Télécharger - Les Napoleons

DIMANCHE 11 JANVIER 2015
Tous debout !
ÉDITION SPÉCIALE
L 15174 - 115 - F: 3,00 €
LES 30 ANS DE LA TRIBUNE
30 visions d’avenir de 30 personnalités
du monde économique et intellectuel
NOTRE DOSSIER, PAGES 4 à 21
© STEPHANE MAHE / REUTERS
« LA TRIBUNE S’ENGAGE AVEC ECOFOLIO POUR LE RECYCLAGE DES PAPIERS. AVEC VOTRE GESTE DE TRI, VOTRE JOURNAL A PLUSIEURS VIES. »
DU VENDREDI 16 AU JEUDI 22 JANVIER 2015 - NO 115 - 3 €
I 3
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
SIGNAUX FAIBLES
ÉDITORIAL
Avoir 30 ans en 2015
DR
@SignauxFaibles
La Tribune
dans 30 ans
La Tribune est avant tout
une production de journalistes (le mot
reste), des enquêteurs ; c’est le travail
source. Il est complété de fils d’agences,
de chroniqueurs, d’opinions de lecteurs.
Les informations sont regroupées selon
les rubriques et leur durée de vie :
immédiat, 24 heures, réflexions,
« à garder ». La Tribune donne accès
à de la formation façon MOOC,
à des conférences en y participant,
à des salons et expositions, et bien sûr
à des partages d’opinion, de visu.
La Tribune de 2045 est souple pour
le lecteur. Sur la base d’une rédaction
élargie par des partenariats, le lecteur
choisira sur un « graphe araignée »
à 6 ou 8 pattes, l’importance qu’il veut
donner à chaque patte, à chaque
rubrique, et le temps qu’il estime
consacrer à la lecture du support :
10 minutes, 30 minutes, 1 heure.
L’algorithme de La Tribune donne le
contenu du journal en fonction du temps
consacré, des articles habituellement lus,
des domaines de participation d’opinion,
des articles en périphérie des demandes
du lecteur, de l’humeur du lecteur afin
d’entretenir ses facultés d’étonnement,
donc de créativité et d’émotion. En 2045
plus qu’avant, l’homme cherche à
entretenir et développer son QE, son
quotient émotionnel. Le QI, le quotient
intellectuel, est lissé entre les individus
et concurrencé par les robots. La Tribune
est un journal d’échange d’informations,
de questions/réponses, et d’émotion.
Je repars en plongée.
Rendez-vous la semaine prochaine…
L’ouvrage le plus récent de Philippe Cahen :
Les Secrets de la prospective par les signaux
faibles, Éditions Kawa, 2019.
L
« ’
PAR PHILIPPE
CAHEN
PROSPECTIVISTE
JEANCHRISTOPHE
TORTORA
DIRECTEUR
DE LA
PUBLICATION
@jc_Tortora
© DAVID BORDES
Quelques jours après le carnage contre
la liberté de penser, d’écrire, de dessiner,
il est difficile de dire que l’on vit l’une des
plus belles époques qui soit. Et pourtant.
Jamais il n’y a eu aussi peu de morts
pour faits de guerre, jamais il n’y eut
aussi peu de famine, jamais l’homme n’a
pu espérer vivre aussi âgé. Dans l’univers
de La Tribune, jamais on n’a créé autant
d’entreprises et avec aussi peu
de moyens ! Jamais il n’y a eu autant
de jeunes entreprises faisant autant
de chiffre d’affaires aussi rapidement
ou valant autant en Bourse, en aussi peu
de temps. Le monde de la création
d’entreprises est époustouflant, comme
d’ailleurs le monde de toutes créations !
La Tribune est née en 1985, imaginons
ce qu’elle sera dans trente ans.
En 2045, La Tribune est un mélange
entre ce que l’on voit dans Harry Potter
et dans Minority Report. C’est une feuille
d’écran (format A4 ou A3) que l’on roule
ou plie dans sa poche pour rappeler
sa glorieuse origine en papier, pour
les plus classiques. Pour les autres, il fait
partie de l’outil numérique de base.
La feuille d’écran permet de choisir
le mode de réception : lecture, son,
image (hologramme), soit sur le support,
soit sur un écran plus grand.
TENDANCES
économie est la
cendre dont
notre temps
couvre son
triste visage. »
Cette phrase
belle
et
sombre est de Bernard Maris, l’économiste
originaire de Toulouse qui collaborait à
Charlie Hebdo sous le pseudonyme d’Oncle
Bernard et auquel toute l’équipe de La Tribune souhaite rendre un hommage particulier. Elle résonne gravement à l’heure où
toute la presse, économique ou non, pleure
les 17 victimes de la barbarie terroriste. Pour
ce brillant vulgarisateur, l’économie était
moins une science qu’un art de gouverner
les populations, une « une continuation de la
politique par d’autres moyens » pour paraphraser la formule de Clausewitz.
La politique commande à l’économie et non
l’inverse : voilà un principe que n’auraient
pas renié les fondateurs de La Tribune. Il y
a trente ans jour pour jour, le 15 janvier 1985,
quatre journalistes – Bruno Bertez, Jacques
Jublin, Philippe Labarde (qui a cosigné plusieurs ouvrages avec Bernard Maris) et JeanMichel Quatrepoint – créaient ce nouveau
quotidien économique avec l’ambition de
proposer une vision différente : un traitement de l’actualité moins institutionnel,
plus proche des acteurs qui font l’économie,
plus financier (années 1980 obligent), mais
surtout plus ouvert à la macroéconomie :
relier les chiffres et leur mécanique à l’actualité générale devait permettre à l’acteur
de l’économie de sortir le nez de ses
comptes et d’appréhender plus globalement
son univers, qu’il fût à l’échelle de son territoire, de la nation ou du monde. Entrepreneurs, financiers, chercheurs, conseils ou
représentants de la puissance publique, nos
lecteurs sont tous des acteurs. Ils constatent
chaque jour que l’économie n’est pas l’effet
magique d’une quelconque main invisible,
une météo capricieuse que l’on attendrait
en spectateur en psalmodiant une chanson
pour la croissance à la manière d’Amérindiens priant pour la pluie, mais qu’elle est
le produit de leur volonté et de leur capacité
à faire avancer les choses. La Tribune a toujours eu pour ambition de souffler sur cette
« cendre » répandue par les Diafoirus de la
« science économique », évoqués par Bernard Maris, pour faire découvrir leur temps
à ces acteurs qui innovent, tant sur le plan
économique que technologique, social ou
même politique.
L’histoire de La Tribune pendant ces trente
années a été mouvementée, souvent passionnée et marquée par cette volonté de
faire différent, d’anticiper, de conserver
l’esprit du challenger, toujours à l’affût.
Mais même avec la meilleure intuition du
monde, les quatre fondateurs auraient été
bien en peine d’imaginer à quel point le
numérique allait bouleverser toute l’économie, à commencer par celle de l’information, et de se figurer une Tribune plus quotidienne et plus lue que jamais, sur une telle
diversité d’écrans. À l’époque, La Tribune
comptait ses lecteurs en dizaines de milliers.
Elle les compte aujourd’hui en millions
chaque mois. Elle a été la première à proposer un quotidien numérique, tout en conservant une offre « papier » et, ce qui est une
de ses forces aujourd’hui, une offre
« vivante » au travers des 80 événements
qu’elle organise chaque année dans les
grandes métropoles françaises.
Trois ans après sa reprise, fêter cet anniversaire dans ce contexte douloureux est plus
BALISES
60 millions
Le nombre de visites
sur le site Web
Latribune.fr, en 2014.
qu’un symbole ou une simple cérémonie.
C’est une source de fierté pour toute
l’équipe de La Tribune. D’abord parce que
l’entreprise a réussi le redressement de ses
comptes dans une période pourtant peu
favorable, ensuite parce que vous, lecteurs,
êtes toujours là, en bien plus grand nombre
qu’il y a trente ans – même si vos habitudes
de lecture ont beaucoup changé – et enfin,
surtout, parce que nous avons gardé l’ambition de rester fidèles aux principes fondateurs de notre journal : nos priorités éditoriales restent concentrées sur l’innovation
technologique, mais aussi politique et
sociale, sur les idées et les débats qui nous
préparent à l’économie de demain. Dans ces
périodes de crise, la vocation de La Tribune
est d’être le média économique français qui
suit au plus près l’émergence des nouveaux
modèles, là où ils naissent et grandissent :
« l’écosystème » des grandes métropoles
françaises et internationales.
Le secteur de la presse, secoué comme
jamais, n’a pas achevé sa mutation. Les journaux tels que nous les connaissions ont
vécu. Mais l’information économique des
entreprises est plus que jamais essentielle
aux acteurs de l’économie et aux citoyens.
Celle-ci devra s’adapter aux nouvelles pratiques de ses lecteurs, rester plurielle et
surtout indépendante : c’est le cas de la
société éditrice de La Tribune, fait suffisamment rare aujourd’hui pour que nous ayons
l’immodestie de le rappeler. La presse économique a un avenir si elle sait conserver
cette indépendance et la liberté de ton qui
en découle, celles qu’ont voulues ses quatre
fondateurs, il y a trente ans. C’est notre
devoir et notre ambition d’y veiller
aujourd’hui, et au moins pour les trente ans
qui viennent. Merci de votre fidélité. ■
PLUS D’INFORMATIONS SUR LATRIBUNE.FR
251 millions
Le nombre de pages
vues sur Latribune.fr,
en 2014.
Plus de 250 000
Le nombre de
commentaires postés
Latribune.fr en 2014.
246 000
Les téléchargements
de l’appli freemium
pour iPad et iPhone.
173 000
Abonnés à notre
page Facebook, et
82 000 à @latribune.fr
25 000
Tweets publiés
avec notre compte
@latribune.fr
LES ÉVÉNEMENTS DE LA TRIBUNE EN 2015
14 JANVIER - PARIS
Prix La Tribune
Jeune Entrepreneur
Cérémonie Île-de-France
> S’inscrire : [email protected]
21 JANVIER - NANTES
Prix La Tribune
Jeune Entrepreneur
Cérémonie des Pays de la Loire
> S’inscrire : [email protected]
28 JANVIER - LILLE
Prix La Tribune Jeune
Entrepreneur
Cérémonie Nord-Pas-de-Calais
> S’inscrire : [email protected]
29 JANVIER - PARIS
Matinale des Travaux Publics
> S’inscrire :
matinalestravauxpublics@
latribune.fr
29 JANVIER - PARIS
In Banque 2015 > S’inscrire :
www.inbanque.com/
29 JANVIER - TOULOUSE
Lancement Book économique
> S’inscrire : evenements@
objectifnews.com
Côte d’Azur
> S’inscrire : [email protected]
02 FÉVRIER - TOULOUSE
Prix La Tribune
Jeune Entrepreneur
Cérémonie Midi–Pyrénées >
S’inscrire : [email protected]
19 MARS - PARIS
Matinale des Travaux Publics
> S’inscrire :
matinalestravauxpublics@
latribune.fr
03 FÉVRIER - LYON
Prix La Tribune
Jeune Entrepreneur
Cérémonie Rhône-Alpes >
S’inscrire : [email protected]
AVRIL 2015 - PARIS
Forum des 30 ans de
La Tribune > S’inscrire :
[email protected]
9 FÉVRIER - BORDEAUX
Prix La Tribune
Jeune Entrepreneur
Cérémonie Aquitaine >
S’inscrire : [email protected]
13 FÉVRIER - PARIS
Matinale Club Entreprises
> S’inscrire : http://
clubentreprises.latribune.fr/
16 FÉVRIER - MARSEILLE
Prix La Tribune
Jeune Entrepreneur
Cérémonie Provence-Alpes-
3 AVRIL - PARIS
Matinale Club Entreprises
> S’inscrire : http://
clubentreprises.latribune.fr/
13 AVRIL - PARIS
3e Cérémonie
Prix La Tribune
Jeune Entrepreneur
> S’inscrire : [email protected]
13 MAI - PARIS
Matinale Club Entreprises
> S’inscrire : http://
clubentreprises.latribune.fr/ 12 JUIN - PARIS
Paris Air Forum
> S’inscrire : http://
parisairforum.latribune.fr/
25 JUIN - PARIS
Matinale des Travaux Publics
> S’inscrire :
matinalestravauxpublics@
latribune.fr
02 JUILLET - LYON
Cérémonie des Tribune
Women’s Awards
> S’inscrire : [email protected]
SEPTEMBRE - MARSEILLE
Forum Smart City
> S’inscrire : smartcity@
latribune.fr
11 SEPTEMBRE - PARIS
Matinale Club Entreprises
> S’inscrire : http://
clubentreprises.latribune.fr/
OCTOBRE - PARIS
Forum Smart City
> S’inscrire : http://smartcity.
latribune.fr/ OCTOBRE - PARIS
Matinale des Travaux Publics
> S’inscrire :
matinalestravauxpublics@
latribune.fr
9 OCTOBRE - PARIS
Matinale Club Entreprises
> S’inscrire : http://
clubentreprises.latribune.fr/
NOVEMBRE - PARIS
Matinale des Travaux Publics
> S’inscrire :
matinalestravauxpublics@
latribune.fr
6 NOVEMBRE - PARIS
Matinale Club Entreprises
> S’inscrire : http://
clubentreprises.latribune.fr/
30 NOVEMBRE - PARIS
6e Cérémonie des Tribune
Women’s Awards
> S’inscrire : http://www.
latribunewomensawards.fr/
I 5
4 I
L’ÉVÉNEMENT
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
Dimanche 11
janvier, à la suite
de l’assassinat
de la rédaction
de Charlie Hebdo,
les Français
se sont
ressoudés
comme jamais
depuis
la Libération :
quelque
4 millions de
personnes ont
participé aux
rassemblements,
à Paris comme
dans les
métropoles
régionales, pour
affirmer leur
adhésion totale
aux valeurs
de liberté
d’expression
et de laïcité
qui fondent
la République.
L’événement a
été salué comme
historique par les
médias du monde
entier.
© ERIC GAILLARD /
REUTERS
NATION
La France est Charlie !
Et maintenant ?
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
SE RÉINVENTER
L’esprit « Tribune » toujours debout !
T
rente ans, et même… 191 ans !
Cela se sait peu, mais le journal
que vous tenez entre les mains
est le lointain descendant du
plus ancien quotidien français, le Cours de
la Bourse et de la Banque dont le premier
numéro a été publié en 1824, deux ans
avant Le Figaro, et qui est devenu La Cote
Desfossés. La Cote, comme on l’appelait
alors, a en effet racheté en 1992 La Tribune, créée le 16 janvier 1985 à partir du
Nouveau Journal par quatre hussards de
la presse, Bruno Bertez, Philippe Labarde,
Jacques Jublin, et Jean-Michel Quatrepoint.
La Tribune de l’Économie, devenue La Tribune
de l’Expansion puis La Tribune Desfossés puis
La Tribune a toujours connu une histoire
mouvementée. Elle a vu passer tous ceux et
toutes celles qui ont compté et comptent
encore dans la presse économique. Tous,
malgré la situation structurellement fragile
du titre, ont conservé un attachement très
fort au titre et à son fameux « esprit ».
« L’esprit Tribune » qui a façonné ce journal,
mélangeait deux cultures en apparence irréconciliables : la Bourse et les marchés finan-
ciers, d’un côté, et un esprit rebelle par principe, anti-conservateur, un peu trop
« gaucho » parfois aux yeux de certains dirigeants d’entreprise ou d’agence de com’, mais
qui a toujours donné à ce journal ce « petit
quelque chose » de singulier, qui le différenciait de son concurrent Les Échos, plus
sérieux, plus institutionnel. Cet ADN particulier, qui a peut-être été à l’origine des
récurrentes difficultés financières du titre,
n’a pas empêché Bernard Arnault, le PDG de
LVMH, d’en devenir le principal actionnaire
avant de le revendre en 2007 pour racheter
Les Échos au groupe Pearson (éditeur du
Financial Times et de The
Economist).
La force de La Tribune, qui
explique sa résilience, c’est
aussi son goût pour l’innovation. Le choix très nouveau, à l’époque, de la quadrichromie, la mise
en scène de l’actualité dans un événement,
souvent transversal, qui donnait lieu chaque
matin à des débats très vifs et vivifiants dans
la rédaction, l’importance accordée à l’économie politique et à l’international, ont marqué l’histoire de ce journal. L’impertinence
du ton aussi, ainsi que le rôle de sentinelle de
sa Société des journalistes, soucieuse de
défendre les ceux-ci face à l’influence des
actionnaires, des annonceurs et des groupes
de pression.
L’esprit Tribune, c’était aussi et c’est toujours
la capacité de se réinventer, quelles que
soient les circonstances. Une qualité précieuse dans la nouvelle histoire que sont en
train d’écrire l’équipe actuelle avec les nouveaux actionnaires qui, avec Jean-Christophe
Tortora, sont venus de Toulouse pour racheter le titre en janvier 2012. Ayant renoncé par
nécessité autant que par vision du futur de la
presse à publier un quotidien papier, La Tribune a cherché un nouveau
modèle économique dont le
cœur du réacteur est numérique, avec un site Internet
puissant et un quotidien
adressé aux abonnés chaque
soir à 19 heures. Le titre n’a pas renoncé complètement à l’offre papier, désormais portée
par cet hebdomadaire.
Dans le même temps, l’ADN de La Tribune a
été adapté aux priorités de l’époque : parce
que nous avons vécu, plus rapidement que
les autres journaux, la transformation numérique, nous en avons fait l’une de nos priori-
tés éditoriales. Parce que nos actionnaires
viennent de province, nous avons décidé de
devenir le quotidien économique des principales métropoles françaises. C’est ce nouvel
ADN qui guide désormais l’avenir du journal,
avec une équipe éditoriale profondément
renouvelée, mais qui conserve la mémoire de
cette longue histoire et compte bien vivre les
trente prochaines années et même, mais cela
nous emmène un peu loin, les 200 prochaines ! ■ PHILIPPE MABILLE
Oiseau légendaire
de la mythologie
grecque,
le phénix avait
la particularité de
toujours renaître
de ses cendres,
symbolisant ainsi
la résurrection.
© FOTOLIA
DIRECTEUR ADJOINT DE LA RÉDACTION
Le pays rassemblé dimanche 11 janvier pour dénoncer l’attentat contre Charlie Hebdo offre un visage magnifique.
Son unité républicaine oblige toute la classe politique à se montrer à la hauteur de ses responsabilités. Et cette
vitalité de la société civile est un signe d’espoir qui n’est pas étranger à la bataille économique.
PAR PHILIPPE
MABILLE
@phmabille
L
a France vient de vivre en ce
début 2015 à la fois l’une des
heures les plus sombres et
l’une des plus belles de son
histoire. Après le massacre
perpétré par des terroristes contre la liberté de la
presse, le 7 janvier, qui a décimé la rédaction
du journal Charlie Hebdo et fait 17 morts et 11
blessés, le monde entier a vécu à l’heure française, au nom d’un slogan devenu symbole :
#jesuischarlie. Même si Charlie Hebdo, qui a
trouvé la force de reparaître en kiosque (avec
un tirage de 5 millions d’exemplaires !), est
étranger à toute idée de devenir un symbole,
comme l’a affirmé le dessinateur Luz, c’est
une réalité qui nous dépasse désormais tous.
On ne fait pas se déplacer 4 millions de personnes dans la rue pour défendre la liberté et
la laïcité, on ne provoque pas un mouvement
mondial qui fait la une de tous les médias, sans
de bonnes raisons. Aucun parti politique n’a
d’ailleurs osé tenter de récupérer à son profit ce qui vient de se passer au plus profond
du pays, qui montre une vitalité inattendue
de la société civile. À l’évidence, il y aura un
avant et un après Charlie. Et s’il est bien trop
tôt pour se hasarder à en analyser les conséquences, il faut se garder de tout angélisme sur
la capacité du pays à maintenir durablement
ce climat d’union sacrée, alors qu’il va devoir
se préparer à vivre durablement dans un climat d’insécurité. Une chose est sûre, néanmoins, cet événement fait désormais partie de
notre mémoire collective et pourrait changer
la France, en mieux si l’on est optimiste, ou
en pire si les terroristes parviennent à leurs
fins, c’est-à-dire à monter les Français les uns
contre les autres.
« Ce qui s’est passé dimanche 11 janvier en France
n’est pas étranger à la bataille économique », a
commenté lundi 12 janvier le ministre de
l’Économie, Emmanuel Macron, lors d’un
débat sur les réformes organisé à Bercy. Comment ne pas faire en effet le parallèle entre
ce peuple debout et le défaitisme supposé
de la population dont on dit qu’elle serait
la plus pessimiste au monde ? Comment ne
pas se demander si le réveil français affirmé
dimanche 11 janvier ne peut pas devenir une
force positive dans laquelle puiser l’énergie
de donner le coup de pied du fond de la piscine pour relever le pays ? Dans un essai publié
aux Belles Lettres fin 2014, devenu le livre de
chevet d’Alain Juppé, un jeune économiste de
27 ans, Robin Rivaton, affirme, à contre-courant de la pensée unique de bien des politiques
qu’il accuse d’être les principaux responsables
de la non-réforme, que bien au contraire, « La
France est prête » – titre de l’ouvrage –, pour
autant que les efforts soient légitimes et partagés par tous.
À La Tribune, lors d’une récente rencontre,
Robin Rivaton expliquait que selon lui, le
déclinisme avait préparé le terrain au populisme ambiant. « Il est plus facile de se convaincre
que tout va mal, car cela permet de justifier ses
propres échecs. C’est le cas d’une certaine élite
politique et économique qui prend parfois plaisir à dénigrer le pays là où il faut au contraire
le galvaniser. » La même élite qui prend ses
dispositions pour pouvoir quitter le pays au
cas où cela tournerait mal. Or, estime Rivaton, les Français ont énormément changé
ces dernières années, et sont beaucoup plus
enclins à la réforme qu’on veut nous le faire
croire. La révolution économique est avant
tout sociétale et culturelle. À preuve, le projet
de loi Macron par exemple – qui n’est certes
pas « la loi du siècle » pour paraphraser François Hollande – est soutenu par l’opinion, sur
laquelle d’ailleurs compte bien s’appuyer le
ministre de l’Économie pour vaincre les résistances, à gauche et à droite.
UN IMMENSE TRAVAIL
DE PÉDAGOGIE À ENGAGER
Le « moment Charlie » que nous connaissons peut ainsi offrir l’occasion à la classe
politique de se montrer à la hauteur de ses
responsabilités. Et de faire de 2015 une année
d’action pour mettre en œuvre les réformes
qui permettront de relever le pays. Les chantiers ne manquent pas. Outre l’économie et le
social, c’est un sursaut républicain qu’il faut au
pays. L’urgence est de rassurer les Français,
ce que le gouvernement s’est attelé à faire en
annonçant un train de mesures pour mener la
guerre contre le terrorisme, tout en promettant de ne pas agir au détriment des libertés
individuelles. Pas de Patriot Act à la française
donc, l’essentiel de l’arsenal judiciaire existe
déjà, mais des mesures ciblées de contrôle
des entrées sur le territoire et de surveillance
d’Internet et des communications. Mais le
mouvement du 11 janvier est aussi un puissant révélateur de ce qui ne fonctionne pas,
ou plus, dans notre société. Quand, dans plus
de 70 écoles de la République, des enfants
refusent de respecter la minute de silence
proposée par leurs professeurs pour les victimes d’attentats, c’est un échec qui oblige
toute l’Éducation nationale à se remettre en
cause. Quand des milliers de tweets affichent
#jesuiskouachy et que l’on recense plus d’une
cinquantaine de cas d’apologie du terrorisme,
on se dit qu’il va falloir des années pour restaurer le vivre-ensemble et la paix civile.
Les Français ont dans leur immense majorité affiché au cours de cette crise un calme
impressionnant, refusant tout amalgame
entre l’islam et le fanatisme des fous qui tuent
au nom de l’obscurantisme. On peut comprendre que les musulmans soient choqués
des caricatures du prophète Mahomet. Mais
les 6 ou 7 millions de musulmans de France
savent aussi qu’ils vivent dans un des pays
où leur liberté de culte est la mieux protégée
au monde, justement parce que le principe
fondamental de notre pays est la laïcité. Une
laïcité qui a pour contrepartie d’accepter le
droit à la satire. C’est cet immense travail de
pédagogie que va désormais devoir engager
la République. ■
À la une de notre hebdomadaire n° 114,
daté de la semaine dernière, deux
informations clés : le succès
de la French Tech à Las Vegas,
la tragédie du massacre à Charlie Hebdo.
Lundi 28 novembre 2011, la une de l’une des dernières
éditions quotidiennes de La Tribune.
L’actualité économique était marquée par l’inquiétude
sur les dettes italienne et espagnole.
C’est le mercredi
16 janvier 1985,
il y a trente ans, jour
pour jour, que naquit
notre ancêtre direct,
La Tribune
de l’économie.
Un désir, une ambition
de journalistes
qui prônaient à la fois
« Rigueur et ouverture »,
comme l’écrivit
son directeur
de la rédaction,
Philippe Labarde.
Chaque soir à 19 heures,
nos abonnés reçoivent
notre quotidien
numérique.
Chacune des dix
grandes métropoles
françaises disposera
à terme d’une édition
régionale spécifique.
I7
6I
30 VISIONS D’AVENIR
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
CROISEMENTS
« Démocratie ou non,
c’est aux musulmans
eux-mêmes de décider »
L’EXIGENCE
30 personnalités
invitent à s’ouvrir
au monde
Alain Finkielkraut, philosophe, membre
de l’Académie française. Page 7.
© DR
Alain Touraine, sociologue. Page 10.
Emmanuelle Duez, entrepreneure,
The Boson Project et WoMen’Up. Page 10.
DENIS
LAFAY
Christian Streiff, ancien président de PSA
Page 11.
DIRECTEUR
DE LA RÉDACTION
ACTEURS
DE L’ÉCONOMIE LA TRIBUNE
Henri Loyrette, président de l’Admical. Page 11.
Denis Payre, fondateur de Business Objects,
Croissance Plus, Nous citoyens. Page 12.
Jean-Marie Cavada, député européen. Page 12.
Pascal Picq, paléoanthropologue. Page 12.
DOSSIER
RÉALISÉ AVEC
François Dubet, sociologue. Page 13.
LAURENCE JAILLARD,
MAXIME HANSSEN ET
NICOLAS ROUSSEAU
Françoise Héritier, anthropologue
et ethnologue. Page 13.
Gilles Bœuf, océanographe, président
du Muséum national d’histoire naturelle. Page 14.
Patrick Viveret, philosophe. Page 14.
Gilles Kepel, géopolitologue, spécialiste
du monde arabe. Page 15.
Jean-Christophe Rufin, écrivain, membre
de l’Académie française. Page 15.
Nicolas Baverez, économiste, historien, avocat.
Page 16.
Eric de Montgolfier, ancien magistrat. Page 16.
Karim Mahmoud-Vintam, fondateur
de l’association Cités d’or. Page 16.
Boris Cyrulnik, neuropsychiatre. Page 17.
Monique Dagnaud, sociologue. Page 17.
Pascal Perrineau, politologue. Page 18.
Robert Misrahi, philosophe. Page 18.
Jean-Paul Delevoye, président du Conseil
économique, social et environnemental. Page 19.
Jérôme Colrat, président du Samu social
et directeur d’Alynéa. Page 19.
Jean Viard, sociologue. Page 20.
Mgr Philippe Barbarin, Archevêque de Lyon.
Page 20.
René Ricol, président de Ricol Lasteyrie.
Page 20.
Michel Wieviorka, sociologue. Page 21.
Laurent Alexandre, médecin, fondateur
de Doctissimo et de DNA Vision. Page 21.
T
ous à terre. Tous défaits. Tous vaincus.
Voilà l’état d’esprit
que la situation
socio-économique
et politique française,
psalmodié
par l’ensemble des médias, semble
avoir peu à peu sédimenté dans les
consciences. Tout en effet apparaît
sans perspective de revitalisation,
sans avenir, presque sépulcral. Sur cet
engrais nihiliste proliféreraient les
tares, réelles ou supposées, de l’Hexagone : peur du progrès, résistance aux
réformes, replis corporatistes, injonction bureaucratique, endogamie
des élites, nostalgie marxiste, dissuasion du risque, exacerbation des
inégalités, tentation du rejet ou de la
ségrégation… dans le sillage desquels
auraient pris racine une fossilisation
des raisonnements et un malthusianisme dévastateurs.
Cet état des lieux, fondé, fantasmé ou
instrumentalisé, La Tribune refuse d’y
souscrire. Parce qu’elle considère que
dans son périmètre de responsabilités
figurent non seulement celles d’informer, d’analyser, d’expliquer, d’éclairer
mais aussi celles de nourrir le débat,
d’explorer des voies inédites, d’aider à
construire les modèles économiques,
sociaux et politiques de demain, et
d’être actrice de la res publica.
C’est pourquoi au « Tous résignés »
elle préfère le « Tous debout ! », davantage conforme aux principes et aux
intuitions qui ont guidé sa création il y
a trente ans, jour pour jour. Trente ans
pour lesquels 30 personnalités – rassemblées dans l’ouvrage Tous debout !
ou écoutées lors du festival annuel
des idées Tout un programme, organisé
récemment à Lyon – ont accepté non
pas de revisiter le passé, mais de partager des enseignements et des combats à partir desquels elles-mêmes
sont debout et invitent le lecteur à se
mettre debout pour bâtir l’avenir.
RÉFLÉCHIR
Et vous,
qu’allez-vous bâtir ?
CÉDRIC
VILLANI
MATHÉMATICIEN,
MÉDAILLE FIELDS
2010, DIRECTEUR
DE L’INSTITUT HENRI
POINCARÉ
UNE LECTURE
DE L’ESSENTIEL
Ces 30 personnalités revendiquent des
expériences professionnelles et des trajectoires personnelles a priori très éloignées des enjeux de l’entreprise et de
l’économie. En quoi les convictions du
paléoanthropologue Pascal Picq, de
l’ethnologue Françoise Héritier, du cardinal Philippe Barbarin, du médecin Boris Cyrulnik, du romancier Jean-Christophe Rufin, du philosophe Alain
Finkielkraut seraient-elles en effet
concrètement utiles aux chefs d’entreprise ? Parce qu’elles résultent « d’aventures de vie » guidées par une double
responsabilité : celle de décider, celle
d’être architecte d’un vivre-ensemble
lézardé par la déliquescence de l’offre
politique et à la restauration duquel l’entrepreneur et l’ensemble du corps social
de l’entreprise sont appelés à contribuer.
Ces témoins partagent des préoccupations, des exigences, des aspirations
qui ont en commun d’investiguer ce
qui est essentiel, ou plus exactement
ce qui fait l’essentiel d’une existence
idéalement responsable, altruiste, empathique, généreuse, intègre, éthique
et entreprenante. Une existence qui
cherche, même modestement, un
sens, une utilité, une justification à
même de riposter au matérialisme,
au consumérisme, à l’immédiateté, à
l’individualisme qui empoisonnent la
société. Une existence autonome, affranchie des doctrines sclérosantes, fidèle au principe de réciprocité et donc
dévolue à se réaliser pour contribuer
à réaliser celle des autres : « Ce que j’ai
reçu ou subi, ce que j’ai hérité ou façonné,
peut-être peut-il profiter à d’autres »,
semble nous indiquer chacun d’eux,
dont les prises de position interrogent
tous les « verbes » de l’entreprise :
manager, risquer, innover, collaborer,
essaimer, créer, etc.
UNE HUMANITÉ
DAVANTAGE HUMAINE
Tous sont « debout » pour murmurer
ou crier leur foi, parfois subversive ou
transgressive, pour conjurer l’apathie,
pour appeler à lire le monde différemment, in fine pour inviter à se mettre
soi-même en mouvement. Bien sûr
– et heureusement ! – les lecteurs
pourront, et même devront, contester
certaines de ces réflexions, car de la
confrontation des différences jaillit la
remise en question fructueuse de soi
vis-à-vis de soi, et en elle fermente le
« bon » progrès.
« La divergence de vues est souvent
l’étincelle qui favorisera une dialectique,
provoquera l’interrogation ou renforcera la conviction », souligne d’ailleurs le
mathématicien Cédric Villani, auteur
de la préface du livre. Ainsi (r)éveillés, ainsi encouragés à être des résistants – à leurs propres démons, à
leurs propres paradoxes autant qu’à
ceux qui atrophient l’environnement
proche ou planétaire –, ainsi exhortés
à s’ouvrir au monde pour mieux le
comprendre et y prendre place autrement, les acteurs économiques, politiques, citoyens auxquels s’adresse
cette somme, peuvent-ils promettre
un autre avenir ? Celui de rêver est le
plus beau des droits… ■
« Dans ce panorama varié,
vertigineux et fascinant,
on décrypte les liens entre l’humain
et la société, entre l’humain
et son environnement,
entre l’humain et l’humain. »
impétueux, tristes ou joyeux, inquiets
ou confiants. Ils ont pris le temps de la
réflexion, en s’arrêtant, en marchant,
ou en parlant. Chacun se met en devoir
de décrire, de comprendre et d’agir…
c’est-à-dire d’ordonner le chaos,
comme aurait pu dire Henri Poincaré.
Chacun dans son champ de vision tire
les leçons de l’Histoire et fait l’inventaire du présent. Aucun ou presque ne
se risque à prédire l’avenir, mais tous
1985
GÉOPOLITOLOGUE
SPÉCIALISTE
DU MONDE ARABE
cherchent à le cerner, à en flairer les
tendances ; ils l’espèrent, le rêve ou le
redoutent. Ils s’interrogent, louent,
dénoncent, regardent et partagent.
Dans ce panorama varié, vertigineux et
fascinant, on décrypte les liens entre
l’humain et la société, entre l’humain et
son environnement, entre l’humain et
l’humain. On met de la chair humaine
sur les statistiques, sur la « technocouche », sur les règlements. Pour voir
sous la surface, on passe aux rayons X
les écosystèmes des villes, des sociétés,
des entreprises, des économies, des
savoirs, des religions, des nations… Et
l’on se demande qui préside aux destinées des humains : les humains euxmêmes, les gouvernements, les idées,
la bureaucratie, la technologie… ? On
évoque l’Europe (trop peu) et la France
(beaucoup, tant il est vrai que la nation
semble demeurer, pour le meilleur et
pour le pire, l’espace naturel des pensées politiques). La France, avec sa
personnalité si particulière, fière et
honteuse à la fois, impétueuse et statique, bien déprimée et pourtant toujours messianique, toujours au centre
du monde même si elle n’en représente
plus qu’une petite parcelle !
Certains thèmes reviennent régulièrement. Le conflit entre le temps bref de
l’action et le temps long de la réflexion,
le temps fugitif de la catastrophe et le
temps immense de la réparation. Le
nécessaire métissage des talents et des
institutions. Et l’éducation, l’éducation,
l’éducation… Mais quelle éducation ?
Comment donner l’envie, favoriser la
qualité, préserver la culture ? Comment
armer et épanouir les individus ? Comment apprendre à résister et à s’adapter ?
Cette trentaine de personnalités interroge des enjeux fondamentaux. Où est
le devoir, où est la marge de progrès ? Où
est la frontière entre audace et irresponsabilité ? Faut-il lutter contre la vague ou
glisser sur elle ? Ces questions qui bousculent et font grandir, leurs réflexions,
leurs batailles, leurs espérances contribuent à les explorer. Elles interpellent
également directement les lecteurs : et
vous, qu’allez-vous bâtir ? » ■
1986
L’Espagne et le Portugal entrent dans la CEE.
Signature du traité franco-britannique pour
la construction du tunnel sous la Manche.
