LE TEMPS ETHNIQUE DANS LA REPRÉSENTATION ETHNOLINGUISTIQUE ROUMAINE (À TRAVERS L’EXPÉRIMENTATION ASSOCIATIVE) Lilia TRINCA, dr. és lettres, maître de conf. Université d’État „Alecu Russo” de Bălţi, République de la Moldavie Abstract. Time is a multidimensional concept /category, much richer in features than simple mathematical order. It has become communis opinio that the attitude towards time affects personality directly: „man is not born with a sense of time and space, his temporal and spatial concepts are determined by the culture he belongs to”. Our research is based on the idea that one of the manifestations of the cosmic time is the field of peoples’ existence – the ethnic time. Thus, besides being a cultural universal, the model of time is also an ethnic nuclear structure. Keywords: ethnic time, ethno-lingual picture, associative experiment, association, stimulus, reaction. 1. Même si c’est une catégorie qui a fait une prestigieuse carrière dans le périmètre de la réflexion philosophique, jusqu’à présent, le temps se soustrait aux déterminations rigoureuses, compte tenu de sa nature instable. „Le temps, comme l’affirme I. Badescu, est à la fois circulaire et linéaire, à sens cyclique et à „sens unique”, une essence cosmique et un régime historique etc.” [Badescu, 9]. En tant que paramètre définissant l’existence du monde, mais aussi comme forme fondamentale de l’expérience humaine, le modèle du temps „est créé objectivement et subjectivement à la fois « [ibid]. L’homme ne perçoit pas directement l’espace et le temps physique. Comme forme d’existence et de mouvement de la matière, la société a une qualité essentielle – l’historicité. Celleci lui permet et l’oblige même de créer des formes temporelles propres. De cette façon, le temps se transforme en catégorie socio-culturelle, et l’homme le matérialise sous l’aspect de modèles de temps. La catégorie du temps est perçue, comprise et appliquée différemment en fonction de différentes civilisations et sociétés, de différentes étapes du développement social et de différentes couches sociétales. Il est dèjà communément admis que l’attitude envers le temps affecte directement la personnalité: „à sa naissance, l’homme n’est pas doué de la perception du temps et de l’espace; ses concepts temporels et spatiaux sont déterminés par la culture à laquelle il appartient. Le temps et l’espace sont considérés comme des abstractions, par l’intermédiaire desquelles se fait possible la création d’un univers unique, naturellement réglementé” [Vozian, 12]. 1 1. Le modèle du temps est sous-jacent à tout acte humain, y compris l’acte cognitif. La conscientisation du modèle temporel permet l’organisation du processus de cognition de l’homme, fait qui constitue un pas important vers le relativisme culturel. Puisque le temps exprime une vision ontologique indéniablement connexe à un vécu spirituel, dans notre approche scientifique, nous nous sommes proposé l’investigation de cette catégorie du point de vue psycholinguistique. Nous croyons que, actuellement, le développement scientifique favorise l’interdisciplinarité, car celle-ci imprime une vision plus complexe sur le phénomène étudié, ainsi que des possibilités d’investigation plus larges et plus diversifiés, préfigurant la réduction considérable de la distance entre la science et la culture. 1.1. Le temps est un concept pluridimensionnel bien riche en qualités et fonctionnalités. L’idée qui détermine le parcours de notre recherche est que l’une des manifestations du temps cosmique est le temps ethnique, domaine d’existence des peuples : „Les peuples sont façonnés par le temps cosmique, et leur création, naturellement, obéira, elle aussi, à l’action façonneuse de la même structure temporelle” [Badescu, 81]. Ainsi, outre le fait que le modèle du temps est une universalité culturelle, il représente aussi, simultanément, une structure nucléaire ethnique. Du point de vue du temps, il est possible de composer la grande équation des cultures nationales, dont „l’ensemble” représentera la culture universelle. D’une manière subsidiaire, on mentionnera qu’il existe une dialectique de la temporalité, vue la structure hétérogène de celle-ci. De plus, on reconnaîtra l’existence des horizons temporels discontinus qui permettent que le décollement d’un modèle temporel et, respectivement, l’adhésion à un autre ne soient pas des actes irréversibles. En d’autres termes, „le temps est une dimension distincte de la représentation du monde et de la vie, ainsi qu’un facteur déterminant de la culture matérielle et spirituelle d’un peuple” [Bernea, 148], tandis que „la notion de temps et la conscience d’exister dans le temps apparaissent comme un phénomène dépendant de la relation, du niveau et du sens de la culture à laquelle on appartient” [ibid, 142]. 1.2. Suivant la théorie du psychologue H. Bergson, qui considérait que le temps ne peut être connu que par l’intuition irrationnelle, le temps est la perception d’une durée concrète, alias vécue, mais pas un trajet abstrait, projeté dans l’espace (pour plus de détails, cf. [Bergson]). „La perception de la durée, mentionne C. Radulescu-Motru, n’a pas d’autre relation avec le temps physique que celle qui existe entre un fait réel et son concept. Le concept est abstrait et peut aider à isoler et préciser le temps psychologique, pas plus; le remplacer, jamais” [Radulescu Motru, 60]. 