UNIVERSITE PARIS-DAUPHINE Paris Sciences & Lettres INSTITUT DROIT DAUPHINE Doctorat Sous Convention Industrielle de Formation par la Recherche (CIFRE) en partenariat avec la société TOTAL S.A. Droit privé LECLERC Mélanie Les class actions, du droit américain au droit européen Propos illustrés par le droit de la concurrence Thèse dirigée en co-tutelle par Joël MONEGER et Georges CHALOT Soutenue le 19 octobre 2011 Membres du Jury : M. Paul NIHOUL, Professeur des Universités de l’Université catholique de Louvain M. Georges DECOCQ, Professeur Agrégé des Universités à l’Université Paris Est Créteil Val de Marne Mme Marie-Anne FRISON-ROCHE, Professeur Agrégé des Universités, Ecole de droit de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris M. Bernard GRELON, Professeur Agrégé des Universités à l’Université Paris-Dauphine M. Georges CHALOT, Juriste d’entreprise au sein de TOTAL SA M. Joël MONEGER, Professeur Agrégé des Universités à l’Université Paris-Dauphine LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS Aff. : affaire ANC : Autorités nationales de concurrence Ariz. L. Rev : Arizona Law Review ass. : assemblée Bull. : Bulletin Bull. civ. : Bulletin des arrêts de la Cour de cassation rendus en matière civile Bull. crim. : Bulletin des arrêts de la Cour de cassation rendus en matière criminelle c. : contre CA. : Cour d’appel Cah. Dr. Entr. Cahiers de droit de l’entreprise Cass. : Cour de cassation - ch. mixte : chambre mixte - civ. : chambre civile - com. : chambre commerciale - crim. : chambre criminelle - soc. : sociale C. civ. : Code civil C. com : Code de commerce C. consom. : Code de la consommation CEDH : Cour Européenne des Droits de l’Homme ch. : chambre chron. : chronique CJC : Civil Justice Council (UK) CJCE : Cour de Justice des Communautés Européennes CJUE : Cour de Justice de l’Union européenne C. mon. fin. : Code monétaire et financier comm. : commentaire Coll. : collection Colum. L. Rev : Columbia Law review Contrats. Concurr. Consom. : Contrats concurrence consommation Cons. constit. : Conseil constitutionnel C. pr. civ : Code de procédure civile C. pr. civ. it. : Code de procédure civile italien Cornell L. Rev : Cornell Law review D. : Recueil Dalloz-Sirey (après 1940) - Chron. : chronique - IR : information rapide - Jur. : jurisprudence - Somm. : sommaires commentés D. aff. : Dalloz affaires D. P. : Recueil Dalloz périodique (avant 1924) dactyl. : dactylographiée dir. : direction éd. : édition E. L. rev : European Law review FRCP : Federal rules of Civil Procedure Gaz. Pal. : Gazette du Palais infra : ci-dessous/ supra : ci-dessus J.-CI. :Juris-Classeur JCP G : Jurisclasseur périodique (semaine juridique), édition générale JCP E : Jurisclasseur périodique (semaine juridique), édition entreprise JO : Journal Officiel - CE : Communauté Européenne - UE : Union Européenne jur. : juridique LPA : Petites affiches obs. : observations op. cit. : opere citato = dans l’ouvrage cité plén. : plénière préc. : précité Rec. : Recueil des arrêts de la Cour et du Tribunal de l’Union européenne Rev. : Revue Rev. crit. dr. intern. privé : revue critique de droit internation privé RDAI : Revue de droit des affaires internationales RDC : Revue des Contrats RLDI : Revue Lamy Droit de l’Immatériel RID Comp : Revue internationale de droit comparé Rev. sociétés : Revue des sociétés RG : registre RGDA : Revue Générale du droit des assurances RJ com. : Revue de jurisprudence commerciale R. M. D. E. : Revue marocaine de droit économique RJDA : Revue de jurisprudence de droit des affaires RTD civ. : Revue trimestrielle de droit civil RTD com. : Revue trimestrielle de droit commercial RTD eur. : Revue trimestrielle de droit européen S. : Sirey s. : suivants s. dir. de. : sous la direction de sec. : section Soc. lég. comp. : Société des Législations comparées somm. : sommaire spéc. : spécialement t. : tome T. com. : tribunal de commerce TGI : tribunal de grande instance TPI : tribunal de première instance des Communautés européennes v. : versus V. : voir Wis. L. rev.: Wisconsin Law review SOMMAIRE PARTIE I : LES ACTIONS COLLECTIVES : DES PROCEDURES ORIGINALES TITRE I : LES ACTIONS DE GROUPE : CONDITIONS D’EXISTENCE ET D’EXERCICE Chapitre I : L’action en justice pour autrui : les conditions d’autorisation de l’action Section 1) L’action en justice pour autrui : aux Etats-Unis d’Amérique, pays de Common Law Section 2) L’action en justice pour autrui : dans les pays européens de droit de tradition romano-germanique Chapitre II : L’action en justice par autrui : les modalités d’exercice de l’action Section 1) L’action en justice par autrui : aux Etats-Unis d’Amérique, pays de Common Law Section 2) L’action en justice par autrui : dans les pays européens de droit de tradition romano-germanique TITRE II : LES ALTERNATIVES EUROPEENNES A L’ACTION DE GROUPE Chapitre I : Les actions collectives judiciaires Section 1) Les procédures dites « modèles » : des alternatives non représentatives à l’action de groupe Section 2) Les procédures judiciaires existantes : entre l’amélioration et l’optimisation Chapitre II : Les actions collectives et les procédures négociées Section 1) Les procédures judiciaires déguisées en MARC : la transaction collective néerlandaise Section 2) Les MARC, complément à l’action collective PARTIE II : LES ACTIONS COLLECTIVES : ENJEUX ET FINALITES TITRE I : LES ACTIONS COLLECTIVES : ENJEUX D’UNE POLITIQUE PUBLIQUE Chapitre I : Le renforcement de l’effectivité de la politique répressive Section 1) Le private enforcement et l’action collective Section 2) Le private enforcement et ses conséquences sur les modalités de l’action collective Chapitre II : La promotion de l’effectivité du droit à réparation des justiciables Section 1) Une action collective pour connaître des petits litiges de consommation Section 2) Une action collective financée pour assurer l’effectivité du droit à réparation TITRE II : LES ACTIONS COLLECTIVES : ENJEUX DE COMPETENCE Chapitre I : Les actions collectives : enjeux d’une politique européenne Section 1) L’absence de pratiques uniformes au sein de l’Union européenne: les risques de Forum Shopping Section 2) Le rôle limité des institutions de l’Union européenne dans l’harmonisation des procédures Chapitre II : Les actions collectives : enjeux d’une politique française Section 1) Le traitement des litiges de masse en France : Mécanismes et financement Section 2) Le traitement des litiges de masse en France : Modalités d’autorisation et d’exercice des mécanismes d’action collective, respectueuses des traditions juridiques 5 6 INTRODUCTION GENERALE1 0F 1. « Il n’y a de droit que dans son contexte, c'est-à-dire du droit réussi et du droit raté. Ainsi plus l’acclimatation technique est difficile et plus la réforme risque d’être ratée »2. Ainsi, l’enjeu majeur de 1F l’adoption de procédures d’actions collectives dans les pays européens de droit de tradition romanogermanique est défini. En effet, depuis plusieurs années, il est question d’avoir recours à ce type de procédures, d’origine anglo-saxonne, qui permettent à un justiciable non seulement d’obtenir réparation de son propre préjudice devant les tribunaux civils, mais encore d’agir pour tous ceux qui se trouvent dans une situation similaire à la sienne 3, et qui pourront se prévaloir du jugement rendu pour 2F obtenir réparation du défendeur. Cette procédure, dérogatoire au droit commun, vise à la rationalisation du traitement des litiges de masse et au renforcement du droit à réparation des justiciables dans une société en mutation où de nouveaux besoins, pour assurer la protection juridique des justiciables, sont exprimés. 2. Le développement des litiges de masse dans la société moderne. La mécanisation des activités humaines à partir de la Révolution industrielle, au 19ème siècle, renforcée par le développement du progrès technique au 20ème siècle, a entraîné une multiplication des dommages subis par les individus, du fait des défaillances des machines, et à une aggravation de ces derniers. Après les dommages 1 L’auteur de cette étude précise que ne sont citées que les références utilisées. M-A. Frison-Roche, Les résistances mécaniques du système juridique français à accueillir la class action : obstacles et compatibilités, LPA, 10 juin 2005, n° 115, p. 22. 3 J. Lemontey et N. Michon, Les class actions américaines et leur éventuelle reconnaissance en France, Journal du Droit international (Clunet), n° 2, avr. 2009, var. 2. 2 7 corporels liés à la mécanisation des activités humaines, se sont multipliés à la fin des années 80, les dommages corporels touchant à la santé des individus. Ainsi, il y eut les scandales de l’amiante, des cigarettes ou encore des produits médicamenteux, comme les antidépresseurs. Aujourd’hui, sont visés les litiges de masse de nature économique. Le développement de la société de consommation, la standardisation des produits et la globalisation de notre société ont, en effet, conduit à une multiplication des rapports économiques et commerciaux et a fortiori à une multiplication des litiges nés de ces rapports commerciaux. Tous ces litiges concernent un grand nombre de personnes. C’est pour prendre en compte ces nouveaux besoins qu’ont été progressivement dévellopées les notions de dommages « sériels » ou « de masse » 4. 3F 3. Le droit à réparation dans les litiges de masse. Parallèlement ces évolutions se sont accompagnées d’un changement de comportement de la part des individus, qui sont devenus de plus en plus revendicatifs, et pour qui la réparation des dommages subis est devenue un droit 5. Cependant, des 4F difficultés d’accès à la justice du fait de la lourdeur et des coûts de la procédure ont été soulignées, notamment pour les petits litiges de masse. Les pouvoirs publics européens se sont, alors, interrogés pour trouver le ou les moyens judiciaires de garantir l’effectivité de ce droit à réparation face aux obstacles, qui peuvent être rencontrés par les justiciables. Ils se sont tournés vers le modèle américain de la class action. 4. L’action collective, née en droit anglais. Les historiens situent l’origine de la class action au 17ème siècle, en Angleterre, par référence au Bill of Peace (Déclaration de paix) 6. Cette procédure permettait 5F à plusieurs demandeurs ou défendeurs de résoudre des questions communes dans le cadre d’une seule action, portée devant les Courts of Chancery, qui jugent en Equity et non selon les règles issues du Common Law 7. Dans ces recours, les plaignants devaient être physiquement présents à l’audience pour 6F être légalement liés par le jugement. En pratique, lorsque les affaires concernaient un nombre trop important de personnes pour permettre une présence physique de chacun, il était permis pour ces 4 P. Jourdain, Les principes de la responsabilité civile, 8ème éd., Dalloz 2010, p. 10. P. Jourdain, Les principes de la responsabilité civile, 8ème éd., Dalloz 2010, p. 11. 6 Th. D. Rowe Jr, A distant mirror: the Bill of peace in early American Mass torts and its implications for modern class actions, 39 Ariz. L. Rev. 711 (1997). 7 « L’Equity est une ensemble de règles élaborées principalement aux XVe et XVIe siècles pour compléter le système de la Common Law qui est devenu insuffisant et défectueux. Lorsque les cours royales qui appliquaient la Common Law ne pouvaient être saisies d’une affaire ou lorsqu’elles ne pouvaient offrir une solution appropriée, il était possible d’en appeler à la conscience du roi et de lui demander d’intervenir en tant que justicier souverain. Le roi, puis le Chancelier auquel il délégua ses pouvoirs, n’intervenait pas pour créer de nouvelles règles de droit : il intervenait uniquement au nom de la morale », L’anglais juridique, Principes, pratiques & vocabulaire des professionnels, Business Management Series, p. 17. 5 8 personnes de se faire représenter par une ou plusieurs autres afin d’exposer le cas au nom de tous les demandeurs. Les représentants devaient faire la démonstration du fait qu’ils reflétaient, de manière appropriée, les intérêts du groupe de demandeurs représentés, le jugement s’imposant à l’ensemble des personnes représentées 8. Il ressort de l’ouvrage du professeur Yeazell 9 qu’il existe une longue 7F 8F tradition, dans l’Angleterre médiévale, de plaintes formées par des groupes de personnes, plus ou moins organisés10. Cependant, peu à peu le système d’actions collectives a laissé place à un système de justice individualisé 11. 9F 5. Le développement de l’action aux Etats-Unis d’Amérique. Aux Etats-Unis, cette procédure a connu des évolutions importantes. La Cour Suprême a reconnu, dans un arrêt de 1853 12, la validité des 10F actions collectives représentatives. Cependant, elle s’oppose, dans un premier temps, à ce que les jugements rendus par les cours de justice fédérales dans le cadre de ces recours lient les personnes absentes du procès. Cette affaire se déroulait dans un contexte de pré-guerre civile alors que les Etats du Sud et les Etats du Nord étaient divisés. En l’espèce, un groupe de prédicateurs des États du Sud avait intenté une action en justice contre une organisation de prédicateurs méthodistes du Nord, qui refusaient de leur verser leurs indemnités de retraite en raison de l’utilisation d’esclaves dans les États du Sud. La Cour Suprême a reconnu la possibilité pour le représentant du groupe de prédicateurs des États du Sud d’aller en justice et d’être l’interlocuteur unique au nom de tous ceux présents au procès 13. Elle instaure ainsi l’Equity Rule n° 48. Cette règle demeurera jusqu’à la modernisation des 1F règles d’Equity, en 1912, où elle sera remplacée par la Rule 38. Cette nouvelle règle permet, alors, que le jugement rendu dans ce type de litige bénéficie aux personnes représentées, mais non présentes au procès 14. 12F 6. En 1934, la class action américaine va connaître une nouvelle évolution. Le Chief Justice de la Cour suprême des Etats-Unis est chargé d’unifier les règles de procédure des cours de justice fédérales, ce 8 Th. D. Rowe Jr. A distant mirror:the Bill of peace in early american Mass torts and its implications for modern class actions, 39 Ariz. L. Rev. 711 (1997). 9 S. C. Yeazell, From Medieval group litigation to the modern class action, Yale University Press, 1987. 10 Voir aussi F. Polverino, A Class Action Model For Antitrust Damages Litigation In The European Union, University of Chicago Law School, Working paper Series, August 29, 2006. 11 Ibid. 12 Smith v. Swormstedt, 57 US. (16 How) 288 (1853). 13 D. R. Hensler, N. M. Pace, B. Dombey-Moore, E. Giddens, J. Gross, E. Moller, Class actions dilemmas, Pursuing public goals for private gain, RAND Institute for Civil Justice, Rand Publishing, 1 ère éd., 2000. 14 « When the question is one of common or general interest to many persons constituting a class so numerous as to make it impracticable to bring them all before the court, one or more may sue or defend for the whole », D. R. Hensler, N.-M. Pace, B. Dombey-Moore, E. Giddens, J. Gross, E. Moller, Class actions dilemmas, Pursuing public goals for private gain, RAND Institute for Civil Justice, Rand Publishing, 1ère éd., 2000. 9 qui aboutit aux Federal Rules of Civil Procedure (FRCP) 15, promulguées en 1938 par le Congrès. 13F Cette réforme est très importante aux Etats-Unis. Elle conduit à trois innovations majeures : la définition de conditions de recevabilité des recours, la mise en place de la procédure de divulgation des éléments de preuve entre parties (procédure de Discovery 16) et la distinction entre l’Equity et le droit 14F issu du Common Law 17. Elle a, également, des conséquences importantes sur les recours collectifs. A 15F partir de cette date, trois types de class actions sont distingués : true, spurious, et hybrid class actions. Ces actions se qualifient en fonction de leurs effets à l’égard des personnes absentes de la procédure. Dans les true class actions, le jugement lie toutes les personnes absentes du litige. Dans les spurious class actions, le jugement lie les personnes représentées et les seuls individus qui le choisissent (optin). Enfin, dans les hybrid class actions, le jugement lie seulement une partie des absents 18. Plusieurs 16F bases légales peuvent fonder ce dernier type de class actions, et le litige implique plusieurs formes de dommages nés d’une responsabilité unique. Des sous-groupes peuvent alors être distingués par la cour, qui doit traiter du litige 19. Cette distinction est posée à la Rule 23 FRCP, qui est la numérotation encore 17 F en vigueur de nos jours. En 1939 et 1948, des modifications techniques mineures sont apportées à la « Rule 23 ». Enfin, en 1966 20, une nouvelle version de la « Rule 23 » est adoptée. Cette réforme est 18F majeure car elle marque l’évolution de cette procédure d’un système dans lequel le jugement était rendu en Equity vers un système dans lequel le juge se prononce en droit 21. Ce changement implique 19F que des conditions d’autorisation du recours à ce type de procédure soient définies. Les conditions de 15 N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature, RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 42, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par Stanford Law School et le Center for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007; F. Polverino, A Class Action Model For Antitrust Damages Litigation In The European Union, University of Chicago Law School, Working paper Series, August 29, 2006. 16 L’utilisation du terme Discovery en droit américain, fait référence à la phase d’investigation, préliminaire au procès, dans laquelle chaque partie peut demander directement, sans l’autorisation du juge, à son adversaire, ou à tout témoin potentiel de produire tout élément d’information, utile à la résolution du litige en cause. La procédure de Discovery permet à une partie d’obtenir des documents demandés ou des éléments de preuve physiques. Les parties peuvent procéder à des Depositions et à des Interrogatories. De plus, le demandeur peut formuler des Requests for admissions, qui consistent à demander à l’autre partie d’admettre ou de réfuter telle ou telle allégation. Enfin, cette procédure permet de demander l’ordonnancement d’expertises physiques ou psychologiques, voir Black’s Law dictionary, B. A. Garner, Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 1419. 17 D.R. Hensler, N. M. Pace, B. Dombey-Moore, E. Giddens, J. Gross, E. Moller, Class actions dilemmas, Pursuing public goals for private gain, RAND Institute for Civil Justice, Rand Publishing, 1ère éd., 2000. 18 Ibid. 19 N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature, RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 42, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par Stanford Law School et le Center for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 20 D.R.Hensler, N.-M. Pace, B. Dombey-Moore, E. Giddens, J. Gross, E. Moller, Class actions dilemmas, Pursuing public goals for private gain, RAND Institute for Civil Justice, Rand Publishing, 1 ère éd., 2000, p. 12 et s. ; J. Lemontey et N. Michon, Les class actions américaines et leur éventuelle reconnaissance en France, Journal du Droit international (Clunet), n° 2, avr. 2009, var. 2. 21 D.R.Hensler, N.-M. Pace, B. Dombey-Moore, E. Giddens, J. Gross, E. Moller, ouvrage préc. note n° 18. 10 certification, encore en vigueur de nos jours, font leur apparition dans les Federal Rules of Civil Procedure. 7. Les Etats-Unis d’Amérique, un système de Common Law de type accusatoire. Cette construction du régime de la class action américaine est intervenue dans un système de Common Law de type accusatoire. Le Common Law désigne « l’ensemble du système juridique qui est né en Angleterre il y aura bientôt mille ans, qui s’y applique toujours et qui depuis lors s’est répandu, selon des modalités bien diverses dans une grande partie du monde » 22, et notamment aux Etats-Unis 2 0F d’Amérique. Il se définit en opposition au « Civil Law » qui désigne les systèmes de droit inspiré par le droit romain et qui implique une codification des règles de droit. Les principes du Common Law sont déterminés par les juges. Ces derniers ne vont pas appliquer des règles codifiées. Sur la base du droit coutumier, des principes de droit naturel, de la pratique des acteurs de la société, de la doctrine ou encore des décisions rendues dans d’autres pays de Common Law, ils définissent un principe, une solution qui constitue un précédent, par lequel les cours de degré inférieur seront tenues 23. « Le sens 21F exact [du Common Law] s’établit dans le cadre de la procédure accusatoire » 24 2F , qui se caractérise par le rôle important joué par les parties dans le déclenchement des poursuites, la conduite de la procédure et également dans la recherche de la vérité et sur le rôle d’arbitre du juge dans les rapports entre les parties. Ce système repose sur une procédure orale, publique et contradictoire 25. 23F 8. Les pays d’accueil de la réforme: les pays européens de droit de tradition romano-germanique. Cette procédure accusatoire se retrouve dans une minorité de pays au sein de l’Union européenne. Elle existe au Royaume-Uni et à Malte, qui sont des pays de Common law. Elle se rencontre également dans les pays dits mixtes, qui sont des pays de tradition civiliste, mais dont le droit procédural a été fortement inspiré par le Common Law. Dans les pays scandinaves, comme en Suède, bien que le droit s’inscrive dans la tradition romano-germanique, la procédure judiciaire est plutôt de type accusatoire que de type inquisitoire. La structure du procès y est similaire à celle des pays de Common Law. Les témoins peuvent être interrogés et contre-interrogés. De même, il existe 22 Dictionnaire de la culture juridique, s. la dir. de D. Alland et S. Rials, Lamy, PUF, 1 re éd., 2003, p. 239 à 243. Voir définition de « Common Law », dans Lexique des termes juridiques 2012, S. Guinchard et Th. Debard, Dalloz 2011, p. 180 24 Dictionnaire de la culture juridique, s. la dir. de D. Alland et S. Rials, Lamy, PUF, 1 re éd., 2003, p. 239. 25 Voir définition de « Procédure accusatoire », dans Lexique des termes juridiques 2012, S. Guinchard et Th. Debard, Dalloz 2011, p. 683. 23 11 un système de financement des coûts de justice similaire au système anglais 26. Mais la grande 24F majorité des Etats membres de l’Union européenne sont des pays de droit de tradition romanogermanique. 9. Historiquement, l’Europe occidentale s’est construite sur la culture romaine. L’héritage de cette civilisation a façonné la conception de l’Etat. La tradition juridique romaine était « au service d’une conception étatique de l’organisation et du fonctionnement du pouvoir politique, dont la caractéristique était sa permanence, transcendant les détenteurs du pouvoir »27. La législation, la loi 25F écrite et qui sera plus tard codifiée, a servi, dans plusieurs pays européens, le pouvoir royal en lui permettant d’asseoir sa légitimité et de définir son champ d’action sur le territoire du royaume, notamment vis-à-vis de la concurrence des seigneuries locales. En France, par exemple, elle servit le pouvoir du Royaume de France du début du Moyen-Age jusqu’à l’Epoque Moderne 28. Partant de ces 26 F évolutions, la procédure judiciaire dans ces pays s’est développée sur un modèle inquisitoire. Elle est, par définition, « écrite, secrète et non contradictoire, le juge obéissant à son intime conviction » 29, même si en pratique une large place est laissée au principe du contradictoire, garant 2 7F du respect des droits de la défense 30. 28F 10. Le Common Law s’est développé en Angleterre en opposition à cette conception romaine du droit. En effet, après la conquête normande, les cours royales anglo-saxonnes ont eu recours au Common Law afin de rejeter les influences du droit romain imposé par les envahisseurs et de contrer le développement des coutumes rurales. De plus, le rôle du Parlement explique le recours limité à la législation pour asseoir le pouvoir royal 31. Dans ces conditions, l’introduction d’une procédure 29F judiciaire, née et développée dans des pays de Common Law, en droit positif des Etats membres de l’Union européenne, majoritairement de droit de tradition romano-germanique, peut poser quelques difficultés. 11. La compatibilité de la class action avec les principes du droit romano-germanique. Cette opposition de principe entre le système juridique qui a vu naître et qui a façonné cette procédure 26 H. Lindblom, Class Actions in Sweden, p. 10, dans Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, 6ème Conférence annuelle sur le thème Strategies for Litigating, 6 & 7 mai 2010, Hotel Renaissance Seattle, à Seattle, WA. 27 A. Wijffels, Introduction historique au droit, France, Allemagne, Angleterre, PUF 2010, p. 56. 28 Ibid, p. 126. 29 Lexique des termes juridiques 2012, S. Guinchard et Th. Debard, Dalloz 2011, p. 686. 30 Ibid. 31 A. Wijffels, ouvrage préc., p. 110-111. 12 d’action de groupe et le système de réception de ladite procédure oblige à s’interroger en premier lieu sur la compatibilité de l’action de groupe, telle qu’existante aux Etats-Unis d’Amérique avec les principes qui gouvernent la procédure civile et plus généralement le droit de la responsabilité civile dans ces pays d’accueil. En second lieu, si des obstacles à l’introduction d’une telle procédure sont révélés, dans quelle mesure il pourra y être apporté des modifications en vue de garantir la conformité à ces principes fondamentaux. 12. L’exercice de l’action collective en opposition à l’exercice de l’action individuelle : une procédure dérogatoire au droit commun. La difficulté est accrue car l’action collective est, dans les deux systèmes de droit, dérogatoire au droit commun. Elle s’oppose, en effet, à l’action individuelle. Dès l’origine, elle fut considérée comme une procédure exceptionnelle. Les cours anglaises jugeant en Equity parlaient d’« une exception à la règle selon laquelle l’action en justice est seulement conduite par ou au nom d’un individu, identifié comme partie à la procédure » 32. Il va alors falloir 30 F en définir les conditions exceptionnelles de mise en œuvre. 13. Un débat ancien. Le traitement des litiges de masse n’est pas une question nouvelle en Europe 33. 31F La possibilité de développer des actions de groupe sur le modèle américain dans les pays de tradition romano-germanique, en France notamment, a déjà été envisagée dans les années 90 pour optimiser le traitement de ces litiges 34. Cependant, les législateurs des Etats membres de la Communauté 32 F européenne se sont tournés vers d’autres types de procédure 35. 3F 14. Plan de l’introduction. Le débat sur les actions collectives dans les pays européens de droit romano-germanique est complexe car il implique plusieurs plans de raisonnement. 15. D’abord, les actions de groupe ou class actions à l’américaine sont une forme d’actions collectives, mais il existe au sein de l’Union européenne d’autres procédures judiciaires, qui permettent un traitement collectif des demandes en justice. Il s’agit de les définir en amont afin d’éviter toutes ambiguïtés dans les développements futurs (I). 32 Califano v. Yamasaki, 442 U.S. 682, 700-701, 99 S.Ct. 2545, 2557-2558 (1979): “an exception to the usual rule that litigation is conducted by and on behalf of the individual named parties only.” 33 Voir Supra §. 2. 34 Un des projets de lois les plus anciens présentés en France concernant l’action de groupe est un projet de loi de la Commission sur le règlement des litiges sur le droit de la consommation, sept. 1983, voir L. Martinez et A. du Chastel, Du retour de l’action de groupe et du mythe du sisyphe, LPA, 10 mars 2009, n° 49. 35 Voir Supra §. 180. 13 16. Ensuite, ce thème pose une multiplicité de questions interdépendantes. De plus, derrière des questions a priori de technique juridique, se dissimulent des enjeux de politique juridique, qui impliquent une opposition entre droit romano-germanique et Common Law d’une part et une opposition entre compétence des Etats membres et compétence communautaire d’autre part (II). 17. La démarche comparative suivie dans cette étude n’est pas exhaustive. Elle se limite à refléter les antagonismes entre, d’une part, le schéma américain de la class action et les procédures développées au sein de l’Union et, d’autre part, entre les droits des différents Etats membres (III). 18. Enfin, la structure de l’étude vise à clarifier les problématiques en séparant les questions techniques des questions de politique juridique ce qui fondera le plan adopté. L’illustration en sera donnée notamment à partir d’exemples de procès consécutifs à des infractions au droit de la concurrence. (IV). I- Les actions collectives, une multiplicité de procédures judiciaires 19. La notion d’action collective. Au sens générique, la notion d’actions collectives ou de recours collectifs désigne toute procédure, permettant un traitement collectif de demandes multiples, qui soulèvent des questions de droit et de fait communes. Cette procédure est utilisée dès lors qu’elle apparaît comme le meilleur moyen de connaître de ces demandes en vue d’une bonne administration de la justice, c'est-à-dire, en vue d’un traitement équitable, rapide, et efficient des demandes. Il peut s’agir d’une procédure judiciaire ou extrajudiciaire, représentative ou non représentative. 20. La jonction de procédures, une simple mesure d’administration. La jonction d’instances 36, qui 34F existe au sein de tous les systèmes judiciaires, doit être écartée car elle constitue une simple mesure d’administration imposée d’office ou sur demande par le juge. 21. D’autres expressions comme, action de groupe, action en représentation ou encore procédure « modèle », sont utilisées pour désigner certaines actions collectives en fonction des conditions d’exercice de ces dernières. Le débat, engagé au sein de l’Union européenne, porte principalement 36 La jonction d’instance est une « mesure d’administration judiciaire par laquelle un tribunal (ou un juge de la mise en état ou un juge rapporteur) décide d’instruire et de juger en même temps deux ou plusieurs instances unies par un lien étroit de connexité », Lexique des termes juridiques 2012, Guinchard (S.) et Debard (T.), Dalloz, 19 ème éd., 2011, p. 489. 14 sur l’introduction d’une procédure d’action de groupe. Cependant, les deux autres formes d’action collective doivent également être étudiées en tant qu’alternatives potentielles à l’action de groupe. 22. L’action de groupe, la procédure au cœur du sujet. L’action de groupe (ou class action dans le système américain) est une procédure judiciaire représentative, qui se caractérise par la représentation en justice d’un groupe de personnes par un justiciable qui a subi un dommage similaire à celui des personnes représentées. Ce dernier agit en justice pour obtenir réparation de son propre préjudice et de celui subi par les personnes placées dans une situation similaire à la sienne 37. 35F 23. Les acteurs de la procédure d’action de groupe : l’exemple de class action américaine. Dans le système américain de la class action, un justiciable appelé « Demandeur Représentatif », introduit une action en justice pour obtenir la réparation du préjudice qu’il a subi, mais également pour obtenir la réparation des préjudices subis par toutes les personnes se trouvant dans une situation similaire à la sienne (le groupe ou la « class ») 38. Il sollicite du juge l’autorisation de représenter ces 36 F personnes et d’utiliser, à cet effet, la procédure d’action de groupe. Il présente au soutien de sa prétention des éléments permettant de démontrer le bien-fondé de sa demande, mais également ses qualités de représentant pour défendre au mieux les intérêts des autres personnes lésées 39. Il doit, en 37 F outre, démontrer que cette procédure est la plus efficiente pour traiter de ces demandes multiples et similaires, notamment au regard des autres procédures qui permettent une gestion collective des litiges comme la jonction d’instance 40. S’il est autorisé à agir pour la défense des intérêts des 38F membres du groupe au surplus de ses intérêts (certification de la class), il doit conduire la procédure judiciaire pour lui-même et pour les membres du groupe. 24. Le Demandeur représentatif est assisté dans son rôle de représentant d’un cabinet d’avocats, qui agit alors pour le Demandeur représentatif comme pour l’ensemble des membres du groupe. Il est le conseil de toutes les personnes représentées (Representative Counsel). Il doit démontrer au juge qu’il 37 Voir définition donnée par N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature, RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par Stanford Law School et le Center for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007: « any civil case in which parties at some point during the litigation indicated their intent to sue on behalf of themselves as well as others not specifically named in the suit ». 38 J. Lemontey et N. Michon, Les class actions américaines et leur éventuelle reconnaissance en France, Journal du Droit international (Clunet), n° 2, avr. 2009, var. 2. 39 Voir Infra §. 119 et s. 40 Ibid ; Rule 23 FRCP. 15 dispose de l’expérience et des ressources nécessaires pour mener à bien cette procédure 41. Son rôle 39 F est central dans cette procédure. Il doit, en sa qualité de conseil, remplir sa mission d’assistance et de représentation de ses clients 42. Il s’assure que les conditions d’autorisation de la procédure sont 40F remplies ; il prend en charge la procédure de divulgation des éléments de preuve inter partes (Discovery) ; il prépare le procès43. Le cabinet d’avocats peut également avoir un intérêt personnel et pécuniaire à la réussite de l’affaire. En effet, il peut, par le biais de conventions d’honoraires (Contingency fees agreements) 44, supporter le coût de la procédure et subordonner sa rémunération 41F au seul succès de l’affaire. D’autre part, il peut voir engager sa responsabilité personnelle dans la conduite de la procédure et notamment en cas de procédure abusive 45. 42 F 25. Les personnes représentées à la procédure sont, pour la plupart, seulement identifiables, et non identifiées, au moment du dépôt de la demande 46. Elles ne devront consentir à l’exercice de la 43F procédure par le Demandeur représentatif qu’une fois que ce dernier aura obtenu du juge l’autorisation d’agir en justice dans le cadre de la procédure d’action de groupe 47. Elles seront 4F informées de la procédure par une publicité dans les journaux et devront alors donner leur consentement, de manière implicite (système d’opt out), ou de manière explicite (système d’opt in) 48. Consentir à l’action implique pour les personnes représentées de déléguer la conduite de 45F l’action au Demandeur représentatif et de renoncer à exercer une action individuelle devant les tribunaux de première instance. 26. Cette procédure a été développée aux Etats-Unis. Cependant, les pays européens connaissent également d’autres procédures, qui permettent un traitement en justice des demandes multiples et similaires. 41 Voir Infra §.131. J. Monéger et M.-L. Demeester, Profession : d'avocat. Accès à la profession, statuts et déontologie, préf. A. Damien, Dalloz-Sirey, 2001. 43 F. Polverino, A Class Action Model For Antitrust Damages Litigation In The European Union, University of Chicago Law School, Working paper Series, August 29, 2006 44 Les “Contingency Fees Agreements” (ou les honoraires de résultats ou Pacte de quota litis) sont « des conventions d’honoraires qui prévoit que les honoraires ne seront versés à l’avocat en contrepartie de ses services de conseil et de représentation qu’à condition que le procès aboutisse à un jugement en faveur du client ou à une transaction favorable à ce dernier », voir la définition dans le Black’s Law dictionary, Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 362. 45 Voir Rule 11 FRCP. 46 J. Lemontey et N. Michon, Les class actions américaines et leur éventuelle reconnaissance en France, Journal du Droit international (Clunet), n° 2, avr. 2009, var. 2. 47 Voir Infra §. 243 et s. 48 Ibid. 42 16 27. L’action en représentation, l’action collective des associations de défense. L’action en représentation est une procédure judiciaire représentative, qui se caractérise par la représentation en justice d’un groupe de personnes, par une association, un organisme ou une fondation, habilité par les pouvoirs publics pour agir pour la défense des intérêts personnels des personnes représentées. Il peut s’agir d’un organisme public ou privé. Cette entité agit dans la plupart des systèmes sur mandat des personnes représentées 49. 46F 28. Les procédures « modèles », des actions collectives non représentatives. Dans certains Etats membres, il existe la procédure dite « modèle » ou procédure de « test case ». Cette procédure judiciaire est non représentative. Le demandeur entend seulement faire bénéficier, les personnes placées dans une situation similaire à la sienne, de la solution au fond retenue dans son affaire. Cette procédure consiste à recenser l’ensemble des cas similaires, qui présentent des questions de droit ou de fait communes, à désigner, parmi ces cas, le ou les plus représentatifs de la problématique rencontrée, à trancher au fond le cas de référence dont la solution s’appliquera à toutes les autres procédures judiciaires suspendues le temps du jugement au fond 50. Cette procédure contrairement 47F aux deux autres a seulement pour objet de garantir une bonne administration de la justice en rationnalisant le traitement des demandes et ne facilite le recours au juge qu’a minima. II- Les actions collectives, des enjeux techniques et politiques A) Des actions collectives, déjà présentes en Europe 29. Le débat sur le recours aux actions collectives en Europe a connu un développement sur un double plan. La Commission européenne a élaboré plusieurs projets de texte, allant d’un Livre vert jusqu’à une proposition de directive, mais aucun n’a été adopté (1). Plusieurs États membres ont en revanche adopté des législations sur les actions collectives, allant de l’action de groupe à la procédure « modèle » (2). 49 50 Voir Infra §. 180 et s. Voir Infra §. 408 et s. 17 1) Des propositions communautaires sectorielles sur l’action collective 30. Les propositions de la Direction générale de la Concurrence de la Commission européenne. Le débat sur l’introduction des recours collectifs a été engagé en 2005 par la Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne (ci-après « DG Concurrence ») avec un Livre vert consacré plus largement aux actions en réparation en cas de violation des règles communautaires du droit de la concurrence 51. Dans cette publication, la DG Concurrence a proposé l’introduction dans 48 F le droit des Etats membres de deux mécanismes de recours collectifs : une action de groupe ou en représentation réservée aux consommateurs et, un recours collectif non défini, réservé aux acheteurs autres que les consommateurs finaux. Elle a proposé, en complément de ces mécanismes, des mesures de nature à assouplir certains principes de procédure et de responsabilité civile, tels que la facilitation de la transmission des éléments de preuves inter partes, sur le modèle de la Discovery américaine 52 ou encore l’assouplissement du principe de réparation intégrale du préjudice. Ce Livre 49F vert, qui a fait l’objet d’une consultation publique, a été suivi par la publication d’un Livre blanc en avril 2008 53, et d’un projet de directive en avril 2009 54. 50F 51F 31. Les propositions de la Direction Générale de la Santé et de la protection des consommateurs de la Commission européenne. Entre temps, en novembre 2008, la Direction Générale de la Santé et de la Protection des Consommateurs de la Commission (ci-après « DG Sanco ») a publié un Livre vert sur les recours collectifs en matière de droit de la consommation 55. Elle propose, dans ce premier 52F document, une option d’adopter indifféremment une procédure d’action de groupe, d’action en représentation ou une procédure « modèle ». Elle publiera à la suite de la consultation publique un second document dans laquelle elle proposera un système de procédure « modèle » dont l’initiative 51 Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, 25 déc. 2005, COM(2005) 672 final. 52 Voir note de bas de page n° 16. 53 Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, 2 avr. 2008, COM(2008) 165 final. 54 Proposition de directive relative aux règles régissant les actions en dommages intérêts pour infraction aux articles 81 et 82 du traité, Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, avr. 2009 ; Cette proposition de directive n’étant plus accessible sur le site de l’Union européenne, il faut voir les documents de la Chambre du Commerce et de l’Industrie qui l’a commenté : Rapport de M. L-B. Krepper avec la collaboration de Mme C. Delacroix, département de droit public et économique, à la Direction générale adjointe chargée des Études, de la Prospective et de l’Innovation présenté au nom de la Commission du commerce et des échanges, Proposition de directive sur les actions en dommages et intérêts relatives aux pratiques anticoncurrentielles, Réactions de la CCIP, adopté à l’Assemblée générale du 25 juin 2009, accessible à l’adresse suivante www.etudes.ccip.fr/fichier?lien=sites%2Fwww...anticoncurrentielles...pdf 55 Livre vert sur les recours collectifs pour les consommateurs, Direction Générale de la Santé et de la Consommation de la Commission européenne, 27 nov. 2008, COM(2008) 794 final. 18 serait laissée, tant aux demandeurs individuels, qui agiraient pour eux-mêmes et pour autrui, qu’aux associations de défense. 32. Un instrument unique ? Face à la concurrence des propositions de la Commission européenne, le Parlement européen a adopté, en 2009, une Résolution sur le Livre blanc de la DG Concurrence, dans laquelle il demande à la Commission de s’interroger sur l’opportunité d’adopter un instrument unique, indépendant du droit substantiel applicable au fond. Une nouvelle consultation publique, élaborée conjointement par la DG Concurrence, la DG Sanco et par la Direction Générale de la Justice, de la Liberté et de la Sécurité (ci-après « DG Justice »), a alors été publiée en février 2011, qui laisse à penser, ou tout du moins à espérer, une approche de la question 56 indépendante du droit 53F applicable au fond. Selon le calendrier annoncé par les commissaires européens, ce nouveau questionnaire devrait conduire à la publication d’une nouvelle proposition législative au premier trimestre 2012 57. 54F 2) Des avancées législatives sur le plan national 33. Depuis les années 2000, de nombreux Etats membres ont adopté des textes instaurant en droit interne des actions collectives. Il en va ainsi du Portugal en 1995, de la Suède en 2000, de l’Allemagne et des Pays-Bas en 2005, de l’Angleterre en 2008, de l’Italie en 2009, mais aussi de la Pologne en 2010 58. Une accélération de ce développement est constatée à partir de 2005, date à 5F laquelle la DG Concurrence a publié son Livre vert. 34. Certains auteurs ont opéré une classification des pays européens en fonction de leur niveau de développement à ce sujet 59. Ils ont subdivisé les Etats membres de l’Union, en trois catégories : la 56F première comprend les pays, qui ont adopté une procédure d’action de groupe ou en représentation permettant un traitement efficace des demandes multiples et similaires. Il en est ainsi des pays 56 Renforcer la cohérence de l'approche européenne en matière de recours collectifs, document de travail des services de la Commission européenne, consultation publique, 4 fév. 2011, SEC(2011) 173 final. 57 Le Parlement européen prépare un projet de rapport sur la consultation de la Commission intitulé « Towards a Coherent European Approach to Collective Redress », qui devrait aboutir à la publication d’une nouvelle résolution à la fin de l’année 2011, voir le site du Parlement européen : http://www.europarl.europa.eu/activities/committees/draftReports/comparlDossier.do?dossier=JURI%2F7%2F05981&lang uage=FR 58 Loi de juill. 2010 sur les recours collectifs, Dz. U . 2010, nr 7, poz. 44. 59 P. Taelman et S. Voet, Belgium and Collective Redress: the Last of the European Mohicans, p. 2, Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, 6ème Conférence annuelle sur le thème Strategies for Litigating, 6 & 7 mai 2010, Hotel Renaissance Seattle, à Seattle, WA. 19 scandinaves, notamment de la Suède, mais aussi de l’Italie, du Portugal ou encore de la Pologne 60. 57F Dans ces pays, aucun législateur n’a opté pour l’action de groupe à l’américaine, même si certaines modalités d’exercice de cette procédure ont été conservées. La seconde catégorie est composée des pays, qui ont adopté des systèmes transitoires afin d’évaluer la meilleure procédure à adopter. L’Allemagne et les Pays-Bas ont choisi cette option. Enfin la troisième regroupe les pays dans lesquels il n’existe pas de procédure de ce type, comme la France ou la Belgique. 35. Plan. Les procédures adoptées dans ces pays obéissent à des modalités de mise en œuvre très différentes (a). En France, malgré plusieurs projets et propositions de loi, aucun texte n’a été adopté pour l’heure (b). (a) Le développement des procédures d’action collectives dans les Etats membres de l’Union 36. La procédure d’action populaire au Portugal. Au Portugal, le recours collectif est qualifié d’action populaire 61. Cette action n’est pas récente. Elle trouve ses origines au 16ème siècle. Il 58 F s’agissait de mettre en œuvre la puissance publique du fait d’une initiative populaire. Cette action populaire fut consacrée dans le texte de la Constitution portugaise en 1989, en son article 52(3), qui prévoit deux types d’action populaire : une, de nature corrective, qui permet de soumettre au juge certains actes de l’administration et une autre, de nature supplétive, qui permet aux citoyens de suppléer les autorités locales, dès lors qu’elles ont omis de sanctionner une atteinte à la propriété et à un droit de l’administration 62. Avec la loi du 31 août 1995 63, l’action populaire, d’abord réservée 59F 60F aux questions de droit public, a été étendue à d’autres domaines du droit, comme en matière de santé publique, d’environnement, de qualité de vie, de protection des consommateurs, ou de protection de l’héritage culturel. Des spécificités sont prévues, selon les matières par des lois sectorielles, telle la loi n° 24/96 du 22 août 1996 sur la protection des consommateurs, ou le décret-loi n° 486/99 du 13 novembre 1999 en matière boursière 64. Par exemple, en vertu de la loi relative à la protection des 61F consommateurs, les associations de consommateurs peuvent agir en défense des intérêts personnels 60 Loi de juill. 2010 sur les recours collectifs, Dz. U . 2010, nr 7, poz. 44. H. Sousa Antunes, Class Actions, Group Litigation & Other Forms of Collective Litigation (Portuguese Report), dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Center for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 62 Ibid. 63 Loi n° 83/95, art. 1. 64 Voir H. Sousa Antunes, Class Actions, Group Litigation & Other Forms of Collective Litigation (Portuguese Report), p. 8, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Center for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 61 20 de ces derniers alors que les autres associations ne peuvent que défendre l’intérêt collectif des personnes qu’elles défendent 65. 62F 37. Une avancée des pays scandinaves dans l’adoption de procédure d’action de groupe. Dans les pays scandinaves, la Suède a été la première à légiférer en la matière. La loi du 22 mai 2002, entrée en vigueur le 1er janvier 2003 a instauré un système d’actions collectives. Cette législation est particulièrement intéressante car elle a introduit, non pas un, mais trois recours collectifs. En effet, tout d’abord, il existe une action de groupe, dite « action privée », ouverte à tous les justiciables, ayant un intérêt personnel à agir et ce, quelle que soit la nature de leur demande. Ensuite, le législateur a adopté une action en représentation, ouverte aux seules organisations à but non lucratif, agréées spécifiquement pour introduire ce type d’action, dont l’objet est la défense des consommateurs ou la protection de l’environnement. Enfin, une action, dite « publique », est réservée aux organismes publics spécialement habilités par le Gouvernement suédois pour agir dans le cadre de ce type d’action 66. Le législateur suédois a entendu, à travers cette démarche, adapter les 63F procédures en fonction des domaines couverts par l’action et par là même en fonction des victimes à protéger. Il a ouvert l’initiative et la conduite de la procédure aux personnes et entités les plus à même, à ses yeux, de défendre les intérêts de ces victimes en fonction de catégories qu’il a défini. 38. La Norvège 67, et le Danemark 68 ont adopté des législations relatives aux recours collectifs 64F 65F respectivement en 2005 et en 2007. Ces pays ont opté pour une seule procédure, couvrant l’ensemble des demandes introduites devant les juridictions civiles, ouverte aux justiciables, personnes privées, mais également, aux organismes représentatifs et aux personnes publiques spécialement habilitées à cet effet. 39. Enfin, la Finlande a adopté, en 2007, une loi n° 444/2007 sur les actions de groupe, entrée en vigueur le 1er octobre. Cependant, le législateur finlandais n’a pas adopté une position similaire à celle des autres législateurs scandinaves. En effet, il a organisé un système d’action en représentation, ouvert seulement à l’Ombudsman 69 chargé des affaires de consommation 70. 6F 67F 65 Voir Loi n° 24/96 du 22 août 1996, art. 18. H. Lindblom, Class Actions in Sweden, p. 3-4, dans Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, 6ème Conférence annuelle sur le thème Strategies for Litigating, 6 & 7 mai 2010, Hotel Renaissance Seattle, à Seattle, WA. 67 Loi n° 90 du 17 juin 2005 relative à la médiation et à la procédure judiciaire en matière civile, section 35. 68 Loi n° 181/2007 de 2007. 69 « Terme suédois, désignant une personnalité indépendante, charge dans certains pays (pays scandinaves, GrandeBretagne…) d’examiner les plaintes formulées par les citoyens contre les autorités administratives, et d’intervenir, s’il y a 66 21 40. L’Italie, pays européen de droit de tradition romano-germanique. Depuis une loi du 23 juillet 2009 71, les justiciables italiens peuvent se regrouper pour exercer leur droit à réparation, en cas de 68F litiges de consommation, de concurrence, ainsi qu’en cas de pratiques commerciales déloyales 72. 69F Cette loi vise la protection des « droits homogènes des consommateurs et/ou des usagers »73. La 70F procédure de recours collectif est ouverte aux associations de défense des consommateurs, comme aux consommateurs ou usagers, agissant en tant que représentants du groupe. Ces derniers peuvent agir en défense des droits homogènes des consommateurs et usagers, c'est-à-dire lorsqu’un groupe de consommateurs ou d’usagers a subi un dommage ayant, pour origine, le même fait illicite ou la même violation des termes du contrat, et étant de même nature 74. La procédure se déroule en deux 71 F temps. Tout d’abord, le juge contrôle la recevabilité de la demande. Il vérifie que les conditions propres à l’action de groupe sont remplies. Si la demande est déclarée admissible, il ordonne que la publicité de la procédure soit opérée dans un délai donné et précise les intérêts homogènes représentés, qui justifient la procédure. Le juge fixe, également, le délai dans lequel les consommateurs devront se manifester pour participer à la procédure. La publicité est laissée à la charge des demandeurs. Le système choisi pour recueillir le consentement des consommateurs à l’action est celui de l’opt in. Ensuite, le juge se prononce sur la responsabilité du professionnel et détermine le montant des dommages et intérêts. En Italie, le juge peut, à titre dérogatoire, être autorisé à déterminer, selon des règles d’équité, le montant des dommages et intérêts 75. Tel sera le 72F cas, ici, s’il lui est impossible de déterminer individuellement le montant du préjudice subi par chacun des consommateurs et des usagers. Les parties peuvent faire appel de la décision d’admissibilité comme du jugement au fond, dans un délai de 30 jours. lieu, auprès du gouvernement », Lexique des termes juridiques 2012, Guinchard (S.) et Debard (T.), Dalloz, 19ème éd., 2011, p. 600. 70 Antti Jokela, Class Actions in Finland, p. 1, dans Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, 6ème Conférence annuelle sur le thème Strategies for Litigating, 6 & 7 mai 2010, Hotel Renaissance Seattle, à Seattle, WA. 71 Loi n° 99 du 23 juil.2009, qui introduit un nouvel article 140-bis dans le Code de la consommation italien. 72 Voir Rapport sénatorial sur Les actions de groupe, Les documents de travail du Sénat, série Législation comparée, n° LC 206, mai 2010. 73 Voir Loi n° 99 du 23 juil.2009. 74 Voir M. Barcaroli et G. Patetta, Action de groupe : alors que la France recule, l’Italie avance…, Rev. Lamy Droit civil, 2010, p. 70. 75 C. pr. civ. it., art. 432. 22 41. De même, dans certains pays de l’Europe de l’Est, l’action collective a suscité un débat et a pu aboutir à une nouvelle procédure judiciaire. Ainsi, la loi polonaise sur les recours collectif est entrée en vigueur le 19 juillet 2010 76. En Hongrie, une proposition de loi a été formulée et adoptée afin 73F d’introduire une action de groupe en cas de violation du droit de la concurrence 77. 74F 42. Les actions collectives, fruit d’une approche casuistique du traitement des litiges de masse. Dans d’autres pays, il a été adopté des procédures qui, dans un premier temps, étaient provisoires. Il s’agissait, en effet, de répondre à un besoin dans un litige donné. Par la suite, ces procédures ont été conservées. 43. Aux Pays-Bas, il existe une procédure originale de transaction collective permettant un règlement collectif à l’amiable des litiges de masse 78. Cette procédure est née d’un litige de masse concernant 75F une hormone de synthèse. Cette procédure de transaction collective n’est pas une procédure judiciaire bien que l’accord trouvé doive être homologué par le juge afin de permettre sa publicité. En effet, le principe et le contenu de cette procédure extrajudiciaire sont non contraignants et impliquent un accord entre les parties 79. Il existe, également, aux Pays-Bas une action en 76F représentation collective des personnes qui les ont spécifiquement mandaté à cette effet. Cette procédure se limite à faire cesser toute pratique illicite ou dommageable. Les demandes en indemnisation sont exclues 80. 7F 44. L’Allemagne a également été confrontée à un problème de gestion d’un litige de masse en matière boursière, ce qui l’a conduite à légiférer 81. Le législateur allemand a opté pour une procédure 78F « modèle », qui existait déjà en droit administratif allemand. Il a alors limité le champ de l’action au domaine du droit boursier 82. La loi a été adoptée pour une période de cinq. Elle devait faire l’objet 79F d’une révision en 2010 mais le législateur a décidé de prolonger la période de test de deux ans. 76 Loi sur les recours collectif, Dz. U . 2010, n° 7, poz. 44. M. Thill-Tayara, E. van den Broucke et M. Giner, Private enforcement: Hungary’a Amended Competition Act Offers Somme Innovative Options, SALANS, publié sur Mondaq.com, 10 juil. 2009. 78 M.-J. van der Heijden, Class actions/actions collectives, National Report: Nederland’s, p. 3, dans Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, 6ème Conférence annuelle sur le thème Strategies for Litigating, 6 & 7 mai 2010, Hotel Renaissance Seattle, à Seattle, WA. 79 M.-J. van der Heijden, Class actions/actions collectives, National Report: Nederland’s, p. 4, dans Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, op. cit. 80 M.-J. van der Heijden, préc. p. 9. 81 Voir infra §. 404. 82 Loi du 1er nov. 2005. 77 23 45. A minima des actions en représentation. Dans les autres Etats membres, il existe, a minima, une action en représentation ouverte aux associations de défense agréées par les pouvoirs publics. Cependant, des projets ou propositions de lois sur l’action de groupe ont pu être formulés sans succès pour le moment. Il en est ainsi de la Belgique 83, de l’Autriche 84, ou encore de la France où 80F 81F depuis 2004, de nombreux projets et propositions de lois ont été présentés. (b) De nombreux projets et propositions de loi sur les recours collectifs en France 46. Une volonté politique affichée pour les litiges de consommation. En France, dans ses vœux adressés aux « forces vives » de la Nation, le 4 janvier 2005, le Président de la République, M. Jacques Chirac avait demandé au Gouvernement de proposer une modification de la législation pour permettre à des groupes de consommateurs et à des associations de défense d’intenter des actions collectives lorsque des pratiques abusives étaient observées sur certains marchés 85. Cette demande a 82 F relancé le débat sur l’introduction d’un système de class action en France et a donné lieu à un rapport élaboré par un groupe de travail présidé par M. Guillaume Cerruti et M. Marc Guillaume, et rendu public en décembre 2005 86. Le groupe de travail a recensé les différentes formes d'actions 83F actuellement ouvertes aux associations et dressé un bilan de leur mise en œuvre et de leurs limites. Il a également examiné les systèmes juridiques étrangers où existe déjà l'action de groupe, tant au sein de l'Union européenne qu'en dehors. Il a alors tracé les grandes lignes de possibles réformes. Cependant, aucune de ces propositions de réformes n’a recueilli l'adhésion de l'ensemble des membres du Groupe de travail. Le Gouvernement a décidé de poursuivre la concertation. Par la suite, de nombreux projets et propositions de lois ont été élaborés par le gouvernement, les députés et les sénateurs. 83 Voir par exemple, Avant-projet de loi belge relatif aux procédures en réparation collective, sept. 2009, qui propose une double procédure d’action de groupe et d’action en représentation par une association de défense, ou une société à finalité sociale. Il est intéressant de relever que le législateur belge a imaginé un système ouvert aux ressortissants des autres Etats membres. Ainsi un système d’opt out serait prévu pour les résidents belges et un système d’opt in pour les non résidents, même s’il existerait une possibilité de recours à un système d’opt in pour les résidents belges dès lors que cette procédure serait expressément autorisée par le juge. 84 Voir en ce sens Walter H. Rechberger, Country Report Austria Abstract, 18ème Congrès international sur le droit comparé, Washington 2010, Subject II – C – Civil Procedure, Class Actions / Les actions collectives. 85 L. Gaudin, L’introduction d’une action de groupe en droit français : Présentation du projet de loi en faveur des consommateurs, LPA, 17 janv. 2007, n° 13, p. 3. 86 Rapport sur l’action de groupe, Groupe de travail présidé par G. Cerutti, Directeur général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) et M. Guillaume, Directeur des affaires civiles et du sceau, remis le 16 déc. 2005 à Th. Breton, Ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie et P. Clément, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux. 24 47. Avril 2006 : la proposition de loi visant à instaurer les recours collectifs de consommateurs, du député Luc Chatel. Une première proposition de loi a été déposée par M. le député, Luc Chatel, en avril 2006. Elle prévoyait l’introduction d’une procédure d’action collective, pour les consommateurs, dont l’exercice serait réservé aux associations de consommateurs agréées. La procédure proposée s’organise en deux phases. Tout d’abord, le juge contrôle la recevabilité de l’action et l’opportunité de la procédure. Si la demande est admissible, la décision est notifiée individuellement aux demandeurs identifiés et collectivement aux demandeurs identifiables. Le système proposé pour obtenir le consentement des personnes est celui de l’opt out. Aucun recours n’est possible contre le jugement sur la recevabilité de la demande avant le recours contre le jugement au fond. Ensuite, le juge examine les questions au fond et se prononce sur la responsabilité de l’auteur de la pratique. En cas de responsabilité de ce dernier, le juge alloue individuellement des dommages et intérêts si l’identification des consommateurs lésés est possible, et dans le cas contraire, il procède à une allocation collective. Toute transaction, renonciation ou conciliation, doit faire l’objet d’une homologation par le juge. L’association de consommateurs peut obtenir le remboursement des frais engagés dans la procédure. En cas de rejet de sa demande, les frais et les dépens auxquels elle doit être condamnée, seraient limités dans leur montant. Ces frais ne peuvent être mis à la charge des consommateurs. La création d’un fonds d’aide à l’accès à la justice est prévue. Il pourrait octroyer des avances pour couvrir les frais de notification si l’action de groupe présente des chances sérieuses de succès 87. 84F 48. Novembre 2006 : Le chapitre IV du projet de loi en faveur des consommateurs. Quelques mois plus tard, un projet de loi est déposé par le Ministre de l’Economie, de l’Industrie et des Finances, M. Thierry Breton. Dans ce projet, la représentation des consommateurs est confiée à des associations de consommateurs agréées sur le plan national. L’action est limitée à la réparation des préjudices matériels des consommateurs, nés d’un manquement d’un professionnel à ses obligations contractuelles, et dont la valeur n’est pas supérieure à 2 000 euros. Dans ce système, le juge statue, tout d’abord, sur la responsabilité du professionnel. Le jugement est publié et cette publication fait courir un délai, déterminé par le juge, pendant lequel les consommateurs peuvent adresser une demande d’indemnisation au professionnel. Alors, le professionnel est dans l’obligation de formuler une offre au consommateur, accompagnée du règlement du montant de l’offre. Si le professionnel estime la demande infondée, il en informe le consommateur par lettre motivée. A l’expiration du 87 Proposition de loi visant à instaurer les recours collectifs de consommateurs, présenté par M. L. Chatel, député, 26 avr. 2006, n° 3055. 25 délai, l’affaire est rappelée devant le juge pour statuer sur les demandes d’indemnisation non satisfaites. La procédure est alors simplifiée : sans audience ni représentation obligatoire. Enfin, ce projet prévoyait l’octroi d’une réduction d’impôts de 66% en faveur des particuliers qui effectueraient au profit des associations de consommateurs des versements, dans la limite d’un plafond annuel de 100 euros 88. 85F 49. Octobre 2007 : la proposition de loi du député, M. Montebourg. Un groupe de députés, dont M. Montebourg était à la tête, a déposé à l’Assemblée nationale, le 24 octobre 2007, une proposition de loi, qui prévoit une action de groupe applicable en droit de la consommation, mais également en matière de santé, d’environnement ou de concurrence 89. 86F 50. Janvier 2008 : la proposition issue du Rapport Coulon sur la dépénalisation du droit des affaires. L’action de groupe a été envisagée comme une contrepartie de la dépénalisation du droit des affaires. En effet, en octobre 2007, le Garde des sceaux a chargé le Premier Président honoraire de la Cour d’appel de Paris, M. Jean-Marie Coulon, de mener une réflexion sur les sanctions pénales applicables aux entreprises en matière de droit des sociétés, de droit financier et de droit de la consommation. Ce dernier préconise, dans son rapport, publié en janvier 2008, l’introduction d’une action de groupe réservée aux consommateurs en tant que contrepartie à la dépénalisation de certaines infractions susceptibles de créer des préjudices individuels et à l’encadrement des constitutions de parties civiles. Dans le système proposé, la représentation des consommateurs est également confiée à une association agréée, l’agrément pouvant être conjointement consenti par le Ministre de l’Économie et des finances et le Ministre de la Justice. Le juge contrôle préalablement l’admissibilité de la demande. Le système envisagé est celui de l’opt in, c'est-à-dire que seuls les consommateurs, ayant expressément exprimé leur volonté d’appartenir au groupe, peuvent invoquer le jugement au fond. Le juge se prononce ensuite sur la responsabilité de l’auteur de la pratique et le jugement est publié. Le rapport prévoit l’ouverture d’une période pendant laquelle les consommateurs lésés peuvent formuler leur demande d’indemnisation auprès du professionnel. Il est 88 Projet de loi, en faveur des consommateurs, présenté au nom de M. D. de Villepin, Premier ministre, par M. Th. Breton, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, nov. 2006. 89 Proposition de loi relative à l’introduction de l’action de groupe en France, présentée par MM. A. Montebourg, et J-M. Ayrault, et autres, députés, 24 oct. 2007, n° 324. 26 reconnu au juge un pouvoir de contrôle et d’injonction en cas de refus d’indemnisation ou d’absence de réponse du professionnel 90. 87F 51. Mai 2008 : les propositions d’amendements à la Loi de Modernisation de l’Economie (LME). L’adoption de la Loi sur la Modernisation de l’Economie (LME)91 fut aussi un terrain propice aux 8 propositions d’introduire une action collective en droit interne. En effet, plusieurs parlementaires ont proposé des amendements à la LME visant à l’introduction d’une action de groupe. Par exemple, le député, M. Charié, a proposé un amendement à la loi, le 26 mai 2008, prévoyant l’ouverture des actions de groupe aux consommateurs, personnes physiques, en cas de violation des dispositions contractuelles ou légales dans le cadre de la vente d’un produit ou de la fourniture d’un service, et en cas de violation du droit de la concurrence 92. Cet amendement a été rejeté 93. 89F 90F 52. Février 2010 : La proposition de loi des sénateurs, Mme Bricq et M. Yung. La réforme de la procédure d’action en représentation conjointe pour les consommateurs a été envisagée plus récemment par les sénateurs, Mme Bricq et M. Yung, dans une proposition déposée au Sénat le 9 février 2010 94. Il propose un mécanisme ouvert aux seules associations agréées. Ces dernières 91 F seraient autorisées à recourir au démarchage juridique pour obtenir les mandats nécessaires à l’exercice de l’action. Ensuite, une procédure en deux temps permettrait de traiter au fond les demandes des personnes ayant donné mandat à l’association pour les défendre en justice et une seconde phase consisterait à identifier, suivant un système d’opt in, toutes les autres personnes, placées dans une solution similaire, auxquelles la solution de fond serait appliquée. 53. Juillet et décembre 2010 : les propositions de loi du sénateur M. Béteille. Le Sénateur Béteille a formulé une proposition de loi portant réforme de la responsabilité civile, en juillet 2009, dans laquelle il propose l’introduction d’une action de groupe 95. Il distingue alors l'action en déclaration 92F du principe de la responsabilité de l'auteur du manquement, qui peut être introduite par une association de défense des consommateurs ou des investisseurs spécialement agréée, de la phase 90 La dépénalisation de la vie des affaires, rapport au Garde des Sceaux, Ministre de la justice, par un groupe de travail présidé par J-M. Coulon, Premier président honoraire de la Cour d’appel de paris, La documentation française, janv. 2008, p. 89. 91 Loi n° 2008-776 du 4 août 2008 sur la modernisation de l'économie, NOR: ECEX0808477L. 92 Proposition d’amendement n° 351, présenté par M. Charié, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques, 23 mai 2008. 93 Voir site de l’assemblée nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/13/amendements/0842/084200351.asp 94 Proposition de loi sur le recours collectif, présentée par Mme N. Bricq, M. R. Yung et autres, sénateurs, 9 fév. 2010, n° 277. 95 Proposition de loi portant réforme de la responsabilité civile, présentée par M. L. Béteille, sénateur, 10 juil. 2010, n° 657. 27 d’indemnisation collective du dommage. Il vise, à travers cette proposition, les litiges opposant professionnels et consommateurs ainsi que les litiges nés de la violation des règles nationales du droit de la concurrence et des règles du droit boursier. Il explique sa procédure, dans une seconde proposition de loi, déposée le 22 décembre 2010 96, consacrée exclusivement à l’action de groupe. 93F Dans cette seconde proposition, il restreint le champ de sa proposition aux contentieux contractuels et précontractuels entre consommateurs et professionnels et aux manquements aux règles de concurrence. 54. Synthèse. Dans la plupart des projets et propositions citées 97, les procédures d’action collective 94F proposées tendaient à s’appliquer, en priorité, aux litiges de consommation. Il en est ainsi de la proposition de loi de M. Luc Chatel, déposée en avril 2006 98, du projet de loi qui a suivi en 95F novembre 2006 99 ou encore de la proposition issue du rapport de M. Jean-Marie Coulon sur la 96F dépénalisation du droit des affaires 100. Plus récemment, les propositions de lois déposées par le 97F sénateur, M. Béteille, en juillet 2010 101 et en décembre 2010 102, appréhendent elles-aussi les litiges 98F 9F en matière de consommation, même si elles élargissent le champ de l’action aux manquements aux règles du droit de la concurrence, et, pour l’une d’entre elles, aux règles du droit boursier. La proposition de loi des sénateurs, Mme Bricq et Mme Yung, est plus subtile en ce qu’elle ouvre l’action collective aux litiges entre une personne physique et un professionnel 103. En outre, la 10F représentation par les associations de consommateurs agréées semble emporter la préférence des pouvoirs publics. Enfin, les dernières propositions tendent à l’adoption d’un système d’opt in. Aucune de ces propositions et projets de loi n’a abouti pour le moment. En effet, certaines matières, comme le droit de la concurrence, présentent des caractéristiques spécifiques, qui poseraient la question de l’introduction de certains principes qui viennent se heurter aux principes fondamentaux 96 Proposition de loi tendant à renforcer la protection des consommateurs par la création d'une action de groupe fondée sur l'adhésion volontaire, présentée par M. L. Béteille, sénateur, 22 déc. 2010, n° 201. 97 L’étude ici réalisée ne se veut pas exhaustive. 98 Proposition de loi visant à instaurer les recours collectifs de consommateurs, présenté par M. L. Chatel, député, 26 avr. 2006, n° 3055. 99 Projet de loi, en faveur des consommateurs, présenté au nom de M. D. de Villepin, Premier ministre, par M. Th. Breton, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, nov. 2006. 100 La dépénalisation de la vie des affaires, rapport au Garde des Sceaux, Ministre de la justice, par un groupe de travail présidé par J-M. Coulon, Premier président honoraire de la Cour d’appel de paris, La documentation française, janv. 2008, p. 89. 101 Proposition de loi portant réforme de la responsabilité civile, présentée par M. L. Béteille, sénateur, 10 juil. 2010, n° 657. 102 Proposition de loi tendant à renforcer la protection des consommateurs par la création d'une action de groupe fondée sur l'adhésion volontaire, présentée par M. L. Béteille, sénateur, 22 déc. 2010, n° 201. 103 Proposition de loi sur le recours collectif, présentée par Mme N. Bricq, M. R. YUNG et autres, sénateurs, 9 fév. 2010, n° 277. 28 de notre droit civil. Or le gouvernement a indiqué qu’il désirait « mettre en place un dispositif compatible avec les principes et l’organisation judiciaire de notre pays » 104. 1 01F 55. Récapitulatif des projets et propositions de loi français étudiés. Auteur et contexte de la proposition Proposition de loi du député, M. Luc Chatel Projet de loi du Ministre de l’Economie, M. Breton Proposition de loi du député, M. Montebourg Proposition de M. Coulon, issue du rapport sur la dépénalisation du droit des affaires Proposition d’amendement à la LME du député, M. Charié Proposition de loi des sénateurs, Mme Bricq et M. Yung Proposition de loi portant réforme de la responsabilité civile du sénateur, M. Béteille Proposition de loi du sénateur, M. Béteille Système d’opt in ou d’opt out Personne habilitée à agir Domaine d’intervention Avril 2006 Associations de défense agréées Litiges de consommation Système d’opt out Novembre 2006 Associations de défense agréées Litiges de consommation d’un montant inférieur à 2000 euros Système d’opt out Octobre 2007 Associations de défense faisant la preuve de son existence réelle et sérieuse depuis cinq années Litiges de consommation, de santé, de concurrence ou environnemental Système d’opt out Janvier 2008 Associations de défense agréées Litiges de consommation Système d’opt in Mai 2008 Associations de défense agréées Litiges de concurrence Système d’opt in Février 2010 Associations de défense agréées Litiges entre une personne physique et un professionnel Système d’opt in Juillet 2010 Pas spécifié Litiges de consommation, de concurrence, boursier Pas spécifié Décembre 2010 Associations de défense agréées Litiges de consommation et de concurrence Système d’opt in Date de la proposition 56. Transition. Cet état des lieux des différentes législations adoptées et des différents projets et propositions de loi, présentés au niveau national, comme au niveau communautaire, permet de souligner les premières difficultés du sujet, qui tiennent à la collision entre les propositions communautaires et nationales ainsi qu’au choix de modalités diverses d’exercice de l’action de groupe dans ces nombreuses propositions. 104 Voir projet de loi en faveur des consommateurs, 8 nov. 2006, p. 12. 29 B) Les actions de groupe dans les pays européens de droit civiliste : une équation à variables multiples 57. Plan. Si depuis plus de cinq ans maintenant, la question n’a pas abouti à l’adoption d’un instrument législatif au sein de l’Union européenne, et créée toujours des débats au sein des Etats membres, c’est que la procédure de recours collectif est un sujet complexe, tant sur le plan technique que sur le plan politique. Cette complexité tient principalement : - A la question de la compatibilité du système de l’action de groupe avec le système de droit civiliste dès lors qu’une influence du système américain de la class action pèse sur le débat européen (1), - A la question des besoins réels d’une telle procédure en Europe, qui influera sur les modalités de mise en œuvre de la procédure (2) et, - A la question de compétence de l’Union pour légiférer en la matière (3). (1) L’influence de la procédure américain de la class action sur le débat en Europe 58. Le modèle de la class action américaine a suscité et suscite encore beaucoup d’inquiétudes en Europe du fait des nombreuses dérives financières qu’il a entrainé aux Etats-Unis, notamment au détriment des entreprises. Certaines entreprises ont envisagé de quitter la place boursière américaine afin d’éviter tout risque juridique. Cependant, comme démontré ci-après, ces dérives sont, en grande partie, le fruit des modalités du système judiciaire américain lui-même comme la procédure de Discovery, les Contingency fees agreements 105, ou les dommages et intérêts punitifs 106, qui sont 102F 103F étrangères à la plupart des droits des Etats membres de l’Union européenne. Ces modalités ne sont pas propres au système de la class action. Or, le débat, au sein de l’Union, sur les recours collectifs a 105 Les “Contingency Fees Agreements” sont « des conventions d’honoraires qui prévoit que les honoraires ne seront versés à l’avocat en contrepartie de ses services de conseil et de représentation qu’à condition que le procès aboutisse à un jugement en faveur du client ou à une transaction favorable à ce dernier », voir la définition dans le Black’s Law dictionary, Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 362. 106 Les dommages et intérêts punitifs (punitive damages) sont des « dommages et intérêts octroyés en plus des dommages et intérêts compensatoires lorsque le défendeur a agi avec insouciance, malice ou tromperie; Spéc. Dommages et intérêts octroyés en vue de sanctionner l’auteur d’une mauvaise conduite ou de faire un exemple pour les autres. Les dommages et intérêts punitifs qui ont pour objet de punir et de dissuader les conduites blamables ne sont généralement pas octroyés en cas de violation des termes d’un contrat. La Cour Suprême a considéré que trois règles pouvaient aider à déterminer si l’allocation de dommages et intérêts punitifs violaient les règles constitutionnelles du Due process: (1) le caractère répréhensible de la conduite punie; (2) le caractère raisonnable du lien entre le préjudice causé et le montant des dommages et intérêts punitifs; et (3) la différence entre le montant de ces dommages et intérêts punitifs et les sanctions civiles autorisée dans un cas comparable, BMW of North America, Inc. v. Gore, 517 U.S 559, 116 S. Ct 1589 (1996) […] », Black Law Dictionnary, Garner (B. A.), Rédacteur en chef, West Publishing Company, 9 ème éd., 2009, p. 448 30 été engagé à partir de ce modèle et il est accompagné desdites modalités 107. Ces amalgames ont 104F encore compliqué le débat. 59. Par ailleurs, la question de la compatibilité des modalités procédurales appliquées aux Etats-Unis avec les principes fondamentaux des droits procéduraux et substantiels régissant les systèmes juridiques des Etats européens est centrale dans ce débat 108. L’action de groupe est née et a été 105F développée dans des pays de Common Law, où la conception du déroulement de la procédure judiciaire est, par définition, opposée à celle des pays européens de droit de tradition romanogermanique 109. Elle permet à une personne de défendre non seulement ses propres intérêts mais 106F également ceux d’autres personnes, non identifiées au moment de l’introduction de l’instance. De même, le jugement rendu liera des personnes qui étaient absentes de la procédure. Il faudra ainsi vérifier les conditions d’exercice de cette procédure afin de contrôler que les principes fondamentaux, qui gouvernent la procédure civile et le droit de la responsabilité dans les pays civilistes, ont été respectés. Dans le cas contraire, il faudra rechercher les modalités d’exercice de l’action qui permettraient d’aboutir à une compatibilité avec les principes fondamentaux du droit en cause. 60. Enfin, la procédure d’action de groupe est une procédure dérogatoire au droit commun quel que soit le système judiciaire en cause. Il faudra en conséquence examiner les conditions d’autorisation de la procédure à mettre en place. (2) Les besoins européens d’une procédure d’action de groupe 61. Ensuite, il faut s’assurer que, d’une part, la mise à l’écart éventuelle de principes procéduraux fondamentaux communément admis dans les pays de droit civiliste est justifiée et proportionnée par rapport aux besoins et objectifs poursuivis qui devront être identifiés. D’autre part, il faudra également s’interroger sur la possibilité de procéder à des aménagements de sorte que les règles adoptées soient compatibles avec les principes procéduraux fondamentaux en cause. Cela 107 Voir Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, 25 déc. 2005, COM(2005) 672 final. 108 J. Monéger, Deux voyageurs au Maghreb al aqsa, Liber amicorum Xavier Blanc-Jouvan, Soc. lég. comp. 2005 ; J. Monéger, Biographie d’un C.O.C. de la réception à l’assimilation d’un code étranger dans l’ordre juridique marocain, R. M. D. E., 1984, n° 7, p. 15 et s. ; M-A. Frison-Roche, Les résistances mécaniques du système juridique français à accueillir la class action : obstacles et compatibilités, LPA, 10 juin 2005, n° 115, p. 22. 109 Voir Supra §. 9. 31 permettraient, le cas échéant, d’introduire une action de groupe efficace au regard des objectifs poursuivis. 62. Les finalités de l’action de groupe. L’action de groupe est, en premier lieu, un moyen de traiter, de manière plus efficiente, les demandes en justice par rapport au traitement individualisé de multiples demandes qui ont le même objet au moyen d’autant de procès. Il s’agit de rationnaliser de la manière la plus efficiente possible un traitement équitable et dans un délai raisonnable des demandes par le juge. C’est un objectif de bonne administration de la justice. 63. En deuxième lieu, le fait de permettre à un justiciable de mener une action en justice, dont le résultat pourra bénéficier à toutes les personnes placées dans une situation similaire à la sienne, contribue à garantir ou à renforcer l’effectivité du droit à réparation de justiciables, qui, dans certaines circonstances, seraient dissuadés d’engager une action du fait des coûts et de la lourdeur de la justice, en facilitant leur l’accès au juge. 64. Enfin, une troisième finalité de l’action a été développée en prenant modèle sur le système américain de la class action. Aux Etats-Unis, la mise en œuvre de la procédure civile américaine est perçue comme un système complémentaire du système pénal. La procédure civile et la class action furent conçues comme un mode de dissuasion et un complément indispensable à l'action répressive des pouvoirs publics. Le but du législateur américain est la mise en œuvre effective de la loi par les citoyens, et non pas la seule obtention de la réparation de leur préjudice. Ce concept est appelé « Private enforcement » 110. La procédure de la class action telle qu'elle existe aujourd'hui est issue 1 07F de la réforme de 1966. La motivation du législateur était alors de garantir le respect de la loi mettant fin à la ségrégation raciale en encourageant les victimes de discrimination à faire valoir leurs droits devant la justice civile 111. Un tel objectif semble étranger à l’objet du procès civil dans les pays 108F européen, et a fortiori aux rôles respectifs de l’individu et des pouvoirs publics, dans les sociétés européennes. 110 Voir J. Nannes, Le private enforcement : l’expérience américaine, Concurrence & consommation, n° 153, juin 2007, Numéro spécial, p. 27. 111 D. R. Hensler, N. M. Pace, B. Dombey-Moore, E. Giddens, J. Gross, E. Moller, Class actions dilemmas, Pursuing public goals for private gain, RAND Institute for Civil Justice, Rand Publishing, 1 ère éd., 2000, p. 12; N. M. Pace Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature, RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 42, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale cosponsorisée par la Stanford Law School et le Center for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 32 65. Le ou les domaines de l’action de groupe. L’examen d’une telle procédure doit également amener à s’interroger sur le domaine de l’action de groupe. 66. Doit-on réserver cette action à une catégorie de personnes et en particulier aux consommateurs ou doit-on étendre le champ de cette procédure à toute victime potentielle ? 67. De même doit-on consacrer une mesure sectorielle, qui serait utilisée en cas de violation d’un corps de règles, comme le droit de la concurrence ou le droit de la consommation ou doit-on considérer tout litige de masse quelle que soit la nature de la faute à l’origine du dommage ? 68. Enfin doit-on prendre en compte l’importance du litige ? Autant de questions dont les réponses pourront influer sur les modalités d’exercice de l’action. (3) La compétence de l’Union européenne pour légiférer en la matière 69. La répartition des compétences entre les Etats membres et l’Union européenne. Les initiatives législatives se développent en droit de l’Union européenne comme en droit interne des Etats membres. Ainsi la première question qui se pose est celle de la compétence de l’Union ou des Etats membres pour légiférer en la matière, sachant qu’il s’agit d’une nouvelle procédure judiciaire, que les litiges transfrontaliers peuvent également être visés par la réforme et que seuls certains Etats membres ont adopté des législations en la matière 112. La question du risque de Forum Shopping 109F devra être abordée 113. 10 F 70. La recherche d’un outil efficace. De plus, au sein de l’Union, les systèmes de droit diffèrent d’un Etat membres à l’autre, certains étant de tradition romano-germanique, d’autres de Common Law et d’autres encore puisant leur inspiration dans les deux modèles 114. Ainsi il faut s’assurer de la faculté, 1F pour la Commission européenne, de trouver un système efficace et compatible avec les principes fondamentaux et les traditions juridiques de chaque Etat membre 115. Se pose, le cas échéant, la 12F 112 Voir Renforcer la cohérence de l'approche européenne en matière de recours collectifs, document de travail des services de la Commission européenne, consultation publique, 4 fév. 2011, SEC(2011) 173 final. 113 D. Cohen, Contentieux d’affaires et abus de forum shopping, Recueil Dalloz 2010, p. 975 ; J. Lemontey et N. Michon, Les class actions américaines et leur éventuelle reconnaissance en France, Journal du Droit international (Clunet), n° 2, avr. 2009, var. 2. 114 Voir Supra §. 9. 115 Voir Renforcer la cohérence de l'approche européenne en matière de recours collectifs, document de travail des services de la Commission européenne, consultation publique, 4 fév. 2011, SEC(2011) 173 final. 33 question de l’outil législatif le plus adapté pour y parvenir. Enfin, les modes de financement de ces actions les plus appropriés devront être déterminés. III- Exposé de la méthode suivie : le droit comparé 71. La démarche comparative. Le travail présenté résulte d’une démarche comparative consistant à étudier les législations de différents pays, ainsi que la jurisprudence développée, dans ces pays, en matière d’actions collectives. L’étude porte également sur les principes procéduraux des différents systèmes et législations en matière de procédure civile ainsi que sur les règles substantielles qui régissent le droit de la responsabilité civile. 72. La justification du choix des pays étudiés : en Amérique du Nord. Le premier droit étudié est celui des Etats-Unis d’Amérique. Berceau de la class action, ce système juridique est incontournable. L’étude porte sur les procédures de class actions, mais également sur le fonctionnement du système judiciaire aux Etats Unis, en tant que système de Common Law. Il s’agit de comprendre le rapport original du citoyen américain à la justice, en comparaison avec le rapport du citoyen européen face à la justice, dans les pays de droit romano-germanique, et ainsi se pencher sur des considérations juridico-politiques et historiques. Le système canadien de la class action sera étudié, à titre complémentaire, afin d’exposer les modalités de financement de cette procédure par le biais d’un fonds. 73. La justification du choix des pays étudiés : en Europe. Il existe, au sein de l’Union européenne, des pays de Common Law, des pays dits « de systèmes mixtes » et une grande majorité de pays de droit de tradition romano-germanique. Il a fallu opérer des choix parmi ces pays. 74. Le Royaume-Uni s’est imposé en tant que pays européens de Common Law. Il entretient des liens historiques et juridiques très étroits avec les Etats-Unis d’Amérique et pourtant le législateur refuse pour le moment d’adopter une procédure de class actions à l’américaine, avec un système d’opt out. Ce système juridique est intéressant car la mise en œuvre du droit anglais est influencée par les systèmes voisins de droit civiliste. Il s’en rapproche notamment quant au rôle du juge dans l’examen des techniques de preuve 116. 13 F 116 Voir Infra §. 737 et s. 34 75. Ensuite, la Suède est un pays intéressant à étudier car il s’agit d’un système de droit mixte entre la Common Law et le droit civiliste. En effet, bien que, de tradition civiliste concernant le droit privé, il a beaucoup emprunté, au système procédural propre au Common Law. Il s’agit de l’un des premiers Etats membres de l’Union à avoir adopté non pas une, mais plusieurs procédures d’action collective. De plus, la loi sur ces recours collectifs date de 2000, ce qui permet d’avoir un premier retour sur l’utilisation de cette procédure. Les autres pays scandinaves seront également étudiés car bien que très proches, ils ont opté pour des procédures qui ne sont pas identiques. La Finlande présente un intérêt particulier car le législateur finnois a mis en place un système alternatif de résolution des litiges, complémentaire de l’action collective. 76. Parmi les pays européens de droit de tradition romano-germanique, le choix s’est porté sur l’Allemagne, l’Italie et la France. Ces trois pays rencontrent les mêmes difficultés pour concilier la procédure d’action collective avec les principes procéduraux fondamentaux qu’ils appliquent, même si des divergences existent, notamment en raison de leurs droits constitutionnels distincts. Ces trois pays illustrent trois approches différentes sur les actions collectives. En effet, l’Italie a opté pour une procédure d’action de groupe avec un système d’opt in. L’Allemagne a préféré adopter une procédure alternative, la procédure « modèle » pour le traitement des litiges de masse, en matière boursière. En France, malgré de nombreux projets et propositions de loi, la réflexion est toujours en cours. 77. En outre, le système de la transaction collective néerlandaise, qui apparaît comme une procédure originale entre la procédure judiciaire et le mode alternatif de règlement des litiges sera étudié. IV- Les délimitations du sujet et l’annonce du plan 78. La délimitation du sujet. Le thème des actions collectives dans les pays européens de droit de tradition romano-germanique est vaste. Il implique plusieurs disciplines juridiques : outre le droit processuel et le droit de la responsabilité civile, l’histoire du droit ou encore le droit comparé sont incontournables. De plus, il revêt une dimension politique puisque deux visions du rôle du droit dans l’organisation sociale s’affrontent. Pour ces raisons, des choix ont dû être opérés et le champ de l’étude a été limité. 35 79. Tout d’abord, aux Etats-Unis, les class actions peuvent être utilisées pour obtenir la réparation des dommages subis, mais également pour obtenir un jugement déclaratoire sur la responsabilité du défendeur et une injonction de cesser la pratique infractionnelle. Les développements seront limités aux actions collectives exercées pour la seule réparation des dommages subis. Le Conseil et le Parlement européen ont, d’ores et déjà, adopté une directive relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs 117. Il est possible de considérer que l’intérêt 14F majeur de ces actions collectives, en l’état actuel du droit, est la réparation des préjudices subis dans le cadre de litiges de masse. 80. Ensuite, les class actions ont été pensées tant pour permettre le regroupement des demandeurs que le regroupement des défendeurs. Seule la première hypothèse sera retenue dans l’étude. L’action de groupe pour les demandeurs est, en effet, au cœur du débat. 81. Enfin, les actions collectives sont des procédures judiciaires. Ainsi, par nature, elles peuvent potentiellement être mises en œuvre pour tout type de litiges de masse, quelle que soit la nature du dommage à l’origine du préjudice. Aux Etats-Unis, la procédure est utilisée pour tout type de violation du droit allant du droit de la concurrence au droit social ou au droit de travail 118. 15F Cependant, nos développements seront limités au champ économique, et en particulier aux litiges de concurrence et de consommation, qui sont les seuls envisagés, pour le moment, par les institutions communautaires. Certaines considérations et conclusions seront, in fine, utiles quelle que soit le domaine juridique considéré (droit de l’environnement, litiges de santé publique etc.). 82. Annonce du Plan. Dans un premier temps, il faut envisager les actions collectives sous un angle technique et examiner les modalités d’autorisation et d’exercice de l’action de groupe afin de déterminer si elle est compatible avec les principes fondamentaux qui gouvernent la procédure civile et le droit de la responsabilité, dans les pays de tradition romano-germanique. La procédure de class action américaine servira de socle à cette étude. Cependant, le champ de l’analyse sera étendu aux autres formes d’actions collectives qui existent en Europe, ainsi qu’aux modes alternatifs de 117 Directive 2009/22/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avr. 2009 relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs (version codifiée), JO L 110 du 1 mai 2009, p. 30–36. 118 N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature, RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 8, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Center for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 36 résolution des conflits (MARC) pour déterminer dans quelle mesure, ils pourraient se substituer efficacement à l’action de groupe (Partie I). 83. Dans un second temps, il faut s’intéresser aux enjeux de politique juridique. L’étude des projets européens de la DG Concurrence et de la DG Sanco permet de déterminer la ou les finalités de l’action collective et son domaine d’application pour répondre aux besoins des justiciables. De même, seront examinés les enjeux tant européens que nationaux de la réforme, pour conclure sur un chapitre, de manière prospective, en esquissant des propositions susceptibles de contribuer à une solution appropriée en France (Partie II). 37 38 PARTIE I : LES ACTIONS COLLECTIVES : DES PROCEDURES ORIGINALES 84. L’action de groupe, développée aux Etats-Unis dans les années 60 apparait, aujourd’hui, comme la procédure de recours collectif la plus aboutie 119. Elle a fortement inspiré les procédures d’action 16F de groupe canadienne, et australienne 17 F 120 . Elle fait figure de référence au sein de l’Union européenne. En effet, les pouvoirs publics, au niveau communautaire, comme au niveau national, s’interrogent sur l’opportunité et la possibilité d’adopter de telles procédures, notamment en matière de droit de la consommation et de droit de la concurrence 121. 18F 85. L’action de groupe présente certaines caractéristiques relatives à la représentation en justice par autrui et pour autrui, qui seront mises en lumière par l’étude du système judiciaire de la class action. Ces modalités d’exercice de l’action viennent heurter certains principes fondamentaux, qui 119 Voir N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature, RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 8, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Center for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007; D.R. Hensler, N.-M. Pace, B. Dombey-Moore, E. Giddens, J. Gross, E. Moller, Class actions dilemmas, Pursuing public goals for private gain, RAND Institute for Civil Justice, Rand Publishing, 1ère éd., 2000. 120 W. A. Bogart, J. Kalajdzic et I. Matthews, Class Actions in Canada: A National Procedure in a Multi-Jurisdictional Society? dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Center for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007; V. Morabito, Group Litigation in Australia “Desperately Seeking” Effective Class Action Regimes Class Actions, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Center for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 121 Voir en matière de droit de la concurrence : Proposition de directive relative aux règles régissant les actions en dommages intérêts pour infraction aux articles 81 et 82 du traité, Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, avr. 2009; Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, 2 avr. 2008, COM(2008) 165 final ; Voir en matière de droit de la consommation : Livre vert du 27 nov. 2008 sur les recours collectifs pour les consommateurs, Direction Générale pour la santé et la protection des consommateurs de la Commission européenne, COM(2008) 794 final, non publié au Journal officiel. 39 gouvernent la procédure civile et le droit de la responsabilité civile dans certains Etats membres. Une réflexion est menée sur la possibilité de passer outre ces obstacles ou d’adapter la procédure d’action de groupe, afin de garantir la compatibilité de l’action avec ces principes. La procédure de class action aux Etats-Unis s’inscrit dans un système de Common Law et elle est cohérente à l’égard des principes qui gouvernent ce système. Une adaptation de la procédure de l’action de groupe, au système de tradition romano-germanique dominant au sein de l’Union, semble nécessaire si les pouvoirs publics optent pour cette procédure. 86. En outre, les Etats membres de l’Union ne sont pas démunis pour connaître des litiges de masse. Des procédures judiciaires permettent, d’ores et déjà, un traitement collectif de ces cas. Renforcées ou améliorées, elles peuvent constituer des alternatives intéressantes à l’action de groupe ou, a minima, être étudiées comme source d’inspiration pour adapter l’action de groupe aux systèmes de droit romano-germanique. De même, les procédures négociées sont des compléments utiles à la résolution des litiges de masse, qu’il ne faut pas négliger. 87. Cela conduit à s’interroger sur les modalités d’existence et d’exercice des actions de groupe (Titre 1) ainsi que sur les alternatives procédurales à l’action de groupe, existantes au sein de l’Union, auxquelles il serait possible de recourir, à titre subsidiaire ou à titre complémentaire (Titre 2). 40 TITRE I : LES ACTIONS DE GROUPE : CONDITIONS D’EXISTENCE ET D’EXERCICE 88. La représentation en justice par un tiers. Les actions collectives sont des procédures judiciaires, qui dérogent au droit commun, car elles se caractérisent par la représentation en justice de personnes par un tiers. Les personnes représentées à la procédure sont réputées avoir consenti, tacitement ou explicitement, à l’exercice de l’action par un autre justiciable. Ainsi, un Demandeur Représentatif va ester en justice, pour une pluralité d’autres justiciables, simplement identifiables au moment de l’introduction de la procédure, à l’encontre d’un ou plusieurs défendeurs, auteur d’une pratique alléguée, censée avoir causé un préjudice similaire à l’ensemble des personnes représentées à la procédure 122. 19F 89. La class action à l’américaine, un modèle de référence. La procédure américaine de la class action, système d’action collective le plus abouti, à ce jour, se caractérise par le fait que l’une des victimes potentielles de la pratique alléguée porte son affaire en justice pour obtenir la réparation de son propre préjudice, mais également pour toutes les autres personnes placées dans une situation similaire à la sienne 123. Cette procédure apparaît comme un modèle dans le débat sur le traitement 120F des litiges de masse en Europe et en particulier en France. Son étude permet de mettre en lumière les grandes étapes de la procédure et de déterminer les choix offerts aux législateurs européens dès lors que l’introduction d’une nouvelle procédure d’action collective en droit positif serait décidée. Cependant, la procédure de class action a été développée dans un système de Common Law de type accusatoire. Or, il faut replacer la procédure d’action collective dans son contexte juridique de destination 124 : les systèmes de droit romano-germanique de type inquisitoire, majoritaires au sein de 12F 122 J. Lemontey et N. Michon, Les class actions américaines et leur éventuelle reconnaissance en France, Journal du Droit international (Clunet), n° 2, avr. 2009, var. 2. 123 D. R. Hensler, N.-M. Pace, B. Dombey-Moore, E. Giddens, J. Gross, E. Moller, Class actions dilemmas, Pursuing public goals for private gain, RAND Institute for Civil Justice, Rand Publishing, 1ère éd., 2000, p. 12. 124 J. Monéger, Deux voyageurs au Maghreb al aqsa, Liber amicorum Xavier Blanc-Jouvan, Soc. lég. comp. 2005 ; J. Monéger, Biographie d’un C.O.C. de la réception à l’assimilation d’un code étranger dans l’ordre juridique marocain, R. 41 l’Union européenne. Cette acclimatation permettra de déterminer les obstacles éventuels à l’introduction d’une procédure d’action de groupe à l’américaine dans ces systèmes et de souligner les modalités de l’action de groupe, indispensables à son bon fonctionnement. 90. Plan. Cette procédure se caractérise d’abord par ses conditions d’ouverture, limitées à certaines personnes et à certaines circonstances. Il s’agit de justifier le recours à une procédure judiciaire dérogatoire au droit commun (Chapitre 1). Elle doit ensuite être examinée au regard des personnes représentées, et de leurs droits : droit à l’information, droit à consentir à l’exercice de leur action par autrui et droit à réparation du préjudice subi (Chapitre 2). M. D. E., 1984, n° 7, p. 15 et s. ; M-A. Frison-Roche, Les résistances mécaniques du système juridique français à accueillir la class action : obstacles et compatibilités, LPA, 10 juin 2005, n° 115, p. 22. 42 CHAPITRE I : L’ACTION EN JUSTICE POUR AUTRUI : LES CONDITIONS D’AUTORISATION DE L’ACTION 91. Une procédure judiciaire hors norme. La procédure d’action de groupe se caractérise, en premier lieu, par la représentation en justice d’individus par une tierce personne. Un Demandeur Représentatif porte son action en justice pour obtenir la réparation de son préjudice, mais également pour toutes les autres personnes placées dans une situation similaire à la sienne. La procédure d’action de groupe apparaît, au regard de ce seul élément, comme dérogatoire au droit commun. L’action individuelle est, quel que soit le pays envisagé, l’action de principe. C’est pourquoi, l’action de groupe ne pourra être mise en œuvre que dans certaines circonstances et sous certaines conditions, justifiant la dérogation à la règle. 92. Une procédure soumise à autorisation dans le système américain. Cette caractéristique, intrinsèque à l’action de groupe, justifie, dans le système américain, une phase d’examen, préalable à l’examen du fond, dans laquelle le juge décidera ou non d’ouvrir une telle action. Il doit, lors de cette phase, examiner la recevabilité de l’action, mais également trancher la question de l’opportunité de recourir à la procédure d’action de groupe pour connaître du litige (phase de certification). Il s’agit, pour le juge, de vérifier que la voie de l’action de groupe sera la plus à même de parvenir à un traitement efficient de l’affaire et ce, en vue d’une bonne administration de la justice. Dans le cadre de cet examen préalable, l’intérêt à agir pour autrui du représentant à l’action et son aptitude à conduire la procédure dans l’intérêt de l’ensemble des personnes représentées sont analysées rigoureusement par le « juge de la certification ». Le système américain présente sur ce point deux particularités. D’une part, le Demandeur Représentatif est lui-même membre du groupe de représentés, et il a, à ce titre, qualité à agir pour autrui. Ainsi, potentiellement tout justiciable américain peut intenter une telle action. D’autre part, les avocats du Demandeur Représentatif jouent un rôle personnel dans la conduite et dans la représentation en justice des tiers, ce qui justifiera un contrôle par le juge lors de la phase de certification de leur compétence à cette représentation en justice hors norme (Section1). 93. La qualité à agir pour autrui dans les systèmes de droit de tradition romano-germanique. Ce contrôle préalable de la recevabilité et de l’opportunité de la procédure permet de s’interroger sur les personnes autorisées à engager ce type de procédure. Sur la recevabilité de la demande, le choix du législateur américain d’ouvrir l’action à l’ensemble des justiciables ayant potentiellement souffert d’un préjudice similaire à celui d’autres personnes peut soulever des difficultés dans certains Etats membres 43 de l’Union européenne. En effet, bien que certains pays européens, comme la Suède, l’Italie ou encore le Portugal 125 aient adopté cette solution, cette dernière ne pourra être retenue, dans d’autres pays, que 12 F si une qualité particulière est dévolue au demandeur pour pallier le défaut d’intérêt à agir pour autrui 126. En France, par exemple, la qualité à agir pour autrui ne peut être conférée qu’à une certaine 123F catégorie de justiciables, qui justifient de garanties particulières. Les législateurs européens doivent composer avec ces dispositions légales et recourir aux alternatives proposées, notamment, à travers l’action en représentation des associations de défense. S’agissant des autres conditions liées à l’autorisation de la procédure et notamment de l’examen de l’opportunité de recourir à une telle procédure, elles sont, pour le moment, adoptées dans l’ensemble des pays disposant d’une procédure d’action collective même si de manière imparfaite. Elles constituent des mesures adaptées et efficaces pour lutter contre les procédures abusives (Section 2). SECTION 1 : L’ACTION EN JUSTICE POUR AUTRUI : AUX ETATSUNIS D’AMERIQUE, PAYS DE COMMON LAW 94. Un recours à l’action de groupe soumis à conditions. Le recours à la procédure d’action de groupe n’est autorisé aux Etats-Unis que si les circonstances de l’espèce le justifient. Le Demandeur Représentatif 127 (Representative plaintiff), qui sollicite le recours à une procédure d’action de groupe, 124F doit, en effet, démontrer que certaines conditions sont remplies. Il doit satisfaire à des conditions de recevabilité de l’action, similaires à celles connues dans la majorité des Etats membres, mais il doit également mettre en lumière que les demandes seront traitées de manière plus efficiente, plus efficace 125 H. Lindblom, Class Actions in Sweden, p. 3-4, dans Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, 6ème Conférence annuelle sur le thème Strategies for Litigating, 6 & 7 mai 2010, Hotel Renaissance Seattle, à Seattle, WA; Les actions de groupe, Les documents de travail du Sénat, série Législation comparée, n° LC 206, mai 2010; H. Sousa Antunes, Class Actions, Group Litigation & Other Forms of Collective Litigation (Portuguese Report), dans The Globalization of class actions, Conférence internationale cosponsorisée par la Stanford Law School et le Center for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 126 F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 10e éd., 2009. 127 Le Demandeur Représentatif désigne le justiciable désigné par le Tribunal au terme de la phase de certification pour représenter l’ensemble de la class. Plusieurs justiciables peuvent être désignés en ce sens, voir Rule 23(a) FRCP « Representative parties » (Ce sont les règles fédérales de procédure civile (ci-après « FRCP ») ; « Ces règles régissent la conduite de toutes les actions civiles intentées devant des tribunaux de district fédéral. Alors qu'ils ne s'appliquent pas à des poursuites devant les tribunaux d'État, les règles de nombreux Etats ont été calquées sur ces dispositions », http://translate.google.fr/translate?hl=fr&langpair=en%7Cfr&u=http://www.law.cornell.edu/rules/frcp/). Ces justiciables et les autres membres de la class seront, en revanche, représentés en justice par un seul cabinet d’avocats désigné comme le « Class Counsel », par le juge, au terme de la phase de certification, voir Rule 23(g) FRCP. Dans un souci de simplification rédactionnelle, dans le corps de texte, l’expression de « Demandeur Représentatif » au singulier sera utilisée. 44 et plus équitable, suivant cette procédure, que si elles étaient examinées individuellement. Cette phase préalable d’examen est appelée « phase de certification de la class 128 ». 125F 95. La limitation de l’exposé à la procédure fédérale américaine. Les développements suivants seront consacrés à la procédure américaine de la certification, dont le système apparaît comme la référence dans le débat engagé. Plus précisément, l’étude portera sur le système fédéral américain de la class action. Les Etats fédérés ont pu adopter des règlementations quelques peu divergentes de la réglementation fédérale, mais le socle de base est commun 129. Cette phase préalable d’examen de 126F l’opportunité de recourir à cette procédure d’action de groupe se retrouve dans d’autres Etats que les Etats-Unis. Elle est présente au Canada, en Australie, ou en Suède, où les systèmes présentent des conditions de certification similaires concernant les procédures d’actions de groupe adoptées. 96. Aux Etats-Unis, il existe deux séries de conditions de certification, au-delà des conditions de recevabilité de l’action. La première série est commune à l’ensemble des procédures de class actions, quel que soit le type de demande formulée et la matière concernée. Elle comprend les conditions de Commonality 130, de Numerosity, de Typicality 131 et d’Adequacy of representation 132. Ensuite, une 127F 128F 129F seconde série de conditions va intervenir dès lors qu’il s’agit d’un mass torts case 133, susceptible 130F 128 Le terme de « class » désigne un groupe de demandeurs potentiels à la procédure, se trouvant dans une situation similaire à celle du Demandeur Représentatif, c'est-à-dire qui ont subi un préjudice de même nature, du fait d’une même pratique, adoptée par un ou plusieurs défendeurs. 129 N. M. Pace,Class actions in the United States of America:an overview of the process and the empirical literature, RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 2, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et the Center for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007 ; W. D. Torchiana, Expérience nationale : Les Etats-Unis, p. 30 et suivantes, dans Les Recours collectifs : Etude comparée, Journée d’études du 27 janv. 2006, Société de législation comparée, Colloques, volume 5 ; A titre d’exemple, certains Etats comme la Californie, a Floride ou l’Etat de New York ont adopté des législations autorisant les recours des acheteurs indirects en matière d’Antitrust, alors que ces recours sont interdits au niveau fédéral par une jurisprudence Illinois Brick, de la Cour Suprême (Illinois Brick Co. v. Illinois, 431 U.S. 720 (1977)) ; J. Nannes, Le private enforcement : l’expérience américaine, Concurrence & consommation n° 153, juin 2007, Numéro spécial, p. 27- 30. 130 La condition de Commonality se comprend d’une condition de « communauté d’intérêts ». Les demandeurs constituent un groupe social ayant un intérêt en commun, qui se matérialise dans un préjudice de même nature. Le litige porté devant les juridictions doit présenter des questions de fait et de droit communes. 131 La condition de Typicallity se réfère à une exigence de représentativité. La situation du Demandeur représentatif et les prétentions qu’il exprime, doivent apparaitre comme représentatives de celles des autres demandeurs potentiels à l’action. Selon le Petit Larousse (1993), la représentativité se définit comme « la qualité d’un échantillon constitué de façon à correspondre à la population dont il est extrait ». Le Demandeur Représentatif à la class action doit apparaître comme un échantillon représentatif du groupe de personnes, membre de la class, choisi de façon à correspondre, au mieux, aux caractéristiques présentées par les situations de l’ensemble des personnes représentées. 132 La condition d’Adequacy of représentation se réfère à une représentation adéquate des membres du groupe par le Demandeur Représentatif. Ainsi, ce dernier doit agir conformément à l’objet de la représentation, c'est-à-dire, au mieux, des intérêts de chacun des demandeurs, membres du groupe. 133 Le terme de “tort case” se traduit littéralement comme « un délit civil, autre qu’une violation d’un rapport contractuel, pour lequel un remède peut être obtenu sous la forme de dommages et intérêts », B. A. Garner, Black’s Law dictionary, 45 d’aboutir au prononcé de dommages et intérêts. Il s’agit alors des conditions de Predominance 134 et de 13F Superiority 135. 132F 97. Une phase originale d’autorisation de la procédure. Il s’agit dans cette première section de mettre en lumière que les conditions de certification sont particulières à la procédure d’action de groupe et se distinguent des conditions de recevabilité, connues en droit procédural des Etats membres de l’Union Européenne, notamment en droit français 136, car elles ne procèdent pas du même objectif. 13F En effet, contrairement au contrôle de la recevabilité de l’action, qui, par ailleurs, existe également dans la procédure civile américaine 137, la phase de certification vise à garantir la bonne administration 134F de la justice en contrôlant l’opportunité de recourir à cette procédure plutôt qu’à la procédure de droit commun et en contrôlant les capacités de représentation du Demandeur Représentatif postulant 138. 135F 98. L’exemple du Marine Hoses Cartel. A titre d’exemple, sera examinée une affaire ayant donné lieu à certification d’un groupe de demandeurs (class) portant réclamation d’un préjudice subi du fait d’une pratique anticoncurrentielle commise par plusieurs entreprises, européennes et américaines, sur le marché des tuyaux marins. Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 1626. Ce terme couvre, en droit français, la responsabilité civile extracontractuelle. L’adjectif « Mass » vient souligner la présence de plusieurs personnes au litige, voir en ce sens, Black’s Law dictionary, op. cit. 134 Voir §. 156-163. 135 Voir §. 164-166. 136 Le droit positif français prévoit certaines conditions de recevabilité de la demande en justice qui portent sur la capacité à agir du demandeur ainsi que sur son intérêt et sa qualité à agir, voir C. proc. civ., art. 31. 137 Le contrôle de recevabilité de la procédure judiciaire tend à vérifier la régularité de la demande en justice et son bienfondé, voir Y. Strickler, Procédure Civile, Paradigme 2007-2008, p. 80-81. 138 Rule 23FRCP. 46 Affaire du Cartel des tuyaux marins Sur le volet pénal. En l’espèce, plusieurs fabricants de tuyaux marins tant européens qu’américains 139, 136F se sont entendus pour la fixation du prix de leurs produits et pour la répartition du marché s’y référant, sur la période 1986-2007. Cette pratique a donné lieu à des arrestations et des condamnations par les autorités américaines et par les autorités européennes de concurrence. Le cartel a été détecté par les autorités américaines (Department of Justice) qui ont procédé en mai 2007 à l’arrestation de huit responsables étrangers des entreprises, parties au cartel qui se rendaient à une réunion à Houston et d’autres responsables basés sur le territoire américain 140. Les arrestations aux 137F États-Unis ont conduit au prononcé : -de sanctions pénales individuelles à l’encontre des responsables des entreprises mises en causes, consistant en des peines d’amendes et des peines d’emprisonnement 141, et 138F -de sanctions pécuniaires à l’encontre des entreprises, personnes morales 142. 139F Simultanément aux arrestations effectuées aux États-Unis, l’autorité anglaise de concurrence (Office of Fair Trading, OFT) 143 a, elle-aussi, obtenu des juridictions anglaises la délivrance des mandats 140F d’arrêts, contre les responsables de Dunlop Oil & Marine LLP, en Europe. Ces derniers, qui ont plaidé coupable devant les juridictions américaines, ont négocié leur extradition vers l’Angleterre, ce qui fut opéré au mois de décembre 2007. Un accord a été conclu prévoyant que si les peines prononcées par les juridictions anglaises étaient moins élevées que celles prononcées par les juridictions américaines, les accusés s’engageaient à revenir aux Etats-Unis pour finir leur peine. Ainsi, arrivés à l’aéroport d’Heathrow à Londres, les personnes en question ont été arrêtées par les autorités anglaises pour répondre des charges pesant sur elles au titre de la législation anglaise de la concurrence. Les sanctions prononcées furent des peines d’emprisonnement entre deux ans et demi et trois ans, des interdictions 139 Les entreprises impliquées dans cette affaire sont : Trelleborg Industry SA, Parker ITR, Manuli Rubber Industries S.p.a, Bridgestone Corporation, Dunlop Oil & Marine Ltd et Yokohama Rubber Co Ltd, voir Décision de la Commission européenne, relative à une mesure d'application de l'article 81 du traité et de l'article 53 de l'accord EEE, aff. COMP/39406Marine Hoses, 28 janv. 2009, non publiée au JOUE. 140 S. Hankey et J. Aldersey-Williams, UK Execs Arrested In US For Involvement In Alleged International Marine Hose Cartel, Mondaq.com, 8 mai 2007, accessible à l’adresse suivante : http://www.mondaq.com/article.asp?articleid=48270; Eight Executives Arrested on Charges of Conspiring to Rig Bids, Fix Prices, and Allocate Markets for Sales of Marine Hose, US Department of Justice, Communiqué de presse du 2 mai 2007, accessible à l’adresse suivante : http://www.justice.gov/opa/pr/2007/May/07_at_322.html. 141 Les peines de prison allaient de 20 à 30 mois et le montant des amendes infligées variait entre 75 000 ou 100 000 dollars. 142 Dunlop et Manuli ont plaidé coupable pour violation du droit de la concurrence américain, voir site Internet du DOJ : www.usdoj.gov/opa/pr/2008/December/08-at-1055.html 143 Voir le site officiel de l’autorité anglaise de concurrence, l‘Office of Fair Trading (OFT) : http://www.oft.gov.uk/ 47 d’exercer des postes de responsables allant de 5 à 7 ans, et des amendes pécuniaires 144, d’un montant 14 F supérieur à celles prononcées par les juridictions américaines 145. 142F La Commission européenne a mené des investigations séparées conduisant au prononcé d’une décision administrative de condamnation, en date du 28 janvier 2009, à l’encontre des entreprises participantes à l’entente, leur infligeant une amende supplémentaire d’un montant total de 131 millions d’euros 146. 143F Sur le volet civil. Aux États-Unis, les acheteurs directs de tuyaux marins ont engagé, concomitamment à l’action du Department of Justice (DOJ), une procédure de class action devant la District Court du Sud de la Floride 147, arguant d’un préjudice du fait de la hausse artificielle des prix sur cette période, 14F causée par les pratiques dénoncées. Cette requête a donné lieu à une décision de certification du groupe de demandeurs (class), du 31 juillet 2009 148. 145F 99. L’analyse de la jurisprudence américaine, en ce domaine, est intéressante car elle démontre l’importance de cette première phase de la procédure comme en témoigne le contrôle approfondi du juge qui s’exerce sur les conditions de certification de la procédure. Il procède à un examen des éléments fournis par le Demandeur Représentatif, à l’appui de sa requête, mais également des circonstances de l’espèce. Dans sa décision relative au cartel des tuyaux marins, la District Court a précisé, à titre préliminaire, que « l’analyse des conditions doit être rigoureuse et qu’elle ne doit pas se limiter aux considérations de la requête et/ou de la demande de certification (Motion for class certification)»149. 146F 100. Plan. Le juge américain de la certification vérifie, tout d’abord, la régularité de la procédure au travers l’intérêt à agir du demandeur et au travers le bien fondé de la demande, comme le ferait le juge français de la recevabilité (§1). Par ailleurs, cette phase préliminaire de la procédure a également pour 144 Voir http://www.oft.gov.uk/about-the-oft/legal-powers/enforcement_regulation/prosecutions/marine-hose Regina v. Peter Whittle, Bryan Allison, David Brammar, 2008 EWCA Crim 2560, 2009 UKCLR 247, 2009 Lloyd's Rep FC 77. 146 Décision de la Commission européenne relative à une mesure d'application de l'article 81 du traité et de l'article 53 de l'accord EEE, aff. COMP/39406, Marine Hoses, op. cit. 147 L’US District Court of Southern District of Florida est une des cours fédérales de première instance. Au niveau fédéral, les cours de justice de première instance sont appelées des “District Courts”. Il existe au moins une District Court par Etat, et chaque district peut posséder plusieurs District Court, par exemple, la District Court du District Sud de l’Etat de New York. 148 Marine Hose Antitrust Litigation, Master docket n° 08-MDL-1888-Graham/Turnoff, Order on class action and preliminary settlements (S. D. Florida, Miami Division, July 31st, 2009). 149 Voir en ce sens, Love v. Turlington, 733 F2d 1562, 1564 (11th Cir. 1986). 145 48 objet de permettre au juge de s’assurer que l’utilisation de la procédure de la class action est le moyen le plus efficient de traiter les demandes, qui apparaissent similaires et multiples (§2). §1) Les conditions de recevabilité de l’action de groupe dans le système américain et la contrôle de la régularité de la procédure 101. La phase de certification de la class est une étape procédurale originale, qui tend à s’assurer pour le juge, de l’opportunité de recourir à une procédure judiciaire, dérogatoire au droit commun. Cependant, le juge de la certification s’assure que sont remplies tant les conditions propres à cet effet, que les conditions relatives à la régularité de la demande. Ainsi, il examine a priori si le demandeur a un intérêt à agir en justice, c'est-à-dire s’il a un droit de porter son action en justice (A) et si les allégations présentées au soutien de sa demande sont plausibles au regard des éléments de preuves apportés dès ce stade de la procédure (B). A) L’intérêt à agir du Demandeur représentatif, la condition première à la recevabilité de la demande 102. Dans le cadre d’une procédure de certification d’une action de groupe aux États-Unis, le juge vérifie, avant toute autre condition, que le Demandeur Représentatif postulant a la « compétence requise »150 pour introduire une demande en justice. Le justiciable, qui prend l’initiative d’introduire 1 47F une class action doit, en effet, justifier, à titre préliminaire, d’un intérêt personnel à agir en justice, au-delà de sa volonté d’agir pour d’autrui et justifier de son droit substantiel à l’action. Il lui appartient alors, comme tout justiciable, quels que soient la procédure envisagée et le pays d’introduction de l’action, d’apporter des éléments au soutien de sa demande pour faire la démonstration de son intérêt personnel à agir. Il s’agit de la condition première de la recevabilité de la demande en droit processuel français. Il s’agit pour le juge américain de s’assurer de « l’existence du droit de se faire entendre par le juge » 151. Dans le système américain de la class action, le 1 48F Demandeur représentatif doit être un membre de la class et il doit souffrir du même préjudice que les autres membres potentiels 152. 149F 150 Marine Hose Antitrust Litigation, Master docket n° 08-MDL-1888-Graham/Turnoff, Order on class action and preliminary settlements, (S. D. Florida, Miami Division, July 31st, 2009), op. cit. 151 Yves Strickler, Procédure Civile, Paradigme 2007-2008, p. 80. 152 Marine Hose Antitrust Litigation, Master docket n° 08-MDL-1888-Graham/Turnoff, Order on class action and preliminary settlements, (S. D. Florida, Miami Division, July 31st, 2009), op. cit. ; Prado-Steiman, v. Bush, 221 F. 3d 1266, 1278-79 (11th Cir. 2000); In re Terazosin Hydrochloride Antitrust Litigation, 220 F.R.D 672, 679 (S. D. Fla. 2004). 49 103. L’affaire du cartel des tuyaux marins présente une illustration intéressante de cette condition. En l’espèce, le Demandeur Représentatif, la société Bayside, active sur le marché de la vente de tuyaux marins, avait déposé sa demande au nom de « toutes les personnes […] qui avaient acheté des tuyaux marins auprès des défendeurs à l’action sur le territoire des États-Unis »153. Cependant, 150F cette société était, elle-même, dans l’incapacité de fournir ses factures justifiant des achats effectués pendant la période de l’entente, cette période remontant à plus de 20 ans. La demande reposait exclusivement sur les dépositions sous serment du vice président de l’entreprise, qui assurait avoir acheté ledit produit durant la période concernée 154. La Cour a considéré qu’ « à ce stade du litige, 15 F elle n’avait aucune raison de douter des déclarations de M. Gatlin (le vice président de l’entreprise demanderesse) et de décliner la compétence de Bayside et ce, seulement du fait que l’entreprise n’a pas été en mesure de localiser les factures relatives à des transactions remontant à plus de 20 ans » 155. Cette solution souligne deux aspects de la procédure américaine. Tout d’abord, le 152F demandeur doit justifier du fait qu’il a été client du défendeur, sous peine de voir l’argument du manque d’intérêt à agir soulevé par son adversaire. Ensuite, dans le droit américain de la preuve, une simple déclaration sous serment suffit, la Cour ayant considéré que le représentant de la class n’est pas dans l’obligation d’apporter des preuves documentaires justifiant des achats effectués auprès des défendeurs à la class. En effet, à la différence des systèmes de tradition romano-germanique, comme la France, où la preuve par écrit est prédominante des autres modes de preuve 156, le témoignage est, 153F dans les pays de Common Law 157, le mode de preuve préféré. 154F 153 Marine Hose Antitrust Litigation, Master Docket n° 08-MDL-1888- Graham/O’Sullivan, Consolidated Class action Complaint- Jury Trial Demanded (S. D. Florida, Miami Division, March 24, 2008), p. 1. 154 Le jugement de la District Court cite la déposition faite par M. Gatlin : « Lorsqu’il a été interrogé M. Gatlin a prêté serment comme suit : Question : Etes-vous sûr que la société Bayside a procédé à l’acquisition de tuyaux marins dans le milieu des années 80 ? Réponse : Tout à fait sûr. Question : Est-il possible que vous vous souveniez [de l’achat] de tuyaux d’une autre nature ? Réponse : Je ne vois pas comment est-ce qu’il me serait possible de m’en souvenir différemment. » (toutes les traductions sont de l’auteur), Marine Hose Antitrust Litigation, Master docket n° 08-MDL-1888-Graham/Turnoff Order on class action and preliminary settlements (S. D. Florida, Miami Division, July 31st, 2009), op. cit., p. 7. 155 Marine Hoses Antitrust Litigation, Order on class action and preliminary settlements, op. cit., p. 8. 156 En France, en droit civil, le mode de preuve n’est pas libre dès lors que le litige est né de la mise en œuvre d’une relation contractuelle. L’article 1341 du Code Civil pose le principe de la preuve par écrit, preuve préconstituée de l’acte juridique. Dans ce contexte, la preuve testimoniale ne constituera qu’un commencement de preuve (article 1347 du Code Civil), Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, Defrénois 2ème éd, 2005, §. 557 et suivants. 157 La « Common Law » désigne un corps de droit, qui repose sur les décisions juridictionnelles, plutôt que sur les lois et les constitutions. Historiquement, le Common Law se distingue du droit continental ; « Les textes de loi et de constitutions codifiés précèdent les jugements tandis que la Common Law les succède […]. Si le Common Law gouverne, le juge, qui estime que le passé doit être oublié, va trancher le litige en fonction de la morale et de la coutume et ensuite, d’autres juges reprendront la solution », P. Devlin, The Judge, Oxford, Oxford University Press, 1979, 1981, p. 177 ; voir également la définition du Black’s Law dictionary, par Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 313. 50 104. Un système judiciaire américain « ouvert » en quête de vérité. Pour comprendre la justification de cette solution adoptée par le juge, au-delà de la place du témoignage dans le droit de la preuve aux Etats-Unis, il faut rappeler, tout d’abord, que la procédure judiciaire américaine est guidée par la recherche de la vérité. L’idée sous-jacente est que la vérité éclatera du fait de la mise en œuvre de la procédure de divulgation d’informations entre les parties (Discovery) 158, qui débutent avant la 15F première audience devant le juge (Pre-trial Discovery 159), et se poursuivit jusqu’au jour du procès. 