À Londres, c’est le « big bang » des marchés
financiers dans la City. Jacques Delors lance
l’Acte unique européen qui prépare le Marché unique
de 1993. En France, Jacques Chirac privatise à tout-va
et abandonne le contrôle des prix et l’encadrement
du crédit. L’événement de l’année est l’explosion
de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en URSS, le 26 avril.
L
«
e « monde arabe », je l’aime autant que toujours et plus
que jamais. Dans ma « passion arabe » sont concentrés
l’extraordinaire enthousiasme de l’amour, mais aussi
la dimension christique que l’on rebaptise souffrance.
Cette ambivalence émotionnelle, chaque événement
révolutionnaire, depuis 2011, la nourrit : aux heurts, aux massacres, aux
désespérances répondent la conquête de nouveaux droits, l’aspiration à
vivre autrement, la volonté de récupérer une liberté d’expression, de création, qui avait été confisquée depuis plusieurs décennies par les régimes
despotiques issus de l’indépendance, et/ou maltraitée par les prédications des religieux radicaux. Bien sûr, le chemin vers cet affranchissement
est nécessairement tortueux et chaotique, mais connaît-on des métamorphoses d’une telle ampleur qui se soient déroulées de manière linéaire ?
Malgré les tribulations, parfois dramatiques, qui traversent ces sociétés,
malgré les obstacles sociaux, religieux, économiques, géopolitiques, belliqueux qui ne manque(ro)nt pas d’entraver la mutation, rien ne devrait
arrêter la marche en avant vers l’accomplissement du plus précieux des
biens : la liberté. L’histoire est en train de se produire : laissons-lui le
temps de se réaliser. Certes, rien n’est stable. Toutefois, la dialectique de
la liberté apparaît commune à ces « révolutions » et dès lors, l’ampleur
historique de ce mouvement peut être comparée à celle du bouleversement dit Nahda, qui vit le jour au xixe siècle. Il signifiait la renaissance du
monde arabe, le passage de ce dernier vers une « modernité » exprimée
sur les plans littéraire, culturel, politique, et religieux. Passage ou plutôt
tentative avortée de passage, car in fine les épousailles du Levant et du
Maghreb, de la tradition arabe et de la modernité européenne, accouchèrent non de sociétés démocratiques mais de captures coloniales puis,
après l’indépendance, de régimes autoritaires ou despotiques. Les révolutions auxquelles nous assistons semblent accomplir, un siècle et demi
plus tard, l’aspiration originelle de cette renaissance.
Pour autant, il appartient aux musulmans de décider de la correspondance de leur religion avec la démocratie. D’autant plus qu’en la matière,
les interprétations sont multiples, et même antagoniques. Certains
considèrent la démocratie consubstantielle à leur identité, d’autres, oulémas saoudiens, islamistes ou radicaux, jugent au contraire la démocratie absolument inconcevable ; à leurs yeux, elle incarne en effet l’impiété
et le sacrilège absolus puisqu’elle octroie au demos – le peuple constitué
et donc faillible – d’être souverain, et donc de pouvoir contredire par la
majorité populaire ce que les textes sacrés dictent.
L’Occident est écartelé entre deux maladies intellectuellement transmissibles en provenance des États-Unis : le modèle américain va triompher ;
les pays arabes et musulmans doivent se rallier à la démocratie telle
qu’il l’a édictée. La manière extraordinairement puérile et binaire dont
l’examen des révolutions depuis 2011 a fait l’objet en témoigne : les filles
devaient défiler dans la rue armées de leurs smartphones et tablettes
symbolisant le matérialisme occidental et l’émancipation, la population
devait manifester en anglais, les « barbus » devaient avoir disparu, la
démocratie et les partis républicains devaient s’imposer naturellement…
Puis, à la métaphore inepte du « printemps victorieux » s’est substituée
celle, tout aussi inappropriée, de « l’hiver islamiste ». Avant que ne surgisse le concept de « choc des civilisations » et que ne domine le constat
que « finalement, ces pauvres pays arabes ne seront jamais que hijab, dictatures, islamisme, terrorisme »…
Le monde musulman n’est plus uniforme, il n’est plus isolé ou
recroquevillé. La prolifération des outils de communication l’a
désenclavé, et l’inonde d’informations et d’images occidentales.
Les populations sont au croisement d’un mouvement antagonique : une verticalité issue de la culture locale et de l’héritage traditionnel, et une horizontalité née de l’ouverture irréversible
au monde. Notamment les jeunes, ces populations sont désormais citoyennes du monde mondialisé. Les nouveaux maîtres
du monde des jeunes Maghrébins ne sont plus la France ou
les États-Unis, mais Qatar ou Dubaï, où l’on parle arabe et est
musulman. Cette réalité, l’Occident en général et la France en particulier doivent l’accepter. » ■
« Dans le monde arabe, rien ne devrait arrêter
la marche en avant vers la liberté. L’histoire est en train
de se produire : laissons-lui le temps de se réaliser. »
▼
© STF
© REUTERS
© DR
© VLADIMIR RODIONOV
▼
Début de la crise des caisses d’épargne aux
États-Unis, plombées par des investissements
dans les « obligations pourries ». La France
lance sa première émission d’obligations
assimilables du Trésor, outil de modernisation
de la dette de l’État, qui ne fera que grossir. En septembre,
aux Accords du Plaza (New York), les pays du G7 s’entendent
pour intervenir sur le marché des changes et organiser
un repli du dollar. Mikhaïl Gorbatchev devient le secrétaire
général du parti communiste de l’Union soviétique.
Q
«
u’est-ce que je
fous là ? Cette
question, on
se la pose tous
un jour ou
l’autre, dans
ce
monde
« de bruit et de fureur » si multiple, si
pressé, parcouru d’ouragans économiques, technologiques, sociaux et
écologiques ; un monde où, semble-t-il,
plus personne ne contrôle grand-chose,
et où l’on a du mal à regarder l’avenir
en face. Comment penser posément
à son avenir quand on se sent menacé
de dépassement, d’obsolescence, voire
d’extinction ? Si l’on fixe la vague, on
reste hypnotisé et l’on se fait engloutir par le raz-de-marée. Mieux vaut se
retourner vers ses semblables, chercher
de l’aide, chercher ensemble le moyen
d’échapper à la vague. Et avant tout,
trouver le temps de réfléchir, même s’il
faut agir vite.
Ici réunis, les philosophes, écrivains,
scientifiques, sociologues, historiens,
politiques, mais aussi dirigeants ou
créateurs d’entreprise, responsables
associatifs, explorateurs… et tous humanistes à leur façon, sont réfléchis ou
GILLES
KEPEL
ILLUSTRATIONS : FRANÇOISE EYRAUD - VIC
Alain Minc, financier et essayiste. Pages 8-9.
Plus de 3,3 
millions de citoyens
debout, dans les villes de France
dimanche 11 janvier, pour crier silencieusement bien plus que leur douleur : leur rejet de la résignation, du
défaitisme, de l’immobilisme, et surtout leur foi, leur détermination, leur
espérance. À l’occasion de ses 30 ans,
La Tribune publie un numéro spécial qui fait écho à cette inoubliable
mobilisation. Trente personnalités,
entrepreneurs ou sociologues, philosophes ou scientifiques, écrivains
ou historiens, médecins ou théologiens, patrons ou ethnologues, partagent bien plus que des diagnostics
sur l’état de la société française : des
raisons de se mettre debout et d’entreprendre dans l’exigence d’une responsabilité renouvelée.
▼
© REUTERS
Cédric Villani, mathématicien, médaille Fields
2010, directeur de l’Institut Poincaré. Page 7.
© © YOUSSEF BOUDLAL / REUTERS
En 2015… TOUS DEBOUT !
1987
Le 22 février, les pays du G7 signent à Paris
les accords du Louvre, pour enrayer la baisse
du dollar. L’Acte unique européen entre
en vigueur le 1er juillet pour aboutir, avant fin
1992, à un « espace sans frontières intérieures dans lequel la
libre circulation des marchandises, des personnes, des services
et des capitaux est assurée ». Deux mois après la nomination
d’Alan Greenspan à la tête de la « Fed », un krach fait plonger
le 19 octobre 1987 l’ensemble des Bourses mondiales.
I9
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
LIGNES DE FRONT
Raymond Barre et Michel Rocard, qui ne furent pas les pires Premiers ministres
de ce pays, ont gouverné à coup de 49-3, et au moins les réformes avançaient…
Alain Minc, consultant et essayiste, auteur de Le mal français n’est plus ce qu’il était (Grasset)
« Le vrai danger, une alliance entre
le populisme et le communautarisme »
I
«
maginez la tête de la France si en décembre aux régionales, le
Front national remporte deux régions ». Alain Minc décrypte
dans son dernier essai, Le mal français n’est plus ce qu’il était,
les futurs possibles pour une société dominée par des « individus-atomes » à l’heure d’Internet et de la mondialisation.
Le risque principal est de sombrer dans une dérive populiste.
Malgré tout, l’essayiste et homme d’affaires reste optimiste.
La France n’est pas si loin de s’en sortir, si elle mène les réformes nécessaires.
Et affirme le besoin urgent d’une nouvelle utopie européenne pour redonner du
sens à la politique. Selon lui, Alain Juppé est le mieux placé pour emporter la
présidentielle en 2017. Son inquiétude : un deuxième tour François HollandeMarine Le Pen, qui serait selon lui un scénario aventureux et trop incertain.
LA TRIBUNE – Ressentez-vous de la fierté après avoir observé
la mobilisation de la société française après l’attentat contre Charlie
Hebdo ? Et comment répondre à cette nouvelle menace terroriste ?
ALAIN MINC – Jacques Julliard a employé un mot qui me va bien en qualifiant
de « mai 1968 positif » le mouvement spontané né autour du slogan #jesuischarlie
qui a rappelé dans le monde entier la force des valeurs de tolérance et de liberté
qui ont fait se lever la société française. La classe politique a fait preuve de responsabilité en s’abstenant de tout amalgame entre le fanatisme islamiste et la
religion musulmane, y compris le Front national. Ce qui s’est passé est extrêmement rassurant sur la vitalité de la démocratie en France
dont la société civile n’est pas avachie, contrairement à ce
que certains disent, et sait se mobiliser et se rassembler
dans les moments de crise.
Pour autant, une fois passée la satisfaction ressentie par
tous devant la force de la République, il faut désormais
répondre à quelques questions cruciales pour nous prémunir contre la répétition de tels événements. Comment
changer la politique pénitentiaire pour que nos prisons ne
deviennent pas le chaudron du fanatisme intégriste que
l’on sait ? Cela veut dire plus d’argent afin que les prisonniers aient des cellules individuelles et ne soient pas endoctrinés pendant leur détention. Deuxièmement, si l’on
veut éviter que nos jeunes soient à la merci d’imams salafistes, nous devons nous demander s’il ne faut pas créer
des écoles coraniques contrôlées par la République. Et par
conséquent suspendre, au moins provisoirement, la loi de
1905 pour la religion musulmane.
Les années en « 15 » marquent souvent l’entrée dans
le siècle. De ce point de vue, comment voyez-vous 2015 ? Marignan ou
Waterloo ? Renaissance ou désastre ?
Pour la France, 2015 sera une année encore très médiocre sur le plan économique
et extrêmement aléatoire sur le plan politique. Médiocre pour l’économie parce
que malgré les espoirs nourris en haut lieu avec la chute des prix du pétrole et de
l’euro, qui offrent des facteurs exogènes propices à une reprise de l’activité dans
le monde, le bateau France a été mis dans une position de fragilité telle qu’il n’en
profitera que modestement. S’il y a du vent, il ne soufflera pas assez fort dans
nos voiles.
Politiquement, ce sera une année très aléatoire, car nous sommes dépendants
d’un scénario de l’apocalypse, selon moi. Vous imaginez la tête de la France si en
décembre, aux régionales, le Front national remporte deux régions, le Nord-Pasde-Calais pour Marine le Pen et Paca pour son père… Est-ce que le FN va continuer son implantation locale ? Voilà le risque vers lequel nous mène le populisme.
Avant même tout scénario de ce genre en France, vous imaginez la tête
de l’Europe si Syrisa en Grèce et Podemos en Espagne emportent
les élections générales sur un front anti-austérité, voire anti-euro…
Les deux situations que vous évoquez ne sont pas du tout de même nature. En
Espagne, les efforts ont porté leurs fruits et Podemos, même si son score est
significatif, n’empêchera pas les partis de gouvernement de serrer les rangs pour
ne pas ruiner le travail qui a permis de remettre le pays sur de bons rails. La
Grèce, c’est autre chose. Angela Merkel a bien raison de mettre la pression sur
ce pay, car le risque d’une sortie de la zone euro – bien que je ne la souhaite
Cela montre aussi que les peuples européens ne veulent plus
de l’austérité…
Mais tout le monde aujourd’hui est contre, l’austérité. En France, ce n’est pas
faire une politique d’austérité quand on affiche un déficit supérieur à 4 % du PIB
et que la hausse des salaires dépasse celle de l’inflation ! L’Allemagne est le seul
pays en Europe à faire encore de l’austérité budgétaire, en s’imposant d’être
en excédent. Et elle le compense par un plus grand laxisme salarial, ce dont il
faut se réjouir. Avec plus de 5 % de hausse des salaires dans le privé sur dix-huit
mois, selon les derniers accords, l’Allemagne relance sa demande intérieure et
sa consommation, ce qui profitera à tous. L’Europe a réagi au message d’une
extrême violence que lui ont adressé les marchés financiers ; le risque était celui
d’une explosion du système et si cela s’était produit, l’austérité aurait été d’une
tout autre ampleur que celle que nous avons connue.
Valls et Macron, ce sont pourtant des sociaux-libéraux ?
Oui, mais les chambellans, grands et petits, ne sont pas le roi dans un régime qui
demeure d’essence monarchique !
Et c’est beaucoup demander à un François Hollande qui est déjà entré en
campagne pour sa réélection… Vous croyez sa victoire possible, en 2017 ?
On ne peut pas souhaiter à ce pays un deuxième tour entre François Hollande
et Marine Le Pen, car je crains que ce pari ne soit risqué. C’est peut-être injuste
à l’égard de François Hollande, mais c’est ainsi. Le résultat serait plus incertain
qu’un second tour entre le candidat de la droite et celle du Front national. Il y a
deux cas de figure pour l’échéance de 2017 : soit c’est Alain Juppé qui emporte
des primaires très ouvertes à droite, et alors il n’y aura pas de candidat du centre,
ce qui assurera son élection, car de nombreux déçus de François Hollande voteront Juppé. Soit Sarkozy sort vainqueur des primaires, mais alors il est très probable que François Bayrou se présentera, ce qui est le scénario rêvé de François
Hollande, qui peut ainsi espérer accéder au second tour. Mais, avec le risque pour
le pays d’une arrivée au pouvoir de Marine Le Pen. Les conditions politiques sont
donc très favorables pour un « moment Juppé », seul candidat de la droite dont
on est certain qu’il barrera l’accès au pouvoir du Front National, dans une sorte
d’union sacrée.
Dans votre livre, vous décrivez trois scénarios pour le futur,
dans un monde devenu hyperindividualiste à l’heure d’Internet
et de la mondialisation. Quels sont-ils ?
Dans le premier futur possible, les « individus-atomes » sont à la société ce que
les acteurs économiques sont au marché : des rouages
inconscients d’une réalité qui les dépasse. Dans cette société, relativement stable, l’État parvient à cantonner les
soubresauts sociaux. C’est un scénario du statu quo, le plus
probable, mais médiocre, où les individus-atomes s’isolent
de plus en plus, mais sans que rien de véritablement subversif ne se passe. Les libertés et l’économie de marché
parviennent cahin-caha à se perpétuer, dans une atmosphère poisseuse et déprimée. C’est un peu la situation que
nous traversons.
Le deuxième futur est plus violent : une alliance se produit entre le populisme et le communautarisme, de façon
moins caricaturale que celle développée par Houllebecq
dans son dernier livre, Soumission, mais avec pour conséquence la subversion du système politique, l’éclatement de
l’Europe, de sa monnaie et de ses libertés. Un régime autoritaire, proche de celui de la Russie poutinienne se met en
place et instaure un nouveau corporatisme.
La troisième hypothèse est plus optimiste : la société d’individus-atomes parvient à accoucher d’un nouveau contrat
social, dont nous voyons les prémices, encore balbutiantes, dans le développement d’une économie d’entrepreneurs et de start-up, nouvelle cellule de base
de la société, ou dans l’émergence de nouvelles formes de solidarités dans une
société du care et du partage. Celle-ci ne se veut pas une contre-société politique,
à la façon des « baba cool » des années 1970, mais promeut un usage intelligent
des nouvelles technologies.
Mon intuition, c’est que la société se reconstituera par la base, au plus proche du
terrain. Mais il y a encore un long chemin avant de parler de nouveau contrat social. La loi Macron va un peu dans ce sens, en ce qu’elle veut laisser plus d’espace
à l’initiative individuelle et à la liberté, mais elle se heurte à de fortes résistances.
Encore faut-il que François Hollande soit en condition de se présenter…
On ne peut pas l’exclure, car c’est un combattant politique expérimenté et il n’a
pas vraiment de compétiteur dans son camp. Ni Aubry, ni Valls ne se présenteront contre lui aux primaires s’il y en a à gauche. Et je suis bien certain que
Hollande l’emporterait facilement face à Montebourg. Encore une fois, la seule
question politique pour la présidentielle de 2017, c’est de savoir s’il y aura ou
non François Bayrou au premier tour. C’est la principale force politique d’Alain
Juppé : il est le seul candidat susceptible de rassembler les droites et d’être élu
par des voix de gauche !
C’est faire fi des évolutions que vous décrivez sur l’individualisation
de la société : les individus-atomes se détournent de plus en plus
de la politique, ce qui crée une grande incertitude, celle du niveau
de l’abstention, voire des capacités de mobilisations nouvelles, via
les réseaux sociaux. En Espagne, c’est la grande force de Podemos…
Dans l’atomisation liée au développement des nouveaux usages du Net, ce qui
me frappe le plus, ce n’est pas tant que les gens sont de plus en plus isolés : c’est
surtout que les communautés qui se créent sont en réalité très fugitives. C’est
très nouveau. L’individualisation est un phénomène général observé dans tout
l’Occident depuis le milieu des années 1970 et qui n’a fait que se renforcer depuis. Internet accélère ce phénomène,
mais en créant un être en société dont
« L’utopie européenne est
les liens sont fugaces et volatils. Regarune solution pour redonner du sens dez par exemple cette mobilisation en
à la politique, mais elle est trop mal faveur du bijoutier qui avait tiré sur son
à Nice : où sont passées les
en point, essentiellement à cause de agresseur
2 millions de personnes qui l’avaient
l’extrême lâcheté de nos dirigeants. » soutenu ? Elles se sont évanouies.
Avant, les forces sociales avaient des
ancrages plus durables. Cela ne semble
plus le cas. Tout cela fabrique une société stable, justement parce que ses mobilisations sont fugitives, mais sans projet : les individus-atomes y gèrent leur
propre avenir et adhèrent à un minimum de règles communes, mais sans utopies.
C’est le propre du populisme, qui ne repose que sur le rejet – rejet des élites,
de l’autorité, des autres –, et ne construit rien. On voit cela partout. Regardez
le Danemark, l’un des pays les plus stables économiquement et politiquement,
doté d’un fort consensus social : voilà un pays où il n’y a que peu de chômage,
Une opposition duale, de gauche et écologique
d’un côté, de droite et en défense des rentiers,
de l’autre. C’est un peu paradoxal ?
Pas tant que cela. Ces deux résistances sont tout aussi absurdes. La gauche se
ridiculise en voyant un changement de société dans le fait d’ouvrir la possibilité
de travailler douze dimanches au lieu de cinq. Et les écolos avec Cécile Duflot
ne se grandissent pas en portant un message de décroissance au nom de motifs
politiciens qui rappellent le jeu des partis aux pires heures de la IVe République.
Quant à la droite, elle se fourvoie complètement dans une opposition frontale à
un texte dont toute personne sensée ne peut que dire qu’il va dans le bon sens,
même s’il ne va pas assez loin. J’espère que la raison l’emportera ou bien qu’il
n’y aura tout simplement pas de vote, parce que le gouvernement choisira d’utiliser cette arme tombée en quenouille qu’est le 49-3, imposant un vote bloqué.
▼
© STR OLD / REUTERS
© ARAP - FOTOLIA
1988
N’exagérons rien. François Mitterrand nous a débarrassés du communisme. Par
parallélisme, François Hollande est en train de nous débarrasser du socialisme.
C’est bien, mais il n’est pas et ne sera pas le Schröder français. D’abord parce qu’il
n’a pas la majorité politique pour aller au bout de sa démarche, mais aussi, plus
fondamentalement, parce que ce président est sincèrement social-démocrate
là où il faudrait qu’il soit social-libéral. Pour faire les quelques réformes dont
le pays a besoin, pas besoin de faire du Thatcher, mais au moins, faisons aussi
bien que Schröder. Ce sont des réformes que l’État doit assumer parce qu’on ne
peut pas demander à des syndicats, par ailleurs mal en point, de les assumer. Il
faut réformer les retraites en augmentant l’âge légal en fonction de l’espérance
de vie, faire la TVA sociale et sortir définitivement des 35 heures en supprimant
corrélativement les aides aux entreprises. Le seul domaine où il faudrait être
thatchérien, c’est dans la politique du logement, qui a besoin d’un grand coup
de balai libéral.
pas –, n’est plus le même qu’il y a deux ans. L’Union bancaire a permis au système
financier de se désensibiliser au risque de « Grexit », qui ne serait pas une catastrophe pour les pays périphériques.
▼
Le 15 juin, la Bourse de Paris
lance l’indice CAC 40
représentatif des actions
cotées en continu à Paris
sur le premier marché
(avec une valeur de 1 000 points calculée
rétroactivement au 31/12/1987). En juillet, sont signés
les accords de Bâle sur les fonds propres
bancaires (ratio Cooke) pour tenter de réguler
le secteur financier et d’encadrer la prise de risque.
Finalement, François Hollande apparaît-il à vos yeux comme
le réformateur de gauche dont la France avait besoin ?
Même The Economist reconnaît qu’entre le pacte de responsabilité et la
loi Macron, aucun gouvernement français n’était allé aussi loin…
1989
Le plan Brady de restructuration de la dette
des pays en voie de développement
en défaut de paiement est signé en mars.
Le 23 mars, le naufrage du pétrolier Exxon
Valdez en Alaska éveille la conscience
écologique. C’est l’apogée de la crise des junk bonds
aux États-Unis. Le 9 novembre, c’est la chute du Mur de Berlin,
prélude de l’effondrement du bloc communiste. Fin décembre,
la Bourse japonaise atteint son plus haut historique
à 38 957,44 pour l’indice Nikkei, qu’il ne retrouvera jamais.
dont les habitants se disent heureux, et qui pourtant fait sortir en tête aux élections européennes un parti d’extrême droite qui n’a rien à envier à notre Front
national ! Toute l’Europe semble figée dans une sorte de peur, dont l’immigré est
devenu la figure emblématique, mais n’est pas la seule incarnation : c’est aussi un
questionnement plus large, sur l’identité de chacun dans un monde en mutation.
La réponse pourtant, dites-vous, ce serait de réinventer une utopie…
Oui, l’utopie européenne est une solution pour redonner du sens à la politique,
mais elle est trop mal en point, essentiellement à cause de l’extrême lâcheté de
nos dirigeants et de la classe politique, devenue incapable de la défendre. Une
Europe qui a une politique agricole commune mais se montre incapable de définir une politique énergétique ou une politique d’immigration commune ne peut
pas faire rêver les gens. Il faut donc une nouvelle génération, à l’image de l’italien
Matteo Renzi, qui est la chance de l’Italie, un pays qui est aux premières loges
face à ces vagues de migrants clandestins chassés de chez eux par la guerre et la
misère. J’attends, sans grand espoir pour l’instant, le moment où une nouvelle
génération de politiques dira la vérité, que l’Europe est notre seule chance et
notre seule bonne réponse aux défis du monde dans lequel nous vivons. Autant
François Hollande a une bonne politique internationale, autant sa politique européenne est vraiment nulle, pour quelqu’un qui se voulait l’héritier de Jacques
Delors. C’est la trace profonde du traumatisme du non au référendum européen
de 2005. S’il manifestait la même énergie et le même courage pour l’Europe
que pour la Syrie ou le Mali, on n’en serait pas là. Car, c’est clair, il n’y a pas de
construction européenne solide sans une France tonique et inventive.
De toutes les menaces qui agitent le monde actuel, laquelle vous semble
la plus dangereuse ?
Les tensions au Proche Orient sans aucun doute. À mon sens, on ne pourra pas
stabiliser une situation de plus en plus explosive sans faire vis-à-vis de l’Iran ce
que Nixon et Kissinger ont fait il y a quarante-cinq ans à l’égard de la Chine Populaire. Un accord sur le nucléaire iranien et la réintégration de Téhéran dans le jeu
international comme un chef de file régional est le seul moyen de mettre fin au
chaos actuel qui voit disparaître les frontières de 1916 et la prolifération de l’extrémisme sunnite. Si vous regardez cette région, trois pays joueront un rôle clé :
les États-Unis, l’Iran et Israël. Concernant celui-ci, espérons que les élections qui
s’y dérouleront en mars seront moins caricaturales qu’annoncé. Israël doit faire
les concessions de pur bornage qui pourront ramener la paix en Palestine et ainsi
débloquer le jeu diplomatique avec l’Iran.
Et sur le plan technologique, quelle est la menace principale ? Google
ou l’intelligence artificielle ?
Le sujet Google est devenu un enjeu mondial. Jamais une entreprise n’a posé
aux États un défi aussi important, parce qu’elle se joue des frontières, des
règles, notamment fiscales, et pose des problèmes majeurs en termes de respect de la vie privée. Face à une entreprise globale, il ne peut y avoir qu’une réponse globale. L’Europe a un rôle à jouer, car le gouvernement Obama est dans
la main de la Silicon Valley, et de Google en particulier qui a remplacé Goldman Sachs dans l’influence politique à Washington. L’impulsion vient d’Allemagne, car Angela Merkel a été traumatisée par l’affaire Snowden et parce que
la France, qui aurait pu être à la pointe de ce néogaullisme numérique, est dans
ce domaine aux abonnés absents, la plupart de ses hommes politiques étant
en dehors de l’ère numérique. Pour un Hollande ou un Sarkozy, envoyer des
SMS est le maximum de la technologie ! C’est un peu court dans un monde qui
avance vers l’intelligence artificielle. ■
▼
© ROBERT JAEGER / AFP
PROPOS
RECUEILLIS
PAR PHILIPPE
MABILLE
© EMMANUEL DUNAND
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
1990
Le 13 février, à New York, la banque
d’investissement Drexel, Burnham,
Lambert fait faillite, vingt-huit ans
avant Lehman Brothers. Le 1er juillet,
la libre circulation des capitaux devient
effective dans la CEE et l’union économique
et monétaire entre la République démocratique
allemande et la République fédérale d’Allemagne entre
en vigueur. Le 2 août : l’Irak envahit le Koweït. Un bref
choc pétrolier provoque une récession aux États-Unis.
▼
© PAISAN191
8I
30 VISIONS D’AVENIR
1991
En avril, l’Argentine, pour lutter contre
l’hyperinflation qui dépasse 3 000 %, instaure
le Plan de convertibilité avec une parité fixe
peso/dollar. La Banque d’Angleterre ferme
la Bank of Credit and Commerce International
(BCCI) pour diverses fraudes et activités criminelles.
Le 5 novembre, mort mystérieuse en mer de Robert Maxwell,
dont on découvre qu’il avait détourné les avoirs des fonds
de retraite de ses employés pour soutenir artificiellement
les cours des actions de ses entreprises.
I 11
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
BONHEUR
RUPTURES
« L’individu,
reconnu sujet,
permettra de
regarder l’avenir
autrement »
ENTREPRENEURE,
THE BOSON PROJECT
ET WOMEN’UP
CHRISTIAN
STREIFF
ANCIEN PRÉSIDENT
DE PSA
A
«
vec mon AVC, j’ai
découvert ou redécouvert, appris ou
réappris,
éprouvé
ou rééprouvé des
moments et des opportunités exceptionnels, de ceux qui « font » une existence riche et simple. Sur les 1 500 km
du sentier de grande randonnée 5 que
j’ai arpentés seul, j’ai retrouvé le plaisir
de marcher, de réfléchir, de humer l’air,
d’être libre, d’être à la rencontre, ou plutôt en rencontre autant de la nature que
des femmes et des hommes. Dans cette
« Mésestimer l’essentiel
de ce qui “fait la vie” appauvrit
indiscutablement l’exercice
de la responsabilité de patron. »
« nouvelle vie », j’ai pris le temps de lire
l’œuvre, en allemand, de Stefan Zweig,
qui patientait sur mes étagères depuis
vingt ans. La traversée du Pacifique à
la voile, je l’ai effectuée avec trois amis,
totalement isolés du monde pendant
un mois. Tout cela constitua un voyage
initiatique au fond de moi-même. J’ai
aussi redécouvert la durée d’un trajet, les
lignes et les stations de métro, les voyageurs avec lesquels on échange parfois
– au lieu des prises en charge incessantes,
millimétrées, en voiture avec chauffeur
ou en avion privé. Le journal que l’on
achète au coin de la rue et que l’on ouvre
avec plaisir – au lieu de l’épaisse revue
de presse survolée chaque matin. Ou
encore le moment merveilleux où on résout un sudoku sans avoir l’impression,
coupable, de voler ce moment !
Ma vie s’est ouverte. Ou plus exactement une partie de ma vie, jusqu’alors
claquemurée par les injonctions professionnelles, s’est rouverte. Ce plaisir
est si grand qu’aujourd’hui aucune tentation ne serait suffisamment puissante
« Il faut aider l’entreprise à devenir un lieu de “kiffe”. »
1993
Édouard Balladur lance la deuxième vague
des privatisations qui concerne
une vingtaine d’entreprises qu’il tente
de protéger par des « noyaux durs ».
Une nouvelle attaque contre le franc réussit
pendant l’été et pour décourager les spéculateurs, les marges
de fluctuation au sein du SME sont élargies. Le 8 novembre,
Jean-Yves Haberer, patron du Crédit lyonnais, est forcé
de quitter son poste, alors que la banque est déjà – bien que
cela ne soit pas apparent dans ses comptes – en quasi-faillite.
« L’art ? Un produit
de première nécessité »
HENRI
LOYRETTE
PRÉSIDENT
DE L’ADMICAL
pour m’en détourner. Le bonheur d’être
aux côtés de ses enfants – surtout après
avoir perdu, momentanément, le souvenir de leurs prénoms – n’a pas de prix,
car on saisit dans ces moments privilégiés de partage le regret d’avoir été
si absent pendant leur enfance et leur
adolescence. La joie de se savoir utile
auprès des jeunes entrepreneurs que
j’accompagne désormais et auxquels je
« donne » trente années d’expérience,
n’a guère d’équivalent dans la besace des
satisfactions professionnelles.
J’ai une préoccupation nouvelle pour la
fragilité et la défaillance humaines : mon
attention aux problématiques managériales de rupture, d’adaptation, de résistance, de souffrance est plus grande,
et j’ai appris à rééquilibrer les critères
d’examen de la performance humaine.
Je ne suis plus dupe de la considération
des autres pour ce que l’on est véritablement à leurs yeux, en réalité reléguée
derrière ce que l’on incarne et ce que l’on
représente en termes d’influence et de
pouvoir. J’ai découvert au fond de moi
une empathie, une générosité, la volonté
de reconnaître le travail des autres que
je pensais jusqu’alors légère. Enfin, j’ai
appris à distinguer les valeurs des temps,
c’est-à-dire ce qui « fait » temps libre et
pauvre, temps utile et altruiste, temps
vain et fructueux, temps coupable et
important, temps secondaire et perdu…
Les temps de discuter, de manger, de
se promener, de lire, de rire, d’aller au
cinéma, d’aider, etc., sont des temps
qui ont le goût de paradis. Et bien sûr,
je considère désormais d’un œil autrement éclairé ce que doit être le « temps
de travail », y compris chez les grands
dirigeants. Le temps consacré à dormir,
le pire pour un patron, n’est-il pas luimême crucial ?
Bref, ces années consacrées à me réparer et à renaître, ce lent, incertain et
cahoteux parcours du combattant, ces
« leçons de vie » m’ont fait prendre
conscience que mésestimer l’essentiel
de ce qui « constitue (la) vie » appauvrit indiscutablement l’exercice de la
responsabilité de patron, qu’il n’y a de
réussite que grâce aux autres. Ces autres
auxquels on consacre le temps le plus
beau, le plus déterminant, le plus riche
– et d’ailleurs donner et rendre se sont
imposés à la manière dont je conduis
désormais mon existence. Je sais qu’être
un grand patron ne signifie pas être un
grand homme ; mais je sais également,
pour toutes ces raisons, que je ne suis
pas devenu seulement un autre homme,
mais aussi un autre patron. « Seul l’arbre
qui a subi les assauts du vent est vraiment vigoureux, car c’est dans cette
lutte que les racines, mises à l’épreuve,
se fortifient », écrivit Sénèque. » ■
1994
Entrée en vigueur de l’Alena (Accord
de libre-échange nord-américain)
entre les États-Unis, le Mexique
et le Canada. Signature le 15 avril
de l’accord de Marrakech qui fonde
l’Organisation mondiale du commerce (OMC)
qui succède au Gatt. Le 19 mai, ouverture du tunnel
sous la Manche. Netscape Navigator, premier
navigateur Internet grand public, est lancé
en décembre. Début de la crise mexicaine.
A
«
u déclin progressif des subventions publiques
s’est substituée une formidable montée en puissance d’instruments alternatifs, notamment du
mécénat privé, qui a compensé l’érosion. Il y a une
vingtaine d’années, lorsque la manne de l’État suffisait à contenter tout le monde, le mécénat était considéré comme
une intrusion inadmissible de la sphère privée dans le domaine public. Certes, les attaques portées contre ces dispositifs demeurent.
Mais heureusement, les mentalités ont considérablement évolué. Le
mécène n’est plus jugé comme un opportuniste fiscal, mais comme
un donateur généreux, précieux, et même capital pour continuer de
faire vivre des actions sociales, environnementales, éducationnelles,
ou culturelles indispensables au territoire.
Cette évolution, qui concerne jusqu’aux salariés des établissements
culturels, a été rendue possible parce que l’État l’a favorisée grâce à des
discours et à des prises de position explicites, et parce que les directions
des établissements ont fait preuve de toute la rigueur nécessaire pour
encadrer déontologiquement cet apport complémentaire. Dans les années 1990, les musées étaient impuissants dans le domaine des acquisitions et assistaient à une véritable hémorragie du patrimoine. Dans le
domaine de la peinture impressionniste, il devenait de plus en plus difficile de faire face à une inflation vertigineuse et spéculative des prix de
vente. Sans la loi Aillagon, aucun musée français n’aurait pu poursuivre
sa politique d’acquisition des trésors nationaux.
Après les grandes entreprises, et particulièrement celles du CAC 40, les
plus à même d’investir ou de créer une fondation, le travail de promotion du mécénat doit se porter sur les PME et les ETI. Elles constituent
un potentiel considérable et donc un relais de croissance, et on peut y
élaborer des actions singulières et extrêmement utiles. En effet, parce
qu’elles sont davantage ancrées dans leur territoire, plus en lien avec
le tissu socio-économique local, fortement portées par la personnalité
d’un patron identifiable et stable, enfin rapportées à une proximité non
seulement géographique mais aussi managériale et humaine, ce qu’on
peut y bâtir en matière de mécénat peut rayonner dans, comme autour
de l’établissement. Notamment avec les salariés, que l’on associe plus
aisément et rend acteurs des initiatives. La pérennisation du mécénat
dans sa globalité, comme à l’échelle de l’entreprise, est d’ailleurs en
grande partie conditionnée à la capacité offerte aux collaborateurs de
s’identifier au projet. Et je mesure combien, dans ce domaine, la mutation fut grande, ces vingt dernières années.