2 À l’avis d’un autre psychologue, Th. Ribot, le temps n’est pas une durée vécue, mais représente un ordre de successions dans les données de la mémoire, étant conçu comme un produit d’une association particulière entre les faits ou les états de la mémoire. Ainsi, en tant qu’attribut fondamental de l’existence, le temps est un concept clé qui focalise le système de la perception et conception du monde et de la culture. C’est pourquoi ce problème a des tangences avec la conscience humaine. Il y a des langues incapables d’exprimer le temps et, par conséquent, de le penser. Ainsi, mentionne E. Cassirer, „dans la langue Chambala, on utilise le même mot pour indiquer un passé perdu dans la nuit des temps, aussi bien qu’à exprimer un avenir très lointain. Ce phénomène assez étrange pour nous [...] trouve une explication naturelle dans le fait que que les Noirs ne conçoivent pas le temps comme une chose, et donc ils ne distinguent que le maintenant et le non-maintenant; si celui-ci était hier ou sera demain, il leur est absolument indifférent, ils n’y réfléchissent pas, or, pour le concevoir, il est nécessaire d’engager non seulement l’intuition, mais aussi une représentation conceptuelle sur l’essence du temps [...]. Le concept de temps est étranger à ceux de Chambala, en d’autres termes, ils n’ont que l’intuition du temps” [Cassirer, 171]. Beaucoup de langues primitives n’ont pas d’expressions différenciées pour les déterminations temporelles: l’unique distinction est celle entre le maintenant et le non-maintenant, ce qui reflète un manque de prise de conscience et de pensée temporelle développée, les populations respectives vivant souvent dans une sorte de présent continu. D’autre part, il y a des langues dans lesquelles l’encadrement temporel n’est pas repéré exclusivement par le verbe: ainsi, par exemple, dans le chinois et le japonais, on atteste des adjectifs à détermination temporelle; d’autres langues enregistrent des pronoms personnels à valeur temporelle: un „moi dans le présent” et un „moi dans le passé” et ainsi de suite (Cf. [Coseriu, 345]). Dans ce contexte, le psychologue Cl. Baciu dit qu’„il n’y a pas de réalité sans une modalité de la comprendre et de la penser [...]. Le monde est un fait de conscience, et la conscience ne se prononce que par l’intermédiaire d’une langue particulière” [Baciu, 1]. Sans aucun doute, le temps fait partie de la conscience humaine, tandis que l’intuition du temps est inextricablement liée à l’être lui-même et à la pensée humaine. Par conséquent, en contemplant un concept dont le contenu exprime une action, on y induit nécessairement l’idée de durée et de temps. En d’autres termes, „le système temporel de la langue ne reproduit pas exactement le temps objectif. En vérité, les langues nous fournissent justement certains modèles de la réalité et se distinguent par les modalités d’expression du système temporel tellement complexe”. [Benveniste, 69]. 3 Dans la mentalité roumaine, la pensée et la langue collaborent pour atteindre, par des actions spécifiques, à la représentation la plus cohérente de la dynamique temporelle dans laquelle s’inscrivent les processus du monde réel, processus que la langue conçoit à sa manière, par les outils disponibles. Nous allons examiner le processus par lequel la pensée, visant le discours, se repère à l’univers concret pour s’orienter vers l’univers représenté. Ce n’est pas par hasard qu’on affirme que „la langue est représentée comme une théorie de la réalité, comme un modèle mental, abstrait de la réalité concrète” [Smith, 117]. Puisqu’il nous est impossible d’étudier la conscience directement, on le fait à travers la langue: „Essentiellement, la langue est un système par rapport auquel se manifeste la pensée. Les structures linguistiques sont fondées sur des opérations de pensée dont la langue dépend, dans sa propre processualité constructive, mais qu’elle révèle, en même temps” [idem, 50]. La psycholinguistique ne nous permet d’étudier ni la pensée telle quelle, en général, ni les opérations de la pensée; elle se limite à l’investigation de certains mécanismes définis et construits que la pensée s’approprie dans le but d’exploiter une perception de soi-même, mécanismes que la langue reproduit fidèlement. Cette méthode représente un système d’opérations qui se superposent aux processus de la pensée par lesquels celle-ci réussit une analyse directe, autoscopique de ses constructions. „La langue est la première évocation de la conscience humaine en tant que telle (car il n’y a pas de conscience vide)” déclare E.Coseriu [Coseriu, 159]. Ce n’est pas en vain que les représentants de la linguistique cognitive affirment, à juste titre, que notre système conceptuel, reflété dans la vision linguale du monde, est étroitement lié à l’expérience physique et culturelle de l’homme. 3.1. Une modalité indubitable de reconstruire l’identité linguale s’exprime par l’expérimentation associative (ci-après EA), technique qui vise à identifier les associations existantes dans la mémoire d’un homme suite à son expérience précédente (cf. [Караулов:. 1987, p. 107]). Actuellement, ce type d’expérimentation est l’outil le plus efficace pour l’étude de la conscience linguale et de la mentalité d’un individu. L’interdépendance entre les idées, notions, concepts est le résultat des relations psychologiques, à savoir des associations. La description d’un phénomène culturel particulier signifie la révélation de son rapport à d’autres phénomènes. L’analyse de ces relations permet d’identifier les particularités de la mentalité non seulement individuelle, mais aussi nationale, d’un représentant d’une société concrète ou d’un groupe social. Les lois d’association, relevées par l’expérimentation psycholinguistique, facilite l’identification des 4 particularités nationales et de la mentalité du peuple, or la mentalité spécifique, aussi bien que le caractère national sont sédimentés dans des relations associatives. 