La délégation de pouvoirs : conditions et effets

Dossier du mois
La délégation de pouvoirs, construction essentiellement
jurisprudentielle, présente l’intérêt pour le dirigeant de l’exonérer
de sa responsabilité pénale en la transférant au délégataire.
A condition qu’elle réponde aux conditions de validité requises.
La délégation de pouvoirs : conditions et effets
Le recours à la délégation de pouvoirs
peut s’avérer utile, voire indispensable,
dans les sociétés de grande taille qui
appartiennent à un groupe ou qui gèrent
plusieurs établissements. Le dirigeant
peut en effet voir sa responsabilité
pénale mise en jeu dans l’exercice de ses
fonctions. Or, plus le périmètre de son
champ d’intervention est étendu, plus il
est éloigné du terrain. Il risque donc de
voir sa responsabilité engagée du fait
d’agissements de préposés de la société
dont il n’a pas eu connaissance ou qui
La délégation de pouvoirs
est courante
dans le bâtiment
ont échappé à sa vigilance. Le seul
moyen de se protéger contre ce risque
consiste pour lui à déléguer une partie
de ses pouvoirs. Ce faisant, il transfère
ainsi sa responsabilité pénale sur la tête
du délégataire, dans la limite toutefois
des pouvoirs délégués.
Conditions de mise en œuvre
Pour être valable, la délégation de pouvoirs doit remplir un certain nombre de
conditions dégagées par la jurisprudence.
Ce procédé a vu le jour en matière d’hygiène et de sécurité des salariés afin de
14 la le t tre mensuelle des affaires
limiter la responsabilité pénale du dirigeant, notamment dans le secteur du
bâtiment et des travaux publics. Le
recours à cette pratique s’est ensuite
élargi à d’autres domaines et à d’autres
secteurs.
La possibilité de recourir à la délégation
de pouvoirs suppose en premier lieu que
l’entreprise soit d’une importance telle
que son dirigeant ne puisse matériellement surveiller l’ensemble des activités
placées sous sa responsabilité. Cela
signifie a contrario qu’elle n’est pas justifiée dans une petite entreprise.
En revanche, elle est non seulement
possible mais jugée indispensable dans
une société de taille importante. Le
défaut d’établissement d’une délégation
de pouvoirs dans ce type d’entreprise
peut d’ailleurs être considéré par les tribunaux comme le signe d’une mauvaise
gestion de la part du dirigeant, susceptible d’engager sa responsabilité civile.
La délégation de pouvoirs consentie par
le représentant légal de la société (appelé
« délégant ») consiste à déléguer à une
ou plusieurs personnes de son choix
(appelées « délégataires ») le pouvoir
d’accomplir, au nom de la société, certains actes déterminés.
Les statuts peuvent prévoir la qualité du
titulaire de la délégation (un tiers, par
exemple) ainsi que les conditions de la
délégation (nature des pouvoirs, durée
de la délégation, etc.). Toutefois, pour
exonérer le dirigeant de sa responsabilité
pénale, la délégation doit avoir été
accordée à une personne placée dans
un lien de subordination à son égard, à
savoir en principe un salarié de la
société.
Le délégataire doit être doté de la compétence, de l’autorité et des moyens
nécessaires pour exercer effectivement
les pouvoirs délégués, conditions qui
sont à l’origine de nombreux litiges
devant les tribunaux et qui donnent lieu
à une jurisprudence abondante.
On entend par « compétence » tant les
connaissances techniques que juridiques
nécessaires pour que le délégataire
puisse faire face aux risques de l’activité
dont il est chargé. Cette compétence est
appréciée par les juges au regard de
l’ancienneté, de l’expérience ou de la
qualification professionnelle du délégataire. Celui-ci doit avoir l’autorité nécessaire pour être à même d’imposer au
personnel placé sous sa responsabilité le
respect des règles qu’il est en charge de
faire appliquer, ce qui suppose un
­pouvoir disciplinaire et de contrôle et une
indépendance suffisante pour prendre
seul les décisions. Le délégant doit
fournir en tout état de cause au délégataire des moyens techniques, logistiques
et financiers pour qu’il puisse remplir la
mission qui lui est confiée. En pratique,
les délégations sont donc le plus souvent
confiées au personnel d’encadrement.
La délégation de pouvoirs n’est soumise
à aucun formalisme particulier, elle peut
ainsi résulter du contrat de travail du
délégataire ou des fonctions qu’il exerce.
Elle doit néanmoins être certaine et
dépourvue de toute ambiguïté. Un dirigeant ne peut pas notamment déléguer
La preuve de la délégation
peut être rapportée
par tous moyens
Assurance responsabilité civile
du dirigeant
Le dirigeant peut être conduit à prendre des décisions engageant sa responsabilité civile personnelle. Il peut être poursuivi par un associé, un employé ou un tiers. Afin de se
prémunir contre ce risque, il existe des assurances « responsabilité civile des mandataires sociaux », souscrites par
la société pour leur compte. Elles couvrent les frais de procédure et de condamnation.
N° 334 - avril 2015 15
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la totalité de ses pouvoirs à une seule
personne. Il ne peut pas plus déléguer
un même pouvoir à plusieurs personnes.
La délégation doit être temporaire, pour
autant, il n’est pas nécessaire que sa
durée soit déterminée. Enfin, une délégation n’est valable que si elle a été
acceptée par le délégataire, car ce dernier doit avoir pleinement conscience de
la portée de son engagement.