Au début, l’engagement de l’entreprise résultait – ou était perçu comme
tel – souvent d’un « caprice » du patron. Puis les directions ont professionnalisé leur démarche, et réclamé des contreparties pour leurs
salariés (participation à des vernissages, gratuité des places, etc.) grâce
auxquelles ces derniers se sont sentis associés à un projet d’entreprise.
Et ce projet est d’autant plus mobilisateur qu’il fait l’objet d’une communication adaptée – ni trop ostentatoire, ni trop discrète – et s’inscrit
dans la durée, c’est-à-dire avec fidélité et persévérance. À ces conditions, l’entreprise saisit tout l’intérêt qu’elle peut en retirer, en termes
de personnalité, d’image, de réputation et de mobilisation de son personnel. Le mécénat est une chance et un espoir non seulement pour la société mais aussi pour les entreprises.
Ceci étant, malheureusement trop de citoyens ou de décideurs, y compris politiques, considèrent encore la culture
comme superfétatoire – ce qui pénalise le mécénat culturel. Et l’évolution dans les choix des modes d’action des
mécènes a entraîné une chute importante du soutien à la
création artistique. Or, la culture n’est pas secondaire : elle
est au contraire principale, car elle accompagne nos vies, les
nourrit et les embellit. Le mécénat culturel aujourd’hui est,
le plus souvent, associé à toutes les autres formes de mécénat. Ainsi, ce qui relève de l’artistique pur croise des enjeux
d’éducation, de recherche, d’ouverture aux jeunes des banlieues, de partage dans les prisons, etc. Et en abordant ses facultés d’intégrer, de sustenter, de réhabiliter l’existence, on
traite le mot culture à travers l’ensemble de ses trésors. » ■
« Le mécénat culturel est associé à toutes
les autres formes de mécénat ; l’artistique pur
croise les enjeux d’éducation, la recherche,
l’ouverture aux jeunes des banlieues, etc. »
▼
© REUTERS
▼
© PHILIPPE WOJAZER / REUTERS
© GRIGORY DUKOR / REUTERS
u’est-ce qu’entreprendre ? C’est croire en ses rêves,
c’est prendre des risques, c’est créer à partir de rien.
C’est tout autre chose que d’être gestionnaire. Gérer
et créer sont en effet deux activités très différentes.
Entreprendre, c’est être heureux. Le vrai moteur, c’est
l’accomplissement de soi. Mais cela n’est pas si simple. Car être heureux
dans l’entreprise ne va pas de soi. Avant de chercher le « quoi ? » qui vous
rendra heureux, il vous faudra trouver le « comment ? ». L’entrepreneuriat est un sacerdoce, une philosophie de vie, une façon de se réaliser,
un acte de création. C’est pourquoi tout le monde ne peut pas devenir
entrepreneur, celui qui « se réalise en créant ».
Il faut transformer l’entreprise pour en faire un lieu d’épanouissement
pour les hommes. Et cette transformation doit être opérée de l’intérieur, à partir des particules élémentaires de l’entreprise, à savoir les
collaborateurs. Ce postulat se base sur un constat : la jeune génération
aspire à très court terme à être tout simplement heureuse. C’est ce qui
la distingue de la génération antérieure, celle de nos parents, inscrite
dans une logique sacrificielle par rapport au travail, sans doute parce
qu’elle parvenait à se projeter à plus long terme dans une entreprise.
Peut-être savait-elle qu’elle ne serait pas à proprement parler heureuse
dans l’entreprise, mais que celle-ci lui apporterait suffisamment de
sécurité matérielle et psychologique sur le long terme pour pouvoir
prétendre à trouver le bonheur hors de l’entreprise. Pour la génération
actuelle, la sécurité matérielle et sur le long terme n’existe plus. La projection pour une vie professionnelle, pour une carrière entière dans une
même entreprise, n’est plus possible.
La génération des vingtenaires et trentenaires a intégré la précarité et
le court-termisme dans son mode de fonctionnement. Le besoin d’être
heureux est donc beaucoup plus prégnant, plus criant, plus impératif. Et
on attend de l’entreprise qu’elle permette d’accéder au bonheur beaucoup plus rapidement en devenant un lieu d’accomplissement personnel et professionnel presque immédiat. Il faut donc aider l’entreprise à
devenir ce lieu de « kiffe », il faut l’amener à remettre le bonheur de ses
collaborateurs au centre de son modèle économique, il faut tout à la
fois transformer les modèles managériaux, les modèles de leadership, les
organigrammes et la raison d’être de l’entreprise dans la société, pour
être pourvoyeuse de bonheur pour ses collaborateurs. L’objectif n’est
pas de leur faire plaisir, mais bien de retenir les meilleurs talents dans
un contexte mondialisé de guerre des compétences et de pousser les
collaborateurs à s’engager au sein et au service de l’entreprise.
Pourvoyeuse de bonheur : c’est bien là en effet tout là son objet social.
Car qui dit bonheur en entreprise dit performance additionnelle, même
si cela semble cynique. Cette aspiration au bonheur ne peut se départir
d’une quête de sens. La génération que l’on désigne « Y », est de plus
en plus en recherche de signification à sa propre action et à celle de
l’entreprise pour laquelle elle travaille. Elle se pose deux questions fondamentales : « À quoi je sers ? » et « À quoi sert mon entreprise ? » Ces
interrogations permettront in fine de transformer l’entreprise pour en
faire un lieu de réalisation pour le capital humain, sachant que l’objectif
d’une entreprise est de demeurer un objet économique rentable. » ■
DUEZ
▼
1992
Q
«
EMMANUELLE
MÉCÉNAT
« Je sais,
maintenant, où est
la vérité de la vie »
« Transformer l’entreprise
pour en faire un lieu
d’épanouissement »
sont aujourd’hui partout répandues, et
la rupture la plus profonde est celle qui
sépare la population du monde politique
et de l’État. Ce que nous vivons à un niveau extrême est une crise de citoyenneté, ce qui est plus profond qu’une crise
politique. Nous souffrons de n’avoir à
choisir qu’entre une absence de projets
et des formes différentes d’échecs.
Le xxe siècle aura été celui des totalitarismes. À ceux déployés par Hitler ou
Staline a succédé une nouvelle forme
de despotisme, issue des pouvoirs et de
l’emprise que les nouvelles technologies
permettent d’exercer sur l’humanité
entière et sur chaque aspect de la vie de
chacun. Nous assistons au triomphe du
« pouvoir total ». Et, dans un contexte
de mondialisation, que le capitalisme
financier se soit imposé au capitalisme
industriel n’y est pas étranger. Il l’a gangrené et même anéanti. Il domine au
point que les capitaux investis dans la
spéculation légale ou dans le blanchiment d’argent frauduleux dépassent
ceux dévolus à l’investissement industriel et à la production d’activités économiques concrètes. L’argent de la drogue
représente 3 % du PIB mondial, le montant des capitaux abrités dans les paradis
fiscaux est équivalent au PIB cumulé des
États-Unis et du Japon. Tout cela contribue à innerver dans les consciences une
logique marchande, pécuniaire, consumériste, devenue dominante. La suprématie, ou plutôt la tyrannie de l’argent
règne partout. Tout est pensé, évalué,
structuré, conçu par rapport à l’argent. Y
compris l’imagination, les perspectives,
le sens. Et les formations politiques
suivent le mouvement, se vidant d’ellesmêmes de toute alternative au diktat
financier et au dogme matérialiste.
Comment, dans ces conditions, aspirer
à rêver, oser, se projeter, entreprendre ?
Face à ce pouvoir total, il est l’heure de
sanctuariser les droits humains fondamentaux. Aux droits à la liberté et à
l’égalité qui devraient être inaltérables,
s’ajoute un droit à la dignité – davantage
que de fraternité – dont j’observe la revendication aussi bien en France qu’au
Chili ou en Inde. Ces droits assurent à
l’individu d’être un individu, c’est-à-dire
d’être sujet créateur et transformateur
du monde. Alors, le principe même de sa
reconnaissance comme « sujet » pourra
être garanti. Et les raisons de croire en
l’avenir seront revivifiées. » ■
Du 16 au 28 août : l’ouragan Andrew
ravage le sud-est des États-Unis.
Il restera la catastrophe naturelle la plus
chère subie par le pays, jusqu’à l’ouragan
Katrina en 2005. Le 16 septembre,
la lire italienne et la livre sterling doivent toutes
les deux quitter le Système monétaire européen qui
explose à l’occasion du référendum français sur le traité
de Maastricht du 20 septembre. Une attaque spéculative
de grande ampleur échoue contre le franc français.
LEÇONS DE VIE
© DR
L
«
a gauche française se meurt.
Et elle doit
SOCIOLOGUE
se réinventer dans un
contexte
qu’elle ne sait
pas maîtriser : la disparition de ce qui
formait l’architecture de la société. Les
grandes classes sociales ont été effacées
au profit d’un éclatement, peu visible,
de sous-classes disséminées. Et donc
ce qui nourrissait à la fois les grands
conflits et les grands projets, porteurs
de sens, de perspectives, d’idéaux, d’horizons et d’espérance,
s’est dissous. L’impression est d’être « nulle
part ». Le sociologue
Robert Castel l’avait
très bien défini 
: la
disparition de la
société
industrielle
provoque un phénomène de « désaffiliation ».
Auparavant,
on « était » ouvrier,
clairement identifié
dans son groupe social
qui constituait aussi
un repère « pour soi
vis-à-vis de soi et des
« Tout est pensé,
autres 
», mais égaleévalué, structuré,
ment pour « les autres
vis-à-vis de soi » ; doréconçu par rapport
il est très difà l’argent. Y compris navant,
ficile de se situer, et
l’imagination,
la gauche ne sait pas
répondre à ce constat.
les perspectives,
Elle ne sait pas non
le sens. »
plus composer avec
une autre réalité : la
société idéologique, humaine, politique
est devenue un marécage, comparable
à celui de la fin du xixe siècle, lorsque
les formations politiques issues de la
Révolution française ne savaient plus
répondre aux réalités de l’époque. Les
partis politiques, gauche en tête, s’escriment à se positionner par rapport à un
passé qui n’existe plus. Ce phénomène
des ruptures sans fin et extrêmes avec
ledit passé affecte durement le paysage
politique et entretient les partis dans le
non-sens et la confusion. Il est impératif
d’essayer de comprendre où se trouve
la ligne de partage dans la société. La
colère, la déception, la haine même
ALAIN
TOURAINE
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
▼
© DERRICK CEYRAC/AFP
10 I
30 VISIONS D’AVENIR
1995
Début du Mercosur (acronyme espagnol
de « marché commun de l’Amérique
du Sud »). Le tremblement de terre
à Kobe, au Japon, provoque la faillite de la
vénérable banque Barings. Le projet d’Alain
Juppé de réforme des régimes spéciaux de retraite met
les cheminots et les fonctionnaires en grève et provoque
le plus grand « mouvement social » en France depuis 1968.
Le 15 décembre, le sommet européen de Madrid fixe
le passage à la monnaie unique (euro) au 1er janvier 1999.
I 13
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
RÉINVENTER
RUPTURES
« La France,
une surdouée
qui s’ignore »
L
L
DR
DÉPUTÉ EUROPÉEN
honorés. Ils doivent aussi s’impliquer
davantage dans le débat public et dans
l’ensemble des strates de la société, afin
de montrer la réalité de leur travail et
ainsi amener l’opinion publique à casser ses préjugés. Leur réputation ne doit
pas être victime de celle des apparatchiks de certaines grandes entreprises,
affranchis de véritable risque, li(gu)
és les uns aux autres par des intérêts
personnels communs, et bénéficiaires
de rémunérations totalement abusives.
L’endogamie de ces fonctionnements
doit être combattue, la gouvernance
doit être redéfinie, la transparence des
décisions de rémunération doit être
appliquée, le pouvoir des assemblées
générales doit être élargi. À ces conditions, l’exemplarité de ces dirigeants
sera revitalisée, et les entrepreneurs
seront clairement distingués au sein de
l’opinion publique.
La France est une surdouée qui
s’ignore. Elle regorge d’atouts et de
talents, et j’observe l’existence d’une
grande envie d’entreprendre, d’une
formidable énergie jusque dans les secteurs social et associatif. Tout cela doit
faire l’objet d’une intensive promotion.
Il est donc indispensable de travailler sans relâche à montrer les beautés
de l’acte entrepreneurial, fondé sur le
partage, la réciprocité et la progression
des émotions au fur et à mesure que
les combats, les conquêtes et les réalisations se succèdent. C’est, effectivement, d’autant plus essentiel dans une
société que dominent matérialisme et
individualisme. L’enthousiasme, l’inconnu, l’indépendance, le plaisir de se
lever chaque matin avec énergie, celui
d’impulser sans cesse, celui de cumuler
d’extraordinaires souvenirs collectifs
et de laisser une empreinte derrière
soi, sont consubstantiels à l’aventure
de bâtisseur. Et puis surtout, surtout, il
y a la liberté. Entreprendre, c’est vivre
et être en vie. » ■
N
© LIONEL BONAVENTURE
«
PASCAL
PICQ
PALÉOANTHROPOLOGUE
ous ne vivons pas une crise mais un changement
de paradigme : nous sommes arrivés au bout du
système. Nous quittons un monde, un autre est à
construire. L’évolution est marquée de ponctuations, nous y sommes et pourtant pas assez outillés pour y voir clair, car nos gênes évoluent plus vite que nos représentations culturelles. Et d’ailleurs, au cours de l’évolution, il n’existe pas de
rupture totale, nous demeurons ainsi encore de grands singes ! C’est vrai,
nous ne savons pas vers quoi nous allons mais nous avons intérêt à partir
parmi les premiers pour participer à l’élaboration de ce monde nouveau.
Il semble en France que les vieux modes de pensée perdurent : des
études montrent que 40 % des métiers actuels vont être bouleversés
par l’arrivée des automates, et pourtant notre pays demeure le moins
robotisé du monde. Regardons ce qui se passe au Japon, les autochtones
« considèrent » leurs robots, ils portent sur eux le même regard que sur
leurs animaux. Tout cela aura des conséquences sur l’emploi. Et faire
croire à nos chômeurs que nous allons revenir au système précédent,
c’est le pire des mensonges. Les grèves récurrentes et corporatistes,
quel archaïsme majeur ! Ces grands garçons défenseurs de leurs prés
carrés n’ont pas compris que le monde avait changé, ils attendent toujours sous le sapin de Noël le petit train, la petite voiture…
Deux mots clés émergent pour nous guider vers ce futur inconnu : tout
d’abord l’adaptabilité. Il faut se former tout le temps, sans cesse réapprendre à apprendre. Autre enjeu : l’équité plutôt que l’égalité, car elle
prend en compte l’engagement pour la collectivité. La génération Y, qui
a grandi avec les technologies numériques, est très habituée à travailler
en mode projet, elle montre de l’appétence pour le travail collaboratif et
solidaire. A fortiori, on peut attendre beaucoup de la génération Z. » ■
1997
SE RESSOURCER
« Apprenons à
cultiver les plaisirs
simples qui font
le bonheur vrai »
FRANÇOISE
HÉRITIER
ANTHROPOLOGUE
ET ETHNOLOGUE
1998
Krach du rouble et défaut de la Russie
sur sa dette. Le 4 septembre, Larry Page
et Sergeï Brin, deux étudiants, lancent
le moteur de recherche Google, inspiré
de la grandeur mathématique googol (10
puissance 100). Victoire de la France à la Coupe du Monde
de Football. Le 23 septembre, la Fed et les principales
banques d’investissement américaines évitent une crise
financière majeure, dix ans avant 2008, en sauvant in
extremis le hedge fund Long Term Capital Management.
L
«
es bonheurs
qui forment
le « sel de la
vie 
» ont en
commun une
extraordinaire
simplicité. Les
faits qui nous frappent et demeurent
en souvenir sont souvent incarnés par
un détail, qui devient le signe et le point
d’ancrage de l’ensemble du souvenir que
l’on fige sur une image. Ce peut être le
bruit du bouchon retiré de la bouteille
de vin qui concentre le moment où, face
au coucher de soleil et dans la douceur
de l’été, on est rassemblés entre amis au
sommet d’une colline déserte qu’on a atteint après quelques heures de marche.
C’est le principe de la fameuse madeleine de « l’enfant » Proust, sur le goût
de laquelle sont polarisés toutes sortes
d’autres événements et un fort contexte
émotionnel : le rituel de la fin de journée,
les marches de l’escalier qui grincent, le
plaisir de rendre visite à la grande-tante,
la chambre qui sent le renfermé, la tasse
de thé, l’odeur du tilleul, etc.
Les « 
vrais 
» plaisirs sont gratuits,
intimes, simples, et ne sont pas ceux
que la société gratifie « socialement »
ou valorise pécuniairement. Est-il plus
difficile aujourd’hui qu’hier de prendre
conscience de ces bonheurs simples ?
Les conditions de l’existence seraientelles devenues si abrutissantes qu’elles
obstrueraient ces dispositions ? Je ne
le pense pas. Tout, en réalité, est question d’éducation. On récolte ce que
l’on sème. S’il est expliqué aux enfants
et aux adolescents que l’expression
ultime de la joie est de posséder la dernière tablette numérique à la mode, ou
qu’il suffit de désirer pour obtenir, alors
effectivement s’imposent d’aussi grotesques qu’épouvantables désillusions.
Apprendre à repérer, à ressentir, à goûter les émotions prend racine à l’école
et dans la famille. Or les parents manifestent une telle anxiété pour l’avenir
de leurs enfants qu’ils se focalisent
aveuglément sur l’obtention des diplômes au détriment de l’essentiel : la
personnalité et le bien-être. Au point
que l’adolescent rêveur capable de se
laisser distraire par un vol de papillon
est systématiquement rabroué. Quant
à l’école, et en dépit d’initiatives isolées
qu’il faut saluer, elle n’est pas programmée ni organisée pour faire émerger de
tels profils. Le système scolaire mais
aussi social reconnaît bien davantage la
faculté de rédiger une copie sans fautes
d’orthographe que l’imagination couchée sur la feuille.
Le « sel commun de la vie », c’est
comme une grande et même vague sur
l’écume de laquelle depuis les tréfonds
de l’Histoire chacun dépose son substrat intime. Cette grande vague, qui fait
avancer en commun l’humanité, n’empêche pas chacune des infimes vaguelettes propres à l’intériorité émotionnelle de tout individu, d’être « elle »,
d’être « unique ». Cette vaguelette si
personnelle, qui nous fait naître et aller
jusqu’à notre mort, concentre tout ce
que nous possédons de conscience de
nous-mêmes et tout ce que, de cette
conscience de nous-mêmes, nous
sommes disposés à répandre et à partager pour faire sens commun.
Chaque individu dispose de la capacité de percevoir ce qui peut lui faire
du bien, même imperceptiblement. Y
compris celui que l’on imagine dépossédé de cette faculté. Et même dans les
malheurs les plus destructeurs, il est
possible de trouver une éclaircie. Primo
Levi n’écrivit-il pas comprendre le plaisir infini à dérober un morceau de pain
lorsqu’on était détenu dans les camps
de la mort ? Vivre, finalement, c’est faire
de chaque épisode de son existence un
trésor de beauté et de grâce qui s’accroît sans cesse, tout seul, et où l’on
peut se ressourcer chaque jour. » ■
« Les parents si anxieux pour l’avenir de leurs enfants se
focalisent sur l’obtention des diplômes au détriment de
l’essentiel : la personnalité et le bien-être. »
▼
© REUTERS
▼
La gauche emporte les élections
législatives après la dissolution ratée de
Jacques Chirac : la France adopte les lois
Aubry sur les 35 heures, payées 39 ; France
Télécom est privatisé. Un clone de brebis,
Dolly, est présenté au Royaume-Uni. Tony Blair devient
Premeir minsitre, au nom du New Labour. Crise économique
majeure en Asie. En décembre, au sommet de Kyoto sur
l’écologie, 160 pays décident une réduction de 5,2 % des
émissions de gaz à effet de serre, à l’horizon 2012.
L
«
e système éducatif français souffre de son incapacité
à se réformer, il est paralysé par l’incapacité d’aborder
sans sectarisme des problématiques aussi essentielles
SOCIOLOGUE
que la nature du métier d’enseignant, la méthode de
sélection, les cursus de formation, le type de culture
scolaire, l’avenir du baccalauréat, etc. Ce système est aussi prisonnier
d’un dogme : la société française confie sans limite à l’école la responsabilité de définir le destin social des individus. Presque nulle part ailleurs
on n’observe une telle indexation du devenir personnel sur l’envergure
du diplôme. Dès lors, l’enjeu des inégalités et des injustices scolaires devient d’autant plus considérable que la situation ou l’opinion des vaincus
sont reléguées : les catégories sociales qui tirent le meilleur bénéfice de
la capacité du système à les conforter et à les reproduire n’ont guère de
propension à le réformer.
L’autorité de l’institution s’est épuisée, on ne croit plus avec la même
innocence ni à la nation ni au progrès ni à la science ; le mécanisme de
promotion sociale des catégories des élites populaires vers l’enseignement a décliné. Résultat, l’enseignant ne se sent plus empli du même
devoir à l’égard de la société. La vocation telle qu’elle se définissait
n’est plus ; place à une conception professionnelle du métier : « on » ne
donne plus sa vie à l’école, on n’exerce plus au nom de sa foi en la République, on recherche une satisfaction professionnelle. Or le politique
est incapable d’« aider » au passage de la vocation à la profession.
La problématique du contenu de la « mission » des enseignants est
endémique. Et les manifestations refusant l’étiquette de pédagogues
ou d’éducateurs, désolent. Ce refus de la responsabilité éducative est
inacceptable : il appartient à l’école – et plus largement
aux services publics – de participer, même modestement,
à colmater la brèche, puisque la société n’assure plus suffisamment ses responsabilités en matière d’éducation.
Ce qui exige concomitamment de ne pas abandonner les
enseignants à leur sort et de les armer dans ce sens.
L’école républicaine autrefois avait un projet moral et
éducatif : sous-jacent à l’apprentissage de savoirs, il
s’agissait de former un individu à se maîtriser, à communiquer, à être responsable, bref à se construire. Ce projet
moral a disparu. Chacun revendique une école équitable,
juste, productrice de bons professionnels, mais personne
n’est en mesure de dessiner l’essentiel : le « type d’individu » que l’on souhaite faire éclore. La communauté
juvénile est confrontée au monde des savoirs et des
évaluations. Le corps enseignant dénonce avec raison la
décomposition des liens familiaux, la bêtise médiatique,
« Savoir être,
une anomie généralisée ; mais, dépourvu de projet éducasavoir penser,
tif, concentré sur la performance et l’apprentissage des
enfants, il contribue in fine à ce qu’il dénonce ! La société
rendre plus
gagnerait à produire de jeunes adultes intellectuellement
intelligents pour
curieux, qui ont confiance en eux et dans les autres. Les
comprendre
jeunes sont unanimes : ils confient à l’école le soin de les
préparer à être performants, et à leur entourage celui de
le monde et être
les former en tant qu’individus.
de futurs acteurs
Que voulons-nous que nos enfants sachent et maîde la démocratie : trisent ? Savoir être et savoir penser : voilà à quoi l’école
former en premier lieu. Il est capital d’apprendre aux
voilà à quoi l’école doit
enfants à devenir de futurs acteurs de la démocratie. Or,
doit former. »
comment y parvenir dans un système éducatif à ce point
non démocratique, et qui n’accorde ni droit ni leçon de
vie collective aux apprentis ? Pour cela, encore faudrait-il réintroduire
ce qui manque cruellement : la notion de droits et de devoirs. Une
bonne école, c’est une « communauté d’adultes » qui prend en charge
une « communauté d’élèves » ; ce n’est pas une juxtaposition d’heures
de cours saucissonnées sans cohérence, ni lien ni sens entre elles.
Plus la société se désocialise, plus l’école a le devoir de fabriquer des
sujets « acteurs » et responsables. Le drame est que les élèves ont souvent compris que ce qui est vraiment intéressant dans la vie et utile à
leur construction d’homme est inaudible dans l’enceinte scolaire. Plutôt que l’esprit critique, l’école développe une forme de désillusion pessimiste… Elle a vocation à résister, mais aussi à former des résistants. Il
ne s’agit pas, bien sûr, d’isoler les jeunes des désordres et des passions
du monde, mais simplement de les rendre plus intelligents pour comprendre le monde et y trouver, à partir de raisonnements autonomes,
une place. Voilà vers quoi devraient converger l’ensemble des chantiers
de réforme du système éducatif. » ■
FRANÇOIS
DUBET
« On peut attendre
beaucoup
de la Génération Z »
© REUTERS
© REUTERS
e changement est déjà là, sous nos pieds, mais nous
manquons de repères pour nous y adapter. C’est
comme si un pilote plongeait à la limite du décrochage
avec les pieds déjà vers l’avant mais le cerveau encore
en arrière. Nous vivons une époque de profonde rupture, des plaques tectoniques ébranlent la France et l’Europe, l’individualisme croissant, dopé aux technologies numériques, signant cette rupture. Ces nouveaux outils ont disloqué le système, comme en son temps
le chemin de fer, nous sommes déjà dans un monde nouveau, mais nous
ne l’avons pas encore accepté. Quelle organisation nous permettra de
vivre dans ce monde nouveau ? Émergent très fort une demande de bien
vivre ensemble et en parallèle la tentation du repli. En réalité, personne
ne connaît le schéma final : ce qui compte, c’est la route.
Il faut revoir l’organisation de la vie politique. L’Union Européenne
doit se préoccuper des questions régaliennes et en France, nous
devons renoncer au jacobinisme, descendre de notre arrogance dirigiste, déconcentrer les pouvoirs publics. Fini les organisations verticales, l’autorité publique doit « s’horizontaliser », se rapprocher des
bassins d’innovation. Les espaces où nous pourrons avancer sont les
ensembles régionaux… et l’ensemble mondial.
Au-delà de cette rupture politique, il faut engager également une rupture sociale et économique. Plutôt que d’empiler les lois, détruisonsles pour les reconstruire. Simplifions par exemple le Code du travail…
nous sommes suradministrés. Finalement nous sommes à ce point
charnière et enthousiasmant où les outils du progrès sont entre nos
mains. Qu’allons-nous en faire ? Le progrès n’avance pas en ordre, il
y a des avancées et des reculs. Attelons-nous déjà à ce cancer de cette
jeunesse quittant la France. Cette génération Y a simplement l’impression de « partir ailleurs », mais en réalité ce sont autant de forces vives
qui manquent au pays. Or, le don collectif participe de manière déterminante à la marche du progrès. » ■
ÉVOLUTION
▼
1996
« L’école a vocation
à former des résistants »
«
JEANMARIE
CAVADA
La Russie dirigée par Boris Eltsine adhère
au conseil de l’Europe. Embargo de l’UE
sur les ventes de viande bovine
britannique, à la suite de la maladie
de la vache folle (encéphalopathie
spongiforme bovine), début d’une crise européenne
sur le thème du principe de précaution.
Accord sur le « pacte de stabilité » européen, par lequel
les pays candidats à la monnaie unique s’engagent
à respecter une discipline monétaire rigoureuse.
DROITS ET DEVOIRS
« Descendons de notre
arrogance dirigiste »
«
a France entrepreneuriale
souffre d’une
FONDATEUR
DE BUSINESS
classe politique
OBJECTS,
totalement
CROISSANCE PLUS,
déconnectée
NOUS CITOYENS
de la vie économique et de la réalité des entreprises.
Un aréopage miné par l’hyperprofessionnalisation, gangrené par les logiques de carrière, de réélection, de statut social, de représentation publique,
par la faute desquelles l’intérêt général
est relégué. En témoigne quelque trajectoire qui permet de démarrer à 28 ans
aux commandes de la mairie de Neuilly
et de finir à l’Élysée. La compréhension
de l’enjeu entrepreneurial souffre également d’un système qui propulse aux
responsabilités politiques une majorité
de fonctionnaires, dont le statut et les
facilités d’exercice les isolent des réalités et, simultanément, écartent du jeu
tout le reste de la population. Fonctionnaires dont il faut par ailleurs reconnaître, aussi bien dans les rangs des établissements publics qu’aux plus hauts
postes de l’État, une qualité d’ensemble
et un sens de l’intérêt général indiscutables, et même enviés à l’étranger, y
compris aux États‑Unis.
Ce contexte étouffe les singularités
– facultés d’inventivité, d’innovation
notamment – des entrepreneurs français, surtout il maintient dans l’impasse
les expérimentations et l’ensemble des
solutions qui pourraient sortir le pays de
sa torpeur. En effet, ce cénacle fonctionnaire ne connaît que centralisation et jacobinisme, il est paralysé par la réalité de
la mondialisation qui impose pourtant
une dextérité intellectuelle et une agilité
organisationnelle pour y concourir avec
succès et y repérer toutes les opportunités, il est infecté par les réflexes technocratiques, archaïques
et uniformisants qui
« Entreprendre,
dominent toute autre
c’est être en vie. »
logique – numérique,
décentralisée,
moderne, responsabilisante. L’examen du
traitement social du chômage et des
politiques d’emploi l’illustre. Et ceux
qui veulent bousculer l’édifice ne sont
pas entendus. L’heure est à réinventer
le fonctionnement de la vie politique,
pour que ceux qui la pilotent reflètent
la photographie identitaire, éthique,
culturelle, professionnelle, mais aussi
l’immense variété des intelligences qui
caractérisent le pays.
Autres facteurs clé de cette transformation : les entrepreneurs que le parcours
réussi de créateur et de développeur au
bénéfice des emplois et du territoire a
enrichis personnellement, doivent être
DENIS
PAYRE
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
▼
© DR
12 I
30 VISIONS D’AVENIR
1999
Le 1er janvier, naissance officielle de l’euro,
seulement comme monnaie scripturale,
qui vaut exactement la parité avec
le dollar, en décembre. Aux États-Unis,
abrogation du Glass-Steagall Act de 1933,
organisant notamment la séparation des métiers
bancaires. Double OPE de la BNP sur la Société générale
et Paribas. Totalfina rachète Elf. Poursuite des
privatisations, avec Aérospatiale, qui fusionne avec Matra.
Renault rachète Dacia et s’allie avec le japonais Nissan.
I 15
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
TERRE-MÈRE
CONSCIENCE
L’
«
PATRICK
VIVERET
méfaits de ses actes, et en évaluer l’irréversibilité des conséquences. Tout cela
sans cécité, ni illusions, sans tricher et
sans fausses certitudes. Elle doit engager un réveil, et ce réveil ne peut résulter que d’un grandissement intérieur
personnel simultanément partagé par
l’ensemble des communautés. Or ce
grandissement, c’est-à-dire cette appréhension d’un « sens » et d’une responsabilité inédits, cette capacité à s’autonomiser des tentations et des pressions
souvent délétères de « groupe », sont
difficilement envisageables sans une
dimension spiritualiste proportionnée – le spiritualisme, qui énonce des
valeurs spirituelles et morales, ne signifiant nullement religion.
« Connais-toi toi-même et aime-toi toimême si tu veux connaître et aimer
l’autre. » Tout ce qui est entrepris doit
l’être en étant arrimé à une espérance
et à une perspective. Quoi qu’on crée
ou qu’on produise, il faut le faire « avec
conscience », c’est-à-dire la conscience
de l’autre – humain, végétal, animal.
Ainsi « travaillée », la conscience n’est
plus ruine de l’âme. Et dans ce domaine la science et les technologies,
les connaissances et la communication,
in fine « l’intelligence », constituent
de formidables atouts pour tuer l’obscurantisme. Et cela commence dans
l’éducation familiale et scolaire.
Je ne crois pas à la bonté, surtout spontanée ; je crois davantage au pragmatisme, et surtout à une faculté propre à
l’homme : celle de garder l’espoir, dont
il nourrit sa capacité à infléchir les dérives. Rien n’est fini. Particulièrement
chez les femmes et les enfants, les raisons d’espérer sont réelles. À condition
que l’humilité se substitue à l’arrogance.
Le mathématicien Cédric Villani place
l’homme dans son environnement
exactement comme l’astrophysicien
Hubert Reeves situe la Terre dans l’univers : à la fois « quelque part » et « nulle
part 
», c’est-à-dire jamais dans une
place privilégiée ou dominante. Cette
dimension du spiritualisme doit dicter
notre existence. » ■
© MATTHIEU RIEGLER / KYRO
2000
«
ALAIN
FINKIELKRAUT
PHILOSOPHE,
MEMBRE
DE L’ACADÉMIE
FRANÇAISE
N
ous sommes à un tournant. Un grand
tournant qui s’opère avec l’avènement de la modernité, formidable
PHILOSOPHE
mouvement d’émancipation. Car la
modernité est une double émancipation, à l’égard du politique d’une
part et du religieux d’autre part. Mais
cette émancipation s’opère aussi vis-à-vis de la nature, de la planète. En même temps qu’on largue la nature, on se dégage de tout
discernement sur la nature des activités, en termes de bénéfices et
de pertes générés. Pourtant nous connaissons les risques qu’elles
comportent et les dégâts qu’elles provoquent. Mais les forces
d’addiction qui s’opposent à la véritable prise en compte des enjeux écologiques et environnementaux sont bien réelles. Nous ne
sommes plus dans un rapport de Terre-mère, rapport de filiation,
où les êtres humains ne sont pas dans la nature, mais bel et bien
de la nature. Nous sommes le peuple de la terre, vulnérable sur
une planète elle-même vulnérable. Il faut donc se tourner vers le
concept d’énergie positive et entendre véritablement le sens du
mot amour.
Nous souffrons d’addictions fortes, profondes : de l’argent, du
pétrole et de la vitesse, qui remplissent des fonctions émotionnelles très importantes, car elles
« Le couple
sont des fonctions d’excitation qui donnent le
sentiment d’être vivants. On ne peut répondre à
intensité-sérénité
ces addictions que par une énergie au moins égale
doit s’imposer à
et de préférence supérieure. Cette énergie se
celui de l’excitation- trouve dans l’amour et la joie de vivre, dans la vie
positive. Ce qui caractérise la joie de vivre est un
dépression qui
couple formé par l’intensité et la sérénité, opposé
traverse les
à celui formé par l’excitation et la dépression qui
traverse les univers politique, médiatique, finanunivers politique,
cier et même sportif. Il s’agit de construire un
médiatique,
imaginaire positif autour de la sobriété heureuse
financier et sportif. » développée par Pierre Rabhi. L’enjeu réside dans
le bien-vivre, dans la qualité d’être individuelle et
collective supérieure. Il nous faut donc développer une énergie créatrice suffisante pour s’opposer aux forces d’addictions dont nous souffrons.
Il n’y a de possibilité de mieux aimer cette planète
que si la famille humaine apprend dans le même
temps à mieux s’aimer elle-même. Il existe un
rapport étroit entre le mal-être et la démesure sur
le plan sociétal. La société ne semble connaître
que deux sentiments : l’euphorie et la panique,
symptômes de la psychose maniaco-dépressive.
Les acteurs socio-économiques perdent alors
tout contact avec la réalité. Il faut que la représentation du désir de la transformation soit supérieure au statu quo. C’est seulement si l’humanité
apprend à mieux s’aimer elle-même qu’elle peut
comprendre qu’elle se doit de mieux aimer les
écosystèmes nourriciers sans lesquels elle se saurait survivre. Mais
si elle demeure dans la détestation d’elle-même, elle est au pire
dans un rapport de détestation, au mieux de chosification, de pur
contrôle, de pure maîtrise de la nature et de la planète.