3.2. Il est prouvé qu’un mot, plus souvent il se produit dans la parole, plus souvent il survient dans la réaction-réponse de l’EA. Il s’ensuit que ce qui se passe dans le discours, d’une manière ou d’une autre, est reflété et «cimenté» dans la conscience linguale des locuteurs et vice versa, ce qui est conçu dans la conscience linguale du locuteur se manifeste (ou, éventuellement, pourrait se manifester) dans le discours (et donc dans l’EA). 3.2.1. Les termes clé dont les psycholinguistes se servent au cours de l’EA sont: stimulus, réaction, champ associatif, norme associative etc. Stimulus est le mot (la phrase ou la proposition) proposé(e); réaction est le mot (la combinaison de mots, la phrase ou la proposition) qui survient dans la mémoire de l’homme comme association au stimulus. On distingue les types d’associations suivants: associations syntagmatiques (réactions appartenant à des différentes classes lexicogrammaticales); et associations paradigmatiques (réactions appartenant à une seule classe lexicogrammaticale). On peut également relever des relations associatives: de proximité sémantique (terme associé - synonyme), d’opposition sémantique (terme associé: antonyme), de consonance, d’assonance, de rime, d’hyponymie, d’hyperonymie etc. D’habitude, les associations sont soumises au principe du contraste minimal selon lequel plus proches sont les mots stimuli et les mots réactions du point de vue sémantique, plus grande est la chance d’identifier le mot-réaction dans le processus d’association. Ce principe explique pourquoi, d’après le caractère des associations émergées à un mot-stimulus, il est possible de rétablir sa structure sémantique: toutes les associations, respectivement tous les mots-réactions, contiennent des composantes sémantiques caractéristiques au mot-stimulus. Ainsi le champ associatif se constitue de la totalité d’associations se produisant par rapport au mot-stimulus. Il possède un noyau constitué des réactions-réponses les plus courantes ou fréquentes et une zone périphérique formée des réactions-réponses originales. 3.2.2. Nous avons effectué1 une ÉA libre2 avec des jeunes âgés de 18 à 25 ans, dont la langue maternelle est le roumain. Les répondants devaient répondre instantanément par le premier mot qui 1 L’ÉA a été effectuée par un groupe de chercheurs de l’Université d’Etat ”A. Russo” de Bălți, Moldavie collaborant dans un projet destiné à l’élaboration du Dictionnaire associatif de la langue roumaine. 2 On distingue plusieurs types d’ÉA: ÉA libre, dans laquelle les répondants sont censés répondre par le premier mot qui leur vient à l’esprit en entendant le mot-stimulus (sans réfléchir); ÉA guidée lorsque le choix du mot-réaction est limité (on introduit des restrictions soit de nombre, soit de classe lexico-grammaticale, etc.); ÉA enchaînée dans laquelle les répondants sont autorisés à répondre par un nombre illimité de mots-réactions leur venant à l’esprit sans leur imposer des restrictions d’ordre formel ou sémantique. 5 leur est venu à l’esprit en entendant le mot-stimulus temps3. Or le respect de cette condition lors de l’enquête permet de minimiser l’intervalle de temps entre le stimulus et la réponse-réaction: le répondeur ne devait pas réfléchir à la réponse, car la notion d’association exclut l’idée de «penser» pour répondre [Фрумкина, p 191.]. La catégorie de répondeurs a constitué environ 1000 étudiants de plusieurs universités de la République de la Moldavie et de la Roumanie. Il convient de noter que le facteur déterminant dans le choix notamment des étudiants comme répondeurs à l’ÉA a été le fait que l’âge de 17 à 25 ans est la période où se prononce déjà l’identité linguistique, et les associations identifiées dans l’ÉA relatives au temps4 reflètent la compétence linguistique des répondeurs et font donc preuve de pertinence de la mentalité roumaine [Караулов: 2001, p 192.]5. À partir de l’ÉA mise en place, nous avons identifié deux types essentiels d’associations pour le mot-stimulus temps: associations syntagmatiques et associations paradigmatiques, à l’intérieur des dernières relevant plusieurs groupes sémantiques6. ASSOCIATIONS SYNTAGMATIQUES: court (16); peu (10); libre (9); passager (8); perdu (10); précieux (5); prolongé (5); beau (4); valeureux (4); irréversible (4); beaucoup de (4); long (3); inappréciable (2); tardif (3); infini (2); cher (2); limité (2); écoulé (2); inexistant (2); relatif (2); rapide (2); précoce (2); sans prix (2); à travailler (1); désuet (1); insuffisant (1); illimité (2); rationnel (1); pour faire qch (1); aveugle (1); imparable (1); passé (1); frais (1); éphémère (1); attribué (1); inconvénient (1); secondaire (1); occupé (1); inversible (1); actuel (1); éternel (1); court/perdu (1); froid (1); chaud (1); gagné (1). Mots-réactions exprimés par un prédicat: qui passe (7); qui arrive (3); qui s’écoule (2); qui manque (2); qui s’envole (1); qui guérit (1); qu’on gaspille (1). ASSOCIATIONS PARADIGMATIQUES: vie (12); argent (7); âge (5); détente (4); passage (4); espace (4); éternité (4); attente (4); saison (3); valeur (3); limite (3); stress (3); mal du pays (2); mal d’une personne (2); perte (2); souvenir (2); jeunesse (2); intuition (2); désir (1); maintenant (1); son (1); vieillesse (1); retard (1); parents (1); obstacle (1); patience (1); image (1); lumière (1); essais (1); maison (1); univers (1); temps (1); autrefois (1); nostalgie (1); réalité (1); peur (1); école (1); temporalité (1); prix (1); rythme (1); ennemi (1); musique (1); sommeil (1); programme (1); pensée (1); terme (1); opportunité (1); vanité (1); attention (1); chiffres (1); éphémérité (1); endroit (1); train (1); écoulement (1); agitation (1); pression (1); crise (1); poids (1). 