PARCOURS DE SOINS DR Dossier coordonné par Brigitte Némirovsky Conseiller scientifique Pr Philippe Morlat Hôpital Saint-André CHU de Bordeaux Personnes vivant avec le VIH Adapter le parcours de soins étape { 362. L’infection par le VIH : une maladie chronique bien particulière Pr Philippe Morlat 1 364. Dépister l’infection par le VIH : « rattrapage et attrapage » Pr Gilles Pialoux 367. L’évolution de la prévention face à l’efficacité des traitements étape Dr Jade Ghosn, Pr Jean-Paul Viard, Pr Alain Sobel 2 372. Du diagnostic de la séropositivité à l’engagement dans le soin Dr Éric Billaud suite à une maladie devenue chronique grâce aux trithérapies 3 380. Suivi du patient traité : partagé et coordonné Dr Arnaud Blanc, Pr Cécile Goujard 386. Patients traités : le pharmacien, en place pour une veille mensuelle Entretien avec le Dr Anne-Marie Taburet 387. Gérer le risque accru de certaines pathologies et comorbidités Pr Fabrice Bonnet 393. La grossesse de la femme séropositive : une prise en charge spécialisée et pluridisciplinaire Pr Laurent Mandelbrot 378. Prise en charge des migrants vivant avec le VIH : spécificités et ressources Dr Thierry Pistone TOME 137 | N° 5 | MAI 2015 Tous droits reservés - Le Concours médical LE CONCOURS MÉDICAL | 361 { PARCOURS DE SOINS Personnes vivant avec le VIH L’infection par le VIH : une maladie chronique bien particulière Pr Philippe Morlat ([email protected]), service de médecine interne et maladies infectieuses, hôpital Saint-André, CHU de Bordeaux En 2015, le contexte de l’infection par le VIH en France et dans les pays industrialisés est très différent de celui observé jusqu’au début de ce siècle puisque cette affection a rejoint, pour la plupart des personnes vivant avec le VIH (PVVIH), le groupe des maladies chroniques. Ce dossier du Concours médical a pour principaux objectifs de mieux caractériser le parcours de soins des PVVIH à l’ère des trithérapies actives et de mieux définir le rôle des différents professionnels de santé dans ce contexte. L’ espérance de vie des PVVIH prises en charge précocement devient similaire à celle de la population générale même si leur vie reste marquée par l’expression de nombreuses comorbidités justifiant prévention et soins curatifs. Nous sommes à un tournant de la prise en charge des personnes séropositives pour lesquelles la part des soins hospitaliers va progressivement diminuer au bénéfice d’une prise en charge ambulatoire partagée. La lecture des articles permettra Un rôle renforcé pour le médecin généraliste de cerner les différents rôles que les praticiens non spécialistes du VIH, au premier rang desquels les médecins généralistes, jouent et devront jouer dans les prochaines années auprès des PVVIH. Nouvelles modalités de dépistage, nouvelle organisation post-test Gilles Pialoux décrit l’actualité dans le domaine du dépistage, première pierre du dispositif de prise en charge. L’amélioration des performances de cette étape du dépistage est un objectif fort quand on sait qu’environ 30 000 des 150 000 PVVIH en France ignorent leur séropositivité et qu’environ 8 000 personnes se contaminent encore chaque année. La lecture du chapitre éclaire en particulier sur les circonstances facilitant le dépistage médicalisé, la place et les limites des nouveaux outils du dépistage 362 | LE CONCOURS MÉDICAL (tests rapides à orientation diagnostique [TROD], autotest) et la nécessité de mieux organiser le parcours de soins au décours du résultat du test. Le traitement antirétroviral pour limiter le risque de transmission Alain Sobel et ses co-auteurs, Jade Ghosn et Jean-Paul Viard, expriment dans le détail la nécessité et les modalités de la prévention combinée associant mesures comportementales et thérapeutiques, la grande nouveauté des dernières années étant la place primordiale que le traitement antirétroviral occupe désormais dans la limitation du risque de transmission. On connaissait l’intérêt des antirétroviraux pris au décours de circonstances possiblement contaminantes (prophylaxie post-exposition), on a prouvé l’intérêt des trithérapies dans la diminution de la transmission du VIH grâce à l’abaissement de la charge virale observée chez les PVVIH traitées (concept de « TASP » pour « treatment as prevention ») et on vient récemment de démontrer le bénéfice dans certaines populations à haut risque de la prophylaxie pré-exposition. Le rôle du médecin généraliste, déjà central dans le dispositif de prévention de l’ensemble des infections sexuellement