De la bonne gestion de notre maison terrienne dépend notre survie. Il n’y a donc d’avenir pour notre économie que si on la réintègre à l’écologie d’une part, et dans l’éthique d’autre part. Il faut
refaire de l’économie une science morale et reposer la question
fondamentale sur la nature de nos activités. Sont-elles bénéfiques
ou nuisibles pour les humains et leur environnement ? Il faut aussi
réinventer des indicateurs de richesse qui posent la question des
bénéfices et des nuisances. Et envisager la problématique sociale
que questionne notre développement, en lien avec les sujets économiques et écologiques consubstantiels. » ■
2001
Le 1er janvier, la Grèce intègre la zone
euro : une mauvaise idée ! La première
édition de Wikipédia sur Internet
est lancée. Le 11 septembre 2001, une
attaque suicide avec des avions détruit
les tours jumelles du World Trade Center à New York
(2 973 morts) et précipite le monde dans la guerre
contre le terrorisme. L’après-guerre froide a commencé :
les États-Unis bombardent l’Afghanistan et s’engagent
dans une lutte sans merci contre « l’axe du mal ».
«
L’
une des leçons du xxe siècle est qu’à vouloir
la démocratie sans l’économie de marché, on
obtient le totalitarisme. Il existe une « vérité » et une « grandeur » du libéralisme. Il a
été l’ennemi du fascisme et du communisme,
il honore l’initiative privée et la capacité d’entreprendre. Certes, il
n’est pas exempt de défaillances et d’excès, mais toute idéologie
visant à s’en passer pour administrer et planifier connaît la stagnation économique et la tyrannie politique. Dépassons l’hubris et
sachons reconnaître les vertus, même imparfaites, du libéralisme.
Leszek Kolakowski (1927‑2009), l’un des penseurs de la dissidence
d’Europe centrale, énonçait en 1978 une identité politique que je
fais mienne : être conservateur-libéral-socialiste.
Trois mots pour désigner autant de caractéristiques aux contenus indispensables, même incontournables, et qu’il est absurde
de vouloir dresser frontalement les unes contre les autres. Non
seulement elles sont compatibles, mais elles se nourrissent mutuellement. Le conservatisme signifie conserver certains rites et
traditions, et s’impose d’autant plus qu’il appelle à protéger une
terre dont nous épuisons les ressources ; le libéralisme promeut
l’initiative privée et la capacité d’entreprendre, d’oser, de créer, de
« faire ». Quant à la redistribution, elle est nécessaire pour assurer
une justice et solidifier la société.
Quitter le xxe siècle et ouvrir le xxie siècle « avec intelligence »,
c’est prendre acte des particularismes heureux de ce trident et y
puiser ce qu’il contient de meilleur pour l’humanité des individus
et celle de la collectivité. Comment sinon pourrons-nous faire face
aux dégâts de cette consommation incontrôlée qui tend à devenir
le visage de l’être, de ces nouvelles technologies qui mettent tout
et instantanément à disposition, de cet environnement qui donne
l’illusion que nous pouvons « cultiver notre culture » en nous affranchissant de l’essentiel : le détour, l’ascèse, l’effort, le recul, la
distance pour savoir et comprendre ?
À ce titre, la lecture exerce un rôle déterminant. La connexion des
nouvelles technologies signifie en premier lieu le rapport à ses
contemporains. C’est un univers communicationnel où le présent
est hégémonique et où l’échange est perpétuel. Allumer un ordinateur, c’est entrer en contact, coûte que coûte, avec les contemporains. Et c’est ce qu’enfants et adolescents accomplissent dès qu’ils
ferment la porte de leur chambre, au détriment d’une lecture tranquille. Tout cela prépare une dangereuse et angoissante inséparation. Ouvrir un livre, c’est au contraire couper le contact avec ses
contemporains.
La lecture instaure une relation de rupture d’avec le
présent, grâce à laquelle on
s’échappe du réel. Elle est
une activité solitaire proprement asociale, qui réclame isolement et silence.
Le livre est un objet, l’écran
déroule des flux. Lire sur
un écran est un sport de
glisse, lire un livre, c’est
suivre un chemin. » ■
« Dépassons
l’hubris
et sachons
reconnaître
les vertus,
même
imparfaites,
du libéralisme. »
▼
© STR OLD / REUTERS
© DR
▼
Le troisième millénaire est fêté dans
le monde entier, grâce au succès
du passage informatique à l’an 2000,
malgré la crainte d’un bogue géant sur
la datation. Les Bourses sont
euphoriques, en pleine bulle Internet (qui éclatera en
2001) : AOL rachète Time Warner et le 4 septembre 2000,
le CAC 40 atteint son plus haut historique avec
6 922,33 points. L’ONU lance l’initiative Global Impact
pour concilier mondialisation et droits de l’homme.
« Ouvrons le XXIe siècle
avec intelligence »
FINALITÉS
« Ah ! si tous les
décideurs faisaient
Compostelle… »
2002
300 millions d’Européens accèdent
à « l’euro dans les poches », avec
l’introduction le 1er janvier des billets
et des pièces qui remplacement les
monnaies nationales. La faillite de
l’opérateur américain de télécommunications WorldCom
accélère le krach de la bulle Internet. Élection de Luiz
Inacio Lula da Silva, candidat du Parti des travailleurs,
au Brésil. Début de la crise argentine. En décembre,
faillite d’Enron, géant du trading de pétrole américain.
L
«
es
leçons
qu’enseigne
le Chemin de
RUFIN
ÉCRIVAIN, MEMBRE
Compostelle
DE L’ACADÉMIE
sont innomFRANÇAISE
brables. Et précieuses. Car il
est une parabole de la vie. Il confère
à la solitude une valeur particulièrement élevée : elle devient un compagnon bien davantage qu’un adversaire.
On est face à soi, face à ses questionnements, face à ses limites. Et on se
rapproche de soi. À l’avancée très
lente de la marche s’ajoute la descente
dans l’opinion qu’on a de
soi et que les autres ont
de vous. À mesure qu’il
se diminue, le pèlerin se
sent plus fort et même
presque invincible. La
toute-puissance
n’est
jamais loin de la plus
complète ascèse. On
prend conscience que
l’inféodation aux biens
matériels est une manifestation de faiblesse.
Le dépouillement et
l’humilité, dans lesquels
on finit par être totalement immergé, pro« À mesure
duisent le sentiment
qu’il se diminue,
vertigineux qu’en réalité
le pèlerin se sent on n’a besoin de presque
rien pour vivre sereinepresque invincible. ment. Le dessein est de
La toute-puissance s’affranchir le plus possible du monde afin de
n’est jamais loin
s’approcher au plus près
de la plus
de soi.
complète ascèse. » On met à distance certaines de ses peurs. On
apprend à hiérarchiser
ses priorités, à distinguer l’essentiel de
la futilité, son discernement répond à
des critères plus exigeants, « vrais »,
et davantage conformes à ce que l’on
« est ». Le Chemin prépare à la liberté
parce qu’il invite à s’affranchir des
carcans non seulement matériels,
mais aussi constitués des exigences
sociales, des responsabilités professionnelles qui font écran. Lorsque
le Chemin a bien préparé le pèlerin,
lorsqu’il l’a bien « vidé », ce dernier
jouit comme jamais de la liberté. Et
une fois revenu dans le « monde réel »
ne s’en départit pas. Car il a circonscrit, pour toujours, l’essentiel.
Un pèlerin est un point à l’horizon sur
un minuscule chemin et au sein d’un
espace immense. Il passe son temps à
se voir de loin à travers l’autre, car au
contraire de son quotidien habituel
qu’il traverse tel un myope se heurJEANCHRISTOPHE
▼
© FRANCOIS LENOIR / REUTERS
état de la planète
et de la biodiverOCÉANOGRAPHE,
sité est tel que
PRÉSIDENT DU
nous ne devons
MUSÉUM NATIONAL
leurrer personne :
D’HISTOIRE
nous allons souffrir. Mais les raisons
NATURELLE
d’espérer sont réelles. À condition de
gagner le combat contre la cupidité et
l’indifférence, car là réside le terreau
de tous les maux – égoïsme, individualisme, machiavélisme, agressivité de
toutes sortes, maltraitance des femmes,
perte des repères, etc. À condition aussi
de réencadrer la notion des temps,
longs et courts. Or en la matière, scientifiques et acteurs contemporains de la
politique et de l’économie ne partagent
clairement pas la même. Voilà bien le
hiatus : les pratiques humaines anéantissent aujourd’hui de manière instantanée ce qui a prospéré pendant des
millions d’années. Certains des actes
de l’homme vont empoisonner la biodiversité dans et sur plusieurs dizaines
voire centaines et milliers d’années.
C’est le cas des déchets spatiaux ou
nucléaires, mais aussi du climat dont le
dérèglement connaît ses premières manifestations. Et la grande difficulté est
justement de faire prendre conscience
qu’il faut juguler aujourd’hui des comportements dont les conséquences,
irréversibles, vont très au-delà de notre
espérance de vie.
Antoine de Saint-Exupéry affirmait que
« l’homme se découvre devant l’obstacle ».
Aujourd’hui, l’humanité fait face à des
écueils considérables, elle conserve un
espoir inébranlable en leur résolution,
mais elle ne partage pas
suffisamment pour y
« L’Homme doit
parvenir. « La technologie
d’abord se
va nous sauver de tout,
pense-t-on communéré-entendre avec
ment. Grâce à elle, nous
lui-même avant
pourrons
reconstituer
de se ré-entendre ou parer à tout ce que
nous détruisons. » Cette
avec l’ensemble
croyance issue du mythe
du vivant. »
prométhéen a peu à peu
innervé les consciences,
jusqu’à celles de personnalités ou de
scientifiques que l’on croyait robustes
face à la tentation du déni. Or, on ne
peut traiter aucun enjeu mettant en
scène l’homme et son environnement
sans préalablement explorer les conditions d’une « ré-entente » de l’homme
avec lui-même. Trop souvent cette exigence est négligée ou écartée. La faute
incombe en premier lieu à une confusion de l’être et de l’avoir ; le consumérisme nous a peu à peu donné l’illusion
que nous étions au travers de ce que
nous possédions, au risque de provoquer des désordres insolubles.
L’humanité entière est condamnée à
vivre et donc à s’entendre avec ellemême. Elle doit accepter de mesurer
systématiquement les bienfaits et les
L’ESSENTIEL
« Réapprenons
le sens
du mot amour »
« Nous allons souffrir,
mais les raisons d’espérer
sont réelles »
GILLES
BOEUF
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
▼
© PHILIPPE WOJAZER / REUTERS
14 I
30 VISIONS D’AVENIR
tant à chaque obstacle formé par un
mur, un bureau, un trafic, ou un interlocuteur, le pèlerin saisit l’opportunité
de regarder très loin devant lui et de
manière extrêmement nette. Et ce qu’il
voit en premier lieu, c’est la place qu’il
occupe dans le monde contemporain
et dans l’histoire du monde, c’est-àdire une place infiniment petite et
infiniment éphémère. Mais il éprouve
aussi un délicieux orgueil à n’être rien,
d’où il extrait a contrario un sentiment
presque de puissance. Ainsi, de se retourner et d’apercevoir, au loin, un col
de montagne que l’on a franchi deux
jours plus tôt par la seule endurance de
ses jambes et de son mental, rend fort.
L’infiniment petit devient extrêmement grand…
Le Chemin révèle également que, peu
à peu, le fonctionnement entier du
corps devient conscient. Dans notre
quotidien, on déjeune « parce que c’est
l’heure » ; sur le Chemin, « quand on
a faim ». Ainsi débarrassé des codes
sociaux et des conditionnements de
toutes sortes, on revient à l’authenticité
du corps et de l’esprit, dans le sillon de
laquelle on réinscrit son rythme. L’expérience ne déçoit jamais. « Le Chemin est
toujours le plus fort » : ce sentiment de
soumission est agréable, car il ne résulte
pas d’un acte hiérarchique exercé par
une autorité humaine, mais émane d’un
appel mystérieux qui étrangement invite le pèlerin à engager avec le Chemin
un dialogue et une relation hors normes.
Malgré tout ce qu’il charrie d’entraves
physiques ou d’occasions de découragement et de renoncement, le Chemin
tient toujours ses promesses.
L’homme prend aussi conscience qu’il
est lui-même un déchet. Le Chemin est
à l’image de la vie : il traverse des endroits magnifiques et d’autres sordides
et massacrés. Cette confrontation aux
dégâts du système économique mondial et de la folie financière terrifie. Bien
sûr, arpenter le Chemin ne propose pas
de solution. Mais il expose à cet indicible et offre de prendre conscience
autrement, profondément, durablement de ces dégâts… Tous les pèlerins
n’épousent pas les mêmes convictions
en matière politique ou économique ;
en revanche ils ne peuvent que partager un constat commun, à partir duquel
chacun d’eux, en fonction de ses référents idéologiques personnels, pose un
diagnostic et une interprétation. Pour
toutes ces raisons, si l’ensemble des
décideurs – politiques, économiques –
accomplissaient le Chemin, sans doute
les finalités de l’économie seraientelles moins virtuelles et davantage
humaines. » ■
2003
Début des bombardements aériens
américains et britanniques sur l’Irak
de Saddam Hussein, dix ans après la
première guerre du Golfe, cette fois sans
mandat de l’ONU en raison notamment
de l’opposition de la France. Aux États-Unis, la loi
Sarbanes-Oxley, en réponse aux scandales Enron
et Worldcom, criminalise les manipulations comptables.
France Telecom annonce des pertes records de
20,7 milliards d’euros et Vivendi Universal de 23,3 Mds.
I 17
16 I
30 VISIONS D’AVENIR
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
RÉCONCILIER
RÉINVENTER
« Faisons fructifier
les trésors de la jeunesse »
© LIONEL BONAVENTURE
NICOLAS
BAVEREZ
ÉCONOMISTE,
HISTORIEN ET AVOCAT
« Bâtir un rêve d’avenir est aussi
essentiel que conserver la mémoire »
BORIS
CYRULNIK
D
«
ans les sociétés traditionnelles, le sentiment de
confiance naît du simple fait d’appartenir à un
groupe restreint. Dans les sociétés modernes, en
revanche, s’impose la multiplicité des relations
sociales à travers lesquelles potentiellement la
confiance doit émerger. Ces liens tissés sont moins forts qu’au sein
d’un groupe restreint. D’après les travaux du sociologue américain
Mark Granovetter, ces liens dits faibles ont néanmoins plus d’importance que les liens dits forts. En termes d’emplois et de carrières
MONIQUE
professionnelles, ils seront en effet davantage vecteurs de nouvelles
DAGNAUD
rencontres et d’opportunités.
SOCIOLOGUE
La confiance n’est pas innée. Tout au moins, pas fondamentalement.
Elle relève d’une construction, y compris dans les groupes rapprochés,
tel le foyer. Elle s’éprouve, se construit à travers la construction de liens,
d’abord au sein de la famille, puis tout au long du parcours scolaire et
professionnel. Au fur et à mesure
que l’on avance dans l’existence,
« L’échec construit l’individu
la confiance se construit, se renet le pousse à grandir. »
force, se nourrit. Cette construction progressive doit s’effectuer en s’écartant de la peur de l’échec, qui paralyse. En effet, l’échec
construit l’individu, le pousse à grandir. Or la société française, et a fortiori son système éducatif qui ne sanctionne qu’une forme d’intelligence,
ne reconnaît pas ce droit à l’échec. Celui-ci est essentiel, puisqu’il est
partie intégrante de toute prise de risque.
Notre société est par ailleurs caractérisée par une forme d’immobilisme,
dans un contexte de pessimisme collectif nourri par l’impuissance des
élites à opérer tout changement, par la mondialisation, par la crise et
par la financiarisation de l’économie. Ce contexte pousse l’individu à
prendre les armes, à se saisir de son destin. Cette énergie individuelle
positive renforce le sentiment de confiance en soi, en l’autre, en l’avenir. Comme un paradoxe, cette confiance individuelle ne renforce pas
le sentiment de confiance collective en l’avenir et en nos institutions.
Celle-ci ne sera restaurée qu’à la condition que la classe politique mène
de profondes et ambitieuses réformes et propose un projet politique
mobilisateur qu’elle conduira jusqu’à son terme. Le gouvernement doit
s’engager pour transformer radicalement la société.
Deux grandes réformes semblent indispensables, essentielles, impératives. Celle des retraites, avec le recul de l’âge de la retraite et l’instauration d’un régime uniforme. Et celle du système éducatif. Plusieurs pistes
doivent être explorées : refonte du statut des enseignants, augmentation
des effectifs, développement des enseignements individualisés et instauration d’un système d’évaluation de l’école dans sa capacité à faire
réussir l’élève. Ces réformes permettront à la société d’entamer sa mue
et de restaurer un climat de confiance collective. » ■
NEUROPSYCHIATRE
L’
« 
écriture
est
une manière –
parmi d’autres,
comme
les
médias – d’officialiser la mémoire. Écrire peut tout
changer [avec la publication chez Odile
Jacob de Je me souviens puis de Sauvetoi la vie t’appelle, le neuropsychiatre
relate, soixante-quatre ans plus tard, son
enfance de petit juif raflé par la Gestapo,
ndlr]. Enfant, j’étais « chose » : on m’a
arrêté, enfermé, persécuté, poussé à
m’évader, on a brisé ma famille ; en
écrivant, je n’étais plus « chose » mais
« moi », et ainsi j’ai pu reprendre un
peu possession de mon monde intime.
Je suis redevenu « sujet » de ma parole.
La mémoire est plurielle : biologique,
affective, sociale, sémantique, d’images,
etc. Une forme de mémoire empêche
l’évolution de la création : celle dite des
« perroquets », fondée sur une répétition mécanique de ce qui a précédé, prisonnière de son passé, et donc dépourvue d’esprit d’innovation. Cette logique
sclérosante, qui amène les théories à se
transformer en dogmes et exhorte
l’individu à la médiocrité pour
s’assurer la moins mauvaise des
situations, domina aussi bien au
sein du bloc communiste que
dans le Japon d’avant la tragédie de Hiroshima. Et, même
en France, elle est toujours
aussi puissante dans nombre de
domaines professionnels.
Ainsi, on peut davantage
espérer faire carrière dans
les métiers scientifiques
si l’on sait répéter la voix
du maître ou intégrer les
critères à partir desquels son
travail pourra être produit
dans une revue scientifique.
Alors qu’émettre une innovation « dérange », et donc exclut desdites revues
et entrave la progression hiérarchique.
« Si on oublie le passé, on répète le passé. »
Ce postulat est-il systématique ? Je ne
crois pas. Conserver la mémoire est essentiel, mais proposer, bâtir, partager un
rêve d’avenir l’est tout autant. Ces deux
items sont indissociables si l’on veut
donner les moyens de nourrir l’existence du plus sûr rempart à la barbarie :
le sens. Sens sans lequel la vie est réduite
à la quête, au plaisir, à la consommation
aussi aveugles qu’immédiats. Comme
chez les drogués. Là encore, l’innovation intervient de manière prépondérante. Employer le passé pour innover,
à l’instar des romans de Jorge Semprun,
est déterminant dans la constitution de
ce sens et de ce rêve d’avenir. Il n’y a pas
d’existence sans avoir préalablement
saisi l’intérêt qui la nourrit. D’où, d’ailleurs, la responsabilité de stimuler chez
les enfants et les adolescents la nécessité de fertiliser cet intérêt.
Selon plusieurs témoignages, Adolf Hitler aurait déclaré à propos des Juifs :
« On peut les tuer tous ; qui se rappelle du
génocide arménien ? » Se taire signifie
être complice des négationnistes. Pour
autant, dire ne doit pas se transformer
en inculpation, ou en règlement de
comptes. « Je suis heureux, car chacun de
mes livres sera comme un revolver braqué
sur la tête d’un Allemand », s’exclama
Primo Levi lorsque ses ouvrages furent
traduits outre-Rhin… La moins mauvaise méthode consiste à chercher à
comprendre les racines et les mécanismes de la barbarie, et à s’affranchir
des dogmes stéréotypés dans lesquels
on enferme volontiers des événements
aussi indicibles que l’extermination
d’une population. On apporterait alors
une vraie innovation… » ■
« Employer le passé pour innover est déterminant
dans la constitution d’un sens, plus sûr rempart à la barbarie. »
DES CAUSES ET DES RAISONS
« La violence n’est jamais à sens unique »
© ALAIN JOCARD
ERIC DE
MONTGOLFIER
ANCIEN MAGISTRAT
appréciation
de
la
violence
n’est
jamais
objective. La violence ressentie est toujours
très différente de celle que l’on fait
subir. On peut d’ailleurs être violent
sans même s’en rendre compte. De
nombreux sujets doivent nous obliger à nous saisir d’un miroir et à nous
regarder. Il est intéressant à ce titre de
se pencher sur la façon dont la société
française vit ce qui est dénommé terrorisme islamique ou islamisme. Elle
se focalise sur ce qu’un petit groupe
fait subir au nom de l’islam en oubliant
que sa violence peut être considérée
comme une réponse à ce que nous
avons fait subir à ceux qui se réclament de l’islam. Il est difficile d’avoir
une pensée objective, mais la réalité
est celle-là : nous-mêmes n’avons-nous
pas semé les ferments de cette violence
au nom de notre religion ? Bref, la violence n’est jamais à sens unique.
Il faut par ailleurs se méfier du sens
des mots. Parfois, on en abuse. Par
exemple, la morale est-elle une violence ? J’ai davantage le sentiment qu’il
s’agit d’une nécessité qui « contraint ».
Mais cette nécessité de la contrainte
doit être rattachée à l’intérêt général.
L’autorité dans la société, dans l’entreprise, est un mal nécessaire. Cependant,
le pouvoir et l’autorité qu’il exerce sont
d’autant plus violents que ce pouvoir est
faible. Dès lors s’agit-il encore d’une violence ? Ainsi, une contrainte s’exerce sur
l’enfant à le « pousser » à l’école, à lui
dispenser une éducation, à faire en sorte
que plus tard il pourra vivre en société
et servir celle-là. Il s’agit alors d’une vio-
▼
2005
Forum social mondial à Porto Allegre au
Brésil. Entrée en vigueur du protocole
de Kyoto sur la réduction des émissions
de gaz à effet de serre. Décès du pape
Jean-Paul II, remplacé par Benoît XVI.
Le 25 août, l’ouragan Katrina dévaste le sud-est
des États-Unis. Son coût est généralement estimé
à plus de 100 milliards de dollars, ce qui en ferait
la catastrophe naturelle la plus chère de l’histoire
américaine, loin devant l’ouragan Andrew de 1992.
lence bénéfique, nécessaire pour amener à la collectivité des comportements
acceptables. La civilisation et la collectivité contiennent la violence. C’est ce qui
permet même de les définir.
Mais la violence vient vite. La tentation
de la violence est immense. Parfois, d’aucuns font semblant de se battre pour
éviter d’avoir à se battre. On évite toute
forme de conflit alors que justement ce
conflit peut parfois être utile. On simule
l’opposition, la lutte, la violence. Or, la
société a également besoin d’autorité, à
condition que celle-ci s’exerce dans un
contexte démocratique.
Il ne faut pas simplement s’interroger
sur la violence symbolique, sous-jacente, presque invisible, par rapport à
ces formes de violence qui, telles celles
dites conjugales, explosent en nombre
et sont faciles à percevoir. Mais elles
sont une réponse à d’autres formes de
violence que sont la misère, l’exclusion
et la pauvreté, moins évidentes. Le magistrat doit toujours entendre les deux
parties, même lorsque la société est plutôt encline à n’en entendre qu’une. Je
me suis toujours refusé à ignorer ce qui
peut pousser un délinquant à agir. Il est
une extrême violence que notre société
▼
2006
Mittal Steel, le numéro un mondial
de l’acier, d’origine indienne, lance
une OPA hostile sur le groupe Arcelor
pour un montant de 18,6 milliards
d’euros. Alan Greenspan, qui s’interroge
sur « l’exubérance irrationnelle des marchés financiers »
qu’il a largement alimentée par une politique monétaire
laxiste, est remplacé par Ben Bernanke à la tête de la
Fed. Crise de la grippe aviaire en Chine. Condamnation
à mort et pendaison de Saddam Hussein.
fait subir : celle de refuser d’entendre
les causes et les raisons des violences
qu’elle-même affronte.
Notre époque est celle d’une société
totalement égocentrique. La notion
de respect de l’autre s’effrite. Nous ne
reconnaissons plus l’autre comme un
interlocuteur valable. Or il n’y a pas de
société sans les autres, sans le vivreensemble. Les gens ne sont heureux
de faire ce qu’ils font que s’ils en comprennent la finalité, et si on respecte leur
travail et ce qu’ils sont dans leur individualité. Voilà ce que devrait être un projet de société pour toute la société ». ■
▼
© PHILIPPE WOJAZER / REUTERS
L’
«
© FILIPPO MONTEFORTE/AFP
© ROBERT GALBRAITH / REUTERS
2004
nologiques, les produits et les emplois
de l’économie verte se retrouvent donc
en Californie et à Pékin.
Au-delà d’un mode de production
capitalistique qui montre des limites
et nécessite des changements, la crise
française est également profondément
politique. Les responsables politiques
et syndicaux sont en porte-à-faux. Le
débat public entre les citoyens et leurs
élus n’existe plus. Par exemple, les
grandes infrastructures en construction, outre le fait qu’elles doivent être
évaluées et sélectionnées avec soin et
financées de manière innovante compte
tenu des contraintes de nos finances
publiques, doivent surtout être débattues pour être acceptables pour la population. Il faut utiliser pour cela les mécanismes de la démocratie participative,
facilités par les nouvelles technologies.
Les responsables politiques doivent se
remettre en question, ce qui ne sera pas
facile. Cela interviendra sous la pression
des citoyens qui sont de plus en plus en
avance sur leurs dirigeants.
La France dispose désormais de cinq
ans pour se réformer ou pour s’effondrer en entraînant l’euro et le grand
marché dans sa chute. Si les réformes
continuent à ne pas être faites, la violence et le populisme se déchaîneront,
faisant naître un risque réel de révolution. Il n’y a aucune fatalité au déclin de
la France. Il ne dépend que des Français
de réinventer un modèle économique
et social qui leur soit propre tout en
étant performant dans la mondialisation, comme l’ont fait avant eux les Canadiens et les Suédois, les Allemands,
les Américains ou les Espagnols. Nous
disposons pour cela de tous les atouts ;
seuls manquent la volonté et l’espoir.
Cessons d’avoir peur du monde présent. Cessons de cultiver l’illusion
délétère d’un retour aux « trente glorieuses ». Construisons la France et
l’Europe du xxie siècle ! » ■
© GUILLAUME BRAUNSTEIN
L
▼
Le 1er mai, l’Union européenne s’élargit
à dix ex-pays du bloc de l’Est, portant
le nombre de ses membres de 15 à 25.
Nouvelles règles prudentielles du Comité
de Bâle sur les risques bancaires,
dites Bâle II, censées contrôler les risques pris sur
les marchés financiers. Le 4 février, le réseau social
Facebook est lancé par Mark Zuckerberg, un étudiant
d’Harvard. Il atteint le milliard d’utilisateurs au début
de la décennie 2010.
« Le pessimisme ambiant
pousse l’individu à
se saisir de son destin »
© FRANCOIS LENOIR / REUTERS
P
«
e capitalisme est un
mode de production
et d’organisation de
la société qui a beaucoup servi l’humanité. En deux siècles et demi, il a fait
progresser l’espérance de vie moyenne
de 35 à plus de 80 ans, alors qu’il avait
fallu dix-huit siècles pour passer de 25 à
38 ans. Mais aujourd’hui, ce capitalisme
connaît des dérives. Il faut le réguler
pour servir le bien commun et assurer une redistribution qui permette
un développement inclusif prenant en
compte les plus vulnérables. Le capitalisme doit aussi être soutenable, en
produisant de manière performante
et en préservant les ressources. L’économie n’est pas une fin en soi mais un
moyen au service de la liberté et de la
dignité des hommes, ainsi que du lien
social. De fait, nous devons fixer des
limites au marché et l’empêcher de
devenir totalitaire. Tout ne peut pas
s’acheter ou se louer : les diplômes, la
nationalité, les mères porteuses. Certaines activités doivent être tenues
hors de la sphère marchande. D’autres
doivent être accessibles à tous dans le
domaine des services publics ou des
biens de première nécessité.
Bien que la conjoncture mondiale soit
compliquée, je ne crois pas à la thèse
de la grande stagnation. Il existe des
sources de croissance nombreuses et
puissantes dans le xxie siècle, même si
la population mondiale se stabilise progressivement et que les ressources sont
rares : la montée des nouvelles classes
moyennes des pays du Sud, l’économie
numérique, l’économie des seniors,
l’économie verte. Dans le domaine de
l’écologie, la Chine ou les États-Unis
sont dans une logique de développement, d’investissement et d’innovation,
tandis que l’Europe reste enfermée dans
une logique malthusienne de réglementation et de fiscalité. Les percées tech-
S’AFFRANCHIR
RÉFORMER
« Cessons d’avoir peur
du monde présent »
«
resque 2 millions (1,9) de jeunes Français sont estampillés NEET (ni en emploi, ni en études, ni en formation), et nombre d’entre eux sont des « décrochés ».
En premier lieu, il leur manque du sens individuel
FONDATEUR
DE L’ASSOCIATION
et collectif. Qu’est-ce que le sens ? C’est d’abord une
CITÉS D’OR
direction. Où va-t-on ? Que cherche-t-on ? Quel horizon se donne-ton ? Y répondre est essentiel pour mobiliser son énergie intellectuelle,
physique, émotionnelle. Mais cela ne suffit pas ; il faut également investir cette direction d’une « signification », à travers laquelle on se rapproche de soi-même et de ce que l’on attend de l’existence. Or face à
cette question, une large partie de la jeunesse et, au-delà, de la société
française, est désarmée. Enfin, lorsqu’on est parvenu à apporter une réponse, même provisoire, il faut travailler à incarner ce sens dans sa vie
quotidienne. L’accomplissement du sens résulte dès lors d’un chemin
long et cahoteux, dont nombre de jeunes s’écartent ou sont chassés. Il
faut donc les accompagner.
L’affaiblissement de la plupart des intermédiations (institutions publiques, syndicats, partis politiques, école) elles-mêmes en panne de
signification, et d’incarnation, ne peut qu’obstruer cette espérance de
sens. Elles payent le tribut d’un fossé devenu insupportable entre la grandeur des principes professés
– discours généreux, républicain méritocratique,
responsabilisant – et la médiocrité des pratiques effectives. Ce fossé a creusé un abîme de défiance, et
ces canaux historiques de transmission d’un capital
social partagé sont discrédités. Comment s’étonner
alors de voir prospérer une génération d’« orphelins », dont les comportements, les codes sociaux et
les aspirations échappent à leurs aînés, une génération qui semble venue de nulle part ? Cette génération
a été symboliquement livrée à elle-même, et on ne
peut pas dire que notre société lui offre une place de
choix : la moitié des 20 % de Français les plus pauvres
a entre 16 et 29 ans ! La responsabilité collective est
d’accompagner cette jeunesse vers l’identification
d’un horizon individuel et collectif. Elle contribue à
l’édification du monde de demain, mais ne le sait pas
encore. Elle peut et doit prendre son destin en main,
de façon consciente et responsable, et ainsi devenir
« Il n’y a motivation
citoyenne et actrice de la société.
que s’il y a désir,
Pour cela, il faut revaloriser ce que le système éduet désir que s’il y a
catif, enclin à trier une élite remarquablement compétente techniquement mais dépourvue de créativité,
possibilité d’investir
de vision et d’intelligence des situations, étouffe : la
son intelligence. »
confiance en soi – le sentiment que je peux satisfaire
mes besoins et poursuivre mes désirs de façon autonome –, le respect de soi – le sentiment que j’ai les mêmes devoirs ET
les mêmes droits que les autres – et l’estime de soi – le sentiment que
j’ai une contribution singulière, même modeste, à apporter à la société. Réconciliation avec soi-même – pour dépasser la schizophrénie –,
avec les autres – pour promouvoir la réciprocité et la justice – et avec le
monde – pour lutter contre la peur de l’avenir : voilà à quoi nous devons
œuvrer pour juguler le décrochage. Pour cela réinventons des espaces
de co-apprentissage, d’échange et de « co-naissance », des espaces de
fraternité. Car sinon, nous devrons faire face au désengagement et au
repli des citoyens, et donc au dépérissement de tout ce qui « fait » que
nous « faisons société ». Ce désengagement pourrait être sournois et
invisible, il pourrait aussi prendre la forme d’un chaos si les frustrations
et les contestations de ceux qui se sentent « mal nés », laissés-pourcompte, méprisés, et confinés à être spectateurs de leur existence, se
radicalisent et se « coalisent ».
La compétition économique génère de la souffrance et marginalise. Et
pourtant, elle est présentée comme rationnelle et performante. Mais un
modèle qui a pour seule perspective commune la croissance du PIB et
la réduction des déficits, qui détruit économiquement, socialement, humainement au moins autant qu’il crée de la richesse, est-il performant ?
Un modèle qui, par le truchement d’une solidarité étatique désincarnée, maintient sous perfusion une population qu’il place lui-même
en dehors du jeu économique et social est-il rationnel ? Imagine-t-on
les progrès si tant de personnes désœuvrées, jeunes ou moins jeunes,
investissaient leur énergie, leur intelligence, leurs trésors d’inventivité
dans une activité, quelle qu’elle soit, porteuse de sens à leurs yeux ? Il
n’y a motivation que s’il y a désir, et il n’y a désir que s’il y a possibilité
d’investir son intelligence. » ■
KARIM
MAHMOUDVINTAM
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
2007
« Notre société fait
subir une extrême
violence :
celle de refuser
d’entendre les causes
et les raisons
des violences qu’ellemême affronte. »
Flambée des prix de l’alimentation
et de l’énergie. Le monde serait, selon
les experts, en train de vivre le peak oil,
le sommet de la production. Début
de l’exploration des ressources
non conventionnelles, comme les gaz de schiste. Nicolas
Sarkozy élu président de la République. La fermeture
de fonds de BNP Paribas accélère la crise des subprimes
aux États-Unis : interventions massives des banques
centrales durant l’été pour rassurer les marchés, en vain.
I 19
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
LE BONHEUR
LES CITOYENS
PASCAL
PERRINEAU
« Le bonheur est conditionné à la reconnaissance
de sa valeur par autrui et à la reconnaissance, par
soi, de la valeur d’autrui. »
2008
«
interroger sur le rapport des Français au politique
oblige à explorer deux aspects. D’abord, la nature
même de ces rapports avec la sphère politique. Il
POLITOLOGUE
s’agit ensuite d’envisager les chemins de la réinvention du politique qui retrouverait la confiance des
Français. Les partis politiques constituent l’institution politique la plus
touchée par la défiance. Ce sentiment est gigantesque et frappe toutes
les démocraties européennes, mais notre pays est sans doute celui qui en
souffre le plus. D’ailleurs, cette défiance se transforme en phénomène de
rejet. Et de nouvelles attitudes se font jour : celle de dégoût du politique.
Et même, osons le mot, de « haine ».
