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K
Kaléidoscope
Le développement collectif
dans tous ses états
DOSSIER
Développement collectif :
L’élan brisé?
TOUTE UNE HISTOIRE
Les Québécois et les oléoducs
TERRITOIRES NUMÉRIQUES
Le sociofinancement:
porte de sortie temporaire ?
MOT DE LA RÉDACTION - 1
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
Le chaudron au bout de l’arc-en-ciel
Gabrielle Brassard-Lecours
Cette citation d’un ancien journaliste et romanPrésente à l’assemblée générale extraordinaire, suite
cier des années 1970 me semble plus que jamais
à cette triste annonce avant les fêtes, j’ai assisté à
d’actualité.
une journée sous le signe de l’espoir, où la soixanNous avons plusieurs raisons aujourd’hui de penser
taine de personnes présentes à Trois-Rivières disque l’avenir n’est pas rose. Compressions dans pracutaient des façons de sauver l’organisme, de se le
tiquement tous les domaines (santé, éducation,
réapproprier et de travailler à le reconstruire avec
développement local et régional) disparition totale
une autre structure. De nouvelles avenues sont posd’organismes… le pessimisme a lieu d’être. Mais à
sibles. Il s’agit d’y croire, d’étudier d’autres modèles
travers toute cette noirceur, et comme Fournier le
de financement ou d’organisation. À travers le madit si bien, il y a des éclaircies. C’est souvent en
rasme, s’unir, discuter, agir ensemble est estemps de crise que des initiasentiel aujourd’hui, plus que
tives de solidarité, des projets
jamais. C’est dans une période
L’avenir, lorsqu’on
créateurs et des idées innovantes
comme celle-ci que le terme
y songe,
voient le jour.
«développement collectif» prend
est toujours noir.
Plusieurs organismes dont la
tout son sens.
contribution majeure au déveMalgré les vents contraires,
Mais il y a des
loppement collectif est indéKaléidoscope
maintient le cap,
éclaircies
niable, tels les Corporations de
déterminé à poursuivre sa misGuy-Marc Fournier,
développement économique comsion d’être à l’écoute des acteurs
L’Autre Pays
munautaire (CDEC), les Centres
du développement collectif parlocaux de développement (CLD),
tout à travers le Québec et de les
les Conférences régionales des
interpeler. Par une grande camélus (CRÉ), et Solidarité rurale du Québec, pour n’en
pagne de d’adhésion qui s’ébranle, un virage multinommer qu’eux, voient leur avenir menacé, voire
média et la sortie de ce numéro thématique, Kaléianéanti par les mesures gouvernementales. En tant
doscope veut s’inscrire comme le véritable média
que média dédié à ce secteur d’intervention, nous
indépendant entièrement dédié au développement
voulons braquer les projecteurs sur lui, non seulecollectif.
ment en proposant un état des réflexions et des inEn somme, malgré la période austère que nous
quiétudes, mais en essayant de dégager certaines
traversons, le développement collectif continue sa
pistes de solution et possibilités d’avenir. Car il y
marche. C’est à travers la solidarité, la concertation
en a. Même Solidarité rurale du Québec, qui s’est vu
et l’innovation qu’il faut nous tourner résolument.
forcée de mettre à pied la totalité de ses employés
Après la pluie vient le beau temps. Accrochons-nous
à l’automne, semble ne pas vouloir disparaître.
pendant que les vents soufflent fort ! /
SOMMAIRE
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
Dans ce numéro nous
sommes alles à:
Trois pistoles, Lebel-surQuévillon, Lac-Mégantic,
Trois-Rivières, Saint-Siméon
de Bonaventure, East Angus,
Nord du Québec, AbitibiTemiscamingue, Sherbrooke,
Attawapiskat, Montréal,
Québec, Rimouski, Valleyfield
et à d’autres endroits encore.
COUVERTURE :
Photo: Charles Briand.
Denis Sirois (DG) et
quelques collegues de
la CDEC-Centre-Nord
de Montréal.
RUBRIQUES
01. MOT DE LA RÉDACTION
Le chaudron au bout de l’arc-en-ciel
Par Gabrielle Brassard-Lecours
03. POLITIQUES PUBLIQUES
Retrouvez-nous sur
mediakaleidoscope.org
L’indispensable dialogue entre acteurs
locaux et chercheurs!
Par Geneviève Huot et Vincent van Schendel, en
collaboration avec Lynn O’Cain
05. PRATIQUES CITOYENNES
DOSSIER
INTRODUCTION
Quand une protestation donne
naissance à un festival
Par Gabrielle Brassard-Lecours
07. TERRITOIRES NUMÉRIQUES
Le sociofinancement ; porte de
sortie temporaire ?
15. Développement collectif:
L’élan brisé?
Par Ariane Émond et Marcelo
Solervicens
HAUT PARLEUR
Par Daphnée Hacker-Bousquet.