3 Chaque enquête contenait 100 mots-stimuli générés et sélectés par l’ordinateur d’un nombre de presque 500 stimuli faisant partie du noyau et de la masse du vocabulaire fondamental de la langue roumaine: le stimulus temps figure, en moyenne, dans l’une des cinq enquêtes. 4 Pour compléter le tableau lingual du Roumain, nous avons l’intention de continuer l’ÉA ultérieurement à partir des mots-stimuli et des désignations d’autres segments temporels spécifiques aux Roumains. De cette façon, nous serons en mesure de dresser un tableau ethno-lingual complet de référence pour la notion de temps. 5 Selon l’avis de Iu. Karaoulov, la stabilité relative de la capacité linguistique des locuteurs natifs (le vocabulaire, la hiérarchie des valeurs, les valences lexicales, etc.) peut servir de fondement pour décrire la conscience de masse de la société roumaine dans les prochaines 20-30 années, à savoir la période où les répondeurs d’aujourd’hui constitueront le noyau actif de la société [ibid]. 6 Tout en respectant la tradition de la constitution d’un champ associatif, nous commençons par la présentation des motsréactions dont la fréquence est plus prononcée (le nombre de réactions est indiqué entre parenthèses), de cette façon, esquissant le noyau du champ associatif, après quoi, nous délimitons ses périphéries par les mots qui surviennent moins comme réactions aux stimuli respectifs. 6 Dans le cadre des associations paradigmatiques on atteste aussi des associations thématiques: Segmentation du temps: heure (pop.)7 (77); heure (lit.) (41); heures (26); années (9); an (1); minutes (10); seconde (5); secondes (5); durée (5); présent (4); jour (3); époque (2); passé (2); instant (1); siècle (1); ère (1). Parties de la journée: soir (1); matin (1). Espace: espace (6); longueur (1); voyage (1); Mouvement: rapide (3); empressement (2); Outils de mesure du temps: montre (52); clepsydre (3); chronomètre (1); horloge (1); Proximité sémantique (synonymes): temps (de dehors) (16)8, période (1). Les associations paradigmatiques doublent presque le nombre d’associations syntagmatiques. Voir la figure Nr.1 Asociaţii paradigmatice Asociaţii sintagmatice Figure nr. 1 : Rapport quantitatif entre les associations syntagmatiques et celles paradigmatiques 4. L’étude du champ associatif du mot-stimulus temps a révélé la spécificité de la représentation du temps dans la mentalité roumaine, à savoir, le temps ethnique roumain. Le temps défini par le Dictionnaire de sciences de la langue comme ”catégorie grammaticale spécifique à la flexion verbale qui indique, au plan du contenu, le moment du développement de l’action exprimée par le verbe/les verbes de l’énoncé par rapport au moment de la parole” [DSL 539] ne coïncide pas avec le temps du plan de l’existence. Pour preuve, en anglais fonctionnent deux termes différents: tense (terme linguistique) et time (temps vécu). La même dichotomie linguistique est attestée en allemand: Tempus et Zeit - phénomène psychologique / durée de vie du plan de l’existence, vécue et ressentie. 7 8 Variante empruntée au russe : ceas (en roumain) – час (en russe) Variante empruntée au russe : vreme (en roumain) – время (en russe) 7 4.1. Bien que la langue roumaine fasse usage d’un seul terme dans les deux plans, l’analyse du matériel linguistique prouve l’existence de différents modèles d’interprétation: lesdites hypostases du temps (physique, grammatical, philosophique) et les évocations intuitives du temps de la vie, pourtant ses matérialisations glottiques influencent notre identité linguale autant que le temps grammatical. Or le temps de la vie est connexe au plan de la conscience de soi de l’homme et représente les formes essentielles de la connaissance du monde [Яковлева 85], c’est le temps à la conception philosophique de Kant, une forme appartenant à la conscience interne par laquelle l’esprit humain découvre les realia du monde environnant. 4.1.1. La perception du temps a quelques spécificités: à la différence des organes de perception du mouvement, de l’équilibre, l’homme ne dispose pas d’organe spécial destiné à percevoir le temps. Par conséquent, le temps devient accessible uniquement par la médiation, à travers l’étude métonymique ou métaphorique9. Il a été prouvé, à travers l’expérimentation psycholinguistique, qu’il existe deux moyens essentiels de visualisation des événements du passé: 1) le moyen associé, lorsque l’individu se souvient des événements passés « de l’intérieur », y ayant une implication personnelle, les observant de ses propres yeux, comme s’il avait été témoin des événements actuellement déroulés; et 2) le moyen dissocié, quand l’individu se souvient des événements du passé d’une perspective externe, comme si les événements dont il est participant sont surveillés « de haut en bas » par quelqu’un d’autre placé au-dessus. La mémoire associée est en corrélation avec la métaphore du temps-route ou du temps-fleuve que l’homme suit au long de sa vie. Une telle perception du temps se caractérise par un haut degré d’émotivité du sujet impliqué, puisqu’il est placé dans la tumulte du courant temporel, re-venant à ces événements et les re-vivant. On considère que la perception du code temporel dans le système de la langue russe se manifeste par le type associé de visualisation du temps [Никуличева, 92-93]. Les Britanniques et les Américains sont propriétaires d’un type dissocié de visualisation du temps. La perception du temps dans leur culture a un caractère linéaire, cette ligne étant perçue de côté, par la métaphore du sommet du rocher d’où l’on peut regarder tout le chemin. 