la démarche de la DG Sanco permet de s’interroger sur les priorités d’actions à
déterminer afin de parvenir à un instrument judiciaire efficace. Toujours dans ce souci d’efficacité et
d’efficience, il faut également envisager la question du financement de l’action qui ne doit pas se
confondre avec l’incitation financière à agir (Chapitre 2).
245
246
CHAPITRE I : LE RENFORCEMENT DE L’EFFECTIVITE DE
LA POLITIQUE REPRESSIVE
522. Le débat sur le recours à l’action de groupe afin de faciliter l’accès au juge pour les justiciable a
été posé tout d’abord par la Direction générale de la Concurrence de la Commission. Cette dernière a
envisagé une réforme de la procédure civile et de la responsabilité dans les Etats membres afin de
faciliter les recours civils en matière de droit de la concurrence. Cette initiative de la Commission a
donné lieu à un Livre vert en décembre 2005 780, à un Livre blanc en avril 2008 781, puis à un projet
754F
75F
de directive 782 qui n’a pas abouti.
756F
523. La démarche poursuivie par la Commission est de proposer une réforme tant des procédures
civiles en introduisant notamment les actions collectives que du droit de la responsabilité civile et de
sa mise en œuvre dans le cadre des règles de droit commun de la procédure civile. Elle s’est
fortement inspirée du concept de « private enforcement », connu aux Etats-Unis, qui consiste à
prévoir une mise en œuvre du droit par l’action des personnes privées. Cette action vient alors
renforcer l’action des pouvoirs publics. Cette conception de l’action privée est permise aux EtatsUnis par des modalités d’exercice de l’action civile adaptées, la procédure de la class action en
faisant partie. Ainsi la Commission européenne a tenté d’importer ce concept des Etats-Unis et d’en
introduire les modalités au sein de l’Union. Cependant, elle n’a pas tenu compte du contexte
d’adoption de ces mesures. En effet, la majorité des Etats membres sont des pays de droit de
tradition romano-germanique où l’effectivité du droit repose sur l’action des pouvoirs publics et où
la justice civile fut conçue comme le moyen de réparer le dommage causé à autrui (Section 1).
524. Certaines mesures directement importées des Etats-Unis, comme la procédure de Discovery ou
les dommages et intérêts punitifs ont rendu plus complexe le débat portant exclusivement sur
780
Le Livre vert de la Commission européenne du 19 déc. 2005, intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction
aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante » COM(2005) 672 final.
781
Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux
règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final.
782
Proposition de directive relative aux règles régissant les actions en dommages intérêts pour infraction aux articles 81 et
82 du traité, Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, Avr. 2009 ; Cette proposition de
directive n’étant plus accessible sur le site de l’Union européenne, il faut voir les documents de la Chambre du Commerce
et de l’Industrie qui l’a commenté : Rapport de M. L-B. Krepper avec la collaboration de Mme C. Delacroix, département
de droit public et économique, à la Direction Générale Adjointe chargée des Études, de la Prospective et de l’Innovation
présenté au nom de la Commission du commerce et des échanges, Proposition de directive sur les actions en dommages et
intérêts relatives aux pratiques anticoncurrentielles, Réactions de la CCIP, adopté à l’Assemblée générale du 25 juin 2009,
Accessible à l’adresse suivante www.etudes.ccip.fr/fichier?lien=sites%2Fwww...anticoncurrentielles...pdf.
247
l’introduction d’action collective. Ces mesures ont en effet été perçues comme des modalités
indispensables à l’exercice de l’action de groupe. Cependant, chacune de ces mesures appartient plus
au système judiciaire américain qu’à l’action de groupe elle-même. Il existe des solutions en droit
positifs des Etats membres qui apparaissent toutes aussi efficaces et respectueuses des principes
fondamentaux existants dans les pays civilistes (Section 2).
525. L’étude ici menée portera sur le rôle des actions civiles en cas de violations des règles du droit de
la concurrence. Ce choix s’explique par le fait que l’initiative émane de la Direction Générale de la
Concurrence de la Commission. Cependant, les réflexions menées pourraient être valables pour toute
autre politique publique, comme pour la politique répressive en matière de violation du droit de
l’environnement. Le domaine premier de l’action collective est la responsabilité civile et finalement,
la violation du droit, à l’origine de la faute n’a d’incidence qu’à titre secondaire.
SECTION 1 :
COLLECTIVE
LE
PRIVATE
ENFORCEMENT
ET
L’ACTION
526. La Direction Générale de la Concurrence de la Commission a formulé depuis 2005 deux séries de
propositions. La première série de propositions permet de mettre en lumière la finalité poursuivie par
la Commission, qui ambitionne un système venant renforcer sa propre politique répressive. Elle
propose alors un système très proche de la procédure civile américaine et de la class action en
reprenant notamment certaines modalités d’action propre à la procédure judiciaire américaine (§1).
La seconde série de propositions permet quant à elle d’examiner le champ de l’action collective
proposée. La Commission entend alors recourir à des procédures d’action collective ouvertes au plus
grand nombre et ce, bien qu’elles soient par nature dérogatoires au droit commun. Les nouvelles
propositions semblent plus proches des traditions juridiques des Etats membres même si la
Commission n’a pas renoncé à en faire un élément de sa politique répressive (§2).
248
§1) Le recours collectif, un outil de la politique répressive de concurrence
A) La facilitation des recours civils en droit de la concurrence : constats et propositions
initiales
527. Depuis 2003, la Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne a engagé une
réflexion sur la possibilité de renforcer l’accès au juge civil en cas de violation du droit de la
concurrence. Elle a mandaté le Cabinet Ashurst pour réaliser une étude sur les conditions de
réparation des dommages causés par les violations des règles communautaires de la concurrence
dans les différents Etats membres de l’Union Européenne, soit dans les 25 pays en 2005, et pour en
dresser un état des lieux. L’étude Ashurst a alors constaté le faible nombre de recours civils exercés
en cas de violation des règles communautaires de la concurrence et a identifié certains obstacles à
l’exercice de l’action, qui permettraient d’expliquer ce constat (1). Forte de ces conclusions, la
Commission a élaboré des propositions dans un Livre vert visant à améliorer le système et à
introduire des actions de groupe (2).
1) Insuffisances et obstacles à l’action privée en droit de la concurrence
528. Tout d’abord, le Cabinet Ashurst a conclu à une « grande diversité » des pratiques existantes dans
les Etats-membres, mais surtout à un « total sous-développement » du volet civil dans les litiges
relatifs à une violation des règles communautaires de concurrence 783. Il ressort en effet de l’étude
75F
que selon les questionnaires transmis aux Etats membres, seuls 60 cas ont été jugés par les juges
nationaux pour les dommages causés par la violation de ces règles. Parmi ces cas, seuls 28 ont
abouti au prononcé de dommages et intérêts en faveur du demandeur 784. Il est possible de nuancer,
758F
dès à présent, les conclusions du rapport sur le constat en relevant que l’étude Ashurst s’est limitée à
la prise en compte du traitement judiciaire des litiges sans considération des autres modes de
783
D. Waelbroeck, D. Slater et G. Even-Shoshan, Etude Ashurst, Comparative Report, Study on the conditions of claims for
damages in case of infringement of EC competition rules, 31 Août 2004; voir également Making antitrust damages actions
more effective in the EU: welfare impact and potential scenarios, rapport final, Bruxelles, Rome et Rotterdam, 21 déc.
2007, Equipe pédagogique: Centre European Policy Studies (CEPS) Prof. A. Renda (coordinateur), Prof. J. Peysner, Prof.
Dr. Alan J. Riley, Prof. Barry J. Rodger, Erasmus University Rotterdam (EUR) Prof. Dr. Roger J. Van Den Bergh, Sonja
Keske, Luiss Guido Carli (LUISS), Prof. Roberto Pardolesi, Dr. Enrico Leonardo Camilli, Dr. Paolo Caprile, Rapport pour
la Commission européenne, contrat DG COMP/2006/A3/012, p. 9: “As a matter of fact, 17 of the 27 Member States still
have no trace of private antitrust damages actions, and also in other Member States private antitrust litigation seems very
sparse and related to isolated streams of cases”.
784
Les auteurs du rapport précisent que ces chiffres ne sont pas issus de statistiques, mais qu’il s’agit simplement de la
compilation des données communiquées dans les réponses aux questionnaires envoyés par le cabinet Ashurst à chaque Etat,
Etude Ashurst, Comparative Report, op. cit., p. 1. De même, aucune période de temps n’est mentionnée dans le rapport
concernant l’exercice de ces affaires.
249
résolution des conflits, tels que la transaction 785. Il y a eu, depuis 2004, un développement des
759F
actions civiles faisant suite à des pratiques anticoncurrentielles. A titre d’exemple, les chiffres du
Bundeskartellamt, l’autorité de la concurrence allemande, retranscrits dans le papier de position du
Bundesverband der Deutschen Industrie (BDI), l’association des représentants de l’industrie
allemande, du 3 juillet 2008 sur le Livre blanc de la Commission européenne 786 peuvent être relevés.
760F
D’après le BDI, entre 2004 et 2007, 1 057 affaires ont été introduites devant les juridictions civiles.
Parmi ces affaires, 300 demandes ont donné lieu au prononcé de dommages et intérêts, dont 123
pour la seule année 2007 787.
761F
529. Au-delà de ce constat négatif, le rapport Ashurst a identifié plusieurs obstacles à l’exercice du
droit à réparation des victimes de pratiques anticoncurrentielles 788. Tout d’abord, il souligne
762F
l’absence de juridictions spécialisées, dans la majorité des Etats membres de l’Union. Selon le
rapport, cela conduit à un manque d’expertise des juges, qui rencontrent alors, le cas échéant, des
difficultés pour évaluer le dommage subi ou le lien de causalité éventuel entre la pratique et le
préjudice subi. Il mentionne également l’exigence, dans la majorité des Etats membres, d’un intérêt
à agir du demandeur en citant les exemples particuliers de la Finlande et de la Suède. En Suède, le
demandeur doit, en effet, justifier d’un lien contractuel avec l’entreprise incriminée pour violation
du droit de la concurrence 789. Le rapport ajoute que l’exigence de la preuve de la négligence ou de
763F
l’intention de l’auteur de l’infraction renforce la difficulté de l’exercice de l’action, même s’il
reconnait que, dans la plupart des cas, dès lors que la violation est sanctionnée par les autorités de la
concurrence, les défendeurs ne contestent pas l’existence d’une faute intentionnelle. Dans certains
pays, cette condamnation a même pour effet de renverser la charge de la preuve 790. D’une manière
764F
785
Voir en ce sens J. Simon, Le point de vue de l’entreprise, p. 24, dans Livre Blanc sur les actions en dommages et
intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, Journée d’étude
organisée conjointement par le Collège européen de Paris de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), et l’Association
Française d’Etude de la Concurrence (AFEC), Paris, le 13 juin 2008, actes publiés s. dir. du professeur Laurence Idot, dans
la Revue Concurrences n°2-2009.
786
Position paper of the Bundesverband der Deutschen Industrie (BDI) on the Commission white paper on damages actions
for breach of the EC antitrust rules, 3 July 2008.
787
Ibid, p. 5; On peut aussi relever que le BDI regrette dans ce papier de position que la Commission européenne n’ai pas
pris en compte ces évolutions pour établir le livre blanc qui selon eux contient encore des dispositions jugées inadaptées, ou
a minima ne relevant pas de la compétence des institutions communautaires, Position paper of the Bundesverband der
Deutschen Industrie (BDI) on the Commission white paper on damages actions for breach of the EC antitrust rules, op. cit.,
p. 4-6
788
Etude Ashurst, Comparative Report, op. cit., p. 1 et suivantes.
789
Study on the conditions of claims for damages in case of infringement of EC competition rules, Executive summary and
overview of the national report for Sweden, p. 1, Cabinet Ashurst, 31 August 2004.
790
Depuis la réforme de la loi relative aux restrictions de concurrence en Allemagne en 2005, dès lors que le
Bundeskartellamt a rendu une décision de condamnation d’une entente, le demandeur au civil a seulement besoin de
250
générale, le rapport Ashurst constate qu’un haut niveau d’exigence dans le standard de la preuve nuit
à l’effectivité des actions privées 791. Concernant le mode de divulgation de la preuve, le rapport
765F
prend clairement parti pour la procédure américaine de la Discovery qui permet de pallier, selon lui,
la méconnaissance du demandeur sur l’existence des pièces détenues par le défendeur. Cette
méconnaissance l’empêche de formuler une demande au juge en vue de leur divulgation 792.
76F
530. Ensuite, le rapport met le doigt sur l’absence d’effet contraignant des décisions des autorités de
concurrence, vis-à-vis des juridictions civiles. Cela oblige les demandeurs à apporter la preuve de
l’existence de la pratique anticoncurrentielle 793. Il souligne encore les difficultés liées à la preuve de
76 F
l’existence du dommage, ainsi que du lien de causalité en particulier lorsque les demandeurs sont
des acheteurs indirects. Concernant ces acheteurs indirects, les auteurs du rapport se sont interrogés
sur la possibilité pour ces derniers de faire valoir le passing on defense 794 et les questions de preuve
768F
y afférentes. Ils concluent alors à une possible restriction de l’incitation à l’exercice des actions
privées, du fait des difficultés rencontrées dans ce cas 795. Le calcul des dommages et intérêts
769F
apparaissent également comme un obstacle aux actions privées dans le rapport Ashurst. Ce dernier
souligne, en effet, une variété de pratiques, certains adoptant pour le calcul une approche ex-ante du
dommage tandis que d’autres favorisent une approche ex-post 796. Il souligne également les
70F
difficultés liées aux éléments à prendre en compte au titre de l’indemnisation. Il conclut à un
manque de modèle pour le calcul de ces dommages et intérêts et à une certaine restriction de ces
derniers empêchant par là-même l’allocation de dommages et intérêts punitifs 797. Le rapport Ashurst
71F
souligne encore la longueur des procédures et les délais courts de prescription de l’action comme
prouver son dommage et non pas la faute de l’auteur de la pratique, Voir Bundeskartellamt, Activity Report 2005/2006
(short version), p. 7.
791
Etude Ashurst, Comparative Report, op. cit., p. 4.
792
Etude Ashurst, Comparative Report, op. cit., p. 4-5; Ce point de vue est également souligné à travers la question relative
à l’expertise et à la Cross Examination. En effet, le rapport souligne que dans certains pays les parties ne sont pas habilitées
à nommer des experts et que seul le juge peut procéder aux interrogatoires des témoins, Etude Ashurst, Comparative
Report, op. cit., p. 5.
793
Etude Ashurst, Comparative Report, op. cit., p. 5.
794
Le « moyen de défense portant sur la répercussion des surcoûts» concerne le traitement juridique du fait qu'une
entreprise qui effectue un achat auprès d'un fournisseur dont le comportement est contraire au droit de la concurrence a la
possibilité d'atténuer sa perte économique en répercutant le surcoût subi sur ses propres clients. Le dommage causé par un
comportement anticoncurrentiel peut ainsi être répercuté en aval sur la chaîne de distribution, voire être subi
intégralement par le dernier acheteur, c'est à dire le consommateur final. Il convient de considérer, en droit, si l'auteur de
l'infraction devrait être autorisé à utiliser cette répercussion des surcoûts comme moyen de défense. De même, il
conviendra d'examiner si les acheteurs indirects, sur lesquels les surcoûts auront ou non été répercutés, ont qualité pour
agir », Livre vert de la Commission européenne du 25 déc. 2005, intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction
aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante » COM(2005) 672 final, p. 2.4.
795
Etude Ashurst, Comparative Report, op. cit., p. 6-7.
796
Voir §. 279 et s.
797
Voir §. 656 et s.
251
obstacles à l’action privée. Enfin, il s’est penché sur la question des coûts de justice et du corollaire,
à savoir la responsabilité des coûts en cas de perte du procès, soulignant le fort aspect dissuasif de
ces facteurs.
531. Le rapport Ashurst explique le faible nombre des recours civils, en cas d’infractions au droit de la
concurrence, par l’existence de points de blocage à l’exercice de ces derniers. Les victimes sont
dissuadées de faire valoir leur droit à réparation devant le juge civil. Ces difficultés résulteraient des
conditions de mise en œuvre de la responsabilité civile selon le principe général de responsabilité, tel
que connu des pays de droit romano-germanique notamment. Il met en cause les modes de
divulgation de la preuve, les exigences de la preuve ou encore l’organisation de la justice non
spécialisée. Ces conditions ne seraient pas, selon lui, adaptées au domaine du droit de la
concurrence 798. A partir de ces constats, les auteurs du rapport se sont essayés à la formulation de
72F
recommandations. La DG Concurrence reprendra en partie ces recommandations dans son Livre
vert.
2) Promotion de l’action privée en droit de la concurrence
a) Les propositions des auteurs de l’Etude Ashurst
532. Les auteurs du rapport Ashurst ont identifié six thèmes sur lesquels ils ont formulé des
propositions de réforme. Ces six thèmes sont : l’accès au juge, la réduction des risques, la facilitation
de la preuve, la réduction des coûts, les autres encouragements de l’action, et la transparence et la
publicité de la procédure 799.
73 F
533. L’accès au juge. Tout d’abord, pour faciliter l’accès au juge, le rapport préconise la suppression
de toute limitation à la compétence des demandeurs pour introduire l’action. Il encourage le
développement des actions collectives, qu’il s’agisse de procédures d’action de groupe comme la
class action, ou des actions en représentation et l’élaboration d’un instrument européen en ce sens. Il
798
Dans le Livre blanc, la Commission parle alors de « caractéristiques particulières » concernant les actions en dommages
et intérêts en la matière, qui seraient « insuffisamment prises en compte dans les règles traditionnelles de responsabilité et
de procédure civiles », qui conduiraient à une « importante insécurité juridique ». Elle identifie alors trois caractéristiques :
« une analyse factuelle et économique très complexe qui doit être réalisée, […] l’inaccessibilité et la dissimulation
fréquentes des éléments de preuve déterminants dont disposent les défendeurs [et] le rapport risques/récompenses souvent
défavorables aux requérants », Le Livre blanc de la commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages
et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM (2008) 165
final, p.2.
799
Ce dernier élément ne fera pas l’objet de développement dans cette partie.
252
suggère enfin de renforcer les conditions d’accès des acheteurs indirects pouvant aller jusqu’à
l’adoption d’un régime spécifique pour ce type de demandeurs.
534. La réduction des risques. En partant du constat d’un manque de clarté dans les conditions de
l’exercice de l’action privée dans les Etats membres et en soulignant alors le problème d’insécurité
juridique en découlant, le rapport propose l’adoption en droit interne d’une loi spécifique pour les
demandes en réparation dans ce domaine, avec une base légale propre. Il propose également la
désignation de cours de justice spécialisées. Cette loi permettrait alors de définir les conditions de la
preuve de l’existence de l’infraction. Il prône de plus un rapprochement avec les autorités de
concurrence et la prise en considération des décisions rendues par ces dernières concernant tant
l’existence de la faute que le calcul du montant des dommages et intérêts à allouer. Enfin, il souligne
que l’augmentation du degré d’expertise nécessaire pour ces affaires pourrait être favorisée par la
possibilité pour les parties d’avoir recours eux-mêmes à des experts.
535. La facilitation de la preuve. S’agissant de la facilitation de la preuve, le rapport souligne que
l’exigence tendant à rapporter la preuve du dommage, de la faute et du lien de causalité constitue
l’obstacle majeur à l’exercice de l’action privée et recommande ainsi de diminuer le niveau
d’exigence. Il va même jusqu’à proposer la suppression de la preuve de la faute comme condition de
responsabilité, la constatation de l’infraction au droit de la concurrence par l’autorité de la
concurrence étant jugée suffisante. Concernant les modes de divulgation de la preuve – utiles pour la
démonstration du dommage et du lien de causalité, il envisage un panel de possibilités allant de
l’introduction d’une procédure de Discovery à l’américaine à l’accroissement du pouvoir
d’injonction du juge, qui pourrait ordonner la divulgation d’une catégorie de documents. Le rapport
cible également la possibilité d’accéder pour les parties aux documents détenus par les autorités de
concurrence. Il propose, enfin, l’introduction de la cross examination dans les Etats membres et
l’accroissement des possibilités de faire citer des témoins à comparaître.
536. Pour l’évaluation des dommages, il propose l’élaboration de lignes directrices reprenant les
différentes méthodes de calcul des dommages et intérêts. Il propose également différentes mesures
telles que permettre aux juges de procéder à une estimation « raisonnable » ou « équitable » des
dommages et intérêts. Plus original, il propose de séparer le jugement sur la responsabilité de la
détermination du montant des dommages et intérêts afin de permettre une résolution conventionnelle
entre les parties de la question de l’indemnisation. Enfin, il souligne le bénéfice certain de l’effet
253
contraignant des décisions des autorités de concurrence pour le renforcement de l’incitation des
justiciables à l’introduction de demande en réparation, tout en soulignant que des problèmes de
compatibilité avec les exigences de l’article 6 CESDH pourraient alors se poser.
537. La réduction des coûts. Pour lutter contre l’effet dissuasif des coûts de justice, le rapport propose
le recours au Contingency ou Conditional fees agreements. Il souligne également l’impact financier
de la longueur des procédures et propose, en ce sens, une meilleure organisation des procédures, la
création des juridictions spécialisées ou encore la réduction des temps de procédure. Il ajoute que
permettre un jugement partiel de l’affaire et une place pour la transaction aurait également pour effet
de réduire la longueur de la procédure et également les coûts y afférents.
538. Autres encouragements de la procédure. Enfin, pour inciter les demandeurs à agir, les auteurs du
rapport prônent le recours aux dommages et intérêts punitifs et l’utilisation des profits de l’entreprise
comme base de calcul des dommages et intérêts.
539. A la lumière de ces recommandations, la volonté des auteurs du rapport de tendre vers une
simplification des règles existantes de la responsabilité civile est révélée. Ils souhaitent faciliter le
recours au juge civil pour les victimes de pratiques anticoncurrentielles et les inciter à exercer ces
recours. Le cabinet Ashurst fut très inspiré de la procédure judiciaire américaine pour la formulation
de ces points d’amélioration. La Direction Générale de la Concurrence de la Commission
européenne a adopté une vision similaire de la problématique.
b) Les propositions de la DG Concurrence dans son Livre vert
540. Sur la base de l’étude réalisée par le Cabinet Ashurst, la Direction générale de la Concurrence de
la Commission a publié pour consultation publique un Livre vert intitulé « Actions en dommages et
intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position
dominante »
800
74F
, en date du 19 décembre 2005. Dans ce Livre vert, la Commission a entendu
proposer certaines solutions pour remédier aux problèmes identifiés par l’Etude Ashurst. Elle pose
alors des options en fonction des grands thèmes dégagés par les auteurs du rapport.
800
Le Livre vert de la Commission européenne du 25 déc. 2005, intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction
aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante » COM(2005) 672 final, p. 4, pt. 1.2. Le livre
vert était accompagné d’un document de travail des services de la Commission, intitulé « Annexe au Livre vert sur les
actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position
dominante », COM(2005)672déf.
254
541. Parmi les options proposées, certaines des propositions du Cabinet Ashurst ont été reprises. Par
exemple, sur l’accès aux preuves, elle souligne la nécessité d’obliger les parties à divulguer les
informations détenues en proposant cinq options allant du mode de divulgation de la preuve existant
dans les pays de tradition romano-germanique vers une procédure de Discovery à l’américaine 801. La
75 F
première option correspond, en effet, au mode de divulgation à la française, c'est-à-dire ordonnée par
le juge sur demande individualisée de documents identifiés. La suivante prévoit la possibilité de
formuler une demande au juge concernant une « catégorie de documents » et ainsi de suite jusqu’à
imposer une obligation de conservation des documents en prévision d’un procès. La Commission
s’interroge également sur les dommages et intérêts. Comme cela sera détaillé dans la suite de nos
développements 802, elle a analysé les éléments de définition de l’indemnisation et le volet
76F
éventuellement punitif de ces dommages et intérêts. Elle s’interroge sur l’utilité d’avoir recours à
des modèles économiques complexes pour le calcul des dommages et intérêts et sur l’opportunité de
prévoir des lignes directrices qui seraient établies par la Commission à ce sujet. Enfin, elle a
envisagé l’option de séparer le jugement sur la responsabilité de la détermination du montant des
dommages et intérêts, afin de laisser une place à la transaction 803.
7F
542. La Commission a aussi abordé d’autres points tels que la possibilité pour un défendeur
d’invoquer, comme moyen de défense, la répercussion des surcoûts par l’acheteur direct sur
l’acheteur indirect et/ou le consommateur final. Elle a envisagé alors les difficultés pour l’acheteur
indirect de faire la preuve de cette répercussion et l’éventualité d’une présomption. Sur les coûts de
l’action, la Commission a également posé l’option de la mise à l’écart du principe perdant-payeur
sauf si l’action a été introduite de manière abusive. Ensuite, sur la question de la preuve de
l’existence d’une faute, la Commission étudie plusieurs options dont la présomption dès lors que
l’infraction au droit de la concurrence sera constatée préalablement. Le défendeur aurait la
possibilité d’apporter la preuve d’une faute excusable.
801
L’utilisation du terme Discovery en droit américain, fait référence à la phase d’investigation, préliminaire au procès,
dans laquelle chaque partie peut demander directement, sans l’autorisation du juge, à son adversaire, ou à tout témoin
potentiel de produire tout élément d’information, utile à la résolution du litige en cause. La procédure de Discovery permet
à une partie d’obtenir des documents demandés ou des éléments de preuve documentaires. Elle permet aussi aux parties de
procéder à des Depositions et à des Interrogatories. De plus, il est possible pour un demandeur de formuler des Requests
for admissions, qui consistent à demander à l’autre partie d’admettre ou de réfuter telle ou telle allégation. Enfin, cette
procédure permet de demander l’ordonnancement d’expertises physiques ou psychologiques, voir Black’s Law dictionary,
par Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 1419.
802
Voir le §. 661 et s.
803
Voir Propositions de l’Etude Ashurst, Comparative Report, op. cit., p. 11-12.
255
543. Sur les actions de groupe en particulier, la Commission s’interroge sur l’opportunité de recourir
aux actions collectives pour faciliter l’accès au juge dans le cadre de litige de faibles montants et
rationaliser ainsi les procédures, ce qui entrainerait une économie de temps et d’argent. Elle a
envisagé deux cas de figure avec d’une part, une action de groupe réservée aux consommateurs,
avec à résoudre la question de la qualité à agir du demandeur, la répartition des dommages et intérêts
et la détermination du montant des dommages et intérêts. D’autre part, elle émet l’hypothèse d’une
action collective réservée aux acheteurs autres que les consommateurs finaux.
544. S’agissant de la protection éventuellement accordée au demandeur de clémence, elle implique une
articulation entre la sphère publique et la sphère privée pour le contrôle du non respect des règles de
la concurrence. Le modèle américain illustre alors la pratique. Le demandeur à la clémence
américain devra en contrepartie de la clémence au civil s’engager à aider les demandeurs éventuels à
se retourner vers les autres co-auteurs de l’infraction au droit de la concurrence 804. L’enjeu, dans ce
78 F
cas, est la conservation de l’efficacité de la politique de clémence dans la détection des infractions.
545. Conclusion. Ainsi dans la lignée du rapport Ashurst, la Commission propose de faciliter le recours
à l’action civile pour la victime de la pratique anticoncurrentielle et d’assouplir les règles existantes
de la responsabilité civile afin d’encourager le demandeur à porter son action en justice. Elle est
favorable pour ce faire à l’utilisation de présomptions de responsabilité et du mécanisme de
renversement de la charge de la preuve au profit de la victime. Elle propose aussi de diminuer le
degré d’exigence demandé s’agissant tant de la faute, du dommage que du lien de causalité entre le
dommage et le comportement fautif. Sur l’exercice même de la procédure judiciaire, elle reprend les
mesures connues du droit procédural américain favorable à l’exercice d’une telle action et propose le
804
Antitrust Criminal Penalty Enhancement and Reform Act, Section 213 b): “Subject to subsection (c), an antitrust
leniency applicant or cooperating individual satisfies the requirements of this subsection with respect to a civil action
described in subsection (a) if the court in which the civil action is brought determines, after considering any appropriate
pleadings from the claimant, that the applicant or cooperating individual, as the case may be, has provided satisfactory
cooperation to the claimant with respect to the civil action, which cooperation shall include—
(1) providing a full account to the claimant of all facts known to the applicant or cooperating individual, as the case may
be, that are potentially relevant to the civil action;
(2) furnishing all documents or other items potentially relevant to the civil action that are in the possession, custody, or
control of the applicant or cooperating individual, as the case may be, wherever they are located; and
(3)(A) in the case of a cooperating individual—
(i) making himself or herself available for such interviews, depositions, or testimony in connection with the civil action as
the claimant may reasonably require; and
(ii) responding completely and truthfully, without making any attempt either falsely to protect or falsely to implicate any
person or entity, and without intentionally withholding any potentially relevant information, to all questions asked by the
claimant in interviews, depositions, trials, or any other court proceedings in connection with the civil action; or
(B) in the case of an antitrust leniency applicant, using its best efforts to secure and facilitate from cooperating individuals
covered by the agreement the cooperation described in clauses (i) and (ii) and subparagraph (A)”.
256
recours à la Discovery pour l’accès aux éléments de preuve, les dommages et intérêts punitifs ou
encore le recours à des experts privés et à la cross examination. Ces propositions d’aménagements
importants de la responsabilité civile poussent à s’interroger sur la motivation sous jacente de la
Commission au delà de la seule facilitation des recours civils en droit de la concurrence.
B) La facilitation des recours civils en droit de la concurrence : le renforcement de la
politique de concurrence
546. L’ambition de la Commission européenne à travers son action en faveur du développement des
recours civils est le renforcement de sa politique de concurrence. Elle vise l’amélioration de l’accès
au juge civil en tant qu’outil de sa politique et a posé son intention dès la publication de ses
premières propositions (1). Il s’agit de s’interroger sur la place de la concurrence dans notre société
et en particulier au sein de l’Union européenne et sur les conséquences de l’emploi utilitariste ou
finaliste de la responsabilité civile dans ce cas, eu égard en particulier à la conception civiliste de la
responsabilité civile (2).
1) Une utilisation finaliste de la responsabilité civile par la DG Concurrence
547. La DG Concurrence de la Commission européenne a présenté son projet législatif, dès le Livre
vert en 2005, comme un moyen de parvenir à sa mission, qui est l’effectivité du droit de la
concurrence au sein de l’Union européenne (a). Elle a pu pour cela se reposer sur la jurisprudence de
la Cour de Justice de l’Union européenne dans le domaine (b).
(a) La recherche de l’effectivité du droit de la concurrence : une position tenue par la
Commission
548. La Commission a annoncé son ambition, dès l’élaboration du Livre vert en décembre 2005 805, en
79F
dévoilant le double-objectif de la mesure, c'est-à-dire d’une part « faciliter les demandes
d’indemnisation en cas d’infraction au droit des ententes » 806 et d’autre part, renforcer l’application
780 F
du droit des ententes en augmentant l’effet dissuasif des sanctions 807. Elle envisage ainsi les actions
781F
civiles et a fortiori les actions collectives comme un instrument additionnel au service de la
promotion et de l’amélioration de l’effectivité de sa politique répressive en matière de concurrence.
805
Le Livre vert de la Commission européenne du 19 déc. 2005, intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction
aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante » COM(2005) 672 final.
806
Le Livre vert de la Commission européenne du 19 déc. 2005, op. cit., p. 1.
807
Ibid.
257
549. Cette ambition transparait également dans l’étude d’impact 808 que la Commission européenne a
782F
fait réaliser à la suite de la Résolution du Parlement sur le Livre vert 809. Le Parlement européen a en
783F
effet à la suite de la première consultation publique sur les propositions du Livre vert, adopté une
résolution dans laquelle il a demandé à la Commission de faire réaliser une seconde étude ayant pour
objet de mesurer l’impact des actions civiles en droit de la concurrence sur le bien-être des
consommateurs et de trouver des moyens de renforcer ces actions civiles en Europe 810. La
784F
réalisation de cette étude fut confiée à une équipe pédagogique composée de professeurs du Centre
for European Policy Studies (CEPS), de l’Erasmus University Rotterdam (EUR) et du Luiss Guido
Carli (LUISS) 811. Dans le résumé du rapport, les auteurs de ce dernier posent les cinq objectifs visés
785F
par les pouvoirs publics communautaires dans leur politique de renforcement des actions civiles en
droit de la concurrence. Ainsi ils écrivent : "Les avantages potentiels d'actions en indemnisation
effectives pour le droit de la concurrence dans l'UE comprennent: (i) une plus grande justice
corrective - soit l'obtention de ce que les victimes de comportements anticoncurrentiels soient
entièrement dédommagées pour les pertes subies; (ii) une dissuasion renforcée – soit s’assurer que
les entreprises qui violent le droit communautaire de la concurrence internalisent complètement les
externalités négatives qu'ils imposent à la société par le biais de leur comportement
anticoncurrentiel,- externalités négatives exprimées en termes de coûts excessifs et des (autres)
perte sèche; (iii) des avantages pour le bon fonctionnement du marché intérieur – soit s’assurer que
les entreprises de l'UE et les citoyens peuvent exercer dans des conditions similaires leur droit à
réparation sur tout le territoire de l'UE, et réduire l'incertitude juridique pour les entreprises qui
souhaitent s'engager dans le commerce transfrontalier; (iv) une mise en œuvre du droit de la
concurrence plus proche du citoyen –soit la sensibilisation des citoyens en ce qui concerne les
808
Making antitrust damages actions more effective in the EU: welfare impact and potential scenarios, rapport final,
Bruxelles, Rome et Rotterdam, 21 Déc. 2007, Equipe pédagogique: Centre European Policy Studies (CEPS) Prof. A. Renda
(coordinateur), Prof. J. Peysner, Prof. Dr. Alan J. Riley, Prof. Barry J. Rodger, Erasmus University Rotterdam (EUR) Prof.
Dr. Roger J. Van Den Bergh, Sonja Keske, Luiss Guido Carli (LUISS), Prof. Roberto Pardolesi, Dr. Enrico Leonardo
Camilli, Dr. Paolo Caprile, Rapport pour la Commission européenne, contrat DG COMP/2006/A3/012.
809
Résolution du Parlement européen, du 25 avr. 2007, sur le Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour
infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », (2006/2207 (INI)).
810
Ibid, point 29.
811
Pour élaborer cette étude d’impact, l’équipe pédagogique a procédé en trois temps. Premièrement, en se basant sur la
littérature existante ainsi que sur les affaires rendues en droit de la concurrence sur la période mars 2004 - fin 2007, elle a
évalué l’impact du sous-développement du private enforcement sur le bien-être des consommateurs et sur le marché
intérieur et déterminé les évolutions possibles. Les membres de l’équipe pédagogique ont ensuite étudié plusieurs options
portant sur les dommages et intérêts multiples, les règles relatives à la charge des coûts de justice, sur les règles relatives
aux actions de groupe, à l’accès aux preuves, à la prescription, au traitement des demandeurs de clémence en cas
d’introduction d’action en indemnisation, et sur les méthodes de calcul des dommages et intérêts. Enfin, ils se sont appuyés
sur les analyses effectuées pour élaborer des scénarios, qui sont exposés en fonction des avantages et inconvénients qu’ils
présentent au regard des objectifs rappelés ci-dessous, Making antitrust damages actions more effective in the EU: welfare
impact and potential scenarios, Final report, 21 December 2007, op. cit, , p. 10.
258
avantages d’une politique de concurrence efficace et le fait que leur droit à réparation du préjudice
subi en cas de violation du droit de la concurrence peut contribuer au développement d'une solide
culture de la concurrence en Europe, et (v) les impacts macroéconomiques – soient les effets positifs
en termes de compétitivité, de croissance et d’emploi du fait des marchés plus concurrentiels,
lesquels réduisent alors l'inefficience allocative en conduisant à une plus grande production, à la
baisse des prix et à une meilleure qualité " 812. Les résultats de l’étude seront évalués en fonction des
786F
avantages et inconvénients que les propositions formulées présentent en fonction de ces objectifs
préétablis par la Commission.
550. Sur les cinq objectifs définis par la Commission dans le cahier des charges adressé aux membres
de l’équipe pédagogique en charge de l’étude, un seul fait référence au renforcement des recours
civils pour pallier le défaut d’indemnisation des victimes qui ont subi un préjudice du fait de
l’adoption d’un comportement anticoncurrentiel par une entreprise. Les quatre autres objectifs sont
exclusivement tournés vers le renforcement de la politique dissuasive et répressive menée par la
Commission en matière d’Antitrust. Ainsi seul le premier objectif de l’action de la Commission
prend en considération la fonction simplement réparatrice de la responsabilité civile, telle que
conçue dans les pays civilistes 813. En effet, dans les pays de tradition romano-germanique,
78F
majoritaires parmi les Etats membres 814, la distinction entre la responsabilité civile, poursuivant un
78F
but de réparation du dommage subi par la victime, et la responsabilité pénale, visant elle à réprimer
le comportement dangereux de l’individu pour la société, est ancienne. Le concept de réparation du
dommage est apparu progressivement avec l’abandon de la loi du talion. Pendant longtemps, la
distinction ne fut pas parfaite. Il existait des actions pénales ou des actions mixtes où les victimes
pouvaient réclamer la réparation de leur préjudice. La distinction entre les deux responsabilités sera
parfaitement affirmée avec la codification napoléonienne 815. Cette distinction est ici laissée en
789F
dehors des débats.
812
Making antitrust damages actions more effective in the EU: welfare impact and potential scenarios, rapport final,
Bruxelles, Rome et Rotterdam, 21 Déc. 2007, Equipe pédagogique: Centre European Policy Studies (CEPS) Prof. A. Renda
(coordinateur), Prof. J. Peysner, Prof. Dr. Alan J. Riley, Prof. Barry J. Rodger, Erasmus University Rotterdam (EUR) Prof.
Dr. Roger J. Van Den Bergh, Sonja Keske, Luiss Guido Carli (LUISS), Prof. Roberto Pardolesi, Dr. Enrico Leonardo
Camilli, Dr. Paolo Caprile, Rapport pour la Commission européenne, contrat DG COMP/2006/A3/012, p. 10.
813
F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 10ème éd., 2009, p. 688 et suivantes.
814
A l’exception notable du Royaume-Uni, de l’Irlande et de Malte, la majorité des Etats membres de l’Union sont des
pays de droit de tradition romano-germanique.
815
Voir F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 10ème éd., 2009, p. 688.
259
551. Le Parlement européen a appuyé la démarche de la Commission en relevant dans sa Résolution
du 25 avril 2007 sur le Livre vert 816, que la Direction générale de la concurrence de la Commission
790F
poursuit les objectifs alors fixés par les chefs d’Etats de l’Union lors du Conseil européen de
Lisbonne en mars 2000 817, à savoir « la vitalité du marché intérieur, [les] performances des
791 F
entreprises, [les] intérêts des consommateurs et [les] objectifs de l’Union européenne » 818. Il
7 92F
souligne à cette occasion le caractère indispensable du droit communautaire de la concurrence pour
parvenir à la réalisation de ces objectifs dans le cadre de la Stratégie de Lisbonne-Göteborg de
l’Union européenne 819.
793F
552. La Commission favorise la mise en œuvre du droit de la concurrence en promouvant le
renforcement de l’action civile. Elle s’inspire alors de la pratique américaine du « private
enforcement » qui consiste à envisager l’action civile, en ce y compris l’action collective, comme
élément de la politique répressive 820. Elle revient alors sur la conception civiliste de la justice civile,
794F
qui limite le rôle de cette dernière à la simple réparation des préjudices en prônant une approche
finaliste de la responsabilité civile. Elle a pu pour cela s’appuyer sur la jurisprudence de la Cour de
Justice de l’Union Européenne.
816
Résolution du Parlement européen, du 25 avr. 2007, sur le Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour
infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », op. cit.
817
« Pendant le Conseil européen de Lisbonne (mars 2000), les chefs d'État ou de gouvernement ont lancé une stratégie
dite « de Lisbonne » dans le but de faire de l'Union européenne (UE) l'économie la plus compétitive au monde et de
parvenir au plein emploi avant 2010. Développée au cours de plusieurs Conseils européens postérieurs à celui de
Lisbonne, cette stratégie repose sur trois piliers:
* Un pilier économique qui doit préparer la transition vers une économie compétitive, dynamique et fondée sur la
connaissance. L'accent est mis sur la nécessité de s'adapter continuellement aux évolutions de la société de l'information et
sur les efforts à consentir en matière de recherche et de développement ;
* Un pilier social qui doit permettre de moderniser le modèle social européen grâce à l'investissement dans les ressources
humaines et à la lutte contre l'exclusion sociale. Les États membres sont appelés à investir dans l'éducation et la formation,
et à mener une politique active pour l'emploi afin de faciliter le passage à l'économie de la connaissance ;
* Un pilier environnemental qui a été ajouté lors du Conseil européen de Göteborg en juin 2001et qui attire l'attention sur
le fait que la croissance économique doit être dissociée de l'utilisation des ressources naturelles », glossaire de l’Union
européenne, disponible à l’adresse suivante :
http://europa.eu/scadplus/glossary/lisbon_strategy_fr.htm.
818
Résolution du Parlement européen, du 25 avr. 2007, sur le Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour
infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », (2006/2207 (INI)), considérant
B.
819
Voir Supra n° 34.
820
J. Nannes, Le private enforcement : l’expérience américaine, Concurrence & Consommation, n° 153, Juin 2007,
Numéro spécial, p. 27.
260
(b) La recherche de l’effectivité du droit communautaire de la concurrence : une
position soutenue par la Cour de Justice de l’Union européenne
553. La Commission s’est référée à la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne
(CJUE), qui a consacré un droit à réparation en droit de la concurrence 821. Dans un premier arrêt du
795 F
20 septembre 2001, la Cour de Justice des Communautés Européennes a, en effet, consacré le droit à
réparation d’une victime d’une pratique anticoncurrentielle, quand bien même cette victime serait
partie au contrat illicite 822. Elle a justifié sa position en considérant que le droit à réparation est « de
796F
nature à décourager les accords ou pratiques, souvent dissimulés, susceptibles de restreindre ou de
fausser le jeu de la concurrence »823. Elle consacre ainsi l’action privée comme moyen de dissuasion
7 97F
des pratiques anticoncurrentielles.
554. En l’espèce, il s’agissait de baux contenant une clause d’approvisionnement exclusive en bière
pour des pubs en Angleterre. Au terme de cette clause, le tenant du bail s’engageait à se fournir en
bière, pour une quantité minimale, auprès de l’associé du bailleur au prix déterminé par ce dernier.
Cependant, les prix déterminés étaient plus élevés que ceux pratiqués auprès des acheteurs
indépendants. Fort de ce constat, l’un des tenants, M. Crehan a cessé de s’acquitter de ses factures.
Le fournisseur, la société Courage, a alors engagé une action en paiement. Cependant, M. Crehan a
contesté le bien fondé de cette action en arguant de l’illicéité du contrat et donc de sa nullité du fait
qu’il constituait une entrave au libre jeu de la concurrence en violation des règles communautaires
de la concurrence 824. Au surplus M. Crehan forma une demande reconventionnelle par laquelle il
798F
demanda des dommages et intérêts. Le point de droit central porte sur cette demande en réparation
du préjudice subi. En effet, en droit anglais il n’est pas possible de condamner une partie au contrat
illicite à payer des dommages et intérêts à l’autre partie au contrat. Cependant, les juges anglais
constatent qu’aux Etats-Unis, cela est possible ainsi que potentiellement dans d’autres pays
européens. Ainsi ils s’interrogent sur « un éventuel conflit […] entre le principe de l’autonomie
procédurale et celui d’une application uniforme du droit communautaire » 825. Ils saisissent la Cour
7 9F
de Justice des Communautés Européennes (CJCE, devenue CJUE) d’une question préjudicielle. La
question portait essentiellement sur le fait de savoir si le droit anglais en l’espèce était conforme au
droit communautaire et si une partie à un contrat pouvait demander des dommages et intérêts à
821
Voir Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour
infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 2.
822
CJCE, 20 sept. 2001, aff. C-453/99, Courage Ltd c. Bernard Crehan, sur question préjudicielle, considérant 24.
823
CJCE, 20 sept. 2001, aff. C-453/99, Courage Ltd c. Bernard Crehan, sur question préjudicielle, considérant 27.
824
Voir art. 85§1 CE, devenu 101 TFUE.
825
CJCE, 20 sept. 2001, aff. C-453/99, Courage Ltd c. Bernard Crehan, sur question préjudicielle, considérant 15.
261
l’autre partie. Sur ce point, la CJCE a considéré qu’une loi nationale qui interdirait à une partie au
contrat de demander des dommages et intérêts sur le fondement du droit de la concurrence serait
incompatible avec le droit communautaire. Ce dernier s’oppose à une loi nationale qui prévoirait
cette interdiction seulement « dès lors qu’il est établi que cette partie a une responsabilité
significative dans la distorsion de concurrence »826. C’est ainsi qu’elle a consacré le droit à
80 F
réparation de toute victime d’une violation du droit de la concurrence et ce, même si la victime est
partie à l’accord mis en cause.
555. La Cour de Justice des Communautés européennes a confirmé sa position dans un arrêt du 13
juillet 2006 827 . Ce recours intervenait à la suite de la condamnation par l’autorité italienne de la
801F
concurrence de compagnies d’assurance italiennes, pour entente sur les prix des primes d’assurance
de responsabilité civile (RC) obligatoire, relative aux sinistres causés par des véhicules automobiles,
navires et cyclomoteurs. Au regard de la décision de l’Autorité italienne, l’entente aurait conduit à
une augmentation de 20% du prix de la prime d’assurance RC. Ainsi plusieurs consommateurs ont
introduit des demandes devant les juridictions italiennes et en particulier devant le Giudice di pace
di Bitonto (Juge d’instance italien) 828 pour obtenir réparation du préjudice subi du fait de la violation
802F
du droit de la concurrence. Ils demandent la restitution du « trop payé » du fait de l’augmentation
artificielle des primes d’assurance. Plusieurs questions préjudicielles sont alors posées à la CJCE,
dont une, portant sur la possibilité pour un tiers au litige de demander réparation du préjudice devant
les juridictions lorsqu’il existe un lien de causalité entre la violation au droit de la concurrence et le
préjudice. A l’occasion de l’étude de cette question, la Cour de Justice a réaffirmé le droit à
réparation des victimes de pratiques anticoncurrentielles 829.
803F
826
CJCE, 20 sept. 2001, aff. C-453/99, Courage Ltd c. Bernard Crehan, sur question préjudicielle, considérant 36.
CJCE, 13 juill. 2006, aff. jointes C-295/04 à C-298/04, Vincenzo Manfredi c/Lioyd Adriatico Assicurazioni SpA, sur
question préjudicielle.
828
Art. 7 di Code di procedura civile : “Competenza del giudice di pace. – Il giudice di pace è competente per le cause
relative a beni mobili di valore non superiore a cinquemila euro, quando dalla legge non sono attribuite alla competenza
di altro giudice.
Il giudice di pace è altresì competente per le cause di risarcimento del danno prodotto dalla circolazione di veicoli e di
natanti, purché il valore della controversia non superi ventimila euro.
E competente qualunque ne sia il valore:
1) per le cause relative ad apposizione di termini ed osservanza delle distanze stabilite dalla legge, dai regolamenti o dagli
usi riguardo al piantamento degli alberi e delle siepi ;
2) per le cause relative alla misura e dalle modalità d’uso dei servizi di condominio di case ;
3) per le cause relative a rapporti tra proprietari o detentori di immobili adibiti a civile abitazione in materia di immissioni
di fumo o di calore, esalazioni, rumori, scuotimenti e simili propagazioni che superino la normale tollerabilità ;
3Bis) per le cause relative agli interessi o accessori da ritardato pagamento di prestazioni previdenziali o assistenziali”.
829
CJCE, 13 juill. 2006, aff. jointes C-295/04 à C-298/04, Vincenzo Manfredi c/Lloyd Adriatico Assicurazioni SpA,
considérant 63.
827
262
556. Conclusion. La jurisprudence de la Cour de Justice consacre le droit à réparation des victimes de
violation du droit de la concurrence, qu’elle juge nécessaire pour rendre effectif le respect du droit
communautaire de la concurrence. Sur ce fondement, la Commission a entrepris de faciliter l’accès
au juge civil pour les victimes de pratiques anticoncurrentielles. Cependant, les mesures qu’elle
propose conduisent à une instrumentalisation de l’action civile au service du renforcement de la
répression des comportements déviants en la matière. Dans ce cadre, la Commission s’éloigne de la
conception civiliste de la responsabilité civile, telle que conçue dans les pays de tradition romanogermanique où la différence entre la finalité répressive de la justice pénale et la finalité corrective de
la justice civile est marquée. Malgré l’importance du droit de la concurrence dans notre société,
celui-ci semble difficilement pouvoir justifier une remise en cause de l’un des fondements de notre
système judiciaire.
2) Une remise en cause de la distinction entre justice civile et justice pénale par la DG
Concurrence
557. Le droit de la concurrence occupe une place importante en Europe dans l’objectif de réalisation du
Marché intérieur. Ainsi dès 1957, des règles en la matière ont été définies dans le Traité de Rome.
Pour garantir l’effectivité de la politique communautaire de concurrence des pouvoirs importants ont
été dévolus aux autorités de concurrence (a). Aux Etats-Unis, la logique adoptée fut différente. Le
législateur s’est fondé sur une action combinée des pouvoirs publics et des individus destinataires de
ces règles pour garantir l’effectivité du droit de la concurrence (b).
a) Le public enforcement et le droit communautaire de la concurrence
i) La place du droit de la concurrence en Europe
558. La politique de concurrence au niveau communautaire comme au niveau national vise à maintenir
une concurrence saine et non faussée sur le marché intérieur. Elle tend « à encourager l'efficacité
économique, l'allocation optimale des ressources, le progrès technique et le bien-être des
consommateurs » 830. La politique de concurrence, telle qu’envisagée aujourd’hui, trouve son origine
8 04F
aux Etats-Unis. Au 19ème siècle, il résulte de la forte croissance économique des Etats-Unis, une
concentration des industriels et une forte augmentation de la concurrence sur les marchés. Les