10. INTERNATIONAL
Le modèle français de l’économie
sociale et solidaire, inspirant ?
Par Sophie Clerc
24. La fin de la concertation
régionale au Québec?
Par Mickaël Bergeron
17. Lettre de solidarité aux
acteurs du développement 27. Des impacts régionaux de
la fermeture des CRÉ
collectif québécois
Par Louis-André Lussier
28. L’héritage saccagé des CLD
Par Jacques Fiset et André Fortin
18. Sur le terrain, l’impact de
l’austérité
30. Dans le rétroviseur
REGARDS CROISÉS
Bonne année 2015
Texte de Martin Léon
36. TOUTE UNE HISTOIRE
Les Québécois et les oléoducs : quelle
place pour l’environnement?
Par Yanic Viau
Par Sophie Mangado, Marcelo
Solervicens
39. ÉTUDES DE K
20. Manifeste de DYNAMO
43. RADAR CULTUREL
21. Genèse d’une rigueur
annoncée
Par Gérald Lemoyne, Karine Dubé et Widia Larivière
Par Geneviève Huot, Vincent van
Schendel et Lynn O’Cain, du TIESS
31. Et si le développement
collectif rebondissait?
Par Alexandra Viau
Par Anabel Cossette Civitella
DIRECTEUR GÉNÉRAL ET
COORDONNATEUR
Marcelo Solervicens
RÉDACTION
Mickaël Bergeron, Gabrielle
Brassard-Lecours, Mãdãlina
Burtan, Sophie Clerc, Anabel
Cossette-Civitella, Karine Dubé,
Jacques Fiset, Ariane Émond,
André Fortin, Geneviève Giasson,
Daphné Hacker-Bousquet,
Widia Larivière, Geneviève
Huot, Gérald Lemoyne, Martin
Léon, Georges Letarte, LouisAndré Lussier, Lynn O’Caïn,
Marcelo Solervicens, Alexandra
Viau, Yanic Viau, Vincent van
Schendel.
RESPONSABLE DE LA RÉDACTION
Gabrielle Brassard-Lecours
PHOTO DE COUVERTURE
Charles Briand
COMITÉ DE LECTURE
Alain Ambrosi, Mélanie Loisel,
Dominique Payette, Ariane
Émond, Georges Letarte, Marcelo
Solervicens.
DESIGN ET MISE EN PAGE
SCommunications
Seul média indépendant destiné aux
publics spécialisés et aux citoyens
intéressés par le développement collectif, Kaléidoscope a pour mission de
les informer, de les interpeler et de
soutenir l’innovation. K, le développement collectif dans tous ses états est
le lieu où les différents acteurs peuvent partager et enrichir leurs expériences et leur réflexion.
Par Georges Letarte
Par Geneviève Giasson
34. SOCIALE FICTION
Par Madalina Burtan
23. Points de repères
RÉVISION LINGUISTIQUE
Lili-Marion Gauvin Fiset.
IMPRIMEUR
JB Deschamps
DÈPÔT LÉGAL:
Bibliothèque nationale du Québec,
Bibliothèque nationale du Canada
ISSN 1929-6878 (imprimé)
ISSN 1929-6886 (en ligne)
KALÉIDOSCOPE
190, boulevard Crémazie Est, Montréal (Québec) H2P 1E2 514 8641600 [email protected] /mediaK.ca
CONSEIL D’ADMINISTRATION
Ariane Émond, présidente,
journaliste indépendante et
animatrice
Jacques Fiset, secrétaire-trésorier,
formateur en développement
collectif
Geneviève Giasson, viceprésidente, coordonnatrice générale
Communagir
Georges Letarte, consultant en
développement collectif
Louise Rondeau, ministère de la
Santé et des Services sociaux (MSSS)
Denis Sirois, directeur général
CDEC-Centre-Nord
Louis-André Lussier, conseiller CRÉ
Vallée-du-Haut-St-Laurent
Réal Morin, Directeur, Développement des individus et des
communautés INSPQ
Kaléidoscope s’inspire du Guide
de déontologie des journalistes du
Québec et du Conseil de presse du
Québec pour prendre ses décisions
en matière d’éthique et de déontologie. Les textes publiés sont sous la
responsabilité de leur signataire et
n’engagent aucunement les partenaires de K. Les textes publiés dans
K peuvent être reproduits, à condition
d’en citer la source. /
POLITIQUES PUBLIQUES - 3
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
L’indispensable dialogue entre
acteurs locaux et chercheurs!
Depuis des décennies, le Québec a connu une véritable mobilisation territoriale qui a
donné des résultats tangibles en termes de développement. Celle-ci a des racines
profondes qui ne demandent qu’à donner naissance à de nouveaux projets
et à s’élargir, mais les récents changements dans les politiques publiques du
gouvernement l’ont fragilisée.