4.1.2. Si le temps peut être imaginé comme linéarité infinie, douée ou non de mouvement, alors, relevant les trois modèles de représentation du temps conçus dans la langue10, E. Coseriu 9 Pour cette raison, la conceptualisation des idées grammaticales sur le temps diffère considérablement d’une langue à l’autre. 10 Le temps objectif est présenté comme une ligne statique continue, le long de laquelle le locuteur (et avec lui, le moment de la parole) se déplace de gauche à droite, c’est-à-dire du passé vers l’avenir; le temps de fond se présente comme une ligne mobile, qui vient de l’avenir, passe devant ou à côté du locuteur au moment du présent et se perd ensuite dans le passé; deux lignes dans un mouvement contraire: la première, c’est celle du temps « vide », qui se 8 estime que « dans nos langues (langues romanes, note de l’auteur) au moins, le temps est plutôt une ligne qui se propulse de l’avenir vers le passé: l’avenir est notamment le temps qui « vient vers nous » (Cf. : en roumain - viitor; en italien – avvenire; en français – avenir; en espagnol – porvenir; ou en roumain – Anul care vine; en italien – L’anno che vienne; en espagnol - Aňos venideros; le présent est le temps qui se trouve devant nous, le prétérit c’est le temps qui a passé auprès de nous et qui se trouve déjà derrière nous. Et même si nous nous déplaçons, nous le faisons dans la direction opposée du temps: nous avons notre passé et notre histoire dans le passé et notre avenir devant nous [ibid, 344 ]. 4.2. Souvent, le temps n’est pas représentable par lui-même; ainsi il se fait représenter par son corelatif – l’espace. De cette façon, dans la plupart des langues, on atteste une architecture du temps, alias une représentation systématisée du temps obtenue par des moyens appropriés à l’espace. Soit les expériences temporelles et spatiales font partie des expériences originaires de l’homme. Dans ce contexte, on rappelera les vers de M. Eminescu qui offre un modèle exceptionnel de «fusion» entre l’espace et le temps, vers écrits, à propos, un demi-siècle avant l’avènement de la théorie de la relativité d’Einstein: Hypérion s’en va. Ses ailes / Grandissent énormément / Et des milliers d’années passaient / Autant que des moments. (M. Eminescu, Hypérion)11. Ou dans une autre traduction : L’Astre du Soir s’en va levant / Ses fortes ailes dans l’espace./ Son vol magique, dans chaque instant, / Mille galaxies dépasse. (M. Eminescu, L’Astre du Soir)12. « L’espace et le temps, souligne Iu. Popescu, sont les horizons internes, hypostasiés de la pensée comme limites de l’univers centripète, opposés, em même temps, à un univers externe, centrifuge, infini qui, sans ces limites fixées par la pensée au-dedans, ne pourrait pas être conçu » [Popescu, 121]. Souvent l’expérience du temps est extériorisée par des formes linguistiques à indication spatiale. Ainsi, E. Cassirer note qu’il existe des langues dans lesquelles ”le maintenant est exprimé par une indication spatiale; le plus tard par là-bas” [Cassirer, 171]. La spatialisation du temps est observée en plusieurs langues13. Selon E. Coseriu, le temps est largement spatialisé dans les langues romanes. Le temps est conçu, en fait, comme une façon d’appartenir à l’espace, comme un espace transparent et vide dans lequel se produisent des événements, ou comme une dimension de l’espace sur un plan infini dans son essence : le temps qu’il fait dehors (météorologique ou déplace de l’avenir vers le passé, et l’autre, une ligne qui transporte les choses et les événements du passé vers l’avenir» [Coseriu, 344]. 11 Traduction de George Pruteanu, 1970 http://www.pruteanu.ro/7merita/luceafarul-gp.htm 12 Traduction de Dan Solomon, 1883 http://eminescu.over-blog.fr/article-35153010.html 13 Dans la culture anglaise, par exemple, il y a certaines articulations stables, indiquant la représentation spatiale du temps. Cf. Time is up dans le sens que le temps a expiré (comme on le voit, le temps, dans la conception des Anglais a une trajectoire verticale, orientée vers le haut); ou She is near her time qui signifie elle doit bientôt accoucher. 9 atmosphérique (cf. [Coseriu, 342-343]). Ainsi, dans les langues romanes, il y a un seul mot (temps) pour dénommer deux contenus objectifs14 (cf. Les mots-réactions : temps de dehors – 17, beau – 4, saison – 3, frais – 2, froid – 1, chaud - 1). 4.2.1. Il convient de mentionner que la reproduction linéaire du temps15 qui passe, qui s’écoule représente, au niveau élémentaire, un germe de la spatialisation du temps. Il est impossible que la pensée conçoive le temps comme un bloc statique. Le temps est envisagé en tant que durée dans le plan implicite de l’action exprimée par le verbe, aussi bien que dans le plan explicite du développement continu de l’action. Dans son ouvrage Temps et Langage, Iu. Popescu insiste sur le fait que « la pensée se construit une image mentale du temps et l’estime en tant que vecteur temporel» [Popescu, 81]. La conscience humaine associe le temps au déplacement16 (cf. Les mots-réactions : passe-7, passage-4, passager-8, qui s’enfuit-3, qui vient-3). Pour ces raisons, à la base de la représentation du mouvement du temps se situe une métaphore zoo-anthropomorphe exprimée, le plus souvent, par les verbes: passer, voler, venir, s’enfuir, s’écouler, etc.17 (Cf. Les