entreprises ont alors décidé de s’entendre pour éviter une diminution des prix trop importante du fait
830
M. Denoix et O. Klargaard, La politique de la concurrence dans l'Union européenne, Fondation Robert Schuman,
article accessible à l’adresse suivante :
http://www.robert-schuman.eu/question_europe.php?num=qe-52.
263
de cette concurrence nouvelle. Cependant le maintien par les industriels de prix artificiellement
hauts portait préjudice aux consommateurs. Ainsi les pouvoirs publics ont décidé d’interdire ces
accords entre concurrents 831. Le même schéma fut reproduit en Europe. Après la Seconde Guerre
805F
Mondiale, des dispositions sont intégrées dans le Traité de Rome instituant la Communauté
économique européenne 832. Ainsi, la Commission européenne et les autorités nationales de
806 F
concurrence (ANC) luttent contre les ententes « injustifiables », les abus de position dominante et les
fusions anticoncurrentielles 833. Elles contrôlent également les aides accordées par les Etats membres
807F
à leur entreprise afin de vérifier que l’octroi de ces aides ne désavantage pas leurs concurrents dans
le cadre du Marché intérieur.
559. En droit communautaire, la libre concurrence a depuis 1957 toujours fait partie des objectifs de la
Communauté économique européenne d’abord et de l’Union européenne ensuite 834. Cependant,
80F
depuis le Traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, la politique de concurrence
apparait désormais comme un outil indispensable à la réalisation du Marché intérieur et non plus
comme un objectif en tant que tel. L’article 3 du Traité sur l’Union européenne dans sa version
consolidée de 2010 835 dispose en effet que « L'Union établit un marché intérieur. Elle œuvre pour le
809F
développement durable de l'Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la
stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi
et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de
l'environnement. Elle promeut le progrès scientifique et technique ». Cette modification du Traité
résulte de contestations de citoyens européens exprimées lors des référendums sur la ratification du
Traité instituant une constitution européenne en 2005 836.
810F
560. Cette conception du droit de la concurrence au service de la réalisation du Marché intérieur résulte
également de l’élaboration par les chefs d’Etats et de gouvernements des Etats membres de la
stratégie de Lisbonne. En effet, en mars 2000, un conseil européen s’est tenu à Lisbonne. Dans le
831
Voir le Sherman Antitrust Act de 1890.
Art. 85 et suivants du Traité de Rome de 1957 instituant la Communauté économique européenne.
833
Art. 101 et 102 TFUE.
834
L’article 3(f) du Traité instituant la Communauté Economique Européenne (1957) stipule que « Aux fins énoncées à
l’article précédent, l’action de la communauté comporte, dans les conditions et selon les rythmes prévus par le présent
Traité : […] l’établissement d’un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché commun » ; Voir
également article 3(g) du Traité sur l’Union européenne (Journal officiel n° C 191 du 29 juil.1992) ; article 3(g) du Traité
instituant la Communauté Européenne (version de 1997 - Journal officiel n° C 340 du 10 nov. 1997) ; article 3(g) du Traité
instituant la Communauté européenne (version consolidée - Journal officiel n° C 325 du 24 déc. 2002).
835
Versions consolidées du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, Journal
officiel n° C 83 du 30 mars 2010.
836
M. Denoix et O. Klargaard, La politique de la concurrence dans l'Union européenne, Fondation robert Schuman, op. cit.
832
264
cadre de cette réunion, les dirigeants des Etats membres se sont fixés un objectif qui était celui de
faire de l’Union européenne « l'économie la plus compétitive au monde et de parvenir au plein
emploi avant 2010 ». Pour réaliser cet objectif, ils ont décidé d’une stratégie, dite « de Lisbonne »,
reposant sur un volet économique, un volet social et un volet environnemental 837. En particulier,
81F
concernant l’aspect économique, les chefs d’Etat et de gouvernement ont mis l’accent sur la
nécessité de tendre vers une « économie compétitive, dynamique et fondée sur la connaissance ».
Ainsi au regard de cet objectif, le droit communautaire de la concurrence occupe une place de
premier rang sur le plan économique. Cette politique est indispensable à la réalisation du Marché
intérieur et à la bonne santé de l’économie européenne.
561. La Commission européenne comme les autorités nationales de concurrence, en charge de la mise
en œuvre de la politique de concurrence, ont alors œuvré au renforcement des règles de concurrence
permettant de sanctionner les comportements des entreprises ayant pour objet ou pour effet
d’empêcher, ou de restreindre le libre jeu de la concurrence sur le Marché intérieur. La voie choisie
en Europe fut celle du renforcement des pouvoirs de sanction des autorités de concurrence.
ii) Le rôle des pouvoirs publics en droit de la concurrence en Europe
562. En 2003, le Règlement n°1/2003 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux
articles 81 et 82 du traité 838 est venu renforcer les pouvoirs dévolus aux autorités de concurrence
812F
pour appréhender les ententes et les abus de position dominante 839. Tout d’abord, les autorités
813F
nationales de concurrence ont été autorisées à appliquer directement les dispositions
communautaires en la matière. De plus, les autorités de concurrence ont vu s’accroître leurs pouvoirs
d’enquête et de sanctions déjà importants. Elles peuvent dans le cadre de leur enquête procéder à des
perquisitions. En cas d’infractions aux règles du droit de la concurrence, elles peuvent constater et
faire cesser l’infraction, ordonner des mesures provisoires ou encore rendre obligatoires des
engagements. Les autorités de concurrence ont également le pouvoir d’infliger des amendes
pécuniaires aux entreprises contrevenantes. Le montant de ces amendes pécuniaires est fixé dans la
837
Ces éléments se retrouvent dans l’objectif de réalisation du marché intérieur tel que définis dans l’article 3 du Traité sur
l’Union européenne dans sa version consolidée, op. cit.
838
Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 déc. 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux
articles 81 et 82 du traité, JO L 1 du 4 janv. 2003, p. 1–25.
839
Sous l’empire de l’ancien règlement (Règlement (CEE) n° 17 du Conseil: Premier règlement d'application des articles
85 et 86 du traité (actuellement articles 81 et 82), [Journal officiel n° 013 du 21.02.1962]), le contrôle des accords entre
concurrents se faisait a priori suivant un système de notification a priori. Avec le nouveau règlement, le système de
notification est abandonné au profit d’un renforcement des pouvoirs de sanctions des autorités de concurrence dans leur
contrôle a posteriori des accords.
265
limite de 10% du chiffre d’affaires total réalisé de l’entreprise. La Commission a adopté des lignes
directrices et des communications en vue d’expliciter sa démarche dans la mise en œuvre de sa
politique et d’accroître la sécurité juridique pour les entreprises 840. Elle a notamment précisé sa
814F
méthode de calcul de l’amende dans des lignes directrices 841. Le Conseil et le Parlement européen
815F
ont également adopté des règlements dits « d’exemption » concernant certaines catégories
d’accords 842. Ainsi en Europe, l’accent a été mis sur les pouvoirs des autorités de la concurrence, qui
816F
ont pour mission de veiller au respect des règles du droit de la concurrence. Elles disposent pour ce
faire d’un arsenal législatif et d’un large champ d’action, qu’elles ont mis en œuvre activement
depuis 2003 et en particulier ces trois dernières années.
563. Selon les statistiques de la Commission européenne pour les ententes seulement 843, la DG
817F
Concurrence a rendu sur la période 2006-2010 844, trente-cinq décisions concernant 241 entreprises.
81 F
La somme globale des amendes prononcées s’élève à plus de 12 milliards d’euros 845. Il ressort
819F
également de ces statistiques que l’activité de la Commission européenne a triplé sur la période
2005-2010, s’agissant tant du nombre de décisions rendues que du montant des amendes prononcées
(voir schéma ci-dessous).
840
Voir par exemple Communication de la Commission sur l'immunité d'amendes et la réduction de leur montant dans les
affaires portant sur des ententes (Journal officiel n° C 298 du 08/12/2006 p. 17 – 22) ; Communication de la Commission
relative à la coopération au sein du réseau des autorités de concurrence (Journal officiel n° C 101 du 27/04/2004 p. 43 –
53).
841
Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement
(CE) n o 1/2003 (Journal officiel n° C 210 du 01/09/2006 p. 02–05).
842
Voir par exemple, Règlement (UE) n° 1217/2010 de la Commission du 14 déc. 2010 relatif à l’application de l’article
101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à certaines catégories d’accords de recherche et
de développement, Journal officiel n° L 335 du 18/12/2010 p. 36 –42.
843
Cartels statistics, disponibles à l’adresse suivante :
http://ec.europa.eu/competition/index_fr.html (version Déc. 2010)
844
Période du 1er janv. 2006 au 30 sept. 2010.
845
Chiffre donné après ajustement par la Cour de justice.
266
564. Montants des amendes infligées par la Commission (non ajustés par la Cour de Justice) sur la
période 1990-2010 (Graphique reproduit des Cartels Statistics de la Commission européenne –
version de décembre 2010).
Montants des amendes infligées par la Commission européenne (non
ajustés par la Cour de Justice) sur la période 1990-2010
12000
10000
8000
6000
4000
2000
0
1990-1994
1995-1999
2000-2004
2005-2009
2010
565. Nombre de décisions rendues pour entente par la Commission européenne sur la période 19902010 (Graphique reproduit des Cartels Statistics de la Commission européenne – version de
décembre 2010).
Nombre de décisions rendues pour entente par la Commission
européenne sur la période 1990-2010
35
30
25
20
15
10
5
0
1990-1994
1996-1999
2000-2004
2005-2009
2010
267
566. Cette forte activité de la Commission européenne et l’augmentation du montant des amendes a
suscité de vives inquiétudes et de vives critiques de la part des entreprises, qui ont dénoncé des
montants d’amendes disproportionnés. L’amende record infligée à la société Saint-Gobain dans le
cadre du cartel du vitrage automobile, dont le montant d’amende s’est élevé à 896 millions
d’euros 846, peut être mentionnée. D’un coté, la Commission, s’appuyant sur certaines études
820F
économiques, considère que le montant d’amende optimum au titre de la dissuasion n’est pas atteint.
Ainsi elle tend à accroître le montant des amendes qu’elle inflige 847. De l’autre coté, les entreprises,
821F
mais également certains académiques et gouvernements, considèrent que ces montants sont
disproportionnés et sont mêmes dangereux pour la santé financière des entreprises. Ce dernier
argument a connu une acceptation renforcée avec la période de crise économique connue en Europe.
De plus, le pouvoir de sanction de la Commission est régulièrement mis en cause du fait de la non
reconnaissance du caractère pénal des amendes infligées 848 et des problèmes qui en découlent
82F
concernant l’application de l’ensemble des droits de la défense, tels que garantis en droit pénal 849.
823F
567. Ainsi les institutions communautaires ont cherché à se tourner vers d’autres voies, en complément
de l’intervention de la puissance publique pour renforcer le caractère dissuasif et répressif de la
politique de concurrence. C’est dans ce contexte que la DG Concurrence s’est intéressée aux actions
privées visant à l’indemnisation des préjudices subis par les victimes des pratiques
846
Commission Decision of 12 November 2008 relating to a proceeding pursuant to Article 81 of the EC Treaty and Article
53 of the EEA Agreement, COMP/39.125 – Carglass,
Disponible à l’adresse suivante : http://ec.europa.eu/competition/cartels/cases/cases.html
847
Les dix plus importantes amendes individuelles infligées par la Commission européenne datent de la période 2008-2010,
Cartels statistics,
Disponibles à l’adresse suivante : http://ec.europa.eu/competition/index_fr.html (version Déc. 2010).
848
Bien que la Commission européenne ne reconnaisse pas le caractère pénal de ses pouvoirs (voir art. 23§5 du règlement
1/2003, la Cour Européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales a considéré que les sanctions pécuniaires
infligées en droit de la concurrence sont « à coloration pénale » (Commission des Droits de l’homme, décision du 30 mai
1991, Stenuit / France (requête n°11598/85), points 61-65 ; CEDH, arrêt du 14 oct. 2003, Lilly France / France (requête
n°53892/00)). De même, la Cour de Justice de l’Union européenne comme certains avocats généraux à la Cour ont reconnu
que la matière revêtait « une nature quasi-répressif » (Voir en ce sens les Conclusions de l’Avocat Général, M. Yves Bot,
présentées le 26 oct. 2010, dans les affaires jointes C‑201/09 P et C‑216/09 P, ArcelorMittal Luxembourg SA, c.
Commission européenne et Commission européenne (C‑216/09 P) c. ArcelorMittal Luxembourg SA, anciennement
Arcelor Luxembourg SA, ArcelorMittal Belval & Differdange SA, anciennement Arcelor Profil Luxembourg SA,
ArcelorMittal International SA, anciennement Arcelor International SA, point 41).
849
Voir sur ce thème W. P.J. Wils, The increased level of EU Antitrust Fines, Judicial Review and the European
Convention on Human Rights, 2009,
disponible à l’adresse suivante : http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1492736 ; F. Riem, L’utilisation de la
CEDH dans la pratique des affaires : Le contentieux de la concurrence, Droit & Patrimoine, n° 194, Juillet-Août 2010 ; A.
Bailleux, Le salut dans l’adhésion. Entre Luxembourg et Strasbourg, actualités du respect des droits fondamentaux dans la
mise en œuvre du droit de la concurrence, RTD eur. 46(1), janv-mars 2010 ; I. S. Forrester, Due Process in EC competition
cases : a distinguished institution with flawed procedures, (2009) 34 E.L. Rev. December.
268
anticoncurrentielles prohibées par les articles 81 et 82 TFUE en s’inspirant notamment fortement du
private enforcement tel que développé en droit américain de la concurrence.
b) Le private enforcement et le droit communautaire de la concurrence
i) L’exemple américain du private enforcement
568. Face à la contestation de sa politique de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles, la
Commission s’est en effet intéressée au mode de mise en œuvre de la politique de concurrence aux
Etats-Unis. Dans ce système, l’accent n’a pas été mis sur l’action des pouvoirs publics dans la lutte
contre les cartels, même si le Department Of Justice et la Fair Trade Commission sont loin d’être
démunis en cas de détection d’une pratique anticoncurrentielle 850. Ils ont ciblé l’action des victimes
824 F
du cartel, c'est-à-dire de ceux qui ont souffert d’un préjudice du fait de la mise en œuvre de la
pratique. Pour cela, ils ont renforcé l’accès au juge civil en facilitant d’une part l’exercice du recours
et en créant d’autre part des conditions d’incitation à l’exercice de l’action. La class action fait alors
partie intégrante de ces moyens de facilitation de l’action en justice. Aujourd’hui, il résulte d’une
étude de C. Jones, qu’à la fin du 20ème siècle, 90% des pratiques d’Antitrust détectées aux EtatsUnis sont le résultat des actions portées devant les tribunaux civils par les victimes de ces
pratiques 851.
825F
569. Ce choix opéré par les pouvoirs publics américains n’est pas propre au droit de la concurrence. Il
résulte d’une conception différente du rôle du justiciable dans le système judiciaire en général.
L’individu occupe en effet une place particulière dans le système judiciaire américain. Il ne se pose
pas seulement comme victime de la pratique d’un autre individu, mais il apparaît comme un
850
En cas de cartel par exemple, les entreprises aux Etats-Unis encourent, sur le volet pénal, une amende d’un montant
maximum de 100 millions d’euros. De plus, les individus ayant commis l’infraction encourent une peine maximale
d’emprisonnement de 10 ans et une amende d’un montant maximal d’un million d’euros, Sherman Act (15 US Code §1):
“Every contract, combination in the form of trust or otherwise, or conspiracy, in restraint of trade or commerce among the
several States, or with foreign nations, is declared to be illegal. Every person who shall make any contract or engage in
any combination or conspiracy hereby declared to be illegal shall be deemed guilty of a felony, and, on conviction thereof,
shall be punished by fine not exceeding $100,000,000 if a corporation, or, if any other person, $1,000,000, or by
imprisonment not exceeding 10 years, or by both said punishments, in the discretion of the court”. Les entreprises peuvent
de manière alternative être condamnées à payer une amende d’un montant équivalent à deux fois la perte brute subie par les
victimes du comportement ou du gain illicite réalisé, 18 U.S.C §3571(d) : “Alternative Fine Based on Gain or Loss.— If
any person derives pecuniary gain from the offense, or if the offense results in pecuniary loss to a person other than the
defendant, the defendant may be fined not more than the greater of twice the gross gain or twice the gross loss, unless
imposition of a fine under this subsection would unduly complicate or prolong the sentencing process”.
851
C. Jones, Private Enforcement of Antitrust Law in the EU, UK and USA, Oxford University Press, 1999, étude citée par
L. Idot dans Regards sur les droits étrangers, colloque du 29 avr. 2004, Paris. Dans ce cadre, la politique de clémence mise
en place par les autorités américaines est complémentaire des plaintes qui peuvent être déposées par les personnes privées.
269
procureur privé 852, qui à travers sa demande en justice cherche à rendre effectif le respect de la loi.
826F
En effet, le demandeur américain ne cherche pas à emporter la conviction du juge, mais à mettre en
lumière la vérité. Il dispose alors pour ce faire de la procédure de Discovery 853, qui permet la
827 F
divulgation entre les parties de tous les documents pertinents au regard de la résolution du litige.
L’idée dernière cette procédure est que lorsque l’ensemble des éléments du litige seront connus des
deux parties et que chacun y verra ainsi ses propres torts, un règlement à l’amiable du litige devrait
être plus facile à trouver 854. L’inconvénient de cette procédure est qu’elle est très couteuse car les
82F
pièces à échanger peuvent être de l’ordre de plusieurs dizaines de milliers, voire de millions. En
effet, outre leur conservation, le traitement des données en interne et leur transmission, il faut
également pouvoir les analyser, tâche technique et complexe dévolue aux avocats américains et aux
experts qui les assistent. Cette conception justifie différentes modalités de fonctionnement de la
procédure judiciaire américaine. En effet, ces coûts importants de procédure nécessitent le recours
par les demandeurs à des financements extérieurs. Cependant, tout crédit souscrit auprès d’un tiers,
quelle qu’en soit la forme, nécessite une rémunération. Le législateur autorise les Contingency Fees
Agreements, qui font dépendre la rémunération de leurs honoraires du succès de la procédure. En cas
de succès, le cabinet d’avocats se rémunérera de ses frais de fonctionnement et il s’attribuera au
surplus une prime déterminée en pourcentage du montant des dommages et intérêts prononcés.
L’idée est ainsi de faire peser le risque financier sur l’avocat, ce qui permet aux justiciables à
revenus modestes de faire valoir leurs droits en justice sans subir le frein des coûts de procédure. Ce
financement de l’action n’incite pas à l’adoption du principe indemnitaire. En effet, il a une
incidence directe sur l’incitation à porter son affaire en justice. Cette question de l’incitation est
centrale dans le système judiciaire américain et en particulier dans la procédure de class action. Elle
se retrouve avec les dommages et intérêts punitifs. Il pourrait ressortir d’une certaine logique que les
justiciables dans leur rôle de « procureur privé » perçoivent le montant des dommages et intérêts
punitifs prononcés au titre de la répression du comportement adopté par le défendeur, même si cette
852
Voir par exemple J. Nannes, Le private enforcement : l’expérience américaine, Concurrence & Consommation, n°153,
Juin 2007, Numéro spécial, p. 27.
853
L’utilisation du terme Discovery en droit américain, fait référence à la phase d’investigation, préliminaire au procès,
dans laquelle chaque partie peut demander directement, sans l’autorisation du juge, à son adversaire, ou à tout témoin
potentiel de produire tout élément d’information, utile à la résolution du litige en cause. La procédure de Discovery permet
à une partie d’obtenir des documents demandés ou des éléments de preuve physiques. Elle permet aussi aux parties de
procéder à des Depositions et à des Interrogatories. De plus, il est possible pour un demandeur de formuler des Requests
for admissions, qui consistent à demander à l’autre partie d’admettre ou de réfuter telle ou telle allégation. Enfin, cette
procédure permet de demander l’ordonnancement d’expertises physiques ou psychologiques, voir Black’s Law dictionary,
par Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 1419
854
Conférence au Cercle France-Amériques sur le thème de « La preuve au cœur du débat judiciaire : discovery, crossexamination et expertise contradictoire, regards croisés franco-américains », organisée par l’Association FranceAmériques, l’Association Française des Docteurs en droit et le Cabinet Mayer Brown en date du 24 mars 2010, Minutes
non encore publiées.
270
approche peut être discutée. Cependant en pratique, cette somme participe à l’incitation d’agir en
justice plus qu’elle ne rétribue un geste citoyen. Cette incitation financière qui conduit à des dérives
est ce qui suscite le plus de critiques lorsque l’on aborde le fonctionnement du système judiciaire
américain.
570. Cette conception du rôle du justiciable tient plus généralement au rôle de l’individu dans la
société américaine. La justification de cette organisation judiciaire et du rôle central tenu par
l’individu dans la société est historique. Lorsque les premiers colons arrivèrent sur le territoire
américain, ils s’installèrent au gré des parcelles de terre obtenues. Dans un premier temps aucune
structure politique n’était mise en place. Ce n’est qu’une fois qu’une Communauté suffisante
importante était créée, que des élections étaient organisées pour élire un gouverneur et mettre en
place les structures politiques nécessaires à la gestion de la vie en société 855. La société américaine
829F
s’est construite par opposition à la couronne d’Angleterre et à son pouvoir monarchique. Cela
justifie une certaine défiance vis-à-vis des pouvoirs publics. Il faut souligner que les juges ne sont
pas « nommés » aux Etats-Unis,
mais élus par le peuple 856. Ainsi, s’expliquent que soient
830F
privilégiés les rapports privés et les accords entre parties.
571. Dans ce contexte, la mise en œuvre de la procédure civile a été conçue comme un élément à part
entière de la politique de dissuasion et de répression des pratiques anticoncurrentielles par le
législateur américain. Le juge civil a le devoir de prononcer des dommages et intérêts punitifs en
complément de l’amende que les tribunaux pénaux pourront prononcer 857. Ces montants sont
831F
dissociés ainsi du préjudice réel subi, le double objectif étant de réprimer le comportement et d’en
dissuader la réitération au même titre que les condamnations pénales.
572. Le droit américain favorise ainsi l’action des particuliers devant le juge civil en tant que moyen
de détection des comportements anticoncurrentiels tout comme moyen de sanction de la violation.
En contrepartie de quoi l’action des pouvoirs publics est plus faible si elle est comparée avec les
pouvoirs dévolus aux autorités de concurrence en Europe 858. En outre, la force du système réside
832F
855
A. Kaspi, Les américains, Naissance et essor des Etats-Unis, 1607-1945, Editions de Seuil, oct. 1986.
A l’exception des juges fédéraux, qui eux sont nommés, voir F. Hamon et M. Troper, Droit Constitutionnel, L.G.D.J.,
31ème éd., 2009, p. 248.
857
Voir §. 268.
858
En moyenne, le montant des amendes infligées par les tribunaux pénaux américains sont inférieurs à ceux infligés par la
Commission européenne, voir Antitrust Division Workload statistics FY 2000-2009, disponible sur le site du Department
Of Justice à l’adresse suivante http://www.justice.gov/atr/public/workload-statistics.html.
856
271
dans l’adaptation des citoyens américains à ce système et à leur familiarisation avec la procédure
judiciaire. Ce système est alors bien loin de la conception civiliste des pays de tradition romanogermanique.
ii) La conception civiliste de la justice en Europe
573. Les auteurs de l’étude sur l’impact des actions civiles en droit de la concurrence sur le bien-être
des consommateurs, commandée par la Commission 859, après la Résolution du Parlement sur le
83F
Livre vert 860, ont émis un avertissement. Ils ont déclaré que malgré leurs propositions, « il est
834F
difficile d’imaginer que les actions en indemnisation en Europe vont se développer exactement dans
le même sens qu’aux Etats-Unis ». Ils ont ajouté que « la principale raison pour cela est qu’aux
Etats-Unis, les règles procédurales ont été élaborées avec l’intention d’encourager les recours civils
[en droit des ententes et des abus de position dominante] et que certaines de ces règles diffèrent de
manière substantielle des règles applicables aux litiges civils en Europe. Même plus important
encore, le système américain du Private enforcement semble être élaboré pour renforcer le
caractère dissuasif de la justice plutôt que son caractère réparateur [du préjudice subi] et en effet,
certains éminents spécialistes ont fait valoir que les règles américaines en matière d’Antitrust
constituent avant tout un mécanisme de dissuasion »861.
835F
574. En Europe, la conception de la justice civile est toute différente puisque historiquement le droit et
sa mise en œuvre relève du pouvoir souverain du roi, devenu l’Etat et ses démembrements. Une
distinction, dans ce cadre, est faite entre la justice pénale, qui tend à la répression d’un
comportement adopté en violation de la loi, et entre la justice civile, qui tend à la seule réparation du
préjudice subi par la victime, l’une protégeant l’intérêt général et l’autre l’intérêt particulier. Dans ce
cadre, une distinction est faite entre le rôle des pouvoirs publics, qui sont en charge de la sanction
des comportements déviants et le rôle de la victime, qui devra porter son action, à titre personnel,
pour obtenir la réparation du préjudice causé du fait de ce comportement déviant. Les autorités
administratives de concurrence ont jusqu’à présent toujours rempli ce rôle d’autorité de sanction, en
cas de violation des règles nationales comme communautaires.
859
Making antitrust damages actions more effective in the EU: welfare impact and potential scenarios, Rapport Final,
Bruxelles, Rome et Rotterdam, le 21 Déc. 2007, op. cit.
860
Résolution du Parlement européen, du 25 avr. 2007, sur le Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour
infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », (2006/2207(INI)).
861
Making antitrust damages actions more effective in the EU: welfare impact and potential scenarios, Rapport Final,
Bruxelles, Rome et Rotterdam, le 21 Déc. 2007, op. cit., p. 137.
272
575. L’attachement à cette distinction en Europe est fort. Le Conseil de la concurrence français luimême s’est prononcé en faveur du maintien de cette distinction entre les rôles des différents
protagonistes et pour le respect de la distinction entre justice répressive et justice réparatrice. Le
Conseil de la concurrence (devenu l’Autorité de la Concurrence depuis 2009) a en effet pris parti sur
la question des actions de groupes en droit de la concurrence dans un avis du 21 septembre 2006 862,
836 F
sollicité par le directeur général de la concurrence, de la consommation, et de la répression des
fraudes (DGCCRF) et le directeur des affaires civiles et du Sceaux (DACS) 863. Il rappelle, en tout
837F
premier lieu, le rôle des pouvoirs publics, dans la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles, qui
doit primer sur l’action privée. Il déclare ainsi : « A la différence des Etats-Unis, la mise en œuvre de
la répression des pratiques anticoncurrentielles est confiée à titre principal, en Europe, à des
autorités spécialisées, dotées d’un pouvoir de sanction administrative (action publique) […].Cette
primauté de l’action publique correspond à une pratique désormais bien établie et permet de mettre
en œuvre une véritable politique de la concurrence à l’échelle de l’Union européenne, dont
l’objectif est de créer un marché unique sur lequel s’exerce une concurrence non faussée. Dans un
tel contexte, le recours direct aux juridictions (actions privées) ne peut avoir la même efficacité que
l’action publique ainsi organisée. A ce stade de l’intégration du marché européen, il n’apparaît pas
nécessaire de modifier ces équilibres. Le système doit reposer sur une mise en œuvre du droit de la
concurrence dans un cadre public fort, même si son efficacité peut être améliorée ou renforcée par
une action privée maîtrisée »864. Le Conseil ajoute que : « Dans le cadre d’une réflexion sur les
8 38F
actions de groupe, il convient donc de garder à l’esprit la distinction entre l’action répressive et
régulatrice menée à l’initiative des autorités publiques de concurrence et l’action privée à vocation
réparatrice, engagée par les victimes des pratiques anticoncurrentielles devant les tribunaux »865.
839F
Comme mentionné par le Conseil, cette distinction entre justice civile et justice pénale est une
question d’équilibre entre l’action publique et l’action privée. Il ne s’agit pas d’aboutir à une
politique du « tout répressif ».
862
Avis du Conseil de la concurrence du 21 sept. 2006, relatif à l’introduction de l’action de groupe en matière de pratiques
anticoncurrentielles, www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/classactions.pdf.
863
Le Conseil de la concurrence a été sollicité par le directeur général de la DGCCRF et par le directeur des affaires civiles
et du Sceaux dans la cadre d’un groupe de travail chargé de réfléchir sur les améliorations éventuelles à apporter à la
procédure de l’action en représentation conjointe de l’article L422-1 du Code de la consommation et sur l’opportunité
d’introduire une nouvelle action de groupe en droit positif. Le rapport de ce groupe de travail a été remis au Ministre de
l’Economie et des Finances et au Ministre de la Justice en date du 16 déc. 2005.
864
Avis du Conseil de la concurrence du 21 sept. 2006, relatif à l’introduction de l’action de groupe en matière de pratiques
anticoncurrentielles, www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/classactions.pdf, p. 1.
865
Avis du Conseil de la concurrence du 21 sept. 2006, relatif à l’introduction de l’action de groupe en matière de pratiques
anticoncurrentielles, www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/classactions.pdf, p. 2.
273
576. Comme souligné par certains auteurs 866, la frontière entre les deux justices n’est pas
840 F
imperméable. En effet, par exemple, le juge pénal peut prononcer des dommages et intérêts au profit
du demandeur, partie civile, au procès pénal. Cependant, l’inverse est moins accepté, même si les
tentations sont fortes. Le concept de dommages et intérêts punitifs a fait l’objet de plusieurs
tentatives d’introduction en droit interne des Etats membres. De plus, le caractère intrinsèquement
dissuasif de l’allocation de dommages et intérêts compensatoires par le juge civil ne peut être nié. En
effet, l’imposition d’une nouvelle pénalité financière à l’entreprise par le biais des dommages et
intérêts renforce en elle-même la dissuasion pour les entreprises d’adopter un comportement
anticoncurrentiel 867. Cependant, il en est autrement lorsque l’on envisage de construire son système
841F
civil en fonction du seul caractère répressif et dissuasif des dommages et intérêts, en niant les
principes directeurs de la responsabilité civile et sa fonction principalement réparatrice868.
577. La société évolue. La globalisation des marchés fait que l’individu occupe une place de plus en
plus importante dans son fonctionnement. La justice doit s’adapter à ces évolutions. Cependant, doiton faire reposer la charge du contrôle de l’effectivité des règles de droit sur l’individu et lui laisser le
soin de veiller sur le bien-être de tous et ce au mépris de plusieurs siècles de traditions ? Est-ce que
cette vision de la société doit être défendue et même encouragée au mépris de tous les principes de
droit et d’organisation sur lesquelles repose notre société ? Le débat sur l’action de groupe se
développe maintenant depuis plusieurs années au sein de l’Union sans qu’aucune mesure n’ait été
adoptée. Il suscite toujours autant de commentaires et de points de vue divergents. Cela s’explique
par le fait qu’il implique de s’interroger sur la justice de demain. Doit-on suivre l’exemple américain
et encourager le rôle central de l’individu dans la mise en œuvre et le respect des règles et des droits
ou au contraire doit-on limiter l’influence de ce système pour sauvegarder les fondements de notre
propre système qui depuis des siècles a fait ses preuves ? Est-ce que de simples aménagements de
nos principes ne permettraient pas de parvenir à une solution équitable et équilibrée ?
866
Voir en ce sens G. Viney, Quelques propositions de réforme du droit de la responsabilité civile, recueil Dalloz 2009, p.
2944 ; François-Xavier Licari, Note sous Cour d’appel de Poitiers, première chambre civile, 26 fév. 2009, pourvoi
n°07/02.404, Journal du Droit International (Clunet), 1 er oct. 2010, n° 2010-4, p. 1230-1263.
867
Voir l’avis du Conseil de la concurrence du 21 sept. 2006, relatif à l’introduction de l’action de groupe en matière de
pratiques anticoncurrentielles, www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/classactions.pdf, p. 9, § 31, Le Conseil a souligné le
caractère intrinsèquement dissuasif des actions privées en considérant que « A côté des sanctions publiques qui, eu égard à
leurs montants désormais élevés, contribuent à dissuader les entreprises de se livrer à des pratiques prohibées, les actions
de groupe peuvent être un facteur de dissuasion supplémentaire, puisqu’elles augmentent le risque financier pour l’auteur
de l’infraction ».
868
F. Polverino, A Class Action Model For Antitrust Damages Litigation In The European Union, University of Chicago
Law School, Working paper Series, August 29, 2006, p. 28 et s.
274
578. Une chose est sûre. Privilégier un système de recours civils à l’américaine signifie tendre vers une
justice forcément pécuniaire. Le succès du système américain repose sur l’incitation à l’exercice de
l’action, via la remise en cause de la réparation intégrale du préjudice surtout, mais aussi via la
facilitation de la preuve. Il est important de peser les conséquences de chacune des modifications
envisagées. Cette question est d’autant plus importante que la position adoptée aura des
répercussions, à terme, sur les autres domaines du droit, notamment sur le droit de l’environnement,
ou le droit boursier. La mesure sectorielle laissera la place à une mesure générale.
579. Très souvent, le renforcement des actions civiles en tant qu’outil de la politique répressive, menée
par les pouvoirs publics, est perçu comme un moyen de pallier le manque de ressources matérielles
et financières des pouvoirs publics. Ainsi il peut contribuer à la détection des infractions par
exemple. Cependant, promouvoir la peine privée en lieu et place de la peine publique est fortement
différent. Cela peut en effet se révéler contre-productif car le bénéfice de la peine privée est réservé
à la victime et à ses avocats et non au trésor public. Ainsi à terme un tel système peut avoir pour
conséquences d’accentuer le manque de moyens des pouvoirs publics
580. Conclusion du §.1. Face aux insuffisances et aux obstacles constatés dans l’exercice des recours
civils en matière de droit de la concurrence, la DG Concurrence de la Commission européenne,
s’appuyant sur les propositions de réformes de l’Etude Ashurst, a formulé des propositions de
réforme de la responsabilité afin d’y remédier. Elle envisage ainsi l’assouplissement des règles de
responsabilité civile pour le droit de la concurrence et elle propose de recourir à certaines modalités
d’exercice de l’action propre à la Common Law, et en particulier au système judiciaire américain,
comme à la procédure de Discovery ou aux Contingency Fees Agreements. L’objectif de la
Commission, qui se fonde pour cela sur la jurisprudence de la CJUE, est, outre la facilitation des
recours civils, le renforcement de sa politique de répression des violations du droit de la
concurrence. Les actions civiles, telles que proposées, ont alors pour objectif premier d’augmenter le
montant de la sanction pécuniaire encourue par l’entreprise et ainsi de renforcer la dissuasion de
commettre une infraction. Les choix effectués par la Commission dans son Livre vert contribuent à
la confusion des genres entre le rôle des pouvoirs publics et des autorités de concurrences dans la
répression des pratiques anticoncurrentielles et le rôle de la victime. La Commission, comme les
auteurs du rapport Ashurst n’ont pas tenu compte du fait que la problématique des recours civils
devait être envisagée au regard des traditions juridiques des Etats membres de l’Union, qui sont pour
la plupart des pays de droit romano-germanique. Ils ont ainsi tenté d’introduire des principes très
275
différents de ceux qui gouvernent notre droit et qui toucheraient à la conception même de
l’organisation de notre justice. Cependant, la cohérence de la mesure au regard du système dans
lequel elle va s’inscrire est déterminante de l’acceptabilité et de l’efficacité de cette mesure.
581. Transition. Les propositions formulées par la Commission dans le Livre vert ont suscité de
nombreuses réactions 869. Plusieurs commentateurs ont dès ce stade souligné la différence de finalité
842F
entre les deux systèmes de droit – entre le système romano-germanique et le système américain de
Common Law – et dénoncé les incompatibilités entre certaines des propositions et les traditions
juridiques des Etats membres 870. Ces critiques ont conduit la Commission européenne à revenir sur
843F
certaines propositions formulées dans le Livre vert, même si l’objectif de cette dernière reste
inchangé.
§2) Le recours civil aménagé pour le droit de la concurrence
582. La Commission européenne a formulé une seconde série de propositions dans un Livre blanc
publié le 2 avril 2008 871. Elle tient alors compte des traditions juridiques et des principes
84F
fondamentaux des Etats membres. En effet, dans ce document, la position de la Commission
européenne a évolué. En introduction, elle déclare que « le montant des dommages et intérêts dont
sont actuellement privées ces victimes [à savoir, les victimes d’infractions aux règles de
concurrence communautaires] est de l’ordre de plusieurs milliards d’euros par an »872. Ainsi,
845 F
l’objectif premier du Livre blanc est « d’améliorer les conditions juridiques dans lesquelles les
victimes exercent leur droit, conféré par le traité, de demander réparation de tous les dommages
subis du fait d’une infraction aux règles de concurrence communautaires »873. Elle pose alors,
846F
869
On recence, en effet, 144 contributions sur le site de la Direction Générale de la Concurrence de la Commission
européenne sur le Livre vert, soumis à consultation pendant la période du 20 décembre 2005 au 21 avril 2006,
http://ec.europa.eu/competition/antitrust/actionsdamages/index.html.
870
Voir à titre d’exemple la Réponse de l’AFEC au Livre vert « Action en dommages et intérêts pour infraction aux règles
communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », accessible à l’adresse suivante
http://ec.europa.eu/competition/antitrust/actionsdamages/green_paper_comments.html; l’avis du Conseil de la concurrence
du 21 sept. 2006, relatif à l’introduction de l’action de groupe en matière de pratiques anticoncurrentielles,
www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/classactions.pdf, p. 2.
871
Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux
règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final.
872
Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux
règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 2; Plus en détail le
Livre blanc renvoie à l’étude d’impact, qui renvoie elle-même aux estimations de Connors (Making antitrust damages
actions more effective in the EU: welfare impact and potential scenarios, Rapport Final, Bruxelles, Rome and Rotterdam,
le 21 Déc. 2007, op. cit., p. 77 et suivantes, point 2.2.).
873
Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux
règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 3.
276
comme premier principe directeur, le principe de l’indemnisation intégrale des victimes 874. Elle
847F
ajoute tout de même que le renforcement des actions en indemnisation permettrait qu’ « un plus
grand nombre de restrictions de concurrence soient détectées » et « produirait […], intrinsèquement,
des effets bénéfiques du point de vue de la dissuasion d’infractions futures, ainsi qu’un plus grand
respect des règles de concurrence communautaires »875. Elle pose ensuite un second principe
84F
directeur « selon lequel le cadre juridique propre à assurer une plus grande efficacité des actions en
dommages et intérêts pour infraction aux règles de concurrence doit reposer sur une approche
véritablement européenne » 876. Elle ajoute que les propositions formulées s’inscrivent dans « la
849 F
culture et les traditions juridiques européennes » 877. Le dernier principe directeur est la préservation
8 50F
« de la fermeté de l’application des articles 81et 82 dans la sphère publique par la Commission et
les autorités de concurrence des Etats membres »878. Elle ajoute que le renforcement des actions en
8 51F
indemnisation a simplement pour objet de compléter l’action publique « sans la remplacer, ni la
compromettre »879. Ainsi la volonté politique de la Commission de revenir à une conception plus
8 52F
proche des traditions juridique européennes est clairement apparente dans l’introduction du Livre
blanc 880. De plus, la Commission semble avoir renoncé à certaines institutions caractéristiques de
853F
Common Law américaine comme les Contingency fees agreements, ou encore la cross examination.
583. Cependant, des ambigüités demeurent sur les intentions de la Commission, au regard des
propositions formulées. La Commission parle de « caractéristiques particulières » concernant les
actions en dommages et intérêts, qui seraient « insuffisamment prises en compte dans les règles
traditionnelles de responsabilité et de procédure civiles », et qui conduiraient à une « importante
insécurité juridique » 881. Elle identifie trois particularités du droit de la concurrence : « une analyse
854 F
factuelle et économique très complexe qui doit être réalisée, […] l’inaccessibilité et la dissimulation
fréquentes des éléments de preuve déterminants dont disposent les défendeurs [et] le rapport
874
Ibid.
Ibid.
876
Ibid.
877
Ibid.
878
Ibid, p. 4.
879
Ibid.
880
C. Norall and A. Seabra Ferreira, European Commission Publishes White Paper on Damage Actions For Breach of the
EU Antitrust Rules, le 9 avr. 2008, paru sur www.mondaq.com; G. Sproul, Fostering A Competition Culture, Not A
Litigation Culture – The European Commission’s « Damages » White Paper, le 23 Avr. 2008, paru sur www.mondaq.com;
Facilitating compensation for breach of competition rules: the White paper, Freshfields Bruckhaus Deringer Briefing, Avr.
2008.
881
Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux
règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 2.
875
277
risques/récompenses souvent défavorables aux requérants »882. A partir de ces constats, elle formule
85F
de nouvelles propositions, qui appellent certains questionnements. Tout d’abord, elle définit
largement le champ de la protection devant être dévolue aux victimes de violations du droit de la
concurrence, ce qui permet d’examiner le champ de l’action collective (A). Ensuite, elle aménage
substantiellement les règles de la responsabilité civile, en vue de favoriser le recours civil en droit de
la concurrence, qui relance la question de sa finalité (B).
584. La question de la détermination du préjudice, qui a été traitée dans le chapitre précédent, ne sera
pas abordée ici. Il en est de même des questions relatives aux coûts de la procédure, qui seront
traitées dans la seconde partie des développements.
A) Le champ élargi des recours civils en droit de la concurrence
585. Les nouvelles propositions de la DG Concurrence amènent à s’interroger sur la nécessité d’une
protection générale des victimes potentielles des violations du droit de la concurrence et à identifier
les personnes et les infractions visées. Dans une consultation publique sur les recours collectifs,
initiée postérieurement par la Direction Générale pour la Justice, la Liberté et la Sécurité de la
Commission européenne (ci-après « DG Justice ») 883 en collaboration avec la DG Concurrence et la
856F
DG Sanco, ces dernières parlent de « plus value », devant être apportée par le projet européen. Il
faut alors s’interroger sur la « plus value » des propositions de la DG Concurrence.
586. En avril 2008, la Commission européenne a effectivement publié un nouveau document de
travail, appelé « Livre blanc » qui porte, à l’instar du Livre vert, sur les actions en dommages et
intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position
dominante. Dans ce Livre blanc, la Commission définit un large champ d’application pour son
action en la matière. En effet, elle considère que « les questions abordées dans le livre blanc
concernent, en principe, toutes les catégories de victimes, tous les types d’infractions aux articles 81
et 82 et tous les secteurs de l’économie »884. Elle ajoute que le Livre blanc touche également tant
8 57F
aux actions indépendantes qu’aux actions de suite, c'est-à-dire aussi bien les actions engagées en
l’absence de décision de la part d’une autorité de concurrence que les actions faisant suite à une
882
Ibid.
Renforcer la cohérence de l'approche européenne en matière de recours collectifs, Document de travail des services de
la Commission européenne, Consultation publique, 4 fév. 2011, SEC(2011) 173 final.
884
Ibid, p. 4.
883
278
décision de condamnation des défendeurs par une autorité de concurrence 885 (1). Dans ce cadre, la
85F
Commission envisage les recours de tous les acheteurs, directs ou indirects, comme cela sera
examiné avec la question de la répercussion des surcoûts (2).
1) Le renforcement des recours civils en droit de la concurrence
a) Une définition large du champ de l’action
587. Seront tout d’abord envisagées les infractions visées par la DG Concurrence (i), puis la
population visée (ii).
i) Une procédure ouverte à tous types d’infractions constatées ou non
588. Les infractions aux articles 101 et 102 TFUE. Dans ces propositions, la Commission vise aussi
bien les infractions prévues aux articles 101 et 102 TFUE, c'est-à-dire les pratiques concertées
comme les abus de position dominante. De même, s’agissant des seules pratiques concertées, la
Commission ne distingue pas le simple échange d’informations sensibles, susceptible de sanctions
en tant qu’infraction per se, de l’entente injustifiable (hardcore cartel). Cependant, cette dernière
infraction se caractérise tant par un élément matériel qu’un élément intentionnel et elle fut
considérée comme l’infraction la plus grave au droit de la concurrence par l’Organisation de
Coopération et de Développement Economiques (OCDE) 886. Ainsi la Commission n’a pas déterminé
859F
des priorités d’action. Elle englobe l’ensemble des infractions au droit de la concurrence. De plus, la
Commission appréhende avec le même type d’outil, au premier rang desquels l’action de groupe,
d’une part, l’abus de position dominante qui est une pratique unilatérale et les accords entre
concurrents, qui sont des pratiques concertées. De plus, de nombreuses modalités proposées ne sont
pertinentes que pour les ententes.
589. Les actions « sans poursuite préalable » et « après condamnation par une autorité de
concurrence ». Ensuite, la Commission vise aussi bien les recours civils qui suivraient une
condamnation par une autorité de la concurrence des entreprises participantes à la pratique
anticoncurrentielle (« follow-on ») que les actions qui seraient introduites en préalable de toute
poursuite par les autorités publiques (« stand alone »). Les deux types d’actions ne nécessitent pas
que l’on adopte les mêmes mesures. En effet, dans le premier cas, il s’agit de se concentrer sur,
885
886
Ibid.
Voir les recommandations de 1998, du Conseil de l’OCDE, C(98)35/FINAL.
279
d’une part, l’accessibilité des parties aux pièces du dossier pénal ou administratif et ce, dans le
respect des droits de la défense et de la protection des données et, d’autre part, sur l’articulation de
l’action publique et de l’action privée. Dans le second cas, il s’agit de mettre l’accent sur les moyens
d’obtention de l’information utile à la résolution du conflit par les demandeurs dans l’hypothèse où,
par nature, il existe une asymétrie d’informations entre les parties à l’action. Le fait d’appréhender le
second type d’action en indemnisation est intéressant pour les autorités de concurrence puisque de
telles actions permettent la détection de nouvelles pratiques illégales. Aux Etats-Unis, 90% des
ententes sont détectées par l’action des demandeurs au civil. Cependant, et encore une fois, les
demandeurs américains ont les moyens tant procéduraux que matériels d’aller chercher la preuve de
l’infraction eux-mêmes et ce, grâce notamment à la procédure de Discovery. Il faut s’interroger sur
l’utilité d’aller au-delà du simple accès renforcé des justiciables au juge. En ce sens, le Conseil de la
Concurrence français n’est pas favorable à la facilitation des actions « stand alone », considérant que
des interactions négatives peuvent se faire entre l’action des autorités de concurrence et en parallèle
le traitement des dommages et intérêts par les juges civils. La seconde action peut notamment alerter
les contrevenants d’une possible détection de la pratique et ainsi conduire à la possible destruction
d’éléments de preuve indispensables à la sanction administrative. Pour le Conseil, les actions civiles
ne doivent pas suppléer l’action des autorités de concurrence 887.
860F
590. Ainsi ne serait-il pas opportun de restreindre les ambitions de la Commission pour adopter une
démarche cohérente avec l’action des pouvoirs publics et agir en priorité sur les infractions jugées
les plus graves. Il serait possible ainsi de limiter le champ de l’action aux ententes injustifiables et de
ne pas distinguer entre les infractions qui suivent ou non une condamnation par une autorité, laissant
alors le soin au juge au cas par cas d’appréhender les éléments de preuve apportés par le demandeur.
Il ne s’agirait alors que d’encadrer l’accès aux preuves détenues par les autorités de concurrence.
Ensuite, il faut s’interroger sur les personnes visées par ces actions.
ii) Une procédure ouverte à tous demandeurs, entreprises ou consommateurs
591. La Commission met en exergue un déficit de l’action civile et la nécessité de renforcer l’accès au
juge civil en cas de violation au droit de la concurrence. Cependant, dans un souci d’efficacité, il
faut s’interroger sur la population à protéger en priorité et la population pour laquelle l’action
communautaire pourrait apparaître comme une « plus-value ». Dans son Livre blanc, la Commission
887
Avis du Conseil de la concurrence du 21 sept. 2006, relatif à l’introduction de l’action de groupe en matière de pratiques
anticoncurrentielles, www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/classactions.pdf.
280
appréhende aussi bien l’acheteur direct, que l’acheteur indirect. Elle justifie alors sa position en
rappelant les jurisprudences Courage et Manfredi de la CJCE 888, qui disposent que « toute
861F
personne » doit pouvoir obtenir réparation de son préjudice
889
862F
. Elle est alors soutenue par le
Parlement européen dans sa démarche, qui parle également d’un droit à réparation tant pour les
consommateurs que pour les entreprises 890. La Commission applique la même règle qu’il s’agisse
863F
des actions individuelles ou des actions collectives. Cependant, il faut se demander si les entreprises
doivent bénéficier d’une protection identique à celle des consommateurs, en particulier dans le cadre
de la procédure collective et ce quand bien même il s’agirait d’une petite ou d’une moyenne
entreprise.
592. Les entreprises comme les consommateurs dans les recours collectifs. La Commission offre un
panel de deux procédures de recours collectifs qui peuvent être utilisées de façon complémentaire :
une action en représentation et une action de groupe. Ces deux procédures seraient ouvertes aux
consommateurs comme aux entreprises, « en particulier celles qui ont subi de manière sporadique
des dommages de faible valeur », et qui « sont souvent dissuadés d’engager des actions
individuelles en dommages et intérêts en raison des coûts, des délais, des incertitudes, des risques et
des contraintes que cela suppose »891.
864 F
593. La Commission vise ainsi toutes les entreprises même si elle met l’accent sur les Petites et
Moyennes Entreprises (PME). Elle définit alors le terme d’ « entreprise » comme « toute personne,
morale ou physique, agissant à des fins relevant principalement de leurs activités commerciales et
de la profession (voir également pour la définition le Livre vert sur la révision de l’acquis
communautaire en matière de protection des consommateurs COM(2006) 744 final) » 892. Elle ajoute
8 65F
que « s'il n'est pas opportun d'établir certains seuils (par exemple en termes de taille ou de chiffre
d'affaires) pour agir, les mécanismes de recours collectif seraient plus utilisés par les petites
888
CJCE, 20 sept. 2001, aff. C-453/99, Courage Ltd c. Bernard Crehan, sur question préjudicielle, §. 26 et CJCE, 13
juil.2006, aff. jointes C-295/04 à C-298/04, Vincenzo Manfredi, §. 61.