156F Ainsi, le juge peut considérer que les éléments nécessaires à la démonstration, par preuve documentaire, de l’intérêt à agir du demandeur pourront être révélés a posteriori avec la divulgation obligatoire par les parties des éléments de preuve pertinents pour la résolution du litige. De plus, il existe pour le juge un garde-fou, qui est le pouvoir pour ce dernier, de modifier, ou d’annuler, avant le prononcé du jugement au fond, la décision de certification de la class qu’il a rendue 160. Ces 157F éléments permettent de comprendre qu’à ce stade, le juge peut accepter de reconnaître la « compétence » du demandeur pour agir à titre personnel, sans que cela ne présente des risques disproportionnés d’actions abusives. 105. Transition. Le demandeur doit également apporter à ce stade préliminaire de la procédure la preuve du caractère « plausible »161 de ses allégations, s’agissant tant de la faute alléguée, c'est-à158F dire de la pratique à l’origine de son action, que du préjudice qu’il dit avoir subi. Le juge vérifie, en effet, le bien fondé de la demande afin d’écarter a priori les procédures, qui n’auraient pas leur place dans les prétoires. 158 L’utilisation du terme Discovery en droit américain, fait référence à la phase d’investigation, préliminaire au procès, dans laquelle chaque partie peut demander directement, sans l’autorisation du juge, à son adversaire, ou à tout témoin potentiel de produire tout élément d’information, utile à la résolution du litige en cause. La procédure de Discovery permet à une partie d’obtenir des documents demandés ou des éléments de preuve physiques. Les parties preuvent procéder à des Depositions et à des Interrogatories. Un demandeur peut formuler des Requests for admissions, qui consistent à demander à l’autre partie d’admettre ou de réfuter telle ou telle allégation. Enfin, cette procédure permet de demander l’ordonnancement d’expertises physiques ou psychologiques, voir Black’s Law dictionary, Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 1419. 159 Voir Infra §. 705. 160 Voir Rule 23(d)2 FRCP. 161 Voir Bell Atlantic Corp. v. Twombly, 550 U.S 544 (2007); R. E. Donovan, Supreme Court’s Twombly Decision Should Benefit Defendants In Many Commercial Cases, The Metropolitan Corporate Counsel, Juil. 2007, p. 21. 51 B) Le contrôle prima facie du caractère sérieux de la demande 106. Des allégations « plausibles ». Ce premier contrôle permet également au juge de vérifier le bienfondé de la demande et pour cela, il s’attache à la vraisemblance des allégations avancées par le justiciable au soutien de sa demande, au regard des éléments de preuve que ce dernier lui apporte. Le degré d’exigence du juge vis-à-vis du demandeur, quant à la preuve à rapporter à ce stade de la procédure, a été renforcé, en mai 2007, par une jurisprudence de la Cour Suprême des Etats-Unis, dans une affaire Bell Atlantic Corp. v. Twombly162, jugée en matière de droit de la concurrence. 159F Cette dernière a considéré que les éléments de preuve apportés par le demandeur ne doivent pas seulement démontrer que les allégations sont « concevables » (conceivable claims) ; ils doivent démontrer que les allégations sont « plausibles » (plausible claims)163. 1 107. La jurisprudence Twombly. En l’espèce, des abonnés aux services de téléphonie et d’Internet haut débit de plusieurs sociétés, dont Bell Atlantic Corporation, ont déposé une requête contre leurs fournisseurs d’accès. Ils alléguaient d’un préjudice du fait de l’existence d’une entente entre ces derniers, en violation des dispositions du Sherman Act 164. Pour faire la démonstration de la faute 16F alléguée, c'est-à-dire de l’entente, les demandeurs apportaient la preuve d’un parallélisme de comportements desdits fournisseurs. Il s’agissait de savoir si la démonstration d’un parallélisme des comportements était suffisante pour considérer « concevable » l’existence d’une entente ou si un élément supplémentaire permettant de présumer de l’élément moral de l’infraction était nécessaire. 108. La District Court en première instance a rejeté la demande au motif que les éléments de fait étaient insuffisants pour démontrer un possible accord prohibé entre les défendeurs. Elle a accepté la requête (motion to dismiss) visant à rejeter la demande présentée par ces derniers 165. La Cour 162F d’appel (Second Circuit Court) a renversé cette solution considérant que les éléments de fait apportés par les demandeurs étaient suffisants pour donner suite à la demande. La procédure de Discovery permettrait, ensuite, de vérifier que les allégations faites par les demandeurs étaient vraies 162 Bell Atlantic Corp. v. Twombly, 550 U.S 544 (2007), op. cit. R.E. Donovan, Supreme Court’s Twombly Decision Should Benefit Defendants In Many Commercial Cases, op. cit. 164 Sherman Act 1890, ch. 647, 26 Stat. 209, 15 U.S.C. §. 1-7, Section 1: “Every contract, combination in the form of trust or otherwise, or conspiracy, in restraint of trade or commerce among the several States, or with foreign nations, is declared to be illegal. Every person who shall make any contract or engage in any combination or conspiracy hereby declared to be illegal shall be deemed guilty of a felony, and, on conviction thereof, shall be punished by fine not exceeding $10,000,000 if a corporation, or, if any other person, $350,000, or by imprisonment not exceeding three years, or by both said punishments, in the discretion of the court”. 165 Twombly v. Bell Atl. Corp., 313 F.Supp.2d 174 (S.D.N.Y.2003). 163 52 ou non 166. La Cour Suprême n’a pas suivi la Cour d’appel dans son raisonnement. Elle a, en effet, 163F considéré qu’ « il n’est pas suffisant que les allégations portées dans une demande soient imaginables ou envisageables, elles doivent être plausibles »167. Ainsi, en l’espèce, la preuve d’un 164F parallélisme de comportements, qui ne révèle pas l’intention des auteurs, n’est pas suffisante pour caractériser une allégation d’entente (Conspiracy). Dans ce cas, la demande doit être rejetée comme non fondée. 109. Sur le fond, les demandeurs s’appuyaient sur une lecture combinée d’une jurisprudence Conley v. Gibson 168 de 1957, de la Cour Suprême et des dispositions de la Rule 8(a)2 FRCP. Dans la 165F jurisprudence Conley v. Gibson précitée, la Cour Suprême avait décidé, en matière de droit du travail, qu’une « demande en justice ne devait pas être déclarée non fondée à moins qu’il existe des doutes quant à la capacité du demandeur à apporter un faisceau d’indices au soutien de sa demande »169. Et selon la Rule 8(a)2 FRCP, le demandeur, dans la requête, doit fournir un exposé 1 6F bref et concis des faits et des griefs démontrant que le demandeur est fondé à engager l’action 170. 167F Alors, les demandeurs soutenaient qu’une demande ne doit pas être rejetée sur la base de la Rule 8(a)2 FRCP, à moins qu’il apparaisse des doutes sérieux sur la capacité du Demandeur Représentatif à apporter des éléments de fait suffisants au support de sa demande. Dans sa jurisprudence Twombly, la Cour Suprême a précisé son interprétation de la Rule 8(a)2 FRCP. Bien que cette disposition parle d’un « exposé des motifs bref et concis » (short and plain statement), il ne faut pas oublier la seconde partie de la disposition, selon laquelle cet exposé des motifs doit être suffisant solide pour « démontrer que le demandeur est bien fondé à porter sa demande en justice » (to show that the pleader is entitled to relief). 110. La Cour Suprême a précisé le critère donné dans l’arrêt Towmbly, dans une jurisprudence de mai 2009, Ashcroft v. Iqbal 171, « en considérant que le demandeur doit prouver que ses griefs basés sur 168F un comportement fautif du demandeur sont plausibles et non simplement qu’il est plausible que le 166 Twombly v. Bell Atl. Corp. (Twombly II), 425 F.3d 99 (2 d Cir. 2005). « It is not enough that a claim be conceivable, it must be plausible”, Bell Atlantic Corp. v. Twombly, 550 U.S 544 (2007), op. cit. 168 Conley v. Gibson, 355 U.S. 41, 47 (1957). 169 Ibid, 45-46 : “a complaint should not be dismissed for failure to state a claim unless it appears beyond doubt that the plaintiff can prove no set of facts in support of this claim which would entitle him to relief”. 170 Rule 8(a)2FRCP: “A pleading that states a claim for relief must contain […] a short and plain statement of the claim showing that the pleader is entitled to relief”. 171 Ashcroft v. Iqbal, 556 U.S._, 129 S. Ct. 1937 (2009). 167 53 comportement du défendeur soit fautif » 172. Elle ajoute que l’appréciation de ce critère se fera en 169F fonction du contexte de l’espèce, « sur la base de l’expérience du juge et de son sens commun » 173. 1 70 F 111. La jurisprudence Twombly a eu un impact limité, dans un premier temps, car les juges américains en ont fait une interprétation restrictive la limitant au droit de la concurrence. Cependant, avec la jurisprudence Ashcroft v. Iqbal, la Cour Suprême considère de manière non équivoque que les standards posés dans l’arrêt Twombly 174 s’appliquent à toutes les demandes portées devant les 17F juridictions civiles fédérales 175, quelle que soit la matière traitée. 172F 112. La justification du renforcement du contrôle du juge sur le bien-fondé de la demande. La Cour a justifié expressément sa position tendant à un renforcement des exigences de preuve pour le demandeur, par la volonté d’éviter les actions abusives et par là même les dépenses considérables engagées, au titre des frais de justice et notamment des frais de Discovery, dès lors que l’action n’est pas fondée 176. Beaucoup de commentateurs ont vu, dans cette décision de la Cour Suprême, une 173F limitation bienvenue aux demandes abusives, venant encombrer les juridictions et aboutissant à des coûts exorbitants pour les défendeurs 177. 174F 113. Conclusion du §1). Ainsi, en tout premier lieu, le juge américain contrôle la régularité de la demande en justice, par le biais de l’intérêt personnel à agir du demandeur et du bien-fondé de la demande au regard des éléments de preuves que peut apporter le demandeur au soutien de ses prétentions. Dans le système américain, le Demandeur représentatif est obligatoirement un membre du groupe des personnes représentées à la procédure de class action. Il agit en sa qualité de victime, ce qui lui confère son intérêt et sa qualité à agir en justice. Cependant, le contrôle de ces conditions de régularité n’est pas propre aux actions de groupe, il est exercé par le juge pour toute procédure judiciaire, quelle que soit la forme de cette dernière. En revanche, il existe d’autres conditions dites « de certification de la class », qui, elles, sont propres aux procédures de class action et qui vont conditionner l’autorisation, recherchée par le demandeur, de voir traiter sa demande suivant les principes gouvernant cette procédure judiciaire exceptionnelle, dérogatoire au droit commun. 172 Ibid, at 15. Ibid, at 15: “draw on its judicial experience and common sense”. 174 Voir Supra §. 110 175 C. Mitchell & D. Wallach, Ashcroft v. Iqbal: Taking Twombly a Step Further, Global Competition Policy, juil. 2009(2) release. 176 Voir Bell Atlantic Corp. v. Twombly, 550 U.S 544 (2007), op. cit. 177 R. E. Donovan, Supreme Court’s Twombly Decision Should Benefit Defendants In Many Commercial Cases, op. cit. 173 54 §2) Les conditions de la certification de l’action de groupe dans le système américain et la recherche d’une bonne administration de la justice 114. L’auteur de la requête (motion to certification), qui a un intérêt à agir et qui est en mesure de démontrer le bien-fondé de sa demande, sollicite, également, à ce premier stade de la procédure, l’autorisation du juge de recourir à la procédure de la class action. Pour cela, il doit faire la démonstration que l’on est en présence d’un litige de masse et que, face à ce litige hors norme, cette procédure est la plus efficiente pour traiter des demandes en justice et ce, au regard de la recherche d’une bonne administration de la justice. 115. Les procédures de class actions en droit américain. A titre préliminaire, il faut mentionner l’existence, aux Etats-Unis, de plusieurs procédures de class actions, que l’on différencie selon le type de demande formulée, et la nature de ces demandes. Une distinction est faite entre les procédures de class actions, qui tendent à obtenir une injonction de cessation de pratiques à l’encontre du (ou des) défendeur(s) 178, et les procédures, dont l’objet est l’obtention de dommages et 175F intérêts en réparation d’un préjudice subi 179. Dans le premier cas, sont concernées, notamment, les 176F procédures en matière sociale et en matière de discrimination et dans le second cas, il s’agit des litiges en matière de responsabilité civile extracontractuelle ou quasi-délictuelle (Mass torts cases), les litiges boursiers et tous autres litiges de nature financière 180. 17F 116. Cette catégorisation des litiges, en fonction de leur nature, a des répercussions sur les conditions à remplir pour obtenir l’autorisation de recourir à la procédure de class action. En effet, il existe une première série de conditions, qui est requise indépendamment de la nature du litige ou de la demande. Ces conditions portent, d’une part, sur la multiplicité et sur la nécessaire similarité des demandes et, d’autre part, sur l’aptitude du Demandeur Représentatif, et de son cabinet d’avocat, à représenter l’ensemble des membres potentiels de la class au mieux de leurs intérêts dans le cadre de cette procédure judiciaire (A). Ensuite, en cas de demande d’indemnisation, le juge doit également contrôler que la procédure est réellement le moyen le plus efficace pour connaître de ces demandes. Il doit vérifier que les questions de droit et de fait communes à l’ensemble des demandes sont 178 Règle 23(b)(2) et Règle 23(b)1(A) des règles fédérales de procédure civile (ci-après « FRCP ») – « Ces règles régissent la conduite de toutes les actions civiles intentées devant des tribunaux de district fédéral. Alors qu'ils ne s'appliquent pas à des poursuites devant les tribunaux d'État, les règles de nombreux Etats ont été calquées sur ces dispositions ». 179 Rules 23(b)(3) et 23(b)1(B) FRCP. 180 N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature, RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 10-11, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Center for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 55 supérieures aux éventuelles questions individuelles que ces demandes peuvent également présenter, et qu’il n’existe pas d’autres procédures plus appropriées pour connaître de ces demandes multiples (B). A) Les conditions de certification communes à toutes class actions 117. Les premières conditions de certification, communes à l’ensemble des litiges, sont décrites à la Règle 23(a) des Règles fédérales de procédure civile (FRCP). Elle comporte des conditions relatives à l’existence de demandes multiples et similaires (1) et des conditions propres aux qualités de représentation du Demandeur Représentatif postulant et de son cabinet d’avocat (2). 1) Le regroupement de demandes multiples et similaires 118. Tout d’abord, l’ouverture d’une procédure de class action implique l’existence d’une multiplicité de demandeurs ou de défendeurs (a), se trouvant dans des situations, posant des questions de droit et des questions de fait similaires (b). (a) La condition de Numerosity 119. Une jonction d’instance rendue impossible du fait du nombre de demandes potentielles. La règle 23(a)1 FRCP dispose que « le groupe doit comprendre potentiellement tellement de demandes que la jonction d’instances serait impossible » 181. Il s’agit de la condition de Numerosity. 1 78F L’utilisation de la class action est réservée aux litiges pour lesquels le nombre de demandeurs rendrait difficile un traitement par voie de jonction des demandes individuelles. Cette première condition traduit l’objet de la procédure de la class action qui est l’optimisation du traitement des demandes en justice. 120. Une interprétation casuistique de la condition de Numerosity. La Règle 23(a)1 FRCP ne contient pas de numerus clausus. Le nombre de personnes nécessaires pour satisfaire à cette condition n’est pas précisé. Les solutions diffèrent selon les tribunaux, et les litiges. Certaines cours ont fixé le minimum à 21 demandes potentielles et d’autres à 40 182, et le maximum à plusieurs 179 F 181 Voir Rule 23(a)1 FRCP : “One or more members of a class may sue or be sued as representative parties on behalf of all members only if: (1) the class is so numerous that joinder of all members is impracticable […]”. 182 Voir Cox. v. American Cast Iron Pipe Company, 784 F.2d 1546 (11th Cir. 1986); Marecek v. BellSouth telecoms, 49 F.3d 702 (11th Cir. 1995); Moreno-Spinosa v. J&J Ag. Prods., 247 F. R.D 686, 688 (S. D. Fla. 2007). 56 millions, voire dizaine de millions 183. L’appréciation de la District Court, dans l’affaire des tuyaux 180F marins (Marine Hoses Litigation), montre que la question ne porte pas tant sur le nombre de demandeurs potentiels que sur la capacité du Demandeur représentatif postulant à identifier ces autres personnes lésées ou à démontrer par le biais d’un estimation justifiée que le nombre de demandes potentiels est important. En effet, la Cour insiste sur la nécessité, pour le représentant de la class, de produire une estimation plausible du nombre de membres potentiels dans la class et d’apporter, dès ce stade de la procédure, des éléments de fait venant au soutien de cette estimation. L’idée est de tendre vers une estimation raisonnable a priori des membres de la class et de limiter le nombre de demandeurs simplement identifiables 184. Cette identification a priori permettra une 18F meilleure appréciation des autres critères de la certification de la class et de la portée de l’action. L’objectif de tendre vers une plus grande sécurité juridique pour chacune des parties intéressées au litige sera renforcé. En l’espèce, le Demandeur Représentatif a eu recours à un expert, qui en se basant sur les factures et les écritures comptables fournies par les défendeurs, a estimé le nombre potentiel de membres à 66 185, ce qui a satisfait à l’exigence du juge. Ainsi, cette condition 182F de Numerosity n’est pas une condition de nombre. Elle ne sera considérée comme remplie qu’en fonction des circonstances de l’espèce et de la possibilité pour le juge, au regard de ces circonstances, de connaître individuellement des demandes potentielles en procédant à une jonction de procédures. (b) La condition de Commonality 121. Un fondement juridique commun aux membres du groupe. Ensuite, des questions de droit ou de fait, communes au groupe, doivent exister 186. Cette condition concerne les caractéristiques du 183F groupe pris dans son ensemble. La District Court, dans l’affaire des tuyaux marins, souligne que cette condition ne signifie pas que l’ensemble des questions de droit et de fait doivent être communes à tous les membres potentiels de la class. La Cour précise que l’existence d’une seule 183 Voir L’introduction en droit français des class actions, S. la Dir. du Professeur Daniel Mainguy, LPA, 22 déc. 2005, n° 254, p. 6. 184 Voir en ce sens la proposition de directive relative aux règles régissant les actions en dommages intérêts pour infraction aux articles 81 et 82 du traité, Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, avr. 2009, p. 17 ; voir également Le Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, 2 avr. 2008, COM(2008) 165 final, p. 4. 185 Marine Hoses Antitrust Litigation, Order on class action and preliminary settlements, op. cit., p. 12. 186 Rule 23(a)2 FRCP. 57 question de fait ou de droit commune suffit à considérer que la condition est remplie, dès lors qu’elle affecte tous les membres du groupe 187. 184F 122. La violation des règles du droit de la concurrence, une question de droit commune aux victimes de la pratique. En matière de droit de la concurrence (Antitrust Law), cette condition est réalisée dès lors que les allégations portent sur une même pratique anticoncurrentielle des défendeurs à l’encontre des membres de la class. Cette pratique constitue potentiellement une faute du défendeur. Le fait d’alléguer que les défendeurs ont commis une entente (Conspiracy) ou un abus de position dominante (Monopolisation) en violation de la section 1 ou de la section 2 du Sherman Act 188 185F constitue un fondement juridique commun à l’ensemble des demandes des membres du groupe 189. 186 F 123. Une condition interprétée strictement par les juges américains : l’affaire Wal-Mart Stores Inc v. Dukes190. La condition de Commonality a été au cœur d’une affaire fortement médiatisée aux Etats-Unis et au-delà des frontières américaines. Ce litige opposait la société Wal-Mart Stores Inc, le plus important employeur des Etats-Unis à ses employées, qui alléguaient de pratiques discriminatoires envers les femmes de la société en violation du Titre VII du Civil Rights Act 1964191. La procédure fut hors norme du fait de l’importance du nombre de femmes concernées par cette affaire : plus d’un million et demi de femmes qui travaillaient ou avaient travaillé pour le groupe. La solution adoptée par la Cour Suprême des Etats-Unis, le 20 juin 2011 est elle-aussi à noter. La cour du district nord de la Californie a certifié la class en considérant que les conditions d’admissibilité des articles 23(a) et 23(b)(2) étaient réunies192. Cette décision fut confirmée par la 9ème Circuit Court of the Court of Appeal dans une décision de 2010193. Cependant la Cour Suprême a annulé la décision de la Cour d’appel en considérant, d’une part, que la condition de Commonality de la règle 23(a) FRCP n’était pas remplie et, d’autre part, que la class action en l’espèce ne 187 Marine Hoses Antitrust Litigation, Order on class action and preliminary settlements, op. cit., p. 14-15. Sherman Act 1890, ch. 647, 26 Stat. 209, 15 U.S.C. §. 1-7, op. cit. 189 Marine Hoses Antitrust Litigation, Order on class action and preliminary settlements, op. cit., p. 14-15. 190 Wal-Mart Stores Inc v. Dukes, 564 U.S._(2011). 191 En 2000, trois femmes employées par le groupe Wal-Mart, se sont plaintes de comportements discriminatoires en raison de leur sexe. Mme Dukes qui faisait l’objet d’une procédure disciplinaire releva que pour les mêmes infractions à la politique de l’entreprise, aucun homme n’était jamais inquiété. Mme Kwapnoski a été l’objet de propos discriminatoires de la part de son manager et enfin Mme Arana s’est vue refuser l’accès à des formations et par la même à la possibilité de progresser au sein de l’entreprise. Ces plaintes ont conduit à la mise en place d’une class action. Les demanderesses allègent de l’adoption par la société Wal-Mart d’une politique de discrimination en violation du Titre VII du Civil Rights Act 1964 et ce depuis au moins le 26 décembre 1998, Wal-Mart Stores Inc v. Dukes, 564 U.S._(2011). 192 Dukes v. Wal-Mart Stores, Inc., 222 F.R.D. 137, 145-66 (N.D. Cal. 2004). 193 Dukes v. Wal-Mart Stores, Inc., 603 F.3d 5th (9th Cir. 2010). 188 58 pouvaient être fondée sur la règle 23(b)(2) FRCP du fait de la demande de restitution formulée par les demanderesses194. 124. S’agissant de la condition de Commonality, les demandeurs faisaient valoir qu’il existait une culture d’entreprise si forte et uniforme qu’elle influait, «même de manière inconsciente»195 sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire dévolu par la société aux managers locaux en charge des salaires et des promotions des employés du groupe. Elles invoquaient à l’appui de leur demande un rapport élaboré par un sociologue sur la culture et les pratiques personnelles, concluant que l’entreprise est «vulnérable» s’agissant des pratiques discriminatoires envers les femmes196. 125. La Suprême Court of United States a considéré que les conditions de l’article 23(a) FRCP n’étaient pas remplies. Elle rappelle tout d’abord que « leurs demandes doivent dépendre d'une affirmation commune d'une nature telle qu'elle soit capable de conduire à la résolution du litige, ce qui signifie que la détermination de sa vérité ou la fausseté permettra de résoudre une question qui est au cœur de la validité de chacune des demandes d'un seul coup »197. En l’espèce, elle considère l’existence potentielle d’une pratique discriminatoire commune envers les femmes employées du groupe comme la question cruciale. Elle rappelle également une affaire General Telephone Co. of Southwest v. Falcon198, dans laquelle elle a considéré qu’il y avait une distinction entre les demandes individuelles et les demandes sous la forme de class action en matière de discrimination. Dans le second cas, la preuve doit être apportée que l’employeur a agi dans le cadre 194 Elles demandent au juge de déclarer l’entreprise responsable des allégations de discrimination et de lui enjoindre de cesser toute pratique illicite. Elles demandent également le prononcé de dommages et intérêts punitifs mais non compensatoires. Enfin, elles demandent la restitution des sommes perdues du fait de l’adoption de ces pratiques. Elles font reposer leur demande la règle 23(b)(2) FRCP. Cependant, La cour a considéré que les demandes de restitution ne peuvent pas être certifiées sous l’article 23(b)2 FRCP. Elles relèvent de l’article 23(b)3 à moins que la demande ne soit pas incidente des demandes d’injonction ou de déclaration et si un dédommagement unique et indivisible peut être appliqué à chacun des membres de la class. Les demandeurs faisaient valoir que les demandes monétaires pouvaient être certifiées sous la règle 23(b)2 FRCP car ces demandes n’étaient pas prédominantes des demandes d’injonction et des demandes déclaratoires. La Cour rappelle alors la différence existante entre les dispositions de la règle 23(b)2 et celles de la règle 23(b)3 FRCP et souligne la nécessité de la respecter afin de garantir les protections inhérentes à ces deux series de dispositions. Elle a considéré que cette interprétation ne pouvait pas être retenue sur la base du texte de la règle et qu’elle était en violation de la structure même de l’article 23(b). Elle relève également que les 2 règles citées s’appliquent respectivement aux demandes monétaires formulées par les employés toujours salariés de l’entreprise et celles formulées par les anciens employés de l’entreprise, Wal-Mart Stores Inc v. Dukes, 564 U.S._(2011). 195 Wal-Mart Stores Inc v. Dukes, 564 U.S._(2011). 196 Ibid. 197 “Their claims must depend upon a common contention of such a nature that it is capable of classwide resolution—which means that determination of its truth or falsity will resolve an issue that is central to the validity of each one of the claims in one stroke”, Wal-Mart Stores Inc v. Dukes, 564 U.S._(2011). 198 General Telephone Co. of Southwest v. Falcon, 457 U. S. 147 (1982). 59 d’une politique générale de discrimination199. En l’espèce, la politique de la société condamnait la discrimination entre les hommes et les femmes et elle prévoyait des sanctions en cas d’adoption de traitement inégalitaire. La cour en conclut alors que la preuve d’une politique générale de la société Wal-Mart est inexistante. La cour relève enfin que la seule politique générale imposée par la société est celle du pouvoir discrétionnaire dévolu aux managers locaux en matière de droit du travail. Elle considère alors qu’il n’est pas possible de retenir que l’ensemble des managers locaux ont adopté une politique discriminatoires à l’encontre des femmes employées dans le groupe sans que des instructions n’aient été données par la direction générale200 et ce, en vertu notamment de la taille de la société et de son implantation géographique201. La Cour écarte également les statistiques produites par les demanderesses qui faisaient état de disparités entre le traitement des hommes et des femmes en termes de remuneration et d’avancements en faisant valoir que ces statistiques reposaient sur des données regionales et nationales et qu’elles ne reflétaient pas forcément une pratique uniforme au niveau local. 126. Cette solution tend à un renforcement des exigences pour les demandeurs à la class action202. Ces derniers doivent apporter la preuve significative d’une pratique illicite commune ayant causé un préjudice similaire à chacun des membres du groupe de demandeurs. Il est alors possible de faire un parallèle avec la décision Peroxyde d’hydrogène rendue par la Cour d’appel du 3ème Circuit en 2008203 sur la condition de Predominance, comme nous le verrons ci-après204. 127. Conclusion du 2). Une procédure de class action ne sera autorisée que dès lors qu’il existe un nombre de demandes similaires suffisantes, qui justifient un traitement collectif de ces dernières, au lieu d’un traitement individualisé. Le caractère similaire des demandes, qui porte sur le fondement juridique de l’action, obéit, au même titre que la condition de Numerosity, à un objectif de bonne 199 “On the facts of this case, the conceptual gap between an individual’s discrimination claim and “the existence of a class of persons who have suffered the same injury,” id., at 157–158, must be bridged by “[s]ignificant proof that an employer operated under a general policy of discrimination”, Wal-Mart Stores Inc v. Dukes, 564 U.S._(2011). 200 Bien qu’il existe un programme de formation commun pour les managers et des critères de recrutement définis, il n’existe pas de preuve significative que l’ensemble des managers du groupe aient adopté une politique de discrimination envers les employées féminins du groupe, Wal-Mart Stores Inc v. Dukes, 564 U.S. (2011). 201 Wal-Mart dispose de magasins dans 7 Etats, 41 régions. Dans chaque région, il y a entre 80 et 85 magasins. Au total, Wal-Mart possède plus de 3400 magasins et emploie plus d’un million de personnes, Wal-Mart Stores Inc v. Dukes, 564 U.S. (2011). 202 C. Fisk and E. Chemerinsky, The Failing Faith in Class Actions: Dukes v. Wal-Mart and AT&T Mobility v. Concepcion, Duke Journal of Constitutional Law & Public Policy, Vol. 7, No. Special Issue, 2011, UC Irvine School of Law Research Paper No. 11-54; A. John Trask, Wal-Mart v. Dukes: Class Actions and Legal Strategy, Cato Supreme Court Review, September 19, 2011. 203 Hydrogen Peroxide Antitrust Litigation, D.C. Civil Action n° 05-civ-066 and MDL n° 1682 (3rd Cir. 2008). 204 Voir Infra §. 160. 60 administration de la justice. Le juge se prononcera une seule fois sur la responsabilité du (ou des) défendeur(s). En outre, la personne, qui se présente comme Demandeur représentatif pour la conduite de l’action, devra démontrer son aptitude et sa légitimité à assumer ce rôle. 2) L’aptitude du Demandeur Représentatif à représenter d’autres parties 128. Une représentation adéquate des intérêts des membres du groupe. Le Demandeur représentatif postulant doit démontrer son intérêt personnel à agir et justifier du bien-fondé de sa demande pour introduire son action en justice. Mais dès lors qu’il entend, également, agir pour toutes personnes placées dans une situation similaire à la sienne, il doit justifier de qualités de représentation. Suivant la Règle 23(a) FRCP, le juge de la certification vérifie que la personne, postulant au rôle de Demandeur Représentatif, est apte à assurer une représentation adéquate des intérêts des membres du groupe. La procédure de l’action de groupe a ce particularisme que le demandeur à l’action, introduit son action pour son compte, mais également pour le compte d’autres personnes qui, par nature 205, n’ont pas consenti à leur représentation en justice par ce demandeur, à ce stade de la 187F procédure. Ainsi, il relève de la compétence du juge de contrôler que ce justiciable possède des qualités de représentation suffisantes pour justifier de sa démarche au regard des intérêts des autres demandeurs potentiels. Ce contrôle inclut les capacités de représentation du cabinet d’avocats, qui deviendra le Class Counsel 206. 18F 129. Une mention lourde de conséquences. Sur le plan formel, le demandeur qui introduit l’action en justice devra mentionner dans sa demande qu’il agit en justice afin de voir indemniser son préjudice ou de voir ordonner au défendeur un changement de comportement et ce, pour son propre compte, mais aussi « pour toute personne placée dans une situation similaire » (others similarly situated)207. 189F Cette simple mention sur le formulaire de la demande suffit à exprimer sa volonté d’agir en représentation des intérêts des autres victimes de la pratique ou du comportement allégué à la cause du préjudice et donc de voir ouvrir une procédure de certification, en vue d’obtenir l’autorisation de recourir à la class action. 205 La publicité de la procédure n’intervient qu’après la phase de certification de la procédure, voir Infra §. 244. Rule 23(g) FRCP. 207 J. Lemontey et N. Michon, Les class actions américaines et leur éventuelle reconnaissance en France, Journal du Droit international (Clunet), n° 2, avr. 2009, var. 2. ; N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature, RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 4, et p. 36, in The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Center for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 206 61 130. Sur le fond, le Demandeur Représentatif postulant doit apporter des éléments de preuve, afin de démontrer qu’il est apte à tenir le rôle de représentant de la class. La démonstration tend à convaincre le juge de son aptitude à conduire l’action au mieux des intérêts de chacun des membres de la class. De plus, si d’autres justiciables souhaitent tenir le rôle de Demandeur représentatif dans la même affaire 208, il devra démontrer que, parmi ces demandeurs, il est le plus apte à tenir ce rôle 190 F (a). Le degré d’exigence relatif aux garanties de représentation des Demandeurs Représentatifs, est augmenté dans certains domaines du droit considérés comme « sensibles », pour éviter les dérives financières de la procédure. Il en est ainsi en droit boursier (b). (a) Les conditions propres à une représentation adéquate des membres du groupe 131. Le juge américain examine deux types de conditions relatives aux capacités de représentation du Demandeur Représentatif postulant. Il s’agit de la condition de Typicality et de celle de l’Adequacy of representation. Ces conditions concernent tant la personne du Demandeur Représentatif que son cabinet d’avocats 209, qui sera désigné par le juge, au terme de la phase de certification, comme Class 19F Counsel 210. 192F 132. Des demandes représentatives de celles des autres membres du groupe. Tout d’abord, les demandes formulées par le Demandeur Représentatif doivent être typiques de celles des membres du groupe de personnes représentées (Condition of Typicality) 211. Ces demandes doivent reposer sur un 193F fondement légal commun à toutes les demandes potentielles. Elles ne doivent pas présenter de nuances ou de particularités quant aux faits de l’espèce, qui pourraient, le cas échéant, justifier un nouveau fondement à l’action ou un fondement supplémentaire, non commun aux autres demandes potentielles. De même, la nature du dommage allégué par le demandeur, doit également être typique de celle du dommage potentiel subi par les autres membres de la class. Concrètement, le demandeur 208 Plusieurs demandeurs peuvent être désignés comme Demandeurs Représentatifs, voir Rule 23(a) FRCP. En revanche, le juge désigne un seul « Class Counsel », voir Rule 23(g) FRCP. 209 Les cabinets d’avocats aux Etats-Unis jouent un rôle déterminant dans la conduite de la class action. Ce sont, en pratique, eux, qui animent la class. Ils vérifient que le cas de leur client remplit les conditions posées par la Rule 23 FRCP. Ils s’assurent que le nombre de demandes potentielles sera suffisant au regard du critère de la Numerosity et recueillent le témoignage des experts nécessaires à l’estimation précise du nombre de demandes. De même, ils identifient les questions de droit ou de fait communes à l’ensemble des membres du groupe. Ils s’attachent à ce que la ou les demandes formulées soient représentatives de celles des autres membres du groupe et que les éléments présentés au soutien des prétentions soient communs à l’ensemble des membres de la class. Ils s’assurent, en outre, que les intérêts de leur client sont conformes à ceux des autres personnes représentées à la procédure. Dans ce cadre, les avocats américains remplissent leur fonction d’assistance et de représentation de leur client. Ils se substituent à ce dernier en vertu d’un mandat ad litem, voir R. Martin, Déontologie de l’avocat, LexisNexis Litec, Jurisclasseur, 8ème éd., 2004, p. 15. 210 Voir note de bas de page n° 127. 211 Rule 23(a)3 FRCP. 62 doit apporter des éléments de preuve au soutien de ses prétentions, qui peuvent servir aux autres membres de la class 212. Dans l’affaire du cartel des tuyaux marins, le fondement juridique de 194F l’action était la violation de la section 1 du Sherman Act 213. Le demandeur à l’action a mis en 195F lumière la pratique de fixation des prix opérée par les différentes entreprises, participantes au cartel, sur laquelle investiguait le Department of Justice américain 214. Le demandeur a soutenu que cette 196F pratique avait conduit à l’augmentation artificielle des prix des tuyaux marins au détriment des acheteurs directs de ces produits, dont il faisait partie. Sa demande était donc typique des demandes potentielles des autres acheteurs directs 215. 197F 133. Une représentation adéquate des intérêts des membres de la class. Ensuite, la Règle 23(a) FRCP prévoit que le Demandeur Représentatif devra, de manière équitable et adéquate, protéger les intérêts des membres du groupe (Adequacy of representation) 216. Cette condition fut interprétée 198F largement par les juridictions judiciaires et elle concerne, aujourd’hui, tant le Demandeur Représentatif que le Class Counsel. En effet, le juge de la certification examine, sous cette condition, si le représentant est financièrement assez solide pour mener l’action, si les intérêts des membres sont suffisamment proches de ceux du Demandeur Représentatif afin d’éviter tout conflit d’intérêts et si les avocats du représentant sont suffisamment qualifiés pour connaître du cas 217. 19F 134. Le premier volet de la condition porte sur l’assise financière du justiciable, Demandeur Représentatif. Il ne jouera en général que dans le cas où ce dernier n’a pas signé, avec son cabinet d’avocats, d’accord sur les honoraires d’avocats. En effet, la rémunération des avocats aux EtatsUnis peut résulter d’une convention, appelée « Contingency fees agreement », qui fait dépendre les honoraires d’avocats de la seule réussite de la procédure judiciaire 218. Les avocats du Demandeur 20 F 212 Brooks v. Southern Bell Tel&Tel Co, 133 F.R.D 54, 58 (S.D. Fla 1990). Sherman Act, op. cit. 214 En l'espèce, les autorités américaines ont débuté leurs investigations à l’introduction de la procédure et la condamnation desdites entreprises sur le volet pénal par les juridictions américaines est intervenue avant le jugement sur la certification de la class, voir l’encadré Supra §. 100. 215 Marine Hoses Antitrust Litigation, Order on class action and preliminary settlements, op. cit., p. 17. 216 Rule 23(a)4 FRCP. 217 Georgine v. Amchem Prods, Inc, 83 F 3d 610, 630 (3d Cir. 1996); Aff’d Amcehm Prods, Inc, v. Windsor, 521 US 591, 117 s Ct 2231 (1997); Brooks v. Southern Bell Tel & Tel Co, 133 FRD 54, 58-59 (SD Fla 1990); voir également N. M. Pace, Class actions in the United States of America : an overview of the process and the empirical literature, RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 7, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Center for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 218 Les « Contingency Fees Agreements » sont « des conventions d’honoraires qui prévoit que les honoraires ne seront versés à l’avocat en contrepartie de ses services de conseil et de représentation qu’à condition que le procès aboutisse à un jugement en faveur du client ou à une transaction favorable à ce dernier », Black’s Law dictionary, Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 362. 213 63 Représentatif, dans le cadre de la class action, font l’avance des frais de procédure et de leurs honoraires. Ils se rembourseront et se rétribueront sur les dommages intérêts alloués à leur client à l’issue de la procédure 219. En matière de class actions, les Contingency Fees Agreements sont très 201F fréquents. Dès lors que le justiciable conclut ce type d’accord avec son avocat, le risque financier est transféré au cabinet d’avocats, le juge devant alors porter son attention sur les ressources financière et humaines du cabinet 220. 20F 135. Ensuite, le juge vérifie que le cabinet d’avocats choisi par le représentant est suffisamment qualifié et expérimenté pour mener à bien l’action. Par exemple, la gestion de la procédure de divulgation inter partes des documents et les interrogatoires et dépositions à mener (procédure de Discovery) demandent une certaine expertise du cabinet retenu et une expérience de la procédure de class action. 136. Enfin, la Cour vérifie que les intérêts du Demandeur Représentatif ne sont pas en contradiction avec les intérêts des autres membres de la class 221. Sont ici visés les conflits d’intérêts potentiels 203F entre les différents protagonistes. Cette préoccupation concerne, elle aussi, les justiciables en demande comme les avocats. Il est possible d’imaginer un avocat ou une société d’avocats possédant des actions d’une entreprise contre laquelle la requête serait formulée. Un conflit pourrait alors surgir entre les intérêts personnels de l’avocat, et les intérêts de ses clients 222, la réussite de la procédure pouvant entraîner une diminution de la valeur des titres de ladite entreprise 223. Un des 204F critères d’appréciation de cette condition est la combativité avec laquelle le Demandeur Représentatif et le Class Counsel cherche à défendre les intérêts des membres de la class 224. 205F 137. Aux Etats-Unis, les avocats ont un rôle central dans la conduite des procédures judiciaires, dans lesquelles ils s’engagent à titre personnel. Ils peuvent avoir un intérêt financier à la réussite de la procédure, leur rémunération étant dépendante de cette réussite au titre des Contingency Fees 219 Ils fixent contractuellement, au titre de leur rémunération, un pourcentage de la somme qui sera allouée aux victimes au titre des dommages et intérêts, Black’s Law dictionary, Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 362. 220 Voir Rule 23(g)(1)(iv) FRCP. Cette règle porte d’une manière générale sur les conditions de désignation du Class Counsel. Elle ne vise pas expressément la situation financière du cabinet d’avocats. Le législateur américain emploie le terme de « ressources », qui inclut tant les ressources financières qu’humaines. 221 Griffin v. Carlin, 755 F. 2d 1516, 1533 (11th Circuit 1985). 222 F. Polverino, A Class Action Model For Antitrust Damages Litigation In The European Union, University of Chicago Law School, Working paper Series, August 29, 2006, p. 15. 223 Voir §. 247 sur l’estimation de l’atteinte à la valeur boursière des actions d’une entreprise à la procédure. 224 Terazosin Hydrochloride Antitrust litigation, 220 F.R.D. 672, op. cit., at 688. 64 Agreements 225. De plus, ils peuvent voir leur responsabilité professionnelle être engagée en cas de 206F non respect des règles fédérales de procédure civile 226. 207F 138. Conclusion du a). Jouant un rôle déterminant dans la conduite de la procédure, le Demandeur Représentatif postulant, comme son cabinet d’avocats, doivent faire la démonstration de leur compétence pour défendre les intérêts des autres personnes représentées à l’action. Le juge porte son attention sur les caractéristiques du cas d’espèce présentées par le Demandeur représentatif postulant et sur les ressources et les compétences du cabinet d’avocats du justiciable pour devenir Class Counsel. Ce contrôle approfondi du juge souligne l’importance du choix des représentants de la class dans ce type de procédure. Le système américain présente cette particularité que bien qu’il s’agisse de désigner un représentant, victime au même titre que les membres du groupe, il s’agit in fine de sélectionner une équipe, composée d’une victime et de son cabinet d’avocats à la tête de la class, qui agiront, normalement, au mieux dans l’intérêt de tous. 139. Transition. Cependant, de dérives financières 227 liées aux class actions américaines sont 208F dénoncées. La motivation purement financière des demandeurs et des cabinets d’avocats, est mise en avant. Pour tenter de lutter contre ces dérives, le législateur, comme les juges américains, ont imposé des conditions supplémentaires aux postulants à la conduite de l’action dans certaines matières considérées comme sensibles. (b) Les conditions propres à garantir une représentation non faussée : l’exemple des Securities class actions 140. Des conditions renforcées dans les domaines à risques. Dans certains domaines du droit, comme en matière boursière 228, les risques de détournement de la procédure de class action à des fins 209F purement financières sont plus élevés que dans d’autres domaines du droit, comme en droit social. 225 Sur ce volet, un conflit d’intérêts peut surgir entre le cabinet d’avocats et ses clients, membres de la class en cas de proposition de transaction, le cabinet d’avocat pouvant conseiller à ses clients de suivre cette voie plutôt que de poursuivre l’action, au motif personnel de s’assurer une rémunération satisfaisante et ce, au détriment de l’indemnisation des demandeurs, voir. §. 910-911. 226 Voir à titre d’exemple la Rule 11 FRCP, relative aux procédures intentées de manière abusive. 227 Le coût du système des class actions aux Etats-Unis a été estimé à 252 milliards de dollars en 2007, soit 1.9% du PIB américain, "Target: Europe, Global Export of US-Style Class action Lawsuits”, US Chamber, Institute for Legal Reform paper, 13 mai 2009 ; En 2005, l’estimation était de 247 milliard de dollars, soit 1.87% du PIB américain, Empirical research on Class Actions in USA, Christopher Hodges, étude jointe au rapport sur le système américain, intitulé “Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature”, Nicholas M. Pace, RAND Institute for Civil Justice, dans The Globalization of class actions,Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Center for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 228 L. Rickard, The Class action Debate in Europe: Lessons from the U.S Experience, The European Business Review, 6 fév. 2009. 65 Ainsi, le législateur a ajouté des conditions supplémentaires à la certification d’une class en matière boursière. Ces règles viennent compléter les dispositions de la Règle 23 FRCP. 141. Des enjeux financiers importants en matière boursière, justifiant de précautions supplémentaires. Aux États-Unis, les class actions en matière boursière (Securities Class actions) occupent une place de premier ordre 229 et ce, du fait notamment de l’influence que ces actions 210F peuvent avoir sur les cours de bourses. Il a été estimé qu’une entreprise cotée perdait en moyenne 3.5% de la valeur de son action, dès lors qu’une class action en matière boursière était introduite devant les juridictions américaines et ce, indépendamment du résultat du jugement rendu ultérieurement sur la responsabilité de l’entreprise 230. 21F 142. Les spécificités des Securities Class actions. La procédure de class action en la matière présente, de plus, certaines spécificités procédurales, à même de favoriser les situations abusives. Tout d’abord, les textes relatifs aux Securities Class actions sont les seuls à autoriser, en amont de la phase de certification, la publicité de la procédure dès le dépôt de la demande 231. Le demandeur et 21F son cabinet d’avocat peuvent, en effet, diffuser par voie de presse une notice d’information sur l’introduction de la procédure judiciaire 232. Ensuite, le rôle du Demandeur représentatif est plus 213F important que dans les autres types de class actions. En effet, en droit boursier, le Demandeur représentatif que l’on qualifie de « Lead plaintiff » a un rôle de gestion de la procédure plus poussé que le Demandeur représentatif dans les autres types de class actions 233. Ainsi, il sera le seul à 214F 229 Les Etats-Unis ont vu le nombre de procédure de class action introduites devant les juridictions se multiplier avec la crise boursière en 2008, voir en ce sens M. Prandi, La deuxième jeunesse des « class actions » aux Etats-Unis, Journal Les Echos, 5 déc. 2008. 230 Voir Target: Europe, Global Export of US-Style Class action Lawsuits, US Chamber, Institute for Legal Reform paper, 13 mai 2009, partie sur l’impact sur la compétitivité. 231 N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature, RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 17, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Center for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 232 Dans les 20 jours à compter de notification de la demande, le demandeur doit publier une notice d’avertissement destinée aux membres de la class dans une publication commerciale, diffusée sur l’ensemble du territoire national, ou par l’intermédiaire d’un service de télégramme. Cette notice doit informer qu’une action est pendante devant la Cour. Elle doit notamment préciser les demandes formulées, et mentionner que les membres présumés de la class ont 60 jours pour se manifester auprès de la Cour saisie dès lors qu’ils désirent postuler au rôle de représentant. Cette notice doit être publiée en plus de celles devant faire l’objet d’une publication en vertu des règles fédérales de procédure civile (Rule 23 FRCP). La publication impacte le délai du jugement en ce sens où la cour a, à compter de cette publication, 90 jours pour connaître des requêtes (Motions) déposées en réponse à la notice d’avertissement et notamment aux requêtes de postulation au rôle de représentant. Il devra déterminer lequel ou lesquels des demandeurs sont les plus à même de représenter, de manière adéquate, les intérêts des membres de la class, voir le Securities Exchange Act of 1934, Section 21D, p. 214. 233 N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature, RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 17, dans The Globalization of class actions, 66 pouvoir conduire les négociations en cas de recherche d’une solution transactionnelle234 à la résolution du litige235. Ces spécificités ont conduit le législateur à strictement encadrer ce type de class action. 143. Un encadrement justifié des Securities Class actions. Les procédures de Securities Class actions ont fait l’objet d’un premier encadrement en 1995 puis en 1996 avec l’adoption du Private Securities Litigation Reform Act (PSLRA 236 et du Securities Litigation Uniform Standards Act 237. Ensuite, en 6F 217F 2004, le Securities Exchange Act de 1934 238, concernant la régulation des marchés financiers F secondaires 239 219F , au niveau fédéral, a également été réformé240. Selon les dispositions de ces textes, deux types d’actions peuvent être portées devant les juridictions américaines : les Private Securities Class Actions, qui tendent à l’obtention de dommages intérêts en cas de manipulation frauduleuse du marché ou de pratiques abusives mises en œuvre sur le marché secondaire des actifs financiers et les Securities Fraud actions, qui tendent à faire sanctionner le comportement frauduleux des investisseurs, outre la recherche de dommages et intérêts. Notre étude se limitera à la première catégorie d’actions, qui est régie par Securities Exchange Act de 1934 et plus précisément la Section 21D, intitulée Private Securities Litigation. 144. Plan. Il existe, en droit boursier, des conditions de certification complémentaires à celles posées par la règle 23 FRCP, qui prennent en compte la spécificité de la matière et qui amènent à un degré d’exigence beaucoup plus élevé pour les candidats au rôle de Demandeur Représentatif (i). Des conditions spécifiques sont prévues en cas de multiples demandeurs postulants - situation favorisée avec la publicité en amont de la procédure de certification de la class (ii). Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Center for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 234 Le nombre de transactions en matière de Securities Class Actions a considérablement augmenté depuis la fin des années 90 aux Etats-Unis, M. Bajaj, S. C. Mazumdar and A. Sarin, Securities Class action settlements: an empirical analysis, 43 Santa Clara L. Rev. 1001, 1010 (2003). 235 Dans les autres types de Class actions, les membres de la class peuvent intervenir à la négociation de la transaction envisagée, voir §. 287. 236 Private Securities Litigation Reform Act (PSLRA), Pub. L. 104-67, 109 Stat. 737. 237 Securities Litigation Uniform Standards Act (SLUSA), 112 Stat. 3227. 238 Securities Exchange Act (1934). 239 Marché de l'achat et de la vente d'actifs financiers déjà existants : http://www.guidefinance.ch/ica_french/les_marches/tout_savoir_sur_les_marches/les_marches/wcga4.html. 240 Pour un commentaire de la réforme, voir J. G. Coffee Jr., Reforming the Securities Class Action: an Essai on Deterrence and its Implementing, 106 Colum. L. Rev. 1534, 1539-40 (2006). 67 i-Les conditions supplémentaires à remplir pour devenir Lead plaintiff 145. Un affidavit d’engagement à la procédure du Demandeur Représentatif. Tout d’abord, les précautions procédurales sont multipliées. La demande en justice doit être accompagnée de certains documents. Le demandeur, voulant être désigné comme Demandeur Représentatif de la class, doit fournir une déclaration sous serment 241, faisant foi de son engagement personnel dans la procédure 20F et de sa responsabilité quant à la conduite de cette dernière. 146. Les mentions obligatoires de la demande en justice. Cette déclaration doit comprendre les mentions particulières suivantes 242 : 21F Le Demandeur Représentatif certifie qu’il a eu connaissance du contenu de la requête et qu’il autorise sa notification. Il certifie ne pas avoir acheté les actions, qui font l’objet du litige, à la demande de son conseil ou dans le but de participer à toute action privée prévue par cette loi. Il certifie également qu’il est disposé à être le représentant de la class, ce qui inclut de fournir son témoignage tant lors des dépositions qu’au procès, si cela est nécessaire. Il doit joindre, au dépôt de la requête, un récapitulatif de toutes les transactions relatives aux valeurs qui sont l’objet de la demande et ce, durant toute la période couverte par la demande. Le Demandeur Représentatif mentionne les autres actions en justice pour lesquelles il a été le Demandeur Représentatif de la class, sur une période de 3 ans précédant la notification de la demande, et enfin, Il certifie qu’il n’a reçu aucun paiement pour représenter les membres de la class. 147. Il est intéressant, au vu de cette série de mentions obligatoires, de constater que le législateur est soucieux de prévenir les fraudes potentielles à la mise en œuvre de la procédure des Securities Class actions. Une certaine défiance envers les cabinets d’avocats, comme envers les autres membres de la class, est mise en lumière. Ces derniers pourraient être tentés de proposer une compensation financière au justiciable, afin qu’il assume le rôle de Lead plaintiff dans un litige, qui potentiellement peut aboutir au versement de dommages intérêts importants et à une prime 241 242 U.S Code §78u-4, (a) (2) (A). U.S Code §78u-4, (a) (2) (A). 68 conséquente pour le cabinet d’avocats. Cette défiance du juge concerne également le justiciable luimême. Il lui est demandé de mentionner l’ensemble des procédures dans lequel il aurait tenu ce même rôle dans une période de trois années précédant le jour du dépôt de la demande. Il est, en effet, interdit à une personne d’être le Demandeur Représentatif d’une class ou le supérieur, le directeur ou le « trustee » 243 du Demandeur représentatif d’une class dans plus de cinq class actions portant 2 2F sur des titres boursiers, sur une période de trois ans, sauf dérogation de la Cour 244. Cette interdiction 23F tend à lutter contre la fraude et en particulier contre la pratique consistant à multiplier les actions judiciaires afin d’en retirer des revenus. 148. Cette inquiétude du juge sur les motivations financières du Demandeur Représentatif se retrouve avec l’indemnisation de ce dernier. Elle est conditionnée au nombre de valeurs mobilières détenues. La part du Lead plaintiff doit être égale à celle des autres membres du groupe, fixée au prorata des parts détenues, sauf le cas échéant, si une rétribution a été ordonnée ou approuvée par la Cour, conformément aux dispositions de la Section 21D(a) §4 du Securities Exchange Act of 1934. De plus, le juge ne prend en compte que les dépenses raisonnables, engagées par le représentant au titre de sa mission, qu’il apprécie librement. 149. L’ensemble de ces règles vient s’ajouter à celles de la Règle 23 FRCP. Elles tendent ainsi à prévenir des dérives constatées, dans la mise en œuvre de la procédure de class action, s’agissant de fraudes boursières, notamment la professionnalisation du recours en justice. Le postulant à la représentation de la class doit démontrer la bonne foi, qui accompagne sa démarche. 243 Un « Trustee » est une personne qui détient « un titre de propriété, réel ou personnel, pour le bénéfice d’une ou de plusieurs autres personnes. Dans un trust, le propriétaire originel remet son bien en toute confiance entre les mains d’une personne, afin que cette personne (le trustee) détienne ledit bien pour le bénéfice d’un autre. Le droit des trusts [droit purement anglo-saxon] remonte au Moyen-âge : il dérive de l’usufruit féodal inventé pour adoucir la rigueur des règles de la Common Law qui s’opposaient à ce que l’on puisse disposer de la terre, c'est-à-dire à ce que l’on puisse la transmettre par testament, et également pour alléger les charges féodales imposées au détenteur d’un terre en tenure libre et perpétuelle. Au décès d’un tel détenteur, son fils et héritier devait payer au seigneur du manoir des droits féodaux très élevés. Par le biais de l’ « usufruit », au terme duquel le détenteur de la terre remettait celle-ci à un ou plusieurs amis, ces amis devenaient les propriétaires légaux de la terre aux yeux de la Common Law, et ils donnaient au détenteur (qui n’était désormais que le simple bénéficiaire de l’usufruit) le revenu de ladite terre. Au décès du détenteur originel, son héritier n’était pas assujetti au paiement des droits féodaux, dans la mesure où la terre continuait d’appartenir officiellement aux amis auxquels on l’avait remise, qui donnait au nouveau bénéficiaire (le fils) les revenus de ladite terre. En un second temps, du fait que la Common Law considérait les détenteurs officiels comme les propriétaires légaux de la terre, pour les empêcher d’utiliser la terre d’une manière contraire à leurs obligations, le tribunal de la chancellerie intervenait en équité et protégeait les droits des bénéficiaires. Par la suite, les usufruits furent appelés les trusts », Bernard Dhuicq et Danièle Frison, L’anglais juridique, the English and American Legal Systems, Pocket, 1993, p. 209; Voir aussi Black’s Law dictionary, Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 1656. 244 U.S Code §78u-4, (a) (3) (B) (vi). 69 ii-La bataille des postulants au rôle de Lead plaintiff. 150. La procédure des Securities class actions a la particularité de permettre la publicité de la procédure en amont de la phase de certification, ce qui favorise la multiplication des justiciables postulant au rôle de Demandeur représentatif. Le juge doit, dans ce cas, déterminer lequel (ou lesquels) des justiciables postulants est le plus à même de défendre au mieux les intérêts de la class. Pour faciliter le travail du juge, le législateur a posé une présomption simple au profit de toute personne qui remplirait les critères suivants 245 : 24F Le Demandeur Représentatif a expressément manifesté sa volonté de devenir le représentant de la class, soit en étant à l’origine du dépôt de la requête, soit en ayant introduit, auprès de la cour saisie, une requête (motion) en ce sens, après la publication de la notice d’avertissement. Le Demandeur Représentatif a justifié de l’intérêt financier le plus important au vu des griefs formulés par la class. Le Demandeur Représentatif satisfait aux conditions de la Règle 23 FRCP. 151. Outre ces conditions de la Règle 23 FRCP, le législateur oriente le contrôle sur la réactivité du justiciable et sur l’intérêt pécuniaire potentiel de ce dernier à porter l’action tout au long de la procédure. L’indemnisation en matière de Securities Class actions est fonction du nombre de titres détenus. Il apparaît logique de présumer que plus le demandeur détient de titres, plus l’enjeu financier est important et plus il sera motivé pour défendre aux mieux les intérêts des autres membres de la class comme ses propres intérêts. 152. La présomption peut être renversée si l’un des demandeurs ayant également postulé au titre de Demandeur représentatif démontre que bien que les trois conditions soient réunies, le représentant désigné n’accomplira pas sa tache de manière juste et adéquate au vu des intérêts des membres de la class ou que ce dernier est sujet à des moyens de défense différents de ceux des autres membres de la class, ce qui le rend incapable de représenter, de manière adéquate, les intérêts de la class 246. Au 25F 245 246 U.S Code §78u-4, (a) (3) (B) (iii). U.S Code §78u-4, (a) (3) (B) (iii) (II). 70 regard de la formulation de la disposition 247 et des critères posés, il apparaît que cette présomption 26F ne sera réfutable que dans des cas exceptionnels. 153. Sans dénaturer les conditions de la Règle 23 FRCP, le législateur américain est ainsi parvenu à régler la question des multiples postulations au rôle de Demandeur représentatif en matière boursière, en recourant à la présomption réfragable et en minimisant la création de « contentieux dans le contentieux ». 154. Avec la déclaration d’engagements du Demandeur Représentatif et avec la gestion par le juge des multiples postulants au rôle de Demandeur représentatif, il est mis en lumière qu’en matière boursière, les conditions propres au Demandeur Représentatif, plus qu’à son cabinet d’avocats, redeviennent prédominantes. Le législateur à travers ces différentes réformes a voulu responsabiliser davantage les justiciables face aux possibilités de fraudes financières, collatérales au système de la Securities Class Action, et accrues par rapport aux autres types de class actions. Il a, de plus, apposé à ces conditions des garde-fous, tels que l’interdiction de participer directement ou indirectement à la conduite d’une Security class action plus de cinq fois en trois ans. Elles tendent à éviter la prolifération de ce type de class actions, phénomène constaté depuis les années 2000 248. 27F 155. Conclusion du 2). La capacité du Demandeur représentatif à protéger au mieux les intérêts des membres du groupe est centrale dans la certification de la procédure. Elle tient principalement à la situation de ce dernier. Mais sont également primordiales les qualités professionnelles du cabinet d’avocats, qui aura la tache de rendre la procédure lisible pour le juge à travers l’exposé du litige et l’apport des pièces justificatives nécessaires. L’autorisation de recourir à la procédure de class action tient ainsi, dans la plupart des cas à l’habileté, l’expérience et les ressources tant financières qu’humaines du cabinet d’avocat, qui sera désigné alors comme Class Counsel. L’exemple du droit boursier montre que le législateur américain a tenté, avec les réformes opérées en la matière, de renforcer la responsabilité personnelle du Demandeur Représentatif. L’objectif est de réduire les possibles dérives financières en renforçant les exigences quant aux preuves que le Demandeur représentatif postulant doit apporter pour recevoir cette qualité. 247 U.S Code §78u-4, (a) (3) (B) (iii): “Rebuttal evidence. The presumption described in subclause (I) may be rebutted only upon proof by a member of the purported plaintiff class that the presumptively most adequate plaintiff— (aa) will not fairly and adequately protect the interests of the class; or (bb) is subject to unique defenses that render such plaintiff incapable of adequately representing the class”. 248 Voir M. Prandi, La deuxième jeunesse des « class actions » aux Etats-Unis, Journal Les Echos, du 5 déc. 2008, op. cit. 71 156. Conclusion du A). La phase de certification de la procédure permet ainsi au juge de vérifier que le recours à la class action est le moyen le plus efficient de traiter les demandes en justice, qui apparaissent similaires et multiples. L’objet du recours à ce type de procédure est avant tout la bonne administration de la justice. Le Demandeur Représentatif postulant et le cabinet d’avocat ont un rôle déterminant dans ce processus d’examen de la requête a priori. Ils doivent apparaître comme les plus à même de protéger les intérêts de l’ensemble des personnes représentées à la procédure. Les précautions et les exigences renforcées des juges américains soulignent, cependant, d’une part, le caractère exceptionnel de la mise en œuvre de la procédure d’action de groupe et, d’autre part, la nécessité d’en contrôler l’usage afin d’éviter des abus éventuels, notamment d’ordre financier. La seconde série de conditions posées pour les seuls recours en indemnisation va, également, dans le sens d’un recours nécessairement contrôlé et limité à la procédure de la class action. B) Des conditions de certification supplémentaires pour les mass torts class actions 249 28F 157. La règle 23(b)(3) FRCP pose une seconde série de conditions à la certification des class actions en matière de responsabilité civile extracontractuelle, en matière boursière et encore en matière financière. Ces matières comportent plus de risques de dérives financières du fait de leur objet. Ces conditions supplémentaires sont la prépondérance des questions communes sur les questions individuelles (Condition of Predominance) (1) et la supériorité de la class action sur les procédures de droit commun (Condition of Superiority) (2). Là encore, la jurisprudence américaine récente apporte des éclaircissements intéressants quant à l’appréciation de ces conditions par le juge, restrictive du champ de l’action. 1) La condition de Prédominance 158. La prédominance des questions communes. Les demandeurs aux actions en indemnisation doivent démontrer, de surcroit, que les questions de droit et de fait communes sont prédominantes des questions individuelles, que soulèvent les litiges 250. Cette condition vient compléter la condition 29F de Commonality. Au-delà de l’existence de questions de droit ou de fait communes, le législateur 249 Le terme de Tort case se traduit littéralement comme « un délit civil, autre qu’une violation d’un rapport contractuel, pour lequel un remède peut être obtenu sous la forme de dommages et intérêts », Black’s Law dictionary, Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 1626. Ce terme couvre, en droit français, la responsabilité civile extracontractuelle. L’adjectif « Mass » vient souligner la présence de plusieurs personnes au litige, voir en ce sens, Black’s Law dictionary, op.cit. 250 Rule 23(b)3 FRCP. 72 américain exige que ces questions soient prédominantes des questions individuelles que peuvent présenter les affaires soumises au juge de la certification. 159. L’interprétation juridictionnelle de la condition. La Cour fédérale de première instance, dans l’affaire des tuyaux marins, en précise les trois aspects 251. 230F Le fondement juridique de l’action. Tout d’abord, le fondement juridique de l’action doit être le même pour chacun des membres de la class pour que la question de droit soit considérée comme prédominante des questions individuelles. Des questions de fait communes. Ensuite, pour les questions de fait, elles prédominent sur les questions individuelles si les éléments de fait en question peuvent être apportés à l’appui des moyens relatifs à la responsabilité du défendeur ou à tous autres moyens soulevés possiblement par chacun des membres de la class 252. 231F Des preuves communes. Enfin, les preuves venant au soutien des questions communes de droit ou de fait doivent être des preuves communes à tous les membres de la class et non des preuves individuelles 253. 23F 160. Dans le cadre de cette condition, il s’agit pour le justiciable en demande de démontrer que les questions de droit et de fait communes sont prédominantes des questions individuelles pour chacun des demandeurs et non pour l’ensemble du groupe. Les autres demandeurs à la procédure sont envisagés dans leur individualité, ce qui renforce le degré d’exigence pour le justiciable en ce qui concerne l’apport de la preuve. 161. L’exemple : faits & procédure. Ce dernier volet de la condition de Predominance fut illustré dans un arrêt du 30 décembre 2008, rendu par la Cour d’appel fédérale du 3ème Circuit 254, dans lequel 23F cette dernière a invalidé la décision de certification d’une class, du Tribunal fédéral de première 251 Marine Hoses Antitrust Litigation, Master docket n° 08-MDL-1888-Graham Turnoff, Order on class action and preliminary settlements, op. cit., p. 19-21. 252 Klay v. Humana Inc., 382 F 3d 1241, 1255 (11th Cir. 2004). 253 Kerr v. City of West Palm Beach, 875 F.2d1546, 1558 (11th Cir. 1989); Bell Atlantic Corp. v. Twombly, 550 U.S 544, 2007 WL 1461066 (2007). 254 Hydrogen Peroxide Antitrust Litigation, D.C. Civil Action n° 05-civ-066 and MDL n° 1682 (3rd Cir. 2008). 73 instance, rendue en janvier 2007, dans l’affaire du Cartel sur les peroxydes d’hydrogène 255. Dans 234 F cette affaire, en parallèle des investigations menées par les autorités américaines (Department Of Justice) et les autorités européennes sur les pratiques alléguées d’ententes sur les prix entre producteurs 256 sur la période de janvier 1994 à janvier 2005, plusieurs acheteurs directs américains 235F ont déposé une requête, auprès de la District Court du District Est de la Pennsylvanie, en vue d’obtenir réparation du préjudice subi du fait de la pratique alléguée. Les demandeurs exprimèrent leur volonté de voir le litige traité selon la procédure de class action. Les défendeurs ont alors riposté par le dépôt d’une requête (motion to dismiss 257), visant à voir écarter la demande de 236F certification de la class par le juge, en arguant du fait que les conditions de certification n’étaient pas remplies. Ils ont été déboutés de leur demande par le juge et ils ont alors présenté une Petition 258 237F pour que soit formé un appel à l’encontre de l’opinion de la District court. 162. L’exemple : le débat sur la condition de Predominance. En substance, les demandeurs à l’action avaient produit un rapport d’expertise fondé sur des moyennes de prix soutenant qu’il serait possible sur cette base d’établir, le moment venu, que l’ensemble des membres de la class avaient effectivement subi un préjudice résultant de l’entente alléguée. Alors, il serait possible pour le juge de considérer que les preuves communes à tous les membres de la class, pour établir, tant l’existence que le quantum du préjudice allégué par chacun des membres, prédominaient sur les preuves individuelles à rapporter sur ces deux questions. Les défendeurs avaient eux-aussi produit un rapport d’expertise. L’expert-économiste de ces derniers établissait que la démonstration de l’existence d’un préjudice selon des méthodes communes à l’ensemble des membres de la class était impossible dans la mesure où les prix étaient systématiquement négociés individuellement avec chaque client. Ainsi, les défendeurs soutenaient que seuls des preuves individualisées pourraient permettre de déterminer 255 Hydrogen Peroxide Antitrust Litigation (Hydrogen Peroxide I), 240 F.R.D. 163 (E.D. Pa. 2007). Ces pratiques alléguées sont prohibées par l’article 81 CE (devenu 101TFUE) en Europe et par le §. 4 du Clayton Act (15 USC §. 15) et le §. 1 du Sherman Act (15 USC§1) aux Etats-Unis. 257 Une Motion to dismiss est une requête formulée auprès de la Cour, avant toute audience, en vue de voir rejeter la demande et ce, à cause de l’intervention d’un accord à l’amiable entre les parties, en cas de renonciation de la part du demandeur ou dès lors qu’il y aurait un vice de procédure. En vertu des règles fédérales de procédure civile (FRCP), cette requête peut être formulée par le demandeur dès lors qu’il entend renoncer au dépôt de sa demande (Règle 41(a) FRCP) ou par le défendeur, qui a le pouvoir de soutenir plusieurs moyens de défense, listés dans la Règle 12(b) FRCP. Parmi ces moyens, se trouvent par exemple, le défaut de compétence, materiae, loci ou personae de la Cour saisie et l’insuffisance des éléments avancés à l’appui de la demande, Black’s Law dictionary, Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9 ème éd., WEST 2009, p. 1109. 258 En droit américain, l’appel n’est pas, par principe, de droit (Appeal by right). Dès lors que l’une des parties au procès désire faire appel d’une décision, elle doit adresser une lettre (Petition) à la Cour d’appel lui demandant d’accepter sa demande (Appeal by application). La Cour d’appel est libre de refuser ou de rejeter la requête. Le choix relève de son pouvoir discrétionnaire. Cependant, il existe des cas d’appel obligatoires dans certains domaines, West's Encyclopedia of American Law, 1998, publié par Thomson Gale, définition de « Appeal ». 256 74 l’existence même du préjudice et son quantum pour chacun. De ce fait, ils contestaient la décision de certification de la class, faute de prédominance des questions communes sur les questions individuelles. 163. L’exemple : les juges de première instance. Le juge de première instance avait certifié la class en se fondant sur deux motifs. D’une part, il considérait que la question posée par l’expert des défendeurs était une question de fond, qui n’était pas du ressort du juge en charge de la question de la certification. D’autre part, il avançait que les instances civiles, en matière de lutte contre les cartels, viennent au soutien de l’action éventuelle des pouvoirs publics. Ces deux arguments, selon le juge, suffisaient à justifier la prise en compte de la seule vraisemblance des allégations des demandeurs dans le processus de certification en écartant l’argumentation des défendeurs. En d’autres termes, le juge a écarté implicitement la condition de Predominance. 164. L’exemple : la solution de principe. La Cour d’Appel a estimé que la décision du juge de la certification était infondée. Elle fait valoir tout d’abord qu’il n’est pas suffisant que les représentants de la class fassent la démonstration de la vraisemblance d’un préjudice affectant l’ensemble de ses membres. Au contraire, ils doivent établir l’existence effective du préjudice qu’ils allèguent au moyen de preuves communes. Il résulte de ce principe qu’en cas de contestation de la part des demandeurs sur ce point, le juge de la certification doit trancher le débat même si sa solution implique l’examen de questions qui devront ultérieurement faire l’objet du jugement sur le fond. Dans ce cadre, le juge de la certification ne peut pas se contenter d’une démonstration approximative quant à l’existence même du préjudice, qui doit résulter de preuves communes à la class et ce, même si, en matière de concurrence, les class actions ont pour objet de renforcer l’action répressive des pouvoirs publics. Cette circonstance est indifférente à la bonne administration de la justice. En effet, à défaut de remplir cette condition de Predominance, chaque préjudice subi par un membre de la class devra, tant dans son existence que dans son quantum, être réglé de façon individuelle. Ce point central est alors incompatible avec un traitement de masse des demandes par l’action de groupe, qui est une procédure d’exception, à l’application nécessairement restreinte. 165. Un recours tourné vers la recherche d’une bonne administration de la justice. Cet exemple, qui a abouti à l’annulation de la décision de certification de la class montre qu’il ne s’agit pas simplement de demander pour obtenir le traitement collectif de la demande. Le traitement de la demande par le biais de la procédure de class action nécessite qu’il soit plus efficient de recourir à 75 cette procédure. Dès lors qu’un examen individuel est nécessaire, le recours à la procédure de la class action n’est plus justifié. L’action est tournée vers la bonne administration de la justice. Cette seule condition peut aboutir à l’autorisation par le juge de la procédure, comme l’illustre parfaitement la dernière condition à examiner, la condition de Superiority. 2) La condition de Superiority 166. La procédure de la class action doit enfin apparaître comme la meilleure méthode pour administrer des demandes. L’objectif est d’aboutir à un jugement plus juste et plus efficient des demandes 259. Au travers de la notion d’efficience, se retrouvent des considérations liées au 238F traitement efficace des demandes en justice, qui permettent de garantir certains principes procéduraux fondamentaux, dont le droit d’être entendu par un juge dans un délai raisonnable 260. En 239F effet, dans le cadre d’un litige où les demandeurs potentiels sont très nombreux, la gestion matérielle du dossier peut être lourde pour la juridiction saisie et aboutir à une durée de procédure conséquente. Alors la durée du litige pourra être jugée comme déraisonnable au regard de principes du « Due process »261 aux Etats-Unis, qui sont comparables à l’exigence de l’article 6§1 de la Convention 2 40F européenne de sauvegarde des droits de l’homme 262 (CESDH), dans les pays européens ayant ratifié 241F cette convention. Dans des cas extrêmes, un risque de « déni de justice » pourrait même se réaliser 263. Par exemple, en Allemagne, la procédure d’action collective en droit boursier a été 24 F introduite en droit positif à la suite d’un recours porté devant la Cour fédérale allemande pour déni de justice, dans une affaire Deutsche Telekom 264. Environ 16 000 actionnaires, dans plus de 2 000 243 F procédures individuelles ont assigné l’entreprise Deutsche Telekom devant le Tribunal de première instance de Frankfort, pour obtenir la réparation de leur préjudice. Trois ans après l’introduction des 259 Rule 23(b)3 FRCP. Voir 5e et 14e amendements de la Constitution américaine. 261 Le Due process est consacré aux Etats-Unis par le cinquième et le quatorzième amendement de la Constitution. Cette notion se réfère à la conduite des procédures légales en conformité avec les règles et les principes adoptés en vue de la protection et de la mise en œuvre des droits privés, incluant le droit à un procès équitable devant un tribunal impartial, Black’s Law dictionary, Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 575. 262 Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (CESDH), STCE n° 005, signée à Rome le 4 nov. 1950 et entrée en vigueur le 3 sept. 1953, article 6. §. 1 : «Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial »; Voir également CEDH, arrêt du 15 oct. 2002, Viesiez c/ France, sur recours gracieux. 263 Voir les propos de M. Jules Marc Baudel, tenus lors de la table ronde sur le thème Problèmes constitutionnels, principe de l’autorité de la chose jugée et périmètre de l’action de groupe, dans Les Recours collectifs: Etude comparée, journée d’études du 27 janv. 2006, Actes publiés, Editions Société de législation comparée, Colloques, vol. 5, p. 102. 264 L’affaire Deutsche Telekom (DT) portait sur les pertes subies par les actionnaires de l’entreprise à la suite de la troisième phase de l’introduction en bourse des actions DT. Les actionnaires reprochaient à l’entreprise d’avoir divulgué de fausses informations dans deux offres publicitaires de 1999 et 2000, conduisant à une surévaluation de la valeur de ces actions de plus de 2 milliards d’euros. Le préjudice global représenté par les demandes était évalué à environ 150 millions d’euros, voir Infra §. 404. 260 76 procédures, aucune audition n’avait été organisée. Une partie des demandeurs a formé un recours auprès de la Cour fédérale allemande (Bundesverfassungsgericht) pour déni de justice265. La procédure d’action de groupe tend vers une gestion efficace des demandes en justice dans les conditions du procès équitable. 167. Dans la recherche d’un traitement plus juste des demandes, du législateur américain montre sa volonté de favoriser l’accès au juge, d’une part, pour les personnes les plus démunies, la procédure de class action permettant aux membres de la class de ne pas supporter les coûts de justice. D’autre part, pour les litiges de masse de faible valeur, l’action de groupe permet aux justiciables de faire valoir leur droit à réparation, alors que le faible montant de la demande les aurait dissuadé de porter leur action en justice à titre individuel 266. En effet, les coûts de justice et la lourdeur de la procédure 24F ont, dans le cadre de ces litiges, pour effet de rendre la balance entre les coûts et les avantages d’engager une procédure judiciaire neutre ou même négative et ainsi de dissuader les demandeurs individuels. 168. Ces deux conditions, dites de « Prédominance » et de « Superiority » viennent s’ajouter aux conditions de la Règle 23(a) FRCP. Elles restreignent encore le champ de la procédure de class action pour les simples demandes indemnitaires. Elles renforcent ainsi l’objectif premier de la procédure de class action, qui est la recherche d’une bonne administration de la justice en favorisant le regroupement des seules demandes qui présentent des questions de fait et de droit communes et dont le traitement collectif apparaît comme plus efficient. Elles reflètent l’exceptionnalité des conditions d’espèce, qui permettent ce traitement collectif des demandes. 169. Conclusion du §2). L’examen de l’opportunité de recourir à ce type de procédure judiciaire pour connaître des demandes en justice est une étape indispensable dans le système présenté. L’action de groupe est par définition une procédure judiciaire, dérogatoire au droit commun, dont l’utilisation doit, à ce titre, être justifiée au vu de la recherche d’une bonne administration de la justice. Elle est, de plus, susceptible de conduire à une déresponsabilisation des justiciables et à des abus d’ordre financier. Ainsi, le contrôle du juge a priori est nécessaire. Dans ce contexte, il s’agit pour le 265 Voir pour un commentaire de l’affaire : S. M. Grace, Strengthening Investor Confidence in Europe: US Style Securities Class Actions and the Acquis Communautaire, 15 J. Transnat’l L & Pol’y (2006). 266 N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature, RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 13, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 77 Demandeur Représentatif postulant et son cabinet d’avocat de démontrer, au moyen de preuves communes, tout d’abord que des circonstances exceptionnelles existent venant justifier le recours à cette procédure dérogatoire du droit commun. Il faudra pour cela qu’une multiplicité de demandes similaires existent pour lesquelles un traitement collectif apparaitrait plus efficient qu’un traitement individuel. Ensuite, ils devront démontrer chacun dans leur rôle respectif de Demandeur Représentatif et de Class Counsel qu’ils sont des personnes ou entités à même de défendre au mieux les intérêts des membres de la class par leur capacités matérielles et humaines et par leur expérience à conduire une telle procédure. Dans cette phase de certification de la class, le rôle du juge est central. Il participe au succès de la procédure en tant que garant de l’utilisation parcimonieuse et réfléchie de cette dernière en vue d’en limiter tous les excès. Conclusion sur la Section 1 170. La procédure américaine de la class action ne peut être introduite que par un justiciable ayant subi un préjudice à titre personnel du fait du comportement du défendeur, et qui souhaite agir pour l’ensemble des personnes placées dans une situation similaire à la sienne. Il doit, pour cela, apporter des éléments venant démontrer les qualités de représentation nécessaires à l’exercice de l’action pour autrui, et il doit faire la preuve de l’existence de demandes multiples et similaires potentielles, qui viendraient justifier le recours à ce type de procédure, dérogatoire au droit commun. 171. L’exigence d’un contrôle de la pertinence du choix procédural. L’analyse du système américain de la certification a priori de la class, qui a été présenté, permet de tirer quelques enseignements de cette pratique. Le premier enseignement à retenir est celui du caractère exceptionnel de la mise en œuvre de ladite procédure. Un contrôle a priori est nécessaire afin de s’assurer de la pertinence du choix procédural 267, - contrôle qui se distingue du contrôle de recevabilité, connu de nos systèmes 245F juridiques de tradition romano-germanique. L’action de groupe ne peut être utilisée que dans des conditions et des circonstances spécifiques. La procédure est ouverte à tous les justiciables, qui ont subi un préjudice du fait d’un comportement allégué, mais dans les limites des qualités de représentation appropriées à la mise en œuvre de la procédure, dont le Demandeur représentatif doit justifier et des circonstances de l’espèce. De plus, le Demandeur représentatif doit être assisté d’un cabinet d’avocat, qui a un rôle central dans la conduite de la procédure engagée pour l’ensemble des victimes potentielles, et qui doit, dans ce cadre, lui-même, justifier de garanties propres à son 267 Michel Verpeaux, L’action de groupe est-elle soluble dans la Constitution ? Recueil Dalloz 2007, p. 258. 78 expérience et aux moyens financiers et humains dont il dispose. Enfin, tous les litiges ne peuvent pas être tranchés selon cette procédure. Elle est réservée aux seuls litiges, qui comprennent potentiellement une multitude des demandes similaires. Le premier objectif de l’utilisation de cette procédure est la bonne administration de la justice. Ainsi, elle ne peut pas être envisagée si la procédure individuelle de droit commun, ou de toute autre procédure, apparaît plus à même de parvenir à un traitement judiciaire efficient des demandes. 172. Un contrôle maximum de la pertinence du choix procédural. Le second enseignement à tirer de la procédure américaine de certification est celui de la rigueur nécessaire de l’examen mené par le juge dès cette phase. Il ne suffit pas aux demandeurs de formuler une requête pour obtenir gain de cause ou tout du moins pour obtenir l’ouverture de la procédure au fond. En effet, bien qu’intrinsèquement, la procédure de la class action ait un rôle de facilitation de l’accès au juge, elle ne doit pas engendrer le développement d’abus. Les éléments de preuve à fournir par le demandeur, au soutien de la prétention, doivent être fondés et solides. De plus, l’examen des conditions de l’autorisation du recours à la procédure nécessite, dans certains cas, que le juge de la certification s’intéresse très en amont au fond de l’affaire. Ces éléments sont essentiels dès lors qu’il s’agit d’éviter les dérives. 173. Le risque de dérives financières. Le troisième élément à retenir de la procédure américaine est de s’assurer dès l’introduction de la procédure, dans le droit positif, qu’il existe bien des garde-fous permettant d’éviter les dérives financières inhérentes à sa mise en œuvre. Le législateur américain en 1966 ne pouvait imaginer l’essor de la société de consommation et des litiges de masse. Il ne pouvait pas non plus prévoir l’importance de l’activité économique et financière, qui se créerait autour de ces procédures. Aujourd’hui, il tente de pallier ces dérives en adoptant des réformes sectorielles, les décisions de la Cour Suprême venant renforcer son action. 174. Il faut, néanmoins, nuancer cette considération au regard du système judiciaire américain luimême. En effet, la class action américaine s’inscrit, plus largement, dans un système de Common Law où les modalités d’exercice de la justice sont très différentes de celles existantes dans les systèmes de droit romano-germanique. Les dérives souvent dénoncées du système américain de la class action tiennent, pour la plupart, à ces modalités propres au système judicaire américain luimême et non aux modalités spécifiques à la procédure de class action. 79 175. Cette présentation du système américain amène à s’interroger sur la situation dans les Etats membres de l’Union et sur le caractère transposable des conditions d’ouverture de l’action de groupe telle que présentée dans des systèmes de droit en grande majorité de tradition romano-germanique. SECTION 2 : L’ACTION EN JUSTICE POUR AUTRUI : DANS LES PAYS EUROPEENS DE DROIT DE TRADITION ROMANOGERMANIQUE 176. Comme mentionné en introduction, il existe de nombreux projets de réforme au niveau communautaire comme au niveau national visant à l’introduction d’une action collective en droit positif des Etats membres. De nombreux Etats ont déjà adopté des mesures en ce sens et d’autres comme la France s’interrogent encore sur le chemin à adopter pour cette réforme. La voie offerte par la procédure d’action de groupe à l’américaine, et ses conditions d’ouverture de l’action sont alors à examiner au regard des principes qui gouvernent la procédure civile dans les pays européens et tout particulièrement dans les pays de droit de tradition romano-germanique. 177. En France, en Belgique ou encore en Allemagne, certaines conditions propres à la recevabilité de l’action en justice font obstacles à l’exercice de l’action en justice par un tiers. Dans ces pays, une qualité à agir pour autrui est conférée, à titre dérogatoire, à certains organismes, qui présentent un certain nombre de garanties. Il ne s’agit alors pas d’action de groupe, mais d’action en représentation (§1). Cependant, au regard de l’expérience des pays européens comme la Suède 268, le Danemark 269, 246F 247F la Norvège 270, mais aussi le Portugal 271, et l’Italie272, qui ont adopté des procédures d’action de 248F 249F 250 groupe ouvertes à l’ensemble des justiciables, personnes physiques, il est possible d’opérer un rapprochement entre les conditions de certification de l’action de groupe et les conditions d’agrément des associations de défense dans les actions en représentation. Cet examen laisse 268 Loi du 22 mai 2002. Loi n° 181/2007 de 2007; P. Møgelvang-Hansen, Class Actions, National Report: Denmark, p. 1, dans Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, 6ème Conférence annuelle sur le thème Strategies for Litigating, 6&7 mai 2010, Hotel Renaissance Seattle, à Seattle, WA. 270 Loi n° 90 du 17 Juin 2005 relative à la médiation et à la procédure judiciaire en matière civile, section 35; Class Actions, Group Litigation & Other Forms of Collective Litigation in the Norwegian Courts, p. 15-16, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 271 Loi n° 83/95 du 31 août 1995 ; Loi n° 24/96 du 22 août 1996 sur la protection des consommateurs, Décret-loi n° 486/99 du 13 nov. 1999 en matière boursière ; H. Sousa Antunes, Class Actions, Group Litigation & Other Forms of Collective Litigation (Portuguese Report), p. 8, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 272 Loi n° 99 du 23 juil. 2009, qui est venue introduire un article 140-bis dans le Code de la Consommation ; Les actions de groupe, Les documents de travail du Sénat, série Législation comparée, n° LC 206, mai 2010. 269 80 finalement apparaître la recherche d’objectifs similaires à travers l’exigence de garanties très proches (§2). §1) L’action en représentation comme alternative à l’action de groupe dans les pays européens de droit romano-germanique: l’exemple du droit français 178. Dans la plupart des systèmes de droit, avant de pouvoir donner lieu à un examen au fond une demande en justice quelle qu’elle soit doit être jugée recevable. Des conditions de recevabilité sont ainsi imposées par le législateur. Il existe des conditions de recevabilité de forme, qui visent à la transparence de la procédure, et des conditions de recevabilité de fond, qui visent à vérifier le droit à l’action 273 du demandeur, c'est-à-dire l’existence d’un intérêt légitime à porter sa demande en 251F justice. En France, par exemple, l’article 31 du Code de procédure civile dispose que « l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention ». Cet intérêt à agir doit alors présenter certaines caractéristiques. Il doit être légitime, direct et personnel ainsi que né et actuel 274. Dans le cadre d’une procédure d’action de groupe, l’interprétation du caractère actuel 25 F et du caractère légitime de l’intérêt à agir du demandeur, ne pose pas de difficulté particulière. L’intérêt légitime à agir recoupe le droit subjectif substantiel, sous jacent à la demande en justice formulée 275, qui va être commun au Demandeur Représentatif et aux membres du groupe. En 253F revanche, l’exigence d’un intérêt à agir, direct et personnel, du Demandeur Représentatif est a priori 273 Au-delà du droit substantiel, qui conduit le justiciable à porter son action devant les juridictions judiciaires, le droit français a consacré un droit subjectif procédural, qui est le droit à l’action. Aux termes de l’article 30 du Code de procédure civile, « l’action est le droit, pour l’auteur d’une prétention, d’être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée ». 274 Y. Strickler, Procédure Civile, Paradigme 2007-2008, n° 171, p. 81; En Belgique, dans un arrêt Eikendael du 9 nov. 1982, la Cour de cassation a déclaré qu’"à moins que la loi en dispose autrement, une action engagée par une personne physique ou morale est irrecevable si le demandeur n'a pas un intérêt personnel et direct à agir, il s'agit d'un son propre intérêt, un intérêt général [collectif] n'est pas son intérêt personnel et direct », pour plus de détails voir Piet Taelman, et Stefaan Voet, Belgium and Collective Redress: the Last of the European Mohicans, Rapport national lors du 18ème Congrès international sur le droit comparé, 25 juil. 2010–1er août 2010, Washington D.C., Section II – C – Civil Procedure, Class Actions / Les actions collectives, question n° 14. 275 L’intérêt légitime a, pendant très longtemps, été considéré comme l’intérêt juridiquement protégé, avant que par un arrêt du 27 fév. 1970 (Cass. Ch. Mixte, 27 fév. 1970, D. 1970, p. 201, note Combaldieu ; JCP G 1970, II, 16305, concl. Lindon et note Parlange), la chambre mixte de la Cour de Cassation pose comme principe la distinction entre le droit à l’action et le droit substantiel sous-jacent. Il s’agissait de mettre fin à la situation des concubines, qui, du fait de l’illicéité de leur statut, ne pouvaient engager une action en réparation du préjudice subi, en cas de décès accidentel de leur concubin. L’intérêt légitime est maintenant examiné par les juges au regard de deux types de considérations : des considérations d’ordre moral et des considérations d’opportunité. Concernant les premières considérations, il s’agit pour les juges de confronter l’intérêt à agir allégué aux deux adages que sont nemo auditur propriam turpitudinem suam allegans et in pari causa turpitudinis cessat repetitio. Les juges vont également prendre en compte l’opportunité de la requête. C’est ainsi qu’en matière de changement de nom, la Cour de cassation a pu rejeter la demande de deux personnes, qui avaient été naturalisées français et qui voulaient abandonner leur prénom d’origine afin d’adapter ces derniers à leur nouvelle nationalité, en faisant valoir que « la cour d'appel a pu retenir que les époux X... ne faisaient état que d'une convenance personnelle, exclusive d'un intérêt de nature à justifier leur demande ». Il n’en demeure pas moins que pour que la demande soit recevable un intérêt juridique doit exister venant sous tendre à la prétention du demandeur, Y. Strickler, Procédure Civile, Paradigme 2007-2008. 81 difficilement conciliable avec la volonté de ce dernier d’ester en justice pour autrui. En effet, lorsque le Demandeur Représentatif agit pour obtenir réparation de son propre préjudice, il peut justifier d’un intérêt direct et personnel à agir 276. Cependant, dès lors qu’il décide d’agir pour l’ensemble des 254 F personnes ayant subi un préjudice similaire au sien, il lui est impossible de justifier d’un intérêt direct et personnel à agir, pour autrui 277. 25F 179. Il en est de même dans le système belge. L’article 17 du Code judiciaire belge stipule que « l’'action ne peut être admise si le demandeur n'a pas qualité et intérêt pour la former ». L’article 18 du même Code stipule que « l'intérêt doit être né et actuel. L'action peut être admise lorsqu'elle a été intentée, même à titre déclaratoire, en vue de prévenir la violation d'un droit gravement menacé ». S’agissant de l’intérêt direct et personnel à agir, la Cour de cassation a adopté une jurisprudence très restrictive déniant la qualité à agir aux personnes morales qui agiraient dans l’intérêt collectif d’une catégorie de personnes en déclarant, dans un arrêt Eikendael du 9 novembre 1982 278, qu’« à moins que la loi en dispose autrement, une action engagée par une personne 256F physique ou morale est irrecevable si le demandeur n'a pas un intérêt personnel et direct à agir, il s'agit de son propre intérêt, un intérêt général [collectif] n'est pas son intérêt personnel et direct »279. 257 F 180. Ces conditions de la recevabilité de l’action se trouvent également en droit allemand et ce, bien que formellement elles ne soient pas formulées de la même manière. En effet, en droit allemand, la notion d’intérêt à agir fait référence au contrôle par le juge de l’existence d’un « besoin de protection juridique » (Rechtschutzbedürfnis), par lequel le demandeur devra prouver qu’il a un motif légitime à saisir le tribunal aux fins de faire juger son litige. Cependant, la recevabilité de l’action tient essentiellement à des conditions de capacité à agir, en distinguant la capacité de 276 S. Guinchard, L’action de groupe en procédure civile française, Rev. Internationale de droit comparé, vol. 42, n° 2, Avril-juin 1990, Etudes de droit contemporain, p. 599 à 635. 277 M.-A. Frison-Roche, Les résistances mécaniques du système juridique français à accueillir la class action : obstacles et compatibilités, LPA, 10 juin 2005, n° 115, p. 22. 278 Cass., 19 nov. 1982, Arr. Cass., 1982-1983, concl. Krings, Pas., 1983. l, 338 et R.W., 1983-84, 2029, note J. Laenens. 279 Voir en ce sens Piet Taelman et Stefaan Voet, Belgium and Collective Redress: the Last of the European Mohicans, Rapport national lors du 18ème Congrès international sur le droit comparé, 25 juil. 2010 – 1er août 2010, Washington D.C., Section II – C – Civil Procedure, Class Actions / Les actions collectives, question n° 12- n°14; Y. Strickler, Procédure Civile, Paradigme 2007-2008, n° 171, p. 81. 82 jouissance du demandeur, c'est-à-dire son droit à agir en justice 280 et la capacité processuelle à agir, 258F c'est-à-dire sa capacité à se présenter devant un juge 281. 259 F 181. En France, le législateur français a permis, à titre dérogatoire, la représentation en justice de personnes ou de catégories de personnes par des groupements de défense spécialement habilités à cet effet 282. Ces groupements se voient conférer, à titre dérogatoire, une qualité à agir par les pouvoirs 260F publics, qui leur permettra d’agir en justice pour le compte des personnes qu’ils représentent. La dénomination retenue pour cette procédure est « l’action en représentation ». Pour l’introduction d’actions de groupe, il s’agit d’examiner si le Demandeur Représentatif pourrait bénéficier de cette qualité à agir, octroyée à titre dérogatoire, pour représenter les membres du groupe à la procédure. Pour ce faire, il faut s’interroger sur les circonstances et les motivations du législateur pour octroyer de telles prérogatives à des organismes de défense (A) et sur les conditions et garanties que présentent ces organismes, justifiant l’octroi d’une telle qualité à agir pour autrui (B). A) Les circonstances de l’octroi d’une qualité à agir pour la défense des intérêts personnels d’autrui 182. La qualité à agir de l’article 31 CPC. L’article 31 CPC, dans sa rédaction complète, dispose que : «l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé » (soulignements ajoutés). La notion de qualité à agir est venue au secours des cas dans lesquels la représentation en justice par un tiers s’est révélée nécessaire, en consacrant une dérogation à la règle de l’intérêt direct et personnel, et en dissociant ainsi l’intérêt à agir et de la qualité à agir. Dans une action individuelle, l’intérêt et la qualité à agir vont se confondre, certains auteurs considérant même que la qualité à agir apparaît alors « comme un aspect particulier de l’intérêt »283. Cependant, la 261F qualité à agir peut également servir aux pouvoirs publics pour conférer à certaines personnes le droit 280 ZPO, art. 50, alinéa 1 ZPO, art. 51; Pour plus de détails, F. Ferrand et E.Lambert, Action de groupe : l’outil du droit comparé, Rev. Lamy Droit civil n° 32, nov. 2006, p. 7. 282 Le législateur français a utilisé cette faculté pour réserver certaines actions à un type d’individus intéressés directement à l’action, c'est-à-dire pour réserver le droit d’agir en justice, à certains justiciables, en excluant toute autre personne, pouvant apparaître comme intéressée au litige. Il s’agit des actions attitrées. Par exemple, les actions en recherche que maternité (art. 325 C. civ) ou en recherche de paternité (art. 327 C. Civ) sont réservés aux enfants. Dans ce cas, on écarte les actions de certaines personnes, intéressées au litige, mais dont l’intérêt personnel ne parait pas assez direct. L’action serait menée dans l’intérêt d’autrui, Y. Strickler, Procédure Civile, Paradigme 2007-2008. Ces actions seront exclues des développements du corps de texte. 283 Y. Strickler, Procédure Civile, Paradigme 2007-2008, p. 87. 281 83 d’agir en défense non pas de leur intérêt personnel, mais de l’intérêt personnel de tiers. Des groupements de défense, tels que les associations de consommateurs agréées ou les associations de défense des investisseurs boursiers ou encore les syndicats se sont ainsi vues conférer des prérogatives, exorbitantes du droit commun, pour défendre les intérêts personnels d’individus ou de catégories d’individus. Ils vont ainsi, en quelque sorte, se voir conférer « une mission d’utilité publique », agissant ainsi au bénéfice d’un groupe de citoyens et non au bénéfice d’un individu seul ou pour leur propre compte. Il s’agit d’action en représentation 284. 26F 183. Sous l’impulsion de la jurisprudence, le législateur a utilisé le mécanisme de la délégation de la qualité à agir pour octroyer des prérogatives aux syndicats et aux associations de défense pour défendre en justice, dans un premier temps, les intérêts personnels de leurs adhérents et dans un second temps, les intérêts personnels de toutes les personnes qu’ils représentent en vertu de leur objet social (1). Cette délégation de la qualité à agir en justice pour autrui a été opérée en faveur de ces organismes dans certains domaines du droit où le renforcement du droit d’accès au juge est apparu nécessaire (2). 1) La consécration des actions en représentation par le législateur français 184. De la théorie de l’action « associationnelle »… Une jurisprudence ancienne a consacré un droit dévolu aux associations d’agir en justice en défense des intérêts individuels de ses membres. La Cour de cassation a considéré, dans un arrêt du 23 juillet 1918, qu’une association « peut faire par voie d’action collective, ce que chacun de ses membres peut faire à titre individuel »285. Il s’agit de 263F la théorie de l’action « associationnelle »286. Un seul des membres lésés suffit à fonder l’action de 264F l’association 287, dès lors que son objet statutaire prévoit expressément la possibilité pour 265F l’association d’agir en justice en défense des intérêts de ses membres 288. Cette action consentie par 26F la jurisprudence aux associations ne nécessite pas le recueil de mandats de la part des membres de 284 Sous toutes réserves d’examen des conditions de mise en œuvre de cette capacité concernant les organisations de défense allemandes, il est possible de faire un rapprochement entre la notion de qualité à agir en droit français et la légitimation de la représentation en droit allemand et en droit espagnol. En effet, avec cette seconde condition, le juge allemand examine, en cas d’incapacité processuelle d’exercice du demandeur, les conditions de représentation de ce dernier et l’existence éventuelle d’un mandat de représentation (legitimation). Cette même condition de légitimation de la représentation se retrouve en droit espagnol (article 11 du Code de procédure civile). La capacité à agir des groupements de défense sera examinée en fonction de cette dernière. 285 Cass. Civ. 23 juil. 1918, D.P. 1918, 1.52, S.1921.1.289, note Chavegrin. 286 Voir S. Guinchard, L’action de groupe en procédure civile française, Rev. Internationale de droit comparé, vol. 42, n° 2, Avril-juin 1990, Etudes de droit contemporain, p. 599 à 635. 287 Cass. Civ. 1er, 27 mai 1975, Bull. I, n° 174, p. 147, D. 1976, 318, note Viney; Rev. trim. dr. civ. 1976, 145, obs. Durry. 288 Cass. Civ. 3e, 10 oct. 1978, D. 1979, 581, note E. Franck. 84 l’association, qui confèrent in fine par leur adhésion un mandat ad litem à l’association, et ce, par dérogation au principe du Nul ne plaide par procureur 289. Cette action n’est en revanche pas 267F exclusive et les membres de l’association peuvent choisir d’introduire à titre individuel une action en justice. 185. … à la défense des intérêts personnels d’une catégorie de personnes en dehors de toute affiliation. Mais le législateur a été plus loin. La qualité à agir pour autrui a également été octroyée par les pouvoirs publics à des organismes habilités pour la défense des intérêts personnels des personnes représentées, en dehors de toute affiliation. Ces associations de défendent les intérêts personnels d’une catégorie d’individus, définie en vertu de l’ « objet social » de l’association. Cette évolution résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation concernant l’action civile dans l’intérêt collectif des consommateurs, la jurisprudence avait en effet apprécié largement la notion de « défense de l’intérêt collectif des consommateurs », laquelle devait constituer « l’objet statutaire explicite » des associations. L’association ne devait pas agir simplement pour ses membres, mais pour l’ensemble des consommateurs 290. 268F 186. L’action en substitution des syndicats. La première action consacrée par le législateur fut l’action en substitution des syndicats pour la défense des intérêts propres des salariés même non adhérents. Les organisations syndicales sont autorisées à introduire au nom des salariés concernés une action en justice afin d’obtenir le respect des règles du droit du travail et la réparation du préjudice subi par ces derniers. Les syndicats peuvent exercer ce type d’action concernant l’emploi des étrangers, le travail temporaire, les contrats à durée déterminée, le travail à domicile, les licenciements pour motif économique, ainsi que, les discriminations (L. 122-45-1 du code du travail) et le harcèlement moral (L. 122-53). Il s’agissait pour le législateur d’étendre les mêmes droits aux associations de défense agréées 291. 269F 187. L’action en représentation conjointe en matière de droit de la consommation. En matière de droit de la consommation, tout d’abord, les associations, agréées au titre de l’article L421-1 du Code de la consommation, se sont vues attribuer une qualité à agir en vue de la défense des intérêts personnels des consommateurs. Il s’agit de l’action en représentation conjointe prévue à l’article 289 S. Guinchard, L’action de groupe en procédure civile française, Rev. Internationale de droit comparé, vol. 42, n° 2, Avril-juin1990, Etudes de droit contemporain, p. 599 à 635. 290 S. Guinchard, L’action de groupe en procédure civile française, Rev. Internationale de droit comparé, vol. 42, n° 2, Avril-juin1990, Etudes de droit contemporain, p. 599 à 635. 291 Ibid. 85 L422-1 du Code de la consommation. Depuis 1992 292, le législateur français permet en effet à ces 270F associations d’agir au nom d’au moins deux consommateurs en vue de la réparation de leurs préjudices individuels. Le Code de la consommation prévoit que « lorsque plusieurs consommateurs, personnes physiques, identifiés ont subi des préjudices individuels qui ont été causés par le fait d’un même professionnel, et qui ont une origine commune, toute association agréée et reconnue représentative sur le plan national […] peut, […] agir en réparation devant toute juridiction au nom de ces consommateurs». Pour se faire, l’association doit être mandatée expressément par les consommateurs concernés. 188. Une action similaire en droit boursier. De même, en matière boursière, l’article L452-2 du Code monétaire et financier dispose que : « lorsque plusieurs personnes physiques, identifiées en leur qualité d'investisseur, ont subi des préjudices individuels qui ont été causés par le fait d'une même personne et qui ont une origine commune, toute association mentionnée à l'article L. 452-1 peut, si elle a été mandatée par au moins deux des investisseurs concernés, agir en réparation devant toute juridiction, au nom de ces investisseurs »293. 271F 189. L’exigence de production de mandats. Dans ces deux actions, en matière boursière comme en matière de droit de la consommation, le législateur exige que les associations justifient d’au moins deux mandats 294 de consommateurs ou d’investisseurs boursiers pour pouvoir exercer leur action en 27F justice 295 273F . Cette condition s’entend d’une transmission des conventions à la justice. L’obligation de justifier de mandats pour l’association de défense va présenter plusieurs avantages. Tout d’abord, l’association n’ayant pas d’intérêt personnel à agir puisqu’elle n’a pas elle-même subi de préjudice, le juge peut contrôler l’intérêt à agir direct et personnel de ces mandants. De plus, la production de mandats a priori, est indispensable à l’établissement de la demande et à la bonne conduite de la procédure judiciaire. Le fait de faire reposer l’affaire sur des situations individuelles identifiées permet alors aux associations de déterminer au mieux l’objet de leur demande ainsi que son contenu, c'est-à-dire ses moyens de droit et de fait. Il permet en outre d’obtenir les éléments de preuve nécessaires à la démonstration du bien-fondé de la demande au stade de la recevabilité de l’action. 292 Loi n° 92-60 du 18 janv. 1992, renforçant la protection des consommateurs, NOR : SECX9100043L. Cette action est issue de la loi n° 94-679 du 8 août 1994, portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, et venant modifier la loi n° 88-14 du 5 janv. 1988, relative aux actions en justice des associations agréées de consommateurs et à l'information des consommateurs, NOR: ECOX9300054L, art. 29, JORF du 10 août1994. 294 Le terme de « mandat » désigne en droit français, «l’acte par lequel une personne est chargée d’en représenter une autre pour l’accomplissement d’un ou plusieurs actes juridiques», Lexique des termes juridiques 2012, Guinchard (S.) et Debard (T.), Dalloz, 19ème éd., 2011, p. 540. 295 C. conso., art. L422-1 et C. mon. et fin., art. L452-2. 293 86 Enfin, le mandat permet d’identifier certaines des personnes représentées par l’association. Ainsi, le fait de devoir justifier d’un nombre minimum de mandats est utile à l’analyse de l’opportunité du recours à cette procédure. Cependant, comme cela sera examiné par la suite 296, l’obtention de tels 274F mandats peut se révéler complexe et même constituer un frein à l’exercice de ces actions. 190. Certaines associations ont obtenu du législateur le droit d’agir en justice pour défendre l’intérêt personnel d’une catégorie de personnes, qu’elles entendent représenter en vertu de leur objet social. L’exercice de cette qualité à agir est, dans la plupart des cas, conditionné à la justification d’un nombre minimum de mandats de la part des personnes représentées. Cette délégation a été opérée de manière sectorielle pour la défense da catégories particulières d’individus, placés potentiellement dans des positions de faiblesse. 2) Le développement des actions en représentation pour le renforcement du droit d’accès au juge 191. Tout d’abord, le législateur est intervenu de manière sectorielle. Il a légiféré en matière de droit du travail en vue de la protection des salariés, puis, en droit de la consommation, et enfin, en droit boursier. Il aurait pu adopter une loi générale autorisant l’ensemble des associations de défense agréées à agir en justice pour la défense des intérêts personnels de la catégorie de personnes qu’elles représentent en vertu de leur statut social, d’autant que le législateur est intervenu dans ces différentes matières, à quelques années d’intervalles 297. Cette pratique du législateur français 275F s’explique par sa volonté de faire face aux impératifs sociaux et économiques dans un contexte de crise et de protéger alors les personnes les plus vulnérables. Ainsi la loi sur l’action en représentation conjointe a été adoptée au début des années 90’s 298. Dans ce contexte, le législateur français a 276F dérogé à la règle de l’intérêt personnel et direct pour assurer la protection de certaines catégories de personnes, jugées en situation de déséquilibre par rapport aux défendeurs potentiels à l’action : le salarié face à l’employeur, le consommateur face au professionnel et l’actionnaire minoritaire face au conseil d’administration de l’entreprise. 296 Voir Infra § 313. Ibid.; La loi instaurant l’action en substitution ouverte aux syndicats date de 1990, la loi relative à l’action en représentation conjointe pour la protection des droits des consommateurs est de 1992 et la loi relative à l’action ouverte aux associations de défense des investisseurs boursiers fut adoptée en 1994. 298 Le législateur français a adopté la même politique concernant les lois relatives aux actions en justice ouvertes aux associations de défense et aux syndicats concernant la défense de l’intérêt collectif des personnes ou catégories de personnes, représentées en vertu de l’objet social de ces organismes, voir supra §. 190. 297 87 192. Cependant, il est important de ne pas confondre le but poursuivi par le législateur dans le cadre des actions en représentation pour la défense des intérêts personnels et les mêmes actions engagées pour la défense d’un intérêt collectif 299. En effet, la notion d’intérêt collectif, ne se confond pas avec 27F la notion d’intérêt personnel des personnes représentées. La somme des intérêts personnels des personnes représentées ne constitue pas l’intérêt collectif de ces personnes. La notion d’intérêt collectif, revêt un caractère d’utilité publique, qui va expliquer la délégation de la qualité à agir par les pouvoirs publics. Il ne s’agit pas d’une action en substitution de tiers mais d’une action, propre à l’association, en vue de représenter un « intérêt supérieur » dont la défense entre dans son objet social 300. Avec l’exercice de cette qualité à agir, il est recherché la cessation de l’infraction ou de la 278F pratique dommageable de la part de son auteur et sa condamnation. L’association ou le groupement habilité va alors tendre à la protection de la Société et à la réparation du dommage subi par cette dernière, d’où l’idée sous jacente d’une délégation de prérogatives de puissance publique. Il pourrait être considéré que les associations et groupements de défense, dans ce cas, agissent comme des procureurs privés, spécialement habilités par les pouvoirs publics pour soutenir l’action du Procureur de la République 301. En droit de la consommation, le législateur a instauré l’action civile dans 279F l’intérêt collectif des consommateurs, qui permet aux associations de consommateurs agréées d’exercer «des droits reconnus à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif des consommateurs» (article L421-1 du Code de la consommation) 302 et, 280F l’action en intervention volontaire 303, qui confère aux associations agréées, un droit d’intervention 281F devant la juridiction civile, au soutien d’une demande initiale introduite par un ou plusieurs consommateurs, toujours dans l’intérêt collectif des consommateurs. L’exemple du droit de la consommation est intéressant car il souligne que l’initiative du législateur tendait dans un premier temps à renforcer l’action du Procureur de la République, les associations de consommateurs ne pouvant exercer que l’action civile devant les juridictions pénales. Ce n’est que dans un second temps, que la compétence des associations a pu être mise en œuvre devant les juridictions civiles 299 « Le préjudice collectif résulte d’une atteinte essentiellement morale à la situation de tous ceux qu’unit une même condition sociale, professionnelle ou encore un même idéal », Y. Strickler, Procédure civile, Paradigme 2007-2008, p. 8990. 300 L’association agit, dans ce cadre, en vertu d’un intérêt personnel et direct. Les dommages et intérêts éventuellement obtenus ne reviendront pas directement aux personnes appartement à la catégorie des individus ayant souffert d’un préjudice collectif, mais reviendront à l’association afin qu’elle poursuive sa mission, Y. Strickler, Procédure civile, Paradigme 2007-2008, p. 90. 301 Y. Strickler, Procédure civile, Paradigme 2007-2008, p. 90. 302 Cette action est issue de la loi du 27 déc. 1973, d’orientation du commerce et de l’artisanat, dite loi « Royer », JORF du 30 déc. 1973, p. 14139. Deux conditions restrictives doivent être réunies pour l’exercice de l’action civile : d’une part, la constatation d’une infraction pénale, d’autre part, l’existence d’un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif des consommateurs, qui doit être distinct et caractérisé par rapport au préjudice subi personnellement par les victimes de l’infraction. Cette action ne peut être portée que devant les juridictions pénales statuant sur l’action civile. 303 C. conso., art. L421-7 88 avec l’action en intervention volontaire. Des dispositions similaires existent pour les associations de défense des investisseurs boursiers 304 et les syndicats disposent de l’action syndicale, prévue à 28F l’article L411-10 du Code du Travail pour agir en justice pour les salariés d’une entreprise pour le compte de toute la profession 305. 283F 193. Les actions en représentation visant la défense de l’intérêt personnel des personnes représentées ne sont pas l’expression de la délégation, à des organismes habilités, d’une mission d’utilité publique, similaire à celle afférente aux actions en défense des intérêts collectifs, protégeant alors un intérêt général supérieur ou tout du moins protégeant le même intérêt général supérieur. Pour ces actions, l’intention du législateur apparaît sensiblement différente. En effet, en revenant aux origines de l’action en représentation conjointe, ouverte aux associations de consommateurs agréées, il est possible de constater que l’objectif recherché était le renforcement de l’effectivité du droit d’accès au juge. En effet, cette action est la résultante d’un premier débat sur l’introduction des actions de groupe en droit français 306. Cet argumentaire demeure dans le débat actuel 307. Il s’agit de mettre en 284F 285F avant la nécessité de faciliter le recours au juge, pour toutes les personnes, pour qui les lourdeurs et les coûts de la procédure judiciaire peuvent avoir un effet dissuasif quant à l’introduction de procédure en justice pour obtenir réparation de leur préjudice, et en particulier pour les personnes les plus démunies. L’action de groupe ou l’action en représentation à l’époque, permettant au-delà de l’agrégation des demandes, la prise en charge de la conduite de la procédure par un tiers, apparaissent comme des moyens de renforcer l’accès au juge, plus que de garantir l’effectivité du droit subjectif sous jacent, même si l’action y contribue in fine. Le débat aujourd’hui porte essentiellement sur les recours en justice pour les petits litiges, c'est-à-dire les litiges de faibles valeurs, qui concernent potentiellement un grand nombre de personnes. 304 En droit boursier, selon l’article L452-1 du Code monétaire et financier, « les associations régulièrement déclarées ayant pour objet statutaire explicite la défense des investisseurs en titres financiers ou en produits financiers peuvent agir en justice devant toutes les juridictions même par voie de constitution de partie civile, relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des investisseurs ou de certaines catégories d'entre eux ». 305 Des prérogatives similaires sont conférées aux associations de défense de l’environnement, et aux unions nationales et départementales des associations familiales. 306 E. Jeuland, Expérience nationale : La France, dans Les Recours collectifs : Etude comparée, journée d’études du 27 janv. 2006, Actes publiés, Editions Société de législation comparée, Colloques, vol. 5, p. 78. 307 Cour de justice des communautés européennes (CJCE), 20 sept. 2001, aff. C-453/99, Courage et Crehan, Recueil 2001, p. I-6297, et CJCE, 13 juil. 2006, affaires jointes C-295–298/04, Manfredi, Recueil 2006, p. I-6619 ; Voir également le Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne du 2 avr. 2008, COM(2008) 165 final ; Proposition de directive relative aux règles régissant les actions en dommages et intérêts pour infraction aux articles 81 et 82 du traité, Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, avr. 2009, version nonofficielle. 89 194. Ainsi, dans les actions en représentation, la délégation de la qualité à agir pour autrui, est motivée par la volonté du législateur de renforcer le droit d’accès au juge, dans des domaines particuliers où il existe une situation de déséquilibre potentiel entre le (ou les) demandeur(s) et le (ou les) défendeur(s). 195. Conclusion du A). La représentation en justice par un tiers, caractéristique intrinsèque de l’action de groupe, a ainsi pu être autorisée par le législateur français, pour la défense de certaines catégories de personnes dans des domaines du droit limités. La délégation de la qualité à agir a pu se faire pour la défense d’intérêts personnels, comme cela serait le cas pour l’action de groupe. Le but du législateur était alors de renforcer le droit à l’accès au juge des justiciables, placés dans une situation de faiblesse. Cependant, ces autorisations n’ont été octroyées qu’à des organismes offrant des garanties de contrôle sur leur action et ce, que ce soit pour la défense d’un intérêt collectif comme pour la défense d’un intérêt personnel. Ces contrôles sont réalisés au travers l’attribution par les pouvoirs publics d’un agrément ou par la représentation syndicale. B) L’octroi d’une qualité à agir pour autrui, à des organismes habilités 196. La qualité à agir pour la défense des intérêts personnels d’autrui a été conférée par les pouvoirs publics à des syndicats ou à des associations agréées. Les syndicats offrent par leur nature de nombreuses garanties quant à l’exercice de leurs prérogatives 308. Les conditions de création et de 286F contrôle de l’activité des syndicats qui apparaissent comme tout à fait spécifiques ne seront pas abordées. En revanche, il est intéressant de s’attarder sur le contrôle étroit par les pouvoirs publics de l’activité des associations de défense, opéré à travers l’octroi et le renouvellement d’un agrément (1) et sur ce défaut d’agrément pour le Demandeur Représentatif pour les actions de groupe (2). 1) Des organismes légitimés par un agrément 197. En matière de droit de la consommation 309 comme en matière boursière 310, au-delà d’un objet 287F 28F statutaire explicite pour la défense, d’une part, des consommateurs et, d’autre part, des investisseurs en valeurs boursières ou en produits financiers, les associations doivent recevoir un agrément par les pouvoirs publics pour mettre en œuvre ces actions. Cet agrément est accordé aux associations 308 S. Guinchard, Une class action à la française ?, Recueil Dalloz 2005, p. 2180. C. conso. , art. L421-1. 310 C. mon. fin., art. L451-1 (issu de la loi n° 88-14, du 5 janv. 1988, relative aux actions en justice des associations agréées de consommateurs et à l'information des consommateurs, art. 12, abrogé par l’ordonnance n° 2000-1223, du 14 déc. 2000, art. 4, JORF du 16 déc. 2000). 309 90 nationales par un décret conjoint signé par le Garde des sceaux et le Ministre chargé de la consommation, ainsi que pour les associations de défense des investisseurs par le Ministre de l’Economie et des finances. Pour les associations locales en matière de consommation, l’agrément sera consenti par le préfet. Les pouvoirs publics vont, pour cela, procéder à un contrôle a priori de l’action des associations de défense au travers de l’examen des conditions d’octroi de l’agrément à l’association (a) et également à un contrôle a posteriori avec la procédure de renouvèlement ou de retrait de l’agrément (b). (a) Les conditions d’obtention de l’agrément 198. Avant toute chose, les associations doivent être régulièrement déclarées auprès de la Préfecture et être indépendante de toute forme d'activité professionnelle 311. Une fois cette condition remplie, 289F l’octroi de l’agrément se fait après avis du Ministère public, soit du procureur général près la cour d’appel dans le ressort de laquelle l’association a son siège, et également pour les associations de défense des investisseurs, de l’avis de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF). 199. Les conditions de l’agrément pour les associations de consommateurs. Pour les associations de consommateurs, l’agrément est accordé à toute association « 1° Qui justifie à la date de la demande d'agrément d'une année d'existence à compter de sa déclaration ; 2° Qui, pendant cette année d'existence, justifie d'une activité effective et publique en vue de la défense des intérêts des consommateurs, appréciée notamment en fonction de la réalisation et de la diffusion de publications de la tenue de réunions d'information et de permanences ; 3° Qui réunit, à la date de la demande d'agrément, un nombre de membres cotisant individuellement : a) Au moins égal à 10 000 pour les associations nationales, cette condition pouvant ne pas être exigée des associations se livrant à des activités de recherche et d'analyse de caractère scientifique ; b) Suffisant, eu égard au cadre territorial de leur activité, pour les associations locales, départementales ou régionales »312. 290F 200. Les conditions spécifiques de l’agrément pour les associations de défense des investisseurs. Pour les associations de défense en matière boursière, selon l’article L451-1 du Code monétaire et financier, il s’agit des « associations agréées, dans des conditions fixées par décret, après avis du 311 312 C. conso. , art. L421-1. C. conso. , art. R411-1 (crée par le Décret n° 97-298 du 27 mars 1997, art. 1 (V), JORF du 3 avr. 1997). 91 ministère public et de l'Autorité des marchés financiers, lorsqu'elles justifient de six mois d'existence et, pendant cette même période, d'au moins deux cents membres cotisant individuellement et lorsque leurs dirigeants remplissent des conditions d'honorabilité et de compétence fixées par décret 313 291F ». 201. L’activité des associations de défense, ayant obtenu l’agrément, est, de plus, contrôlée annuellement par les pouvoirs publics. Les associations de consommateurs agréées doivent rendre un rapport annuel à la Direction Général de la Consommation, de la Concurrence et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) 314 et les associations de défense des investisseurs sont tenues par des 29F obligations annuelles comptables comprenant un rapport de gestion de l’association 315. Ce contrôle 293F est prolongé, dans le temps, grâce à la procédure de renouvellement et de retrait de l’agrément. 