mots-réactions : il s’écoule-2, il s’enfuit-2, il vole-1). Bien que le temps acquérisse des qualités zoo-anthropomorphes, on n’observe pas en roumain de comparaisons entre le mouvement du temps et le mouvement des animaux, des oiseaux, etc., rencontrées, par exemple, en russe: время летит птицей; годы летят как птицы; время ползет как черепаха; время летит как стрела; как молния etc. Il convient de mentionner d’ailleurs, qu’en russe, l’étendue du mouvement du temps est beaucoup plus large: тащиться, лететь, бежать, течь, протекать, идти, приходить, проходить, уходить etc. Dans la culture anglaise, le temps est doué de la capacité de parler. Par exemple, Time (alone) will tell, le temps dira, ce qui signifie on verra. Les Anglais se représentent le temps comme un vieil homme grisonnant à une faux, à un horloge-sablier entre ses mains. Les Roumains auraient associé une telle image plutôt à la mort et pas au temps. 4.2.2. Dans la mythologie, le temps est souvent symbolisé par un rouet mis en mouvement par les 12 signes du zodiaque qui décrivent le cycle de vie, ou d’autres figures circulaires. La 14 Tandis que dans d’autres langues pour ces deux concepts on utilise deux mots (Cf. En allemand : Zeit/Wetter, en anglais : time/weather; en russe : погода/время). 15 On reconnaît plusieurs modèles de conceptualisation du temps: linéaire, pulsant, cyclique, spiralique, historique, scalaire, de profondeur, temps-route, temps qui s’écoule, temps-mouvement à cotrasens (cf. [Дарбанова, 52]). 16 Ce modèle a des racines profondes dans la mentalité de la société archaïque, où le temps était mesuré en fonction du parcours des étoiles ou de la lune. 17 En roumain, certains proverbes cristallisent la conception naïve du temps immobile, conçu comme une simple dimension de l’espace: Vremea vremuieşte şi omul îmbătrîneşte; Vremea vremuieşte, floarea se păleşte. (Le temps passe et l’homme vieillit; Le temps passe et la fleur se fane.) [Dictionnaire de Proverbes, 20]. 10 confection des montres carrées serait une protestation contre le caractère cyclique du temps et contre le lien indissoluble qui existe entre le temps et l’espace: ”Pour exorciser l’angoisse et l’éphémère, l’horlogerie contemporaine n’a rien trouvé de plus approprié que de donner aux montres et aux réveils une forme carrée plutôt que ronde, symbolisant ainsi l’illusion de l’homme d’échapper à la roue inexorable et de posséder la terre, lui imposant ses propres unités de mesure. Le carré symbolise l’espace, la terre, la matière” [Dictionnaire des symboles, 356]. 4.3. Dans la mythologie chrétienne, le temps se déploie d’un état cyclique dans une ligne droite, qui a son début dans l’acte de la Création divine et sa fin dans le Jugement dernier et marque la conscience historique par le caractère irréversible, unique et irrépétable. La métaphore la plus fréquente du temps est celle qui le représente comme une ligne droite, sur laquelle se placent, dans un ordre consécutif et bien strict: le passé, le présent et l’avenir. L’attitude envers ces segments temporels était différente en différentes époques. Ainsi, pour le chrétien médiéval, le passé était important par la naissance de Jésus-Christ, tandis que l’avenir s’associait à la vie de l’âme après la mort, et l’homme avait tendance à entrer dans le royaume des élus de Dieu. Cependant, le présent était interprété par l’Église comme quelque chose de temporaire, d’imparfait, de vain par rapport à la vie éternelle à laquelle on rêvait. Selon les canons religieux, la vie terrestre n’était rien d’autre qu’une étape de préparation pour l’avenir. Au fil du temps, avec l’évolution de la société, cependant, on assiste à une réévaluation du temps terrestre: hic et nunc devient le seul temps vraiment réel pour l’homme. Bien que différenciées, ces phases du temps - passé, présent, futur - se transforment, par une dialectique particulière, dans une intégralité organique, marquant une autre dimension du monde conçu déjà comme un cadre existentiel. Cependant, les différentes cultures les marquent différemment, mettant l’accent sur l’une des phases qui véhicule déjà les choses. Vu que les Roumains croient traditionnellement à une sorte d’omniprésence et l’omnipotence de la Genèse, le passé jouit, pour eux, de primauté parmi les autres phases. En bref, ”le passé est celui qui domine le temps et permet sa connaissance” [Bernea, 168]. ”Par son axe principal de développement, dans la conscience populaire traditionnelle, le temps est plus puissant par le passé que par l’avenir, le présent lui-même étant continuellement inhibé par des dates et des actes traditionnels” [idem, 170]. Cela explique la plupart des mots-réactions documentés par l’ÉA : quatre réactions pour le passé, deux réactions pour le présent et aucune réaction pour l’avenir. Nous croyons que ces réactions sont très pertinentes pour la mentalité roumaine et pour sa façon d’agir. Dans la même perspective, on interprète les 11 associations syntagmatiques court-14 réactions et long-3 réactions qui prouvent la spatialité du temps. Nous devons souligner aussi que ”la notion de temps est strictement liée à la culture et la langue d’une ethnie concrète et tout changement d’ordre culturel implique des changements dans la perception du temps et dans les attitudes envers celui-ci : la langue réagit à ces changements par le transfert au fondement du modèle métaphorique du temps” [Баруздина]. Dans la mentalité roumaine qui a des réminiscences magico-religieuses, le sentiment du passage irréparable du temps persiste toujours. Dans son développement plutôt cyclique que linéaire, vu son caractère irréversible, le temps ne supporte pas de remplacements ou d’inversements de dates (cf. irréversible - 4). 