889
Document de travail des Services de la Commission, accompagnant le Livre blanc de la Commission européenne, du 2
avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de
position dominante, COM(2008) 165 final, p. 14.
890
Résolution du Parlement européen, du 25 avr. 2007, sur le Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour
infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », (2006/2207 (INI)), considérant
G.
891
Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux
règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 4.
892
Document de travail des Services de la Commission, accompagnant le Livre blanc de la Commission européenne, du 2
avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de
position dominante, COM(2008) 165 final, p. 15, note de bas de page n° 23.
281
entreprises pour lesquelles ils seraient particulièrement bien adaptés étant donné les obstacles
auxquels elles font face quand elles ont à intenter une action en dommages-intérêts. Ces obstacles
ne sont généralement pas rencontrés de la même manière par les grandes entreprises » 893. Elle ne
86 F
fixe ainsi aucun seuil de taille ou de chiffre d’affaires pour accéder à ce type de procédure.
594. Dans son document de travail, la Commission justifie son choix de l’action en représentation pour
les entreprises comme pour les consommateurs en considérant qu’ « une action en dommagesintérêts contre les auteurs de l’infraction est liée à leur activité principale (à savoir la protection des
intérêts spécifiques), tandis que les petites entreprises en particulier peuvent ne pas être en mesure
d'investir du temps et des ressources dans une action au détriment de leur activité professionnelle
habituelle. Aussi les entreprises, en particulier les PME, peuvent être réticents à intenter une action
contre un partenaire commercial avec lequel ils exercent leurs activités sur une base régulière. De
même, pour les consommateurs, les coûts, les retards et les charges administratives de la procédure
judiciaire peuvent les dissuader d'intenter une action, en particulier s’ils ont subi une perte
économique relativement faible »894.
867F
595. Pour certains auteurs, la prise en compte des Petites et Moyennes Entreprises (PME) est un point
très positif car ils considèrent qu’elles sont très souvent oubliées dans les débats 895. Cependant, il est
86F
possible de s’interroger sur l’opportunité de consacrer la même protection à des contractants,
consommateurs finaux et à des entreprises, mêmes si ces dernières sont de petites tailles ou ont des
ressources limitées comparativement à d’autres entreprises. La Commission ne définit pas dans ce
cas de seuils. Cependant des objections peuvent être formulées s’agissant de consentir une même
protection aux consommateurs et aux entreprises. Tout d’abord, l’acceptation de ce champ d’action
ne pourrait être justifiée par l’approche du droit consumériste. En effet, la protection des
consommateurs s’explique à travers le rapport contractuel déséquilibré entre un professionnel averti
et un consommateur non informé. Par principe le consommateur est défini comme « la personne qui
conclut avec un professionnel un contrat lui conférant la propriété ou la jouissance d’un bien ou
893
Ibid.
Document de travail des Services de la Commission, accompagnant le Livre blanc de la Commission européenne, du 2
avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de
position dominante, COM(2008) 165 final, p. 19, point 50.
895
Inciter les dommages et intérêts en droit de la concurrence : le point de vue d’une concurrentialiste, par Mme Prieto
(C.), p. 8, dans Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les
ententes et les abus de position dominante, Journée d’étude organisée conjointement par le Collège européen de Paris de
l’Université Panthéon-Assas (Paris II), et l’Association Française d’Etude de la Concurrence (AFEC), Paris, le 13 juin
2008, Actes publiés s. dir. du Prof. L. Idot, dans la Revue Concurrences n°2-2009.
894
282
d’un service destiné à un usage personnel ou familial »896. Le critère central est alors le but de la
869F
souscription du contrat, c'est-à-dire l’usage non professionnel du bien ou du service pour lequel le
contrat a été souscrit. Un professionnel, qui conclut un contrat pour son usage personnel, sera
considéré comme un consommateur et pourra bénéficier de la protection afférente à son statut. En
prenant en compte aussi bien le consommateur que l’entreprise, la logique du droit consumériste est
écartée, le critère de l’usage non professionnel ne permettant pas de distinguer une PME d’une
entreprise de taille intermédiaire ou de grande taille. Ensuite, au regard de la définition européenne
des petites et moyennes entreprises, une parties des entreprises visées par la protection ont largement
les moyens d’engager une action, à titre individuel et ce, quel que soit le montant du litige. Il s’agit
pour leur part d’un calcul d’opportunité. En effet, une petite entreprise est « une entreprise dont
l'effectif est inférieur à 50 personnes et dont le chiffre d'affaires ou le total du bilan annuel n'excède
pas 10 millions d'euros » et une moyenne entreprise est « une entreprise dont l'effectif est inférieur à
250 personnes et dont le chiffre d'affaires n'excède pas 50 millions d'euros ou dont le total du bilan
annuel n'excède pas 43 millions d'euros »897. Ces chiffres sont assez éloignés des ressources des
870F
particuliers-consommateurs. De plus, du fait de leur activité professionnelle, ces entreprises sont
familiarisées avec les pratiques contentieuses, même si ces pratiques ne donnent pas toujours lieu à
un recours judiciaire. Ainsi, elles peuvent faire face à la « complexité » de la procédure judiciaire.
Enfin, les PME peuvent constituer un grand nombre d’entreprises dans certains pays. En France, en
2007, les micro-entreprises, comptabilisées au titre des PME étaient au nombre de 2 660 000, les
PME (non micro-entreprises) étaient au nombre de 162 400, les entreprises de taille intermédiaire
(ETI) étaient au nombre de 4 600 tandis que les Grandes entreprises (GE) étaient au nombre de
242 898. La dérogation à l’exercice individuel du recours concernerait 2 822 400 entreprises, soit plus
871F
de 99% des entreprises.
596. Une pratique se développe, de manière insidieuse, dans les contentieux aux Etats-Unis. Dans ce
pays, l’action de groupe est ouverte à tous les justiciables et en droit de la concurrence aux
896
Lexique des termes juridiques 2012, Guinchard (S.) et Debard (T.), Dalloz, 19ème éd., 2011, p. 221 ; Voir aussi
Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 déc. 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et
l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, JO L 12 du 16 janv. 2001, p. 1–23, art. 15 ; Code de la
Consommation français, art. L132-1.
897
Recommandation n° 2003/361/CE de la Commission, du 6 mai 2003, concernant la définition des micros, petites et
moyennes entreprises, Journal officiel L 124 du 20.05.2003 ; Pour la France, voir Décret n° 2008-1354 du 18 déc. 2008
relatif aux critères permettant de déterminer la catégorie d'appartenance d'une entreprise pour les besoins de l'analyse
statistique et économique, NOR: ECES0828576D, article 2 (définition identique).
898
V. Hecquet, Quatre nouvelles catégories d'entreprise, Une meilleure vision du tissu productif, division Profilage et
traitement des grandes unités, Insee, chiffres disponibles à l’adresse suivante :
http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?id=3095&reg_id=0#inter2.
283
entreprises également sans égard à la taille de ces dernières. Ainsi, il n’est pas rare que les actions de
groupe soient engagées par de grandes entreprises à l’encontre d’autres grandes entreprises.
Cependant, ces grosses entreprises peuvent n’entrer, dans la procédure, que pour profiter de cette
dernière et faire augmenter la pression sur le défendeur. Au moment venu, elle peut s’exclure de la
procédure et arriver en position de force pour négocier une résolution à l’amiable du dossier. Cette
pratique est contraire à la recherche d’efficacité dans le traitement des demandes et résulte alors
seulement d’une stratégie d’action qui fait fi du bien-fondé de l’action.
597. Sur l’opportunité d’adopter un seuil, cette question est très délicate. Cependant, elle peut être le
moyen d’objectiver la problématique. En effet, des difficultés importantes se posent dès lors que le
litige porte sur un faible montant. Dans ce cas, la balance coûts et bénéfices peut être neutre ou
négative, ce qui dissuade tout demandeur potentiel de porter son action en justice et cela qu’il soit un
consommateur ou une entreprise.
598. En outre, le recours collectif pour les entreprises peut avoir un intérêt pour le juge dès lors que
l’on envisage la procédure sous le seul angle de la bonne administration de la justice. En effet, dès
lors qu’il y aurait un litige de masse en droit de la concurrence qui concernerait des entreprises,
acheteuses directes, le traitement collectif des demandes peut être bénéfique car il permet de
rationnaliser le travail de la justice. Cependant, les moyens utilisés pourraient alors être autres que
ceux utilisés dans le cadre de la protection des consommateurs ou des justiciables dans le cadre de
petits litiges. En effet, au regard de l’exemple de l’action en représentation, cette action doit-elle être
réservée à la représentation de justiciables, pour qui la réalisation d’acte engageant comme une
action en justice peut être dissuasive eu égard aux enjeux du litige, comme les consommateurs ? En
effet, est-ce que des entreprises, dont la finalité est par nature de grandir et de prendre alors de plus
en plus d’engagements contraignants, doivent-elles se voir offrir la même protection que les
consommateurs ? Ne serait-il pas possible de voir dans cette proposition un risque de dérives
conduisant dans une certaine mesure à une déresponsabilisation du comportement du justiciable,
entreprise ? Ne serait-il pas alors possible de prévoir des moyens intermédiaires, qui permettent une
rationalisation du traitement de masse des demandes des entreprises pour les litiges de taille
moyenne ? Les procédures « modèles », qui existent en Allemagne ou au Royaume-Uni, peuvent
ainsi être envisagées.
284
599. Une différenciation pourrait être faite entre la protection à donner à des entreprises, victimes de la
pratique anticoncurrentielle de leur cocontractant dans les litiges de taille intermédiaire et la
protection devant être dévolue à des consommateurs et/ou à tout justiciable dans les petits litiges de
masse. Il pourrait s’agir alors de recourir à des outils différents permettant une adaptation au plus
près des besoins de chaque type de demandeurs et de chaque type de litige tout en évitant certaines
dérives, comme la déresponsabilisation des comportements des justiciables.
600. Conclusion du a). La tentation d’ouvrir le champ de l’action civile à tous suivant les modalités
les moins contraignantes est forte pour la Commission européenne comme en témoignent les
propositions formulées dans le Livre blanc. Cependant, à trop vouloir ouvrir la procédure, des
problèmes d’adaptation aux besoins réels peuvent se poser dès lors que des affaires différentes
pourraient se voir appliquer un même traitement. De même, ce système peut également aboutir à une
situation où des cas similaires pourraient recevoir un traitement différencié. Ainsi apparaît le besoin
de fixer des priorités quant aux situations à appréhender et de cibler des procédures en fonction des
populations et du type de litige visés. Comme cela est maintenant bien établi, les procédures
collectives peuvent revêtir plusieurs formes. Cette diversité peut être utilisée pour coller au plus prêt
des besoins des justiciables, afin de pallier les dérives éventuelles du système, qui comme souvent
rappelé, est dérogatoire au droit commun et doit le rester. Le large champ de l’action civile, telle
qu’appréhendée par la Commission, peut également conduire à complexifier le recours civil, comme
l’illustre la problématique de la répercussion des surcoûts (passing-on).
b) La complexification de l’action : l’exemple de la répercussion du surcoût
601. Comme cela a été noté par le Conseil de la concurrence français dans son avis de septembre 2006,
« un grand nombre de cas soumis à l’appréciation des autorités de concurrence concerne des biens
intermédiaires offerts sur un marché de gros qui se substitue en amont du marché de détail sur
lequel s’exprime la demande des consommateurs» 899. Ainsi se pose la question de la possibilité pour
872 F
le défendeur de faire valoir que l’acheteur direct a répercuté le surcoût engendré par la pratique
anticoncurrentielle sur l’acheteur indirect. La Commission a explicité de manière très claire cette
problématique dans le Livre vert : « Le «moyen de défense portant sur la répercussion des surcoûts»
concerne le traitement juridique du fait qu'une entreprise qui effectue un achat auprès d'un
fournisseur dont le comportement est contraire au droit de la concurrence a la possibilité d'atténuer
899
Avis du 21 sept. 2006 relatif à l’introduction de l’action de groupe en matière de pratiques anticoncurrentielles, op. cit.,
point 34, p. 9.
285
sa perte économique en répercutant le surcoût subi sur ses propres clients. Le dommage causé par
un comportement anticoncurrentiel peut ainsi être répercuté en aval sur la chaîne de distribution,
voire être subi intégralement par le dernier acheteur, c'est à dire le consommateur final. Il convient
de considérer, en droit, si l'auteur de l'infraction devrait être autorisé à utiliser cette répercussion
des surcoûts comme moyen de défense. De même, il conviendra d'examiner si les acheteurs
indirects, sur lesquels les surcoûts auront ou non été répercutés, ont qualité pour agir »900.
873F
602. La Commission propose alors d’une part que « les défendeurs soient en droit d'invoquer la
répercussion des surcoûts comme moyen de défense contre une demande d'indemnisation desdits
surcoûts. Le niveau de preuve requis pour ce moyen de défense ne devrait pas être inférieur à celui
imposé au requérant pour prouver les dommages subis »
901
874F
et d’autre part, que « les acheteurs
indirects puissent se fonder sur la présomption réfragable que le surcoût illégal a été répercuté sur
eux dans sa totalité »902.
875F
603. La proposition de la Commission présente de nombreux intérêts. Sur le premier volet, la
proposition s’inscrit dans la théorie de la réparation intégrale du préjudice et de son corollaire de
l’enrichissement sans cause. L’acheteur direct ayant répercuté son prix sur l’acheteur indirect ne
pourra percevoir d’indemnisation. Le défendeur n’aura pas à indemniser deux fois le même
préjudice. Sur le second volet, la présomption permet la facilitation de la preuve pour l’acheteur
indirect, pour qui il est par nature plus difficile d’apporter la preuve de la faute et du dommage.
Cependant, cette proposition a, surtout, pour résultat de rendre plus complexe le traitement des
demandes et elle n’est pas adaptée à la réalité des infractions commises sur le marché.
604. Comme l’a souligné le Conseil de la concurrence français: « en réalité, l’acceptation de ce moyen
conduit, en pratique, à compliquer considérablement le traitement des dossiers par le juge civil »903.
8 76F
En effet, tout d’abord, accepter l’hypothèse de la répercussion des surcoûts demande, le cas échéant,
au consommateur final de prouver que l’acheteur direct a augmenté artificiellement le prix de ses
produits en répercussion de la hausse artificielle qu’il a lui-même subi de la part du fournisseur,
900
Le Livre vert de la Commission européenne du 25 déc. 2005, intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction
aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante » COM(2005) 672 final, p. 8, point 2.4.
901
Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 Avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction
aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 9.
902
Ibid.
903
Avis du Conseil de la concurrence du 21 Sept. 2006, relatif à l’introduction de l’action de groupe en matière de pratiques
anticoncurrentielles, point 37, p. 9, accessible à l’adresse suivante :
www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/classactions.pdf
286
partie à l’entente. La victime, acheteur final, aura certainement des difficultés à faire la preuve du
lien de causalité entre le comportement anticoncurrentiel du fournisseur et le préjudice qu’elle a,
elle-même, subi du fait de l’augmentation des prix. C’est pourquoi la Commission a instauré, de
surcroit, une présomption réfragable, au profit de l’acheteur indirect. Cependant, dans ce cas, cette
proposition constitue un frein à l’exercice de l’action par l’acheteur direct, dès lors qu’une action est
intentée aussi bien par l’acheteur direct que par l’acheteur indirect. Il devra alors renverser la charge
de la preuve, dès lors qu’il n’aura pas répercuté le surcoût 904. Il devra en effet apporter la preuve
87F
négative de la non-répercussion du surcoût sur l’acheteur indirect. Ainsi il semble préférable de
réserver, au moins dans un premier temps, les actions collectives aux affaires dans lesquelles il
existe un lien contractuel direct entre le dommage et la victime, dès lors que cette dernière est un
consommateur final 905. Cette solution est celle retenue par le législateur suédois.
87F
605. Les juridictions fédérales américaines écartent eux le principe du « passing on defence »906. En
effet, selon la jurisprudence Hanover Schoe & co v. United Schoe Machinery Corporation (1968) 907,
879 F
les défendeurs ne peuvent invoquer au moyen de leur défense le fait que l’acheteur direct a répercuté
le surcoût généré par l’infraction sur les acheteurs indirects. De même, les acheteurs indirects ne
peuvent pas engager une action en indemnisation à l’encontre du fournisseur, partie à l’entente, dès
lors qu’un intermédiaire s’interpose dans la relation contractuelle. Il s’agit de la doctrine Illinois
Brick co v. Illinois de 1977 908. Cependant, dans certains Etats américains, comme en Californie 909,
80F
les recours des acheteurs directs comme indirects sont admis
81F
910
82F
. De même, en 2007, la Commission
de modernisation de la loi Antitrust a proposé d’ouvrir les recours devant les juridictions fédérales
aux acheteurs indirects 911. Ainsi malgré la longue tradition des class actions en droit de la
83F
concurrence aux Etats-Unis, l’acceptation du « passing on defence » ne fait pas l’unanimité et la
904
Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les
abus de position dominante, Journée d’étude organisée conjointement par le Collège européen de Paris de l’Université
Panthéon-Assas (Paris II), et l’Association Française d’Etude de la Concurrence (AFEC), Paris, le 13 juin 2008, minutes
publiées dans la Revue Concurrences n°2-2009, p. 36.
905
Avis du Conseil de la concurrence du 21 sept. 2006, relatif à l’introduction de l’action de groupe en matière de pratiques
anticoncurrentielles, op. cit., point 38, p. 10.
906
F. Polverino, A Class Action Model For Antitrust Damages Litigation In The European Union, University of Chicago
Law School, Working paper Series, August 29, 2006, p. 26-27.
907
Hanover Schoe & co v. United Schoe Machinery Corporation, 392 U.S. 481 (1968).
908
Illinois Brick co v. Illinois, 431 U.S. 720 (1977).
909
California v. ARC America Corp., 490 U.S. 93 (1989).
910
N. M. Pace, Class actions in the United States of America : an overview of the process and the empirical literature,
RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 21, in The Globalization of class actions, An
International Conference co-sponsored by Stanford Law School and the Centre for socio-legal studies, Oxford University,
13 & 14 Déc. 2007; Gillian Sproul, Fostering A Competition Culture, Not A Litigation Culture – The European
Commission’s « Damages » White Paper, 23 avr. 2008, article publié sur www.mondaq.com.
911
US Antitrust Modernization Commission Report, 2 Avr. 2007.
287
question reste débattue. Il semblerait ainsi opportun d’adopter sur ce point une vision prudente et
restrictive en limitant les recours en indemnisation aux acheteurs directs ou tout du moins en laissant
l’opportunité aux juges nationaux d’apprécier au cas par cas les éléments de preuve fournis si un
demandeur, acheteur indirect en faisant la demande.
606. Conclusion du 1). Le domaine de la protection à conférer aux victimes de violations du droit de
la concurrence, pose la question, d’une part, de la « plus value » de l’action communautaire et,
d’autre part, des priorités à observer dans le cadre du développement des actions collectives. Une
pratique unilatérale ne peut être appréhendée de la même manière qu’une pratique concertée. De
plus, le fait que la victime soit un acheteur direct ou indirect, une entreprise ou un consommateur, ou
que le litige porte sur de petits montants, peut entrainer des adaptations nécessaires, tant sur le type
d’action collective à utiliser, que sur ces modalités de mise en œuvre. Des objectifs réalisables et
adaptés aux besoins réels de la société ne doivent-ils pas être définis afin de viser la population à
risque et les procédures les plus simples ? En matière de violation du droit de la concurrence, il
s’agirait de s’attacher dans un premier temps à appréhender les infractions les plus graves, à savoir
les ententes injustifiables. De même, l’accent peut être mis sur les pratiques qui ont déjà été
sanctionnées par les autorités de concurrence, ce qui permet d’écarter les questions relatives à la
préservation de l’action des pouvoirs publics et de faciliter la preuve de la faute pour les
demandeurs. Ensuite, ouvrir les actions tant aux victimes directes qu’aux victimes indirectes
nécessite des aménagements du droit de la responsabilité et aboutit à complexifier les procédures. Le
champ de la protection doit être limité aux acheteurs directs. Enfin, il est important de distinguer
entre les litiges de taille intermédiaire et les petits litiges, qui touchent en priorité les
consommateurs. Les différentes formes d’action collective peuvent alors apporter une réponse
adaptée à chaque type de litige et ce, sans que cela aboutisse à une dénaturation de la responsabilité
civile et à de possibles abus.
2) La promotion des recours collectifs en droit de la concurrence
607. Pour le droit communautaire de la concurrence, deux types d’action collective sont
appréhendées : l’action en représentation et l’action de groupe. Le choix entre plusieurs types
d’action collective, peut constituer un atout majeur pour l’adaptation de la réponse aux populations
visées. Cependant, il faut pour cela en limiter le champ en fonction des objectifs recherchés et
appréhender le choix de procédure comme une réelle complémentarité des actions proposées et non
288
comme une simple alternative entre ces dernières. Il s’agit alors de s’appuyer sur la complémentarité
des actions collectives et non sur leur caractère alternatif.
608. La Commission, dans son Livre blanc, a ainsi proposé ces deux types d’action de groupe
conformément par ailleurs à la demande du Parlement européen dans sa Résolution du 27 avril 2007.
Ce dernier avait, en effet, fait valoir qu’il est « nécessaire de disposer d’un mécanisme visant à
traiter les petites réclamations multiples »912 et que « dans l'intérêt de la justice et pour des raisons
84F
d'économie, de célérité et de cohérence, il convient de reconnaître aux victimes l'exercice volontaire
d'actions collectives, soit directement, soit par l'intermédiaire d'une association dont les statuts
auraient pour objet une telle initiative »913.
85F
a) L’action en représentation et le droit de la concurrence
609. La première procédure proposée serait une action en représentation 914 ouverte aux entités
86F
qualifiées, à savoir des associations de défense, des organismes publics ou des organisations
professionnelles. Les entités pourraient être des organismes agréés, compétents pour agir en fonction
de leur objet social ou des entités ad hoc qui seraient habilitées au cas par cas. Elles pourraient agir
au nom de « victimes identifiées ou, dans des cas plutôt restreints, identifiables »915.
87F
i) Une qualité à agir conférée à un tiers qualifié
610. L’action en représentation est connue du droit continental. Comme relevé par le groupe de travail
qui a réalisé l’étude d’impact des actions en indemnisation en droit de la concurrence sur le bien-être
des consommateurs pour la Commission en décembre 2007, ce type d’action est présent dans la
912
Résolution du Parlement européen, du 25 avr. 2007, sur le Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour
infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », (2006/2207 (INI)), point 20.
913
Ibid, point 21.
914
La Commission définit dans son document de travail accompagnant le Livre blanc, l’action en représentation comme
suit : « Une action représentative en dommages-intérêts intentées par des entités ayant certaines caractéristiques peut
constituer un mécanisme de recours collectif approprié dans le domaine du droit de la concurrence. Une actions en
représentation est une action intentée par une personne physique ou morale au nom de deux ou plusieurs personnes ou
entreprises qui ne sont pas elles-mêmes partie à l'action, et visant à obtenir des dommages-intérêts pour le préjudice
individuel causé aux intérêts de tous ceux qui sont représentés (et non pas à l'entité représentante). », Document de travail
des Services de la Commission, accompagnant le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions
en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante,
COM(2008) 165 final, p. 18, point 49.
915
Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux
règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 4 ; Sur la notion de
« victimes identifiables », voir supra §. 122 et 236 et s.
289
plupart des Etats membres de l’Union européenne 916. Par cette action, les pouvoirs publics délèguent
8F
à une entité une qualité à agir pour défendre, non pas, ses intérêts personnels mais les intérêts
personnels d’autrui. Les entités pouvant se voir attribuées une telle qualité à agir doivent présenter
certaines garanties, qui sont contrôlées a priori par les pouvoirs publics à travers l’octroi d’un
agrément.
611. La Commission partage ce point de vue. Elle considère que : « 51. La procédure devrait être
limitée à certains types d'entités de manière à permettre un certain contrôle public sur les entités en
mesure d'intenter des actions représentatives, par exemple vérification de la légitimité des intérêts
représentés »917. Cependant, elle ajoute « Toutefois, la définition des entités ayant qualité pour agir
8 89F
ne doit pas être trop limitée, de sorte que la possibilité d'un recours collectif demeure un moyen
efficace et accessible d’action en justice » 918. Elle va ainsi ouvrir l’action aux associations agréées
8 90 F
en fonction de leur objet social, mais aussi aux associations agréées de manière ad hoc pour le seul
litige en cause.
612. Entité agréée en fonction de leur objet social. « Le premier type [d’associations visées] inclut
les entités représentant les intérêts légitimes et bien définis des victimes, et officiellement désignées
à l'avance par leur État membre pour exercer des recours collectifs en dommages-intérêts au nom
de victimes identifiées ou, dans des cas plutôt restreints, des victimes identifiables (pas
nécessairement leurs membres). Pour être désigné, ces entités qualifiées devront satisfaire à des
critères précis, fixés par la loi, qui comporte des garanties suffisantes pour que soient évités les
recours abusifs » 919. Le recours à ce type d’entité permet de vérifier que l’association présente les
891 F
qualités nécessaires à la représentation d’autrui. Les critères concernent sa compétence et son
expérience en la matière, mais aussi sa représentativité vis-à-vis du groupe de personnes que
l’association entend représenter 920. En général, l’agrément est soumis à renouvellement ce qui
892 F
permet le contrôle régulier de l’entité par les pouvoirs publics. Ce premier système est le plus
916
Dans l’étude d’impact, les auteurs constatent que « les actions représentatives des associations sont possibles dans la
majorité absolue des Etats membres, bien qu’elles soient souvent limitées pour obtenir des injonctions et non pour
demander des dommages et intérêts », Making antitrust damages actions more effective in the EU: welfare impact and
potential scenarios, Rapport Final, Bruxelles, Rome and Rotterdam, le 21 Déc. 2007, op. cit., p. 274.
917
Document de travail des Services de la Commission, accompagnant le Livre blanc de la Commission européenne, du 2
Avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de
position dominante, COM(2008) 165 final, p. 19, point 51
918
Ibid.
919
Document de travail des Services de la Commission, accompagnant le Livre blanc de la Commission européenne, du 2
avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de
position dominante, COM(2008) 165 final, p. 19, point 52.
920
Voir supra 119 et s.
290
répandu, les garanties offertes permettant alors que la délégation s’effectue en dehors de tout abus ou
tout du moins en limitant tous les abus potentiels. Mais la Commission va plus loin en ouvrant la
procédure aux entités qui seraient spécialement agréées pour la résolution d’un litige.
613. Entité désignée de manière ad hoc. « Le second type [d’associations visées] serait des entités qui
seraient certifiés, afin de pouvoir exercer un recours collectif relativement à une infraction donnée,
sur une base ad hoc selon les procédures prévues dans le droit national de leur État membre.
L'admissibilité devrait être limitée à des entités dont la tâche principale est de protéger les intérêts
définis de leurs membres, par d’autres moyens que l’exercice de poursuites judiciaires en dommages
et intérêts (par exemple une association professionnelle dans un secteur donné) et qui comporte des
garanties suffisantes pour que soient évités les recours abusifs »921. Cette prescription de la
893F
Commission montre qu’elle est consciente des risques d’abus inhérents à l’ouverture de la procédure
d’action en représentation à des entités, qui seraient agréées de manière ad hoc. Cependant, elle ne
donne pas les clefs pour y remédier. Il est essentiel, le cas échéant, que des conditions reposant sur
les qualités de représentation de l’association et l’opportunité de recourir à une telle procédure au
regard de la nature du litige puissent être contrôlées en amont par le juge 922.
894 F
ii) Une protection adaptée aux litiges de consommation
614. Les actions en représentation permettent aux pouvoirs publics de déléguer leur rôle de facilitation
de la justice à une association ayant pour rôle de remplir cet objectif. Cette délégation de la qualité à
agir pour autrui est forcément délimitée car dérogatoire à la règle de l’intérêt personnel à agir. Ainsi,
la population visée par cette action est, elle-aussi, forcément limitée. Elle se comprend pour les
acheteurs directs, consommateurs finaux, dans le cadre de litiges de faible valeur, pour lesquels les
barrières à l’exercice de l’action sont nombreuses. Le rôle de l’association, qui se substitue aux
demandeurs, permet de pallier ces obstacles et de renforcer l’accès au juge.
615. La question est alors de savoir si l’on doit l’ouvrir à d’autres personnes, telles que les entreprises.
En effet, doit-on attribuer par ce biais une protection identique aux entreprises et aux
consommateurs ? La solution ne semble pas évidente. Comme cela a été vu avec l’exemple du droit
français, les pouvoirs publics ont souvent recours à ce type d’action dès lors qu’un déséquilibre
921
Document de travail des Services de la Commission, accompagnant le Livre blanc de la Commission européenne, du 2
avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de
position dominante, COM(2008) 165 final, p. 19, point 53.
922
Voir §. 227.
291
existe entre les parties. Ainsi, ont été visés le salarié face à l’employeur, le consommateur face au
professionnel et l’actionnaire face au conseil d’administration de l’entreprise. Aujourd’hui, est ce
que ces catégories doivent être élargies aux entreprises qui seraient considérées comme plus faibles
par rapport à des entreprises ayant plus de moyens ? Le critère pertinent en la matière semble être
pour les entreprises le montant du préjudice. Ne serait-il pas possible de permettre à des associations
ad hoc, représentant les entreprises d’initier ce type de procédure ou de s’y joindre dès lors que le
litige individuel subi par ces dernières est inférieur à une certaine somme ?
616. Ainsi, faire le choix d’élargir le champ de l’action en représentation aux entreprises par
l’intermédiaire d’association agréées de manière ad hoc permettrait de rester dans l’esprit de la
dérogation. Il aboutirait cependant à une complexification de la procédure pour le juge comme pour
les parties. L’action en représentation obéit à un objectif très spécifique qui justifie alors son
caractère dérogatoire au droit commun. Il s’agit de respecter cette finalité. La procédure d’action de
groupe s’offre comme une alternative au champ élargi.
b) L’action de groupe et le droit de la concurrence
617. La seconde procédure proposée par la Commission est l’action de groupe. Cette procédure serait
ouverte à toute victime, et elle serait mise en œuvre suivant le système d’opt in 923. Certains auteurs
895F
ont pu regretter que le système d’opt-in soit favorisé au lieu du système d’opt-out, considérant que
ce second système permet la prise en compte d’un plus grand nombre de demandeurs, surtout que les
actions en représentation permettent elles-mêmes en général d’agir au nom de personnes identifiées
plus qu’au nom de personnes simplement identifiables 924. La Commission européenne justifie son
896F
choix en précisant que le système d’inclusion permettrait de limiter les abus potentiels des
Demandeurs Représentatifs tendant à agir dans leur seul intérêt plutôt que dans l’intérêt des
membres du groupe 925. Comme démontré dans les développements précédents, le système d’opt out
897F
se révèle incompatible avec plusieurs principes fondamentaux régissant la procédure civile comme
le droit de la responsabilité civile dans une majorité d’Etats membres de l’Union européenne. Ainsi
923
Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux
règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 5 : « actions collectives
assorties d’une option de participation explicite ».
924
Voir en ce sens G. Sproul, Fostering A Competition Culture, Not A Litigation Culture – The European Commission’s
« Damages » White Paper, 23 avr. 2008, article publié sur www.mondaq.com.
925
Commission Staff Working Paper accompanying the White Paper on Damages actions for breach of the EC antitrust
rules, COM (2008) 165 final, 4 avr. 2008, p. 20-21, point 58; Voir aussi F. Polverino, A Class Action Model For Antitrust
Damages Litigation In The European Union, University of Chicago Law School, Working paper Series, August 29, 2006.
292
ce choix se justifie par la volonté de la Commission de se conformer aux traditions juridiques des
Etats membres.
618. Outre cette modalité de l’action, la Commission n’entre ni dans le détail de la procédure d’action
de groupe proposée, ni dans le détail de la procédure d’action en représentation. Elle laisse le choix
aux Etats membres de juger en opportunité des modalités de mise en œuvre de la procédure,
notamment en ce qui concerne les conditions d’autorisation de la procédure. La Commission
n’aborde pas davantage la question de l’incitation à exercer la procédure d’action de groupe.
Cependant, cette question constitue un point clef dans la mise en œuvre de la procédure. En effet, ce
qui fait le succès de l’action de groupe aux Etats-Unis est l’incitation financière du demandeur, qui
espère obtenir plus que le simple montant de la réparation de son préjudice. En dehors de cet
élément, l’action de groupe présente certains inconvénients de l’action individuelle sans avoir les
avantages de l’action de groupe, telle que pratiquée aux Etats-Unis pour le Demandeur représentatif.
Ce dernier devra porter l’action en justice, seul, comme pour les actions individuelles, il devra en
supporter les risques financiers en cas de perte du procès, et de plus, il se verra soumis à des
conditions supplémentaires du fait de la phase d’autorisation de la procédure. L’acheteur direct,
entreprise comme consommateur, ne sera pas incité à exercer l’action de groupe, en particulier si
l’option lui est laissée de déléguer la gestion du litige à un tiers. Par ailleurs, la DG Concurrence a
renoncé à l’action de groupe dans sa proposition de directive d’avril 2009 926 au bénéfice d’une
89F
simple jonction de procédure.
Conclusion du A).
619. Un libre choix entre deux procédures. Ainsi la Commission vise dans sa réforme tous les recours
civils tant pour les consommateurs et que pour les entreprises, qui ont subi un préjudice de manière
directe ou indirecte du fait du comportement anticoncurrentiel du défendeur et ce, que ce
comportement aient été détecté et sanctionné ou pas en amont par une autorité de concurrence. Elle
propose dans ce cadre le recours à deux types de procédures collectives : l’action en représentation
et l’action de groupe, qui sont ouvertes à tous et s’appliquent en opportunité selon le choix du
demandeur. Cependant, ne doit-on pas envisager des actions collectives différentes pour s’adapter
926
La Commission a formulé une proposition de directive en avril 2009. Cependant, cette directive n’a pas été soumise au
Parlement européen et au Conseil, Proposition de directive de la Direction Générale de la Concurrence de la Commission
européenne relative aux règles régissant les actions en dommages intérêts pour infraction aux articles 81 et 82 du traité,
Avr. 2009.
293
aux besoins des victimes potentielles et ainsi créer des procédures dédiée en fonction de la nature et
de l’importance du litige ? Le recours à un tiers, dans l’action en représentation, semble pertinent
pour les petits litiges de masse, notamment les litiges de consommation. En revanche, pour les litiges
plus importants, une procédure plus proche de l’action individuelle, telle que la procédure
« modèle » peut sembler plus opportune afin de pallier tout risque d’abus. Elle permet en effet un
traitement rationalisé des demande et de garantir le respect des principes fondamentaux du droit et
de la procédure civile. Cette procédure a été proposée, par la Direction Générale de la Santé et de la
Consommation de la Commission, dans le cadre de son Livre Vert sur les recours collectifs pour les
consommateurs 927. Bien que séduisante au regard de l’objectif de facilitation des recours, l’action de
89F
groupe n’était pas forcément l’action la plus adaptée à ces types de contentieux. La Commission
pourrait imposer, a minima, certaines conditions d’exercice de l’action, comme les conditions de
représentativité du Demandeur et d’opportunité de la procédure.
620. Un champ d’action ouvert. Ensuite, la Commission vise l’ensemble des comportements déviants
sans égard aux éventuelles adaptations nécessaires pour aboutir à une solution efficiente. Cependant
pourquoi ne pas cibler, au moins dans un premier temps, les comportements les plus à risques et les
mieux appréhendables. Selon le Conseil de la concurrence français, ne sont « susceptibles de donner
lieu à une action de groupe […][que] certaines ententes horizontales portant sur des biens de
grande consommation, les ententes verticales qui visent à augmenter artificiellement le prix de
détail et les abus de position dominante dans le cadre desquels un opérateur a pu retarder l’arrivée
de concurrents ou exclure certains d’entre eux » 928. Raisonnons alors en fonction des seules ententes
9 0F
qui de surcroit apparaissent comme les infractions les plus graves. De même, limitons l’hypothèse
aux recours civils qui suivraient les condamnations des autorités de concurrence, ce qui permet de
limiter les questions sur le recueil des éléments de preuve de la faute et sur la préservation de
l’action publique. De plus, pourrait être mise à l’écart la question des acheteurs indirects, qui
complexifient le débat, alors que les cas à appréhender dans ce cadre sont peu nombreux.
621. Au-delà de la détermination du champ de l’action communautaire, et a fortiori du champ de la
protection à consentir, se pose également la question des modalités de mise en œuvre de la
responsabilité de l’auteur de la pratique. La Commission soulignant alors la spécificité du droit de la
927
Livre vert sur les recours pour les consommateurs, 27 nov. 2008, COM(2008) 794 final.
Avis du Conseil de la concurrence, 21 Sept. 2006, relatif à l’introduction de l’action de groupe en matière de pratiques
anticoncurrentielles, op. cit., point 38, p. 10.
928
294
concurrence a formulé des propositions visant à restreindre les contraintes traditionnelles de la mise
en œuvre de la responsabilité civile.
B) L’assouplissement des conditions de responsabilité en droit de la concurrence
622. Par principe, la responsabilité civile suppose une faute, un préjudice et un lien de causalité entre
les deux 929. Il s’agit alors pour le demandeur d’apporter les preuves de ces trois éléments pour
901F
obtenir la réparation de son préjudice. La Commission, convaincue de la spécificité du droit de la
concurrence en la matière a persévéré dans son souhait d’assouplir les conditions classiques de la
responsabilité pour ces cas. Elle a ainsi formulé des propositions visant à faciliter l’accès aux
preuves et à diminuer le degré d’exigence quant à la preuve de la responsabilité à apporter (1). Elle
s’est également intéressée à l’articulation de l’action des pouvoirs publics et de l’action privée en la
matière (2).
1) La preuve de la responsabilité de l’auteur de la pratique anticoncurrentielle
a) La facilitation de l’accès aux preuves pour les demandeurs
623. La divulgation de la preuve inter partes. La Commission propose d’introduire un degré de
divulgation inter partes sur le modèle du droit américain, tout en en limitant la portée afin de pallier
aux dérives possibles 930. Elle met en effet en lumière trois arguments tendant à la nécessaire
902F
facilitation de la divulgation de la preuve : les preuves sont, dans ce type de contentieux, factuelles
et nombreuses ; il existe une asymétrie d’informations entre le demandeur et le défendeur qui a pour
conséquence que la plupart des éléments pertinents pour la résolution du litige sont en possession du
défendeur. Cependant, les règles de preuve peuvent être strictes dans certains Etats membres. Il faut
noter, dès à présent, que la Commission reste vague sur le champ de la procédure de divulgation,
laissant aux Etats membres le soin de fixer les limites de cette procédure. La procédure de Discovery
en droit américain et la procédure de Disclosure en droit anglais seront examinées en détails, afin de
mettre en lumière leurs caractéristiques comparativement aux pouvoirs du juge civil dans notre
système inquisitoire.
929
F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Dalloz 2009, 10ème éd., p. 864 et suivantes.
Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux
règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 4 : « S'il est essentiel de
surmonter cette asymétrie structurelle de l'information et d'améliorer l'accès des victimes aux preuves pertinentes, il
importe également d'éviter les effets négatifs qu'entraîneraient des obligations de divulgation trop larges et contraignantes,
notamment le risque d'abus susceptible d'en découler ».
930
295
624. La Commission propose également de conférer aux « juridictions nationales […], dans des
conditions déterminées, le pouvoir d'enjoindre aux parties à la procédure ou à des tiers de divulguer
des catégories bien définies de preuves pertinentes »931, pour pallier toute réticence de l’une des
903F
parties. Il faut alors s’interroger sur la notion de « catégories de preuve ». Cette notion de catégorie
de documents résulte en effet de la procédure américaine de Discovery et de la procédure anglaise de
Disclosure 932. Elle peut dans le cadre de ces procédures recouvrir un champ assez large de
904F
divulgation. Ainsi la Commission a défini un certain nombre de conditions dont l’examen doit
précéder l’autorisation de la mesure.
625. La Commission précise en effet que le requérant devrait remplir un certain nombre de critères
pour obtenir l’injonction du juge 933:
905F
- Présenter « l’ensemble des données factuelles et moyens de preuve qu’il a pu raisonnablement
obtenir faisant apparaître les raisons plausibles de présumer qu’il a subi un préjudice imputable à
une infraction aux règles de concurrence »;
- Démonter, « à la satisfaction de la juridiction saisie, qu'il n'est pas en mesure, en dépit des efforts
que l'on peut raisonnablement attendre de lui, de produire les preuves requises par d'autres
voies »;
- Définir « des catégories suffisamment précises de preuves à divulguer »; et
- Convaincre « la juridiction saisie que la mesure de divulgation envisagée est pertinente pour
l'affaire en cause, ainsi que nécessaire et proportionnée »934.
9 06F
626. Ainsi, toute demande de divulgation de documents serait vérifiée a priori par le juge, qui pourrait
alors ordonner la divulgation des documents. Les juges, en particulier dans les pays de tradition
romano-germanique, disposent déjà d’un pouvoir d’enquête et d’injonction en matière civile. Ils
peuvent ainsi faire usage de ces pouvoirs pour réunir les éléments de preuve nécessaires à la solution
931
Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux
règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 5.
932
Nous reviendrons sur ces éléments dans la seconde partie de l’analyse.
933
Voir Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour
infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 5-6.
934
Pour rappel, en droit européen, le principe de proportionnalité a été consacré en tant que principe général du droit dès
1956 dans une jurisprudence Fédération charb. De Belgique (p. 199 – aff. 8/55). En droit communautaire de la
concurrence, le principe de proportionnalité trouve à s’appliquer dans deux contextes. Tout d’abord, il est fait application
de ce principe dans le cadre du pouvoir d’investigation de la Commission européenne, et plus spécifiquement dans le cadre
des demandes d’informations. Une partie à qui la Commission européenne adresse une demande d’information est tenue
d’y répondre. Cependant, cette obligation est applicable dans le respect des principes généraux du droit communautaire. La
CJCE contrôle ainsi l’ampleur des mesures d’investigation par rapport au but poursuivi par la Commission. On peut citer
les arrêts Hoechst (Aff. 46/87), Solvay (Aff. 27/88) et Orken (Aff. 374/87). De plus, le principe de proportionnalité au stade
de la sanction, une amende devant être proportionnée à la gravité de l’infraction.
296
du litige et aider alors les parties, qui ont agi avec toutes les diligences, à obtenir ces éléments de
preuve. Ainsi, la mesure proposée par la Commission n’est ni plus ni moins ce qu’il est déjà possible
d’obtenir dans la majorité des Etats membres dans l’Union comme cela sera démontré dans une
seconde partie avec l’exemple de la France et de l’Allemagne.
627. Enfin, la Commission propose, également, que « les juridictions disposent du pouvoir d'imposer
des sanctions suffisamment dissuasives pour éviter la destruction d'éléments de preuves pertinents
ou le refus de se conformer à une injonction de divulgation, et notamment de la faculté de tirer des
conséquences défavorables dans le cadre de l'action civile en dommages et intérêts »935. Le pouvoir
907F
d’injonction du juge est assorti de sanctions en cas de non respect de la mesure. Ainsi, la proposition
de la Commission semble présenter moins d’intérêt et peut apparaître très intrusive de l’organisation
interne de la justice.
628. Ces modalités seront abordées dans une seconde partie. Néanmoins, la facilitation de la
divulgation de la preuve, dans ce type de procédure, et en particulier en matière de concurrence et de
consommation, se justifie. La multiplicité des demandeurs explique que le demandeur principal ne
puisse détenir en sa possession tous les éléments nécessaires au soutien de ses prétentions. D’autre
part, compte tenu des rapports consommateurs-entreprise, et de la faute à prouver, en particulier en
matière de droit de la concurrence, il semble difficile, voire impossible pour le demandeur, de
parvenir à apporter la preuve suffisante de la faute, sauf à considérer les condamnations rendues par
les autorités de concurrence. Une asymétrie d’informations caractérise de façon évidente ces
rapports. Cependant, il existe des solutions à ces difficultés dans nos systèmes. Il s’agit alors de les
optimiser afin de parvenir à un système plus efficient. Cette solution apparaît plus raisonnable que
de recourir à la procédure américaine de la Discovery, qui est très controversée.
629. L’accès aux documents des autorités de concurrence. Une autre question peut être déjà
envisagée concernant la facilitation de la preuve. Il s’agit de permettre aux demandeurs devant les
juridictions civiles de consulter et de produire les documents recueillis par les autorités de
concurrence, dans le cas où ces dernières ont rendu une décision de condamnation à l’encontre de
l’auteur de la pratique anticoncurrentielle. Le Livre blanc ne fait pas état expressément du possible
accès des parties aux documents des ANC ou de la Commission. Cependant, cette possibilité est
935
Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux
règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 6.
297
sous-entendue du fait qu’elle propose que « les déclarations des entreprises effectuées dans le cadre
d'une demande de clémence ainsi que les enquêtes des autorités de concurrence bénéficient d'une
protection adéquate » 936. Bien que cette solution soit intéressante du point de vue de l’efficacité de
9 08F
la procédure et de la recherche de la preuve de la faute, elle pose in fine beaucoup de questions. En
effet, tout d’abord comme souligné par la Commission elle-même, elle nécessite de mettre en place
une protection spécifique pour les demandeurs de clémence, sans quoi elle pourrait nuire à
l’effectivité de cette dernière. Ensuite, comme cela a été souligné par le Parlement européen 937, cet
90F
accès ne pourrait se faire que dans le respect des législations relatives au secret professionnel entre
l’avocat et son client, au secret des affaires ainsi qu’au secret de l’Etat. Cela nécessiterait alors un
contrôle a priori des pièces par un tiers. Le Parlement propose l’assistance à cet effet des autorités
de concurrence elles-mêmes 938. Cependant, cette assistance entrainerait une surcharge de travail et
910F
un coût qu’il faut prendre en considération. Enfin, suivant la Résolution du Parlement de 2007, des
dispositions devraient être prises afin que le principe de proportionnalité soit respecté 939.
91F
630. La question de l’accès aux preuves en droit de la concurrence constitue un point clef tant pour les
personnes privées dans le cadre d’un litige au civil que pour les pouvoirs publics dans le cadre de
leurs pouvoirs d’enquête et de sanction. Par nature, les ententes sont cachées ainsi même ces
derniers éprouvent des difficultés à recueillir les preuves nécessaires à la condamnation des auteurs
de pratiques anticoncurrentielles. La proposition vise ainsi à obliger les parties à divulguer par ellesmêmes les éléments de preuves en leur possession. Cependant, ce système contrevient au principe
inquisitoire qui régit le droit civiliste, comme cela sera examiné plus en détail dans la seconde partie
des développements. Dans le cadre des actions de suite, l’accès aux documents des ANC et de la
Commission est lui aussi une solution qui s’offre aux pouvoirs publics dans leur démarche de
facilitation de l’action civile. Cependant, cette solution comprend l’obligation de respecter de
nombreux impératifs qui pourraient rendre sa mise en œuvre très compliquée. La Commission a
936
Ibid.
Résolution du Parlement européen, du 25 Avr. 2007, sur le Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour
infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », (2006/2207 (INI)), point 12.
938
Ibid.
939
Pour rappel, en droit européen, le principe de proportionnalité a été consacré en tant que principe général du droit dès
1956 dans une jurisprudence Fédération charb. De Belgique (p. 199 – affaire 8/55). En droit communautaire de la
concurrence, le principe de proportionnalité trouve à s’appliquer dans deux contextes. Tout d’abord, il est fait application
de ce principe dans le cadre du pouvoir d’investigation de la Commission européenne, et plus spécifiquement dans le cadre
des demandes d’informations. Une partie à qui la Commission européenne adresse une demande d’information est tenue
d’y répondre. Cependant, cette obligation est applicable dans le respect des principes généraux du droit communautaire. La
CJCE contrôle ainsi l’ampleur des mesures d’investigation par rapport au but poursuivi par la Commission. On peut citer
les arrêts Hoechst (Aff. 46/87), Solvay (Aff. 27/88) et Orken (Aff. 374/87). Le principe de proportionnalité s’applique au
stade de la sanction, une amende devant être proportionnée à la gravité de l’infraction.
937
298
alors proposé une autre solution qui pourrait régler en partie la question de la preuve, tout du moins
s’agissant de la faute : la présomption de faute civile en cas de condamnation par une autorité de
concurrence.
b) Les exigences diminuées de la démonstration de la faute du défendeur
631. Dès lors qu’une autorité nationale de concurrence rendrait une décision de condamnation à
l’encontre d’une entreprise pour violation de l’article 81 ou 82 TFUE, la Commission propose que
les juridictions civiles ne puissent pas aller à l’encontre de cette décision ou du jugement, devenu
définitif. De plus, elle propose que cette condamnation apparaisse comme « une preuve
irréfutable »940 dans une action en dommages et intérêts et elle ajoute qu’ « elle ne voit pas de
912F
raison de principe de s’opposer [alors au fait que] la faute soit présumée de manière irréfragable,
[…] à l’exception des cas où l’auteur a commis une erreur excusable » 941. Elle ajoute que cela doit
9 13 F
s’appliquer entre les juridictions des différents Etats membres 942. Pour caractériser l’erreur
914F