Un dirigeant ne peut
déléguer tous ses pouvoirs
à une personne
Si aucun formalisme n’est imposé par les
statuts, il est recommandé d’établir la
délégation par écrit pour diverses raisons : pour en préciser le contenu exact
tout d’abord, mais aussi de manière que
sa preuve ultérieure soit aisée. Ce formalisme, outre l’avantage de préconstituer
une preuve, facilite la gestion des délégations consenties et évite leur chevauchement.
Effets de la délégation
de pouvoirs
Différents niveaux de délégation sont
possibles : la délégation, la codélégation
et la subdélégation.
La codélégation consiste pour un dirigeant à déléguer ses pouvoirs entre différentes personnes, tandis que, dans la
subdélégation, le délégataire délègue à
son tour tout ou partie des pouvoirs dont
il a été investi par son propre délégant,
dès lors que ce dernier n’a pas interdit
une telle subdélégation.
Ces délégations ont des conséquences
sur la responsabilité pénale du délégant,
du délégataire et de la personne morale.
16 la le t tre mensuelle des affaires
En déléguant ses pouvoirs, le délégant
transfère au délégataire sa responsabilité
pénale dans la limite des pouvoirs délégués. A condition qu’il n’ait pas personnellement pris part à la réalisation de
l’infraction, il sera donc exonéré de sa
responsabilité pénale pour les infractions
commises qui relèvent du domaine de
compétence délégué.
A noter qu’en aucun cas le délégant ne
peut invoquer une délégation de pouvoirs pour s’exonérer de sa responsabilité
civile. Celle-ci pourra d’ailleurs être
engagée si la société peut lui imputer
des fautes commises à cette occasion
(défaut de surveillance du délégataire,
mauvais choix de ce dernier, non-respect
des conditions de validité de la délégation de pouvoirs…).
Par l’effet de la délégation, le délégataire
endosse de son côté la responsabilité
pénale qui pèserait normalement sur le
délégant. En cas de mise en cause, il ne
pourra se dégager qu’en prouvant qu’il
n’a pas commis la faute au titre de
laquelle sa responsabilité est recherchée,
ou s’il a usé lui-même de la faculté de
subdéléguer une partie de ses pouvoirs,
en rapportant la preuve de cette sub­
délégation. Dans l’hypothèse où il existe
des codélégataires au sein d’une entreprise, le juge devra rechercher lequel
d’entre eux dispose des pouvoirs liés aux
actes litigieux.
La responsabilité pénale du délégant et du
délégataire ne peut être cumulativement
retenue au titre des mêmes faits dommageables, sauf si le délégant a participé personnellement à la commission de l'infraction
en tant que coauteur ou complice.
Outre sa responsabilité pénale, le délégataire est susceptible d’engager sa
r­esponsabilité civile à l’égard d’un tiers
victime de l’infraction dont il est déclaré
coupable, et ce, même s’il l’a commise
dans l’exercice de ses fonctions.
Quant à la personne morale, en dépit de
la délégation, elle reste responsable
pénalement des infractions commises
pour son compte par ses organes et
représentants, ce qui recouvre les salariés délégataires. Leurs responsabilités
pénales peuvent se cumuler. Enfin, outre
sa responsabilité pénale, la société peut
voir sa responsabilité civile mise en
L’usage
de la délégation
de pouvoirs est perçu
comme un outil
de bonne gestion
de l’entreprise.
cause du fait des dommages causés par
son préposé (le délégataire) à un tiers,
sauf si elle peut établir que ce dernier a
agi en dehors du cadre de sa mission,
sans autorisation, et dans un but
étranger à ses attributions.
Le cas des SAS
La jurisprudence est désormais plus
claire à propos de la délégation de pouvoirs dans une société par actions simplifiée (SAS) :
– sauf clause contraire des statuts, le
président peut consentir à toute personne de son choix (autre dirigeant,
associé, tiers) une délégation de pouvoirs permettant à celle-ci d’accomplir
un ou plusieurs actes déterminés au
nom de la société, tels que l’embauche
ou le licenciement de salariés ;
– il en est de même du directeur général
ou du directeur général délégué lorsqu’il
Les délégations
sont consenties
sous la responsabilité
du dirigeant
est investi du pouvoir de représenter la
SAS par les statuts.
Il n’est pas nécessaire que la délégation
de pouvoirs soit donnée par écrit (elle
peut être tacite et découler des fonctions
occupées par le délégataire) ni qu'elle
soit prévue par les statuts ou mentionnée
au RCS.
Délégation de pouvoirs
et délégation de signature
Contrairement à la délégation de pouvoirs, où le délégataire
agit au nom et pour le compte de la société, la délégation
de signature n’investit le délégataire que du pouvoir de signer
un document au nom et pour le compte du délégant et non
de celui de prendre une décision ; le délégant n'est pas
dessaisi du pouvoir de décision et sa responsabilité pénale
n’est pas transférée au délégataire. Les décisions éventuellement prises par le délégataire de signature dans le cadre
de sa délégation sont considérées comme des décisions du
délégant ; celui-ci peut intervenir à tout moment dans la
délégation de signature sans craindre de se voir reprocher
une quelconque immixtion. La délégation de signature n'implique pas de lien hiérarchique et, contrairement à la délégation de pouvoirs, elle ne subsiste pas en cas de cessation
des fonctions du délégant.
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