313 C. mon. fin., art. D452-2 : « Pour que l'association puisse obtenir l'agrément, ses membres dirigeants, au sens de l'article 5 de la loi du 1er juil.1901 susvisée, doivent remplir les conditions suivantes : 1° Avoir la majorité légale ; 2° Justifier : a) Soit du baccalauréat ou un diplôme équivalent ; b) Soit d'une formation professionnelle adaptée dans le domaine économique, juridique et financier ; c) Soit d'une expérience professionnelle d'une durée minimale de deux ans dans le domaine économique, juridique et financier. Cette expérience doit avoir été acquise au cours des cinq années précédant la désignation des intéressés comme dirigeants de l'association ; 3° Ne pas avoir fait l'objet d'une condamnation définitive mentionnée au II de l'article L. 500-1 depuis moins de dix ans ou de la durée prévue en application du III de cet article ; 4° Ne pas faire l'objet : a) D'une interdiction d'exercer à titre temporaire ou définitif une activité ou un service, en application des dispositions de l'article L. 621-15 ou au titre d'une sanction prononcée avant le 24 nov. 2003 par la Commission des opérations de bourse, le conseil des marchés financiers ou le conseil de discipline de la gestion financière ; b) Des sanctions prévues aux 4 et 5 de l'article L. 613-21 ou aux 3° à 5° de l'article L. 310-18 du code des assurances ; c) D'une mesure de faillite personnelle ou une autre mesure d'interdiction dans les conditions prévues par le livre VI du code de commerce ou, dans le régime antérieur, à l'article 108 de la loi n° 67-563 du 13 juil.1967 sur le règlement judiciaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et les banqueroutes, pendant la durée de celle-ci ; Une déclaration sur l'honneur est produite à cet effet par les personnes mentionnées au premier alinéa du présent article »; Décret n° 2005-1211 du 21 sept. 2005 portant application de l'article 126 de la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière relatif aux conditions d'agrément d'associations de défense des investisseurs, NOR: ECOT0420036D. 314 Arrêté du 21 juin 1988, J.O. du 30 juin 1998. 315 C. mon. fin., art. D452-7: « Les associations rendent compte annuellement de leur activité selon des modalités fixées par arrêté pris dans les formes prévues à l'article D. 452-5. Les associations établissent des comptes annuels. Ces comptes annuels comportent un bilan, un compte de résultat et une annexe selon les principes et méthodes comptables définis au code de commerce et dans les textes pris pour son application, sous réserve des adaptations que rend nécessaires leur forme juridique ou la nature de leur activité. Le plan comptable applicable à ces associations est approuvé par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, et des ministres chargés de l'économie et du budget, après avis du Conseil national de la comptabilité. Si des particularités d'activité, de structure ou d'opérations le justifient, des adaptations pourront être apportées, dans les mêmes formes, aux dispositions de ce plan comptable. Les comptes annuels sont soumis, en même temps que le rapport de gestion, à l'approbation de l'organe délibérant au plus tard dans les six mois de la clôture de l'exercice, et le cas échéant, transmis aux commissaires aux comptes quarante-cinq jours au moins avant la réunion à laquelle ils doivent être approuvés. Ce délai peut être prorogé à la demande du représentant légal de la personne morale, par ordonnance du président du tribunal de grande instance, statuant sur requête », Décret n° 2005-1211, 21 sept. 2005, op. cit. 92 (b) La procédure de renouvellement ou de retrait de l’agrément 202. Un agrément à validité limitée. L’agrément est octroyé pour une durée de 5 ans 316 en matière de 294F consommation et pour une durée de 3 ans en matière boursière 317. Ainsi, il incombe aux associations 295F de procéder à une demande de renouvellement de l’agrément à compter de l’expiration du délai de l’agrément initial, qui va donner lieu à un nouvel examen de l’activité de l’association. Ce renouvellement est octroyé, dans les mêmes conditions, que celles requises pour l’octroi de l’agrément initial 318. Si ces conditions ne sont plus remplies, pendant le délai de l’agrément, ce 296F dernier peut être retiré à l’association par les pouvoirs publics compétents sur décision motivée 319. 297F 203. Ainsi, les associations, auxquelles des prérogatives, dérogatoires au droit commun, sont octroyées, en vue de la défense des intérêts personnels des consommateurs et des investisseurs, sont soumises à un contrôle strict et régulier de leur activité, par les pouvoirs publics. Ces derniers vont contrôler, au travers des conditions d’octroi de l’agrément, tant la représentativité constante de l’organisme que son dynamisme quant à la poursuite de sa mission. En outre, ce contrôle apparaît d’autant plus légitime qu’un financement de l’Etat accompagne l’agrément. Cette question du financement de l’action sera examinée ultérieurement. Les garanties offertes par l’octroi de l’agrément à l’association par les pouvoirs publics, dans le cadre des actions en représentation vont cependant faire défaut dès lors que l’on se trouve en présence d’une action de groupe. 2) La dispense d’agrément pour le Demandeur Représentatif 204. L’action de groupe se caractérise par le fait qu’un demandeur entend exercer son droit à l’action devant les juridictions judiciaires pour obtenir réparation de son propre préjudice, mais également pour toute autre personne placée dans une situation similaire à la sienne. Pour ce faire, il adresse une demande au juge, qui, en fonction des circonstances de l’espèce, l’autorisera ou non à agir en justice pour autrui. En transposant le raisonnement opéré dans l’analyse de l’article 31 CPC et l’application qui en a été faite par le législateur français, il apparaît que la délégation de la qualité à agir pour autrui serait opérée au profit d’un justiciable « ordinaire ». Cette délégation de la qualité à agir pour 316 C. conso., art. R411-1 (crée par le Décret n° 97-298, 27 mars 1997, art. 1 (V), JORF du 3 avr. 1997). C. mon. fin., art. D452-3; Décret n° 2005-1211, 21 sept. 2005, op. cit. 318 C. conso., art. R411-2 et C. mon. fin., art. D452-3. 319 C. conso., art. R411-7 et C. mon. fin., art. D452-8. 317 93 autrui lui serait ainsi accordée, à titre général, en fonction des circonstances de l’espèce (a). De plus, le contrôle et l’autorisation de la délégation seraient opérés par un juge et non par le législateur (b). (a) Une qualité à agir pour autrui, octroyée à un individu ou la consécration d’une « dérogation à un caractère général » 205. Une qualité à agir pour autrui octroyée à tout justiciable ordinaire. Dans le cadre de l’action de groupe, la délégation ne serait pas opérée envers un organisme spécialement habilité à la défense d’une catégorie d’individus en fonction de son objet social, mais à un justiciable ordinaire, qui considèrerait que son action pourrait profiter à d’autres que lui. Une « dérogation à caractère général » serait ainsi instaurée. Elle pourrait bénéficier, à tout à chacun, dès lors que d’autres personnes auraient souffert d’un préjudice similaire à celui du Demandeur Représentatif et que ce dernier a la volonté d’agir en ce sens. 206. Les qualités du représentant pour agir en justice pour autrui. La logique mise en œuvre dans le cadre des actions en représentation est alors toute différente de celle qui serait adoptée pour les actions de groupe. Cette délégation d’une qualité à agir pour autrui dans le cadre des actions en représentation vise à renforcer le droit d’accès au juge de certaines catégories de personnes en permettant à un organisme, habilité à cet effet, de porter leurs demandes au nom et pour le compte de ces dernières. Le transfert du risque financier sur l’association et la prise en charge de la procédure par cette dernière permettent que des actions en indemnisation soient portées devant le juge à titre collectif là où elles ne l’auraient pas été à titre individuel. De plus, recourir à des associations dont l’activité est contrôlée régulièrement par les pouvoirs publics permet de prévenir les risques d’actions abusives. Il faut souligner que les associations agréées ne poursuivent pas de but lucratif. 207. Dans le cadre de l’action de groupe, tout justiciable pourrait se voir conférer cette mission dès lors que d’autres personnes auraient potentiellement subi un préjudice similaire au sien. Mais se pose la question de l’incitation du justiciable à aller porter son action en justice, ne serait ce que pour son propre compte, dès lors qu’il devra assumer les frais de justice et que son préjudice est de faible valeur. Aux Etats-Unis, ces actions sont fréquentes car les cabinets d’avocats prennent en charge les coûts et la conduite de la procédure. De plus, les dommages et intérêts prononcés par les juges sont beaucoup plus importants que ceux prononcés par les juges européens du fait notamment des 94 dommages et intérêts punitifs 320, ce qui permet aux avocats d’y trouver un intérêt financier majeur. 298F Cependant, tant les Contingency fees agreements 321 que les dommages et intérêts punitifs sont 29F inconnus de nos systèmes de droit. De plus, ils sont les premières causes invoquées pour expliquer les dérives financières du système judiciaire, contre lesquelles les autorités américaines tentent de lutter 322. Ainsi les choix laissés aux législateurs européens sont plus limités dès lors qu’ils cherchent 30F à adopter une procédure efficace afin de garantir un accès au juge, dans le cadre de petits litiges, tout en tentant de pallier les actions abusives potentielles. 208. En revanche, ces actions peuvent tout de même avoir un intérêt certain dès lors que l’enjeu du litige est plus important. Dans ce cas, l’incitation financière du demandeur peut être la propre réparation de son préjudice et l’attrait pour agir pour autrui peut résider dans l’obtention de preuves supplémentaires en possession des personnes placées dans une situation similaire à la sienne. Mais la question des critères de dérogations à la règle générale de l’action individuelle demeure alors, surtout en l’absence de prise en charge de la procédure par un cabinet d’avocats, habilité spécialement par le juge. 209. Le cas des organismes ad hoc. Les autorités communautaires de la concurrence notamment ont également envisagé le cas, des organismes ad hoc, c'est-à-dire spécialement créés pour représenter en justice une catégorie de personnes, mais seulement pour un litige donné 323. Dans ce cas, certes, 301F un contrôle des pouvoirs publics pourraient être exercés en amont de l’habilitation. Cependant, cette habilitation ne pourrait être donnée sur des critères similaires à ceux adoptés dans le Code de la 320 Les dommages et intérêts punitifs (punitive damages) sont des « dommages et intérêts octroyés en plus des dommages et intérêts compensatoires lorsque le défendeur a agi avec insouciance, malice ou tromperie; Spéc. Dommages et intérêts octroyed en vue de sanctionner l’auteur d’une mauvaise conduite ou de faire un exemple pour les autres. Les dommages et intérêts punitifs qui ont pour objet de punir et de dissuader les conduites blamables ne sont généralement pas octroyés en cas de violation des termes d’un contrat. La Cour Suprême a considéré que trois règles pouvaient aider à déterminer si l’allocation de dommages et intérêts punitifs violaient les règles constitutionnelles du Due process: (1) le caractère répréhensible de la conduite punie; (2) le caractère raisonnable du lien entre le préjudice causé et le montant des dommages et intérêts punitifs; et (3) la différence entre le montant de ces dommages et intérêts punitifs et les sanctions civiles autorisée dans un cas comparable, BMW of North America, Inc. v. Gore, 517 U.S 559, 116 S. Ct 1589 (1996) […] », Black Law Dictionnary, Garner (B. A.), Rédacteur en chef, West Publishing Company, 9ème éd., 2009, p. 448 ; Voir Infra § 268. 321 Les “Contingency Fees Agreements” (ou Pacte de quota litis) sont des conventions d’honoraires qui prévoient que les honoraires ne seront versés à l’avocat en contrepartie de ses services de conseil et de représentation qu’à condition que le procès aboutisse à un jugement en faveur du client ou à une transaction favorable à ce dernier (“A fee charged for a lawyer’s services only if the lawsuit is successful or is favorably settled out of Court”), Black’s Law dictionary, Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 362. 322 Voir en ce sens les réformes opérées en matière de droit boursier, Supra §. 141. 323 Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, 2 avr. 2008, COM(2008)165 final. 95 consommation ou dans le Code monétaire et financier, les associations ad hoc ne justifiant pas d’une durée d’existence minimum, ni d’une activité régulière. De plus, la mise en œuvre de cette procédure d’agrément par les pouvoirs publics pourrait être difficilement conciliable avec les délais de l’action en justice. Ainsi, cette solution apparaît approchante de celle consentie jusqu’alors par le législateur français aux associations agréées. Il pourrait également, comme pour le Demandeur représentatif dans le cadre de l’action de groupe, être envisagé de déléguer le contrôle de la représentativité et des qualités de représentation de l’organisme au juge. (b) Une délégation de la qualité à agir pour autrui par le juge 210. Une délégation de la qualité à agir pour autrui consentie d’une manière générale à tout citoyen par le législateur et mise en œuvre au cas par cas par le juge. Ensuite, bien que la procédure d’action de groupe repose nécessairement sur l’adoption d’un texte de loi, l’attribution de la qualité à agir se ferait de facto par le juge par l’analyse des conditions de certification du groupe, en fonction des circonstances de l’espèce. Dans ce sens, Mme Frison Roche déclare que « l’admission que l’on puisse agir « sans intérêt » et obtenir du juge l’attribution d’une qualité pour mener la procédure, est le socle de la class action »324. Il s’agirait, pour le législateur d’acter, par principe, à la possible 302F dérogation au principe de l’action individuelle en justice et d’en laisser l’application au juge et à sa libre appréciation, en fonction des circonstances de l’espèce et suivant des critères définis par avance. 211. Conclusion du §1). L’intérêt direct et personnel à agir du demandeur s’oppose, dans différents pays européens de tradition romano-germanique, comme en France, ou en Belgique, à la possibilité d’agir en justice pour la défense des intérêts d’autrui. Cependant, l’exemple de la France montre que des dérogations ont pu être conférées à certains organismes afin de garantir le droit d’accès au juge, dans certains domaines du droit où une protection particulière des justiciables a été jugée nécessaire, comme en droit de la consommation. Il s’agit des actions en représentation. Transposer, aux actions de groupe, le raisonnement appliqué aux actions en représentation, dans le cadre de l’article 31 CPC, reviendrait à permettre au juge d’accorder, au cas par cas, à un justiciable une dérogation au principe de représentation individuelle en justice. Il s’agirait alors de définir très précisément les conditions devant être réunies pour que le Demandeur représentatif ou, de même, une association ad hoc puissent se faire conférer par le juge une qualité à agir pour autrui. Les conditions prévues dans le 324 M.-A. Frison-Roche, Les résistances mécaniques du système juridique français à accueillir la class action: obstacles et compatibilités, op. cit. 96 cadre des actions en représentation sont, en effet, très strictes pour les associations de consommateurs afin de préserver le caractère exceptionnel de l’utilisation d’une telle procédure et de prévenir le risque d’abus. §2) L’action de groupe et les conditions de la certification dans les pays européens 212. Aux Etats-Unis, le législateur a posé des conditions de certification de la class très strictes, renforcées par un contrôle du juge poussé. Ainsi le justiciable qui veut agir dans le cadre d’une action de groupe doit démontrer que les demandes potentielles sont si nombreuses qu’elles s’opposent à la jonction de procédures ; qu’elles portent sur des questions de droit ou de fait similaires ; que les demandes du Demandeur représentatif sont typiques de celles des personnes représentées ; et que le Demandeur représentatif défendra, de manière juste et adéquate, les intérêts des membres de la class. Cette dernière condition concerne aussi bien la personne du demandeur que le cabinet d’avocat choisi qui sera en charge de la défense des intérêts du Demandeur représentatif comme de l’ensemble des membres de la class (Class Counsel). Enfin, dans les actions en indemnisation, la procédure devra apparaître comme la plus appropriée, avec la condition de Superiority qui oblige le juge à vérifier que d’autres procédures ne permettraient pas de rendre un jugement plus juste, et plus efficient. De plus, la condition de Predominance exige que les questions de droit ou de fait communes à l’ensemble des membres du groupe soient plus nombreuses que les questions individuelles que soulève le litige. 213. Ces conditions se retrouvent dans la plupart des pays européens, qui ont adopté une procédure d’action collective ouverte à tout justiciable, y compris les personnes privées. L’énoncé de ces conditions varie selon les pays, mais la marge de manœuvre plus ou moins importante laissée aux juges nationaux permet d’aboutir à des conditions similaires (A). Ces conditions sont assez proches des conditions d’agrément consenties aux associations, ce qui laisserait une marge de manœuvre aux législateurs pour déroger par ce biais à l’exigence d’un intérêt personnel et direct à agir des justiciables, tout en préservant les garanties qui doivent être prises pour prévenir toute action abusive (B). 97 A) Les conditions d’admissibilité des demandes dans les pays européens dotés d’une action de groupe 214. La plupart des pays européens dotés de procédures d’action collective ont adopté des conditions d’admissibilité de la procédure équivalentes aux conditions de certification de la class action aux Etats-Unis. Par exemple, au Danemark, dans la procédure d’action de groupe adoptée en 2007 325, le 30F législateur a considéré, tout d’abord, que les demandes doivent être uniformes, c'est-à-dire qu’elles doivent être fondées sur les mêmes questions de droit et de fait. Ensuite, la Cour saisie doit être compétente pour connaître des demandes, conformément aux règles de compétence applicables aux juridictions danoises. De plus, l’action de groupe doit apparaître comme le meilleur moyen de connaître des demandes multiples, c'est-à-dire le moyen le plus juste et le plus efficient. Un comparatif doit être fait avec les autres modes de traitement des demandes multiples comme la jonction de procédure. Encore, il doit être possible d’identifier les membres du groupe de personnes représentées de manière appropriée, soit via la notification individuelle, soit par voie de presse. Enfin, un représentant, capable de représenter au mieux les intérêts des autres membres doit être nommé 326. Des conditions similaires de recevabilité de l’action se retrouvent en Norvège 327, et en 304F 305 F Suède 328. 306F 215. Ces conditions, portant sur l’admissibilité de la procédure, se retrouvent également dans les procédures d’actions collectives, qui peuvent être qualifiées d’« originales ». Ainsi, aux Pays-Bas, le législateur a adopté une procédure extrajudiciaire de transaction collective 329, qui permet aux 307F associations de défense de négocier une solution à l’amiable aux litiges de masse au nom et pour le compte des personnes ayant souffert d’un préjudice. Cette procédure nécessite alors que l’accord trouvé entre les parties soit homologué par le juge afin d’en permettre la publicité. Dans ce cadre, des conditions d’admissibilité similaires à celles prévues par la Règle 23 FRCP sont prévues 330. La 308F différence réside dans le fait que ces conditions ne seront pas vérifiées a priori lors du contrôle de recevabilité de la procédure, mais a posteriori c'est-à-dire au stade de l’homologation de l’accord par le juge. Le juge contrôle divers éléments de la transaction afin de déterminer si elle est juste et 325 Loi n° 181/2007, qui est venue introduire un §. 254 dans le Code de l’Administration de la justice. Le législateur danois a posé les conditions de recevabilité de l’action de groupe au §. 254(b) du Code de l’Administration de la Justice. 327 Loi n° 90 du 17 juin 2005 relative à la médiation et à la procédure judiciaire en matière civile, Section 35-2. 328 Loi du 30 mai 2002 relative aux procdures judiciaires collectives. 329 Loi du 23 juin 2005 portant modification du Code civil et du Code de procédure civile, destinée à faciliter le règlement collectif des dommages de masse (Wet collective afhandeling massachade-WCAM). 330 Ibid. 326 98 raisonnable, parmi lesquels l’existence de demandes similaires et multiples, qui permettent de justifier le recours à cette procédure et les qualités de représentation de l’association ou de la fondation, qui a négocié l’accord avec le défendeur 331. Le critère de la représentation est, dans le 309F cadre de cette procédure, très important car s’il n’est pas rempli, il peut conduire au refus d’homologation de l’accord. Cette disposition de la loi néerlandaise justifie alors que plusieurs associations puissent engager, de manière séparée, des négociations visant la transaction collective des mêmes faits 332. 310F 216. De même, en Finlande, le législateur n’a décidé de recourir à la procédure d’action collective que dans des circonstances limitées puisque le système d’action en représentation adopté 333 est 31 F seulement ouvert à l’Ombudsman chargé des affaires de consommation 334. Cette procédure a été 312F créée comme un système complémentaire du celui des réclamations collectives mis en œuvre devant le Bureau des Consommateurs. Les consommateurs finnois qui rencontrent un problème avec un professionnel peuvent, en effet, porter réclamation au Bureau des Consommateurs, qui va, au regard des circonstances, émettre une recommandation pour régler le différend. En cas de non respect de cette recommandation, l’Ombudsman chargé des affaires de consommation peut engager une action de groupe devant la juridiction compétente 335. Le législateur finlandais a, lui-aussi, défini sur le 31F modèle de l’action de groupe américaine des conditions d’admissibilité, propres à cette procédure, pour vérifier la justification du recours à ce type de procédure. Il examine s’il existe une pluralité de demandeurs potentiels, qui peuvent justifier d’un préjudice causé par un même comportement du ou des défendeurs. Il n’existe pas de numerus clausus, mais les demandes potentielles doivent être suffisamment nombreuses pour justifier du recours à la procédure d’action en représentation. Dans 331 M.-J. Van der Heijden, Class actions/actions collectives, National Report: Nederland’s, p. 10-11, dans Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, 6ème Conférence annuelle sur le thème Strategies for Litigating, 6 & 7 mai 2010, Hotel Renaissance Seattle à Seattle, WA. 332 M.-J. Van der Heijden, Class actions/actions collectives, National Report: Nederland’s, p. 8, préc.; Le juge doit tenir compte d’autres facteurs pour déterminer si l’accord est juste et raisonnable. Il s’appuie sur la nature et la mesure du préjudice, l’opportunité de la méthode utilisée pour déterminer le montant du préjudice, les actifs de la société en défense, et la nature de la relation entre la société et les personnes intéressées à l’accord, voir Class actions/actions collectives, National Report: Nederland’s, op. cit., p.8-9. 333 Loi n° 444/2007 sur les actions de groupe; voir aussi Prof. Antti Jokela, Class Actions in Finland, p. 1, dans Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, 6ème Conférence annuelle sur le thème Strategies for Litigating, 6 & 7 mai 2010, Hotel Renaissance Seattle à Seattle, WA. 334 « Terme suédois, désignant une personnalité indépendante, charge dans certains pays (pays scandinaves, GrandeBretagne…) d’examiner les plaintes formulées par les citoyens contre les autorités administratives, et d’intervenir, s’il y a lieu, auprès du gouvernement », Lexique des termes juridiques 2012, Guinchard (S.) et Debard (T.), Dalloz, 19ème éd., 2011, p. 600. 335 Prof. Antti Jokela, Class Actions in Finland, p. 1, dans Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, 6ème Conférence annuelle sur le thème Strategies for Litigating, 6 & 7 mai 2010, Hotel Renaissance Seattle à Seattle, WA. 99 ce cadre, l’Ombudsman doit définir, de manière très précise, la nature des demandes afin de permettre au juge un tel contrôle 336. Dans ce cas, les conditions ne portent pas sur les qualités de 314F représentation du demandeur, mais seulement sur la similarité et la multitude de demandes, ce qui s’explique par le fait que seul l’Ombudsman, un organisme public, peut agir. 217. En Italie, pour l’azione di gruppo 337, le législateur italien a posé la règle que « lors d'une première 315F audience, le tribunal rejette la demande si elle est manifestement infondée, s'il constate un conflit d'intérêt, si les droits individuels invoqués pour recourir à l'action de groupe ne sont pas identiques, ou si le demandeur n'est pas capable de gérer de façon adéquate l'intérêt du groupe. La décision juridictionnelle détermine notamment le cours de la procédure dans le respect du principe du contradictoire et dans le cadre d'un procès équitable, efficace et rapide »338. La condition de 316 F Commonality, qui a trait à l’existence de questions de droit ou de fait communes aux différentes demandes potentielles, se retrouve dans cette disposition. Une différence de rédaction avec la Règle 23 FRCP, qui exige que la requête du Demandeur représentatif présente des questions de droit et de fait similaires à celles des demandes des membres du groupe, est à noter. Cette différence s’explique par la possibilité laissée aux associations de défense italiennes, mandatées à cet effet, de saisir le tribunal pour engager une telle action. Ces dernières ne pourront pas se prévaloir de leur propre préjudice, mais seulement des préjudices subis par les personnes qu’elles représentent. Ensuite, le juge italien contrôle les qualités de représentation du demandeur en s’assurant, d’une part, qu’il est « capable de gérer de façon adéquate l’intérêt du groupe » et, d’autre part, qu’il n’existe pas de conflit d’intérêt entre le demandeur principal et les membres du groupe de personnes représentées. 218. Depuis l’entrée en vigueur le 1er janvier 2010 de la loi italienne sur les actions de groupe, les recours se sont multipliés, ce qui a permis au juge italien d’exercer son contrôle sur les conditions de recevabilité de l’action et d’en donner une interprétation stricte, à l’instar des juges américains. Ainsi, dans une ordonnance du 27 avril 2010, le Tribunal de Turin 339 a précisé les conditions 317F 336 Ibid, p. 2. L’action de groupe est issue, en Italie, de la loi n° 99 du 23 juil. 2009 intitulée “Disposizioni per lo sviluppo e l'internazionalizzazione delle imprese, nonché in materia di energia" (pubblicata nella Gazzetta Ufficiale n. 176 del 31 luglio 2009 - Supplemento ordinario n. 136), qui est venue introduire un article 140-bis dans le Code de la Consommation. 338 C. Conso. It., art. 140-bis (6):“La domanda è dichiarata inammissibile quando è manifestamente infondata, quando sussiste un conflitto di interessi ovvero quando il giudice non ravvisa l'identità dei diritti individuali tutelabili ai sensi del comma 2, nonchè quando il proponente non appare in grado di curare adeguatamente l'interesse della classe”; Voir aussi Les actions de groupe, Les documents de travail du Sénat, série Législation comparée, n° LC 206, 6 mai 2010, p. 10. 339 En Italie, le législateur a donné compétence pour connaitre des recours introduits sous la disposition 140- bis du Code de la consommation à seulement onze tribunaux, dont le Tribunal de Milan; voir en ce sens Les actions de groupe, Les documents de travail du Sénat, série Législation comparé, n° LC 206, mai 2006. 337 100 relatives à la légitimité du demandeur à agir. Il considère que : « il n'y a pas de légitimité parce que le demandeur a l'intention de représenter les intérêts de la classe, mais parce que ses intérêts coïncident avec ceux de la classe […]»340. De même, la Cour d’appel de Milan, qui se prononçait en 318F appel sur l’admissibilité d’un recours porté devant le Tribunal de Milan 341 précise que le tribunal 319F doit d'abord s'assurer de la qualité pour agir de la requérante, en sa qualité d’association de défense et ce, bien que le paragraphe 6 de l'article 140 bis ne prévoit pas expressément cette condition d’admissibilité de l'action de groupe. Elle doit être considérée comme relevant de la condition selon laquelle l’action ne doit pas être manifestement infondée, de sorte que l’absence de qualité pour agir conduit à la déclaration d'irrecevabilité de l'action 342. 320F 219. Seul le Portugal ne connaît pas de conditions de recevabilité équivalentes aux conditions de certification dans le système américain 343. Le seul contrôle a priori dans le cadre de l’action 321F populaire portugaise est celui de la légalité de la demande, opéré par le Procureur de la République et du bien-fondé de cette dernière effectué par le juge 344. Cette absence de contrôle de l’opportunité 32 F de la procédure a pu surprendre et même inquiéter certains auteurs 345. Cela est d’autant plus 32F étonnant que le système retenu au Portugal est celui de l’opt out, qui prévoit une représentation très large des victimes potentielles. Cependant, il faut rappeler que cette action populaire n’est pas récente. Elle trouve ses origines au 16ème siècle. Il s’agissait alors de pallier une carence de la puissance publique du fait d’une initiative populaire 346. Avec la loi du 31 août 1995 347, l’action 324F 325F populaire réservée aux litiges mettant en cause les pouvoirs publics, a été étendu à d’autre domaine 340 Sentenza Tribunale Torino, 27. 5.2010 : “in altre parole non sussiste la legittimazione perché il proponente intende rappresentare gli interessi della classe ma perché il suo interesse coincide con quello della classe essendo egli portatore del medesimo diritto individuale omogeneo di cui sono titolari gli appartenenti alla classe”. 341 Sentenza Tribunale Milano, 16-20 dicembre 2010. 342 Corte d’appello di Milano, Sezione prima civile, 19 aprile 2011, Voden Medical Instruments s.p.a e. Codacons, Coordinamento delle associazioni e dei comitati di tutela dell’ambiente e dei diritti degi utenti e dei consumatori, n°130/2011: “Il Tribunale deve innanzitutto verificare la legittimazione attiva del proponente che, anche se il 6° comma dell’art 140 bis non prevede espressamente che rientri nella verifica delle condizioni per l’ammissibilità dell’azione, deve ritenersi rientri nel giudizio di manifesta infondatezza dell’azione sicché l’eventuale difetto di legittimazione attiva conduce alla dichiarazione di inammissibilità dell’azione”. 343 H. Sousa Antunes, Class Actions, Group Litigation & Other Forms of Collective Litigation (Portuguese Report), p. 23, dans The Globalization of class actions, Conference internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 344 Loi n° 83/95 du 31 août 1995, art. 13, voir également H. Sousa Antunes, Class Actions, Group Litigation & Other Forms of Collective Litigation (Portuguese Report), p. 23, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 345 H. Sousa Antunes, Class Actions, Group Litigation & Other Forms of Collective Litigation (Portuguese Report), p. 23, dans The Globalization of class actions, Conference internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 346 Ibid. 347 Loi n° 83/95, art. 1. 101 du droit, comme en matière de santé publique, d’environnement, de qualité de vie, de protection des consommateurs, ou de protection de l’héritage culturel et ce, sans que ses modalités de mise en œuvre ne soient modifiées. Ensuite, le rôle peu conventionnel du procureur public dans ce type de procédure peut être souligné. Outre le contrôle a priori de la légalité de la demande, ce dernier peut se substituer au demandeur représentant le groupe dès lors qu’il décide de mettre fin à l’action, si une transaction qu’il estime inappropriée intervient ou si le représentant adopte un comportement inadéquat, eu égard à la défense des intérêts qu’il poursuit 348. Ces éléments peuvent expliquer, sinon 326F justifier pour partie, le fait que le législateur portugais n’ait pas adopté des conditions de recevabilité similaires à celles rencontrées dans les autres pays. De plus, il est intéressant de noter que, parmi les réformes du système de l’action populaire envisagée par le législateur portugais, figure le renforcement des critères de compétences des associations ad hoc également autorisées à agir, en leur imposant un agrément par l’Institut de la Consommation. Enfin, à l’instar de ce qui existe déjà en droit boursier, il serait demandé aux associations de posséder plus de 100 membres et d’exercer une activité depuis plus d’un an 349. 327F 220. A l’exception du Portugal, l’ensemble des pays européens qui ont adopté une procédure d’action de groupe ouverte aux personnes physiques assortit l’admissibilité de la procédure à des conditions qui portent tant sur la personne du représentant que sur la nature du litige et la multiplicité des demandes. Ces conditions paraissent indispensables en vue d’une part de prévenir les risques d’abus dans l’exercice de l’action par les personnes habilitées à le faire et d’autre part, de garantir la bonne administration de la justice en s’assurant que cette procédure dérogatoire au droit commun ne sera réservée qu’aux litiges de masse justifiant d’un tel recours350. B) Des conditions de certification de la class et d’agrément de nature à prévenir tout abus de procédure et une utilisation appropriée de cette procédure 221. On peut distinguer deux grandes catégories de conditions dans les législations décrites ci-dessus, qui poursuivent deux buts distincts. Le juge s’attache, d’une part, aux qualités de représentation du Demandeur représentatif et d’autre part, à la similarité du préjudice subi par un nombre important de personnes. Ces conditions se retrouvent dans la procédure d’agrément des associations de défense, seules habilitées en France à agir en représentation des intérêts personnels d’autrui (1). Ces 348 H. Sousa Antunes, Class Actions, Group Litigation & Other Forms of Collective Litigation (Portuguese Report), p. 11, dans The Globalization of class actions, préc. 349 Ibid., p. 29, dans The Globalization of class actions, préc. 350 Voir en ce sens A. Gidi, The Class Action Code: A Model for Civil Law Countries, Arizona Journal of International and Comparative Law, Vol. 23, p. 37, 2005, U of Houston Law Center No. 2006-A-20. 102 conditions visent toutes à la prévention des risques d’abus et à une utilisation appropriée de la procédure afin de garantir une bonne administration de la justice (2). 1) Des conditions de certification proches des conditions d’agrément 222. La recherche d’une représentation adéquate des membres du groupe. Tout d’abord, les personnes souhaitant représenter des tiers en justice doivent justifier de qualités de représentation pour être habilitées à tenir ce rôle. Dans l’action de groupe, il s’agit, pour le juge, outre le contrôle du bien-fondé des demandes, de vérifier que la personne qui va prendre en charge la conduite de la procédure est à même de le faire au mieux des intérêts des membres du groupe de personnes qu’elle entend représenter. Il examine si le représentant est financièrement assez solide pour mener l’action, si les intérêts des membres du groupe sont suffisamment proches des siens, s’il n’existe pas de conflit d’intérêts et si ses avocats sont suffisamment qualifiés et expérimentés pour connaître du cas 351. 328F 223. Dans le cadre de la procédure d’octroi d’un agrément, la représentativité des associations de défense est également au cœur des préoccupations des pouvoirs publics en France. En effet, ils vont vérifier que l’association est bien représentative du plus grand nombre, en examinant le nombre d’adhérents 352. De même, les pouvoirs publics contrôlent l’activité de l’association à travers les 329F rapports annuels qu’elle doit leur fournir comme à travers la durée de son existence. Ces éléments leurs permettent de vérifier que l’association dispose d’une certaine expérience dans la défense des droits de ses membres et qu’elle sera effectivement capable de conduire une procédure judicaire à bien dans l’intérêt des membres du groupe représenté. De plus, les associations agréées ne poursuivent pas de but lucratif, ce qui permet d’éviter tout conflit d’intérêt d’ordre financier avec les membres du groupe représentés. 224. Des demandes typiques de celles des membres du groupe. Le juge américain contrôle, également, lors de la phase de certification, si la demande formulée par le Demandeur Représentatif est typique de celles possiblement formulées par d’autres demandeurs se trouvant dans une situation similaire 353. Dans le cadre de l’action en représentation, la demande n’est pas propre à l’association 30F de défense agréée, qui n’a pas elle-même subi de préjudice. Les pouvoirs publics demandent à 351 Rule 23 FRCP. C. conso., art. R411-1 353 Rule 23 FRCP. 352 103 l’association de justifier de mandats 354, ce qui permettra au juge de vérifier que les affaires sur 31F lesquelles repose la demande de l’association sont caractéristiques des demandes potentielles d’autres personnes placées dans une situation similaire. Ces mandats vont être également utiles pour déterminer s’il s’agit d’un litige de masse. 225. Des questions multiples et similaires. Ensuite, le Demandeur représentatif dans le cadre de l’action de groupe doit justifier de l’existence de demandes multiples et similaires. Comme cela a été relevé, dans la plupart des systèmes ayant adopté une action de groupe, il n’existe pas de numerus clausus, le législateur laissant au juge le soin d’apprécier s’il est en présence d’un litige de masse 355. 32F Dans le système d’action en représentation, l’exigence porte, en France, sur a minima deux mandats 356, pour permettre de vérifier l’existence potentielle d’une pluralité de demandeurs placés 3F dans une situation similaire, c'est-à-dire dont les demandes présentent des questions de droit et de fait communes. Des conditions d’autorisation tenant aux qualités de représentation du Demandeur représentatif et à l’existence d’un litige de masse se retrouvent tant dans l’action de groupe, que dans l’action en représentation ouverte aux associations de défense agréées. Ces similarités s’expliquent par la poursuite de buts identiques, qui sont, d’une part, la prévention des actions abusives et, d’autre part, la recherche d’une bonne administration de la justice. 2) Action de groupe et action en représentation : des objectifs similaires 226. L’objectif de pallier les actions abusives. Tout d’abord, les conditions de représentativité tant dans le cadre de l’action de groupe que de l’action en représentation tendent à prévenir les dérives possibles dans l’utilisation des actions collectives. Les pouvoirs publics ont pour objectif d’éviter que le Demandeur représentatif agisse dans son propre intérêt au détriment des intérêts des personnes représentées et qu’il détourne l’exercice de la procédure à des fins purement financières. C’est pourquoi l’exercice de l’action est strictement limité aux seules associations agréées d’un coté 354 Il en est ainsi en France (C. conso., art. L 422-1 et s. et C. mon. fin., art. L452-1 et s.), mais également en Italie (C. conso. it., art.140-bis) ou encore aux Pays-Bas (Voir M.-J. Van Der Heijden, Class actions/actions collectives, National Report: Nederland’s, p. 3, dans Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, 6ème Conférence annuelle sur le thème « Strategies for Litigating », 6 & 7 mai 2010, Hotel Renaissance Seattle à Seattle, WA) ou en Allemagne. 355 Voir par exemple le système américain (§. 123) ou le système danois (Loi n° 181/2007, qui est venue introduire un §. 254 dans le Code de l’Administration de la justice). 356 Voir l’exemple de la France avec l’action en représentation des associations de consommateurs agréées, prévue à l’article L422-1 du Code de la consommation ou l’action en représentation ouverte aux associations de défense des investisseurs boursiers, prévue à l’article L452-2 du Code monétaire et financier, qui imposent à ces organismes la production d’« au moins deux mandats » de consommateurs ou d’investisseurs. 104 et de l’autre coté aux seuls justiciables qui sont capables d’apporter la preuve de leur capacité de représentation. 227. La recherche de la bonne administration de la justice. De plus, l’existence contrôlée d’une pluralité de demandes présentant des questions de droit ou de fait communes, dans l’action de groupe comme dans l’action en représentation vise à s’assurer que l’utilisation de cette procédure est réservée aux litiges de masse. Ces litiges sont les seuls de nature à justifier le recours à ces procédures, dérogatoires au droit commun. Il s’agit d’utiliser, dans les deux cas, la procédure la plus efficace et la plus efficiente pour connaître de ces demandes et ce, dans le but d’une bonne administration de la justice. 228. Conclusion de la Section 2. L’action collective de prédilection des pays européens de droit de tradition romano-germanique était jusqu’à présent l’action en représentation ouverte dans la plupart des pays aux seules associations de défense à qui il est octroyé la capacité d’agir pour autrui. Cette dernière vient pallier le défaut d’intérêt personnel à agir de ces associations. Pour ce faire, les organismes de défense doivent obtenir des pouvoirs publics un agrément spécifique qui les autorise explicitement à défendre les intérêts personnels d’une catégorie de personnes déterminée. Cependant, à la lumière de l’expérience d’autres pays européens ayant adopté des procédures d’action de groupe, il apparaît que des conditions de certification visant, d’une part, à contrôler les qualités de représentation du demandeur principal et, d’autre part, à vérifier qu’il s’agit bien d’un litige de masse justifiant le recours à cette procédure dérogatoire au droit commun, sont de même nature que les conditions d’agrément. Elles poursuivent des objectifs similaires. 105 Conclusion du Chapitre 1 229. L’action de groupe, une procédure d’exception. Ce premier chapitre repose sur une description du système américain de la class action, qui est le système d’action de groupe le plus abouti à ce jour. Il démontre que cette procédure ne peut être utilisée que dans des cas particuliers, dès lors que les conditions de certification posées par le législateur et interprétées par le juge sont remplies. Ces conditions portent d’une part sur les qualités de représentation que doit présenter le Demandeur représentatif et sur la nature du litige. L’action de groupe ne peut en effet être autorisée que pour des litiges de masse, c'est-à-dire pour des litiges comportant un grand nombre de demandeurs potentiels ayant subi un préjudice identique. La première série de conditions portant sur la représentativité du Demandeur représentatif vise à prévenir les risques d’abus dans l’exercice de l’action en évitant tout détournement au profit de celui-ci à son profit personnel au détriment des personnes représentées. La seconde série de conditions permet un recours limité à ce type de procédure et ce, dans le but d’une bonne administration de la justice. Cette procédure, dérogatoire au droit commun, ne peut être utilisée que lorsqu’elle apparaît comme le moyen le plus efficient et efficace pour traiter les demandes en justice. Les conditions d’autorisation de l’action de groupe définies par le législateur américain sont inhérentes et indispensables à la procédure. La plupart des pays européens dotés d’une action de groupe, ouverte aux personnes physiques, ont adopté des conditions d’autorisation similaires aux conditions de certification américaines. 230. L’action en représentation, une variante de l’action de groupe. Dans les pays de droit de tradition romano-germanique, comme en Allemagne, en France ou en Belgique, la seule dérogation consentie au principe de l’action individuelle fut au bénéfice d’associations de défense agréées. Ces organismes se voient octroyer une qualité à agir pour exercer l’action en justice au nom et pour le compte d’une catégorie de personnes déterminée. Ils doivent pour cela remplir des conditions dites « d’agrément ». Or à l’instar des conditions de certification, ces exigences visent à vérifier la représentativité et l’expérience de l’association et ainsi à pallier les abus éventuels dans l’exercice de cette procédure. De plus, dans le cadre de ces actions en représentation, les associations doivent justifier de plusieurs mandats des personnes représentées. Le législateur cherche à limiter l’emploi de cette procédure aux seuls litiges de masse, pour lesquels l’action en représentation lui est apparue comme la plus appropriée. 106 231. Ainsi dès lors que des conditions d’autorisation de la procédure adaptées et suffisantes existent, l’action de groupe pourrait être adoptée dans les pays européens de droit romano-germanique, sous réserve toutefois que les autres modalités d’exercice d’une telle action soient compatibles avec les principes fondamentaux gouvernant tant la procédure civile que le droit de la responsabilité civile. 107 108 CHAPITRE II : L’ACTION EN JUSTICE PAR AUTRUI : LES MODALITES D’EXERCICE DE L’ACTION 232. La représentation par autrui ou un consentement à l’action a posteriori. Le Demandeur Représentatif exerce son action en justice en son nom, ainsi qu’au nom de toute personne se trouvant dans une situation similaire à la sienne. A l’introduction de l’action, les personnes représentées vont être simplement identifiables et non identifiées. Elles n’ont pas connaissance de la procédure et elles n’ont pas consenti à son exercice pour la défense de leur droit. Cette caractéristique de la procédure d’action de groupe est celle, qui suscite le plus d’inquiétudes et qui a fait couler le plus d’encre en France notamment. Elle s’oppose, par essence, à la liberté individuelle de tout citoyen d’agir en justice 357. 34F 233. Les conséquences procédurales de l’identification a posteriori des parties à la procédure. Cette absence d’identification des personnes représentées dans la procédure judiciaire engagée par un tiers implique ainsi qu’il soit prévu des modalités de mise en œuvre de la procédure, qui permettent, d’une part, l’information des personnes représentées sur l’introduction de la procédure et, d’autre part, leur identification, à un stade ultérieur de cette dernière. Ces modalités de mise en œuvre vont être, elles aussi, exorbitantes du droit commun. Il s’agit, d’une part, d’envisager la publicité de la procédure, dans la plupart des systèmes de droit, avant le prononcé du jugement au fond, et, d’autre part, de prévoir un processus d’identification permettant de répertorier les personnes souhaitant bénéficier de l’action intentée par le Demandeur Représentatif et de recueillir leur consentement à l’exercice de la procédure. Par ailleurs, n’étant pas, à proprement parler, des parties à la procédure, la question du rôle de ces personnes dans la conduite de la procédure se pose. Les modalités de mise en œuvre permettant l’identification des personnes représentées à la procédure vont pouvoir revêtir plusieurs formes suivant les modèles juridiques. Le modèle américain constitue un exemple intéressant de système d’identification des membres potentiels du groupe, dans le déroulement de la procédure. Il présente en effet un fonctionnement cohérent de la procédure d’action collective au regard des contraintes liées à l’identification des personnes représentées (Section 1). 234. Dans les pays européens, en particulier dans les systèmes de droit de tradition romanogermanique, cette absence d’identification des personnes doit être considérée au regard des principes directeurs de la procédure civile et du droit de la responsabilité civile. Le respect de ces principes, 357 Voir Infra §. 301. 109 consacrés dans la plupart des pays européens par les plus hautes juridictions est en effet primordial pour l’acceptation juridique de la procédure dans le système judiciaire dans laquelle elle trouvera à s’inscrire. Une adaptation des modalités d’exercice de l’action collective sera alors nécessaire pour pallier les obstacles que peuvent constituer ces principes. Cette question sera étudiée à la lumière des systèmes français et allemand et aussi au regard du droit européen (Section 2) SECTION 1 : LES ACTIONS EN JUSTICE PAR AUTRUI : AUX ETATSUNIS D’AMERIQUE, PAYS DE COMMON LAW 235. Le fait de ne pouvoir identifier les personnes, représentées à la procédure au stade préliminaire de l’action, alimente les fantasmes quant aux procédures induisant un très grand nombre de demandeurs potentiels, pouvant selon certaines sources se chiffrer en milliers, voire en millions de personnes 358. 35F Le système américain avec notamment, une politique de démarchage des clients potentiels très poussée des cabinets d’avocats spécialisés, a largement contribué à entretenir cette vision de la procédure de la class action. Il est possible de mentionner, en ce sens, une publicité, formulée par un cabinet d’avocats américain, spécialisé dans la défense des associations de protection de l’environnement et autres victimes de pollution. Le texte de sa publicité était le suivant : « Si vous respirez de l’air, vous êtes un plaignant. Pourquoi ? Parce ce que vos avocats travaillent pour vous en protégeant l’air, la terre, l’eau, la faune et la flore contre les grands pollueurs »359. Cependant, 36F dans la réalité judiciaire, le mécanisme d’identification des représentés à la procédure est beaucoup plus précis que cette publicité pourrait le laisser entendre et le contrôle du juge sur les conditions d’exercice de l’action est très rigoureux (§1). 236. De même, bien que la plupart des membres du groupe de personnes représentées ne soient ni informés, ni identifiés à un stade préliminaire de la procédure, ils ont tout de même un rôle à jouer dans la conduite de la procédure, même si ce dernier est limité (§2). 358 N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature, RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 5-6, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 359 Texte en version anglaise: “If you breathe air, you’re a plaintiff. Why? Because our lawyers are working for you by protecting the air, land, water and wildlife from big polluters”; Voir aussi, Target: Europe, Global Export of US-Style Class action Lawsuits, US Chamber Institute for Legal Reform, 13 mai 2009. 110 §1) L’identification des personnes représentées à la procédure 237. Le processus d’identification des personnes représentées dans la procédure se déroule en deux temps. Au stade de la certification, il s’agit d’obtenir une estimation raisonnable du nombre de demandeurs potentiels. Cette identification partielle s’opère via la définition du groupe de personnes représentées par le Demandeur Représentatif postulant. À l’issue de la phase de certification, les personnes composant le groupe ne sont pour la plupart qu’identifiables et non identifiées (A). L’identification personnelle des membres de la class se fera dans un second temps après que le juge ait ordonné la publicité de la procédure. Cette publicité permet l’information des personnes représentées et le recueil de leur consentement à l’action. L’identification formelle interviendra soit aussitôt l’expiration du délai de la publicité, soit au stade de l’indemnisation, suivant les modalités retenues pour l’obtention du consentement des personnes représentées, selon les règles du droit substantiel applicable (B). A) Des personnes représentées identifiables lors de la certification de la class 238. Des demandeurs potentiels placés dans une situation similaire à celle du représentant du groupe. L’identification des demandeurs potentiels passe, tout d’abord, par la définition du groupe de personnes représentées qui sera le fait du Demandeur Représentatif postulant dans le cadre de la certification de la class. En effet, la délimitation des caractéristiques dont il entend se prévaloir en tant que demandeur donne un certain nombre d’informations sur les personnes susceptibles d’appartenir au groupe, qui permettra, notamment, une publicité plus ciblée de la procédure, le cas échéant, dans des revues spécialisées. La procédure de class action vise des catégories définies de personnes et non un ensemble général d’individus. 239. Un préjudice commun à l’ensemble du groupe. Tout d’abord, les membres du groupe doivent avoir subi un dommage, similaire à celui du Demandeur Représentatif. Le préjudice est défini par ce dernier dans la demande, ainsi que les circonstances dans lesquelles il est intervenu. Ce dommage implique un fait générateur et un lien de causalité également identiques. Il repose sur une même pratique ou un même comportement de la part du ou des défendeurs. À titre d’exemple, dans le cadre d’une action de groupe faisant suite à une condamnation de plusieurs sociétés pour entente sur les prix d’un produit déterminé (Antitrust), le Demandeur Représentatif, acheteur direct du produit, estime avoir payé un prix trop élevé pour le produit concerné du fait de l’entente et exige réparation de son préjudice. Au regard des termes de la requête déposée par ce dernier, les membres du groupe 111 sont les acheteurs directs du produit déterminé ayant passé commande auprès de l’une des sociétés incriminées pour la pratique anticoncurrentielle et ce, à une période déterminée, la période de l’infraction. 240. Dès lors que le préjudice subi diffère selon les demandeurs potentiels, les juges américains subdivisent les groupes 360 et donc séparent les procédures. A titre d’exemple, les dommages 37F corporels et les dommages aux biens sont, la plupart du temps, traités indépendamment. Les juges distinguent, ainsi, au sein des Torts Class actions361, d’une part, les dommages à la personne (personal injuries class actions) et d’autre part, les dommages aux biens (property damages class actions)362. 241. Des questions de droit et de fait communes. Cette première analyse se poursuit avec l’identification des questions de droit et de fait communes. Seuls les cas qui présentent des questions de droit et de fait similaires seront admis dans la procédure. Dans notre exemple relatif à une entente sur les prix, les questions de droit et de fait communes soulevées par les demandes potentielles des acheteurs directs sont a priori similaires. Le dommage est né de la même violation des règles du droit de la concurrence. 242. La condition de Numerosity, une estimation chiffrée des demandeurs potentiels. De plus, comme cela a été relevé concernant les conditions de la certification de la class et particulièrement la condition de Numerosity 363, les juges exigent une estimation raisonnable du nombre de demandeurs. 340F Cette exigence oblige alors le demandeur à identifier individuellement une partie des demandeurs potentiels à l’action en fonction des éléments qu’il détient, ce qui conduit à une identification 360 Rule 23 FRCP. Le terme de Tort case se traduit littéralement comme « un délit civil, autre qu’une violation d’un rapport contractuel, pour lequel un remède peut être obtenu sous la forme de dommages et intérêts », Black’s Law dictionary, Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 1626. Ce terme couvre, en droit français, la responsabilité civile extracontractuelle. L’adjectif « Mass » vient souligner la présence de plusieurs personnes au litige, Black’s Law dictionary, op.cit. 362 N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature, RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 13, dans The Globalization of class actions, 361 Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007; Voir également la notion de « hybrids class action », actions qui sont subdivisées en fonction des demandes formulées et de la nature des remèdes demandés, N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature, RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 25, op. cit ; Définition du Black’s Law dictionary, op. cit., p. 284. 363 Voir §. 121. 112 individuelle, a minima, partielle des membres de la class. Ainsi, la méconnaissance apparente du nombre de demandeurs potentiellement concernés par la procédure est à nuancer. 243. Une identification a priori d’une pluralité de demandeurs, le résultat d’un démarchage actif des cabinets d’avocats. Il faut enfin tenir compte du fait que, dans le cadre de la plupart des class actions aux Etats-Unis, l’initiative de la procédure n’est pas nécessairement individuelle. En effet, plusieurs demandeurs peuvent se manifester auprès des juridictions, qui vont ensuite pouvoir grouper les demandes et ouvrir une phase de certification afin de déterminer lequel des demandeurs est le plus à même de représenter les autres personnes ayant subi un préjudice similaire 364. Cette 341F multiplicité des demandeurs au commencement de la procédure est le fait de l’initiative individuelle de demandeurs, mais elle résulte souvent également du travail de démarchage opéré par les cabinets d’avocats. Aux Etats-Unis, le démarchage par les cabinets d’avocats (Plaintifs Bar) 365 est autorisé366 342F 34F pour les class actions. Ils peuvent, ainsi, faire de la publicité, mais également aller solliciter les victimes potentielles d’une pratique alléguée 367. Dès lors que l’éventualité d’une class action se 34F présente, les cabinets d’avocats vont rechercher les victimes, afin de leur proposer un accord de représentation en justice. Plusieurs cabinets concurrents peuvent opérer de la même manière concernant la même affaire. Il appartiendra, alors, au juge de déterminer celui qui sera le plus à même de représenter au mieux les intérêts de la class. Il arrive souvent, également, que les différents cabinets d’avocats forment un consortium pour assurer collectivement la défense de la class. Il s’agit, la plupart du temps, de se garantir les moyens financiers et humains suffisants pour mener à bien la procédure, qui peut se révéler très consommatrice de temps comme d’argent. Ainsi, en amont de la procédure de certification, le Demandeur Représentatif et son cabinet d’avocats sont rarement seuls. 364 Voir Supra §. 148. Le barreau américain est divisé en deux parties. Il existe les cabinets d’avocats spécialisés dans la défense des victimes (Plaintiff Bar) et les cabinets d’avocats en charge exclusivement de la défense des accusés (Defendant Bar). 366 La publicité pour les avocats est autorisée aux Etats-Unis depuis un arrêt de la Cour Suprême de 1977 (Bates et O’Steen v. State Bar of Arizona, 433 U.S. 350 (1977)). La Cour Suprême a estimé que le droit à recourir à la publicité pour les avocats découle du Premier Amendement de la Constitution américaine, à savoir de la liberté d’expression. La Cour Suprême y a également vu un moyen, pour les citoyens, de s’informer sur la nature, et les prix des prestations offertes et ainsi sur les opportunités qui leur étaient offertes. Cependant, cette liberté de recourir à la publicité est réglementée. Ainsi, par exemple elle ne doit pas être mensongère, voir D. Mouralis, L’avocat et la publicité, Bull. Aix, 2005-2, questions pratiques, p. 168. 367 La sollicitation des clients (démarchage) est tolérée dès lors que l’avocat poursuit un but autre que pécuniaire et que sa démarche témoigne d’un engagement politique ou idéologique, ce qui ressort a priori de la procédure de class action américaine. En effet, aux Etats-Unis, cette procédure est utilisée pour obtenir la réparation des préjudices subis du fait de la pratique incriminée, mais elle poursuit également un but de cessation de l’infraction et de punition des auteurs de la pratique, les demandeurs apparaissant comme des procureurs privés agissant pour le bien collectif, R. Martin, Déontologie de l’avocat, LexisNexis Litec, Jurisclasseur, 8ème éd., 2004, p. 239. 365 113 244. L’ensemble de ces éléments montre que le processus d’identification des membres du groupe, commence dès l’introduction de la demande et de manière plus poussée, dès la phase de certification de la class. Ce travail de définition du groupe a priori, résultant de l’action conjuguée du Demandeur représentatif, de son avocat, et du juge, conduit à ce que les membres du groupe de personnes représentées sont à l’issue de cette première analyse, pour certains, déjà identifiés et pour les autres, a minima identifiables. Cela nuance ainsi l’affirmation d’une absence d’identification des demandeurs. Cette première phase d’analyse est essentielle, tant pour la future publicité de la procédure, que pour la préparation de la défense des personnes, à l’encontre desquelles l’action est intentée, qui vont d’ores et déjà pouvoir préparer leur défense. L’identification formelle des demandeurs intervient dans un second temps. B) Des personnes représentées identifiées après la publicité de la procédure 245. L’identification formelle de l’ensemble des demandeurs intervient après la certification de la class, et la publicité de la procédure, qui vise à informer ces derniers de son existence (1). Une fois informées de l’existence de la procédure, les personnes concernées vont pouvoir consentir à l’exercice de l’action par le tiers désigné. Ils vont s’inclure ou s’exclure de la class, se réservant alors le droit de porter leur action en justice individuellement. Une identification individuelle de l’ensemble des membres de la class intervient alors. Le système américain présente l’originalité d’une identification a posteriori du jugement au fond (2). 1) La publicité de l’action, nécessaire à l’information des membres du groupe sur l’existence de la procédure 246. Dès lors que le recours à l’action de groupe est autorisé par le juge (certification de la class), ce dernier rend une ordonnance de certification en fonction de laquelle une notice est établie et publiée. Cette publicité apparaît indispensable pour le bon déroulement de la procédure et l’identification des demandeurs de la class. Cependant, elle comporte un risque d’atteinte à l’image du défendeur, dont la responsabilité n’a pas été reconnue à ce stade et, le cas échéant, à son activité économique (a). Ainsi l’encadrement a priori de la publicité sous le contrôle du juge est nécessaire pour limiter ce risque (b). 114 a) La publicité de l’action, potentiellement préjudiciable au défendeur 247. La publicité de l’action intervient après que le juge se soit prononcé positivement sur l’opportunité de recourir à la procédure de la class action, mais avant tout jugement sur le fond et donc avant que la responsabilité du ou des défendeurs soit reconnue. 248. Le schéma procédural de la class action. Dépôt de la demande Phase de certificatio n Publicité de la procédure Procès / Transactio n Indemnisa tion 249. Le fait que la publicité intervienne, en amont de la phase de jugement au fond, a soulevé de vives critiques de la part des observateurs européens, mais également américains 368. Cette publicité de la 345F procédure peut causer un dommage au défendeur. La simple allégation d’un comportement illicite ou dommageable peut entacher la réputation de la société défenderesse et peut impacter le comportement des clients actuels ou potentiels de cette dernière, ainsi que celui des investisseurs. Il a, par exemple, été estimé que dès lors qu’une société, cotée en bourse, est assignée devant un juge dans le cadre d’une Securities Class actions, c'est-à-dire une action de groupe basée sur une allégation de fraude boursière369, elle perdait en moyenne 3.5% sur la valeur de son action370. 250. Ces implications économiques sont critiquables dès lors qu’elles peuvent être le résultat d’une action infondée ou abusive. Les entreprises ayant fait l’objet d’une procédure abusive de la part des demandeurs à la procédure pourraient former elles-mêmes une action en justice pour demander 368 Target: Europe, Global Export of US-Style Class action Lawsuits, US Chamber Institute for Legal Reform Paper, 13 mai 2009. 369 Les Private Securities Class Actions tendent à l’obtention de dommages intérêts en cas de manipulation frauduleuse du marché ou de pratiques abusives sur le marché secondaire des actifs financiers, Securities Exchange Act 1934, Section 21D. 370 Target: Europe, Global Export of US-Style Class action Lawsuits, US Chamber Institute for Legal Reform Paper, op. cit. 115 réparation de leur préjudice. Cependant, il est important d’agir en amont, afin de ne pas engendrer une multiplication des contentieux. Il s’agit alors de prévenir ce type d’atteinte tout en préservant ce mode d’information, qui apparaît indispensable à l’information des personnes non identifiées à la procédure dans ce type d’action. Le système américain montre qu’il est possible d’atténuer cet effet néfaste pour les défendeurs. Il s’agit, tout d’abord, de procéder à un contrôle sérieux et poussé a priori du bien fondé de la demande, comme précédemment souligné avec la phase de certification de la class 371. Mais 348F il s’agit, également, de permettre au juge de contrôler aussi bien le contenu et que la diffusion de la publicité. (b) La publicité de l’action, un contrôle nécessaire du juge sur son contenu et sa diffusion 251. Une identification par notification individuelle privilégiée. Dans le cadre des Mass torts Class actions et des autres domaines couverts par la Règle 23(b)(3) FRCP372, dès lors que les membres de la class peuvent être identifiés individuellement sans que cela requiert un effort déraisonnable, la procédure doit leur être notifiée individuellement 373. Ainsi une partie des demandeurs se verra 350F informée individuellement de l’existence de l’action. 252. Une publicité sur autorisation du juge. Pour les autres cas, le juge pourra ordonner la publication d’une notice visant à informer les demandeurs de l’existence de la procédure. Le juge détermine les modalités de la publicité afin que l’information soit diffusée au plus grand nombre de personnes intéressées à la procédure, selon la voie la plus efficace. La publicité se fera par voie de presse au niveau local, régional, ou national, dans des publications généralistes ou spécialisées, selon les circonstances de l’espèce. 371 Voir Supra §. 108. La Règle 23(b)(3) FRCP s’applique en matière de responsabilité civile extracontractuelle, en matière boursière et encore en matière financière ; Voir Supra §. 155. 373 Rule 23(c)(2)(B) FRCP : « For (b)(3) Classes. For any class certified under Rule 23(b)(3), the court must direct to class members the best notice that is practicable under the circumstances, including individual notice to all members who can be identified through reasonable effort ». 372 116 253. De plus, le contenu de la notice est déterminé, de manière détaillée, dans la Règle 23 FRCP. La notification doit comprendre obligatoirement et exclusivement 374 351F : – La nature de la class, – La définition de la class, – Les prétentions des demandeurs, – Les questions de droit, – Les moyens de défense, – La mention qu’un membre peut signifier son intention de comparaître en justice s’il le désire, – Une mention précisant que la Cour exclura de la class toute personne qui en fera la demande 375, – La période dans laquelle la demande d’exclusion doit être formulée et les modalités de cette 352F demande, et – Une mention précisant que le jugement au fond à intervenir aura un caractère obligatoire pour les membres de la class. 254. La publicité de la procédure est contrôlée par le juge sous deux aspects. En premier lieu, à la suite de la procédure de certification de la class, le juge rend une ordonnance dans laquelle il définit luimême certains éléments, qui devront figurer dans la notice à publier. Cette ordonnance de certification du juge comprend obligatoirement la définition de la class, les demandes, les questions de droit identifiées, les moyens de défense avancés et la nomination du représentant légal, autant de mentions que l’on doit retrouver dans la notice d’informations, dans la forme et la rédaction dictées par le juge 376. En second lieu, il est toujours possible pour le défendeur à l’action de déposer une 35F requête (motion to) auprès du juge dès lors qu’une irrégularité ou une erreur dans la publicité serait intervenue ou que cette dernière aurait été rédigée d’une telle manière qu’elle porterait atteinte à l’image de l’entreprise défenderesse ou à son activité économique. Cet encadrement de la phase de publicité par le juge permet ainsi de limiter considérablement les abus dans la publicité de l’action mise à la charge du Demandeur représentatif et du Class Counsel. 374 Rule 23(c)(2)(B) FRCP: “The notice must clearly and concisely state in plain, easily understood language: (i) the nature of the action; (ii) the definition of the class certified; (iii) the class claims, issues, or defenses; (iv) that a class member may enter an appearance through an attorney if the member so desires; (v) that the court will exclude from the class any member who requests exclusion; (vi) the time and manner for requesting exclusion; and (vii) the binding effect of a class judgment on members under Rule 23(c)(3).”. 375 Infra § 255. 376 Rule 23(c) (1) (B) FRCP: “Defining the Class; Appointing Class Counsel. An order that certifies a class action must define the class and the class claims, issues, or defenses, and must appoint class counsel under Rule 23(g)”. 117 255. La prise en charge des frais de procédure par le Demandeur Représentatif. Outre le problème principal de l’atteinte au droit de la défense en cas d’actions abusives ou infondées, la publicité de la procédure a également suscité des interrogations en Europe concernant sa prise en charge financière. En effet, les associations de défense, notamment en France, ont demandé à ce qu’elle soit mise à la charge des entreprises, qui sont réputées disposer de moyens plus conséquents, tandis que les entreprises font valoir qu’en toute logique, cette charge doit reposer sur les demandeurs étant donné que la responsabilité des personnes en défense n’est pas tranchée à ce stade de la procédure. Aux Etats-Unis, le coût de la publicité de la procédure fait partie des frais de justice au même titre que les frais de notification d’une assignation. Ces frais sont mis à la charge des demandeurs. Le principe du perdant payeur n’existe pas à proprement parler aux Etats-Unis pour les class actions. Cette solution pourrait être retenue en Europe et en particulier en France, dès lors que nos systèmes connaissent le principe du perdant payeur 377. 354F 2) L’information des personnes représentées nécessaire au recueil de leur consentement: le choix possible de s’inclure ou de s’exclure 256. Deux systèmes existent pour permettre aux demandeurs potentiels de devenir membre du groupe de personnes représentées à l’action concernée. Il sera demandé à ces personnes soit de manifester leur volonté d’être inclus dans la procédure - système d’opt in –, soit d’en être exclues - système d’opt out (a). Le choix d’un système ou de l’autre marque un souci de fonctionnement cohérent de la procédure envisagée. Les autres modalités de la procédure sont déterminantes pour opérer ce choix comme le montre l’exemple américain (b). a) Le choix des systèmes d’identification des membres du groupe 257. Un système d’exclusion, sujet à toutes les critiques. Comme le montrent les mentions obligatoires figurant dans la publicité 378, le législateur américain a fait sur le principe le choix du système de 35F l’exclusion, dit système « d’opt out ». Dans ce cas, les personnes, qui ne se manifestent pas pendant le délai mentionné dans la notice publiée dans la presse, seront automatiquement incluses dans la procédure, ce qui signifie qu’elles pourront bénéficier du jugement rendu, mais également qu’elles perdront leur droit d’agir en justice individuellement, si le résultat de la procédure pendante ne leur 377 378 F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, les obligations, Précis Dalloz, 10ème éd., 2009. Rule 23 FRCP. 118 convient pas 379. Ce premier système, caractérisant la procédure américaine, fait l’objet de beaucoup 356F de critiques en Europe notamment parce que plus que tacite, le consentement des demandeurs est présumé. En effet, le recours à la publicité de la procédure ne garantit pas une information personnelle de chacune des personnes concernées, le recours à la presse comportant un aléa. Cependant, dès lors que ces personnes ne se seront pas manifestées pour s’exclure de la procédure, elles perdent leur droit d’ester individuellement en justice. La seconde critique formulée à l’encontre du système d’opt out est que ce système est défavorable aux défendeurs dès lors que ce dernier ne permet pas, à ce stade de la procédure, d’identifier individuellement les demandeurs à l’action. Cela crée un déséquilibre dans le rapport demandeur/défendeur, le second ne connaissant pas l’identité de ces derniers et se trouvant par conséquent privé ainsi de moyens de défense individuels qu’il pourrait le cas échéant leur opposer. 258. Un avantage pratique pour les défendeurs : la prévisibilité du terme du litige. Cependant, on notera que le système d’opt out présente tout de même un avantage par rapport à un système d’opt in pour une entreprise défenderesse. Cet avantage est la connaissance du nombre exact de recours potentiels, qui pourront suivre la procédure de class action. Dès lors qu’un demandeur s’exclut de la class, il pourra engager individuellement un procès. En revanche, toutes les personnes n’ayant pas exercé ce droit seront irrévocablement forcloses dans leur droit d’ester en justice sur cette question à titre individuel 380. Dans le système d’opt in, des actions pourront continuer à être intentées sur le 357F même fondement jusqu’à expiration du délai de prescription applicable, laissant ainsi le défendeur dans l’incertitude. Ainsi sur ce point, le système d’opt out présente une plus grande sécurité juridique pour l’entreprise, défenderesse que le système d’opt in. 259. Un système d’inclusion, porteur de garanties quant au respect des droits procéduraux fondamentaux. Le système d’inclusion, dit système « d’opt in », à la différence du système d’opt out, oblige les parties à agir positivement pour devenir membres du groupe. Toute personne qui ne s’est pas manifestée pendant le délai imparti par le juge ne pourra pas bénéficier du jugement, mais conservera le droit de porter individuellement son action en justice. Ce système d’inclusion apparaît, 379 N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature, RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 380 Rule 23 FRCP. 119 aux yeux des observateurs 381, comme offrant plus de garanties quant au respect des droits 358F fondamentaux relatifs au libre accès à la justice, notamment dans les systèmes de droit de tradition romano-germanique. En effet, dans le cadre d’un système d’opt in, il appartient à toute personne, désirant être représentée à la procédure par le Demandeur Représentatif et ainsi se voir appliquer le jugement final, de se manifester auprès des avocats des demandeurs. Dans ce cas, il n’existe pas de doute sur la volonté des personnes représentées d’exercer leur droit à agir en justice par l’intermédiaire de la procédure intentée par le Demandeur Représentatif puisque le consentement exprimé est explicite. Ce système permet, de plus, de garantir le respect du principe de l’égalité des armes entre les demandeurs et le défendeur à l’action 382, les personnes représentées étant alors 359F identifiées individuellement avant le procès. Cette question de la compatibilité du système de l’opt out avec le respect des droits de la défense sera examinée dans la seconde section de ce chapitre consacrée à l’appréciation de la procédure d’action collective au vu des principes procéduraux fondamentaux dans les pays de droit de tradition romano-germanique 383. 360F 260. Les deux systèmes d’opt in et d’opt out, présentent des avantages. Le choix résultera de la cohérence recherchée dans l’orchestration de la procédure elle-même et dans l’articulation de cette procédure avec le système judiciaire, dans lequel elle s’inscrit. La procédure américaine avec son système d’opt out, bien que pouvant faire l’objet de remarques notamment vis-à-vis des droits procéduraux fondamentaux tels qu’envisagés dans nos systèmes de tradition romano-germanique, offre un bel exemple de cohérence tant au regard de la structure de la procédure de class action ellemême qu’au regard du fonctionnement du système judiciaire américain dans lequel elle s’inscrit. (b) Un choix conditionné par la recherche de l’efficacité procédurale 261. L’appréciation du système américain de l’opt out, au regard de la procédure de class action. Aux Etats-Unis, le système retenu par principe est celui de l’opt out. L’identification individuelle des personnes composant la class de demandeurs à la procédure intervient a posteriori du jugement sur la responsabilité du défendeur. Comme examiné dans les développements qui vont suivre, ce système a attiré les foudres des commentateurs, notamment au regard du respect des droits de la 381 F. Polverino, A Class Action Model For Antitrust Damages Litigation In The European Union, University of Chicago Law School, Working paper Series, August 29, 2006, p. 35 ; M.-A. Frison-Roche, Les résistances mécaniques du système juridique français à accueillir la class action: obstacles et compatibilités, LPA, 10 juin 2005, n° 115, p. 22. 382 Ibid. 383 Infra §. 315. 120 défense, mais aussi concernant les principes directeurs de la responsabilité civile 384. Cependant, 361F plusieurs réponses à ces critiques peuvent être formulées si l’on envisage la cohérence interne de la class action américaine et qu’on la considère dans le cadre plus général du système judiciaire américain. En effet, bien que ne répondant pas aux exigences du procès civil en France, ou plus généralement dans les pays de tradition romano-germanique et à certains égards dans certains pays de Common Law, la class action est cohérente avec l’objectif « social »385, qu’elle poursuit avec pragmatisme et obtient des résultats. 262. Des dérogations sectorielles consenties. Le principe de l’opt out a pu être écarté au profit d’une optimisation de la procédure dans certaines matières comme pour les class actions portant sur le droit du travail 386. Il est clairement stipulé dans la loi que tout employé ne peut être demandeur à la 36F class action que dès lors qu’il a donné son consentement par écrit et que ce consentement a été notifié à la cour compétente387. Le législateur américain agit avec pragmatisme et toujours dans l’idée de garantir une meilleure administration de la justice. 263. Plan. Les procédures judiciaires portées devant les juridictions civiles aux Etats-Unis n’ont pas vocation exclusive à l’indemnisation des préjudices subis par les justiciables américains. En effet, il n’existe pas une barrière définie entre justice pénale à vocation répressive et justice civile à vocation indemnitaire. Aux Etats-Unis, il n’y a pas de principe indemnitaire, limitant l’indemnisation à la seule réparation du préjudice subi (i). Ainsi l’identification des représentés peut n’intervenir qu’après la détermination du montant des dommages et intérêts sans que cela bloque le déroulement de la procédure. L’identification n’intervient qu’au moment de l’indemnisation (ii). i) L’opt out et un système d’indemnisation globalisé devant les juridictions civiles américaines 264. L’absence de principe de réparation intégrale du préjudice. La procédure civile américaine n’a pas pour vocation unique la réparation du préjudice subi par les demandeurs, elle tend aussi à la 384 Voir infra §. 315. N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature, RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 8, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 386 La procédure de class action en droit du travail (Labor Class action) ont été instituée par le Fair Labor Standard Act (FLSA) de 1938, révisé en mars 2004, dont les dispositions ont été transposées dans le US Code (Compilation des législations fédérales en vigueur) - 29 U.S.C Chapter 8-Fair Labor Standards - Sections 201- 219. 387 29 U.S.C, Chapter 8, Fair Labor Standard Act, §. 216, Penalties (b): "No employee shall be a party plaintiff to any such action unless he gives his consent in writing to become such a party and such consent is filed in the court in which such action is brought”. 385 121 détection et à la sanction de comportements illicites. En effet, comme cela sera souligné dans nos développements futurs388, le Demandeur Représentatif agit en tant que procureur privé pour obtenir 36 certes la réparation du préjudice subi par la communauté de demandeurs, mais également pour faire sanctionner le comportement du défendeur à l’origine du dommage. Ainsi, le principe indemnitaire, connu en France, c'est-à-dire, le principe de la réparation intégrale du préjudice389, n’est pas la règle dans les procédures de class action, ni son corollaire, le principe de l’enrichissement sans cause390. Cette conception de la justice civile aux Etats-Unis explique que l’absence d’identification individuelle des demandeurs ne nuit pas à l’évaluation du montant des dommages et intérêts à allouer aux demandeurs identifiés ou simplement identifiables. Pour procéder à la détermination du montant à verser par le défendeur reconnu responsable de la pratique dommageable, le juge américain va procéder, avec pragmatisme, en plusieurs étapes. 265. Les frais d’avocats de la class action. Premièrement, le juge, que ce soit à l’issue du procès ou suite à une demande d’homologation d’une transaction391 demande aux avocats du Demandeur Représentatif de produire le montant de leurs frais, les justificatifs y afférents et le pourcentage demandé au titre de la prime négociée dans le Contingency fees Agreement 392. En effet, les F honoraires d’avocats sont aux Etats-Unis soumis au contrôle du juge dès lors qu’une telle convention est conclue393. 266. Les dommages-intérêts aux victimes. Deuxièmement, le jury populaire dans le cadre d’un procès394 ou les parties dans le cadre d’une transaction, vont s’intéresser à l’indemnisation à 388 Voir Infra §. 568. « Le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit », Cass. Civ. 2e, 9 juil.1981, Bull.civ. II, n° 156 ; Cass. Civ. 1re, 17 juil.1996, Bull. Civ. I, n° 327 ; Voir également, Ph. Malaurie, L. Aynès, et Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, Defrénois, 2ème éd., 2005, p. 127, §. 240 et suivants. 390 Ce principe correspond à l’« enrichissement d’une personne en relation directe avec l’appauvrissement d’une autre, alors que le désequilibre des patrimoines n’est pas justifié par une raison juridique », Lexique des termes juridiques 2012, Guinchard (S.) et Debard (T.), Dalloz, 19ème éd., 2011, p. 364. En France, ce principe découle de l’article 1371 du Code civil. 391 Rule 23(e) FRCP. 392 Les “Contingency Fees Agreements” sont des conventions d’honoraires qui prévoient que les honoraires ne seront versés à l’avocat en contrepartie de ses services de conseil et de représentation qu’à condition que le procès aboutisse à un jugement en faveur du client ou à une transaction favorable à ce dernier (“A fee charged for a lawyer’s services only if the lawsuit is successful or is favorably settled out of Court”), Black’s Law dictionary, Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 362. 393 Rule 23(h) FRCP. 394 En matière civile, le droit d’être jugé par un jury populaire est, comme en matière pénale, prévu par la Constitution, voir les amendements 3,7 et 14 de la Constitution américaine du 17 sept. 1987. Le septième amendement de la Constitution américaine stipule que : « dans un procès en matière de Common Law, si la valeur du litige excède vingt dollars, le droit d’être jugé par un jury populaire doit être préservé et aucun fait examiné par un jury ne pourra faire l’objet d’un réexamen 389 122 accorder à chaque victime de la pratique condamnée. Ils raisonnent alors de manière globale en procédant à une estimation du préjudice subi par chacun des demandeurs. Ainsi, dans le cadre d’une class action en droit de la concurrence, relative à une pratique d’entente sur les prix, il pourra être décidé d’octroyer, au titre de la réparation du préjudice subi, à chaque personne lésée, un pourcentage du montant total des achats effectués concernant le produit en cause, sur la période de l’infraction, auprès de l’un ou de plusieurs des défendeurs à l’action. En fonction de l’estimation du nombre de personnes composant la class, il sera déterminé une somme globale correspondant à un niveau de dommages et intérêts raisonnable. Ce pourcentage du prix payé correspond à l’estimation de l’augmentation artificielle des prix, occasionnée par la pratique infractionnelle 395. En matière 372F boursière, le juge procède à une évaluation de la perte capitalistique par action, engendrée par la pratique frauduleuse sur la période déterminée. La répartition capitaliste et le nombre d’actions émises par l’entreprise étant connu, la détermination du montant global d’indemnisation est alors aisée. L’allocation des sommes à chacun des demandeurs se fera en fonction du nombre d’actions détenues par chacun. 267. Cette méthode de détermination des dommages intérêts à allouer à chacun des demandeurs montre que cette procédure de la class action ne peut être mise en œuvre que dès lors que les préjudices sont identiques. Il n’y a pas de place dans ces procédures, pour les questions individuelles, qui pourraient engendrer une adaptation des dommages intérêts à verser au demandeur. 268. Schéma de transaction : exemple par une cour de justice américaine, et ce quelle qu’elle soit, conformément aux règles de la Common Law » (« In Suits at common law, where the value in controversy shall exceed twenty dollars, the right of trial by jury shall be preserved, and no fact tried by a jury, shall be otherwise re-examined in any Court of the United States, than according to the rules of the Common law »). Cette faculté est dévolue aux parties, dès lors que les demandes formulées portent sur une réparation pécuniaire des préjudices. En revanche, dès lors qu’il s’agit de demander le prononcé d’une injonction, une annulation ou une révocation ou toutes autres sanctions prononcées jadis dans les procès jugés en Equity, le choix se laissait à la discrétion du juge, Bernard Dhuicq et Danièle Frison, L’anglais juridique, the English and American Legal Systems, Pocket, 1993, p. 121. 395 Voir Schéma de transaction ci-dessous. 123 *Extrait d’une transaction 396 conclue entre plusieurs sociétés et une plaintiffs class dans une affaire faisant 37F suite à la condamnation desdites entreprises pour entente sur les prix d’un produit dans l’industrie chimique. The proposed Settlements The X Settlement Agreement Plaintiffs, on behalf of the Settlement Classes defined above, have entered into a proposed settlement agreement with the X Defendants in this lawsuit. The following is a summary of the terms of the X Settlement Agreement itself. Under the X Settlement Agreement, the X Defendants have paid $Y million into an account to be administered in accordance with the provisions of the X Settlement Agreement. The X Defendants have the right to terminate the X Settlement Agreement based on the occurrence of certain conditions set forth in the X Settlement Agreement and in a separate letter agreement that will be filed in camera and under seal if so ordered by the Court. The Settlement payments by the X Defendants will be the sole source of payment for the costs of notice and administration of this settlement, the payment of attorneys ‘fees, and for satisfaction of the Settlement Classes members’ claims against the X Defendants The proposed Plan of Distribution If the proposed Settlements are finally approved, you will be entitled to share in the Settlement funds, provided that you have returned a timely and valid Proof of claim form. The portion of the Settlement funds that will be distributed to members of the Settlement Classes who submit a valid and timely Proof of Claim form is that portion of the Settlement funds that remains after deduction of notice and administration costs, including the fees and costs of the Claims Administrator that have already been or may hereafter be approved by the Court and any attorneys’ fees and expenses the court may hereafter award to Plaintiffs’ Counsel (the “Net Settlement Funds”). The proposed Plan of distribution provides that the Net Settlement Funds will be distributed to each eligible member of the Settlement Classes who submits a valid and timely Proof of Claims form based on his, her or its total “recognized Claim”. 396 Le règlement du litige est, la plupart du temps, obtenu par le biais d’une transaction (90 -95% des cas). Dans les 5-10% des cas restant, l’affaire sera portée devant un jury. En cas de transaction, une nouvelle publicité devra avoir lieu pour permettre aux membres de la class de s’exprimer sur le montant négocié des indemnités et leur donner la possibilité de s’exclure de la transaction, voir pour les statistiques, Dr Christopher Hodges, Empirical research on Class Actions in USA, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 124 The Recognized Claim for purchases Product Z during the period January 1, WWWW through December, 31, SSSS, shall be equal to the total dollar amount of a Settlement Class Member’s purchases of Product Z in the United States directly from any of the Defendants named in the Action, or any present or former parent, subsidiary or affiliate thereof. The recognized Claim for purchases of Product Z during the period from January 1, XXXX through December, 31, VVVV, shall be 10% of the total dollar amount of a Settlement Class member’s purchase of Product Z in the United States directly from any of the Defendants named in the Action, or any present or former parent, subsidiary or affiliate thereof. For example, if a Settlement Class Member purchased $100 of Product Z directly from Defendants during the period January 1, WWWW through December, 31, SSSS, and $100of Product Z directly from Defendants during the period from January 1, XXXX through December, 31, VVVV, its total Recognized Claim would be $110. The proposed Plan of Distribution is based on an evaluation and analysis of the evidence by class Counsel. 269. Les dommages et intérêts punitifs. Troisièmement, en fonction de la gravité de l’infraction, le juge ou les jurés peuvent décider d’augmenter le montant de l’amende, non pour réparer le préjudice subi par les victimes, mais afin de sanctionner le comportement à l’origine du dommage. Il s’agit de « dommages intérêts punitifs » (Punitive damages)397. Le montant de ces dommages intérêts sera fonction de l’effet dissuasif recherché et de la gravité de l’infraction commise. Cette somme est généralement supérieure aux dommages intérêts alloués en réparation du préjudice. Dans certains domaines du droit, comme en droit de la concurrence, le prononcé de dommages intérêts punitifs est rendu obligatoire par le législateur 398. Ainsi si le dommage subi par les demandeurs résulte d’une 375F infraction au droit américain de la concurrence, le juge devra prononcer en plus des dommages et intérêts, des dommages et intérêts punitifs, dont le montant sera de deux fois la somme consentie au titre des autres dommages intérêts alloués pour la réparation du préjudice (Treble damages). Le juge n’a alors aucune marge de manœuvre, ni sur le prononcé des dommages intérêts punitifs, ni sur le montant de ces derniers 399. Cette règle n’est pas propre à la procédure de class action. Elle concerne 376F tous les recours portés devant les juridictions civiles. 397 Les dommages et intérêts punitifs (punitive damages) sont des « dommages et intérêts octroyés en plus des dommages et intérêts compensatoires lorsque le défendeur a agi avec insouciance, malice ou tromperie; Spéc. Dommages et intérêts octroyés en vue de sanctionner l’auteur d’une mauvaise conduite ou de faire un exemple pour les autres. Les dommages et intérêts punitifs qui ont pour objet de punir et de dissuader les conduites blamables ne sont généralement pas octroyés en cas de violation des termes d’un contrat. La Cour Suprême a considéré que trois règles pouvaient aider à déterminer si l’allocation de dommages et intérêts punitifs violaient les règles constitutionnelles du Due process: (1) le caractère répréhensible de la conduite punie; (2) le caractère raisonnable du lien entre le préjudice causé et le montant des dommages et intérêts punitifs; et (3) la différence entre le montant de ces dommages et intérêts punitifs et les sanctions civiles autorisée dans un cas comparable, BMW of North America, Inc. v. Gore, 517 U.S 559, 116 S. Ct 1589 (1996) […] », Black Law Dictionnary, Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, West Publishing Company, 9ème éd., 2009, p. 448; Voir aussi C. Jauffret-Spinosi, Les dommages et intérêts punitifs dans les systèmes de droit étrangers, LPA, 20 nov. 2002, n° 232, p. 8; Robert Saint-Esteben, Pour ou contre les dommages et intérêts punitifs, LPA, 20 janv. 2005, n° 14, p. 53. 398 Clayton Act 1914; 15 U.S.C. §. 12-27; 29 U.S.C. § 52; 29 U.S.C., §. 53. 399 J. Nannes, Le private enforcement: l’expérience américaine, Concurrence & consommation n° 153, juin 2007, Numéro spécial, p. 28. 125 270. Cette dérogation au principe indemnitaire en matière civile américaine, que constituent les dommages et intérêts punitifs, s’explique par la conception de la justice civile par rapport à la justice pénale aux Etats-Unis avec des liens entre les deux qui apparaissent plus étroits, que les liens entretenus entre justice civile et justice pénale en France notamment 400. Ainsi, les juridictions civiles 37F américaines vont pouvoir jouer un rôle répressif, bien qu’il ne s’agisse pas de leur fonction historique et bien que l’action ait été mise en œuvre par le justiciable et non par les pouvoirs publics. Cette conception particulière de la justice civile explique alors que la détermination du montant des dommages intérêts à allouer aux demandeurs puisse être possible même en l’absence d’identification individuelle des demandeurs à la procédure. 271. Somme de tous les montants. L’addition de ces deux montants, à savoir les dommages intérêts alloués au titre de la réparation et les dommages intérêts punitifs constitue alors la somme à payer par la défenderesse. Les frais de justice et les frais d’avocats vont être versés en priorité 401 et la 378F somme restante sera partagée entre les victimes en fonction du plan de distribution déterminé à l’avance. Dans le cas des transactions notamment, les défendeurs peuvent s’engager à payer le montant des préjudices subis par les demandeurs en fonction des principes directeurs décrits cidessus, en fixant simplement un plafond d’indemnisation global402. ii) Un retour à l’opt in au stade de l’indemnisation 272. Une fois déterminée la somme globale à payer par les défendeurs reconnus responsables, elle sera consignée 403. Le plus souvent, aux Etats-Unis, un fond (Common found) est crée, à titre temporaire, 380F pour déterminer les détails de l’indemnisation404. La notice de la transaction ou du jugement fera 3 l’objet d’une publication informant les demandeurs potentiels du résultat de la procédure et du délai dans lequel les victimes devront se faire connaître. C’est alors que les demandeurs, membres de la 400 L’action civile peut être portée devant les juridictions pénales en France, voir F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit Civil, Les obligations, Précis Dalloz, 10ème éd., 2009. 401 N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature, RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 41, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 402 Ibid. 403 La consignation est « le dépôt d’espèces, de valeurs ou d’objets entre les mains d’une tierce personne à charge pour elle de les remettre à qui de droit. Ainsi du plaideur qui dépose au greffe de la juridiction la somme nécessaire à la couverture des frais ou des vacations de l’expert », Lexique des termes juridiques 2012, Guinchard (S.) et Debard (T.), Dalloz, 19ème éd., 2011, p. 220. 404 N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature, RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 126 class vont se manifester et ainsi pouvoir être identifiés individuellement. Il appartiendra alors à chacun de fournir les éléments de preuve documentaires permettant de justifier des achats effectués et la réclamation formulée. Au terme du délai déterminé dans la notice d’information, un bilan des personnes qui se sont manifestées et des sommes à allouer est effectué. Si une somme globale a été fixée en amont et un principe de la distribution complète a été adopté, l’indemnisation individuelle sera ajustée. Dans le cas contraire, si une partie du montant consigné n’a pas été réclamée, le défendeur peut récupérer la somme restante 405. Dans le cadre, d’une transaction, il peut être décidé 382F d’un partage de la somme restante entre le défendeur et les demandeurs. 273. Un retour au système d’opt in après le jugement au fond. Ainsi, finalement après le jugement au fond, une dernière phase existe dans la procédure de class action. Cette ultime phase est consacrée à la vérification des preuves documentaires, qui vont être nécessaires pour le paiement des sommes allouées aux demandeurs. L’identification des personnes représentées à la class intervient de manière individualisée à ce stade de la procédure seulement. En effet, les personnes doivent se manifester explicitement auprès du tiers en charge de la répartition de l’indemnisation, pour bénéficier du jugement, dont les modalités ont fait l’objet de la publication. 274. Une initiative similaire, originale en Europe. Une initiative originale d’une société en Europe sur la base de ce système globalisé de détermination des dommages intérêts a été adoptée. Ce système de globalisation de l’indemnisation a, en effet, été appliqué en Europe récemment, en matière de concurrence, dans l’affaire des tuyaux marins 406, par la société Parker ITR, partie à l’entente et 38F condamnée, à ce titre, par les autorités européennes de la concurrence 407. Elle a créé, en dehors de 384F toute procédure judiciaire, un fond d’indemnisation au profit de ses clients pour les achats effectués en dehors des Etats-Unis 408. 385F 275. La transaction proposée, dont a eu la charge le cabinet d’avocats londonien Hausfeld LLP prévoyait qu’en contrepartie de l’abandon des poursuites contre Parker ITR, ses filiales, et son personnel, les acheteurs avaient vocation à recevoir: 405 Ibid, p. 41. Voir Supra §. 100. 407 Décision du 28 janv. 2009, relative à une mesure d'application de l'article 81 du traité et de l'article 53 de l'accord EEE, aff. COMP/39406, Tuyaux marins, non publiée au JOUE. 408 Voir site Internet du Cabinet Hausfeld LLP : http://www.hausfeldllp.com/pages/current_investigations/167/marine-hose; De nombreuses firmes d’avocats américaines ont vu avec les différentes propositions de la Commission européenne une opportunité de développer leur activité en matière de recours collectifs en Europe, voir A. Garamfalvi, US Firm prepare for European Class action, Legal Times, June 25, 2007. 406 127 – une indemnité limitée en moyenne, à 16% du montant de leurs achats pour une période déterminée après vérification des preuves documentaires relatives à la réalité de ces achats par un expert indépendant ; – la coopération de Parker ITR dans le cadre de leurs actions judiciaires à l’encontre des autres entreprises ayant participé au cartel. A ce titre, elle offrait de leur fournir (i) des éléments de preuve (témoignages, documents…) qui pourraient leur être nécessaires et (ii) de supporter le coût des frais qui seraient mis à leur charge en cas d’échec de la procédure. L’estimation du préjudice dans ce cas est forfaitaire et le règlement est confié à un expert indépendant qui opérera en fonction des pièces justificatives apportées par les demandeurs. La transaction prend également en charge les recours éventuels formés par les acheteurs à l’encontre des autres entreprises, partie à l’entente afin d’anticiper sur la question de la responsabilité conjointe et solidaire des auteurs des pratiques sanctionnées 409. 386F 276. Contrairement au système américain, l’indemnisation proposée ne pouvait donner lieu à un contrôle du juge. De plus, cette initiative européenne n’a pu intervenir qu’en dehors des prétoires, au titre d’une transaction privée car dans l’ensemble des pays de l’Union, les juges sont tenus par le principe de la réparation intégrale du préjudice et par son corollaire, le principe de l’enrichissement sans cause 410. Ainsi, en aucun cas, sauf disposition législative expresse, un juge en Europe ne 387 F pourrait procéder suivant cette méthode de détermination globale du préjudice, en l’état actuel du droit positif. Conclusion du paragraphe 1 277. L’action de groupe implique qu’a priori les personnes représentées à l’action ne sont pas au moins pour partie identifiées à la procédure et donc que des modalités d’exercice de l’action doivent être mises en œuvre pour permettre l’identification de ces personnes, modalités qui seront nécessairement elles-aussi exorbitantes du droit commun. 278. A titre préliminaire, l’exemple américain montre que bien que non identifiées de manière individuelle et complète dans le premier stade de la procédure, les personnes représentées sont tout 409 410 Ibid. Voir Supra §. 356 et s. 128 de même identifiables à l’issue de la phase de certification de la class, qui apparait ainsi d’autant plus indispensable au bon déroulement de la procédure d’action de groupe. 279. Ensuite, premièrement, l’autorisation de la procédure devra être suivie d’une publicité de la procédure dont l’objet sera l’information des personnes représentées. Cette publicité de la procédure conditionne alors son déroulement. Elle est indispensable à l’identification des personnes représentées. Cependant, cette publicité devra être strictement encadrée et contrôlée par le juge pour limiter les atteintes potentielles aux droits des défendeurs. 280. Deuxièmement, une fois informées de l’existence de l’action, les personnes représentées devront se manifester afin de consentir à l’exercice de leur droit d’action dans le cadre de la procédure. Ceci permettra, selon le système retenu, de les identifier individuellement. Il existe en effet deux systèmes permettant leur identification. Le choix entre ces systèmes conditionnera le mode de détermination de l’indemnisation des demandeurs. Le premier système dit « d’opt in » repose sur un consentement explicite des parties potentielles à la procédure concernant la représentation en justice par un tiers. Il aboutit à une identification de ces personnes avant le jugement au fond et permet une indemnisation individuelle des personnes. Le second système dit « d’opt out » repose lui sur un consentement tacite des parties à la représentation par un tiers à la procédure, dont l’identification individuelle n’interviendra qu’au moment du paiement de l’indemnisation, soit après le jugement au fond. Dans ce second système, la détermination du montant des dommages et intérêts ne pourra se faire que de façon globalisée. Le système américain montre que le choix va ainsi être déterminé en fonction des principes sous-jacents à l’action collective, c'est-à-dire en fonction des principes de la responsabilité civile et du système judiciaire dans lequel elle s’inscrit, le but étant de parvenir à une solution qui fonctionne. Il montre ainsi l’exemple d’une procédure cohérente, menée à son terme, permettant une indemnisation des personnes représentées, aussi nombreuses soient elles, et ce, dans le respect des principes fondamentaux du droit américain et de la conception de la justice civile de ce dernier. 281. De ces modalités originales d’exercice de l’action en justice, deux enseignements peuvent être retenus. Le premier est que la procédure doit apparaître cohérente, au regard de la mise en œuvre de ces modalités d’exercice de l’action, et notamment en prenant en compte les principes fondamentaux du droit, dans lequel va s’inscrire la procédure. Le second enseignement est que ces formalités, exorbitantes du droit commun, vont entraîner une conduite de la procédure plus complexe et nécessitent plus de formalités que pour une action en justice ordinaire. Cela entrainera une 129 augmentation des coûts et des délais de procédure. Il faudra en tenir compte lorsque la question du domaine d’application de la procédure se posera. 282. Transition. Les personnes représentées n’étant informées et identifiées que, dans le second temps de la procédure, il est possible de s’interroger sur le rôle de ces dernières, dans cette procédure hors norme. Il s’agit de déterminer comment et dans quelle mesure, dans le système de référence américain, les interventions des personnes représentées vont être rendues possibles. §2) L’intervention des personnes représentées à la procédure 283. L’acceptation de se faire représenter à la procédure d’action de groupe par un tiers signifie que les personnes représentées ne peuvent plus intervenir à la procédure pour orienter la conduite de la class de manière formelle. En effet, les membres du groupe ne sont pas considérés, au niveau procédural, comme des parties à l’action et elles n’ont ainsi pas les droits afférents à ce statut, hormis celui de se prévaloir du jugement final. Le fait de s’inclure dans la class induit que les personnes acceptent que la conduite de la procédure soit assumée par le Demandeur représentatif et le Class Counsel. 284. Cependant, la procédure américaine de la class action aménage des phases dans lesquelles les membres du groupe vont pourvoir s’identifier individuellement et intervenir volontairement à la procédure. Cette possibilité leur est donnée en amont de la procédure tout d’abord puis en cours de procédure avant le jugement au fond (A). De plus, en cas de transaction proposée, les personnes représentées vont devoir intervenir pour l’acceptation de cet accord et, ce du fait de la nature conventionnelle de la solution alors adoptée (B). A) L’intervention des membres du groupe en tant que partie à la procédure 285. Une intervention possible à l’action dans la bataille des postulants. Il apparait en premier lieu que les personnes représentées à la procédure vont pouvoir demander à comparaître personnellement devant le juge, en amont de la procédure, soit en candidatant au rôle de Demandeur Représentatif (Representative plaintiff), soit en contestant la candidature d’un autre demandeur souhaitant assumer ce rôle 411. 38 F 411 Voir Supra §. 164. 130 286. Une intervention volontaire possible des membres du groupe en amont du jugement. En second lieu, dans le cadre de la publicité de la procédure, il est précisé dans la notice publiée par le juge de la certification que « les demandeurs, qui ne demandent pas l’exclusion du groupe, pourront, s’ils le désirent, comparaître en justice à travers la représentation de leur avocat »412. Ainsi, dès lors 3 89F qu’une personne prend connaissance de l’existence de la procédure et décide d’exercer son droit à l’action au sein de la procédure de class action, elle peut décider d’apparaître à la procédure, soit en signant une convention de représentation avec le Class Counsel, soit en s’arrogeant les services d’un autre avocat, qui entrera en contact avec le Class Counsel pour être tenu informé des avancements de la procédure. Mais le rôle de ces personnes dans la conduite de la procédure sera limité. Elles pourront par exemple, être citées comme témoin par la partie adverse comme par le Class Counsel 413. La procédure américaine de la class action prévoit une obligation d’information pour ce 390F dernier envers les parties représentées limitée à leur droit à intervenir volontairement à l’instance 414. 391F Le législateur américain vise ainsi la cohérence dans la conduite de la procédure. 287. Ainsi, le consentement donné par les parties représentées lors de la phase d’identification (système d’opt out), s’entend du droit à agir, ainsi que de l’exercice discrétionnaire de ce droit, la limite étant que le représentant est tenu de représenter au mieux les intérêts des membres du groupe sous peine de voir contester son action au bénéfice d’un autre représentant. Il est toujours possible, dans la relation représentant/représentés, pour le représenté, de fournir, de manière informelle, des éléments au soutien des prétentions du groupe et de demander l’audition de certaines personnes, à titre de témoins, via son propre avocat. En revanche, dans le cadre d’un règlement à l’amiable du litige, les personnes, membres potentiels de la class retrouvent le droit d’intervenir à l’instance. B) L’intervention des membres du groupe en cas de transaction 288. Un possible règlement du litige à l’amiable. En vertu de la Règle 23(e) FRCP, à tout moment de l’instance, les parties peuvent conclure un arrangement à l’amiable. Un projet de transaction peut être rédigé par l’avocat du Demandeur Représentatif, en concertation avec l’avocat des défendeurs dès lors qu’un accord est trouvé entre les différentes parties. En pratique, un projet de transaction circule entre les différentes parties (et plus précisément entre les différents avocats) jusqu’à ce que chacun soit d’accord sur la rédaction de la transaction. Ensuite, cette transaction, destinée à être 412 Voir Rule 23 (c)(2) FRCP. Voir D. R. Hensler, N.-M. Pace, B. Dombey-Moore, E. Giddens, J. Gross, E. Moller, Class actions dilemmas, Pursuing public goals for private gain, RAND Institute for Civil Justice, Rand Publishing, 1ère éd., 2000. 414 Voir Rule 23 (f) FRCP. 413 131 opposée à tous les membres de la class, sera soumise au contrôle et à l’approbation du juge, qui devra vérifier si la proposition de transaction est « juste, raisonnable et adéquate » 415 pour les 3 92F membres du groupe. Le juge organise alors une audition (Fairness Hearing) au cours de laquelle les personnes représentées, informées préalablement par voie de publicité, pourront faire valoir leur opinion sur les propositions formulées416. Une décision d’homologation ou de rejet sera rendue au terme du processus 417. 39F 289. La publicité de la transaction. Dès lors que la transaction est envisagée après la certification de la class, la publicité des propositions formulées doit être organisée. La notice publiée va alors comprendre plusieurs informations relatives au projet de transaction. L’objet du litige y est présenté418. Un avertissement est donné aux lecteurs sur la nécessité de prêter attention à ce 3 document car il comprend les droits à dommages et intérêts de chacun et les modalités à suivre afin d’obtenir sa part de dommages et intérêts. Par exemple, sont précisées les conditions d’envoi des justificatifs nécessaires à la détermination du bien fondé de la demande à réparation, en ce y compris le délai fixé pour se manifester en ce sens. Plusieurs transactions peuvent être conclues dès lors qu’il existe une pluralité de défendeurs. La notice comprend alors un descriptif sommaire du contenu des différentes transactions avec le montant global que chacun des défendeurs a accepté de payer individuellement et le type de frais que recouvre cette somme d’argent. L’adresse du greffe de la juridiction compétente apparait également afin de pouvoir consulter l’intégralité des accords conclus. Dans le projet de transaction figure également la clef de répartition des dommages et 415 Rule 23(e)(2) FRCP. Il resort de l’étude de MM. Th. Eisenberg, et G. P. Miller que le nombre d’objections soulevées est souvent faible, Th. Eisenberg, G. P. Miller, The Role of Opt-Outs and Objectors in Class Action Litigation: Theoretical and Empirical Issues, Law & Economics Research Paper Series, New York University, March 23, 2004. 417 Voir pour les modalités d’homologation des transactions par le juge, N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature, RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 41, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 418 Un descriptif approfondi du litige: 1. Rappel des défendeurs, 2. Rappel des préjudices allégués, 3. Rappel des éléments de procédure accomplis, 4. Rappel du fait que les défendeurs ne reconnaissent pas leur responsabilité, 5. Mention que le choix de la transaction est fait pour éviter des dépenses, inconvénients supplémentaires et une procédure longue (to avoid further expense, inconvenience, and the distraction of burdensome and protracted litigation), 6. Mention selon laquelle si la transaction est acceptée par la cour elle mettra fin au litige, et 7. Mention que les plaignants et leur avocat considèrent que l’accord a été rédigé dans le meilleur intérêt des membres de la class et qu’il est « fair, reasonable and adequate » et que la décision de transiger a été prise après avoir pris en compte les chances de succès au cas où l’affaire devrait être portée devant un jury. 416 132 intérêts entre les membres de la class. Les honoraires d’avocats et les frais sont traités par un acte particulier appelé « Fee petition » lui-même soumis à l’approbation du juge 419. 395 F 290. La possibilité d’exclusion de la transaction des membres du groupe. La notice donne ensuite une explication relative aux choix qui s’offrent aux membres de la Class et de leurs conséquences 420. 396F Ces choix sont les suivants : Possibilité de rester dans la class et de bénéficier de la transaction. Dans ce cas, il sera nécessaire pour le membre du groupe de faire parvenir ses justificatifs suivant les modalités prévues dans un formulaire, appelé le « Proof of Claim Form » avant la date prévue. Possibilité de rester dans la class et de bénéficier de la transaction, mais par l’intermédiaire de son propre avocat. Dans ce cas, le demandeur devra faire parvenir au greffe de la juridiction et aux différents avocats des autres demandeurs et des défendeurs un document précisant qu’il souhaite apparaître à la procédure (Entry of Appearance). Cette notification doit se faire, avant l’expiration du délai imparti, et lui permettra alors de faire entendre son opinion au cours de l’audition, préalable à l’homologation de l’accord. Possibilité de s’exclure de la class ayant choisi de recourir à la transaction. Le demandeur devra envoyer une demande d’exclusion au greffe de la juridiction en précisant son nom et son adresse et en identifiant, de manière précise, la class, de laquelle il souhaite s’exclure. Cet envoi doit se faire dans un délai donné de 20 jours avant l’audition (Fairness Hearing). Toute personne qui s’exclut ne pourra pas réclamer le bénéfice de la transaction. Cependant, rien ne l’empêche d’entamer une nouvelle action contre les défendeurs à titre individuel. 419 Rule 23(h) FRCP: “In a certified class action, the court may award reasonable attorney's fees and nontaxable costs that are authorized by law or by the parties' agreement. The following procedures apply: (1) A claim for an award must be made by motion under Rule 54(d)(2), subject to the provisions of this subdivision (h), at a time the court sets. Notice of the motion must be served on all parties and, for motions by class counsel, directed to class members in a reasonable manner. (2) A class member, or a party from whom payment is sought, may object to the motion. (3) The court may hold a hearing and must find the facts and state its legal conclusions under Rule 52(a). (4) The court may refer issues related to the amount of the award to a special master or a magistrate judge, as provided in Rule 54(d)(2)(D)”. 420 Voir Rule 23(e) FRCP. 133 Possibilité de contester la transaction, mais simplement le plan de distribution et la Fees Petition. Dans ce cas, le demandeur devra envoyer ses objections au greffe de la juridiction dans les vingt jours, précédant la Fairness Hearing et une copie aux avocats du Demandeur Représentatif et des défendeurs 421. 397F 291. L’audition (Fairness Hearing). Le processus d’homologation de la transaction par le juge inclut une procédure orale, dont l’objet est l’examen de la validité de la proposition de transaction, qui doit apparaître comme « juste, adéquate et raisonnable », du plan de distribution et du Fees Petition. Les objectifs de cette audience comme la date à laquelle elle se tiendra sont précisés dans la notice publiée. Au cours de cette audition, les membres de la class vont pouvoir intervenir oralement et faire valoir leur point de vue et leurs objections éventuelles devant le juge 422. Pour cela, ils doivent envoyer une lettre au greffe exprimant leur volonté d’apparaître à la procédure et d’être entendu (Notice of Intention to Appear) et une copie de cette lettre aux avocats des demandeurs et des défendeurs. 292. Les effets des transactions. Au terme du processus, si l’accord est approuvé, il est consommé. Les membres de la class seront alors forclos dans leurs droits. En revanche, si l’accord n’est pas approuvé par le juge, le litige se poursuivra. 293. Ainsi, les membres potentiels de la class peuvent intervenir dans le processus de transaction du litige. Ils peuvent, tout d’abord, s’exclure de la procédure et ainsi refuser de se voir opposer la transaction, conservant alors le droit d’aller porter leur action en justice de manière individuelle. Ensuite, dès lors qu’ils souhaitent conserver leur statut de membres de la class, ils peuvent contester les termes de la transaction concernant le caractère « juste, adéquat et raisonnable » du projet de transaction, la détermination du plan de distribution et des honoraires d’avocats, lors de l’audience d’homologation devant le juge. L’intervention des représentés, dans ce cas, plus importante que dans le cadre d’un règlement judiciaire du litige, s’explique par la nature même de la transaction, nécessitant la rencontre des volontés de chacun des participants afin de parvenir à une solution à l’amiable, dans lequel le rôle des juridictions est moindre. 421 Les coordonnées des avocats sont mentionnées à la fin de la notice. Pour une étude comparative entre les objections soulevées en cas de proposition de transaction et l’exercice des voix dans un contexte politique, voir J. C. Coffee, Jr., Class Action Accountability: Reconciling Exit, Voice, and Loyalty in Representative Litigation, 100 Colum. L. Rev. 370, 420 (2000). 422 134 Conclusion de la Section 1 294. Dès lors qu’il est permis à une personne d’ester en justice pour autrui, il faut alors prendre en compte le statut des personnes représentées et concilier leurs intérêts avec celui du Demandeur Représentatif. L’étude du modèle américain montre alors qu’il existe deux postulats, sous jacents à la question du statut des représentés, dans l’action collective. D’une part, les personnes représentées ne vont être que simplement identifiables, à l’introduction de l’action, et ainsi devoir être identifiées au cours de l’instance. D’autre part, elles vont potentiellement pouvoir ou devoir intervenir à la procédure. Ces caractéristiques propres à l’action collective vont avoir des conséquences procédurales importantes, certaines étapes de la procédure apparaissant indispensables au bon fonctionnement de cette dernière. 295. En premier lieu, il est indispensable d’obtenir le consentement des personnes représentées à l’action à un moment ou à un autre de la procédure. Pour cela, il faut les informer de l’existence de la procédure et de leurs droits dans le cadre de cette action. Ainsi, une publicité de la décision de la certification de la class, dont le contenu et la diffusion devront être soumis au contrôle du juge, devra être mise en œuvre. Le consentement à la procédure sera lui explicite ou implicite suivant le modèle choisi d’inclusion ou d’exclusion du groupe de personnes représentées. 296. En second lieu, bien que le fait d’accepter d’être représenté par un tiers signifie renoncer à l’exercice de ses droits sur la conduite de la procédure au cours de l’instance, dans certaines circonstances, comme lors d’une transaction, les membres du groupe vont être amenés à intervenir à la procédure. En conséquence, la procédure de l’action collective devra être aménagée pour permettre ces interventions. Au regard de ces différents éléments, il apparaît que l’action collective est une procédure judiciaire nécessairement plus complexe à mettre en œuvre que la procédure individuelle de droit commun. 297. Ces constatations expliquent d’autant plus le contrôle rigoureux du juge sur les conditions de certification, portant notamment sur l’aptitude du représentant à conduire la procédure et sur la garantie qu’il sera le plus à même de servir au mieux les intérêts de la class. Ces conditions de certification apparaissent ainsi comme essentielles à l’équilibre de la procédure et à la justification de son recours dans des conditions justifiant d’une dérogation au droit commun. Cependant, ces modalités de mises en œuvre de la procédure de class action en droit américain peuvent venir se 135 heurter à certains principes considérés comme fondamentaux dans les pays européens de droit romano-germanique. Ainsi il faudra pour les législateurs européens choisir les contraintes les moins importantes dès lors qu’ils auront la volonté politique d’adopter de telles procédures. SECTION II : DANS LES PAYS EUROPEENS DE DROIT DE TRADITION ROMANO-GERMANIQUE 298. Le fait que les parties à la procédure d’action collective ne soient qu’identifiables à l’introduction de l’instance est contraire à l’obligation de loyauté, qui gouverne l’exercice de l’action en justice dans les pays de droit de tradition romano-germanique et en particulier en France, et qui conditionne les principes fondamentaux applicables. Ainsi dès lors que l’on envisage cette procédure en tant que procédure dérogatoire au droit commun, il faut s’interroger sur la compatibilité de ces principes avec respectivement le système d’opt in et le système d’opt out, qui permettent d’identifier les personnes représentées et de recueillir leur consentement. Ainsi, il pourra être déterminé laquelle de ces modalités porte le moins atteinte aux principes sous-jacents à l’action en justice (§1). 299. De même, comme l’a démontré le modèle américain, le fait que les personnes représentées ne soient qu’identifiables peut avoir des répercussions sur la méthode de détermination du montant du préjudice subi par ces dernières. Cependant, dans les pays européens de droit de tradition romanogermanique, les principes gouvernant la responsabilité civile sont celui de la réparation intégrale des préjudices et celui de l’interdiction de l’enrichissement sans cause. Les modalités de mise en œuvre de l’action devront être déterminées en fonction du respect de ses deux principes (§2). §1) La préservation des principes fondamentaux gouvernant l’action civile 300. L’obligation de loyauté 423 dans l’exercice de l’action en justice – action individuelle – se retrouve 398F en droit français avec notamment la maxime Nul ne plaide par procureur 424. Datant de l’époque 39F révolutionnaire, cette maxime désignait alors une obligation de présence des parties lors du procès. Le principe de la représentation en justice, à travers l’institution de l’avocat est désormais établi et la 423 On retrouve en droit allemand l’idée de loyauté qui se matérialise à travers la transparence de la procédure. En effet, le Code de procédure civile en droit allemand prévoit que les actes de procédure doivent contenir des renseignements sur les parties comme sur leur représentant (ZPO §. 129 et s. (dispositions communes à toutes les juridictions) et ZPO §. 253, al. 2 pour les tribunaux régionaux). 424 La Maxime est officiellement « Nul ne plaide par procureur, hormis le roi », Etablissements de Saint Louis, Livre II, chapitre VIII (recueil d'ordonnances et règlements publiés par Louis IX en 1269); « La maxime s’est maintenue avec un sens nouveau; elle a interdit la pratique employée par certains seigneurs et consistant à plaider sous un prête-nom; elle a déclaré impossible pour le dominus litis de faire disparaître sa personnalité derrière celle de son mandataire. Tel est actuellement la portée de cette règle », J. Vincent et S. Guinchard, Procédure civile, Précis Dalloz, 27ème éd., Broché. 136 maxime signifie aujourd’hui que les justiciables ne peuvent pas être représentés en justice par un mandataire, qui occulterait la véritable partie à l’instance, ce qui se traduit in concreto par une obligation d’être nominativement identifié dans les actes de procédure 425. Cette maxime apparaît 40F manifestement comme un obstacle à la recevabilité d’une action en groupe dans laquelle, les demandeurs représentés ne sont pas identifiés nominativement à l’introduction de l’action. Cependant, aujourd’hui, cette maxime est considérée comme une condition de recevabilité de pure forme 426. Il faut également tenir compte du contexte d’adoption de ce principe. En effet, à cette 401F époque, il s’agissait pour les pouvoirs publics de prévenir leur crainte de voir se constituer des corps intermédiaires, tels que les syndicats ou les associations. Mais cette crainte n’a plus lieu d’être aujourd’hui. Par ailleurs, dans ce principe, est exprimée la volonté de protéger les justiciables et les droits de la défense. Cependant, dans le cadre de l’action de groupe, telle que décrite dans le chapitre précédent, les modalités de l’action, en particulier dans le système d’opt in, sont pensées pour permettre une identification des parties représentées, en vue de garantir, d’une part, les droits de la défense, et d’autre part, les intérêts des personnes représentées. L’application de ce principe pourrait être écarté, à titre dérogatoire, pour les actions de groupe et ce, au nom de la bonne administration de la justice, objectif auquel entend répondre l’action de groupe 427. M. Le président de la Cour de 402F Cassation, G. Canivet, s’est interrogé en ce sens dans un colloque sur le thème « Pour de véritables actions de groupe : un accès efficace et démocratique à la justice », organisé par l’association UFCQue Choisir, le 10 novembre 428. Par ailleurs, certains auteurs ont d’ores et déjà pris position en 403F faveur de la suppression de ce principe pour les actions de groupe 429. La maxime du Nul ne plaide 40F par procureur ne semble pas être un obstacle majeur à l’introduction d’action collective en Europe. 301. En revanche, d’autres principes régissant l’exercice de l’action en justice, et consacrés par les plus hautes juridictions françaises posent plus de difficultés. Il en est ainsi de la liberté individuelle d’agir en justice qui pose alors la question du consentement à l’action et de la compatibilité de ce principe 425 S. Cabrillac, Pour l’introduction de la class action en droit français, LPA, 18 août 2006, n° 165, p. 4; H. Roland et L. Boyer, Locutions latines du droit français, Litec, 4ème éd., 1998, p. 551; L. Martinet et A. Du Chastel, Du retour de l’action de groupe et du Mythe du Sisyphe, LPA, 10 mars 2009, n° 49. 426 F. Caballero, De l’archaïsme procédural à l’action de groupe, RTD civ. 1985, p. 252; MM. Henri Laurent et Laurent Boyer ont considéré que le principe du Nul ne plaide par procureur était une « maxime de pure procédure », H. Roland et L. Boyer, Locutions latines du droit français, op. cit., note 7, p. 554. 427 Voir Supra. §. 64. 