Que font les Français de ce dégoût du système politique ? Deux débouchés s’ouvrent à eux. Le premier consiste en un retrait provisoire ou
définitif de la vie politique. Certains citoyens considèrent que, puisque
le système ne les intéresse plus, ils ne s’exprimeront plus. Et décident alors de se dégager de la
sphère politique pour investir la sphère sociale
et des relais de proximité, davantage dignes de
confiance. Car si aujourd’hui la défiance est
ressentie vis-à-vis du haut, des élites, des corps
dirigeants, la confiance l’est davantage au sein
du bas de notre société, famille et TPE/PME en
tête. Les partis politiques ne remplissent plus
leur rôle d’imagination politique et d’élaboration du vivre-ensemble, mais sont bel et bien
devenus essentiellement des machines à délivrer des investitures.
Le second comportement consiste à demeurer
intégré au système politique, mais à développer
une forme de politisation négative. Certains
Français se tournent vers des organisations qui
possèdent cette capacité à politiser, à instrumentaliser le rejet de la politique, et pas seule« L’enjeu est d’articuler ment aux extrêmes. Le phénomène se distille
dans l’ensemble des forces politiques et exhorte
la défiance d’en haut
à la plus grande vigilance, en ce qu’il constitue
(politique) avec
une très profonde contestation de la démocratie
représentative, pluraliste, libérale. Cette démola confiance d’en bas
cratie, détrompons-nous, n’est pas un acquis. Et
(famille et PME). »
l’on voit poindre à l’horizon un possible hiver de
la démocratie.
Quelle que soit la bouderie dont font part les électeurs dans les enquêtes d’opinion, l’élection présidentielle reste, pour eux, décisive.
Dans l’intervalle qui sépare de cette échéance, cette haine du politique devrait faire place à de nouveaux comportements. Les récentes
élections européennes en sont la preuve. Elles ont été marquées par
une très forte abstention, qui correspond à des comportements de
sortie du système, mais qui contient également une très importante
dimension protestataire. Et les abstentionnistes doivent être pris en
compte. Peut-être sont-ce eux qui influeront sur le résultat de la prochaine élection présidentielle.
Un autre comportement consiste pour le citoyen à s’exprimer, à prendre
la parole. Face à ce mouvement qui vient d’en bas, pourtant, le politique
ne réagit pas véritablement. Sauf peut-être dans ce phénomène nouveau qu’est l’organisation de primaires, qui devrait s’imposer, appelant
les électeurs à faire connaître leur opinion. La société des citoyens plus
ou moins organisée cherche à prendre la parole, notamment à l’échelle
locale. D’ici à la présidentielle, ce monde citoyen doit se structurer pour
ajouter un surcroît de représentativité à la démocratie verticale. Afin
d’articuler la défiance d’en haut avec la confiance d’en bas. » ■
2009
Élu en novembre 2008, Barack Obama,
premier président noir à la Maison
Blanche, succède à George W. Bush.
Suppression de la publicité entre
20 heures et 6 heures sur les chaînes
publiques françaises. Alors que le chômage flambe,
Nicolas Sarkozy lance le « grand emprunt »
de 35 milliards d’euros. Le 9 octobre 2009, début de
la crise grecque lorsque le pays annonce qu’en 2009 son
déficit pourrait s’établir entre 10 % et 12 % de son PIB.
y a-t-il pas un
décalage entre
notre société
qui change à
toute vitesse
et l’offre politique ? Le vrai débat porte
sur la relation que doivent exercer les citoyens par rapport au pouvoir et sur les
modes d’exercices du pouvoir dans une
société en profonde mutation. Il semble
que nous soyons entrés dans une rupture salutaire. Nous ne sommes pas en
crise, mais bel et bien en métamorphose.
En effet, si nous traversions une époque
de crise, nous retrouverions au sortir
de celle-ci une situation ex ante. Bien au
contraire, il faut s’attendre à trouver une
société transformée, née d’une révolution dont nous sommes bien incapables
de mesurer les forces.
La nature profonde de la société française s’appuie sur le triptyque « Un
prince, une religion, un peuple ». Or la
société de demain sera tout l’inverse :
elle sera horizontale. Mais notre offre
politique continue de se proposer dans
un schéma dominant-dominé. Or, en
peu de temps, il est possible de changer
l’offre politique, à condition d’accepter
que le rôle d’un décideur politique ne
soit pas d’être au-dessus d’une communauté territoriale ou nationale, mais
d’être au cœur de cette communauté.
Par ailleurs, cette révolution est sans
doute l’une des plus compliquées à opérer pour les hommes politiques français. Ils demeurent enfermés dans l’idée
qu’ils gèrent un territoire et qu’à l’intérieur de ce territoire leur pouvoir est de
maîtriser la circulation des hommes,
des idées, des capitaux et des marchandises. Mais la mondialisation a fait voler
PRÉSIDENT
DU CONSEIL
ÉCONOMIQUE,
SOCIAL
ET
ENVIRONNEMENTAL
« Quand un peuple ne croit plus
en rien, il est prêt à croire à tout.
Il est donc l’heure de réinventer
la société et le politique. »
▼
© DR
© YURIKO NAKAO / REUTERS
▼
S’
N’
JEANPAUL
DELEVOYE
« Regardons les pauvres
autrement »
JÉRÔME
COLRAT
PRÉSIDENT
DU SAMU SOCIAL ET
DIRECTEUR D’ALYNÉA
les frontières en éclats. Plus personne
n’est à même de capter les flux, a fortiori financiers. La géopolitique s’est
transformée. Si l’on ne parvient plus
à maîtriser les frontières, les menaces
se rapprochent. La question pour le
politique n’est plus de savoir quelle
puissance territoriale il doit construire,
mais bien plus la manière de rendre ce
territoire attractif pour les talents et les
capitaux du monde entier.
L’offre politique d’aujourd’hui est stupide. Parce que notre système n’est pas
représentatif. Où sont les représentants
des créateurs de richesses ? Où sont les
représentants des précaires et des chômeurs ? Notre système stigmatise, il ne
représente pas. En outre, les décideurs
politiques sont aveuglés par le courttermisme. Nous sommes entrés dans
une démocratie d’émotions et non plus
de convictions. Il faut donc restaurer le
sens critique. L’erreur politique majeure
des gouvernants est de vouloir diriger
les peuples par des émotions, alors
qu’on ne peut les stabiliser que par des
convictions. Les dirigeants politiques
n’entendent pas le rappel à l’ordre des
citoyens pour qui une vision est essentielle, fondamentale. Car sans vision,
pas de projet, et sans projet, pas de
mobilisation. Or quand un peuple ne
croit plus en rien, il est prêt à croire à
tout. Les dirigeants demeurent encore
obsédés par la seule conquête du pouvoir, sans projet de société. Il n’y a plus
d’idéal, seulement des calculs et des
« petits » comportements d’hommes
et de femmes qui lorgnent ce pouvoir.
Sans perspective d’espérance portée par
le politique, on exacerbe les peurs. Alors
qu’il suffirait de renverser ces peurs
pour les transformer en énergie positive. De sortir de la société des peurs et
du mépris pour entrer dans une société
de valorisation de la créativité et de reconnaissance des talents. L’enjeu prioritaire est donc de réinventer la société et
le politique. » ■
© MUSTAFA YALCIN / ANADOLU AGENCY
l’aventure entrepreneuriale. Car celle-ci
interroge des ressorts aussi essentiels
que la considération de l’autre, le sens et
l’expression de la responsabilité, le partage des valeurs – et celles notamment
dans lesquelles s’inscrivent les manières
de produire, de financer, de manager, de
rémunérer, etc. – vers lesquels converge
la joie de la création partagée. Ne peuton pas attendre de chaque salarié qu’il
donne le meilleur de lui-même dès
lors qu’il a pour l’autre, dépendant de
sa propre tâche, un profond respect ?
Chercher à instaurer une réciprocité à la
fois intelligente et donatrice peut même
constituer une parade aux difficultés,
car de son application résultent une mobilisation, une réactivité, une créativité
collectives salvatrices. L’entreprise peut
donc, à ces conditions, revendiquer être
une identité vivante, elle invite chaque
salarié à se sentir cocréateur et coacteur de ses avenirs, autant personnel
que commun, elle devient un collectif
d’individus qui décident de créer, de fabriquer, de vendre, d’être récompensés
ensemble, et donc sont habilités à décider du destin de l’entreprise. Bien sûr,
l’entreprise n’est pas « amour », mais
elle peut être œuvre commune.
Reconnaissons que le sens procuré par
l’activité de l’œuvre entrepreneuriale
ne peut suffire face aux injonctions,
implacables, du marché et de la guerre
économique. Le risque pour le créateur est de « basculer », c’est-à-dire de
renoncer à son idéal, à son exigence, à
son intégrité originels et de multiplier
les compromis pour s’assujettir exagérément à ces injonctions. Et alors ce
qui fondait le sens même de son action
entrepreneuriale se vide, et l’intéressé
devient un simple acteur de la guerre
économique dans laquelle il ne peut que
se perdre puisqu’il n’est pas naturellement et intrinsèquement armé pour y
figurer. La plus sûre riposte à ce spectre
a pour nom philosophie.
Grâce à elle, qu’on peut résumer à « la
réflexion sur les conduites le mieux à
même de nous mener à l’accomplissement », l’entrepreneur peut sortir de
l’enfermement et ne pas « se » réduire
à un simple agent économique, il peut
conserver sa liberté intérieure, il peut
travailler à maintenir la signification de
ce qu’il conçoit, il peut mettre la distance nécessaire pour assurer sa protection, il peut engager avec lucidité les
révolutions nécessaires – aussi douloureuses voire sacrificielles soient-elles.
Bref, à cette condition, il se retrouve
comme individu humain. Et se recrée.
Vive donc la philosophie ! » ■
En septembre, la chute de la banque
américaine Lehman Brothers déclenche
une crise financière mondiale sans
équivalent depuis 1929. Les Bourses
s’effondrent : le Dow Jones, après
son historique à 13 680,19 points en 2007, passe sous
les 10 000 points. Les États-Unis et l’Union européenne
mettent en place des politiques de soutien massif du
secteur bancaire. La récession mondiale s’enclenche, les
cours du pétrole chutent de près de 60 % en trois mois.
« Nous ne sommes
pas en crise, mais
en métamorphose »
«
L
«
a prise en compte par la société de la pauvreté s’est
considérablement dégradée depuis quelques années.
En cause ? En premier lieu la crise, qui encourage au
repli sur soi et à défendre son pré carré. La considération des différences de trajectoires de vie, d’un modèle
économique excluant, de l’enjeu du vivre-ensemble s’est délitée. Les
phénomènes de rejet des populations singulières – pauvres, étrangères –
dominent les débats. Auparavant, des initiatives comme celles d’Alynéa
et du Samu social, qui luttent contre la grande pauvreté, étaient massivement saluées ; aujourd’hui, on les montre du doigt. Jusqu’à fulminer
contre les aides et subventions. L’opinion publique s’autorise désormais
à proclamer ce qu’elle s’interdisait hier. Il n’y a plus de retenue dans la
parole, or la retenue contribue à la salubrité des relations humaines et
sociales. Des digues ont lâché, qui ont déversé des discours inadmissibles. Récemment, apprenant la nature de notre activité, l’acheteur
d’un véhicule que nous cédions n’a pas hésité à vomir sur elle : « Rasle-bol de financer des associations qui s’occupent des feignants, des étrangers
et des inutiles ! » « On » continue d’avoir de la considération pour les
gens en grande souffrance, mais elle est anémiée par le fait qu’ils sont
pris en charge par une solidarité nationale à
laquelle « on » contribue. Et lorsque ces gens
sont étrangers, l’interrogation s’enflamme.
Voilà la nouvelle réalité. Si on ne se préoccupe pas d’y apporter des correctifs, la société court à la catastrophe.
Cette dégradation du regard porté par le
citoyen sur la pauvreté produit de nombreux
enseignements. Il est de plus en plus difficile
de vivre collectivement, la société s’est laissée
envahir par une peur et un sentiment d’insécurité irrationnels, et elle crève de solitude.
Pour preuve, les solidarités de voisinage se
dissolvent au point que l’on peut laisser un
voisin de palier gésir dans son appartement
pendant deux ans. D’autre part, celui qui ne
répond pas aux critères de performance est
rejeté. « À quoi sert-il ? », s’interroge-t-on. Et
dès lors, « À quoi sers-je ? », se demande-t-il.
Ce grave questionnement n’aurait pas lieu
d’être si la « place de chaque homme au sein
de la société » était sanctuarisée. Or il n’a
jamais été aussi prégnant, et les modèles économiques concourent à son exacerbation. La
disparition progressive de métiers qui assuraient à des publics peu
instruits d’occuper cette fameuse « place », ou le niveau de qualification démesuré exigé pour en exercer d’autres, l’illustrent. Bientôt il
n’y aura presque plus de caissiers ou de péagistes, et les rares encore
en fonction devront brandir une licence universitaire pour être recrutés ! Ce mouvement dit de progrès destiné à porter toujours plus haut
la rentabilité et l’excellence est synonyme de marginalisation programmée de pans entiers de la société.
Il faut mettre en œuvre de quoi accueillir ces « exclus de la performance », et travailler en profondeur pour faire admettre que la « valeur » d’un trader millionnaire n’est pas supérieure à celle d’un modeste
ouvrier, car ce dernier d’une part est « debout » grâce à son emploi,
d’autre part fait peut-être preuve d’un altruisme précieux dans son entourage. Le modèle économique et consumériste dissout la cohérence
de la société parce qu’il crée des inégalités abyssales. Il fracture donc
la mise en lien. Comment, dans une société qui place sur un piédestal les trajectoires financières et matérielles les plus inaccessibles et y
conditionne le vocable « réussite », le modeste citoyen peut-il ne pas se
sentir médiocre, rejeté, même « raté » et humilié ? Or la vraie réussite se
mesure à d’autres critères : la générosité, le sens de l’autre, et des actes
de solidarité grâce auxquels on se bonifie et on cultive l’estime de soi.
Si nous parvenons à réhabiliter cette « valeur » universelle, nous aurons
accompli un grand pas vers la régénération du vivre-ensemble. » ■
« Des digues ont lâché, il n’y a plus
de retenue dans la parole.
Or, la retenue contribue à la salubrité
des relations humaines et sociales. »
▼
© REUTERS STAFF / REUTERS
L
e bonheur constitue
une question permanente pour l’homme
moderne
depuis
l’Antiquité grecque,
puisqu’il résulte de la nature même
de l’être humain. Qu’est-ce qu’un être
humain ? Une réalité corps-esprit unifiés, au centre de laquelle évoluent, au
même niveau, d’un côté la conscience
de soi, de l’autre le désir, tous deux
s’interpellant et se nourrissant indéfectiblement. L’être humain est en désir
permanent de satisfaction.
Nous cherchons des contenus de désir
de plus en plus enrichissants. Le plus
essentiel d’entre eux est la relation à
autrui. Elle donne contentement et joie,
fonde tous les autres
plaisirs, et sécrète le
plus important 
: la
justification de vivre,
puisqu’on
accède
à la satisfaction à
la seule condition
qu’elle soit entérinée par quelqu’un
d’autre. Autrui est un
sujet comme nous,
il est au centre. Il
est même un centre,
égal à chacun des
autres. Tout individu
gravite autour de, et
existe grâce à tous
les autres centres.
La vraie satisfaction
humaine n’est donc pas ce que le capitalisme ou le libéralisme encouragent :
l’évaluation d’autrui, l’emploi d’autrui,
l’exploitation d’autrui, la domination
sur autrui. Et c’est pourquoi il est capital de renverser son rapport dominateur et instrumentalisant à autrui en un
rapport de reconnaissance. Le bonheur
est certes conditionné à l’estime de soi
et à une joie de vivre intérieure, mais
aussi à la reconnaissance de sa valeur
par autrui et à la reconnaissance, par
soi, de la valeur d’autrui. Cette réciprocité fonde l’amitié et l’amour, mais
aussi la coopération et la construction
d’actes résultant de la satisfaction de
vivre un bonheur commun. N’est-ce
pas l’un des desseins de toute entreprise ? Et ce thème est éminemment
politique : n’oublions pas qu’en 1789
les révolutionnaires inclurent, dans une
version finalement non retenue de la
Déclaration des droits de l’homme et
du citoyen, le « droit de l’être humain à
connaître le bonheur ».
Pour toutes ces raisons, le thème du
bonheur est donc indissociable de
© DR
PHILOSOPHE
«
LA RÉGÉNÉRATION
LES ÉLUS
« Des signaux
de confiance, notamment
en l’entreprise, doivent
se substituer
à la haine du politique »
« La philosophie,
meilleur compagnon
des entrepreneurs »
ROBERT
MISRAHI
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
2010
Un tremblement de terre en Haïti,
le 12 janvier 2010, d’une magnitude de 7
à 7,3, ravage la capitale Port-au-Prince
et fait plus de 230 000 morts. C’est le pire
séisme depuis deux cents ans en
Amérique. Georges Papandréou, le Premier ministre grec,
présente son plan de redressement des finances sur trois
ans : il prévoit de ramener le déficit sous la barre
des 3 % du PIB dès 2012, mais ne convainc pas. Début
de la crise des dettes souveraines dans la zone euro.
▼
© ZOUBEIR SOUISSI / REUTERS
18 I
30 VISIONS D’AVENIR
2011
Printemps arabes : à la suite de la crise
économique, des manifestations éclatent
en Afrique du Nord à la fin de 2010.
Les révolutions tunisienne et égyptienne
provoquent la démission des présidents
Zine el-Abidine Ben Ali le 14 janvier 2011, et Mohammed
Hosni Moubarak, le 11 février 2011.
Oussama ben Laden, chef du réseau jihadiste Al-Qaïda,
est débusqué et tué le 2 mai 2011 par un commando
américain, alors qu’il vivait caché au Pakistan.
I 21
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
TERRITOIRES
L’
«
L
MGR
PHILIPPE
BARBARIN
ARCHEVÊQUE
DE LYON
commune, de département et de proximité protègent. N’oublions pas que
seuls les puissants disposent du pouvoir
de se protéger par eux-mêmes.
L’échelon départemental semble le
mieux adapté aux injonctions de la
modernité si on lui donne d’autres responsabilités que sociales. Et écartons
de la démocratie ces satanées « communautés de communes » qui ne sont
d’aucune résonance dans l’esprit des
citoyens. La société plus horizontale
et mobile a besoin d’une démocratie
locale repensée. En France, raisonnons
métropoles et villes/départements.
Depuis la Révolution française, les
citoyens ont l’habitude d’habiter dans
des départements. La plupart de leurs
repères, notamment administratifs,
y sont circonscrits. Leur découpage
répond à une logique géographique,
puisque la majorité d’entre eux environnent une ville principale et structurent les services publics. Le département constitue souvent un territoire
identitaire, notamment pour les milieux populaires fortement concernés
par l’action sociale. Certaines villes-départements (Lyon, Marseille-Aix) ont
saturé leurs territoires, mais la grande
majorité en sont bien loin. L’initiative de
Michel Mercier et de Gérard Collomb à
Lyon [le président du Conseil général du
Rhône et le président du Grand Lyon ont
convenu de la naissance, le 1er janvier 2015,
de la Métropole de Lyon, ndlr] est donc
logique. Peut-être même devrons-nous
regarder plus loin, et dessiner une seule
grande région Lyon-Aix-Marseille. Avec
10 millions de personnes, elle posséderait une taille « mondiale ». Faire
vivre les citoyens dans des territoires
qui donnent du sens à leur existence :
voilà ce qui devrait dicter l’architecture
administrative et politique. » ■
I
PRÉSIDENT DE RICOL
LASTEYRIE
l existe en France des freins culturels qui entravent le dynamisme d’ensemble. L’un d’eux est tout particulièrement
problématique : les Français n’apprécient pas les patrons…
En cause, un rejet ou tout au moins une relation suspecte
voire coupable à l’argent. Précisons tout de même que le salaire moyen des entrepreneurs en France se situe entre 4 500 et 4 800 euros par mois. Or l’argent n’est pas sale, il faut au contraire le respecter, car
on peut le partager et il permet d’aider… Et même s’ils sont copieusement
rémunérés, cessons de stigmatiser les dirigeants des grands groupes
mondiaux. Ces patrons du CAC 40 sont nos capteurs de la croissance
mondiale. Quelle hérésie de penser que la France pourrait faire de la
croissance toute seule ! Elle doit au contraire s’inscrire dans la croissance
mondiale et pour cela accepter les règles internationales, y compris en
matière de rémunération. Le « grand patron » est un produit rare… Or à
quoi assiste-t-on aujourd’hui ? À une délocalisation des comités exécutifs
de ces entreprises leaders, usées par l’opprobre dont ils sont l’objet. C’est
particulièrement préoccupant, y compris parce que leur activité assure
80 % de celle des ETI, PME et TPE industrielles françaises.
Notre classe politique, c’est un drame ! Elle dirige l’Hexagone comme
s’il était une multinationale alors qu’il n’est qu’une ETI. La France n’est
plus une grande puissance mondiale, sa taille correspond à celle d’une
province chinoise. Je plaide pour des réformes fortes, par exemple sur la
durée du travail et notamment jusqu’à quarante ou quarante-cinq heures
par semaine. Chez Ricol Lasteyrie, il nous arrive en période de « rush »
de travailler quatre-vingt-dix heures par semaine… S’en porte-t-on mal ?
Quant au Cice, rien n’est plus stupide. Car qui en sort grand gagnant ?
La grande distribution. Il fallait baisser les charges sociales de toutes les
entreprises. Ayons le courage d’un Gerhard Schröder, arrêtons de nous
laisser pénaliser et ralentir par la peur de la rue et des syndicats.
Pour faire progresser la France, il est urgent et essentiel de s’appuyer
en premier lieu sur la R&D, sur nos capacités d’innovation, et dans ces
domaines travailler à ne rien laisser partir hors du territoire. Également
convaincre les comités exécutifs de revenir dans leur patrie d’origine, et
tirer profit de la dynamique et des relais que constituent ces véritables
capteurs de croissance. Et enfin prendre des mesures qui donnent
« confiance » à la communauté financière. Il y a urgence. » ■
© DR
RENÉ
RICOL
AVENIR
« Une France
sclérosée, mais
qui a des raisons
d’espérer »
2014
Après la révolution à Kiev, et le référendum
d’autodétermination en Crimée, Vladimir
Poutine annonce que la République de
Crimée et la ville de Sébastopol deviennent
deux nouveaux sujets de la Fédération de
Russie. Début de la guerre du Donbass en Ukraine.
Le 8 août, les États-Unis entament la guerre contre l’État
islamique en Irak. Le 3 novembre : ouverture du nouveau
World Trade Center, à New York. En décembre, Béji Caïd
Essebsi est investi président de la République tunisienne.
D
«
e quoi la
société
française
SOCIOLOGUE
s o u f f r e - telle ?
En
premier lieu
– et depuis
déjà longtemps – de son enfermement
dans le « présentisme ». Plus encore
que de douter de leur avenir, les Français peinent à l’imaginer, à l’espérer,
et simultanément à tirer les enseignements du passé avec sagacité. Alors ils
vivent dans l’actualité et se figent sur le
présent. La France est également orpheline des grandes idéologies de gauche.
Même la social-démocratie – les violences urbaines en Suède en mai 2013 le
démontrent – est à bout de souffle, affaiblie par l’érosion de ses piliers : le mouvement ouvrier, la puissance syndicale,
l’État-providence.
Ce délitement s’inscrit dans un phénomène plus large : le déclin, parfois la
quasi-disparition, des grandes médiations du passé, accélérée par le développement réticulaire d’Internet. Citons la
presse, en proie à une crise
structurelle profonde, mais
aussi l’Église catholique ;
nonobstant les manifestations de masse rejetant le
principe du mariage pour
tous, l’influence de cette
institution historiquement
si omniprésente dans le
fonctionnement de la
société connaît en France
une chute que je crois irréversible. En Espagne, pourtant frappée par une crise
politique et économique
d’une tout autre ampleur,
« La France
la société existe, manifeste,
est de moins en
revendique. Elle « vit ».
moins en situation Tout comme dans certains
du Proche-Orient ou
de débattre avec pays
du Maghreb, la capacité
d’indignation y est intacte,
elle-même. »
une part significative des
citoyens aspirant à une démocratie
qui reconnaisse l’individu dans sa personne, mais aussi dans sa contribution
à la collectivité. En France, la faculté
de produire des mouvements sociaux
susceptibles de revitaliser l’espoir est
anémique. Car la France est de moins en
moins en situation de débattre avec ellemême. Les causes sont multifactorielles.
L’une d’elle, paradoxalement, tient à
la confiance, encore vive, des Français
pour leur système politique et ses partis.
La foi dans l’État, la nécessité de l’État,
MICHEL
WIEVIORKA
▼
© VASILY FEDOSENKO / REUTERS
2013
Signé en janvier avec la CFDT et FO, l’accord
sur la sécurisation de l’emploi est une
première victoire politique pour Hollande
et un pas vers la réforme du marché du
travail. Le 6 juin, les premières révélations
d’Edward Snowden contre la NSA créent un scandale
mondial sur la dérive sécuritaire de l’espionnage américain,
qui écoute même ses principaux alliés. Le modéré Hassan
Rohani remporte le 15 juin l’élection présidentielle en Iran.
En France, les « bonnets rouges » font tomber l’écotaxe.
A
«
vec l’émergence des NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives)
nous vivons une révolution sans précédent. Ces outils permettent de nous changer nous-mêmes et de
transformer notre destin biologique : du jamais vu
dans l’histoire de l’humanité. Nous pouvons désormais modifier notre
ADN, notre génome pour une poignée de dollars. Et les implants cérébraux, c’est pour demain. Les dirigeants de Google, les chercheurs de
la Silicon Valley parlent déjà d’un « homme augmenté ». De puissants
leviers sont en train de déferler, autorisant des projets fous dans un
contexte de concurrence internationale. Et il semble que nous les acceptions de façon aveugle.
Ce vertige transhumaniste n’est précédé d’aucune réflexion éthique. Ne
renouvelons pas ce que nous avons vécu avec la révolution numérique, ce
tsunami qui est passé sans aucune réflexion préalable… Cette révolution
semble pourtant bien anecdotique par rapport à ce qui nous attend. Mais
comment mener ces interrogations éthiques alors que surgissent plusieurs obstacles ? À commencer par cette tendance humaine de toujours
vouloir du « plus », du « mieux ». Car oui, ce besoin forcené de plus et de
mieux est collé à notre biologie cérébrale. Nous sommes tous des transhumanistes, même si nous ne connaissons pas ce mot. Nous acceptons
la technologie de façon aveugle : le cœur artificiel, nous sommes pour.
Les implants cérébraux permettant de
soigner la maladie de Parkinson, nous
sommes pour… Personne ne pose la
question de la limite de notre pouvoir
démiurgique.
Si on nous propose de vivre deux cent
cinquante ans en bonne santé, nous
dirons oui, nous sommes tous prêts à
devenir un homme 2.0. Le rêve transhumaniste n’est pas contredit, ni interrogé. Autre difficulté pour ériger des barrières : nos exigences éthiques changent
au fil du temps et des progrès. La fécondation in vitro et la pilule ont été rejetées
par l’Église catholique au début, mais
ces progrès sont désormais totalement
acceptés… Aurions-nous imaginé possible et acceptable des greffes du visage ?
En réalité, ce qui aujourd’hui nous apparaît monstrueux, demain nous semblera
acceptable, et même désirable. Et plus
encore, obligatoire par la loi. Pratiquer
une réflexion éthique se révèle difficile,
car l’éthique est un concept élastique.
Les NBIC, outre l’effet qu’elles auront
de plus en plus sur notre destin biologique, vont entraîner la multiplication des robots travaillant à la place de
l’homme. Cela aura des conséquences terribles. La fusion entre l’intelligence artificielle et la robotique va entraîner la disparition d’une quantité
de métiers. Dans quelques décennies, le monde s’organisera autour de
robots et de métiers à destination de personnes douées, qualifiées, innovantes. Mais que fera-t-on des personnes peu douées, pas innovantes,
mal formées, lentes ? C’est un enjeu de formation. Bill Gates s’est dit
affolé par l’absence de réflexion sur ces sujets.
Contrairement à l’Asie et aux États-Unis (particulièrement la Californie)
fonçant tête baissée dans les NBIC et les projets démiurgiques qu’elles
portent, la France et l’Europe défendent des valeurs « bio-conservatrices ». En France nos hommes politiques sont même technophobes,
mais soyons lucides : nous ne convaincrons pas l’Asie et les États-Unis
de devenir conservateurs. Alors que fait-on ? Acceptons-nous d’être
déclassés, de devenir les Amish du xxie siècle en défendant nos valeurs ?
Renonçons-nous à nos valeurs ? Et comment peser sur ce débat si nous
ne sommes pas nous-mêmes acteurs dans ces technologies ? » ■
« Ce qui aujourd’hui nous apparaît
monstrueux, demain nous semblera
acceptable, et même désirable. »
▼
© VINCENT KESSLER / REUTERS
© JOHN KOLESIDIS / REUTERS
MÉDECIN, FONDATEUR
DE DOCTISSIMO
ET DE DNA VISION
«
▼
2012
LAURENT
ALEXANDRE
« 45 heures par semaine ? »
« N’oublions pas que seuls les puissants disposent
du pouvoir de se protéger par eux-mêmes. »
La découverte du boson de Higgs est
annoncée le 4 juillet 2012 par le Cern.
La Grèce obtient de la zone euro
une aide publique de 130 milliards d’euros
ainsi que l’effacement de 107 milliards
de dettes, lui évitant la faillite et une sortie de l’Union
monétaire. Athènes est en contrepartie soumise à une
austérité stricte, imposée par la troïka (UE, FMI, BCE)
sur fond de violentes manifestations. Facebook entre en
Bourse avec une valorisation de 104 milliards de dollars.
avenir économique est et sera construit par
l’homme. Par sa bonne santé, sa personnalité, son
intelligence, sa psychologie. L’humain est au cœur
de toutes les activités sociales et économiques.
C’est le capital le plus précieux qu’il faut protéger
et accompagner afin qu’il puisse s’épanouir. Pour cela, le corps, répondant à des besoins élémentaires, doit être préservé en priorité. Puis, la
qualité de la formation de l’individu lui permettra d’avoir une vision
pleine et entière. La compétence qu’il acquiert lui permettra de remplir
sa mission. Mais au-delà de ses fonctions, l’homme est aussi un être complexe, de frontières, au sein duquel il y a un mystère qui est sa spiritualité.
Le mystère d’une personne ne se résout pas à ses performances intellectuelles, professionnelles sociales ou sportives. Au fond, à l’intérieur de
chaque homme, il y a quelque chose qui n’est pas quantifiable. C’est le
spirituel qui fait la richesse de l’individu.
L’homme à également une responsabilité par rapport à son environnement. Je remarque que le discours sur l’écologie a changé. Auparavant, il
était catastrophiste. Agir sur l’environnement résultait ni plus ni moins
de la sauvegarde de la création, l’homme était accusé d’être le plus grave
des prédateurs. Tout le malheur pouvait être résumé dans la première
page de la Bible. Mais il faut également lire la page deux ! Elle explique que
l’homme doit préserver sa terre et la transmettre à ses enfants. Certes,
l’homme est coupable de maux, comme la déforestation sauvage qui est
à l’œuvre en Amérique du Sud, mais il est également un acteur du renouveau. Aujourd’hui, la parole écologique est plus large et tend à prendre en
compte l’humain. Il a désormais toute sa place.
Cette terre est notre terre nourricière. Nous sommes donc liés à elle. Elle
nous aime et nous l’aimons ; nous devons donc veiller sur elle. Il faut que
les hommes se comportent de façon harmonieuse avec la nature. » ■
URGENCE
© ERIC PIERMONT
SOCIOLOGUE
« Nous sommes
tous prêts à devenir
un homme 2.0 »
« L’homme est aussi
acteur du renouveau »
«
a scène politique est
caractérisée par un
fossé entre la mise en
scène des affrontements et la réalité des
débats ; ces derniers rassemblent souvent une quasi-unanimité. Longtemps
en France, on a cru que l’efficacité
démocratique impliquait la destruction
de l’opposition… ce qui n’est jamais
qu’une vision totalitaire. Or, en démocratie, il n’y a de bon match que s’il
met en jeu deux équipes performantes.
Ces deux clans rivaux doivent pouvoir
manifester autant leurs différences que
leurs convergences – par ailleurs nombreuses : sur l’économie de marché, les
droits humains, le respect de l’environnement.
L’enjeu véritable, qui transcende la
dualité des systèmes participatif et
représentatif, porte sur la démocratie
des flux de populations. Car si les élus
sont devenus aussi conservateurs, c’est
parce qu’ils sont des sédentaires dans
un monde de mobilité. Qui connaît le
mieux le phénomène de la mondialisation ? Les « grands patrons » d’entreprises et les dirigeants d’ONG. Interrogez les élus français sur la réalité de la
planète… Et que dire de leurs homologues américains ? Nombre d’entre eux
ne disposent même pas de passeport !
Ces différences d’appropriation de la
mondialisation constituent un lourd
obstacle et démontrent une inégalité
face à la démocratie de la mobilité.
Les élus, issus du (et enfermés dans
le) « local » peinent à penser la société
dans ce nouveau paradigme de la mondialisation et de la mobilité. D’où la nécessité de recomposer la cartographie
politique afin que les territoires, les
habitants et les élus fassent sens pour
répondre à des enjeux qui dépassent
totalement leur périmètre. Généralisons les territoires politiques de la
proximité, y compris en découpant nos
villes, et favorisons des territoires de
projets.
La démocratie est une culture de
« stock ». Hier un stock d’hommes, que
les élus administraient au gré des territoires – ville, département, région, nation – en vue d’organiser des affrontements et de cristalliser des solidarités à
même de permettre le changement social. Mais aujourd’hui, sous le joug de la
mobilité et du flux humain, la démocratie risque de devenir un simple stock
d’hectares. Organiser la démocratie
dans un tel contexte est compliqué. La
France, extraordinairement conservatrice, empile des découpages. Reste que
certains font sens, notamment dans les
milieux populaires où les notions de
TRANSHUMANISME
MÈRE NATURE
« Les élus sont
des sédentaires dans
un monde de mobilité »
JEAN
VIARD
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
▼
© AFP PHOTO / BERTRAND GUAY
20 I
30 VISIONS D’AVENIR
2015
le besoin d’État, restent élevés au sein
de la population, d’autant plus que l’effacement des médiations intermédiaires
crée l’appel à une relation directe avec
l’État. Ils sont si élevés qu’en définitive
l’État surplombe, aujourd’hui comme
hier, la société elle-même, et qu’il en est
attendu qu’il la transforme, la refonde,
la relance. Cette prééminence du rôle
de l’État est une caractéristique très
française, enracinée dans une longue
histoire. La crédibilité de l’État et du
système politique fait l’objet de forts
doutes, mais ceux-ci sont loin d’avoir
culminé et atteint le point de non-retour. Même affaiblis, le tissu politique et
celui des médiations intermédiaires assurent le maintien des conceptions traditionnelles de la démocratie – quand
bien même la montée en puissance du
Front national et la porosité croissante
de son idéologie avec celle d’un pan
entier de la droite classique constituent
une dérive préoccupante. La résignation continue de dominer, même si l’on
observe des manifestations extrêmes
et radicales de contestation. L’espérance, même faible, demeure plus forte
que la désillusion. Mais cette situation
n’est pas sans conséquence : lorsque la
population pense État avant de penser
société et que l’État est affaibli voire
menacé, les citoyens font corps pour
défendre ce qui assure encore leurs
acquis. Un phénomène qui concerne en
premier lieu les classes moyennes, car
souvent elles ont accédé à une situation
qu’elles ont plus que d’autres peur de
devoir abandonner.