transmissibles, doit être renforcé à l’aune de ces nouveaux développements. Le défi de l’engagement durable dans le parcours de soins Éric Billaud expose avec précision les conditions favorisant l’engagement dans le parcours de soins des PVVIH nouvellement diagnostiquées en insistant sur la personnalisation des attitudes Tous droits reservés - Le Concours médical TOME 137 | N° 5 | MAI 2015 soignantes et sur la place majeure de l’information des patients : deux gages d’une future bonne adhésion des personnes à une prise en charge multidisciplinaire prolongée au cours de laquelle les opportunités d’éducation thérapeutique prendront le relais. Il évoque aussi concrètement l’organisation du suivi médical partagé au sein duquel le médecin généraliste devrait prendre une place croissante. En complément de ces propos, la spécificité de prise en charge des migrants vivant avec le VIH est clairement abordée par Thierry Pistone : il détaille notamment les ressources sociales extramédicales qu’il est utile de connaître pour accompagner au mieux ces patients. « Traitement universel » et suivi ambulatoire partagé Cécile Goujard et Arnaud Blanc, lui-même médecin généraliste, prolongent les exposés précédents en précisant la prise en charge thérapeutique des PVVIH. Leur article met en exergue les derniers éléments de recommandations françaises en termes d’indication du traitement antirétroviral, à savoir la proposition de traiter toute personne séropositive quel que soit son statut clinico-biologique (on parle de traitement universel), et de choix des molécules antivirales de première ligne. Les bilans périodiques nécessaires sont détaillés tout comme les schémas vaccinaux applicables chez ces patients. Les auteurs donnent les pistes qui devraient être suivies pour aboutir à un suivi des PVVIH réellement partagé entre les services de recours hospitalier et la médecine ambulatoire extra-hospitalière. Ce chapitre est utilement complété par le point de vue du pharmacien : Anne-Marie Taburet insiste sur l’implication que le pharmacien peut avoir en sus de la dispensation des médicaments, en termes d’information, d’éducation thérapeutique et de vigilance face à la iatrogénie et aux interactions médicamenteuses ; elle souligne l’importance des liens entre médecins et pharmaciens mais aussi entre pharmaciens hospitaliers et de ville. La vie avec une maladie chronique et ses comorbidités Fabrice Bonnet met en lumière les diverses pathologies, non directement liées au VIH (cancers, maladies cardiovasculaires et métaboliques, affections hépatiques ou osseuses) que peut présenter une PVVIH et qui justifient la mobilisation, TOME 137 | N° 5 | MAI 2015 Fotolia Personnes vivant avec le VIH au titre des soins préventifs ou curatifs, de nombreux professionnels de santé dans leur domaine de compétences. Le rôle central de coordination que le praticien généraliste sait assurer dans le suivi de nombreuses maladies chroniques doit pouvoir s’exprimer auprès des PVVIH qui n’ont pas besoin de consulter systématiquement leurs médecins spécialistes de l’infection VIH pour tout souci de santé. La communication entre les acteurs est néanmoins indispensable. L’auteur aborde en fin de chapitre des aspects importants de la vie des PVVIH, souvent insuffisamment considérés mais d’importance pour les personnes suivies, le vieillissement, la sexualité, les discriminations. Désir d’enfant: davantage de sérénité pour les femmes séropositives Dans un dernier texte, Laurent Mandelbrot apporte les informations les plus récentes concernant le suivi médical et la prise en charge obstétricale des femmes enceintes séropositives : les dernières avancées permettent désormais d’envisager avec une assez grande sérénité le désir d’enfant des PVVIH. L’auteur développe la notion novatrice de suivi préconceptionnel et insiste sur la nécessité de la pluridisciplinarité à toutes les phases de la prise en charge. Nous espérons que la lecture de ces chapitres résolument didactiques et dont je remercie vivement chaque auteur, contribuera à l’amélioration du dépistage et de la prise en charge multidisciplinaire des PVVIH suivies en France. Rappelons enfin que parallèlement à l’organisation des parcours de soins, la diversification des actions de prévention demeure une absolue nécessité en l’absence de perspectives à court terme de stratégies véritablement curatives de l’infection par le VIH. • L’auteur déclare participer ou avoir participé à des interventions ponctuelles (essais