428 Des obstacles juridiques à l’action de groupe, Discours prononcé par le Premier président de la Cour de Cassation, G. Canivet, au colloque organisé le 10 nov. 2005, par l’association UFC-Que choisir, sur le thème « Pour de véritables actions de groupe : un accès efficace et démocratique à la justice ». 429 S. Cabrillac, Pour l’introduction de la class action en droit français, LPA, 18 août 2006, n° 165, p. 4; D. Houtcieff, Les class actions devant le juge français: rêve ou cauchemar?, LPA, 2005, n° 115, p. 22; F. Caballero, Plaidons par procureur! De l’archaïsme procédural à l’action de groupe, op. cit., p. 247. 137 fondamental avec le système d’opt out (A). De même, les principes directeurs de l’action en justice, tel que le respect des droits de la défense, l’autorité de la chose jugée ou encore l’interdiction des arrêts de règlement sont autant de principes à examiner au regard du système d’opt out et du système d’opt in pour s’assurer que les modalités d’exercice de l’action sont compatibles avec ces principes (B). A) Le consentement des personnes représentées à l’exercice de l’action en justice 302. La liberté fondamentale d’agir en justice apparaît comme une des composantes de la liberté individuelle, consacrée, à ce titre, au plus haut niveau de la hiérarchie des normes. Ainsi l’article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (CESDH) la consacre au niveau européen au travers le droit à un procès équitable. De même, les plus hautes juridictions des Etats membre de l’Union européenne, comme le Conseil Constitutionnel et la Cour de cassation en France et la Cour fédérale allemande, ont reconnu le caractère fondamental de cette liberté. En Allemagne par exemple, la Loi fondamentale consacre comme principe constitutionnel « le droit de tout citoyen à être entendu et à participer à la procédure judiciaire » 430 405F . La liberté d’agir en justice induit alors que l’exercice de ce droit par un tiers nécessite de recueillir le consentement de la personne, détenteur du droit. 303. La forme la plus aboutie de consentement à l’exercice du droit par autrui est le mandat 431, 406F résultante d’un consentement réciproque des parties, par lequel le mandataire va accomplir un ou plusieurs actes juridiques au nom et pour le compte du mandant. Cependant, dans le cadre de l’action de groupe, la production formalisée de mandats par les personnes représentées à l’introduction de l’instance est écartée, le Demandeur Représentatif agissant en dehors de toute délégation de pouvoir. Le consentement des parties est alors exigé en aval de la procédure. Dans un système d’opt out, l’identification individuelle des personnes représentées et le recueil explicite de leur consentement sont prévus à l’issue de la procédure, au moment de l’indemnisation, ce qui a conduit certaines autorités en Europe, dont le Conseil de la concurrence français à s’y opposer (1). 430 La liberté pour tout justiciable d’agir en justice occupe également une place importante dans le système allemand, qui consacre, dans sa Loi fondamentale, « le droit de tout citoyen à être entendu et à participer à la procédure judiciaire » (Loi fondamentale pour la République fédérale d'Allemagne du 23 mai 1949, Journal officiel fédéral, p. 1, BGBl. III 100-1, art. 103). Ce principe constitue en Allemagne également un point de blocage à la reconnaissance de l’action de groupe en droit positif, D. Baetge, Class Actions, Group Litigation & Other Forms of Collective Litigation: Germany, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre for sociolegal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 431 Voir définition dans le Lexique des termes juridiques 2012, Guinchard (S.) et Debard (T.), Dalloz, 19ème éd., 2011, p. 340. 138 En revanche, dans le cadre du système d’opt in, l’identification des personnes représentées à la procédure et le recueil de leur consentement sont opérés avant le jugement au fond, ce qui apparaît comme compatible avec les exigences constitutionnelles en la matière (2). 1) Le système d’opt out face à la liberté d’agir en justice des personnes représentées : l’exemple français 304. Dans le cadre du système d’opt out, seules les personnes qui ne souhaitent pas bénéficier du jugement final ou de la transaction éventuelle du litige doivent se manifester dans un délai donné. Toutes les personnes qui ne se manifestent pas, sont réputées avoir consenties à l’exercice de l’action par autrui pour leur compte, renonçant ainsi au droit d’aller porter leur action en justice devant les juges de première instance. Dans ce cas, le consentement des personnes représentées est seulement présumé, les législateurs partant du postulat que la publicité de la procédure a permis de prévoir et d’informer suffisamment l’ensemble des personnes susceptibles d’appartenir au groupe de demandeurs représentés. Cependant, le Conseil constitutionnel français a jugé cette modalité de recueil des consentements non conforme avec la Constitution française, en ce qu’il porte atteinte à la liberté individuelle des justiciables. Dans une décision de 1989432, il a en effet censuré un projet de 4 loi portant sur les modalités de mise en œuvre de l’action en substitution des syndicats. 305. La décision du Conseil de 1989: le déferrement de la loi relative à l’action en substitution des syndicats. En date du 3 juillet 1989, plusieurs sénateurs ont saisis le Conseil constitutionnel concernant la compatibilité d’un projet de loi modifiant le Code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit de la conversion à la constitution. Ce projet de loi prévoyait notamment, en son article 29, l’ajout au Code du travail d’une disposition relative au droit d’ester en justice des associations syndicales ainsi formulée : «les organisations syndicales représentatives peuvent exercer en justice toutes actions qui naissent des dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles régissant le licenciement pour motif économique et la rupture du contrat de travail visée au troisième alinéa de l'article L. 321-6 du présent code en faveur d'un salarié, sans avoir à justifier d'un mandat de l'intéressé. Celui-ci doit avoir été averti par lettre recommandée avec accusé de réception et ne s'y être pas opposé dans un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle l'organisation syndicale lui a notifié son intention. A l'issue de ce délai, l'organisation 432 Décision n°89-257 DC, du 25 juil. 1989, sur la Loi modifiant le code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion, JO du 28 juil. 1989, p. 9503, Recueil, p. 59, comm. Pouvoirs, Actualité juridique droit administratif, 1989, p. 796, obs. Rohmer-Benoit (Fl.); Annuaire international de justice constitutionnelle, 1989, p. 488, 503 et 504, obs. Genevois (B.). 139 syndicale avertit l'employeur par lettre recommandée avec accusé de réception de son intention d'ester en justice. Le salarié peut toujours intervenir à l'instance engagée par le syndicat. » (Soulignements ajoutés). La loi consacrait ainsi un système d’exclusion (système d’opt out) dans le cadre de l’action en substitution des syndicats, les personnes représentées ne devant se manifester qu’en cas de désaccord avec la représentation en justice proposée. 306. La décision du Conseil de 1989 : les motifs de sa saisine. Les sénateurs ont alors protesté arguant de la violation d’une part des dispositions du Préambule de la Constitution étant donné que le projet de loi conférait des prérogatives aux organisations syndicales pour tous les salariés qu’ils soient ou non syndiqués, alors que pour les sénateurs, la défense des droits individuels des travailleurs par un syndicat devait être dépendante de leur adhésion au syndicat. D’autre part, les auteurs de la saisine ont argué de la violation à l’article 1 er de la Déclaration des droits de l’Homme 433 proclamant la liberté individuelle, en ce sens où la loi aboutissait à « placer les 408F organisations syndicales au dessus des individus », portant ainsi « atteinte à la liberté des salariés et notamment à leur liberté de conscience »434. 4 09F 307. La décision du Conseil de 1989 : les étapes du raisonnement du Conseil. Le Conseil constitutionnel a considéré que les dispositions constitutionnelles citées par les sénateurs ne faisaient pas obstacles à l’allocation de prérogatives aux organisations syndicales pour la défense des intérêts des salariés en justice et ce, que ces derniers soient membres ou non dudit syndicat. Cette position apparaît cohérente au regard des droits conférés aux différentes associations de défense autorisées à agir dans le domaine précisé dans leur objet statutaire, indépendamment de la filiation à l’organisme 435. Cependant, il ajoute que « les modalités de mise en œuvre de (ces) prérogatives […] 410F doivent respecter la liberté personnelle du salarié, qui comme la liberté syndicale, a valeur constitutionnelle ». 436 41F 308. La décision du Conseil de 1989 : La solution de principe. Le Conseil considère alors : « que, s'il est loisible au législateur de permettre à des organisations syndicales représentatives d'introduire une action en justice à l'effet non seulement d'intervenir spontanément dans la défense d'un salarié mais aussi de promouvoir à travers un cas individuel, une action collective, c'est à la 433 Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen (DDHC) du 26 août 1789, art. 1er : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune ». 434 Décision n° 89-257DC, op. cit., considérant 21. 435 Voir Supra § 182. 436 Décision n° 89-257DC, op. cit., considérant 23. 140 condition que l'intéressé ait été mis à même de donner son assentiment en pleine connaissance de cause et qu'il puisse conserver la liberté de conduire personnellement la défense de ses intérêts et de mettre un terme à cette action »437 (Soulignements ajoutés). Il a alors ajouté, après avoir repris les 412F modalités de l’exercice 438, que « de telles dispositions pour respecter la liberté du salarié vis-à-vis 413F des organisations syndicales, impliquent que soient contenues dans la lettre adressée à l'intéressé toutes précisions utiles sur la nature et l'objet de l'action exercée, sur la portée de son acceptation et sur le droit à lui reconnu de mettre un terme à tout moment à cette action ; que l'acceptation tacite du salarié ne peut être considérée comme acquise qu'autant que le syndicat justifie, lors de l'introduction de l'action, que le salarié a eu personnellement connaissance de la lettre comportant les mentions sus-indiquées ; que c'est seulement sous ces réserves que l'article 29 de la loi n'est pas contraire à la liberté personnelle du salarié »439 (Soulignements ajoutés). 41F 309. La consécration par le Conseil d’une obligation d’information a priori des membres représentés. Ainsi le Conseil constitutionnel souligne le caractère fondamental de la liberté individuelle d’agir en justice dans la problématique abordée. Il ne conclut pas à la violation de la Constitution, mais pose certaines réserves. Il n’exige pas, de manière explicite, un mandat exprès, a priori, des personnes potentiellement membre du groupe dans le cadre des actions en représentation. En revanche, il consacre a minima une obligation d’information des personnes représentées, qui doivent pouvoir décider d’exercer leur droit d’ester en justice « en pleine connaissance de cause »440. Cette information doit être dispensée personnellement aux personnes concernées. Elle est 4 15F à la charge de l’organisme représentant, qui doit alors justifier de sa réalisation, à l’introduction de l’action. 310. Une solution de principe requérant un consentement explicite ou le refus du système d’exclusion (opt-out) à l’américaine. Cette décision du Conseil constitutionnel a fait couler beaucoup d’encre 441. Elle est considérée par certains auteurs comme l’obstacle majeur à 416F 437 Décision n° 89-257DC, op. cit., considérant 24. Il n’est pas exigé de justifier d’un mandat, mais l’information doit être dispensée au salarié par lettre recommandée avec accusé de réception, et ce dernier ne s’oppose pas à l’action du syndicat dans les quinze jours de la réception, il est réputé avoir accepté tacitement. 439 Décision n° 89-257DC, op. cit., considérant 26. 440 Décision n° 89-257DC, op. cit., considérant 24 ; L. Martinet et A.Du Chastel, Du retour de l’action de groupe et du Mythe du Sisyphe, LPA, 10 mars 2009, n° 49. 441 Voir par exemple J. Lemontey et N. Michon, Les « class actions » américaines et leur éventuelle reconnaissance en France, Journal du droit international (Clunet) n° 2, Avr. 2009, var. 2, point 79; S. Guinchard, Une class action à la française?, Recueil Dalloz 2005, p. 2180; L. Martinet et A. du Chastel, Du retour de l’action de groupe et du Mythe du Sisyphe, LPA, 10 mars 2009, n° 49. 438 141 l’introduction d’une action de groupe en France. La Cour constitutionnelle allemande a rendu une décision similaire, qui explique en partie que le législateur allemand n’ait pas adopté pour l’heure un tel type de procédure 442. Elle paraît a minima s’opposer à l’adoption d’un système d’exclusion (opt417F out), tel que prévu dans les systèmes de class actions aux Etats-Unis 443. En effet, le Conseil écarte la 418F possibilité de consentir à l’exercice de l’action en son nom et pour son compte de manière implicite. De plus, le système d’opt out ne consacre pas d’obligation d’information individuelle des personnes représentées. En effet, la publicité de la procédure, bien que contenant des informations de nature à éclairer raisonnablement le consentement des parties potentielles à la procédure 444, est opérée par 419 F voie de presse, dès lors que les personnes ne peuvent pas être individuellement identifiées. Ainsi il n’est pas possible de s’assurer pour le Demandeur Représentatif que l’ensemble des personnes représentées, in fine, à la procédure, aient eu accès, pendant le laps de temps dédié, à l’information 445. Ce défaut potentiel d’information fut également souligné par les experts allemands 420F appelés à se prononcer sur la jurisprudence américaine en matière de Securities Class actions 446. Il a 421F été reproché, à la procédure américaine, par ces experts, la fait que les demandeurs représentés à l’action ne se voient pas notifier la décision d’ouverture de la procédure d’action de groupe, la notification apparaissant comme le mode d’information du justiciable le plus fiable et le plus complet 447. 42F 311. La confirmation de la position du Conseil vis-à-vis de l’opt out. Le Conseil constitutionnel français a confirmé cette analyse, dans ses Cahiers, indiquant que « faute de respect de cet assentiment individualisé, qui n’existe par exemple pas dans les mécanismes anglo-saxon d’opt out », l’individu serait privé abusivement d’un droit en violation de la Constitution »448. Ainsi il est 4 prévisible que si un projet ou une proposition de loi portant sur un système d’action collective, devait être adopté avec un système d’opt out, il pourrait être déclaré non conforme à la Constitution. Reste à s’interroger sur le système d’inclusion à la procédure. 442 Voir pour l’exemple de l’Allemagne, D. Baetge, Class Actions, Group Litigation & Other Forms of Collective Litigation – German, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 443 S. Guinchard, Une class action à la française?, Recueil Dalloz 2005, p. 2180. 444 Voir Supra §. 251. 445 L. Martinet et A. Du Chastel, Du retour de l’action de groupe et du Mythe du Sisyphe, LPA, 10 mars 2009, n° 49. 446 Voir In re Vivendi Universal SA, Securities Litigation, 242 F.R.D. 76, 81 (S. D. N. Y. 2007). 447 Voir In re Vivendi Universal SA, Securities Litigation, 242 F.R.D. 76, 81 (S. D. N. Y. 2007); S. J. Choi and L. J. Silberman, Transnational litigation and global securities class-action lawsuits, 2009 Wis. L. Rev. 465. 448 Voir Commentaire de la décision n° 2007-556DC du 16 août 2007, Les cahiers du Conseil Constitutionnel, Cahier n° 23, p. 22, accéssible sur le site du Conseil constitutionnel. 142 2) Le système d’opt in face à la liberté d’agir en justice des personnes représentées : l’exemple français 312. Le système d’opt in, qui prévoit un principe de consentement explicite des personnes représentées à l’exercice de l’action en leur nom, semble plus respectueux de la jurisprudence constitutionnelle 449. En effet, avant l’expiration du délai de la publicité de la procédure, les 42F personnes souhaitant se voir incluses dans le groupe de personnes représentées doivent se manifester positivement auprès des personnes en charge de la conduite de la procédure. Les justiciables qui ne se manifestent pas et qui donc ne consentent pas à être représentées au sein de l’action, conservent alors leur droit d’exercer personnellement une action individuelle à l’encontre du défendeur à l’action devant les juridictions de première instance. Ce système permet alors de pallier les risques liés à l’absence d’information d’une des personnes représentées qui n’aurait pas eu connaissance de l’existence de la procédure. 313. Demeure tout de même la question du moment de l’information. En effet, le Conseil constitutionnel déclare dans sa décision de 1989 que : « l'acceptation tacite du salarié ne peut être considérée comme acquise qu'autant que le syndicat justifie, lors de l'introduction de l'action, que le salarié a eu personnellement connaissance de la lettre comportant les mentions sus-indiquées » (soulignements ajoutés). Si cette condition est interprétée strictement, le moment du recueil des consentements dans la procédure pose problème, car il s’effectue après l’introduction de l’instance, même s’il intervient avant le jugement au fond. Le fait d’imposer au Demandeur représentatif de justifier de la réalisation de l’obligation d’information, à l’introduction de l’instance, signifie réinstaurer l’obligation d’obtention des consentements a priori, donc de mandats de la part des personnes représentées. 314. Cependant, comme l’on fait valoir les associations de consommateurs notamment 450, cette 425F formalité de l’obtention a priori de mandats, nécessaire en France dans l’exercice des actions en représentation 451, rend très difficile l’exercice de cette action. En effet, cela implique de mobiliser 426F 449 S. Guinchard, Une class action à la française?, Recueil Dalloz 2005, p. 2180. Les partisans de l’action de groupe en France, en particulier les associations de consommateurs, vont valoir que l’action de groupe à l’américaine, suivant un mécanisme d’opt out, permettrait de meilleurs résultats considérant l’objectif tendant à renforcer l’effectivité du droit d’accès au juge des citoyens français, voir Massot (J.), Baudel (J.-M.), Fourvel (J.), PuisaisJauvin (M.), Table ronde sur le thème Problèmes constitutionnels, principe de l’autorité de la chose jugée et périmètre de l’action de groupe, dans Les Recours collectifs: Etude comparée, journée d’études du 27 janv. 2006, Actes publiés, Editions de la Société de législation comparée, Colloques, volume 5, p. 99 et suivantes. 451 L’action en représentation conjointe ouverte aux associations de consommateurs en vertu de l’article L422-1 du Code de la consommation, comme l’action en représentation ouverte aux associations de défense des investisseurs boursiers prévue 450 143 des moyens importants quant au traitement de ces mandats, qu’il s’agisse de moyens financiers ou en ressources humaines. Ensuite, en France, les associations se heurtent au principe de l’interdiction du démarchage 452, comme l’a démontré l’affaire des cartels dans la téléphonie mobile 453, ce qui 427F 428F empêche les associations de faire de la publicité autour de l’action qu’elles envisagent d’introduire pour obtenir ces mandats. Ainsi le fait que l’association se fonde sur un ou deux cas pour l’introduction de l’instance apparait justifié car, cela permet à l’association de démontrer l’existence d’une multiplicité de demandes potentielles comprenant des questions de droit et de fait similaires, qu’elle peut alors préciser. En revanche, leur imposer de produire dès l’introduction de l’instance des mandats pour l’ensemble des personnes qu’elle vise dans le cadre de l’action collective apparait très restrictif. Dans le cadre de l’opt in, même si le consentement des parties n’est pas recueilli à l’introduction de l’instance, il est seulement différé de quelques semaines, le temps de se prononcer sur la recevabilité et l’opportunité de l’action et il intervient en tout état de cause avant le jugement au fond 454. Ainsi pourrait être admise l’option d’opt in, qui permet un consentement explicite des 429F à l’article L452-2 du Code monétaire et financier, imposent à ces organismes la production d’« au moins deux mandats » de consommateurs ou d’investisseurs. 452 Loi n° 71-1130 du 31 déc. 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. 453 Le Conseil de la Concurrence a, en date du 30 déc. 2005, rendu une décision de condamnation à l’encontre des trois opérateurs de téléphonie mobile français– Bouygues Telecom, SFR, et Orange France - pour échanges d'informations stratégiques portant sur les nouveaux abonnements et les résiliations, et un accord conclu entre 2000 et 2002 entre les trois opérateurs portant sur la stabilisation de leurs parts de marché autour d'objectifs définis en commun (Décision n° 05-D-65, 30 nov. 2005 relative à des pratiques constatées dans le secteur de la téléphonie mobile). Cette décision a fait l’objet d’un appel de la part des opérateurs de téléphonie qui fut rejeté (CA Paris, 12 déc. 2006, RG n° 2006/00048). Ils ont alors formé un pourvoi en cassation. La Cour de cassation a cassé partiellement l’arrêt et renvoie l’affaire devant la Cour d’appel de Paris (Cass. Com., 29 juin 2007, pourvois n° 07-10303, 07-10354 et 07-10397). L’arrêt de la Cour d’appel (CA Paris, 11 mars 2009, RG n° 2007/19110) confirme au moins partiellement la décision du Conseil : Echange d’informations ayant « accru artificiellement la transparence sur le marché et révélé aux opérateurs leur stratégie respective, leur permettant ainsi du fait de cet accord de limiter la concurrence résiduelle du marché ». Cet arrêt a fait lui aussi l’objet d’un pourvoi devant la Cour de cassation (Cass. Com, 7 avr. 2010, pourvois n° 09-12984, 09-13163 et 09-65940), qui a partiellement cassé l’arrêt de la Cour d’appel et renvoyé devant la Cour d’appel de Paris, autrement composée.). Avant même le prononcé de cette décision, l’association de consommateurs avait engagé les préparatifs d’une action en réparation des dommages subis par les consommateurs du fait de l’entente illicite, dans l’espoir de la parution annoncée d’une loi sur les actions collectives de consommateurs. Elle avait ainsi commandé une étude auprès du Cabinet Aldex en vue de mettre au point un calculateur informatique pour les dommages intérêts à réclamer. Le lendemain de la publication de la décision du Conseil, elle a informé les consommateurs, indépendamment de leur affiliation ou non à l’UFC, par le biais du site Internet www.cartelmobile.org, de l’action envisagée au civil et de la mise à disposition du calculateur. Elle leur avait alors proposé de donner un mandat en ligne à l’UFC pour engager une action en réparation. L’UFC avait relancé ensuite par emails personnels les internautes ayant visité le site sans remplir le dossier. Les pratiques préliminaires de l’UFC QUE CHOISIR, étaient alors assimilable à du démarchage juridique, prohibé en soi au titre de la loi n° 71-1130 de 1971, op. cit. Consciente des limites de sa démarche, l’association a introduit son action sous le fondement de l’action civile dans l’intérêt collectif des consommateurs de l’article L421-1 du Code de la consommation, qui permet aux associations d’exercer « des droits reconnus à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif des consommateurs ». Le Tribunal de Commerce de Paris dans un jugement du 6 déc. 2007 a requalifié l’action en défense des intérêts collectifs des consommateurs en action en représentation conjointe et a constaté l’infraction à l’interdiction du démarchage juridique. Il a alors déclaré irrecevable la demande pour violation d’une des conditions de fond de l’action, Voir Infra pour la suite de l’affaire §. 466 et s. 454 N. M. Pace, Class actions in the United States of America: an overview of the process and the empirical literature, RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, dans The Globalization of class actions, Conférence 144 personnes représentées et une information personnelle de ces dernières, même si cette information était postérieure à l’introduction de l’instance. 315. La volonté de renforcer l’accès au juge des justiciables et de rendre effectif ce droit par les pouvoirs publics vient se confronter à la liberté individuelle de porter une action en justice, constitutionnellement protégée. Le système américain de l’opt out ne semble pas compatible avec certains de nos principes fondamentaux procéduraux en la matière. Cette modalité d’exercice de l’action porte en effet atteinte, outre au principe de la liberté individuelle des justiciable, à l’obligation d’information des personnes représentées à la procédure, telle que consacrée par la plupart des juridictions nationales européennes opérant dans un système de droit romanogermanique. Seul, demeure compatible le système d’opt in, sous réserve de permettre que l’information soit dispensée en aval de l’introduction de l’instance et avant le jugement au fond. Le système d’opt out doit également être confronté aux autres principes fondamentaux qui gouvernent l’exercice de l’action en justice. B) Le système d’opt out face aux principes directeurs de l’action en justice 316. Le système d’opt out pose également la question du respect des droits de la défense et du principe d’égalité devant la juge, dans la mesure où l’identification des personnes représentées intervient en amont du jugement au fond (1). En outre, le jugement va se voir opposer à l’ensemble des personnes représentées à la procédure alors que ces dernières n’étaient pas identifiées lors du déroulement de la procédure. Il faut alors s’interroger sur le respect, d’une part, de l’interdiction des arrêts de règlement et d’autre part, sur le respect du principe de l’autorité relative de la chose jugée (2). 1) L’identification des personnes représentées et les aspects du droit à un « procès équitable » 317. La procédure de la class action doit être envisagée au regard du droit à un procès équitable et de certaines de ses composantes, comme le principe du respect des droits de la défense et le principe de l’égalité devant la justice. Ces principes, qui ont une valeur constitutionnelle et/ou supraconstitutionnelle (a) peuvent constituer des obstacles sérieux à la procédure d’action de groupe avec un système d’opt out (b). internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 145 a) La valeur constitutionnelle et supra-constitutionnelle du respect des droits de la défense et de l’égalité devant la justice 318. Le principe du respect des droits de la défense, y compris le principe du respect du contradictoire. Le Conseil constitutionnel a reconnu la valeur constitutionnelle du principe du respect des droits de la défense, dans la décision du 2 décembre1976, portant sur la loi relative au développement de la prévention des accidents du travail 455. Ce principe comprend le principe du 430F contradictoire 456, qui « implique la liberté pour chacune des parties, de faire connaître tout ce qui 431 F est nécessaire au succès de sa demande ou de sa défense. Il impose que toute démarche, toute présentation au juge d’une pièce, d’un document, d’une preuve par l’adversaire soit portée à la connaissance de l’autre partie et librement discutée à l’audience »457. 4 319. Le principe d’égalité devant la justice. Le principe d’égalité devant la justice a, quant à lui, été consacré par le Conseil constitutionnel, dans une décision du 23 juillet 1975 458, comme découlant du 43F principe d’égalité des citoyens devant la loi, qui figure à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Il consacre le droit au juge naturel, les justiciables se trouvant dans une situation identique devant être jugés par un même tribunal, selon les mêmes règles de procédure et de fond. Ces principes visant au respect des droits de la défense et à l’égalité devant la justice se rattache in fine au droit à un procès équitable, consacré par l’article 6§1 de la CESDH 459. 43 F 455 Décision n° 70-76 DC, du 2 déc. 1976, sur la Loi relative au développement de la prévention des accidents du travail, Journal officiel du 7 déc. 1976, p. 7052, Recueil p. 39, Rev. de droit public, 1978, p. 817, obs. Favoreu (L.); Voir également Décision n° 93-325DC du 13 août 1993, sur la Loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France, Journal officiel du 18 août 1993, p. 11722, Recueil, p. 224, Pouvoirs, 1993 (68), p. 166-167, 172, obs. Avril (P.) et Gicquel (J.); Rev. française de droit constitutionnel, 1993, p. 583, obs. Favoreu (L.); Rev. de jurisprudence sociale, 10/93 (1041), obs. Anonyme. 456 « Le respect du principe du contradictoire est la condition indispensable de la liberté de la défense », Lexique des termes juridiques 2012, Guinchard (S.) et Debard (T.), Dalloz, 19ème éd., 2011, p. 225. 457 Lexique des termes juridiques 2012, op. cit., p. 142 ; Ce principe est consacré, en France, à l’article 16 du Code de procédure civile : « Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ». 458 Décision n° 75-56 DC du 23 juil. 1975, portant sur la Loi modifiant et complétant certaines dispositions de procédure pénale spécialement le texte modifiant les articles 398 et 398-1 du Code de procédure pénale, Journal officiel du 24 juil. 1975, p. 7533, Recueil p. 22, Comparative Constitutional Law, 1975, p. 69 et 372, obs. Beardsley (J.E.) ; Rev. du droit public, 1975, p. 1313, obs. Favoreu (L.); Semaine juridique (J.C.P.), 1975, II, 18200, obs. Franck (C.) ; Grandes Décisions de la Jurisprudence Constitutionnelle, p. 10, obs. Franck (C.); Dalloz, 1977, Jur., p. 629, obs. Hamon (L.) et Levasseur (G.) ; J. Rivero, Actualité juridique droit administratif, 1976, p. 44. 459 Propos de M. Massot lors de la table ronde sur le thème Problèmes constitutionnels, principe de l’autorité de la chose jugée et périmètre de l’action de groupe, op. cit., intervenue lors de la journée d’étude sur Les recours collectifs: étude de droit comparé, du 27 janv. 2006, Actes publiés, Editions de Société de législation comparée, Colloques, vol. 5, p. 114. 146 b) L’action de groupe face aux principes du respect des droits de la défense et de l’égalité devant la justice 320. L’absence d’identification des demandeurs à la procédure, une modalité en soi constitutive d’une rupture d’égalité entre les parties. Dans le cadre de l’action de groupe avec un système d’opt out, le défendeur ne connait pas les parties en demande, tout du moins l’ensemble des parties en demande, car elles ne sont que simplement identifiables à la procédure jusqu’au moment de l’indemnisation. Ainsi, il ne peut se battre avec les mêmes armes que son adversaire en demande. L’égalité devant la justice est par principe rompue 460. 435 F 321. L’impossibilité pour les défendeurs de soulever des moyens de défense propres à chaque personne représentée. De plus, cette absence d’individualisation des demandeurs à la procédure se heurte au principe du contradictoire461. Elle peut entraîner une asymétrie d’informations qui va 4 éventuellement priver le défendeur de soulever des causes écartant certaines parties de l’action au regard de circonstances personnelles particulières. Il est possible d’imaginer un comportement fautif de la victime, qui ne pourrait pas être relevé par le défendeur 462. 437F 322. L’absence d’identification des demandeurs, représentés à la procédure, avant le jugement au fond, dans la procédure d’action de groupe, caractérisé par un système d’opt out se heurte ainsi aux principes du respect des droits de la défense et d’égalité devant la justice, consacrés par la plus haute juridiction de France comme par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH)463. En revanche, le système d’opt in pourrait apparaître conforme à ces principes, dans la mesure où le jugement au fond intervient après l’identification des parties, dans ce cas de figure. D’autres 460 S. Guinchard, Une class action à la française?, Recueil Dalloz 2005, p. 2180; Le premier président de la Cour de cassation, G. Canivet, a déclaré, dans son discours prononcé lors du Colloque sur le thème « Pour de véritables actions de groupe : un accès efficace et démocratique à la justice », organisé par l’association UFC-Que Choisir, le 10 nov. 2005, que : « la rupture d’égalité parait bel et bien attestée par le fait que le défendeur ne connaîtra pas tous ses adversaires, alors que le représentant de la class action l’identifiera quant à lui parfaitement ». 461 Voir S. Guinchard, Une class action à la française?, Recueil Dalloz 2005, p. 2180. 462 Voir F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Précis Dalloz, Droit civil, Les obligations, 10ème éd., 2009. 463 La Cour européenne des droits de l’Homme est « une juridiction unique, située à Strasbourg, créée par la Convention européenne des droits de l’Homme, pour assurer la protection des droits. Elle est composé de juges élus au titre de chaque Etat membre ayant ratifié la Convention européenne. La Cour est l’organe d’interprétation des termes de la Convention. Elle peut déclarer la violation d’un droit garanti par un Etat et, le cas échéant, condamner ce dernier à verser une satisfaction équivalente au requérant. Ses arrêts ont un effet déclaratoire, sans que des procédures coercitives soient utilisables contre l’Etat condamné. En ratifiant la Convention européenne, les Etats se sont engagés à respecter les obligations positives définies par la Cour EDH pour rendre effectifs les droits garantis, et le Comité des Ministres assure le suivi de l’exécution des arrêts définitifs de la Cour EDH », Ambroise-Catérot (C.), Fricero (N.), Henry (L.-C.) et Jacq (P.), Glossaire des procédures, Gualino éditeur 2007, Coll. « Glossaire », p. 53. 147 principes relatifs aux principes directeur du procès sont à analyser au regard des caractéristiques de la procédure d’opt out. 2) L’identification des personnes représentées et le dénouement du procès 323. Les personnes représentées, membre du groupe, tel que défini lors de la phase de certification, vont pouvoir bénéficier du jugement final et se le voir opposer. Cependant, dans le cadre du système de class action à l’américaine, et du système d’identification par exclusion (système d’opt out), ces personnes ne seront identifiées individuellement que lorsqu’elles se manifesteront pour obtenir le paiement de l’indemnisation obtenue. Ainsi, les critiques portent sur l’effet du jugement sur ces personnes en considérant, d’une part, que le jugement rendu, dans ces conditions, serait considéré comme un arrêt de règlement, le juge se prononçant pour une catégorie de personnes non identifiées (a). D’autre part, les opposants au système soulèvent également le principe de l’autorité relative de la chose jugée, contestant alors l’octroi de la qualité de « partie à la procédure » aux personnes représentées au litige (b). a) Une violation contestable du principe d’interdiction des arrêts de règlement 324. Certains auteurs ont soulevé le principe d’interdiction des arrêts de règlement à l’appui de leur opposition à l’introduction d’une action de groupe en droit français 464. 439F i) L’acceptation du principe de prohibition des arrêts de règlement dans son contexte général 325. Selon l’article 5 du Code civil, « il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui lui sont soumises ». La doctrine française parle alors du principe de prohibition des arrêts de règlement 465. Ainsi, il est interdit pour les juridictions françaises 40F de prendre des décisions, qui ont une portée générale et qui lient les juridictions inférieures 466. 41 F 326. La valeur et la portée du principe. Ce principe n’a pas, lui-même une valeur constitutionnelle car il n’a jamais été consacré en tant que principe fondamental reconnu par les lois de la République 467. 42F 464 J.-P. Grandjean, Class actions américaines et ordre public français, Journal Les échos, 11 fév. 2010. S. Cabrillac, Pour l’introduction de la class action en droit français, LPA, 18 août 2006, n° 165, p. 4. 466 Voir Interdiction des arrêts de règlement, définition du Lexique des termes juridiques 2012, Dalloz, 19ème éd., 2011, p. 69. 467 « Expression vague, figurant à l’alinéa 1 du Préambule de la Constitution de 1946, auquel renvoie celui de la Constitution de 1958, et sur laquelle le Conseil constitutionnel s’est fondé pour invalider certaines lois contraires aux 465 148 Cependant, il découle directement du principe de séparation des pouvoirs 468 et de l’interdiction faite 43F aux juges d’empiéter sur le pouvoir législatif proclamée par la loi des 16 et 24 août 1790 sur l’organisation judiciaire 469. Ainsi ce principe découle directement d’un principe à valeur 4F constitutionnelle 470. 45F 327. Les différentes acceptations du principe. La jurisprudence a ajouté à la définition de l’article 5 du Code civil, en retenant que «la référence à une décision rendue dans un litige différent de celui soumis à une juridiction ne saurait en toute hypothèse, servir de fondement à la décision de cette dernière»471. Ainsi, elle interdit la reprise en tant que référence par une autre juridiction, d’une 4 46F décision prononcée dans le cadre d’un litige déterminé. A fortiori, la solution adoptée dans le cadre d’un litige présent ne doit pas tenir les parties à un litige futur et elle doit être limitée aux seules parties du litige en question. Mme Frison-Roche propose dans un article intitulé Les résistances mécaniques du système juridique français à accueillir la class action: obstacles et compatibilités 472, 47F la définition suivante: un arrêt qui « lie non seulement d’autres personnes que les parties identifiées à l’instance particulière mais encore, et le critère est cumulatif, choisit une solution qui vaut pour l’avenir puisque celle-ci sera obligatoirement reprise pour des cas ultérieurs»473. Il apparait ainsi 48F que la notion d’arrêt de règlement vise, dans son acceptation classique, l’adoption d’une solution pour l’avenir. La doctrine semble, majoritaire sur ce point 474. L’attachement à l’identité de parties se 49F rattache plus certainement au principe d’autorité de la chose jugée. ii) Le principe d’interdiction des arrêts de règlement et l’action de groupe principes qu’il estimait relever de cette catégorie », Lexique des termes juridiques 2012, Guinchard (S.) et Debard (T.), Dalloz, 19ème éd., 2011, p. 678. 468 Suivant l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et des Citoyen (DDHC) de 1789, « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution », Voir sur ce principe par F. Terré, Introduction générale au droit, Dalloz, 6ème éd., 2003, p. 85. 469 La Loi sur l’organisation judiciaire des 16-24 août 1790 interdit aux tribunaux de « prendre, directement ou indirectement, aucune part à l’exercice du pouvoir législatif, ni empêcher ou suspendre l’exécution des décrets du Corps législatif à peine de forfaiture », F. Terré, Introduction générale au droit, Dalloz, 6ème éd., 2003, p. 85 ; Voir également Prof. Daniel Mainguy (s. dir. de), L’introduction en droit français des class actions, LPA, 22 déc. 2005, n° 254, p. 6; S. Cabrillac, Pour l’introduction de la class action en droit français, LPA, 18 août 2006, n° 165, p. 4; Y. Strickler, Procédure Civile, Paradigme 2007-2008, p. 24, n° 43. 470 Propos de M. Massot lors de la table ronde sur le thème Problèmes constitutionnels, principe de l’autorité de la chose jugée et périmètre de l’action de groupe, intervenue lors de la journée d’étude sur Les recours collectifs : étude de droit comparé, du 27 janv. 2006, Actes publiés, Editions Société de législation comparée, Colloques, vol. 5, p. 113, op. cit. 471 Cass. Soc., 27 fév. 1991, Bull. Civ. V, n° 102; Cass. Civ. 3e, 27 mars 1991, Bull. Civ. III, n° 101, note n° 1 sous art. 5 du Code civil. 472 LPA, 10 juin 2005, n° 115, p. 22, op. cit. 473 Ibid. 474 S. Cabrillac, Pour l’introduction de la class action en droit français, LPA, 18 août 2006, n° 165, p. 4. 149 328. Au regard de la définition rappelée de l’arrêt de règlement, il semble peu probable de considérer que l’action de groupe amène le juge à se prononcer dans le cadre d’un litige futur dès lors que l’indemnisation prévue par ce dernier est versée aux personnes, membres du groupe, qui ne furent que simplement identifiables au cours de la procédure, mais qui sont identifiées au terme de cette dernière. Dans la procédure d’action de groupe, la solution du jugement sur la responsabilité ne vaut ainsi pas pour l’avenir, mais seulement pour le litige en cause, dont le dommage est déjà intervenu. 329. L’autre aspect de l’arrêt de règlement est son caractère général et réglementaire. Certains auteurs se sont interrogés sur la possibilité de considérer que le juge se prononce, dans ce type de procédure, pour une catégorie générale d’individus et par conséquent, sa décision aurait une portée générale 475. 450 F Cependant, bien que les membres du groupe de personnes, représentés à la procédure ne soient pas identifiés, en particulier dans le système d’opt out, il a été mis en lumière que ces personnes étaient a minima identifiables. Le point commun qui les unit est l’obtention de la réparation de leurs préjudices, qui sont similaires, et causés par la pratique unique d’un ou plusieurs défendeurs identifiés. Ainsi, le juge se prononce pour un groupe de personnes défini et non pas pour « l’ensemble des sujets de droits »476. Ainsi, il ne semble pas que le juge, dans ce cas, vienne 451F modifier les règles de droit objectives. Et ainsi, il semblerait difficile de qualifier les jugements rendus dans le cadre de ces procédures comme des arrêts de règlement au sens de l’article 5 du Code civil. 330. De ce fait, le principe d’interdiction des arrêts de règlements ne semble pas constituer un obstacle sérieux à l’introduction de l’action de groupe même avec un système d’opt out, encore que la solution soit dépendante de l’interprétation éventuelle du Conseil Constitutionnel, qui semble hostile au mécanisme de l’opt out. Un autre principe semble cependant plus problématique, le principe de l’autorité relative de la chose jugée. b) Une remise en cause possible du principe de l’autorité relative de la chose jugée 331. Selon l’article 1351 du Code civil, « l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur 475 Prof. Daniel Mainguy (s. dir. de), L’introduction en droit français des class actions, op. cit.; M.-A. Frison-Roche, Les résistances mécaniques du système juridique français à accueillir la class action : obstacles et compatibilités, LPA, 10 juin 2005, n° 115, p. 22. 476 Voir hypothèse dégagée par Anne-Marie Frison-Roche, dans Les résistances mécaniques du système juridique français à accueillir la class action : obstacles et compatibilités, LPA, 10 juin 2005, n° 115, p. 22. 150 la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ». 332. La valeur du principe de l’autorité relative de la chose jugée. Le principe de l’autorité relative, posé dans l’article 1351 du Code civil, n’a pas été consacré comme principe à valeur constitutionnelle. Il a d’ailleurs pu souffrir d’exception comme en témoignent les jugements ayant autorité absolue de la chose jugée 477. Cependant comme pour le principe d’interdiction des arrêts de 452F règlement, ce principe découle d’un principe constitutionnel qui est le principe de la liberté personnelle, interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision de 1989 478. Il ressort de cette 453F décision que le principe de la liberté personnelle « consiste à conserver la liberté de conduire, personnellement, la défense de ses intérêts et de mettre un terme à toute action contentieuse » 479. 4 54F 333. Une problématique liée à la qualité procédurale de « partie ». Dans le cadre d’une action de groupe, le jugement rendu par le juge au terme de la procédure va s’appliquer au Demandeur Représentatif ainsi qu’à l’ensemble des personnes représentées, qui n’étaient pas identifiées à la procédure. Cependant, au regard du principe de l’autorité relative de la chose jugée, le jugement ne peut produire ses effets qu’à l’égard des parties à la procédure. In fine, la question de l’atteinte au principe de l’autorité relative de la chose jugée dépend de la qualité des membres de la class. Ces derniers sont-ils des « parties à la procédure » ? Les prétentions du Demandeur Représentatif et des parties sont les mêmes ainsi que la cause de l’action car ces éléments servent à la définition du groupe de personnes représentées. En revanche, la difficulté porte sur la qualité processuelle des personnes représentées à la procédure et sur les droits et obligations tenant à cette qualité processuelle de « partie à l’instance ». 334. Le premier postulat est que l’on ne peut être partie à la procédure sans y avoir consenti. Par définition, une partie est une personne physique ou morale, privée ou publique « engagée dans une instance judiciaire »480. Elle doit, à ce titre, consentir à l’ouverture de la procédure ou dans le cas de 45F l’action de groupe, à son intégration à la procédure déjà ouverte. De facto, le consentement à l’action inclut le consentement à se voir opposer le jugement qu’il lui soit favorable ou non. Au-delà, il 477 Y. Stricker, Procédure civile, op. cit. Décision n° 89-257DC, op. cit. ; voir pour le détail infra §. 304 et s. 479 Propos de M. Massot lors de la table ronde sur le thème Problèmes constitutionnels, principe de l’autorité de la chose jugée et périmètre de l’action de groupe, intervenue lors de la journée d’étude sur Les recours collectifs : étude de droit comparé, du 27 janv. 2006, Actes publiés, Editions Société de législation comparée, Colloques, vol. 5, p. 114. 480 Définition du Lexique des termes juridiques 2012, Guinchard (S.) et Debard (T.), Dalloz, 19ème éd., 2011, p. 625 . 478 151 inclut le devoir de conduire la procédure judiciaire481. Concernant le système d’opt in, ce principe ne 45 semble pas poser de difficulté, les parties potentielles au litige expriment un consentement positif à leur insertion à l’action et ainsi acceptent de se voir opposer le jugement. Elles vont de même consentir de manière explicite au fait que la conduite de la procédure soit déléguée au représentant de la class. Ce consentement pourra être considéré comme éclairé, notamment par les termes de la publicité de l’action, qui comprend les prétentions des demandeurs, les questions de droit, les moyens de défense ainsi que des avertissements concernant le caractère obligatoire du jugement final, ou les règles d’exclusion de la class 482. En revanche, dès lors que l’on envisage un système 457F d’opt out, il n’est pas certain que l’ensemble des personnes concernées par la procédure ait eu connaissance de la procédure engagée par le représentant. Ainsi elles peuvent se voir tenues par le jugement sans avoir « consenties » à l’exercice de l’action et elles perdront le droit d’aller porter leur action en justice devant les juridictions de première instance 483. 458F 335. L’autorité relative de la chose jugée interprétée au regard de l’effet extinctif du jugement. Certains auteurs ont pu également considérer le principe de l’autorité relative de la chose jugée en s’attachant à « l’effet extinctif du jugement »484. La class action et son système d’opt out mettent fin 4 à l’action en ce sens où dès lors que le membre de la class ne s’est pas manifesté à la suite de la publicité de la procédure, pour être exclus de la class, il ne peut plus engager de procédure devant les juridictions de première instance. Les membres de la class sont forclos de leur droit à l’action concernant le litige en cause. Ainsi, l’objet de la class action, et du système d’opt-out est d’empêcher les nouveaux recours, basés sur les mêmes prétentions, avec la même cause à l’action et entre les mêmes parties. L’action de groupe et le jugement qui en découle mettent fin au litige. Cependant, cette approche du principe de l’autorité de la chose jugée est partielle car l’absence de consentement à l’action des membres de la class demeure. Conclusion du Paragraphe 1 Les parties à l’instance ont un rôle d’initiative et d’impulsion, Y. Strickler, Procédure civile, Paradigme 2007, p. 142 et s.; En ce sens, l’article 1er du Code de procédure civile français dispose que « seules les parties introduisent l'instance, hors les cas où la loi en dispose autrement. Elles ont la liberté d'y mettre fin avant qu'elle ne s'éteigne par l'effet du jugement ou en vertu de la loi » et l’article 2 du même code que : « Les parties 481 conduisent l'instance sous les charges qui leur incombent. Il leur appartient d'accomplir les actes de la procédure dans les formes et délais requis ». 482 Voir infra §. 304. 483 S. Guinchard, Une class action à la française?, Recueil Dalloz 2005, p. 2180. 484 Prof. Daniel Mainguy (s. dir. de), L’introduction en droit français des class actions, op. cit.; M.-A. Frison-Roche, Les résistances mécaniques du système juridique français à accueillir la class action : obstacles et compatibilités, op.cit. 152 336. L’action de groupe avec l’option d’opt out apparaît ainsi difficilement compatible avec les principes fondamentaux, qui dirigent l’action en justice, dans les pays de tradition romanogermanique. En effet, le principe de la liberté d’agir en justice, mais également les principes du respect des droits de la défense, de l’égalité devant la justice et de l’autorité de la chose jugée, consacrés par les plus hautes juridictions françaises et européennes, seraient remis en cause par ce type d’action. 337. Ainsi deux choix s’offrent aux législateurs nationaux et communautaires : l’abandon du système d’opt out au profit d’un système d’opt in ou la consécration de dérogations pour le champ de l’action de groupe. Dans ce second cas, se pose la question du champ et de la nécessité de l’action. Il s’agirait en effet de s’interroger sur l’hypothèse d’une dérogation possible au principe justifié par un principe d’intérêt supérieur ou par une limitation du champ d’action de l’action de groupe. Mme Frison Roche a par exemple proposé de limiter l’action de groupe au contentieux objectif de la réparation afin de pallier les obstacles éventuels à l’introduction de telles actions en droit positif français 485. Cette possibilité sera examinée avec la question du champ de l’action, dans la seconde 460F partie des développements 486. Mais la cohérence de la procédure à l’égard du système juridique dans 461F lequel elle va s’inscrire est déterminante s’agissant de l’efficacité de cette action, comme l’a montré notre analyse du système américain. 338. En outre, cette analyse de la jurisprudence constitutionnelle française sur la liberté d’ester en justice et des principes directeurs de l’action en justice, souligne encore une fois l’importance de la publicité de la procédure. Indispensable à l’information des justiciables et au recueil de leur consentement à l’exercice de l’action par un tiers, la publicité est une des modalités clefs des recours collectifs. De cette publicité va dépendre en grande partie l’efficacité de la procédure. Il faudra revenir sur le contenu de cette dernière, ses modalités de diffusion ainsi que sur le moment de la diffusion. 339. Transition. Au-delà de règles générales relatives à l’action en justice, les modalités d’exercice de l’action de groupe doivent également être appréciées au regard du droit de la responsabilité civile, dans les pays de droit romano-germanique, et en particulier au regard du principe de réparation intégrale du préjudice et de son corollaire le principe de l’enrichissement sans cause. 485 M.-A. Frison-Roche, Les résistances mécaniques du système juridique français à accueillir la class action : obstacles et compatibilités, op. cit. 486 Voir Partie II, §. 519 et s. 153 §2) La préservation des principes fondamentaux gouvernant le droit de la responsabilité civile 340. La détermination du montant du dommage réel dans le contentieux civil est une question, par nature, délicate et la notion même de dommage est l’objet de nombreux débats 487. Cette 462F problématique est, cependant, déterminante dans les actions de groupe où par nature tous les membres doivent avoir subi un préjudice identique et où les personnes représentées à la procédure ne sont pas nécessairement identifiés a priori. Leur préjudice personnel est difficilement analysable. Au-delà de cette complexité, le domaine du litige peut lui aussi rendre difficile la détermination du dommage réel. Ainsi la tentation est grande de recourir à la méthode américaine de globalisation du dommage et d’adopter ainsi une approche facilitée de la mission des juges (A). Cependant, dans les pays de droit romano-germanique, le principe de la réparation intégrale du préjudice laisse peu de marge de manœuvre pour apprécier de manière approximative le dommage réel subi (B). A) La facilitation de la détermination des dommages et intérêts pour les contentieux de masse et les contentieux spécialisés 341. Les américains ont décidé de se départir du principe de la responsabilité intégrale pour favoriser le recours à l’action en justice (1), ce qui a fortement inspiré les institutions communautaires dans leurs propositions de réforme (2). 1) L’exemple américain de la globalisation du préjudice 342. Dans une procédure d’action de groupe à l’américaine, les personnes représentées peuvent être identifiées, soit en aval de la détermination du montant des dommages et intérêts à allouer, dans un système d’opt out, soit en amont de ce processus dans un système d’opt in. Dans le premier cas, la méconnaissance de l’identité des demandeurs au litige et de leur situation personnelle ne permet pas au juge d’apprécier individuellement le préjudice réel de chacun. De même, dans le second cas, le grand nombre de personnes, partie à l’action, tendrait à compliquer le travail d’examen de la situation individuelle de chacun des demandeurs. Ainsi le juge américain a recours à une méthode de globalisation du préjudice pour déterminer le montant des dommages et intérêts à allouer. Placé dans un système d’opt out, il fait, d’une part, reposer l’indemnisation sur une évaluation approximative du nombre de demandeurs et d’autre part, il évalue la perte commune subie par les demandeurs sans tenir compte des spécificités individuelles. Par exemple, en Europe, la date d’acquisition du bien par 487 Voir F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit Civil, Les obligations, Précis Dalloz, 10ème éd., 2009, p. 712 et suivantes. 154 le demandeur pourrait avoir un impact sur les intérêts moratoires liés au dommage. De même, les pertes de profits potentiels nécessitent un examen individuel de la situation du demandeur. Le juge américain ne s’attache lui qu’à la seule perte directe subie par les demandeurs. A titre d’exemple, la méthode adoptée en cas de litige sur la valeur de titres boursiers du fait d’une mauvaise information de l’émetteur peut être rappelée. Le juge établit un plan de répartition de l’indemnisation, qui repose sur le nombre de titres détenus et sur le montant de la perte estimée par titre. Le détenteur de titres ayant acheté ses valeurs pendant la période de l’infraction déterminée par le juge, est en droit de réclamer une indemnisation de X pourcent de la valeur de son titre, qui compense le surcoût payé estimé et ce, multiplié par le nombre de titres détenus 488. 463F 343. Le juge américain se prononce alors en équité 489 plutôt qu’en droit, comme cela est le cas en droit 46F français et en droit de tradition romano-germanique en général. Cette notion d’équité sera étudiée dans un second temps. Le juge américain a, également, la faculté ou l’obligation, dans certaines matières, d’infliger des dommages et intérêts punitifs en complément des dommages et intérêts compensatoires, ce qui lui permet d’aller au-delà de la seule réparation du préjudice. 344. Ce système de globalisation de l’indemnisation présente de nombreux avantages, dont celui de faciliter, pour le juge, la détermination du montant des dommages et intérêts à allouer aux victimes, en particulier dans le cadre de l’action de groupe. Ainsi les pouvoirs publics en Europe, qui visent la facilitation des recours civils et notamment à l’introduction de recours collectifs, ont envisagé cette méthode de détermination du montant du préjudice et tenté d’implanter ce procédé américain en Europe. Cette méthode a de plus un écho particulier dans certaines matières économiques pour lesquelles la détermination du préjudice subi par les victimes peut s’avérer compliquée. Ainsi les pouvoirs publics européens se sont intéressés à la question lorsqu’ils ont envisagé de renforcer l’accès au juge civil et de favoriser les actions collectives en droit de la concurrence notamment. 2) Les propositions européennes de l’approximation du préjudice 488 Voir §. 280. « L’Equity est une ensemble de règles élaborées principalement aux XVe et XVIe siècles pour compléter le système de la Common Law qui est devenu insuffisant et défectueux. Lorsque les cours royales qui appliquaient la Common Law ne pouvaient être saisies d’une affaire ou lorsqu’elles ne pouvaient offrir une solution appropriée, il était possible d’en appeler à la conscience du roi et de lui demander d’intervenir en tant que justicier souverain. Le roi, puis le Chancelier auquel il délégua ses pouvoirs, n’intervenait pas pour créer de nouvelles règles de droit : il intervenait uniquement au nom de la morale », L’anglais juridique, Principes, pratiques & vocabulaire des professionnels, Business Management Series, p. 17. 489 155 345. La Direction générale de la Concurrence de la Commission européenne (ci-après « DG Concurrence ») a, dans son livre vert sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, de décembre 2005490, proposé différentes options concernant cette question de la détermination du montant de l’indemnisation. Elle a réitéré ses propositions dans le Livre blanc, qui a suivi en avril 2008 491. Elle 46F a envisagé, d’une manière générale, d’autoriser la détermination approximative des dommages et intérêts comme un moyen de remédier à la difficulté que représente l’exercice pour le domaine du droit de la concurrence 492 (b) et a aussi formulé des propositions propres aux actions de groupe (a). 467F a) Pour les contentieux de masse 346. Tout d’abord, la Commission propose de différencier la phase du jugement sur la responsabilité au fond de l’auteur de l’infraction, de la phase d’indemnisation, en ce y compris, la détermination du montant des dommages et intérêts, afin de favoriser une résolution à l’amiable entre les parties pour cette seconde phase 493. 468F 347. La Commission ne précise pas que cette mesure serait spécifique aux actions collectives. Cependant, elle apparaît avoir plus de sens dans le cadre d’un recours collectif 494. En effet, la 469F 490 Le Livre vert, intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, 25 déc. 2005, COM(2005) 672 final. 491 Le Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, 2 avr. 2008 COM(2008) 165 final. 492 La Commission fait valoir que « le calcul [du quantum des dommages et intérêts, tels que défini par la CJCE], qui nécessite une comparaison avec la situation économique de la victime dans le scénario hypothétique d’un marché compétitif, constitue souvent un exercice très compliqué ». Elle ajoute que ce calcul « peut se révéler excessivement difficile, voire pratiquement impossible, si le principe selon lequel le montant exact du dommage subi doit toujours être calculé avec précision est appliqué strictement ». Ainsi elle propose « d'établir un cadre contenant des orientations pragmatiques et non contraignantes pour l'évaluation des dommages et intérêts dans les affaires d'ententes et d'abus de position dominante, par exemple au moyen de méthodes d'approximation ou de règles simplifiées pour l'estimation des dommages subis », Le livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, 2 avr. 2008, COM(2008) 165 final, p. 8. 493 Le Livre vert, intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, 25 déc. 2005, COM(2005) 672 final, p. 20. 494 Selon l’AFEC, cette option peut donner lieu à deux lectures. Tout d’abord on envisage la procédure proposée comme un moyen pour les parties en demandes de ne pas se préoccuper dans un premier temps du calcul du montant des dommages et intérêts et de s’intéresser seulement à l’établissement de la responsabilité de l’auteur sur le volet civil. Dans ce premier cas, l’AFEC note alors que cette solution aurait pour inconvénient majeur de rallonger la durée des procédures de matière conséquente, réflexion à laquelle on peut s’associer. Ensuite on peut envisager la procédure proposée comme spécifique aux recours collectifs, ce qui semble plus logique, Réponse au Livre vert « Action en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », Association Française des Etudes de Concurrence (AFEC), 2006, p. 12, 156 différenciation du jugement au fond de la détermination de l’indemnisation permettrait de pallier la méconnaissance de l’identité des demandeurs, la détermination des dommages et intérêts intervenant qu’après que ces derniers soient identifiés individuellement. 348. Dans ce cas, il serait possible de déterminer le préjudice réel de chacun des demandeurs. En effet, chacun d’entre eux serait en mesure de faire valoir auprès de l’entreprise les éléments nécessaires à la détermination de toutes les composantes de l’indemnisation du préjudice réellement subi. Cette proposition se rapproche du mécanisme des procédures « modèles », connues en droit allemand et en droit anglais, qui peuvent apparaître comme des alternatives intéressantes à l’action de groupe telles qu’envisagées jusqu’à présent en droit de la concurrence 495. 470F 349. Cependant, s’agissant du recours à la procédure amiable pour la détermination du montant des dommages et intérêts, quelques réserves peuvent être émises. Ce système présente un avantage pour les services de la justice en terme de temps et de coûts et à partir du moment où le principe de responsabilité est établi, l’indemnisation ne sera qu’une formalité. Cependant, un retour possible à la justice doit être prévu, en cas de désaccord inextricable, entre les parties, afin que le jugement ne reste pas sans application, ou que la phase d’indemnisation ne dure pas un temps déraisonnable. 350. La proposition de la Commission de séparer la phase du jugement sur la responsabilité et la phase d’indemnisation apparait tout à fait pertinente dans le cadre des actions collectives où l’identification des parties à la procédure peut être différée. En revanche, il faut rester prudent quant au recours à la procédure amiable à ce stade de la procédure étant donné que la détermination du montant du préjudice peut constituer un exercice délicat et ce, en particulier dans certains contentieux spécialisés, comme en droit de la concurrence. b) pour les contentieux spécialisés 351. Revenons à la question de la détermination du montant du préjudice en droit de la concurrence. Ce droit repose sur une réalité économique, qui nécessite de prendre en compte des conditions économiques pour sa mise en œuvre et ainsi de procéder à des analyses économiques 496. Ces aspects 471F Accessible à l’adresse suivante: http://ec.europa.eu/competition/antitrust/actionsdamages/green_paper_comments.html. 495 Voir §. 408 et s. 496 Voir Quantifying antitrust damages, towards non binding guidance for courts, Etude préparée pour la Commission européenne, par Oxera et par une équipe de juristes pluridisciplinaires, dirigée par le Dr. Assimakis Komninos, avec 157 économiques vont alors peser dans le processus d’évaluation des préjudices subis par les acheteurs en cas de violation des règles de la concurrence libre et non faussée sur le marché. Prenons comme exemple, une des infractions au droit de la concurrence, jugée comme la plus grave: l’entente entre concurrents sur les prix497. Dans ce cas, plusieurs entreprises concurrentes ont fixé de façon 4 concertée les prix d’un produit sur un marché donné. Il peut être considéré que l’acheteur a subi un préjudice du fait de la hausse artificielle des prix engendrée par la concertation. Il faut alors déterminer le montant du surplus payé par l’acheteur et ainsi fixer le dommage réel subi par ce dernier. Pour ce faire, il existe deux méthodes économiques développées aux Etats-Unis. La première méthode consiste à regarder l’évolution des prix sur un marché voisin et tenter de procéder à un comparatif de ces évolutions aux vues des conditions et caractéristiques du marché de produits en cause (Yard Stick)498. La seconde méthode consiste en une comparaison des caractéristiques du 4 marché pertinent avant la pratique anticoncurrentielle et après cette dernière (Before & After)499. La 4 mise en œuvre de ces méthodes nécessite alors de procéder à des analyses économiques approfondies. 352. La Commission s’est alors interrogée sur l’opportunité de recourir à des « modèles économiques complexes » pour la détermination du montant des dommages et intérêts 500. Cependant, comme l’a 475F souligné l’Association Française d’Etude de la Concurrence (ci-après « AFEC ») dans sa réponse au Livre vert de la Commission 501, la mise en œuvre de ces modèles nécessite une certaine compétence, 476F dont ne disposent pas forcément les juges et les parties et le recours systématique à des experts pourrait alors se révéler couteux pour les parties. De plus, ce système aurait pour effet d’avantager par nature plus les entreprises que les demandeurs, en particulier si ces derniers sont des l’assistance économique du Dr. Walter Beckert, du Professeur Eric Van Damme, du Professeur Mathias Dewatripont, du Professeur Julian Franks, du Dr. Adriaan Ten Kate et du Professor Patrick Legros, Déc. 2009. 497 « On entend par “entente injustifiable” un accord anticoncurrentiel, une pratique concertée anticoncurrentielle ou un arrangement anticoncurrentiel entre concurrents visant à fixer des prix, procéder à des soumissions concertées, établir des restrictions ou des quotas à la production, ou à partager ou diviser des marchés par répartition de la clientèle, de fournisseurs, de territoires ou de lignes d’activité », Une action efficace contre les ententes injustifiables, Recommandations du Conseil de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), 25 mars 1998, C(98)35/FINAL, point 2. Dans cette recommandation, l’OCDE a qualifié ces ententes comme les infractions les plus graves au droit de la concurrence. 498 F. Polverino, A Class Action Model For Antitrust Damages Litigation In The European Union, University of Chicago Law School, Working paper Series, August 29, 2006, p. 27; R. Saint-Esteben, Pour ou contre les dommages et intérêts punitifs, LPA, 20 janv. 2005, n° 14, p. 53. 499 Ibid. 500 Le Livre vert, intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, 25 déc. 2005, COM(2005) 672 final, p. 20. 501 Réponse au Livre vert « Action en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », Association Française des Etudes de Concurrence (AFEC), 2006, accessible à l’adresse suivante : http://ec.europa.eu/competition/antitrust/actionsdamages/green_paper_comments.html. 158 consommateurs. En effet, les entreprises disposent de moyens plus importants pour ordonner des contre-expertises et pourraient ainsi plus facilement contester les évaluations faites par les demandeurs 502. La question du coût de l’expertise se pose dans tous les domaines du droit. Ainsi la 47F plupart des juges en Europe essayent toujours de restreindre l’utilisation de cette mesure d’instruction. Cependant, en Allemagne, lors de la réforme de la procédure civile en 2001, le législateur a décidé d’élargir le pouvoir de nomination des experts503. Le juge allemand peut recourir 47 à l’expertise sur demande des parties et également d’office504. S’agissant du surcoût que cela peut 4 engendrer vis-à-vis des demandeurs, dans le cadre d’une action collective, le législateur allemand a, dans sa procédure dite « modèle » en droit boursier505, accordé des facilités de paiements aux 4 demandeurs et a ordonné une mutualisation des coûts entre les différents demandeurs 506. Ainsi il 4 pourrait être fait le choix, malgré le coût supplémentaire, de recourir plus facilement aux experts en la matière, dès lors que cette mesure serait couplée avec des dispositions particulières pour la prise en charge des coûts. 353. A ce premier degré de complexité peuvent s’ajouter d’autres éléments à prendre en compte. Ainsi, dès lors que le marché de produits concerné par l’infraction au droit de la concurrence serait un marché d’intermédiaires, il faut s’interroger sur la possibilité que l’acheteur direct ait répercuté le surplus payé sur l’acheteur indirect et s’assurer alors en cas d’indemnisation de l’acheteur direct que cet enrichissement ait bien une cause507. 354. La Commission a formulé deux autres propositions pour remédier à ces difficultés de détermination du montant des dommages et intérêts à allouer. Tout d’abord, elle propose l’adoption par le tribunal d’une approche équitable au moment de la détermination du montant des dommages et intérêts 508. Elle s’inspire ainsi directement de la mesure de Common Law où les juges ont la 483F 502 Réponse au Livre vert « Action en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », Association Française des Etudes de Concurrence (AFEC), 2006, p. 12, accessible à l’adresse suivante : http://ec.europa.eu/competition/antitrust/actionsdamages/green_paper_comments.html. 503 P. L. Murray et R. Stürner, German Civil Justice, Carolina Academic Press, 2004, p. 241. 504 Code de procédure civile allemand/Zivilprozessordnung (ZPO), §. 273. 505 Voir infra §. 407 et s. 506 La mutualisation des frais de justice est une des pistes intéressantes qui doit être exploitée pour résoudre la question du financement de l’action, qui est l’une des questions déterminantes s’agissant de l’efficacité de l’action collective. Voir §. 435-438. 507 La théorie de la répercusson des surcouts fut développée par la Commission européenne dans son Livre vert, Le Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, 25 déc. 2005, COM(2005) 672 final, p. 8, point 2.4. Cette question sera examinée avec les propositions de la DG Concurrence, Voir §. 600 et s. 508 Le Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, 25 déc. 2005, COM(2005) 672 final, p. 20, option n° 18. 159 possibilité de se prononcer en équité et non en droit509. Au surplus, elle se propose d’élaborer des 4 lignes directrices sur la détermination du montant des dommages et intérêts 510 pour faciliter le rôle 485F du juge national. Elle a par ailleurs sur ce point publié une étude sur la quantification des dommages et intérêts en matière de droit des ententes en décembre 2009511, dans laquelle elle fournit aux 4 juridictions nationales un guide non contraignant pour la quantification des dommages en droit de la concurrence. La Commission expose les étapes du raisonnement pour déterminer les dommages et intérêts, puis donne des méthodes et des modèles économiques pouvant être utilisés à titre complémentaire. L’AFEC, dans sa réponse au Livre vert 512, a considéré que la Commission 487F européenne n’est peut-être pas la bonne institution pour élaborer ce type de document étant donné qu’elle n’est pas compétente pour allouer des dommages et intérêts et ainsi ne dispose pas d’expérience en la matière. En revanche, elle fait valoir qu’il serait intéressant d’élaborer un document de référence reprenant une typologie des préjudices potentiels suivant les infractions commises et en déterminant « les preuves documentaires qui permettent généralement de constater les effets de telles pratiques et donc les préjudices éventuellement subis »513. La Commission a 48F soumis à consultation un document de projet de document d'orientation sur la quantification du préjudice dans les actions en dommages et intérêts fondées sur des infractions à l'article 101 ou 102 TFUE 514. Dans certains Etats membres, le contentieux de la concurrence relève de la compétence de 89F juridictions spécialisées 515. Il est alors possible d’envisager l’ajout de chambres civiles au sein de 490F 509 « L’Equity est une ensemble de règles élaborées principalement aux XVe et XVIe siècles pour compléter le système de la Common Law qui est devenu insuffisant et défectueux. Lorsque les cours royales qui appliquaient la Common Law ne pouvaient être saisies d’une affaire ou lorsqu’elles ne pouvaient offrir une solution appropriée, il était possible d’en appeler à la conscience du roi et de lui demander d’intervenir en tant que justicier souverain. Le roi, puis le Chancelier auquel il délégua ses pouvoirs, n’intervenait pas pour créer de nouvelles règles de droit : il intervenait uniquement au nom de la morale », L’anglais juridique, Principes, pratiques & vocabulaire des professionnels, Business Management Series, p. 17, op. cit. 510 Le Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, 25 déc. 2005, COM(2005) 672 final, p. 20. 511 Quantifying antitrust damages, towards non binding guidance for courts, Etude préparée pour la Commission européenne, par Oxera et par une équipe de juristes pluridisciplinaires, dirigée par le Dr. Assimakis Komninos, avec l’assistance économique du Dr. Walter Beckert, du Professeur Eric Van Damme, du Professeur Mathias Dewatripont, du Professeur Julian Franks, du Dr. Adriaan Ten Kate et du Professor Patrick Legros, Déc. 2009. 512 Réponse au Livre vert « Action en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », Association Française des Etudes de Concurrence (AFEC), 2006, p. 13, accessible à l’adresse suivante : http://ec.europa.eu/competition/antitrust/actionsdamages/green_paper_comments.html 513 Réponse au Livre vert « Action en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », Association Française des Etudes de Concurrence (AFEC), 2006, p. 13, accessible à l’adresse suivante : http://ec.europa.eu/competition/antitrust/actionsdamages/green_paper_comments.html. 514 Projet de document d'orientation sur la quantification du préjudice dans les actions en dommages et intérêts fondées sur des infractions à l'article 101 ou 102 du traité, Direction générale de la Concurrence de la Commission européenne, juin 2011, disponible à l’adresse suivante http://ec.europa.eu/competition/consultations/2011_actions_damages/index_fr.html. 515 En France, voir Décret n° 2005-1756 du 30 déc. 2005 fixant la liste et le ressort des juridictions spécialisées en matière de concurrence, de propriété industrielle et de difficultés des entreprises, JORF n° 304 du 31 déc. 2005, p. 20831. 160 ces juridictions, les juges ayant eu l’expérience de la détermination des dommages et intérêts en matière économique. 355. Cette démarche de la Commission rejoint une réflexion du Conseil de la concurrence français (devenu l’Autorité de la concurrence) dans un avis de 2006 sur les actions de groupe 516. Ce dernier a 4 en effet mis en lumière le pouvoir du Competition Appeal Tribunal (CAT) de connaître des demandes en indemnisation des victimes dès lors qu’il est saisi d’un appel sur une décision rendue par l’Office Fair Trading (OFT), l’autorité de la concurrence anglaise. Le Conseil de la concurrence français avait alors souligné le gain de temps dans la procédure grâce à cette mesure 517. Il faut rester 492F très prudent sur ce sujet car la réparation du préjudice relève d’une part de la compétence de la juridiction judiciaire, et non de la compétence d’une autorité administrative. Cependant, dans de nombreux Etats membres de l’Union, la compétence est dévolue en droit de la concurrence à des autorités administratives indépendantes et non à des juridictions relevant de l’ordre judiciaire. D’autre part, la mise en œuvre de la responsabilité civile relève de la compétence de la juridiction civile. En France, par exemple ce principe souffre d’exceptions. Ainsi l’action civile peut être mise en œuvre devant la juridiction pénale 518. Cependant, les autorités de concurrence, telle que l’Autorité 493F française de la concurrence, ne peuvent être assimilées à des juridictions pénales, puisqu’elles ne relèvent pas de l’ordre judiciaire, contrairement au CAT anglais et le droit de la concurrence n’est pas considérée comme une matière pénale 519, contrairement au droit anglais. F 356. La détermination du montant du dommage subi est un exercice délicat pour tous les juges quel que soit le domaine et quelle que soit la procédure. Adopter de la souplesse dans ce processus faciliterait ainsi considérablement la tâche du juge dès lors qu’il serait confronté à un litige de nature économique, qui nécessite des analyses économiques complexes et/ou dès lors qu’il serait en présence d’un contentieux de masse où examiner le préjudice subi individuellement par l’ensemble des demandeurs demanderait un temps considérable et des moyens conséquents. La Commission s’est fortement impliquée pour pallier ces difficultés. Cependant, ces solutions font fi des principes 516 Avis du Conseil de la concurrence relatif à l’introduction de l’action de groupe en matière de pratiques anticoncurrentielles, 21 sept. 2006, disponible à l’adresse suivante : www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/classactions.pdf. 517 Ibid, p. 19. 518 Selon l’article 3 alinéa 3 du Code de procédure pénale, la victime d’un dommage peut porter sont action devant la juridiction pénale plutôt que devant la juridiction civile pour obtenir réparation de son dommage « pour tous les chefs de dommages aussi bien matériels que corporels ou moraux, qui découleront des faits objets de la poursuite », voir F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit Civil, Les obligations, op. cit., p. 886, n° 877. 519 Voir art. 23 §.5 du Règlement (CE) n°1/2003 du Conseil, du 16 déc. 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, Journal Officiel n° L1 du 4 janv. 2003, p. 1-25. 161 de fond régissant la responsabilité civile dans les pays de Civil Law et en particulier du principe de réparation intégrale du préjudice. B) L’obstacle du principe de réparation intégrale du préjudice 357. Le droit de la responsabilité civile est gouverné par le principe selon lequel toute personne qui cause un dommage à autrui doit le réparer 520. A titre d’exemple, l’article 1382 du Code civil français 495F dispose que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer »). Il en est de même de l’article 2043 du Code civil italien 521. 496F La réparation peut être alors effectuée en nature ou par équivalent, c'est-à-dire, par le versement de dommages et intérêts 522. 497F 358. Dans les pays de droit romano-germanique, la réparation du préjudice subi s’entend alors d’une réparation intégrale du dommage avec la maxime « tout le dommage », mais également « rien que le dommage »523. La responsabilité civile est gouvernée par le principe de la réparation intégrale du 4 98F préjudice et par son corollaire, le principe d’interdiction de l’enrichissement sans cause. A cette définition, s’ajoute un dernier élément, qui est la « seule prise en compte de la situation de la victime », à l’exclusion de la nature ou de la gravité de la faute commise et du comportement de l’auteur de la faute, c'est-à-dire, s’il a agi, de manière intentionnelle ou de manière réitérée 524. 49F 359. En partant de ces principes, les législateurs et les juges ont dégagé les éléments à prendre en compte pour déterminer le montant des dommages et intérêts à verser à la victime en cas de dommage causé. Par définition, en matière civile et commerciale, les dommages et intérêts couvrent la perte matérielle subie par la victime (Damnum emergens), la perte de profits (Lucrum cessans) ainsi que les intérêts moratoires, que l’on fait courir, soit à compter de la date du jugement, soit à compter de la pratique ou de l’apparition du préjudice 525. A titre d’exemple, en droit français, 50F l’article 1149 du Code civil en matière de responsabilité contractuelle dispose que « les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a fait et du gain dont il a été privé, sauf 520 F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit Civil, Les obligations, Précis Dalloz, 10ème éd., 2009, p. 685-686. C. civ. it, art. 2043: « Qualunque fatto doloso o colposo, che cagiona ad altri un danno ingiusto, obbligo colui che ha commesso il fatto a risarcire il danno ». 522 F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit Civil, Les obligations, Précis Dalloz, 10ème éd., 2009, p. 909. 523 F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit Civil, Les obligations, Précis Dalloz, 10ème éd., 2009, p. 913, n° 900. 524 Sur la date d’évaluation du dommage, voir Droit Civil, Les obligations, op. cit., p. 916, n° 902 et suivants. 525 Voir à titre d’exemple, C. civ., art. 1153-1: « [Les dommages et intérêts] ne sont dus que du jour de la sommation de payer, « ou d’un autre acte équivalent telle une lettre missive s’il en ressort une interpellation suffisante, » excepté dans le cas où la loi les fait courir de plein droit ». 521 162 les exceptions et les modifications ci-après ». De même en droit italien, l’article 1223 du Code civil dispose que « Les dommages-intérêts pour rupture de contrat ou pour le retard doivent donc inclure la perte subie par le créancier ainsi que la perte de profits, quand elles sont immédiates et que la conséquence est directe » 526. 5 01F 360. Ces principes ont été consacrés, au niveau communautaire, par la Cour de justice de l’Union européenne, comme par le Parlement européen, s’agissant des contentieux en droit de la concurrence notamment. Tout d’abord, dans un arrêt Manfredi de 2006 527, la Cour de Justice des Communautés 502F européennes (CJCE, devenue la Cour de Justice) 528 503F rappelle sa jurisprudence constante 529 sur le 504F respect du principe de l’enrichissement sans cause. Ainsi selon la Cour de Justice, « le droit communautaire ne fait pas obstacle à ce que les juridictions nationales veillent à ce que la protection des droits garantis par l’ordre juridique communautaire n’entraine pas un enrichissement sans cause des ayants droit »530. De plus, elle précise les composantes du préjudice à 5 05F réparer en se basant, d’une part, sur le principe d’effectivité et, d’autre part, sur le « droit de toute personne de demander réparation du dommage causé par un contrat ou un comportement susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence » 531, tel que consacré par sa 5 06 F jurisprudence Courage 532. Ainsi selon la Cour de Justice, la réparation doit porter sur le « dommage 507F réel (damnum emergens), mais également [sur le] manque à gagner (lucrum cessans) ainsi que [sur le] paiement d’intérêts »533. Sur le manque à gagner, elle précise spécialement que « l’exclusion 508 F totale, au titre du dommage réparable, du manque à gagner ne peut être admise en cas de violation du droit communautaire, car, spécialement à propos de litiges d’ordre économique ou commercial, une telle exclusion totale du manque à gagner serait de nature à rendre en fait impossible la réparation du dommage (voir arrêts Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, point 87, et du 8 526 Art. 1223 Risarcimento del danno « Il risarcimento del danno per l’inadempimento o per il ritardo deve comprendere cosi la perdita subita dal creditore come il mancato guadagno, in quanto ne siano conseguenza immediata e diretta ». 527 Arrêt de la CJCE, 13 juil.2006, Vincenzo Manfredi c/Lloyd Adriatico Assicurazioni SpA, aff. jointes C-295/04 à C298/04, Recueil 2006, p. I-6619; Voir §. 554 et s. 528 Voir Articles 9 et suivants du Traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1 er déc. 2009. Selon le Traité, « la Cour de justice de l'Union européenne comprend la Cour de justice, le Tribunal et des tribunaux spécialisés. Elle assure le respect du droit dans l'interprétation et l'application des traités ». 529 CJCE, 4 oct. 1979, Ireks-Arkady c/Conseil et Commission, aff. 238/78, Recueil 1979 p. 2955, point 14; CJCE, 27 fév. 1980, Just, aff. 68/79, Recueil 1980 p. 501, point 26; CJCE, 21 sept. 2000, Michailidis, Affaires jointes C-441/98 et C442/98, Recueil 2000 p. I-7145, point 31 : « selon une jurisprudence constante, la protection des droits garantis en la matière par l'ordre juridique communautaire n'exige pas d'accorder une restitution de taxes indûment perçues dans des conditions qui entraîneraient un enrichissement sans cause des ayants droit ». 530 CJCE, 13 juil.2006, Vincenzo Manfredi c/Lloyd Adriatico Assicurazioni SpA, op. cit., point 94. 531 CJCE, 13 juil.2006, Vincenzo Manfredi c/Lloyd Adriatico Assicurazioni SpA, op. cit., point 95. 532 CJCE, 20 sept. 2001, Courage Ltd c/ Bernard Crehan, Affaire C-453/99, Recueil 2001, p. I-6297, sur question préjudicielle, point 24. 533 CJCE, 13 juil.2006, Vincenzo Manfredi c/Lloyd Adriatico Assicurazioni SpA, op. cit., point 95. 163 mars 2001, Metallgesellschaft e.a., C-397/98 et C-410/98, Rec. p. I-1727, point 91) » 534. Quant au 5 09F paiement d’intérêts, la Cour rappelle son arrêt Marshall, du 2 août 1993 535 selon lequel leur octroi, 510 F selon les règles nationales applicables, constitue une composante indispensable d’un dédommagement. 361. Le Parlement européen, dans une Résolution du 27 avril 2007 536, a également repris ces principes. 51F Il déclare que « l'indemnisation reconnue aux requérants devrait avoir un caractère compensatoire et ne pas dépasser la perte subie ("damnum emergens") et le manque à gagner ("lucrum cessans") effectifs »537. Il justifie alors sa position en s’appuyant sur le principe de l’interdiction de 512F l’enrichissement sans cause 538. Le Parlement apporte également une précision intéressante en ce 513F qu’il considère que « la capacité de la victime à minimiser la perte subie et le manque à gagner peut être prise en compte » 539. Il ajoute de plus que « les intérêts devraient être calculés à compter de la 5 14F date de l'infraction » en matière de droit de la concurrence 540. Dans sa résolution du 26 mars 2009 51F sur le Livre blanc, le Parlement réitère sa position en se félicitant que « la réparation soit considérée comme une compensation pour les pertes subies, mais aussi pour le manque à gagner, y compris les suppléments et les intérêts. [Il] demande [alors] que ce principe préside au fonctionnement de tous les mécanismes de recours collectifs au niveau communautaire »541. 516 F 362. Ainsi tel que rappelé par les plus hautes juridictions tant en droit interne qu’en droit communautaire, les principes de la réparation intégrale du préjudice et de l’interdiction de l’enrichissement sans cause s’oppose à l’adoption d’un système de détermination approximative du montant des dommages et intérêts. La détermination du préjudice subi par le justiciable suppose, en effet, un examen individualisé de la situation de la victime. La solution adoptée par le législateur danois dans sa loi n° 181/2007, relative à l’action de groupe, peut être relevée. En effet, pour tenir compte du fait que l’évaluation des dommages et intérêts pouvait nécessiter une analyse individuelle 534 CJCE, 13 juil.2006, Vincenzo Manfredi c/Lloyd Adriatico Assicurazioni SpA, op. cit., point 95. CJCE, 2 août 1993, Marshall c/ Southampton and South West Hampshire Area Health Authority, Affaire C-271/91, Recueil 1993, p. I-4367, point 31. 536 Résolution du Parlement européen, du 25 avr. 2007, sur le Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », (2006/2207 (INI)). 537 Ibid, point 17. 538 Ibid. 539 Ibid.; On notera que cette obligation est connue des systèmes anglo-saxons et se retrouve dans certaines conventions internationales s’agissant en particulier de responsabilité contractuelle. En France, la question est très discutée, la Cour de cassation s’étant prononcée contre cette obligation dans une affaire relative à un accident de la circulation en des termes très généraux (D. 2003.2326, note Chazal), voir Droit Civil, Les obligations, op. cit., p. 911-913, n° 899-1. 540 Résolution du Parlement européen, du 25 avr. 2007, sur le Livre vert, op. cit., point 17. 541 Résolution du Parlement européen du 26 mars 2009 sur le Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante (2008/2154(INI)), point 16. 535 164 de la situation des victimes, le législateur a considéré qu’il était possible d’introduire une telle action seulement pour obtenir un jugement déclaratoire sur la responsabilité du défendeur. Dans ce cas de figure, les justiciables danois sont alors renvoyés à l’action individuelle pour obtenir le prononcé des dommages et intérêts 542. 517F 363. La procédure d’action de groupe, pose des difficultés quant à la détermination du montant des préjudices subis du fait, d’une part, de l’absence d’identification a priori des demandeurs et, d’autre part, de la multiplicité de ces derniers. La difficulté est accrue dans certains domaines du droit où l’évaluation du préjudice s’entend à travers des études économiques complexes. Outre, les difficultés techniques, l’évaluation peut alors se révéler coûteuse. La Commission européenne a proposé différentes mesures tendant à pallier ces difficultés. Elle suggère, en particulier, d’introduire une part d’approximation dans ce processus. Cependant, elle n’a pas tenu compte des principes généraux de responsabilité civile existant dans la majorité des pays européens et qui nécessiteraient d’être assouplis ou écartés au moins à titre dérogatoire. Il est possible de retenir la proposition de différencier le jugement au fond et le jugement sur la responsabilité, qui permettrait le respect du principe de la réparation intégrale du préjudice dans le cadre d’un système d’opt in et qui a été adopté dans les faits par le législateur danois. 364. Conclusion du Chapitre 2. L’action de groupe, respectueuse des principes sous jacents au système dans lequel elle s’inscrit. Des choix sont possibles, quant à l’orchestration de la procédure, en particulier, entre un système d’exclusion et un système d’inclusion des personnes représentées dans le groupe, qui ont des répercussions importantes sur les autres modalités de mises en œuvre de la procédure. Le système américain montre, in fine, que quels que soient les choix opérés, l’important est qu’ils soient cohérents au regard des autres modalités de mise en œuvre de la procédure et au regard du système judiciaire dans lequel il s’inscrit afin de ne pas nuire à l’efficacité de la procédure. 542 P. Møgelvang-Hansen, Class Actions, National Report: Denmark, p. 2, dans Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, 6ème Conférence annuelle sur le thème “Strategies for Litigating”, 6 & 7 mai 2010, Hotel Renaissance Seattle à Seattle, WA. 165 166 CONCLUSION DU TITRE I 365. Un contrôle nécessaire de la capacité à agir pour autrui. En Europe et particulièrement en France, les actions collectives sont réservées aux seuls organismes de défense agréées dans le cadre des actions en représentation. A défaut d’un intérêt personnel à agir, ils se voient octroyer une capacité à agir pour défendre en justice les intérêts personnels d’autrui. Les pouvoirs publics contrôlent alors l’activité et la représentativité de ces organismes aux travers l’octroi d’un agrément. Suivant la même logique, ouvrir cette action à tous les justiciables nécessite également d’instaurer un contrôle des qualités de représentation des Demandeurs représentatifs afin de pallier tout détournement éventuel de la procédure au détriment des intérêts des personnes représentées. Les conditions de certification de la procédure américaine, reprises par l’ensemble des législateurs européens s’étant dotés d’une procédure d’action de groupe semblent ainsi indispensables. 366. Un contrôle nécessaire de l’opportunité de recourir à une telle procédure pour connaître des demandes multiples. De même, il est indispensable qu’un contrôle de l’opportunité de la procédure soit effectué par le juge. La procédure d’action de groupe, en tant que dérogatoire au droit commun, ne doit être utilisée que dans certains litiges de masse, dont les cas présentent des questions de droit et de fait similaires. La procédure d’action de groupe doit apparaître comme le moyen le plus approprié pour connaître de ces demandes, et ce, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice. 367. Envisager la procédure d’action de groupe, c’est également prendre en compte les droits des personnes représentées. L’action de groupe implique également des modalités de mise en œuvre exorbitantes du droit commun afin de permettre l’identification des personnes représentées à la procédure. Une publicité de la procédure, qui devra être effectuée sous le contrôle strict du juge est ainsi indispensable pour informer ces personnes de l’existence de la procédure. Elle va leur permettre de consentir à ce que leur droit d’agir en justice soit exercé par le tiers désigné. 368. Une procédure conforme aux principes directeurs de l’action en justice dans les pays européens de droit romano-germanique. Le recueil de ce consentement suivant le système d’opt out implique que les personnes représentées ne seront pas identifiées individuellement et qu’elles n’auront pas explicitement donné leur accord à l’exercice de leur action par le Demandeur 167 représentatif avant le jugement au fond. Cette modalité est incompatible avec d’une part les principes directeurs de l’action en justice, que sont la liberté individuelle d’ester en justice, le respect des droits de la défense, l’égalité devant la justice ou encore l’autorité de la chose juge. D’autre part, elle s’oppose au principe de la réparation intégrale du principe et de son corollaire l’enrichissement sans cause. Seul un système d’opt in apparaît compatible avec ces principes. Comme l’a montré la procédure américaine de class action, l’efficacité de la procédure une cohérence entre les modalités de la procédure et le système judiciaire dans laquelle elle s’inscrit. Ainsi dans les systèmes de droit romano-germanique, il faut tenir compte de nos principes fondamentaux pour déterminer les modalités de mise en œuvre de cette procédure. 369. Une procédure nécessairement plus longue et complexe qu’une procédure individuelle. Ces particularités de l’action de groupe font que cette procédure est intrinsèquement plus complexe et plus longue que l’action en justice individuelle de droit commun. Il est ainsi inexact de penser que l’action de groupe « a pour effet la simplification des modalités de l’action en justice » 543. 518 F 543 Voir la proposition de loi sénatoriale sur le recours collectif, déposée par les sénateurs, Mme Bricq et M. Yung, le 9 fév. 2010. 168 TITRE II : LES ALTERNATIVES EUROPEENNES A L’ACTION DE GROUPE 370. En Europe, de nombreux Etats membres ont décidé d’adopter des procédures d’action de groupe. Il en est ainsi de la Suède, de la Norvège, du Danemark, mais aussi de l’Italie, du Portugal ou encore de la Pologne. D’autres pays ont opté pour des solutions alternatives à l’action de groupe afin de faciliter le règlement des litiges de masse. Certains pays ont ainsi choisi de recourir à des procédures judiciaires appelées les procédures de « test case ». Ces procédures ne sont pas des actions représentatives. Elles visent seulement à faciliter le traitement des litiges de masse en compilant les demandes et en choisissant parmi ces demandes les plus représentatives. Les demandes sélectionnées sont tranchées au fond et la solution est appliquée aux autres demandes. D’autres Etats réfléchissent à l’amélioration des procédures qui existent déjà dans leur droit positif, notamment l’action en représentation ouverte aux seuls organismes agréés. Des solutions sont aussi venues des initiatives originales des justiciables (Chapitre 1). Les réflexions se portent également vers les modes alternatifs de résolution des litiges, qui apparaissent intéressants notamment pour les petits litiges de consommation. En particulier, la procédure de transaction collective mise en place aux Pays-Bas sera examinée (Chapitre 2). 169 170 CHAPITRE I : LES ACTIONS COLLECTIVES JUDICIAIRES 371. Certains législateurs européens ont adopté des procédures nouvelles en droit civil afin de pallier les difficultés rencontrées par leurs juges nationaux dans des litiges comprenant un grand nombre de demandeurs. Notamment, les législateurs anglais et allemands ont eu recours à une procédure, dite « modèle ». Ces actions se distinguent des actions de groupe car les demandeurs doivent, à titre individuel, introduire une demande en justice. Ce n’est que, dans un second temps, que ces demandes vont être compilées afin que le juge n’ait à se prononcer que par une seule décision sur le problème au fond, commun à toutes les demandes. Non représentatives, ces procédures présentent un intérêt évident concernant la sauvegarde des principes fondamentaux, qui gouvernent la procédure civile, en particulier, dans le système romano-germanique, comme l’exemple allemand le montre (Section 1). 372. Les juges nationaux ont également fait preuve d’ouverture face aux actions innovantes des demandeurs en justice, comme cela apparaît avec les actions intentées par l’entreprise belge, Cartel Damages Claims (CDC), qui a eu recours au système du rachat de créance. De plus, certains Etats membres réfléchissent à améliorer les procédures judiciaires existantes pour traiter collectivement les demandes en justice (Section 2). SECTION 1) LES PROCEDURES DITES « MODELES » : DES ALTERNATIVES NON REPRESENTATIVES A L’ACTION DE GROUPE 373. Les législateurs anglais et allemands ont trouvé un moyen de passer outre les difficultés liées à la qualité à agir du Demandeur représentatif et aux droits des personnes présentées, que peut poser la procédure d’action de groupe, notamment dans les systèmes de droit romano-germanique, en adoptant un mécanisme de test case, appelé aussi procédure « modèle ». 374. Une procédure non représentative. Cette procédure est, comme les procédures d’action de groupe, un mode d’administration collectif des demandes en justice présentant des questions de droit et de fait en commun. Cependant, cette procédure revêt une réalité toute différente des class actions aux États-Unis. En effet, cette procédure n’est pas représentative 544. Bien que la procédure 519F 544 Le Royaume-Uni connaît une procédure de recours dite « représentative » dans laquelle le demandeur principal peut représenter toutes les parties ayant un même intérêt. Les modalités de cette procédure sont prévues par les règles de 171 « modèle » vise à un règlement collectif des litiges similaires, le demandeur à l’origine de la procédure ne représente pas les personnes placées dans une situation similaire à la sienne. Sa démarche consiste simplement à faire bénéficier les personnes, qui ont engagé une action pour un préjudice similaire au sien, du jugement rendu dans sa propre procédure. Les actions engagées restent des actions individuelles. L’idée sous jacente du législateur est seulement de permettre de rationaliser l’administration des demandes en justice. 375. Une procédure adoptée en réponse à un cas d’espèce. Ces procédures sont nées, en Allemagne comme en Angleterre, de la pratique des juges, qui ont eu à connaître des litiges impliquant un grand nombre de demandeurs. Face à la complexité de traitement de ces demandes les juges ont eu recours à certaines innovations procédurales, codifiées ensuite par le législateur. 376. Plan. Il est intéressant d’examiner l’une et l’autre des procédures, l’une, s’inscrivant dans un système de Common Law, et l’autre, dans un système de droit romano-germanique. Cette différence fondamentale entre les deux systèmes, qui reposent pourtant sur une structure procédurale analogue, justifie la mise en œuvre, par le législateur allemand, de modalités de fonctionnement de la procédure « modèle » toutes singulières. Ces particularismes sont justifiés par son souci de garantir le respect du droit d’accès au juge, protégé constitutionnellement en Allemagne. Le système anglais, dit « Group litigation Order » (GLO) 545, repose sur un système de contrôle a priori du juge, qui rend 520F l’utilisation de la procédure « modèle » très exceptionnelle (§1). Cette procédure « modèle » apparait in fine comme un outil prometteur, qui permet de pallier un certain nombre de blocages éventuels à l’adoption d’une action de groupe (§2). procédures civiles anglaises (Part 19.6). Ce mécanisme est ancien (plus de 100 ans), mais il n’a été que rarement utilisé car il a fait l’objet d’une interprétation restrictive par les juges, notamment concernant la notion de « même intérêt » (Voir Duke of Bedford v. Ellis [1901] AC1, HL.). C’est notamment pour pallier ces carences que la procédure du Group Litigation Order a été adoptée. 545 Voir Civil Procedure Rules, Part 19, Practice Direction 19B. 172 §1) Des procédures «modèles» ou la rationalisation du traitement des demandes individuelles en justice 377. L’étude des deux procédures, anglaises et allemandes, est intéressante. En effet, la procédure « modèle », adoptée en droit allemand, est riche d’enseignements sur sa compatibilité avec les principes procéduraux fondamentaux en particulier, dans les systèmes de droit romano-germanique (B). Toute aussi garante des droits fondamentaux des justiciables anglais, que peut l’être la procédure allemande, la procédure anglaise sera étudiée au regard de la procédure de contrôle a priori de la mise en œuvre de cette mesure de bonne administration de la justice, qui souligne que son utilisation ne peut être faite que dans des circonstances particulières (A). A) La mise en œuvre du GLO en droit anglais, l’illustration d’une procédure à l’utilisation exceptionnelle 378. La procédure du Group Litigation Order résulte d’une adaptation du juge aux circonstances exceptionnelles d’un cas d’espèce (1), et elle se distingue par des modalités de fonctionnement très singulières, qui permettent au juge en charge du litige de masse, de rationaliser le traitement de ces demandes (2). 1) Le contexte d’adoption de la procédure du « Group Litigation Order » en droit anglais, un fort pouvoir d’initiative et de création des juges 379. La simple recherche de rationalisation du traitement des litiges de masse. Le contexte d’adoption des lois instituant des procédures « modèles » est éclairant sur la finalité de cette procédure, qui tend vers une rationalisation du traitement des demandes, en vue d’une bonne administration de la justice. La finalité de la class action américaine va au-delà de cet objectif, ce qui a des conséquences sur les modalités de mise en œuvre de la procédure 546. La différence 521F d’approche adoptée par le législateur américain et par le législateur anglais est d’autant plus intéressante que ces deux pays sont des pays de Common Law. Ils partagent une histoire commune, qui conduit à de nombreuses ressemblances sur bien d’autres aspects. 380. La réapparition de litiges de masse en Angleterre dans les années 80-90. Comme cela a été souligné en introduction, les recours collectifs sont nés en Angleterre avec la Bill of peace 547. 52F Cependant les juges anglais ont, par la suite, abandonné le système de la justice collective au profit 546 547 Voir Infra §. 567 à 571. Voir introduction §. 5. 173 d’une justice individuelle. La question de l’action collective est apparue, de nouveau, en Angleterre dans les années 80-90 avec la survenance de litiges de masse, concernant principalement des questions de santé publique 548. Les juges anglais ont eu à traiter des affaires, comprenant un grand 523F nombre de demandeurs, dans le domaine des produits pharmaceutiques et médicaux. Les affaires relatives à des tranquillisants (Benzodiazépine litigation 549), à des implants contraceptifs (Norplant 524F litigation 550) ou encore à des vaccins (MMR vaccins litigation) peuvent être citées. Ces litiges de 52F masse ont conduit les juges anglais à envisager la création de nouvelles règles procédurales pour faciliter l’administration de ces cas « hors norme », qui ont mis en lumière la rigidité des procédures judiciaires. Le travail du juge Ian Kennedy J. Took dans l’affaire de la Benzodiazépine est particulièrement intéressant à cet égard. L’affaire de la Benzodiazépine 551 526F La Benzodiazépine est un produit médicamenteux, prescrit en cas de dépression, d’insomnie et autres maladies nerveuses. Synthétisé pour la première fois en 1947, à partir des années 60, il est substitué aux barbituriques, par les médecins britanniques, pour le traitement des maladies nerveuses. A cette époque, les barbituriques sont critiqués pour leurs effets secondaires, tels que la dépendance ou l’interaction néfaste avec d’autres substances, comme l’alcool, pouvant entraîner un coma ou la mort. Cependant, à la fin des années 80, de vives critiques sont également formulées contre une prescription abusive de la benzodiazépine, qui, par une consommation régulière, peut entraîner des effets secondaires néfastes pour la santé telle que la dépendance. Les premières demandes en justice furent formulées en 1987. Elles visèrent les producteurs, et les médecins ayant prescrit ces produits. Cette affaire fit l’objet d’une forte publicité par les cabinets d’avocats, qui fut relayée par les médias, ce qui eut un impact considérable sur le nombre de plaintes déposées. Les chiffres relatifs à cette 548 C. Hodges, Multi-party Actions, Oxford University Press 2001. Voir l’encadré ci-dessous. 550 Il s’agit d’un litige mondial concernant un implant contraceptif Norplant ayant conduit à des dérèglements hormonaux chez certaines femmes et entraînant des effets secondaires parfois permanents. En Angleterre, plusieurs centaines de femmes se sont regroupées pour engager une action en justice, mais l’aide juridictionnelle leur ayant été refusée, elles durent renoncer ; Voir C. Hodges, Multi-party actions, op. cit., 551 C. Hodges, Multi-party actions, op. cit. 549 174 affaire sont impressionnants : 15 000 demandeurs, 5 500 procédures et environ 3000 cabinets d’avocats. Face à l’ampleur du litige, le Lord Chief Justice 552 en décembre 1990 attribue la compétence 527F exclusive au juge Ian Kennedy pour connaître de l’ensemble des demandes en indemnisation des préjudices personnels causés par la benzodiazépine, soit environ 15 000 demandes. C’est dans ce contexte que le juge Ian Kennedy J. Took va, en l’absence de règles de procédure définies, jouer de son pouvoir discrétionnaire et recourir à des techniques procédurales innovantes, indispensables à l’administration du litige. 381. L’adoption par le juge de règles procédurales hors-norme pour le traitement des demandes multiples. Pour garantir le traitement des demandes, le juge Ian Kennedy J. Took a fait preuve d’imagination, et il a assoupli les règles de procédure existantes. Tout d’abord, il a sanctionné les retards dans le transfert des demandes vers sa juridiction. Ensuite, il a rationalisé la gestion des actes de procédure, en recourant à des formulaires pour recueillir les demandes, à des citations collectives à comparaître, c'est-à-dire, à des listes des demandeurs avec les moyens avancés par chacun et à des « Master pleadings », c'est-à-dire, à des conclusions, qui recoupent l’opinion de la majorité des demandeurs. Le juge a également demandé aux personnes agissant en justice qu’ils renoncent à la confidentialité liée au secret médical pour permettre au défendeur d’obtenir, le cas échéant, un accès aux preuves. Il a encore procédé à un contrôle préalable des affaires en faisant la balance entre les coûts et les bénéfices, écartant les affaires dont les chances de succès étaient nulles et les affaires pour lesquelles les coûts seraient supérieurs aux éventuels bénéfices pour le justiciable. Enfin, le juge Ian Kennedy J. Took a mis en place un système de date-butoir (cut-off dates) pour recueillir les demandes des justiciables 553. 528F 382. L’échec de la procédure pour les demandeurs. Ainsi grâce à ces innovations procédurales, le juge a pu examiner les demandes au fond. Cependant, les demandeurs ont vu leur requête rejetée. En effet, les plaintes formulées contre les producteurs 554 furent introduites sur le fondement de la 529F négligence. Cependant, la majorité de ces producteurs avaient formulé sur le produit une mise en 552 Le Lord Chief Justice est le président de la Haute Cour de Justice (Hight Court of justice). Il siège également au sein de la Court of Appeal; L’anglais juridique, Principes, pratiques & vocabulaire des professionnels, préc, p. 43. 553 Ibid. 554 Les sociétés Wyeth, Roche, Upjohn et Halcion. 175 garde contre une utilisation prolongée à plus de quatre semaines. De plus, pour la plupart des cas, il n’était pas possible de faire la preuve, ni du lien de causalité entre le produit et les maladies alléguées, ni parfois de l’existence de la maladie et donc du dommage causé. Les demandes ont ainsi été rejetées. Concernant particulièrement les recours contre les médecins, l’échec de ce litige tient finalement surtout aux différences existantes entre les situations des demandeurs, qui n’avaient pas tous reçu les mêmes informations de leur médecin, et dont le traitement et la durée de ce dernier avaient été différents (interactions avec d’autres prescriptions), ainsi que le type de dommage causé. Il est possible de noter, avec ce point, une première similarité avec l’action de groupe. En effet, cela sera développé ci-après en détail, dans l’action « modèle » comme dans l’action de groupe, l’existence de questions de droit et de fait communes à l’ensemble des demandeurs est impérative pour la mise en œuvre de la procédure. Cette considération se rapproche de la condition de Commonality 555 du droit américain de la class action. 530F 383. Une opération couteuse pour le Bureau d’aide judiciaire (Legal Aid Board), malgré la rationalisation du traitement des demandes d’aide. Le Bureau d’aide judiciaire a fait preuve d’innovation dans le traitement des demandes d’aide liées à cette affaire. Face, à l’ampleur du nombre de demandes et constatant que beaucoup de ces demandes étaient non fondées, il a ordonné un audit des demandes individuelles afin de déterminer le bien fondé de ces demandes et leur chances d’aboutir, ce qui lui a permis d’écarter bon nombre de cas. De même, il a eu recours à l’imposition d’une date-butoir pour pallier l’afflux permanent des demandes. Cependant, le Bureau de l’aide judiciaire anglais a opéré un bilan au terme de cette affaire. Le bilan financier de l’opération (comprenant les couts de gestion de l’affaire et l’octroi des aides) fut catastrophique puisque le Legal Aid Board a dépensé 40 millions de pounds pour que, in fine, l’affaire soit rejetée par la Cour au fond 556. Il encourage ainsi le recours in futurum à des tests cas afin de permettre une 531F réduction des coûts. 555 Voir Supra §. 123 et s. L’originalité de cette affaire quant à son importance se manifeste également par le traitement des demandes d’aide juridictionnelle par le Legal Aid Board; Voir C. Hodges, Multi-party actions, op. cit., 556 176 384. Le récapitulatif de la période de la mise en état de la procédure dans l’affaire de la Benzodiazépine (Multy-party Actions, Christopher Hodges, 2001) •Dépôt des premières demandes en justice 1987-1988 6 Décembre 1990 20 Septembre 1991 Mars-avril 1992 3 Nivembre 1992 •Le Lord Chief Justice donne compétence exclusive au juge Ian Kennedy pour connaître de toutes les demandes de réparation des préjudices personnels causés par l'absorption de benzodiazépine. • Date-butoir fixée par le Bureau d'aide légale pour recevoir les demandes d'aide. •Le Legal Aid Board ordonne un audit pour évaluer le bien-fondé et les chances de réussite de chaque demande afin d'en écarter. •Date-butoir fixée par le juge pour déposer toute demande ou tout document à verser au dossier. 385. Les suites de l’affaire Benzodiazépine : la refonte de la procédure civile anglaise. Cette pratique des juges anglais tendant à une flexibilité optimale dans la conduite des litiges de masse, a suscité une nouvelle réflexion conduisant à la refonte de toute la procédure civile anglaise. Cette réflexion fut concrétisée en 1998 avec l’introduction des Civil Procedure Rules (CPR) 557 en droit positif. Lord 532F Woolf, qui a beaucoup œuvré pour cette réforme 558, a particulièrement insisté sur la complexité, les 53F délais et les coûts excessifs de la procédure civile anglaise, ce qui a conduit à l’introduction de nouveaux principes généraux procéduraux. Par exemple, les cours de justice furent habilitées à 557 Ces règles sont des Rules of Court. Elles sont issues de la pratique des juges et viennent remplacer les Rules of the Supreme Court et les County Court Rules. Elles sont entrées en vigueur en avril 1999. 558 En juillet 1996, Lord Woolf, agissant sur instruction du Lord Chancellor (haut fonctionnaire du gouvernement), a publié un rapport intitulé Access to Justice, dans lequel il définit les grands principes devant sous-tendre la procédure civile anglaise et propose des changements, qui constitueront le corps de la réforme de 1998. Les grands axes de la réforme sont les suivants. Lord Woolf fait valoir que, pour s’assurer d’un accès effectif à la justice, le système doit répondre à certaines exigences : « il doit a. Être juste dans les résultats auxquels il aboutit; b. Être juste quant à la manière de traiter les justiciables ; c. Offrir des procédures appropriées à un coût raisonnable ; d. Statuer sur les affaires dans un délai raisonnable ; e. Être intelligible pour les justiciables ; f. Répondre aux besoins des justiciables ; g. Définir avec un degré de certitude élevé la nature des cas introduit en justice et ; h. Être effectif : fournir des ressources et une organisation suffisante » (traduction non littérale). 177 appliquer le principe de proportionnalité pour les coûts, en s’inspirant de la pratique en matière de transaction, et les parties furent encouragées, via certaines procédures, à fournir les éléments de la demande en amont de la mise en œuvre de la procédure, afin de faciliter la vérification des faits et des éléments de preuves et d’encourager les transactions. D’une manière générale, le juge anglais fut incité à mener les affaires, qui lui sont soumises avec la plus grande fermeté, afin que les affaires soient résolues dans un délai réduit et à un coût faible et proportionné 559. 534F 386. Une finalité différente de celle de l’action de groupe. Concernant le traitement des litiges de masse, les CPR 560 consacrèrent le mécanisme du Group Litigation Order (GLO), qui s’inscrivit dans 53F cette nouvelle approche de la procédure civile, développée par les praticiens du droit 561. La volonté 536F du législateur anglais fut toute différente de celle guidant le législateur américain lors de la réforme du système de la class action en 1966 562. En effet, le but du GLO n’est pas de renforcer l’effectivité 537F du droit sous-jacent, mais de rationaliser le traitement des demandes, introduites en grand nombre devant les juridictions anglaises, et qui sont relatives à un seul et même litige, présentant des questions de droit et de fait similaires. L’objectif premier de cette procédure est de rendre une justice équitable, dans un délai raisonnable et à un moindre coût 563. Par ailleurs, il existait à l’époque, en 538F droit positif anglais, une procédure, dite « représentative », qui permettait de traiter les litiges collectifs sur le modèle de l’action de groupe 564. Cependant, ce mécanisme vieux de plus de 100 ans 539F était rarement utilisé du fait d’une interprétation très restrictive de la notion de « même intérêt » que devait présenter le demandeur principal pour être autorisé à agir pour autrui 565. Cette différence de 540F positionnement sur l’action de groupe entre le Royaume-Uni, et les Etats-Unis s’explique, notamment, par le fait qu’au Royaume-Uni, comme d’ailleurs dans les autres pays européens, le rôle des pouvoirs publics pour s’assurer du respect de la loi est prédominant. 559 Voir C. Hodges, Multi-party actions, op. cit., Partie 19. III des CPR, qui fut complétée par les bonnes pratiques que l’on intitule en droit anglais Practice Direction. 561 C. Hodges, Country report : England and Wales, p. 10, dans The Globalization of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Stanford Law School et le Centre for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 562 La réforme de la class action en 1966 a été motivée par la nécessité d’agir en défense des droits des populations noirs dès lors que la ségrégation fut déclarée inconstitutionnelle afin de faire respecter leurs droits ; Voir D. R. Hensler, N.-M. Pace, B. Dombey-Moore, E. Giddens, J. Gross, E. Moller, Class actions dilemmas, Pursuing public goals for private gain, RAND Institute for Civil Justice, Rand Publishing, 1 ère éd., 2000, p. 533 et s. 563 C. Hodges, Multi-party actions, op. cit.. 564 Ibid. 565 Duke of Bedford v. Ellis [1901] AC1, HL, préc. 560 178 387. Ainsi le règlement collectif des litiges a été réinventé, après plus de deux siècles 566, en tant que 541F procédure non représentative, permettant une rationalisation du traitement des demandes en justice dès lors que l’on est face à un litige de masse 567. Cette finalité différente de la procédure d’action de 542 F groupe a des conséquences importantes sur les modalités de mise en œuvre de la procédure. 2) La procédure du Group Litigation Order, une mesure de bonne administration de la justice a) Les étapes de la procédure 388. L’initiative de la procédure. Dans le système anglais, un justiciable, qui agit pour obtenir la réparation d’un préjudice subi ou pour obtenir l’ordonnancement de la cessation d’une pratique illicite, peut demander l’ouverture d’une procédure de Group Litigation Order, dès lors qu’il considère que d’autres justiciables sont susceptibles d’avoir subi un préjudice similaire au sien ou sont victimes de la même pratique illicite. De même, un défendeur, qui se voit adresser des demandes présentant les mêmes questions de fait ou de droit, peut également formuler une telle demande auprès du juge saisi. Enfin, le juge lui-même peut d’office décider de procéder à un GLO dès qu’il considère que d’autres litiges, de même nature, présentant des questions communes, peuvent intervenir ou dès lors que d’autres demandes similaires ont été d’ores et déjà introduites devant la Cour 568. 543F 389. La demande d’ouverture d’une procédure de GLO est examinée par le juge. Il s’interroge, tout d’abord, sur la recevabilité de la demande, ainsi que sur l’opportunité, étant donné les circonstances en l’espèce, de recourir à la procédure « modèle », que l’on rappelle dérogatoire du droit commun 569. S’il considère la demande recevable, il adopte une ordonnance, le Group Litigation 54F Order. Cette ordonnance prévoit la mise en place d’un registre destiné à répertorier l’ensemble des demandes 570 comportant des questions de droit ou de fait similaires à celles comprises dans la 54F demande initiale et explicitement identifiées dans l’ordonnance du juge 571. Ensuite, la cour saisie 546 F 566 Voir les origines de la procédure (Bill of right) dans l’introduction, §. 5. Selon Christopher Hodges, le phénomène de promotion des actions collectives au Royaume-Uni a également été rendu possible grâce à l’existence de mode de financement des investigations et des poursuites; Voir C. Hodges, Multi-party actions, op. cit. Nous reviendrons plus en détail sur la question centrale du financement des actions en justice dans la seconde partie de cet exposé, §. 869 et s. 568 Voir Practice Direction 19B (4) – Group litigation (complément de la section III de la Partie 19 des CRP). 569 Voir ci-dessous pour le détail des conditions de recevabilité et d’opportunité de la procédure, §. 395 et s. 570 Part III, 19.11 (2) (a) CRP. 571 Part III, 19.11 (2) (b) CRP. 567 179 désigne la cour (Management Court) qui sera compétente pour connaitre des demandes au fond. La Cour saisie peut soit reconnaître sa propre compétence pour devenir Management Court, soit ordonner le transfert des demandes vers une autre cour 572. En effet, en fonction des circonstances de 547F l’espèce, l’ordonnance peut prévoir un transfert des demandes vers cette autre cour jugée compétente, ou ordonner directement que les demandes figurent dans le registre 573. En outre, 548 F l’ordonnance précise les modalités de publicité de la procédure et la date-butoir après laquelle ne pourront plus être acceptées les demandes, présentant des questions de droit ou de fait similaires, dans le registre 574. La publicité de la procédure s’entend généralement d’une transmission d’une 549F copie du GLO à la Law Society, qui le gardera à disposition des avocats au service d’information sur les multy-parties actions et au Senior Master de la Queens Bench Division 575. Une publicité dans les 50F journaux peut également être ordonnée. 390. Les compétences de la Management Court, une fois la procédure déclarée admissible. La Management Court désignée 576 peut, aussitôt la procédure ouverte ou peu après, fixer des directions 51F pour le traitement des demandes transmises par les autres cours de justice 577. A ce titre, elle peut 52F spécifier les critères d’inscription sur le registre, qui correspondent aux détails de la demande initiale, et la date à laquelle aucune autre demande ne pourra être inscrite au registre sans sa permission préalable. Elle peut se prononcer sur la possibilité pour une demande d’être inscrite sur le registre eu égard aux points de droit ou de fait concernés. Pour ce faire, la cour peut demander aux auteurs des requêtes de répondre à un questionnaire, qui lui permettra d’identifier plus facilement les demandes devant être inscrites sur le registre 578. Elle peut encore modifier les points de droit 53F pertinents au titre du GLO ou désigner l’avocat de l’une des parties pour être l’avocat en charge de la procédure, qu’il s’agisse des demandeurs ou des défendeurs. 391. La désignation du ou des cas de référence. Au terme du délai fixé, la Management Court détermine l’affaire ou les affaires, qui seront tranchées au fond. Pour déterminer l’affaire ou les affaires de référence (test claims), le juge porte son attention sur les cas présentant les questions les plus représentatives de l’ensemble des demandes présentées 579. La Management Court tranche elle54F 572 Part III, 19.11 (3)(a) (i) CRP. Part III, 19.11 (3)(a) CRP. 574 Part III, 19.11 (3)(c) CRP. 575 Practice Direction 19B (11). 576 La Cour saisie de la demande peut se désigner elle-même comme Management Court ; Voir Practice Direction 19B. 577 Voir Part III, 19.13 CRP. 578 Practice Direction 19B (14.3). 579 Part III, 19.13 (b) CRP. 573 180 même les questions communes à tous les litiges. Concernant les questions individuelles posées par les demandes inscrites au registre, elle peut soit décider de les trancher elle-même, soit les renvoyer à la cour locale territorialement compétente pour chacune des parties 580. Le jugement rendu au fond 5F est opposable à l’ensemble des demandes inscrites au registre à la date à laquelle il est rendu 581. 56 F Cependant, la Cour a le pouvoir d’étendre ses effets contraignants à toute procédure introduite après le prononcé du jugement 582. 57F 392. Schéma sur les effets du jugement du cas de référence, vis-à-vis des autres demandes mentionnées au registre. Demandes inscrites au registre Si la Cour donne des indications en ce sens, le jugement s’applique également aux demandes inscrites postérieurement au registre JUGEMENT Le jugement s’applique à toutes les demandes inscrites au registre avant que le jugement ne soit rendu Autres demandes présentant des questions de droit ou de fait similaires 393. L’appel du jugement de référence. Sous réserve des demandes inscrites au registre après le jugement, toute personne, qui serait affectée par la décision de la Cour, qui lui est opposable, peut demander la permission de faire appel du jugement ou de l’injonction 583. Les personnes, dont les 58F demandes ont été inscrites postérieurement au prononcé du jugement, peuvent seulement introduire une requête auprès de la cour de justice afin de voir déclarer que le jugement leur est inopposable 584. 59F 580 Practice Direction 19B (15.1 et 15.2). Part III, 19.12 (1) (a) CRP. 582 Part III, 19.12 (1) (b) CRP. 583 Part III, 19.12 (2) CRP. 584 Part III, 19.12 (3) CRP. 581 181 394. Ainsi la procédure « modèle » anglaise comporte deux phases successives. La première phase tend, d’une part, à déterminer si la demande est recevable et si l’utilisation de la procédure « modèle » est opportune. Elle permet, d’autre part, d’identifier les demandes et de déterminer la ou les affaire(s) les plus représentatives des questions de droit et de fait soulevées au litige. Dans un second temps, le juge anglais se prononce sur le fond en examinant une ou plusieurs affaires, dont la solution sera applicable à l’ensemble des demandeurs. Ainsi, le juge anglais, désigné pour trancher les demandes multiples organise le traitement judiciaire des demandes afin d’aboutir, dans un temps raisonnable, à une solution équitable pour l’ensemble des demandeurs. Il ressort de ce fonctionnement que toutes les parties à la procédure sont identifiées 585, et que les personnes représentées formulent des demandes et 560F des moyens, qui seront analysés par la cour au stade de la détermination du Test Claims ou après le jugement du Test Claims, pour les questions individuelles. De même, chaque personne, qui se voit opposé le jugement au fond, a le droit de faire appel de la décision qui lui fait grief. 395. Cette procédure « modèle » est de facto plus longue que la procédure individuelle du fait de ces deux phases successives, qui sont nécessaires au regard des circonstances particulières, c'est-à-dire, au regard de l’existence de multiples demandes similaires. Ces mêmes circonstances particulières justifient que cette procédure demeure une procédure dérogatoire du droit commun anglais et qu’elle ne pourra être autorisée que, dans certaines conditions qui laissent apparaître qu’elle est le meilleur moyen pour traiter l’ensemble des demandes similaires. A travers ce contrôle de l’opportunité de la procédure, le juge s’assure que la procédure ne sera utilisée que si cela aboutit à un traitement efficient de toutes les demandes, dans les meilleures conditions pour le justiciable, en ce compris, dans le respect des droits des justiciables 586. 561F b) Les conditions d’autorisation du recours à la procédure « modèle » en droit anglais 396. L’existence de demandes similaires. Avant le dépôt de la demande, l’avocat du demandeur doit consulter le service d’information de la Law Society 587 sur les Multi-party actions pour obtenir des 562F renseignements sur l’existence éventuelle de demandes, qui concerneraient des points de droit ou de fait similaires à ceux présents dans l’affaire de son client ou sur l’existence d’un GLO sur ces points de 585 Il s’agit d’un système d’opt in, Voir §. 258. Comme en droit américain, ce contrôle a priori permet la garantie d’un procès équitable pour les justiciables, voir Hansberry et al. v. Lee et al. (311 U. S. 32, 61 S. Ct. 115, 85 L. éd. 22 (1940). 587 La Law Society est l’ordre des notaires et des conseils en Grande-Bretagne. Instituée par la Charte royale de 1845, elle a pour but « d’améliorer le niveau de la profession et de promouvoir la connaissance du droit » ; Voir L’anglais juridique, Principes, pratiques & vocabulaire des professionnels, Business Management Séries, p. 73. 