Sur une planète désormais multipolaire et qu’ordonne l’émergence de
nouveaux ensembles et de nouveaux
rapports de force, la France et donc
les Français peinent à se situer dans
les grands changements géopolitiques
et géoéconomiques du monde. Et ce
constat, aggravé par le déclin relatif de
la langue française, accentue le double
sentiment d’inquiétude et de précarité. Nourrir une perspective d’avenir
devient difficile – et pourtant nécessaire. Mais cette exigence n’est pas
impossible : en dépit d’une bureaucratie excessivement pénalisante et
d’une jeunesse de plus en plus désenchantée, fracturée et scindée entre
ceux qui sont tournés vers le monde
et ceux qui, ne le comprenant pas, s’en
sentent exclus et se recroquevillent, le
pays dispose de grandes ressources, il
innove, il se développe dans et malgré
la crise. Les raisons de garder espoir
ne manquent pas. » ■
Le 7 janvier, un attentat terroriste à Paris
décime la rédaction de Charlie Hebdo qui
avait publié des caricatures de Mahomet.
En trois jours sanglants, la France entre dans
un état de guerre, avec 17 morts et 11 blessés.
Le dimanche 11 janvier, 4 millions de Français bouleversés
manifestent au nom de la liberté et de la laïcité en présence
de près de 40 chefs d’État. 14 janvier : Charlie Hebdo
en kiosque avec à la une Mahomet tenant une pancarte « Je
suis Charlie » et ce titre qui dit tout : « Tout est pardonné ».
I 23
22 I
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
LE TOUR DU MONDE DE
L’INNOVATION
De la veste GPS pour les touristes
en ville à l’écran tactile pliable
Chaque semaine, La Tribune vous propose de partir à la découverte
des petites et grandes innovations qui annoncent l’avenir.
Les routes solaires,
un rêve américain
Électricité. Hier connue pour la chasse au caribou,
Sandpoint, localité perdue au fond des Rocheuses, le sera
désormais pour une idée surprenante : la route solaire. L’histoire
commence en 2006, lorsque la famille Brusaw se met à
développer dans son garage un panneau solaire nouvelle
génération. À la différence des capteurs traditionnels, ce
prototype ultrarésistant présente une texture proche du
bitume. Chiffres à l’appui, les Brusaw ont prouvé que son
utilisation, sur les routes américaines, pourrait générer trois
fois plus d’électricité que la production actuelle de tous les
États-Unis… Si certains croient encore l’idée folle, d’autres
crient au génie : déposée sur le site de financement
participatif Indiegogo, l’idée a fait exploser le
compteur de la plate-forme. Après plus d’une
décennie d’expérimentation, les Brusaw, avant de
faire briller les routes, ont fait briller nos yeux.
1
> HTTP://BIT.LY/1BMDCQH
Le Big Data façonne
les villes de demain
Bistro, la gamelle connectée
avec reconnaissance faciale
Animaux. Comment être certain que votre chat se nourrit
correctement, surtout pendant votre absence ? La société
taïwanaise 42ark a développé une gamelle intelligente et
connectée, baptisée Bistro, capable de gérer le régime alimentaire
du matou à distance. Cette gamelle high-tech est équipée
d’une caméra, d’un système de reconnaissance faciale et
d’une balance pour délivrer la juste quantité de nourriture et
d’eau, selon les besoins physiologiques de l’animal.
Le propriétaire peut ensuite consulter les graphiques
et recevoir une alerte en cas de modification
inquiétante des habitudes alimentaires, généralement
S.R.
synonyme d’une maladie.
10
7
4 6
Technologie. Un autre fantasme de sciencefiction va devenir réalité. La société japonaise
Semiconductor Energy Laboratory (SEL) vient
de mettre au point une technologie d’écran
pliable. Flexible, l’interface tactile s’adapte
en fonction de la courbure. Baptisé « Foldable
Display », cet écran de 8,7 pouces pour
une résolution de 1 080 x 1 920 pixels se plie
en trois endroits, ce qui lui permet de passer
d’un format tablette à celui d’un smartphone.
L’image, d’une qualité comparable aux tablettes
actuelles, s’adapte au format
choisi. Fin et léger, l’écran peut
se plier plus de 100 000 fois, selon
les constructeurs, sans altérer
la qualité de l’image.
S.R.
9
8
2
Handicap. Pour favoriser l’autonomie et le confort
des aveugles pendant leurs déplacements, le designer
industriel Jorge Trevino Blanco a mis au point
Discover, un GPS pour les non-voyants qui modélise
l’environnement en 3D. Semblable à une grosse
télécommande, l’outil est doté d’une petite caméra qui
analyse les alentours et les reproduit en 3D. Une fois
identifiés, les obstacles à venir (trottoirs, poteaux,
autres passants…) apparaissent en relief sur une plaque
représentant le trajet. En posant son doigt
sur cette plaque en 3D, la personne
aveugle peut ainsi anticiper les difficultés.
Cet objet original est toujours en phase
S.R.
de recherche de financements. TOKYO – Japon
L’écran du futur
sera flexible
3
Un GPS 3D
pour les aveugles
5
9
SYDNEY – Australie
AUSTIN – États-Unis
Une application pour partager
son électricité
Solidarité. Aux États-Unis, 40 millions de
personnes vivent dans la pauvreté énergétique.
L’entrepreneur Georges Koutitas a eu l’idée de créer
Gridmates, une plate-forme qui permet de fournir
de l’électricité à un ami, à une personne dans le
besoin ou à une association via un système
peer-to-peer. Chaque donateur peut choisir ceux
auxquels il va fournir de l’électricité et le montant
d’énergie associé. Gridmates se charge ensuite
du transfert entre les opérateurs électriques qui
débitent les kilowatts offerts sur la facture du
donneur et les crédite au bénéficiaire. En échange,
les généreux donneurs reçoivent
des conseils de Gridmates pour
réduire leur consommation d’énergie.
Le concept pourrait bientôt s’étendre
S.R.
au gaz et à l’eau.
5
ABUJA – Nigéria
Un système de paiement
mobile sans Internet
M-commerce. Jusqu’à présent, les m-paiements
se font à partir de smartphones connectés à
Internet pour transférer de l’argent. La start-up
nigériane Cube est sur le point de révolutionner
le m-commerce grâce à un nouveau système qui
permet de payer par carte bancaire avec n’importe
quel téléphone, sans connexion Internet. Et ce,
grâce à un module carré qui s’insère au téléphone
via sa prise audio et fonctionne avec une connexion
GSM. Une application s’ouvre automatiquement.
Le propriétaire peut entrer un montant, préciser
le motif du paiement et donner le téléphone à son
débiteur. Celui-ci glisse sa carte dans le module
carré et confirme le règlement à
l’aide d’un code secret. Cube sera
lancé courant janvier. Le module sera
gratuit. La start-up récupèrera 2 % sur
S.R.
chaque transaction.
6
Tourisme. Plus besoin de garder les yeux rivés
sur un plan, ni même sur son smartphone.
Désormais, les touristes pourront être guidés par
leur propre vêtement. L’entreprise australienne
Wearable Experiments a mis au point la veste
Navigate, dotée d’un navigateur GPS relié à
une application mobile et de bandes lumineuses.
L’utilisateur doit renseigner sa destination sur
l’application. Les instructions s’inscrivent alors
sur le bout des manches éclairées par des Led,
et des vibrations indiquent la direction
à prendre. Une façon design
et moderne de se promener dans
une ville inconnue. Seules Sydney,
New York et Paris ont été adaptées
S.R.
à cette technologie.
BRATISLAVA – Slovaquie
Une balise intelligente pour
retrouver ses objets perdus
Objets connectés. Qui n’a jamais perdu
ses clés, oublié un sac ou égaré une écharpe ?
Si l’on s’en rend compte trop tard, difficile de
les retrouver… Une start-up slovaque a mis
au point le « Tageme lost & found ». Cette
balise intelligente ressemble à un porte-clés
qui s’accroche facilement à n’importe quel
objet ou vêtement. Elle est dotée d’un QR
code que l’on scanne avec un smartphone
pour accéder au contact du propriétaire.
Ainsi, si vous perdez vos clés, il suffit à
la personne qui les retrouve de numériser le
QR code, grâce à la technologie
sans contact NFC, et de vous
joindre pour vous les rendre.
L’objet sera disponible à
la vente courant janvier.
S.R.
© SEL
Une veste GPS pour
les touristes en ville
3
© JORGE TREVINO BLANCO
LYON – France
TAÏWAN
> HTTP://BIT.LY/142MNRY
MEXICO – Mexique
PLUS D'ACTUALITÉS
ET D'INFOGRAPHIES
SUR LATRIBUNE.fr
8
Éducation. Les enfants de demain sauront-ils
écrire à la main, avec un stylo ? En auront-ils même
besoin ? Dès la rentrée 2016, les cours d’écriture
manuscrite pour les écoliers finlandais deviendront
optionnels et seront remplacés par l’apprentissage
de l’écriture sur clavier. Constatant que la graphie
à la main est de moins en moins pratiquée,
l’Office national de l’Éducation, à l’origine de
cette révolution, estime désormais que « des aptitudes
pour taper de manière fluide sur un clavier sont
une priorité nationale ». L’annonce
suscite le scepticisme dans de
nombreux pays, mais elle a été bien
accueillie en Finlande, un pays réputé
pour ses bons résultats scolaires. S.R.
© WEARABLE EXPERIMENTS
2
Quand l’écriture sur clavier
remplace l’écriture manuscrite
Smart City. Plus économe en énergies, plus
respectueuse de nos ressources, plus sécurisée,
plus agréable à vivre... La ville du futur est pleine
de promesses, que le Big Data compte bien tenir.
Car habiter une ville intelligente, ce n’est pas
seulement avoir affaire à une technologie de pointe
chaque jour. Ce n’est pas seulement vivre de façon
plus rapide, plus pratique ou plus ludique. C’est
d’abord tenter de vivre mieux. En 2025, nous
serons 4,3 milliards de citadins. Une expansion
qui induit directement celle de nos consommations
en eau et en énergie, mais aussi celle de
notre production de déchets, et de notre impact
global sur l’environnement. Sans compter
l’amoindrissement de nos ressources naturelles.
Et heureusement, les initiatives, sous
formes de start-up, d’applis mobiles
et d’équipements urbains, ne cessent
de fleurir. Parce que l’avenir se
prépare aujourd’hui.
SANDPOINT – États-Unis
HELSINKI – Finlande
© NANOFLOWCELL
1
4
7
En partenariat avec
© 42ARK
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
10
SÉLECTION RÉALISÉE
PAR SYLVAIN ROLLAND
@SylvRolland
I 25
24 I
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
DÉFIS 2015
FRANCE
Des réformes, oui,
mais comment ?
François Hollande a prévenu : pour sortir l’économie française de l’ornière et réduire le chômage,
il prendra tous les risques ! Des réformes, le gouvernement en mène, avec la loi Macron sur l’activité
ou sur le fonctionnement du marché du travail, mais à son rythme et sans trop bousculer les Français.
J
«
e changerai tout ce qui
bloque, empêche, freine
et nuit à l’égalité et au
progrès et de ce point
de vue, je prendrai
tous les risques », a
déclaré le 5 janvier le
chef de l’État lors de
sa rentrée sur France Inter. Débattu au Parlement à partir du 26 janvier, le projet de loi
pour la croissance et l’activité porté par
Emmanuel Macron, le ministre de l’Économie, prévoit notamment d’assouplir le travail
le dimanche et en soirée, de mieux contrôler
les sociétés d’autoroutes, de libéraliser le
transport par autocar, de moderniser les professions réglementées du droit, de professionnaliser les prud’hommes, de favoriser
l’épargne salariale et de simplifier l’actionnariat salarié.
« Je suis confiant au sujet de son adoption. C’est
une loi de liberté et une loi de progrès, notamment
car les salariés qui vont être concernés vont être
volontaires et davantage payés », a poursuivi
François Hollande
évoquant l’assouplissement du travail
dominical en dépit
des protestations de
l’aile gauche de la
milliards d’euros,
c’est le montant, sur trois ans, des majorité et d’une partie des syndicats de
allégements sur les prélèvements
salariés.
liés au pacte de responsabilité.
PAR JEANCHRISTOPHE
CHANUT ET
FABIEN PILIU
41 François Hollande
lors de son
allocution
des vœux, au
Palais de l’Élysée,
le 31 décembre
2014. Assis
devant une table
qui n’est pas celle
de son bureau
habituel,
et ostensiblement
vide de tout
dossier…
© AFP PHOTO / POOL / IAN
LANGSDON.
Avec cette loi, l’exécutif frappe-t-il un grand
coup ? « Ce n’est pas la loi du siècle », a ensuite
convenu François Hollande, rappelant sur le
point précis du travail dominical qu’il y a déjà
« beaucoup de monde qui travaille le dimanche ».
Le chef de l’État a raison. S’il peut heurter
certaines sensibilités, notamment à gauche,
le projet de loi Macron n’est pas franchement
révolutionnaire. Il ne menace pas le modèle
social français. De ce point de vue, le plafon-
nement des allocations familiales en fonction
des revenus intégré au budget 2015 et voté
cet automne par le Parlement fut bien plus
déstabilisant. Au nom de la lutte contre le
chômage, le chef de l’État est-il décidé à agir
avec plus de vigueur ? Oui… et non. Tout
dépend du sens que l’on entend donner au
mot « réforme ». Valérie Pécresse, l’ancienne
ministre de Nicolas Sarkozy, demande à François Hollande de « l’audace » en « cassant »
Une croissance raplapla
LA POLITIQUE DES PETITS
PAS, « À LA CHIRAC »
Croissance en France, en % du PIB
3
2
2,1
2
1
0,3
0,2
0,3
0
0,4
provisoire
-1
-2
-2,9
-3
2008
Source : Insee
2009
2010
2011
2012
les 35 heures et en instituant le contrat de
travail unique. Ce à quoi le Président a indirectement répondu, lors de son intervention
du 5 janvier : « Faut-il tout démolir pour qu’il
n’y ait plus de modèle français ? Ce n’est pas mon
choix. » Une façon de répondre à ceux qui
attendent, en 2015, au nom de la lutte contre
le chômage, une remise en cause de fond en
comble du fonctionnement du marché du
travail.
2013
2014
Pas de grand chambardement donc à
attendre pour cette année. Plutôt une poursuite de la politique des petits pas, moins
spectaculaire, certes, de ce que souhaiteraient
la Commission européenne, nos voisins allemands ou encore l’OCDE, qui n’ont de cesse
d’exhorter la France à mener « des réformes
structurelles, certes douloureuses, mais nécessaires », selon la formule consacrée et… éculée. Des réformes, la France en mène, mais à
son rythme.
« Il ne faut jamais bousculer la France », aimait
à répéter Jacques Chirac. François Hollande
semble avoir fait sien cet adage, qu’il s’agisse
de la réforme territoriale, de la fiscalité des
entreprises, de l’assouplissement des règles
régissant le marché du travail, etc. L’année
2015 va donc plutôt se caractériser par un
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
approfondissement et une concrétisation de
la politique de l’offre définie par le président
de la République, il y a tout juste un an.
Le choc de simplification sera amplifié. « Il
est urgent d’agir en ce sens. La complexité peut
décourager les investisseurs étrangers de s’implanter en France », a expliqué Pascale Pérez,
la directrice des affaires corporate du groupe
Mars, lors du colloque « La France se
réforme » organisé le 12 janvier à Bercy par
le Trésor. « La France a encore des efforts à faire
dans ce domaine, car la compétition est rude avec
ses voisins européens », a prolongé Christophe
de Maistre, le président de Siemens France,
rappelant l’épaisseur croissante du Code du
travail.
Très attendu par les chefs d’entreprise, le
fameux pacte de responsabilité – et les 41 milliards, sur trois ans, d’allégements sur les
prélèvements qui l’accompagnent, soit plus
de deux points de PIB – entre dans les faits
cette année. Ainsi, petite révolution silencieuse, depuis le 1er janvier, avec l’entrée en
application de la réforme des allégements de
cotisations sociales patronales pour les
salaires inférieurs à 1,6 Smic, ajoutée à la
baisse des cotisations patronales d’allocations
familiales, le dispositif « zéro charge patronale » au niveau du Smic, annoncé le 8 avril
2014 par Manuel Valls, devient une réalité. Du
moins pour les cotisations patronales relevant
de la Sécurité sociale (soit environ 30 points).
Il restera toujours à l’employeur à s’acquitter
des cotisations pour les retraites complémentaires, l’assurance chômage, etc.
Une réforme importante qui devait améliorer
la compétitivité des entreprises françaises,
notamment des TPE, et contribuer à freiner
encore l’évolution du coût de la maind’œuvre. Déjà, au troisième trimestre 2014
grâce aux premiers effets du crédit d’impôt
compétitivité emploi (Cice), le coût horaire
du travail s’établissait à 35,6 euros, en hausse
de 0,5 % sur un an, contre une progression de
1,3 % pour l’ensemble de la zone euro et de
2,2 % pour l’Allemagne. Mieux, dans l’industrie manufacturière, la France fait mieux que
l’Allemagne avec un coût horaire de
36,8 euros, en hausse de 0,6 % sur un an,
contre 37,9 euros outre-Rhin, en progression
de 2,3 % sur un an.
Plus de 1 % de croissance, un pari hasardeux !
En dépit de la dépréciation de l’euro et de la chute des cours du brut, la plupart des indicateurs sont dans le rouge. Si atteindre
1 % de croissance est envisageable, dépasser cet objectif semble mal parti. Et le chômage ne devrait pas reculer cette année.
F
rançois Hollande est un
adepte de la méthode
Coué. Début 2013, le
président de la République
annonçait l’inversion de la courbe
du chômage pour la fin de
l’année. Cet objectif ne fut pas
atteint, tant s’en faut. Sa
crédibilité en a terriblement
souffert. En 2013, toujours, une
légère embellie de la croissance
au deuxième trimestre, pouvaitelle se prolonger au deuxième
semestre ? L’Élysée, Matignon
et Bercy annoncèrent
immédiatement la reprise.
Les statistiques doucheront vite
leur enthousiasme.
Le chef de l’État modère
désormais ses accès de
volontarisme, mais ne renonce
pas à l’optimisme. Lors de sa
rentrée médiatique, le 5 janvier
2015, François Hollande a une
nouvelle fois joué le matamore
en laissant entendre que
dépasser la prévision de
croissance du gouvernement
n’était pas un objectif irréalisable.
Pour mémoire, le budget 2015
a été bâti sur une prévision de
croissance de 1 %, prévision qu’un
certain nombre d’économistes
remettent en question.
L’attitude de François Hollande
s’explique facilement.
La seconde partie de
son quinquennat est déjà
entamée. Si son bilan en matière
de chômage est mauvais, ses
chances de conserver le pouvoir
en 2017 sont nulles. Or, le marché
de l’emploi est actuellement
bloqué. En novembre et sur
un an, le nombre de personnes
sans emploi en catégorie A
en France métropolitaine a bondi
de 5,8 % pour atteindre
3,48 millions de personnes.
Au total, plus de 6,17 millions
de personnes étaient inscrites
en novembre à Pôle emploi dans
les catégories A, B, C, D et E
en France et dans les DOM.
Sachant qu’une croissance
de 1 % est insuffisante pour
absorber les 800 000 jeunes
qui arrivent chaque année sur
le marché du travail, que les
sureffectifs restent importants
– l’Observatoire français
des conjonctures économiques
les estiment à 250 000
actuellement –, l’ambition
élyséenne est compréhensible.
Son pari peut-il réussir ?
Comme l’a rappelé le président
de la République, les entreprises
profitent actuellement
de la dépréciation de l’euro face
au dollar et du repli des cours
du brut et de certaines matières
premières. Depuis mai, le cours
de la monnaie unique a cédé
14 %. Quant à ceux du brut,
ils ont chuté de 50 % sur
la même période ! Composé
de 24 matières premières,
l’indice de référence S&P GSCI
a chuté de 30 % en 2014,
clôturant le mois de décembre
au plus bas depuis mars 2009.
En partie grâce à ces stimuli,
le PIB tricolore devrait
progresser de 0,3 % au premier
et au deuxième trimestre selon
l’Insee, fixant à 0,7 % l’acquis
de croissance à la fin juin.
Mais sans ces facteurs exogènes,
la reprise est fragile. Amorcée
en 2013, la politique de l’offre ne
peut seule relancer l’activité. La
montée en puissance du crédit
d’impôt pour la compétitivité
et l’emploi (Cice) et la mise
en place des allégements de
cotisations patronales prévues
par le Pacte de responsabilité
au 1er janvier, à la même date,
ne sont pas des leviers assez
puissants pour relancer
l’investissement et restaurer
la confiance des dirigeants.
Même les dirigeants
d’entreprises de taille
intermédiaire (ETI), qui sont
les entreprises ayant le mieux
résisté à la crise, ont le moral
Un chômage endémique
Demandeurs d’emploi de catégorie A et de catégories A, B et C en France.
6 000 000
5 478 600
LA RÉFORME DU MARCHÉ DU
TRAVAIL AVANCE MASQUÉE
L’autre révolution silencieuse en cours
concerne le marché du travail. Là aussi, François Hollande a choisi la méthode douce, ce
qui n’était pas le choix initial de son premier
ministre Manuel Valls ou de son ministre de
l’Économie Emmanuel Macron, qui seraient
davantage adeptes du passage en force.
À l’origine, avec son projet de loi, Emmanuel
Macron souhaitait aller très loin. On le savait
très tenté d’introduire des règles remettant
en cause la référence à la durée légale hebdomadaire de 35 heures, afin de laisser à la négociation d’entreprise le soin de fixer par accord
le seuil de déclenchement des heures supplémentaires. Il voulait aussi inclure dans son
projet de loi des dispositions modifiant les
règles actuelles régissant le contrat de travail
à durée déterminée pour ouvrir la voie au
contrat de travail unique. Il aurait également
souhaité revoir les dispositions relatives à la
revalorisation du Smic afin de freiner son
évolution. Mais sur chacun de ces points, il a
dû s’autocensurer, le président de la République ayant dit « niet » : on ne touche pas à
ces sujets, sous peine de déclencher une
bronca dans les rangs de la majorité.
En revanche, dans l’avant-projet de loi, il était
prévu d’accueillir, dans un chapitre consacré
au résultat de la négociation en cours entre
le patronat et les syndicats sur le dialogue
social en entreprise, la question des seuils
sociaux. Tout comme devaient figurer des
évolutions possibles de l’accord national
interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013
relatif à « la sécurisation de l’emploi », trans-
5 000 000
4 000 000
3 000 000
2 000 000
3 751 900
3 279 500
2 169 000
Jan.
2008
Jan.
2009
Jan.
2010
Jan.
2011
Jan.
2012
Jan.
2013
Jan.
2014
Source : Pôle emploi
formé en loi en juin 2013. Tout ceci a disparu.
Mieux, Manuel Valls s’est soudainement rappelé qu’il avait un ministre du Travail, François Rebsamen, compétent pour traiter des
questions relatives à l’emploi. Ainsi, finalement le Premier ministre a annoncé que le
résultat, positif ou négatif, de la difficile négociation en cours sur le dialogue social – qui
doit normalement s’achever dans les jours
qui viennent – serait repris dans une loi autonome « que portera François Rebsamen ». Il y
aura donc cette année, quoi qu’il arrive, une
réforme des seuils sociaux et des institutions
représentatives du personnel en entreprises.
Quasiment une première depuis les lois
Auroux de 1982.
Mieux, François Hollande pourrait bien
enterrer en douceur la question des 35 heures
légales. Actuellement, depuis l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier
2013, les entreprises rencontrant de grandes
« difficultés conjoncturelles » ont la possibilité
de conclure avec les syndicats un accord
– majoritaire – prévoyant une baisse des
rémunérations et/ou une augmentation du
temps de travail en échange du maintien des
emplois. Ces accords sont valables pour deux
ans et sont encadrés par de très nombreux
garde-fous. Trop, pour le patronat qui
apporte pour preuve que seuls… cinq textes
de ce type ont été conclus. Le Medef veut
donc revoir les conditions de signature de ces
accords qui permettent d’augmenter éventuellement la durée du travail sans avoir à
rémunérer des « heures sup ». Sa grande
demande est également d’étendre le champ
du possible pour la signature de tels accords.
En d’autres termes, ils ne devraient plus être
réservés aux seules entreprises « en grande
difficulté conjoncturelle ». Il conviendrait de
Nov.
2014
en berne. Selon l’Observatoire
Banque Palatine des PME-ETI,
seuls 14 % des dirigeants
interrogés ont confiance
dans la capacité de rebond
de l’économie française.
Un pourcentage très en dessous
de la moyenne observée depuis
le début de l’année (20 %).
« Si l’amélioration de leurs
perspectives de demande
à l’automne se poursuit,
leurs dépenses pourraient plus
franchement accélérer.
À l’inverse, si la confiance des
chefs d’entreprise rechutait, leur
attentisme pourrait peser plus
encore sur leurs décisions
de dépenses », anticipe l’Insee.
Tant que les carnets
de commandes seront vides,
ou presque, que l’exportation ne
sera qu’une éventualité pour
la plupart des entreprises
– seules 120 000 sur trois millions
exportent chaque année –,
celles-ci continueront
à limiter leurs embauches.
Il ne manquerait plus que les
ménages décident d’épargner
et non plus de consommer.
C’est ce que prévoit justement la
dernière enquête de conjoncture
sur le moral des ménages publiée
par l’Insee. Si tel devait être le
cas, François Hollande pourrait
encore rater son pari. ■
F. PILIU
rendre possible leur conclusion également
dans des entreprises qui prévoient ou veulent
anticiper des difficultés à venir… C’est-à-dire,
in fine, la quasi-totalité des entreprises. Or,
on sait Emmanuel Macron et Manuel Valls
sensibles à ce discours et aux arguments du
Medef. D’autant plus que certains économistes proches de l’actuelle majorité tiennent
à peu près le même discours. Il s’agirait là
d’une façon souple de contourner la législation des 35 heures tout en bloquant les
salaires. Or, le Premier ministre a annoncé
qu’il « réunirait à Matignon en janvier les partenaires sociaux pour voir ensemble quelles améliorations nous pouvons apporter ».
De fait, depuis la loi Larcher de 2007, tout
projet de modification du code du travail doit
d’abord faire l’objet d’une négociation entre
partenaires sociaux. De deux choses, l’une :
soit patronat et syndicats trouvent un terrain
d’entente pour faire évoluer ces accords de
maintien de l’emploi, ce qui ne sera pas facile ;
soit, en cas d’échec, le gouvernement a les
mains libres pour légiférer. Il aura alors toute
latitude pour étendre le champ des accords
de maintien de l’emploi… à condition de trouver une majorité. Mais les défections à
attendre sur sa gauche seront peut-être compensées par un apport de voix sur sa droite.
Si c’est le cas, on tiendrait là la grande
réforme de 2015…
Cette stratégie sera-t-elle payante pour
l’exécutif ? Les fruits de ces réformes serontils cueillis avant 2017, permettant ainsi à
François Hollande d’être un candidat
sérieux à sa succession ? Rien n’est moins
sûr. « Les réformes produisent leurs effets sur
l’activité beaucoup plus rapidement quand elles
sont lancées en période de croissance. Sinon, il
faut attendre souvent plus de cinq ans », expliquait Pierre-Olivier Beffy, chef économiste
chez Exane, lors du colloque organisé par le
Trésor. ■
I 27
26 I
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
DÉFIS 2015
EUROPE
La zone euro,
« l’homme malade du monde »
Malgré la reprise américaine
et un climat plus favorable
avec la baisse de l’euro et
des prix du pétrole, la croissance
européenne restera insuffisante
en 2015. Tous les regards
sont désormais tournés vers
la Banque centrale européenne et
la mise en œuvre d’une politique
d’assouplissement quantitatif.
L’
année 2014 a été celle
de la déception pour
l’économie de la zone
euro. La reprise tant
attendue n’est pas
venue. Pire même,
l’activité économique
s’est affaiblie, après
un premier trimestre encourageant. Au troisième trimestre, la croissance des trois
grands pays de la zone, Allemagne, France
et Italie, ont été proches de zéro (0,2 %,
0,3 % et - 0,1 % respectivement). L’ensemble
de la zone euro n’a progressé que de 0,2 %.
Sept ans après le début de la crise financière, la zone euro a semblé encore faire du
surplace. Au point qu’elle est devenue
« l’homme malade du monde », inquiétant
les organisations internationales et les dirigeants des pays tiers qui voient dans l’apathie de l’Union économique et monétaire
un poids lourd à traîner pour le reste de
l’économie mondiale.
L’année 2015 sera-t-elle celle de la reprise ?
Plusieurs signes peuvent le laisser penser
et plusieurs conditions le font espérer.
Depuis octobre, les indicateurs avancés
se redressent et sont revenus dans le vert.
L’indice composite des acheteurs (les responsables des achats) PMI de l’institut de
conjoncture Markit, pour la zone euro en
janvier, s’est ainsi amélioré en un mois de
51,1 à 51,4. En Allemagne, l’indice Ifo du climat des affaires s’est fortement redressé en
novembre et décembre. Les conditions sont,
il est vrai, meilleures pour les exportateurs
européens, notamment avec l’accélération
de la baisse de l’euro, alimentée par le différentiel de politique monétaire et de croissance entre les États-Unis et la zone euro.
L’économie étatsunienne a progressé de
4,6 % au troisième trimestre et la Réserve
fédérale américaine s’est clairement engagée
dans un processus de « normalisation » de
sa politique monétaire, avec une sortie programmée de sa politique de rachats de titres
et une hausse possible des taux. Au moment
même où la BCE envisage d’entrer dans
l’assouplissement quantitatif et a ramené
ses taux à un niveau plancher, 0,05 %. Logiquement, l’euro s’est donc effondré, passant
de 1,36 dollar au 1er juillet à moins de
1,18 dollar en ce début d’année. Soit un recul
Le 15 novembre
2014, Pablo
Iglesias (au
centre), entouré
de dirigeants
de l’organisation,
est intronisé
secrétaire
général
de Podemos
dans un théatre
de Madrid.
Podemos
est une fomation
politique
de la gauche
radicale, issue
du mouvement
des Indignés.
Elle conteste
fortement
la politique
d’austérité
du gouvernement
espagnol
de centre-droit.
PAR ROMARIC
GODIN
© AFP PHOTO / DANI POZO
de près de 15 % et un niveau jamais vu depuis
2006. Tout cela améliore mécaniquement
la compétitivité des produits de la zone euro
sur les marchés mondiaux.
DES CONDITIONS DE REPRISE
INSUFFISANTES
D’autant que cette baisse de l’euro s’accompagne d’une baisse du prix du pétrole et de
l’énergie. Avec un baril de brut de la mer du
Nord désormais en dessous de 50 dollars,
les coûts des entreprises sont nettement
réduits. Enfin, le mouvement de consolidation budgétaire, s’il n’a pas disparu, s’est
réduit dans de nombreux pays, notamment
à la périphérie. L’austérité a marqué le pas
en Espagne, en Italie, en Grèce et au Portugal. La politique budgétaire française est
moins centrée sur la réduction du déficit. À
cela s’ajoute une lente mais sûre amélioration des conditions de crédit, une réduction
Une reprise trop molle
Croissance dans la zone euro, en % du PIB
2
2
1
1,6
Prévision
0,8
0,5
0
-1
-0,7
-0,5
-2
-3
-4
-5
-4,5
2008
Source : OCDE
2009
2010
2011
2012
2013
2014
de l’écart des taux demandés par les
banques entre les pays périphériques et le
centre de la zone euro et une politique
monétaire très accommodante. Bref, toutes
les conditions de la reprise sont là.
Pourtant, cette « reprise » pourrait bien,
cette année comme lors de la précédente,
être faible et, pour tout dire, insuffisante.
Certains prévisionnistes tablent ainsi
encore sur une croissance qui sera inférieure à 1 % l’an prochain. C’est le cas de
ceux de Goldman Sachs, qui estiment que
la croissance de la zone euro ne devrait pas
dépasser 0,9 % en 2015. Les experts de la
Commission européenne et de la BCE sont
plus optimistes et tablent sur des croissances de 1,8 % et 1,6 % respectivement.
Mais les deux institutions ont revu largement à la baisse ces prévisions lors de leurs
dernières estimations. Et quoi qu’il en soit,
ces chiffres restent globalement très faibles.
Pourquoi ? La première raison réside dans
la conjoncture mondiale. La zone euro a
mis en place une stratégie économique fondée sur les exportations. Mais, même rendus meilleur marché par la baisse de l’euro,
les produits européens ne pourront se
vendre que s’ils trouvent preneurs. Autrement dit, s’il y a une demande. Or, les
conditions ne semblent pas réellement réunies pour qu’il existe un dynamisme de
cette demande mondiale. Il convient de ne
pas oublier que si le prix du pétrole baisse,
c’est d’abord le signe d’une anticipation de
ralentissement de la croissance mondiale.
Certes, la croissance étatsunienne peut
aider, mais elle demeure fragile et incertaine. La Chine, longtemps moteur de la
demande, notamment en biens d’équipement, ralentit et a entamé son « grand
virage » vers une économie plus équilibrée
entre demande intérieure et extérieure.
Bref, sa demande va manquer de dynamisme. Le Japon reste englué dans l’apathie
et ne peut guère aider la zone euro. Enfin,
les grands pays émergents seront soit pénalisés par la hausse des taux américains et
du dollar, soit, comme la Russie, par la
baisse du prix du pétrole. Bref, si les exportations européennes s’améliorent, leur progression sera nécessairement faible. D’autant que, pour plusieurs pays de la région,
la part des exportations dans le PIB n’est
pas suffisante pour soutenir la croissance.
LA CONSOMMATION DES
MÉNAGES, MOTEUR POUSSIF
Or, la demande intérieure reste atone en
zone euro. Certes, la consommation augmente en Allemagne. Mais cette accroissement demeure réduit au regard de la
situation du marché de l’emploi outreRhin. Alors que, en décembre, le chômage
en Allemagne était au plus bas depuis la
réunification, les ventes au détail n’ont
crû en 2014, selon l’Office fédéral des statistiques Destatis, que de 1,1 % à 1,3 %. Une
progression nettement insuffisante pour
créer une croissance soutenue et jouer
favorablement sur le reste de la zone euro.
Ailleurs, la consommation tient tant bien
que mal en France, entame un certain rattrapage en Espagne, mais reste faible en
Italie. Là aussi, comme pour les exportations, la consommation des ménages
demeure un moteur poussif. D’autant que,
là non plus, les conditions ne sont pas
radieuses. On ignore encore l’effet à
moyen et long terme des actions terroristes en France. Par ailleurs, en Italie
comme en France, le chômage a fortement
progressé. De l’autre côté des Alpes, il a
atteint en décembre 13,4 % de la population active. Rappelons également que,
malgré sa baisse, il reste à 23,7 % en
Espagne. Difficile dans ces conditions
d’espérer compter sur la consommation.
Restent deux leviers possibles : l’investis-
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
sement et les États. A priori, le premier
levier est tout aussi atone que les autres.
D’abord parce que les moyens d’investir
sont faibles. Les marges reculent partout et
l’inflation faible commence à peser lourd.
Depuis octobre 2013, la hausse des prix à la
consommation est inférieure à 1 %, et est
même devenue négative en décembre. Surtout, l’inflation sous-jacente, qui exclue les
prix de l’énergie et de l’alimentation, est
comprise, depuis cette date, entre 0,7 % et
1 % par an. Cela obère naturellement toute
envie d’investir, notamment dans l’outil
industriel. Les prix à la consommation des
produits industriels ont ainsi affiché des
baisses annuelles au cours de onze des
quinze derniers mois… En novembre, ils ont
reculé de 0,7 %.
DES « ABENOMICS »
À L’EUROPÉENNE ?