excusable, la Commission considère qu’« une erreur est considérée comme excusable dans le cas où
une personne raisonnable appliquant un degré élevé de diligence ne pouvait pas avoir connaissance
du fait que le comportement en cause restreignait la concurrence »943. Ainsi la Commission propose
9 15F
d’une part la consécration de l’effet contraignant des décisions des ANC, devenue définitives pour
les juridictions civiles nationales et elle prône la présomption de faute civile en cas de
reconnaissance de la faute anticoncurrentielle, de nature pénale ou administrative.
632. Reconnaissance de l’effet contraignant des décisions des ANC pour les juridictions civiles. Les
autorités de concurrence sont en général favorables à la reconnaissance de l’autorité de la chose
jugée des décisions des ANC au sein de l’Union européenne. L’Allemagne a même adopté cette
règle lors de la réforme de sa Loi sur la concurrence qui est entrée en vigueur le 1er juillet 2005 944.
916F
Ainsi désormais dès lors que le Bundeskartellamt a rendu une décision, devenue définitive,
constatant la violation d’une règle du droit de la concurrence, le demandeur dans le cadre de l’action
en indemnisation n’a pas à prouver la violation ; il lui suffit de faire la démonstration du préjudice et
940
Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 Avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction
aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 6.
941
Ibid, p. 7.
942
Ibid.
943
Ibid, p. 8.
944
Loi allemande relative aux restrictions de concurrence, 7ème amendement, disponible en anglais sur le site du
Bundeskartellamt à l’adresse suivante : http://www.bundeskartellamt.de/wFranzoesisch/index.php.
299
du lien de causalité entre la pratique incriminée et le préjudice allégué 945. Le Parlement européen a
917F
même proposé que l’effet contraignant de ces décisions soit étendu à toutes les juridictions de tous
les Etats membres, dans la mesure où « les parties et les circonstances de l’affaire sont les
mêmes »946. Cependant, des observateurs ont exprimé une opinion contraire, des ambiguïtés
9 18F
demeurant sur cette question et notamment sur le champ de l’effet contraignant de la décision pour
les autres juridictions 947. Sans entrer dans le détail, bien que le juge civil puisse être tenu par la
91F
décision d’une autorité de concurrence nationale ou étrangère, il lui appartiendra de déterminer sur
quel comportement exactement porte cette décision. De plus, il devra vérifier dans quelles
conditions elle a été rendue et si les droits de la défense ont été respectés. Il devra également
déterminer quelle personne juridique vise cette décision. Ainsi il pourra se départir pour partie des
éléments de la décision de l’ANC. De plus, il devra écarter la décision dès lors qu’elle porte sur une
infraction au droit de la concurrence qui n’a pas entraîné d’effet anticoncurrentiel, susceptible
d’entrainer un préjudice pour autrui. Ainsi ces éléments amènent à être prudent vis-à-vis du principe
de présomption de responsabilité proposée par la Commission, surtout si cette dernière est
irréfragable.
945
Voir Bundeskartellamt, Activity Report 2005/2006 (short version), p. 7.
Résolution du Parlement européen, du 25 avr. 2007, sur le Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour
infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », (2006/2207 (INI)), point 7.
947
Facilitating compensation for breach of competition rules: the White Paper, Freshfields Bruckhaus Deringer Briefing,
Avr. 2008; Plusieurs des objections formulées lors d’une journée d’étude organisée à Paris sur le thème du Livre Blanc
(Voir propos de Mme Claudel). En effet, les participants se sont interrogés, tout d’abord, sur la possibilité que « les
différentes ANC n’ont pas forcément la même conception du principe de loyauté dans la recherche de la preuve ». L’auteur
cite alors à juste titre une jurisprudence de 2008 de la Cour de cassation qui a déclaré irrecevable des éléments de preuve
obtenus selon des procédés déloyaux (Cass. Com., 3 Juin 2008, n° de pourvoi: 07-17147 07-17196, Bull. 2008, IV, n°
112.). La compatibilité de cette mesure avec les procédures négociées, telles que les engagements, ou la non-contestation
de griefs est également abordée, Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles
communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, Journée d’étude organisée conjointement par le Collège
européen de Paris de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), et l’Association Française d’Etude de la Concurrence (AFEC),
Paris, le 13 juin 2008, minutes publiées dans la Revue Concurrences n°2-2009, p. 31 et s. Cette question est également
particulièrement intéressante au regard de la théorie de la responsabilité de la société mère. En effet, la Commission
européenne condamne désormais de manière quasiment systématique la société mère de la filiale, participante à
l’infraction, dès lors que cette dernière est détenue à 100% de son capital (Voir CJCE, 10 sept. 2009, aff. C-97/08 P, Akzo
nobel NV c/ Commission). Pour ce faire, la Commission assoit son raisonnement sur le fait que dans ce cas de figure, la
société mère et la filiale forme une unité économique et ainsi que la filiale n’a pas agi en toute autonomie pour déterminer
sa politique commerciale. Premièrement, il est possible de s’interroger sur laquelle de ces sociétés devraient répondre de
l’agissement retenu devant la juridiction civile dès lors que les deux sont réputées avoir commises l’infraction au droit de la
concurrence. Ensuite, cette problématique pose des questions s’agissant du respect des droits de la défense. Un contentieux
très important s’est formé sur cette question de la responsabilité de la société mère devant les juridictions communautaires
et pourrait être poursuivi devant la Cour européenne des droits de l’Homme. Par exemple, ce raisonnement se forme en
dehors de toute considération de la personnalité juridique des sociétés incriminées et ne repose pas sur le principe de la
responsabilité personnelle de la personne morale. De plus, la société mère n’est en général pas informée de l’enquête avant
la communication de grief, ce qui ne lui permet pas de préparer sa défense dès les premiers éléments de l’enquête. Ainsi
dès lors que l’on retiendrait au plan civil la responsabilité de la société mère comme de la filiale, pourrait-on soulever
devant la juridiction civile la question des droits de la défense ?
946
300
633. Présomption de faute civile en cas d’infraction au droit de la concurrence. Le système proposé
de la présomption de l’identité de faute entre la violation de la règle de concurrence et la faute civile
s’explique au regard de la difficulté de la preuve à apporter pour les demandeurs au civil 948.
920F
Cependant, elle ne fait pas l’unanimité. En effet, certains auteurs sont très réservés sur l’unicité de la
faute concurrentielle et de la faute civile. Ainsi lors du colloque sur le Livre blanc précité, il a été
rappelé : « que la faute concurrentielle n’est pas nécessairement une faute civile. Il faut distinguer
les deux et le préjudice est l’élément déterminant »949. En effet, comme explicité par M. Terré 950,
921F
92 F
d’une part, le champ d’application de la faute pénale et celui de la faute civile ne sont pas identiques
et d’autre part, l’existence d’une faute pénale constituant une faute civile n’entraîne pas pour autant
la responsabilité civile de son auteur car faut-il encore que ce comportement fautif ait entrainé un
dommage à la personne. La distinction entre responsabilité civile, d’une part, et responsabilité
pénale, d’autre part, est, alors, très importante car il ne doit pas suffire de démontrer qu’il y eut
violation du droit de la concurrence, il est indispensable que le dommage soit également démontré et
évalué. Bien que l’unicité de fautes pour les mêmes faits dans les mêmes circonstances soit
reconnue, cela ne devrait pas conduire à une présomption de dommage civil. La difficulté est que le
préjudice, en droit de la concurrence, est, lui-même, souvent présumé de l’infraction commise, car
son évaluation nécessite le recours à des études économiques complexes. Le contentieux civil
nécessite que le comportement de la victime soit lui aussi pris en compte. « On ne peut pas faire
l’économie du fait de la victime que le droit de la concurrence élude alors que le débat sur le dol ou
la faute civile l’impose. On doit s’intéresser à la victime : a-t-elle été véritablement trompée ou a-telle été imprudente ? […] »951.
923F
634. Lors de cette même assemblée, il a également été dénoncé les raccourcis trop souvent opérés dès
lors que l’on aborde la question de la réparation civile dans le contentieux de la concurrence 952 : « le
924F
948
Résolution du Parlement européen, du 25 avr. 2007, sur le Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour
infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », (2006/2207 (INI)), point 11.
949
Intervention de M. C. Lapp lors de la table ronde sur le thème « l’exemple français de l’action en réparation devant le
juge administratif », Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les
ententes et les abus de position dominante, Journée d’étude organisée conjointement par le Collège européen de Paris de
l’Université Panthéon-Assas (Paris II), et l’Association Française d’Etude de la Concurrence (AFEC), Paris, le 13 juin
2008, minutes publiées dans la Revue Concurrences n°2-2009.
950
F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit Civil, Les obligations, Dalloz 2009, 10ème éd., p. 734, point 723.
951
Intervention de M. C. Lapp lors de la table ronde sur le thème « l’exemple français de l’action en réparation devant le
juge administratif », Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les
ententes et les abus de position dominante, Journée d’étude organisée conjointement par le Collège européen de Paris de
l’Université Panthéon-Assas (Paris II), et l’Association Française d’Etude de la Concurrence (AFEC), Paris, le 13 Juin
2008, minutes publiées dans la Revue Concurrences n°2-2009, p. 51.
952
Intervention de M. Kiviatkowski, lors de la table ronde sur le thème « l’exemple français de l’action en réparation
devant le juge administratif », Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles
301
droit de la responsabilité est simple et généreux. Pour obtenir réparation, il faut une faute, un
préjudice, un lien de causalité. Ici on commence à considérer que la faute civile est induite,
suggérée ou contenue dans le comportement anticoncurrentiel. Pour le préjudice, il faut l’établir de
façon précise et matérielle, il doit correspondre à une vérité technique et économique et c’est
effectivement compliqué. On voit ici et là des idées qui consistent à le forfaitiser avec le danger
d’approximation que cela provoque […]. En ce qui concerne le lien de causalité, on est à deux
doigts de le présumer. C’est plus facile ! Ainsi finalement de raccourci en raccourci, on finit par
créer un régime indemnitaire à vocation punitive qui foule au pied les principes fondateur de la
responsabilité civile. Et on laisse de coté les questionnements essentiels relativement à la faute : Estelle grave ? Est-elle légère ? Est-elle grossière ? Est-elle récurrente ? Le préjudice est-il réel ? Le
préjudice est-il parfaitement établi ? Le préjudice est-il direct ? Plus grave encore la victime a-t-elle
partagée ou concouru à la faute qui se trouve à l’origine du droit à réparation ? La victime a-t-elle
encouru à son propre préjudice ? »953.
925 F
635. Un autre point très important a également été souligné. « Si on n’est pas en mesure d’identifier
clairement les préjudices et l’imputation de la faute, (c'est-à-dire dans le cas particulier l’affecter
spécifiquement à un marché), on va procéder à une espèce de confusion. Prenons le cas de la
SNCF: les surcouts qui ont été supportés par la SNCF ont éventuellement été répercutés sur les
usagers et c’est finalement une sorte de dommage à l’économie. Ce dommage à l’économie, le droit
de la concurrence le règle, le répare, avec le dispositif répressif qui est prévu par le Code du
Commerce » 954. Il ne s’agit pas pour la Commission de renforcer l’effectivité du droit à réparation
9 26F
des victimes des comportements déviants des entreprises en droit de la concurrence, mais bien de
renforcer l’effectivité du droit de la concurrence en augmentant la participation financière des
entreprises en infraction.
636. La présomption d’unicité entre la faute civile et la faute anticoncurrentielle doit être maniée avec
prudence pour laisser toute la place aux autres éléments de la responsabilité civile, notamment au
communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, Journée d’étude organisée conjointement par le Collège
européen de Paris de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), et l’Association Française d’Etude de la Concurrence (AFEC),
Paris, le 13 Juin 2008, minutes publiées dans la Revue Concurrences n°2-2009, p. 51.
953
Ibid.
954
Intervention de M. Kiviatkowski, lors de la table ronde sur le thème « l’exemple français de l’action en réparation
devant le juge administratif », Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles
communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, Journée d’étude organisée conjointement par le Collège
européen de Paris de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), et l’Association Française d’Etude de la Concurrence (AFEC),
Paris, le 13 juin 2008, minutes publiées dans la Revue Concurrences n°2-2009, p. 53.
302
rôle de la victime dans la réalisation du dommage, qui permettrait de renverser la charge de la
preuve. Dans ce sens, la notion de « présomption irréfragable » semble très discutable. Il devrait être
possible pour l’entreprise de faire valoir devant le juge civil à juste titre la difficulté réelle rencontrée
s’agissant du respect des droits de la défense ou encore le rôle joué dans la réalisation du litige par la
victime. La seule échappatoire proposée est pour l’heure la preuve de la commission d’une « erreur
excusable ». La référence au bon père de famille, dans une matière qui s’y prête peu 955, peut
927 F
surprendre. Il semble que cette notion ne soit pas opérante en la matière. Cette présomption ne doit
pas non faire oublier l’obligation pour la victime d’apporter la preuve du préjudice et du lien de
causalité entre le préjudice et la pratique anticoncurrentielle condamnée.
637. Conclusion. Il apparait légitime de prendre en compte la condamnation par une autorité de la
concurrence d’une entreprise pour son comportement anticoncurrentiel. Cependant, la considération
de la décision rendue par un juge civil doit rester dans l’office du juge, qui apprécie les circonstances
en l’espèce, pour déterminer l’existence du dommage et le lien de causalité. De même, bien que la
reconnaissance de la faute anticoncurrentielle puisse entrainer une présomption de faute civile, il est
indispensable que le défendeur soit en mesure d’apporter une preuve contraire au-delà de la simple
faute excusable, lui permettant de s’en exonérer. Comme cela a été mis en lumière, les règles de la
responsabilité civile sont les mêmes pour tous et bien que certains aménagements puissent être
opérés pour tenir compte de la spécificité du droit de la concurrence, il ne s’agit pas de revenir sur la
base, à savoir une faute, un dommage et un lien de causalité entre la faute et le dommage, ni sur
l’objet de la responsabilité civile, à savoir la réparation du dommage. Cette ambigüité entre l’action
des pouvoirs publics d’un coté et celle de l’action privée de l’autre a également fait l’objet de
propositions de la part de la Commission, qui a tenté de sauvegarder la complémentarité des deux
actions dans le cadre de sa politique de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles, sans empiéter
sur l’action première des autorités de concurrence.
955
Ibid, p. 29.
303
2) L’articulation de l’action des pouvoirs publics et de l’action privée pour appréhender
la pratique anticoncurrentielle
638. La facilitation des recours civils, en cas de violation du droit de la concurrence, nécessite une
saine articulation entre l’action des autorités de concurrence et celle des victimes devant les
juridictions civiles956. Il faut, d’une part, s’interroger sur le délai de prescription de l’action civile au
regard du temps de l’enquête par l’autorité de concurrence, dans les actions de suite (a). D’autre
part, il faut combiner les recours civils avec la mise en œuvre de la politique de clémence, afin de ne
pas nuire à cette dernière (b).
a) L’aménagement du délai de prescription
639. La Commission propose que ce dernier « ne commence pas à courir avant le jour où l'infraction
prend fin, en cas d'infraction continue ou répétée; ou avant le moment où la victime de l'infraction
peut raisonnablement être considérée comme ayant connaissance de cette infraction et des
dommages qu'elle lui cause » 957. Ce dernier critère apparait en conformité avec le critère
9 28F
prédominant depuis la réforme de la prescription intervenue en 2008 en France 958. Cependant la
92F
Commission propose également « qu'un nouveau délai de prescription de deux ans minimum
commence à courir le jour où la décision constatant l'infraction, sur laquelle le requérant s'appuie
pour intenter une action, est devenue définitive » 959. Elle crée ainsi un autre délai de prescription
9 30F
spécifique aux actions de suite.
640. Le point de vue du processualiste sur cette question est fort intéressant. En effet, Mme Amrani
Mekki, intervenante d’un colloque organisé à Paris sur le livre Blanc est venue souligner l’originalité
du double délai de prescription et plus encore sa dangerosité. Elle considère que « la condamnation
par une autorité de concurrence pourrait permettre d’assurer la connaissance par les victimes de
l’existence de l’infraction. Il faut, pour cela, que la publicité des décisions soit à même d’assurer
956
Voir F. Polverino, A Class Action Model For Antitrust Damages Litigation In The European Union, University of
Chicago Law School, Working paper Series, August 29, 2006, p. 25.
957
Le Livre Blanc de la Commission européenne, du 2 Avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction
aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 10.
958
Loi n° 2008-561, du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile, NOR: JUSX0711031L.
959
Ibid. Le Parlement ramène ce délai à un an. Le Parlement ajoute que ce délai devrait être suspendu dès lors que s’engage
une négociation à l’amiable entre les parties (médiation ou transaction formelle). En outre, il propose que le délai de
prescription de l’action en indemnisation soit suspendu dès lors que la Commission ou une ANC ouvre une enquête,
Résolution du Parlement européen, du 25 avr. 2007, sur le Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour
infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », (2006/2207 (INI)), point 23 à
25.
304
une connaissance effective […]. Le problème est, cependant, que la commission ne met pas en
relation le point de départ du délai de prescription et l’intervention d’une sanction publique. Par un
raccourci dangereux, elle considère qu’un nouveau délai de prescription court du jour d’une
décision constatant l’infraction. Cette position est extrêmement critiquable. D’abord, il est difficile
de comprendre qu’une décision publique puisse faire renaître de ses cendres un droit prescrit par
son non-usage. Ensuite, ce serait aller à l’encontre de l’institution même de la prescription. Elle vise
la sécurité juridique. N’ayant pu faire en sorte que le fait soit conforme au droit, on a mis le droit en
conformité à la situation de fait. Qu’il s’agisse d’une sanction de la négligence du créancier ou
d’une présomption de refus d’action, il est difficile de concevoir qu’une décision publique la fasse
renaître ». Elle ajoute que « surtout, la prescription a un objet précis, le droit substantiel. Elle ne
peut être affectée que par ce qui touche cet objet. Ainsi, le réveil du créancier doit toucher son objet.
C’est pourquoi on considère que chaque demande en justice n’interrompt que la prescription du
droit qui en est l’objet sans s’étendre aux autres demandes. Une demande dans une instance
publique ne peut avoir un effet en dehors de son objet ». Elle conclut alors que « La création d’un
nouveau délai de prescription n’est pas viable car cela voudrait dire que la décision publique crée
le droit à réparation. Or celui-ci naît de l’infraction et non de sa sanction » 960.
9 31F
641. La solution adoptée en droit allemand, à savoir la suspension du délai de prescription de l’action
civile par l’engagement d’une procédure sur le fondement des articles 81 et 82 CE par une ANC ou
la Commission européenne 961 semble plus appropriée à ce cas 962. La préservation de l’action privée,
932F
93F
dans ce cadre, passerait par une simple suspension du délai de prescription en vigueur dans l’Etat
membre, à compter de l’ouverture d’une enquête par une autorité de concurrence. Cela permettrait
de sauvegarder la sécurité juridique, objectif propre de la prescription extinctive. D’autre part,
l’aménagement de la politique de clémence pour tenir compte des éventuelles conséquences en cas
de recours devant les juridictions civiles.
960
S. Amrani-Mekki, Inciter les actions en dommages intérêts en droit de la concurrence: le point de vue d’un
processualiste, p. 21, dans Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires
sur les ententes et les abus de position dominante, Journée d’étude organisée conjointement par le Collège européen de
Paris de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), et l’Association Française d’Etude de la Concurrence (AFEC), Paris, le 13
Juin 2008, Actes publiés sous la direction de Laurence Idot, dans la Revue Concurrences n°2-2009.
961
Article 33 al. 5, Bundesgesetzblatt, partie I, 12 juill. 2005, n° 42, p. 1954.
962
S. Amrani-Mekki, Inciter les actions en dommages intérêts en droit de la concurrence: le point de vue d’un
processualiste, p. 21, dans Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires
sur les ententes et les abus de position dominante, Journée d’étude organisée conjointement par le Collège européen de
Paris de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), et l’Association Française d’Etude de la Concurrence (AFEC), Paris, le 13
Juin 2008, Actes publiés sous la direction de Laurence Idot, dans la Revue Concurrences n°2-2009.
305
b) La coordination du programme de clémence avec les actions civiles
642. La politique de clémence en Europe. Aujourd’hui en Europe, plus de 50% des ententes détectées
par les ANC et la Commission européenne sont le fait des participants au cartel 963. L’entreprise, qui
934F
dénonce l’infraction, cherche à obtenir l’immunité d’amende ou une réduction du montant de cette
dernière. La Commission européenne a encadré cette pratique en adoptant une politique, dont les
modalités sont définies dans une Communication, dont la dernière version date de décembre
2006 964. Dans le cadre de cette politique, la Commission s’est engagée à exempter de l’amende qui
935F
lui aurait été infligée, « une entreprise qui révèle sa participation à une entente présumée affectant
la Communauté de l'amende […] si elle est la première à fournir des renseignements et des éléments
de preuve » lui permettant de mener des inspections et de constater la violation à l’article
101TFUE 965. Des conditions sont alors spécifiées dans la Communication 966. Ensuite sont prévues
936F
937F
des réductions d’amendes pour les entreprises qui apportent « une valeur ajoutée significative »,
dans la constatation de l’infraction, la première se voyant appliquer une réduction allant de 30 à 50%
du montant de l’amende, la seconde, une réduction allant de 20 à 30% et les autres, une réduction
maximale de 20% 967.
938F
643. Une politique à préserver. Aujourd’hui favoriser les actions civiles nécessite que l’on tente de
préserver cette politique de clémence, qui est un atout essentiel dans le cadre de la politique de lutte
contre les ententes des pouvoirs publics tant communautaires que nationaux. En effet, le fait de
pouvoir être condamné de surcroit au paiement de dommages et intérêts augmente le risque financier
pesant sur l’entreprise et pourrait dissuader les entreprises de dénoncer leurs agissements aux
autorités. C’est pourquoi, la Commission a réfléchi à des mesures permettant de préserver cette
politique en cas d’action en indemnisation faisant suite à une de ces condamnations.
644. Les propositions de la Commission. La Commission considère en effet qu’« il convient d'assurer
une protection adéquate aux déclarations effectuées par une entreprise dans le cadre d'une demande
963
Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les
abus de position dominante, Journée d’étude organisée conjointement par le Collège européen de Paris de l’Université
Panthéon-Assas (Paris II), et l’Association Française d’Etude de la Concurrence (AFEC), Paris, le 13 Juin 2008, minutes
publiées dans la Revue Concurrences n°2-2009, p. 48.
964
Commission notice on immunity from fines and reduction of fines in cartel cases, OJ C 298, 8.12.2006, p. 17; Voir aussi
Commission notice on immunity from fines and reduction of fines in cartel cases, OJ C 45, 19.02.2002, p. 3-5; Commission
Notice on the non-imposition or reduction of fines in cartel cases, OJ C 207, 18.07.1996, p. 4-6.
965
Commission notice on immunity from fines and reduction of fines in cartel cases, OJ C 298, 8.12.2006, p. 17, point 8.
966
Ibid, p. 17, points 8-13.
967
Commission notice on immunity from fines and reduction of fines in cartel cases, OJ C 298, 8.12.2006, p. 17, point 26.
306
de clémence contre la divulgation de ces déclarations dans des actions privées en dommages et
intérêts, afin d'éviter de placer l'entreprise à l'origine de cette demande dans une situation moins
favorable que celle des co-auteurs de l'infraction »968. Elle propose alors que « cette protection
93F
s'applique: à toutes les déclarations d'entreprises soumises par tout demandeur de clémence en
rapport avec une infraction à l'article 81 du traité CE (y compris lorsque le droit national de la
concurrence est appliqué en parallèle);que la demande de clémence soit acceptée, rejetée ou ne
donne lieu à aucune décision de la part de l'autorité de concurrence ». Ainsi la Commission cherche
à obtenir une immunité civile pour les demandeurs de clémence. La Parlement encourage cette
démarche en considérant que « dans les cas d’entente, les premiers opérateurs qui coopèrent avec
les autorités de la concurrence dans le cadre de programmes de clémence ne devraient pas être
tenus solidairement responsables avec les autres auteurs de l'infraction »969.
940F
645. La politique de clémence aux Etats-Unis d’Amérique. Aux Etats-Unis, l’immunité civile est
partielle. L’Antitrust Criminal Penalty Enhancement and Reform Act 970, de juin 2004 opère ce qu’on
941F
appelle un “de-trebling”, c’est-à-dire qu’il exonère le demandeur de clémence, qui obtient
l’immunité ou une réduction d’amende, du paiement des dommages et intérêts triples. En revanche,
le demandeur de clémence s’engage à fournir en contrepartie de son immunité les éléments de
preuve nécessaires aux demandeurs afin que ces derniers puissent demander réparation de leur
préjudice auprès des co-auteurs de l’infraction 971. Le rôle complémentaire du droit civil et du droit
942F
pénal aux Etats-Unis, en matière de droit de la concurrence particulièrement, peut être rappelé.
646. Consacrer une immunité civile en Europe nécessiterait une coordination entre les juridictions
civiles et les ANC et la mise en place d’une procédure particulière afin d’encadrer cette immunité.
Cependant, des obstacles pourraient exister dans la consécration de cette immunité civile. En effet,
en France, cette option serait peut être plus délicate à mettre en œuvre car le Conseil constitutionnel
968
Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 Avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction
aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 11.
969
Résolution du Parlement européen, du 25 avr. 2007, sur le Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour
infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », (2006/2207 (INI)), point 17.
970
Antitrust Criminal Penalty Enhancement and Reform Act, Section 213 a).
971
Antitrust Criminal Penalty Enhancement and Reform Act, Section 213 b).
307
a, dans une décision du 22 octobre 1982 972, reconnu la valeur constitutionnelle du principe de
943F
réparation 973. Un aménagement serait nécessaire pour garantir le respect de ce principe.
94F
647. La mise en œuvre du droit de la concurrence en Europe est garantie par les pouvoirs publics.
Ainsi la volonté de faciliter les recours civils ne doit pas se réaliser au détriment des outils
indispensables à la politique de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles. Cependant, cette
préservation de la politique publique ne doit pas se faire au détriment du cadre juridique général.
C’est pourquoi l’emploi de deux délais de prescription ne paraît pas souhaitable, d’autant que le
droit positif offre déjà une solution adaptée et acceptable. S’agissant de l’articulation de la politique
de clémence avec la mise en œuvre de la responsabilité civile des co-auteurs de l’infraction, la
question est plus hardie, mais la solution devra elle-aussi s’intégrer dans le cadre légal car le
renforcement des recours civils en droit de la concurrence doit obéir aux mêmes règles que les autres
domaines du droit.
648. Conclusion du B). Les propositions de la DG concurrence visant à assouplir les conditions de la
responsabilité civile en droit de la concurrence constituent des aménagements importants des
principes existants dans les pays de droit romano-germanique. Certaines solutions proposées peuvent
apparaître comme disproportionnées par rapport à l’enjeu de la réforme. Cependant, la présomption
de faute en cas de condamnation par une ANC semble une solution adaptée, sous réserve de garantir
le caractère réfragable de cette présomption. De même, la solution, proposée par Mme Amrani
Mekki, de suspendre le délai de prescription à compter de l’ouverture de l’enquête par l’ANC,
semble permettre la préservation de l’action publique sans nuire à la sécurité juridique nécessaire
aux justiciables. Enfin, la préservation de la politique de clémence semble primordiale, mais une
solution adaptée au cadre légal général des Etats membres doit être privilégiée. Ainsi la spécificité
du droit de la concurrence invoquée par la Commission ne peut conduire à adopter des mesures
disproportionnées. De plus, des solutions existent dans nos systèmes de droit. Elles nécessitent d’être
mieux prises en compte. La vision traditionnelle du droit de la responsabilité civile dans les pays
civilistes et l’équilibre construit à travers cette conception doivent être préservés.
972
Cons. Constit., 22 oct. 1982, D. 1983.189, note F. Luchaire, Gaz. Pal. 1983.1.60, obs. F. Chabas; voir aussi pour le
détail de la décision, F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit Civil, Les obligations, Dalloz 2009, 10ème éd., p. 696-697.
973
Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les
abus de position dominante, Journée d’étude organisée conjointement par le Collège européen de Paris de l’Université
Panthéon-Assas (Paris II), et l’Association Française d’Etude de la Concurrence (AFEC), Paris, le 13 Juin 2008, minutes
publiées dans la Revue Concurrences n°2-2009, p. 48
308
Conclusion de la Section 1
649. La DG Concurrence veut faciliter les recours civils en droit de la concurrence. Pour ce faire, elle
adopte une démarche globale visant l’ensemble des infractions, des victimes potentielles et ce,
quelle que soit l’importance et la nature du litige.
650. Elle propose dans ce cadre deux actions collectives à usage alternatif, l’action de groupe et
l’action en représentation. La détermination d’un champ plus ciblé pour chacune de ces actions en
fonction de la population à protéger et de l’importance du litige permettrait d’en garantir un usage
optimum tout en limitant le risque d’abus. De même, certaines conditions liées à l’exercice de ces
actions devraient être définies afin de pallier aux actions abusives.
651. Sous couvert de vouloir renforcer le droit à réparation des victimes de pratiques
anticoncurrentielles, la Commission semble vouloir faire des recours civils un élément de sa
politique répressive, sur le modèle du private enforcement aux Etats-Unis. Cependant, cet objectif a
des répercussions sur les modalités d’exercice de l’action civile, fortement inspirées du modèle
américain. La DG Concurrence s’éloigne alors des traditions juridiques des pays européens de droit
civiliste, ce qui rend ces propositions peu acceptables.
652. La Commission propose un assouplissement de nombreuses règles de la responsabilité civile,
outre l’introduction d’actions collectives. Bien que certaines de ces propositions semblent adaptées
pour lutter contre les difficultés particulières liées au droit de la concurrence, et conformes à nos
traditions juridiques, d’autres semblent plus contestables surtout dès lors qu’elles sont directement
inspirées du système judiciaire américain.
653. D’ailleurs, deux propositions de la Commission ont fortement nuit au débat sur l’introduction de
l’action de groupe en Europe. Il s’agit du recours aux dommages et intérêts punitifs et de
l’introduction d’une procédure de Discovery. En effet, ces éléments ont été perçus comme des
éléments nécessaires à l’exercice de l’action de groupe, alors qu’ils sont seulement propres à
l’exercice de la class action dans le système judiciaire américain. Revenons sur ces deux modalités
ainsi que sur les alternatives qu’offrent les solutions européennes pour résoudre les difficultés sous
jacentes.
309
SECTION 2 : LE PRIVATE ENFORCEMENT ET SES CONSEQUENCES
SUR LES MODALITES DE L’ACTION COLLECTIVE
654. La poursuite de cet objectif a conduit à une utilisation finaliste de certaines modalités d’exercice
de la procédure alors proposées, qui ont, d’une part, suscité l’inquiétude, et d’autre part, semé la
confusion dans le débat engagé.
655. En effet, tout d’abord, la Commission a proposé dans le cadre de ces mesures l’introduction de
dommages et intérêts punitifs, qui apparaissent comme des moyens utiles pour inciter les
Demandeurs représentatifs à agir quel que soit le montant de leur demande. En effet, ces dommages
et intérêts punitifs qui ont pour vocation la punition et la dissuasion des comportements illicites
permettent d’allouer une somme d’argent supérieure à celle visant simplement la réparation des
préjudices. Cependant, cette notion est inconnue de la plupart des Etats membres de l’Union, car il
s’agit d’un concept anglo-saxon. De plus, cette notion n’est en rien une notion propre à la procédure
de class action, mais elle est une composante du modèle judicaire américain (§1).
656. Il en est de même de la procédure de divulgation inter partes des éléments de preuves, appelées
aux Etats-Unis, procédure de Discovery. La Commission a cherché une solution à l’asymétrie
potentielle d’informations entre les entreprises et les demandeurs dans les litiges de concurrence.
Cependant, pour ce faire, elle s’est inspirée du système judiciaire américain, très différent de la
majorité du système de la preuve dans la majorité des Etats membres au lieu de regarder les
solutions offertes dans les Etats membres (§2).
§1) L’action collective et la réparation exclusive du préjudice
657. Les dommages et intérêts punitifs sont nés en Angleterre et ont été adoptés dans la majorité des
autres Etats de Common Law et notamment aux Etats-Unis. Aujourd’hui, les projets européens et
nationaux, relatifs au renforcement des actions civiles en droit de la concurrence, et notamment au
développement des actions de groupe, a relancé le débat de leur introduction en Europe. Les
propositions sont nombreuses. Cependant, il est important de s’intéresser à leur origine et leur
utilisation en Common Law afin d’en appréhender les avantages, mais également les limites.
658. La Direction générale de la Concurrence de la Commission européenne a proposé dans son Livre
vert plusieurs principes pour la détermination des dommages et intérêts. Parmi ces propositions, elle
310
envisage alors les dommages et intérêts compensatoires, mais également des dommages et intérêts
punitifs en proposant un doublement des dommages et intérêts en cas d’ententes horizontales 974.
945F
Cette question des dommages et intérêts punitifs est très discutée en Europe car cette mesure offre
des possibilités nouvelles tant pour le renforcement des actions civiles que pour l’appréhension des
fautes, non couvertes par la législation pénale ou administrative (A). Cependant, cette notion
d’origine anglo-saxonne pose des difficultés de compatibilité avec le principe de la réparation
intégrale du préjudice dans les pays de droit de tradition romano-germanique (B).
A) Les dommages et intérêts punitifs : les avantages et les limites de la mesure
659. Les dommages et intérêts punitifs sont nés en Angleterre. Ils sont connus de la plupart des pays
de Common Law et ils sont fortement développés aux Etats-Unis. Aujourd’hui les projets européens
et nationaux, relatifs au renforcement des actions civiles en droit de la concurrence, et notamment au
développement des actions de groupe, a relancé le débat de leur introduction en Europe. Les
propositions sont nombreuses (1). Cependant, il est important de s’intéresser à leur origine et leur
utilisation en Common Law afin d’en appréhender les avantages, mais également les limites (2).
 1) Le recours aux dommages intérêts punitifs dans les pays européens
660. La tentation d’adopter des dommages intérêts punitifs dans le cadre de litiges de masse face à la
faiblesse des préjudices individuels est forte pour les pouvoirs publics. En effet, tout d’abord, le
recours à ce type de dommage et intérêts permettrait d’appréhender le comportement de l’entreprise
dans une proportion plus importante que pourrait le faire l’allocation de dommages et intérêts
compensatoires, qui visent le simple dommage réel subi. Cela est d’autant plus vrai pour les
procédures où il y a de l’opt in et où seules les personnes qui en feront la démarche pourront être
indemnisées. De plus, les dommages et intérêts punitifs auraient un effet incitatif certain sur le
nombre de procédures judiciaires en indemnisation introduites devant les juridictions civiles. C’est
ainsi que ce type de dommages et intérêts est sérieusement envisagé en Europe et même dans les
pays de droit romano-germanique.
661. La question des dommages et intérêts punitifs, a été envisagée par les institutions européennes
dans le cadre de la mise en œuvre de sa politique de renforcement de l’accès au juge pour les
974
Le Livre Vert de la Commission européenne du 25 Déc. 2005, intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction
aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante » COM(2005) 672 final, p. 8, option n° 16.
311
dommages subis du fait d’une infraction au droit de la concurrence (a). Mais elle relève également
d’initiatives nationales visant plus généralement les infractions économiques comme cela sera
souligné avec l’exemple français (b).
a) Les propositions communautaires
662. Dans son Livre vert, la DG Concurrence vise les dommages et intérêts punitifs à travers, d’une
part, la récupération d’un gain illicite et d’autre part, la possibilité de doubler le montant des
dommages et intérêts s’agissant de certaines infractions au droit de la concurrence, jugées les plus
graves, à savoir les ententes horizontales 975. La Commission se base alors sur le mécanisme
946F
américain des dommages et intérêts punitifs, qui, en droit de la concurrence, s’impose aux juges
comme aux parties en raison de trois fois le montant des dommages et intérêts alloués à titre
compensatoire 976. La Commission vise l’efficacité de la mesure pour lutter contre les ententes et la
947F
possibilité de sanctionner le comportement fautif de l’entreprise au travers la mise en œuvre de la
responsabilité civile. Elle y voit également un moyen de renforcer l’incitation à introduire ce type
d’action devant les juridictions civiles.
663. Dans le Livre blanc publié en 2009, la Commission européenne ne fait plus mention explicitement
des dommages et intérêts punitifs. Cependant, la lecture de certains passages du Livre blanc laisse
penser que la Commission n’a pas renoncé à l’idée de recourir à des dommages et intérêts punitifs
concernant les infractions au droit de la concurrence. Le point 2.5 du Livre blanc prévoit que « la
Cour a insisté sur le fait que les victimes doivent, au minimum, obtenir réparation intégrale du
dommage subi à sa valeur réelle » (soulignement ajouté) 977, ce qui lui permet de laisser la question
948F
ouverte.
664. En effet, dans sa jurisprudence Manfredi, la Cour ne condamne pas les dommages et intérêts
punitifs. Elle considère, en effet, que « conformément au principe d’équivalence, des dommages et
intérêts particuliers, tels que les dommages-intérêts exemplaires ou punitifs, doivent pouvoir être
alloués dans le cadre des actions fondées sur des règles communautaires de concurrence, s’ils
975
Le Livre Vert de la Commission européenne du 25 déc. 2005, intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction
aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante » COM(2005) 672 final, p.7, question E
(Option 14 à 16).
976
Clayton Act 1914; 15 U.S.C. §. 12-27; 29 U.S.C. § 52; 29 U.S.C., §. 53.
977
Le Livre Blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction
aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 8.
312
peuvent l’être dans le cadre d’actions semblables fondées sur le droit interne » 978. Cependant, elle
94 F
consacre également le principe de l’enrichissement sans cause. Il faudrait pour conjuguer les deux
principes envisager le versement de ces dommages et intérêts au Trésor public ou à un fond
particulier 979. Le Parlement européen, dans sa résolution du 27 avril 2007, « estime [pour sa part]
950F
que toute mesure proposée devra respecter pleinement la politique des pouvoirs publics des États
membres, notamment pour ce qui est des dommages-intérêts à caractère punitif »980. Le Parlement
951F
prend en compte le fait que l’Union est composée, tant de pays de Common Law, qui connaissent les
dommages et intérêts punitifs, que des pays de droit romano-germanique.
665. Ainsi, la Commission européenne parait favorable à l’introduction de dommages et intérêts
punitifs en droit positif des Etats membres, même si elle semble être revenue à une position plus
nuancée dans le cadre du Livre blanc, dans lequel elle mentionne explicitement sa volonté de
respecter les traditions juridiques des Etats membres et en particulier des pays de droit de tradition
romano-germanique 981. Les dommages et intérêts punitifs apparaissent en effet comme un atout pour
952F
la mise en œuvre de sa politique de lutte contre les ententes. Les pays européens de droit romanogermanique s’intéressent eux aussi à la question.
b) Les propositions nationales
666. Cette idée d’introduire des dommages et intérêts punitifs en droit des Etats membres de l’Union se
retrouve également dans certaines propositions nationales. En France, par exemple, les auteurs de
l’avant-projet de réforme du droit des obligations, porté par le professeur Pierre Catala, propose
l’introduction d’un article 1371 dans le Code civil qui disposerait que : « L’auteur d’une faute
manifestement délibérée, et notamment d’une faute lucrative, peut être condamné, outre les
dommages-intérêts compensatoires, à des dommages-intérêts punitifs dont le juge a la faculté de
faire bénéficier pour une part le Trésor public. La décision du juge d’octroyer de tels dommages-
978
CJCE, 13 Juil. 2006, aff. jointes C-295/04 à C-298/04, Vincenzo Manfredi c/Lloyd Adriatico Assicurazioni SpA,
considérant 93.
979
Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les
abus de position dominante, Journée d’étude organisée conjointement par le Collège européen de Paris de l’Université
Panthéon-Assas (Paris II), et l’Association Française d’Etude de la Concurrence (AFEC), Paris, le 13 Juin 2008, minutes
publiées dans la Revue Concurrences n°2-2009, propos de Mme Claudel, p. 33, note de bas de page 41.
980
Résolution du Parlement européen, du 25 avr. 2007, sur le Livre Vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour
infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », (2006/2207 (INI)), point 18.
981
Le Livre Blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction
aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 2-4.
313
intérêts doit être spécialement motivée et leur montant distingué de celui des autres dommagesintérêts accordés à la victime. Les dommages-intérêts punitifs ne sont pas assurables »982.
953F
667. De même, la Commission des lois du Sénat a, dans un rapport d’information intitulé
«Responsabilité civile: des évolutions nécessaires»983, proposé d’introduire des dommages et
954F
intérêts punitifs en droit français, mais seulement pour certains contentieux spécialisés : les atteintes
à l’image et à l’honneur, aux droits de propriété intellectuelle et au droit de la concurrence et de la
consommation.
668. Ainsi le principe des dommages et intérêts punitifs fait l’objet de toutes les attentions ces dernières
années. Les pouvoirs publics européens se sont intéressés à la question pour les recours civils faisant
suite à une violation du droit de la concurrence, la mesure apparaissant alors comme un atout
majeur. Cependant, la question est également envisagée dans certains Etats membres où cette notion
n’est pas connue. Il s’agit, comme le montre l’exemple français, d’appréhender certaines infractions
économiques. Cependant, des questions se posent quant à la compatibilité de ce principe avec
certains principes régissant la responsabilité de certains Etats membres de l’Union, comme le
principe de l’interdiction de l’enrichissement sans cause. Avant de s’intéresser à cette question
majeure, la conception anglo-saxonne des dommages et intérêts punitifs doit être examinée, afin
d’en comprendre le mécanisme.
982
Avant-projet de réforme du droit des obligations (Articles 1101 à 1386 du Code civil) et du droit de la prescription
(Articles 2234 à 2281 du Code civil), Rapport à M. P. Clément, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, 22 sept. 2005, La
documentation française, http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/054000622/index.shtml.
983
« Responsabilité civile : des évolutions nécessaires », rapport d'information n° 558 (2008-2009) de MM. Alain Anziani
et Laurent Béteille, au nom du groupe de travail sur la responsabilité civile, créé au sein de la commission des lois ; Voir
également proposition de loi portant réforme de la responsabilité civile, présentée par M. L. Béteille, Sénateur, 10 Juill.
2009, n° 657: « L'article 1386-25 ouvre la voie au prononcé par le juge, en plus de dommages et intérêts visant à
compenser le préjudice, de dommages et intérêts punitifs dans les seuls cas où la loi l'autorise expressément et à l'égard
des seules fautes lucratives. Le montant des dommages et intérêts punitifs ne pourra en aucune manière dépasser le double
du montant des dommages et intérêts compensatoires octroyés. Ils seront versés à la victime et, dans une proportion que le
juge déterminera, à un fonds d'indemnisation ou au Trésor public. ».
314
2) Le recours aux dommages et intérêts punitifs dans les pays de Common Law
669. Les dommages et intérêts punitifs (Punitive Damages) se définissent comme « la condamnation
de l’auteur responsable au versement d’une somme supérieure à celle requise pour réparer le
préjudice de la victime » 984, le caractère punitif se déduisant de l’importance du montant des
9 5F
dommages et intérêts alloués à la victime. Ce type de dommages et intérêts sont nés en Angleterre au
XVIIIème siècle 985. Le concept est ainsi relativement récent, même s’il existait des formes de peines
956F
punitives bien avant. La reconnaissance de la notion de dommages et intérêts punitifs en droit
anglais est liée à la réorganisation du droit anglais au 18ème siècle, et notamment à la nouvelle
composition des jurys.
670. Tout d’abord, rappelons qu’il n’existe pas en droit anglais de principe général de responsabilité.
Ainsi l’évolution a été sectorielle. Ensuite, il existait, avant le 18ème siècle, une forme de peine privée
similaire aux dommages et intérêts punitifs, mais cette sanction ne peut être assimilée à des
dommages et intérêts punitifs, car aucune distinction n’était marquée entre le droit pénal et le droit
civil. En effet, premièrement, tous les litiges étaient traités, sans distinction, au cas par cas, par les
tribunaux locaux. La seule exception concernait les infractions particulièrement graves troublant la
paix sociale, dans quel cas, la compétence était transmise aux tribunaux du roi 986. Dans ce cadre, les
957F
tribunaux prononçaient des peines de prison et des peines pécuniaires à l’encontre de l’auteur de la
faute sans distinction entre la peine répressive et la peine réparatrice. Cependant, l’auteur de la faute
pouvait également choisir de payer une somme d’argent pour échapper à la peine de prison 987.
958F
671. A partir du 18ème siècle, s’agissant des fautes intentionnelles, la distinction est faite entre droit
pénal et droit civil et les dommages et intérêts punitifs vont naître de cette distinction et du fait de la
nouvelle composition des jurys dans les litiges au civil. Dans les affaires civiles, les jurés étaient en
984
M. G. Di Stefano, Les dommages et intérêts punitifs en droit français et italien, Mémoire de Master II Recherche
« Contrats en droit européen » réalisé à l’Université de Poitiers et à L’Universita degli studi di Roma, s. dir. de Mme Le
Prof. Rose-Noëlle Schutz ; Voir également C. Coutant-Lapalus, Le principe de réparation intégrale en droit privée, préf. F.
Pollaud-Dulian, thèse Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2002.
985
Les peines privées existaient depuis des temps anciens. En effet, depuis l’Antiquité, certaines lois comme celles de
Babylone, de Grèce ou de Rome prévoyaient déjà des sanctions d’un montant supérieur à la seule réparation du préjudice
subi pour certains délits, voir Linda L. Schlueter et Kenneth R. Redden, Punitive Damages, 2ème éd., 1989. Cependant, elles
apparaissaient alors comme les seules peines encourues par l’auteur de la faute ; « L’Etat n’ayant pas les moyens de faire
respecter l’ordre social, il confiait ce soin à des particuliers », Marcel Crémieux, Réflexions sur la peine privée moderne,
dans Etudes offertes à Pierre Kayser, Aix-Marseille, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 1979, p. 261, n°1.
986
M. G. Di Stefano, Les dommages et intérêts punitifs en droit français et italien, Mémoire de Master II Recherche
« Contrats en droit européen » réalisé à l’Université de Poitiers et à L’Universita degli studi di Roma, op. cit.
987
George E. Woodbine, The origin of the Action of Trespass, YALE L.J. (1923).
315
effet dans un premier temps choisis pour leur compétence dans un domaine utile à la résolution du
litige. Ils pouvaient également être des témoins du fait générateur de la pratique. Ils avaient, du fait
de leur connaissance de la matière ou du litige, une large marge d’appréciation pour déterminer le
montant des dommages et intérêts à allouer à la victime et leurs décisions faisaient rarement l’objet
d’un appel. Cependant, à partir du 18ème, la tendance est au recrutement de jurés neutres, qui vont
essentiellement se prononcer en équité 988. La notion d’équité connue du droit anglais a joué un rôle
95F
déterminant dans la reconnaissance des dommages et intérêts punitifs 989. En effet, ces nouveaux
960F
jurés ont tendance à allouer des dommages et intérêts d’un montant supérieur à la valeur du
dommage réel subi par la victime. Les jurés prenaient en compte l’intention de l’auteur de la faute
ainsi que la gravité de son comportement et ils fixaient les dommages et intérêts en fonction d’un
objectif de dissuasion. Face à cette tendance, les juges, qui ont eu à connaître en appel des décisions
adoptées par les jurés, justifièrent la pratique de ces derniers en consacrant la notion de dommages et
intérêts punitifs, qui est venue se distinguer de la notion de dommages et intérêts compensatoires 990.
961F
672. Deux décisions rendues en 1763 marquent la reconnaissance explicite de ce concept en droit
anglais 991. Il s’agit de l’affaire Wilkes v. Wood 992, et de l’affaire Huckle v. Money 993 qui concernaient
962F
963F
964 F
des abus opérés par les pouvoirs publics. Dans la seconde affaire Huckle v. Money, un citoyen
anglais fut arrêté par les agents du Roi pour avoir émis une critique sur la politique menée par le
pouvoir royal. Les agents du Roi ont alors procédé à la perquisition de son domicile et ce, avec un
mandat de perquisition illégal. Ils l’ont ensuite retenu plusieurs heures dans leurs locaux. Devant le
juge, les agents du Roi firent valoir que le demandeur avait été bien traité puisqu’ils l’avaient nourri
pendant le temps de sa détention et qu’ainsi ils ne lui avaient pas causé de préjudice. Cependant, la
cour a considéré qu’« entrer dans la maison d’un homme en vertu d’un mandat de perquisition
irrégulier, dans le but de rechercher une preuve, est pire que l’Inquisition espagnole. C’est une
atteinte publique scandaleuse contre la liberté des sujets »994. Ainsi, le juge a validé les dommages
965F
988
Ibid.
C. Jauffret-Spinosi, Les dommages et intérêts punitifs dans les systèmes de droit étrangers, LPA, 20 nov. 2002, n° 232,
p. 8.
990
M. G. Di Stefano, Les dommages et intérêts punitifs en droit français et italien, préc. ; Camille Jauffret-Spinosi, Les
dommages et intérêts punitifs dans les systèmes de droit étrangers, préc.; G. E. Woodbine, The origin of the Action of
Trespass, YALE L.J. (1923).
991
Ibid.
992
Wilkes v. Wood, 98 Eng. Rep. 489 (C. P. 1763).
993
Huckle v. Money, 95 Eng. Rep. 768 (K. B. 1763).
994
Ibid ; C. Jauffret-Spinosi, Les dommages et intérêts punitifs dans les systèmes de droit étrangers, LPA, 20 nov. 2002, n°
232, p. 8.
989
316
et intérêts punitifs - alors appelés Exemplary damages 995, attribués par le jury. Ainsi le concept de
96F
dommages et intérêts punitifs en Angleterre est né pour les infractions intentionnelles et leur
reconnaissance est due à ces nouveaux jurés choisis pour leur indépendance et leur impartialité.