586 182 droit 588. Si plusieurs demandes similaires ont été déposées auprès des juridictions anglaises, les 563F avocats des différents demandeurs doivent se réunir pour former un groupe d’avocats. Un des avocats est désigné comme représentant du GLO (Lead Solicitor) et son rôle, par rapport aux autres conseils, est défini dans un document écrit 589. A partir de ce moment là, vont être définies collectivement les 564F questions de droit et de fait communes (GLO Issues), qui vont supporter la demande en justice, chacun des solicitors pouvant faire valoir les arguments de son client 590. 56F 397. Schéma d’organisation des relations entre les solicitors des différentes parties intéressées. LEAD SOLICITOR Détermination en commun des questions de droit et de fait (GLO Issues) Solicitor du demandeur individuel Solicitor du demandeur individuel Solicitor du demandeur individuel Demandeur individuel Demandeur individuel Demandeur individuel 398. La condition de Numerosity. Ensuite, l’avocat du demandeur (Lead solicitor) doit s’assurer que la procédure est adaptée au type de litige. La requête déposée doit comprendre certains éléments en 588 Practice Direction 19B (2.1) – Group litigation (complément de la section III de la Partie 19 des CRP). Ibid. 590 On notera que les autres solicitors formeront des demandes en justice en parallèle afin que le cas de leur client soit inscrit au registre du GLO, engagé par le lead sollicitor. 589 183 ce sens, dont le nombre et la nature des demandes déjà introduites en justice 591, le nombre de parties 56F qui sont susceptibles d’être concernées 592 ou encore s’il existe des éléments qui permettent de 567F distinguer des sous-groupes de demandeurs parmi l’ensemble 593. Ces conditions visent à une 568F identification au plus proche des demandeurs à l’action. Contrairement à la procédure allemande, le nombre de demandes existantes ou potentielles n’est pas une condition formelle de l’autorisation de la procédure. Les CPR ne prévoient aucune disposition en la matière. La Practice Direction ne détermine pas non plus un nombre minimum de demandes, nécessaires à la constitution d’un GLO, bien que, dans le projet de Practice Direction, les rédacteurs faisaient état de dix demandes minimum. Entre 1992 et 1997, dans les Legal Aid Board’s Arrangements, le GLO était défini comme « any action or actions in which 10 or more assisted persons have causes of action which involve common issues of fact or law arising common issues ». En 1997, le Bureau considère que fixer le nombre à dix conduit à un manque de flexibilité et préfère abandonner cette référence 594. 569 F 399. Des demandes recevables et des questions de droit et de faits communes. Une fois la demande déposée, le juge procède à l’examen de la recevabilité de la demande, à savoir, à l’examen du bien fondé de la demande, et de sa compétence pour en connaître. Le juge identifie à cette occasion les questions de droit et de fait communes aux différentes affaires (GLO issues). Le juge définit strictement ces questions. Par exemple, dans un litige environnemental Norton Aluminum Litigation 595, le juge a désigné les GLO Issues comme suit : “Si à compter du 26 février 2002, les 570F demandeurs ont subi des nuisances dues à des odeurs, des fumées ou des particules de sulfure ou de phénols, émises par la défenderesse en raison de la gestion et du fonctionnement de ses activités de fonderie, à Norton Canes, Cannock, Staffordshire 596”. De manière encore plus précise, dans un litige 571F McDonaldc Hot Drinks 597, la Court Management désignée a considéré que ne pouvaient être 572F inscrites au Registre que les procédures qui présentaient les questions de droit et de fait communes suivantes : “(a) Est-ce que le défendeur a été négligent dans la distribution et le service des 591 Practice Direction 19B (3.2) (2) – Group litigation. Practice Direction 19B (3.2) (3) – Group litigation. 593 Practice Direction 19B (3.2) (5) – Group litigation. 594 C. Hodges, Multi-party actions, op. cit.. 595 Ordonnance du 26 mai 2010, Référence du dossier n° 72, disponible à l’adresse suivante : http://www.hmcourts-service.gov.uk/cms/150_15300.html. 596 Traduction non littérale: "Whether for the period beginning on 26th February 2002 the Claimants' complaints of nuisance as a result of phenolic, sulphurous or other odurs, noise, smoke abd fumes and particulate matter/dust are complaints about emissions caused by the Defendant as a result of the management and operation of its foundry business at Norton Canes, Cannock, Staffordshire. (2 other common or related issues of fact or law are included), Ordonnance du 26 mai 2010, Référence du dossier n° 72, préc. 597 Ordonnance du 22 mai 2001, référence du dossier n° 8, disponible à l’adresse suivante : http://www.hmcourts-service.gov.uk/cms/150_552.html. 592 184 boissons chaudes à la température à laquelle ils le faisaient dans ce cas ? (b) Est-ce qu’il était nécessaire, pour le défendeur, afin de s'acquitter convenablement de toute obligation de diligence envers les demandeurs, de distribuer et servir ses boissons chaudes à température plus basse que ce qu’il a servi, et, si oui, à quelle température maximale aurait-il dû le faire ? (c) Est-ce que les tasses utilisées par le défendeur étaient construites dans un matériel inapproprié en raison de son usage, de telle sorte que l’utilisation de ces tasses par le défendeur peut être qualifié de négligence ? (d) Est-ce que les couvercles utilisés par le défendeur étaient mal ajustés ou inappropriés pour l’usage qu’il en a été fait, de telle sorte que leur utilisation de la partie défenderesse pour le service des boissons chaudes à ses clients, peut être qualifiée de négligence ? (e) Est-ce que le défendeur avait le devoir d'avertir ses clients quant aux risques de brûlure par des boissons chaudes ? (f) Le cas échéant, est ce que le défendeur a violé son obligation ? (g) Est-ce que le défendeur a violé les dispositions de la Loi sur la protection du consommateur de 1987 considérant que les boissons vendues par cette dernière étaient défectueuses ?” 598. 573F 400. La condition de Superiority. Ensuite l’examen de la recevabilité de la procédure consiste, également, pour le juge, au-delà de la recevabilité stricto sensu de la demande, à vérifier que cette procédure est l’outil procédural le plus efficient pour connaître des multiples demandes. Le juge vérifiera si la jonction de procédure ou l’action représentative, également prévue par les CRP 599, ne 574F sont pas des moyens plus appropriés pour connaître des demandes 600. Il examine les arguments 57F soulevés par les demandeurs. 401. Le choix d’ouvrir une procédure « modèle » en Angleterre, fruit d’une décision collégiale. L’appréciation de ces conditions est laissée à la discrétion du juge. Cependant, ce dernier ne prend pas seul la décision. Il doit en référer au président du tribunal saisi 601. La Practice Direction prévoit 576F 598 Traduction non littérale : "(a) whether the Defendant was negligent in dispensing and serving hot drinks at the temperature at which in fact they did in these cases, (b) whether it was necessary for the Defendant in order to properly discharge any duty of care owed towards the Claimants, to dispense and serve their hot drinks at some lower temperature than in fact they did, and, if so, at what maximum temperature, (c) whether the cups used by the Defendant were of such unsound and /or inadequate construction as to render the Defendant’s use of them for the service of hot drinks to their customers, negligent, (d) whether the lids used by the Defendant for such purposes were of such poor fit or otherwise so inappropriate as to render the Defendant’s use of them for the service of hot drinks to their customers, negligent, (e) whether there was a duty upon the Defendant to warn their customers as to the risk of scalding from hot drinks, (f) if there was such a duty, whether the Defendant was in breach of it, (g) as regards the hot drinks which they produced for sale to the customers, whether the Defendant was in breach of the Consumer Protection Act 1987 because those hot drinks were "defective", Ordonnance du 22 mai 2001, référence du dossier n° 8, préc.. 599 Section II of Part 19 CRP - Representative parties. 600 Practice Direction 19B (2.3) – Group litigation. 601 Practice Direction 19B (3.3) – Group litigation. 185 qu’un GLO ne peut être faite devant la Queen’s Bench Division 602 de la Hight Court 603 sans le 57F 578F consentement du Lord Chief Justice 604, ou devant la Chancery Division 605 sans le consentement d’un 579F Vice-chancellor 606 581F 580F , ou devant une County Court 582F 607 sans le consentement du Head of Civil Justice. De plus, la Cour, devant laquelle la procédure est transférée, doit communiquer, au Lord Chief Justice ou au Vice-Chancellor, une copie de l’acte introductif d’instance, une copie de toutes les preuves écrites considérée comme pertinentes et un exposé détaillé des arguments venant à l’appui du choix de la procédure par GLO 608. Ces règles peuvent être mises en œuvre, soit avant, soit après 583F l’audition relative à l’adoption de l’ordonnance 609. Les autorisations de recourir à la procédure du 584F GLO sont le fruit d’une décision collégiale entre le juge de première instance saisi de la demande et les juges « senior » exerçant leur fonction au plus haut sommet de la hiérarchie. 402. La recherche de la préservation des droits des justiciables. Ces précautions sont perçues, dans les systèmes de Common Law, comme des moyens de préserver les droits des justiciables 610. Le 58F 602 « Le Tribunal du Banc de la Reine (Queen’s Bench Division) est composé du Lord Chief Justice (Voir note de pas suivante) et de 44 juges permanents. Il s’agit principalement d’un tribunal de première instance. Il est compétent pour tous les litiges qui ne sont pas explicitement définis comme étant de la compétence d’un autre Tribunal de la Haute Cour (Hight Court of Justice). Il est ainsi compétent en matière de : responsabilité civile, rupture de contrat, poursuite en recouvrement de bien-fonds ; litiges commerciaux et litiges maritimes […]. Aucun plafond n’est fixé pour le montant des dommages et intérêts qu’il est possible de demander devant le Tribunal du Banc de la Reine. Ce Tribunal peut aussi siéger en tant que juridiction d’appel et connaître des appels contre des décisions du Tribunal disciplinaire des Solicitors ou sur des problèmes de loyers. Il a par ailleurs la tache de contrôler le travail des tribunaux inférieurs, des tribunaux administratifs et des autorités administratives qui exercent des fonctions judiciaires » ; L’anglais juridique, Principes, pratiques & vocabulaire des professionnels, Business Management Séries, p. 45. 603 « La Haute Cour de Justice (Hight Court of justice) est constituée de trois divisions : le Tribunal du Banc de la Reine (Queen’s Bench Division), le Tribunal de la Famille (Family Division) et le Tribunal de la Chancellerie (Chancery Division) ». Les trois divisions sont compétentes pour connaître de tous les affaires civiles, mais pour des raisons d’organisation, les compétences sont réparties entre les trois divisions; L’anglais juridique, Principes, pratiques & vocabulaire des professionnels, Business Management Séries, p. 45. 604 Le Lord Chief Justice est le président de la Haute Cour de Justice (Hight Court of justice). Il siège également au sein de la Court of Appeal; L’anglais juridique, Principes, pratiques & vocabulaire des professionnels, préc., p. 43. 605 « Le Tribunal de la Chancellerie se compose du Grand Chancelier (Lord Chancellor), qui d’ordinaire délègue ses fonctions au Vice-Chancelier (Vice-Chancellor) et d’au moins quatre juges de la Haute Cour. Ce tribunal est compétent en matière d’administration des biens des défunts, de dissolution de sociétés de personnes, d’hypothèques […]. Le Tribunal de la Chancellerie est normalement une juridiction de première instance, mais il peut statuer sur des recours émanant des cours inférieures, relatifs à des problèmes de fidéicommis ou de faillite »; L’anglais juridique, Principes, pratiques & vocabulaire des professionnels, préc., p. 47. 606 Ibid. 607 « Les Cours de Comté ont été instituées aux fins de soulager la Haute Cour d’une partie importante de son travail et d’offrir aux justiciables une justice locale plus rapide et moins couteuse. La Loi de 1990 sur les cours et les services juridiques a redistribué les taches entre la Haute Cour et les cours de comté. […]. Les Cours de comté sont compétentes en matière de : contrats, responsabilité civile, problèmes relevant de l’equity (voir note de bas de page n° PPP), ect […] »; L’anglais juridique, Principes, pratiques & vocabulaire des professionnels, op. cit., p. 47. 608 Practice Direction 19B (3.4) – Group litigation. 609 Ibid. 610 Par exemple, la Cour Suprême des Etats-Unis a considéré dans une affaire Hansberry et al. v. Lee et al. (311 U. S. 32, 61 S. Ct. 115, 85 L. éd. 22 (1940)) que les droits fondamentaux (Due process) sont garantis dans les actions de groupe à partir du moment où l’intérêt de la personne qui porte l’action est le même que celui des personnes représentées à la procédure; Voir L. Sinopoli et P. Fournier, Actions de groupe et procès équitable, Rev. Lamy Droit civil 206, 32. 186 système est autorisé en sachant que les modalités de la procédure sont optimum pour connaître des demandes. Les ordonnances rendues par le juge sont précédées d’une audience au cours de laquelle les parties peuvent exprimer leur opinion. Ainsi, le principe du contradictoire est respecté. 403. Une procédure d’exception. La mise en œuvre de la procédure apparait exceptionnelle, comme en témoigne le faible nombre d’ordonnances adoptées en 10 ans. En effet, seules 73 ordonnances ont été adoptées depuis 2001 611. La procédure du GLO relève d’une mesure de bonne administration de 586 F la justice, utilisée pour connaître des multiples demandes en justice présentant des questions de droit et de fait communes. La même finalité a conduit le juge allemand à légiférer en matière boursière. Cependant, ce dernier a prévu des modalités d’exercice de la procédure quelque peu divergentes, guidé par la nécessité du strict respect du droit d’être entendu par un juge, constitutionnellement protégé en droit allemand. B) la procédure « modèle » allemande, l’illustration d’une procédure respectueuse des droits procéduraux fondamentaux des justiciables dans un système de droit romanogermanique 404. Le domaine limité de la procédure « modèle » allemande. Le droit allemand connaît, lui aussi, une procédure, dite « modèle » ou de « test case », en matière boursière. Cette procédure fut instituée par la loi du 1er novembre 2005 sur le recours collectif en cas de litige sur les valeurs mobilières (« Kapitalanleger- Musterverfahrensgesetz or KapMuG ») 612. Cette loi a pour objet de 587F permettre la réparation du préjudice subi par des investisseurs du fait de la diffusion d’une information fausse, ou trompeuse ou du fait de l’absence de diffusion d’une information. Elle s’applique également pour les litiges liés à l’exécution des contrats, basés sur les dispositions de la loi sur le commerce des valeurs mobilières du 26 juillet 1994 613 et sur la loi sur la compilation, 58F l'approbation et la publication du prospectus à publier dans l'offre publique de valeurs mobilières ou l'admission de valeurs mobilières à la négociation sur un marché réglementé régissant la matière boursière, du 22 juin 2005 614. 589F 405. L’origine casuistique de la procédure « modèle » allemande. Comme la procédure anglaise, cette procédure allemande en matière boursière est née de la pratique, même si elle s’inspire d’une 611 Voir liste des GLO, http://www.hmcourts-service.gov.uk/cms/150.html. Gesetz über Musterverfahren in kapitalmarktrechtlichen Streitigkeiten, du 16 oct. 2005, BGBl. I, p. 2437. 613 Wertpapierhandelsgesetz (WpHG). 614 Wertpapierprospektgesetz – (WpPG), 22.06.2005. 612 187 procédure administrative connue du système allemand 615. En effet, le législateur allemand a légiféré 590F à la suite de l’affaire Deutsche Telekom (DT), qui portait sur les pertes subies par les actionnaires de l’entreprise à la suite de la troisième phase de l’introduction en bourse des actions « DT ». En août 2001, environ 16 000 actionnaires, dans plus de 2 000 procédures individuelles ont assigné l’entreprise Deutsche Telekom devant le Tribunal de première instance de Frankfort, pour obtenir une compensation des pertes subies. Les actionnaires reprochaient à l’entreprise d’avoir divulgué de fausses informations dans deux offres publicitaires de 1999 et 2000, conduisant à une surévaluation de la valeur de ces actions de plus de 2 milliards d’euros. Le préjudice global représenté par les plaintes était évalué à environ 150 millions d’euros 616. Le juge Meinrad Wosthoff, saisi des 591F différentes procédures a connu des difficultés pour traiter ces demandes. Trois ans après l’introduction des procédures, aucune audition n’avait été organisée617. 406. Une partie des demandeurs a formé un recours, auprès de la Cour fédérale allemande (Bundesverfassungsgericht), pour déni de justice. La Cour fédérale a rejeté leur appel 618. Elle 592F constate que le juge saisi n’a pas encore fixé la date des débats oraux, trois ans après le début de l’affaire 619. Néanmoins, elle relève les difficultés rencontrées par le juge Wosthoff notamment 593F l’importance de l’affaire, la difficulté due au domaine spécialisé de l’affaire et l’augmentation continuelle des plaintes. In fine, la Cour a invité le tribunal saisi à accélérer la procédure et dans ce contexte, elle a explicitement fait état de la possibilité pour le juge d’avoir recours à d’autres procédures en citant, à titre d’exemple, la procédure « modèle », qui existait déjà en droit administratif allemand. 407. Une procédure ancienne, connue du droit administratif allemand. Cette procédure « modèle » fut inspirée de ce qui existait déjà dans le Code de procédure administrative (« Verwaltungsgerichtsordnung ou VwGO ») 620 à l’article 93a 621. Cette disposition prévoit qu’il est 594F 59 F 615 D. Baetge, Class actions, group litigation & others Forms of Collective Litigation – Germany, rapport rédigé pour la conférence organisée par la Standford Law School et le centre d’études socio-légales de l’Université d’Oxford sur le thème de la class actions en décembre 2007. 616 Ibid. Pour un commentaire de l’affaire, voir S. M. Grace, Strengthening Investor Confidence in Europe: US Style Securities Class Actions and the Acquis Communautaire, 15 J. Transnat’l L & Pol’y (2006). 617 618 Voir BVerfG, du 27 juil.2004, 57 NJW 3320 (2004). Voir BVerfG, du 27 juil.2004, 1BvR1196/04 (2004) –§. II (7). 620 Code de procédure administrative (Verwaltungsgerichtsordnung ou VwGO) du 1er janv. 1960, dans sa version du 19 mars 1991, BGB1 I, p. 686. 621 Cette disposition a été introduite en droit allemand à la suite de procédure relative à la construction de l’aéroport de Munich II. Elle fut mise en œuvre et donna un résultat positif en 2006 dans une affaire concernant l’extension des aéroports 619 188 possible, pour un tribunal administratif saisi de plus de vingt procédures à l’encontre d’une même mesure administrative, de suspendre ces procédures et de procéder à un échantillonnage des demandes, afin de statuer par une seule décision sur la légalité de l’acte administratif mis en cause dans les différentes demandes. Cet article du Code de procédure administrative allemand est particulièrement intéressant car il prévoit expressément que le juge administratif ne peut mettre en œuvre cette procédure que dès lors que l’ensemble des parties aux différents litiges a pu être préalablement entendu par le juge 622. En effet, en droit allemand, certains principes procéduraux 596 F sont expressément garantis par la Constitution, dont, notamment, le droit d’être entendu par un juge 623. Ce droit est considéré, en droit processuel, comme le droit le plus important. Il s’apparente 597F au droit d’accès à la justice, à savoir le droit à une protection judicaire efficace et ce, dans un délai raisonnable. Ce principe a d’ailleurs été expressément rappelé dans la jurisprudence Deutsche Telekom 624 de la Cour constitutionnelle allemande 625. 598F 59F 408. A la suite de cet arrêt, le législateur allemand a immédiatement réagi en adoptant la loi du 1er novembre 2005, instituant la procédure « modèle » en droit boursier. Le législateur allemand a fait le choix d’une procédure sectorielle - propre à la matière boursière - se laissant l’opportunité d’étendre le champ de la procédure, au terme de la période d’expérimentation de 5 ans, prévue par la loi. Le fonctionnement de cette procédure judiciaire sera examiné succinctement, avant de procéder à une étude approfondie des modalités d’exercice de cette procédure, qui se justifient par le souci du respect des droits procéduraux fondamentaux en droit civil. régionaux devant la Cour suprême administrative fédérale (« bundesverwaltungsgericht »). Cette procédure « modèle » était déjà applicable en droit allemand bien que non prévu dans le code. En effet, cette possibilité (Musterprozessvereinbarung) pouvait être prévue contractuellement entre les parties dans des situations spécifiques, voir D. Baetge, Class actions, group Litigation & Others Forms of Collective Litigation – Germany, Conférence des 13 et 14 déc. 2007, organisée par la Standford Law School. 622 Voir Code de procédure administrative allemand, art. 93a (1). 623 Loi fondamentale pour la République fédérale d'Allemagne du 23 mai 1949 (Journal officiel fédéral, p. 1) (BGBl. III 100-1) avec les 52 modifications intervenues depuis cette date, article 103 (1). 624 Voir BVerfG, du 27 juil. 2004, 1BvR1196/04 (2004), citée note n° 37, §. II (5) et (6). 625 Gesetz über Musterverfahren in kapitalmarktrechtlichen Streitigkeiten, du 16 oct. 2005, BGBl. I, p. 2437. 189 1) La mise en œuvre de la procédure « modèle » allemande 409. La procédure « modèle » allemande se déroule, en trois étapes : l’autorisation de la procédure, le jugement au fond du cas de référence et l’application par le juge du district du jugement de référence aux autres affaires portant sur des questions de droit similaires. 410. L’ouverture de la procédure « modèle ». Tout d’abord, comme pour la procédure anglaise, tout actionnaire considérant avoir subi un préjudice du fait d’une manipulation de l’information sur les titres de l’entreprise de laquelle il détient des parts, peut agir en justice pour obtenir réparation de son préjudice devant le tribunal régional compétent (Landgericht). Dès lors qu’il considère que d’autres personnes peuvent avoir subi le même préjudice, il mentionne dans sa demande sa volonté d’ouvrir une procédure « modèle » et de devenir le cas de référence de cette procédure. La procédure peut également être engagée par le défendeur 626. Dans l’acte introductif d’instance, le demandeur 60F doit apporter des éléments au soutien de ses prétentions 627, mais également des éléments permettant 601F de justifier de l’ouverture d’une procédure « modèle » 628. Il doit démontrer que le jugement de son 6 02F affaire pourra bénéficier à d’autres personnes placées dans une situation similaire 629. Le juge saisi se 603F prononce sur l’admissibilité de la procédure, en examinant, d’une part, la recevabilité de la demande et, d’autre part, l’opportunité de procéder au règlement du litige par le biais de la procédure instaurée par la Loi de 2005. 411. L’admission de la procédure « modèle ». Si la juge considère la demande recevable, il ordonne, dans son jugement, la publication d’un avis 630 dans la Gazette fédérale électronique 631. La publicité 604F 605F 626 Loi allemande du 1er nov. 2005, Partie 2, Section 1 (1). La demande doit préciser : -les questions de droit nécessitant une clarification, -l’information publique relative aux marchés boursiers sur laquelle repose la demande le cas échéant, -les circonstances de fait et de droit qui nécessitent une clarification ou une décision, -les éléments de preuves que le demandeur ou le défendeur a l’intention d’utiliser pour soutenir ou réfuter les demandes; Voir Loi du 1er nov. 2005, Partie 1, section 1(2). 628 Voir Loi du 1er nov. 2005, Partie 1, section 1(2). 629 Ibid. 630 Cet avis doit contenir un certain nombre d’informations (voir loi du 1er nov. 2005, Partie 1, section 2(1)): -Le nom complet du défendeur et de son représentant légal, -Le nom des émetteurs des actions ou des offreurs d’autres investissements auxquels la procédure se réfère, -Le nom de la cour de justice compétente pour connaître du litige, -Le nombre de demandes déposées auprès de la cour de justice afin de devenir un cas de référence, -Les questions de droit à clarifier, -La date exacte de la publication de l’avis dans la Gazette. 631 Sous la rubrique « Registre des plaintes sur le fondement de la Loi sur la procédure « modèle » en matière de marchés de capitaux.», Voir Loi du 1er nov. 2005, Partie 1, section 2(1). 627 190 a pour effet de suspendre la procédure pour une période de quatre mois 632. Pendant ce laps de temps, 60F les autres investisseurs, se trouvant dans une situation similaire à celle du demandeur, peuvent adresser une demande au juge. Ces demandes sont publiées dans la Gazette, suivant leur ordre de réception, sous la même rubrique que la première 633. A l’expiration du délai de quatre mois, à 607F compter de la date de la publication de l’avis, deux cas de figure peuvent se présenter. Si, seulement neufs cas ont été notifiés au tribunal régional à l’origine dudit avis ou à d’autres tribunaux de première instance, concernant les mêmes faits, le tribunal responsable de l’ouverture de la procédure « modèle » refuse de poursuivre l’application de la procédure. Les affaires sont traitées de manière individuelle. En revanche, si dix demandes et plus ont été formulées dans le délai imparti, le tribunal régional poursuit la procédure « modèle » 634. 6 08 F 412. Le choix discrétionnaire du cas de référence. Le tribunal régional saisit alors le tribunal régional supérieur (Oberlandesgericht) compétent 635, par injonction 636 et l’informe des questions de droit 609F devant être clarifiées 637 61F 610F . Ce dernier choisit alors l’affaire qu’il considère la plus à même à devenir le cas de référence de la procédure. Pour opérer son choix, le juge prend en compte notamment les différents aspects des questions de droit soulevées par les affaires et le montant de la demande formulée par le requérant. Il dispose, en la matière, d’un pouvoir discrétionnaire 638. Sa décision ne 612F peut pas faire l’objet d’un appel 639. Une fois le cas de référence choisi, le tribunal supérieur annonce 613F publiquement - toujours par une publicité dans le registre des plaintes - l’admissibilité de la procédure « modèle » 640 et l’affaire ayant été retenue comme cas de référence. Cette annonce 6 14F 632 Loi du 1er nov. 2005, Partie 1, section 4(4). Loi du 1er nov. 2005, Partie 1, section 2(1). 634 Loi du 1er nov. 2005, Partie 1, section 4(1). 635 Plusieurs tribunaux régionaux supérieurs (dans des États différents ou non) peuvent être saisis par différents tribunaux régionaux concernant des litiges similaires. Dans ce cas, les différentes demandes peuvent être transférées à un seul des tribunaux régionaux supérieurs et ce, sur intervention des gouvernements des différents États concernés. Ce pouvoir peut être délégué aux services en charge de l’administration de la justice. Cette compétence transférée à l’un des tribunaux régionaux supérieur peut concerner certains districts à l’intérieur d’une région ou de plusieurs régions, par nature autonomes les unes des autres; Voir Loi du 1er nov. 2005, Partie 1, section 4(5). 636 Cette décision n’est pas susceptible d’appel et s’impose au tribunal régional supérieur; Voir Loi du 1er nov. 2005, Partie 1, section 4(1). En revanche, elle doit faire l’objet d’une publication dans la Gazette officielle par le tribunal régional, Loi du 1er nov. 2005, Partie 1, section 4(3). 637 L’injonction transférant l’affaire à la Cour régionale doit contenir, Loi du 1er nov. 2005, Partie 1, section 4(1). -Les questions de droit justifiant d’une intervention, -Tous les points du litige pertinents dans la présente affaire, -Les éléments de preuve décrits, et -Un bref résumé de la teneur des droits appuyant la demande. 638 Loi du 1er nov. 2005, Partie 2, section 8(2). 639 Ainsi le tribunal supérieur n’est pas obligé de choisir le premier requérant ayant formulé une demande. 640 L’avis alors publié dans la Gazette doit comprendre certaines mentions (Loi du 1er nov. 2005, Partie 2, section 6): -Le nom du plaignant retenu et le nom de son représentant légal, -Le nom du défendeur retenu et le nom de son représentant légal, 633 191 entraine la suspension de toutes les procédures individuelles, pendantes devant les tribunaux régionaux en première instance 641, qui sont directement intéressées par le règlement des questions de 615F droit sous jacentes au cas de référence (ci-après « tiers intéressés » ou « parties intéressées »). 413. L’encadrement des auditions. A compter de la publication de la décision de mise en œuvre de la procédure « modèle », le juge dispose d’un délai de 4 semaines pour procéder aux auditions des Tiers intéressés. A la suite des auditions, le tribunal régional supérieur se prononce sur le cas de référence et rend un jugement, qui sera signifié au demandeur et au défendeur du cas de référence. Les Parties intéressées, soient les personnes dont les actions ont été suspendues, ne seront pas citées au jugement, mais elles en seront informées par une notification informelle, via une publicité dans le Registre des plaintes. 414. Les cas de remplacement du cas de référence. Le demandeur « modèle » peut retirer sa plainte au cours de l’instance. Cependant, ce retrait n’aura pas pour effet de stopper la procédure. En effet, le juge devra désigner un nouveau cas de référence. La même procédure de remplacement doit être appliquée si une procédure d’insolvabilité ou de faillite est engagée à l’encontre du demandeur ou si le décès ou l’incapacité (physique ou légale) de ce dernier intervient. Le retrait de sa plainte par l’un des Tiers intéressés cités à comparaître n’aura, en revanche, aucune incidence sur le déroulement de la procédure. 415. La transaction au sein de la procédure « modèle ». En outre, en droit allemand, comme en droit américain, le juge est tenu de faciliter tout recours à la transaction comme moyen amiable de règlement du litige. La procédure « modèle » ne déroge pas à la règle. Ainsi, il est également possible, dans ce cadre, de transiger l’affaire. Cependant, dans ce cas, le requérant principal, qui souhaiterait transiger l’affaire devra obtenir l’accord de l’ensemble des demandeurs concernés pour que la transaction soit valable 642. La transaction nécessite la rencontre des volontés et un 61F consentement explicite des parties à l’accord. Dans le cadre d’une procédure où les parties sont -Les questions de droit soulevées par le cas de référence, -Le nombre d’affaires transmises à la cour régionale, et -La teneur de l’injonction adressée à la Cour régionale par la cour du district. 641 Précisons que cette suspension concerne les demandes introduites en dehors de la procédure « modèle », ainsi que les demandes n’ayant pas été retenues au titre de la procédure. Les tribunaux de première instance doivent informer sans délai la cour régionale de la suspension des différentes procédures pendantes et elles doivent pour chacune des procédures préciser le montant des dommages et intérêts réclamés si ces dernières ont pour objet une demande en indemnisation d’un préjudice subi. Ces décisions de suspendre les procédures ne peuvent faire l’objet d’aucun appel, voir Loi du 1er nov. 2005, Partie 2, section 7(1). 642 Loi du 1er nov. 2005, Partie 2, section 14(3). 192 multiples, il peut être difficile pour les volontés de se rencontrer et de s’accorder sur les modalités de la transaction. 416. L’appel du jugement de référence. Le jugement portant sur le cas de référence peut faire l’objet d’un appel en droit devant la Cour fédérale de Justice 643. Cet appel pourra être interjeté par 617F l’ensemble des personnes concernées par la procédure, y compris les parties des actions pendantes devant les tribunaux régionaux. Si le demandeur principal forme, lui-même, un appel portant sur des points de droit, son appel devient l’appel de référence. Il poursuit la procédure de référence engagée à la phase antérieure. Dans le cas contraire, s’il ne forme pas d’appel ou s’il se désiste au cours de la procédure, l’esprit de la procédure demeure et la Cour d’appel devra désigner, selon les règles et conditions déterminées pour le cas de référence, un autre cas d’appel en tant qu’appel de référence. 417. Les effets du jugement de référence. Le jugement, devenu définitif, sera appliqué par les juridictions de première instance aux procédures suspendues. Le jugement s’applique en tous points même si les demandeurs n’avaient pas soulevés une des questions tranchées dans leurs propres conclusions. Il s’applique également aux Tiers intéressés, qui n’auraient pas soulevé appel de la décision de référence. Les Tiers intéressés, qui ne souhaiteraient pas se voir appliquer le jugement peuvent à tout moment retirer leur plainte. Cependant, le Tiers intéressé, dont le retrait de la plainte intervient après le début de la procédure de référence 644, se verra appliquer le même jugement s’il 618F introduit a posteriori une nouvelle demande. Au contraire, tout autre tiers, qui désirerait formuler une demande en justice après le prononcé du jugement sur l’affaire « modèle », pourra introduire une nouvelle procédure, mais il ne pourra en aucun cas se prévaloir de la décision « modèle », ni demander l’ouverture d’une nouvelle procédure « modèle » 645. Cette disposition s’explique par 6 19F l’importance donnée au droit d’être entendu en droit constitutionnel allemand. Il faut en effet pour cela que le demandeur ait été mis en capacité d’influer sur la procédure. In fine, comme l’a souligné un auteur 646, cette procédure relève plus du mécanisme de la question préjudicielle, telle que connue 620F en droit communautaire, qu’elle ne constitue une procédure séparée. 418. Schéma de la procédure « modèle » en droit boursier allemand. 643 Loi du 1er nov. 2005, Partie 2, section 15(1). Après la publication de la décision du tribunal régional de transmettre l’affaire au tribunal régional supérieur. 645 Loi du 1er nov. 2005, Partie 3, section 16. 646 Voir D. Baetge, Class actions, group litigation & others Forms of Collective Litigation – Germany, rédigé pour la conférence organisée par la Standford Law School et le centre d’études socio-légales de l’Université d’Oxford sur le thème de la class actions en décembre 2007. 644 193 AUTORISATION DE LA PROCEDURE RECEVABILITE DE LA PROCEDURE DEPOT D’UNE DEMANDE, devant le tribunal régional JUGEMENT SUR L’ADMISSIBILITE Absence d’admissibilité Admissibilité Appel possible PUBLICITE D’UN AVIS dans la Gazette officielle AJOUT DES DEMANDES d’autres investisseurs dans la Gazette Dans les quatre mois de la publicité, ABSENCE DES NEUF DEMANDES Dans les quatre mois de la publicité, AJOUT DE NEUF DEMANDES ADDITIONNELLES Retour à une procédure individuelle, sans appel possible de la DC de rejet ADMISSION DE LA PROCEDURE – Saisine du Tribunal régional supérieur, par le tribunal régional, avec publicité de la décision de saisine DETERMINATION DU CAS « MODELE » CHOIX D’UN CAS « MODELE », par le Tribunal régional supérieur, sans appel possible PUBLICITE D’UN AVIS dans la Gazette officielle SUSPENSION DE TOUTES LES PROCEDURES, dont la solution dépend du jugement sur le cas de référence JUGEMENT AU FOND DU CAS « MODELE » APPEL DU JUGEMENT Par une partie intéressée Par le demandeur principal ABSENCE D’APPEL Détermination d’un nouveau cas « modèle » JUGEMENT DE L’APPEL, par la Cour fédérale de justice APPLICATION DU JUGEMENT DEFINITIF PAR LES TRIBUNAUX REGIONAUX 194 419. Conclusion. Dans la procédure allemande, il existe le même processus de base que dans la procédure anglaise, avec une phase d’autorisation du recours à la procédure « modèle » et une identification des cas concernés. Dans un second temps, une analyse au fond de l’une ou de plusieurs affaires jugées représentatives des questions de droit et de fait, soulevées dans l’ensemble des procédures, est effectuée. Comme dans le système anglais, la procédure collective se termine avec un retour à la procédure individuelle avec une application du jugement au fond et un traitement par le tribunal régional compétent des questions individuelles. Malgré cette structure commune entre la procédure anglaise et la procédure allemande, les droits accordés aux personnes non parties au jugement du cas de référence sont très différents. Les personnes, parties aux procédures individuelles suspendues, ont le droit de jouer un rôle actif dans la conduite de la procédure allemande, contrairement aux tiers demandeurs dans le GLO anglais. Le législateur allemand a entendu garantir le droit d’accès au juge constitutionnellement protégé. 2) La procédure « modèle » allemande et les droits procéduraux fondamentaux 420. Les droits constitutionnels des Parties intéressées à la procédure « modèle ». L’apport majeur de la procédure « modèle » allemande pour l’étude menée réside dans la volonté du législateur de garantir le droit d’accès au juge pour tout justiciable – droit protégé constitutionnellement en Allemagne. Au travers ce droit, la Cour constitutionnelle a entendu protéger le droit d’être entendu, le principe du contradictoire ou encore le principe de l’égalité des armes 647. Toutes les parties 621F intéressées au litige peuvent bénéficier de ces garanties constitutionnelles, d’où le statut particulier des personnes, dont la procédure individuelle a été suspendue lors du jugement sur le cas de référence. Les Parties intéressées sont associées à la procédure principale (Beigeladene). Elles peuvent participer à la procédure du cas de référence. Bien qu’elles ne soient pas considérées comme partie à la procédure, à proprement parler, les Tiers intéressés, dans le cadre de la procédure « modèle », ont un statut similaire à celui des intervenants auxiliaires (Nebenintervenient) en droit allemand, c'est-à-dire qu’elles peuvent appuyer la position du demandeur « modèle » en fournissant leurs propres conclusions sur certains éléments de fait ou de droit 648 et être auditionnées par le juge. 62F 647 La jurisprudence allemande a décliné abondamment les différents aspects du droit d’être entendu en consacrant le droit d’être informé de la procédure (en ce compris le droit de connaître les griefs qui lui sont faits ou le contenu du dossier), le droit de s’exprimer ou encore le droit de participer à l’administration de la preuve, F. Ferrand et E. Lambert Action de groupe : l’outil du droit comparé, préc. 648 Concernant les questions de droit à clarifier dans le cadre de la procédure, les demandeurs, les défendeurs ou les tiers intéressées peuvent soulever des moyens additionnels, mais ce, seulement à la condition que ces points de droit soient contingents à ceux soulevés dans la procédure initiale et que le tribunal de première instance les considère comme pertinents. L’extension du champ d’intervention de la procédure est décidée par le tribunal de première instance, elle s’impose au tribunal régional supérieur et sa décision n’est pas susceptible d’appel. Le tribunal régional supérieur doit alors 195 De même, elles peuvent utiliser tous les outils procéduraux, comme nommer des témoins. Elles ont in fine les mêmes droits que les parties au procès sous réserve que leur comportement ne rentre pas en contradiction avec la conduite adoptée par le demandeur « modèle » 649. En revanche, pour des 6 23 F raisons d’économies procédurales, les Tiers intéressés ne sont pas informés automatiquement de tous les développements de la procédure. Ils doivent formuler des demandes pour avoir accès aux conclusions du demandeur « modèle » ou aux conclusions des autres Tiers intéressés par exemple 650. 624F 421. De même, en appel, les parties intéressées peuvent se joindre à l’appel formé par le demandeur « modèle » dans un délai d’un mois à compter de la notification du récépissé 651. Elles ont un mois de 625F plus pour produire leurs écrits. Elles sont en droit d’intervenir à la procédure d’appel, mais elles ne sont pas, parties à la procédure, et de ce fait, elles ne peuvent produire des éléments contraires à ceux avancés par le demandeur « modèle ». Si l’appel est formé par le défendeur, le demandeur « modèle » dans la procédure de référence demeure le demandeur en appel. Le statut particulier, accordé aux tiers intéressés à la procédure, permet de pallier de nombreuses difficultés soulevées dans l’exposé de la procédure d’action de groupe concernant les droits procéduraux fondamentaux des justiciables. 422. Les droits procéduraux fondamentaux des Parties intéressées à la procédure « modèle ». Le législateur allemand, face à l’originalité de cette procédure, a fait peu de concessions concernant les garanties constitutionnelles. Il en est de même concernant les principes du Code de procédure civile. La loi prévoit des dispositions dérogatoires au Code de procédure civile et fait mention expresse dans son corps de texte que seules les dispositions dérogatoires mentionnées peuvent être considérées comme valables 652. Par exemple, pour faciliter le droit d’accès au juge, le législateur a 62F autorisé que soit suspendue l’obligation pour les parties de faire l’avance des frais d’expertise engagés au titre de la procédure. Ces frais peuvent se révéler être un frein à l’action du fait de leurs coûts élevés potentiels 653. Dans l’affaire Deutsche Telekom précitée 654, ils se sont élevés à 17 627F 628F procéder à la publicité de cette extension du champ de la procédure dans le Registre des plaintes, voir Loi du 1 er nov. 2005, Partie 2, section 13. 649 Loi du 1er nov. 2005, Partie 2, section 12. 650 Loi du 1er nov. 2005, Partie 2, section 10. 651 En appel, la demande déposée devant le juge d’appel devra être notifiée individuellement aux tiers intéressés ; Loi du 1er nov. 2005, Partie 2, section 15. 652 Loi du 1er nov. 2005, Partie 2, section 9. 653 Voir Infra §. 882 et s. 654 Voir Supra §. 404 et s. 196 millions d’euros 655. De plus, il a instauré la règle du partage des frais de justice relatif au jugement 629F du cas de référence, entre le demandeur « modèle » et les parties intéressées. En effet, en matière civile, la loi sur les frais de justice (Gerichtskostengesetz - GKG) 656 prévoit une obligation générale 630 F de provisions des frais de justice, dont le montant est déterminé en fonction de la valeur du litige, à savoir dans le cadre d’un procès civil, en fonction du montant des dommages intérêts demandés et ce, dans la limite d’une valeur de 30 millions d’euros 657. 631F 423. D’une manière générale, le financement des actions en justice en Allemagne n’est pas considéré comme un obstacle à l’accès à la justice et ce, du fait d’un système d’aide juridictionnelle performant, d’un système d’assurance développé et du fait que les honoraires d’avocats ne soient pas très élevés 658. En revanche, dès lors qu’un individu ne satisfait pas au critère d’octroi de l’aide 632 F juridictionnelle et ne possède pas d’assurance pour le frais de justice, le financement peut s’avérer être un frein à l’exercice de l’action. Pour remédier à cette difficulté, le législateur allemand a mis en place un système de mutualisation des coûts en vue d’éviter tout défaut de paiement 659. 63F 424. Le législateur a également dû faire des concessions concernant les appels possibles contre les différentes décisions rendues. En effet, face à la multiplication des décisions de justice pour la même procédure 660, le législateur a choisi de limiter le droit des justiciables de faire appel de toutes ces 634F décisions leur faisant potentiellement grief 661. En effet, seule la décision sur l’admissibilité de la 635F procédure « modèle » et seule la décision de jugement au fond peuvent faire l’objet d’un appel. Le législateur allemand a ainsi justifié son choix par le souci de ne pas allonger, de manière déraisonnable, la procédure, qui est par nature déjà plus longue qu’une procédure individuelle. 655 Voir F. Ferrand et E. Lambert, Action de groupe : l’outil du droit comparé, op. cit. "Gerichtskostengesetz vom 5. Mai 2004 (BGBl. I S. 718), das durch Artikel 12 des Gesetzes vom 30. Juli 2009 (BGBl. I S. 2479) geändert worden ist", artikel 12. 657 "Gerichtskostengesetz vom 5. Mai 2004 (BGBl. I S. 718), das durch Artikel 12 des Gesetzes vom 30. Juli 2009 (BGBl. I S. 2479) geändert worden ist", artikel 39 (2). 658 Voir Supra §. 891 et s. 659 La décision portant sur les coûts engendrés par la procédure de référence reste de la compétence des juridictions de premier degré devant lesquelles les différentes procédures ont été suspendues, loi du 1er nov. 2005, Partie 2, section 14(2). 660 Décision sur l’admissibilité de la demande d’ouverture de la procédure « modèle » et sur sa publicité dans le registre des plaintes, décision sur l’admission de l’ouverture de la procédure « modèle » et son transfert au tribunal régional supérieur, décision de suspension des procédures individuelles, décision sur le choix de l’affaire qui sera jugée comme cas de référence, et jugement sur le fond de l’affaire. 661 Pour la décision de publicité de la procédure au stade de l’admissibilité de la procédure, voir loi du 1er nov. 2005, partie 1, section 2(1); Pour la décision d’admission de la procédure et de transfert des affaires au tribunal régional supérieur, voir loi du 1er nov. 2005, partie 1, section 4(1); Pour la décision de nomination du cas de référence et de suspension des procédures individuelles, voir loi du 1er nov. 2005, partie 2, section 7. 656 197 Cependant, à chaque stade de la procédure, le défendeur à l’action peut faire valoir ces arguments. Les décisions, qui ne sont pas susceptibles d’appel, sont prises dans le respect du contradictoire 662. 63F 425. Conclusion. La procédure « modèle » allemande apparaît comme un exemple de procédure respectueuse des droits des justiciables, à titre individuel, au regard des standards du droit romanogermanique. D’une manière générale, la procédure « modèle » semble pallier les difficultés rencontrées avec l’action de groupe concernant la liberté individuelle de tout justiciable de recourir à un juge, chacun devant introduire une demande individuelle en justice et ainsi consentir personnellement à la mise en œuvre de la procédure. Cependant, il est possible de se demander si cette procédure peut apparaître comme un substitut efficace à l’action de groupe. §2) La procédure « modèle » face à l’action de groupe 426. Au-delà de l’apport manifeste de la procédure « modèle » concernant la question du respect de la liberté individuelle des justiciables d’agir en justice, d’autres modalités d’exercice de la procédure « modèle » apparaissent séduisantes concernant le respect des droits procéduraux fondamentaux (A). Cependant, contrairement à l’action de groupe et en particulier aux développements escomptés par les pouvoirs publics européens de l’action de groupe en faveur de la protection des consommateurs, la procédure « modèle » présente certains inconvénients, voire même obstacles s’agissant des petits litiges de masse. Elle demeure cependant intéressante pour les litiges de masse, qui porteraient sur des montants d’une certaine valeur (B). A) D’autres modalités de mise en œuvre de la procédure conciliables avec les principes fondamentaux procéduraux 427. D’autres aspects de la procédure « modèle » telle qu’adoptée tant en Allemagne qu’en Angleterre permettent de répondre aux critiques formulées à l’encontre de la procédure d’action de groupe. Il en est ainsi d’une publicité mise à la charge de l’Etat ou de l’existence de conditions d’autorisation de la procédure strictement mises en œuvre ou encore de la mutualisation des coûts de procédure entre les différents demandeurs. 662 Par exemple, pour la décision de suspension des procédures individuelles, voir loi du 1er nov. 2005, partie 2, section 7(1). 198 1) La publicité de la procédure aux mains du juge 428. Dans le système anglais comme allemand de la procédure « modèle », la publicité des actes de procédure est principalement de nature légale. Dans le système allemand, les actes sont publiés dans la Gazette. La publicité des actes et décisions prises par le juge se fait au frais de l’Etat, le juge est responsable du contenu du texte publié et aucun appel n’est possible à l’encontre de la décision du juge de procéder à la publication de son jugement 663. Dans le système anglais, la publicité se fait 637F également principalement par la voie légale via le Service des Multy-party Actions de la Law Society 664. 638F 429. Dans le cadre de la procédure allemande présentée, plusieurs décisions prises par le juge doivent faire l’objet d’une publicité, ce qui pourrait avoir un coût conséquent dès lors que cette publicité devrait se faire dans des journaux privés, à tirage national. Le débat porterait alors sur la question de savoir sur qui la charge de ces coûts de publicité reposerait, soit sur le demandeur et le cas échéant sur l’association de consommateur, soit sur l’entreprise défenderesse. Les associations de consommateur en France tout du moins vont valoir notamment dans le cadre de l’action en représentation conjointe (Article L422-1 du Code de la consommation) qu’elles ne disposent pas de moyens suffisants pour mettre en œuvre efficacement la procédure. Elles prônent alors une prise en charge des coûts par les entreprises et notamment des coûts de publicité de la procédure. Cependant, il peut apparaître paradoxal de faire reposer la charge de la publicité de l’action sur les entreprises défenderesses à la procédure dès lors qu’aucun jugement au fond n’a été prononcé et que leur responsabilité n’a pas été reconnue. Le système de la publicité dans une rubrique spécialement dédiée de la Gazette officielle permet d’éviter le débat sur ce point. Cette publicité publique prise en charge par le juge est peu couteuse et les éventuels frais pouvant en résulter pourraient être comptés au titre des frais de justice mis à la charge du perdant au procès. Ensuite, le contrôle de la publicité par le juge permet d’éviter tout abus potentiel dans la rédaction de la publicité, qui pourrait porter atteinte à l’image des entreprises en défense et à leur économie 665. Cette modalité ajoute à la 639F neutralité de la procédure. 663 Voir Loi du 1er nov. 2005, op. cit., partie 1, section 2(1) et section 2(2). On notera quelques dérogations possibles à l’initiative du juge, ce dernier pouvant ordonner sur de courtes durées la publication de l’ordonnance dans un journal à diffusion nationale. Par exemple dans une affaire Lloyd’s Names UK Government Group litigation, la Commercial Court saisie de la demande de GLO a, dans une ordonnance du 5 avril 2004 enjoint aux demandeurs d’assurer la publication des détails de l’ordonnance et de la date-butoir pour transmettre les demandes, dans deux journaux nationaux et ce, pour une période d’une semaine ; ordonnance accessible à l’adresse suivante http://www.docstoc.com/docs/26444919/The-Lloyds-Names-UK-Government-Group-Litigation-Order-dated-5th. 665 Voir §. 245 et s. 664 199 430. L’absence d’appel possible contre la décision de publicité des actes de procédure a également pour effet de ne pas prolonger la procédure déjà plus longue que la procédure de droit commun. Ce souci de faciliter un règlement accéléré du litige se retrouve tout au long de la procédure allemande, avec, par exemple, la fixation d’un délai de quatre semaines pour l’audition des tiers intéressés par le tribunal régional supérieur. Cette absence de possibilité d’appel n’entraîne pas pour autant un déséquilibre de la procédure du fait du respect du principe du contradictoire par le juge allemand tout au long de la procédure. Ces modalités de publicité semblent les plus à même d’écarter tous les points de blocage, relatifs à la nécessaire publicité d’une telle procédure de recours collectif, quelles que soient les modalités de la procédure adoptée. Il appartient seulement aux demandeurs de faire preuve de diligence et de s’informer des éventuelles procédures engagées, dont ils pourraient bénéficier. 431. Enfin, la publicité est indispensable pour l’information des parties représentées. Cependant, l’analyse de la jurisprudence américaine en droit boursier 666, montre d’un doute demeure en cas de 640F publicité et qu’ainsi est regretté le fait que les demandeurs représentés à l’action ne se voient pas notifier la décision d’ouverture de la procédure d’action de groupe, qui apparaît comme le mode d’information du justiciable le plus fiable et le plus complet. En droit allemand, la procédure « modèle » ne prévoit pas non plus une notification personnelle de la décision d’ouverture de la procédure. Cependant, l’information est considérée comme dispensée de manière adéquate du fait de l’envoi à chaque partie à une action individuelle de la décision de suspendre cette procédure individuelle le temps que le jugement du cas de référence soit rendu 667. 641 F 2) Une phase d’appréciation de l’opportunité de recourir à la procédure « modèle » 432. Dans une procédure « modèle », il appartenait aux législateurs de préserver l’esprit de la mesure, à savoir la recherche d’une bonne administration de la justice. Ainsi plusieurs conditions vérifiables a priori ont été fixées pour s’assurer de l’opportunité de l’utilisation de la procédure. Cependant la toute première question à se poser pour le juge demeure celle du bien fondé de la demande. Ainsi il 666 Voir In re Vivendi Universal SA, Securities Litigation, 242 F.R.D. 76, 81 (S. D. N. Y. 2007) ; S. J. Choi and L. J. Silberman, Transnational litigation and global securities class-action lawsuits, 2009 Wis. L. Rev. 465. 667 La décision de suspension doit également permettre de les informer sur deux points. - Les coûts de la procédure « modèle » font partie des coûts de leur propre procès (partage à hauteur des demandes de dommages intérêts de chacun). Les coûts de la procédure n’auront pas à être supportés par le demandeur qui retire sa plainte dans les 2 semaines à compter de la décision de suspendre la procédure ; Loi du 1er nov. 2005, partie 2, section 8 (3). 200 doit, selon la loi, contrôler a priori que les éléments fournis à l’appui de la demande d’ouverture de la procédure « modèle » justifient la demande, que cette dernière ne soit pas formulée dans un but dilatoire, que les éléments de preuve amenés à l’appui des prétentions sont adaptés et que le litige présente une question de droit qui nécessite une clarification. Dès lors qu’une de ces conditions n’est pas remplie, la loi de 2005 prévoit que le juge doit déclarer la demande irrecevable 668. 642 F 433. Ensuite sur l’opportunité du recours à la procédure « modèle », les systèmes allemand et anglais divergent, le premier ayant recours à un numerus clausus contrairement au second. En effet, le législateur allemand a posé une condition de numerus clausus fixant le seuil d’admissibilité de la procédure à dix demandes formulées. Cette condition du nombre a le mérite d’être objective et rend l’applicabilité de la loi prévisible. Elle justifie alors l’absence de recours possible contre la décision de transmettre l’affaire au tribunal régional supérieur pour qu’il choisisse le cas de référence parmi les affaires déclarées. Sur ce point, le législateur anglais s’en est remis à la libre appréciation du juge. En contrepartie au Royaume-Uni, l’ouverture d’une procédure « modèle » résulte d’une décision collégiale, la décision devant recueillir l’assentiment du président du tribunal en charge de la demande. 434. Le rôle du juge dans les deux procédures diffère. Le système allemand, dans la tradition romanogermanique place le juge au cœur de la conduite de la procédure, contrairement au système anglais où la procédure est aux mains des parties et le juge n’intervient qu’en tant qu’arbitre en cas de litige entre les parties. Ainsi, le choix du cas devant servir de référence pour la décision sur le fond de l’affaire, dans le système allemand, relève de l’appréciation du juge régional, compétent également pour connaître du fond de l’affaire. Dans l’exercice de son libre pouvoir d’appréciation, le juge régional ne sera pas tenu de choisir le premier des demandeurs à avoir formulé sa requête. Il pourra désigner l’un des demandeurs ayant vu sa plainte portée sur le registre officiel et ce, sans que sa décision ne soit susceptible d’appel. Le juge se basera pour cela sur les questions de droit et de fait présentées par les différentes affaires et le montant des demandes formulées. Cette modalité présente un avantage certain au regard du problème de professionnalisation de la procédure bien connu du système américain. En effet, aux Etats-Unis, et particulièrement concernant les « mass torts » et les procédures en droit bousier, il a pu être constaté une multiplication de recours introduits par un même demandeur, lequel voyant dans le système judicaire un moyen d’obtenir des revenus suffisants lui permettant de ne pas exercer une activité professionnelle. Le système allemand permet 668 Loi du 1er nov. 2005, op. cit., partie 1, section 1(3). 201 si ce n’est d’éradiquer le développement de telles dérives, de les limiter fortement. Au contraire, dans le procédure anglaise de Common Law, le choix de la demande qui sera l’objet de la procédure « modèle » est le fruit d’une négociation entre les différents solicitors dont les clients ont formulé une demande en justice individuelle sur des questions de droit et de fait similaires, cette négociation devant se solder par un accord écrit. 435. In fine, les deux systèmes prévoient un certain nombre de conditions, qui sont fonction du système judiciaire dans lequel la procédure judiciaire s’inscrit. Ces conditions sont à apprécier dans leur globalité pour constater la sévérité du contrôle a priori de la demande. Dans les deux systèmes étudiés, toute demande ne sera pas admissible et la procédure « modèle » s’adresse à certains types de litiges et peut difficilement être détournée de sa finalité première. Enfin, la procédure « modèle », telle qu’issue des systèmes anglais et allemand, présente un autre avantage concernant la prise en charge des coûts de procédure. 3) La mutualisation des coûts de procédure 436. Comme l’affaire Benzodiazépine 669 et l’affaire Deutsche Telekom 670 le soulignent, les procédures 643F 64F comprenant un grand nombre de demandeurs peuvent être très couteuses pour les justiciables, du fait notamment des possibles frais d’expertise. Dès lors que les législateurs ont souhaité rationaliser le traitement des demandes par le juge, ils ont décidé de mutualiser les coûts relatifs au jugement du Test Claims sur le fond de l’affaire. 437. En effet, dans la procédure anglaise, une distinction est faite entre les coûts communs (Generic Costs) et les coûts individuels 671. Les coûts communs sont les frais engagés par le Lead Solicitor 645F pour l’administration du groupe, les coûts relatifs aux GLO Issues et les coûts individuels engagés pour une procédure qui deviendra le cas de référence (Test claims) 672. Ces coûts sont mis à la charge 64F de tous les demandeurs et répartis de manière égale entre ces derniers 673. Le Lead Solicitor assure la 647F répartition des frais, sous le contrôle de la Cour 674. Il doit tous les trois mois en faire le décompte 675 648F 649F et en informer les différents demandeurs. Au terme de la procédure, chaque demandeur est 669 Voir §. 379. Voir §. 404. 671 Voir Multy-party Actions, par Christopher Hodges, op.cit. 672 CRP 48.6A (2) (b). 673 CRP 48.6A (3). 674 CRP 48.6A. 675 Voir P. Garsden, Group Actions Leaflet, Abney Garsden McDonald solicitors. Il existe des règles spécifiques pour les personnes, qui se dessaisissent de la procédure judiciaire en cours, voir CRP 48.6A (7). 670 202 responsable d’une partie des coûts communs et de ses coûts individuels 676. En droit allemand, la 650F règle est par principe la même 677. En revanche, la répartition des coûts communs est fonction du 651F montant de la demande de dommages-intérêts de chacun des demandeurs, en pratique, elle est ainsi fonction du nombre d’actions détenues par chacun des demandeurs 678. La répartition des coûts entre 652F les différents demandeurs est laissée à la charge des Tribunaux. Les contestations pourront être faites devant les tribunaux régionaux compétents pour appliquer la solution du jugement de référence aux cas individuels et pour connaître des questions individuelles. 438. Cette répartition des charges financières entre demandeurs a pour effet de rassurer tout justiciable qui souhaiterait se joindre à la procédure, bien que ce dernier reste responsable des frais de justice pour ses propres coûts et pour une part des coûts communs. En effet, ce mode de financement n’a pas pour effet de faire peser le risque financier sur un tiers. Il s’agit d’une simple mutualisation des coûts. Le système allemand est intéressant car il existe une certaine équité à faire supporter une plus grosse partie des coûts communs par ceux dont les demandes sont les plus importantes. Ces derniers ont en effet un intérêt à agir plus important à la procédure et auraient été susceptibles d’introduire à titre individuel une demande. En revanche, concernant les demandeurs ayant un dommage de faible valeur, ils sont encouragés à porter en justice leur action, bénéficiant de cette mise en commun de la charge des coûts. Ce mode de financement de l’action comporte de plus peu de risques de dérives comparé à un éventuel recours au tiers financier comme cela sera abordé dans la partie consacrée au financement. 439. Ainsi, au delà de la question du respect des droits procéduraux fondamentaux des justiciables, la procédure « modèle » permet de pallier un certain nombre d’autres obstacles soulevés concernant les class actions. Ces différentes modalités d’exercice de l’action en justice apparaissent alors comme des sources d’inspiration intéressantes au regard de la mise en œuvre d’une action de groupe en Europe dans les différents Etats membres et en particulier dans les pays de tradition romanogermanique comme la France. Cependant, elle fait également l’objet de certaines critiques et des doutes peuvent être émis quant à la possibilité de la substituer à une éventuelle procédure d’action de groupe, notamment dès lors que cette nouvelle procédure envisagée aurait pour objet de renforcer l’accès au juge des consommateurs. 676 CRP 48.6A (4). Section 17 de la loi de 2005, op.cit. 678 Ibid. 677 203 B) Les critiques de la procédure « modèle » 440. Deux questions se posent quant à l’utilisation de la procédure « modèle » comme alternative à l’action de groupe: le domaine de cette dernière et sa finalité. 441. Tout d’abord, il faut s’interroger sur la possibilité d’étendre la procédure « modèle » à l’ensemble des domaines du droit. En Allemagne, le législateur a pris le parti de limiter le champ de l’action à la matière boursière. Il s’agissait d’opérer une expérimentation pendant une durée de cinq ans dans une matière qui s’y prête. Cette période probatoire permet d’évaluer l’opportunité de l’introduire à titre permanent dans le Code de procédure civile allemand et d’étendre son champ d’application à d’autres matières. La loi expirait à compter du 1er novembre 2010 et le législateur a décidé d’étendre cette période de test de deux ans. Cependant, plusieurs auteurs ont déjà manifesté le souhait d’élargir le champ de la procédure. En Angleterre, la procédure « modèle » a été utilisée principalement dans les années 80 dans deux domaines : les accidents de transport et les accidents liés aux produits pharmaceutiques ou médicaux (vaccins, tranquillisants, et contraceptifs) 679. Depuis la moitié des 653F années 90, elle s’est développée dans d’autres domaines comme les assurances, la protection des investisseurs ou bien encore dans le domaine environnemental ou portant sur des questions de logement. Ainsi il ne semble pas y avoir de règles particulières ni d’obstacles en la matière. Le recours à la procédure « modèle » dépend en effet plus de l’existence de questions de droit et de fait communes à un ensemble de demandes, le but de la procédure « modèle » étant de se prononcer sur le principe commun de responsabilité. De plus, la procédure « modèle » apparait, comparée à la procédure de class action, une procédure plus ouverte, puisqu’elle permet l’existence de questions individuelles annexes ou supplémentaires à travers le retour à la procédure individuelle une fois la ou les questions de fond tranchées. Ainsi la nature du litige en cause semble avoir peu d’importance. Il apparaît possible d’élargir la procédure à d’autres matières que la matière boursière, la condition étant de ne connaître que des affaires faisant état d’un fait dommageable et d’un dommage commun. La matière boursière et notamment les infractions résultant d’un défaut volontaire d’information des investisseurs sur la situation économique de l’entreprise s’y prête particulièrement. En effet, le fait générateur est commun puisque résultant du défaut d’information, le dommage identique consistant en une perte de la valeur de l’action, et enfin, la détermination du préjudice de chacun et l’allocation de dommages intérêts sont facilités puisqu’ils sont fonction du nombre de parts détenues dans l’entreprise. Cependant, un litige en matière de droit de l’environnement, par exemple une pollution 679 C. Hodges, Multi-party actions, op.cit. 204 de l’eau provoquée par une fuite de pétrole sur une plateforme pétrolière en mer, opérée par un pétrolier, qui aurait causé un préjudice économique aux pêcheurs, pourrait être imaginé. Dans ce cas, le fait dommageable et la nature du dommage sont identiques. Le juge pourrait déterminer un montant des dommages intérêts à attribuer aux pêcheurs en se basant sur le chiffre d’affaires, réalisé par ces derniers, les années précédant le dommage. La question centrale apparaît avec le dommage, qui devra être identique par nature pour chacun, ou tout du moins pouvoir faire l’objet d’une typologie, afin de permettre au juge de dresser une méthode de détermination du montant des dommages et intérêts. A priori, le domaine de l’action « modèle » ne doit pas forcément être limité aux actions en matière boursière comme en Allemagne et pourrait être étendu à tout autre litige de nature différente, comme en matière de droit de la consommation, dès lors que les conditions liées à l’existence de questions de droit et de fait communes seraient respectées. 442. La limite de l’action « modèle » porte sur un autre point : sa finalité. En effet, la procédure « modèle » moderne 680 est née en droit anglais comme en droit allemand de la pratique des juges, 654F qui, ont eut à connaître d’un litige de masse d’une grande complexité, comprenant un grand nombre de demandeurs et qui, face aux difficultés rencontrées ont fait preuve de créativité. Les législateurs anglais et allemand sont intervenus pour encadrer les innovations de la pratique, visant à pallier les défaillances du système judiciaire, qui conduisaient à une justice inefficace et couteuse. Les législateurs ont entendu adopter des procédures, qui permettent au juge de traiter, de manière efficace, les nombreuses demandes en justice, qui présentent des questions de droit et de fait similaires. Cependant, ils n’ont pas envisagé la procédure « modèle », comme un moyen de renforcer l’accès des individus au juge en cas de demandes d’un faible montant, comme les pouvoirs publics européens peuvent l’envisager, pour les actions de groupe, ni comme un moyen de renforcer l’effectivité du droit sous jacent au travers l’action du justiciable comme aux Etats-Unis 681. Cette 65F procédure « modèle » a pour but unique de rationaliser le traitement des procédures judiciaires individuelles dès lors que les demandes apparaissent comme similaires. Elle a été instituée pour faciliter le travail du juge, et non pour faciliter l’accès des justiciables au juge. La procédure « modèle » diffère des actions de groupe ou class actions américaines car il s’agit in fine d’une combinaison/juxtaposition de procédures individuelles et d’une procédure collective 682, les 65 F demandeurs non parties à la procédure du cas de référence étant tout de même partie dans le cadre de 680 On rappellera que cette procédure existait déjà en droit administratif allemand, Code de procédure administrative, art. 93a du. 681 Voir infra §. 567 et s. 682 Voir en ce sens F. Ferrand et E. Lambert, Action de groupe : l’outil du droit comparé, Rev. Lamy Droit civil n° 32, de nov. 2006. 205 la procédure individuelle. Ainsi la procédure « modèle » semble moins attractive face à la volonté de renforcer l’accès au juge pour les litiges de faibles montants en matière de consommation. Les pouvoirs publics nationaux comme européens envisageant en effet une délégation complète de la gestion de la procédure à un demandeur agissant pour autrui, qu’il s’agisse d’une personne physique ou d’une association agréée, qui se substituerait en tous points aux autres demandeurs potentiels sans que ces derniers n’aient à introduire par eux-mêmes une action en justice. 443. Face à l’objectif poursuivi, la procédure « modèle » a pu faire l’objet de nombreuses critiques, notamment de la part des partisans de l’introduction d’une action de groupe. Sur la procédure allemande en particulier, les points de critique portent sur la longueur de la première phase relative à l’introduction de la procédure devant le juge régional et à la détermination de cas de référence et sur l’insuffisance des règles dérogatoires au droit commun (partage des coûts, pas d’avance des frais d’expertise …) adoptées par le gouvernement eu égard au but recherché de facilitation et de simplification de la procédure 683. En effet, le fait pour un justiciable de devoir tout de même 657 F s’adjoindre les services d’un avocat pour l’introduction de la procédure, pour une éventuelle participation à la conduite de la procédure au fond et pour l’application du jugement au fond à son propre litige semble plus dissuasif que le fait d’en confier le soin à un tiers sans avoir à entrer dans le fond du débat. De même, la mutualisation des coûts de procédure semble moins favorable au justiciable, qui reste en charge du risque de la procédure, que le transfert du risque vers un tiers. 444. In fine, à partir du moment où la procédure « modèle » est appréhendée comme une simple mesure d’administration de la justice au même titre que la jonction de procédures par exemple, elle apparait optimum. Cependant, cette procédure doit être regardée simplement comme une mesure de facilitation du travail du juge. Elle ne facilite pas l’accès des justiciables au juge. Ces derniers devront en effet toujours introduire par eux-mêmes et ils devront supporter le risque financier afférent à la procédure judiciaire même si ces coûts sont mutualisés entre les différents demandeurs. 683 Voir rapport national de D. Baetge, Class actions, group litigation & others Forms of Collective Litigation – Germany, rédigé pour la Conférence organisée par la Standford Law School et le centre d’études socio-légales de l’Université d’Oxford sur le thème de la class actions en décembre 2007. 206 445. Conclusion de la Section 1. La procédure « modèle » est pleine d’enseignements et constitue une source précieuse d’inspiration dès lors que l’on souhaite introduire une procédure de traitement collectif de litige de masse. Les apports concernant les droits fondamentaux sont majeurs, en particulier pour les pays de tradition romano-germanique. Elle permet une identification personnelle des demandeurs à l’action, chacun étant partie à une action individuelle et ensuite répertorié dans un registre. Chaque demandeur peut être entendu par le juge et agir positivement sur la conduite de la procédure « modèle ». De plus, certaines des modalités d’application de la procédure, telles que la mutualisation des coûts, la prise en charge de la publicité de la procédure par l’Etat ou encore un contrôle a priori poussé de l’opportunité de la procédure sont à prendre en exemple au titre de l’équilibre de la procédure. Enfin, elle semble pouvoir s’appliquer à tous les domaines du droit dès lors que les demandeurs font état d’un préjudice similaire causé par un fait dommageable identique. Cependant la procédure « modèle » n’est pas à proprement parler une procédure collective. Il s’agit d’une juxtaposition de procédures individuelles qui obligent chaque justiciable à agir personnellement en justice et ainsi à supporter le risque financier de la procédure. Seule la procédure au fond sur la question de la responsabilité fait l’objet d’une procédure unique. La procédure « modèle » n’apparaît donc pas comme un moyen efficient de renforcer l’accès au juge pour les consommateurs, victimes d’un dommage de faible valeur dans un litige de consommation. En revanche, elle pourrait être envisagée par les pouvoirs publics comme une nouvelle mesure de bonne administration de la justice dès lors que les demandes en justice similaires seraient très importantes et que la jonction de procédure semblerait insuffisante 684. 658F 684 C. Hodges Multi-party Actions, op. cit., p. 7. 207 SECTION 2) LES PROCEDURES JUDICIAIRES EXISTANTES : ENTRE L’AMELIORATION ET L’OPTIMISATION 446. D’autres pistes de réflexion doivent être envisagées au-delà de l’introduction des actions de groupe pour traiter des litiges de masse. En effet, certains se sont interrogés sur l’opportunité d’agir avec les éléments qui se trouvent d’ores et déjà dans nos droits positifs. Ainsi une société belge CDC a utilisé le rachat de créance comme fondement à une demande de traitement groupé d’une multitude de requête en indemnisation, ce qui fut accueilli favorablement par le juge allemand (§1). 447. En outre, les pays européens ne sont pas totalement démunis face au traitement des litiges de masse. En effet, il existe dans la plupart des Etats membres de l’Union une action en représentation ouvertes aux seules associations de défense agréées. De même, au niveau communautaire, le Parlement européen et le Conseil ont adopté le 22 juillet 2007 un Règlement instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges 685, qui pourraient être utilisés dès lors que l’on 659 F est en présence de petits litiges de masse. Ces mesures peuvent apparaître comme imparfaites et nécessiter des adaptations pour en faire des procédures efficientes pour les litiges de masse. Mais pourquoi alors ne pas envisager ces réformes, plutôt que de recourir à une nouvelle procédure judiciaire (§2). §1) Le développement de solutions innovantes à partir de l’existant: le rachat de créances 448. Le droit à réparation, une créance. Une initiative originale de justiciables devant les juridictions allemandes, qui constitue une alternative intéressante au recueil des mandats peut être mentionnée. Il s’agit du rachat de créance. L’hypothèse est la suivante. Une personne qui subi un préjudice du fait du comportement fautif d’une entreprise détient un droit d’exiger la réparation de son préjudice auprès de cette dernière et ainsi, dans nos systèmes de droit une compensation financière. Ce droit à réparation fut alors analysé comme une créance de l’entreprise envers la personne lésée. La personne lésée peut alors céder cette créance à un tiers, qui peut aller en demander le paiement devant les tribunaux civils. 449. La démarche de la société Cartel Damages Claims (CDC). Cette initiative fut lancée par une société de droit belge dénommée CDC Cartel Damage Claims SA. Constituée en 2002, l’objet de 685 Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juil.2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges, JO L 199 du 31.7.2007, p. 1–22. 208 cette société est de racheter les créances des personnes ayant subi un préjudice du fait de pratiques anticoncurrentielles commises par des entreprises sur le territoire de l’Union et d’en demander le paiement dans le cadre d’un procès au civil. Concrètement, cette société a identifié les clients de sociétés condamnées par une autorité européenne de concurrence pour entente. Elle a alors conclu des contrats avec ces derniers aux termes desquels les parties lésées acceptent de céder leur créance à la société CDC en contrepartie de quoi elles percevront un pourcentage de la somme allouée au terme du procès. Ainsi, les personnes lésées cèdent à la société CDC leur droit d’agir en justice pour demander réparation de leur préjudice. L’hypothèse est ici différente du mandat. La société CDC ne va pas agir au nom et pour le compte des clients lésés du fait de la pratique anticoncurrentielle. Elle agit pour son propre compte afin d’obtenir le paiement de sa créance. Elle dispose ainsi d’un intérêt personnel à agir. Ce montage ne dispense pas la société CDC de ramener la preuve du préjudice subi par les clients de ces sociétés conformément au droit de la responsabilité civile. Une clause est alors prévue au contrat prévoyant l’assistance des personnes lésées pour établir le préjudice subi. Elles vont confier à la société CDC l’ensemble des pièces qui se trouvent en leur possession et qui pourrait se révéler utiles pour établir le préjudice. 450. Une démarche approuvée par les juridictions allemandes. La société CDC a choisi les juridictions allemandes pour porter sa première réclamation. Il est possible de penser que la réforme de la loi allemande sur la concurrence en 2005 686 ait pesé dans la décision de saisir cette juridiction. 60F En effet, l’Allemagne a reconnu l’autorité de la chose jugée des décisions des autorités européennes de concurrence. Ainsi désormais dès lors qu’une autorité européenne de concurrence adopte une décision constatant la violation à une règle du droit de la concurrence, le demandeur dans le cadre de l’action en indemnisation n’a pas à prouver la violation, il lui suffit de démontrer que la pratique sanctionnée lui a causé un préjudice à titre personnel 687. Il doit apporter la preuve du préjudice et du 61F lien de causalité entre la faute et le préjudice. 451. Une première procédure a été engagée devant les juridictions allemandes, à la suite de la condamnation pour entente, en janvier 2003, par le Bundeskartellamt 688 de douze entreprises et leurs 62F filiales actives sur le marché allemand du ciment. La pratique sanctionnée s’est déroulée entre 1989 et 2002 et le montant global de l’amende prononcée s’est élevé à 702 millions d’euros. La société 686 Loi allemande relative aux restrictions de concurrence, 7ème amendement, disponible en anglais sur le site du Bundeskartellamt à l’adresse suivante : http://www.bundeskartellamt.de/wFranzoesisch/index.php. 687 Voir Bundeskartellamt, Activity Report 2005/2006 (short version), p. 7. 688 Office des cartels, l’Autorité de la concurrence allemande, voir le site du Bundeskartellamt http://www.bundeskartellamt.de/. 209 CDC a conclu des accords avec 29 entreprises alléguant d’un préjudice du fait de l’entente. Le montant global estimé du préjudice subi par ces entreprises est d’environ 152 millions d’euros 689. En 63F août 2005, la société CDC a déposé une demande en indemnisation devant la Cour régionale de Düsseldorf. La juridiction allemande de première instance a déclaré recevable sa demande le 21 février 2007. La Cour fédérale allemande a confirmé la recevabilité de la demande dans une décision du 7 avril 2009 690. Cette décision des juridictions allemandes d’accueillir ce type de démarche ne 64F serait peut être pas suivie par l’ensemble des juridictions européennes. En effet, certaines pourraient considérer que le droit d’agir en justice n’est pas un droit que l’on peut céder. Cependant, cette seule décision de la juridiction allemande suffit à valider la démarche de la société CDC comme le montre les résultats obtenus dans d’autres affaires. 452. Une démarche qui porte déjà ses fruits. Une seconde procédure a été engagée par la société CDC 691 devant le Tribunal de Dortmund le 16 mars 2009. Elle fait suite de la condamnation, le 3 65F mai 2006, par la Commission européenne de sept entreprises et leurs filiales pour une entente sur les prix sur le marché du peroxyde d’hydrogène entre 1994 et 2000 692. Dans cette affaire, la société 6F CDC a conclu des accords avec 32 entreprises, qui alléguaient avoir subi un préjudice du fait de l’entente. Le 29 septembre 2009, CDC a renoncé à son recours à l’encontre d’une des sociétés participantes à l’infraction, cette dernière ayant choisi de conclure un accord avec la société CDC. 453. Bien que la solution adaptée par la société CDC soit des plus originales et qu’elle ne pourrait certainement pas être adoptée dans l’ensemble des Etats membres, elle a abouti aux paiements de dommages et intérêts. Il faut se demander si l’adoption d’une réelle procédure judiciaire pour les litiges de masse ne serait pas préférable afin d’éviter de tendre vers des dérives spéculatives à l’exercice de l’action en justice. Pour cela, certaines procédures existent déjà. Quelques aménagements pourraient être envisagés afin de devenir des procédures efficaces. 689 Extension de la demande en déc. de la même année (Réf. No. 34 O (Kart) 147/05). CDC vs. Dyckerhoff AG, KZR 42/08. 691 Dans cette affaire, ce n’est pas la société Cartel Damages Claims SA qui a agi directement, mais une de ses filiales, la société CDC Cartel Damage Claims Hydrogen Peroxide SA. 692 Décision relative à une mesure d'application de l'article 81 du traité et de l'article 53 de l'accord EEE, Affaire COMP/F/38.620, Peroxyde d’hydrogène, du 3 mai 2006, non publiée au JOUE. 690 210 §2) Le renforcement de l’efficacité des procédures judiciaires existantes 454. Dans sa réponse au Livre vert de la Commission européenne, l’Association Française des Etudes de Concurrence (AFEC) fait valoir que bien que le droit positif puisse évoluer afin de lever certains obstacles à l’exercice de l’action en indemnisation en cas de violation du droit communautaire, « il convient surtout que les victimes s’emparent des instruments qui existent déjà et qui sont parfois mal ou sous-utilisés »693. 67F 455. Deux procédures judiciaires existantes semblent ainsi pouvoir être utilisées pour les litiges de masse, notamment si des améliorations y sont apportées. Tout d’abord, au niveau communautaire, la procédure de règlement des petits litiges transfrontaliers, encore nouvelle dans le paysage judiciaire européen, devrait être favorisée et promue. Elle pourrait de même être améliorée afin de permettre la formulation de demandes jointes (A). Au niveau national, la procédure d’action en représentation, notamment en France a montré ses limites tenant tant à l’interdiction de démarchage des demandes qu’à l’organisation et les ressources qu’elle nécessite pour les associations. Ainsi il pourrait être envisagé de réformer respectivement les articles L422-1 du Code de la consommation et l’article L452-1 du Code monétaire et financier afin de faciliter l’usage des actions en représentation en matière de consommation comme en matière boursière (B). A) Le règlement européen sur les petits litiges transfrontaliers : un mode de résolution des litiges en devenir 456. Les litiges de masse concernent un grand nombre de personnes. Ils sont favorisés en cas de contrat d’adhésion et peuvent ainsi porter sur des petits montants. Dès 2002, la Commission européenne propose des mesures visant à simplifier et à accélérer le règlement des litiges portant sur des montants de faible importance 694. Elle part du constat que dans le cadre de petits litiges, il est 68 F nécessaire de « simplifier et accélérer le règlement des litiges portant sur des montants de faible importance, un domaine dans lequel il importe particulièrement de rationaliser les mécanismes et de limiter leur coût afin de faire en sorte que le règlement des litiges de ce type ne devienne pas 693 Réponse de l’AFEC au Livre vert « Action en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », p. 1, accessible à l’adresse suivante http://ec.europa.eu/competition/antitrust/actionsdamages/green_paper_comments.html. 694 Livre vert sur une procédure Européenne d'injonction de payer et sur des mesures visant à simplifier et à accélérer le règlement des litiges portant sur des montants de faible importance, COM/2002/0746 final, Non publié au JO. 211 déraisonnable en termes économiques » 695. Elle vise ainsi le renforcement de l’accès à la justice 696. 6 69F 670F Les obstacles liés aux coûts, aux délais ou aux formalités à accomplir pour obtenir une décision sont augmentés dans les litiges transfrontaliers. Le Parlement européen et le Conseil adoptent alors en 2007 un Règlement instituant la procédure européenne de règlement des petits litiges transfrontaliers 697. 671 F 457. Cette procédure vise les litiges en matière civile et commerciale, qui portent sur un montant égal ou inférieur à 2000 euros, hors intérêts, frais et débours 698. Elle s’applique aux seuls litiges 672 F transfrontaliers, litiges « dans lequel au moins une des parties a son domicile ou sa résidence habituelle dans un État membre autre que l’État membre de la juridiction saisie »699. La 673F Commission avait pour objectif premier de faciliter l’introduction de la demande. Elle a alors envisagé une mode de transmission directe des demandes aux juridictions compétentes de l’Etat membre concerné. De même, les demandeurs doivent simplement remplir un formulaire auquel ils joignent les pièces utiles au soutien de leur demande. La tenue d’une audience n’est pas prévue sauf si le juge l’estime nécessaire ou si l’une des parties le demande. La procédure est essentiellement écrite 700. Et les parties sont dispensées du ministère d’avocat. 674F 458. Les délais sont accélérés. A compter de la réception du formulaire du demandeur, la juridiction dispose de 14 jours pour notifier ou signifier la demande au défendeur. Pour réduire les frais, les demandeurs ne sont pas dans l’obligation de trouver un conseil domicilié dans l’Etat du défendeur pour la notification ou la signification de l’acte. Les formalités sont opérées via la juridiction compétente du pays. A compter de la notification ou de la signification de l’acte, le défendeur a 30 jours pour adresser sa réponse et les pièces justificatives qu’il juge utiles. Il dispose pour cela 695 Livre vert sur une procédure Européenne d'injonction de payer et sur des mesures visant à simplifier et à accélérer le règlement des litiges portant sur des montants de faible importance, COM/2002/0746 final, Non publié au JO. 696 Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juil.2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges, JO L 199 du 31.7.2007, p. 1–22, point (7). 697 Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juil.2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges, JO L 199 du 31.7.2007, p. 1–22. 698 Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juill. 2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges, JO L 199 du 31.7.2007, p. 1–22, art. 2. Sont expréssement exclus du champ de la procédure, les litiges en matière matières fiscales, douanières ou administratives, la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique, de même que « a) l’état et la capacité des personnes physiques ; b) les régimes matrimoniaux, obligations alimentaires, testaments et successions ; c) les faillites, concordats et autres procédures analogues ; d) la sécurité sociale ; e) l’arbitrage ; f) le droit du travail ; g) les baux d’immeubles, exception faite des procédures relatives à des demandes pécuniaires ; h) les atteintes à la vie privée et aux droits de la personnalité, y compris la diffamation », art. 2 (2). 699 Règlement (CE) N° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juill. 2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges, JO L 199 du 31.7.2007, p. 1–22, art. 3. 700 Ibid, art. 5(1). 212 également d’un formulaire. La juridiction transmet alors, dans un délai de 14 jours, une copie de la réponse au demandeur, qui a lui-même 30 jours pour répondre aux demandes reconventionnelles éventuelles 701. La Cour saisie doit alors dans un délai de 30 jours également rendre une décision ou 675F « demande aux parties de fournir des renseignements complémentaires au sujet de la demande dans un certain délai, qui n’est pas supérieur à trente jours ; b) obtient des preuves conformément à l’article 9; ou c) convoque les parties à comparaître à une audience, qui doit se tenir dans un délai de trente jours à compter de la convocation 702 ». 67F 459. Des démarches procédurales allégées. Toujours en vue de faciliter le recours, la juridiction désignée dans le pays concerné aura un rôle d’information auprès des demandeurs, s’agissant tant du déroulement de la procédure que du formulaire à remplir. De plus, la demande pourra être rédigée dans la langue de la juridiction saisie. Le défendeur pourra cependant demander la traduction des pièces justificatives et des informations à fournir pour remplir le formulaire au demandeur s’il l’estime nécessaire pour sa compréhension 703. De même, le Règlement prévoit expressément que la 67F juridiction doit opter pour le moyen d’obtention des preuves « le plus simple et le moins contraignant »704. Il invite enfin la juridiction à favoriser le règlement à l’amiable entre les 678F parties 705. 679F 460. Des coûts de procédure réduits. L’absence de ministère d’avocats, tant pour la représentation que pour la signification des actes réduit considérablement les coûts de procédure. Le demandeur par le biais du formulaire peut ainsi adresser sa demande au juge en toute simplicité sans avoir à qualifier juridiquement les faits comme cela sera nécessaire devant le juge national de droit commun 706. Cela 680F facilite le recours pour ce dernier. En revanche, le principe du perdant payeur demeure. Ainsi, dès lors que le demandeur succombe à la procédure, il sera tenu de prendre en charge. Le règlement prévoit seulement que « la juridiction n’accorde pas à la partie qui a eu gain de cause le remboursement des dépens qui n’étaient pas indispensables ou qui étaient disproportionnés au 701 Ces délais sont fixés à l’article 5 du Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juill. 2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges, préc. 702 Article 7 du Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juil.2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges, préc. 703 Article 6 du Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juil.2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges, préc. 704 Article 9 (3) du Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juill. 2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges, préc. 705 Article 12(3) du Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juill. 2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges, préc 706 Article 12(1) du Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juill. 2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges, préc 213 regard du litige » 707. Comme cela sera développé 708, il a été proposé de modifier ce principe dans le 6 81F 682 F cadre des actions de groupe afin de ne pas dissuader les demandeurs de porter leurs actions en justice. Cependant, ce principe connu de l’ensemble des Etats membres de l’Union permet de prévenir les actions abusives. Ainsi dans le cadre du Règlement instituant la procédure européenne de règlement des petits litiges, le Conseil et le Parlement européen ont tranché en faveur de maintien du principe du perdant payeur. 461. L’exécution de la décision rendue. Sous réserve des droits d’appel de la décision, cette dernière est directement exécutoire. Il n’est pas nécessaire pour le demandeur de constituer une sûreté 709. 683 F Tout demandeur qui formule une demande d’exécution doit seulement produire une copie authentique de la décision et une copie du certificat délivrée par la juridiction qui a rendu la décision. Ce certificat doit être traduit, en cas de demande, dans la langue officielle du pays de la juridiction d’exécution. Le demandeur n’a pas besoin de justifier d’un représentant autorisé ou d’une adresse postale dans le pays d’exécution 710. Le refus d’exécution ne pourra alors lui être opposée 684F que si « a) la décision antérieure a été rendue entre les mêmes parties dans un litige ayant la même cause ; b) la décision antérieure a été rendue dans l’État membre d’exécution ou réunit les conditions nécessaires à sa reconnaissance dans l’État membre d’exécution; et que c) l’incompatibilité des décisions n’a pas été et n’aurait pas pu être invoquée au cours de la procédure judiciaire dans l’État membre dans lequel la décision dans le cadre de la procédure européenne de règlement des petits litiges a été rendue » 711. 6 85F 462. Ces différentes mesures montrent qu’il est possible de rationaliser le traitement des demandes en justice afin d’en faciliter l’exercice pour les justiciables. Ainsi, recourir à des formulaires pour introduire sa demande en justice permet d’une part de faciliter le recours pour le demandeur et de se passer dans des cas très spécifiques comme les litiges de faible valeur des services couteux d’un avocat. De même, les facilités liées à l’exécution de la décision permet au justiciable d’économiser des frais supplémentaires. 707 Article 16 du Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juill. 2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges, préc. 708 Voir infra §. 938. 709 Article 20 (1) du Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juill. 2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges, préc. 710 Article 21 du Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juill. 2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges, préc. 711 Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juill. 2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges, JO L 199 du 31.7.2007, p. 1–22, art. 22(1). 214 463. Une fréquence d’utilisation est encore méconnue, mais une information diffusée plus largement semble nécessaire. Le Règlement instituant cette procédure de règlement des petits litiges transfrontaliers est applicable depuis le 1er décembre 2009 712. La Commission a mis en place un site 68F Internet sur lequel sont désignées les juridictions compétentes selon l’Etat membre concerné 713. Il 687F comprend également les conditions de mise en œuvre de la procédure, propres à chaque Etat. Une version des quatre formulaires est mise à la disposition des citoyens dans la langue officielle des différents pays. Cependant, pour le moment il est difficile de connaître les résultats de cette nouvelle procédure 714. Malgré la recommandation du Conseil et du Parlement dans ce Règlement 715, cette 68F 689 F procédure n’est peu, voire pas, connue des citoyens européens, ce qui nuit irrévocablement à son utilisation 716. Ainsi avant toute chose il pourrait être envisagé de renforcer l’information sur 690F l’existence de cette procédure et ses modalités de mise en œuvre auprès du grand public afin de rendre son utilisation plus fréquente 717. 691 F 464. Pour les petits litiges de masse, cette procédure peut également apparaître comme une source d’inspiration intéressante. Tout d’abord, ce système permet aux demandeurs d’accéder plus facilement au juge. Il renforce alors l’incitation des demandeurs individuels à porter leur requête en justice et ce, que le litige en question concerne un seul ou plusieurs demandeurs. Ensuite, certaines modalités de l’action sont également à examiner dans le cadre de l’action de groupe. Ainsi, le recours à des formulaires notamment pour le recueil des consentements dans un système d’opt-in pourrait être un moyen de faciliter cette phase de l’action. De même, les facilités accordées pour l’exécution de la décision sont intéressantes pour les litiges de masse transfrontaliers. Ces modalités 712 Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juill. 2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges, JO L 199 du 31.7.2007, p. 1–22, art. 29. 713 Voir site de la Commission intitulé « Atlas judiciaire européen en matière civile » : http://ec.europa.eu/justice_home/judicialatlascivil/html/sc_information_fr.htm?countrySession=3& 714 La Commission devrait rendre un rapport sur le fonctionnement de ce système au plus tard le 1 er janv. 2014, art. 28 du Règlement (CE) n° 861/2007, op. cit. 715 L’article 24 du Règlement (CE) n° 861/2007, op. cit., stipule que « Les États membres collaborent pour faire en sorte que le grand public et les professionnels soient informés de la procédure européenne de règlement des petits litiges, y compris des frais y afférents, notamment par l’intermédiaire du réseau judiciaire européen en matière civile et commerciale créé conformément à la décision 2001/470/CE ». 716 Un article « Locations de vacances à l'étranger : les pièges à éviter », de Martine DENOUNE, a été publié dans le journal Les Echos, du 22 juill. 2010, qui met en garde contre les risques liés à la location de vacances et reprend les principales conditions d’exercice de la procédure de règlement des petits litiges transfrontaliers. 717 Voir en ce sens les réponses opérées par le MEDEF et l‘AFEP à la consultation de la Commission européenne sur le thème « Renforcer la cohérence de l'approche européenne en matière de recours collectifs », Document de travail des services de la Commission européenne, Consultation publique, 4 fév. 2011, SEC(2011) 173 final. 215 seraient de même intéressantes dans le cadre des actions en représentation dont les limites ont pu être soulignées en France avec l’affaire du cartel de la téléphonie mobile 718. 692F B) L’amélioration de l’action en représentation des associations de défense 465. L’action en représentation existe dans l’ensemble des Etats membres de l’Union 719, y compris 693F depuis 2002 en Angleterre. En effet, alors qu’il aurait pu décider d’adopter un système d’action de groupe similaire au système américain 720, le législateur anglais a fait le choix de recourir à l’action 694F en représentation en matière de droit de la concurrence. La section 18 de l’Enterprise Act de 2002 prévoit, en effet, l’introduction d’une section 47b dans la Loi anglaise sur le droit de la concurrence (Competition Act 1998), qui permet au gouvernement d’agréer certaines associations de consommateurs pour agir en représentation des consommateurs dans les actions en indemnisation qui font suite aux condamnations d’entreprises pour violation au droit de la concurrence (follow-on claims) 721. 695F 718 Voir Décision n° 05-D-65 du 30 nov. 2005 relative à des pratiques constatées dans le secteur de la téléphonie mobile. Cette décision a fait l’objet d’un appel de la part des opérateurs de téléphonie qui fut rejeté (CA Paris, 12 déc. 2006, RG n° 2006/00048). Ils ont alors formé un pourvoi en cassation. La Cour de cassation a cassé partiellement l’arrêt et renvoie l’affaire devant la Cour d’appel de Paris (Cass. Com., 29 juin 2007, pourvois n° 07-10303, 07-10354 et 07-10397). L’arrêt de la Cour d’appel (CA Paris, 11 mars 2009, RG n° 2007/19110) confirme au moins partiellement la décision du Conseil : Echange d’informations ayant « accru artificiellement la transparence sur le marché et révélé aux opérateurs leur stratégie respective, leur permettant ainsi du fait de cet accord de limiter la concurrence résiduelle du marché ». Cet arrêt a fait lui aussi l’objet d’un pourvoi devant la Cour de cassation (Cass. Com, 7 avr. 2010, pourvois n° 09-12984, 09-13163 et 0965940), qui a partiellement cassé l’arrêt de la Cour d’appel et renvoyé devant la Cour d’appel de Paris, autrement composée. 719 Evaluation of the effectiveness and efficiency of collective redress mechanisms in the European Union, Final Report, part I: Main Report, submitted by Civic Consulting (Lead) and Oxford Economics, 26 August 2008 720 Plus récemment le Civil Justice council (CJC), qui est l’organe de conseil du gouvernement concernant les éventuelles réformes à mettre en œuvre relativement au système judiciaire en matière civile, s’est prononcé en faveur de l’adoption d’un système d’action de groupe avec opt out, Improving Access to Justice through Collective Actions, Developing a More Efficient and Effective Procedure for Collective Actions, A Series of Recommendations to the Lord Chancellor, John Sorabji, Michael Napier CBE QC, Robert Musgrove, Civil Justice council, Juill. 2008. 721 Cette procédure est mise en œuvre devant le CAT dès lors qu’une entreprise a enfreint le droit de la concurrence, y compris les articles 101 et 102 TFUE. Elle ne concerne que les actions de suites, c'est-à-dire les actions intentées à la suite d’une condamnation d’une entreprise par l’autorité de la concurrence nationale, à savoir l’OFT ou par la Commission européenne. Seules les associations agrées par le « Secretary of State » conformément au Specified Body (Consumer Claims) Order 2005 peuvent exercer ce type d’action en représentation des consommateurs. Les associations doivent remplir un certain nombre de critères notamment elles doivent démontrer qu’elles sont représentatives et à même de défendre les intérêts des consommateurs et qu’elles pourront agir de manière impartiale, indépendante et avec intégrité. Pour le moment, seule l’association « Which ? » a été agrée par le « Secretary of State ». L’association « Which ? » a intenté une action à l’encontre de la société JJB Sports PLC. Il s’agissait d’une action intentée suite à la condamnation de 7 entreprises pour entente sur le prix des T-shirts de football entre 2000 et 2001. Cette action intentée s’est soldée par une transaction en 2008. Cette action peut être intentée dès qu’au moins deux individus nommément identifiés peuvent être représentés (section 47B (1) Competition Act 1998). Le consentement des individus concernés par la procédure est requis. Cette procédure ne vise qu’à l’obtention de dommages intérêts. La Court of Appeal a refusé de reconnaître la validité des dommages intérêts punitifs en la matière (Devenish NutritionLimited v. Sanofi-Aventis SA (France) & Others, [2008] EWCA Civ. 1086), Christopher Hodges, Country report : England & Wales, dans The Globalisation of class actions, Conférence internationale co-sponsorisée par la Standford Law School et le centre d’études socio- légales de la Oxford University, 13 &14 déc. 2007 ; Voir Alison Brown, et Ian Dodds Smith, England & Wales, The International Comparative 216 466. Cependant, certains auteurs ont souligné la nécessité de réformer le système de l’action en représentation afin d’en accroître l’efficacité. En France, les difficultés de fonctionnement de la procédure, le problème du financement de l’action et des ressources que nécessite la gestion des litiges de masse ont été relevés 722. L’exemple l’affaire de la téléphonie mobile et les difficultés 69F rencontrées, par l’association de consommateurs française, l’UFC-Que-Choisir, dans cette affaire, illustre les limites de l’action en représentation conjointe 723 (1). Ces constats ont conduit à des 697F propositions de réforme de la procédure d’action en représentation, comme l’illustre une proposition de loi sénatoriale en France datant de février 2010 724. De nouvelles modalités d’exercice de l’action 698F sont à retenir (2). 1) Les limites de l’action en représentation : illustration en France par l’affaire de la téléphonie mobile 467. Pour parvenir à un traitement de l’ensemble des demandes multiples et similaires que présente un affaire, l’action en représentation ouvertes aux associations de consommateurs n’apparaît pas comme le moyen le plus efficient et efficace. En France, les limites de l’action en représentation conjointe ont été soulignées dans une affaire opposant l’association de défense des consommateurs l’UFC Que Choisir à une entreprise de téléphonie mobile, Bouygues Telecom. Par ailleurs, cette action n’a été utilisée que cinq fois depuis sa création en 1992. 468. La condamnation des opérateurs de téléphonie pour entente. Le 30 décembre 2005, l’autorité française de concurrence a prononcé une condamnation à l'encontre des trois opérateurs de téléphonie mobile français, Bouygues Telecom, SFR, et Orange France, pour violation des règles du droit de la concurrence 725. Elle leur reproche des échanges d'informations stratégiques portant sur les 69 F Legal Guide to: Class and Group Actions 2009, publié par Global Legal Group, Janv. 2009, p. 66 et suivantes. Cette disposition fut précédée d’une section 47a qui autorise le Competition Appeal Tribunal à connaître des demandes en indemnisation des consommateurs dans le cadre du réexamen de la décision de condamnation pour violation au droit de la concurrence (Section 17 de l’Enterprise Act qui est venu introduire une section 47a dans le Competition Act 1998). 722 C. Prieto, Inciter les dommages et intérêts en droit de la concurrence : le point de vue d’une concurrentialiste, p. 8-9, point 6, dans Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, Journée d’étude organisée conjointement par le Collège européen de Paris de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), et l’Association Française d’Etude de la Concurrence (AFEC), Paris, le 13 juin 2008, Actes publiés s. dir. du prof. L. Idot, dans la Revue Concurrences n°2-2009. 723 C. Prieto, Inciter les dommages et intérêts en droit de la concurrence : le point de vue d’une concurrentialiste, p. 9, point 12, dans Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, op. cit. 724 Proposition de loi sénatoriale sur le recours collectif, déposée par les sénateurs, Mme Bricq et M. Yung, le 9 fév. 2010. 725 Décision n° 05-D-65 du 30 nov. 2005 relative à des pratiques constatées dans le secteur de la téléphonie mobile. Cette décision a fait l’objet d’un appel de la part des opérateurs de téléphonie qui fut rejeté (CA Paris, 12 déc. 2006, RG n° 2006/00048). Ils ont alors formé un pourvoi en cassation. La Cour de cassation a cassé partiellement l’arrêt et renvoie l’affaire devant la Cour d’appel de Paris (Cass. Com., 29 juin 2007, pourvois n° 07-10303, 07-10354 et 07-10397). L’arrêt 217 nouveaux abonnements et les résiliations, et un accord entre 2000 et 2002 entre les trois opérateurs portant sur la stabilisation de leurs parts de marché autour d'objectifs définis en commun. Ces pratiques sont sanctionnées car elles ont pour effet de restreindre la concurrence sur le marché. Dans la théorie économique, une restriction de concurrence porte atteinte au bon fonctionnement du marché et cause un préjudice aux acheteurs qui vont contracter à des conditions faussées du fait de l’entente. En l’espèce, il était présumé une augmentation artificielle des prix payés par les acheteurs directs des abonnements 726. 70F 469. La stratégie en amont de l'UFC Que Choisir. Avant même le prononcé de cette décision, l'association de consommateurs, l’UFC-Que-Choisir avait engagé les préparatifs d'une action en réparation des dommages subis par les acheteurs directs-consommateurs du fait de l'entente illicite. Elle avait ainsi commandé une étude auprès du Cabinet Aldex en vue de mettre au point un calculateur informatique pour déterminer le montant des préjudices subis et les dommages intérêts à réclamer. Le lendemain de la publication de la décision du Conseil, elle a informé les consommateurs, indépendamment de leur affiliation, par le biais du site Internet www.cartelmobile.org, de l'action envisagée au civil et de la mise à disposition du calculateur. Elle leur proposait de lui donner un mandat en ligne pour engager une action en réparation en leur nom et pour leur compte. L'UFC Que Choisir avait relancé ensuite par emails personnels les internautes ayant visité le site sans remplir le dossier 727. 701F 470. Contexte législatif de l’affaire. Il est important de rappeler le contexte législatif de l’affaire. La décision du Conseil de la Concurrence a été rendue en 2005. Cependant, dans ses vœux adressés aux « forces vives » de la nation le 4 janvier 2005, le Président Jacques Chirac avait demandé au Gouvernement de proposer une modification de la législation pour permettre à des groupes de consommateurs et à leurs associations d’intenter des actions collectives contre les pratiques abusives observées sur certains marchés. Ainsi une modification de la loi était attendue. Cependant, en l’état de la législation en 2005 et qui demeure encore en 2011, deux actions en indemnisation étaient et de la Cour d’appel (CA Paris, 11 mars 2009, RG n° 2007/19110) confirme au moins partiellement la décision du Conseil : Echange d’informations ayant « accru artificiellement la transparence sur le marché et révélé aux opérateurs leur stratégie respective, leur permettant ainsi du fait de cet accord de limiter la concurrence résiduelle du marché ». Cet arrêt a fait lui aussi l’objet d’un pourvoi devant la Cour de cassation (Cass. Com, 7 avr. 2010, pourvois n° 09-12984, 09-13163 et 0965940), qui a partiellement cassé l’arrêt de la Cour d’appel et renvoyé devant la Cour d’appel de Paris, autrement composée. 726 On rappelle que la décision de condamnation n’est pas défnitive. 727 Voir Cour d’appel de Paris, 11ème Chambre, 22 janv. 2010, RG n° 08-09844, L’UFC Que Choisir et autres c/ SA Bouygues Telecom. 218 restent ouvertes aux associations de consommateurs, agrées conformément aux dispositions du Code de la consommation : L'action en représentation conjointe de l'article L422-1 du Code de la consommation. Cette action leur permet d'agir au nom des consommateurs pour la défense de leur intérêt personnel dès lors qu'est recueilli un mandat exprès des personnes représentées. Ce mandat ne peut cependant pas être sollicité par voie d'appel public télévisé ou radiophonique, ni par voie d'affichage, de tract ou de lettre personnalisée. L'action civile dans l'intérêt collectif des consommateurs de l'article L421-1 du Code de la consommation. Cette action permet aux associations d'exercer " des droits reconnus à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs ". Deux conditions doivent être réunies : la constatation d'une infraction pénale et l'existence d'un préjudice à l'intérêt collectif des consommateurs, qui doit être distinct et caractérisé par rapport au préjudice subi personnellement par les victimes de l'infraction. 471. Le contournement de l’interdiction du démarchage juridique. Les pratiques préliminaires de l'UFC Que Choisir, étaient assimilables à du démarchage juridique, prohibé en soi au titre de la loi de 1971 728. Elles constituaient ainsi un obstacle à l'exercice de l'action en représentation conjointe. 702F Consciente de cet obstacle, l'association a tenté de contourner la difficulté en intervenant volontairement à une action déjà engagée par un consommateur sur le fondement de l'action en défense des intérêts collectifs des consommateurs. Trois milles sept cents cinquante autres consommateurs sont également intervenus volontairement à la procédure. Les demandeurs à l'action, y compris l'UFC, ont retenu le même avocat et ont déposé des conclusions similaires 729. 703F 472. La requalification de la procédure. A la lumière de ces éléments, le Tribunal de Commerce de Paris a requalifié l'action en défense des intérêts collectifs des consommateurs en action en 728 Loi n° 71-1130 du 31 déc. 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, Article 66- 4 : « Sera puni des peines [*sanctions pénales*] prévues à l'article 72 quiconque se sera livré au démarchage en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique. Toute publicité aux mêmes fins est subordonnée au respect de conditions fixées par le décret visé à l'article 66-6 ». 729 Voir Cour d’appel de Paris, 11ème Chambre, 22 janv. 2010, RG n° 08-09844, L’UFC Que Choisir et autres c/ SA Bouygues Telecom. 219 représentation conjointe et a constaté l'infraction à l'interdiction du démarchage juridique 730. Il a 704 F alors déclaré irrecevable la demande pour violation d'une des conditions de fond de l'action. La Cour d'appel de Paris rejette également le recours de l'UFC Que Choisir, mais sur un autre fondement. La cour confirme l'existence d'un démarchage prohibé. Toutefois, elle écarte la requalification opérée par le Tribunal de Commerce et annule le jugement. Pour elle, le recours de l'UFC est bien une action en défense des intérêts collectifs des consommateurs. Mais, la procédure est déclarée nulle. En effet, comme les 3750 abonnés, l'UFC est venue, par voie d'intervention volontaire, greffer son recours sur celui d'un des consommateurs concernés. Or, pour que ce recours soit valable, encore faut-il que le recours initial ne soit pas nul. Or, cette nullité est constatée par la cour dans la mesure où ce dernier avait été " piloté " par l'UFC qui avait choisi l'avocat de ce consommateur, et s'était engagé à supporter les coûts de la procédure. Pour la Cour, le consommateur ayant engagé le recours principal avait donc mandaté pour sa défense l'UFC et non l'avocat censé le représenter. La cour conclut donc à la nullité de l'assignation introductive d'instance comme des actes d'intervention volontaire pour « pour défaut de pouvoir des personnes assurant la représentation en justice par application de l'article 117 du code de procédure civile »731. 7 05F 473. Les limites de l’action en représentation conjointe. Cette affaire a été très largement médiatisée et elle a permis de mettre en lumière les insuffisances de l’action en représentation conjointe pour traiter les litiges de masse sur le plan judiciaire. En l’espèce, le surcoût payé par les abonnés, basé sur étude de l’UFC Que Choisir, était estimé à 67.20€. Les consommateurs individuels demandaient alors l’allocation d’éventuels dommages et intérêts et la somme de 150€ au titre de l’article 700 CPC 732. Il s’agit d’un litige de faible valeur, pour lequel le regroupement des demandes via 706F l’association de consommateurs aurait pu permettre la réparation des préjudices individuellement. Cependant, la nécessité de recueillir des mandats comme l’interdiction de démarchage des consommateurs lésés ne permet pas aux associations de réunir un grand nombre de consommateurs lésés, qui justifierait alors le recours à cette procédure. De plus, la gestion même de la procédure pour les associations de consommateurs peut se révéler lourdes, et couteuses. Par exemple, dans l’affaire de la téléphonie mobile, l’association de consommateur UFC-Que-Choisir, a monopolisé des ressources exceptionnelles : « vingt et un juristes chargés de constituer les dossiers individuels, 730 T. Com. Paris, 6 déc. 2007. Cour d’appel de Paris, 11ème Chambre, 22 janv. 2010, RG n° 08-09844, L’UFC Que Choisir et autres c/ SA Bouygues Telecom. 732 T. Com. Paris, 6 déc. 2007. 731 220 3m3 de dossiers papier et 500 000 euros » 733. Ainsi une simplification et rationalisation de la 70 F procédure pourraient être bénéfiques. C’est ce qu’on envisageait les sénateurs Mme Bricq et M. Yung, dans une proposition de loi du 9 février 2010 734. 708F 2) Les améliorations possibles de l’action en représentation 474. Dès lors que le débat sur l’action de groupe n’a pas abouti en France à l’adoption d’une nouvelle procédure judiciaire, certains sénateurs ont proposé une réforme de l’existant, afin de faciliter le recours en justice des associations de consommateurs. Les sénateurs Mme Bricq et M. Yung ont ainsi proposé de substituer à l’action en représentation conjointe un recours collectif innovant, qui combine la procédure du test case 735 et la procédure d'action de groupe. Bien que cette proposition 709F soit intéressante, elle demeure encore imparfaite, un déséquilibre se créant entre les garanties des droits de la défense et les droits accordés aux demandeurs (a). D’autres propositions peuvent alors être formulées pour pallier ce déséquilibre (b). a) Les tentatives de réforme des actions en représentation 475. Les sénateurs, Mme Bricq et M. Yung ont déposé une proposition de loi sur les recours collectif, le 9 février 2010. Le mécanisme de recours collectif, qu'ils proposent, serait ouvert aux associations de consommateurs, agissant pour le compte de deux personnes au moins. Cette procédure nouvelle viendrait remplacer l'action en représentation conjointe prévue aux articles L422-1 et suivants du Code de la consommation, jugée insuffisante. La proposition de loi vise uniquement les litiges opposant les personnes physiques et les professionnels et prévoit une possibilité de restreindre encore le choix d'application de manière sectorielle par décret pris en Conseil des Ministres. La modification des articles du Code de la consommation serait accompagnée de dispositions sur les modalités d'exercice de la procédure, introduites dans le Code de procédure civile à l'article 31, relatif à l'intérêt pour agir 736. 710 F 733 M. Barcaroli et G. Patetta, Action de groupe : alors que la France recule, l’Italie avance…, Rev. Lamy Droit civil, 2010, p. 70. 734 Proposition de loi sénatoriale sur le recours collectif, déposée par les sénateurs, Mme Bricq et M. Yung, le 9 fév. 2010. 735 Pour rappel, la procédure de « test case » consiste à faire juger une demande, considérée, au terme d’un processus de désignation, comme la plus représentative des problématiques posées dans plusieurs affaires similaires. Ces dernières sont alors suspendues le temps du jugement et se voit appliquer la solution de principe retenue au terme du jugement de référence. 736 L’introduction de ces dispositions à l’article 31 CPC apparait comme un choix réfléchi car cet article relatif à l’intérêt pour agir constitue en droit interne français l’un des obstacles principaux à l’introduction d’une action de groupe, en ce qu’elle rend nécessaire un mandat exprès donné au représentant. 221 476. Le mécanisme du recours collectif proposé. Le mécanisme proposé dans la proposition de loi sénatoriale se décompose en deux phases. Il est tout d’abord prévu une action en déclaration de responsabilité pour préjudice de masse. Dans cette première phase, la recevabilité du recours 737, 71F l'opportunité de recourir à une action collective ainsi que la question de la responsabilité du défendeur sont examinées par le juge. Le prononcé du jugement entraine alors la suspension de la procédure pour une durée d'un mois, ce qui permet au défendeur ou au demandeur de faire appel de la décision. L’appel se fait alors en référé. A l’expiration de ce délai ou en l'absence de recours, s’ouvre une seconde phase consacrée à l’indemnisation des victimes. Le juge évalue le préjudice individuel subi par les demandeurs initiaux à l'action et fixe le montant des dommages intérêts qui leur est dus. Il est procédé à la publicité du jugement pour permettre l'identification des autres consommateurs lésés du fait de la pratique dénoncée, suivant un système d'opt in. Le juge examine alors individuellement chaque nouvelle demande soumise et procède à l'allocation de dommages intérêts à chacune des victimes. Les sommes allouées sont alors consignées à la caisse des dépôts et leur répartition est confiée à l'association de consommateurs. 477. Les autres mesures de la proposition. Pour l’obtention des mandats nécessaires à l’introduction de la procédure, les sénateurs proposent le recours au démarchage juridique. Cette dérogation à l’interdiction du démarchage juridique posée par la loi de 1971 ne vaudrait que pour les associations de consommateurs agréées dans le cadre de cette procédure. Les sénateurs envisagent également un encadrement de la rémunération des avocats selon le principe des « honoraires complémentaires » 738. 7 12F 478. Les avancées de la proposition. Ce mécanisme est très intéressant car il combine les aspects de la procédure de Test case et ceux de l’action de groupe. En effet, il permet tout d’abord un jugement au fond en présence de consommateurs identifiés, bien qu’ils agissent par l’intermédiaire de l’association. Cette première mesure garantit alors le respect des droits de la défense pour les professionnels en défense. Ensuite, la publicité de la procédure permet une identification des autres consommateurs, victimes de la même pratique, à qui l’on va appliquer la solution retenue au fond. 737 On entend par recevabilité de la procédure, l’intérêt à agir du demandeur, la compétence du tribunal saisi et le bien fondé de la demande. 738 Tout en maintenant la prohibition traditionnelle en droit français du pacte « de quota litis », la loi du 10 juillet 1991 l’atténue en permettant aux avocats français de convenir avec leur client d’une rémunération complémentaire proportionnelle au produit de l’action judiciaire. Cette faculté se distingue du mécanisme anglo-saxon des contingency fees agreements (pacte de quota litis) qui font dépendre les honoraires d’avocat de la seule réussite du procès. Ce dernier système est considéré comme favorable aux « demandeurs démunis », mais est critiqué dans la plupart des pays de droit continental en Europe, qui prohibent le démarchage de la clientèle. 222 Cette publicité intervient après le jugement sur la responsabilité et pallie alors tous risques d’atteinte au commerce ou à l’image de l’entreprise en dehors des cas avérés de responsabilité du professionnel. Le système retenu est celui de l’opt in, seul de nature à garantir le droit individuel d’ester en justice des justiciables français au regard de la jurisprudence constitutionnelle. Enfin, le préjudice subi par chacun des consommateurs fait l’objet d’une évaluation individuelle par le juge, ce qui permet de ne pas heurter le principe de la réparation intégrale des préjudices. 479. Les critiques du mécanisme proposé. Malgré l’ensemble des avancées que présente cette proposition, certaines modalités semblent critiquables car elles nuisent à la cohérence de la procédure. Elles peuvent en outre conduire à un allongement de la durée de la procédure de manière injustifiée ou encore à un déséquilibre entre les droits des demandeurs et ceux des défendeurs. Il est possible tout d’abord de s'interroger sur la nécessité d'un démarchage en amont de la procédure pour l'obtention des mandats 739. En effet, seuls deux mandats sont nécessaires pour autoriser l’association 713F à porter son action en justice. De plus, les autres consommateurs potentiellement concernés seront informés de la procédure grâce à la publicité du jugement qui interviendra dans la seconde phase de la procédure. De même, il est possible de s’interroger sur l’opportunité de séparer la phase de jugement au fond et la phase d’indemnisation pour les cas individuels à l’origine de la procédure. Encore, le fait de confier la répartition des sommes allouées à l'association alors que le juge a déterminé, de manière individuelle, le montant des dommages intérêts à verser, apparait inutile. En outre, plus grave, la voie du référé pour le recours contre le jugement en responsabilité, manifestement choisie par souci de rapidité, ne permet pas un "véritable" réexamen de l'affaire, le juge des référés n'étant pas un juge de la réformation, mais le juge de l'urgence. Un appel ne serait possible sur l'ensemble de la décision probablement qu'après la publicité. Encore aucune disposition relative à l'examen de l'opportunité de recourir à une telle procédure ne figure dans les articles proposés, alors que cette étape requiert des conditions éprouvées 740. Enfin, l'ordonnancement par le 714F juge de la publicité du jugement n'apparait pas non plus dans le dispositif de la loi alors que le contrôle du juge sur la publicité de la procédure est indispensable pour éviter tout risque d’abus. Des doutes peuvent être émis sur l'effectivité de ces mesures et, in fine, sur la procédure proposée plus 739 Seuls deux mandats sont nécessaires à l’association pour agir en justice et une publicité est prévue en aval de la procédure pour l’identification des victimes. 740 Le groupe doit potentiellement comprendre tellement de demandes que la jonction d’instances serait impossible ; Des questions de droit ou de fait communes au groupe doivent exister ; Les demandes du demandeur principal doivent être représentatives de celles des membres non identifiés du groupe ; Le représentant doit pouvoir représenter de manière adéquate les intérêts des membres du groupe – voir pour référence Rule 23 FRCP. 223 largement. Cependant, cette proposition amène à pouvoir formuler des propositions de modification de la loi existante. b) Les améliorations à retenir 480. L’action en représentation est par principe l’action retenue jusqu’à présent dans les systèmes de droit romano-germanique. Ainsi il est possible de la conserver et de la modifier afin d’en faire une procédure efficace et efficiente pour traiter les litiges de masse. Pour cela, il est possible de s’inspirer des procédures tant de la procédure d’action de groupe que de la procédure « modèle », à l’instar de la proposition des sénateurs Mme Bricq et M. Yung. 481. Les conditions d’ouverture de l’action. Il apparaît qu’un choix doit être opéré entre d’une part l’autorisation du démarchage juridique avant l’introduction de l’action pour les associations de défense agréées et d’autre part la publicité de la procédure après l’introduction de la procédure. En effet, les deux mécanismes tendent à informer les demandeurs potentiels à l’action de l’existence de la procédure ou de l’intention d’introduire une demande en justice. Les deux mécanismes feraient dans une certaine mesure doublon. L’association doit s’appuyer pour présenter sa demande sur des cas concrets. Elle sera ainsi toujours obligée d’obtenir des mandats des consommateurs qu’elle entend représenter. A cet égard, comme cela a été vu avec l’affaire de la téléphonie mobile, le démarchage peut s’avérer utile. Cependant, un très petit nombre de mandats est nécessaire pour permettre à l’association d’introduire son action. En France, elle ne doit justifier que de deux mandats. Ainsi, l’association peut obtenir ces deux mandats sans le concours du démarchage juridique 741. En outre, la publicité de la procédure après l’introduction de la procédure permet de 715F prévoir un contrôle du juge sur le contenu comme sur les moyens de cette publicité. Ce contrôle offre alors des garanties quant aux abus éventuels liés à la diffusion de l’information. Le recours à la publicité dans la proposition ici formulée semble plus opportun. 482. Sur les conditions d’ouverture de la procédure, la proposition de loi sénatoriale fait mention d’un contrôle de l’opportunité de la procédure. Les sénateurs ne détaillent pas les conditions, que le juge devra contrôler. Cependant, il est indispensable que le juge prévoie expressément dans la loi la nature de ces conditions sur le modèle défini dans le premier chapitre. Seul le législateur peut 741 Il pourrait être soulevé l’argument contraire lié à la détermination des cas les plus représentatifs comme cela est le cas dans la procédure « modèle ». Cependant, dès lors que l’on se trouve en présence d’un « réel » litige de masse, c'est-à-dire une pratique unique ayant causé un préjudice identique à l’ensemble des demandeurs, il ne semble pas insurmontable de trouver deux cas qui seront représentatifs des autres demandes. 224 décider des conditions dans lesquelles il est permis de déroger au principe d’action individuelle et à l’intérêt personnel et direct à agir. Les conditions liées à la nature du litige et à l’efficacité de cette procédure pour connaître des demandes multiples et similaires, devront être définies. 