Mais parmi les raisons qui empêchent
l’investissement, il y a aussi le manque de
perspectives. Pourquoi investir lorsque la
demande des ménages et du reste du
monde demeure faible ? À quoi bon miser
sur une croissance future lorsque l’on sait
que la construction institutionnelle de la
zone euro maintient durablement le risque
d’un retour de l’austérité et réduit l’investissement public ? Comment ne pas se
montrer prudent quand cette longue
période d’inflation faible menace de se
muer en déflation ?
Reste donc l’option de la relance. L’idée a
été avancée au début du second semestre
2014, notamment par le président de la
BCE Mario Draghi dans son discours
devenu fameux de Jackson Hole (Wyoming). Il y proposait des « Abenomics » à
l’européenne pour sortir du marasme économique, fondés sur trois piliers : une politique monétaire très agressive, des
« réformes structurelles » et une relance au
niveau européen. Ce programme est resté
lettre morte et même la BCE n’ose plus
l’évoquer. Berlin a mis un veto de fait à
toute véritable relance. Le seul geste dans
ce sens est le « plan d’investissement » lancé
par Jean-Claude Juncker en juin prochain.
Ce plan espère pouvoir générer 315 milliards d’investissements en deux ans, mais
principalement par des investissements
privés, sans vrai apport public et avec des
garanties portant uniquement sur un quinzième de l’objectif visé. Bref, l’effet sur la
conjoncture restera faible.
Quant aux États membres, leur marge de
manœuvre est réduite. La logique du
semestre européen ne permet guère de dégager des marges de manœuvre. Tout juste,
comme dans les cas français et italiens, peuton suspendre temporairement une consolidation trop rapide. Mais la menace de nouvelles coupes budgétaires persiste. Quant à
ceux qui pourraient agir parce qu’ils sont à
l’équilibre budgétaire – et à qui Mario Draghi
a demandé d’agir –, autrement dit les Allemands, ils ont refusé de changer de politique
budgétaire. Le ministre fédéral allemand des
Finances, Wolfgang Schäuble, n’a pas voulu
abandonner son objectif d’équilibre pour le
budget fédéral. Sa seule concession est dérisoire : une augmentation de l’investissement
public allemand de 10 milliards d’euros à
partir de 2016 et sur trois ans, si cela ne
remet pas en cause l’équilibre budgétaire…
Pas assez pour peser positivement sur la
conjoncture européenne.
La croissance de l’Union est donc condamnée à rester faible. Voire pire, car si les
conséquences économiques et sociales de
la stratégie d’austérité sont encore en partie responsables de la situation d’apathie
de l’économie européenne, les conséquences politiques restent à venir. Le rejet
des alternatives de la part des gouvernements en place fait monter des mouvements politiques nouveaux qui réclament
Un syndrome de déflation à la japonaise
Taux d’inflation dans la zone euro à 18, en rythme annualisé.
5%
4%
3%
3,2%
2%
Provisoire
0,3%
1%
0%
Estimation
-0,2%
-1%
Jan.
2008
Jan.
2009
Jan.
2010
Jan.
2011
Jan.
2012
Jan.
2013
Jan.
2014
Nov. Dec.
2014 2014
Source : Eurostat
des politiques différentes. Mais une partie
de la zone euro, notamment l’Allemagne,
résiste à cette volonté.
VERS UN ASSOUPLISSEMENT
QUANTITATIF
La tension entretenue par Berlin autour du
« Grexit », de l’éventuelle sortie de la Grèce
de la zone euro en cas de victoire le 25 janvier
de Syriza, le parti de la gauche radicale, opposée à l’austérité, montre combien cette situation est explosive. Or, en 2015, plusieurs
élections importantes vont avoir lieu, notam-
ment en Espagne en fin d’année, où un autre
parti anti-austérité, Podemos, devrait mettre
fin au bipartisme traditionnel. Ces incertitudes vont aussi peser sur l’activité.
Face à ces doutes et ses faiblesses, la BCE se
retrouve donc seule pour redynamiser la
zone euro. Désormais, il semble que le lancement d’un programme d’assouplissement
quantitatif (QE, de quantitative easing)
incluant des rachats massifs d’obligations
d’État soit inévitable. Certains pensent que
ce programme pourrait intervenir dès la réunion du 22 janvier, mais les élections
grecques pourraient en repousser l’annonce
à la réunion suivante, six semaines plus tard,
le 5 mars. Après l’échec de son programme
de Jackson Hole, la BCE ne peut plus faire
l’économie d’une mesure forte pour tenter
de redresser la croissance et de relancer
l’économie. Mais le « QE » à l’européenne
passera sans doute par une voie étroite.
Selon un document récent publié par le quotidien néerlandais Het Financieele Dagblad, le
QE pourrait prendre l’une de ces trois
formes : soit un rachat d’obligations en proportion de l’actionnariat de la BCE réalisé par
la BCE directement, soit le même rachat
réalisé par les banques centrales nationales,
soit enfin le rachat des seules dettes d’État
notées AAA, autrement dit avant tout de
dette allemande. Ces options tentent de limiter les achats de titres risqués et de rassurer
la Bundesbank. En réalité, la plupart des économistes ne comptent guère sur ce QE pour
relancer l’économie européenne. L’effet sur
la confiance sera sans doute faible et réduit
par les précautions prises par la BCE pour
rassurer l’Allemagne. Quant à l’effet sur les
marchés et sur l’euro, il ne sera pas négligeable, mais il ne règle pas le problème de la
demande. Le QE ne sera pas la solution
miracle. Peut-être permettra-t-il seulement
de contenir le risque de déflation.
Le monde va donc devoir faire avec une
zone euro faible. Or, cette faiblesse alimente
celle de la croissance mondiale qui, en
retour, alimente l’apathie européenne. Un
cercle vicieux que seule l’Europe pourrait
briser. Mais la divergence radicale entre
l’Allemagne et plusieurs autres États
membres empêche désormais la zone euro
de prendre les mesures nécessaires pour
sortir du marasme. ■
AVIS FINANCIER
INFORMATION à l’attention des porteurs du FCP LBPAM ACTIONS DIVIDENDES EUROPE
(code ISIN : FR0010711085)
La Banque Postale Asset Management, société de gestion du FCP LBPAM ACTIONS DIVIDENDES EUROPE, vous informe
des modifications suivantes qui seront apportées au FCP à compter du 21 janvier 2015 :
1/ Modification de l’objectif de gestion :
Pour plus de clarté, l’objectif de gestion du FCP sera modifié comme suit :
Rédaction actuelle : «L’objectif de gestion du FCP est d’offrir une performance liée aux marchés actions de l’Espace Economique
Européen et de la Suisse en mettant l’accent sur le rendement via l’exposition sur des valeurs que nous jugeons capables de
verser des dividendes élevés et pérennes.»
Nouvelle rédaction : «L’objectif de gestion du FCP est de sélectionner des valeurs européennes que la société de gestion
juge capables de distribuer des dividendes élevés et réguliers, sans contrainte liée à un indice, tout en cherchant à réduire la
volatilité du portefeuille.»
2/ Modification de la part actuelle / Création d’une part R
La part actuelle du FCP sera renommée part ID et deviendra une part plus particulièrement destinée aux personnes morales
avec un minimum de souscription de 1 000 000 euros.
Concomitamment, il sera procédé à la création d’une part R destinée plus particulièrement aux personnes physiques.
Les caractéristiques de ces 2 parts seront les suivantes :
Les autres caractéristiques du FCP demeureront inchangées.
Vous retrouverez la totalité de ces informations dans les documents d’information clé pour l’investisseur et le prospectus de
LBPAM ACTIONS DIVIDENDES EUROPE qui seront mis à jour en date du 21 janvier 2015 et disponibles à compter de cette
date sur le site internet www.labanquepostale-am.fr (1).
(1) Coût de connexion selon le fournisseur d’accès.
LA BANQUE POSTALE ASSET MANAGEMENT
société de gestion de portefeuille ayant obtenu l’agrément AMF n° GP 95015
34 rue de la Fédération - 75737 Paris cedex 15
S.A. à directoire et conseil de surveillance au capital de 5 099 733 euros - RCS : Paris B 344 812 615
I 29
28 I
ENTREPRISES
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
MODERNISATION ASCHER VINCENT, ASSOCIÉ AU DÉPARTEMENT COMMERCE DE CUSHMAN & WAKEFIELD
REPORTAGE
Regent Street, la rue connectée,
défie les Champs-Élysées
Pendant que les Champs-Élysées réfléchissent à leur avenir, Regent Street a déjà engagé une mue
numérique, à l’image de la capitale britannique. Pas moins de 1 milliard de livres doit être investi
sur vingt ans pour moderniser cette rue, et assurer la rentabilité des magasins face au e-commerce.
S
5 500
Londres revêt
ses plus beaux
atours, à Noël.
Pour s’en mettre
plein les mirettes
et s’adonner
au plaisir du
shopping,
le Hamleys Toy
Store, le plus
grand magasin de
jouets du monde,
est une adresse
incontournable
sur Regent
Street.
« IL N’Y A PAS DE RAISON QUE LES CHAMPS-ÉLYSÉES SE FIGENT » S’étendre en hauteur ou en largeur, rénover ses galeries, s’équiper de nouvelles technologies... L’avenue des Champs-Élysées, l’artère la plus chère d’Europe parcourue chaque année par
20 millions de touristes, s’interroge sur son futur. Le comité des Champs-Élysées a récemment sollicité l’architecte Jean-Paul Viguier pour imaginer son avenir. Les détails analysés par
Vincent Ascher, associé au département Commerce du cabinet Cushman & Wakefield.
LA TRIBUNE — Pourquoi
l’évolution de la valeur locative des
espaces commerciaux fluctue-t-elle
autant aux Champs-Élysées ?
Il est rare de voir plus de quatre ou
cinq transactions par an, puisqu’il
existe 130 unités commerciales.
Le droit français diffère du droit
anglo-saxon. Sur la 5e Avenue à New
York, le rythme des transactions est
plus élevé. Le cadre juridique
français conduit au renouvellement
et la conservation des enseignes
sur leur emplacement d’origine.
Cela dit, nous observons une
croissance linéaire et constante des
valeurs locatives depuis cinq ou six
ans pour les zones A. Il faut prendre
en considération les formats. Les
boutiques des Champs-Élysées sont
considérées comme des « flagships »
(des magasins-amiraux) mais leur
taille est assez faible par rapport
à la 5e Avenue ou à certaines villes
d’Asie. On trouve cinq unités
supérieures à 2 000 m2 et une seule
supérieure à 5 000 m2 (l’espace
convoité par les Galeries Lafayettes
occupe environ 8 000 m2, ndlr).
Si les prix augmentent, quelle
tactique l’emportera ?
Des boutiques plus petites avec
des objets en démonstration
vendus ensuite sur Internet ou
de très grands magasins, moins
nombreux, mais proposant
des services nouveaux ?
Les deux stratégies coexistent selon
le positionnement des enseignes,
l’image qu’elles veulent véhiculer.
Les enseignes grand public et fast
fashion, les enseignes renouvelant
fréquemment les collections,
comme Zara, vont plutôt opter pour
de grandes surfaces, et les plus haut
de gamme chercheront des formats
plus petits. La situation des ChampsÉlysées avec des pieds d’immeubles
pour les commerces et des bureaux
en étage limite les possibilités
d’extension. Cela pose donc
des questions sur l’avenir des
Champs-Élysées d’un point de vue
commercial. À Londres, notamment
à New Bond Street, la tendance
est à la récupération d’étages
supérieurs pour les transformer
en espaces de vente.
architecturale. Cela commence
à se faire à Paris avec le toit du BHV
ou le restaurant Le Perchoir.
Sur les Champs-Élysées,
faudrait-il augmenter la hauteur
des immeubles ?
Les immeubles de bureaux sont
considérés par certaines entreprises
comme relativement obsolètes
par rapport aux standards
internationaux. Peut-être qu’un axe
de développement serait en effet
d’étendre la surface commerciale par
rapport aux bureaux. Des réflexions
en ce sens ont déjà été lancées sur
certains immeubles. Il faudrait aussi
remettre en valeur des terrasses
pour les rendre exploitables, sur
le modèle des rooftops,
« les toits-terrasses » new-yorkais
tout en conservant la cohérence
Que faire des galeries
des Champs-Élysées ?
Il est vrai qu’elles ne sont pas
forcément valorisées comme elles le
pourraient. Un travail d’amélioration
architecturale serait intéressant.
C’est l’une des réflexions de
l’architecte Jean-Paul Viguier qui a
travaillé sur l’épaisseur de l’avenue,
pas seulement sur son axe. Il ne faut
pas oublier qu’il s’agit aussi d’un lieu
de vie où les gens travaillent et
habitent, même s’il y a de moins
en moins de résidents.
L’autre aspect du renouvellement
concerne les terrasses de café
et de restaurants relativement mal
intégrées au paysage urbain.
Pour la première
fois, le 31
décembre 2014,
les ChampsÉlysées ont été
le théâtre
d’un formidable
spectacle
d’animation
festive, pour
le plus grand
plaisir
des Parisiens
et des touristes.
© CITIZENSIDE/JALLAL
SEDDIKI
Ensuite, il y a une réflexion
intéressante sur le trafic routier
pour faire coexister les cars de
touristes, les voitures des riverains,
etc. Le dernier sujet, ce sont
les espaces verts. Une « forêt
connectée » a été évoquée
avec l’idée d’intégrer le jardin
des Tuileries dans la perspective,
pour en faire un lieu d’exposition.
Des balises de géolocalisation
envahissent les rues commerciales.
Si c’est le cas entre la Concorde
et la place de l’Étoile, comment
l’investissement sera-t-il réparti ?
Londres a sauté le pas. Paris,
à ma connaissance, non. Il y a
une question de société derrière
cela. Cela soulève une autre
problématique : faut-il considérer
les Champs-Élysées comme un
centre commercial à ciel ouvert ?
Je n’ai pas la réponse !
Quel sera l’impact de la création
de nouvelles zones touristiques
à Paris pour les Champs-Élysées ?
Difficile d’apporter une réponse
précise alors que le débat politique
et économique est en cours. Mais
les touristes étrangers qui visitent
les grands magasins du boulevard
Haussmann pendant la semaine
ne sont pas forcément les mêmes
que ceux qui vont sur les ChampsÉlysées. En outre, cette avenue est
une vitrine, touristes et Français y
viennent le dimanche en partie
pour consommer mais pas
seulement, les promeneurs
ne sont pas obligatoirement
acheteurs. L’ouverture dominicale
pourrait être aussi pour
les enseignes l’occasion
de communiquer différemment
car le client est moins pressé que
les autres jours de la semaine et
est plus enclin à la découverte de
nouveaux concepts. Dans les zones
touristiques, le chiffre d’affaires
généré le week-end est
généralement supérieur aux
autres jours. Par ailleurs, élargir
les zones touristiques permettrait
de désengorger ces zones.
Le Marais — également une zone
touristique — en est un bon
exemple, la concentration y est
très importante. ■
PROPOS RECUEILLIS PAR MARINA TORRE
© STUART C. WILSON/
GETTY IMAGES)
çants provient bien des pays émergents,
qu’ils soient moyen-orientaux, sud-américains ou chinois. Le futur visa simplifié que
concocte le gouvernement de David Cameron doit permettre d’en attirer de nouveaux
dans la capitale britannique : ceux qui se
contentaient jusque-là du visa Schengen pour
un tour des capitales du continent. Raison de
plus pour leur dérouler le tapis rouge. « Le
site Internet de Regent Street est déjà traduit en
chinois, et nous sommes présents sur les réseaux
sociaux populaires en Chine, comme Wechat »,
explique Chelsea Peterson.
Déjà, « nous voyons surtout des Japonais, des
Chinois et des gens du Moyen-Orient, mais
assez peu de Londoniens », confirme, dans la
boutique Karl Lagerfeld, une vendeuse française, venue comme beaucoup de compatriotes parfaire son anglais en travaillant dans
un magasin londonien. Le lieu, récemment
ouvert par le designer de Chanel, se donne
une touche moderne avec des mini-iPads
suspendus aux tringles qui diffusent des
images de défilés. Quand leur batterie n’est
pas déchargée...
UN MUSÉE EN PLEIN AIR
Côté high-tech, le modèle se trouve quelques
mètres plus bas, dans l’ancien cinéma occupé
par Burberry. Là, des écrans exposent en
taille réelle les pièces choisies par les clients
via des clips de mannequins arborant les
modèles sur les podiums, histoire d’éviter
de passer en cabine les jours d’affluence.
Quant aux vendeurs, écouteur vissé à l’oreille
et écran tactile collé à la main, ils sont aux
aguets. L’un explique que sa tablette lui sert
surtout à vérifier dans le stock si un produit
est disponible. Une autre vendeuse propose
de commander un article sur place pour une
livraison à Paris. Pour un client qui souhaiterait essayer avant d’acheter, elle scanne
une puce électronique RFID placée sur une
étiquette, trouve la référence, et vérifie que
l’une des boutiques parisiennes dispose bien
d’un exemplaire. Avant d’en noter la référence avec un antique stylo sur une tout aussi
ancienne carte de visite en papier.
La technologie ne s’est pas infiltrée partout.
Les touristes perdus recherchent encore les
plans affichés aux croisements clés. Pour
trouver le réseau wi-fi, mieux vaut se rendre
dans les cafés des rues piétonnes adjacentes
annexées par Regent Street. Ces lieux sont
dédiés aux pauses, par contraste avec l’artère
principale qui ne s’arrête jamais, même pas
le dimanche.
À Heddon Street par exemple, le chef vedette
Gordon Ramsay vient d’inaugurer un restaurant. Dans un recoin de passage ayant servi
de décor à la pochette de l’album du chanteur
David Bowie trône l’iconique cabine téléphonique qui figure aussi sur la photo. Une
anecdote mise en avant dans la prochaine
version de l’application Regent Street. Tout
comme le parcours culturel qui fait découvrir
les treize œuvres d’art installées dans la rue
et ses dépendances.
« C’est plus qu’une rue, c’est une destination »,
s’exclame Chelsea Peterson en vantant
l’astuce. Car il faut bien trouver de nouvelles façons d’attirer les visiteurs afin qu’ils
passent plus de temps à déambuler sur ces
trottoirs bondés, et un peu moins à faire leurs
emplettes en ligne. La décoration intérieure
des boutiques suit la même logique, comme
ce bar à gin au premier étage du magasin
pour hommes Hackett, ou le restaurant-galerie d’art Sketch, accessible uniquement sur
rendez-vous et dont les trois salles changent
leurs spectaculaires décors tous les ans pour
faire revenir les connaisseurs. Un lieu où tout
est à vendre, des tableaux aux tasses de thé.
Bientôt, dans l’université de Westminster, un
cinéma ouvrira ses portes. Un mouvement
à rebours des Champs-Élysées, où les salles
obscures ont tendance à fermer.
UNE ADRESSE MONDIALE
À PRIX D’OR
De même, quand le nombre de magasins
augmente sur l’artère parisienne, passant
de quelque 130 en vingt ans, ils diminuent
chez sa rivale anglaise. Mais ils prennent
plus de place. C’est stratégique pour les
enseignes qui se sont offert le luxe d’une
présence sur le « Mile of Fashion ». Elle
y coûte en 2014 près de 2,5 fois moins
qu’une adresse sur les Champs-Élysées
– la plus chère d’Europe avec une valeur
locative de 13 300 euros du mètre carré
en moyenne, selon le cabinet Cushman &
Wakefield. Mais ici, la valeur se mesure à
la place occupée en « zone A », c’est-à-dire
au plus près de la vitrine, sous les yeux des
passants. À Regent Street, elle vaut 5 500
euros par mètre carré et par an. Les nouveaux arrivants ajoutent une prime lors de
l’emménagement, soit par exemple 5 millions d’euros déboursés par Hackett, qui
a remplacé Ferrari aux numéros 193-197.
Sous la pression d’un prix trop élevé
qui a condamné sa rentabilité, l’illustre
Dickins & Jones y a fermé ses portes en
2006, remplacé depuis par la filiale de
Gap, Banana Republic. Désormais, les
marques « vont et viennent » sans qu’un
espace reste longtemps inoccupé, pointe
la porte-parole. Pour les multinationales
capables d’en supporter le coût, le but
consiste avant tout à y être pour exister dans l’esprit d’un consommateur au
pouvoir d’achat élevé. Y voisinent ainsi
les Français Longchamp et Vilebrequin,
avec le géant espagnol Zara (Inditex),
mais aussi H&M ou les Américains Hollister, Anthropologie, et bien sûr Apple
qui, pour son premier temple high-tech
européen, a investi une ancienne église.
De même, griffes de luxe et enseignes
plus bas de gamme s’y côtoient, même
si la rue tient à se distinguer d’Oxford
Street, plus populaire, mais dont le prix
au mètre carré est relativement plus
élevé. Signe de la rivalité entre les quartiers : pas question d’étendre la couverture de l’application Regent Street à la
innovons EnsEmblE
toute proche mais plus rock & roll zone
de Carnaby. Là, « les visiteurs sont plus
jeunes. À Regent Street, ils viennent pour
les “lagship store’’, avec un passage obligé
au magasin de jouets Hamleys où je ne mets
plus les pieds depuis l’enfance », confie la
Londonienne Chelsea Peterson.
Dans la ville, d’autres lieux s’adressent
historiquement à un public plus huppé,
comme New Bond Street ; ou bien s’y
spécialisent : à Covent Garden, plusieurs
groupes de luxe ont choisi d’y décliner leur offre beauté, comme Chanel,
Dior, l’incontournable Burberry et son
salon dédié, sans caisse fixe mais ultraconnecté, ou encore un « laboratoire »
de la marque Clinique, lui aussi doté de
gadgets numériques. ■
avec
eT
Travyl, des films à succès
Des protège-cahiers au porte-chéquier, en passant par les
matelas à langer, les revêtements de sols... et les centrales
nucléaires ! Les films PVC souples de Travyl (Basse-Normandie)
sont employés dans bien des industries. «Quand j’ai repris la
société il y a sept ans, nous réalisions 87% de notre chiffre
d’affaires dans le secteur de la papeterie, presque exclusivement
sur le marché français. Aujourd’hui, notre expertise est
mobilisée dans la puériculture, les objets publicitaires et par les
industriels, et un cinquième de nos revenus proviennent de
l’export», se réjouit Luc Chavany, le PDG de Travyl, qui a réalisé
près de 6 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014. Pour
mener à bien sa diversification, cette société normande basée
à Biéville-Quetieville a fait appel à Bpifrance. «Dès la reprise de
Travyl, Bpifrance nous a accompagnés, en apportant sa garantie
sur notre montage financier. Cela a été un gros coup de pouce
pour conclure l’opération avec nos banques.» Ensuite, Bpifrance
a accordé à Travyl deux aides remboursables, de 100.000 euros
chacune. «Nous avons également été admis au sein du réseau
Bpifrance Excellence, qui nous permet d’échanger avec d’autres
entrepreneurs innovants. Etant implantés au fin fond du Pays
d’Auge, nous n’aurions pas eu si facilement accès à autant de
contacts avec des industriels comme des institutionnels», sourit
Luc Chavany. En 2015, il envisage de développer son offre à
destination des industries du nucléaire. Il a d’ailleurs rejoint
l’association Nucléopolis, qui concentre les expertises dans le
nucléaire médical et civil en Basse-Normandie. Cette année, il
entend aussi accélérer à l’international, notamment en Afrique.
Et pourquoi pas, de solliciter une aide à l’export de Bpifrance.
«Nous avons noué une relation de proximité avec les équipes
de Bpifrance. Elles sont abordables et réactives. Elles ne
laissent aucune question sans réponse !» Travyl emploie 30
salariés en France.
Entrepreneurs, Bpifrance vous soutient en prêt et capital, contactez Bpifrance de votre région : bpifrance.fr
Luc Chavany, le PDG de Travyl
© Travyl
ur ses façades grises, Regent
Street a revêtu ses atours de
Noël. En cette fin novembre
@Marina_To
2014, la foule attend la fin de
semaine pour s’agglutiner dans
ces immenses « boutiquesamirales » qui font la renommée de l’artère londonienne. Plus que le style
géorgien de cette perspective créée au début
du XIXe siècle par l’architecte John Nash. Si
le lèche-vitrines tel que nous le connaissons
a pris son envol ici, sous les colonnades du
Quadrant, c’est aussi là qu’il se réinvente. Car
deux cents ans après sa naissance, Regent
Street devient e-commerçante, voire m-commerçante. Elle est la première rue à s’être
dotée d’une application mobile connectée à
des puces électroniques dissimulées le long
de sa célèbre courbe.
De quoi donner des idées à l’avenue des
Champs-Élysées, où l’association des commerçants a réuni historiens, urbanistes et
commerçants, le 24 novembre, pour réfléchir
à l’avenir de l’artère parisienne (lire l’entretien
ci-contre). Sa cousine britannique a entamé
une cure de jouvence en 2004. Elle n’en est
qu’à la moitié du parcours et n’a pas lésiné sur
les moyens pour ce ravalement. Montant de
l’investissement prévu : 1 milliard de livres !
Il faut dire qu’elle bénéficie d’un soutien
de taille, puisque ses murs appartiennent
principalement au Domaine royal (« Crown
Estate »). L’administrateur des actifs royaux
en gère les immeubles sur plus d’un kilomètre de façade, ce qui en fait la plus grande
surface de l’Ouest londonien détenue par un
seul propriétaire. Comme le Trésor impose
de « maximiser ses atouts pour le bénéfice du
contribuable », rien d’étonnant à ce que ce
joyau soit mis à disposition pour des opérations commerciales. Cette année par exemple,
les illuminations sont sponsorisées par le distributeur des films « Une nuit au Musée »...
Et les glaces Magnum y ont fêté leur
anniversaire lors de
l’un des dimanches
estivaux où la circulation automobile
euros le mètre carré, c’est la valeur
est bloquée.
locative moyenne des magasins
Outre des travaux,
situés sur Regent Street, contre
le milliard de livres
13 300 euros sur les Champs-Élysées. finance des initiatives comme l’application mobile citée plus haut. Uniquement
disponible sur le système d’exploitation
d’Apple, et pas encore traduit en chinois,
ce service vise à guider les visiteurs selon
leurs goûts, tout en leur proposant des
promotions lorsqu’ils passent devant un
magasin partenaire. « Aucune donnée privée
n’est exigée, aucune information n’est conservée,
assure Chelsea Peterson, représentante du
« Crown Estate ». Nous ne savons donc pas
qui des 60 000 personnes l’ayant téléchargée sont
Londoniens et lesquels sont étrangers. »
Reste que la cible privilégiée des commerPAR MARINA
TORRE
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
I 31
30 I
MÉTROPOLES
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
Neurocampus, centre
mondial des neurosciences
BORDEAUX
Début décembre, la première pierre du pôle Neurocampus, qui va concentrer les talents dans les neurosciences,
a été posée à Bordeaux. Avec cet outil, et 65 millions d’euros d’investissements, la capitale de l’Aquitaine entend
gagner en visibilité et affirmer à l’international son excellence dans la recherche contre les maladies du cerveau.
PAR NICOLAS
CÉSAR
À BORDEAUX
@Nico33news
M
aladie d’Alzheimer,
maladie de Parkinson… D’ici à 2030,
le nombre de
malades doublera
si aucun remède
n’est trouvé. Dans
ce domaine des neurosciences, l’Aquitaine
entend être à la pointe au niveau mondial.
Elle rassemble déjà 650 chercheurs de haut
niveau. Et, avec Neurocampus, qui va réunir
à l’été 2016 sur 15 000 m² l’Institut des maladies neurodégénératives (IMN), l’Institut
interdisciplinaire de neurosciences (IINS) et
une partie du Bordeaux Imaging Center
(BIC), elle va disposer d’un outil, qui va lui
permettre de franchir un nouveau cap. Ce
sera un « carrefour » des neurosciences qui
va regrouper 450 chercheurs spécialisés. Neurocampus devrait créer des synergies et inciter les différentes équipes à travailler davantage ensemble sur des projets d’envergure.
« L’objectif est de faire de l’Aquitaine l’une des
grandes places des neurosciences sur la scène
internationale », lance Alain Rousset, le président de la Région Aquitaine.
29 JANVIER 2015
ÉDITION 2015 - PARIS
L’INTERNET
MOBILE
L’investissement du conseil régional dans
Neurocampus est à la hauteur des ambitions :
pas moins de 65 millions d’euros, dont 20 millions pour l’accompagnement des projets des
chercheurs. « Neurocampus va donner une visibilité internationale à Bordeaux dans les maladies
neuropsychiatriques et neurodégénératives », met
en avant Pier-Vincenzo Piazza, directeur de
recherche à l’Inserm et coordinateur du projet.
Directement connecté au Neurocentre
Magendie et à la plate-forme génomique fonctionnelle, dans un écosystème particulièrement riche, à proximité de l’Inserm et du CHU
de Bordeaux, il va permettre d’optimiser les
interactions entre chercheurs et cliniciens en
neurologie, neurochirurgie, rééducation et
innovation thérapeutique.
« En Europe, Bordeaux fait déjà partie des tout
premiers centres dans les neurosciences. Ce n’est
pas un hasard si l’école européenne de neurosciences a été installée ici », fait remarquer Daniel
Choquet, directeur de l’Institut interdisciplinaire de neurosciences. Le projet Neurocampus est l’aboutissement d’une rencontre,
impulsée par le conseil régional, le 21 mai
2007, avec tous les acteurs régionaux du sec-
LE RENDEZ-VOUS
DE L’INNOVATION
NUMÉRIQUE
DANS LA
BANQUE
www.inbanque.com
Alain Rousset,
le président du
conseil régional
d’Aquitaine,
pose la première
pierre du
bâtiment
Neurocampus,
future grande
place des
neurosciences
sur la scène
internationale,
à Bordeaux,
le 1er décembre
2014.
© N. CESAR
teur pour bâtir une stratégie de développement des neurosciences en Aquitaine.
Ensuite, la Région a créé plusieurs outils pour
stimuler la recherche, en construisant notamment l’institut consacré au transfert de la
recherche clinique et l’Institut des maladies
neurodégénératives. Dans le même temps, la
Région a contribué à fédérer les chercheurs
en structurant, par exemple, l’ensemble des
services en imagerie au sein du BIC et a attiré
des chercheurs de haut niveau du monde
entier grâce au développement de chaires
d’accueil. Aujourd’hui, le BIC est une plateforme chef de file au niveau européen pour la
mise à disposition des technologies d’imagerie en haute résolution.
UN TRAITEMENT AVANT
L’ÉCLOSION DE LA MALADIE
Les résultats sont là. L’Aquitaine s’est fait
remarquer par des travaux de niveau mondial
dans les neurosciences. « Par exemple, sur
Alzheimer, grâce aux professeurs Hélène Amiéva
et Jean-François Dartigues, nous sommes désormais capables de définir chez une personne, dès
l’âge de 50 ans, si elle a un risque de développer la
maladie. Quant à Parkinson, nous sommes tout
proches de révéler ce qui est la cause de la mort des
neurones, ce qui ouvrira la porte à des pistes thérapeutiques dans quelques années », révèle Erwan
Bézard, directeur de l’IMN.
En effet, concernant Parkinson, des scientifiques bordelais de l’IMN ont découvert que
l’injection de petites quantités dans le cerveau d’animaux de la forme humaine
« malade » d’une protéine, nommée alphasynucléine, déclenche la neurodégénérescence, associée à la maladie de Parkinson. De
quoi laisser espérer que l’on puisse bientôt
retirer de l’organisme ce qui véhicule la
pathologie. Reste à vérifier que ces résultats
sont bien transposables à l’Homme. C’est une
des grandes avancées de l’année concernant
les maladies neurologiques. Cette recherche
a reçu en 2014 le prix du meilleur travail
scientifique par l’American Neurological
Association. Dans la même lignée, le grand
prix de la Fondation de France a été attribué
à Erwan Bézard.
Conséquence du dynamisme de la recherche
bordelaise, « nous assistons déjà à un bond en
avant des start-up dans les biotech médicales. Les
grands groupes pharmaceutiques ne sont pas
insensibles à nos travaux. Cela va aussi renforcer
notre attractivité économique dans le secteur, souligne Alain Rousset. Les enjeux dépassent la
recherche fondamentale. Ils sont sociétaux. Il
devient urgent, à l’heure où la population européenne vieillit, de guérir des maladies comme Parkinson ou Alzheimer. »
Pour l’heure, les essais cliniques pour lutter
contre Alzheimer ont échoué. Cela étant, les
scientifiques bordelais sont parvenus à diminuer le nombre de plaques amyloïdes – le
marqueur de la maladie – chez le patient, mais
sans endiguer le développement de la maladie.
Pour accélérer encore la recherche, Solange
Ménival, vice-présidente du conseil régional
d’Aquitaine en charge de la santé, a signé le
17 décembre avec Jon Darpón, ministre de la
Santé d’Euskadi, un protocole d’entente santé
visant à favoriser les échanges sur les maladies
chroniques.
Il s’agit d’unir les forces des deux régions.
« Euskadi a mis en place un dossier médical, avec
un suivi très pointu de 2,5 millions de Basques
atteints d’une maladie chronique (Alzheimer…)
vivant à domicile, qui pourrait être utile à nos
chercheurs en neurosciences. Et, vice-versa »,
explique Solange Ménival. « Ce partenariat
devrait nous permettre d’aller chercher des fonds
européens, afin d’aboutir, à terme, à des transferts
de technologie et au développement d’un nouveau
tissu industriel dans le secteur », glisse l’élue. Au
regard de toutes ces avancées, « un traitement
curatif est espéré d’ici à vingt ans, mais cinq à dix
ans pour soigner les symptômes non traités
aujourd’hui », dévoile Erwan Bézard. À ce
moment-là, les tests cognitifs permettront de
déterminer les individus susceptibles de développer la maladie. C’est l’ambition première
des chercheurs bordelais dans les neurosciences : traiter les personnes, avant même
qu’elles ne deviennent des malades. n
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
ASIE
La capitale financière de l’Inde perd des habitants dans ses quartiers historiques, mais le nouveau
gouvernement régional entend relancer les grands projets pour enrayer le phénomène.
La municipalité, elle, s’apprête à adopter un nouveau plan d’urbanisme conçu par des Français.
Bombay en quête
d’un nouveau souffle
O
n prétend qu’elle est
la ville d’Inde où la
qualité de vie est la
meilleure. Mais avec
ses slums (bidonvilles) rendus tristement célèbres au
cinéma, elle n’est que 116e dans le classement des villes les plus agréables au
monde publié par The Economist. Bombay
(« Mumbai » dans la langue locale) est un
immense paradoxe. Sur la colline de
Tardeo, le milliardaire Mukesh Ambani vit
dans sa tour Antilia de 27 étages tandis
qu’à ses pieds, les gens dorment dans la
rue.
Celle qui était jusqu’au début des années
2000 une caricature de ville-champignon
voit aujourd’hui sa croissance démographique ralentir. Pire, au sud, dans ses quartiers historiques qui n’étaient qu’un archipel de sept îles à l’époque de la reine
Victoria, la population a baissé de 7 % en
dix ans, l’« Island City », comme on l’appelle ici, compte aujourd’hui moins de
3 millions d’habitants, dans une agglomération péninsulaire qui en compte 21, un
plafond qui a maintenant peu de chances
d’être dépassé, affirment les spécialistes.
Les élus de Bombay, eux, refusent cet état
de fait.
C’est ainsi qu’à la faveur des élections
générales dans l’État du Maharashtra, au
mois d’octobre dernier, une quantité
invraisemblable de projets sont ressortis
des cartons. Le Parti du Congrès a subi une
déroute et le Bharatiya Janata Party (BJP),
désormais aux commandes, entend faire
de la capitale sa vitrine. Bombay va-t-elle
connaître un sursaut ? C’est fort possible,
car le pouvoir fédéral, incarné depuis le
printemps 2014 par le Premier ministre,
Narendra Modi, est du même bord politique. Or ce dernier se fait fort de relancer
les grands travaux, partout en Inde.