673. Les dommages et intérêts ont également été introduits en droit américain. Dans un premier temps,
ils ont été utilisés seulement pour les dommages causés de manière intentionnelle (Intentional
Torts) 996 comme en Angleterre. Puis dans un second temps, le critère a basculé sur la gravité du
967F
comportement adopté jusqu’à devenir un principe de droit commun pour les litiges entre personnes
privées, dans certains domaines du droit. Ainsi, en droit de la concurrence, le prononcé de
dommages intérêts punitifs est rendu obligatoire par le législateur 997. Si le dommage subi par les
968F
demandeurs résulte d’une infraction au droit américain de la concurrence, le juge devra prononcer en
plus des dommages intérêts compensatoires, des dommages intérêts punitifs, dont le montant sera de
trois fois la somme consentie au titre des autres dommages intérêts alloués pour la réparation du
préjudice. Le juge, dans ce cas, n’a aucune marge de manœuvre, ni sur le prononcé des dommages
intérêts punitifs, ni sur le montant de ces derniers 998.
96F
674. Cette utilisation des dommages et intérêts aux Etats-Unis contraste in fine avec la position
adoptée par la House of Lords en Angleterre, qui a limité le champ d’application de ces mesures 999.
970F
En effet, en Angleterre, depuis les années 1960, seules certaines catégories de dommages peuvent
donner lieu au prononcé de dommages et intérêts punitifs. Il s’agit tout d’abord des pratiques
« oppressives, arbitraires et inconstitutionnelles » 1000 des agents du gouvernement. Ensuite, sont
971F
visées les situations où « la conduite du défendeur avait pour but de lui rapporter un avantage
995
Il n’existe pas de distinction sur le plan juridique entre les Punitive damages et les Exemplary Damages. Dans un
premier temps, la première expression était plus utilisée par les américains et la seconde par les anglais. Cependant, depuis
1997, la Law Commission en Angleterre a proposé que le terme de Punitive damages soit privilégié par rapport au terme
d’Exemplary Damages. Il faut tout de même différencier en droit anglais entre les Punitive Damages et les Aggravated
Damages, les second étant de simples dommages et intérêts compensatoires, mais qui s’appliquent dans certains
contentieux (torts actions) où le préjudice réel est difficilement évaluable, comme en matière de diffamation, voir C.
Jauffret-Spinosi, Les dommages et intérêts punitifs dans les systèmes de droit étrangers, LPA, 20 nov. 2002, n° 232, p. 8.
996
Voir C. Jauffret-Spinosi, Les dommages et intérêts punitifs dans les systèmes de droit étrangers, préc.; M.G. Di Stefano,
Les dommages et intérêts punitifs en droit français et italien, Mémoire de Master II Recherche « Contrats en droit
européen » réalisé à l’Université de Poitiers et à L’Universita degli studi di Roma, s. dir. de Mme Le Prof. Rose-Noëlle
Schutz.
997
Clayton Act 1914, 15 U.S.C. §. 12-27; 29 U.S.C. § 52; 29 U.S.C., §. 53.
998
Voir J. Nannes, Le private enforcement : l’expérience américaine, Concurrence & consommation n° 153, Juin 2007,
Numéro spécial, p. 28.
999
Voir Rooks v. Barnard, [1964] AC 1129 et AB v. South West Water Services Ltd, [1993] QB 507 (Court of Appeal); C.
Jauffret-Spinosi, Les dommages et intérêts punitifs dans les systèmes de droit étrangers, LPA, 20 nov. 2002, n° 232, p. 8.
1000
Rooks v. Barnard, [1964] AC 1129.
317
financier supérieur à l’indemnisation à laquelle il aurait pu être condamné » 1001 et enfin les cas
9 72F
prévus par la loi. La seconde catégorie de situations est intéressante en ce qu’elle se rapporte à la
notion de faute lucrative, qui sera envisagée par la suite.
675. Cette étude des origines et du développement des dommages et intérêts punitifs dans les pays de
Common Law est intéressante car elle démontre que l’existence de ces dommages et intérêts tient
aux conditions de fonctionnement de la justice dans ces systèmes accusatoires et en particulier à la
notion d’équité d’une part et de jury d’autre part. Leur développement a cependant également
montré que même dans ces pays, les dommages et intérêts punitifs ne sont pas la voie naturelle de la
sanction des comportements et qu’ils connaissent ainsi de nombreuses limitations, tant par leur
champ d’application que dans la détermination de leur montant. C’est dans cette même optique que
les dommages et intérêts punitifs sont envisagés dans certains Etats membres de l’Union et en
particulier dans les pays de droit de tradition romano-germanique. Cette notion inconnue des
systèmes de droit civiliste apparaît, en effet, pour certains, comme une solution dans certains
domaines du droit où le comportement fautif de l’auteur reste impuni dans certains cas.
B) Les dommages et intérêts punitifs : les obstacles du droit romano-germanique
676. Les partisans de l’introduction de dommages et intérêts punitifs dans le droit positif des Etats
membres visent principalement une certaine catégorie d’infractions dites « lucratives », qui
impliquent une intention délibérée de leur auteur et leur confèrent un gain illicite, bien que des
dommages et intérêts compensatoires puissent être prononcés à leur encontre (1). Il s’agit alors de
s’interroger sur la compatibilité d’une telle mesure au regard de la distinction faite dans nos droits
civilistes entre la fonction purement réparatrice de la responsabilité civile et la fonction punitive de
la responsabilité pénale (2).
1001
Ibid. ; C. Jauffret-Spinosi, Les dommages et intérêts punitifs dans les systèmes de droit étrangers, LPA, 20 nov. 2002,
n° 232, p. 8.
318
1) Les dommages et intérêts punitifs : un outil tentant pour les fautes lucratives
677. Dans son avant-projet de réforme de la responsabilité civile, la commission Catala vise la « faute
manifestement délibérée, et notamment d’une faute lucrative » 1002. Ainsi sont envisagées les
973F
infractions, qui impliquent une intention délibérée de leur auteur. D’autres commentateurs ont pu
également parler de fautes graves 1003. Dans ces deux cas, on peut tout de suite noter qu’il ne s’agit
974F
plus de porter son attention sur la faute, mais sur l’auteur de la faute à travers son intention d’adopter
un comportement illicite. Il s’agit alors clairement de promouvoir un mécanisme de sanction de la
faute, via la mise en œuvre de la responsabilité civile. Parmi ces fautes intentionnelles, l’avant-projet
vise expressément les fautes lucratives. Il s’agit avec cette notion d’appréhender « les fautes dont les
conséquences profitables pour son auteur ne sont pas neutralisées par une simple réparation des
dommages causés » 1004. La faute lucrative peut être une faute contractuelle comme une faute
9 75 F
délictuelle 1005. Selon cette théorie, l’auteur du comportement dommageable, dans un domaine
976F
économique en particulier, bien que condamné à réparer le préjudice causé, reste bénéficiaire d’un
gain illicitement obtenu. Ainsi, les dommages et intérêts punitifs seraient envisagés comme un
moyen de confisquer ce gain illicite et de garantir l’effet dissuasif de la mise en œuvre de la
responsabilité civile. La théorie de la faute lucrative touche, en effet, au caractère intrinsèquement
dissuasif de la responsabilité civile. Cependant, les fautes visées témoignent en général d’une
intention de son auteur et d’un calcul a priori de sa part s’agissant du gain illicite espéré. Ainsi la
limite entre la simple dissuasion et la répression dans ce cas est très mince. De plus, confisquer le
gain illicite de l’auteur du comportement pour pallier à son enrichissement sans cause pour l’allouer
à sa victime sans que le comportement de cette dernière motive cet enrichissement semble déplacer
le problème sans réellement le résoudre. Il semblerait nécessaire, comme cela a été envisagé par le
professeur Catala, de verser la somme correspondant au gain illicite demeurant au Trésor public
plutôt qu’à la victime.
1002
Avant-projet de réforme du droit des obligations (art. 1101 à 1386 du Code civil) et du droit de la prescription (art.
2234 à 2281 du Code civil), Pierre Catala, Rapport à M. P. Clément, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, 22 sept.
2005, La documentation française :
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/054000622/index.shtml
1003
Voir par exemple R. Saint-Esteben, Pour ou contre les dommages et intérêts punitifs, LPA, 20 Janv. 2005, n° 14, p. 53 ;
G. Viney, Quelques propositions de réforme du droit de la responsabilité civile, Recueil Dalloz 2009, p. 2944.
1004
G. Viney, Quelques propositions de réforme du droit de la responsabilité civile, Recueil Dalloz 2009, p. 2944 ; Voir
également D. Fasquelle, L’existence de fautes lucratives en droit français, LPA, 20 nov. 2002, n° 232, p. 27.
1005
D. Fasquelle, L’existence de fautes lucratives en droit français, LPA, 20 nov. 2002, n° 232, p. 27.
319
678. Le professeur Viney, dans son article intitulé « Quelques propositions de réforme du droit de la
responsabilité civile » 1006 fait une distinction entre les dommages et intérêts non compensatoires ou
9 7F
« restitutoires » dont l’objet est la stricte confiscation du profit illicite, et les dommages et intérêts
punitifs, dont la vocation serait de punir l’auteur de la faute. Mme Viney voit dans cette distinction
la possibilité de rendre objective l’appréciation du juge. Elle prône alors la mise en place de deux
régimes distincts pour ces deux types de dommages et intérêts. Cependant, la mise en œuvre de ces
régimes pourrait se révéler très compliquée et elle ne résout pas les problèmes que posent
l’allocation de dommages et intérêts d’un montant supérieur au dommage réel vis-à-vis des principes
de la responsabilité civile définis dans les pays de droit de tradition civiliste.
679. Bien que cette proposition soit très intéressante en particulier pour parvenir à un objectif de justice
sociale, on peut penser qu’il manque une partie de la définition dans les éléments cités ci-dessus. Ne
faut-il pas en effet prendre en compte l’existence en parallèle de sanctions pénales ou
administratives, dont l’objet est à juste titre la sanction du comportement illicite et la dissuasion de
commettre et de réitérer ce type de comportement ? Il faut faire une distinction entre les pratiques
appréhendées par le droit pénal et/ou le droit administratif et les comportements qui sont simplement
appréhendés au titre de la responsabilité civile. Trop souvent, les auteurs comme les pouvoirs
publics ont tendance à élargir le champ de la faute lucrative au-delà de l’effet utile qu’elle pourrait
représenter, et ce, de manière dangereuse.
680. M. Daniel Fasquelle mentionne, comme exemple d’infractions lucratives, dans son article intitulé
« L’existence de fautes lucratives en droit français »1007, les atteintes aux droits de la personne et à
978F
l’environnement, les atteintes au droit de la concurrence déloyale et les atteintes en matière de
contrefaçon. Il s’agit des domaines visés par le rapport d’information de la Commission des lois du
Sénat sur la réforme de la responsabilité civile 1008. Cependant, bien souvent et comme cela est le cas
97F
avec le Livre vert et le Livre blanc de la Commission européenne concernant les recours civils pour
les infractions aux règles régissant le droit des ententes et les abus de position dominante, les
dommages et intérêts punitifs sont envisagés pour d’autres infractions pour lesquelles il existe déjà
d’importants moyens de répression des comportements illicites.
1006
G. Viney, Quelques propositions de réforme du droit de la responsabilité civile, Recueil Dalloz 2009, p. 2944.
D. Fasquelle, L’existence de fautes lucratives en droit français, LPA, 20 nov. 2002, n° 232, p. 27.
1008
« Responsabilité civile : des évolutions nécessaires », rapport d'information n° 558 (2008-2009) de MM. A. Anziani et
L. Béteille au nom du groupe de travail sur la responsabilité civile, créé au sein de la commission des lois ; Voir
également proposition de loi portant réforme de la responsabilité civile, présentée par M. L. Béteille, Sénateur, 10 juill.
2009, n° 657.
1007
320
681. Restons dans le domaine du droit de la concurrence et différencions entre un cas de concurrence
déloyale 1009 et un cas d’entente injustifiable 1010. La concurrence déloyale est, en France,
980F
981F
appréhendée au seul titre de la responsabilité civile quasi délictuelle. Ainsi si un commerçant est
victime d’un comportement déloyal, un dénigrement, par exemple, de la part de l’un de ses
concurrents, il devra saisir le juge civil sur le fondement des articles 1382 ou/et 1383 du Code
civil 1011. Les dommages et intérêts alors alloués constitueront la seule mesure adoptée à l’encontre
982F
de l’auteur du comportement, en dehors du prononcé d’une éventuelle amende civile. S’agissant des
comportements collusifs et en particulier concernant les ententes injustifiables, certains auteurs, et
économistes notamment, font valoir l’insuffisance des sanctions administratives prononcées par les
autorités de concurrence pour parvenir à un effet dissuasif suffisant 1012. Comme cela a été développé
983F
par le professeur Perrot 1013 et repris par M. Robert Saint-Esteben, dans son article intitulé « Pour ou
984F
contre les dommages et intérêts punitifs »1014, ils considèrent que le gain espéré ou réalisé par les
985F
entreprises est supérieur à la sanction encourue en cas de découverte de l’infraction. Ainsi les
dommages et intérêts punitifs pourraient être un outil supplémentaire à la politique de lutte contre les
pratiques anticoncurrentielles. Or, les autorités de concurrence disposent d’un large pouvoir de
sanction pécuniaire 1015. Elles peuvent prononcer des amendes d’un montant maximum fixé à 10% du
986F
chiffre d’affaire consolidé de l’entreprise contrevenante 1016, ce qui leur laisse une large marge
987 F
d’action. Mais surtout omettre l’existence d’une sanction de nature administrative ou pénale et
1009
La notion de « concurrence déloyale » couvre « l’ensemble des procédés commerciaux contraires à la loi ou aux
usages, constitutifs d’une faute intentionnelle ou non et de nature à causer un préjudice aux concurrents », Lexique des
termes juridiques 2012, Guinchard (S.) et Debard (T.), Dalloz, 19ème éd., 2011, p. 196. Pour approfondir cette notion, voir
M.-A. Frison-Roche, Les principes originels du droit de la concurrence déloyale et le parasitisme, Rev. de Jurisprudence
de Droit des Affaires, 1er juin 1994, n° 6 p. 483-488.
1010
A titre d’exemple, les ententes injustifiables ont été définies dans une recommandation de l’OCDE concernant une
action efficace contre les ententes injustifiables, du 25 Mars 1998 (C(98)35/FINAL) comme « un accord anticoncurrentiel,
une pratique concertée anticoncurrentielle ou un arrangement anticoncurrentiel entre concurrents visant à fixer des prix,
procéder à des soumissions concertées, établir des restrictions ou des quotas à la production, ou à partager ou diviser des
marchés par répartition de la clientèle, de fournisseurs, de territoires ou de lignes d’activité ».
1011
J.-B. Blaise, Droit des affaires : Commerçants, Concurrence, Distribution, LGDJ, 5ème éd., 2009, p. 347.
1012
Voir J. M. Connor, About cartel overcharges : Kroes is correct, Concurrences n°1-2010 ; F. Rosati, C. Ehmer, Science,
myth and fines : Do cartels typically raise prices by 25%, Concurrences n° 4-2009; E. Combes, C. Monnier, Les amendes
contre les cartels : la Commission européenne en fait-elle trop ?, Concurrences n° 4-2009, p. 41-50 ; E. Combes, C.
Monnier, Le calcul des amendes en matière de cartel : une approche économique, Concurrences n° 3/2007, p. 39-45 ; E.
Combes, C. Monnier, Cartel Profiles in the European Union, Concurrences n° 3-2007, p. 181-189 ; F. Jenny, E. Combe, J.
M. Connor, P. Buccirossi, G. Spagnolo, L’efficacité des sanctions contre les cartels : une perspective économique,
Concurrences n° 4-2006, p. 10-30.
1013
L’efficacité des sanctions pécuniaires, dans L’efficacité de la politique de la concurrence, Gaz. Pal. Des 29 et 30 janv.
2003.
1014
Robert Saint-Esteben, Pour ou contre les dommages et intérêts punitifs, LPA, 20 janv. 2005, n° 14, p. 53.
1015
A. Decocq et G. Decocq, Droit de la concurrence : droit interne et droit de l’Union européenne, L.G.D.J., 4ème éd.,
2010.
1016
Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 déc. 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux
articles 81 et 82 du traité, JO L 1 du 4.1.2003, p. 1–25, art. 23§1.
321
infliger, au titre de la répression du comportement adopté, au civil, une autre sanction par le biais de
dommages et intérêts punitifs reviendrait à sanctionner un même comportement deux fois.
Cependant, en Europe, selon l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne et selon également le protocole n°7 de la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’Homme et des droits fondamentaux, un même comportement ne peut être sanctionné
deux fois. Le principe du non bis in idem est garanti au niveau international par le Pacte des droits
civils et politiques de l’Organisation des Nations Unies 1017 et aux Etats-Unis par le Vème
98F
amendement de la Constitution américaine 1018. Il est à ce propos intéressant de relever que même
98F
aux Etats-Unis où le principe des dommages et intérêts punitifs est ancien et intégré dans le droit
positif, la question de la conformité de ce type de dommages et intérêts avec les droits garantis par la
Constitution américaine est régulièrement soulevée. Sont visées en particulier l’amendement n°14
qui est relatif au « due process » et l’amendement n°5 qui pose donc le principe du Non bis in
idem 1019. Dans un arrêt de 1996 1020, la Cour Suprême a même déclaré inconstitutionnel des
90F
91F
dommages et intérêts en se fondant sur le quatorzième amendement considérant que « la clause du
due process of Law du quatorzième amendement interdit à un Etat d’imposer à l’auteur d’un Tort
un « grossly excessive punishment » »1021. En l’espèce, la Cour Suprême a considéré que l’allocation
92F
d’une somme de quatre millions de dollars au titre des dommages et intérêts punitifs à l’acheteur
d’une voiture neuve qui avait été repeinte et ce, sans qu’il en soit averti, était excessive. De même, le
juge anglais (Court of Appeal) a refusé d’accorder des dommages et intérêts punitifs demandés par
un justiciable pour confisquer le gain illicite prétendument réalisé par une entreprise, participante à
une entente sur les prix des vitamines 1022. En l’espèce, la société Devenish nutrition Limited, qui ne
93F
pouvait faire la preuve de son préjudice personnel causé par la mise en œuvre de la pratique
concertée des fabricants de vitamines, a demandé au juge civil anglais de lui attribuer des dommages
1017
Il fut adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l'adhésion par l'Assemblée générale dans sa résolution 2200 A
(XXI) du 16 déc. 1966 et il est entré en vigueur: le 23 mars 1976, conformément aux dispositions de l'article 49. Le
principe du Non bis in idem est posé par l’article 14 §. 3 du Pacte.
1018
La Constitution des Etats-Unis fut élaborée lors de la Convention Constitutionnelle, qui se tint à Philadelphie en mai
1787, sous la présidence de George Washington et qui réunissait les délégués de chacun Etat. Ratifiée en 1789, elle pose les
bases de l’Etat fédéral en instaurant un pouvoir législatif, avec le Congrès composé de la Chambre des Représentants et du
Sénat, un pouvoir exécutif, avec le Président et un pouvoir judiciaire avec les cours de justice fédérales. En 1791, le
Congrès adopta dix amendements à la Constitution, appelés les « Bill of Rights », voir F. Hamon et M. Troper, Droit
Constitutionnel, L.G.D.J., 31ème éd., 2009 ; Bernard Dhuicq et Danièle Frison, L’anglais juridique, The English and
American Legal Systems, principes, procédures, et institutions juridiques GB/US, Langues pour tous, Pocket, 1999.
1019
C. Jauffret-Spinosi, Les dommages et intérêts punitifs dans les systèmes de droit étrangers, LPA, 20 nov. 2002, n° 232,
p. 8.
1020
BMW of North America v. Gore, 517 U.S. 559 (1996).
1021
C. Jauffret-Spinosi, Les dommages et intérêts punitifs dans les systèmes de droit étrangers, LPA, 20 nov. 2002, n° 232,
p. 8.
1022
Devenish Nutrition Limited v. Sanofi-Aventis SA (France) & Others, [2008] EWCA Civ 1086.
322
et intérêts punitifs sur la base du gain illicite réalisé par l’entreprise. Le juge de première instance
(High Court of Justice) a écarté la demande de la société Devenish nutrition Limited en relevant que
les entreprises avaient déjà été condamnées par la Commission européenne à une amende
administrative et que les entreprises, auteurs de cette pratique, ne pouvaient être puni deux fois 1023.
94F
La Cour d’appel a confirmé l’arrêt de première instance. Elle a considéré que l’objet des dommages
et intérêts en la matière est de compenser la perte subie et non de priver un auteur des bénéfices
illégalement acquis ou de dissuader d’autres contrevenants potentiels 1024.
95F
682. Ainsi, la question de la compatibilité de ces dommages et intérêts avec certains de nos principes
procéduraux pourrait être posée dans les mêmes termes en cas d’introduction de ces peines privées
en droit positif dans d’autres Etats membres de l’Union. Il faudrait en effet que la loi adoptée
remplisse les exigences du principe de légalité des peines et du principe de proportionnalité des
peines aux délits. Il faudrait également que soit garanti le respect des droits de la défense tels que
définis dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés
fondamentales (CESDH), outre le principe du Non bis in Idem 1025.
96F
2) Les dommages et intérêts punitifs, une mesure en rupture avec la fonction réparatrice
de la justice civile
683. Les dommages et intérêts apparaissent également difficilement conciliables avec la conception de
la responsabilité civile, dans les pays de droit romano-germanique. Selon certains auteurs 1026, la
97F
responsabilité civile a, par nature, deux finalités qui opèrent à égale valeur : la réparation du
préjudice et la punition de l’auteur. Il ressort selon leur théorie que la responsabilité civile poursuit
elle-aussi une finalité punitive qui transparait en particulier à travers certaines notions comme le
préjudice moral. Ainsi avoir recours à des dommages et intérêts punitifs ne contreviendrait pas au
principe de la réparation, qui, par ailleurs, n’apparait que comme un principe relatif qui souffre de
plusieurs aménagements. Cependant, une confusion n’est-elle pas effectuée entre la nature punitive
et dissuasive de la responsabilité civile et son effet ? La responsabilité civile n’est-elle pas par nature
simplement réparatrice et par effet dissuasive plutôt que par nature tant réparatrice que dissuasive et
punitive ? La finalité du recours devant la juridiction civile est pour la victime d’un comportement
1023
Devenish Nutrition Limited & Others v. Sanofi-Aventis SA (France) & Others, [2007] EWHC 2394 (Ch).
Devenish Nutrition Limited v. Sanofi-Aventis SA (France) & Others, [2008] EWCA Civ 1086.
1025
Il est possible de se référer à l’article 6§1 de la CESDH, qui pose le principe du droit à être entendu devant un tribunal
indépendant de manière équitable.
1026
F.-X. Licari, Note sous Cour d’appel de Poitiers, première chambre civile, 26 fév. 2009, pourvoi n° 07/02.404, Journal
du Droit international (Clunet), 1er oct. 2010, n° 2010-4, p. 1230-1263.
1024
323
fautif d’obtenir réparation du préjudice subi 1027. Mais pour l’auteur de la faute, le fait alors d’être
98F
condamné à indemniser la victime contribue à ce que cette personne soit dissuadée de réitérer un tel
comportement. Il s’agit d’un simple effet dissuasif.
684. Dans ce dernier cas, l’idée liée à la condamnation à des dommages et intérêts n’est pas de punir
l’auteur pour le dommage causé à la collectivité du fait de l’adoption de son comportement déviant,
mais de l’obliger à assumer ses actes face à la personne à qui il a causé du tort 1028. Il s’agit bien de
9F
responsabilité individuelle et non de faire respecter l’ordre public. En revanche, avec l’adoption des
dommages et intérêts punitifs, il s’agirait d’augmenter artificiellement le montant de la réparation
pour accroitre l’effet dissuasif et garantir un effet purement punitif du comportement adopté en
dehors des règles de la société, la finalité étant alors bien d’intérêt public. Dans ce cas, pourquoi la
somme allouée devrait être versée à la victime, ce qui crée alors à son profit un enrichissement sans
cause et pas à la collectivité et donc à l’Etat ? Comme l’avait relevé M. Demogue 1029, il s’agit de
10F
trouver une délimitation à la frontière entre réparation et punition. Cependant tant le principe de la
réparation intégrale du préjudice que le principe de l’enrichissement sans cause, même s’ils ne sont
pas parfaits, permettent de fixer de manière relativement objective cette limite. Introduire des
dommages et intérêts punitifs reviendrait alors à abandonner ces critères.
685. De plus, comme relevé par Stephane Piedlièvre dans son article intitulé « Les dommages et
intérêts punitifs, une solution d’avenir ? » 1030, le fait de reconnaître ce type de dommages et intérêts
1 01F
pour certaines infractions ou comportements aura pour effet de créer plusieurs régimes de
responsabilité civile qui seront fonction non plus du préjudice subi, mais de la faute commise et/ de
sa gravité.
686. Pour le droit de la concurrence, dans sa réponse au livre vert, l’AFEC a clairement exprimé
l’attachement des praticiens français au principe de la réparation intégrale du préjudice en justifiant
cet attachement par le souci de conserver la séparation stricte entre le rôle des pouvoirs publics dans
l’objectif de répression et le rôle du juge civil dans l’objectif de réparation du préjudice. Elle déclare
ainsi : « L’AFEC est majoritairement attachée à ce principe [de la réparation intégrale du
préjudice] et considère qu’une distinction claire doit être maintenue entre la mission de régulation
1027
A. Benabent, Droit civil, Les obligation, Monchrestien, 12ème éd., 2010.
P. Jourdain, Les principes de la responsabilité civile, collection connaissance du droit, Dalloz, 8ème éd., 2010, p. 3.
1029
R. Demogue, Validity of the Theory of compensatory damages, 27 Yale L.J, 585, 592 (1918).
1030
Revue Responsabilité civile et assurances, Hors-série, Juin 2008, p. 68 et suivantes.
1028
324
dévolue aux autorités de concurrence pour laquelle ces autorités disposent de pouvoirs spécifiques,
en particulier des pouvoirs de sanction, et la mission dévolue aux juridictions qui consiste à réparer
le préjudice causé »1031. L’AFEC souligne également plusieurs inconvénients à l’introduction des
1 02F
dommages et intérêts punitifs. Elle parle en effet de « risques d’enrichissement injustifié de la
victime et donc de déséquilibre du marché ainsi que des risques de détournement de contentieux
pour se rattacher à tout prix au droit de la concurrence dans le but de bénéficier d’une
indemnisation plus forte » 1032. Cependant, les avis restent encore partagés et les questions sont
103F
encore nombreuses.
687. L’apport du Droit International Privé. Une décision récente de la Cour de Cassation, rendue en
matière de Droit International Privé, pourrait laisser penser à un assouplissement possible de la
position des autorités en faveur de ce type de dommages et intérêts punitifs dans l’ordre interne1033.
104F
En l’espèce, il s’agissait d’un contrat de vente de navire, conclu entre un couple d’acheteurs
américains et un constructeur français, la société Fountaine Pajot. Avant sa livraison, le navire avait
dû faire l’objet de réparation car une tempête l’avait endommagé. Le couple d’acheteurs a pris
connaissance de cet incident qu’au moment de la livraison et a constaté des manquements du
constructeur quant aux réparations effectuées. Ils ont ainsi assigné la société française devant la
juridiction de Californie. La cour américaine a alors condamné le constructeur français du navire à
payer au couple d’acheteurs des dommages et intérêts compensatoires visant à remettre en état le
navire, mais également des dommages et intérêts punitifs pour un montant de plus d’un million de
dollars. Cette décision a fait l’objet d’une demande d’exequatur en France. Devant les juridictions
françaises, le constructeur du navire a soulevé le moyen de la contrariété à l’ordre public
international français et demandé à ce que soit rejetée la demande d’exequatur de la décision
américaine 1034. La Cour d’appel de Poitiers, statuant sur renvoi, avait confirmé la décision de rejet
105F
de la demande du juge de première instance 1035. Elle avait ainsi considéré que c’est « à bon droit »
106F
que la société française soutenait que la décision américaine lui infligeant des dommages et intérêts
à titre punitifs était contraire à l’ordre public international français. Elle releva notamment que « le
propre de la responsabilité civile [en France] est […] de replacer la victime dans la situation où
1031
Réponse de l’AFEC au Livre Vert « Action en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les
ententes et les abus de position dominante », p. 10, accessible à l’adresse suivante
http://ec.europa.eu/competition/antitrust/actionsdamages/green_paper_comments.html.
1032
Ibid.
1033
Cass. Civ. 1re, 1er déc. 2010, pourvoi n° 09-13.303.
1034
Voir P. Mayer et V. Heuzé, Droit International Privé, Montchrestien, 9ème éd., 2007.
1035
CA Poitiers, Ch. Civ. 1re, 26 fév. 2009, arrêt n° 07/02404.
325
elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit » et que l’allocation d’une
« indemnité qui dépasse largement le prix du navire, objet de la vente » est contraire au principe de
l’enrichissement sans cause et qu’une « telle sanction civile » porte atteinte au principe de
proportionnalité des délits et des peines, garanti par l’article 8 de la Déclaration des Droits de
l’Homme et du citoyen de 1789 (DDHC) 1036. La Cour de cassation n’a pas suivi l’avis de la cour
107F
d’appel et dans un arrêt du 1er décembre 2010, elle considère que « le principe de la condamnation à
des dommages et intérêts punitifs n’est pas en soi contraire à l’ordre public ». Elle rejette le
pourvoi, mais sur la seule appréciation du caractère « manifestement disproportionné » des
dommages et intérêts punitifs en l’espèce 1037.
108F
688. On peut noter aussi que nos voisins européens, que sont l’Allemagne et l’Italie, ont adopté une
solution radicalement différente lorsqu’ils ont eu à se prononcer sur une telle demande d’exequatur.
En effet, tout d’abord en 1992 1038, la Cour fédérale supérieure allemande (Bundesgerichshof) rejette
109F
une demande d’exequatur d’une décision américaine dans laquelle la Cour avait condamné le
défendeur au paiement de dommages et intérêts punitifs. Comme il ressort du commentaire de J. M.
Gaudette 1039, le Bundesgerichshof a procédé à une analyse en deux temps. Tout d’abord, il a vérifié
10F
que l’on était bien en présence d’une décision de nature civile étant donné le caractère répressif et
dissuasif de la mesure. Il relève, pour ce faire, le fait que les dommages et intérêts devaient être
versés à la victime et qu’il s’agissait bien d’un litige entre deux personnes privées. Ensuite, la Cour
allemande a vérifié si les dommages et intérêts punitifs n’étaient pas, même partiellement
compensatoires. Elle a alors relève que la Cour américaine avait ordonné le versement de 200 dollars
pour les frais de santé déjà exposés 1040, le versement de 100 000 dollars pour les frais de santé
10F
futurs, le versement de 50 000 dollars pour les frais de placement dans un établissement spécialisé,
le versement de 200 000 dollars pour le préjudice moral subi et enfin le versement de 400 000
dollars au titre des dommages et intérêts punitifs. A la lumière de ce détail, la Cour allemande a
retenu qu’il n’y avait pas de doute sur le caractère seulement répressif de ces derniers dommages et
1036
La DDHC a été intégrée au bloc de constitutionnalité en 1971 par une décision du Conseil constitutionnel, n° 71-44
DC, « Liberté d'association » du 16 juillet 1971 et a acquis valeur constitutionnelle.
1037
O. Cachard, La consecration du contrôle de proportionnalité au stade de l’exequatur d’une décision américaine
condamnant un chantier naval français à des dommages-intérêts punitifs, Droit maritime français, avr. 2011, n° 724, pp.
331-340 ; F. de Bérard, Punitive damages et ordre public international français : de la mesure pour l’arlésienne…, Note
sous Cass. 1re civ., 1er déc. 2010, n° 09-13303, Gazette du Palais, 24 mars 2011, n° 83, p. 13.
1038
Bundesgerishof, BGH, 4 Juin 1992, Aff. IX ZR 149/91.
1039
Cour fédérale de Justice, 4 Juin 1992, Aff. IX ZR 149/91, RGDA 1996, p. 205, note Gardette J.-M.
1040
En l’espèce, le ressortissant allemand avait été condamné au pénal pour attentat à la pudeur sur la personne d’un mineur
âgé de 14 ans et la décision de la juridiction américaine dont il était demandé l’exequatur était la suite de cette affaire sur le
volet civil.
326
intérêts. Plus récemment, en 2007, la Cour de cassation italienne a adopté une décision similaire 1041.
102F
De plus, on peut relever que le gouvernement italien, dans l’arrêt Manfredi de la CJCE 1042, a déclaré
103F
que « l’institution de l’indemnité punitive est étrangère à l’ordre juridique italien et à la raison
d’être de l’institution de l’indemnisation. Cette dernière serait, en effet, conçue comme une mesure
de réparation du préjudice subi et prouvé par la victime. Elle ne pourrait, en aucun cas, avoir une
fonction de sanction ou de répression, une telle fonction relevant du domaine de la loi »1043.
104F
689. Ces décisions prononcées en matière de Droit International Privé sont éclairantes sur deux points.
Tout d’abord, il semble que la question des dommages et intérêts punitifs est une affaire nationale et
non communautaire, chaque pays ayant pris position sur ce point. Ensuite, concernant le cas de la
France, la décision de la Cour de Cassation témoigne d’un assouplissement dans la perception des
modalités procédurales du système judiciaire américain. Cependant, il faut rester très prudent car
l’ordre public international est beaucoup plus restrictif que l’ordre public interne, surtout en France.
690. Les alternatives aux dommages et intérêts punitifs. Adopter une solution s’agissant des fautes
lucratives, qui ne relèveraient pas, par ailleurs, d’une qualification pénale ou administrative,
apparaitrait effectivement comme une avancée, et une évolution bénéfique. Cependant, pourquoi ne
pas recourir aux moyens qui existent dans notre droit et en particulier aux amendes civiles ? La
répression du comportement fautif serait alors assurée sous le contrôle du juge et dans le respect de
la loi. Le principe de l’interdiction de l’enrichissement sans cause serait respecté puisque l’argent ne
reviendrait pas à la victime, mais à l’Etat donc à la collectivité. De plus, la victime aurait
l’impression d’une justice rendue. D’ailleurs, l’ensemble des projets de textes prévoyant de manière
suffisamment détaillée l’introduction de dommages et intérêts punitifs en droit positif français,
considère que ces derniers seront versés au moins en partie au Trésor public, tout comme dans
l’exemple de l’avant-projet Catala. De plus, des dommages et intérêts prononcés par un juge civil en
fonction de la gravité du comportement de l’auteur de la faute, versés à l’Etat, ne sont-ils pas tout
simplement une amende civile ? On peut également relever que certains Etats américains ont
récemment adopté des “split-recovery” statutes, qui prévoient qu’une partie des dommages et
intérêts punitifs prononcés dans le cadre d’un litige au civil sont reversés à l’Etat. En Oregon, une loi
prévoit que 60% des dommages et intérêts punitifs alloués à la victime sont reversés à l’Etat 1044.
105F
1041
Cassazione Civile, sez. III, 19 Gennaio 2007, n° 1183, in Corriere Giuridico 2007, n° 4, p. 497.
CJCE, 13 Juill. 2006, aff. jointes C-295/04 à C-298/04, Vincenzo Manfredi c/Lloyd Adriatico Assicurazioni SpA.
1043
Ibid., considérant 85.
1044
Or. Rev. Stat. §.31.735 (2003).
1042
327
Ainsi doit-on adopter des mesures, qui sont à présent remises en cause par les pouvoirs publics qui
en sont à l’origine et qui posent des problèmes de compatibilité avec nos principes fondamentaux
alors qu’il existe dans notre droit positif une solution adaptée à nos besoins ?
691. Conclusion du §1). Le recours aux dommages et intérêts punitifs présenterait des avantages dans
certains cas. Ainsi ils pourraient pour les actions collectives, motiver les demandeurs à introduire
une telle procédure en indemnisation. De même, dans le cas de certaines fautes dites « lucratives »,
pour lesquelles il n’existe pas d’autre recours que le recours civils, il serait le moyen de renforcer
l’effet dissuasif de la mesure en vue d’une certaine justice sociale. Cependant, le recours à ce type de
dommages et intérêts punitifs remettrait en cause la distinction entre la justice civile et la justice
pénale et ce, aux risques de la violation des droits fondamentaux tels que garantis par la CESDH
notamment. De plus, l’étude de l’utilisation de ce type de dommages et intérêts dans les pays de
Common Law montrent que leur emploi ne fait pas l’unanimité dans ces pays alors qu’ils en sont à
l’origine. Ainsi avoir recours à ces dommages et intérêts punitifs aujourd’hui, dans des domaines
pour lesquels des mesures répressives importantes existent par ailleurs, semble présenter plus
d’inconvénients que d’avantages. Pourquoi ne pas utiliser les moyens existants dans nos systèmes de
droit, comme l’amende civile pour pallier les éventuelles carences du système répressif ? Pour le
droit de la concurrence, en particulier, les pouvoirs de répression des pouvoirs publics semblent
suffisamment importants pour ne pas recourir à ce type de dommages et intérêts punitifs. Se pose
plus généralement la question de la finalité de l’action collective portée devant les juridictions
civiles, qui sera abordée par la suite.
692. Un second principe a également nuit au débat sur l’action de groupe. Il s’agit du principe de la
divulgation inter partes des éléments de preuve, appelé également procédure de « Discovery » en
droit américain. Cette modalité d’exercice de l’action civile, permettant l’échange des éléments de
preuve utiles à la résolution du litige entre parties, fut perçue comme un élément nécessaire à
l’exercice de l’action de groupe alors qu’elle fait, elle-aussi, simplement partie du système judiciaire
américain.
328
§2) L’action collective et la preuve
693. La procédure d’action collective, comme toute procédure judiciaire, engagée devant le juge civil,
s’articule autour de la divulgation des moyens de preuve, les demandeurs à l’action devant apporter
des éléments nécessaires au soutien de leurs prétentions pour voir leur demande jugée recevable et
obtenir gain de cause. Cependant, l’accès aux preuves pour le demandeur n’est pas toujours aisé. En
effet, dans certains domaines du droit, et en partie en matière économique, il peut exister une
asymétrie d’information entre le demandeur et le défendeur, qui rendra particulièrement difficile le
recueil des éléments de preuve, qui doivent porter tant sur la faute alléguée du défendeur, dont le
comportement n’a pas toujours été sanctionné en amont par les pouvoirs publics, mais également sur
le préjudice subi et le lien de causalité entre les deux 1045.
106F
694. L’accès aux preuves revêt un caractère particulier dans le cadre d’une procédure d’action
collective. En effet, les enjeux de la divulgation des éléments de preuve dans ce type de procédure
sont multiples. Tout d’abord, le demandeur doit apporter la preuve de l’existence d’autres
demandeurs placés dans une situation similaire à la sienne et ayant subi un préjudice similaire au
sien, afin de justifier du recours à ce type de procédure. Ensuite, il doit apporter des éléments de
preuve qui peuvent être utilisés aussi bien au soutien de ces propres prétentions qu’au soutien des
prétentions des personnes pour lesquelles il entend agir.
695. Au regard de ces enjeux et de ces difficultés, la procédure américaine de Discovery qui repose sur
le principe d’une divulgation inter partes de l’ensemble des éléments d’informations utiles à la
résolution du litige pourrait présenter un certain intérêt. C’est ainsi que le Cabinet Ashurst dans son
étude sur les conditions de réparation des dommages causés par les violations aux règles
communautaires de la concurrence dans les différents Etats membres de l’Union Européenne 1046, a
107 F
proposé le recours à la procédure américaine de la Discovery. Elle permettrait de pallier, selon lui, la
méconnaissance de l’existence des pièces détenues par le défendeur qui empêcherait le demandeur
de formuler une demande au juge en vue de leur divulgation. Cette proposition fut reprise par la
1045
Voir Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, Defrénois, 2ème éd., 2005, p. 24 et s.
Etude Ashurst, Comparative Report, Study on the conditions of claims for damages in case of infringement of EC
competition rules, Denis Waelbroeck, Donald Slater and Gil Even-Shoshan, Cabinet Ashurst, 31 Août 2004; voir
également Making antitrust damages actions more effective in the EU: welfare impact and potential scenarios, rapport
final, Bruxelles, Rome et Rotterdam, 21 déc. 2007, Equipe pédagogique: Centre European Policy Studies (CEPS) Prof. A.
Renda (coordinateur), Prof. J. Peysner, Prof. Dr. Alan J. Riley, Prof. Barry J. Rodger, Erasmus University Rotterdam
(EUR) Prof. Dr. Roger J. Van Den Bergh, Sonja Keske, Luiss Guido Carli (LUISS), Prof. Roberto Pardolesi, Dr. Enrico
Leonardo Camilli, Dr. Paolo Caprile, Rapport pour la Commission européenne, contrat DG COMP/2006/A3/012, p. 4-5.
1046
329
Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, dans son Livre vert sur les
recours civils en cas d’infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position
dominante 1047, puis dans son Livre blanc sur le même thème, publié en 2008 1048. La Commission
108F
109F
propose alors d’introduire un degré de divulgation inter partes sur le modèle du droit américain, tout
en en limitant la portée afin de pallier aux dérives possibles en la matière 1049. En effet, la procédure
102F
de Discovery, bien qu’a priori séduisante, comporte également un risque de dérives, notamment
d’ordre financier, dès lors que son champ est appréhendé largement et que des moyens conséquents
doivent être mis en œuvre pour le traitement des données échangées. C’est ainsi que le débat sur
l’introduction d’une action de groupe en droit positif des Etats membres de l’Union européenne s’est
étendu à la question de l’adoption simultanément d’une procédure de Discovery, en vue de faciliter
l’obtention de la preuve dans ce type de procédure.
696. Les entreprises européennes déjà familières de la procédure de Discovery. Ce débat sur le
recours à une procédure de divulgation inter partes à l’américaine fut de plus alimenté par les
expériences relativement récentes de la Discovery américaine par les entreprises européennes qui
opèrent également aux Etats-Unis et qui ont du faire face à des procédures devant les juridictions
américaines. Des difficultés de gestion de la procédure de Discovery, mais également de
compatibilité du système avec les lois européennes, notamment sur la confidentialité des données à
transmettre ont été alors rencontrées.
697. Plan. Il faut tout d’abord revenir sur les éléments de cette procédure de Discovery pour en cerner
toute la complexité et la rigueur ainsi que l’impact financier en découlant 1050 (A). Il faut ensuite
102F
analyser le besoin d’une procédure de divulgation d’information inter partes au regard de nos
propres systèmes de communications de preuves, ne perdant pas de vue la nécessaire cohérence avec
1047
Le Livre Vert de la Commission européenne du 25 déc. 2005, intitulé « Actions en dommages et intérêts pour
infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante » COM(2005) 672 final.
1048
Le Livre Blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction
aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 4 : « S'il est
essentiel de surmonter cette asymétrie structurelle de l'information et d'améliorer l'accès des victimes aux preuves
pertinentes, il importe également d'éviter les effets négatifs qu'entraîneraient des obligations de divulgation trop larges et
contraignantes, notamment le risque d'abus susceptible d'en découler ».
1049
Ibid, p. 4. : « S'il est essentiel de surmonter cette asymétrie structurelle de l'information et d'améliorer l'accès des
victimes aux preuves pertinentes, il importe également d'éviter les effets négatifs qu'entraîneraient des obligations de
divulgation trop larges et contraignantes, notamment le risque d'abus susceptible d'en découler ».
1050
L’étude de la procédure de Discovery en matière pénale sera volontairement écartée car elle présente en cette matière
des spécificités et notamment une marge de contestation réduite notamment quand au destinataire de demande du fait que
les auteurs des demandes sont pour la plupart des autorités publiques. De plus, elle ne présenterait aucun intérêt au regard
de notre sujet.
330
le système judiciaire dans lequel devra s’inscrire la procédure d’action de groupe. Seront examinés
les systèmes anglais, allemand et français, qui présentent tous trois des caractéristiques spécifiques
et proposent des moyens de divulgation différents pour des solutions, in fine, relativement proches
(B).
A) Les spécificités du modèle américain de l’obtention des preuves, la procédure de
Discovery
698. L’utilisation du terme Discovery en droit américain, fait référence à la phase d’investigation,
préliminaire au procès, dans laquelle chaque partie peut demander directement, sans l’autorisation
du juge, à son adversaire, ou à tout témoin potentiel de produire tout élément d’information, utile à
la résolution du litige en cause. La procédure de Discovery permet à une partie d’obtenir des
documents demandés ou des éléments de preuve physiques. Elle permet aussi aux parties de
procéder à des Depositions 1051 et à des Interrogatories 1052. De plus, il est possible pour un
102F
1023F
demandeur de formuler des Requests for admissions, qui consistent à demander à l’autre partie
d’admettre ou de réfuter telle ou telle allégation. Enfin, cette procédure permet de demander
l’ordonnancement d’expertises physiques ou psychologiques 1053.
1024F
699. Cette procédure de divulgation d’informations inter partes se distingue de nos systèmes
judiciaires inquisitoires par le rôle du juge. En effet, ce dernier ne va intervenir qu’en cas de conflit
dans la mise en œuvre de la procédure entre les parties. De plus, cette procédure s’inscrit dans la
théorie légale des broad rights, qui énonce qu’aucune partie dans une procédure judiciaire ne doit
cacher d’éléments d’informations à l’autre partie, sous réserve de la protection du droit de ne pas
s’auto-incriminer posé par le cinquième amendement de la Constitution américaine. L’idée n’est
alors pas de réunir des éléments de preuve à l’appui de ses prétentions afin d’emporter la conviction
du juge, mais de réunir le plus grand nombre d’éléments, qui permettront dans un premier temps,
aux parties d’objectiver le litige et ainsi de trouver une solution à l’amiable au litige et dans le cas
contraire, dans un second temps, de proposer au juge ou au jury une vision claire de la situation, au
plus près de la « vérité ».
1051
Une « deposition », au sens américain du terme, signifie qu’une partie dans le cadre d’une session va pouvoir interroger
oralement son adversaire ou toute autre personne concernée par le litige. Cette dernière répondra à ces questions sous
serment et l’ensemble des propos tenus est retranscrit par écrit par un membre de la Cour, voir la définition dans le Black’s
Law dictionary, par Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9 ème éd., WEST 2009, p. 505.
1052
En droit américain, des « interrogatories » consistent en des questions écrites auxquelles l’autre partie doit répondre
sous peine de faux témoignage, voir la définition dans le Black’s Law dictionary, par Bryan A. Garner, Rédacteur en chef,
9ème éd., WEST 2009, p. 896.
1053
Voir la définition dans le Black’s Law dictionary, Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 1419.
331
700. Cette conception conduit à conférer un rôle central aux parties dans la divulgation de la preuve
dans le système américain de la Discovery. Elles vont alors disposer d’un large pouvoir d’action
pour obtenir les informations en possession de leur adversaire (1). Le juge n’interviendra lui que
dans un second temps afin d’arbitrer les conflits entre les parties et de sanctionner le non respect des
règles de mises en œuvre de la procédure par les parties. Ce contrôle a posteriori entrainera alors un
contentieux potentiel dans le contentieux, ce qui aura des répercussions sur la durée comme sur le
coût de la procédure (2).
1) Une instruction aux mains des parties en vue de la recherche de la vérité
701. La procédure de Discovery place les parties au litige au cœur du processus d’obtention des
éléments de preuve. En effet, en vertu des Règles Fédérales de Procédure Civile américaines
(FRCP) 1054, les parties au litige peuvent formuler des demandes de divulgation de documents, à
1025F
destination de leur adversaire de manière assez générale. Tout document peut être demandé dès lors
qu’il est considéré par le demandeur comme utile et pertinent pour la résolution du litige (a). De
plus, les parties au litige procèdent elles-mêmes et sans autorisation préalable du juge aux
interrogatoires et dépositions des témoins et des parties (b).
a) L’obtention de preuves documentaires
702. Dans le cadre de la préparation de son recours et une fois sa requête introduite, toute partie peut
demander à son adversaire de lui fournir tout document utile à la résolution du litige. Ce dernier a
alors l’obligation de divulguer les éléments demandés.
i) Une définition large des documents demandés dans la requête en production
703. Le champ de la requête en production d’information. Les règles de la procédure civile
américaine (FRCP) prévoient, que toute partie peut notifier à la partie adverse une requête en
production de documents 1055. Cette demande peut alors couvrir plusieurs modes de divulgation de
1026F
l’information. Elle peut viser « la production de tout document désigné ou la permission d’inspecter,
de copier, de tester, d’effectuer des échantillonnages desdits documents d’informations ou de toutes
choses tangibles désignées, qui se trouvent en la possession ou sous le contrôle de la partie faisant
1054
1055
Chapitre 5, intitulé « Disclosures and Discovery »
Rule 34(a) FRCP.
332
l’objet de la requête ou sur la permission de visiter et d’inspecter toute propriété appartenant à la
partie interrogée »1056. La marge de manœuvre de la partie en demande est importante puisqu’elle
1027 F
peut elle-même, sur autorisation de son adversaire – ou, sur injonction du juge, se rendre dans ses
locaux ou à son domicile pour se procurer l’élément demandé. Dès lors que la personne, partie au
litige est une personne morale, cette règle implique alors que le demandeur peut opérer au domicile
de cette dernière, mais également dans les locaux de ses filiales, que ces dernières soient situées sur
le territoire américain ou sur le territoire d’un Etat tiers.
704. Les standards a minima de définition de l’information demandée. Concernant le document
demandé, la loi fédérale prévoit que les parties peuvent obtenir « tout élément, non couvert par le
secret professionnel ou tout autre privilège, qui est pertinent au regard des demandes formulées par
les parties ou au regard de tous moyens de défense soulevés ». De même, la loi prévoit qu’au besoin,
le tribunal peut ordonner la divulgation « of any matter relevant to the subject matter involved in the
action ». De plus, ces éléments d’information n’ont pas besoin d’être admissibles devant un juge. Il
suffit qu’ils permettent de conduire à la divulgation d’éléments de preuve admissibles 1057. Ainsi les
1028F
parties ont également une large marge de manœuvre concernant les documents demandés, la seule
limite se présentant à eux au regard de ces dispositions légales étant la protection de la
confidentialité du document 1058. La requête en production de document n’a pas besoin de viser
1029F
expressément les documents existants ; la partie demanderesse peut se contenter de viser une
« catégorie de documents ».
1056
Rule 34(a) FRCP: “(a) In General.
A party may serve on any other party a request within the scope of Rule 26(b):
(1) to produce and permit the requesting party or its representative to inspect, copy, test, or sample the following items in
the responding party's possession, custody, or control:
(A) any designated documents or electronically stored information — including writings, drawings, graphs, charts,
photographs, sound recordings, images, and other data or data compilations — stored in any medium from which
information can be obtained either directly or, if necessary, after translation by the responding party into a reasonably
usable form; or
(B) any designated tangible things; or
(2) to permit entry onto designated land or other property possessed or controlled by the responding party, so that the
requesting party may inspect, measure, survey, photograph, test, or sample the property or any designated object or
operation on it.”
1057
Rule 26 (b)(1) FRCP : “Unless otherwise limited by court order, the scope of discovery is as follows: Parties may
obtain discovery regarding any nonprivileged matter that is relevant to any party's claim or defense — including the
existence, description, nature, custody, condition, and location of any documents or other tangible things and the identity
and location of persons who know of any discoverable matter. For good cause, the court may order discovery of any matter
relevant to the subject matter involved in the action. Relevant information need not be admissible at the trial if the
discovery appears reasonably calculated to lead to the discovery of admissible evidence. All discovery is subject to the
limitations imposed by Rule 26(b)(2)(C)”.
1058
Le terme de « confidentialité » est ici utilisé dans son sens générique et couvre le Legal privilege, le secret
professionnel et le secret des affaires.
333
705. Exemple d’une définition du terme « Document » pouvant être formulée dans le cadre d’une
requête.
Par exemple, une des définitions types donnée au mot « documents » dans une requête de
production de documents peut être la suivante : « tous éléments rentrant dans le champ
d’application de la règle 34 FRCP y compris non limitativement,