4.4. L’existence du Roumain dans le temps a deux faces: l’une est celle du moment et l’autre, celle de l’éternité, les deux inextricablement liées. Pour le Roumain, ”être dans le temps ne signifie pas être tout simplement, avoir la conscience de l’existence, mais être dans ce monde [...]. L’homme est éphémère, par son sentiment de l’avancement, pas à pas, vers l’inévitable, vers la mort” [Bernea, 159]18. On peut expliquer, ainsi, la réaction assez fréquente: vie-7, mais aussi éphémère-2. Comme résultat logique de cette façon de concevoir le temps, il s’ensuit souvent une attitude qui induit une note de scepticisme, de doute quant à l’efficacité et au bon sens de l’effort humain fait pour le succès dans la vie. Cf. vanité-1 (réaction unique, d’ailleurs). Nous sous-estimons le point de vue de certains chercheurs qui considèrent que le Roumain n’a pas la notion de temps et relevons que le temps est divisé traditionnellement, ainsi que le temps sidéral (astral), en unités plus grandes ou plus petites l’encadrant en dates et formes organiques concrètes qui contribuent à conférer à ce phénomène un coloris plus variée, plus vif et plus humanisé. On va confronter, à cet égard, les réactions les plus courantes au mot-stimulus temps : heure (ceas)19 (77); heure (41); heures (26); minute (10); années (7); seconde (5); secondes (5); durée (5); jour (3); époque (3); siècle (1); instant (1); an (1); ère (1); présent (4); passé (2); parties de la journée : soir (1); matin (1). Ainsi, ont raison ces chercheurs qui considèrent que ”le Roumain ignore, en grande partie, le cours du temps divisé en unités mathématiques précises, mais cela ne signifie pas qu’il ignore le temps, comme certains chercheurs sont enclins à croire; au contraire, il le 18 En roumain, l’expression « être dans le temps » est en relation synonymique avec une autre expression « être à l’époque de », mais en opposition avec «être dans l’éternité ». Comme l’a souligné E. Bernea, « l’époque dans la conception populaire a un contenu beaucoup plus large; ce concept a ses limites aussi bien dans le passé que dans l’avenir reliés, les deux, par un présent continu [...]. L’époque est, pour le Roumain, le temps d’ici, de ce monde, qu’il considère comme réel, et non pas éternel, tant qu’il dure; l’époque est le temps intègre ». "[Ibid]. C’est de cette façon qu’est motivée la réponse-réaction : époque- 3. 19 Le mot ceas est polysémique en roumain, à savoir il est difficile de saisir l’acception qui a été imaginée par le répondeur : ceas, au sens de « temps égal à 60 minutes » ou au sens de « dispositif utilisé pour déterminer et mesurer le temps ». 12 sent plus profond et plus présent ayant une manière plus vivante et concrète de mesurer et dénommer les moments, les dates et les périodes de temps” [Bernea, 219]. La deuxième facette de l’existence du Roumain dans le temps, opposé au monde d’ici est le monde de là-bas, l’autre monde ou le monde de l’éternité. Le Roumain se rend compte qu’il est subordonné à la condition temporelle, mais il sait pouvoir se soulager de ce fardeau, gagnant contre l’écoulement du temps, et le vaincre par le franchissement de l’éternité, transfigurant tout ce qui est éphémère (cf. éternité-4 réactions, infini-2, éternel-1). La délivrance de la dimension du temps est considérée comme une libération et un approchement de Dieu. La vie n’est qu’un miroir du temps. Pour cette raison, le Roumain s’engage à respecter cette condition temporaire qui lui est donnée à l’origine. ”La nation roumaine consente, en quelque sorte, à ce plan immuable, consigne C. Noica. Il lui arrive beaucoup de choses, il se demande sur ce qui se passe dans son âme, son coeur, son corps même, mais il reste inchangé. Cela passera aussi est l’une des expressions les plus courantes des Roumains. Notre peuple reste parce qu’il participe lui aussi, à sa manière, à l’éternité de l’existence” [Noica, 11]. Le Roumain voit la vie sous la forme d’un chemin qui, accessible ou sinueux, calme ou virulent, se déploie sûrement en continu, sans rester sur palce, ce qui signifie déjà le franchissement d’une autre dimension, celle de l’éternité (cf. temps-voyage-1) et l’homme, dans sa conception, est un voyageur sur cette route. 4.5. La vie est sous la puissance et l’influence du temps qui peut avoir des conséquences à la fois positives et négatives, destructrices ou créatives. L’homme reconnaît cette force du temps et concentre toute son attention à préserver et obéir à ses lois, à se servir ou anéantir ses diverses qualités : ”La présence de la notion de qualité dans la conception du temps nous donne le vrai sens de la façon dont le Roumain se représente et vit le temps. Pour lui, le temps n’est pas un postulat ou une abstraction, mais une réalité concrète; il n’est pas quelque chose de mesurable quantitativement, mais une chose vivante” [Bernea, 223]. 