Par Geneviève Huot et Vincent van Schendel, en collaboration avec Lynn O’Cain
Il apparaît alors essentiel de préserver les apprentissages réalisés, notamment en ce qui concerne
l’importance de la participation de la société civile au
développement. Pour y arriver un véritable dialogue
entre le terrain et la recherche est nécessaire.
Des craintes liées aux
transformations en cours
concernent, au premier chef, l’abolition d’un modèle de
concertation impliquant les acteurs socioéconomiques
locaux et les élus municipaux, et faisant participer la société civile aux décisions concernant la planification et
le développement territorial. Ces échanges entre les
communautés et les élus permettaient des apprentissages collectifs. Les changements imposés par le gouvernement font aussi craindre la perte d’une expertise
en accompagnement des promoteurs (notamment pour
les projets d’entreprises collectives), l’effritement d’une
culture d’innovation découlant de la concertation entre
acteurs de milieux diversifiés, la disparition de fonds
pouvant soutenir les projets d’entreprises locales et,
finalement, l’impossibilité de mettre sur pied des projets
reposant sur une vision régionale du développement et
réunissant divers acteurs régionaux.
Depuis une trentaine d’années, le Québec a connu de
nombreuses expériences de développement territorial,
comme les Opérations Dignité visant à empêcher les fermetures de villages dans l’Est du Québec ou encore les
initiatives communautaires des quartiers centraux de
Montréal. Ces expériences, qui ont été appuyées par des
politiques publiques (voir encart à la page 30), ont souvent été mises sur pied par des communautés qui ont
Le transfert des connaissances
fait le choix de prendre en charge collectivement leur
développement. Des entreprises collectives (coopératives
et des expériences
ou OBNL) ou de petites entreprises privées ont alors vu
le jour, mobilisant ainsi les citoyens. Fruits de l’initiative
Plusieurs études montrent que les organismes de déved’acteurs de la société civile, ces expériences avaient des
loppement et de concertation, comme ceux touchés par
caractéristiques communes : la
les décisions gouvernemenvolonté de freiner le déclin, de
tales, permettent aux acteurs
Les changements imposés
stimuler la vitalité, de construire
d’origines diverses d’entrer en
par le gouvernement
un avenir, de bénéficier collecrelation et éventuellement de
font craindre l’effritement d’une collaborer. Ils ont leur importivement des retombées du développement et de travailler en
tance, car la concertation doit
culture d’innovation
partenariat, le tout en collaboraêtre un processus organisé : il
tion avec les élus municipaux et
faut identifier les forces de chacun
les pouvoirs publics.
et les capacités à mettre en commun, puis établir un cliAu-delà de la disparition des organismes de développemat de confiance qui favorise les apprentissages collecment et de concertation (CRÉ, CLD, etc.) et des pertes
tifs, l’amélioration, l’innovation, mais aussi la création de
d’emplois qui y sont rattachées, les récents changements
synergies entre les parties prenantes.
dans les politiques publiques du gouvernement Couillard
Cette façon d’envisager la concertation, qui a fait ses
font naître des inquiétudes importantes. Ces inquiétudes
preuves par le passé, doit être préservée. C’est un enjeu
4 - POLITIQUES PUBLIQUES
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015.
qui dépasse celui des structures :
il faut demeurer en mesure de tirer
des apprentissages des expériences
de développement territorial si l’on
veut que d’autres initiatives porteuses
et inclusives puissent voir le jour,
et des connaissances théoriques, qui
se complètent et s’enrichissent mutuellement. Pour évoluer, il faut cette
rencontre de deux univers, souvent
séparés par des murs et des façons
de dire. Les apprentissages les plus
Photo : Territoires innovants en économie sociale et solidaire (TIESS)
constructifs et les innovations les
surtout dans un contexte soumis à
plus porteuses émergent lorsqu’on
d’importants changements.
fait tomber ces murs pour que chaConcrètement, pour tirer profit des
cun apprenne de l’autre.
apprentissages passés au sujet du
Ce dialogue existe déjà. En effet,
développement collectif, pour que
en 2013, l’organisme de liaison et
de nouvelles connaissances soient
de transfert Territoires innovants en
construites et transférées, il faut
économie sociale et solidaire (TIESS)
d’abord identifier les façons de faire
a justement été mis sur pied pour
éprouvées et les innovations sociales
repérer, inventorier, éclairer et sysmises en place dans diverses régions,
tématiser les
par des entreprises
Pour évoluer, il faut cette ren- innovations
ou des organisations particulières. contre de deux univers souvent e x p é r i m e n tées par les
Ensuite, on peut
séparés par des murs et des
entreprises
généraliser les éléfaçons de dire.