cliniques, activités de conseil ou actions de formation) pour Gilead, ViiV Healthcare, MSD, et avoir été pris en charge (transport, hôtel, repas), à l’occasion de déplacement pour congrès, par Gilead, ViiV Healthcare, BMS, Janssen, MSD. Tous droits reservés - Le Concours médical LE CONCOURS MÉDICAL | 363 { PARCOURS DE SOINS étape 1 Personnes vivant avec le VIH Dépister l’infection par le VIH : « rattrapage et attrapage » Pr Gilles Pialoux ([email protected]), service des maladies infectieuses et tropicales, hôpital Tenon (APHP) et université Pierre-et-Marie-Curie (Paris), www.vih.org Les caractéristiques actuelles de l’épidémie liée au virus de l’immunodéficience humaine (VIH), avec une prévalence très basse en population générale, une prévalence plus élevée et hétérogène, mais mal connue, dans la population immigrée d’Afrique subsaharienne, et forte chez les hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes (HSH), ont justifié la recherche de nouveaux outils de prévention. Le dépistage de l’infection par le VIH en est un parmi d’autres (« treatment as prevention » [TASP], prophylaxie pré-exposition [PREP]…). En 2013, le rapport d’experts(1) recommandait de proposer un dépistage devant de nombreuses situations cliniques ou biologiques évoquant l’infection et/ou l’appartenance à des populations où la prévalence de l’infection est la plus élevée d’une part (encadré 1), et d’autre part à des personnes sans test de dépistage récent lorsque l’occasion de proposer le test se présente. L a politique de dépistage en France se résume donc en deux volets : une politique de « rattrapage », justifiant un dépistage une fois en population générale, visant l’épidémie cachée(2), et une politique « d’attrapage » permettant d’offrir aux personnes les plus exposées autant de tests de dépistage qu’il le faut. Les médecins généralistes jouent un rôle de premier plan dans ce dispositif(3). Objectifs de la politique de dépistage de l’infection par le VIH (2010-2014) Les recommandations nationales visent à : – réduire le nombre de personnes ignorant leur séropositivité pour le VIH, estimé en France à 28 000 (alors que 114 000 environ connaissent leur statut sérologique). C’est sur cette base que le dépistage en population générale avait été proposé dans le Plan national 2010-2014(4) ; – augmenter les occasions de dépistage dans les populations les plus exposées : HSH, migrants d’Afrique subsaharienne ; – mettre à disposition large des tests rapides à orientation diagnostique (TROD) notamment en dehors des lieux traditionnels de dépistage afin d’atteindre les personnes échappant au dépistage « traditionnel » ; – accroître le dispositif actuel d’offre de dépistage (médecin généraliste, hôpital, consultation de dépistage anonyme et gratuit [CDAG], TROD avec la mise à disposition des autotests de dépistage sous réserve de mesures d’accompagnement et d’une évaluation prospective ; 364 | LE CONCOURS MÉDICAL – augmenter le dépistage dans les lieux de privation de liberté ; – coupler l’offre du dépistage des hépatites virales B et C et des infections sexuellement transmissibles (IST) à celui de l’infection par le VIH, notamment en médecine de ville où l’acceptation a été démontrée(5). Enjeux et modalités du diagnostic de l’infection par le VIH En France, les circonstances de réalisation de la sérologie pour le VIH sont assez bien connues(6). Le motif de dépistage le plus fréquent, bien qu’il diminue depuis 2007, restait en 2013 la présence de signes cliniques liés au VIH (38 %), qu’il s’agisse de signes de primo-infection (22 %) ou de signes d’infection plus avancée (78 %). Les autres motifs les plus courants étaient un bilan systématique (23 %) et une exposition récente au VIH (21 %). Les dépistages orientés représentaient une part croissante des diagnostics : 14 % en 2013, alors qu’ils ne représentaient que 2 % des diagnostics en 2007. La sérologie pour le VIH était réalisée plus souvent à l’initiative du médecin (77 % des diagnostics en 2012-2013) qu’à la demande du patient (23 %). La demande du patient était plus fréquente chez les HSH (33 %) que chez les hétérosexuels, nés en France ou à l’étranger (16 %), et que chez les usagers de drogues injectables (UDI ; 11 %). Les efforts en matière de dépistage ont produit des résultats tangibles depuis 2012, avec davantage de diagnostics précoces. En pratique, les diagnostics Tous droits reservés - Le Concours médical TOME 137 | N° 5 | MAI 2015
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