Tous écrits et enregistrements, y compris les originaux et toutes les copies non identiques,
qu’elles soient différentes de l’original du fait d’annotations ou pour toute autre raison (y
compris non limitativement, les emails et pièces jointes, correspondances, mémorandums,
notes d’agenda, comptes rendus, statistiques, lettres, télégrammes, contrats, rapports, études,
vérifications, déclarations, étiquettes, labels, factures, brochures, récépissés, accusé de
réception, résumés, ouvrages, communications internes et externes, offres, notes de
conversations de tout genre, documents de travail, demandes, permis, couvertures de dossiers,
indexes, notes d’entretiens téléphoniques et de réunions, sorties d’imprimantes, télécopies,
feuilles de travail et tous projets, altérations, modifications, changements amendements de l’un
quelconque des documents précités) ;

Toutes représentations graphiques ou audio de toutes sortes (y compris non limitativement, les
photographies, diagrammes, microfilms, microfiches, cassettes vidéo, enregistrements, films,
plans, dessins, revues) et

Tous enregistrements ou représentations électroniques, mécaniques, magnétiques, optiques, ou
électriques de toutes sortes (y compris non limitativement, les dossiers et programmes
informatiques, cassettes, disquettes, enregistrements et y compris les métadonnées 1059 ». 1060
103F
103F
706. La Pre-Discovery. Les requêtes en production de documents peuvent être formulées très tôt dans
la procédure. En effet, la mise en œuvre de la Discovery peut intervenir dès le dépôt de la demande
1059
“Metadata is information about a particular data set which may describe, for example, how, when and by whom it was
received, created, accessed and/or modified and how it is formatted. Some metadata, such as file dates and sizes, can easily
be seen by users; other metadata can be hidden or embedded and unavailable to computer users who are not technically
adept. Metadata is generally not reproduced in full form when a document is printed. (Typically referred to by the less
informative shorthand phrase “data about data,” it describes the content, quality, condition, history and other
characteristics of the data.) There is a file system metadata, document metadata and e-mail metadata. Furthermore, ediscovery vendors often create and maintain vendor-added metadata as a result of processing a document”, source:
www.krollontrack.com (legal resources –sample documents).
1060
Source: www.krollontrack.com (legal resources –sample documents).
334
par le demandeur et avant même que le défendeur ait eu le temps de contester la demande en
formulant une requête de rejet a priori de la demande devant le juge (Motion to dismiss). Il s’agit de
la Pre-Discovery.
707. Les parties et leurs conseils vont alors s’organiser entre elles. Les avocats des parties jouent un
rôle central dans la mise en œuvre de la procédure de Discovery. Ils sont les véritables acteurs de la
procédure. Ainsi lors d’une réunion préliminaire obligatoire (Mandatory pre-trial « meet-andconfer » conference), les parties et leurs conseils déterminent les contours de la Discovery
(Discovery Plan). Ils se mettent d’accord sur le périmètre de la Discovery, son calendrier et sur les
conséquences en cas de divulgation involontaire de documents concernés par le secret des affaires.
Dans un délai de 14 jours suivant cette rencontre, les parties doivent fournir à leur adversaire toutes
informations ou éléments de preuve susceptibles de venir au soutien de leurs prétentions 1061. Il s’agit
1032F
pour chaque partie de dresser une liste des éléments d’informations utiles se trouvant en leur
possession ou en la possession d’un tiers, que ces éléments leur soient favorables ou défavorables.
Particulièrement, chaque partie doit notamment fournir à la partie adverse :