4.5.1. Dans cet ordre d’idées, l’analyse des associations syntagmatiques sur le temps nous permet de conclure que les locuteurs roumains préfèrent celles qui décrivent le temps dans la perspective qualitative, et non quantitative (cf. court-16, peu-10, prolongé-5, long-3) contrairement à d’autres cultures où le temps est perçu concrètement, exactement, fixement (par exemple, le tableau conceptuel des Allemands comprend des associations syntagmatiques exprimées, particulièrement, par des numéraux ou d’autres parties de discours exprimant la quantité (apud. [Емельянова]). Le Roumain se concentre davantage sur l’aspect qualitatif du temps et sur ses 13 connotations émotionnelles - modèle axiologique du classement du temps (cf. perdu-10, libre-9, passager-8, beau-4, illimitée-2, passé-1, gagné-1, éphémère-1, désir-1, patience-1, nostalgie-1, jeunesse-1, vieillesse-1, vanité-1, fugacité-1), etc. Or à l’avis d’E. Bernea, ”sa nature s’exprime par des qualités spécifiques et fonctionne d’une manière continue, innovante et vivante. Ce temps n’est pas abstrait, impersonnel et monotone comme le temps mathématique, mais, par contre, il est concret, varié st musical” [Bernea, 151]. Le corapport des réactions caractérisant le temps du point de vue quantitatif et qualitatif se présente comme suit : Figure Nr. 2 Corapport des réactions quantitatives et qualitatives L’ordre matériel des choses a imposé une vision matérialiste sur le temps aux Allemands qui l’associent souvent à l’argent, fait prouvé par les verbes s’inscrivant dans son champ sémantique: kosten (coût), investieren, verbuttern, verplempern (dépenser, gaspiller). Time is money est une expression figée en anglais, calquée en nombreuses langues, dont le roumain aussi, suite de la mondialisation et du développement des relations de marché. Cependant, dans la culture roumaine, le temps comporte plutôt une valeur spirituelle: il est considéré comme une valeur qui doit être préservée et utilisée efficacement et non pas dépensée inutilement - le temps est un don divin, c’est pourquoi, parmi les réactions des Roumains ont atteste des unités lexicales comme : précieux-5, valeureux-4, valeur-3, sans prix-2, inestimable-2. 4.5.2. Le temps incombe une perception particulière des choses par l’individu. Personalisé, il s’attrubue des sentiments et des émotions, des réussites et des échecs; il peut même transformer le monde autour dans une manière psychologique d’expression des succès et des insuccès, dans un segment particulier du développement humain. C’est de cette façon qu’on peut expliquer les réactions singulières du type : obstacle, faiblesse, peur, distraction, relaxation, perte, musique, 14 essais, etc. Nous ne sommes pas du tout surpris du type de réactions comme : stress-2, pression-1, crise-1, fardeau-1, agitation-1 - phénomènes qui sont devenus indispensables à la vie moderne et les mots qui les dénomment sont devenus aujourd’hui obsédants, même dans le langage des enfants. Du point de vue quantitatif, les réactions à connotation positive (Cf. vie-12, libre-9, beau-4, valeureux-4, relaxation-2, précieux-2, cher-2, désir-1, jeunesse-1, musique-1, passé-1, etc.) sont beaucoup plus nombreses que celles à connotation négative (Cf. perdu-10, perte-2, vieillesse-1, retard-1, obstacle-1, nostalgie-1, ennemi-1, éphémère-1, vanité-1, peur-1, etc.) (Cf. Figure 3). En outre, on partage la conviction qu’on ne peut pas faire n’importe quoi n’importe quand, parce que tout a son temps : ”Le système de croyances ne permet pas la mise en place des actions qui ne respectent pas le temps où elles se produisent. Il y a des jours fastes ou funestes, une heure bonne ou mauvaise, celui qui ne se conforme pas à ces qualités en tire les conséquences” [Bernea, 222]. Figure Nr. 3 Corapport des réactions à connotation positive par rapport à celles à connotation négative Bien que le temps soit toujours une inconnue qui a alimenté la propension humaine de spéculation, nous estimons qu’un ”instrument plus ou moins objectif de sa connaissance serait la Langue” [Катунин, 11]. Or, ”en vertu de son essence, la langue fournit à l’individu le cadre qui lui sert à repérer l’image du monde”, exprimant l’esprit des peuples, comme l’indiquait, dans ce même contexte, Humboldt. Dans le même temps, la langue est toujours une façon de vivre dans le monde” 15 [Boboc, 1]. La spécificité nationale et culturelle se cache dans des phrases spécifiques, construites à l’aide des unités lexicales identiques, mais ayant des connotations particulières [Маслова, 7]. La catégorie du temps, dans sa qualité de caractéristique de l’énoncé philosophique roumain, acquiert de nouveaux contenus dans la configuration de la langue roumaine, dans la structure des symbolesexpressions. En conclusion, nous notons qu’il existe de différentes façons d’aborder l’esprit d’une culture (expression utilisée par C. Noica), de lui étudier les lois linguistiques (alias tendons et ligaments) jusqu’à le priver de la sève de la vie; de rechercher ses contes, mythes, proverbes, légendes, coutumes, traditions, etc. dans le but de lui découvrir la pensée métaphysique, à savoir l’âme roumaine, qualité spirituelle irréductible et immuable (Cf. M. Vulcanescu, E. Bernea, C. Noica et autres), etc. Dans notre approche scientifique, guidés par l’impératif coserien de l’interdisciplinarité, nous avons choisi la voie du détachement de l’amplitude phénoménale du langage, suggérant une approche intégriste; par l’investigation de la catégorie du temps, nous jalonnons la déclaration de Coseriu ”le temps change tout, et donc le langage” [Coseriu: 2009, 333]. En outre, comme l’indique C. Radulescu-Motru, ”le temps est étroitement lié, par les théories et les croyances que l’esprit de l’homme lui impose, à l’évolution même de la culture. Il est le destin” [Radulescu-Motru, 72]. Vraiment, tout dépend du temps : la perception de l’époque, le comportement des gens, leur conscience, le rythme de vie, l’attitude envers les choses et, finalement, le tableau du monde. Références bibliographiques : Baciu Cl. Limbă şi gîndire // http://cogito.ucdc.ro/nr_2v2/LIMBA%20si%20GaNDIRE.pdf Bădescu I. Timp şi cultură. 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