483. Une procédure en deux étapes et la publicité de la procédure. Ensuite, et dans un souci de cohérence, la proposition des sénateurs de séparer entre la phase de jugement et la phase d’indemnisation des autres victimes sur le modèle de la procédure allemande ou anglaise de « test case » apparaît intéressante. Cependant, se pose alors la question du moment de la publicité de la procédure, qui va impacter les modalités de mise en œuvre de l’action. En effet, dans une première hypothèse, un jugement au fond est rendu dans un premier temps concernant les personnes identifiées ayant donné mandat à l’association. Ce jugement pose la méthode d’évaluation et d’indemnisation du préjudice appliquée aux demandeurs en question. Un appel est alors possible dans les conditions d’appel de droit commun. Dans un second temps, une publicité est ordonnée par le juge dans des conditions fixées par lui-même eu égard aux circonstances de l’espèce. Toutes les personnes qui se manifestent bénéficient de la solution au fond. Dans une seconde hypothèse, le juge se prononce tout d’abord sur la recevabilité et l’opportunité de la procédure. S’il considère la demande recevable, il ordonne ensuite la publicité de la procédure afin d’en informer les demandeurs potentiels. Ces derniers vont pouvoir donner mandat à l’association et/ou se joindre à la procédure en tant que partie. Le jugement au fond s’applique alors à toutes les personnes s’étant manifestées dans le délai. Dans le même jugement, le juge tranche la question de la responsabilité et applique la solution aux différents demandeurs à titre individuel. Dans les deux cas de figure, les personnes qui n’ont pas consenti à l’action conservent leur droit d’agir individuellement en justice. Toutefois, les deux hypothèses n’offrent pas les mêmes garanties. En effet, dans la première hypothèse, les personnes informées de la procédure postérieurement au jugement sur le fond n’auront pas l’opportunité de jouer un rôle sur la conduite de la procédure, sauf à engager à titre individuel une nouvelle action devant les tribunaux. En revanche, dans la seconde hypothèse, il pourrait être envisagé un système similaire à celui de la procédure « modèle » en Allemagne, qui permet à tout demandeur inscrit sur le registre de faire parvenir des conclusions aux juges ou de demander à être entendu, dès lors que ces actions ne sont pas contraires ou ne nuisent pas à celles du demandeur « modèle ». Mais dans la seconde hypothèse, la publicité intervient avant le jugement au fond, ce qui comporte un risque pour le défendeur. Cependant, et à la condition que le juge vienne encadrer la publicité de la procédure, cette seconde hypothèse apparaît comme celle qui offre le plus de garanties au regard des principes qui gouvernent notre procédure civile. En effet, elle permet de 225 pallier au problème du respect de l’autorité de la chose jugée, du principe du contradictoire et des droits de la défense plus largement. De plus, l’évaluation des préjudices demeure individuelle. 484. La rationalisation de la procédure. Les actions collectives qu’il s’agisse des actions de groupe ou des actions en représentation sont par nature plus longues que les actions individuelles et il ne pourra en être autrement. En revanche, il est possible de tenter de faciliter le travail tant du juge que de l’association de consommateurs, dans un souci de bonne administration de la justice. Ainsi pourrait être reprise l’idée des formulaires, qui permettraient de recueillir le consentement des personnes, mais également toutes les informations utiles à leur indemnisation et les pièces justificatives. Un contrôle a priori des informations transmises pourraient être opéré par l’association. Sur le modèle de la procédure européenne de règlement des petits litiges transfrontaliers, un second formulaire pourrait être prévu en cas de demande supplémentaire nécessaire. Ces formulaires pourraient alors être transmis directement au juge pour lui permettre de trancher la question des indemnisations individuelles. 485. Conclusion du Chapitre 1. Les pays européens ne sont pas démunis en l’absence d’action de groupe. Plusieurs solutions judiciaires existent pour le traitement des litiges de masse. Ainsi l’Allemagne et l’Angleterre se sont dotées d’une procédure « modèle » non représentative, qui permet aux juges de rationaliser les demandes en justice. La France se dirige quant à elle vers une réforme de la procédure d’action en représentation conjointe. Au niveau communautaire également, la Commission a adopté des procédures innovantes comme l’illustre la procédure de règlement des petits litiges transfrontaliers. Ces procédures judiciaires ne sont pas parfaites. Mais elles demandent simplement à être optimisées ou améliorées afin de permettre aux juges de rendre leurs décisions dans les meilleures conditions et dans les meilleurs délais. Alors par la rationalisation des procédures judiciaires, le droit à l’accès au juge sera renforcé pour les justiciables européens. De plus, il existe des solutions extrajudiciaires pour le règlement des litiges de masse. 226 CHAPITRE II : LES ACTIONS COLLECTIVES ET LES PROCEDURES NEGOCIEES 486. Les modes alternatifs de résolution des confits (ci-après les « MARC ») se développent de manière considérable depuis plusieurs années en matière civile et commerciale. Pour les entreprises, les MARC permettent une gestion maitrisée, discrète et rapide des contentieux et pour les personnes en demande, ils permettent de supprimer les lourdeurs et les coûts liés aux procédures judiciaires. Ainsi ces modes de résolution des conflits à l’amiable doivent être examinés au recours de l’objectif de traitement des litiges de masse. Aux Pays-Bas, un mode de résolution à l’amiable des litiges dédié à la résolution des litiges de masse a été institutionnalisé par le législateur. Ce mécanisme de transaction collective repose sur un accord entre une entreprise et une association de défense qui entend défendre les intérêts personnels des personnes lésées. Cependant, l’intervention du juge pour l’homologation de cet accord en fait en réalité une procédure judicaire dont les modalités sont calquées sur celles de la class action américaine 742 (Section 1). 716F 487. Les autres solutions proposées par les MARC, tel que la médiation ne semblent pas appropriés pour le traitement des litiges de masse dès lors que l’on recherche une solution efficace et efficiente qui permette de connaître du plus grand nombre de demandes. Elles ne sont pas des alternatives à l’action de groupe. En revanche, elles sont des compléments utiles à l’action de groupe. Elles pourront également être appréhendées comme modalités d’exercice de l’action de groupe (Section 2). SECTION 1) LES PROCEDURES JUDICIAIRES DEGUISEES EN MARC : LA TRANSACTION COLLECTIVE NEERLANDAISE 488. Aux Pays-Bas, il existe une procédure originale de transaction collective permettant un règlement collectif des litiges de masse. Cette procédure résulte elle-aussi de la nécessaire adaptation de la législation à une situation de faits 743. Bien que reposant sur un accord à l’amiable entre les parties, 71F cette procédure fut fortement encadrée par le juge. Elle apparaît aujourd’hui comme une procédure quasi-judiciaire (§1). Les conditions de mise en œuvre de la procédure calquées sur la procédure 742 M.-J. Van Der Heijden, Class actions/actions collectives, National Report: Nederland’s, p. 1, in Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, The Sixth Annual Conference on Strategies for Litigating, May 6 & 7, 2010, Renaissance Seattle Hotel in Seattle, WA. 743 Voir l’origine des procédures de “test case” en droit anglais et en droit allemand, §. 374. 227 américaine permettent de s’interroger sur la possibilité de déroger aux obstacles que constituent les principes procéduraux fondamentaux dans les pays de droit civiliste en cas de recours à une transaction et non à une solution judiciaire. Cette procédure montre les limites des MARC pour un traitement efficace et efficient des litiges de masse (§2). §1) La transaction collective néerlandaise : une procédure quasi-judiciaire 489. L’origine de la procédure de transaction collective. Cette procédure est née d’un litige concernant le DES, une hormone de synthèse. Dans les années 80, plusieurs utilisateurs de ce produit médicamenteux ont des troubles physiques. Six personnes ont alors assigné 13 fabricants en justice. Après que la Cour suprême néerlandaise ait rendu sa décision, un centre a ouvert ses portes afin d’enregistrer les personnes qui ont souffert de préjudices corporels du fait de l’absorption de cette substance. Après très peu de temps, plus de 18 000 personnes s’inscrivirent sur ce registre et une négociation fut amorcée avec les assureurs et les entreprises pharmaceutiques. Cette négociation a alors conduit à la création d’un fond d’indemnisation alimenté par ces derniers par une somme de 35 millions d’euros. Il s’agissait alors de prévoir une indemnisation pour l’ensemble des ressortissants néerlandais, utilisateurs du produit, estimé à 440 000 personnes. Afin de garantir l’effectivité du système, il est apparu nécessaire aux protagonistes que des recours individuels parallèles ne puissent pas être formés 744. Ainsi le législateur a dû intervenir pour prévoir les 718F modalités de la transaction en adoptant la loi de 2005 745. La transaction intervenue dans le litige 719F relatif à l’hormone de synthèse fut alors homologuée par le juge en 2006 746. 720 F 490. On notera qu’il existe aux Pays-Bas une action en représentation 747. Cette action en représentation 721F est ouverte aux associations et aux fondations, qui visent la défense des intérêts personnels des personnes, qui les ont spécifiquement mandatés à cet effet. Cependant, cette procédure ne peut être mise en œuvre que pour demander au juge d’ordonner au défendeur de cesser toute pratique illicite ou dommageable, mais sont exclues les demandes en indemnisation. Ainsi le mécanisme de transaction collective peut apparaître comme complémentaire du mécanisme d’action en 744 M.-J. Van Der Heijden, Class actions/actions collectives, National Report: Nederland’s, p. 3, in Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, The Sixth Annual Conference on Strategies for Litigating, May 6 & 7, 2010, Renaissance Seattle Hotel in Seattle, WA. 745 Loi du 23 juin 2005 portant modification du Code civil et du Code de procédure civile, déstinée à faciliter le règlement collectif des litiges de masse (Wet collectieve afhandeling massaschade, WCAM), qui a introduit un article 7-907-910 BW dans le Code civil et les articles 1013 à 1018 Rv dans le Code de procédure civile. 746 Amsterdam Court of Appeals 1 June 2006, LJN: AX6640, (it endorsed HR 9 October 1992, NJ 1994, 1994, 535 (DES); Frenk 2006, p. 149-153. 747 Article 3:305a-c du Code civil (Burgerlijk Wetboerk – BW). 228 représentation. Une association porte l’affaire devant le juge afin d’obtenir un jugement déclaratoire reconnaissant la responsabilité de l’entreprise. Et ensuite, en se prévalant de ce jugement, elle négocie un accord avec l’entreprise reconnue responsable afin de déterminer le montant de l’indemnisation à octroyer aux personnes lésées. Elle fait alors homologuer l’accord dans le cadre d’une transaction collective 748. Cela fut le cas dans une affaire relative à des polices d’assurance sur 72F la vie 749. Cependant, dans la plupart des cas traités jusqu’à présent, la transaction collective a été 723F utilisée de manière autonome 750. 724F 491. Le mécanisme de la transaction collective. La procédure de transaction collective néerlandaise consiste à faire reconnaître par le juge le caractère contraignant d’un accord trouvé entre un organisme de représentation et une contrepartie publique ou privée sur l’indemnisation à octroyer aux personnes lésées non identifiées du fait d’une pratique de cette contrepartie 751. Les deux parties 725F à l’accord adressent une demande conjointe au juge 752. Cette procédure est ouverte à toute 726F association, organisme ou fondation public ou privé qui sont habilités à défendre les intérêts des personnes lésées en vertu de leur objet statutaire ou de manière ad hoc. Elle peut être mise en œuvre pour tout type de litige dès lors que la demande est de nature indemnitaire. Les associations vont agir en dehors de tout mandat octroyé par les victimes potentielles et le règlement trouvé s’appliquera à toute victime, sauf si ces dernières refusent expressément de participer à l’accord. Le système retenu est celui de l’opt out 753. Le juge 754, qui considère la transaction valide, ordonne une première 72F 728F notification de la transaction. Cette notification doit être directe dès lors que les personnes représentées sont identifiées nommément. Pour les autres, une publicité dans les journaux ou sur des 748 M.-J. Van Der Heijden, Class actions/actions collectives, National Report: Nederland’s, p. 6, in Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, The Sixth Annual Conference on Strategies for Litigating, May 6 & 7, 2010, Renaissance Seattle Hotel in Seattle, WA. 749 Amsterdam Court of Appeals, 29 April 2009, LJN: BI2717 (Vie d’Or). 750 M.-J. Van Der Heijden, Class actions/actions collectives, National Report: Nederland’s, p. 18, in Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, The Sixth Annual Conference on Strategies for Litigating, May 6 & 7, 2010, Renaissance Seattle Hotel in Seattle, WA. 751 Article 7:907(1) BW : ‘[a]n [settlement] agreement concerning the compensation for damages caused by an event or similar events entered into by a foundation or association with full legal capacity with one or more other parties, who undertake thereby to compensate these damages, may, upon the joint request of the parties that have concluded the agreement, be declared binding by the court upon [the class of] persons to whom the damages have been caused, provided the foundation or association, by virtue of its articles of association, represents the interests of these persons’. 752 M.-J. Van Der Heijden, Class actions/actions collectives, National Report: Nederlands, p. 10, in Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, The Sixth Annual Conference on Strategies for Litigating, May 6 & 7, 2010, Renaissance Seattle Hotel in Seattle, WA. 753 M.-J. Van Der Heijden, Class actions/actions collectives, National Report: Nederlands, p. 4, in Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, The Sixth Annual Conference on Strategies for Litigating, May 6 & 7, 2010, Renaissance Seattle Hotel in Seattle, WA. 754 La Cour d’appel d’Amsterdam a compétence exclusive en premier et dernier ressort pour connaître des demandes d’homologation de trannsaction collective, Article 1013(3) Rv. 229 sites Internet pourra avoir lieu 755. Ces dernières peuvent alors formuler des objections concernant les 729F termes de la transaction. Une audience est organisée. A l’issue de cette audience, le juge ordonne une seconde notification de la transaction, possiblement modifiée. Alors les personnes lésées peuvent s’exclure de la procédure dans le délai imparti. Au terme de ce délai, la transaction sera déclarée définitive. Elle aura alors un effet contraignant pour toutes les personnes qui ne se sont pas exclues. 492. Les éléments de la transaction. La transaction doit comprendre une description du groupe de personnes représentées à l’accord. Des distinctions peuvent être faites en fonction de la nature du dommage causé et de son importance. Une estimation du nombre de personnes concernées sera exigée. Ensuite, la transaction doit comprendre le montant de l’indemnisation sur lequel porte l’accord, les conditions exigées pour l’obtention de cette indemnisation, la méthode retenue pour déterminer le montant individualisé de cette indemnisation et les formalités à accomplir pour obtenir cette somme. Enfin, l’adresse à laquelle doivent être envoyées les demandes d’exclusion si les termes de l’accord ne conviennent pas à la personne lésée et le délai dans lequel cette exclusion est possible seront précisés 756. 730 F 493. Les conditions d’homologation de la transaction par le juge. Le contrôle du juge consiste à vérifier que le montant de la compensation n’est pas déraisonnable au vu du préjudice subi par les personnes représentées; que le défendeur a agi avec suffisamment de garanties, que l’association qui a négocié l’accord représente de manière adéquate les intérêts des personnes lésées et que le nombre de demandeurs potentiels est suffisant pour justifier le recours à cette procédure. Cependant, la Cour saisie de la demande d’homologation peut prendre en compte d’autres éléments. Ainsi, par le cas Shell en matière boursière 757, la Cour a fixé un seuil relatif au nombre de personnes demandant à 731F être exclues pour déterminer si l’accord pouvait être homologué. Sur la base de l’estimation donnée des personnes lésées, elle a considéré que si plus de 5% de ces personnes demandaient à être exclues 755 Article 1013(5) Rv. Article 7:907(2)(a)-(f) BW. 757 Amsterdam Court of Appeals 29 May 2009, LJN: BI5744 (Shell Petroleum N.V. and the Shell Transport and Trading Comp Ltd et al v. Dexia Bank Nederland N.V. et al). Dans cette affaire, la société Shell était mise en cause par ses actionnaires pour avoir divulguée de fausses informations ayant eu des repercussions negatives sur les cours de bourses sur la période du 8 avr. 1999 au 18 mars 2004. Cette transaction fut particulièrement médiatisée, car ce fut la première transaction internationale. En effet, la transaction concernait tous les porteurs de titres à l’exception de ceux dont les titres étaient enregistrés à la bourse de New York, M.-J. Van Der Heijden, Class actions/actions collectives, National Report: Nederlands, p. 13, in Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, The Sixth Annual Conference on Strategies for Litigating, May 6 & 7, 2010, Renaissance Seattle Hotel in Seattle, WA. 757 Article 3:305a-c du Code civil (Burgerlijk Wetboerk – BW). 756 230 de la transaction, elle refusera l’homologation de cette dernière 758. Le contrôle du juge, bien que 732 F limité dans les textes, se révèle beaucoup plus important en pratique. Les juges néerlandais n’hésitent pas à utiliser leur pouvoir discrétionnaire pour ordonner des mesures et influer sur les termes de l’accord. En effet, la Cour a pu recourir à des experts pour vérifier que l’indemnisation proposée correspondait raisonnablement au préjudice subi 759. 73F §2) La transaction collective néerlandaise : les limites de l’adaptation des MARC au règlement des litiges de masse 494. Cette procédure hors norme amène à s’interroger sur deux points. Tout d’abord, les modalités de mise en œuvre de cette procédure sont très proches des modalités de la class action américaine et que bien que cette transaction résulte à l’origine d’un accord entre partie, elle s’apparente au terme du processus à la procédure américaine de la class action. Rappelons que 95% des litiges de masse aux Etats-Unis se règlent sur la base d’une transaction 760. Ainsi sous couvert de transaction 734F collective, le législateur néerlandais a fait le choix de transposer la procédure américaine au PaysBas, avec y compris un système d’opt out. Les Pays-Bas ont un système de droit civiliste. Ils ont dû modifier tant le Code civil que le Code de procédure civile et adopter des règles dérogatoires au droit commun pour cette procédure 761. Il est possible de se demander si le simple fait de recourir à 735 F une procédure transactionnelle suffit à justifier la dérogation consentie aux principes procéduraux fondamentaux qui gouvernent la procédure civile dans les pays de droit de tradition romanogermanique. Cette question de la justification de règles dérogatoires au droit commun en la matière sera abordée dans la seconde partie des développements en s’interrogeant sur le champ et la finalité de l’action de groupe. 495. Ensuite, il est possible de se demander si les MARC sont appropriés pour traiter des litiges de masse. En effet, l’objet de ces procédures d’action collective est de garantir l’accès au juge pour les personnes lésées. Dans ce but, la rationalisation des procédures judiciaires ou extrajudiciaires est 758 M.-J. Van Der Heijden, Class actions/actions collectives, National Report: Nederlands, p. 10, in Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, The Sixth Annual Conference on Strategies for Litigating, May 6 & 7, 2010, Renaissance Seattle Hotel in Seattle, WA. 759 M.-J. Van Der Heijden, Class actions/actions collectives, National Report: Nederlands, p. 16, in Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, The Sixth Annual Conference on Strategies for Litigating, May 6 & 7, 2010, Renaissance Seattle Hotel in Seattle, WA 760 Voir Empirical research on Class Actions in USA, rapport du Dr Christopher Hodges, p. 4, présenté lors de la conférence The Globalization of class actions, co-organisée par Stanford Law School et the Centre for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 déc. 2007. 761 M.-J. Van Der Heijden, Class actions/actions collectives, National Report: Nederland’s, p. 6, in Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, The Sixth Annual Conference on Strategies for Litigating, May 6 & 7, 2010, Renaissance Seattle Hotel in Seattle, WA. 231 recherchée, afin de permettre que le plus grand nombre de demandes soit traité. Or pour parvenir à ce résultat, une publicité doit entourer les actions engagées par les demandeurs eux-mêmes ou par leur représentant, personne morale. Une contradiction semble exister entre le mode de résolution amiable des litiges, qui se veut discret et l’exigence de publicité dans ce type de litige. Ensuite, si même la solution repose sur un accord à l’amiable, il semble in fine nécessaire de recourir au juge afin de permettre un règlement efficient du litige. La publicité de la transaction nécessite une intervention a priori du juge pour éviter tout risque d’abus. De même, le fait que l’accord soit négocié par un représentant non mandaté par les personnes qu’elle vise à défendre nécessite que des précautions soient prises et qu’un contrôle de la représentativité de cet organisme soit opéré par le juge. 496. Conclusion de la Section 1. L’exemple de la transaction collective néerlandaise montre que les modes alternatifs de résolution des litiges ne peuvent à eux-seuls apparaître comme un moyen satisfaisant pour résoudre les litiges de masse. L’adoption d’une procédure judiciaire efficace et efficiente semble nécessaire dès lors que l’on aspire à un traitement rationalisé des litiges comportant un grand nombre de demandeurs. En revanche, le recours aux MARC peut apparaître souhaitable comme complément de l’action collective. 232 SECTION 2) LES MARC, COMPLEMENT A L’ACTION COLLECTIVE 497. Les modes de résolution alternatifs des conflits sont des solutions à ne pas écarter et même à favoriser en particulier dans les contentieux économiques de masse. Tout d’abord, il est possible d’envisager les MARC, et en particulier la médiation, en tant que mode alternatif au recours collectif, procédure judiciaire. Tous les litiges ne nécessitent pas un traitement judiciaire des demandes et une solution entre les parties même nombreuses peut être trouvée de manière amiable. Certains pays ont même institutionnalisé ces procédures alternatives de règlement des litiges en mettant en place des structures appropriées et en désignant un médiateur spécialement habilité à cet effet (§1). Ensuite, il est aussi possible d’envisager les MARC, comme une phase du recours collectif. En effet, comme proposé par la Direction Générale de la Concurrence, il pourrait être distingué entre la phase de jugement sur la responsabilité de l’auteur de la pratique et la phase d’indemnisation du préjudice. La médiation interviendrait pour la seconde phase. Dans ce cas, deux options seraient possibles, soit les personnes représentées formulent directement leur réclamation auprès de l’entreprise, dont la responsabilité aurait été reconnue, soit la personne à l’origine du recours collectif se charge de recueillir les réclamations et de négocier l’accord général avec l’entreprise (§2). §1) Du développement de la médiation à la self régulation encadrée par les autorités en charge de la consommation : les voies proposées 498. La Commission a déclaré qu’« une résolution non-judiciaire volontaire des demandes de dommages-intérêts peut souvent être préférable pour les victimes ainsi que pour les contrevenants, étant donné que cette résolution ne comporte pas les mêmes coûts et le même fardeau de la preuve que les procédures judiciaires, et elle permet en général la résolution rapide des questions en jeu. Cependant, la résolution extrajudiciaire des différends (ADR) et d'autres mécanismes volontaires ne peuvent être efficaces et efficients que s’il existe une autre option efficace pour la victime qui ne nécessite pas l’obtention de l’accord de l’auteur de l’infraction » 762 736F . C’est ainsi que les MARC seront abordées dans cette partie, en tant que complément à l’action de groupe et non comme alternative. 762 Document de travail des Services de la Commission, accompagnant le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 16, point 41. 233 499. Parmi les modes alternatifs de résolution des litiges, la médiation connaît un essor, depuis plusieurs années, en matière économique et commerciale, et de nombreuses entreprises y ont recours en cas de litige avec leur cocontractant. Bien qu’elle ait pu être envisagée comme une mesure collective, elle présente un intérêt en tant que mesure individuelle, apparaissant comme un complément satisfaisant à l’action de groupe (A). Certains pays, en particulier les pays scandinaves, ont favorisé ces modes de résolution des litiges en mettant en place des structures intermédiaires encadrées par un médiateur, appelé en Scandinavie, le « Ombudsman ». Ces structures sont organisées pour permettre le règlement des litiges concernant plusieurs demandeurs (B). A) L’essor de la Médiation 500. En 2008, au terme d’un processus débuté en 2002 763, le Parlement européen et le Conseil ont 73F adopté une directive sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale, qui vise à encourager l’utilisation de la procédure de médiation dans les litiges transfrontaliers 764. En 2004, un 738F Code de conduite du médiateur avait également été adopté au niveau communautaire 765. 739F 501. La définition. La médiation se définit comme « un processus structuré, quelle que soit la manière dont il est nommé ou visé, dans lequel deux ou plusieurs parties à un litige tentent par elles-mêmes, volontairement, de parvenir à un accord sur la résolution de leur litige avec l’aide d’un médiateur. Ce processus peut être engagé par les parties, suggéré ou ordonné par une juridiction ou prescrit par le droit d’un État »766. 740F 502. Les avantages de la procédure pour les litiges de masse. Cette procédure présente de nombreux intérêts pour les justiciables. D’après la Commission, ces mesures « sont généralement plus courtes et moins couteuses pour les consommateurs que les procédures judicaires et leur flexibilité offre des avantages en permettant une approche adaptée et spécifique du litige »767. Dans les litiges de masse, 741 F les obstacles soulevés à l’introduction d’une action individuelle sont les coûts de la procédure judiciaire, mais également les lourdeurs de la procédure. Le demandeur doit notamment apporter les 763 Livre vert sur les modes alternatifs de résolution des conflits relevant du droit civil et commercial, COM(2002) 196 final, Non publié au Journal officiel. 764 Directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale, JO L 136 du 24 mai 2008, p. 3–8. 765 Code de conduite européen des médiateurs, 2 juill. 2004, Disponible à l’adresse suivante : http://ec.europa.eu/civiljustice/adr/adr_ec_code_conduct_en.html. 766 Directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale, JO L 136 du 24 mai 2008, p. 3–8, art. 3(a). 767 Consultation paper for discussion on the follow-up to the Green Paper on Consumer Collective Redress, p. 5, point 12. 234 éléments de preuve au soutien de ses prétentions, ce qui n’est pas toujours aisé dans les litiges en matière commerciale. Ainsi dans certains cas, la recherche d’une solution amiable avec l’entreprise peut apparaître plus efficace. De même, les demandeurs seront plus enclins à porter réclamation à titre individuel dès lors que les démarches à accomplir sont aisées. Enfin, il est possible de s’interroger sur l’opportunité d’aller porter son action devant les tribunaux pour un préjudice s’élevant à quelques dizaines d’euros. Ce litige pourrait être résolu par l’octroi par une entreprise de bon d’achats ou d’une ristourne sur facture. Les solutions, qui pourraient être apportées dans la cadre d’une procédure négociée, peuvent apparaître plus adaptées à la résolution de certains litiges. 503. Le développement de la médiation. Ce mode alternatif de résolution des litiges est fortement encouragé. Des centres de médiation ont vu le jour au niveau national. Des règlements d’encadrement de la procédure ont été adoptés dans le cadre de ces centres. Les entreprises, ellesaussi, se sont engagées à développer ce mode alternatif de résolution des litiges 768. Ainsi, les 742F banques françaises se sont dotées d’un médiateur, dont le rôle consiste à recevoir les demandes des clients de la banque dès lors qu’aucune solution n’a pu être trouvée directement entre les deux parties 769. 743F 504. Les garanties à prévoir en vue d’une procédure efficiente. Cependant, pour garantir un système de résolution des litiges efficient, certaines conditions à l’exercice de cette procédure doivent être requises. Certaines de ces conditions ont été identifiées par la directive sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale 770. Tout d’abord, la directive souligne la nécessité de 74F garantir une articulation saine entre la médiation et la procédure judiciaire. Le juge doit promouvoir ce mécanisme en informant les parties sur la possibilité qui leur est offerte. Il est important de veiller, au sein des Etats membres, à ce que les règles de prescription ne soient pas un obstacle à la saisine du juge ou au recours à l’arbitrage, si la médiation échoue. En outre, une clause de confidentialité des échanges doit être prévue, afin d’empêcher que les informations divulguées ne puissent être utilisées en dehors de cette procédure, notamment dans le cadre d'une procédure judiciaire ultérieure. L'accord trouvé entre les parties, au terme du processus de médiation, doit également pouvoir être rendu exécutoire, soit par un jugement, soit par un acte authentique. Ensuite, des garanties doivent être données aux utilisateurs quant à l’indépendance et la formation du 768 A-M. Guillerme, et A. Job, A vos MARC ! (Ou comment éviter la course judiciaire), Option Droit & Affaires, n° 39, 15 juillet 2010. 769 C. mon. fin., art. L. 312-1-3. 770 Directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale, JO L 136 du 24 mai 2008, p. 3–8. 235 médiateur. La Direction générale de la Santé et de la Consommation de la Commission européenne a publié un document de consultation sur le recours au règlement extrajudiciaire des litiges pour régler des litiges relatifs aux transactions et aux pratiques commerciales dans l’Union européenne en janvier 2011 771. Dans ce document, elle s’interroge sur les gages d’indépendance offerts par les 745F médiateurs des entreprises, qui sont rémunérés par les entreprises. Un encadrement de la procédure doit être prévu pour garantir un système efficace dans lequel les justiciables auront confiance. 505. La médiation collective. Enfin, il aurait pu être imaginé de mettre en place une médiation collective. A l’occasion de la préparation des actes nécessaires à la transposition, en droit positif français, des dispositions de la directive, de 2008, sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale 772, une procédure de médiation collective aurait pu être envisagée. Par 746F exemple, une association de défense pourrait être autorisée à engager des négociations, au nom d’un groupe de personnes lésées, pour trouver avec la société concernée une solution à l’amiable. Cependant, s’il lui est permis d’agir au nom d’un groupe de personne non défini, la situation est la même que pour la transaction collective. Un recours au juge, pour ordonner la publicité, est nécessaire et l’accord doit être rendu public. Dans un second cas, l’association agit pour les personnes qui l’ont mandaté à cet effet. Alors la médiation individuelle suffit, l’association étant réputée agir au nom et pour le compte de ces personnes. Dans ce second cas, la question de l’obtention des mandats se pose encore. L’idée d’une procédure de médiation collective ne semble pas appropriée. 506. La médiation, le complément d’une procédure judiciaire. Pour certains litiges de masse, notamment pour les litiges de faibles valeurs, la médiation peut permettre l’indemnisation des personnes lésées, qui du fait de la simplification de la procédure seront incitées à agir individuellement. Cette mesure peut apparaître comme la mesure la plus efficiente du fait de la flexibilité qu’elle offre. Cependant rappelons que ce mécanisme repose exclusivement sur la bonne volonté des parties. Si l’une des parties n’est pas prête à jouer le jeu, il ne sera pas possible de parvenir à un accord. Ainsi, la médiation ne peut apparaître que comme un mode complémentaire à 771 Ce document est disponible à l’adresse suivante : http://ec.europa.eu/dgs/health_consumer/dgs_consultations/ca/adr_consultation_18012011_en.html. La Consultation s’est déroulée du 18 janv. 2011 au 15 mars 2011. 772 Avant projet d’ordonnance portant transposition de la directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 mai 2008, sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale ; Avant-projet de décret n° du relatif à la résolution amiable des différends, textes disponibles à l’adresse suivante : http://www.textes.justice.gouv.fr/projets-de-reformes-10179/mediation-en-matiere-civile-et-commerciale-22286.html 236 la procédure judiciaire de l’action collective. Il est alors intéressant d’étudier les mécanismes mis en place dans les pays scandinaves, qui ont institutionnalisé la rationalisation du traitement des litiges de masse en mettant en place des bureaux de réclamations où un médiateur (Ombudsman) tente de trouver avec les différentes parties une solution à l’amiable. Le système finlandais est un exemple de la complémentarité entre ces bureaux de réclamations et l’action collective. B) Le développement de la self regulation encadrée par les autorités en charge de la protection des consommateurs : l’exemple des pays scandinaves 507. Les bureaux des plaintes dans les pays scandinaves. Il ressort de l’étude menée par la DG Sanco de la Consommation dans le cadre de l’élaboration de son Livre vert sur les recours collectifs pour les consommateurs 773 que les modes alternatifs de résolution des litiges en matière de droit de la 74F consommation sont particulièrement développés dans les pays scandinaves, en particulier en Suède et en Finlande. Dans ces systèmes, il existe des bureaux nationaux de plaintes, qui peuvent être saisis en général par l’Ombudsman chargé de la protection des consommateurs. Le bureau examine alors les éléments de l’affaire et formule des recommandations qui ne sont pas des mesures contraignantes. Les recommandations visent alors l’ensemble des personnes lésées (opt out) 774. 748F 508. La complémentarité du Bureaux des Consommateurs et de l’action collective : l’exemple finnois. En Finlande, la procédure d’action collective adopté en 2007 775 749F a été conçue au regard de ce système des Bureaux des plaintes comme une procédure complémentaire nécessaire à l’efficacité du traitement des demandes dans les litiges de masse. En effet, sur le modèle décrit ci-dessus, il existe en Finlande un Bureau des Consommateurs qui émet des recommandations lorsqu’il est saisi par l’Ombudsman chargé des affaires de consommation d’un différent opposant un professionnel à un groupe de consommateurs. En cas de non respect de cette recommandation, l’ombudsman chargé des affaires de consommation est alors autorisé à agir en justice pour la défense des intérêts personnels de l’ensemble des consommateurs lésés. Le législateur finnois a limité l’ouverture de 773 Livre vert sur les recours pour les consommateurs, du 27 nov. 2008, COM(2008) 794 final. Consultation paper for discussion on the follow-up to the Green Paper on Consumer Collective Redress, p. 5, point 9 : « en Suède et en Finlande, les demandes multiples sont introduites auprès des bureaux nationaux des plaintes. Alors qu’en Suède, certaines demandes peuvent être initiées par le médiateur (ombudsman) à la consommation, une association de consommateurs ou un syndicat, en Finlande, elles peuvent seulement être introduites par un médiateur (ombudsman). En Suède comme en Finlande, ces procédures sont basées sur un principe d’opt out. Les bureaux des plaintes suédois et finlandais établissent un instrument non contraignant dans lequel ils formulent des recommandations pour la résolution du litige. En Slovénie, une loi est en préparation laquelle envisage la création d’un bureau d’arbitrage lequel pourrait connaître des recours collectifs ». 775 Loi n° 444/2007 sur les actions de groupe. 774 237 cette procédure d’action collective aux demandes de l’Ombudsman. En contrepartie, le système retenu est celui de l’opt out 776. 750F §2) Le développement des MARC en tant qu’étape de l’action de groupe 509. La médiation a été aussi envisagée par les pouvoirs publics communautaires et nationaux comme partie intégrante de l’action collective. Une médiation pourrait ainsi intervenir à tout moment de la procédure dès lors qu’un accord semble possible entre les parties. Mais la médiation pourrait également être imposée par le juge pour la détermination de l’indemnisation une fois le principe de responsabilité tranchée. Dans les deux cas de figure une homologation de l’accord semble nécessaire. 510. La médiation pour la détermination du montant de l’indemnisation. Au niveau communautaire comme au niveau national, les pouvoirs publics ont imaginé des systèmes d’action collective en plusieurs étapes. Ainsi, la Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne en 2005, dans son Livre vert sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante 777 a proposé de séparer le 751F jugement sur la responsabilité de la phase de détermination du montant des dommages et intérêts, afin de laisser une place à la transaction 778. Le juge se prononcerait sur la responsabilité de 752F l’entreprise, avant de laisser, les parties, négocier le montant de l’indemnisation. Bien que ce schéma n’ait pas été privilégié par l’auteur, dans ses hypothèses précédentes, toutes les possibilités, offertes aux pouvoirs publics, doivent être étudiées. Le recours à la médiation permettrait, tout d’abord, de soulager le juge du traitement des demandes individuelles d’indemnisation. Ensuite, la négociation de la solution indemnitaire permettrait de contourner le principe indemnitaire, afin de pallier les difficultés de détermination du préjudice. Le juge pourrait déterminer le cadre de négociation pour faciliter la médiation. Cependant, il semble, dans ce cas, nécessaire qu’une possibilité soit prévue de revenir devant le juge pour faire homologuer l’accord s’il est trouvé ou pour obtenir une solution judiciaire, à la question, si aucun accord n’a pu être trouvé. De même, un délai pourrait être fixé afin de ne pas faire durer inutilement la procédure en cas de désaccord inextricable. Enfin, le recours à la médiation, à ce stade, nécessiterait une nouvelle publicité de l’accord, car, comme toute solution 776 A. Jokela, Class Actions in Finland, p. 1, in Class Actions, Featuring a national panel of leaders from the court and from both sides of the class action bar, The Sixth Annual Conference on Strategies for Litigating, May 6 & 7, 2010, Renaissance Seattle Hotel in Seattle, WA. 777 Le Livre vert de la Commission européenne du 19 déc. 2005, intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante » COM(2005) 672 final. 778 Voir Propositions de l’Etude Ashurst, Comparative Report, op. cit., p. 11-12. 238 conventionnelle, elle doit se faire avec le consentement des parties. Cette exigence aura pour effet d’allonger d’autant la procédure et entraînera alors de nouveaux frais. Bien que cette solution présente certains avantages, elle risque de complexifier le déroulement de la procédure d’action collective, qui est déjà par nature plus long que les procédures individuelles. 511. La médiation, à tout moment de l’audience. Une proposition de loi française du 22 décembre 2010 tendant à renforcer la protection des consommateurs par la création d'une action de groupe fondée sur l'adhésion volontaire 779 prévoit également la médiation au sein de l’action permettant à 753F tout moment que soit engagée une procédure de médiation entre l’association qui conduit la procédure pour la défense des intérêts des consommateurs et l’entreprise. La proposition sénatoriale prévoit que « Les articles L. 412-11 à L. 412-13 organisent les médiations qui pourraient, le cas échéant, être organisées entre le professionnel et les consommateurs lésés en vue d'un accord indemnitaire. À compter de l'engagement de l'action de groupe, seule l'association requérante ou l'association ayant été désignée chef de file pourrait participer à une médiation au nom du groupe. Le juge aurait la possibilité d'inviter les parties à se soumettre à une médiation conduite par un médiateur qu'il désigne. L'accord éventuellement conclu à l'issue de la médiation serait soumis à homologation par le juge afin qu'il s'assure qu'il ne porte pas atteinte aux droits des consommateurs intéressés et qu'il lui confère force exécutoire ». Il est alors intéressant de noter que le recours au juge pour l’homologation de l’accord est là encore prévu. Si un accord était trouvé, il sera nécessaire d’organiser la publicité de l’accord afin de recueillir le consentement des parties à l’accord. 779 Proposition de loi tendant à renforcer la protection des consommateurs par la création d'une action de groupe fondée sur l'adhésion volontaire, présentée par le Sénateur, M. Béteille au Sénat, le 22 déc. 2010 239 240 CONCLUSION DE LA PARTIE 1 512. L’action de groupe un choix nécessairement réfléchi et encadré. L’action de groupe fait une place au justiciable individuel dans la résolution des litiges de masse. Le domaine gardé des associations de défense agréées dans les pays européens de droit de tradition romano-germanique serait donc accessible à tout à chacun et étendue au profit de toute victime potentielle. Ce développement ne sera pas insurmontable, d’un point de vue procédural, dès lors que des conditions strictes de représentativité et d’opportunité de la procédure seraient posées. De même, un encadrement par le juge de la publicité de l’action alors nécessaire à son exercice est indispensable. Et enfin seul un système d’opt in est de nature à garantir les droits fondamentaux qui gouvernent l’action en justice. 513. Des alternatives à considérer. Cependant, cette modalité la plus extrême de la résolution des litiges de masse connaît des alternatives possibles. L’action en représentation, dès lors qu’elle serait remodelée, pourrait constituer une de ces alternatives. De même, la procédure « modèle » peut être utilement envisagée car bien que non représentatives, elle permet de rationaliser le traitement par le juge des demandes multiples et similaires. 514. Des besoins à déterminer. Le choix parmi ces procédures dépend in fine des besoins exprimés en Europe. S’agit-il simplement de pallier au manquement de moyens de la justice, en recherchant à rationaliser le traitement des demandes multiples et similaires ou de renforcer le droit d’accès au juge dans certains litiges où les obstacles sont tels qu’ils empêchent l’effectivité du droit à réparation des justiciables ? En outre, s’agit-il de renforcer la répression à l’encontre des entreprises contrevenantes en favorisant les recours civils ? 515. Une initiative législative à opérer. Quelques soient les besoins rencontrés, il est important de légiférer en la matière car l’on voit se multiplier les initiatives privées qui tendent plus à favoriser un commerce de la justice qu’à garantir l’effectivité du droit à réparation des victimes. L’instauration d’une ou de plusieurs procédures d’action collectives en droit national servirait à renforcer la sécurité juridique des entreprises. 241 516. Une place pour les MARC. Enfin, il ne faut pas oublier de développer les modes alternatifs de résolution des litiges qui apparaissent comme des compléments précieux à l’action collective. Ils ne peuvent en aucun cas se substituer à une procédure judiciaire. Cependant, tous les litiges ne nécessitent pas un recours au juge. Ainsi ils sont de nature à permettre d’une part le désengorgement des tribunaux et ils concourent d’autre part à maintenir un équilibre dans notre société afin que celleci ne tend pas vers le « tout judiciaire ». Les questions de la finalité et du champ des actions collectives en Europe, questions déterminantes des modalités de mise en œuvre de ces procédures doivent être étudiées. 242 PARTIE II : LES ACTIONS COLLECTIVES : ENJEUX ET FINALITES 517. Le débat de l’introduction en Europe d’une procédure d’action de groupe à l’américaine n’est pas nouveau puisque déjà dans les années 90, à la suite des grands procès touchant à la santé publique aux Etats-Unis, les gouvernements européens se sont déjà interrogés sur l’opportunité d’introduire dans leur droit positif une telle procédure. Le débat est revenu sur le devant de la scène au début des années 2000 avec une initiative de la Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne (ci-après « DG Concurrence »). Cette dernière a engagé un processus de consultation, toujours en cours, sur les moyens à adopter pour favoriser les recours civils, et ce y compris des recours collectifs, en cas de violation au droit de la concurrence. Sa démarche consiste alors à améliorer l’effectivité du droit de la concurrence afin de parvenir à un meilleur fonctionnement du marché intérieur et à garantir ainsi le bien-être des consommateurs. En parallèle, la Direction Générale de la Santé et de la Consommation de la Commission européenne (ci-après « DG Sanco »), elle aussi, a formulé des propositions visant à l’introduction de recours collectifs, mais pour les violations au droit de la consommation. Deux projets très différents sont ainsi nés de l’action de la Commission européenne à une même période. 518. Plan. Ces initiatives permettent alors de s’interroger sur la finalité et les besoins de l’action de groupe (Titre 1) En outre, ces initiatives et les réflexions menées au sein des Etats membres posent la question du rôle respectif de l’Union européenne et des Etats membres dans l’adoption d’une nouvelle procédure judiciaire. Un point sera consacré aux choix qui s’offrent au législateur français (Titre 2). 243 244 TITRE I : LES ACTIONS COLLECTIVE : ENJEUX D’UNE POLITIQUE PUBLIQUE 519. Les initiatives de la Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne et celle de la Direction Générale de la Santé et de la Protection des consommateurs sont très intéressantes car elles permettent de s’interroger sur les besoins d’une telle procédure et sur sa finalité. Comme mentionné dans la première partie, l’objectif premier des procédures d’actions collectives est de rationaliser le traitement des demandes en justice dans un souci de bonne administration de la justice. 520. Le projet de la DG Concurrence va au-delà de cet objectif en proposant outre l’introduction d’action de groupe des modalités de mise en œuvre de cette action facilitée et un assouplissement des règles de la responsabilité civile. Sur le modèle américain du private enforcement, elle propose une mise en œuvre du droit par l’action du justiciable privé devant les juridictions civiles. Ainsi se pose la question de la comptabilité de la démarche de la DG Concurrence avec la conception de la justice civile dans les pays européens de droit de tradition romano-germanique. De plus, les propositions d’assouplissement des règles actuelles, telle le recours à la Discovery pour faciliter la recherche de la preuve ou l’introduction de dommages et intérêts punitifs doivent être examinées au regard des solutions existantes dans ces pays (Chapitre 1). 521. La DG Sanco vise le renforcement du droit d’accès aux juges pour les consommateurs et ainsi le renforcement de l’effectivité de leur droit à réparation. Compatible avec l’approche civiliste de la justice civile, la démarche de la DG Sanco permet de s’interroger sur les priorités d’actions à déterminer afin de parvenir à un instrument judiciaire efficace. Toujours dans ce souci d’efficacité et d’efficience, il faut également envisager la question du financement de l’action qui ne doit pas se confondre avec l’incitation financière à agir (Chapitre 2). 245 246 CHAPITRE I : LE RENFORCEMENT DE L’EFFECTIVITE DE LA POLITIQUE REPRESSIVE 522. Le débat sur le recours à l’action de groupe afin de faciliter l’accès au juge pour les justiciable a été posé tout d’abord par la Direction générale de la Concurrence de la Commission. Cette dernière a envisagé une réforme de la procédure civile et de la responsabilité dans les Etats membres afin de faciliter les recours civils en matière de droit de la concurrence. Cette initiative de la Commission a donné lieu à un Livre vert en décembre 2005 780, à un Livre blanc en avril 2008 781, puis à un projet 754F 75F de directive 782 qui n’a pas abouti. 756F 523. La démarche poursuivie par la Commission est de proposer une réforme tant des procédures civiles en introduisant notamment les actions collectives que du droit de la responsabilité civile et de sa mise en œuvre dans le cadre des règles de droit commun de la procédure civile. Elle s’est fortement inspirée du concept de « private enforcement », connu aux Etats-Unis, qui consiste à prévoir une mise en œuvre du droit par l’action des personnes privées. Cette action vient alors renforcer l’action des pouvoirs publics. Cette conception de l’action privée est permise aux EtatsUnis par des modalités d’exercice de l’action civile adaptées, la procédure de la class action en faisant partie. Ainsi la Commission européenne a tenté d’importer ce concept des Etats-Unis et d’en introduire les modalités au sein de l’Union. Cependant, elle n’a pas tenu compte du contexte d’adoption de ces mesures. En effet, la majorité des Etats membres sont des pays de droit de tradition romano-germanique où l’effectivité du droit repose sur l’action des pouvoirs publics et où la justice civile fut conçue comme le moyen de réparer le dommage causé à autrui (Section 1). 524. Certaines mesures directement importées des Etats-Unis, comme la procédure de Discovery ou les dommages et intérêts punitifs ont rendu plus complexe le débat portant exclusivement sur 780 Le Livre vert de la Commission européenne du 19 déc. 2005, intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante » COM(2005) 672 final. 781 Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final. 782 Proposition de directive relative aux règles régissant les actions en dommages intérêts pour infraction aux articles 81 et 82 du traité, Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, Avr. 2009 ; Cette proposition de directive n’étant plus accessible sur le site de l’Union européenne, il faut voir les documents de la Chambre du Commerce et de l’Industrie qui l’a commenté : Rapport de M. L-B. Krepper avec la collaboration de Mme C. Delacroix, département de droit public et économique, à la Direction Générale Adjointe chargée des Études, de la Prospective et de l’Innovation présenté au nom de la Commission du commerce et des échanges, Proposition de directive sur les actions en dommages et intérêts relatives aux pratiques anticoncurrentielles, Réactions de la CCIP, adopté à l’Assemblée générale du 25 juin 2009, Accessible à l’adresse suivante www.etudes.ccip.fr/fichier?lien=sites%2Fwww...anticoncurrentielles...pdf. 247 l’introduction d’action collective. Ces mesures ont en effet été perçues comme des modalités indispensables à l’exercice de l’action de groupe. Cependant, chacune de ces mesures appartient plus au système judiciaire américain qu’à l’action de groupe elle-même. Il existe des solutions en droit positifs des Etats membres qui apparaissent toutes aussi efficaces et respectueuses des principes fondamentaux existants dans les pays civilistes (Section 2). 525. L’étude ici menée portera sur le rôle des actions civiles en cas de violations des règles du droit de la concurrence. Ce choix s’explique par le fait que l’initiative émane de la Direction Générale de la Concurrence de la Commission. Cependant, les réflexions menées pourraient être valables pour toute autre politique publique, comme pour la politique répressive en matière de violation du droit de l’environnement. Le domaine premier de l’action collective est la responsabilité civile et finalement, la violation du droit, à l’origine de la faute n’a d’incidence qu’à titre secondaire. SECTION 1 : COLLECTIVE LE PRIVATE ENFORCEMENT ET L’ACTION 526. La Direction Générale de la Concurrence de la Commission a formulé depuis 2005 deux séries de propositions. La première série de propositions permet de mettre en lumière la finalité poursuivie par la Commission, qui ambitionne un système venant renforcer sa propre politique répressive. Elle propose alors un système très proche de la procédure civile américaine et de la class action en reprenant notamment certaines modalités d’action propre à la procédure judiciaire américaine (§1). La seconde série de propositions permet quant à elle d’examiner le champ de l’action collective proposée. La Commission entend alors recourir à des procédures d’action collective ouvertes au plus grand nombre et ce, bien qu’elles soient par nature dérogatoires au droit commun. Les nouvelles propositions semblent plus proches des traditions juridiques des Etats membres même si la Commission n’a pas renoncé à en faire un élément de sa politique répressive (§2). 248 §1) Le recours collectif, un outil de la politique répressive de concurrence A) La facilitation des recours civils en droit de la concurrence : constats et propositions initiales 527. Depuis 2003, la Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne a engagé une réflexion sur la possibilité de renforcer l’accès au juge civil en cas de violation du droit de la concurrence. Elle a mandaté le Cabinet Ashurst pour réaliser une étude sur les conditions de réparation des dommages causés par les violations des règles communautaires de la concurrence dans les différents Etats membres de l’Union Européenne, soit dans les 25 pays en 2005, et pour en dresser un état des lieux. L’étude Ashurst a alors constaté le faible nombre de recours civils exercés en cas de violation des règles communautaires de la concurrence et a identifié certains obstacles à l’exercice de l’action, qui permettraient d’expliquer ce constat (1). Forte de ces conclusions, la Commission a élaboré des propositions dans un Livre vert visant à améliorer le système et à introduire des actions de groupe (2). 1) Insuffisances et obstacles à l’action privée en droit de la concurrence 528. Tout d’abord, le Cabinet Ashurst a conclu à une « grande diversité » des pratiques existantes dans les Etats-membres, mais surtout à un « total sous-développement » du volet civil dans les litiges relatifs à une violation des règles communautaires de concurrence 783. Il ressort en effet de l’étude 75F que selon les questionnaires transmis aux Etats membres, seuls 60 cas ont été jugés par les juges nationaux pour les dommages causés par la violation de ces règles. Parmi ces cas, seuls 28 ont abouti au prononcé de dommages et intérêts en faveur du demandeur 784. Il est possible de nuancer, 758F dès à présent, les conclusions du rapport sur le constat en relevant que l’étude Ashurst s’est limitée à la prise en compte du traitement judiciaire des litiges sans considération des autres modes de 783 D. Waelbroeck, D. Slater et G. Even-Shoshan, Etude Ashurst, Comparative Report, Study on the conditions of claims for damages in case of infringement of EC competition rules, 31 Août 2004; voir également Making antitrust damages actions more effective in the EU: welfare impact and potential scenarios, rapport final, Bruxelles, Rome et Rotterdam, 21 déc. 2007, Equipe pédagogique: Centre European Policy Studies (CEPS) Prof. A. Renda (coordinateur), Prof. J. Peysner, Prof. Dr. Alan J. Riley, Prof. Barry J. Rodger, Erasmus University Rotterdam (EUR) Prof. Dr. Roger J. Van Den Bergh, Sonja Keske, Luiss Guido Carli (LUISS), Prof. Roberto Pardolesi, Dr. Enrico Leonardo Camilli, Dr. Paolo Caprile, Rapport pour la Commission européenne, contrat DG COMP/2006/A3/012, p. 9: “As a matter of fact, 17 of the 27 Member States still have no trace of private antitrust damages actions, and also in other Member States private antitrust litigation seems very sparse and related to isolated streams of cases”. 784 Les auteurs du rapport précisent que ces chiffres ne sont pas issus de statistiques, mais qu’il s’agit simplement de la compilation des données communiquées dans les réponses aux questionnaires envoyés par le cabinet Ashurst à chaque Etat, Etude Ashurst, Comparative Report, op. cit., p. 1. De même, aucune période de temps n’est mentionnée dans le rapport concernant l’exercice de ces affaires. 249 résolution des conflits, tels que la transaction 785. Il y a eu, depuis 2004, un développement des 759F actions civiles faisant suite à des pratiques anticoncurrentielles. A titre d’exemple, les chiffres du Bundeskartellamt, l’autorité de la concurrence allemande, retranscrits dans le papier de position du Bundesverband der Deutschen Industrie (BDI), l’association des représentants de l’industrie allemande, du 3 juillet 2008 sur le Livre blanc de la Commission européenne 786 peuvent être relevés. 760F D’après le BDI, entre 2004 et 2007, 1 057 affaires ont été introduites devant les juridictions civiles. Parmi ces affaires, 300 demandes ont donné lieu au prononcé de dommages et intérêts, dont 123 pour la seule année 2007 787. 761F 529. Au-delà de ce constat négatif, le rapport Ashurst a identifié plusieurs obstacles à l’exercice du droit à réparation des victimes de pratiques anticoncurrentielles 788. Tout d’abord, il souligne 762F l’absence de juridictions spécialisées, dans la majorité des Etats membres de l’Union. Selon le rapport, cela conduit à un manque d’expertise des juges, qui rencontrent alors, le cas échéant, des difficultés pour évaluer le dommage subi ou le lien de causalité éventuel entre la pratique et le préjudice subi. Il mentionne également l’exigence, dans la majorité des Etats membres, d’un intérêt à agir du demandeur en citant les exemples particuliers de la Finlande et de la Suède. En Suède, le demandeur doit, en effet, justifier d’un lien contractuel avec l’entreprise incriminée pour violation du droit de la concurrence 789. Le rapport ajoute que l’exigence de la preuve de la négligence ou de 763F l’intention de l’auteur de l’infraction renforce la difficulté de l’exercice de l’action, même s’il reconnait que, dans la plupart des cas, dès lors que la violation est sanctionnée par les autorités de la concurrence, les défendeurs ne contestent pas l’existence d’une faute intentionnelle. Dans certains pays, cette condamnation a même pour effet de renverser la charge de la preuve 790. D’une manière 764F 785 Voir en ce sens J. Simon, Le point de vue de l’entreprise, p. 24, dans Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, Journée d’étude organisée conjointement par le Collège européen de Paris de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), et l’Association Française d’Etude de la Concurrence (AFEC), Paris, le 13 juin 2008, actes publiés s. dir. du professeur Laurence Idot, dans la Revue Concurrences n°2-2009. 786 Position paper of the Bundesverband der Deutschen Industrie (BDI) on the Commission white paper on damages actions for breach of the EC antitrust rules, 3 July 2008. 787 Ibid, p. 5; On peut aussi relever que le BDI regrette dans ce papier de position que la Commission européenne n’ai pas pris en compte ces évolutions pour établir le livre blanc qui selon eux contient encore des dispositions jugées inadaptées, ou a minima ne relevant pas de la compétence des institutions communautaires, Position paper of the Bundesverband der Deutschen Industrie (BDI) on the Commission white paper on damages actions for breach of the EC antitrust rules, op. cit., p. 4-6 788 Etude Ashurst, Comparative Report, op. cit., p. 1 et suivantes. 789 Study on the conditions of claims for damages in case of infringement of EC competition rules, Executive summary and overview of the national report for Sweden, p. 1, Cabinet Ashurst, 31 August 2004. 790 Depuis la réforme de la loi relative aux restrictions de concurrence en Allemagne en 2005, dès lors que le Bundeskartellamt a rendu une décision de condamnation d’une entente, le demandeur au civil a seulement besoin de 250 générale, le rapport Ashurst constate qu’un haut niveau d’exigence dans le standard de la preuve nuit à l’effectivité des actions privées 791. Concernant le mode de divulgation de la preuve, le rapport 765F prend clairement parti pour la procédure américaine de la Discovery qui permet de pallier, selon lui, la méconnaissance du demandeur sur l’existence des pièces détenues par le défendeur. Cette méconnaissance l’empêche de formuler une demande au juge en vue de leur divulgation 792. 76F 530. Ensuite, le rapport met le doigt sur l’absence d’effet contraignant des décisions des autorités de concurrence, vis-à-vis des juridictions civiles. Cela oblige les demandeurs à apporter la preuve de l’existence de la pratique anticoncurrentielle 793. Il souligne encore les difficultés liées à la preuve de 76 F l’existence du dommage, ainsi que du lien de causalité en particulier lorsque les demandeurs sont des acheteurs indirects. Concernant ces acheteurs indirects, les auteurs du rapport se sont interrogés sur la possibilité pour ces derniers de faire valoir le passing on defense 794 et les questions de preuve 768F y afférentes. Ils concluent alors à une possible restriction de l’incitation à l’exercice des actions privées, du fait des difficultés rencontrées dans ce cas 795. Le calcul des dommages et intérêts 769F apparaissent également comme un obstacle aux actions privées dans le rapport Ashurst. Ce dernier souligne, en effet, une variété de pratiques, certains adoptant pour le calcul une approche ex-ante du dommage tandis que d’autres favorisent une approche ex-post 796. Il souligne également les 70F difficultés liées aux éléments à prendre en compte au titre de l’indemnisation. Il conclut à un manque de modèle pour le calcul de ces dommages et intérêts et à une certaine restriction de ces derniers empêchant par là-même l’allocation de dommages et intérêts punitifs 797. Le rapport Ashurst 71F souligne encore la longueur des procédures et les délais courts de prescription de l’action comme prouver son dommage et non pas la faute de l’auteur de la pratique, Voir Bundeskartellamt, Activity Report 2005/2006 (short version), p. 7. 791 Etude Ashurst, Comparative Report, op. cit., p. 4. 792 Etude Ashurst, Comparative Report, op. cit., p. 4-5; Ce point de vue est également souligné à travers la question relative à l’expertise et à la Cross Examination. En effet, le rapport souligne que dans certains pays les parties ne sont pas habilitées à nommer des experts et que seul le juge peut procéder aux interrogatoires des témoins, Etude Ashurst, Comparative Report, op. cit., p. 5. 793 Etude Ashurst, Comparative Report, op. cit., p. 5. 794 Le « moyen de défense portant sur la répercussion des surcoûts» concerne le traitement juridique du fait qu'une entreprise qui effectue un achat auprès d'un fournisseur dont le comportement est contraire au droit de la concurrence a la possibilité d'atténuer sa perte économique en répercutant le surcoût subi sur ses propres clients. Le dommage causé par un comportement anticoncurrentiel peut ainsi être répercuté en aval sur la chaîne de distribution, voire être subi intégralement par le dernier acheteur, c'est à dire le consommateur final. Il convient de considérer, en droit, si l'auteur de l'infraction devrait être autorisé à utiliser cette répercussion des surcoûts comme moyen de défense. De même, il conviendra d'examiner si les acheteurs indirects, sur lesquels les surcoûts auront ou non été répercutés, ont qualité pour agir », Livre vert de la Commission européenne du 25 déc. 2005, intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante » COM(2005) 672 final, p. 2.4. 795 Etude Ashurst, Comparative Report, op. cit., p. 6-7. 796 Voir §. 279 et s. 797 Voir §. 656 et s. 251 obstacles à l’action privée. Enfin, il s’est penché sur la question des coûts de justice et du corollaire, à savoir la responsabilité des coûts en cas de perte du procès, soulignant le fort aspect dissuasif de ces facteurs. 531. Le rapport Ashurst explique le faible nombre des recours civils, en cas d’infractions au droit de la concurrence, par l’existence de points de blocage à l’exercice de ces derniers. Les victimes sont dissuadées de faire valoir leur droit à réparation devant le juge civil. Ces difficultés résulteraient des conditions de mise en œuvre de la responsabilité civile selon le principe général de responsabilité, tel que connu des pays de droit romano-germanique notamment. Il met en cause les modes de divulgation de la preuve, les exigences de la preuve ou encore l’organisation de la justice non spécialisée. Ces conditions ne seraient pas, selon lui, adaptées au domaine du droit de la concurrence 798. A partir de ces constats, les auteurs du rapport se sont essayés à la formulation de 72F recommandations. La DG Concurrence reprendra en partie ces recommandations dans son Livre vert. 2) Promotion de l’action privée en droit de la concurrence a) Les propositions des auteurs de l’Etude Ashurst 532. Les auteurs du rapport Ashurst ont identifié six thèmes sur lesquels ils ont formulé des propositions de réforme. Ces six thèmes sont : l’accès au juge, la réduction des risques, la facilitation de la preuve, la réduction des coûts, les autres encouragements de l’action, et la transparence et la publicité de la procédure 799. 73 F 533. L’accès au juge. Tout d’abord, pour faciliter l’accès au juge, le rapport préconise la suppression de toute limitation à la compétence des demandeurs pour introduire l’action. Il encourage le développement des actions collectives, qu’il s’agisse de procédures d’action de groupe comme la class action, ou des actions en représentation et l’élaboration d’un instrument européen en ce sens. Il 798 Dans le Livre blanc, la Commission parle alors de « caractéristiques particulières » concernant les actions en dommages et intérêts en la matière, qui seraient « insuffisamment prises en compte dans les règles traditionnelles de responsabilité et de procédure civiles », qui conduiraient à une « importante insécurité juridique ». Elle identifie alors trois caractéristiques : « une analyse factuelle et économique très complexe qui doit être réalisée, […] l’inaccessibilité et la dissimulation fréquentes des éléments de preuve déterminants dont disposent les défendeurs [et] le rapport risques/récompenses souvent défavorables aux requérants », Le Livre blanc de la commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM (2008) 165 final, p.2. 799 Ce dernier élément ne fera pas l’objet de développement dans cette partie. 252 suggère enfin de renforcer les conditions d’accès des acheteurs indirects pouvant aller jusqu’à l’adoption d’un régime spécifique pour ce type de demandeurs. 534. La réduction des risques. En partant du constat d’un manque de clarté dans les conditions de l’exercice de l’action privée dans les Etats membres et en soulignant alors le problème d’insécurité juridique en découlant, le rapport propose l’adoption en droit interne d’une loi spécifique pour les demandes en réparation dans ce domaine, avec une base légale propre. Il propose également la désignation de cours de justice spécialisées. Cette loi permettrait alors de définir les conditions de la preuve de l’existence de l’infraction. Il prône de plus un rapprochement avec les autorités de concurrence et la prise en considération des décisions rendues par ces dernières concernant tant l’existence de la faute que le calcul du montant des dommages et intérêts à allouer. Enfin, il souligne que l’augmentation du degré d’expertise nécessaire pour ces affaires pourrait être favorisée par la possibilité pour les parties d’avoir recours eux-mêmes à des experts. 535. La facilitation de la preuve. S’agissant de la facilitation de la preuve, le rapport souligne que l’exigence tendant à rapporter la preuve du dommage, de la faute et du lien de causalité constitue l’obstacle majeur à l’exercice de l’action privée et recommande ainsi de diminuer le niveau d’exigence. Il va même jusqu’à proposer la suppression de la preuve de la faute comme condition de responsabilité, la constatation de l’infraction au droit de la concurrence par l’autorité de la concurrence étant jugée suffisante. Concernant les modes de divulgation de la preuve – utiles pour la démonstration du dommage et du lien de causalité, il envisage un panel de possibilités allant de l’introduction d’une procédure de Discovery à l’américaine à l’accroissement du pouvoir d’injonction du juge, qui pourrait ordonner la divulgation d’une catégorie de documents. Le rapport cible également la possibilité d’accéder pour les parties aux documents détenus par les autorités de concurrence. Il propose, enfin, l’introduction de la cross examination dans les Etats membres et l’accroissement des possibilités de faire citer des témoins à comparaître. 536. Pour l’évaluation des dommages, il propose l’élaboration de lignes directrices reprenant les différentes méthodes de calcul des dommages et intérêts. Il propose également différentes mesures telles que permettre aux juges de procéder à une estimation « raisonnable » ou « équitable » des dommages et intérêts. Plus original, il propose de séparer le jugement sur la responsabilité de la détermination du montant des dommages et intérêts afin de permettre une résolution conventionnelle entre les parties de la question de l’indemnisation. Enfin, il souligne le bénéfice certain de l’effet 253 contraignant des décisions des autorités de concurrence pour le renforcement de l’incitation des justiciables à l’introduction de demande en réparation, tout en soulignant que des problèmes de compatibilité avec les exigences de l’article 6 CESDH pourraient alors se poser. 537. La réduction des coûts. Pour lutter contre l’effet dissuasif des coûts de justice, le rapport propose le recours au Contingency ou Conditional fees agreements. Il souligne également l’impact financier de la longueur des procédures et propose, en ce sens, une meilleure organisation des procédures, la création des juridictions spécialisées ou encore la réduction des temps de procédure. Il ajoute que permettre un jugement partiel de l’affaire et une place pour la transaction aurait également pour effet de réduire la longueur de la procédure et également les coûts y afférents. 538. Autres encouragements de la procédure. Enfin, pour inciter les demandeurs à agir, les auteurs du rapport prônent le recours aux dommages et intérêts punitifs et l’utilisation des profits de l’entreprise comme base de calcul des dommages et intérêts. 539. A la lumière de ces recommandations, la volonté des auteurs du rapport de tendre vers une simplification des règles existantes de la responsabilité civile est révélée. Ils souhaitent faciliter le recours au juge civil pour les victimes de pratiques anticoncurrentielles et les inciter à exercer ces recours. Le cabinet Ashurst fut très inspiré de la procédure judiciaire américaine pour la formulation de ces points d’amélioration. La Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne a adopté une vision similaire de la problématique. b) Les propositions de la DG Concurrence dans son Livre vert 540. Sur la base de l’étude réalisée par le Cabinet Ashurst, la Direction générale de la Concurrence de la Commission a publié pour consultation publique un Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante » 800 74F , en date du 19 décembre 2005. Dans ce Livre vert, la Commission a entendu proposer certaines solutions pour remédier aux problèmes identifiés par l’Etude Ashurst. Elle pose alors des options en fonction des grands thèmes dégagés par les auteurs du rapport. 800 Le Livre vert de la Commission européenne du 25 déc. 2005, intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante » COM(2005) 672 final, p. 4, pt. 1.2. Le livre vert était accompagné d’un document de travail des services de la Commission, intitulé « Annexe au Livre vert sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », COM(2005)672déf. 254 541. Parmi les options proposées, certaines des propositions du Cabinet Ashurst ont été reprises. Par exemple, sur l’accès aux preuves, elle souligne la nécessité d’obliger les parties à divulguer les informations détenues en proposant cinq options allant du mode de divulgation de la preuve existant dans les pays de tradition romano-germanique vers une procédure de Discovery à l’américaine 801. La 75 F première option correspond, en effet, au mode de divulgation à la française, c'est-à-dire ordonnée par le juge sur demande individualisée de documents identifiés. La suivante prévoit la possibilité de formuler une demande au juge concernant une « catégorie de documents » et ainsi de suite jusqu’à imposer une obligation de conservation des documents en prévision d’un procès. La Commission s’interroge également sur les dommages et intérêts. Comme cela sera détaillé dans la suite de nos développements 802, elle a analysé les éléments de définition de l’indemnisation et le volet 76F éventuellement punitif de ces dommages et intérêts. Elle s’interroge sur l’utilité d’avoir recours à des modèles économiques complexes pour le calcul des dommages et intérêts et sur l’opportunité de prévoir des lignes directrices qui seraient établies par la Commission à ce sujet. Enfin, elle a envisagé l’option de séparer le jugement sur la responsabilité de la détermination du montant des dommages et intérêts, afin de laisser une place à la transaction 803. 7F 542. La Commission a aussi abordé d’autres points tels que la possibilité pour un défendeur d’invoquer, comme moyen de défense, la répercussion des surcoûts par l’acheteur direct sur l’acheteur indirect et/ou le consommateur final. Elle a envisagé alors les difficultés pour l’acheteur indirect de faire la preuve de cette répercussion et l’éventualité d’une présomption. Sur les coûts de l’action, la Commission a également posé l’option de la mise à l’écart du principe perdant-payeur sauf si l’action a été introduite de manière abusive. Ensuite, sur la question de la preuve de l’existence d’une faute, la Commission étudie plusieurs options dont la présomption dès lors que l’infraction au droit de la concurrence sera constatée préalablement. Le défendeur aurait la possibilité d’apporter la preuve d’une faute excusable. 801 L’utilisation du terme Discovery en droit américain, fait référence à la phase d’investigation, préliminaire au procès, dans laquelle chaque partie peut demander directement, sans l’autorisation du juge, à son adversaire, ou à tout témoin potentiel de produire tout élément d’information, utile à la résolution du litige en cause. La procédure de Discovery permet à une partie d’obtenir des documents demandés ou des éléments de preuve documentaires. Elle permet aussi aux parties de procéder à des Depositions et à des Interrogatories. De plus, il est possible pour un demandeur de formuler des Requests for admissions, qui consistent à demander à l’autre partie d’admettre ou de réfuter telle ou telle allégation. Enfin, cette procédure permet de demander l’ordonnancement d’expertises physiques ou psychologiques, voir Black’s Law dictionary, par Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 1419. 802 Voir le §. 661 et s. 803 Voir Propositions de l’Etude Ashurst, Comparative Report, op. cit., p. 11-12. 255 543. Sur les actions de groupe en particulier, la Commission s’interroge sur l’opportunité de recourir aux actions collectives pour faciliter l’accès au juge dans le cadre de litige de faibles montants et rationaliser ainsi les procédures, ce qui entrainerait une économie de temps et d’argent. Elle a envisagé deux cas de figure avec d’une part, une action de groupe réservée aux consommateurs, avec à résoudre la question de la qualité à agir du demandeur, la répartition des dommages et intérêts et la détermination du montant des dommages et intérêts. D’autre part, elle émet l’hypothèse d’une action collective réservée aux acheteurs autres que les consommateurs finaux. 544. S’agissant de la protection éventuellement accordée au demandeur de clémence, elle implique une articulation entre la sphère publique et la sphère privée pour le contrôle du non respect des règles de la concurrence. Le modèle américain illustre alors la pratique. Le demandeur à la clémence américain devra en contrepartie de la clémence au civil s’engager à aider les demandeurs éventuels à se retourner vers les autres co-auteurs de l’infraction au droit de la concurrence 804. L’enjeu, dans ce 78 F cas, est la conservation de l’efficacité de la politique de clémence dans la détection des infractions. 545. Conclusion. Ainsi dans la lignée du rapport Ashurst, la Commission propose de faciliter le recours à l’action civile pour la victime de la pratique anticoncurrentielle et d’assouplir les règles existantes de la responsabilité civile afin d’encourager le demandeur à porter son action en justice. Elle est favorable pour ce faire à l’utilisation de présomptions de responsabilité et du mécanisme de renversement de la charge de la preuve au profit de la victime. Elle propose aussi de diminuer le degré d’exigence demandé s’agissant tant de la faute, du dommage que du lien de causalité entre le dommage et le comportement fautif. Sur l’exercice même de la procédure judiciaire, elle reprend les mesures connues du droit procédural américain favorable à l’exercice d’une telle action et propose le 804 Antitrust Criminal Penalty Enhancement and Reform Act, Section 213 b): “Subject to subsection (c), an antitrust leniency applicant or cooperating individual satisfies the requirements of this subsection with respect to a civil action described in subsection (a) if the court in which the civil action is brought determines, after considering any appropriate pleadings from the claimant, that the applicant or cooperating individual, as the case may be, has provided satisfactory cooperation to the claimant with respect to the civil action, which cooperation shall include— (1) providing a full account to the claimant of all facts known to the applicant or cooperating individual, as the case may be, that are potentially relevant to the civil action; (2) furnishing all documents or other items potentially relevant to the civil action that are in the possession, custody, or control of the applicant or cooperating individual, as the case may be, wherever they are located; and (3)(A) in the case of a cooperating individual— (i) making himself or herself available for such interviews, depositions, or testimony in connection with the civil action as the claimant may reasonably require; and (ii) responding completely and truthfully, without making any attempt either falsely to protect or falsely to implicate any person or entity, and without intentionally withholding any potentially relevant information, to all questions asked by the claimant in interviews, depositions, trials, or any other court proceedings in connection with the civil action; or (B) in the case of an antitrust leniency applicant, using its best efforts to secure and facilitate from cooperating individuals covered by the agreement the cooperation described in clauses (i) and (ii) and subparagraph (A)”. 256 recours à la Discovery pour l’accès aux éléments de preuve, les dommages et intérêts punitifs ou encore le recours à des experts privés et à la cross examination. Ces propositions d’aménagements importants de la responsabilité civile poussent à s’interroger sur la motivation sous jacente de la Commission au delà de la seule facilitation des recours civils en droit de la concurrence. B) La facilitation des recours civils en droit de la concurrence : le renforcement de la politique de concurrence 546. L’ambition de la Commission européenne à travers son action en faveur du développement des recours civils est le renforcement de sa politique de concurrence. Elle vise l’amélioration de l’accès au juge civil en tant qu’outil de sa politique et a posé son intention dès la publication de ses premières propositions (1). Il s’agit de s’interroger sur la place de la concurrence dans notre société et en particulier au sein de l’Union européenne et sur les conséquences de l’emploi utilitariste ou finaliste de la responsabilité civile dans ce cas, eu égard en particulier à la conception civiliste de la responsabilité civile (2). 1) Une utilisation finaliste de la responsabilité civile par la DG Concurrence 547. La DG Concurrence de la Commission européenne a présenté son projet législatif, dès le Livre vert en 2005, comme un moyen de parvenir à sa mission, qui est l’effectivité du droit de la concurrence au sein de l’Union européenne (a). Elle a pu pour cela se reposer sur la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne dans le domaine (b). (a) La recherche de l’effectivité du droit de la concurrence : une position tenue par la Commission 548. La Commission a annoncé son ambition, dès l’élaboration du Livre vert en décembre 2005 805, en 79F dévoilant le double-objectif de la mesure, c'est-à-dire d’une part « faciliter les demandes d’indemnisation en cas d’infraction au droit des ententes » 806 et d’autre part, renforcer l’application 780 F du droit des ententes en augmentant l’effet dissuasif des sanctions 807. Elle envisage ainsi les actions 781F civiles et a fortiori les actions collectives comme un instrument additionnel au service de la promotion et de l’amélioration de l’effectivité de sa politique répressive en matière de concurrence. 805 Le Livre vert de la Commission européenne du 19 déc. 2005, intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante » COM(2005) 672 final. 806 Le Livre vert de la Commission européenne du 19 déc. 2005, op. cit., p. 1. 807 Ibid. 257 549. Cette ambition transparait également dans l’étude d’impact 808 que la Commission européenne a 782F fait réaliser à la suite de la Résolution du Parlement sur le Livre vert 809. Le Parlement européen a en 783F effet à la suite de la première consultation publique sur les propositions du Livre vert, adopté une résolution dans laquelle il a demandé à la Commission de faire réaliser une seconde étude ayant pour objet de mesurer l’impact des actions civiles en droit de la concurrence sur le bien-être des consommateurs et de trouver des moyens de renforcer ces actions civiles en Europe 810. La 784F réalisation de cette étude fut confiée à une équipe pédagogique composée de professeurs du Centre for European Policy Studies (CEPS), de l’Erasmus University Rotterdam (EUR) et du Luiss Guido Carli (LUISS) 811. Dans le résumé du rapport, les auteurs de ce dernier posent les cinq objectifs visés 785F par les pouvoirs publics communautaires dans leur politique de renforcement des actions civiles en droit de la concurrence. Ainsi ils écrivent : "Les avantages potentiels d'actions en indemnisation effectives pour le droit de la concurrence dans l'UE comprennent: (i) une plus grande justice corrective - soit l'obtention de ce que les victimes de comportements anticoncurrentiels soient entièrement dédommagées pour les pertes subies; (ii) une dissuasion renforcée – soit s’assurer que les entreprises qui violent le droit communautaire de la concurrence internalisent complètement les externalités négatives qu'ils imposent à la société par le biais de leur comportement anticoncurrentiel,- externalités négatives exprimées en termes de coûts excessifs et des (autres) perte sèche; (iii) des avantages pour le bon fonctionnement du marché intérieur – soit s’assurer que les entreprises de l'UE et les citoyens peuvent exercer dans des conditions similaires leur droit à réparation sur tout le territoire de l'UE, et réduire l'incertitude juridique pour les entreprises qui souhaitent s'engager dans le commerce transfrontalier; (iv) une mise en œuvre du droit de la concurrence plus proche du citoyen –soit la sensibilisation des citoyens en ce qui concerne les 808 Making antitrust damages actions more effective in the EU: welfare impact and potential scenarios, rapport final, Bruxelles, Rome et Rotterdam, 21 Déc. 2007, Equipe pédagogique: Centre European Policy Studies (CEPS) Prof. A. Renda (coordinateur), Prof. J. Peysner, Prof. Dr. Alan J. Riley, Prof. Barry J. Rodger, Erasmus University Rotterdam (EUR) Prof. Dr. Roger J. Van Den Bergh, Sonja Keske, Luiss Guido Carli (LUISS), Prof. Roberto Pardolesi, Dr. Enrico Leonardo Camilli, Dr. Paolo Caprile, Rapport pour la Commission européenne, contrat DG COMP/2006/A3/012. 809 Résolution du Parlement européen, du 25 avr. 2007, sur le Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », (2006/2207 (INI)). 810 Ibid, point 29. 811 Pour élaborer cette étude d’impact, l’équipe pédagogique a procédé en trois temps. Premièrement, en se basant sur la littérature existante ainsi que sur les affaires rendues en droit de la concurrence sur la période mars 2004 - fin 2007, elle a évalué l’impact du sous-développement du private enforcement sur le bien-être des consommateurs et sur le marché intérieur et déterminé les évolutions possibles. Les membres de l’équipe pédagogique ont ensuite étudié plusieurs options portant sur les dommages et intérêts multiples, les règles relatives à la charge des coûts de justice, sur les règles relatives aux actions de groupe, à l’accès aux preuves, à la prescription, au traitement des demandeurs de clémence en cas d’introduction d’action en indemnisation, et sur les méthodes de calcul des dommages et intérêts. Enfin, ils se sont appuyés sur les analyses effectuées pour élaborer des scénarios, qui sont exposés en fonction des avantages et inconvénients qu’ils présentent au regard des objectifs rappelés ci-dessous, Making antitrust damages actions more effective in the EU: welfare impact and potential scenarios, Final report, 21 December 2007, op. cit, , p. 10. 258 avantages d’une politique de concurrence efficace et le fait que leur droit à réparation du préjudice subi en cas de violation du droit de la concurrence peut contribuer au développement d'une solide culture de la concurrence en Europe, et (v) les impacts macroéconomiques – soient les effets positifs en termes de compétitivité, de croissance et d’emploi du fait des marchés plus concurrentiels, lesquels réduisent alors l'inefficience allocative en conduisant à une plus grande production, à la baisse des prix et à une meilleure qualité " 812. Les résultats de l’étude seront évalués en fonction des 786F avantages et inconvénients que les propositions formulées présentent en fonction de ces objectifs préétablis par la Commission. 550. Sur les cinq objectifs définis par la Commission dans le cahier des charges adressé aux membres de l’équipe pédagogique en charge de l’étude, un seul fait référence au renforcement des recours civils pour pallier le défaut d’indemnisation des victimes qui ont subi un préjudice du fait de l’adoption d’un comportement anticoncurrentiel par une entreprise. Les quatre autres objectifs sont exclusivement tournés vers le renforcement de la politique dissuasive et répressive menée par la Commission en matière d’Antitrust. Ainsi seul le premier objectif de l’action de la Commission prend en considération la fonction simplement réparatrice de la responsabilité civile, telle que conçue dans les pays civilistes 813. En effet, dans les pays de tradition romano-germanique, 78F majoritaires parmi les Etats membres 814, la distinction entre la responsabilité civile, poursuivant un 78F but de réparation du dommage subi par la victime, et la responsabilité pénale, visant elle à réprimer le comportement dangereux de l’individu pour la société, est ancienne. Le concept de réparation du dommage est apparu progressivement avec l’abandon de la loi du talion. Pendant longtemps, la distinction ne fut pas parfaite. Il existait des actions pénales ou des actions mixtes où les victimes pouvaient réclamer la réparation de leur préjudice. La distinction entre les deux responsabilités sera parfaitement affirmée avec la codification napoléonienne 815. Cette distinction est ici laissée en 789F dehors des débats. 812 Making antitrust damages actions more effective in the EU: welfare impact and potential scenarios, rapport final, Bruxelles, Rome et Rotterdam, 21 Déc. 2007, Equipe pédagogique: Centre European Policy Studies (CEPS) Prof. A. Renda (coordinateur), Prof. J. Peysner, Prof. Dr. Alan J. Riley, Prof. Barry J. Rodger, Erasmus University Rotterdam (EUR) Prof. Dr. Roger J. Van Den Bergh, Sonja Keske, Luiss Guido Carli (LUISS), Prof. Roberto Pardolesi, Dr. Enrico Leonardo Camilli, Dr. Paolo Caprile, Rapport pour la Commission européenne, contrat DG COMP/2006/A3/012, p. 10. 813 F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 10ème éd., 2009, p. 688 et suivantes. 814 A l’exception notable du Royaume-Uni, de l’Irlande et de Malte, la majorité des Etats membres de l’Union sont des pays de droit de tradition romano-germanique. 815 Voir F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 10ème éd., 2009, p. 688. 259 551. Le Parlement européen a appuyé la démarche de la Commission en relevant dans sa Résolution du 25 avril 2007 sur le Livre vert 816, que la Direction générale de la concurrence de la Commission 790F poursuit les objectifs alors fixés par les chefs d’Etats de l’Union lors du Conseil européen de Lisbonne en mars 2000 817, à savoir « la vitalité du marché intérieur, [les] performances des 791 F entreprises, [les] intérêts des consommateurs et [les] objectifs de l’Union européenne » 818. Il 7 92F souligne à cette occasion le caractère indispensable du droit communautaire de la concurrence pour parvenir à la réalisation de ces objectifs dans le cadre de la Stratégie de Lisbonne-Göteborg de l’Union européenne 819. 793F 552. La Commission favorise la mise en œuvre du droit de la concurrence en promouvant le renforcement de l’action civile. Elle s’inspire alors de la pratique américaine du « private enforcement » qui consiste à envisager l’action civile, en ce y compris l’action collective, comme élément de la politique répressive 820. Elle revient alors sur la conception civiliste de la justice civile, 794F qui limite le rôle de cette dernière à la simple réparation des préjudices en prônant une approche finaliste de la responsabilité civile. Elle a pu pour cela s’appuyer sur la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne. 816 Résolution du Parlement européen, du 25 avr. 2007, sur le Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », op. cit. 817 « Pendant le Conseil européen de Lisbonne (mars 2000), les chefs d'État ou de gouvernement ont lancé une stratégie dite « de Lisbonne » dans le but de faire de l'Union européenne (UE) l'économie la plus compétitive au monde et de parvenir au plein emploi avant 2010. Développée au cours de plusieurs Conseils européens postérieurs à celui de Lisbonne, cette stratégie repose sur trois piliers: * Un pilier économique qui doit préparer la transition vers une économie compétitive, dynamique et fondée sur la connaissance. L'accent est mis sur la nécessité de s'adapter continuellement aux évolutions de la société de l'information et sur les efforts à consentir en matière de recherche et de développement ; * Un pilier social qui doit permettre de moderniser le modèle social européen grâce à l'investissement dans les ressources humaines et à la lutte contre l'exclusion sociale. Les États membres sont appelés à investir dans l'éducation et la formation, et à mener une politique active pour l'emploi afin de faciliter le passage à l'économie de la connaissance ; * Un pilier environnemental qui a été ajouté lors du Conseil européen de Göteborg en juin 2001et qui attire l'attention sur le fait que la croissance économique doit être dissociée de l'utilisation des ressources naturelles », glossaire de l’Union européenne, disponible à l’adresse suivante : http://europa.eu/scadplus/glossary/lisbon_strategy_fr.htm. 818 Résolution du Parlement européen, du 25 avr. 2007, sur le Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », (2006/2207 (INI)), considérant B. 819 Voir Supra n° 34. 820 J. Nannes, Le private enforcement : l’expérience américaine, Concurrence & Consommation, n° 153, Juin 2007, Numéro spécial, p. 27. 260 (b) La recherche de l’effectivité du droit communautaire de la concurrence : une position soutenue par la Cour de Justice de l’Union européenne 553. La Commission s’est référée à la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), qui a consacré un droit à réparation en droit de la concurrence 821. Dans un premier arrêt du 795 F 20 septembre 2001, la Cour de Justice des Communautés Européennes a, en effet, consacré le droit à réparation d’une victime d’une pratique anticoncurrentielle, quand bien même cette victime serait partie au contrat illicite 822. Elle a justifié sa position en considérant que le droit à réparation est « de 796F nature à décourager les accords ou pratiques, souvent dissimulés, susceptibles de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence »823. Elle consacre ainsi l’action privée comme moyen de dissuasion 7 97F des pratiques anticoncurrentielles. 554. En l’espèce, il s’agissait de baux contenant une clause d’approvisionnement exclusive en bière pour des pubs en Angleterre. Au terme de cette clause, le tenant du bail s’engageait à se fournir en bière, pour une quantité minimale, auprès de l’associé du bailleur au prix déterminé par ce dernier. Cependant, les prix déterminés étaient plus élevés que ceux pratiqués auprès des acheteurs indépendants. Fort de ce constat, l’un des tenants, M. Crehan a cessé de s’acquitter de ses factures. Le fournisseur, la société Courage, a alors engagé une action en paiement. Cependant, M. Crehan a contesté le bien fondé de cette action en arguant de l’illicéité du contrat et donc de sa nullité du fait qu’il constituait une entrave au libre jeu de la concurrence en violation des règles communautaires de la concurrence 824. Au surplus M. Crehan forma une demande reconventionnelle par laquelle il 798F demanda des dommages et intérêts. Le point de droit central porte sur cette demande en réparation du préjudice subi. En effet, en droit anglais il n’est pas possible de condamner une partie au contrat illicite à payer des dommages et intérêts à l’autre partie au contrat. Cependant, les juges anglais constatent qu’aux Etats-Unis, cela est possible ainsi que potentiellement dans d’autres pays européens. Ainsi ils s’interrogent sur « un éventuel conflit […] entre le principe de l’autonomie procédurale et celui d’une application uniforme du droit communautaire » 825. Ils saisissent la Cour 7 9F de Justice des Communautés Européennes (CJCE, devenue CJUE) d’une question préjudicielle. La question portait essentiellement sur le fait de savoir si le droit anglais en l’espèce était conforme au droit communautaire et si une partie à un contrat pouvait demander des dommages et intérêts à 821 Voir Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 2. 822 CJCE, 20 sept. 2001, aff. C-453/99, Courage Ltd c. Bernard Crehan, sur question préjudicielle, considérant 24. 823 CJCE, 20 sept. 2001, aff. C-453/99, Courage Ltd c. Bernard Crehan, sur question préjudicielle, considérant 27. 824 Voir art. 85§1 CE, devenu 101 TFUE. 825 CJCE, 20 sept. 2001, aff. C-453/99, Courage Ltd c. Bernard Crehan, sur question préjudicielle, considérant 15. 261 l’autre partie. Sur ce point, la CJCE a considéré qu’une loi nationale qui interdirait à une partie au contrat de demander des dommages et intérêts sur le fondement du droit de la concurrence serait incompatible avec le droit communautaire. Ce dernier s’oppose à une loi nationale qui prévoirait cette interdiction seulement « dès lors qu’il est établi que cette partie a une responsabilité significative dans la distorsion de concurrence »826. C’est ainsi qu’elle a consacré le droit à 80 F réparation de toute victime d’une violation du droit de la concurrence et ce, même si la victime est partie à l’accord mis en cause. 555. La Cour de Justice des Communautés européennes a confirmé sa position dans un arrêt du 13 juillet 2006 827 . Ce recours intervenait à la suite de la condamnation par l’autorité italienne de la 801F concurrence de compagnies d’assurance italiennes, pour entente sur les prix des primes d’assurance de responsabilité civile (RC) obligatoire, relative aux sinistres causés par des véhicules automobiles, navires et cyclomoteurs. Au regard de la décision de l’Autorité italienne, l’entente aurait conduit à une augmentation de 20% du prix de la prime d’assurance RC. Ainsi plusieurs consommateurs ont introduit des demandes devant les juridictions italiennes et en particulier devant le Giudice di pace di Bitonto (Juge d’instance italien) 828 pour obtenir réparation du préjudice subi du fait de la violation 802F du droit de la concurrence. Ils demandent la restitution du « trop payé » du fait de l’augmentation artificielle des primes d’assurance. Plusieurs questions préjudicielles sont alors posées à la CJCE, dont une, portant sur la possibilité pour un tiers au litige de demander réparation du préjudice devant les juridictions lorsqu’il existe un lien de causalité entre la violation au droit de la concurrence et le préjudice. A l’occasion de l’étude de cette question, la Cour de Justice a réaffirmé le droit à réparation des victimes de pratiques anticoncurrentielles 829. 803F 826 CJCE, 20 sept. 2001, aff. C-453/99, Courage Ltd c. Bernard Crehan, sur question préjudicielle, considérant 36. CJCE, 13 juill. 2006, aff. jointes C-295/04 à C-298/04, Vincenzo Manfredi c/Lioyd Adriatico Assicurazioni SpA, sur question préjudicielle. 828 Art. 7 di Code di procedura civile : “Competenza del giudice di pace. – Il giudice di pace è competente per le cause relative a beni mobili di valore non superiore a cinquemila euro, quando dalla legge non sono attribuite alla competenza di altro giudice. Il giudice di pace è altresì competente per le cause di risarcimento del danno prodotto dalla circolazione di veicoli e di natanti, purché il valore della controversia non superi ventimila euro. E competente qualunque ne sia il valore: 1) per le cause relative ad apposizione di termini ed osservanza delle distanze stabilite dalla legge, dai regolamenti o dagli usi riguardo al piantamento degli alberi e delle siepi ; 2) per le cause relative alla misura e dalle modalità d’uso dei servizi di condominio di case ; 3) per le cause relative a rapporti tra proprietari o detentori di immobili adibiti a civile abitazione in materia di immissioni di fumo o di calore, esalazioni, rumori, scuotimenti e simili propagazioni che superino la normale tollerabilità ; 3Bis) per le cause relative agli interessi o accessori da ritardato pagamento di prestazioni previdenziali o assistenziali”. 829 CJCE, 13 juill. 2006, aff. jointes C-295/04 à C-298/04, Vincenzo Manfredi c/Lloyd Adriatico Assicurazioni SpA, considérant 63. 827 262 556. Conclusion. La jurisprudence de la Cour de Justice consacre le droit à réparation des victimes de violation du droit de la concurrence, qu’elle juge nécessaire pour rendre effectif le respect du droit communautaire de la concurrence. Sur ce fondement, la Commission a entrepris de faciliter l’accès au juge civil pour les victimes de pratiques anticoncurrentielles. Cependant, les mesures qu’elle propose conduisent à une instrumentalisation de l’action civile au service du renforcement de la répression des comportements déviants en la matière. Dans ce cadre, la Commission s’éloigne de la conception civiliste de la responsabilité civile, telle que conçue dans les pays de tradition romanogermanique où la différence entre la finalité répressive de la justice pénale et la finalité corrective de la justice civile est marquée. Malgré l’importance du droit de la concurrence dans notre société, celui-ci semble difficilement pouvoir justifier une remise en cause de l’un des fondements de notre système judiciaire. 2) Une remise en cause de la distinction entre justice civile et justice pénale par la DG Concurrence 557. Le droit de la concurrence occupe une place importante en Europe dans l’objectif de réalisation du Marché intérieur. Ainsi dès 1957, des règles en la matière ont été définies dans le Traité de Rome. Pour garantir l’effectivité de la politique communautaire de concurrence des pouvoirs importants ont été dévolus aux autorités de concurrence (a). Aux Etats-Unis, la logique adoptée fut différente. Le législateur s’est fondé sur une action combinée des pouvoirs publics et des individus destinataires de ces règles pour garantir l’effectivité du droit de la concurrence (b). a) Le public enforcement et le droit communautaire de la concurrence i) La place du droit de la concurrence en Europe 558. La politique de concurrence au niveau communautaire comme au niveau national vise à maintenir une concurrence saine et non faussée sur le marché intérieur. Elle tend « à encourager l'efficacité économique, l'allocation optimale des ressources, le progrès technique et le bien-être des consommateurs » 830. La politique de concurrence, telle qu’envisagée aujourd’hui, trouve son origine 8 04F aux Etats-Unis. Au 19ème siècle, il résulte de la forte croissance économique des Etats-Unis, une concentration des industriels et une forte augmentation de la concurrence sur les marchés. Les entreprises ont alors décidé de s’entendre pour éviter une diminution des prix trop importante du fait 830 M. Denoix et O. Klargaard, La politique de la concurrence dans l'Union européenne, Fondation Robert Schuman, article accessible à l’adresse suivante : http://www.robert-schuman.eu/question_europe.php?num=qe-52. 263 de cette concurrence nouvelle. Cependant le maintien par les industriels de prix artificiellement hauts portait préjudice aux consommateurs. Ainsi les pouvoirs publics ont décidé d’interdire ces accords entre concurrents 831. Le même schéma fut reproduit en Europe. Après la Seconde Guerre 805F Mondiale, des dispositions sont intégrées dans le Traité de Rome instituant la Communauté économique européenne 832. Ainsi, la Commission européenne et les autorités nationales de 806 F concurrence (ANC) luttent contre les ententes « injustifiables », les abus de position dominante et les fusions anticoncurrentielles 833. Elles contrôlent également les aides accordées par les Etats membres 807F à leur entreprise afin de vérifier que l’octroi de ces aides ne désavantage pas leurs concurrents dans le cadre du Marché intérieur. 559. En droit communautaire, la libre concurrence a depuis 1957 toujours fait partie des objectifs de la Communauté économique européenne d’abord et de l’Union européenne ensuite 834. Cependant, 80F depuis le Traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, la politique de concurrence apparait désormais comme un outil indispensable à la réalisation du Marché intérieur et non plus comme un objectif en tant que tel. L’article 3 du Traité sur l’Union européenne dans sa version consolidée de 2010 835 dispose en effet que « L'Union établit un marché intérieur. Elle œuvre pour le 809F développement durable de l'Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement. Elle promeut le progrès scientifique et technique ». Cette modification du Traité résulte de contestations de citoyens européens exprimées lors des référendums sur la ratification du Traité instituant une constitution européenne en 2005 836. 810F 560. Cette conception du droit de la concurrence au service de la réalisation du Marché intérieur résulte également de l’élaboration par les chefs d’Etats et de gouvernements des Etats membres de la stratégie de Lisbonne. En effet, en mars 2000, un conseil européen s’est tenu à Lisbonne. Dans le 831 Voir le Sherman Antitrust Act de 1890. Art. 85 et suivants du Traité de Rome de 1957 instituant la Communauté économique européenne. 833 Art. 101 et 102 TFUE. 834 L’article 3(f) du Traité instituant la Communauté Economique Européenne (1957) stipule que « Aux fins énoncées à l’article précédent, l’action de la communauté comporte, dans les conditions et selon les rythmes prévus par le présent Traité : […] l’établissement d’un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché commun » ; Voir également article 3(g) du Traité sur l’Union européenne (Journal officiel n° C 191 du 29 juil.1992) ; article 3(g) du Traité instituant la Communauté Européenne (version de 1997 - Journal officiel n° C 340 du 10 nov. 1997) ; article 3(g) du Traité instituant la Communauté européenne (version consolidée - Journal officiel n° C 325 du 24 déc. 2002). 835 Versions consolidées du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, Journal officiel n° C 83 du 30 mars 2010. 836 M. Denoix et O. Klargaard, La politique de la concurrence dans l'Union européenne, Fondation robert Schuman, op. cit. 832 264 cadre de cette réunion, les dirigeants des Etats membres se sont fixés un objectif qui était celui de faire de l’Union européenne « l'économie la plus compétitive au monde et de parvenir au plein emploi avant 2010 ». Pour réaliser cet objectif, ils ont décidé d’une stratégie, dite « de Lisbonne », reposant sur un volet économique, un volet social et un volet environnemental 837. En particulier, 81F concernant l’aspect économique, les chefs d’Etat et de gouvernement ont mis l’accent sur la nécessité de tendre vers une « économie compétitive, dynamique et fondée sur la connaissance ». Ainsi au regard de cet objectif, le droit communautaire de la concurrence occupe une place de premier rang sur le plan économique. Cette politique est indispensable à la réalisation du Marché intérieur et à la bonne santé de l’économie européenne. 561. La Commission européenne comme les autorités nationales de concurrence, en charge de la mise en œuvre de la politique de concurrence, ont alors œuvré au renforcement des règles de concurrence permettant de sanctionner les comportements des entreprises ayant pour objet ou pour effet d’empêcher, ou de restreindre le libre jeu de la concurrence sur le Marché intérieur. La voie choisie en Europe fut celle du renforcement des pouvoirs de sanction des autorités de concurrence. ii) Le rôle des pouvoirs publics en droit de la concurrence en Europe 562. En 2003, le Règlement n°1/2003 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité 838 est venu renforcer les pouvoirs dévolus aux autorités de concurrence 812F pour appréhender les ententes et les abus de position dominante 839. Tout d’abord, les autorités 813F nationales de concurrence ont été autorisées à appliquer directement les dispositions communautaires en la matière. De plus, les autorités de concurrence ont vu s’accroître leurs pouvoirs d’enquête et de sanctions déjà importants. Elles peuvent dans le cadre de leur enquête procéder à des perquisitions. En cas d’infractions aux règles du droit de la concurrence, elles peuvent constater et faire cesser l’infraction, ordonner des mesures provisoires ou encore rendre obligatoires des engagements. Les autorités de concurrence ont également le pouvoir d’infliger des amendes pécuniaires aux entreprises contrevenantes. Le montant de ces amendes pécuniaires est fixé dans la 837 Ces éléments se retrouvent dans l’objectif de réalisation du marché intérieur tel que définis dans l’article 3 du Traité sur l’Union européenne dans sa version consolidée, op. cit. 838 Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 déc. 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, JO L 1 du 4 janv. 2003, p. 1–25. 839 Sous l’empire de l’ancien règlement (Règlement (CEE) n° 17 du Conseil: Premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (actuellement articles 81 et 82), [Journal officiel n° 013 du 21.02.1962]), le contrôle des accords entre concurrents se faisait a priori suivant un système de notification a priori. Avec le nouveau règlement, le système de notification est abandonné au profit d’un renforcement des pouvoirs de sanctions des autorités de concurrence dans leur contrôle a posteriori des accords. 265 limite de 10% du chiffre d’affaires total réalisé de l’entreprise. La Commission a adopté des lignes directrices et des communications en vue d’expliciter sa démarche dans la mise en œuvre de sa politique et d’accroître la sécurité juridique pour les entreprises 840. Elle a notamment précisé sa 814F méthode de calcul de l’amende dans des lignes directrices 841. Le Conseil et le Parlement européen 815F ont également adopté des règlements dits « d’exemption » concernant certaines catégories d’accords 842. Ainsi en Europe, l’accent a été mis sur les pouvoirs des autorités de la concurrence, qui 816F ont pour mission de veiller au respect des règles du droit de la concurrence. Elles disposent pour ce faire d’un arsenal législatif et d’un large champ d’action, qu’elles ont mis en œuvre activement depuis 2003 et en particulier ces trois dernières années. 563. Selon les statistiques de la Commission européenne pour les ententes seulement 843, la DG 817F Concurrence a rendu sur la période 2006-2010 844, trente-cinq décisions concernant 241 entreprises. 81 F La somme globale des amendes prononcées s’élève à plus de 12 milliards d’euros 845. Il ressort 819F également de ces statistiques que l’activité de la Commission européenne a triplé sur la période 2005-2010, s’agissant tant du nombre de décisions rendues que du montant des amendes prononcées (voir schéma ci-dessous). 840 Voir par exemple Communication de la Commission sur l'immunité d'amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (Journal officiel n° C 298 du 08/12/2006 p. 17 – 22) ; Communication de la Commission relative à la coopération au sein du réseau des autorités de concurrence (Journal officiel n° C 101 du 27/04/2004 p. 43 – 53). 841 Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) n o 1/2003 (Journal officiel n° C 210 du 01/09/2006 p. 02–05). 842 Voir par exemple, Règlement (UE) n° 1217/2010 de la Commission du 14 déc. 2010 relatif à l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à certaines catégories d’accords de recherche et de développement, Journal officiel n° L 335 du 18/12/2010 p. 36 –42. 843 Cartels statistics, disponibles à l’adresse suivante : http://ec.europa.eu/competition/index_fr.html (version Déc. 2010) 844 Période du 1er janv. 2006 au 30 sept. 2010. 845 Chiffre donné après ajustement par la Cour de justice. 266 564. Montants des amendes infligées par la Commission (non ajustés par la Cour de Justice) sur la période 1990-2010 (Graphique reproduit des Cartels Statistics de la Commission européenne – version de décembre 2010). Montants des amendes infligées par la Commission européenne (non ajustés par la Cour de Justice) sur la période 1990-2010 12000 10000 8000 6000 4000 2000 0 1990-1994 1995-1999 2000-2004 2005-2009 2010 565. Nombre de décisions rendues pour entente par la Commission européenne sur la période 19902010 (Graphique reproduit des Cartels Statistics de la Commission européenne – version de décembre 2010). Nombre de décisions rendues pour entente par la Commission européenne sur la période 1990-2010 35 30 25 20 15 10 5 0 1990-1994 1996-1999 2000-2004 2005-2009 2010 267 566. Cette forte activité de la Commission européenne et l’augmentation du montant des amendes a suscité de vives inquiétudes et de vives critiques de la part des entreprises, qui ont dénoncé des montants d’amendes disproportionnés. L’amende record infligée à la société Saint-Gobain dans le cadre du cartel du vitrage automobile, dont le montant d’amende s’est élevé à 896 millions d’euros 846, peut être mentionnée. D’un coté, la Commission, s’appuyant sur certaines études 820F économiques, considère que le montant d’amende optimum au titre de la dissuasion n’est pas atteint. Ainsi elle tend à accroître le montant des amendes qu’elle inflige 847. De l’autre coté, les entreprises, 821F mais également certains académiques et gouvernements, considèrent que ces montants sont disproportionnés et sont mêmes dangereux pour la santé financière des entreprises. Ce dernier argument a connu une acceptation renforcée avec la période de crise économique connue en Europe. De plus, le pouvoir de sanction de la Commission est régulièrement mis en cause du fait de la non reconnaissance du caractère pénal des amendes infligées 848 et des problèmes qui en découlent 82F concernant l’application de l’ensemble des droits de la défense, tels que garantis en droit pénal 849. 823F 567. Ainsi les institutions communautaires ont cherché à se tourner vers d’autres voies, en complément de l’intervention de la puissance publique pour renforcer le caractère dissuasif et répressif de la politique de concurrence. C’est dans ce contexte que la DG Concurrence s’est intéressée aux actions privées visant à l’indemnisation des préjudices subis par les victimes des pratiques 846 Commission Decision of 12 November 2008 relating to a proceeding pursuant to Article 81 of the EC Treaty and Article 53 of the EEA Agreement, COMP/39.125 – Carglass, Disponible à l’adresse suivante : http://ec.europa.eu/competition/cartels/cases/cases.html 847 Les dix plus importantes amendes individuelles infligées par la Commission européenne datent de la période 2008-2010, Cartels statistics, Disponibles à l’adresse suivante : http://ec.europa.eu/competition/index_fr.html (version Déc. 2010). 848 Bien que la Commission européenne ne reconnaisse pas le caractère pénal de ses pouvoirs (voir art. 23§5 du règlement 1/2003, la Cour Européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales a considéré que les sanctions pécuniaires infligées en droit de la concurrence sont « à coloration pénale » (Commission des Droits de l’homme, décision du 30 mai 1991, Stenuit / France (requête n°11598/85), points 61-65 ; CEDH, arrêt du 14 oct. 2003, Lilly France / France (requête n°53892/00)). De même, la Cour de Justice de l’Union européenne comme certains avocats généraux à la Cour ont reconnu que la matière revêtait « une nature quasi-répressif » (Voir en ce sens les Conclusions de l’Avocat Général, M. Yves Bot, présentées le 26 oct. 2010, dans les affaires jointes C‑201/09 P et C‑216/09 P, ArcelorMittal Luxembourg SA, c. Commission européenne et Commission européenne (C‑216/09 P) c. ArcelorMittal Luxembourg SA, anciennement Arcelor Luxembourg SA, ArcelorMittal Belval & Differdange SA, anciennement Arcelor Profil Luxembourg SA, ArcelorMittal International SA, anciennement Arcelor International SA, point 41). 849 Voir sur ce thème W. P.J. Wils, The increased level of EU Antitrust Fines, Judicial Review and the European Convention on Human Rights, 2009, disponible à l’adresse suivante : http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1492736 ; F. Riem, L’utilisation de la CEDH dans la pratique des affaires : Le contentieux de la concurrence, Droit & Patrimoine, n° 194, Juillet-Août 2010 ; A. Bailleux, Le salut dans l’adhésion. Entre Luxembourg et Strasbourg, actualités du respect des droits fondamentaux dans la mise en œuvre du droit de la concurrence, RTD eur. 46(1), janv-mars 2010 ; I. S. Forrester, Due Process in EC competition cases : a distinguished institution with flawed procedures, (2009) 34 E.L. Rev. December. 268 anticoncurrentielles prohibées par les articles 81 et 82 TFUE en s’inspirant notamment fortement du private enforcement tel que développé en droit américain de la concurrence. b) Le private enforcement et le droit communautaire de la concurrence i) L’exemple américain du private enforcement 568. Face à la contestation de sa politique de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles, la Commission s’est en effet intéressée au mode de mise en œuvre de la politique de concurrence aux Etats-Unis. Dans ce système, l’accent n’a pas été mis sur l’action des pouvoirs publics dans la lutte contre les cartels, même si le Department Of Justice et la Fair Trade Commission sont loin d’être démunis en cas de détection d’une pratique anticoncurrentielle 850. Ils ont ciblé l’action des victimes 824 F du cartel, c'est-à-dire de ceux qui ont souffert d’un préjudice du fait de la mise en œuvre de la pratique. Pour cela, ils ont renforcé l’accès au juge civil en facilitant d’une part l’exercice du recours et en créant d’autre part des conditions d’incitation à l’exercice de l’action. La class action fait alors partie intégrante de ces moyens de facilitation de l’action en justice. Aujourd’hui, il résulte d’une étude de C. Jones, qu’à la fin du 20ème siècle, 90% des pratiques d’Antitrust détectées aux EtatsUnis sont le résultat des actions portées devant les tribunaux civils par les victimes de ces pratiques 851. 825F 569. Ce choix opéré par les pouvoirs publics américains n’est pas propre au droit de la concurrence. Il résulte d’une conception différente du rôle du justiciable dans le système judiciaire en général. L’individu occupe en effet une place particulière dans le système judiciaire américain. Il ne se pose pas seulement comme victime de la pratique d’un autre individu, mais il apparaît comme un 850 En cas de cartel par exemple, les entreprises aux Etats-Unis encourent, sur le volet pénal, une amende d’un montant maximum de 100 millions d’euros. De plus, les individus ayant commis l’infraction encourent une peine maximale d’emprisonnement de 10 ans et une amende d’un montant maximal d’un million d’euros, Sherman Act (15 US Code §1): “Every contract, combination in the form of trust or otherwise, or conspiracy, in restraint of trade or commerce among the several States, or with foreign nations, is declared to be illegal. Every person who shall make any contract or engage in any combination or conspiracy hereby declared to be illegal shall be deemed guilty of a felony, and, on conviction thereof, shall be punished by fine not exceeding $100,000,000 if a corporation, or, if any other person, $1,000,000, or by imprisonment not exceeding 10 years, or by both said punishments, in the discretion of the court”. Les entreprises peuvent de manière alternative être condamnées à payer une amende d’un montant équivalent à deux fois la perte brute subie par les victimes du comportement ou du gain illicite réalisé, 18 U.S.C §3571(d) : “Alternative Fine Based on Gain or Loss.— If any person derives pecuniary gain from the offense, or if the offense results in pecuniary loss to a person other than the defendant, the defendant may be fined not more than the greater of twice the gross gain or twice the gross loss, unless imposition of a fine under this subsection would unduly complicate or prolong the sentencing process”. 851 C. Jones, Private Enforcement of Antitrust Law in the EU, UK and USA, Oxford University Press, 1999, étude citée par L. Idot dans Regards sur les droits étrangers, colloque du 29 avr. 2004, Paris. Dans ce cadre, la politique de clémence mise en place par les autorités américaines est complémentaire des plaintes qui peuvent être déposées par les personnes privées. 269 procureur privé 852, qui à travers sa demande en justice cherche à rendre effectif le respect de la loi. 826F En effet, le demandeur américain ne cherche pas à emporter la conviction du juge, mais à mettre en lumière la vérité. Il dispose alors pour ce faire de la procédure de Discovery 853, qui permet la 827 F divulgation entre les parties de tous les documents pertinents au regard de la résolution du litige. L’idée dernière cette procédure est que lorsque l’ensemble des éléments du litige seront connus des deux parties et que chacun y verra ainsi ses propres torts, un règlement à l’amiable du litige devrait être plus facile à trouver 854. L’inconvénient de cette procédure est qu’elle est très couteuse car les 82F pièces à échanger peuvent être de l’ordre de plusieurs dizaines de milliers, voire de millions. En effet, outre leur conservation, le traitement des données en interne et leur transmission, il faut également pouvoir les analyser, tâche technique et complexe dévolue aux avocats américains et aux experts qui les assistent. Cette conception justifie différentes modalités de fonctionnement de la procédure judiciaire américaine. En effet, ces coûts importants de procédure nécessitent le recours par les demandeurs à des financements extérieurs. Cependant, tout crédit souscrit auprès d’un tiers, quelle qu’en soit la forme, nécessite une rémunération. Le législateur autorise les Contingency Fees Agreements, qui font dépendre la rémunération de leurs honoraires du succès de la procédure. En cas de succès, le cabinet d’avocats se rémunérera de ses frais de fonctionnement et il s’attribuera au surplus une prime déterminée en pourcentage du montant des dommages et intérêts prononcés. L’idée est ainsi de faire peser le risque financier sur l’avocat, ce qui permet aux justiciables à revenus modestes de faire valoir leurs droits en justice sans subir le frein des coûts de procédure. Ce financement de l’action n’incite pas à l’adoption du principe indemnitaire. En effet, il a une incidence directe sur l’incitation à porter son affaire en justice. Cette question de l’incitation est centrale dans le système judiciaire américain et en particulier dans la procédure de class action. Elle se retrouve avec les dommages et intérêts punitifs. Il pourrait ressortir d’une certaine logique que les justiciables dans leur rôle de « procureur privé » perçoivent le montant des dommages et intérêts punitifs prononcés au titre de la répression du comportement adopté par le défendeur, même si cette 852 Voir par exemple J. Nannes, Le private enforcement : l’expérience américaine, Concurrence & Consommation, n°153, Juin 2007, Numéro spécial, p. 27. 853 L’utilisation du terme Discovery en droit américain, fait référence à la phase d’investigation, préliminaire au procès, dans laquelle chaque partie peut demander directement, sans l’autorisation du juge, à son adversaire, ou à tout témoin potentiel de produire tout élément d’information, utile à la résolution du litige en cause. La procédure de Discovery permet à une partie d’obtenir des documents demandés ou des éléments de preuve physiques. Elle permet aussi aux parties de procéder à des Depositions et à des Interrogatories. De plus, il est possible pour un demandeur de formuler des Requests for admissions, qui consistent à demander à l’autre partie d’admettre ou de réfuter telle ou telle allégation. Enfin, cette procédure permet de demander l’ordonnancement d’expertises physiques ou psychologiques, voir Black’s Law dictionary, par Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 1419 854 Conférence au Cercle France-Amériques sur le thème de « La preuve au cœur du débat judiciaire : discovery, crossexamination et expertise contradictoire, regards croisés franco-américains », organisée par l’Association FranceAmériques, l’Association Française des Docteurs en droit et le Cabinet Mayer Brown en date du 24 mars 2010, Minutes non encore publiées. 270 approche peut être discutée. Cependant en pratique, cette somme participe à l’incitation d’agir en justice plus qu’elle ne rétribue un geste citoyen. Cette incitation financière qui conduit à des dérives est ce qui suscite le plus de critiques lorsque l’on aborde le fonctionnement du système judiciaire américain. 570. Cette conception du rôle du justiciable tient plus généralement au rôle de l’individu dans la société américaine. La justification de cette organisation judiciaire et du rôle central tenu par l’individu dans la société est historique. Lorsque les premiers colons arrivèrent sur le territoire américain, ils s’installèrent au gré des parcelles de terre obtenues. Dans un premier temps aucune structure politique n’était mise en place. Ce n’est qu’une fois qu’une Communauté suffisante importante était créée, que des élections étaient organisées pour élire un gouverneur et mettre en place les structures politiques nécessaires à la gestion de la vie en société 855. La société américaine 829F s’est construite par opposition à la couronne d’Angleterre et à son pouvoir monarchique. Cela justifie une certaine défiance vis-à-vis des pouvoirs publics. Il faut souligner que les juges ne sont pas « nommés » aux Etats-Unis, mais élus par le peuple 856. Ainsi, s’expliquent que soient 830F privilégiés les rapports privés et les accords entre parties. 571. Dans ce contexte, la mise en œuvre de la procédure civile a été conçue comme un élément à part entière de la politique de dissuasion et de répression des pratiques anticoncurrentielles par le législateur américain. Le juge civil a le devoir de prononcer des dommages et intérêts punitifs en complément de l’amende que les tribunaux pénaux pourront prononcer 857. Ces montants sont 831F dissociés ainsi du préjudice réel subi, le double objectif étant de réprimer le comportement et d’en dissuader la réitération au même titre que les condamnations pénales. 572. Le droit américain favorise ainsi l’action des particuliers devant le juge civil en tant que moyen de détection des comportements anticoncurrentiels tout comme moyen de sanction de la violation. En contrepartie de quoi l’action des pouvoirs publics est plus faible si elle est comparée avec les pouvoirs dévolus aux autorités de concurrence en Europe 858. En outre, la force du système réside 832F 855 A. Kaspi, Les américains, Naissance et essor des Etats-Unis, 1607-1945, Editions de Seuil, oct. 1986. A l’exception des juges fédéraux, qui eux sont nommés, voir F. Hamon et M. Troper, Droit Constitutionnel, L.G.D.J., 31ème éd., 2009, p. 248. 857 Voir §. 268. 858 En moyenne, le montant des amendes infligées par les tribunaux pénaux américains sont inférieurs à ceux infligés par la Commission européenne, voir Antitrust Division Workload statistics FY 2000-2009, disponible sur le site du Department Of Justice à l’adresse suivante http://www.justice.gov/atr/public/workload-statistics.html. 856 271 dans l’adaptation des citoyens américains à ce système et à leur familiarisation avec la procédure judiciaire. Ce système est alors bien loin de la conception civiliste des pays de tradition romanogermanique. ii) La conception civiliste de la justice en Europe 573. Les auteurs de l’étude sur l’impact des actions civiles en droit de la concurrence sur le bien-être des consommateurs, commandée par la Commission 859, après la Résolution du Parlement sur le 83F Livre vert 860, ont émis un avertissement. Ils ont déclaré que malgré leurs propositions, « il est 834F difficile d’imaginer que les actions en indemnisation en Europe vont se développer exactement dans le même sens qu’aux Etats-Unis ». Ils ont ajouté que « la principale raison pour cela est qu’aux Etats-Unis, les règles procédurales ont été élaborées avec l’intention d’encourager les recours civils [en droit des ententes et des abus de position dominante] et que certaines de ces règles diffèrent de manière substantielle des règles applicables aux litiges civils en Europe. Même plus important encore, le système américain du Private enforcement semble être élaboré pour renforcer le caractère dissuasif de la justice plutôt que son caractère réparateur [du préjudice subi] et en effet, certains éminents spécialistes ont fait valoir que les règles américaines en matière d’Antitrust constituent avant tout un mécanisme de dissuasion »861. 