À Mumbai, cette nouvelle donne pourrait
bien remettre en piste le nouvel aéroport,
programmé de l’autre côté de la baie qui
sépare la péninsule du continent. Son coût,
estimé à 1,9 milliard d’euros, devrait être
financé par un partenariat public-privé.
Gelé depuis six ans, le Trans-Harbour Link,
un pont de 22 km destiné à desservir ce
futur aéroport a, par ricochet, des chances
de se réveiller lui aussi (1,2 milliard d’euros). Alors que la filiale asiatique de la
RATP a mis en service une première ligne
de métro aérien en juin, les travaux démarreront à l’automne prochain sur la ligne 3,
censée irriguer la mégapole en souterrain,
du nord au sud, à l’horizon de 2020. En
outre, on parie sur la relance de la ligne 2,
abandonnée l’an passé faute de foncier disponible, ainsi que sur le lancement d’une
ligne 4, elle aussi souterraine.
En attendant que le Chief Minister du
Maharashtra fraîchement élu, Devendra
Fadnavis, 44 ans, arrête ses choix, la maire
de la ville, en poste depuis septembre, Sne-
hal Ambekar, 42 ans, s’apprête à boucler
son nouveau plan d’urbanisme. Pour ce
faire, la Municipal Corporation of Greater
Mumbai (MCGM) s’inspire du savoir-faire
français. C’est le groupe d’ingénierie Egis,
filiale de la Caisse des dépôts, qui a été
chargée il y a trois ans de redessiner Bombay à l’horizon de 2025. Remise de copie
en avril prochain.
« Bombay a d’abord besoin de clarifier sa gouvernance, car la cohabitation de la ville et de
l’État crée une grande confusion dans les arbitrages techniques et financiers, explique Gilduin Blanchard, directeur général d’Egis
India. Ensuite, il lui faut un plan local
d’urbanisme établissant des règles précises, quartier par quartier. Toute la difficulté consiste à fixer une valeur pertinente
au floor space index (FSI), version indienne
du coefficient d’occupation des sols. Officiellement, ce ratio a été fixé à 1,33 à Mumbai. Mais dans les faits, il est aujourd’hui
supérieur à 4 dans les quartiers les plus
congestionnés. Résultat : avec un FSI très
faible comparé à Paris (3), New York (15)
ou Singapour (25), la capitale financière de
l’Inde est la troisième ville la plus dense
au monde (Singapour est 181e, Paris 663e et
New York 830e), car la population indienne
se caractérise par sa capacité à s’entasser.
Dans les bidonvilles, où vit un Bombayite
sur deux, chacun doit se débrouiller avec
moins d’un mètre carré ! Corollaire : le
marché résidentiel est le 12e plus cher du
monde, avec un prix moyen de 20 millions
de roupies (260 000 euros) pour un deuxpièces.
part, entre Chembur et Wadala. Ou
comme Bandra Kurla Complex, ce nouveau quartier d’affaires où se sont installées de nombreuses banques et presque
tous les diplomates de la ville, non loin de
l’aéroport actuel. « On dirait une cité des
années 1970 et elle n’est même pas desservie
par les transports publics », s’esclaffe l’architecte Saket Sethi.
Certains rêvent de verdir Bombay, à
l’image de l’architecte Alan Abraham, qui
s’est inspiré de la Coulée verte du sud de
Paris pour échafauder un projet de couverture de toutes les voies ferrées. Sur un
linéaire de 114 km, celui-ci imagine des
jardins et des pistes cyclables qui feraient
respirer la mégapole, tout en recousant le
tissu urbain. « Bombay est coupée en deux
par un réseau ferroviaire nord-sud qui oblige
les gens à toutes sortes d’acrobaties pour circuler dans le sens est-ouest. Plus de dix personnes meurent chaque jour en franchissant
les rails, rappelle-t-il. En construisant des
dalles, on résoudrait le problème de la sécurité,
on ferait disparaître le bruit des trains et on
réduirait la pollution automobile en encourageant les transports alternatifs. »
Tout est question de patience. « Les projets peuvent être validés, ils peuvent ensuite
être bloqués pendant des années, sans que
personne ne sache pourquoi », déplore Éric
Dussiot, représentant en Inde du bureau
d’études et d’ingénierie Arep. L’agence
d’architecture et d’urbanisme, filiale de la
SNCF, a été chargée en 2009 de redessiner
Chhatrapati Shivaji Terminus, la célèbre
gare victorienne de Mumbai, pour en faire
une plate-forme multimodale. Cinq ans
après, aucun coup de pioche n’a encore
été donné. n STÉPHANE PICARD, À BOMBAY
LA NÉCESSITÉ DE BOUSCULER
LES HABITUDES INDIENNES
En présence de notre invité
« La ville s’est développée sans aucune cohérence d’ensemble, car les pouvoirs publics, les
promoteurs immobiliers et la mafia ont toujours été de mèche », raconte un urbaniste
local, sous le sceau de l’anonymat. Dans
cette organisation informelle, les bidonvilles ont été instrumentalisés, pour devenir générateurs de capital : la ville vend les
terrains des bidonvilles à un cartel d’une
petite dizaine de promoteurs, en échange
de droits à construire que ces derniers utilisent pour bâtir ailleurs. « À l’arrivée, on se
retrouve avec des immeubles de 30 étages
flambant neufs et désespérément vides, au
milieu des mangroves. Pendant ce temps-là,
les habitants des bidonvilles, eux, ne bougent
pas », s’insurge notre urbaniste.
Selon Egis, la solution passe par de nouvelles façons de faire la ville, au risque de
bousculer les habitudes indiennes. Les 700
hectares de friches que les autorités portuaires viennent de rendre à la municipalité, tout au long de la côte est d’Island
City, offrent de belles perspectives. À
condition de ne pas reproduire les erreurs
du passé, comme ce monorail de 19 km
inauguré début 2014, qui ne mène nulle
Président de Coe-Rexecode
« Bombay s’est
développée sans
aucune cohérence
d’ensemble, car les
pouvoirs publics,
les promoteurs
immobiliers
et la mafia ont
toujours été de
mèche », raconte
un urbaniste local,
sous le sceau
de l’anonymat. © DR
MICHEL DIDIER
Sur le thème
« LA FRANCE EN 2015 :
PERSPECTIVES ÉCONOMIQUES,
MARGES DE MANOEUVRE, RISQUES »
Jeudi 29 janvier 2015 de 8h30 à 10h
(Accueil café à partir de 8h)
Maison des Travaux Publics
3, rue de Berri - Paris 8e
Inscription et renseignements : [email protected]
En partenariat avec
I 33
32 I
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
VISIONS
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
VU DE BRUXELLES
À
© DR
H
ROBERT J.
SHILLER
PRIX NOBEL 2013
D’ÉCONOMIE
ET PROFESSEUR
D’ÉCONOMIE
À L’UNIVERSITÉ
DE YALE
IL A COÉCRIT AVEC
GEORGE AKERLOF
« ANIMAL SPIRITS :
HOW HUMAN
PSYCHOLOGY DRIVES
THE ECONOMY AND
WHY IT MATTERS FOR
GLOBAL CAPITALISM ».
LE TEMPS DE LA
« NOUVELLE NORMALITÉ »
L’impact de la crise financière de 2008
sur les économies ukrainienne et russe
pourrait, par exemple, avoir en fin
de compte contribué au conflit qui y
fait rage depuis peu. D’après le Fonds
monétaire international, l’Ukraine et la
Russie ont toutes deux enregistré une
croissance spectaculaire entre 
2002
et 2007 : au cours de ces cinq années,
le PIB réel par habitant a augmenté de
52 % en Ukraine et de 46 % en Russie.
Cette dynamique appartient désormais
au passé : la croissance du PIB réel
par habitant n’a atteint que 0,2 % en
Ukraine l’an dernier, pour seulement
1,3 % en Russie.
Le mécontentement suscité par cette
déception pourrait bien en partie expliquer la colère des séparatistes ukrainiens, l’irritabilité des Russes, ainsi que
les décisions d’annexion de la Crimée
et de soutien des séparatistes de la part
du président russe Vladimir Poutine.
Il existe un nom au désespoir qui alimente cette colère apparue depuis la
crise financière – et pas seulement
Formule
DR
Comme en 1937, le pessimisme règne en Europe, après plusieurs années de crise. Il alimente les tensions
géopolitiques qui, elles-mêmes, affectent la croissance et contribuent au pessimisme. Stagnation séculaire
et sous-consommationnisme : jusqu’où faire le parallèle entre notre présent et cette période funeste ?
Adolf Hitler
passant en revue
des groupes
en uniforme
du parti nazi,
pendant le
rassemblement
géant
de Nuremberg,
en 1937,
en Allemagne.
les bonnes décisions
CORRESPONDANTE
À BRUXELLES
RETROUVEZ
SUR LATRIBUNE. FR
SON BLOG
« VU DE BRUXELLES »
© BERLINER
VERLAG/ARCHIV
moins rapide – l’intolérance, le nationalisme agressif, et la guerre. Il en
conclut que « la valeur d’une élévation
du niveau de vie ne réside pas seulement
dans les améliorations concrètes qu’elle
génère dans l’existence des individus,
mais également dans la manière dont elle
façonne l’identité sociale, politique, et en
fin de compte morale d’un peuple ».
LE BESOIN UNIVERSEL
DE « L’ESTIME DE SOI »
Certains affirment douter de l’importance de la croissance économique.
Pour beaucoup, nous serions peutêtre trop ambitieux, et aurions davantage intérêt à vivre une existence plus
agréable et plus divertissante. Peut-être
ont-ils raison. Mais la véritable problématique réside dans l’estime de soi,
ainsi que dans les processus de comparaison sociale, dont le psychologue
Léon Festinger a expliqué qu’ils constituaient une tendance universelle chez
l’être humain. Beaucoup s’en défendront probablement, mais nous passons nos vies à nous comparer les uns
aux autres, et aspirons à gravir l’échelle
sociale. L’individu n’appréciera jamais
pleinement ses nouvelles opportunités
de loisirs si celles-ci semblent signifier
son échec par rapport aux autres.
L’espoir de voir la croissance économique favoriser la paix et la tolérance
se fonde sur la propension des individus à se comparer aux autres non
inTégrALe
Avec l’édition abonnés
La Tribune, prenez
FLORENCE
AUTRET
seulement dans le présent, mais également par rapport aux souvenirs qu’ils
ont de certaines personnes – parmi
lesquelles leur propre être – au cours
du passé. Pour citer Friedman, « à
l’évidence, il est impossible que la majorité
des individus s’en sorte mieux qu’autrui.
Mais il est toujours possible pour la plupart des individus de vivre une existence
présente plus prospère que leur existence
passée, et c’est là précisément ce que signifie la croissance économique ».
Le risque existe de voir les sanctions
qui ont été imposées à la Russie, en raison de ses agissements en Ukraine de
l’Est, engendrer une récession à travers
l’Europe et au-delà. Ainsi pourrait-on
aboutir à un monde de Russes mécontents, d’Ukrainiens mécontents et d’Européens tout aussi mécontents, dont
la confiance et le soutien à l’endroit
d’institutions démocratiques pacifiques
seraient voués à s’éroder.
Bien que certains types de sanctions
à l’encontre d’agressions internationales semblent nécessaires, il nous
faut demeurer attentifs aux risques
associés aux mesures extrêmes ou
punitives. Nous aurions tout intérêt à
nous entendre sur la fin des sanctions,
à intégrer plus pleinement la Russie (et
l’Ukraine) à l’économie mondiale, tout
en combinant ces démarches à des politiques économiques expansionnistes.
Toute résolution satisfaisante du conflit
actuel n’exigera pas moins que cela. ■
21
€
C’EST PEU DIRE
QU’UNE EUROPE DE LA LUTTE
ANTITERRORISTE
ET DE LA SÉCURITÉ A DU MAL
À PRENDRE FORME.
cela le 16 janvier, de peur de n’avoir
rien de concret à annoncer. C’est
peu dire qu’une Europe de la lutte
antiterroriste et de la sécurité a du
mal à prendre forme. En presque
quatre ans, elle n’a pas réussi
à permettre l’échange
des informations sur les passagers
des compagnies aériennes entre
polices européennes. Le texte est
© Project Syndicate
Abonnement
/mois
seuLemenT
Bruxelles aussi,
il y a eu d’abord
l’émotion. Le soir
des attentats,
sur la place de
Luxembourg à côté
du Parlement,
une petite foule émue communiait
silencieusement à la lueur
de longues bougies blanches.
Le peuple du quartier européen,
assistants, lobbyistes,
fonctionnaires, mélangés
pour l’occasion à des dessinateurs
venus saluer les amis de Charlie.
Pas d’huiles. Pas de discours.
Moments suspendus qui se sont
prolongés dimanche dans un Thalys
plein d’anonymes venus manifester
à Paris… pour le quart du tarif
normal. Le lundi à Strasbourg,
où siégeait le Parlement, « Charlie »
figurait en tête de l’agenda.
Le député français
Alain Lamassoure voulait faire
du 11 janvier « la date de naissance
de l’Europe des peuples… unie par
nos valeurs et contre la haine », tandis
que la socialiste Pervenche Berès
demandait que l’on décerne le Prix
Sakharov à Charlie Hebdo.
Que restera-t-il dans quelques mois
de cette immense émotion
et du désir de donner un sens
européen à ces événements ?
Si le 11 janvier a bel et bien fait date
pour tout le Continent, le 7 janvier
sonne comme un défi sinon
un reproche. Passée l’unanimité
face à la barbarie, la complexité a
repris le dessus. Faute de savoir par
où reprendre le fil d’une politique
cohérente, les ministres
de l’intérieur qui se sont rencontrés
le 11 à Paris, ont renoncé à remettre
bloqué par le Parlement. À l’instar
de la nouvelle réglementation
sur la protection des données
personnelles. Le sursaut créé par
l’attentat contre le Musée juif
à Bruxelles n’avait pas réussi
à relancer la négociation. Ce bras
de fer autour de la durée maximale
de détention des données, mené
au nom de la défense des libertés
publiques, semble dérisoire
au regard de la montée des périls.
À présent, le président Juncker veut
élargir la focale. Il promet
une « stratégie européenne sur
la sécurité intérieure » sur laquelle
il a demandé un rapport attendu
en février… après le prochain
sommet des chefs d’État.
Jusqu’à présent, l’Union
européenne est cantonnée d’arbitre
entre liberté publique et sécurité
et de vigie, à l’image Gilles de
Kerchove qui tient le compte
des 3 000 jeunes Européens revenus
du djihad en Syrie, en Libye et
ailleurs. Le coordinateur de la lutte
antiterroriste depuis 2007 ne cesse
de mettre en garde ces derniers
mois contre la montée des périls.
IntCent, le centre de renseignement
adossé au service d’action
extérieure, n’a pas de capacité
de renseignement propre. En 2015,
cependant, le programme européen
d’observation spatiale Copernicus
devrait prendre un tour plus concret
avec le lancement du premier
satellite, Sentinel. Un timide début.
Ce sera quoi qu’il en soit plus dans
la coordination que dans
la centralisation de l’action que
l’Union européenne peut apporter
la preuve de son utilité. À présent
elle va également devoir administrer
la preuve que les libertés
sur lesquelles elle s’est construite
ne sont pas une source de danger.
Comme après chaque attaque,
la question du rétablissement
des contrôles aux frontières au sein
de l’espace Schengen est revenue
sur la table, par la voix du ministre
espagnol de l’intérieur.
Un serpent de mer qui risque
de ne pas replonger de sitôt.
Mais dans les événements
de ces derniers jours se joue bien
autre chose que l’équilibre entre
pouvoirs européen et nationaux.
Sans réponse efficace au péril
terroriste, Bruxelles comme
les gouvernements nationaux,
sont exposés à une autre menace :
celle du populisme.
Les Français du Front national
et les Britanniques de UKIP
s’en sont donné à cœur joie
à Strasbourg, dénonçant l’Europe
ouverte à tous les vents. ■
L
DR
Sommes-nous en 1937 ?
en Russie et en Ukraine – à savoir
le terme de « nouvelle normalité »,
formule popularisée par le fondateur du géant obligataire PIMCO,
Bill Gross, en référence à l’érosion
des perspectives de croissance économique à long terme. Le désespoir
observé après 1937 avait conduit à
l’émergence de nouveaux termes
similaires, parmi lesquels celui de
« stagnation séculaire », évoquant
un malaise économique sur le long
terme. Le terme « séculaire » nous
vient du latin saeculum, qui signifie
« génération » ou « siècle. » Celui de
« stagnation » a pour connotation
une sorte de marasme, véritable terreau des menaces les plus virulentes.
À la fin des années 1930, les peuples
s’inquiétaient également du mécontentement observé en Europe, qui
avait d’ores et déjà contribué à l’avènement au pouvoir d’Adolf Hitler et
de Benito Mussolini.
Un autre terme apparu comme soudainement dominant aux alentours
de 1937 fut celui de « sous-consommationnisme » – théorie selon laquelle l’inquiétude des populations
serait susceptible de conduire les individus à épargner de manière excessive, dans un souci d’anticipation de
lendemains difficiles.
Or, le volume d’épargne souhaité par
les individus excède les opportunités d’investissement disponibles. Par
conséquent, le désir d’épargner ne
s’ajoute pas à l’épargne globale en
direction de la création de nouvelles
entreprises, de la construction et de
la vente de nouveaux immeubles, etc.
Bien que les investisseurs puissent procéder à une surenchère quant aux prix
des immobilisations existantes, leurs
efforts d’épargne ont pour seul effet de
ralentir l’économie. « Stagnation séculaire » et « sous-consommationnisme »
sont autant de termes trahissant un
pessimisme sous-jacent, lequel, en décourageant la dépense, contribue non
seulement à la fragilité de l’économie,
mais suscite également colère, intolérance et potentiel de violence.
Dans son ouvrage majeur intitulé « Les
conséquences morales de la croissance
économique », Benjamin M. Friedman
a présenté nombre d’exemples de situations dans lesquelles le déclin de
la croissance économique avait fait
naître – de manière variable et plus ou
L’Innovation
des Lumières !
L’après-Charlie
sera-t-il européen ?
RÉTROSPECTIVE
uit ans après le
krach boursier de
1929, en 1937, la
situation prend
un virage catastrophique, l’activité rechute lourdement. La reprise ne sera possible
que grâce à une dynamisation économique considérable, engendrée par la
Seconde Guerre mondiale, conflit qui
coûtera la vie à plus de 60 millions de
personnes. À l’heure où surviendra
enfin la reprise, la majeure partie de
l’Europe et de l’Asie ne sera plus qu’un
tas de ruines.
Bien que le contexte mondial actuel
soit sans commune mesure avec
l’horreur de cette période, plusieurs
parallèles peuvent être avancés, notamment par rapport à l’année 1937.
Aujourd’hui comme à l’époque, les
citoyens sont depuis longtemps déçus, et pour beaucoup plongés dans
la détresse. Ils s’inquiètent désormais
bien plus de leur avenir économique
à long terme. Or, cette inquiétude
est susceptible d’engendrer de graves
conséquences.
AU CŒUR DE L’INNOVATION
MONDHER
ABDENNADHER
MAITRE DE
CONFÉRENCE
À SCIENCES PO
FONDATEUR DE
L’ASSOCIATION TOLÈDE
(DIVERSITÉS
ET DIALOGUE
DES CULTURES),
COFONDATEUR
DU MOUVEMENT
DES NAPOLÉONS
(WWW.LESNAPOLEONS.
COM)
ORGANISATEUR
DE L’INNOVATIVE
COMMUNICATIONS
SUMMIT (VAL D’ISÈRE,
DU 14 AU 17 JANVIER
2015).
e retour
à la performance,
à l’innovation, au
bien-être, donc
à une meilleure
cohésion et
performance
sociale, économique, passe par
plus de respect de l’humain. C’est
valable dans tous les métiers
et en premier lieu, ceux qui sont
vecteurs de lien, ceux qui
contribuent, facilitent, optimisent,
financent… la création de liens
avec des publics.
Parce que ce sont ces métiers
qui impactent le plus rapidement
notre quotidien. C’est, pour n’en
citer que certains, et de manière
non exhaustive, les technos,
les médias, les opérateurs
culturels, les producteurs
de contenus, les marketeurs,
les designers, les architectes,
les marques, les acteurs
de la mobilité, de l’Internet
des objets, les chercheurs,
le monde de l’enseignement,
celui de la finance… Mais aussi
et surtout dans un pays jacobin,
les institutions et les politiques.
Comment s’y retrouver dans cet
inventaire à la Prévert ? Comment
appréhender cette apparente
complexité ? Peut-être, justement
en acceptant de ne pas s’y
retrouver, parce que l’innovation
est l’affaire de tous et au premier
chef de cette « communauté »
numérique. Nous sommes dans
un monde qui doit réapprendre
à gérer de plus en plus
de complexité, de diversité,
de contribution de partage.
Devinez quoi ? La technologie et
l’innovation nous permettent de
réconcilier ce qui semble épars.
NOUS CRÉERONS PLUS DE
VALEUR EN REMETTANT
L’HOMME AU CENTRE
Mais comme toujours, l’enjeu
est de revenir à l’essentiel,
à la materia prima, à l’homme.
Être attentif à l’humain dans
nos approches d’innovation,
c’est favoriser une innovation
orientée homme, orientée usage.
Une innovation qui doit être là
pour nous aider à mieux travailler
ensemble, à mieux vivre
ensemble, à mieux-être, tout
court. Car mieux travailler
ensemble, c’est créer de la valeur
nouvelle. Nouvelle parce
qu’additionnelle, mais nouvelle
aussi parce que jamais créé
jusqu’à aujourd’hui. Nouvelle
aussi et surtout parce qu’elle
remet l’homme au centre.
Et c’est cette vision
de l’innovation, une Innovation
des Lumières, que la France peut
sans aucun doute porter. Pour
cela, Il faut aider ses acteurs
à se mettre en configuration
ouverte, de partage et de
collaboration. Il faut accélérer
le chemin vers l’innovation dans
tous ces métiers, en sortant
d’une logique qui reste, malgré les
bouleversements technologiques,
trop « silotée » et séquentielle.
La plupart de ces métiers sont
en pleine mutation et savent
qu’ils ne peuvent plus créer
de valeur et d’innovation s’ils
ne sortent pas de cette logique.
Et s’ils n’en sortent pas, si cette
transformation ne se fait pas,
leurs publics (citoyens,
collaborateurs, clients…)
individus les y inciteront.
La ruse de l’histoire, c’est que
les hommes sont souvent
en avance par rapport aux
organisations dans lesquels
ils évoluent, et comme des
neutrinos, ils peuvent traverser
la matière, les silos et les murs
qui les contraignent et induire
un mouvement de progrès.
Nous sommes nombreux
à ne pas nous sentir l’âme
de pigeons, d’exilés, d’indignés,
ou de déplumés ! Nous sommes
tout simplement des Français,
citoyens du monde qui croyons
résolument que l’imagination
et les idées gouvernent le monde.
Nous croyons à la formidable
capacité que nous avons tous,
et tous ensemble, à innover
et à créer de la valeur.
Nous croyons à la cocréation,
à la co-élaboration, à la puissance
des idées surtout quand elles sont
partagées. Nous croyons que
ces dernières sont les clés
pour innover. Nous pensons
que notre monde et notre pays
généreront plus d’innovation et
de valeur en remettant l’homme
au centre. L’Homme au centre
de la Cité, l’Homme au centre
de l’entreprise, organe social
de référence aujourd’hui
dans cette Cité.
Le faire, c’est réinitialiser
un mouvement vers l’innovation,
vers la croissance, vers le mieux
travailler et vivre ensemble. ■
Vite, j’en profite !
http://www.latribune.fr
pendAnT
La Tribune
2, rue de Châteaudun,
75009 Paris
1 An
abonnement.latribune.fr
Téléphone : 01 76 21 73 00.
Pour joindre directement votre correspondant,
composer le 01 76 21 suivi des 4 chiffres
mentionnés entre parenthèses.
SOCIÉTÉ ÉDITRICE
LA TRIBUNE NOUVELLE. S.A.S.
au capital de 4 850 000 euros.
Établissement principal :
2, rue de Châteaudun - 75009 Paris
Siège social : 10, rue des Arts,
31000 Toulouse. SIREN  : 749 814 604
Président, directeur de la
publication
Jean-Christophe Tortora.
Vice-président métropoles et régions
Jean-Claude Gallo.
RÉDACTION
Directeur adjoint de la rédaction
Philippe Mabille, éditeur de La Tribune
Hebdo.
Rédacteur en chef Robert Jules,
éditeur de latribune. fr
( Économie - Rédacteur en chef
adjoint : Romaric Godin.
Jean-Christophe Chanut, Fabien Piliu.
( Entreprise- Rédacteur en chef :
Michel Cabirol. Rédacteurs en chef
adjoints : Delphine Cuny, Fabrice
Gliszczynski.
( Finance - Rédacteur en chef
adjoint : Ivan Best. Christine Lejoux,
Mathias Thépot.
( Correspondants Florence Autret
(Bruxelles), Jean-Pierre Gonguet.
( Conseiller éditorial François Roche.
( Édition La Tribune Hebdo :
Rédacteur en chef Alfred Mignot.
Chef de studio : Mathieu Momiron.
Secrétaires de rédaction et révision :
Éric Bruckner, Séverine Le Cochennec.
COMITÉ DE DIRECTION
Max Armanet, directeur éditorial Live
Media.
Cécile Chambaudrie, directrice Hub
Media.
Robert Jules, rédacteur en chef.
Thomas Loignon, directeur des projets
numériques et du marketing
de la marque.
Philippe Mabille, directeur adjoint
de la rédaction.
Aziliz de Veyrinas, directrice stratégie
et Développement Live Media.
CONTACTS
Directeur commercial Hub Média :
Luc Lapeyre (73 28)
Responsable Abonnements :
Martin Rivière (73 13)
Abonnements et ventes au numéro :
Aurélie Cresson (73 17).
ACTIONNAIRES
Groupe Hima, Laurent Alexandre,
JCG Medias, SARL Communication
Alain Ribet, SARL RH Éditions/Denis
Lafay.
Imprimerie Riccobono
79, route de Roissy
93290 Tremblay-en-France
No de commission paritaire :
0519 C 85607.
ISSN : 1277-2380.
34 I
GÉNÉRATION
LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR
CAMILLE FREISZ
Au service
de la santé 2.0
La cofondatrice de Valwin déploie des solutions
numériques pour les pharmaciens et les patients. Une
première étape pour cette entrepreneure de 30 ans, qui
veut injecter de nouvelles technos dans le suivi médical.
FRANCK FERRAND 6H25
LA MATINALE
THOMAS SOTTO
PAR PERRINE CREQUY
A
@PerrineCrequy
6H-9H
© CAPA PICTURES / VISION BY AG / EUROPE 1
consultations, enrichi de conseils pratiques
et d’un porte-ordonnances pour faciliter le
suivi des patients en cancérologie à l’Hôpital Percy, la structure d’instruction des armées, basée à Clamart.
Du particulier au général, elle ambitionne
que Valwin puisse épauler aussi les chercheurs en quête de statistiques. « Notre technologie permet d’anonymiser les données. De
quoi intéresser les sociétés savantes qui veulent
utiliser les mégadonnées pour leurs études. »
Les projets foisonnent. Mais priorité au recrutement d’un commercial, et au lancement d’une première application mobile, en
février. Elle permettra d’envoyer à son pharmacien la photo de son ordonnance, pour
que l’ensemble de la prescription soit préparé lors du passage à l’officine.
Camille Freisz a l’habitude d’enfourcher
plusieurs chevaux de bataille simultanément. Depuis ses 17 ans, cette passionnée
d’équitation suivait ses cours et travaillait
pour financer ses études… et payer la pension de son cheval. « J’ai travaillé dans une
quinzaine de pharmacies, grandes et petites, en
ville ou en zone rurale. Au début, ma mission se
limitait à ranger les stocks, puis après quelques
années, j’ai pu délivrer des médicaments au
comptoir », sourit la jeune femme, qui a aussi
occupé des postes temporaires de guichetière de banque, serveuse, conductrice de
tracteurs, animatrice en accrobranche et assistante vétérinaire. Jeune, elle rêvait de soigner les animaux, mais à l’issue de son Deug
de biologie, son classement (36e) ne lui permet pas d’accéder à cette filière. Contrainte
à la volte-face, elle s’oriente vers la pharmacie, afin d’ouvrir un jour une officine. Pour
arrondir les fins de mois, elle effectue des
© MARIE-AMÉLIE JOURNEL
méliorer le suivi médical
des patients grâce au numérique, c’est son dada.
Camille Freisz, 30 ans, s’y
emploie à travers Valwin,
la société qu’elle préside et
qu’elle a cofondée il y a un an avec Jonathan
Winandy et Alexis Gueganno. « Nous
sommes un éditeur de logiciels d’e-santé, qui
aide les pharmaciens à avoir de la visibilité sur
Internet, en valorisant leurs spécialités comme
les produits vétérinaires ou l’homéopathie, par
exemple. Les échanges avec les patients sont
simplifiés », précise la pimpante entrepreneure. Une trentaine d’officines basées à
Paris, Strasbourg, Annecy ou Nantes ont
déjà recours à ses services. « Une dizaine
d’autres vont rejoindre la plate-forme ce moisci. » Rieuse et volubile, Camille Freisz détaille l’ambition de Valwin avec une précision chirurgicale. « Nous voulons aider les
pharmaciens à devenir le référent santé vers lequel on se tourne quand on a une question. Savez-vous que les forums en ligne spécialisés – y
compris les plus connus – contiennent 70 %
d’informations erronées ? Et que l’intoxication
médicamenteuse est la première cause d’hospitalisation en France, avant les accidents de la
route ? » Elle insiste : pas question d’assimiler Valwin à une simple vitrine en ligne pour
les pharmacies. « Nous nous sommes donné
une mission d’éducation thérapeutique des patients, avec des fiches rigoureuses et précises. » À
l’avenir, elle aimerait que sa plate-forme réunisse les médecins, les infirmières et tous
les autres professionnels de santé autour du
patient, pour un suivi partagé. L’idée lui
tient à cœur : elle en a fait son sujet de thèse,
qui a donné lieu à l’édition d’un carnet de
CAROLINE ROUX 7H25
Zone d’influence : #Pharmacie, #Santé, #Big Data,
#Création d’entreprise
missions à la Junior Entreprise de la faculté.
L’une d’elles la conduit chez Vidal, éditeur
de l’encyclopédie de médicaments bien
connue des médecins. Elle est chargée d’indexer des posologies. Elle y est finalement
recrutée comme chef de projet, chargée de la
relation avec les éditeurs qui diffusent la
base de données sous forme logicielle. « De
son propre chef, Camille est entrée en contact
avec chaque éditeur pour s’enquérir de la façon
dont notre base Vidal était intégrée chez chacun
d’eux. Elle est une battante, une fonceuse, qui
prend des initiatives et qui cherche à comprendre
précisément les choses », se souvient Gaspard
Desgeorge, directeur du département Professionnels de santé chez Vidal.
« Je ne connaissais rien au développement Web
et j’avais besoin d’en savoir plus pour dialoguer
efficacement avec les éditeurs. Alors, je me suis
rapprochée de nos équipes techniques », expose
Camille Freisz. Parmi ces développeurs se
trouvait Jonathan Winandy, cofondateur de
Valwin : « Camille se distinguait par sa curiosité et sa pluridisciplinarité. Et elle avait déjà
cette colossale capacité de travail qui lui permet
aujourd’hui de développer l’entreprise tout en
s’acquittant de la paperasse sans aucun retard,
même pour les dossiers complexes. Elle est ouverte mais sait se faire respecter dans l’équipe ».
Parmi les sept personnes qui composent
Valwin, Camille Freisz est la seule femme. Et
tout le monde l’appelle « patronne ». Pour
autant, nombreux sont ceux qui la trouvent
encore trop humble, presque timide, voire
tendre. Mais elle se soigne ! Notamment en
suivant les formations du Startup Leadership Program, qu’elle a rejoint pour six mois
en septembre dernier. Responsable parisien
de ce programme international, Xavier Milin salue son engagement : « Camille a toujours le sourire, même dans des situations difficiles. Elle est tout le temps dans l’action, et elle
partage volontiers son expérience. »
Ce que confirme Mehdi Amour, le cofondateur de CompareAgences et de MiinuteApp,
qui a participé au projet Scientipôle Initia-
tives avec Camille Freisz : « Camille est d’une
bienveillance rare. Elle ouvre son carnet
d’adresses et conseille. Elle est un tourbillon
d’énergie et de fraîcheur, capable de présenter
son projet au pied levé devant des pointures, et
de susciter l’enthousiasme chez chacun. » Pour
sa première levée de fonds, de 320 000 euros, Camille Freisz a convaincu Éric Pérouse, pharmacien entrepreneur et investisseur : « Camille est courageuse, travailleuse
acharnée. Elle a une bonne vision des besoins de
son marché, et elle a déjà prouvé sa capacité à
faire évoluer Valwin. » Lui connaissait bien
son père, disparu dans un accident de voiture quand elle avait deux ans. Mais elle a
découvert sur le tard, bien après avoir débuté ses études en pharmacie, les travaux de
son père, qui a écrit un dictionnaire de référence sur les articles médico-chirurgicaux.
Au regard de son propre parcours dans le
domaine de la santé, choisi presque fortuitement, elle juge la coïncidence étonnante.
Et elle conclut : « J’avais ça dans le sang. » ■
MODE D’EMPLOI
• Où la rencontrer ? IRL (« In Real Life »)
de préférence. « Je préfère échanger autour
d’un café à Paris, ou lors des rencontres
du Club Digital Santé, tous les deux mois.
Mais je suis aussi joignable via Twitter. »
• Comment l’aborder ? Simple.
« J’apprécie l’honnêteté et la franchise.
Je ne m’arrête pas à la première impression.
Je m’intéresse à de nombreux sujets, et à
tous ceux qu’on me présente avec passion. »
• À éviter ! Ne pas tenir ses engagements.
« Il y a des gens toxiques dans le business
comme dans la vie. Des hypocrites,
des jaloux, des bavards qui font perdre
du temps. Qu’ils restent à distance ! »
TIME LINE
Camille Freisz
Novembre 1984
Naissance
à Boulogne-Billancourt.
2007
Commence à travailler
en pharmacie.
DANIEL COHN-BENDIT 7H55 JEAN-PIERRE ELKABBACH 8H20
Septembre 2011
Chef de projet
chez Vidal.
Décembre 2012
Soutient sa thèse
en pharmacie
à l’université
Paris Sud XI.
Mars 2013
Cofonde Valwin
Juillet 2014
Finalise une première
levée de fonds
de 320 000 euros.
Septembre 2014
Rejoint le Startup
Leadership Program.
2017
Valwin fédère
1 000 pharmacies
et étend ses services
à d’autres spécialités
médicales.
NATACHA POLONY 8H35
NICOLAS CANTELOUP 8H40 JULIE 6H - 9H
LAURENT CABROL LA MÉTÉO
MARIE RENOIR-COUTEAU
01 41 34 97 10
WWW.LAGARDERE-PUB.COM
*Médiamétrie 126 000 Radio – Novembre-Décembre 2014 – Lundi-Vendredi – 6-9h
– Cadres : Chefs d’entreprises, cadres, professions intellectuelles supérieures.
Audience Moyenne, Ranking sur l’ensemble des 16 stations commerciales
UN TEMPS D’AVANCE