le nom et les coordonnées de toute personne susceptible d’être en possession d’éléments
d’information,

une copie ou une description de tous les documents, informations électroniquement
disponibles, et de toute chose tangible en leur possession, et

une attestation d’assurance de responsabilité civile 1062.
103F
708. Les parties ont un large champ d’action et des moyens importants mis à leur disposition pour la
réunion d’éléments de preuve, qu’elles peuvent mettre en œuvre très rapidement après l’introduction
de la demande en justice. Elles ont l’opportunité de formuler une simple demande de transmission
d’un document, mais également de se rendre sur le lieu de domicile de l’adversaire pour obtenir
l’information voulue. Cette dernière compétence, qui pourrait être qualifiée de perquisition 1063, au
1034F
sens du droit français, est peut être le moyen le plus choquant au regard de la tradition romanogermanique et en particulier au regard de la répartition des rôles entre les pouvoirs publics et les
personnes privées. En effet, en France, comme dans les autres pays européens de tradition romano1061
Rule 26 (a) (1) (A) FRCP: [- « That the disclosing party may use to support its claims or defenses »].
Rule 26(a)(1)(A) FRCP.
1063
« Recherche policière ou judiciaire des éléments de preuve d’une infraction. Strictement réglementée elle peut être
réalisée au domicile de toute personne ou en tout autre lieu où pourraient se trouver des objets, documents ou données
informatiques, dont la découverte serait utile à la manifestation de la vérité », Lexique des termes juridiques 2012, S.
Guinchard, et Th. Debard, Dalloz 2011, p. 637.
1062
335
germanique, cette compétence est dévolue exclusivement aux pouvoirs publics, qui agissent sous
autorisation et contrôle du juge. De plus, le fait de ne pas devoir identifier les documents demandés
en des termes précis décuple l’effet de la mesure. Il suffit pour toute personne d’introduire une
requête en justice - certes fondée a priori, et d’aller à la pêche aux informations en utilisant les
requêtes en production de documents comme filet. Dès lors qu’une requête est formulée, il incombe
par principe à l’autre partie de répondre à cette demande.
ii) L’obligation de conservation et de divulgation des documents utiles à la procédure
709. Dès lors que la requête en production de documents est conforme aux dispositions légales, la
divulgation des éléments demandés s’impose au destinataire de la demande. En effet, ce dernier doit
produire les documents demandés, relatifs au litige, par la partie adverse en dehors de toute
injonction du juge. Cette obligation légale s’accompagne en outre d’une obligation de conservation
des documents. Toute personne susceptible d’être partie à un litige futur est obligée de conserver
tous les documents, qui sont en sa possession et qui pourraient se révéler utiles pour la résolution du
futur litige.
710. Appliquée à l’entreprise, cette obligation de conservation se traduit par la mise en place d’une
véritable politique de conservation des documents, consistant alors d’une part à conserver et donc à
stocker tous les documents de l’entreprise pendant une période raisonnable – ces périodes sont
généralement fixées en fonction des délais de prescription des actions en justice – et d’autre part, à
mettre en place des outils permettant le cas échéant, d’identifier parmi la masse de documents ceux
relatifs au litige. Cette identification est alors utile à l’entreprise elle-même pour préparer sa défense,
mais elle permet surtout de lister les documents qui pourront faire l’objet d’une requête en
production par la partie adverse. La masse des informations à traiter peut être considérable et en
particulier depuis 2006. En effet, jusqu’en novembre 2006, ces obligations ne portaient que sur les
documents sur support papier. Cependant, une réforme des règles fédérales de procédure civile
américaines, entrée en vigueur en décembre 2006, est venue étendre l’objet de l’obligation aux
documents sous forme électronique, ce qui a des répercussions considérables sur le volume de
documents à conserver et éventuellement à faire parvenir à l’autre partie au litige. Le nombre de
documents transmis dans le cadre d’un litige en matière civile et commerciale aux Etats-Unis est
estimé en moyenne à un million.
336
711. La tenue de ces obligations par les entreprises américaines représente un coût important pour ces
dernières. Une moyenne de 3,5 millions de dollars par litige en matière civile et commerciale
simplement pour la procédure de Discovery a été avancée par Institute for Legal Reform 1064 de la
1035F
Chambre du commerce américaine. Les entreprises doivent désormais de plus en plus recourir aux
services d’entreprises spécialisées dans le traitement des données informatiques. En effet, les
exigences de la procédure de Discovery ont donné lieu à la création d’un nouveau marché qui est
celui de la de la gestion (stockage, classement et transfert sur demande) des documents
informatiques pour des fins judiciaires. Elles doivent de plus, si nécessaire, faire traduire les
documents à transmettre. Cependant, le coût de gestion le plus important reste le coût des honoraires
d’avocats générés par l’obligation pour ces derniers de passer en revue tous les documents en
possession de leur client, mais également en provenance de la partie adverse afin d’identifier les
documents utiles à la défense de leur clients et les documents couverts par la confidentialité.
712. La procédure de Discovery impacte la vie et l’organisation des professionnels de la justice,
comme celles des justiciables, en particulier celle des entreprises qui sont appréhendés, par la
législation en vigueur en la matière simplement comme des parties à un litige potentiel. Cette
procédure nécessite la mise en place de moyens conséquents, en amont des procédures et ce, même
avant toute introduction d’une demande en justice. De plus, une fois la demande introduite, la
gestion matérielle et intellectuelle des documents relatifs au litige, qui se fait principalement par les
avocats, peut alors représenter un coût important pour le destinataire de la demande, d’autant qu’une
large marge de manœuvre est laissée aux parties dans la formulation des requêtes en production de
documents. Adopter une procédure de Discovery en Europe pour les recours collectifs aurait des
répercussions sur les coûts de justice comme sur la gestion des litiges par les avocats.
713. Ce large pouvoir d’intervention laissé aux parties se manifeste également au travers du second
volet de la Discovery relatif aux Depositions et aux Interrogatories. Outre le fait que les parties
peuvent demander à visiter les locaux de la partie adverse, afin de recueillir les éléments
d’informations utiles à la résolution du litige, elles peuvent, avec leurs conseils, procéder aux
Depositions et Interrogatories des parties et des témoins et ce, sans injonction du juge, même si, la
procédure est alors fortement encadrée à défaut d’être autorisée a priori par le juge.
1064
Target: Europe, Global Export of US-Style Class action Lawsuits, US Chamber Institute for Legal Reform Paper, 13
May 2009.
337
b) Les autres mesures de la Discovery : les Interrogatories et les Depositions
714. Les autres modes d’obtention de l’information. La procédure de Discovery aux Etats-Unis porte
sur la divulgation de documents utiles à la résolution du litige, mais également sur toutes autres
informations quel que soit leur mode de divulgation. En effet les parties peuvent également procéder
aux interrogatoires des parties et des témoins ainsi que recueillir leur déposition et ce, en dehors de
toute autorisation a priori du juge. Les propos recueillis peuvent ensuite être produit lors du procès.
Les avocats des deux parties prennent alors en charge la procédure.
715. Cette seconde faculté dévolue aux parties est peut être la plus surprenante - avec la possibilité de
visiter les locaux de la partie adverse - au regard de notre propre système d’obtention de la preuve et
de celui des pays de tradition romano-germanique en général. En effet, en France, bien qu’il soit
possible en matière civile pour une partie de produire en justice des témoignages écrits
(attestations) 1065, seul le juge peut procéder à l’interrogatoire des parties 1066 et des témoins 1067. Cette
1036F
1037F
1038F
compétence relève en effet de la compétence exclusive des pouvoirs publics et du juge. Cette
compétence des parties est d’autant plus notable que les éléments de preuve oraux bénéficient d’une
valeur probante plus importante que les éléments de preuve écrits dans le système judiciaire
américain. L’exemple mentionné du cartel des tuyaux marins illustre bien cette supériorité de la
valeur du témoignage en droit américain, les propos tenus par le Directeur de l’entreprise ayant suffit
à la reconnaissance du droit de cette dernière d’ester en justice dans cette affaire 1068. La place de la
1039 F
preuve orale dans le système judiciaire américain s’explique en grande partie par la sacralisation de
la notion de « vérité », la justice étant au service de la vérité. Le parjure constitue, ainsi, aux EtatsUnis, l’offense suprême.
716. Bien que les parties disposent d’une compétence large en la matière, la mise en œuvre de ces
deux modes de divulgation de l’information est très encadrée par le Code de procédure civile
américain (FRCP). Le législateur a en effet entendu garantir le respect du Fair Trial 1069. Il a tenu
104F
compte du fait que les personnes sont rarement entendues de nouveau lors du procès devant les
jurés. Ainsi le recueil des propos doit être réalisé, de manière équitable et juste, dans le respect des
1065
Voir art. 200 et s. du Code de procédure civile sur les attestations.
Voir art. 184 et s. du Code de procédure civile sur la comparution personnelle des parties.
1067
Le juge français peut interroger les témoins par voie d’enquête, art. 204 et s. du Code de procédure civile sur l’enquête.
1068
Voir §. 20-21
1069
La notion de « Fair Trial » fait référence au droit à être jugé par un tribunal impartial et désintéressé en conformité
ème
avec les règles procédurales en vigueur, Black’s Law dictionary, Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9
éd., WEST
2009, p. 676.
1066
338
droits de la personne interrogée. Prenons l’exemple des Depositions, qui sont régies par les règles 28
à 30 du Code fédéral de procédure civile. Les Depositions en droit américain correspondent aux
interrogatoires en droit français 1070. Elles ne peuvent être mises en œuvre, par les parties, que dans
104F
certaines conditions dont les suivantes.
 Tout d’abord, la Deposition doit être réalisée en présence d’une personne assermentée,
dépendante de la Cour. Elle est enregistrée et retranscrite 1071 et toute objection formulée
1042F
lors de cet exercice doit également apparaître sur la retranscription 1072. Ces mesures
1043F
permettent la restitution précise et complète de l’interrogatoire lors du futur procès.
 Ensuite, les objections pouvant être soulevées par les conseils de la défense sont
limitées à trois motifs : la préservation de la confidentialité d’une information, la
préservation d’une ordonnance limitative de la Cour et la volonté de déposer une
requête (Motion) devant la Cour du fait du harcèlement ou de l’embarras infligé au
témoin 1073.
104F
 De plus, un nombre limité de Depositions peut être opéré dans le cadre d’un litige, sans
autorisation du juge 1074.
1045 F
 Enfin, la durée de l’interrogatoire ne peut excéder une journée de 7 heures, sauf
autorisation du juge 1075.
1046 F
717. De plus, le juge peut toujours de sa propre initiative ordonner une limitation du champ des
questions posées et peut lui-même imposer des règles de déroulement de l’interrogatoire plus strictes
que ce qu’il est prévu dans le Code de procédure civile (FRCP) en tenant compte des circonstances
de l’espèce. Ces règles d’encadrement des modes de recueil des informations nécessaires au litige,
1070
Les « Depositions » peuvent être opérées par les parties, en dehors de toute autorisation préalable du juge, sauf dans des
cas particuliers, comme par exemple si la personne que l’on souhaite soumettre à une Deposition est en prison, Rule
30(a)2(A) FRCP.
1071
Voir note de bas de page 154.
1072
Rule 28(a) FRCP : “Within the United States or a territory or insular possession subject to United States jurisdiction, a
deposition must be taken before:
(A) an officer authorized to administer oaths either by federal law or by the law in the place of examination; or
(B) a person appointed by the court where the action is pending to administer oaths and take testimony”.
1073
Rule 30(c) 2 FRCP.
1074
Si une partie entend procéder à plus de dix Depositions, elle doit obtenir l’autorisation du juge, Rule 30(a)2(A)(i)
FRCP.
1075
Rule 30(d)1 FRCP.
339
ainsi d’ailleurs que leur contrôle par le juge sont particulièrement importants aux États-Unis du fait
de la possibilité pour toute personne de réutiliser les éléments obtenus dans le cadre d’un autre litige.
718. Ainsi bien que les parties à la procédure soient également en charge de l’initiative et de la
conduite des Interrogatories comme des Depositions, leur compétence en la matière est beaucoup
plus encadrée que leur compétence en matière de divulgation de documents, la loi leur imposant un
certain formalisme quant à la mise en œuvre de ces procédures. Les conditions énumérées tendent
alors à une parfaite restitution des propos recueillis, et à la garantie des droits de la défense de la
personne interrogée. De plus, un officier assermenté, seul garant du serment de la personne
interrogée, doit être présent. Cependant, ce très grand formalisme, comme par ailleurs à l’opposé, la
grande liberté des parties dans la formulation des requêtes en production de documents, conduisent à
la création de nombreux contentieux entre les parties dans la mise en œuvre de la procédure de
Discovery et le juge est appelé à intervenir dans de nombreux cas afin de trancher ces points de
dissonances, ce qui n’est pas sans ajouter aux coûts et aux délais de la procédure principale.
2) Le contrôle du juge sur la procédure de la Discovery, un contentieux dans le
contentieux
719. Plan. Dès lors qu’un litige dans la mise en œuvre de la procédure de Discovery intervient, le juge
américain exerce son rôle de garant du bon fonctionnement de la justice et se pose en arbitre. Il peut
alors opérer un contrôle tant sur le champ des demandes de divulgation formulées par les parties (a)
que sur l’exécution de bonne foi de la procédure par les parties (b).
a) Le contrôle de l’étendue des demandes de divulgation de documents
720. Le pouvoir de limitation du champ de divulgation du juge. Le juge peut limiter le champ et la
fréquence des demandes de divulgations des informations dès lors que ces demandes apparaissent
comme disproportionnées par rapport à l’objet du litige ou sans rapport avec ce dernier. Il dispose,
pour ce faire, d’un large pouvoir d’appréciation.
340
721. Dans certaines circonstances, cette possibilité se transforme en obligation. En effet, sur demande
ou d’office, le juge doit limiter la fréquence ou le champ de la Discovery :

Si l’information recherchée au travers de la procédure de Discovery apparaît déraisonnable,
cumulative ou duplicative, ou si les éléments demandés peuvent être obtenus par une autre
source entrainant moins d’inconvénients, nécessitant moins d’efforts et surtout se révélant
moins couteuse.