835F 574. En Europe, la conception de la justice civile est toute différente puisque historiquement le droit et sa mise en œuvre relève du pouvoir souverain du roi, devenu l’Etat et ses démembrements. Une distinction, dans ce cadre, est faite entre la justice pénale, qui tend à la répression d’un comportement adopté en violation de la loi, et entre la justice civile, qui tend à la seule réparation du préjudice subi par la victime, l’une protégeant l’intérêt général et l’autre l’intérêt particulier. Dans ce cadre, une distinction est faite entre le rôle des pouvoirs publics, qui sont en charge de la sanction des comportements déviants et le rôle de la victime, qui devra porter son action, à titre personnel, pour obtenir la réparation du préjudice causé du fait de ce comportement déviant. Les autorités administratives de concurrence ont jusqu’à présent toujours rempli ce rôle d’autorité de sanction, en cas de violation des règles nationales comme communautaires. 859 Making antitrust damages actions more effective in the EU: welfare impact and potential scenarios, Rapport Final, Bruxelles, Rome et Rotterdam, le 21 Déc. 2007, op. cit. 860 Résolution du Parlement européen, du 25 avr. 2007, sur le Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », (2006/2207(INI)). 861 Making antitrust damages actions more effective in the EU: welfare impact and potential scenarios, Rapport Final, Bruxelles, Rome et Rotterdam, le 21 Déc. 2007, op. cit., p. 137. 272 575. L’attachement à cette distinction en Europe est fort. Le Conseil de la concurrence français luimême s’est prononcé en faveur du maintien de cette distinction entre les rôles des différents protagonistes et pour le respect de la distinction entre justice répressive et justice réparatrice. Le Conseil de la concurrence (devenu l’Autorité de la Concurrence depuis 2009) a en effet pris parti sur la question des actions de groupes en droit de la concurrence dans un avis du 21 septembre 2006 862, 836 F sollicité par le directeur général de la concurrence, de la consommation, et de la répression des fraudes (DGCCRF) et le directeur des affaires civiles et du Sceaux (DACS) 863. Il rappelle, en tout 837F premier lieu, le rôle des pouvoirs publics, dans la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles, qui doit primer sur l’action privée. Il déclare ainsi : « A la différence des Etats-Unis, la mise en œuvre de la répression des pratiques anticoncurrentielles est confiée à titre principal, en Europe, à des autorités spécialisées, dotées d’un pouvoir de sanction administrative (action publique) […].Cette primauté de l’action publique correspond à une pratique désormais bien établie et permet de mettre en œuvre une véritable politique de la concurrence à l’échelle de l’Union européenne, dont l’objectif est de créer un marché unique sur lequel s’exerce une concurrence non faussée. Dans un tel contexte, le recours direct aux juridictions (actions privées) ne peut avoir la même efficacité que l’action publique ainsi organisée. A ce stade de l’intégration du marché européen, il n’apparaît pas nécessaire de modifier ces équilibres. Le système doit reposer sur une mise en œuvre du droit de la concurrence dans un cadre public fort, même si son efficacité peut être améliorée ou renforcée par une action privée maîtrisée »864. Le Conseil ajoute que : « Dans le cadre d’une réflexion sur les 8 38F actions de groupe, il convient donc de garder à l’esprit la distinction entre l’action répressive et régulatrice menée à l’initiative des autorités publiques de concurrence et l’action privée à vocation réparatrice, engagée par les victimes des pratiques anticoncurrentielles devant les tribunaux »865. 839F Comme mentionné par le Conseil, cette distinction entre justice civile et justice pénale est une question d’équilibre entre l’action publique et l’action privée. Il ne s’agit pas d’aboutir à une politique du « tout répressif ». 862 Avis du Conseil de la concurrence du 21 sept. 2006, relatif à l’introduction de l’action de groupe en matière de pratiques anticoncurrentielles, www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/classactions.pdf. 863 Le Conseil de la concurrence a été sollicité par le directeur général de la DGCCRF et par le directeur des affaires civiles et du Sceaux dans la cadre d’un groupe de travail chargé de réfléchir sur les améliorations éventuelles à apporter à la procédure de l’action en représentation conjointe de l’article L422-1 du Code de la consommation et sur l’opportunité d’introduire une nouvelle action de groupe en droit positif. Le rapport de ce groupe de travail a été remis au Ministre de l’Economie et des Finances et au Ministre de la Justice en date du 16 déc. 2005. 864 Avis du Conseil de la concurrence du 21 sept. 2006, relatif à l’introduction de l’action de groupe en matière de pratiques anticoncurrentielles, www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/classactions.pdf, p. 1. 865 Avis du Conseil de la concurrence du 21 sept. 2006, relatif à l’introduction de l’action de groupe en matière de pratiques anticoncurrentielles, www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/classactions.pdf, p. 2. 273 576. Comme souligné par certains auteurs 866, la frontière entre les deux justices n’est pas 840 F imperméable. En effet, par exemple, le juge pénal peut prononcer des dommages et intérêts au profit du demandeur, partie civile, au procès pénal. Cependant, l’inverse est moins accepté, même si les tentations sont fortes. Le concept de dommages et intérêts punitifs a fait l’objet de plusieurs tentatives d’introduction en droit interne des Etats membres. De plus, le caractère intrinsèquement dissuasif de l’allocation de dommages et intérêts compensatoires par le juge civil ne peut être nié. En effet, l’imposition d’une nouvelle pénalité financière à l’entreprise par le biais des dommages et intérêts renforce en elle-même la dissuasion pour les entreprises d’adopter un comportement anticoncurrentiel 867. Cependant, il en est autrement lorsque l’on envisage de construire son système 841F civil en fonction du seul caractère répressif et dissuasif des dommages et intérêts, en niant les principes directeurs de la responsabilité civile et sa fonction principalement réparatrice868. 577. La société évolue. La globalisation des marchés fait que l’individu occupe une place de plus en plus importante dans son fonctionnement. La justice doit s’adapter à ces évolutions. Cependant, doiton faire reposer la charge du contrôle de l’effectivité des règles de droit sur l’individu et lui laisser le soin de veiller sur le bien-être de tous et ce au mépris de plusieurs siècles de traditions ? Est-ce que cette vision de la société doit être défendue et même encouragée au mépris de tous les principes de droit et d’organisation sur lesquelles repose notre société ? Le débat sur l’action de groupe se développe maintenant depuis plusieurs années au sein de l’Union sans qu’aucune mesure n’ait été adoptée. Il suscite toujours autant de commentaires et de points de vue divergents. Cela s’explique par le fait qu’il implique de s’interroger sur la justice de demain. Doit-on suivre l’exemple américain et encourager le rôle central de l’individu dans la mise en œuvre et le respect des règles et des droits ou au contraire doit-on limiter l’influence de ce système pour sauvegarder les fondements de notre propre système qui depuis des siècles a fait ses preuves ? Est-ce que de simples aménagements de nos principes ne permettraient pas de parvenir à une solution équitable et équilibrée ? 866 Voir en ce sens G. Viney, Quelques propositions de réforme du droit de la responsabilité civile, recueil Dalloz 2009, p. 2944 ; François-Xavier Licari, Note sous Cour d’appel de Poitiers, première chambre civile, 26 fév. 2009, pourvoi n°07/02.404, Journal du Droit International (Clunet), 1 er oct. 2010, n° 2010-4, p. 1230-1263. 867 Voir l’avis du Conseil de la concurrence du 21 sept. 2006, relatif à l’introduction de l’action de groupe en matière de pratiques anticoncurrentielles, www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/classactions.pdf, p. 9, § 31, Le Conseil a souligné le caractère intrinsèquement dissuasif des actions privées en considérant que « A côté des sanctions publiques qui, eu égard à leurs montants désormais élevés, contribuent à dissuader les entreprises de se livrer à des pratiques prohibées, les actions de groupe peuvent être un facteur de dissuasion supplémentaire, puisqu’elles augmentent le risque financier pour l’auteur de l’infraction ». 868 F. Polverino, A Class Action Model For Antitrust Damages Litigation In The European Union, University of Chicago Law School, Working paper Series, August 29, 2006, p. 28 et s. 274 578. Une chose est sûre. Privilégier un système de recours civils à l’américaine signifie tendre vers une justice forcément pécuniaire. Le succès du système américain repose sur l’incitation à l’exercice de l’action, via la remise en cause de la réparation intégrale du préjudice surtout, mais aussi via la facilitation de la preuve. Il est important de peser les conséquences de chacune des modifications envisagées. Cette question est d’autant plus importante que la position adoptée aura des répercussions, à terme, sur les autres domaines du droit, notamment sur le droit de l’environnement, ou le droit boursier. La mesure sectorielle laissera la place à une mesure générale. 579. Très souvent, le renforcement des actions civiles en tant qu’outil de la politique répressive, menée par les pouvoirs publics, est perçu comme un moyen de pallier le manque de ressources matérielles et financières des pouvoirs publics. Ainsi il peut contribuer à la détection des infractions par exemple. Cependant, promouvoir la peine privée en lieu et place de la peine publique est fortement différent. Cela peut en effet se révéler contre-productif car le bénéfice de la peine privée est réservé à la victime et à ses avocats et non au trésor public. Ainsi à terme un tel système peut avoir pour conséquences d’accentuer le manque de moyens des pouvoirs publics 580. Conclusion du §.1. Face aux insuffisances et aux obstacles constatés dans l’exercice des recours civils en matière de droit de la concurrence, la DG Concurrence de la Commission européenne, s’appuyant sur les propositions de réformes de l’Etude Ashurst, a formulé des propositions de réforme de la responsabilité afin d’y remédier. Elle envisage ainsi l’assouplissement des règles de responsabilité civile pour le droit de la concurrence et elle propose de recourir à certaines modalités d’exercice de l’action propre à la Common Law, et en particulier au système judiciaire américain, comme à la procédure de Discovery ou aux Contingency Fees Agreements. L’objectif de la Commission, qui se fonde pour cela sur la jurisprudence de la CJUE, est, outre la facilitation des recours civils, le renforcement de sa politique de répression des violations du droit de la concurrence. Les actions civiles, telles que proposées, ont alors pour objectif premier d’augmenter le montant de la sanction pécuniaire encourue par l’entreprise et ainsi de renforcer la dissuasion de commettre une infraction. Les choix effectués par la Commission dans son Livre vert contribuent à la confusion des genres entre le rôle des pouvoirs publics et des autorités de concurrences dans la répression des pratiques anticoncurrentielles et le rôle de la victime. La Commission, comme les auteurs du rapport Ashurst n’ont pas tenu compte du fait que la problématique des recours civils devait être envisagée au regard des traditions juridiques des Etats membres de l’Union, qui sont pour la plupart des pays de droit romano-germanique. Ils ont ainsi tenté d’introduire des principes très 275 différents de ceux qui gouvernent notre droit et qui toucheraient à la conception même de l’organisation de notre justice. Cependant, la cohérence de la mesure au regard du système dans lequel elle va s’inscrire est déterminante de l’acceptabilité et de l’efficacité de cette mesure. 581. Transition. Les propositions formulées par la Commission dans le Livre vert ont suscité de nombreuses réactions 869. Plusieurs commentateurs ont dès ce stade souligné la différence de finalité 842F entre les deux systèmes de droit – entre le système romano-germanique et le système américain de Common Law – et dénoncé les incompatibilités entre certaines des propositions et les traditions juridiques des Etats membres 870. Ces critiques ont conduit la Commission européenne à revenir sur 843F certaines propositions formulées dans le Livre vert, même si l’objectif de cette dernière reste inchangé. §2) Le recours civil aménagé pour le droit de la concurrence 582. La Commission européenne a formulé une seconde série de propositions dans un Livre blanc publié le 2 avril 2008 871. Elle tient alors compte des traditions juridiques et des principes 84F fondamentaux des Etats membres. En effet, dans ce document, la position de la Commission européenne a évolué. En introduction, elle déclare que « le montant des dommages et intérêts dont sont actuellement privées ces victimes [à savoir, les victimes d’infractions aux règles de concurrence communautaires] est de l’ordre de plusieurs milliards d’euros par an »872. Ainsi, 845 F l’objectif premier du Livre blanc est « d’améliorer les conditions juridiques dans lesquelles les victimes exercent leur droit, conféré par le traité, de demander réparation de tous les dommages subis du fait d’une infraction aux règles de concurrence communautaires »873. Elle pose alors, 846F 869 On recence, en effet, 144 contributions sur le site de la Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne sur le Livre vert, soumis à consultation pendant la période du 20 décembre 2005 au 21 avril 2006, http://ec.europa.eu/competition/antitrust/actionsdamages/index.html. 870 Voir à titre d’exemple la Réponse de l’AFEC au Livre vert « Action en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », accessible à l’adresse suivante http://ec.europa.eu/competition/antitrust/actionsdamages/green_paper_comments.html; l’avis du Conseil de la concurrence du 21 sept. 2006, relatif à l’introduction de l’action de groupe en matière de pratiques anticoncurrentielles, www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/classactions.pdf, p. 2. 871 Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final. 872 Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 2; Plus en détail le Livre blanc renvoie à l’étude d’impact, qui renvoie elle-même aux estimations de Connors (Making antitrust damages actions more effective in the EU: welfare impact and potential scenarios, Rapport Final, Bruxelles, Rome and Rotterdam, le 21 Déc. 2007, op. cit., p. 77 et suivantes, point 2.2.). 873 Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 3. 276 comme premier principe directeur, le principe de l’indemnisation intégrale des victimes 874. Elle 847F ajoute tout de même que le renforcement des actions en indemnisation permettrait qu’ « un plus grand nombre de restrictions de concurrence soient détectées » et « produirait […], intrinsèquement, des effets bénéfiques du point de vue de la dissuasion d’infractions futures, ainsi qu’un plus grand respect des règles de concurrence communautaires »875. Elle pose ensuite un second principe 84F directeur « selon lequel le cadre juridique propre à assurer une plus grande efficacité des actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles de concurrence doit reposer sur une approche véritablement européenne » 876. Elle ajoute que les propositions formulées s’inscrivent dans « la 849 F culture et les traditions juridiques européennes » 877. Le dernier principe directeur est la préservation 8 50F « de la fermeté de l’application des articles 81et 82 dans la sphère publique par la Commission et les autorités de concurrence des Etats membres »878. Elle ajoute que le renforcement des actions en 8 51F indemnisation a simplement pour objet de compléter l’action publique « sans la remplacer, ni la compromettre »879. Ainsi la volonté politique de la Commission de revenir à une conception plus 8 52F proche des traditions juridique européennes est clairement apparente dans l’introduction du Livre blanc 880. De plus, la Commission semble avoir renoncé à certaines institutions caractéristiques de 853F Common Law américaine comme les Contingency fees agreements, ou encore la cross examination. 583. Cependant, des ambigüités demeurent sur les intentions de la Commission, au regard des propositions formulées. La Commission parle de « caractéristiques particulières » concernant les actions en dommages et intérêts, qui seraient « insuffisamment prises en compte dans les règles traditionnelles de responsabilité et de procédure civiles », et qui conduiraient à une « importante insécurité juridique » 881. Elle identifie trois particularités du droit de la concurrence : « une analyse 854 F factuelle et économique très complexe qui doit être réalisée, […] l’inaccessibilité et la dissimulation fréquentes des éléments de preuve déterminants dont disposent les défendeurs [et] le rapport 874 Ibid. Ibid. 876 Ibid. 877 Ibid. 878 Ibid, p. 4. 879 Ibid. 880 C. Norall and A. Seabra Ferreira, European Commission Publishes White Paper on Damage Actions For Breach of the EU Antitrust Rules, le 9 avr. 2008, paru sur www.mondaq.com; G. Sproul, Fostering A Competition Culture, Not A Litigation Culture – The European Commission’s « Damages » White Paper, le 23 Avr. 2008, paru sur www.mondaq.com; Facilitating compensation for breach of competition rules: the White paper, Freshfields Bruckhaus Deringer Briefing, Avr. 2008. 881 Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 2. 875 277 risques/récompenses souvent défavorables aux requérants »882. A partir de ces constats, elle formule 85F de nouvelles propositions, qui appellent certains questionnements. Tout d’abord, elle définit largement le champ de la protection devant être dévolue aux victimes de violations du droit de la concurrence, ce qui permet d’examiner le champ de l’action collective (A). Ensuite, elle aménage substantiellement les règles de la responsabilité civile, en vue de favoriser le recours civil en droit de la concurrence, qui relance la question de sa finalité (B). 584. La question de la détermination du préjudice, qui a été traitée dans le chapitre précédent, ne sera pas abordée ici. Il en est de même des questions relatives aux coûts de la procédure, qui seront traitées dans la seconde partie des développements. A) Le champ élargi des recours civils en droit de la concurrence 585. Les nouvelles propositions de la DG Concurrence amènent à s’interroger sur la nécessité d’une protection générale des victimes potentielles des violations du droit de la concurrence et à identifier les personnes et les infractions visées. Dans une consultation publique sur les recours collectifs, initiée postérieurement par la Direction Générale pour la Justice, la Liberté et la Sécurité de la Commission européenne (ci-après « DG Justice ») 883 en collaboration avec la DG Concurrence et la 856F DG Sanco, ces dernières parlent de « plus value », devant être apportée par le projet européen. Il faut alors s’interroger sur la « plus value » des propositions de la DG Concurrence. 586. En avril 2008, la Commission européenne a effectivement publié un nouveau document de travail, appelé « Livre blanc » qui porte, à l’instar du Livre vert, sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante. Dans ce Livre blanc, la Commission définit un large champ d’application pour son action en la matière. En effet, elle considère que « les questions abordées dans le livre blanc concernent, en principe, toutes les catégories de victimes, tous les types d’infractions aux articles 81 et 82 et tous les secteurs de l’économie »884. Elle ajoute que le Livre blanc touche également tant 8 57F aux actions indépendantes qu’aux actions de suite, c'est-à-dire aussi bien les actions engagées en l’absence de décision de la part d’une autorité de concurrence que les actions faisant suite à une 882 Ibid. Renforcer la cohérence de l'approche européenne en matière de recours collectifs, Document de travail des services de la Commission européenne, Consultation publique, 4 fév. 2011, SEC(2011) 173 final. 884 Ibid, p. 4. 883 278 décision de condamnation des défendeurs par une autorité de concurrence 885 (1). Dans ce cadre, la 85F Commission envisage les recours de tous les acheteurs, directs ou indirects, comme cela sera examiné avec la question de la répercussion des surcoûts (2). 1) Le renforcement des recours civils en droit de la concurrence a) Une définition large du champ de l’action 587. Seront tout d’abord envisagées les infractions visées par la DG Concurrence (i), puis la population visée (ii). i) Une procédure ouverte à tous types d’infractions constatées ou non 588. Les infractions aux articles 101 et 102 TFUE. Dans ces propositions, la Commission vise aussi bien les infractions prévues aux articles 101 et 102 TFUE, c'est-à-dire les pratiques concertées comme les abus de position dominante. De même, s’agissant des seules pratiques concertées, la Commission ne distingue pas le simple échange d’informations sensibles, susceptible de sanctions en tant qu’infraction per se, de l’entente injustifiable (hardcore cartel). Cependant, cette dernière infraction se caractérise tant par un élément matériel qu’un élément intentionnel et elle fut considérée comme l’infraction la plus grave au droit de la concurrence par l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) 886. Ainsi la Commission n’a pas déterminé 859F des priorités d’action. Elle englobe l’ensemble des infractions au droit de la concurrence. De plus, la Commission appréhende avec le même type d’outil, au premier rang desquels l’action de groupe, d’une part, l’abus de position dominante qui est une pratique unilatérale et les accords entre concurrents, qui sont des pratiques concertées. De plus, de nombreuses modalités proposées ne sont pertinentes que pour les ententes. 589. Les actions « sans poursuite préalable » et « après condamnation par une autorité de concurrence ». Ensuite, la Commission vise aussi bien les recours civils qui suivraient une condamnation par une autorité de la concurrence des entreprises participantes à la pratique anticoncurrentielle (« follow-on ») que les actions qui seraient introduites en préalable de toute poursuite par les autorités publiques (« stand alone »). Les deux types d’actions ne nécessitent pas que l’on adopte les mêmes mesures. En effet, dans le premier cas, il s’agit de se concentrer sur, 885 886 Ibid. Voir les recommandations de 1998, du Conseil de l’OCDE, C(98)35/FINAL. 279 d’une part, l’accessibilité des parties aux pièces du dossier pénal ou administratif et ce, dans le respect des droits de la défense et de la protection des données et, d’autre part, sur l’articulation de l’action publique et de l’action privée. Dans le second cas, il s’agit de mettre l’accent sur les moyens d’obtention de l’information utile à la résolution du conflit par les demandeurs dans l’hypothèse où, par nature, il existe une asymétrie d’informations entre les parties à l’action. Le fait d’appréhender le second type d’action en indemnisation est intéressant pour les autorités de concurrence puisque de telles actions permettent la détection de nouvelles pratiques illégales. Aux Etats-Unis, 90% des ententes sont détectées par l’action des demandeurs au civil. Cependant, et encore une fois, les demandeurs américains ont les moyens tant procéduraux que matériels d’aller chercher la preuve de l’infraction eux-mêmes et ce, grâce notamment à la procédure de Discovery. Il faut s’interroger sur l’utilité d’aller au-delà du simple accès renforcé des justiciables au juge. En ce sens, le Conseil de la Concurrence français n’est pas favorable à la facilitation des actions « stand alone », considérant que des interactions négatives peuvent se faire entre l’action des autorités de concurrence et en parallèle le traitement des dommages et intérêts par les juges civils. La seconde action peut notamment alerter les contrevenants d’une possible détection de la pratique et ainsi conduire à la possible destruction d’éléments de preuve indispensables à la sanction administrative. Pour le Conseil, les actions civiles ne doivent pas suppléer l’action des autorités de concurrence 887. 860F 590. Ainsi ne serait-il pas opportun de restreindre les ambitions de la Commission pour adopter une démarche cohérente avec l’action des pouvoirs publics et agir en priorité sur les infractions jugées les plus graves. Il serait possible ainsi de limiter le champ de l’action aux ententes injustifiables et de ne pas distinguer entre les infractions qui suivent ou non une condamnation par une autorité, laissant alors le soin au juge au cas par cas d’appréhender les éléments de preuve apportés par le demandeur. Il ne s’agirait alors que d’encadrer l’accès aux preuves détenues par les autorités de concurrence. Ensuite, il faut s’interroger sur les personnes visées par ces actions. ii) Une procédure ouverte à tous demandeurs, entreprises ou consommateurs 591. La Commission met en exergue un déficit de l’action civile et la nécessité de renforcer l’accès au juge civil en cas de violation au droit de la concurrence. Cependant, dans un souci d’efficacité, il faut s’interroger sur la population à protéger en priorité et la population pour laquelle l’action communautaire pourrait apparaître comme une « plus-value ». Dans son Livre blanc, la Commission 887 Avis du Conseil de la concurrence du 21 sept. 2006, relatif à l’introduction de l’action de groupe en matière de pratiques anticoncurrentielles, www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/classactions.pdf. 280 appréhende aussi bien l’acheteur direct, que l’acheteur indirect. Elle justifie alors sa position en rappelant les jurisprudences Courage et Manfredi de la CJCE 888, qui disposent que « toute 861F personne » doit pouvoir obtenir réparation de son préjudice 889 862F . Elle est alors soutenue par le Parlement européen dans sa démarche, qui parle également d’un droit à réparation tant pour les consommateurs que pour les entreprises 890. La Commission applique la même règle qu’il s’agisse 863F des actions individuelles ou des actions collectives. Cependant, il faut se demander si les entreprises doivent bénéficier d’une protection identique à celle des consommateurs, en particulier dans le cadre de la procédure collective et ce quand bien même il s’agirait d’une petite ou d’une moyenne entreprise. 592. Les entreprises comme les consommateurs dans les recours collectifs. La Commission offre un panel de deux procédures de recours collectifs qui peuvent être utilisées de façon complémentaire : une action en représentation et une action de groupe. Ces deux procédures seraient ouvertes aux consommateurs comme aux entreprises, « en particulier celles qui ont subi de manière sporadique des dommages de faible valeur », et qui « sont souvent dissuadés d’engager des actions individuelles en dommages et intérêts en raison des coûts, des délais, des incertitudes, des risques et des contraintes que cela suppose »891. 864 F 593. La Commission vise ainsi toutes les entreprises même si elle met l’accent sur les Petites et Moyennes Entreprises (PME). Elle définit alors le terme d’ « entreprise » comme « toute personne, morale ou physique, agissant à des fins relevant principalement de leurs activités commerciales et de la profession (voir également pour la définition le Livre vert sur la révision de l’acquis communautaire en matière de protection des consommateurs COM(2006) 744 final) » 892. Elle ajoute 8 65F que « s'il n'est pas opportun d'établir certains seuils (par exemple en termes de taille ou de chiffre d'affaires) pour agir, les mécanismes de recours collectif seraient plus utilisés par les petites 888 CJCE, 20 sept. 2001, aff. C-453/99, Courage Ltd c. Bernard Crehan, sur question préjudicielle, §. 26 et CJCE, 13 juil.2006, aff. jointes C-295/04 à C-298/04, Vincenzo Manfredi, §. 61. 889 Document de travail des Services de la Commission, accompagnant le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 14. 890 Résolution du Parlement européen, du 25 avr. 2007, sur le Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », (2006/2207 (INI)), considérant G. 891 Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 4. 892 Document de travail des Services de la Commission, accompagnant le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 15, note de bas de page n° 23. 281 entreprises pour lesquelles ils seraient particulièrement bien adaptés étant donné les obstacles auxquels elles font face quand elles ont à intenter une action en dommages-intérêts. Ces obstacles ne sont généralement pas rencontrés de la même manière par les grandes entreprises » 893. Elle ne 86 F fixe ainsi aucun seuil de taille ou de chiffre d’affaires pour accéder à ce type de procédure. 594. Dans son document de travail, la Commission justifie son choix de l’action en représentation pour les entreprises comme pour les consommateurs en considérant qu’ « une action en dommagesintérêts contre les auteurs de l’infraction est liée à leur activité principale (à savoir la protection des intérêts spécifiques), tandis que les petites entreprises en particulier peuvent ne pas être en mesure d'investir du temps et des ressources dans une action au détriment de leur activité professionnelle habituelle. Aussi les entreprises, en particulier les PME, peuvent être réticents à intenter une action contre un partenaire commercial avec lequel ils exercent leurs activités sur une base régulière. De même, pour les consommateurs, les coûts, les retards et les charges administratives de la procédure judiciaire peuvent les dissuader d'intenter une action, en particulier s’ils ont subi une perte économique relativement faible »894. 867F 595. Pour certains auteurs, la prise en compte des Petites et Moyennes Entreprises (PME) est un point très positif car ils considèrent qu’elles sont très souvent oubliées dans les débats 895. Cependant, il est 86F possible de s’interroger sur l’opportunité de consacrer la même protection à des contractants, consommateurs finaux et à des entreprises, mêmes si ces dernières sont de petites tailles ou ont des ressources limitées comparativement à d’autres entreprises. La Commission ne définit pas dans ce cas de seuils. Cependant des objections peuvent être formulées s’agissant de consentir une même protection aux consommateurs et aux entreprises. Tout d’abord, l’acceptation de ce champ d’action ne pourrait être justifiée par l’approche du droit consumériste. En effet, la protection des consommateurs s’explique à travers le rapport contractuel déséquilibré entre un professionnel averti et un consommateur non informé. Par principe le consommateur est défini comme « la personne qui conclut avec un professionnel un contrat lui conférant la propriété ou la jouissance d’un bien ou 893 Ibid. Document de travail des Services de la Commission, accompagnant le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 19, point 50. 895 Inciter les dommages et intérêts en droit de la concurrence : le point de vue d’une concurrentialiste, par Mme Prieto (C.), p. 8, dans Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, Journée d’étude organisée conjointement par le Collège européen de Paris de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), et l’Association Française d’Etude de la Concurrence (AFEC), Paris, le 13 juin 2008, Actes publiés s. dir. du Prof. L. Idot, dans la Revue Concurrences n°2-2009. 894 282 d’un service destiné à un usage personnel ou familial »896. Le critère central est alors le but de la 869F souscription du contrat, c'est-à-dire l’usage non professionnel du bien ou du service pour lequel le contrat a été souscrit. Un professionnel, qui conclut un contrat pour son usage personnel, sera considéré comme un consommateur et pourra bénéficier de la protection afférente à son statut. En prenant en compte aussi bien le consommateur que l’entreprise, la logique du droit consumériste est écartée, le critère de l’usage non professionnel ne permettant pas de distinguer une PME d’une entreprise de taille intermédiaire ou de grande taille. Ensuite, au regard de la définition européenne des petites et moyennes entreprises, une parties des entreprises visées par la protection ont largement les moyens d’engager une action, à titre individuel et ce, quel que soit le montant du litige. Il s’agit pour leur part d’un calcul d’opportunité. En effet, une petite entreprise est « une entreprise dont l'effectif est inférieur à 50 personnes et dont le chiffre d'affaires ou le total du bilan annuel n'excède pas 10 millions d'euros » et une moyenne entreprise est « une entreprise dont l'effectif est inférieur à 250 personnes et dont le chiffre d'affaires n'excède pas 50 millions d'euros ou dont le total du bilan annuel n'excède pas 43 millions d'euros »897. Ces chiffres sont assez éloignés des ressources des 870F particuliers-consommateurs. De plus, du fait de leur activité professionnelle, ces entreprises sont familiarisées avec les pratiques contentieuses, même si ces pratiques ne donnent pas toujours lieu à un recours judiciaire. Ainsi, elles peuvent faire face à la « complexité » de la procédure judiciaire. Enfin, les PME peuvent constituer un grand nombre d’entreprises dans certains pays. En France, en 2007, les micro-entreprises, comptabilisées au titre des PME étaient au nombre de 2 660 000, les PME (non micro-entreprises) étaient au nombre de 162 400, les entreprises de taille intermédiaire (ETI) étaient au nombre de 4 600 tandis que les Grandes entreprises (GE) étaient au nombre de 242 898. La dérogation à l’exercice individuel du recours concernerait 2 822 400 entreprises, soit plus 871F de 99% des entreprises. 596. Une pratique se développe, de manière insidieuse, dans les contentieux aux Etats-Unis. Dans ce pays, l’action de groupe est ouverte à tous les justiciables et en droit de la concurrence aux 896 Lexique des termes juridiques 2012, Guinchard (S.) et Debard (T.), Dalloz, 19ème éd., 2011, p. 221 ; Voir aussi Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 déc. 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, JO L 12 du 16 janv. 2001, p. 1–23, art. 15 ; Code de la Consommation français, art. L132-1. 897 Recommandation n° 2003/361/CE de la Commission, du 6 mai 2003, concernant la définition des micros, petites et moyennes entreprises, Journal officiel L 124 du 20.05.2003 ; Pour la France, voir Décret n° 2008-1354 du 18 déc. 2008 relatif aux critères permettant de déterminer la catégorie d'appartenance d'une entreprise pour les besoins de l'analyse statistique et économique, NOR: ECES0828576D, article 2 (définition identique). 898 V. Hecquet, Quatre nouvelles catégories d'entreprise, Une meilleure vision du tissu productif, division Profilage et traitement des grandes unités, Insee, chiffres disponibles à l’adresse suivante : http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?id=3095®_id=0#inter2. 283 entreprises également sans égard à la taille de ces dernières. Ainsi, il n’est pas rare que les actions de groupe soient engagées par de grandes entreprises à l’encontre d’autres grandes entreprises. Cependant, ces grosses entreprises peuvent n’entrer, dans la procédure, que pour profiter de cette dernière et faire augmenter la pression sur le défendeur. Au moment venu, elle peut s’exclure de la procédure et arriver en position de force pour négocier une résolution à l’amiable du dossier. Cette pratique est contraire à la recherche d’efficacité dans le traitement des demandes et résulte alors seulement d’une stratégie d’action qui fait fi du bien-fondé de l’action. 597. Sur l’opportunité d’adopter un seuil, cette question est très délicate. Cependant, elle peut être le moyen d’objectiver la problématique. En effet, des difficultés importantes se posent dès lors que le litige porte sur un faible montant. Dans ce cas, la balance coûts et bénéfices peut être neutre ou négative, ce qui dissuade tout demandeur potentiel de porter son action en justice et cela qu’il soit un consommateur ou une entreprise. 598. En outre, le recours collectif pour les entreprises peut avoir un intérêt pour le juge dès lors que l’on envisage la procédure sous le seul angle de la bonne administration de la justice. En effet, dès lors qu’il y aurait un litige de masse en droit de la concurrence qui concernerait des entreprises, acheteuses directes, le traitement collectif des demandes peut être bénéfique car il permet de rationnaliser le travail de la justice. Cependant, les moyens utilisés pourraient alors être autres que ceux utilisés dans le cadre de la protection des consommateurs ou des justiciables dans le cadre de petits litiges. En effet, au regard de l’exemple de l’action en représentation, cette action doit-elle être réservée à la représentation de justiciables, pour qui la réalisation d’acte engageant comme une action en justice peut être dissuasive eu égard aux enjeux du litige, comme les consommateurs ? En effet, est-ce que des entreprises, dont la finalité est par nature de grandir et de prendre alors de plus en plus d’engagements contraignants, doivent-elles se voir offrir la même protection que les consommateurs ? Ne serait-il pas possible de voir dans cette proposition un risque de dérives conduisant dans une certaine mesure à une déresponsabilisation du comportement du justiciable, entreprise ? Ne serait-il pas alors possible de prévoir des moyens intermédiaires, qui permettent une rationalisation du traitement de masse des demandes des entreprises pour les litiges de taille moyenne ? Les procédures « modèles », qui existent en Allemagne ou au Royaume-Uni, peuvent ainsi être envisagées. 284 599. Une différenciation pourrait être faite entre la protection à donner à des entreprises, victimes de la pratique anticoncurrentielle de leur cocontractant dans les litiges de taille intermédiaire et la protection devant être dévolue à des consommateurs et/ou à tout justiciable dans les petits litiges de masse. Il pourrait s’agir alors de recourir à des outils différents permettant une adaptation au plus près des besoins de chaque type de demandeurs et de chaque type de litige tout en évitant certaines dérives, comme la déresponsabilisation des comportements des justiciables. 600. Conclusion du a). La tentation d’ouvrir le champ de l’action civile à tous suivant les modalités les moins contraignantes est forte pour la Commission européenne comme en témoignent les propositions formulées dans le Livre blanc. Cependant, à trop vouloir ouvrir la procédure, des problèmes d’adaptation aux besoins réels peuvent se poser dès lors que des affaires différentes pourraient se voir appliquer un même traitement. De même, ce système peut également aboutir à une situation où des cas similaires pourraient recevoir un traitement différencié. Ainsi apparaît le besoin de fixer des priorités quant aux situations à appréhender et de cibler des procédures en fonction des populations et du type de litige visés. Comme cela est maintenant bien établi, les procédures collectives peuvent revêtir plusieurs formes. Cette diversité peut être utilisée pour coller au plus prêt des besoins des justiciables, afin de pallier les dérives éventuelles du système, qui comme souvent rappelé, est dérogatoire au droit commun et doit le rester. Le large champ de l’action civile, telle qu’appréhendée par la Commission, peut également conduire à complexifier le recours civil, comme l’illustre la problématique de la répercussion des surcoûts (passing-on). b) La complexification de l’action : l’exemple de la répercussion du surcoût 601. Comme cela a été noté par le Conseil de la concurrence français dans son avis de septembre 2006, « un grand nombre de cas soumis à l’appréciation des autorités de concurrence concerne des biens intermédiaires offerts sur un marché de gros qui se substitue en amont du marché de détail sur lequel s’exprime la demande des consommateurs» 899. Ainsi se pose la question de la possibilité pour 872 F le défendeur de faire valoir que l’acheteur direct a répercuté le surcoût engendré par la pratique anticoncurrentielle sur l’acheteur indirect. La Commission a explicité de manière très claire cette problématique dans le Livre vert : « Le «moyen de défense portant sur la répercussion des surcoûts» concerne le traitement juridique du fait qu'une entreprise qui effectue un achat auprès d'un fournisseur dont le comportement est contraire au droit de la concurrence a la possibilité d'atténuer 899 Avis du 21 sept. 2006 relatif à l’introduction de l’action de groupe en matière de pratiques anticoncurrentielles, op. cit., point 34, p. 9. 285 sa perte économique en répercutant le surcoût subi sur ses propres clients. Le dommage causé par un comportement anticoncurrentiel peut ainsi être répercuté en aval sur la chaîne de distribution, voire être subi intégralement par le dernier acheteur, c'est à dire le consommateur final. Il convient de considérer, en droit, si l'auteur de l'infraction devrait être autorisé à utiliser cette répercussion des surcoûts comme moyen de défense. De même, il conviendra d'examiner si les acheteurs indirects, sur lesquels les surcoûts auront ou non été répercutés, ont qualité pour agir »900. 873F 602. La Commission propose alors d’une part que « les défendeurs soient en droit d'invoquer la répercussion des surcoûts comme moyen de défense contre une demande d'indemnisation desdits surcoûts. Le niveau de preuve requis pour ce moyen de défense ne devrait pas être inférieur à celui imposé au requérant pour prouver les dommages subis » 901 874F et d’autre part, que « les acheteurs indirects puissent se fonder sur la présomption réfragable que le surcoût illégal a été répercuté sur eux dans sa totalité »902. 875F 603. La proposition de la Commission présente de nombreux intérêts. Sur le premier volet, la proposition s’inscrit dans la théorie de la réparation intégrale du préjudice et de son corollaire de l’enrichissement sans cause. L’acheteur direct ayant répercuté son prix sur l’acheteur indirect ne pourra percevoir d’indemnisation. Le défendeur n’aura pas à indemniser deux fois le même préjudice. Sur le second volet, la présomption permet la facilitation de la preuve pour l’acheteur indirect, pour qui il est par nature plus difficile d’apporter la preuve de la faute et du dommage. Cependant, cette proposition a, surtout, pour résultat de rendre plus complexe le traitement des demandes et elle n’est pas adaptée à la réalité des infractions commises sur le marché. 604. Comme l’a souligné le Conseil de la concurrence français: « en réalité, l’acceptation de ce moyen conduit, en pratique, à compliquer considérablement le traitement des dossiers par le juge civil »903. 8 76F En effet, tout d’abord, accepter l’hypothèse de la répercussion des surcoûts demande, le cas échéant, au consommateur final de prouver que l’acheteur direct a augmenté artificiellement le prix de ses produits en répercussion de la hausse artificielle qu’il a lui-même subi de la part du fournisseur, 900 Le Livre vert de la Commission européenne du 25 déc. 2005, intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante » COM(2005) 672 final, p. 8, point 2.4. 901 Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 Avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 9. 902 Ibid. 903 Avis du Conseil de la concurrence du 21 Sept. 2006, relatif à l’introduction de l’action de groupe en matière de pratiques anticoncurrentielles, point 37, p. 9, accessible à l’adresse suivante : www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/classactions.pdf 286 partie à l’entente. La victime, acheteur final, aura certainement des difficultés à faire la preuve du lien de causalité entre le comportement anticoncurrentiel du fournisseur et le préjudice qu’elle a, elle-même, subi du fait de l’augmentation des prix. C’est pourquoi la Commission a instauré, de surcroit, une présomption réfragable, au profit de l’acheteur indirect. Cependant, dans ce cas, cette proposition constitue un frein à l’exercice de l’action par l’acheteur direct, dès lors qu’une action est intentée aussi bien par l’acheteur direct que par l’acheteur indirect. Il devra alors renverser la charge de la preuve, dès lors qu’il n’aura pas répercuté le surcoût 904. Il devra en effet apporter la preuve 87F négative de la non-répercussion du surcoût sur l’acheteur indirect. Ainsi il semble préférable de réserver, au moins dans un premier temps, les actions collectives aux affaires dans lesquelles il existe un lien contractuel direct entre le dommage et la victime, dès lors que cette dernière est un consommateur final 905. Cette solution est celle retenue par le législateur suédois. 87F 605. Les juridictions fédérales américaines écartent eux le principe du « passing on defence »906. En effet, selon la jurisprudence Hanover Schoe & co v. United Schoe Machinery Corporation (1968) 907, 879 F les défendeurs ne peuvent invoquer au moyen de leur défense le fait que l’acheteur direct a répercuté le surcoût généré par l’infraction sur les acheteurs indirects. De même, les acheteurs indirects ne peuvent pas engager une action en indemnisation à l’encontre du fournisseur, partie à l’entente, dès lors qu’un intermédiaire s’interpose dans la relation contractuelle. Il s’agit de la doctrine Illinois Brick co v. Illinois de 1977 908. Cependant, dans certains Etats américains, comme en Californie 909, 80F les recours des acheteurs directs comme indirects sont admis 81F 910 82F . De même, en 2007, la Commission de modernisation de la loi Antitrust a proposé d’ouvrir les recours devant les juridictions fédérales aux acheteurs indirects 911. Ainsi malgré la longue tradition des class actions en droit de la 83F concurrence aux Etats-Unis, l’acceptation du « passing on defence » ne fait pas l’unanimité et la 904 Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, Journée d’étude organisée conjointement par le Collège européen de Paris de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), et l’Association Française d’Etude de la Concurrence (AFEC), Paris, le 13 juin 2008, minutes publiées dans la Revue Concurrences n°2-2009, p. 36. 905 Avis du Conseil de la concurrence du 21 sept. 2006, relatif à l’introduction de l’action de groupe en matière de pratiques anticoncurrentielles, op. cit., point 38, p. 10. 906 F. Polverino, A Class Action Model For Antitrust Damages Litigation In The European Union, University of Chicago Law School, Working paper Series, August 29, 2006, p. 26-27. 907 Hanover Schoe & co v. United Schoe Machinery Corporation, 392 U.S. 481 (1968). 908 Illinois Brick co v. Illinois, 431 U.S. 720 (1977). 909 California v. ARC America Corp., 490 U.S. 93 (1989). 910 N. M. Pace, Class actions in the United States of America : an overview of the process and the empirical literature, RAND Institute for Civil Justice, Santa Monica, California, U.S.A, p. 21, in The Globalization of class actions, An International Conference co-sponsored by Stanford Law School and the Centre for socio-legal studies, Oxford University, 13 & 14 Déc. 2007; Gillian Sproul, Fostering A Competition Culture, Not A Litigation Culture – The European Commission’s « Damages » White Paper, 23 avr. 2008, article publié sur www.mondaq.com. 911 US Antitrust Modernization Commission Report, 2 Avr. 2007. 287 question reste débattue. Il semblerait ainsi opportun d’adopter sur ce point une vision prudente et restrictive en limitant les recours en indemnisation aux acheteurs directs ou tout du moins en laissant l’opportunité aux juges nationaux d’apprécier au cas par cas les éléments de preuve fournis si un demandeur, acheteur indirect en faisant la demande. 606. Conclusion du 1). Le domaine de la protection à conférer aux victimes de violations du droit de la concurrence, pose la question, d’une part, de la « plus value » de l’action communautaire et, d’autre part, des priorités à observer dans le cadre du développement des actions collectives. Une pratique unilatérale ne peut être appréhendée de la même manière qu’une pratique concertée. De plus, le fait que la victime soit un acheteur direct ou indirect, une entreprise ou un consommateur, ou que le litige porte sur de petits montants, peut entrainer des adaptations nécessaires, tant sur le type d’action collective à utiliser, que sur ces modalités de mise en œuvre. Des objectifs réalisables et adaptés aux besoins réels de la société ne doivent-ils pas être définis afin de viser la population à risque et les procédures les plus simples ? En matière de violation du droit de la concurrence, il s’agirait de s’attacher dans un premier temps à appréhender les infractions les plus graves, à savoir les ententes injustifiables. De même, l’accent peut être mis sur les pratiques qui ont déjà été sanctionnées par les autorités de concurrence, ce qui permet d’écarter les questions relatives à la préservation de l’action des pouvoirs publics et de faciliter la preuve de la faute pour les demandeurs. Ensuite, ouvrir les actions tant aux victimes directes qu’aux victimes indirectes nécessite des aménagements du droit de la responsabilité et aboutit à complexifier les procédures. Le champ de la protection doit être limité aux acheteurs directs. Enfin, il est important de distinguer entre les litiges de taille intermédiaire et les petits litiges, qui touchent en priorité les consommateurs. Les différentes formes d’action collective peuvent alors apporter une réponse adaptée à chaque type de litige et ce, sans que cela aboutisse à une dénaturation de la responsabilité civile et à de possibles abus. 2) La promotion des recours collectifs en droit de la concurrence 607. Pour le droit communautaire de la concurrence, deux types d’action collective sont appréhendées : l’action en représentation et l’action de groupe. Le choix entre plusieurs types d’action collective, peut constituer un atout majeur pour l’adaptation de la réponse aux populations visées. Cependant, il faut pour cela en limiter le champ en fonction des objectifs recherchés et appréhender le choix de procédure comme une réelle complémentarité des actions proposées et non 288 comme une simple alternative entre ces dernières. Il s’agit alors de s’appuyer sur la complémentarité des actions collectives et non sur leur caractère alternatif. 608. La Commission, dans son Livre blanc, a ainsi proposé ces deux types d’action de groupe conformément par ailleurs à la demande du Parlement européen dans sa Résolution du 27 avril 2007. Ce dernier avait, en effet, fait valoir qu’il est « nécessaire de disposer d’un mécanisme visant à traiter les petites réclamations multiples »912 et que « dans l'intérêt de la justice et pour des raisons 84F d'économie, de célérité et de cohérence, il convient de reconnaître aux victimes l'exercice volontaire d'actions collectives, soit directement, soit par l'intermédiaire d'une association dont les statuts auraient pour objet une telle initiative »913. 85F a) L’action en représentation et le droit de la concurrence 609. La première procédure proposée serait une action en représentation 914 ouverte aux entités 86F qualifiées, à savoir des associations de défense, des organismes publics ou des organisations professionnelles. Les entités pourraient être des organismes agréés, compétents pour agir en fonction de leur objet social ou des entités ad hoc qui seraient habilitées au cas par cas. Elles pourraient agir au nom de « victimes identifiées ou, dans des cas plutôt restreints, identifiables »915. 87F i) Une qualité à agir conférée à un tiers qualifié 610. L’action en représentation est connue du droit continental. Comme relevé par le groupe de travail qui a réalisé l’étude d’impact des actions en indemnisation en droit de la concurrence sur le bien-être des consommateurs pour la Commission en décembre 2007, ce type d’action est présent dans la 912 Résolution du Parlement européen, du 25 avr. 2007, sur le Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », (2006/2207 (INI)), point 20. 913 Ibid, point 21. 914 La Commission définit dans son document de travail accompagnant le Livre blanc, l’action en représentation comme suit : « Une action représentative en dommages-intérêts intentées par des entités ayant certaines caractéristiques peut constituer un mécanisme de recours collectif approprié dans le domaine du droit de la concurrence. Une actions en représentation est une action intentée par une personne physique ou morale au nom de deux ou plusieurs personnes ou entreprises qui ne sont pas elles-mêmes partie à l'action, et visant à obtenir des dommages-intérêts pour le préjudice individuel causé aux intérêts de tous ceux qui sont représentés (et non pas à l'entité représentante). », Document de travail des Services de la Commission, accompagnant le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 18, point 49. 915 Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 4 ; Sur la notion de « victimes identifiables », voir supra §. 122 et 236 et s. 289 plupart des Etats membres de l’Union européenne 916. Par cette action, les pouvoirs publics délèguent 8F à une entité une qualité à agir pour défendre, non pas, ses intérêts personnels mais les intérêts personnels d’autrui. Les entités pouvant se voir attribuées une telle qualité à agir doivent présenter certaines garanties, qui sont contrôlées a priori par les pouvoirs publics à travers l’octroi d’un agrément. 611. La Commission partage ce point de vue. Elle considère que : « 51. La procédure devrait être limitée à certains types d'entités de manière à permettre un certain contrôle public sur les entités en mesure d'intenter des actions représentatives, par exemple vérification de la légitimité des intérêts représentés »917. Cependant, elle ajoute « Toutefois, la définition des entités ayant qualité pour agir 8 89F ne doit pas être trop limitée, de sorte que la possibilité d'un recours collectif demeure un moyen efficace et accessible d’action en justice » 918. Elle va ainsi ouvrir l’action aux associations agréées 8 90 F en fonction de leur objet social, mais aussi aux associations agréées de manière ad hoc pour le seul litige en cause. 612. Entité agréée en fonction de leur objet social. « Le premier type [d’associations visées] inclut les entités représentant les intérêts légitimes et bien définis des victimes, et officiellement désignées à l'avance par leur État membre pour exercer des recours collectifs en dommages-intérêts au nom de victimes identifiées ou, dans des cas plutôt restreints, des victimes identifiables (pas nécessairement leurs membres). Pour être désigné, ces entités qualifiées devront satisfaire à des critères précis, fixés par la loi, qui comporte des garanties suffisantes pour que soient évités les recours abusifs » 919. Le recours à ce type d’entité permet de vérifier que l’association présente les 891 F qualités nécessaires à la représentation d’autrui. Les critères concernent sa compétence et son expérience en la matière, mais aussi sa représentativité vis-à-vis du groupe de personnes que l’association entend représenter 920. En général, l’agrément est soumis à renouvellement ce qui 892 F permet le contrôle régulier de l’entité par les pouvoirs publics. Ce premier système est le plus 916 Dans l’étude d’impact, les auteurs constatent que « les actions représentatives des associations sont possibles dans la majorité absolue des Etats membres, bien qu’elles soient souvent limitées pour obtenir des injonctions et non pour demander des dommages et intérêts », Making antitrust damages actions more effective in the EU: welfare impact and potential scenarios, Rapport Final, Bruxelles, Rome and Rotterdam, le 21 Déc. 2007, op. cit., p. 274. 917 Document de travail des Services de la Commission, accompagnant le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 Avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 19, point 51 918 Ibid. 919 Document de travail des Services de la Commission, accompagnant le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 19, point 52. 920 Voir supra 119 et s. 290 répandu, les garanties offertes permettant alors que la délégation s’effectue en dehors de tout abus ou tout du moins en limitant tous les abus potentiels. Mais la Commission va plus loin en ouvrant la procédure aux entités qui seraient spécialement agréées pour la résolution d’un litige. 613. Entité désignée de manière ad hoc. « Le second type [d’associations visées] serait des entités qui seraient certifiés, afin de pouvoir exercer un recours collectif relativement à une infraction donnée, sur une base ad hoc selon les procédures prévues dans le droit national de leur État membre. L'admissibilité devrait être limitée à des entités dont la tâche principale est de protéger les intérêts définis de leurs membres, par d’autres moyens que l’exercice de poursuites judiciaires en dommages et intérêts (par exemple une association professionnelle dans un secteur donné) et qui comporte des garanties suffisantes pour que soient évités les recours abusifs »921. Cette prescription de la 893F Commission montre qu’elle est consciente des risques d’abus inhérents à l’ouverture de la procédure d’action en représentation à des entités, qui seraient agréées de manière ad hoc. Cependant, elle ne donne pas les clefs pour y remédier. Il est essentiel, le cas échéant, que des conditions reposant sur les qualités de représentation de l’association et l’opportunité de recourir à une telle procédure au regard de la nature du litige puissent être contrôlées en amont par le juge 922. 894 F ii) Une protection adaptée aux litiges de consommation 614. Les actions en représentation permettent aux pouvoirs publics de déléguer leur rôle de facilitation de la justice à une association ayant pour rôle de remplir cet objectif. Cette délégation de la qualité à agir pour autrui est forcément délimitée car dérogatoire à la règle de l’intérêt personnel à agir. Ainsi, la population visée par cette action est, elle-aussi, forcément limitée. Elle se comprend pour les acheteurs directs, consommateurs finaux, dans le cadre de litiges de faible valeur, pour lesquels les barrières à l’exercice de l’action sont nombreuses. Le rôle de l’association, qui se substitue aux demandeurs, permet de pallier ces obstacles et de renforcer l’accès au juge. 615. La question est alors de savoir si l’on doit l’ouvrir à d’autres personnes, telles que les entreprises. En effet, doit-on attribuer par ce biais une protection identique aux entreprises et aux consommateurs ? La solution ne semble pas évidente. Comme cela a été vu avec l’exemple du droit français, les pouvoirs publics ont souvent recours à ce type d’action dès lors qu’un déséquilibre 921 Document de travail des Services de la Commission, accompagnant le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 19, point 53. 922 Voir §. 227. 291 existe entre les parties. Ainsi, ont été visés le salarié face à l’employeur, le consommateur face au professionnel et l’actionnaire face au conseil d’administration de l’entreprise. Aujourd’hui, est ce que ces catégories doivent être élargies aux entreprises qui seraient considérées comme plus faibles par rapport à des entreprises ayant plus de moyens ? Le critère pertinent en la matière semble être pour les entreprises le montant du préjudice. Ne serait-il pas possible de permettre à des associations ad hoc, représentant les entreprises d’initier ce type de procédure ou de s’y joindre dès lors que le litige individuel subi par ces dernières est inférieur à une certaine somme ? 616. Ainsi, faire le choix d’élargir le champ de l’action en représentation aux entreprises par l’intermédiaire d’association agréées de manière ad hoc permettrait de rester dans l’esprit de la dérogation. Il aboutirait cependant à une complexification de la procédure pour le juge comme pour les parties. L’action en représentation obéit à un objectif très spécifique qui justifie alors son caractère dérogatoire au droit commun. Il s’agit de respecter cette finalité. La procédure d’action de groupe s’offre comme une alternative au champ élargi. b) L’action de groupe et le droit de la concurrence 617. La seconde procédure proposée par la Commission est l’action de groupe. Cette procédure serait ouverte à toute victime, et elle serait mise en œuvre suivant le système d’opt in 923. Certains auteurs 895F ont pu regretter que le système d’opt-in soit favorisé au lieu du système d’opt-out, considérant que ce second système permet la prise en compte d’un plus grand nombre de demandeurs, surtout que les actions en représentation permettent elles-mêmes en général d’agir au nom de personnes identifiées plus qu’au nom de personnes simplement identifiables 924. La Commission européenne justifie son 896F choix en précisant que le système d’inclusion permettrait de limiter les abus potentiels des Demandeurs Représentatifs tendant à agir dans leur seul intérêt plutôt que dans l’intérêt des membres du groupe 925. Comme démontré dans les développements précédents, le système d’opt out 897F se révèle incompatible avec plusieurs principes fondamentaux régissant la procédure civile comme le droit de la responsabilité civile dans une majorité d’Etats membres de l’Union européenne. Ainsi 923 Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 5 : « actions collectives assorties d’une option de participation explicite ». 924 Voir en ce sens G. Sproul, Fostering A Competition Culture, Not A Litigation Culture – The European Commission’s « Damages » White Paper, 23 avr. 2008, article publié sur www.mondaq.com. 925 Commission Staff Working Paper accompanying the White Paper on Damages actions for breach of the EC antitrust rules, COM (2008) 165 final, 4 avr. 2008, p. 20-21, point 58; Voir aussi F. Polverino, A Class Action Model For Antitrust Damages Litigation In The European Union, University of Chicago Law School, Working paper Series, August 29, 2006. 292 ce choix se justifie par la volonté de la Commission de se conformer aux traditions juridiques des Etats membres. 618. Outre cette modalité de l’action, la Commission n’entre ni dans le détail de la procédure d’action de groupe proposée, ni dans le détail de la procédure d’action en représentation. Elle laisse le choix aux Etats membres de juger en opportunité des modalités de mise en œuvre de la procédure, notamment en ce qui concerne les conditions d’autorisation de la procédure. La Commission n’aborde pas davantage la question de l’incitation à exercer la procédure d’action de groupe. Cependant, cette question constitue un point clef dans la mise en œuvre de la procédure. En effet, ce qui fait le succès de l’action de groupe aux Etats-Unis est l’incitation financière du demandeur, qui espère obtenir plus que le simple montant de la réparation de son préjudice. En dehors de cet élément, l’action de groupe présente certains inconvénients de l’action individuelle sans avoir les avantages de l’action de groupe, telle que pratiquée aux Etats-Unis pour le Demandeur représentatif. Ce dernier devra porter l’action en justice, seul, comme pour les actions individuelles, il devra en supporter les risques financiers en cas de perte du procès, et de plus, il se verra soumis à des conditions supplémentaires du fait de la phase d’autorisation de la procédure. L’acheteur direct, entreprise comme consommateur, ne sera pas incité à exercer l’action de groupe, en particulier si l’option lui est laissée de déléguer la gestion du litige à un tiers. Par ailleurs, la DG Concurrence a renoncé à l’action de groupe dans sa proposition de directive d’avril 2009 926 au bénéfice d’une 89F simple jonction de procédure. Conclusion du A). 619. Un libre choix entre deux procédures. Ainsi la Commission vise dans sa réforme tous les recours civils tant pour les consommateurs et que pour les entreprises, qui ont subi un préjudice de manière directe ou indirecte du fait du comportement anticoncurrentiel du défendeur et ce, que ce comportement aient été détecté et sanctionné ou pas en amont par une autorité de concurrence. Elle propose dans ce cadre le recours à deux types de procédures collectives : l’action en représentation et l’action de groupe, qui sont ouvertes à tous et s’appliquent en opportunité selon le choix du demandeur. Cependant, ne doit-on pas envisager des actions collectives différentes pour s’adapter 926 La Commission a formulé une proposition de directive en avril 2009. Cependant, cette directive n’a pas été soumise au Parlement européen et au Conseil, Proposition de directive de la Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne relative aux règles régissant les actions en dommages intérêts pour infraction aux articles 81 et 82 du traité, Avr. 2009. 293 aux besoins des victimes potentielles et ainsi créer des procédures dédiée en fonction de la nature et de l’importance du litige ? Le recours à un tiers, dans l’action en représentation, semble pertinent pour les petits litiges de masse, notamment les litiges de consommation. En revanche, pour les litiges plus importants, une procédure plus proche de l’action individuelle, telle que la procédure « modèle » peut sembler plus opportune afin de pallier tout risque d’abus. Elle permet en effet un traitement rationalisé des demande et de garantir le respect des principes fondamentaux du droit et de la procédure civile. Cette procédure a été proposée, par la Direction Générale de la Santé et de la Consommation de la Commission, dans le cadre de son Livre Vert sur les recours collectifs pour les consommateurs 927. Bien que séduisante au regard de l’objectif de facilitation des recours, l’action de 89F groupe n’était pas forcément l’action la plus adaptée à ces types de contentieux. La Commission pourrait imposer, a minima, certaines conditions d’exercice de l’action, comme les conditions de représentativité du Demandeur et d’opportunité de la procédure. 620. Un champ d’action ouvert. Ensuite, la Commission vise l’ensemble des comportements déviants sans égard aux éventuelles adaptations nécessaires pour aboutir à une solution efficiente. Cependant pourquoi ne pas cibler, au moins dans un premier temps, les comportements les plus à risques et les mieux appréhendables. Selon le Conseil de la concurrence français, ne sont « susceptibles de donner lieu à une action de groupe […][que] certaines ententes horizontales portant sur des biens de grande consommation, les ententes verticales qui visent à augmenter artificiellement le prix de détail et les abus de position dominante dans le cadre desquels un opérateur a pu retarder l’arrivée de concurrents ou exclure certains d’entre eux » 928. Raisonnons alors en fonction des seules ententes 9 0F qui de surcroit apparaissent comme les infractions les plus graves. De même, limitons l’hypothèse aux recours civils qui suivraient les condamnations des autorités de concurrence, ce qui permet de limiter les questions sur le recueil des éléments de preuve de la faute et sur la préservation de l’action publique. De plus, pourrait être mise à l’écart la question des acheteurs indirects, qui complexifient le débat, alors que les cas à appréhender dans ce cadre sont peu nombreux. 621. Au-delà de la détermination du champ de l’action communautaire, et a fortiori du champ de la protection à consentir, se pose également la question des modalités de mise en œuvre de la responsabilité de l’auteur de la pratique. La Commission soulignant alors la spécificité du droit de la 927 Livre vert sur les recours pour les consommateurs, 27 nov. 2008, COM(2008) 794 final. Avis du Conseil de la concurrence, 21 Sept. 2006, relatif à l’introduction de l’action de groupe en matière de pratiques anticoncurrentielles, op. cit., point 38, p. 10. 928 294 concurrence a formulé des propositions visant à restreindre les contraintes traditionnelles de la mise en œuvre de la responsabilité civile. B) L’assouplissement des conditions de responsabilité en droit de la concurrence 622. Par principe, la responsabilité civile suppose une faute, un préjudice et un lien de causalité entre les deux 929. Il s’agit alors pour le demandeur d’apporter les preuves de ces trois éléments pour 901F obtenir la réparation de son préjudice. La Commission, convaincue de la spécificité du droit de la concurrence en la matière a persévéré dans son souhait d’assouplir les conditions classiques de la responsabilité pour ces cas. Elle a ainsi formulé des propositions visant à faciliter l’accès aux preuves et à diminuer le degré d’exigence quant à la preuve de la responsabilité à apporter (1). Elle s’est également intéressée à l’articulation de l’action des pouvoirs publics et de l’action privée en la matière (2). 1) La preuve de la responsabilité de l’auteur de la pratique anticoncurrentielle a) La facilitation de l’accès aux preuves pour les demandeurs 623. La divulgation de la preuve inter partes. La Commission propose d’introduire un degré de divulgation inter partes sur le modèle du droit américain, tout en en limitant la portée afin de pallier aux dérives possibles 930. Elle met en effet en lumière trois arguments tendant à la nécessaire 902F facilitation de la divulgation de la preuve : les preuves sont, dans ce type de contentieux, factuelles et nombreuses ; il existe une asymétrie d’informations entre le demandeur et le défendeur qui a pour conséquence que la plupart des éléments pertinents pour la résolution du litige sont en possession du défendeur. Cependant, les règles de preuve peuvent être strictes dans certains Etats membres. Il faut noter, dès à présent, que la Commission reste vague sur le champ de la procédure de divulgation, laissant aux Etats membres le soin de fixer les limites de cette procédure. La procédure de Discovery en droit américain et la procédure de Disclosure en droit anglais seront examinées en détails, afin de mettre en lumière leurs caractéristiques comparativement aux pouvoirs du juge civil dans notre système inquisitoire. 929 F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Dalloz 2009, 10ème éd., p. 864 et suivantes. Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 4 : « S'il est essentiel de surmonter cette asymétrie structurelle de l'information et d'améliorer l'accès des victimes aux preuves pertinentes, il importe également d'éviter les effets négatifs qu'entraîneraient des obligations de divulgation trop larges et contraignantes, notamment le risque d'abus susceptible d'en découler ». 930 295 624. La Commission propose également de conférer aux « juridictions nationales […], dans des conditions déterminées, le pouvoir d'enjoindre aux parties à la procédure ou à des tiers de divulguer des catégories bien définies de preuves pertinentes »931, pour pallier toute réticence de l’une des 903F parties. Il faut alors s’interroger sur la notion de « catégories de preuve ». Cette notion de catégorie de documents résulte en effet de la procédure américaine de Discovery et de la procédure anglaise de Disclosure 932. Elle peut dans le cadre de ces procédures recouvrir un champ assez large de 904F divulgation. Ainsi la Commission a défini un certain nombre de conditions dont l’examen doit précéder l’autorisation de la mesure. 625. La Commission précise en effet que le requérant devrait remplir un certain nombre de critères pour obtenir l’injonction du juge 933: 905F - Présenter « l’ensemble des données factuelles et moyens de preuve qu’il a pu raisonnablement obtenir faisant apparaître les raisons plausibles de présumer qu’il a subi un préjudice imputable à une infraction aux règles de concurrence »; - Démonter, « à la satisfaction de la juridiction saisie, qu'il n'est pas en mesure, en dépit des efforts que l'on peut raisonnablement attendre de lui, de produire les preuves requises par d'autres voies »; - Définir « des catégories suffisamment précises de preuves à divulguer »; et - Convaincre « la juridiction saisie que la mesure de divulgation envisagée est pertinente pour l'affaire en cause, ainsi que nécessaire et proportionnée »934. 9 06F 626. Ainsi, toute demande de divulgation de documents serait vérifiée a priori par le juge, qui pourrait alors ordonner la divulgation des documents. Les juges, en particulier dans les pays de tradition romano-germanique, disposent déjà d’un pouvoir d’enquête et d’injonction en matière civile. Ils peuvent ainsi faire usage de ces pouvoirs pour réunir les éléments de preuve nécessaires à la solution 931 Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 5. 932 Nous reviendrons sur ces éléments dans la seconde partie de l’analyse. 933 Voir Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 5-6. 934 Pour rappel, en droit européen, le principe de proportionnalité a été consacré en tant que principe général du droit dès 1956 dans une jurisprudence Fédération charb. De Belgique (p. 199 – aff. 8/55). En droit communautaire de la concurrence, le principe de proportionnalité trouve à s’appliquer dans deux contextes. Tout d’abord, il est fait application de ce principe dans le cadre du pouvoir d’investigation de la Commission européenne, et plus spécifiquement dans le cadre des demandes d’informations. Une partie à qui la Commission européenne adresse une demande d’information est tenue d’y répondre. Cependant, cette obligation est applicable dans le respect des principes généraux du droit communautaire. La CJCE contrôle ainsi l’ampleur des mesures d’investigation par rapport au but poursuivi par la Commission. On peut citer les arrêts Hoechst (Aff. 46/87), Solvay (Aff. 27/88) et Orken (Aff. 374/87). De plus, le principe de proportionnalité au stade de la sanction, une amende devant être proportionnée à la gravité de l’infraction. 296 du litige et aider alors les parties, qui ont agi avec toutes les diligences, à obtenir ces éléments de preuve. Ainsi, la mesure proposée par la Commission n’est ni plus ni moins ce qu’il est déjà possible d’obtenir dans la majorité des Etats membres dans l’Union comme cela sera démontré dans une seconde partie avec l’exemple de la France et de l’Allemagne. 627. Enfin, la Commission propose, également, que « les juridictions disposent du pouvoir d'imposer des sanctions suffisamment dissuasives pour éviter la destruction d'éléments de preuves pertinents ou le refus de se conformer à une injonction de divulgation, et notamment de la faculté de tirer des conséquences défavorables dans le cadre de l'action civile en dommages et intérêts »935. Le pouvoir 907F d’injonction du juge est assorti de sanctions en cas de non respect de la mesure. Ainsi, la proposition de la Commission semble présenter moins d’intérêt et peut apparaître très intrusive de l’organisation interne de la justice. 628. Ces modalités seront abordées dans une seconde partie. Néanmoins, la facilitation de la divulgation de la preuve, dans ce type de procédure, et en particulier en matière de concurrence et de consommation, se justifie. La multiplicité des demandeurs explique que le demandeur principal ne puisse détenir en sa possession tous les éléments nécessaires au soutien de ses prétentions. D’autre part, compte tenu des rapports consommateurs-entreprise, et de la faute à prouver, en particulier en matière de droit de la concurrence, il semble difficile, voire impossible pour le demandeur, de parvenir à apporter la preuve suffisante de la faute, sauf à considérer les condamnations rendues par les autorités de concurrence. Une asymétrie d’informations caractérise de façon évidente ces rapports. Cependant, il existe des solutions à ces difficultés dans nos systèmes. Il s’agit alors de les optimiser afin de parvenir à un système plus efficient. Cette solution apparaît plus raisonnable que de recourir à la procédure américaine de la Discovery, qui est très controversée. 629. L’accès aux documents des autorités de concurrence. Une autre question peut être déjà envisagée concernant la facilitation de la preuve. Il s’agit de permettre aux demandeurs devant les juridictions civiles de consulter et de produire les documents recueillis par les autorités de concurrence, dans le cas où ces dernières ont rendu une décision de condamnation à l’encontre de l’auteur de la pratique anticoncurrentielle. Le Livre blanc ne fait pas état expressément du possible accès des parties aux documents des ANC ou de la Commission. Cependant, cette possibilité est 935 Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 6. 297 sous-entendue du fait qu’elle propose que « les déclarations des entreprises effectuées dans le cadre d'une demande de clémence ainsi que les enquêtes des autorités de concurrence bénéficient d'une protection adéquate » 936. Bien que cette solution soit intéressante du point de vue de l’efficacité de 9 08F la procédure et de la recherche de la preuve de la faute, elle pose in fine beaucoup de questions. En effet, tout d’abord comme souligné par la Commission elle-même, elle nécessite de mettre en place une protection spécifique pour les demandeurs de clémence, sans quoi elle pourrait nuire à l’effectivité de cette dernière. Ensuite, comme cela a été souligné par le Parlement européen 937, cet 90F accès ne pourrait se faire que dans le respect des législations relatives au secret professionnel entre l’avocat et son client, au secret des affaires ainsi qu’au secret de l’Etat. Cela nécessiterait alors un contrôle a priori des pièces par un tiers. Le Parlement propose l’assistance à cet effet des autorités de concurrence elles-mêmes 938. Cependant, cette assistance entrainerait une surcharge de travail et 910F un coût qu’il faut prendre en considération. Enfin, suivant la Résolution du Parlement de 2007, des dispositions devraient être prises afin que le principe de proportionnalité soit respecté 939. 91F 630. La question de l’accès aux preuves en droit de la concurrence constitue un point clef tant pour les personnes privées dans le cadre d’un litige au civil que pour les pouvoirs publics dans le cadre de leurs pouvoirs d’enquête et de sanction. Par nature, les ententes sont cachées ainsi même ces derniers éprouvent des difficultés à recueillir les preuves nécessaires à la condamnation des auteurs de pratiques anticoncurrentielles. La proposition vise ainsi à obliger les parties à divulguer par ellesmêmes les éléments de preuves en leur possession. Cependant, ce système contrevient au principe inquisitoire qui régit le droit civiliste, comme cela sera examiné plus en détail dans la seconde partie des développements. Dans le cadre des actions de suite, l’accès aux documents des ANC et de la Commission est lui aussi une solution qui s’offre aux pouvoirs publics dans leur démarche de facilitation de l’action civile. Cependant, cette solution comprend l’obligation de respecter de nombreux impératifs qui pourraient rendre sa mise en œuvre très compliquée. La Commission a 936 Ibid. Résolution du Parlement européen, du 25 Avr. 2007, sur le Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », (2006/2207 (INI)), point 12. 938 Ibid. 939 Pour rappel, en droit européen, le principe de proportionnalité a été consacré en tant que principe général du droit dès 1956 dans une jurisprudence Fédération charb. De Belgique (p. 199 – affaire 8/55). En droit communautaire de la concurrence, le principe de proportionnalité trouve à s’appliquer dans deux contextes. Tout d’abord, il est fait application de ce principe dans le cadre du pouvoir d’investigation de la Commission européenne, et plus spécifiquement dans le cadre des demandes d’informations. Une partie à qui la Commission européenne adresse une demande d’information est tenue d’y répondre. Cependant, cette obligation est applicable dans le respect des principes généraux du droit communautaire. La CJCE contrôle ainsi l’ampleur des mesures d’investigation par rapport au but poursuivi par la Commission. On peut citer les arrêts Hoechst (Aff. 46/87), Solvay (Aff. 27/88) et Orken (Aff. 374/87). Le principe de proportionnalité s’applique au stade de la sanction, une amende devant être proportionnée à la gravité de l’infraction. 937 298 alors proposé une autre solution qui pourrait régler en partie la question de la preuve, tout du moins s’agissant de la faute : la présomption de faute civile en cas de condamnation par une autorité de concurrence. b) Les exigences diminuées de la démonstration de la faute du défendeur 631. Dès lors qu’une autorité nationale de concurrence rendrait une décision de condamnation à l’encontre d’une entreprise pour violation de l’article 81 ou 82 TFUE, la Commission propose que les juridictions civiles ne puissent pas aller à l’encontre de cette décision ou du jugement, devenu définitif. De plus, elle propose que cette condamnation apparaisse comme « une preuve irréfutable »940 dans une action en dommages et intérêts et elle ajoute qu’ « elle ne voit pas de 912F raison de principe de s’opposer [alors au fait que] la faute soit présumée de manière irréfragable, […] à l’exception des cas où l’auteur a commis une erreur excusable » 941. Elle ajoute que cela doit 9 13 F s’appliquer entre les juridictions des différents Etats membres 942. Pour caractériser l’erreur 914F excusable, la Commission considère qu’« une erreur est considérée comme excusable dans le cas où une personne raisonnable appliquant un degré élevé de diligence ne pouvait pas avoir connaissance du fait que le comportement en cause restreignait la concurrence »943. Ainsi la Commission propose 9 15F d’une part la consécration de l’effet contraignant des décisions des ANC, devenue définitives pour les juridictions civiles nationales et elle prône la présomption de faute civile en cas de reconnaissance de la faute anticoncurrentielle, de nature pénale ou administrative. 632. Reconnaissance de l’effet contraignant des décisions des ANC pour les juridictions civiles. Les autorités de concurrence sont en général favorables à la reconnaissance de l’autorité de la chose jugée des décisions des ANC au sein de l’Union européenne. L’Allemagne a même adopté cette règle lors de la réforme de sa Loi sur la concurrence qui est entrée en vigueur le 1er juillet 2005 944. 916F Ainsi désormais dès lors que le Bundeskartellamt a rendu une décision, devenue définitive, constatant la violation d’une règle du droit de la concurrence, le demandeur dans le cadre de l’action en indemnisation n’a pas à prouver la violation ; il lui suffit de faire la démonstration du préjudice et 940 Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 Avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 6. 941 Ibid, p. 7. 942 Ibid. 943 Ibid, p. 8. 944 Loi allemande relative aux restrictions de concurrence, 7ème amendement, disponible en anglais sur le site du Bundeskartellamt à l’adresse suivante : http://www.bundeskartellamt.de/wFranzoesisch/index.php. 299 du lien de causalité entre la pratique incriminée et le préjudice allégué 945. Le Parlement européen a 917F même proposé que l’effet contraignant de ces décisions soit étendu à toutes les juridictions de tous les Etats membres, dans la mesure où « les parties et les circonstances de l’affaire sont les mêmes »946. Cependant, des observateurs ont exprimé une opinion contraire, des ambiguïtés 9 18F demeurant sur cette question et notamment sur le champ de l’effet contraignant de la décision pour les autres juridictions 947. Sans entrer dans le détail, bien que le juge civil puisse être tenu par la 91F décision d’une autorité de concurrence nationale ou étrangère, il lui appartiendra de déterminer sur quel comportement exactement porte cette décision. De plus, il devra vérifier dans quelles conditions elle a été rendue et si les droits de la défense ont été respectés. Il devra également déterminer quelle personne juridique vise cette décision. Ainsi il pourra se départir pour partie des éléments de la décision de l’ANC. De plus, il devra écarter la décision dès lors qu’elle porte sur une infraction au droit de la concurrence qui n’a pas entraîné d’effet anticoncurrentiel, susceptible d’entrainer un préjudice pour autrui. Ainsi ces éléments amènent à être prudent vis-à-vis du principe de présomption de responsabilité proposée par la Commission, surtout si cette dernière est irréfragable. 945 Voir Bundeskartellamt, Activity Report 2005/2006 (short version), p. 7. Résolution du Parlement européen, du 25 avr. 2007, sur le Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », (2006/2207 (INI)), point 7. 947 Facilitating compensation for breach of competition rules: the White Paper, Freshfields Bruckhaus Deringer Briefing, Avr. 2008; Plusieurs des objections formulées lors d’une journée d’étude organisée à Paris sur le thème du Livre Blanc (Voir propos de Mme Claudel). En effet, les participants se sont interrogés, tout d’abord, sur la possibilité que « les différentes ANC n’ont pas forcément la même conception du principe de loyauté dans la recherche de la preuve ». L’auteur cite alors à juste titre une jurisprudence de 2008 de la Cour de cassation qui a déclaré irrecevable des éléments de preuve obtenus selon des procédés déloyaux (Cass. Com., 3 Juin 2008, n° de pourvoi: 07-17147 07-17196, Bull. 2008, IV, n° 112.). La compatibilité de cette mesure avec les procédures négociées, telles que les engagements, ou la non-contestation de griefs est également abordée, Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, Journée d’étude organisée conjointement par le Collège européen de Paris de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), et l’Association Française d’Etude de la Concurrence (AFEC), Paris, le 13 juin 2008, minutes publiées dans la Revue Concurrences n°2-2009, p. 31 et s. Cette question est également particulièrement intéressante au regard de la théorie de la responsabilité de la société mère. En effet, la Commission européenne condamne désormais de manière quasiment systématique la société mère de la filiale, participante à l’infraction, dès lors que cette dernière est détenue à 100% de son capital (Voir CJCE, 10 sept. 2009, aff. C-97/08 P, Akzo nobel NV c/ Commission). Pour ce faire, la Commission assoit son raisonnement sur le fait que dans ce cas de figure, la société mère et la filiale forme une unité économique et ainsi que la filiale n’a pas agi en toute autonomie pour déterminer sa politique commerciale. Premièrement, il est possible de s’interroger sur laquelle de ces sociétés devraient répondre de l’agissement retenu devant la juridiction civile dès lors que les deux sont réputées avoir commises l’infraction au droit de la concurrence. Ensuite, cette problématique pose des questions s’agissant du respect des droits de la défense. Un contentieux très important s’est formé sur cette question de la responsabilité de la société mère devant les juridictions communautaires et pourrait être poursuivi devant la Cour européenne des droits de l’Homme. Par exemple, ce raisonnement se forme en dehors de toute considération de la personnalité juridique des sociétés incriminées et ne repose pas sur le principe de la responsabilité personnelle de la personne morale. De plus, la société mère n’est en général pas informée de l’enquête avant la communication de grief, ce qui ne lui permet pas de préparer sa défense dès les premiers éléments de l’enquête. Ainsi dès lors que l’on retiendrait au plan civil la responsabilité de la société mère comme de la filiale, pourrait-on soulever devant la juridiction civile la question des droits de la défense ? 946 300 633. Présomption de faute civile en cas d’infraction au droit de la concurrence. Le système proposé de la présomption de l’identité de faute entre la violation de la règle de concurrence et la faute civile s’explique au regard de la difficulté de la preuve à apporter pour les demandeurs au civil 948. 920F Cependant, elle ne fait pas l’unanimité. En effet, certains auteurs sont très réservés sur l’unicité de la faute concurrentielle et de la faute civile. Ainsi lors du colloque sur le Livre blanc précité, il a été rappelé : « que la faute concurrentielle n’est pas nécessairement une faute civile. Il faut distinguer les deux et le préjudice est l’élément déterminant »949. En effet, comme explicité par M. Terré 950, 921F 92 F d’une part, le champ d’application de la faute pénale et celui de la faute civile ne sont pas identiques et d’autre part, l’existence d’une faute pénale constituant une faute civile n’entraîne pas pour autant la responsabilité civile de son auteur car faut-il encore que ce comportement fautif ait entrainé un dommage à la personne. La distinction entre responsabilité civile, d’une part, et responsabilité pénale, d’autre part, est, alors, très importante car il ne doit pas suffire de démontrer qu’il y eut violation du droit de la concurrence, il est indispensable que le dommage soit également démontré et évalué. Bien que l’unicité de fautes pour les mêmes faits dans les mêmes circonstances soit reconnue, cela ne devrait pas conduire à une présomption de dommage civil. La difficulté est que le préjudice, en droit de la concurrence, est, lui-même, souvent présumé de l’infraction commise, car son évaluation nécessite le recours à des études économiques complexes. Le contentieux civil nécessite que le comportement de la victime soit lui aussi pris en compte. « On ne peut pas faire l’économie du fait de la victime que le droit de la concurrence élude alors que le débat sur le dol ou la faute civile l’impose. On doit s’intéresser à la victime : a-t-elle été véritablement trompée ou a-telle été imprudente ? […] »951. 923F 634. Lors de cette même assemblée, il a également été dénoncé les raccourcis trop souvent opérés dès lors que l’on aborde la question de la réparation civile dans le contentieux de la concurrence 952 : « le 924F 948 Résolution du Parlement européen, du 25 avr. 2007, sur le Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », (2006/2207 (INI)), point 11. 949 Intervention de M. C. Lapp lors de la table ronde sur le thème « l’exemple français de l’action en réparation devant le juge administratif », Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, Journée d’étude organisée conjointement par le Collège européen de Paris de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), et l’Association Française d’Etude de la Concurrence (AFEC), Paris, le 13 juin 2008, minutes publiées dans la Revue Concurrences n°2-2009. 950 F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit Civil, Les obligations, Dalloz 2009, 10ème éd., p. 734, point 723. 951 Intervention de M. C. Lapp lors de la table ronde sur le thème « l’exemple français de l’action en réparation devant le juge administratif », Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, Journée d’étude organisée conjointement par le Collège européen de Paris de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), et l’Association Française d’Etude de la Concurrence (AFEC), Paris, le 13 Juin 2008, minutes publiées dans la Revue Concurrences n°2-2009, p. 51. 952 Intervention de M. Kiviatkowski, lors de la table ronde sur le thème « l’exemple français de l’action en réparation devant le juge administratif », Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles 301 droit de la responsabilité est simple et généreux. Pour obtenir réparation, il faut une faute, un préjudice, un lien de causalité. Ici on commence à considérer que la faute civile est induite, suggérée ou contenue dans le comportement anticoncurrentiel. Pour le préjudice, il faut l’établir de façon précise et matérielle, il doit correspondre à une vérité technique et économique et c’est effectivement compliqué. On voit ici et là des idées qui consistent à le forfaitiser avec le danger d’approximation que cela provoque […]. En ce qui concerne le lien de causalité, on est à deux doigts de le présumer. C’est plus facile ! Ainsi finalement de raccourci en raccourci, on finit par créer un régime indemnitaire à vocation punitive qui foule au pied les principes fondateur de la responsabilité civile. Et on laisse de coté les questionnements essentiels relativement à la faute : Estelle grave ? Est-elle légère ? Est-elle grossière ? Est-elle récurrente ? Le préjudice est-il réel ? Le préjudice est-il parfaitement établi ? Le préjudice est-il direct ? Plus grave encore la victime a-t-elle partagée ou concouru à la faute qui se trouve à l’origine du droit à réparation ? La victime a-t-elle encouru à son propre préjudice ? »953. 925 F 635. Un autre point très important a également été souligné. « Si on n’est pas en mesure d’identifier clairement les préjudices et l’imputation de la faute, (c'est-à-dire dans le cas particulier l’affecter spécifiquement à un marché), on va procéder à une espèce de confusion. Prenons le cas de la SNCF: les surcouts qui ont été supportés par la SNCF ont éventuellement été répercutés sur les usagers et c’est finalement une sorte de dommage à l’économie. Ce dommage à l’économie, le droit de la concurrence le règle, le répare, avec le dispositif répressif qui est prévu par le Code du Commerce » 954. Il ne s’agit pas pour la Commission de renforcer l’effectivité du droit à réparation 9 26F des victimes des comportements déviants des entreprises en droit de la concurrence, mais bien de renforcer l’effectivité du droit de la concurrence en augmentant la participation financière des entreprises en infraction. 636. La présomption d’unicité entre la faute civile et la faute anticoncurrentielle doit être maniée avec prudence pour laisser toute la place aux autres éléments de la responsabilité civile, notamment au communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, Journée d’étude organisée conjointement par le Collège européen de Paris de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), et l’Association Française d’Etude de la Concurrence (AFEC), Paris, le 13 Juin 2008, minutes publiées dans la Revue Concurrences n°2-2009, p. 51. 953 Ibid. 954 Intervention de M. Kiviatkowski, lors de la table ronde sur le thème « l’exemple français de l’action en réparation devant le juge administratif », Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, Journée d’étude organisée conjointement par le Collège européen de Paris de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), et l’Association Française d’Etude de la Concurrence (AFEC), Paris, le 13 juin 2008, minutes publiées dans la Revue Concurrences n°2-2009, p. 53. 302 rôle de la victime dans la réalisation du dommage, qui permettrait de renverser la charge de la preuve. Dans ce sens, la notion de « présomption irréfragable » semble très discutable. Il devrait être possible pour l’entreprise de faire valoir devant le juge civil à juste titre la difficulté réelle rencontrée s’agissant du respect des droits de la défense ou encore le rôle joué dans la réalisation du litige par la victime. La seule échappatoire proposée est pour l’heure la preuve de la commission d’une « erreur excusable ». La référence au bon père de famille, dans une matière qui s’y prête peu 955, peut 927 F surprendre. Il semble que cette notion ne soit pas opérante en la matière. Cette présomption ne doit pas non faire oublier l’obligation pour la victime d’apporter la preuve du préjudice et du lien de causalité entre le préjudice et la pratique anticoncurrentielle condamnée. 637. Conclusion. Il apparait légitime de prendre en compte la condamnation par une autorité de la concurrence d’une entreprise pour son comportement anticoncurrentiel. Cependant, la considération de la décision rendue par un juge civil doit rester dans l’office du juge, qui apprécie les circonstances en l’espèce, pour déterminer l’existence du dommage et le lien de causalité. De même, bien que la reconnaissance de la faute anticoncurrentielle puisse entrainer une présomption de faute civile, il est indispensable que le défendeur soit en mesure d’apporter une preuve contraire au-delà de la simple faute excusable, lui permettant de s’en exonérer. Comme cela a été mis en lumière, les règles de la responsabilité civile sont les mêmes pour tous et bien que certains aménagements puissent être opérés pour tenir compte de la spécificité du droit de la concurrence, il ne s’agit pas de revenir sur la base, à savoir une faute, un dommage et un lien de causalité entre la faute et le dommage, ni sur l’objet de la responsabilité civile, à savoir la réparation du dommage. Cette ambigüité entre l’action des pouvoirs publics d’un coté et celle de l’action privée de l’autre a également fait l’objet de propositions de la part de la Commission, qui a tenté de sauvegarder la complémentarité des deux actions dans le cadre de sa politique de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles, sans empiéter sur l’action première des autorités de concurrence. 955 Ibid, p. 29. 303 2) L’articulation de l’action des pouvoirs publics et de l’action privée pour appréhender la pratique anticoncurrentielle 638. La facilitation des recours civils, en cas de violation du droit de la concurrence, nécessite une saine articulation entre l’action des autorités de concurrence et celle des victimes devant les juridictions civiles956. Il faut, d’une part, s’interroger sur le délai de prescription de l’action civile au regard du temps de l’enquête par l’autorité de concurrence, dans les actions de suite (a). D’autre part, il faut combiner les recours civils avec la mise en œuvre de la politique de clémence, afin de ne pas nuire à cette dernière (b). a) L’aménagement du délai de prescription 639. La Commission propose que ce dernier « ne commence pas à courir avant le jour où l'infraction prend fin, en cas d'infraction continue ou répétée; ou avant le moment où la victime de l'infraction peut raisonnablement être considérée comme ayant connaissance de cette infraction et des dommages qu'elle lui cause » 957. Ce dernier critère apparait en conformité avec le critère 9 28F prédominant depuis la réforme de la prescription intervenue en 2008 en France 958. Cependant la 92F Commission propose également « qu'un nouveau délai de prescription de deux ans minimum commence à courir le jour où la décision constatant l'infraction, sur laquelle le requérant s'appuie pour intenter une action, est devenue définitive » 959. Elle crée ainsi un autre délai de prescription 9 30F spécifique aux actions de suite. 640. Le point de vue du processualiste sur cette question est fort intéressant. En effet, Mme Amrani Mekki, intervenante d’un colloque organisé à Paris sur le livre Blanc est venue souligner l’originalité du double délai de prescription et plus encore sa dangerosité. Elle considère que « la condamnation par une autorité de concurrence pourrait permettre d’assurer la connaissance par les victimes de l’existence de l’infraction. Il faut, pour cela, que la publicité des décisions soit à même d’assurer 956 Voir F. Polverino, A Class Action Model For Antitrust Damages Litigation In The European Union, University of Chicago Law School, Working paper Series, August 29, 2006, p. 25. 957 Le Livre Blanc de la Commission européenne, du 2 Avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 10. 958 Loi n° 2008-561, du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile, NOR: JUSX0711031L. 959 Ibid. Le Parlement ramène ce délai à un an. Le Parlement ajoute que ce délai devrait être suspendu dès lors que s’engage une négociation à l’amiable entre les parties (médiation ou transaction formelle). En outre, il propose que le délai de prescription de l’action en indemnisation soit suspendu dès lors que la Commission ou une ANC ouvre une enquête, Résolution du Parlement européen, du 25 avr. 2007, sur le Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », (2006/2207 (INI)), point 23 à 25. 304 une connaissance effective […]. Le problème est, cependant, que la commission ne met pas en relation le point de départ du délai de prescription et l’intervention d’une sanction publique. Par un raccourci dangereux, elle considère qu’un nouveau délai de prescription court du jour d’une décision constatant l’infraction. Cette position est extrêmement critiquable. D’abord, il est difficile de comprendre qu’une décision publique puisse faire renaître de ses cendres un droit prescrit par son non-usage. Ensuite, ce serait aller à l’encontre de l’institution même de la prescription. Elle vise la sécurité juridique. N’ayant pu faire en sorte que le fait soit conforme au droit, on a mis le droit en conformité à la situation de fait. Qu’il s’agisse d’une sanction de la négligence du créancier ou d’une présomption de refus d’action, il est difficile de concevoir qu’une décision publique la fasse renaître ». Elle ajoute que « surtout, la prescription a un objet précis, le droit substantiel. Elle ne peut être affectée que par ce qui touche cet objet. Ainsi, le réveil du créancier doit toucher son objet. C’est pourquoi on considère que chaque demande en justice n’interrompt que la prescription du droit qui en est l’objet sans s’étendre aux autres demandes. Une demande dans une instance publique ne peut avoir un effet en dehors de son objet ». Elle conclut alors que « La création d’un nouveau délai de prescription n’est pas viable car cela voudrait dire que la décision publique crée le droit à réparation. Or celui-ci naît de l’infraction et non de sa sanction » 960. 9 31F 641. La solution adoptée en droit allemand, à savoir la suspension du délai de prescription de l’action civile par l’engagement d’une procédure sur le fondement des articles 81 et 82 CE par une ANC ou la Commission européenne 961 semble plus appropriée à ce cas 962. La préservation de l’action privée, 932F 93F dans ce cadre, passerait par une simple suspension du délai de prescription en vigueur dans l’Etat membre, à compter de l’ouverture d’une enquête par une autorité de concurrence. Cela permettrait de sauvegarder la sécurité juridique, objectif propre de la prescription extinctive. D’autre part, l’aménagement de la politique de clémence pour tenir compte des éventuelles conséquences en cas de recours devant les juridictions civiles. 960 S. Amrani-Mekki, Inciter les actions en dommages intérêts en droit de la concurrence: le point de vue d’un processualiste, p. 21, dans Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, Journée d’étude organisée conjointement par le Collège européen de Paris de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), et l’Association Française d’Etude de la Concurrence (AFEC), Paris, le 13 Juin 2008, Actes publiés sous la direction de Laurence Idot, dans la Revue Concurrences n°2-2009. 961 Article 33 al. 5, Bundesgesetzblatt, partie I, 12 juill. 2005, n° 42, p. 1954. 962 S. Amrani-Mekki, Inciter les actions en dommages intérêts en droit de la concurrence: le point de vue d’un processualiste, p. 21, dans Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, Journée d’étude organisée conjointement par le Collège européen de Paris de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), et l’Association Française d’Etude de la Concurrence (AFEC), Paris, le 13 Juin 2008, Actes publiés sous la direction de Laurence Idot, dans la Revue Concurrences n°2-2009. 305 b) La coordination du programme de clémence avec les actions civiles 642. La politique de clémence en Europe. Aujourd’hui en Europe, plus de 50% des ententes détectées par les ANC et la Commission européenne sont le fait des participants au cartel 963. L’entreprise, qui 934F dénonce l’infraction, cherche à obtenir l’immunité d’amende ou une réduction du montant de cette dernière. La Commission européenne a encadré cette pratique en adoptant une politique, dont les modalités sont définies dans une Communication, dont la dernière version date de décembre 2006 964. Dans le cadre de cette politique, la Commission s’est engagée à exempter de l’amende qui 935F lui aurait été infligée, « une entreprise qui révèle sa participation à une entente présumée affectant la Communauté de l'amende […] si elle est la première à fournir des renseignements et des éléments de preuve » lui permettant de mener des inspections et de constater la violation à l’article 101TFUE 965. Des conditions sont alors spécifiées dans la Communication 966. Ensuite sont prévues 936F 937F des réductions d’amendes pour les entreprises qui apportent « une valeur ajoutée significative », dans la constatation de l’infraction, la première se voyant appliquer une réduction allant de 30 à 50% du montant de l’amende, la seconde, une réduction allant de 20 à 30% et les autres, une réduction maximale de 20% 967. 938F 643. Une politique à préserver. Aujourd’hui favoriser les actions civiles nécessite que l’on tente de préserver cette politique de clémence, qui est un atout essentiel dans le cadre de la politique de lutte contre les ententes des pouvoirs publics tant communautaires que nationaux. En effet, le fait de pouvoir être condamné de surcroit au paiement de dommages et intérêts augmente le risque financier pesant sur l’entreprise et pourrait dissuader les entreprises de dénoncer leurs agissements aux autorités. C’est pourquoi, la Commission a réfléchi à des mesures permettant de préserver cette politique en cas d’action en indemnisation faisant suite à une de ces condamnations. 644. Les propositions de la Commission. La Commission considère en effet qu’« il convient d'assurer une protection adéquate aux déclarations effectuées par une entreprise dans le cadre d'une demande 963 Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, Journée d’étude organisée conjointement par le Collège européen de Paris de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), et l’Association Française d’Etude de la Concurrence (AFEC), Paris, le 13 Juin 2008, minutes publiées dans la Revue Concurrences n°2-2009, p. 48. 964 Commission notice on immunity from fines and reduction of fines in cartel cases, OJ C 298, 8.12.2006, p. 17; Voir aussi Commission notice on immunity from fines and reduction of fines in cartel cases, OJ C 45, 19.02.2002, p. 3-5; Commission Notice on the non-imposition or reduction of fines in cartel cases, OJ C 207, 18.07.1996, p. 4-6. 965 Commission notice on immunity from fines and reduction of fines in cartel cases, OJ C 298, 8.12.2006, p. 17, point 8. 966 Ibid, p. 17, points 8-13. 967 Commission notice on immunity from fines and reduction of fines in cartel cases, OJ C 298, 8.12.2006, p. 17, point 26. 306 de clémence contre la divulgation de ces déclarations dans des actions privées en dommages et intérêts, afin d'éviter de placer l'entreprise à l'origine de cette demande dans une situation moins favorable que celle des co-auteurs de l'infraction »968. Elle propose alors que « cette protection 93F s'applique: à toutes les déclarations d'entreprises soumises par tout demandeur de clémence en rapport avec une infraction à l'article 81 du traité CE (y compris lorsque le droit national de la concurrence est appliqué en parallèle);que la demande de clémence soit acceptée, rejetée ou ne donne lieu à aucune décision de la part de l'autorité de concurrence ». Ainsi la Commission cherche à obtenir une immunité civile pour les demandeurs de clémence. La Parlement encourage cette démarche en considérant que « dans les cas d’entente, les premiers opérateurs qui coopèrent avec les autorités de la concurrence dans le cadre de programmes de clémence ne devraient pas être tenus solidairement responsables avec les autres auteurs de l'infraction »969. 940F 645. La politique de clémence aux Etats-Unis d’Amérique. Aux Etats-Unis, l’immunité civile est partielle. L’Antitrust Criminal Penalty Enhancement and Reform Act 970, de juin 2004 opère ce qu’on 941F appelle un “de-trebling”, c’est-à-dire qu’il exonère le demandeur de clémence, qui obtient l’immunité ou une réduction d’amende, du paiement des dommages et intérêts triples. En revanche, le demandeur de clémence s’engage à fournir en contrepartie de son immunité les éléments de preuve nécessaires aux demandeurs afin que ces derniers puissent demander réparation de leur préjudice auprès des co-auteurs de l’infraction 971. Le rôle complémentaire du droit civil et du droit 942F pénal aux Etats-Unis, en matière de droit de la concurrence particulièrement, peut être rappelé. 646. Consacrer une immunité civile en Europe nécessiterait une coordination entre les juridictions civiles et les ANC et la mise en place d’une procédure particulière afin d’encadrer cette immunité. Cependant, des obstacles pourraient exister dans la consécration de cette immunité civile. En effet, en France, cette option serait peut être plus délicate à mettre en œuvre car le Conseil constitutionnel 968 Le Livre blanc de la Commission européenne, du 2 Avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 11. 969 Résolution du Parlement européen, du 25 avr. 2007, sur le Livre vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », (2006/2207 (INI)), point 17. 970 Antitrust Criminal Penalty Enhancement and Reform Act, Section 213 a). 971 Antitrust Criminal Penalty Enhancement and Reform Act, Section 213 b). 307 a, dans une décision du 22 octobre 1982 972, reconnu la valeur constitutionnelle du principe de 943F réparation 973. Un aménagement serait nécessaire pour garantir le respect de ce principe. 94F 647. La mise en œuvre du droit de la concurrence en Europe est garantie par les pouvoirs publics. Ainsi la volonté de faciliter les recours civils ne doit pas se réaliser au détriment des outils indispensables à la politique de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles. Cependant, cette préservation de la politique publique ne doit pas se faire au détriment du cadre juridique général. C’est pourquoi l’emploi de deux délais de prescription ne paraît pas souhaitable, d’autant que le droit positif offre déjà une solution adaptée et acceptable. S’agissant de l’articulation de la politique de clémence avec la mise en œuvre de la responsabilité civile des co-auteurs de l’infraction, la question est plus hardie, mais la solution devra elle-aussi s’intégrer dans le cadre légal car le renforcement des recours civils en droit de la concurrence doit obéir aux mêmes règles que les autres domaines du droit. 648. Conclusion du B). Les propositions de la DG concurrence visant à assouplir les conditions de la responsabilité civile en droit de la concurrence constituent des aménagements importants des principes existants dans les pays de droit romano-germanique. Certaines solutions proposées peuvent apparaître comme disproportionnées par rapport à l’enjeu de la réforme. Cependant, la présomption de faute en cas de condamnation par une ANC semble une solution adaptée, sous réserve de garantir le caractère réfragable de cette présomption. De même, la solution, proposée par Mme Amrani Mekki, de suspendre le délai de prescription à compter de l’ouverture de l’enquête par l’ANC, semble permettre la préservation de l’action publique sans nuire à la sécurité juridique nécessaire aux justiciables. Enfin, la préservation de la politique de clémence semble primordiale, mais une solution adaptée au cadre légal général des Etats membres doit être privilégiée. Ainsi la spécificité du droit de la concurrence invoquée par la Commission ne peut conduire à adopter des mesures disproportionnées. De plus, des solutions existent dans nos systèmes de droit. Elles nécessitent d’être mieux prises en compte. La vision traditionnelle du droit de la responsabilité civile dans les pays civilistes et l’équilibre construit à travers cette conception doivent être préservés. 972 Cons. Constit., 22 oct. 1982, D. 1983.189, note F. Luchaire, Gaz. Pal. 1983.1.60, obs. F. Chabas; voir aussi pour le détail de la décision, F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit Civil, Les obligations, Dalloz 2009, 10ème éd., p. 696-697. 973 Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, Journée d’étude organisée conjointement par le Collège européen de Paris de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), et l’Association Française d’Etude de la Concurrence (AFEC), Paris, le 13 Juin 2008, minutes publiées dans la Revue Concurrences n°2-2009, p. 48 308 Conclusion de la Section 1 649. La DG Concurrence veut faciliter les recours civils en droit de la concurrence. Pour ce faire, elle adopte une démarche globale visant l’ensemble des infractions, des victimes potentielles et ce, quelle que soit l’importance et la nature du litige. 650. Elle propose dans ce cadre deux actions collectives à usage alternatif, l’action de groupe et l’action en représentation. La détermination d’un champ plus ciblé pour chacune de ces actions en fonction de la population à protéger et de l’importance du litige permettrait d’en garantir un usage optimum tout en limitant le risque d’abus. De même, certaines conditions liées à l’exercice de ces actions devraient être définies afin de pallier aux actions abusives. 651. Sous couvert de vouloir renforcer le droit à réparation des victimes de pratiques anticoncurrentielles, la Commission semble vouloir faire des recours civils un élément de sa politique répressive, sur le modèle du private enforcement aux Etats-Unis. Cependant, cet objectif a des répercussions sur les modalités d’exercice de l’action civile, fortement inspirées du modèle américain. La DG Concurrence s’éloigne alors des traditions juridiques des pays européens de droit civiliste, ce qui rend ces propositions peu acceptables. 652. La Commission propose un assouplissement de nombreuses règles de la responsabilité civile, outre l’introduction d’actions collectives. Bien que certaines de ces propositions semblent adaptées pour lutter contre les difficultés particulières liées au droit de la concurrence, et conformes à nos traditions juridiques, d’autres semblent plus contestables surtout dès lors qu’elles sont directement inspirées du système judiciaire américain. 653. D’ailleurs, deux propositions de la Commission ont fortement nuit au débat sur l’introduction de l’action de groupe en Europe. Il s’agit du recours aux dommages et intérêts punitifs et de l’introduction d’une procédure de Discovery. En effet, ces éléments ont été perçus comme des éléments nécessaires à l’exercice de l’action de groupe, alors qu’ils sont seulement propres à l’exercice de la class action dans le système judiciaire américain. Revenons sur ces deux modalités ainsi que sur les alternatives qu’offrent les solutions européennes pour résoudre les difficultés sous jacentes. 309 SECTION 2 : LE PRIVATE ENFORCEMENT ET SES CONSEQUENCES SUR LES MODALITES DE L’ACTION COLLECTIVE 654. La poursuite de cet objectif a conduit à une utilisation finaliste de certaines modalités d’exercice de la procédure alors proposées, qui ont, d’une part, suscité l’inquiétude, et d’autre part, semé la confusion dans le débat engagé. 655. En effet, tout d’abord, la Commission a proposé dans le cadre de ces mesures l’introduction de dommages et intérêts punitifs, qui apparaissent comme des moyens utiles pour inciter les Demandeurs représentatifs à agir quel que soit le montant de leur demande. En effet, ces dommages et intérêts punitifs qui ont pour vocation la punition et la dissuasion des comportements illicites permettent d’allouer une somme d’argent supérieure à celle visant simplement la réparation des préjudices. Cependant, cette notion est inconnue de la plupart des Etats membres de l’Union, car il s’agit d’un concept anglo-saxon. De plus, cette notion n’est en rien une notion propre à la procédure de class action, mais elle est une composante du modèle judicaire américain (§1). 656. Il en est de même de la procédure de divulgation inter partes des éléments de preuves, appelées aux Etats-Unis, procédure de Discovery. La Commission a cherché une solution à l’asymétrie potentielle d’informations entre les entreprises et les demandeurs dans les litiges de concurrence. Cependant, pour ce faire, elle s’est inspirée du système judiciaire américain, très différent de la majorité du système de la preuve dans la majorité des Etats membres au lieu de regarder les solutions offertes dans les Etats membres (§2). §1) L’action collective et la réparation exclusive du préjudice 657. Les dommages et intérêts punitifs sont nés en Angleterre et ont été adoptés dans la majorité des autres Etats de Common Law et notamment aux Etats-Unis. Aujourd’hui, les projets européens et nationaux, relatifs au renforcement des actions civiles en droit de la concurrence, et notamment au développement des actions de groupe, a relancé le débat de leur introduction en Europe. Les propositions sont nombreuses. Cependant, il est important de s’intéresser à leur origine et leur utilisation en Common Law afin d’en appréhender les avantages, mais également les limites. 658. La Direction générale de la Concurrence de la Commission européenne a proposé dans son Livre vert plusieurs principes pour la détermination des dommages et intérêts. Parmi ces propositions, elle 310 envisage alors les dommages et intérêts compensatoires, mais également des dommages et intérêts punitifs en proposant un doublement des dommages et intérêts en cas d’ententes horizontales 974. 945F Cette question des dommages et intérêts punitifs est très discutée en Europe car cette mesure offre des possibilités nouvelles tant pour le renforcement des actions civiles que pour l’appréhension des fautes, non couvertes par la législation pénale ou administrative (A). Cependant, cette notion d’origine anglo-saxonne pose des difficultés de compatibilité avec le principe de la réparation intégrale du préjudice dans les pays de droit de tradition romano-germanique (B). A) Les dommages et intérêts punitifs : les avantages et les limites de la mesure 659. Les dommages et intérêts punitifs sont nés en Angleterre. Ils sont connus de la plupart des pays de Common Law et ils sont fortement développés aux Etats-Unis. Aujourd’hui les projets européens et nationaux, relatifs au renforcement des actions civiles en droit de la concurrence, et notamment au développement des actions de groupe, a relancé le débat de leur introduction en Europe. Les propositions sont nombreuses (1). Cependant, il est important de s’intéresser à leur origine et leur utilisation en Common Law afin d’en appréhender les avantages, mais également les limites (2). 1) Le recours aux dommages intérêts punitifs dans les pays européens 660. La tentation d’adopter des dommages intérêts punitifs dans le cadre de litiges de masse face à la faiblesse des préjudices individuels est forte pour les pouvoirs publics. En effet, tout d’abord, le recours à ce type de dommage et intérêts permettrait d’appréhender le comportement de l’entreprise dans une proportion plus importante que pourrait le faire l’allocation de dommages et intérêts compensatoires, qui visent le simple dommage réel subi. Cela est d’autant plus vrai pour les procédures où il y a de l’opt in et où seules les personnes qui en feront la démarche pourront être indemnisées. De plus, les dommages et intérêts punitifs auraient un effet incitatif certain sur le nombre de procédures judiciaires en indemnisation introduites devant les juridictions civiles. C’est ainsi que ce type de dommages et intérêts est sérieusement envisagé en Europe et même dans les pays de droit romano-germanique. 661. La question des dommages et intérêts punitifs, a été envisagée par les institutions européennes dans le cadre de la mise en œuvre de sa politique de renforcement de l’accès au juge pour les 974 Le Livre Vert de la Commission européenne du 25 Déc. 2005, intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante » COM(2005) 672 final, p. 8, option n° 16. 311 dommages subis du fait d’une infraction au droit de la concurrence (a). Mais elle relève également d’initiatives nationales visant plus généralement les infractions économiques comme cela sera souligné avec l’exemple français (b). a) Les propositions communautaires 662. Dans son Livre vert, la DG Concurrence vise les dommages et intérêts punitifs à travers, d’une part, la récupération d’un gain illicite et d’autre part, la possibilité de doubler le montant des dommages et intérêts s’agissant de certaines infractions au droit de la concurrence, jugées les plus graves, à savoir les ententes horizontales 975. La Commission se base alors sur le mécanisme 946F américain des dommages et intérêts punitifs, qui, en droit de la concurrence, s’impose aux juges comme aux parties en raison de trois fois le montant des dommages et intérêts alloués à titre compensatoire 976. La Commission vise l’efficacité de la mesure pour lutter contre les ententes et la 947F possibilité de sanctionner le comportement fautif de l’entreprise au travers la mise en œuvre de la responsabilité civile. Elle y voit également un moyen de renforcer l’incitation à introduire ce type d’action devant les juridictions civiles. 663. Dans le Livre blanc publié en 2009, la Commission européenne ne fait plus mention explicitement des dommages et intérêts punitifs. Cependant, la lecture de certains passages du Livre blanc laisse penser que la Commission n’a pas renoncé à l’idée de recourir à des dommages et intérêts punitifs concernant les infractions au droit de la concurrence. Le point 2.5 du Livre blanc prévoit que « la Cour a insisté sur le fait que les victimes doivent, au minimum, obtenir réparation intégrale du dommage subi à sa valeur réelle » (soulignement ajouté) 977, ce qui lui permet de laisser la question 948F ouverte. 664. En effet, dans sa jurisprudence Manfredi, la Cour ne condamne pas les dommages et intérêts punitifs. Elle considère, en effet, que « conformément au principe d’équivalence, des dommages et intérêts particuliers, tels que les dommages-intérêts exemplaires ou punitifs, doivent pouvoir être alloués dans le cadre des actions fondées sur des règles communautaires de concurrence, s’ils 975 Le Livre Vert de la Commission européenne du 25 déc. 2005, intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante » COM(2005) 672 final, p.7, question E (Option 14 à 16). 976 Clayton Act 1914; 15 U.S.C. §. 12-27; 29 U.S.C. § 52; 29 U.S.C., §. 53. 977 Le Livre Blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 8. 312 peuvent l’être dans le cadre d’actions semblables fondées sur le droit interne » 978. Cependant, elle 94 F consacre également le principe de l’enrichissement sans cause. Il faudrait pour conjuguer les deux principes envisager le versement de ces dommages et intérêts au Trésor public ou à un fond particulier 979. Le Parlement européen, dans sa résolution du 27 avril 2007, « estime [pour sa part] 950F que toute mesure proposée devra respecter pleinement la politique des pouvoirs publics des États membres, notamment pour ce qui est des dommages-intérêts à caractère punitif »980. Le Parlement 951F prend en compte le fait que l’Union est composée, tant de pays de Common Law, qui connaissent les dommages et intérêts punitifs, que des pays de droit romano-germanique. 665. Ainsi, la Commission européenne parait favorable à l’introduction de dommages et intérêts punitifs en droit positif des Etats membres, même si elle semble être revenue à une position plus nuancée dans le cadre du Livre blanc, dans lequel elle mentionne explicitement sa volonté de respecter les traditions juridiques des Etats membres et en particulier des pays de droit de tradition romano-germanique 981. Les dommages et intérêts punitifs apparaissent en effet comme un atout pour 952F la mise en œuvre de sa politique de lutte contre les ententes. Les pays européens de droit romanogermanique s’intéressent eux aussi à la question. b) Les propositions nationales 666. Cette idée d’introduire des dommages et intérêts punitifs en droit des Etats membres de l’Union se retrouve également dans certaines propositions nationales. En France, par exemple, les auteurs de l’avant-projet de réforme du droit des obligations, porté par le professeur Pierre Catala, propose l’introduction d’un article 1371 dans le Code civil qui disposerait que : « L’auteur d’une faute manifestement délibérée, et notamment d’une faute lucrative, peut être condamné, outre les dommages-intérêts compensatoires, à des dommages-intérêts punitifs dont le juge a la faculté de faire bénéficier pour une part le Trésor public. La décision du juge d’octroyer de tels dommages- 978 CJCE, 13 Juil. 2006, aff. jointes C-295/04 à C-298/04, Vincenzo Manfredi c/Lloyd Adriatico Assicurazioni SpA, considérant 93. 979 Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, Journée d’étude organisée conjointement par le Collège européen de Paris de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), et l’Association Française d’Etude de la Concurrence (AFEC), Paris, le 13 Juin 2008, minutes publiées dans la Revue Concurrences n°2-2009, propos de Mme Claudel, p. 33, note de bas de page 41. 980 Résolution du Parlement européen, du 25 avr. 2007, sur le Livre Vert intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », (2006/2207 (INI)), point 18. 981 Le Livre Blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 2-4. 313 intérêts doit être spécialement motivée et leur montant distingué de celui des autres dommagesintérêts accordés à la victime. Les dommages-intérêts punitifs ne sont pas assurables »982. 953F 667. De même, la Commission des lois du Sénat a, dans un rapport d’information intitulé «Responsabilité civile: des évolutions nécessaires»983, proposé d’introduire des dommages et 954F intérêts punitifs en droit français, mais seulement pour certains contentieux spécialisés : les atteintes à l’image et à l’honneur, aux droits de propriété intellectuelle et au droit de la concurrence et de la consommation. 668. Ainsi le principe des dommages et intérêts punitifs fait l’objet de toutes les attentions ces dernières années. Les pouvoirs publics européens se sont intéressés à la question pour les recours civils faisant suite à une violation du droit de la concurrence, la mesure apparaissant alors comme un atout majeur. Cependant, la question est également envisagée dans certains Etats membres où cette notion n’est pas connue. Il s’agit, comme le montre l’exemple français, d’appréhender certaines infractions économiques. Cependant, des questions se posent quant à la compatibilité de ce principe avec certains principes régissant la responsabilité de certains Etats membres de l’Union, comme le principe de l’interdiction de l’enrichissement sans cause. Avant de s’intéresser à cette question majeure, la conception anglo-saxonne des dommages et intérêts punitifs doit être examinée, afin d’en comprendre le mécanisme. 982 Avant-projet de réforme du droit des obligations (Articles 1101 à 1386 du Code civil) et du droit de la prescription (Articles 2234 à 2281 du Code civil), Rapport à M. P. Clément, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, 22 sept. 2005, La documentation française, http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/054000622/index.shtml. 983 « Responsabilité civile : des évolutions nécessaires », rapport d'information n° 558 (2008-2009) de MM. Alain Anziani et Laurent Béteille, au nom du groupe de travail sur la responsabilité civile, créé au sein de la commission des lois ; Voir également proposition de loi portant réforme de la responsabilité civile, présentée par M. L. Béteille, Sénateur, 10 Juill. 2009, n° 657: « L'article 1386-25 ouvre la voie au prononcé par le juge, en plus de dommages et intérêts visant à compenser le préjudice, de dommages et intérêts punitifs dans les seuls cas où la loi l'autorise expressément et à l'égard des seules fautes lucratives. Le montant des dommages et intérêts punitifs ne pourra en aucune manière dépasser le double du montant des dommages et intérêts compensatoires octroyés. Ils seront versés à la victime et, dans une proportion que le juge déterminera, à un fonds d'indemnisation ou au Trésor public. ». 