Si la partie demanderesse a déjà eu de multiples opportunités au cours de la procédure de
demander ces éléments d’informations, ou

Si le coût et l’ampleur de la Discovery proposée dépassent les bénéfices et buts recherchés. Le
juge examine pour cela les nécessités de l’affaire, le montant du litige, les ressources des
parties, l’importance des questions posées par le litige et l’importance de la Discovery dans la
résolution de l’affaire 1076.
1047 F
722. La vigilance du juge est particulièrement en cas de demande portant sur des données
informatisées. En effet, la demande d’obtention d’éléments d’information peut se faire quel que soit
le support sur lequel elle se trouve 1077. Ainsi peuvent faire l’objet d’une demande de production les
1048 F
courriers électroniques, ainsi que tous autres documents informatiques se trouvant en possession de
la partie adverse. Cependant, du fait de leur caractère immatériel, ces données peuvent être difficiles
d’accès. Ainsi, le législateur a instauré une limitation spécifique concernant les demandes portant sur
des informations contenues sur ce type de support. Sont exclues du champ de la demande de
production de documents, toute information dont la source n’est pas considérée comme
raisonnablement accessible du fait de l’absence de preuve amenée [quant à sa pertinence] et/ ou du
coût que [sa production] engendrerait 1078. Ainsi une partie peut contester toute demande formulée
1049F
en ce sens devant le juge. Il lui incombe alors d’apporter la preuve des difficultés d’accès
rencontrées et du caractère déraisonnable d’une telle production 1079. Le juge a le pouvoir de rendre
105F
une ordonnance de protection interdisant la divulgation de l’information demandée.
1076
Rule 26 (b)(2)(C) FRCP.
Jusqu’en novembre 2006, l’obligation de conservation et de divulgation d’éléments d’information susceptibles d’être
utiles dans le cadre d’un litige pesant sur tout ressortissant américain et surtout sur toute entreprise américaine concernaient
principalement les documents sur support papier. Cependant, une réforme des règles fédérales de procédure civile
américaines, entrée en vigueur en décembre 2006, est venue étendre l’objet de l’obligation aux documents et informations
se trouvant sous forme électronique.
1078
Rule 26(2)(B) FRCP.
1079
City of Seattle v. Prof’l Basketball Club, LLC, 2008 WL 539809 (W.D.Wash. Feb. 25, 2008), “In this dispute over
performance of a lease agreement, the plaintiff filed a motion to compel the defendant to search and produce responsive emails from six of its eight members. Having produced 150,000 e-mails from two of the members, the defendant objected to
this request, claiming the search would “increase the universe exponentially” and would generally produce irrelevant
1077
341
723. A titre d’exemple, dans une affaire Aguilar v. Immigration & Customs Enforcement Divis. of
United States Dept. of Homeland Security 1080, dans laquelle les demandeurs arguaient d’une
105F
violation du quatrième amendement de la Constitution par les Service de l’immigration américains
lors d’une perquisition à leur domicile, le juge a eu à se prononcer sur la possibilité d’avoir accès à
des documents informatiques et aux métadonnées 1081 y afférents. En l’espèce les défendeurs avaient
1052F
transmis conformément à la requête des demandeurs des documents informatiques : des emails, des
fichiers Word, Powerpoint et Excel. Cependant, les documents transmis ne comprenaient pas les
métadonnées relatives à chaque document. Ainsi les demandeurs, quelques mois plus tard, ont
formulé une nouvelle demande concernant la divulgation des mêmes documents, mais avec les
métadonnées. Les défendeurs ont alors formé une requête devant le juge pour voir interdire cette
demande faisant valoir que l’accès aux métadonnées des documents était difficile, que ces
métadonnées n’étaient pas pertinentes au regard des questions posées par le litige et que les coûts
qu’engendrerait cette nouvelle production seraient disproportionnés au regard de la pertinence des
documents demandés. Le juge a alors considéré la requête en fonction des circonstances de l’espèce.
Il a ordonné aux défendeurs de produire les métadonnées relatives aux emails et aux fichiers Excel.
Il a considéré que les emails étant peu nombreux, les défendeurs auraient peu de difficultés à
produire les métadonnées s’y rapportant. Concernant les documents Word, il a accepté la seconde
production, mais il a mis les coûts de cette seconde production à la charge des demandeurs. Dans un
souci d’égalité il n’a pas hésité à mettre à la charge du demandeur une partie des coûts dès lors que
la requête concernant ce type de documents paraissait moins pertinente.
724. Les ordonnances de protection du juge. Plus généralement, « toute partie ou personne concernée
par les demandes de Discovery peut demander au juge de rendre une ordonnance de protection
(Protective Orders) […] en cas de désagréments, d’ennuis, de pressions subies ou de charges ou
dépenses indûment supportées » 1082. La demande est formulée auprès de la juridiction devant
1053 F
laquelle l’affaire est pendante ou, le cas échéant, devant la juridiction du district où la Deposition a
été réalisée. Le demandeur doit justifier de la bonne foi de la démarche et de la tentative de
documents. Finding a principal-agent relationship between the defendant and its members, the court determined sufficient
cause to demand the documents from its members as the defendant was in possession, custody or control of the e-mails at
issue. The court, therefore, ordered the defendant to produce e-mail from the remaining four members at issue, finding the
defendant‟s claim of burden to be insufficient under Fed.R.Civ.Pro. 26(b)(2)(B)”, source : www.krollontrack.com (legal
resources –sample documents).
1080
2008 WL 5062700 (S.D.N.Y. Nov. 21, 2008).
1081
Voir définition donnée en note de bas de page n° 1059.
1082
Rule 26(c)(1) FRCP.
342
conciliation avec l’autre partie. Le juge ne rendra ce type d’ordonnance que si elle est soutenue par
des « causes justes » 1083. Ces ordonnances trouvent en effet leur justification dans les droits et
1 054F
libertés individuelles de chaque justiciable. Une des grandes critiques formulées à l’encontre du
système de Discovery à l’américaine est l’intrusion dans la sphère privée de l’entreprise ou de la
personne physique, cible de la procédure. Les juges ont le pouvoir de limiter les atteintes portées au
principe du respect de la vie privée notamment, en conférant des privilèges ou immunités à certaines
parties, si les circonstances l’exigent. Il est intéressant de noter que dans le système américain, la
garantie du respect du droit à la vie privée et du droit à la préservation de son domicile est
inversement mise en œuvre comparativement au système français. En effet, dans ce dernier système,
les visites domiciliaires doivent être a priori autorisées par le juge qui, en fonction des
circonstances, autorise la conduite de la perquisition, jugeant la mesure appropriée à l’enjeu. Dans
les deux systèmes néanmoins la considération du respect de la vie privée s’opère au travers le
contrôle du principe de proportionnalité. L’idée est de trouver un équilibre entre les buts recherchés.
Ainsi le juge peut octroyer des immunités si les circonstances le justifient 1084.
105F
725. Les modalités de la protection dévolue. Les réponses que le juge peut adopter varient. En effet,
dans le cadre de ces Protective Orders, le juge peut:

« Interdire la divulgation de l’information demandée ;

Spécifier les modalités de divulgation de l’information, notamment le délai et le lieu (en cas de
déposition ou interrogatoire) ;

Prescrire une autre méthode de divulgation de l’information que celle choisie par la partie
demandant la Discovery;

Interdire la demande de renseignements dans certains cas ou en limiter le champ ;

Désigner une personne qui sera présente lors du déroulement de la Discovery ;

Requérir que la Deposition soit confidentielle et qu’il n’y soit procédé que sur l’ordre de la
Cour ;

Requérir que toute information commerciale sensible ou couverte par le secret des affaires ne
soit pas révélée ou seulement dans des circonstances spécifiées ; et
1083
Rule 26(b)(2)(C) FRCP.
L’association UNIDROIT a, sur ce point, formulé des propositions, dans un texte de 2006 sur les principes
transnationaux de procédures civiles en orientant l’équilibre recherché vers un équilibre entre la formulation de la demande
et le contrôle du juge. Le texte des principes et les commentaires les accompagnants ont été adoptés par l’American Law
Institute (ALI) en mai 2004 et par l’Institut international pour l’unification du droit privé (UNIDROIT) en avril 2004, Rev.
dr. unif. 2004-4.
1084
343

Requérir que simultanément les parties placent certains documents dans des enveloppes sous
scellées –enveloppes qui ne seront ouvertes que sur ordre de la Cour »1085.
1056F
726. L’objet légitime de la demande de divulgation. Le juge peut également refuser d’enjoindre la
production de l’information dès qu’il peut être présumé que la partie en fera un usage déraisonnable
ou dès lors que l’objet de la demande ne constitue pas une bonne cause de l’action ou une bonne
défense. De même, le juge interdira toute demande de divulgation d’information dès lors qu’elle est
formulée de mauvaise foi.
727. Dès lors que les parties n’ont pas pu trouver un compromis pour la mise en œuvre de la
procédure, elles peuvent recourir à l’arbitrage du juge. Les parties doivent alors justifier de la
tentative de conciliation afin de voir leur requête jugée recevable. Le cas échéant, le juge au regard
des circonstances de l’espèce pourra faire usage de ses nombreux pouvoirs d’injonction, allant de
l’interdiction de divulgation ou de l’injonction de faire droit à la demande jusqu’à la réduction du
champ de la demande ou la mise à la charge du demandeur des coûts de la Discovery. Le juge
recherche alors l’équilibre de la procédure tout en garantissant les droits fondamentaux des parties
au litige. Au-delà du champ des demandes, le juge peut également contrôler la mise en œuvre de la
procédure par les parties, qui se caractérise par une obligation de coopération de bonne foi pour ces
dernières.
b) Le contrôle de l’obligation de coopération de bonne foi
728. Le fondement de l’obligation de coopération de bonne foi. Comme il a été rappelé ci-dessus la
procédure de Discovery aux États-Unis s’inscrit dans la théorie des Board Rights qui consiste en
l’obligation pour les parties au litige de ne pas dissimuler d’éléments d’information à leur
adversaire. Les parties à la procédure doivent exécuter leur obligation de conservation et de
divulgation de bonne foi. Cette obligation de coopération de bonne foi consiste en la transmission de
tous les documents demandés qu’ils soient favorables ou défavorables. Elle consiste, également, en
la suspension de toute suppression de documents papiers ou de fichiers électroniques susceptibles de
faire l’objet d’une demande de Discovery dans le cadre du procès, avant même toute assignation,
avant que l’avocat de la partie adverse ait envoyé un courrier de demande de préservation de
documents ou une requête en production de documents et sans qu’il y ait besoin d’une ordonnance
1085
Rule 26(c)(1) FRCP.
344
de préservation du juge (Litigation Hold). Pour analyser les efforts entrepris par les parties pour
préserver les documents pertinents, notamment les éléments informatiques, le juge prend en compte
certains éléments comme la suspension des destructions périodiques, et la date de cette suspension,
la réalisation de sauvegardes par des experts informatiques, le retrait de l’environnement
opérationnel, le placement en sécurité des équipements pertinents ou encore les justifications de la
politique de destruction périodique automatisée des données.
729. En cas d’absence de coopération ou de destruction de documents (spoliation 1086), le juge peut
1057F
alors prononcer des sanctions pécuniaires à l’encontre de la partie contrevenante. Il peut également
tenir pour acquis des faits devant normalement reposés sur des éléments de preuve en possession
d’une des parties si cette dernière refuse de les divulguer. Il peut encore formuler une
recommandation négative (« Adverse inference ») à destination du jury, ce qui peut conduire à la
condamnation au paiement de dommages intérêts punitifs. Enfin il peut également se prononcer en
faveur de la partie adverse du seul fait de la pratique de la spoliation d’éléments de preuve. 1087 Ainsi,
1058F
la sanction peut aller jusqu’à la perte pure et simple du procès.
730. Exemple. Dans une affaire United States v. Philip Morris 1088, la société américaine, qui avait
1059F
continué à supprimer les emails de plus de soixante jours, sur une base mensuelle, pendant un
période de deux ans alors même qu’une ordonnance de préservation de preuve avait été rendue, a été
condamné par le Tribunal. Ce dernier lui a interdit de faire comparaître comme témoin un employéclé qui n’avait pas appliqué la politique de rétention et il l’a condamné à payer la somme de 2,75
1086
Le fait de ne pas se conformer à cette obligation de conservation et de communication tout élément d’information est
appelé “spoliation”.
1087
Arista Records LLC v. Usenet.com, Inc., 2009 WL 185992 (S.D.N.Y. janv. 26, 2009): “In this copyright infringement
litigation, the plaintiffs moved for sanctions for spoliation. The plaintiffs alleged the defendants deliberately destroyed and
failed to preserve highly relevant materials that would have provided evidence of the “wide-scale infringement.” The
defendants argued that the evidence sought was not relevant to the plaintiffs‟ claim, the data was transient in nature and
their systems did not have the capacity to preserve the data. Regarding the duty to preserve, the court found that the
defendants had an obligation to preserve the requested data and defendants ‟ failure to preserve was in bad faith.
Therefore, the court imposed an adverse inference against the defendants and awarded attorneys’ fees and costs”, source:
www.krollontrack.com (legal resources –sample documents); Voir aussi Smith v. Slifer Smith & Frampton/Vail Assocs.
Real Estate, LLC, 2009 WL 482603 (D.Colo. Feb. 25, 2009): “In this real estate litigation, the defendants objected to the
magistrate judge‟s recommendation regarding the plaintiffs‟ motion for sanctions for the destruction of evidence. The
plaintiffs‟ expert concluded the defendants engaged in a systemic effort to erase pertinent data based on evidence of wiping
software and reformatting. The magistrate judge found the defendants ‟ actions to be willful and in bad faith after the duty
to preserve arose. The magistrate judge therefore recommended an adverse inference jury instruction, a monetary award
associated with attorneys‟ fees and costs as well as the costs associated with the forensic examination of the computer
files. Finding the recommendation based on substantial evidence, the court adopted the magistrate ‟s recommendation and
warned the defendants that any further sanctions would be more severe and may include a default judgment”, source:
www.krollontrack.com (legal resources –sample documents).
1088
United States v. Philip Morris USA Inc., 327 F. Supp.2d 21 (D.D.C 2004).
345
millions de dollars au titre des coûts relatifs à la spoliation et au titre des pénalités financières. Ainsi
l’exécution de bonne foi des obligations de divulgation et de conservations des informations par les
parties au litige fait l’objet d’un contrôle particulièrement strict de la part du juge américain. Toute
constatation d’une fraude à ces obligations peut aboutir au prononcé de sanctions lourdes allant
jusqu’à mettre en péril le résultat du litige 1089.
106F
731. Conclusion du A. La procédure de Discovery apparait dans sa mise en œuvre comme dans sa
conception comme assez éloignée des procédures de divulgation d’éléments de preuve connues de
nos systèmes judiciaires continentaux 1090. Le rôle approfondi et central des parties, agissant en vue
106F
de la recherche de la vérité, et allant jusqu’à l’exercice de prérogatives de puissance publique au
regard de notre propre système apparait paradoxal au regard de la séparation, connue en Europe,
entre le rôle du citoyen et des pouvoirs publics. Au-delà de cette différence de conception, la
procédure de Discovery à l’américaine présente deux inconvénients majeurs tenant d’une part à la
lourdeur de la procédure de l’action en justice du fait de la création d’un contentieux dans le
contentieux relatif à la gestion de la procédure de Discovery et d’autre part, tenant aux coûts de
procédure très importants considérablement augmentés du simple fait de la mise en œuvre de cette
procédure. Ainsi bien qu’elle permettrait de pallier à l’asymétrie d’information entre les demandeurs
et les défendeurs à l’action collective, elle n’apparait pas comme une solution proportionnée aux
enjeux de l’action collective en Europe. D’autres obstacles apparaissent également à l’adoption
d’une telle procédure en Europe dans le cadre des actions collectives, qui ont été mis en lumière par
les litiges transnationaux dans lesquels des entreprises européennes ont été soumis aux règles de la
procédure de Discovery.
732. Transition. Ainsi avant d’envisager d’introduire une telle procédure dans nos sociétés, il s’agit de
s’interroger sur les moyens existant en Europe quant à la divulgation des éléments de preuve et des
résultats pouvant être obtenus du fait de la mise en œuvre de ces moyens. Il s’agit en effet de
préserver la cohérence du système judiciaire dans lequel devra s’inscrire la procédure afin de
garantir son bon fonctionnement.
1089
S. Guinchard, Une class action à la française ?, Recueil Dalloz 2005, p. 2180.
J.-M. Baïssus, Droit Continental – « Kontinentaleuropaîsches Recht », « Continental law », « derecho continental »,
qu’est-ce que ce « droit continental » ?, JCP G, n° 40, 28 sept. 2009, p. 297.
1090
346
B) Les solutions efficaces d’obtention de preuve en Europe respectueuses de la tradition
juridique des Etats membres
733. Une diversité des systèmes de droit en Europe. Au sein de l’Union européenne, il coexiste des
systèmes de Common Law, des systèmes de droit romano-germanique et des systèmes mixtes. Les
systèmes romano-germaniques apparaissent dominants dans cet ensemble, et il n’existe à
proprement parler que deux systèmes « véritablement » de Common Law, l’Angleterre et Malte.
Certains autres systèmes, comme celui de la Suède ou encore celui du Portugal, empruntent aux
deux grandes familles du droit.
734. L’étude des régimes dominants en Europe, de divulgation de la preuve. Il va être étudié, d’une
part, le système anglais de Common Law et, d’autre part, deux pays de droit tradition romanogermanique, la France et l’Allemagne, pour connaître des modalités du régime de la divulgation de
la preuve en Europe et s’interroger sur la pertinence de la proposition d’adopter un système de
divulgation probatoire à l’américaine, dans le cadre de la procédure d’action de groupe en droit
interne des Etats membres de l’Union européenne 1091. L’étude des systèmes mixtes, en l’occurrence,
1062F
du fait de leur capacité d’adaptation à l’un ou l’autre système de droit, présente moins d’intérêt au
regard de l’objectif, les extrêmes étant plus représentatifs de ce dernier.
735. La réforme du régime de la Disclosure en Angleterre : vers un renforcement du pouvoir de
contrôle du juge. Le système anglais de type accusatoire connaissait, jusqu’à récemment, une
procédure de Discovery à l’américaine. Cependant, en 1998, sous l’impulsion des juges, le
législateur anglais a réformé le système conduisant à une procédure, plus encadrée, de divulgation
des éléments de preuves, avec un rôle du juge plus actif. Cette réforme de la procédure de disclosure
anglaise n’enlève rien aux moyens mis à la disposition des parties, à une procédure judiciaire, pour
recueillir les éléments d’informations utiles à la résolution du litige. Elle encadre, cependant, le
champ et les modalités d’application de la procédure, par le biais du renforcement du contrôle du
juge sur le déroulement de cette dernière. Cette réforme, motivée, notamment par la volonté de
réduire les coûts d’accès à la justice et de parvenir à une justice plus efficiente, atténue
considérablement les inconvénients suscités par la procédure américaine de Discovery, c'est-à-dire,
1091
Livre Blanc de la Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne sur les actions en dommages et
intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante du 2 avr. 2008,
COM(2008) 165 final.
347
les coûts de justice exorbitants résultant de la gestion de cette procédure et le développement d’un
« contentieux dans le contentieux » (1).
736. Un objectif différent dans les pays de tradition civiliste pour les parties en charge de la
production de la preuve. Concernant les pays de tradition romano-germanique, le postulat de départ
est différent. En effet, suivant le système inquisitoire retenu, les parties ont simplement à emporter la
conviction du juge et non pas faire état de la « vérité ». Ainsi elles ne doivent apporter, dans le cadre
d’une procédure au civil, que les éléments de preuve utiles au soutien de leurs prétentions sans avoir
à divulguer les éléments qui leurs sont défavorables. Il n’existe pas de système de divulgation inter
partes, à l’image de ce qui existe aux Etats-Unis et en Angleterre qui obligent, spontanément, les
parties à faire état de tous éléments d’informations, en leur possession, et ce, avant toute audience.
737. Un rôle actif des juges français et allemands dans la production de la preuve, utile à la
résolution du litige. Cependant, il est inexact de penser pour autant que les parties soient démunies
de toutes facultés de défense, dès lors qu’elles n’auraient pas en leur possession d’éléments
suffisants pour supporter leurs prétentions. En effet, en droit romano-germanique, les parties vont
pouvoir s’adresser au juge, qui s’est vu conférer par le législateur un certain nombre de pouvoirs et
de moyens lui permettant, le cas échéant, d’ordonner la divulgation d’éléments de preuve à une
partie ou à un tiers, d’office ou sur demande de l’adversaire. En France, la législation offre aux juges
un large panel de mesures lui permettant d’ordonner la production des informations nécessaires à sa
compréhension du litige. En Allemagne, la réforme récente de la procédure civile a conduit à un
accroissement du champ de la divulgation possible d’informations notamment à l’égard des éléments
en possession de tiers et ce, toujours, au travers du renforcement des pouvoirs du juge. Les juges
français et allemands disposent in fine des mêmes prérogatives que les parties au litige en droit
américain. La mise en œuvre de ces pouvoirs par les juges allemands et les juges français est
simplement plus restrictive. Il reste que le contrôle du juge sur la mise en œuvre des mesures de
divulgation de l’information demeure le moyen le plus efficace pour prévenir les risques de dérives
et d’abus. Ainsi, le cas échéant, la nécessité de lutter contre une asymétrie d’informations entre les
parties dans les systèmes de tradition romano-germanique, dans le cadre d’actions collectives,
requerrait un élargissement du champ d’action du juge, en vue d’accompagner les parties dans le
recueil des éléments de preuves, au lieu du transfert d’une partie des compétences actuelles du juge
aux parties au litige (2).
348
1) Le système anglais de la Disclosure, une Discovery sous influence romanogermanique
738. La Disclosure & la Discovery, un même principe. Le système judiciaire anglais comprend, à
l’instar de la procédure de Discovery aux Etats-Unis, une phase d’investigations, préalable à
l’audience, dans laquelle chaque partie peut demander directement, à son adversaire, ou à tout
témoin potentiel de produire tout élément d’informations, relatif au litige suivant des critères
définis 1092. Cette procédure permet à une partie d’obtenir des documents ou tout autre élément de
1063F
preuve matérielle. Elle permet aussi de procéder à des dépositions et à des interrogatoires.
Cependant, au Royaume-Uni, le terme employé est la procédure de « Disclosure and Inspection of
Documents » et non la procédure de Discovery.
739. La réforme de la procédure civile anglaise en faveur du renforcement des pouvoirs du juge. Le
changement de dénomination en Angleterre est intervenu avec l’adoption des Civil Procedure Rules
(CPR) en 1998 1093, qui ont apporté plusieurs modifications dans la procédure de divulgation
1064F
d’informations inter partes, tendant à un contrôle plus poussé du juge et à la réduction du champ
d’application de la procédure. Cette réforme des règles de procédures civiles anglaises a été portée
par les juges anglais, qui, à cause de certaines rigidités de la procédure, ont été confrontés à des
obstacles majeurs dans la gestion les litiges de grande ampleur, intervenus dans les années 70,
notamment en matière de santé publique 1094. Lord Woolf, qui a beaucoup œuvré pour cette
1065F
réforme 1095, a particulièrement insisté sur l’excessive complexité, les délais de la procédure civile
106 F
1092
La Queen’s Bench Division a jugé dans un arrêt Compagnie Financière et Commerciale du Pacifique v. Peruvian
Guano de 1982 (11 QBD, 55 à 63) que « tout document, contenant des informations qui seraient favorables à la situation
d’une partie à l’instance ou qui permettraient de témoigner d’un fait contre la partie adverse, doit être divulgué ». Ce
principe a été repris dans les Règles de procédure civile 1998, Section 31 (Civil Procedure Rules 1998 - Part 31
« Disclosures and Inspection of Documents », 49th Update, April 2009).
1093
Access to Justice: Final Report to the Lord Chancellor on the civil justice system in England and Wales, The Right
Honourable the Lord Woolf, Master of the Rolls, July 1996, Section V, Chapter 20, point 13,
Accessible sur : http://www.dca.gov.uk/civil/final/index.htm
1094
Les affaires des tranquillisants (Benzodiazépine litigation), des implants contraceptifs (Norplant litigation) ou encore
des vaccins (MMR vaccins litigation) peuvent être citées.
1095
En juillet 1996, Lord Woolf, agissant sur instruction du Lord Chancellor (haut fonctionnaire du gouvernement), a
publié un rapport intitulé Access to Justice, dans lequel définit les grands principes devant sous tendre la procédure civile
anglaise et propose des changements qui constitueront le corps de la réforme de 1998. Les grands axes de la réforme sont
les suivants. Lord Woolf fait valoir que, pour s’assurer d’un accès effectif à la justice, le système doit répondre à certaines
exigences : « il doit
Être juste dans les résultats auxquels il aboutit;
i. Être juste quant à la manière de traiter les justiciables ;
j. Offrir des procédures appropriées à un coût raisonnable ;
k. Statuer sur les affaires dans un délai raisonnable ;
l. Être intelligible pour les justiciables ;
m. Répondre aux besoins des justiciables ;
349
anglaise, ainsi que sur les coûts, engendrés par sa mise en œuvre. Par l’introduction de nouveaux
principes généraux procéduraux, les cours de justice furent, notamment, habilitées à appliquer le
principe de proportionnalité pour les coûts en s’inspirant de la pratique en matière de transaction, et
les parties furent encouragées, au travers de certaines procédures, à s’exécuter en amont de la mise
en œuvre de la procédure afin de faciliter la vérification des faits et des éléments de preuves et
d’encourager les transactions. D’une manière générale, le juge anglais est incité à mener les affaires
qui lui sont soumises avec la plus grande fermeté afin que les affaires soient résolues dans un délai
réduit et à un coût faible et proportionné. Ces principes ont affecté la procédure de Discovery
anglaise, qui est devenue, à l’article 31 CRP, la procédure de « Disclosure and Inspection of
Documents » 1096.
1 067F
740. Les modalités d’exercice communes aux deux systèmes, anglais et américains. De nombreux
points communs demeurent entre les deux procédures de divulgation des informations inter partes
anglaise et américaine. Ainsi on peut mentionner :
 une phase obligatoire préalable de divulgation des documents pour les parties,
 le droit de demander des mesures de divulgation ultérieurement aux vues de la formulation
des prétentions additionnelles et des argumentaires en défense,
 la possibilité pour les juges d’accorder certaines immunités ou privilèges,
 l’utilisation de méthodes multiples pour procéder aux mesures de divulgation et
 la possibilité pour le juge de limiter ou de modifier le champ de la demande.
741. Plan. Cependant, bien qu’il existe de nombreux points communs entre les deux systèmes
américains et anglais, le système anglais apparait, au regard de sa mise en œuvre, plus modéré et
circonscrit que le système américain, du fait, notamment, d’un rôle accru du juge dans le contrôle et
l’autorisation de la divulgation d’informations. Les différences portent sur le champ de la
divulgation relativement à la catégorie de documents demandés et sur les méthodes employées ou
autorisées pour obtenir les informations utiles (a). La place et le rôle du juge dans la mise en œuvre
de la procédure diffèrent également (b).
n. Définir avec un degré de certitude élevé la nature des cas introduit en justice et ;
o. Être effectif : fournir des ressources et une organisation suffisante » (traduction non littérale).
Consultation du Rapport : http://www.dca.gov.uk/civil/final/index.html
1096
Civil Procedure Rules 1998 - Part 31 “Disclosures and Inspection of Documents”, 49th Update, April 2009.
350
a) Un champ d’application plus restreint de la divulgation d’informations inter
partes dans le système anglais
742. Une procédure de Disclosure limitée à certains types de litige. Contrairement aux règles
américaines, qui font une application générale du principe de divulgation d’informations entre
parties au litige, le législateur anglais distingue entre trois catégories d’affaires : les Small
claims track 1097, les Fast track cases 1098 et les Multi track cases. La procédure de Disclosure ne
1068F
1069 F
concerne que les deux dernières catégories. Les procédures multipartites, entrent, pour la plupart,
dans la dernière catégorie des Multi track cases. En effet, elles concernent les demandes portant sur
un montant supérieur à 15 000 pounds et les litiges qui sont « susceptibles d’atteindre, un jour,
plusieurs millions de pounds »1099. Ces procédures multipartites comprendraient les procédures de
107F
class actions potentielles. Elles comprennent déjà tant les procédures du Group Litigation Order1100
107F
que les procédures en représentation dans le cadre du droit de la concurrence
1101
1072F
.
743. La divulgation de documents préalable à l’introduction de la procédure (Pre-action disclosure).
Il est également possible en Angleterre, comme le prévoit à la règle 31.16 CPR, depuis 1998, de
demander la divulgation de documents avant l’introduction de toute procédure 1102. Cependant, cette
1073F
1097
“The small claims track is intended to provide a proportionate procedure for the smallest cases (by value), such as
consumer disputes, small accident claims, disputes about the ownership of goods, and certain landlord and tenant cases.
This is the normal track for defended claims with a value not exceeding £5,000.
Although most claims under £5,000 will be allocated to the small claims track, the following types of claim will not
normally be allocated there even if they have a value under £5,000:
 personal injury cases where the value of the claim for pain, suffering, and loss of amenity exceeds £1,000;
 claims by tenants of residential premises seeking orders that their landlords should carry out repairs or other
works to the premises where the value of the claim exceeds £1,000;
 claims by residential tenants seeking damages against their landlords for harassment or unlawful eviction; and
 claims involving a disputed allegation of dishonesty”, http://www.gillhams.com/dictionary/384.cfm
1098
“The fast track is the normal track for cases broadly falling into the £5,000 to £15,000 bracket, and which may be
deposited of by a trial which will not exceed a day. Cases falling into this track are most frequently heard in the County
Court; special circumstances would need to exist in the cases for it not to be heard in the Court”,
http://www.gillhams.com/dictionary/385.cfm
1099
“The multi-track is the normal track for claims not falling within the rules for allocation to either the small claims track
or fast track. Typically these will be cases involving claims exceeding £15,000, and cases worth less than that sum where
the trial is likely to exceed a day. The multi-track includes an enormously wide range of cases, from the fairly
straightforward to the complex, weighty matters involving claims for millions of pounds, as well as multi-party claims. The
track is designed for flexibility during the period leading up to the final hearing. Such is the variance of the types of matters
dealt with on this track, a greater degree of judicial involvement is made in case management conferences and pre-trial
checklists”, http://www.gillhams.com/dictionary/386.cfm
1100
La procédure du Group Litigation Order est un mode d’administration collectif des demandes en justice, qui présentent
des questions de droit et de fait en commun, l’idée sous-jacente étant de permettre de rationaliser l’administration de la
justice. Les règles afférentes à ce mécanisme se retrouvent dans une partie 19. III des Civil Procedure Rules, qui fut
complétée par des bonnes pratiques que l’on intitule en droit anglais « Practice Direction ».
1101
Competition Act 1998, sections 47A, 47B
1102
Cette faculté résulte de la section 33 du Supreme Court Act de 1981 (c.54) et de la section 52 du County Courts Act de
1984 (c.28).
351
possibilité est strictement encadrée. En effet, la demande doit être fondée sur des éléments de
preuve. Elle ne sera autorisée que si le demandeur à la procédure ou le destinataire de la demande
sont « susceptibles d’être partie à une procédure postérieure ». En cas d’autorisation de la demande
de divulgation, il devra être procédé à la divulgation des documents demandés conformément aux
conditions posées de la divulgation standard (Standard Disclosure) posées dans la règle 31.6
CPR 1103. Enfin, la divulgation préalable de documents doit apparaître souhaitable pour qualifier
1074F
correctement la procédure envisagée, pour aider à la résolution du litige à l’amiable en évitant
d’avoir recours à une procédure judiciaire, ou pour réduire les coûts 1104.
1075F
744. Une divulgation standard des éléments : l’échange des listes de documents. La procédure
anglaise prévoyant elle aussi une phase préliminaire, elle oblige les parties à dresser une liste des
documents et tous autres éléments susceptibles d’être pertinents au regard de la procédure. Cette
obligation porte sur les éléments en leur possession comme sur les éléments qui à leur connaissance,
se trouvent en possession d’un tiers.
1103
“Standard disclosure – what documents are to be disclosed
31.6 Standard disclosure requires a party to disclose only –
(a) the documents on which he relies; and
(b) the documents which –
(i) adversely affect his own case;
(ii) adversely affect another party’s case; or
(iii) support another party’s case; and
(c) the documents which he is required to disclose by a relevant practice direction”.
1104
La Cour suprême anglaise (Court of Appeal) est venue préciser et encadrer ces critères au travers de deux
jurisprudences classiques Bermuda International Securities Ltd v. KPMG et Black v. Sumitomo Corporation of America
(Black v. Sumitomo Corporation of America, [2001] EWCA Civ. 1819 (Monday 3rd December 2001). Dans l’affaire
opposant la société Bermuda International Securities Ltd (BISL), une filiale de la Banque des Bermudes, à la société
KPMG (Bermuda International Securities Ltd v. KPMG, [2001] EWCA Civ 269, Case No: B1/2000/2393 (Tuesday 27
February 2001), la société BISL reprochait à la société KPMG d’avoir agi avec négligence concernant l’audition de leur
fond et la conduite des affaires fiscales dudit fond. Les juges ont procédé aux tests suivants reprenant les dispositions de la
règle 31.16 CPR :
“A Were BISL likely to become a party to proceedings, and were KPMG likely also to be a party to those proceedings i.e.
in this case were BISL likely to sue KPMG?;
B If so, were KPMG likely to have in their possession custody or power documents relevant to an issue "arising or likely to
arise out of that claim"?;
C If so, did the circumstances as specified in the rules exist to provide the jurisdiction to order "those documents" to be
disclosed and produced to the applicant's legal advisers, and/or any other professional adviser? [It is noteworthy that
under the section it is not particular documents, but the documents that would otherwise ultimately have been produced on
discovery under the old rule O.24 with which the section appears to have been concerned].
D Under CPR 31.16 the circumstances additional to those already made a requirement by the section, are that an order
should "only" be made where:
(i) if the proceedings had started the respondent's duty by way of standard disclosure would extend to "the
documents or classes of document of which the applicant seeks disclosure";
(ii) disclosure of the documents before proceedings have started is desirable to dispose fairly of the proceedings;
assist the dispute to be resolved without proceedings; or to save costs.
E An order must specify the documents or classes of documents and must require the respondent to comply with 4(b). The
order may require compliance with 5. The details of 4(b) and 5 are not relevant to this appeal, but the compulsion to
specify may be of relevance.”(soulignements ajoutés).
352
745. Le Disclosure Statement, un formalisme habituel au regard de la procédure américaine. La
liste desdits documents doit être accompagnée d’un Disclosure statement qui comprend :
 le champ des recherches effectuées et les emplacements des différents éléments dévoilés,
 le fait que la partie a bien compris l’obligation qui lui est imposée de divulguer tout élément
utile et qu’elle a mis en œuvre, tous les moyens, pour remplir cette obligation.
746. Si la partie est une personne morale, le Disclosure statement doit comporter le nom de la
personne responsable de la Disclosure et les raisons pour lesquelles cette personne a été choisie pour
être responsable de la procédure.
747. Une procédure de Disclosure limitée dans son champ d’application. Aux États-Unis, d’une
manière générale, vont pouvoir être divulgué « every document relating to any matter in issue in the
action ». En Angleterre, chaque partie doit divulguer seulement (article 31.6 CPR) :
 les documents sur lesquels elle se fonde ses prétentions,
 les documents qui sont en sa défaveur,
 les documents qui affectent de manière négative la situation d’une tierce personne ou qui
l’affecte de manière positive.
 les documents qui sont requis de divulguer par la Practice Direction applicable 1105.
1076F
748. Une procédure de Disclosure limitée aux éléments de preuve admissible. De plus, aux ÉtatsUnis, toute information qui pourrait conduire à l’obtention d’un élément de preuve admissible même
si l’information en elle-même ne serait pas admissible devant un tribunal peut être demandée dans le
cadre d’une Discovery. En Angleterre, seuls les éléments de preuve admissibles sont valables.
L’obligation s’étend à tous les documents qui sont ou ont été « sous le contrôle» de ladite partie.
749. Il apparait que tant la réforme que la pratique judiciaire ont abouti à circonscrire le système
anglais de divulgation d’informations aux seuls documents, et informations apparaissant comme
utiles à la résolution du litige. La divulgation spontanée et préalable des documents reste le principe.
En revanche, le système tend vers une meilleure identification par les parties, en amont de la
procédure, des éléments pertinents à produire en vue de parvenir à la résolution du litige. Cette
redéfinition des standards de divulgation est réalisée sous un contrôle renforcé du juge.
1105
Le fondement de cette obligation de divulgation, introduit tardivement, est l’article 1.3 CPR, qui dispose que: « les
parties sont tenues d’apporter leur concours à la justice afin de permettre à la Cour de se prononcer équitablement sur les
faits qui lui sont soumis ».
353
b) Le contrôle de la divulgation d’informations par le juge anglais
750. Le large pouvoir d’injonction du juge anglais. Du fait de la réforme, le juge anglais joue un rôle
central dans le contrôle de la mise en œuvre des règles relative au champ de la divulgation de
documents. En Angleterre, une partie peut refuser de divulguer certains documents dès lors que la
demande apparait comme disproportionnée par rapport aux questions posées par le litige en cause.
Dans ce cas, la partie doit justifier de son refus en apportant des éléments permettant de conclure que
la demande est disproportionnée. Le juge anglais a alors le pouvoir de limiter la production des
pièces 1106. En outre, le juge a également le pouvoir d’enjoindre aux parties par ordonnance de
107F
divulguer tel ou tel document à la demande de l’autre partie et ce, même si la demande sort de la
divulgation standard des documents, prévue à la Règle 31.6 CPR.
751. Un rôle actif du juge dans l’encadrement des modes de divulgation de l’information. Ce rôle
actif du juge se retrouve dans l’encadrement des modes de divulgation des informations. Au
Royaume-Uni, comme aux États-Unis, il existe plusieurs méthodes de divulgation de l’information,
outre la transmission de documents d’une partie à l’autre. Ainsi, il est possible d’avoir recours aux
interrogatoires, aux dépositions de témoins, aux perquisitions ou à des expertises physiques ou
psychologiques. Cependant, avec la réforme, au Royaume-Uni, ces méthodes ne peuvent être
utilisées qu’avec l’autorisation expresse du juge. De plus, comme aux États-Unis, il est possible de
demander aux tiers intéressés, non partie au litige, de faire une déposition 1107. Cette faculté, elle
1078F
aussi, a été strictement encadrée. Elle est soumise à l’autorisation du juge et la demande doit être
motivée 1108.
1079F
752. Une protection a priori du legal privilege. Le juge occupe également une place centrale quant à
la protection de la confidentialité des éléments transmis. A la différence des États-Unis, où il est
nécessaire de formuler une demande au juge avant de divulguer un document pour obtenir que celuici soit couvert par la confidentialité, au Royaume-Uni, les éléments divulgués sont par principe
considérés comme confidentiels.
1106
Règle 31.5, al. 2 CRP.
La Chambre de Lords a affirmé dans un arrêt Norwich Pharmacal v. Customs and Excise Commissioners de 1973 (2
All E.R 943 à 973c) que « le principe d’accès aux pièces n’est pas confiné aux seules parties à l’instance, mais peut être
étendu aux tierces personnes détenant un document essentiel ».
1108
Règle 31.17 CPR et en particulier Règle 31.17 (3) CPR : « La Cour ne peut imposer une telle divulgation que lorsque
(a) les pièces demandées sont susceptible d’apporter leurs soutien aux prétentions du demandeur ou d’aller à l’encontre de
celles d’une partie à l’instance, et lorsque (b) la production est nécessaire à la réalisation d’un procès équitable ou pour
éviter certains frais ».
1107
354
753. La réforme de la procédure civile anglaise et en particulier de la procédure de divulgation des
éléments de preuve entre parties, a conduit ainsi à renforcer les pouvoirs de contrôle du juge, qui va
intervenir plus en amont de la divulgation. La grande liberté d’agir, conférée aux parties, dans la
cadre de la procédure de Discovery, va être encadrée afin de prévenir les abus potentiels des parties.
754. Conclusion du 1). Ainsi, le système anglais de la divulgation de la preuve, tel que réformé,
conduit à un resserrement du champ de la divulgation aux informations pertinentes, eu égard aux
circonstances de l’espèce et tend à un renforcement du contrôle du juge, en amont comme en aval de
la procédure. Ces changements ne sont pas relatifs à la nature des moyens de divulgation de
l’information, offerts aux parties, en vue de leur quête de la vérité. Ils tendent seulement à gommer
les effets déviants de la mise en œuvre de la procédure en en resserrant les contours et en renforçant
les pouvoirs de contrôle du juge.
755. Transition. Il apparaitrait ainsi contradictoire, pour l’Angleterre de prôner le retour à une
procédure de Discovery à l’américaine. Ces constatations tendraient même à œuvrer en faveur de sa
mise à l’écart. Mais la question demeure pour les systèmes d’inspiration romano-germanique
dominants en Europe, qui ont un mode de fonctionnement différent du système américain ou anglais.
Revenons ainsi sur les modèles de la France et de l’Allemagne en la matière.
2) Les systèmes de droit romano-germanique, une approche différenciée du rôle du juge
dans la divulgation d’informations
756. Un champ de divulgation inter partes restreint, compensé par une possible intervention
complémentaire du juge dans la conduite de la procédure. A l’opposé du système de la Discovery,
on trouve les systèmes de droit d’inspiration romano-germanique, dont la France et l’Allemagne. Il
s’agit, dans ces deux systèmes, d’emporter la conviction du juge et non de faire état de la vérité.
Pour se faire, il appartient, à la partie au litige, de produire spontanément à son adversaire les
éléments de preuves dont elle « fait état » au soutien de ses prétentions 1109 et qui leur sont ainsi
108F
favorables. Le champ de la divulgation d’informations entre parties, en France, comme en
Allemagne, est assez restreint. En revanche, le juge, bien qu’il ne dispose pas d’un pouvoir général
d’investigations, se voit offrir tout un arsenal de mesures lui permettant de jouer un rôle actif dans la
1109
C. pr. civ., art. 132 CPC : « La partie qui fait état d'une pièce s'oblige à la communiquer à toute autre partie à
l'instance. La communication des pièces doit être spontanée. En cause d'appel, une nouvelle communication des pièces
déjà versées aux débats de première instance n'est pas exigée. Toute partie peut néanmoins la demander ».
355
recherche de la preuve afin de l’éclairer sur le bien fondé d’une demande, si cela se révèle
nécessaire, au regard des circonstances de l’espèce.
757. Des pouvoirs importants concentrés entre les mains du juge français. La législation française
contient plusieurs mesures permettant au juge de forcer la production d’éléments d’informations
nécessaires à la compréhension du litige. Il peut ordonner la communication de documents utiles au
litige qu’ils soient en possession des parties ou en possession de tiers (i). Il peut également ordonner
des mesures d’instruction et procéder aux auditions et aux interrogatoires des personnes détenant des
informations pertinentes en vue de la résolution du litige (ii). Le juge français ne peut cependant
exercer ces pouvoirs que, dans une limite raisonnable, proportionnée aux exigences de l’espèce (iii)
(a).
758. La réforme des règles de procédure civile allemande au profit d’un assouplissement du régime
de la divulgation des éléments de preuve. En Allemagne, la réforme législative du Code de
procédure civile en 2001 a conduit à l’assouplissement des règles de procédure civile et à un
accroissement du champ de la divulgation possible d’informations, notamment à l’égard des tiers.
Cependant, l’assouplissement du système s’est fait là aussi par l’accroissement des pouvoirs du juge
et non par une plus grande liberté donnée aux parties (b).
a) Le juge français et l’administration de la preuve
i) Le pou