314 2) Le recours aux dommages et intérêts punitifs dans les pays de Common Law 669. Les dommages et intérêts punitifs (Punitive Damages) se définissent comme « la condamnation de l’auteur responsable au versement d’une somme supérieure à celle requise pour réparer le préjudice de la victime » 984, le caractère punitif se déduisant de l’importance du montant des 9 5F dommages et intérêts alloués à la victime. Ce type de dommages et intérêts sont nés en Angleterre au XVIIIème siècle 985. Le concept est ainsi relativement récent, même s’il existait des formes de peines 956F punitives bien avant. La reconnaissance de la notion de dommages et intérêts punitifs en droit anglais est liée à la réorganisation du droit anglais au 18ème siècle, et notamment à la nouvelle composition des jurys. 670. Tout d’abord, rappelons qu’il n’existe pas en droit anglais de principe général de responsabilité. Ainsi l’évolution a été sectorielle. Ensuite, il existait, avant le 18ème siècle, une forme de peine privée similaire aux dommages et intérêts punitifs, mais cette sanction ne peut être assimilée à des dommages et intérêts punitifs, car aucune distinction n’était marquée entre le droit pénal et le droit civil. En effet, premièrement, tous les litiges étaient traités, sans distinction, au cas par cas, par les tribunaux locaux. La seule exception concernait les infractions particulièrement graves troublant la paix sociale, dans quel cas, la compétence était transmise aux tribunaux du roi 986. Dans ce cadre, les 957F tribunaux prononçaient des peines de prison et des peines pécuniaires à l’encontre de l’auteur de la faute sans distinction entre la peine répressive et la peine réparatrice. Cependant, l’auteur de la faute pouvait également choisir de payer une somme d’argent pour échapper à la peine de prison 987. 958F 671. A partir du 18ème siècle, s’agissant des fautes intentionnelles, la distinction est faite entre droit pénal et droit civil et les dommages et intérêts punitifs vont naître de cette distinction et du fait de la nouvelle composition des jurys dans les litiges au civil. Dans les affaires civiles, les jurés étaient en 984 M. G. Di Stefano, Les dommages et intérêts punitifs en droit français et italien, Mémoire de Master II Recherche « Contrats en droit européen » réalisé à l’Université de Poitiers et à L’Universita degli studi di Roma, s. dir. de Mme Le Prof. Rose-Noëlle Schutz ; Voir également C. Coutant-Lapalus, Le principe de réparation intégrale en droit privée, préf. F. Pollaud-Dulian, thèse Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2002. 985 Les peines privées existaient depuis des temps anciens. En effet, depuis l’Antiquité, certaines lois comme celles de Babylone, de Grèce ou de Rome prévoyaient déjà des sanctions d’un montant supérieur à la seule réparation du préjudice subi pour certains délits, voir Linda L. Schlueter et Kenneth R. Redden, Punitive Damages, 2ème éd., 1989. Cependant, elles apparaissaient alors comme les seules peines encourues par l’auteur de la faute ; « L’Etat n’ayant pas les moyens de faire respecter l’ordre social, il confiait ce soin à des particuliers », Marcel Crémieux, Réflexions sur la peine privée moderne, dans Etudes offertes à Pierre Kayser, Aix-Marseille, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 1979, p. 261, n°1. 986 M. G. Di Stefano, Les dommages et intérêts punitifs en droit français et italien, Mémoire de Master II Recherche « Contrats en droit européen » réalisé à l’Université de Poitiers et à L’Universita degli studi di Roma, op. cit. 987 George E. Woodbine, The origin of the Action of Trespass, YALE L.J. (1923). 315 effet dans un premier temps choisis pour leur compétence dans un domaine utile à la résolution du litige. Ils pouvaient également être des témoins du fait générateur de la pratique. Ils avaient, du fait de leur connaissance de la matière ou du litige, une large marge d’appréciation pour déterminer le montant des dommages et intérêts à allouer à la victime et leurs décisions faisaient rarement l’objet d’un appel. Cependant, à partir du 18ème, la tendance est au recrutement de jurés neutres, qui vont essentiellement se prononcer en équité 988. La notion d’équité connue du droit anglais a joué un rôle 95F déterminant dans la reconnaissance des dommages et intérêts punitifs 989. En effet, ces nouveaux 960F jurés ont tendance à allouer des dommages et intérêts d’un montant supérieur à la valeur du dommage réel subi par la victime. Les jurés prenaient en compte l’intention de l’auteur de la faute ainsi que la gravité de son comportement et ils fixaient les dommages et intérêts en fonction d’un objectif de dissuasion. Face à cette tendance, les juges, qui ont eu à connaître en appel des décisions adoptées par les jurés, justifièrent la pratique de ces derniers en consacrant la notion de dommages et intérêts punitifs, qui est venue se distinguer de la notion de dommages et intérêts compensatoires 990. 961F 672. Deux décisions rendues en 1763 marquent la reconnaissance explicite de ce concept en droit anglais 991. Il s’agit de l’affaire Wilkes v. Wood 992, et de l’affaire Huckle v. Money 993 qui concernaient 962F 963F 964 F des abus opérés par les pouvoirs publics. Dans la seconde affaire Huckle v. Money, un citoyen anglais fut arrêté par les agents du Roi pour avoir émis une critique sur la politique menée par le pouvoir royal. Les agents du Roi ont alors procédé à la perquisition de son domicile et ce, avec un mandat de perquisition illégal. Ils l’ont ensuite retenu plusieurs heures dans leurs locaux. Devant le juge, les agents du Roi firent valoir que le demandeur avait été bien traité puisqu’ils l’avaient nourri pendant le temps de sa détention et qu’ainsi ils ne lui avaient pas causé de préjudice. Cependant, la cour a considéré qu’« entrer dans la maison d’un homme en vertu d’un mandat de perquisition irrégulier, dans le but de rechercher une preuve, est pire que l’Inquisition espagnole. C’est une atteinte publique scandaleuse contre la liberté des sujets »994. Ainsi, le juge a validé les dommages 965F 988 Ibid. C. Jauffret-Spinosi, Les dommages et intérêts punitifs dans les systèmes de droit étrangers, LPA, 20 nov. 2002, n° 232, p. 8. 990 M. G. Di Stefano, Les dommages et intérêts punitifs en droit français et italien, préc. ; Camille Jauffret-Spinosi, Les dommages et intérêts punitifs dans les systèmes de droit étrangers, préc.; G. E. Woodbine, The origin of the Action of Trespass, YALE L.J. (1923). 991 Ibid. 992 Wilkes v. Wood, 98 Eng. Rep. 489 (C. P. 1763). 993 Huckle v. Money, 95 Eng. Rep. 768 (K. B. 1763). 994 Ibid ; C. Jauffret-Spinosi, Les dommages et intérêts punitifs dans les systèmes de droit étrangers, LPA, 20 nov. 2002, n° 232, p. 8. 989 316 et intérêts punitifs - alors appelés Exemplary damages 995, attribués par le jury. Ainsi le concept de 96F dommages et intérêts punitifs en Angleterre est né pour les infractions intentionnelles et leur reconnaissance est due à ces nouveaux jurés choisis pour leur indépendance et leur impartialité. 673. Les dommages et intérêts ont également été introduits en droit américain. Dans un premier temps, ils ont été utilisés seulement pour les dommages causés de manière intentionnelle (Intentional Torts) 996 comme en Angleterre. Puis dans un second temps, le critère a basculé sur la gravité du 967F comportement adopté jusqu’à devenir un principe de droit commun pour les litiges entre personnes privées, dans certains domaines du droit. Ainsi, en droit de la concurrence, le prononcé de dommages intérêts punitifs est rendu obligatoire par le législateur 997. Si le dommage subi par les 968F demandeurs résulte d’une infraction au droit américain de la concurrence, le juge devra prononcer en plus des dommages intérêts compensatoires, des dommages intérêts punitifs, dont le montant sera de trois fois la somme consentie au titre des autres dommages intérêts alloués pour la réparation du préjudice. Le juge, dans ce cas, n’a aucune marge de manœuvre, ni sur le prononcé des dommages intérêts punitifs, ni sur le montant de ces derniers 998. 96F 674. Cette utilisation des dommages et intérêts aux Etats-Unis contraste in fine avec la position adoptée par la House of Lords en Angleterre, qui a limité le champ d’application de ces mesures 999. 970F En effet, en Angleterre, depuis les années 1960, seules certaines catégories de dommages peuvent donner lieu au prononcé de dommages et intérêts punitifs. Il s’agit tout d’abord des pratiques « oppressives, arbitraires et inconstitutionnelles » 1000 des agents du gouvernement. Ensuite, sont 971F visées les situations où « la conduite du défendeur avait pour but de lui rapporter un avantage 995 Il n’existe pas de distinction sur le plan juridique entre les Punitive damages et les Exemplary Damages. Dans un premier temps, la première expression était plus utilisée par les américains et la seconde par les anglais. Cependant, depuis 1997, la Law Commission en Angleterre a proposé que le terme de Punitive damages soit privilégié par rapport au terme d’Exemplary Damages. Il faut tout de même différencier en droit anglais entre les Punitive Damages et les Aggravated Damages, les second étant de simples dommages et intérêts compensatoires, mais qui s’appliquent dans certains contentieux (torts actions) où le préjudice réel est difficilement évaluable, comme en matière de diffamation, voir C. Jauffret-Spinosi, Les dommages et intérêts punitifs dans les systèmes de droit étrangers, LPA, 20 nov. 2002, n° 232, p. 8. 996 Voir C. Jauffret-Spinosi, Les dommages et intérêts punitifs dans les systèmes de droit étrangers, préc.; M.G. Di Stefano, Les dommages et intérêts punitifs en droit français et italien, Mémoire de Master II Recherche « Contrats en droit européen » réalisé à l’Université de Poitiers et à L’Universita degli studi di Roma, s. dir. de Mme Le Prof. Rose-Noëlle Schutz. 997 Clayton Act 1914, 15 U.S.C. §. 12-27; 29 U.S.C. § 52; 29 U.S.C., §. 53. 998 Voir J. Nannes, Le private enforcement : l’expérience américaine, Concurrence & consommation n° 153, Juin 2007, Numéro spécial, p. 28. 999 Voir Rooks v. Barnard, [1964] AC 1129 et AB v. South West Water Services Ltd, [1993] QB 507 (Court of Appeal); C. Jauffret-Spinosi, Les dommages et intérêts punitifs dans les systèmes de droit étrangers, LPA, 20 nov. 2002, n° 232, p. 8. 1000 Rooks v. Barnard, [1964] AC 1129. 317 financier supérieur à l’indemnisation à laquelle il aurait pu être condamné » 1001 et enfin les cas 9 72F prévus par la loi. La seconde catégorie de situations est intéressante en ce qu’elle se rapporte à la notion de faute lucrative, qui sera envisagée par la suite. 675. Cette étude des origines et du développement des dommages et intérêts punitifs dans les pays de Common Law est intéressante car elle démontre que l’existence de ces dommages et intérêts tient aux conditions de fonctionnement de la justice dans ces systèmes accusatoires et en particulier à la notion d’équité d’une part et de jury d’autre part. Leur développement a cependant également montré que même dans ces pays, les dommages et intérêts punitifs ne sont pas la voie naturelle de la sanction des comportements et qu’ils connaissent ainsi de nombreuses limitations, tant par leur champ d’application que dans la détermination de leur montant. C’est dans cette même optique que les dommages et intérêts punitifs sont envisagés dans certains Etats membres de l’Union et en particulier dans les pays de droit de tradition romano-germanique. Cette notion inconnue des systèmes de droit civiliste apparaît, en effet, pour certains, comme une solution dans certains domaines du droit où le comportement fautif de l’auteur reste impuni dans certains cas. B) Les dommages et intérêts punitifs : les obstacles du droit romano-germanique 676. Les partisans de l’introduction de dommages et intérêts punitifs dans le droit positif des Etats membres visent principalement une certaine catégorie d’infractions dites « lucratives », qui impliquent une intention délibérée de leur auteur et leur confèrent un gain illicite, bien que des dommages et intérêts compensatoires puissent être prononcés à leur encontre (1). Il s’agit alors de s’interroger sur la compatibilité d’une telle mesure au regard de la distinction faite dans nos droits civilistes entre la fonction purement réparatrice de la responsabilité civile et la fonction punitive de la responsabilité pénale (2). 1001 Ibid. ; C. Jauffret-Spinosi, Les dommages et intérêts punitifs dans les systèmes de droit étrangers, LPA, 20 nov. 2002, n° 232, p. 8. 318 1) Les dommages et intérêts punitifs : un outil tentant pour les fautes lucratives 677. Dans son avant-projet de réforme de la responsabilité civile, la commission Catala vise la « faute manifestement délibérée, et notamment d’une faute lucrative » 1002. Ainsi sont envisagées les 973F infractions, qui impliquent une intention délibérée de leur auteur. D’autres commentateurs ont pu également parler de fautes graves 1003. Dans ces deux cas, on peut tout de suite noter qu’il ne s’agit 974F plus de porter son attention sur la faute, mais sur l’auteur de la faute à travers son intention d’adopter un comportement illicite. Il s’agit alors clairement de promouvoir un mécanisme de sanction de la faute, via la mise en œuvre de la responsabilité civile. Parmi ces fautes intentionnelles, l’avant-projet vise expressément les fautes lucratives. Il s’agit avec cette notion d’appréhender « les fautes dont les conséquences profitables pour son auteur ne sont pas neutralisées par une simple réparation des dommages causés » 1004. La faute lucrative peut être une faute contractuelle comme une faute 9 75 F délictuelle 1005. Selon cette théorie, l’auteur du comportement dommageable, dans un domaine 976F économique en particulier, bien que condamné à réparer le préjudice causé, reste bénéficiaire d’un gain illicitement obtenu. Ainsi, les dommages et intérêts punitifs seraient envisagés comme un moyen de confisquer ce gain illicite et de garantir l’effet dissuasif de la mise en œuvre de la responsabilité civile. La théorie de la faute lucrative touche, en effet, au caractère intrinsèquement dissuasif de la responsabilité civile. Cependant, les fautes visées témoignent en général d’une intention de son auteur et d’un calcul a priori de sa part s’agissant du gain illicite espéré. Ainsi la limite entre la simple dissuasion et la répression dans ce cas est très mince. De plus, confisquer le gain illicite de l’auteur du comportement pour pallier à son enrichissement sans cause pour l’allouer à sa victime sans que le comportement de cette dernière motive cet enrichissement semble déplacer le problème sans réellement le résoudre. Il semblerait nécessaire, comme cela a été envisagé par le professeur Catala, de verser la somme correspondant au gain illicite demeurant au Trésor public plutôt qu’à la victime. 1002 Avant-projet de réforme du droit des obligations (art. 1101 à 1386 du Code civil) et du droit de la prescription (art. 2234 à 2281 du Code civil), Pierre Catala, Rapport à M. P. Clément, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, 22 sept. 2005, La documentation française : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/054000622/index.shtml 1003 Voir par exemple R. Saint-Esteben, Pour ou contre les dommages et intérêts punitifs, LPA, 20 Janv. 2005, n° 14, p. 53 ; G. Viney, Quelques propositions de réforme du droit de la responsabilité civile, Recueil Dalloz 2009, p. 2944. 1004 G. Viney, Quelques propositions de réforme du droit de la responsabilité civile, Recueil Dalloz 2009, p. 2944 ; Voir également D. Fasquelle, L’existence de fautes lucratives en droit français, LPA, 20 nov. 2002, n° 232, p. 27. 1005 D. Fasquelle, L’existence de fautes lucratives en droit français, LPA, 20 nov. 2002, n° 232, p. 27. 319 678. Le professeur Viney, dans son article intitulé « Quelques propositions de réforme du droit de la responsabilité civile » 1006 fait une distinction entre les dommages et intérêts non compensatoires ou 9 7F « restitutoires » dont l’objet est la stricte confiscation du profit illicite, et les dommages et intérêts punitifs, dont la vocation serait de punir l’auteur de la faute. Mme Viney voit dans cette distinction la possibilité de rendre objective l’appréciation du juge. Elle prône alors la mise en place de deux régimes distincts pour ces deux types de dommages et intérêts. Cependant, la mise en œuvre de ces régimes pourrait se révéler très compliquée et elle ne résout pas les problèmes que posent l’allocation de dommages et intérêts d’un montant supérieur au dommage réel vis-à-vis des principes de la responsabilité civile définis dans les pays de droit de tradition civiliste. 679. Bien que cette proposition soit très intéressante en particulier pour parvenir à un objectif de justice sociale, on peut penser qu’il manque une partie de la définition dans les éléments cités ci-dessus. Ne faut-il pas en effet prendre en compte l’existence en parallèle de sanctions pénales ou administratives, dont l’objet est à juste titre la sanction du comportement illicite et la dissuasion de commettre et de réitérer ce type de comportement ? Il faut faire une distinction entre les pratiques appréhendées par le droit pénal et/ou le droit administratif et les comportements qui sont simplement appréhendés au titre de la responsabilité civile. Trop souvent, les auteurs comme les pouvoirs publics ont tendance à élargir le champ de la faute lucrative au-delà de l’effet utile qu’elle pourrait représenter, et ce, de manière dangereuse. 680. M. Daniel Fasquelle mentionne, comme exemple d’infractions lucratives, dans son article intitulé « L’existence de fautes lucratives en droit français »1007, les atteintes aux droits de la personne et à 978F l’environnement, les atteintes au droit de la concurrence déloyale et les atteintes en matière de contrefaçon. Il s’agit des domaines visés par le rapport d’information de la Commission des lois du Sénat sur la réforme de la responsabilité civile 1008. Cependant, bien souvent et comme cela est le cas 97F avec le Livre vert et le Livre blanc de la Commission européenne concernant les recours civils pour les infractions aux règles régissant le droit des ententes et les abus de position dominante, les dommages et intérêts punitifs sont envisagés pour d’autres infractions pour lesquelles il existe déjà d’importants moyens de répression des comportements illicites. 1006 G. Viney, Quelques propositions de réforme du droit de la responsabilité civile, Recueil Dalloz 2009, p. 2944. D. Fasquelle, L’existence de fautes lucratives en droit français, LPA, 20 nov. 2002, n° 232, p. 27. 1008 « Responsabilité civile : des évolutions nécessaires », rapport d'information n° 558 (2008-2009) de MM. A. Anziani et L. Béteille au nom du groupe de travail sur la responsabilité civile, créé au sein de la commission des lois ; Voir également proposition de loi portant réforme de la responsabilité civile, présentée par M. L. Béteille, Sénateur, 10 juill. 2009, n° 657. 1007 320 681. Restons dans le domaine du droit de la concurrence et différencions entre un cas de concurrence déloyale 1009 et un cas d’entente injustifiable 1010. La concurrence déloyale est, en France, 980F 981F appréhendée au seul titre de la responsabilité civile quasi délictuelle. Ainsi si un commerçant est victime d’un comportement déloyal, un dénigrement, par exemple, de la part de l’un de ses concurrents, il devra saisir le juge civil sur le fondement des articles 1382 ou/et 1383 du Code civil 1011. Les dommages et intérêts alors alloués constitueront la seule mesure adoptée à l’encontre 982F de l’auteur du comportement, en dehors du prononcé d’une éventuelle amende civile. S’agissant des comportements collusifs et en particulier concernant les ententes injustifiables, certains auteurs, et économistes notamment, font valoir l’insuffisance des sanctions administratives prononcées par les autorités de concurrence pour parvenir à un effet dissuasif suffisant 1012. Comme cela a été développé 983F par le professeur Perrot 1013 et repris par M. Robert Saint-Esteben, dans son article intitulé « Pour ou 984F contre les dommages et intérêts punitifs »1014, ils considèrent que le gain espéré ou réalisé par les 985F entreprises est supérieur à la sanction encourue en cas de découverte de l’infraction. Ainsi les dommages et intérêts punitifs pourraient être un outil supplémentaire à la politique de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles. Or, les autorités de concurrence disposent d’un large pouvoir de sanction pécuniaire 1015. Elles peuvent prononcer des amendes d’un montant maximum fixé à 10% du 986F chiffre d’affaire consolidé de l’entreprise contrevenante 1016, ce qui leur laisse une large marge 987 F d’action. Mais surtout omettre l’existence d’une sanction de nature administrative ou pénale et 1009 La notion de « concurrence déloyale » couvre « l’ensemble des procédés commerciaux contraires à la loi ou aux usages, constitutifs d’une faute intentionnelle ou non et de nature à causer un préjudice aux concurrents », Lexique des termes juridiques 2012, Guinchard (S.) et Debard (T.), Dalloz, 19ème éd., 2011, p. 196. Pour approfondir cette notion, voir M.-A. Frison-Roche, Les principes originels du droit de la concurrence déloyale et le parasitisme, Rev. de Jurisprudence de Droit des Affaires, 1er juin 1994, n° 6 p. 483-488. 1010 A titre d’exemple, les ententes injustifiables ont été définies dans une recommandation de l’OCDE concernant une action efficace contre les ententes injustifiables, du 25 Mars 1998 (C(98)35/FINAL) comme « un accord anticoncurrentiel, une pratique concertée anticoncurrentielle ou un arrangement anticoncurrentiel entre concurrents visant à fixer des prix, procéder à des soumissions concertées, établir des restrictions ou des quotas à la production, ou à partager ou diviser des marchés par répartition de la clientèle, de fournisseurs, de territoires ou de lignes d’activité ». 1011 J.-B. Blaise, Droit des affaires : Commerçants, Concurrence, Distribution, LGDJ, 5ème éd., 2009, p. 347. 1012 Voir J. M. Connor, About cartel overcharges : Kroes is correct, Concurrences n°1-2010 ; F. Rosati, C. Ehmer, Science, myth and fines : Do cartels typically raise prices by 25%, Concurrences n° 4-2009; E. Combes, C. Monnier, Les amendes contre les cartels : la Commission européenne en fait-elle trop ?, Concurrences n° 4-2009, p. 41-50 ; E. Combes, C. Monnier, Le calcul des amendes en matière de cartel : une approche économique, Concurrences n° 3/2007, p. 39-45 ; E. Combes, C. Monnier, Cartel Profiles in the European Union, Concurrences n° 3-2007, p. 181-189 ; F. Jenny, E. Combe, J. M. Connor, P. Buccirossi, G. Spagnolo, L’efficacité des sanctions contre les cartels : une perspective économique, Concurrences n° 4-2006, p. 10-30. 1013 L’efficacité des sanctions pécuniaires, dans L’efficacité de la politique de la concurrence, Gaz. Pal. Des 29 et 30 janv. 2003. 1014 Robert Saint-Esteben, Pour ou contre les dommages et intérêts punitifs, LPA, 20 janv. 2005, n° 14, p. 53. 1015 A. Decocq et G. Decocq, Droit de la concurrence : droit interne et droit de l’Union européenne, L.G.D.J., 4ème éd., 2010. 1016 Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 déc. 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, JO L 1 du 4.1.2003, p. 1–25, art. 23§1. 321 infliger, au titre de la répression du comportement adopté, au civil, une autre sanction par le biais de dommages et intérêts punitifs reviendrait à sanctionner un même comportement deux fois. Cependant, en Europe, selon l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et selon également le protocole n°7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des droits fondamentaux, un même comportement ne peut être sanctionné deux fois. Le principe du non bis in idem est garanti au niveau international par le Pacte des droits civils et politiques de l’Organisation des Nations Unies 1017 et aux Etats-Unis par le Vème 98F amendement de la Constitution américaine 1018. Il est à ce propos intéressant de relever que même 98F aux Etats-Unis où le principe des dommages et intérêts punitifs est ancien et intégré dans le droit positif, la question de la conformité de ce type de dommages et intérêts avec les droits garantis par la Constitution américaine est régulièrement soulevée. Sont visées en particulier l’amendement n°14 qui est relatif au « due process » et l’amendement n°5 qui pose donc le principe du Non bis in idem 1019. Dans un arrêt de 1996 1020, la Cour Suprême a même déclaré inconstitutionnel des 90F 91F dommages et intérêts en se fondant sur le quatorzième amendement considérant que « la clause du due process of Law du quatorzième amendement interdit à un Etat d’imposer à l’auteur d’un Tort un « grossly excessive punishment » »1021. En l’espèce, la Cour Suprême a considéré que l’allocation 92F d’une somme de quatre millions de dollars au titre des dommages et intérêts punitifs à l’acheteur d’une voiture neuve qui avait été repeinte et ce, sans qu’il en soit averti, était excessive. De même, le juge anglais (Court of Appeal) a refusé d’accorder des dommages et intérêts punitifs demandés par un justiciable pour confisquer le gain illicite prétendument réalisé par une entreprise, participante à une entente sur les prix des vitamines 1022. En l’espèce, la société Devenish nutrition Limited, qui ne 93F pouvait faire la preuve de son préjudice personnel causé par la mise en œuvre de la pratique concertée des fabricants de vitamines, a demandé au juge civil anglais de lui attribuer des dommages 1017 Il fut adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l'adhésion par l'Assemblée générale dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 déc. 1966 et il est entré en vigueur: le 23 mars 1976, conformément aux dispositions de l'article 49. Le principe du Non bis in idem est posé par l’article 14 §. 3 du Pacte. 1018 La Constitution des Etats-Unis fut élaborée lors de la Convention Constitutionnelle, qui se tint à Philadelphie en mai 1787, sous la présidence de George Washington et qui réunissait les délégués de chacun Etat. Ratifiée en 1789, elle pose les bases de l’Etat fédéral en instaurant un pouvoir législatif, avec le Congrès composé de la Chambre des Représentants et du Sénat, un pouvoir exécutif, avec le Président et un pouvoir judiciaire avec les cours de justice fédérales. En 1791, le Congrès adopta dix amendements à la Constitution, appelés les « Bill of Rights », voir F. Hamon et M. Troper, Droit Constitutionnel, L.G.D.J., 31ème éd., 2009 ; Bernard Dhuicq et Danièle Frison, L’anglais juridique, The English and American Legal Systems, principes, procédures, et institutions juridiques GB/US, Langues pour tous, Pocket, 1999. 1019 C. Jauffret-Spinosi, Les dommages et intérêts punitifs dans les systèmes de droit étrangers, LPA, 20 nov. 2002, n° 232, p. 8. 1020 BMW of North America v. Gore, 517 U.S. 559 (1996). 1021 C. Jauffret-Spinosi, Les dommages et intérêts punitifs dans les systèmes de droit étrangers, LPA, 20 nov. 2002, n° 232, p. 8. 1022 Devenish Nutrition Limited v. Sanofi-Aventis SA (France) & Others, [2008] EWCA Civ 1086. 322 et intérêts punitifs sur la base du gain illicite réalisé par l’entreprise. Le juge de première instance (High Court of Justice) a écarté la demande de la société Devenish nutrition Limited en relevant que les entreprises avaient déjà été condamnées par la Commission européenne à une amende administrative et que les entreprises, auteurs de cette pratique, ne pouvaient être puni deux fois 1023. 94F La Cour d’appel a confirmé l’arrêt de première instance. Elle a considéré que l’objet des dommages et intérêts en la matière est de compenser la perte subie et non de priver un auteur des bénéfices illégalement acquis ou de dissuader d’autres contrevenants potentiels 1024. 95F 682. Ainsi, la question de la compatibilité de ces dommages et intérêts avec certains de nos principes procéduraux pourrait être posée dans les mêmes termes en cas d’introduction de ces peines privées en droit positif dans d’autres Etats membres de l’Union. Il faudrait en effet que la loi adoptée remplisse les exigences du principe de légalité des peines et du principe de proportionnalité des peines aux délits. Il faudrait également que soit garanti le respect des droits de la défense tels que définis dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CESDH), outre le principe du Non bis in Idem 1025. 96F 2) Les dommages et intérêts punitifs, une mesure en rupture avec la fonction réparatrice de la justice civile 683. Les dommages et intérêts apparaissent également difficilement conciliables avec la conception de la responsabilité civile, dans les pays de droit romano-germanique. Selon certains auteurs 1026, la 97F responsabilité civile a, par nature, deux finalités qui opèrent à égale valeur : la réparation du préjudice et la punition de l’auteur. Il ressort selon leur théorie que la responsabilité civile poursuit elle-aussi une finalité punitive qui transparait en particulier à travers certaines notions comme le préjudice moral. Ainsi avoir recours à des dommages et intérêts punitifs ne contreviendrait pas au principe de la réparation, qui, par ailleurs, n’apparait que comme un principe relatif qui souffre de plusieurs aménagements. Cependant, une confusion n’est-elle pas effectuée entre la nature punitive et dissuasive de la responsabilité civile et son effet ? La responsabilité civile n’est-elle pas par nature simplement réparatrice et par effet dissuasive plutôt que par nature tant réparatrice que dissuasive et punitive ? La finalité du recours devant la juridiction civile est pour la victime d’un comportement 1023 Devenish Nutrition Limited & Others v. Sanofi-Aventis SA (France) & Others, [2007] EWHC 2394 (Ch). Devenish Nutrition Limited v. Sanofi-Aventis SA (France) & Others, [2008] EWCA Civ 1086. 1025 Il est possible de se référer à l’article 6§1 de la CESDH, qui pose le principe du droit à être entendu devant un tribunal indépendant de manière équitable. 1026 F.-X. Licari, Note sous Cour d’appel de Poitiers, première chambre civile, 26 fév. 2009, pourvoi n° 07/02.404, Journal du Droit international (Clunet), 1er oct. 2010, n° 2010-4, p. 1230-1263. 1024 323 fautif d’obtenir réparation du préjudice subi 1027. Mais pour l’auteur de la faute, le fait alors d’être 98F condamné à indemniser la victime contribue à ce que cette personne soit dissuadée de réitérer un tel comportement. Il s’agit d’un simple effet dissuasif. 684. Dans ce dernier cas, l’idée liée à la condamnation à des dommages et intérêts n’est pas de punir l’auteur pour le dommage causé à la collectivité du fait de l’adoption de son comportement déviant, mais de l’obliger à assumer ses actes face à la personne à qui il a causé du tort 1028. Il s’agit bien de 9F responsabilité individuelle et non de faire respecter l’ordre public. En revanche, avec l’adoption des dommages et intérêts punitifs, il s’agirait d’augmenter artificiellement le montant de la réparation pour accroitre l’effet dissuasif et garantir un effet purement punitif du comportement adopté en dehors des règles de la société, la finalité étant alors bien d’intérêt public. Dans ce cas, pourquoi la somme allouée devrait être versée à la victime, ce qui crée alors à son profit un enrichissement sans cause et pas à la collectivité et donc à l’Etat ? Comme l’avait relevé M. Demogue 1029, il s’agit de 10F trouver une délimitation à la frontière entre réparation et punition. Cependant tant le principe de la réparation intégrale du préjudice que le principe de l’enrichissement sans cause, même s’ils ne sont pas parfaits, permettent de fixer de manière relativement objective cette limite. Introduire des dommages et intérêts punitifs reviendrait alors à abandonner ces critères. 685. De plus, comme relevé par Stephane Piedlièvre dans son article intitulé « Les dommages et intérêts punitifs, une solution d’avenir ? » 1030, le fait de reconnaître ce type de dommages et intérêts 1 01F pour certaines infractions ou comportements aura pour effet de créer plusieurs régimes de responsabilité civile qui seront fonction non plus du préjudice subi, mais de la faute commise et/ de sa gravité. 686. Pour le droit de la concurrence, dans sa réponse au livre vert, l’AFEC a clairement exprimé l’attachement des praticiens français au principe de la réparation intégrale du préjudice en justifiant cet attachement par le souci de conserver la séparation stricte entre le rôle des pouvoirs publics dans l’objectif de répression et le rôle du juge civil dans l’objectif de réparation du préjudice. Elle déclare ainsi : « L’AFEC est majoritairement attachée à ce principe [de la réparation intégrale du préjudice] et considère qu’une distinction claire doit être maintenue entre la mission de régulation 1027 A. Benabent, Droit civil, Les obligation, Monchrestien, 12ème éd., 2010. P. Jourdain, Les principes de la responsabilité civile, collection connaissance du droit, Dalloz, 8ème éd., 2010, p. 3. 1029 R. Demogue, Validity of the Theory of compensatory damages, 27 Yale L.J, 585, 592 (1918). 1030 Revue Responsabilité civile et assurances, Hors-série, Juin 2008, p. 68 et suivantes. 1028 324 dévolue aux autorités de concurrence pour laquelle ces autorités disposent de pouvoirs spécifiques, en particulier des pouvoirs de sanction, et la mission dévolue aux juridictions qui consiste à réparer le préjudice causé »1031. L’AFEC souligne également plusieurs inconvénients à l’introduction des 1 02F dommages et intérêts punitifs. Elle parle en effet de « risques d’enrichissement injustifié de la victime et donc de déséquilibre du marché ainsi que des risques de détournement de contentieux pour se rattacher à tout prix au droit de la concurrence dans le but de bénéficier d’une indemnisation plus forte » 1032. Cependant, les avis restent encore partagés et les questions sont 103F encore nombreuses. 687. L’apport du Droit International Privé. Une décision récente de la Cour de Cassation, rendue en matière de Droit International Privé, pourrait laisser penser à un assouplissement possible de la position des autorités en faveur de ce type de dommages et intérêts punitifs dans l’ordre interne1033. 104F En l’espèce, il s’agissait d’un contrat de vente de navire, conclu entre un couple d’acheteurs américains et un constructeur français, la société Fountaine Pajot. Avant sa livraison, le navire avait dû faire l’objet de réparation car une tempête l’avait endommagé. Le couple d’acheteurs a pris connaissance de cet incident qu’au moment de la livraison et a constaté des manquements du constructeur quant aux réparations effectuées. Ils ont ainsi assigné la société française devant la juridiction de Californie. La cour américaine a alors condamné le constructeur français du navire à payer au couple d’acheteurs des dommages et intérêts compensatoires visant à remettre en état le navire, mais également des dommages et intérêts punitifs pour un montant de plus d’un million de dollars. Cette décision a fait l’objet d’une demande d’exequatur en France. Devant les juridictions françaises, le constructeur du navire a soulevé le moyen de la contrariété à l’ordre public international français et demandé à ce que soit rejetée la demande d’exequatur de la décision américaine 1034. La Cour d’appel de Poitiers, statuant sur renvoi, avait confirmé la décision de rejet 105F de la demande du juge de première instance 1035. Elle avait ainsi considéré que c’est « à bon droit » 106F que la société française soutenait que la décision américaine lui infligeant des dommages et intérêts à titre punitifs était contraire à l’ordre public international français. Elle releva notamment que « le propre de la responsabilité civile [en France] est […] de replacer la victime dans la situation où 1031 Réponse de l’AFEC au Livre Vert « Action en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », p. 10, accessible à l’adresse suivante http://ec.europa.eu/competition/antitrust/actionsdamages/green_paper_comments.html. 1032 Ibid. 1033 Cass. Civ. 1re, 1er déc. 2010, pourvoi n° 09-13.303. 1034 Voir P. Mayer et V. Heuzé, Droit International Privé, Montchrestien, 9ème éd., 2007. 1035 CA Poitiers, Ch. Civ. 1re, 26 fév. 2009, arrêt n° 07/02404. 325 elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit » et que l’allocation d’une « indemnité qui dépasse largement le prix du navire, objet de la vente » est contraire au principe de l’enrichissement sans cause et qu’une « telle sanction civile » porte atteinte au principe de proportionnalité des délits et des peines, garanti par l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789 (DDHC) 1036. La Cour de cassation n’a pas suivi l’avis de la cour 107F d’appel et dans un arrêt du 1er décembre 2010, elle considère que « le principe de la condamnation à des dommages et intérêts punitifs n’est pas en soi contraire à l’ordre public ». Elle rejette le pourvoi, mais sur la seule appréciation du caractère « manifestement disproportionné » des dommages et intérêts punitifs en l’espèce 1037. 108F 688. On peut noter aussi que nos voisins européens, que sont l’Allemagne et l’Italie, ont adopté une solution radicalement différente lorsqu’ils ont eu à se prononcer sur une telle demande d’exequatur. En effet, tout d’abord en 1992 1038, la Cour fédérale supérieure allemande (Bundesgerichshof) rejette 109F une demande d’exequatur d’une décision américaine dans laquelle la Cour avait condamné le défendeur au paiement de dommages et intérêts punitifs. Comme il ressort du commentaire de J. M. Gaudette 1039, le Bundesgerichshof a procédé à une analyse en deux temps. Tout d’abord, il a vérifié 10F que l’on était bien en présence d’une décision de nature civile étant donné le caractère répressif et dissuasif de la mesure. Il relève, pour ce faire, le fait que les dommages et intérêts devaient être versés à la victime et qu’il s’agissait bien d’un litige entre deux personnes privées. Ensuite, la Cour allemande a vérifié si les dommages et intérêts punitifs n’étaient pas, même partiellement compensatoires. Elle a alors relève que la Cour américaine avait ordonné le versement de 200 dollars pour les frais de santé déjà exposés 1040, le versement de 100 000 dollars pour les frais de santé 10F futurs, le versement de 50 000 dollars pour les frais de placement dans un établissement spécialisé, le versement de 200 000 dollars pour le préjudice moral subi et enfin le versement de 400 000 dollars au titre des dommages et intérêts punitifs. A la lumière de ce détail, la Cour allemande a retenu qu’il n’y avait pas de doute sur le caractère seulement répressif de ces derniers dommages et 1036 La DDHC a été intégrée au bloc de constitutionnalité en 1971 par une décision du Conseil constitutionnel, n° 71-44 DC, « Liberté d'association » du 16 juillet 1971 et a acquis valeur constitutionnelle. 1037 O. Cachard, La consecration du contrôle de proportionnalité au stade de l’exequatur d’une décision américaine condamnant un chantier naval français à des dommages-intérêts punitifs, Droit maritime français, avr. 2011, n° 724, pp. 331-340 ; F. de Bérard, Punitive damages et ordre public international français : de la mesure pour l’arlésienne…, Note sous Cass. 1re civ., 1er déc. 2010, n° 09-13303, Gazette du Palais, 24 mars 2011, n° 83, p. 13. 1038 Bundesgerishof, BGH, 4 Juin 1992, Aff. IX ZR 149/91. 1039 Cour fédérale de Justice, 4 Juin 1992, Aff. IX ZR 149/91, RGDA 1996, p. 205, note Gardette J.-M. 1040 En l’espèce, le ressortissant allemand avait été condamné au pénal pour attentat à la pudeur sur la personne d’un mineur âgé de 14 ans et la décision de la juridiction américaine dont il était demandé l’exequatur était la suite de cette affaire sur le volet civil. 326 intérêts. Plus récemment, en 2007, la Cour de cassation italienne a adopté une décision similaire 1041. 102F De plus, on peut relever que le gouvernement italien, dans l’arrêt Manfredi de la CJCE 1042, a déclaré 103F que « l’institution de l’indemnité punitive est étrangère à l’ordre juridique italien et à la raison d’être de l’institution de l’indemnisation. Cette dernière serait, en effet, conçue comme une mesure de réparation du préjudice subi et prouvé par la victime. Elle ne pourrait, en aucun cas, avoir une fonction de sanction ou de répression, une telle fonction relevant du domaine de la loi »1043. 104F 689. Ces décisions prononcées en matière de Droit International Privé sont éclairantes sur deux points. Tout d’abord, il semble que la question des dommages et intérêts punitifs est une affaire nationale et non communautaire, chaque pays ayant pris position sur ce point. Ensuite, concernant le cas de la France, la décision de la Cour de Cassation témoigne d’un assouplissement dans la perception des modalités procédurales du système judiciaire américain. Cependant, il faut rester très prudent car l’ordre public international est beaucoup plus restrictif que l’ordre public interne, surtout en France. 690. Les alternatives aux dommages et intérêts punitifs. Adopter une solution s’agissant des fautes lucratives, qui ne relèveraient pas, par ailleurs, d’une qualification pénale ou administrative, apparaitrait effectivement comme une avancée, et une évolution bénéfique. Cependant, pourquoi ne pas recourir aux moyens qui existent dans notre droit et en particulier aux amendes civiles ? La répression du comportement fautif serait alors assurée sous le contrôle du juge et dans le respect de la loi. Le principe de l’interdiction de l’enrichissement sans cause serait respecté puisque l’argent ne reviendrait pas à la victime, mais à l’Etat donc à la collectivité. De plus, la victime aurait l’impression d’une justice rendue. D’ailleurs, l’ensemble des projets de textes prévoyant de manière suffisamment détaillée l’introduction de dommages et intérêts punitifs en droit positif français, considère que ces derniers seront versés au moins en partie au Trésor public, tout comme dans l’exemple de l’avant-projet Catala. De plus, des dommages et intérêts prononcés par un juge civil en fonction de la gravité du comportement de l’auteur de la faute, versés à l’Etat, ne sont-ils pas tout simplement une amende civile ? On peut également relever que certains Etats américains ont récemment adopté des “split-recovery” statutes, qui prévoient qu’une partie des dommages et intérêts punitifs prononcés dans le cadre d’un litige au civil sont reversés à l’Etat. En Oregon, une loi prévoit que 60% des dommages et intérêts punitifs alloués à la victime sont reversés à l’Etat 1044. 105F 1041 Cassazione Civile, sez. III, 19 Gennaio 2007, n° 1183, in Corriere Giuridico 2007, n° 4, p. 497. CJCE, 13 Juill. 2006, aff. jointes C-295/04 à C-298/04, Vincenzo Manfredi c/Lloyd Adriatico Assicurazioni SpA. 1043 Ibid., considérant 85. 1044 Or. Rev. Stat. §.31.735 (2003). 1042 327 Ainsi doit-on adopter des mesures, qui sont à présent remises en cause par les pouvoirs publics qui en sont à l’origine et qui posent des problèmes de compatibilité avec nos principes fondamentaux alors qu’il existe dans notre droit positif une solution adaptée à nos besoins ? 691. Conclusion du §1). Le recours aux dommages et intérêts punitifs présenterait des avantages dans certains cas. Ainsi ils pourraient pour les actions collectives, motiver les demandeurs à introduire une telle procédure en indemnisation. De même, dans le cas de certaines fautes dites « lucratives », pour lesquelles il n’existe pas d’autre recours que le recours civils, il serait le moyen de renforcer l’effet dissuasif de la mesure en vue d’une certaine justice sociale. Cependant, le recours à ce type de dommages et intérêts punitifs remettrait en cause la distinction entre la justice civile et la justice pénale et ce, aux risques de la violation des droits fondamentaux tels que garantis par la CESDH notamment. De plus, l’étude de l’utilisation de ce type de dommages et intérêts dans les pays de Common Law montrent que leur emploi ne fait pas l’unanimité dans ces pays alors qu’ils en sont à l’origine. Ainsi avoir recours à ces dommages et intérêts punitifs aujourd’hui, dans des domaines pour lesquels des mesures répressives importantes existent par ailleurs, semble présenter plus d’inconvénients que d’avantages. Pourquoi ne pas utiliser les moyens existants dans nos systèmes de droit, comme l’amende civile pour pallier les éventuelles carences du système répressif ? Pour le droit de la concurrence, en particulier, les pouvoirs de répression des pouvoirs publics semblent suffisamment importants pour ne pas recourir à ce type de dommages et intérêts punitifs. Se pose plus généralement la question de la finalité de l’action collective portée devant les juridictions civiles, qui sera abordée par la suite. 692. Un second principe a également nuit au débat sur l’action de groupe. Il s’agit du principe de la divulgation inter partes des éléments de preuve, appelé également procédure de « Discovery » en droit américain. Cette modalité d’exercice de l’action civile, permettant l’échange des éléments de preuve utiles à la résolution du litige entre parties, fut perçue comme un élément nécessaire à l’exercice de l’action de groupe alors qu’elle fait, elle-aussi, simplement partie du système judiciaire américain. 328 §2) L’action collective et la preuve 693. La procédure d’action collective, comme toute procédure judiciaire, engagée devant le juge civil, s’articule autour de la divulgation des moyens de preuve, les demandeurs à l’action devant apporter des éléments nécessaires au soutien de leurs prétentions pour voir leur demande jugée recevable et obtenir gain de cause. Cependant, l’accès aux preuves pour le demandeur n’est pas toujours aisé. En effet, dans certains domaines du droit, et en partie en matière économique, il peut exister une asymétrie d’information entre le demandeur et le défendeur, qui rendra particulièrement difficile le recueil des éléments de preuve, qui doivent porter tant sur la faute alléguée du défendeur, dont le comportement n’a pas toujours été sanctionné en amont par les pouvoirs publics, mais également sur le préjudice subi et le lien de causalité entre les deux 1045. 106F 694. L’accès aux preuves revêt un caractère particulier dans le cadre d’une procédure d’action collective. En effet, les enjeux de la divulgation des éléments de preuve dans ce type de procédure sont multiples. Tout d’abord, le demandeur doit apporter la preuve de l’existence d’autres demandeurs placés dans une situation similaire à la sienne et ayant subi un préjudice similaire au sien, afin de justifier du recours à ce type de procédure. Ensuite, il doit apporter des éléments de preuve qui peuvent être utilisés aussi bien au soutien de ces propres prétentions qu’au soutien des prétentions des personnes pour lesquelles il entend agir. 695. Au regard de ces enjeux et de ces difficultés, la procédure américaine de Discovery qui repose sur le principe d’une divulgation inter partes de l’ensemble des éléments d’informations utiles à la résolution du litige pourrait présenter un certain intérêt. C’est ainsi que le Cabinet Ashurst dans son étude sur les conditions de réparation des dommages causés par les violations aux règles communautaires de la concurrence dans les différents Etats membres de l’Union Européenne 1046, a 107 F proposé le recours à la procédure américaine de la Discovery. Elle permettrait de pallier, selon lui, la méconnaissance de l’existence des pièces détenues par le défendeur qui empêcherait le demandeur de formuler une demande au juge en vue de leur divulgation. Cette proposition fut reprise par la 1045 Voir Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, Defrénois, 2ème éd., 2005, p. 24 et s. Etude Ashurst, Comparative Report, Study on the conditions of claims for damages in case of infringement of EC competition rules, Denis Waelbroeck, Donald Slater and Gil Even-Shoshan, Cabinet Ashurst, 31 Août 2004; voir également Making antitrust damages actions more effective in the EU: welfare impact and potential scenarios, rapport final, Bruxelles, Rome et Rotterdam, 21 déc. 2007, Equipe pédagogique: Centre European Policy Studies (CEPS) Prof. A. Renda (coordinateur), Prof. J. Peysner, Prof. Dr. Alan J. Riley, Prof. Barry J. Rodger, Erasmus University Rotterdam (EUR) Prof. Dr. Roger J. Van Den Bergh, Sonja Keske, Luiss Guido Carli (LUISS), Prof. Roberto Pardolesi, Dr. Enrico Leonardo Camilli, Dr. Paolo Caprile, Rapport pour la Commission européenne, contrat DG COMP/2006/A3/012, p. 4-5. 1046 329 Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, dans son Livre vert sur les recours civils en cas d’infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante 1047, puis dans son Livre blanc sur le même thème, publié en 2008 1048. La Commission 108F 109F propose alors d’introduire un degré de divulgation inter partes sur le modèle du droit américain, tout en en limitant la portée afin de pallier aux dérives possibles en la matière 1049. En effet, la procédure 102F de Discovery, bien qu’a priori séduisante, comporte également un risque de dérives, notamment d’ordre financier, dès lors que son champ est appréhendé largement et que des moyens conséquents doivent être mis en œuvre pour le traitement des données échangées. C’est ainsi que le débat sur l’introduction d’une action de groupe en droit positif des Etats membres de l’Union européenne s’est étendu à la question de l’adoption simultanément d’une procédure de Discovery, en vue de faciliter l’obtention de la preuve dans ce type de procédure. 696. Les entreprises européennes déjà familières de la procédure de Discovery. Ce débat sur le recours à une procédure de divulgation inter partes à l’américaine fut de plus alimenté par les expériences relativement récentes de la Discovery américaine par les entreprises européennes qui opèrent également aux Etats-Unis et qui ont du faire face à des procédures devant les juridictions américaines. Des difficultés de gestion de la procédure de Discovery, mais également de compatibilité du système avec les lois européennes, notamment sur la confidentialité des données à transmettre ont été alors rencontrées. 697. Plan. Il faut tout d’abord revenir sur les éléments de cette procédure de Discovery pour en cerner toute la complexité et la rigueur ainsi que l’impact financier en découlant 1050 (A). Il faut ensuite 102F analyser le besoin d’une procédure de divulgation d’information inter partes au regard de nos propres systèmes de communications de preuves, ne perdant pas de vue la nécessaire cohérence avec 1047 Le Livre Vert de la Commission européenne du 25 déc. 2005, intitulé « Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante » COM(2005) 672 final. 1048 Le Livre Blanc de la Commission européenne, du 2 avr. 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final, p. 4 : « S'il est essentiel de surmonter cette asymétrie structurelle de l'information et d'améliorer l'accès des victimes aux preuves pertinentes, il importe également d'éviter les effets négatifs qu'entraîneraient des obligations de divulgation trop larges et contraignantes, notamment le risque d'abus susceptible d'en découler ». 1049 Ibid, p. 4. : « S'il est essentiel de surmonter cette asymétrie structurelle de l'information et d'améliorer l'accès des victimes aux preuves pertinentes, il importe également d'éviter les effets négatifs qu'entraîneraient des obligations de divulgation trop larges et contraignantes, notamment le risque d'abus susceptible d'en découler ». 1050 L’étude de la procédure de Discovery en matière pénale sera volontairement écartée car elle présente en cette matière des spécificités et notamment une marge de contestation réduite notamment quand au destinataire de demande du fait que les auteurs des demandes sont pour la plupart des autorités publiques. De plus, elle ne présenterait aucun intérêt au regard de notre sujet. 330 le système judiciaire dans lequel devra s’inscrire la procédure d’action de groupe. Seront examinés les systèmes anglais, allemand et français, qui présentent tous trois des caractéristiques spécifiques et proposent des moyens de divulgation différents pour des solutions, in fine, relativement proches (B). A) Les spécificités du modèle américain de l’obtention des preuves, la procédure de Discovery 698. L’utilisation du terme Discovery en droit américain, fait référence à la phase d’investigation, préliminaire au procès, dans laquelle chaque partie peut demander directement, sans l’autorisation du juge, à son adversaire, ou à tout témoin potentiel de produire tout élément d’information, utile à la résolution du litige en cause. La procédure de Discovery permet à une partie d’obtenir des documents demandés ou des éléments de preuve physiques. Elle permet aussi aux parties de procéder à des Depositions 1051 et à des Interrogatories 1052. De plus, il est possible pour un 102F 1023F demandeur de formuler des Requests for admissions, qui consistent à demander à l’autre partie d’admettre ou de réfuter telle ou telle allégation. Enfin, cette procédure permet de demander l’ordonnancement d’expertises physiques ou psychologiques 1053. 1024F 699. Cette procédure de divulgation d’informations inter partes se distingue de nos systèmes judiciaires inquisitoires par le rôle du juge. En effet, ce dernier ne va intervenir qu’en cas de conflit dans la mise en œuvre de la procédure entre les parties. De plus, cette procédure s’inscrit dans la théorie légale des broad rights, qui énonce qu’aucune partie dans une procédure judiciaire ne doit cacher d’éléments d’informations à l’autre partie, sous réserve de la protection du droit de ne pas s’auto-incriminer posé par le cinquième amendement de la Constitution américaine. L’idée n’est alors pas de réunir des éléments de preuve à l’appui de ses prétentions afin d’emporter la conviction du juge, mais de réunir le plus grand nombre d’éléments, qui permettront dans un premier temps, aux parties d’objectiver le litige et ainsi de trouver une solution à l’amiable au litige et dans le cas contraire, dans un second temps, de proposer au juge ou au jury une vision claire de la situation, au plus près de la « vérité ». 1051 Une « deposition », au sens américain du terme, signifie qu’une partie dans le cadre d’une session va pouvoir interroger oralement son adversaire ou toute autre personne concernée par le litige. Cette dernière répondra à ces questions sous serment et l’ensemble des propos tenus est retranscrit par écrit par un membre de la Cour, voir la définition dans le Black’s Law dictionary, par Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9 ème éd., WEST 2009, p. 505. 1052 En droit américain, des « interrogatories » consistent en des questions écrites auxquelles l’autre partie doit répondre sous peine de faux témoignage, voir la définition dans le Black’s Law dictionary, par Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 896. 1053 Voir la définition dans le Black’s Law dictionary, Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9ème éd., WEST 2009, p. 1419. 331 700. Cette conception conduit à conférer un rôle central aux parties dans la divulgation de la preuve dans le système américain de la Discovery. Elles vont alors disposer d’un large pouvoir d’action pour obtenir les informations en possession de leur adversaire (1). Le juge n’interviendra lui que dans un second temps afin d’arbitrer les conflits entre les parties et de sanctionner le non respect des règles de mises en œuvre de la procédure par les parties. Ce contrôle a posteriori entrainera alors un contentieux potentiel dans le contentieux, ce qui aura des répercussions sur la durée comme sur le coût de la procédure (2). 1) Une instruction aux mains des parties en vue de la recherche de la vérité 701. La procédure de Discovery place les parties au litige au cœur du processus d’obtention des éléments de preuve. En effet, en vertu des Règles Fédérales de Procédure Civile américaines (FRCP) 1054, les parties au litige peuvent formuler des demandes de divulgation de documents, à 1025F destination de leur adversaire de manière assez générale. Tout document peut être demandé dès lors qu’il est considéré par le demandeur comme utile et pertinent pour la résolution du litige (a). De plus, les parties au litige procèdent elles-mêmes et sans autorisation préalable du juge aux interrogatoires et dépositions des témoins et des parties (b). a) L’obtention de preuves documentaires 702. Dans le cadre de la préparation de son recours et une fois sa requête introduite, toute partie peut demander à son adversaire de lui fournir tout document utile à la résolution du litige. Ce dernier a alors l’obligation de divulguer les éléments demandés. i) Une définition large des documents demandés dans la requête en production 703. Le champ de la requête en production d’information. Les règles de la procédure civile américaine (FRCP) prévoient, que toute partie peut notifier à la partie adverse une requête en production de documents 1055. Cette demande peut alors couvrir plusieurs modes de divulgation de 1026F l’information. Elle peut viser « la production de tout document désigné ou la permission d’inspecter, de copier, de tester, d’effectuer des échantillonnages desdits documents d’informations ou de toutes choses tangibles désignées, qui se trouvent en la possession ou sous le contrôle de la partie faisant 1054 1055 Chapitre 5, intitulé « Disclosures and Discovery » Rule 34(a) FRCP. 332 l’objet de la requête ou sur la permission de visiter et d’inspecter toute propriété appartenant à la partie interrogée »1056. La marge de manœuvre de la partie en demande est importante puisqu’elle 1027 F peut elle-même, sur autorisation de son adversaire – ou, sur injonction du juge, se rendre dans ses locaux ou à son domicile pour se procurer l’élément demandé. Dès lors que la personne, partie au litige est une personne morale, cette règle implique alors que le demandeur peut opérer au domicile de cette dernière, mais également dans les locaux de ses filiales, que ces dernières soient situées sur le territoire américain ou sur le territoire d’un Etat tiers. 704. Les standards a minima de définition de l’information demandée. Concernant le document demandé, la loi fédérale prévoit que les parties peuvent obtenir « tout élément, non couvert par le secret professionnel ou tout autre privilège, qui est pertinent au regard des demandes formulées par les parties ou au regard de tous moyens de défense soulevés ». De même, la loi prévoit qu’au besoin, le tribunal peut ordonner la divulgation « of any matter relevant to the subject matter involved in the action ». De plus, ces éléments d’information n’ont pas besoin d’être admissibles devant un juge. Il suffit qu’ils permettent de conduire à la divulgation d’éléments de preuve admissibles 1057. Ainsi les 1028F parties ont également une large marge de manœuvre concernant les documents demandés, la seule limite se présentant à eux au regard de ces dispositions légales étant la protection de la confidentialité du document 1058. La requête en production de document n’a pas besoin de viser 1029F expressément les documents existants ; la partie demanderesse peut se contenter de viser une « catégorie de documents ». 1056 Rule 34(a) FRCP: “(a) In General. A party may serve on any other party a request within the scope of Rule 26(b): (1) to produce and permit the requesting party or its representative to inspect, copy, test, or sample the following items in the responding party's possession, custody, or control: (A) any designated documents or electronically stored information — including writings, drawings, graphs, charts, photographs, sound recordings, images, and other data or data compilations — stored in any medium from which information can be obtained either directly or, if necessary, after translation by the responding party into a reasonably usable form; or (B) any designated tangible things; or (2) to permit entry onto designated land or other property possessed or controlled by the responding party, so that the requesting party may inspect, measure, survey, photograph, test, or sample the property or any designated object or operation on it.” 1057 Rule 26 (b)(1) FRCP : “Unless otherwise limited by court order, the scope of discovery is as follows: Parties may obtain discovery regarding any nonprivileged matter that is relevant to any party's claim or defense — including the existence, description, nature, custody, condition, and location of any documents or other tangible things and the identity and location of persons who know of any discoverable matter. For good cause, the court may order discovery of any matter relevant to the subject matter involved in the action. Relevant information need not be admissible at the trial if the discovery appears reasonably calculated to lead to the discovery of admissible evidence. All discovery is subject to the limitations imposed by Rule 26(b)(2)(C)”. 1058 Le terme de « confidentialité » est ici utilisé dans son sens générique et couvre le Legal privilege, le secret professionnel et le secret des affaires. 333 705. Exemple d’une définition du terme « Document » pouvant être formulée dans le cadre d’une requête. Par exemple, une des définitions types donnée au mot « documents » dans une requête de production de documents peut être la suivante : « tous éléments rentrant dans le champ d’application de la règle 34 FRCP y compris non limitativement, Tous écrits et enregistrements, y compris les originaux et toutes les copies non identiques, qu’elles soient différentes de l’original du fait d’annotations ou pour toute autre raison (y compris non limitativement, les emails et pièces jointes, correspondances, mémorandums, notes d’agenda, comptes rendus, statistiques, lettres, télégrammes, contrats, rapports, études, vérifications, déclarations, étiquettes, labels, factures, brochures, récépissés, accusé de réception, résumés, ouvrages, communications internes et externes, offres, notes de conversations de tout genre, documents de travail, demandes, permis, couvertures de dossiers, indexes, notes d’entretiens téléphoniques et de réunions, sorties d’imprimantes, télécopies, feuilles de travail et tous projets, altérations, modifications, changements amendements de l’un quelconque des documents précités) ; Toutes représentations graphiques ou audio de toutes sortes (y compris non limitativement, les photographies, diagrammes, microfilms, microfiches, cassettes vidéo, enregistrements, films, plans, dessins, revues) et Tous enregistrements ou représentations électroniques, mécaniques, magnétiques, optiques, ou électriques de toutes sortes (y compris non limitativement, les dossiers et programmes informatiques, cassettes, disquettes, enregistrements et y compris les métadonnées 1059 ». 1060 103F 103F 706. La Pre-Discovery. Les requêtes en production de documents peuvent être formulées très tôt dans la procédure. En effet, la mise en œuvre de la Discovery peut intervenir dès le dépôt de la demande 1059 “Metadata is information about a particular data set which may describe, for example, how, when and by whom it was received, created, accessed and/or modified and how it is formatted. Some metadata, such as file dates and sizes, can easily be seen by users; other metadata can be hidden or embedded and unavailable to computer users who are not technically adept. Metadata is generally not reproduced in full form when a document is printed. (Typically referred to by the less informative shorthand phrase “data about data,” it describes the content, quality, condition, history and other characteristics of the data.) There is a file system metadata, document metadata and e-mail metadata. Furthermore, ediscovery vendors often create and maintain vendor-added metadata as a result of processing a document”, source: www.krollontrack.com (legal resources –sample documents). 1060 Source: www.krollontrack.com (legal resources –sample documents). 334 par le demandeur et avant même que le défendeur ait eu le temps de contester la demande en formulant une requête de rejet a priori de la demande devant le juge (Motion to dismiss). Il s’agit de la Pre-Discovery. 707. Les parties et leurs conseils vont alors s’organiser entre elles. Les avocats des parties jouent un rôle central dans la mise en œuvre de la procédure de Discovery. Ils sont les véritables acteurs de la procédure. Ainsi lors d’une réunion préliminaire obligatoire (Mandatory pre-trial « meet-andconfer » conference), les parties et leurs conseils déterminent les contours de la Discovery (Discovery Plan). Ils se mettent d’accord sur le périmètre de la Discovery, son calendrier et sur les conséquences en cas de divulgation involontaire de documents concernés par le secret des affaires. Dans un délai de 14 jours suivant cette rencontre, les parties doivent fournir à leur adversaire toutes informations ou éléments de preuve susceptibles de venir au soutien de leurs prétentions 1061. Il s’agit 1032F pour chaque partie de dresser une liste des éléments d’informations utiles se trouvant en leur possession ou en la possession d’un tiers, que ces éléments leur soient favorables ou défavorables. Particulièrement, chaque partie doit notamment fournir à la partie adverse : le nom et les coordonnées de toute personne susceptible d’être en possession d’éléments d’information, une copie ou une description de tous les documents, informations électroniquement disponibles, et de toute chose tangible en leur possession, et une attestation d’assurance de responsabilité civile 1062. 103F 708. Les parties ont un large champ d’action et des moyens importants mis à leur disposition pour la réunion d’éléments de preuve, qu’elles peuvent mettre en œuvre très rapidement après l’introduction de la demande en justice. Elles ont l’opportunité de formuler une simple demande de transmission d’un document, mais également de se rendre sur le lieu de domicile de l’adversaire pour obtenir l’information voulue. Cette dernière compétence, qui pourrait être qualifiée de perquisition 1063, au 1034F sens du droit français, est peut être le moyen le plus choquant au regard de la tradition romanogermanique et en particulier au regard de la répartition des rôles entre les pouvoirs publics et les personnes privées. En effet, en France, comme dans les autres pays européens de tradition romano1061 Rule 26 (a) (1) (A) FRCP: [- « That the disclosing party may use to support its claims or defenses »]. Rule 26(a)(1)(A) FRCP. 1063 « Recherche policière ou judiciaire des éléments de preuve d’une infraction. Strictement réglementée elle peut être réalisée au domicile de toute personne ou en tout autre lieu où pourraient se trouver des objets, documents ou données informatiques, dont la découverte serait utile à la manifestation de la vérité », Lexique des termes juridiques 2012, S. Guinchard, et Th. Debard, Dalloz 2011, p. 637. 1062 335 germanique, cette compétence est dévolue exclusivement aux pouvoirs publics, qui agissent sous autorisation et contrôle du juge. De plus, le fait de ne pas devoir identifier les documents demandés en des termes précis décuple l’effet de la mesure. Il suffit pour toute personne d’introduire une requête en justice - certes fondée a priori, et d’aller à la pêche aux informations en utilisant les requêtes en production de documents comme filet. Dès lors qu’une requête est formulée, il incombe par principe à l’autre partie de répondre à cette demande. ii) L’obligation de conservation et de divulgation des documents utiles à la procédure 709. Dès lors que la requête en production de documents est conforme aux dispositions légales, la divulgation des éléments demandés s’impose au destinataire de la demande. En effet, ce dernier doit produire les documents demandés, relatifs au litige, par la partie adverse en dehors de toute injonction du juge. Cette obligation légale s’accompagne en outre d’une obligation de conservation des documents. Toute personne susceptible d’être partie à un litige futur est obligée de conserver tous les documents, qui sont en sa possession et qui pourraient se révéler utiles pour la résolution du futur litige. 710. Appliquée à l’entreprise, cette obligation de conservation se traduit par la mise en place d’une véritable politique de conservation des documents, consistant alors d’une part à conserver et donc à stocker tous les documents de l’entreprise pendant une période raisonnable – ces périodes sont généralement fixées en fonction des délais de prescription des actions en justice – et d’autre part, à mettre en place des outils permettant le cas échéant, d’identifier parmi la masse de documents ceux relatifs au litige. Cette identification est alors utile à l’entreprise elle-même pour préparer sa défense, mais elle permet surtout de lister les documents qui pourront faire l’objet d’une requête en production par la partie adverse. La masse des informations à traiter peut être considérable et en particulier depuis 2006. En effet, jusqu’en novembre 2006, ces obligations ne portaient que sur les documents sur support papier. Cependant, une réforme des règles fédérales de procédure civile américaines, entrée en vigueur en décembre 2006, est venue étendre l’objet de l’obligation aux documents sous forme électronique, ce qui a des répercussions considérables sur le volume de documents à conserver et éventuellement à faire parvenir à l’autre partie au litige. Le nombre de documents transmis dans le cadre d’un litige en matière civile et commerciale aux Etats-Unis est estimé en moyenne à un million. 336 711. La tenue de ces obligations par les entreprises américaines représente un coût important pour ces dernières. Une moyenne de 3,5 millions de dollars par litige en matière civile et commerciale simplement pour la procédure de Discovery a été avancée par Institute for Legal Reform 1064 de la 1035F Chambre du commerce américaine. Les entreprises doivent désormais de plus en plus recourir aux services d’entreprises spécialisées dans le traitement des données informatiques. En effet, les exigences de la procédure de Discovery ont donné lieu à la création d’un nouveau marché qui est celui de la de la gestion (stockage, classement et transfert sur demande) des documents informatiques pour des fins judiciaires. Elles doivent de plus, si nécessaire, faire traduire les documents à transmettre. Cependant, le coût de gestion le plus important reste le coût des honoraires d’avocats générés par l’obligation pour ces derniers de passer en revue tous les documents en possession de leur client, mais également en provenance de la partie adverse afin d’identifier les documents utiles à la défense de leur clients et les documents couverts par la confidentialité. 712. La procédure de Discovery impacte la vie et l’organisation des professionnels de la justice, comme celles des justiciables, en particulier celle des entreprises qui sont appréhendés, par la législation en vigueur en la matière simplement comme des parties à un litige potentiel. Cette procédure nécessite la mise en place de moyens conséquents, en amont des procédures et ce, même avant toute introduction d’une demande en justice. De plus, une fois la demande introduite, la gestion matérielle et intellectuelle des documents relatifs au litige, qui se fait principalement par les avocats, peut alors représenter un coût important pour le destinataire de la demande, d’autant qu’une large marge de manœuvre est laissée aux parties dans la formulation des requêtes en production de documents. Adopter une procédure de Discovery en Europe pour les recours collectifs aurait des répercussions sur les coûts de justice comme sur la gestion des litiges par les avocats. 713. Ce large pouvoir d’intervention laissé aux parties se manifeste également au travers du second volet de la Discovery relatif aux Depositions et aux Interrogatories. Outre le fait que les parties peuvent demander à visiter les locaux de la partie adverse, afin de recueillir les éléments d’informations utiles à la résolution du litige, elles peuvent, avec leurs conseils, procéder aux Depositions et Interrogatories des parties et des témoins et ce, sans injonction du juge, même si, la procédure est alors fortement encadrée à défaut d’être autorisée a priori par le juge. 1064 Target: Europe, Global Export of US-Style Class action Lawsuits, US Chamber Institute for Legal Reform Paper, 13 May 2009. 337 b) Les autres mesures de la Discovery : les Interrogatories et les Depositions 714. Les autres modes d’obtention de l’information. La procédure de Discovery aux Etats-Unis porte sur la divulgation de documents utiles à la résolution du litige, mais également sur toutes autres informations quel que soit leur mode de divulgation. En effet les parties peuvent également procéder aux interrogatoires des parties et des témoins ainsi que recueillir leur déposition et ce, en dehors de toute autorisation a priori du juge. Les propos recueillis peuvent ensuite être produit lors du procès. Les avocats des deux parties prennent alors en charge la procédure. 715. Cette seconde faculté dévolue aux parties est peut être la plus surprenante - avec la possibilité de visiter les locaux de la partie adverse - au regard de notre propre système d’obtention de la preuve et de celui des pays de tradition romano-germanique en général. En effet, en France, bien qu’il soit possible en matière civile pour une partie de produire en justice des témoignages écrits (attestations) 1065, seul le juge peut procéder à l’interrogatoire des parties 1066 et des témoins 1067. Cette 1036F 1037F 1038F compétence relève en effet de la compétence exclusive des pouvoirs publics et du juge. Cette compétence des parties est d’autant plus notable que les éléments de preuve oraux bénéficient d’une valeur probante plus importante que les éléments de preuve écrits dans le système judiciaire américain. L’exemple mentionné du cartel des tuyaux marins illustre bien cette supériorité de la valeur du témoignage en droit américain, les propos tenus par le Directeur de l’entreprise ayant suffit à la reconnaissance du droit de cette dernière d’ester en justice dans cette affaire 1068. La place de la 1039 F preuve orale dans le système judiciaire américain s’explique en grande partie par la sacralisation de la notion de « vérité », la justice étant au service de la vérité. Le parjure constitue, ainsi, aux EtatsUnis, l’offense suprême. 716. Bien que les parties disposent d’une compétence large en la matière, la mise en œuvre de ces deux modes de divulgation de l’information est très encadrée par le Code de procédure civile américain (FRCP). Le législateur a en effet entendu garantir le respect du Fair Trial 1069. Il a tenu 104F compte du fait que les personnes sont rarement entendues de nouveau lors du procès devant les jurés. Ainsi le recueil des propos doit être réalisé, de manière équitable et juste, dans le respect des 1065 Voir art. 200 et s. du Code de procédure civile sur les attestations. Voir art. 184 et s. du Code de procédure civile sur la comparution personnelle des parties. 1067 Le juge français peut interroger les témoins par voie d’enquête, art. 204 et s. du Code de procédure civile sur l’enquête. 1068 Voir §. 20-21 1069 La notion de « Fair Trial » fait référence au droit à être jugé par un tribunal impartial et désintéressé en conformité ème avec les règles procédurales en vigueur, Black’s Law dictionary, Bryan A. Garner, Rédacteur en chef, 9 éd., WEST 2009, p. 676. 1066 338 droits de la personne interrogée. Prenons l’exemple des Depositions, qui sont régies par les règles 28 à 30 du Code fédéral de procédure civile. Les Depositions en droit américain correspondent aux interrogatoires en droit français 1070. Elles ne peuvent être mises en œuvre, par les parties, que dans 104F certaines conditions dont les suivantes. Tout d’abord, la Deposition doit être réalisée en présence d’une personne assermentée, dépendante de la Cour. Elle est enregistrée et retranscrite 1071 et toute objection formulée 1042F lors de cet exercice doit également apparaître sur la retranscription 1072. Ces mesures 1043F permettent la restitution précise et complète de l’interrogatoire lors du futur procès. Ensuite, les objections pouvant être soulevées par les conseils de la défense sont limitées à trois motifs : la préservation de la confidentialité d’une information, la préservation d’une ordonnance limitative de la Cour et la volonté de déposer une requête (Motion) devant la Cour du fait du harcèlement ou de l’embarras infligé au témoin 1073. 104F De plus, un nombre limité de Depositions peut être opéré dans le cadre d’un litige, sans autorisation du juge 1074. 1045 F Enfin, la durée de l’interrogatoire ne peut excéder une journée de 7 heures, sauf autorisation du juge 1075. 1046 F 717. De plus, le juge peut toujours de sa propre initiative ordonner une limitation du champ des questions posées et peut lui-même imposer des règles de déroulement de l’interrogatoire plus strictes que ce qu’il est prévu dans le Code de procédure civile (FRCP) en tenant compte des circonstances de l’espèce. Ces règles d’encadrement des modes de recueil des informations nécessaires au litige, 1070 Les « Depositions » peuvent être opérées par les parties, en dehors de toute autorisation préalable du juge, sauf dans des cas particuliers, comme par exemple si la personne que l’on souhaite soumettre à une Deposition est en prison, Rule 30(a)2(A) FRCP. 1071 Voir note de bas de page 154. 1072 Rule 28(a) FRCP : “Within the United States or a territory or insular possession subject to United States jurisdiction, a deposition must be taken before: (A) an officer authorized to administer oaths either by federal law or by the law in the place of examination; or (B) a person appointed by the court where the action is pending to administer oaths and take testimony”. 1073 Rule 30(c) 2 FRCP. 1074 Si une partie entend procéder à plus de dix Depositions, elle doit obtenir l’autorisation du juge, Rule 30(a)2(A)(i) FRCP. 1075 Rule 30(d)1 FRCP. 339 ainsi d’ailleurs que leur contrôle par le juge sont particulièrement importants aux États-Unis du fait de la possibilité pour toute personne de réutiliser les éléments obtenus dans le cadre d’un autre litige. 718. Ainsi bien que les parties à la procédure soient également en charge de l’initiative et de la conduite des Interrogatories comme des Depositions, leur compétence en la matière est beaucoup plus encadrée que leur compétence en matière de divulgation de documents, la loi leur imposant un certain formalisme quant à la mise en œuvre de ces procédures. Les conditions énumérées tendent alors à une parfaite restitution des propos recueillis, et à la garantie des droits de la défense de la personne interrogée. De plus, un officier assermenté, seul garant du serment de la personne interrogée, doit être présent. Cependant, ce très grand formalisme, comme par ailleurs à l’opposé, la grande liberté des parties dans la formulation des requêtes en production de documents, conduisent à la création de nombreux contentieux entre les parties dans la mise en œuvre de la procédure de Discovery et le juge est appelé à intervenir dans de nombreux cas afin de trancher ces points de dissonances, ce qui n’est pas sans ajouter aux coûts et aux délais de la procédure principale. 2) Le contrôle du juge sur la procédure de la Discovery, un contentieux dans le contentieux 719. Plan. Dès lors qu’un litige dans la mise en œuvre de la procédure de Discovery intervient, le juge américain exerce son rôle de garant du bon fonctionnement de la justice et se pose en arbitre. Il peut alors opérer un contrôle tant sur le champ des demandes de divulgation formulées par les parties (a) que sur l’exécution de bonne foi de la procédure par les parties (b). a) Le contrôle de l’étendue des demandes de divulgation de documents 720. Le pouvoir de limitation du champ de divulgation du juge. Le juge peut limiter le champ et la fréquence des demandes de divulgations des informations dès lors que ces demandes apparaissent comme disproportionnées par rapport à l’objet du litige ou sans rapport avec ce dernier. Il dispose, pour ce faire, d’un large pouvoir d’appréciation. 340 721. Dans certaines circonstances, cette possibilité se transforme en obligation. En effet, sur demande ou d’office, le juge doit limiter la fréquence ou le champ de la Discovery : Si l’information recherchée au travers de la procédure de Discovery apparaît déraisonnable, cumulative ou duplicative, ou si les éléments demandés peuvent être obtenus par une autre source entrainant moins d’inconvénients, nécessitant moins d’efforts et surtout se révélant moins couteuse. Si la partie demanderesse a déjà eu de multiples opportunités au cours de la procédure de demander ces éléments d’informations, ou Si le coût et l’ampleur de la Discovery proposée dépassent les bénéfices et buts recherchés. Le juge examine pour cela les nécessités de l’affaire, le montant du litige, les ressources des parties, l’importance des questions posées par le litige et l’importance de la Discovery dans la résolution de l’affaire 1076. 1047 F 722. La vigilance du juge est particulièrement en cas de demande portant sur des données informatisées. En effet, la demande d’obtention d’éléments d’information peut se faire quel que soit le support sur lequel elle se trouve 1077. Ainsi peuvent faire l’objet d’une demande de production les 1048 F courriers électroniques, ainsi que tous autres documents informatiques se trouvant en possession de la partie adverse. Cependant, du fait de leur caractère immatériel, ces données peuvent être difficiles d’accès. Ainsi, le législateur a instauré une limitation spécifique concernant les demandes portant sur des informations contenues sur ce type de support. Sont exclues du champ de la demande de production de documents, toute information dont la source n’est pas considérée comme raisonnablement accessible du fait de l’absence de preuve amenée [quant à sa pertinence] et/ ou du coût que [sa production] engendrerait 1078. Ainsi une partie peut contester toute demande formulée 1049F en ce sens devant le juge. Il lui incombe alors d’apporter la preuve des difficultés d’accès rencontrées et du caractère déraisonnable d’une telle production 1079. Le juge a le pouvoir de rendre 105F une ordonnance de protection interdisant la divulgation de l’information demandée. 1076 Rule 26 (b)(2)(C) FRCP. Jusqu’en novembre 2006, l’obligation de conservation et de divulgation d’éléments d’information susceptibles d’être utiles dans le cadre d’un litige pesant sur tout ressortissant américain et surtout sur toute entreprise américaine concernaient principalement les documents sur support papier. Cependant, une réforme des règles fédérales de procédure civile américaines, entrée en vigueur en décembre 2006, est venue étendre l’objet de l’obligation aux documents et informations se trouvant sous forme électronique. 1078 Rule 26(2)(B) FRCP. 1079 City of Seattle v. Prof’l Basketball Club, LLC, 2008 WL 539809 (W.D.Wash. Feb. 25, 2008), “In this dispute over performance of a lease agreement, the plaintiff filed a motion to compel the defendant to search and produce responsive emails from six of its eight members. Having produced 150,000 e-mails from two of the members, the defendant objected to this request, claiming the search would “increase the universe exponentially” and would generally produce irrelevant 1077 341 723. A titre d’exemple, dans une affaire Aguilar v. Immigration & Customs Enforcement Divis. of United States Dept. of Homeland Security 1080, dans laquelle les demandeurs arguaient d’une 105F violation du quatrième amendement de la Constitution par les Service de l’immigration américains lors d’une perquisition à leur domicile, le juge a eu à se prononcer sur la possibilité d’avoir accès à des documents informatiques et aux métadonnées 1081 y afférents. En l’espèce les défendeurs avaient 1052F transmis conformément à la requête des demandeurs des documents informatiques : des emails, des fichiers Word, Powerpoint et Excel. Cependant, les documents transmis ne comprenaient pas les métadonnées relatives à chaque document. Ainsi les demandeurs, quelques mois plus tard, ont formulé une nouvelle demande concernant la divulgation des mêmes documents, mais avec les métadonnées. Les défendeurs ont alors formé une requête devant le juge pour voir interdire cette demande faisant valoir que l’accès aux métadonnées des documents était difficile, que ces métadonnées n’étaient pas pertinentes au regard des questions posées par le litige et que les coûts qu’engendrerait cette nouvelle production seraient disproportionnés au regard de la pertinence des documents demandés. Le juge a alors considéré la requête en fonction des circonstances de l’espèce. Il a ordonné aux défendeurs de produire les métadonnées relatives aux emails et aux fichiers Excel. Il a considéré que les emails étant peu nombreux, les défendeurs auraient peu de difficultés à produire les métadonnées s’y rapportant. Concernant les documents Word, il a accepté la seconde production, mais il a mis les coûts de cette seconde production à la charge des demandeurs. Dans un souci d’égalité il n’a pas hésité à mettre à la charge du demandeur une partie des coûts dès lors que la requête concernant ce type de documents paraissait moins pertinente. 724. Les ordonnances de protection du juge. Plus généralement, « toute partie ou personne concernée par les demandes de Discovery peut demander au juge de rendre une ordonnance de protection (Protective Orders) […] en cas de désagréments, d’ennuis, de pressions subies ou de charges ou dépenses indûment supportées » 1082. La demande est formulée auprès de la juridiction devant 1053 F laquelle l’affaire est pendante ou, le cas échéant, devant la juridiction du district où la Deposition a été réalisée. Le demandeur doit justifier de la bonne foi de la démarche et de la tentative de documents. Finding a principal-agent relationship between the defendant and its members, the court determined sufficient cause to demand the documents from its members as the defendant was in possession, custody or control of the e-mails at issue. The court, therefore, ordered the defendant to produce e-mail from the remaining four members at issue, finding the defendant‟s claim of burden to be insufficient under Fed.R.Civ.Pro. 26(b)(2)(B)”, source : www.krollontrack.com (legal resources –sample documents). 1080 2008 WL 5062700 (S.D.N.Y. Nov. 21, 2008). 1081 Voir définition donnée en note de bas de page n° 1059. 1082 Rule 26(c)(1) FRCP. 342 conciliation avec l’autre partie. Le juge ne rendra ce type d’ordonnance que si elle est soutenue par des « causes justes » 1083. Ces ordonnances trouvent en effet leur justification dans les droits et 1 054F libertés individuelles de chaque justiciable. Une des grandes critiques formulées à l’encontre du système de Discovery à l’américaine est l’intrusion dans la sphère privée de l’entreprise ou de la personne physique, cible de la procédure. Les juges ont le pouvoir de limiter les atteintes portées au principe du respect de la vie privée notamment, en conférant des privilèges ou immunités à certaines parties, si les circonstances l’exigent. Il est intéressant de noter que dans le système américain, la garantie du respect du droit à la vie privée et du droit à la préservation de son domicile est inversement mise en œuvre comparativement au système français. En effet, dans ce dernier système, les visites domiciliaires doivent être a priori autorisées par le juge qui, en fonction des circonstances, autorise la conduite de la perquisition, jugeant la mesure appropriée à l’enjeu. Dans les deux systèmes néanmoins la considération du respect de la vie privée s’opère au travers le contrôle du principe de proportionnalité. L’idée est de trouver un équilibre entre les buts recherchés. Ainsi le juge peut octroyer des immunités si les circonstances le justifient 1084. 105F 725. Les modalités de la protection dévolue. Les réponses que le juge peut adopter varient. En effet, dans le cadre de ces Protective Orders, le juge peut: « Interdire la divulgation de l’information demandée ; Spécifier les modalités de divulgation de l’information, notamment le délai et le lieu (en cas de déposition ou interrogatoire) ; Prescrire une autre méthode de divulgation de l’information que celle choisie par la partie demandant la Discovery; Interdire la demande de renseignements dans certains cas ou en limiter le champ ; Désigner une personne qui sera présente lors du déroulement de la Discovery ; Requérir que la Deposition soit confidentielle et qu’il n’y soit procédé que sur l’ordre de la Cour ; Requérir que toute information commerciale sensible ou couverte par le secret des affaires ne soit pas révélée ou seulement dans des circonstances spécifiées ; et 1083 Rule 26(b)(2)(C) FRCP. L’association UNIDROIT a, sur ce point, formulé des propositions, dans un texte de 2006 sur les principes transnationaux de procédures civiles en orientant l’équilibre recherché vers un équilibre entre la formulation de la demande et le contrôle du juge. Le texte des principes et les commentaires les accompagnants ont été adoptés par l’American Law Institute (ALI) en mai 2004 et par l’Institut international pour l’unification du droit privé (UNIDROIT) en avril 2004, Rev. dr. unif. 2004-4. 1084 343 Requérir que simultanément les parties placent certains documents dans des enveloppes sous scellées –enveloppes qui ne seront ouvertes que sur ordre de la Cour »1085. 1056F 726. L’objet légitime de la demande de divulgation. Le juge peut également refuser d’enjoindre la production de l’information dès qu’il peut être présumé que la partie en fera un usage déraisonnable ou dès lors que l’objet de la demande ne constitue pas une bonne cause de l’action ou une bonne défense. De même, le juge interdira toute demande de divulgation d’information dès lors qu’elle est formulée de mauvaise foi. 727. Dès lors que les parties n’ont pas pu trouver un compromis pour la mise en œuvre de la procédure, elles peuvent recourir à l’arbitrage du juge. Les parties doivent alors justifier de la tentative de conciliation afin de voir leur requête jugée recevable. Le cas échéant, le juge au regard des circonstances de l’espèce pourra faire usage de ses nombreux pouvoirs d’injonction, allant de l’interdiction de divulgation ou de l’injonction de faire droit à la demande jusqu’à la réduction du champ de la demande ou la mise à la charge du demandeur des coûts de la Discovery. Le juge recherche alors l’équilibre de la procédure tout en garantissant les droits fondamentaux des parties au litige. Au-delà du champ des demandes, le juge peut également contrôler la mise en œuvre de la procédure par les parties, qui se caractérise par une obligation de coopération de bonne foi pour ces dernières. b) Le contrôle de l’obligation de coopération de bonne foi 728. Le fondement de l’obligation de coopération de bonne foi. Comme il a été rappelé ci-dessus la procédure de Discovery aux États-Unis s’inscrit dans la théorie des Board Rights qui consiste en l’obligation pour les parties au litige de ne pas dissimuler d’éléments d’information à leur adversaire. Les parties à la procédure doivent exécuter leur obligation de conservation et de divulgation de bonne foi. Cette obligation de coopération de bonne foi consiste en la transmission de tous les documents demandés qu’ils soient favorables ou défavorables. Elle consiste, également, en la suspension de toute suppression de documents papiers ou de fichiers électroniques susceptibles de faire l’objet d’une demande de Discovery dans le cadre du procès, avant même toute assignation, avant que l’avocat de la partie adverse ait envoyé un courrier de demande de préservation de documents ou une requête en production de documents et sans qu’il y ait besoin d’une ordonnance 1085 Rule 26(c)(1) FRCP. 344 de préservation du juge (Litigation Hold). Pour analyser les efforts entrepris par les parties pour préserver les documents pertinents, notamment les éléments informatiques, le juge prend en compte certains éléments comme la suspension des destructions périodiques, et la date de cette suspension, la réalisation de sauvegardes par des experts informatiques, le retrait de l’environnement opérationnel, le placement en sécurité des équipements pertinents ou encore les justifications de la politique de destruction périodique automatisée des données. 729. En cas d’absence de coopération ou de destruction de documents (spoliation 1086), le juge peut 1057F alors prononcer des sanctions pécuniaires à l’encontre de la partie contrevenante. Il peut également tenir pour acquis des faits devant normalement reposés sur des éléments de preuve en possession d’une des parties si cette dernière refuse de les divulguer. Il peut encore formuler une recommandation négative (« Adverse inference ») à destination du jury, ce qui peut conduire à la condamnation au paiement de dommages intérêts punitifs. Enfin il peut également se prononcer en faveur de la partie adverse du seul fait de la pratique de la spoliation d’éléments de preuve. 1087 Ainsi, 1058F la sanction peut aller jusqu’à la perte pure et simple du procès. 730. Exemple. Dans une affaire United States v. Philip Morris 1088, la société américaine, qui avait 1059F continué à supprimer les emails de plus de soixante jours, sur une base mensuelle, pendant un période de deux ans alors même qu’une ordonnance de préservation de preuve avait été rendue, a été condamné par le Tribunal. Ce dernier lui a interdit de faire comparaître comme témoin un employéclé qui n’avait pas appliqué la politique de rétention et il l’a condamné à payer la somme de 2,75 1086 Le fait de ne pas se conformer à cette obligation de conservation et de communication tout élément d’information est appelé “spoliation”. 1087 Arista Records LLC v. Usenet.com, Inc., 2009 WL 185992 (S.D.N.Y. janv. 26, 2009): “In this copyright infringement litigation, the plaintiffs moved for sanctions for spoliation. The plaintiffs alleged the defendants deliberately destroyed and failed to preserve highly relevant materials that would have provided evidence of the “wide-scale infringement.” The defendants argued that the evidence sought was not relevant to the plaintiffs‟ claim, the data was transient in nature and their systems did not have the capacity to preserve the data. Regarding the duty to preserve, the court found that the defendants had an obligation to preserve the requested data and defendants ‟ failure to preserve was in bad faith. Therefore, the court imposed an adverse inference against the defendants and awarded attorneys’ fees and costs”, source: www.krollontrack.com (legal resources –sample documents); Voir aussi Smith v. Slifer Smith & Frampton/Vail Assocs. Real Estate, LLC, 2009 WL 482603 (D.Colo. Feb. 25, 2009): “In this real estate litigation, the defendants objected to the magistrate judge‟s recommendation regarding the plaintiffs‟ motion for sanctions for the destruction of evidence. The plaintiffs‟ expert concluded the defendants engaged in a systemic effort to erase pertinent data based on evidence of wiping software and reformatting. The magistrate judge found the defendants ‟ actions to be willful and in bad faith after the duty to preserve arose. The magistrate judge therefore recommended an adverse inference jury instruction, a monetary award associated with attorneys‟ fees and costs as well as the costs associated with the forensic examination of the computer files. Finding the recommendation based on substantial evidence, the court adopted the magistrate ‟s recommendation and warned the defendants that any further sanctions would be more severe and may include a default judgment”, source: www.krollontrack.com (legal resources –sample documents). 1088 United States v. Philip Morris USA Inc., 327 F. Supp.2d 21 (D.D.C 2004). 345 millions de dollars au titre des coûts relatifs à la spoliation et au titre des pénalités financières. Ainsi l’exécution de bonne foi des obligations de divulgation et de conservations des informations par les parties au litige fait l’objet d’un contrôle particulièrement strict de la part du juge américain. Toute constatation d’une fraude à ces obligations peut aboutir au prononcé de sanctions lourdes allant jusqu’à mettre en péril le résultat du litige 1089. 106F 731. Conclusion du A. La procédure de Discovery apparait dans sa mise en œuvre comme dans sa conception comme assez éloignée des procédures de divulgation d’éléments de preuve connues de nos systèmes judiciaires continentaux 1090. Le rôle approfondi et central des parties, agissant en vue 106F de la recherche de la vérité, et allant jusqu’à l’exercice de prérogatives de puissance publique au regard de notre propre système apparait paradoxal au regard de la séparation, connue en Europe, entre le rôle du citoyen et des pouvoirs publics. Au-delà de cette différence de conception, la procédure de Discovery à l’américaine présente deux inconvénients majeurs tenant d’une part à la lourdeur de la procédure de l’action en justice du fait de la création d’un contentieux dans le contentieux relatif à la gestion de la procédure de Discovery et d’autre part, tenant aux coûts de procédure très importants considérablement augmentés du simple fait de la mise en œuvre de cette procédure. Ainsi bien qu’elle permettrait de pallier à l’asymétrie d’information entre les demandeurs et les défendeurs à l’action collective, elle n’apparait pas comme une solution proportionnée aux enjeux de l’action collective en Europe. D’autres obstacles apparaissent également à l’adoption d’une telle procédure en Europe dans le cadre des actions collectives, qui ont été mis en lumière par les litiges transnationaux dans lesquels des entreprises européennes ont été soumis aux règles de la procédure de Discovery. 732. Transition. Ainsi avant d’envisager d’introduire une telle procédure dans nos sociétés, il s’agit de s’interroger sur les moyens existant en Europe quant à la divulgation des éléments de preuve et des résultats pouvant être obtenus du fait de la mise en œuvre de ces moyens. Il s’agit en effet de préserver la cohérence du système judiciaire dans lequel devra s’inscrire la procédure afin de garantir son bon fonctionnement. 1089 S. Guinchard, Une class action à la française ?, Recueil Dalloz 2005, p. 2180. J.-M. Baïssus, Droit Continental – « Kontinentaleuropaîsches Recht », « Continental law », « derecho continental », qu’est-ce que ce « droit continental » ?, JCP G, n° 40, 28 sept. 2009, p. 297. 1090 346 B) Les solutions efficaces d’obtention de preuve en Europe respectueuses de la tradition juridique des Etats membres 733. Une diversité des systèmes de droit en Europe. Au sein de l’Union européenne, il coexiste des systèmes de Common Law, des systèmes de droit romano-germanique et des systèmes mixtes. Les systèmes romano-germaniques apparaissent dominants dans cet ensemble, et il n’existe à proprement parler que deux systèmes « véritablement » de Common Law, l’Angleterre et Malte. Certains autres systèmes, comme celui de la Suède ou encore celui du Portugal, empruntent aux deux grandes familles du droit. 734. L’étude des régimes dominants en Europe, de divulgation de la preuve. Il va être étudié, d’une part, le système anglais de Common Law et, d’autre part, deux pays de droit tradition romanogermanique, la France et l’Allemagne, pour connaître des modalités du régime de la divulgation de la preuve en Europe et s’interroger sur la pertinence de la proposition d’adopter un système de divulgation probatoire à l’américaine, dans le cadre de la procédure d’action de groupe en droit interne des Etats membres de l’Union européenne 1091. L’étude des systèmes mixtes, en l’occurrence, 1062F du fait de leur capacité d’adaptation à l’un ou l’autre système de droit, présente moins d’intérêt au regard de l’objectif, les extrêmes étant plus représentatifs de ce dernier. 735. La réforme du régime de la Disclosure en Angleterre : vers un renforcement du pouvoir de contrôle du juge. Le système anglais de type accusatoire connaissait, jusqu’à récemment, une procédure de Discovery à l’américaine. Cependant, en 1998, sous l’impulsion des juges, le législateur anglais a réformé le système conduisant à une procédure, plus encadrée, de divulgation des éléments de preuves, avec un rôle du juge plus actif. Cette réforme de la procédure de disclosure anglaise n’enlève rien aux moyens mis à la disposition des parties, à une procédure judiciaire, pour recueillir les éléments d’informations utiles à la résolution du litige. Elle encadre, cependant, le champ et les modalités d’application de la procédure, par le biais du renforcement du contrôle du juge sur le déroulement de cette dernière. Cette réforme, motivée, notamment par la volonté de réduire les coûts d’accès à la justice et de parvenir à une justice plus efficiente, atténue considérablement les inconvénients suscités par la procédure américaine de Discovery, c'est-à-dire, 1091 Livre Blanc de la Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante du 2 avr. 2008, COM(2008) 165 final. 347 les coûts de justice exorbitants résultant de la gestion de cette procédure et le développement d’un « contentieux dans le contentieux » (1). 736. Un objectif différent dans les pays de tradition civiliste pour les parties en charge de la production de la preuve. Concernant les pays de tradition romano-germanique, le postulat de départ est différent. En effet, suivant le système inquisitoire retenu, les parties ont simplement à emporter la conviction du juge et non pas faire état de la « vérité ». Ainsi elles ne doivent apporter, dans le cadre d’une procédure au civil, que les éléments de preuve utiles au soutien de leurs prétentions sans avoir à divulguer les éléments qui leurs sont défavorables. Il n’existe pas de système de divulgation inter partes, à l’image de ce qui existe aux Etats-Unis et en Angleterre qui obligent, spontanément, les parties à faire état de tous éléments d’informations, en leur possession, et ce, avant toute audience. 737. Un rôle actif des juges français et allemands dans la production de la preuve, utile à la résolution du litige. Cependant, il est inexact de penser pour autant que les parties soient démunies de toutes facultés de défense, dès lors qu’elles n’auraient pas en leur possession d’éléments suffisants pour supporter leurs prétentions. En effet, en droit romano-germanique, les parties vont pouvoir s’adresser au juge, qui s’est vu conférer par le législateur un certain nombre de pouvoirs et de moyens lui permettant, le cas échéant, d’ordonner la divulgation d’éléments de preuve à une partie ou à un tiers, d’office ou sur demande de l’adversaire. En France, la législation offre aux juges un large panel de mesures lui permettant d’ordonner la production des informations nécessaires à sa compréhension du litige. En Allemagne, la réforme récente de la procédure civile a conduit à un accroissement du champ de la divulgation possible d’informations notamment à l’égard des éléments en possession de tiers et ce, toujours, au travers du renforcement des pouvoirs du juge. Les juges français et allemands disposent in fine des mêmes prérogatives que les parties au litige en droit américain. La mise en œuvre de ces pouvoirs par les juges allemands et les juges français est simplement plus restrictive. Il reste que le contrôle du juge sur la mise en œuvre des mesures de divulgation de l’information demeure le moyen le plus efficace pour prévenir les risques de dérives et d’abus. Ainsi, le cas échéant, la nécessité de lutter contre une asymétrie d’informations entre les parties dans les systèmes de tradition romano-germanique, dans le cadre d’actions collectives, requerrait un élargissement du champ d’action du juge, en vue d’accompagner les parties dans le recueil des éléments de preuves, au lieu du transfert d’une partie des compétences actuelles du juge aux parties au litige (2). 348 1) Le système anglais de la Disclosure, une Discovery sous influence romanogermanique 738. La Disclosure & la Discovery, un même principe. Le système judiciaire anglais comprend, à l’instar de la procédure de Discovery aux Etats-Unis, une phase d’investigations, préalable à l’audience, dans laquelle chaque partie peut demander directement, à son adversaire, ou à tout témoin potentiel de produire tout élément d’informations, relatif au litige suivant des critères définis 1092. Cette procédure permet à une partie d’obtenir des documents ou tout autre élément de 1063F preuve matérielle. Elle permet aussi de procéder à des dépositions et à des interrogatoires. Cependant, au Royaume-Uni, le terme employé est la procédure de « Disclosure and Inspection of Documents » et non la procédure de Discovery. 739. La réforme de la procédure civile anglaise en faveur du renforcement des pouvoirs du juge. Le changement de dénomination en Angleterre est intervenu avec l’adoption des Civil Procedure Rules (CPR) en 1998 1093, qui ont apporté plusieurs modifications dans la procédure de divulgation 1064F d’informations inter partes, tendant à un contrôle plus poussé du juge et à la réduction du champ d’application de la procédure. Cette réforme des règles de procédures civiles anglaises a été portée par les juges anglais, qui, à cause de certaines rigidités de la procédure, ont été confrontés à des obstacles majeurs dans la gestion les litiges de grande ampleur, intervenus dans les années 70, notamment en matière de santé publique 1094. Lord Woolf, qui a beaucoup œuvré pour cette 1065F réforme 1095, a particulièrement insisté sur l’excessive complexité, les délais de la procédure civile 106 F 1092 La Queen’s Bench Division a jugé dans un arrêt Compagnie Financière et Commerciale du Pacifique v. Peruvian Guano de 1982 (11 QBD, 55 à 63) que « tout document, contenant des informations qui seraient favorables à la situation d’une partie à l’instance ou qui permettraient de témoigner d’un fait contre la partie adverse, doit être divulgué ». Ce principe a été repris dans les Règles de procédure civile 1998, Section 31 (Civil Procedure Rules 1998 - Part 31 « Disclosures and Inspection of Documents », 49th Update, April 2009). 1093 Access to Justice: Final Report to the Lord Chancellor on the civil justice system in England and Wales, The Right Honourable the Lord Woolf, Master of the Rolls, July 1996, Section V, Chapter 20, point 13, Accessible sur : http://www.dca.gov.uk/civil/final/index.htm 1094 Les affaires des tranquillisants (Benzodiazépine litigation), des implants contraceptifs (Norplant litigation) ou encore des vaccins (MMR vaccins litigation) peuvent être citées. 1095 En juillet 1996, Lord Woolf, agissant sur instruction du Lord Chancellor (haut fonctionnaire du gouvernement), a publié un rapport intitulé Access to Justice, dans lequel définit les grands principes devant sous tendre la procédure civile anglaise et propose des changements qui constitueront le corps de la réforme de 1998. Les grands axes de la réforme sont les suivants. Lord Woolf fait valoir que, pour s’assurer d’un accès effectif à la justice, le système doit répondre à certaines exigences : « il doit Être juste dans les résultats auxquels il aboutit; i. Être juste quant à la manière de traiter les justiciables ; j. Offrir des procédures appropriées à un coût raisonnable ; k. Statuer sur les affaires dans un délai raisonnable ; l. Être intelligible pour les justiciables ; m. Répondre aux besoins des justiciables ; 349 anglaise, ainsi que sur les coûts, engendrés par sa mise en œuvre. Par l’introduction de nouveaux principes généraux procéduraux, les cours de justice furent, notamment, habilitées à appliquer le principe de proportionnalité pour les coûts en s’inspirant de la pratique en matière de transaction, et les parties furent encouragées, au travers de certaines procédures, à s’exécuter en amont de la mise en œuvre de la procédure afin de faciliter la vérification des faits et des éléments de preuves et d’encourager les transactions. D’une manière générale, le juge anglais est incité à mener les affaires qui lui sont soumises avec la plus grande fermeté afin que les affaires soient résolues dans un délai réduit et à un coût faible et proportionné. Ces principes ont affecté la procédure de Discovery anglaise, qui est devenue, à l’article 31 CRP, la procédure de « Disclosure and Inspection of Documents » 1096. 1 067F 740. Les modalités d’exercice communes aux deux systèmes, anglais et américains. De nombreux points communs demeurent entre les deux procédures de divulgation des informations inter partes anglaise et américaine. Ainsi on peut mentionner : une phase obligatoire préalable de divulgation des documents pour les parties, le droit de demander des mesures de divulgation ultérieurement aux vues de la formulation des prétentions additionnelles et des argumentaires en défense, la possibilité pour les juges d’accorder certaines immunités ou privilèges, l’utilisation de méthodes multiples pour procéder aux mesures de divulgation et la possibilité pour le juge de limiter ou de modifier le champ de la demande. 741. Plan. Cependant, bien qu’il existe de nombreux points communs entre les deux systèmes américains et anglais, le système anglais apparait, au regard de sa mise en œuvre, plus modéré et circonscrit que le système américain, du fait, notamment, d’un rôle accru du juge dans le contrôle et l’autorisation de la divulgation d’informations. Les différences portent sur le champ de la divulgation relativement à la catégorie de documents demandés et sur les méthodes employées ou autorisées pour obtenir les informations utiles (a). La place et le rôle du juge dans la mise en œuvre de la procédure diffèrent également (b). n. Définir avec un degré de certitude élevé la nature des cas introduit en justice et ; o. Être effectif : fournir des ressources et une organisation suffisante » (traduction non littérale). Consultation du Rapport : http://www.dca.gov.uk/civil/final/index.html 1096 Civil Procedure Rules 1998 - Part 31 “Disclosures and Inspection of Documents”, 49th Update, April 2009. 350 a) Un champ d’application plus restreint de la divulgation d’informations inter partes dans le système anglais 742. Une procédure de Disclosure limitée à certains types de litige. Contrairement aux règles américaines, qui font une application générale du principe de divulgation d’informations entre parties au litige, le législateur anglais distingue entre trois catégories d’affaires : les Small claims track 1097, les Fast track cases 1098 et les Multi track cases. La procédure de Disclosure ne 1068F 1069 F concerne que les deux dernières catégories. Les procédures multipartites, entrent, pour la plupart, dans la dernière catégorie des Multi track cases. En effet, elles concernent les demandes portant sur un montant supérieur à 15 000 pounds et les litiges qui sont « susceptibles d’atteindre, un jour, plusieurs millions de pounds »1099. Ces procédures multipartites comprendraient les procédures de 107F class actions potentielles. Elles comprennent déjà tant les procédures du Group Litigation Order1100 107F que les procédures en représentation dans le cadre du droit de la concurrence 1101 1072F . 743. La divulgation de documents préalable à l’introduction de la procédure (Pre-action disclosure). Il est également possible en Angleterre, comme le prévoit à la règle 31.16 CPR, depuis 1998, de demander la divulgation de documents avant l’introduction de toute procédure 1102. Cependant, cette 1073F 1097 “The small claims track is intended to provide a proportionate procedure for the smallest cases (by value), such as consumer disputes, small accident claims, disputes about the ownership of goods, and certain landlord and tenant cases. This is the normal track for defended claims with a value not exceeding £5,000. Although most claims under £5,000 will be allocated to the small claims track, the following types of claim will not normally be allocated there even if they have a value under £5,000: personal injury cases where the value of the claim for pain, suffering, and loss of amenity exceeds £1,000; claims by tenants of residential premises seeking orders that their landlords should carry out repairs or other works to the premises where the value of the claim exceeds £1,000; claims by residential tenants seeking damages against their landlords for harassment or unlawful eviction; and claims involving a disputed allegation of dishonesty”, http://www.gillhams.com/dictionary/384.cfm 1098 “The fast track is the normal track for cases broadly falling into the £5,000 to £15,000 bracket, and which may be deposited of by a trial which will not exceed a day. Cases falling into this track are most frequently heard in the County Court; special circumstances would need to exist in the cases for it not to be heard in the Court”, http://www.gillhams.com/dictionary/385.cfm 1099 “The multi-track is the normal track for claims not falling within the rules for allocation to either the small claims track or fast track. Typically these will be cases involving claims exceeding £15,000, and cases worth less than that sum where the trial is likely to exceed a day. The multi-track includes an enormously wide range of cases, from the fairly straightforward to the complex, weighty matters involving claims for millions of pounds, as well as multi-party claims. The track is designed for flexibility during the period leading up to the final hearing. Such is the variance of the types of matters dealt with on this track, a greater degree of judicial involvement is made in case management conferences and pre-trial checklists”, http://www.gillhams.com/dictionary/386.cfm 1100 La procédure du Group Litigation Order est un mode d’administration collectif des demandes en justice, qui présentent des questions de droit et de fait en commun, l’idée sous-jacente étant de permettre de rationaliser l’administration de la justice. Les règles afférentes à ce mécanisme se retrouvent dans une partie 19. III des Civil Procedure Rules, qui fut complétée par des bonnes pratiques que l’on intitule en droit anglais « Practice Direction ». 1101 Competition Act 1998, sections 47A, 47B 1102 Cette faculté résulte de la section 33 du Supreme Court Act de 1981 (c.54) et de la section 52 du County Courts Act de 1984 (c.28). 351 possibilité est strictement encadrée. En effet, la demande doit être fondée sur des éléments de preuve. Elle ne sera autorisée que si le demandeur à la procédure ou le destinataire de la demande sont « susceptibles d’être partie à une procédure postérieure ». En cas d’autorisation de la demande de divulgation, il devra être procédé à la divulgation des documents demandés conformément aux conditions posées de la divulgation standard (Standard Disclosure) posées dans la règle 31.6 CPR 1103. Enfin, la divulgation préalable de documents doit apparaître souhaitable pour qualifier 1074F correctement la procédure envisagée, pour aider à la résolution du litige à l’amiable en évitant d’avoir recours à une procédure judiciaire, ou pour réduire les coûts 1104. 1075F 744. Une divulgation standard des éléments : l’échange des listes de documents. La procédure anglaise prévoyant elle aussi une phase préliminaire, elle oblige les parties à dresser une liste des documents et tous autres éléments susceptibles d’être pertinents au regard de la procédure. Cette obligation porte sur les éléments en leur possession comme sur les éléments qui à leur connaissance, se trouvent en possession d’un tiers. 1103 “Standard disclosure – what documents are to be disclosed 31.6 Standard disclosure requires a party to disclose only – (a) the documents on which he relies; and (b) the documents which – (i) adversely affect his own case; (ii) adversely affect another party’s case; or (iii) support another party’s case; and (c) the documents which he is required to disclose by a relevant practice direction”. 1104 La Cour suprême anglaise (Court of Appeal) est venue préciser et encadrer ces critères au travers de deux jurisprudences classiques Bermuda International Securities Ltd v. KPMG et Black v. Sumitomo Corporation of America (Black v. Sumitomo Corporation of America, [2001] EWCA Civ. 1819 (Monday 3rd December 2001). Dans l’affaire opposant la société Bermuda International Securities Ltd (BISL), une filiale de la Banque des Bermudes, à la société KPMG (Bermuda International Securities Ltd v. KPMG, [2001] EWCA Civ 269, Case No: B1/2000/2393 (Tuesday 27 February 2001), la société BISL reprochait à la société KPMG d’avoir agi avec négligence concernant l’audition de leur fond et la conduite des affaires fiscales dudit fond. Les juges ont procédé aux tests suivants reprenant les dispositions de la règle 31.16 CPR : “A Were BISL likely to become a party to proceedings, and were KPMG likely also to be a party to those proceedings i.e. in this case were BISL likely to sue KPMG?; B If so, were KPMG likely to have in their possession custody or power documents relevant to an issue "arising or likely to arise out of that claim"?; C If so, did the circumstances as specified in the rules exist to provide the jurisdiction to order "those documents" to be disclosed and produced to the applicant's legal advisers, and/or any other professional adviser? [It is noteworthy that under the section it is not particular documents, but the documents that would otherwise ultimately have been produced on discovery under the old rule O.24 with which the section appears to have been concerned]. D Under CPR 31.16 the circumstances additional to those already made a requirement by the section, are that an order should "only" be made where: (i) if the proceedings had started the respondent's duty by way of standard disclosure would extend to "the documents or classes of document of which the applicant seeks disclosure"; (ii) disclosure of the documents before proceedings have started is desirable to dispose fairly of the proceedings; assist the dispute to be resolved without proceedings; or to save costs. E An order must specify the documents or classes of documents and must require the respondent to comply with 4(b). The order may require compliance with 5. The details of 4(b) and 5 are not relevant to this appeal, but the compulsion to specify may be of relevance.”(soulignements ajoutés). 352 745. Le Disclosure Statement, un formalisme habituel au regard de la procédure américaine. La liste desdits documents doit être accompagnée d’un Disclosure statement qui comprend : le champ des recherches effectuées et les emplacements des différents éléments dévoilés, le fait que la partie a bien compris l’obligation qui lui est imposée de divulguer tout élément utile et qu’elle a mis en œuvre, tous les moyens, pour remplir cette obligation. 746. Si la partie est une personne morale, le Disclosure statement doit comporter le nom de la personne responsable de la Disclosure et les raisons pour lesquelles cette personne a été choisie pour être responsable de la procédure. 747. Une procédure de Disclosure limitée dans son champ d’application. Aux États-Unis, d’une manière générale, vont pouvoir être divulgué « every document relating to any matter in issue in the action ». En Angleterre, chaque partie doit divulguer seulement (article 31.6 CPR) : les documents sur lesquels elle se fonde ses prétentions, les documents qui sont en sa défaveur, les documents qui affectent de manière négative la situation d’une tierce personne ou qui l’affecte de manière positive. les documents qui sont requis de divulguer par la Practice Direction applicable 1105. 1076F 748. Une procédure de Disclosure limitée aux éléments de preuve admissible. De plus, aux ÉtatsUnis, toute information qui pourrait conduire à l’obtention d’un élément de preuve admissible même si l’information en elle-même ne serait pas admissible devant un tribunal peut être demandée dans le cadre d’une Discovery. En Angleterre, seuls les éléments de preuve admissibles sont valables. L’obligation s’étend à tous les documents qui sont ou ont été « sous le contrôle» de ladite partie. 749. Il apparait que tant la réforme que la pratique judiciaire ont abouti à circonscrire le système anglais de divulgation d’informations aux seuls documents, et informations apparaissant comme utiles à la résolution du litige. La divulgation spontanée et préalable des documents reste le principe. En revanche, le système tend vers une meilleure identification par les parties, en amont de la procédure, des éléments pertinents à produire en vue de parvenir à la résolution du litige. Cette redéfinition des standards de divulgation est réalisée sous un contrôle renforcé du juge. 1105 Le fondement de cette obligation de divulgation, introduit tardivement, est l’article 1.3 CPR, qui dispose que: « les parties sont tenues d’apporter leur concours à la justice afin de permettre à la Cour de se prononcer équitablement sur les faits qui lui sont soumis ». 353 b) Le contrôle de la divulgation d’informations par le juge anglais 750. Le large pouvoir d’injonction du juge anglais. Du fait de la réforme, le juge anglais joue un rôle central dans le contrôle de la mise en œuvre des règles relative au champ de la divulgation de documents. En Angleterre, une partie peut refuser de divulguer certains documents dès lors que la demande apparait comme disproportionnée par rapport aux questions posées par le litige en cause. Dans ce cas, la partie doit justifier de son refus en apportant des éléments permettant de conclure que la demande est disproportionnée. Le juge anglais a alors le pouvoir de limiter la production des pièces 1106. En outre, le juge a également le pouvoir d’enjoindre aux parties par ordonnance de 107F divulguer tel ou tel document à la demande de l’autre partie et ce, même si la demande sort de la divulgation standard des documents, prévue à la Règle 31.6 CPR. 751. Un rôle actif du juge dans l’encadrement des modes de divulgation de l’information. Ce rôle actif du juge se retrouve dans l’encadrement des modes de divulgation des informations. Au Royaume-Uni, comme aux États-Unis, il existe plusieurs méthodes de divulgation de l’information, outre la transmission de documents d’une partie à l’autre. Ainsi, il est possible d’avoir recours aux interrogatoires, aux dépositions de témoins, aux perquisitions ou à des expertises physiques ou psychologiques. Cependant, avec la réforme, au Royaume-Uni, ces méthodes ne peuvent être utilisées qu’avec l’autorisation expresse du juge. De plus, comme aux États-Unis, il est possible de demander aux tiers intéressés, non partie au litige, de faire une déposition 1107. Cette faculté, elle 1078F aussi, a été strictement encadrée. Elle est soumise à l’autorisation du juge et la demande doit être motivée 1108. 1079F 752. Une protection a priori du legal privilege. Le juge occupe également une place centrale quant à la protection de la confidentialité des éléments transmis. A la différence des États-Unis, où il est nécessaire de formuler une demande au juge avant de divulguer un document pour obtenir que celuici soit couvert par la confidentialité, au Royaume-Uni, les éléments divulgués sont par principe considérés comme confidentiels. 1106 Règle 31.5, al. 2 CRP. La Chambre de Lords a affirmé dans un arrêt Norwich Pharmacal v. Customs and Excise Commissioners de 1973 (2 All E.R 943 à 973c) que « le principe d’accès aux pièces n’est pas confiné aux seules parties à l’instance, mais peut être étendu aux tierces personnes détenant un document essentiel ». 1108 Règle 31.17 CPR et en particulier Règle 31.17 (3) CPR : « La Cour ne peut imposer une telle divulgation que lorsque (a) les pièces demandées sont susceptible d’apporter leurs soutien aux prétentions du demandeur ou d’aller à l’encontre de celles d’une partie à l’instance, et lorsque (b) la production est nécessaire à la réalisation d’un procès équitable ou pour éviter certains frais ». 1107 354 753. La réforme de la procédure civile anglaise et en particulier de la procédure de divulgation des éléments de preuve entre parties, a conduit ainsi à renforcer les pouvoirs de contrôle du juge, qui va intervenir plus en amont de la divulgation. La grande liberté d’agir, conférée aux parties, dans la cadre de la procédure de Discovery, va être encadrée afin de prévenir les abus potentiels des parties. 754. Conclusion du 1). Ainsi, le système anglais de la divulgation de la preuve, tel que réformé, conduit à un resserrement du champ de la divulgation aux informations pertinentes, eu égard aux circonstances de l’espèce et tend à un renforcement du contrôle du juge, en amont comme en aval de la procédure. Ces changements ne sont pas relatifs à la nature des moyens de divulgation de l’information, offerts aux parties, en vue de leur quête de la vérité. Ils tendent seulement à gommer les effets déviants de la mise en œuvre de la procédure en en resserrant les contours et en renforçant les pouvoirs de contrôle du juge. 755. Transition. Il apparaitrait ainsi contradictoire, pour l’Angleterre de prôner le retour à une procédure de Discovery à l’américaine. Ces constatations tendraient même à œuvrer en faveur de sa mise à l’écart. Mais la question demeure pour les systèmes d’inspiration romano-germanique dominants en Europe, qui ont un mode de fonctionnement différent du système américain ou anglais. Revenons ainsi sur les modèles de la France et de l’Allemagne en la matière. 2) Les systèmes de droit romano-germanique, une approche différenciée du rôle du juge dans la divulgation d’informations 756. Un champ de divulgation inter partes restreint, compensé par une possible intervention complémentaire du juge dans la conduite de la procédure. A l’opposé du système de la Discovery, on trouve les systèmes de droit d’inspiration romano-germanique, dont la France et l’Allemagne. Il s’agit, dans ces deux systèmes, d’emporter la conviction du juge et non de faire état de la vérité. Pour se faire, il appartient, à la partie au litige, de produire spontanément à son adversaire les éléments de preuves dont elle « fait état » au soutien de ses prétentions 1109 et qui leur sont ainsi 108F favorables. Le champ de la divulgation d’informations entre parties, en France, comme en Allemagne, est assez restreint. En revanche, le juge, bien qu’il ne dispose pas d’un pouvoir général d’investigations, se voit offrir tout un arsenal de mesures lui permettant de jouer un rôle actif dans la 1109 C. pr. civ., art. 132 CPC : « La partie qui fait état d'une pièce s'oblige à la communiquer à toute autre partie à l'instance. La communication des pièces doit être spontanée. En cause d'appel, une nouvelle communication des pièces déjà versées aux débats de première instance n'est pas exigée. Toute partie peut néanmoins la demander ». 355 recherche de la preuve afin de l’éclairer sur le bien fondé d’une demande, si cela se révèle nécessaire, au regard des circonstances de l’espèce. 757. Des pouvoirs importants concentrés entre les mains du juge français. La législation française contient plusieurs mesures permettant au juge de forcer la production d’éléments d’informations nécessaires à la compréhension du litige. Il peut ordonner la communication de documents utiles au litige qu’ils soient en possession des parties ou en possession de tiers (i). Il peut également ordonner des mesures d’instruction et procéder aux auditions et aux interrogatoires des personnes détenant des informations pertinentes en vue de la résolution du litige (ii). Le juge français ne peut cependant exercer ces pouvoirs que, dans une limite raisonnable, proportionnée aux exigences de l’espèce (iii) (a). 758. La réforme des règles de procédure civile allemande au profit d’un assouplissement du régime de la divulgation des éléments de preuve. En Allemagne, la réforme législative du Code de procédure civile en 2001 a conduit à l’assouplissement des règles de procédure civile et à un accroissement du champ de la divulgation possible d’informations, notamment à l’égard des tiers. Cependant, l’assouplissement du système s’est fait là aussi par l’accroissement des pouvoirs du juge et non par une plus grande liberté donnée aux parties (b). a) Le juge français et l’administration de la preuve i) Le pou
© Copyright 2024