et les orgaments susceptibles
nisations de
d’être adaptés à
l’économie sociale afin d’en favoriser
d’autres initiatives locales, à d’autres
la diffusion et l’appropriation. Recontextes régionaux. Mais cela ne
groupant des acteurs de l’économie
peut se faire que par des échanges
sociale et solidaire et du développeentre les acteurs locaux et les cherment territorial ainsi que des cencheurs en développement territorial.
tres de recherches, des universités
Autrement dit, les avancées, les
et des collèges, réalise un transvéritables apprentissages collectifs
fert de connaissances pratiques et
ne proviendront ni simplement du
théoriques résultant des échanges
terrain, où germent des initiatives, ni
entre les acteurs sur le terrain et les
simplement des recherches universichercheurs. À ce jour, son travail a
taires, mais de la mise en dialogue des
permis de documenter et d’analyser
connaissances issues de la pratique
plusieurs expériences réelles, qui
ont ainsi pu inspirer d’autres initiatives. Il a aussi permis de tirer des
leçons plus générales sur les façons
de travailler ensemble et de réussir le développement en incluant les
différentes formes d’économie, dont
l’économie sociale, pour contribuer à
la vitalité des territoires.
Récemment, par exemple, le TIESS
a mis sur pied une grille d’analyse
et d’évaluation d’expériences de
développement (disponible au www.
tiess.ca). S’appuyant en fait sur la
synthèse de douze expériences innovantes de partenariats entre des
entreprises d’économie sociale et des
municipalités, la grille aura permis
d’identifier des « ingrédients de succès », c’est-à-dire des éléments favorisant
le développement d’alliances d’affaires
solidaires entre les municipalités et
les entreprises, qui produisent des
bénéfices certains pour les communautés. Cet outil permet ainsi aux
partenaires d’une initiative de ce
genre de maximiser leurs chances de
succès en établissant un diagnostic
des forces et des faiblesses du projet qu’ils envisagent, en identifiant
les ressources d’aide ou de soutien
existantes ainsi que les moyens disponibles pour combler leurs lacunes.
En somme, à l’heure actuelle, il
est essentiel de mettre à profit
les connaissances des chercheurs
et des acteurs de terrain afin de
préserver le rôle de la société civile
dans le développement, mais également d’appuyer les élus dans leurs
nouvelles responsabilités. /
Geneviève
Huot,
est
coordonnatrice liaison et transfert au TIESS.
Vincent van Schendel est directeur
général au TIESS. Le texte a été produit
en collaboration avec Lynn O’Cain,
conseillère en transfert au TIESS.
PRATIQUES CITOYENNES - 5
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
Quand une protestation donne
naissance à un festival
D’une mobilisation citoyenne opposée à l’installation d’un barrage hydroélectrique
sur la rivière Trois-Pistoles a émergé… un festival. Échofête, premier
festival environnemental au Québec, existe depuis maintenant 14 ans, grâce
aux citoyens et citoyennes de la région.
Par Gabrielle Brassard-Lecours
En 2002, alors que le Parti québécois est au
pouvoir et qu’André Boisclair est ministre de
l’Environnement, une trentaine de projets de barrages
hydroélectriques, qui visent des rivières partout
dans la province, sont lancés.
Sébastien Rioux, alors jeune étudiant de 21 ans,
et quelques-uns de ses amis jugent nocif le projet de
la rivière Trois-Pistoles, qui détruira la faune et la
flore du cours d’eau. Sans attendre, un petit groupe
de citoyens décide de leur emboiter le pas et de
s’opposer à la construction du barrage. Pendant 36
jours, ces derniers occupent le territoire où se fera
le projet. Dormir dans un tipi, faire du bruit,
organiser des manifestations et des concerts improvisés de musique; tout est mis en œuvre pour
que le groupe se fasse entendre.
« Pendant 36 jours, il y a eu beaucoup
d’effervescence autour de la mobilisation. Le chanteur Richard Desjardins est venu, la fondation
Rivière s’est créée, des artistes de partout sont venus. En fin de compte, les 36 projets de barrage
sont arrêtés. Pas juste à Trois-Pistoles, mais
partout. Nous n’étions pas les seuls, c’était vraiment
pancanadien, mais Trois-Pistoles a surement eu un
gros impact dans cette bataille. Nous avons semé
une petite étincelle qui a allumé un grand feu, et
pas juste un feu de paille », se souvient Sébastien
Rioux, alors responsable des communications et
des relations publiques pendant cette période.
Comment ont-ils réussi? « Notre tactique principale, c’était les coups d’éclat médiatiques et la
désobéissance civile. On occupait le territoire illégalement et on était partout. Nathalie Petrowski, de la
Presse, a fait un article intitulé “Le Sauveur de la
rivière Trois-Pistoles” et ç’a créé un “buzz”. Nous
nous sommes emparés des médias », explique M.
Rioux. Grâce à la mobilisation sur le terrain combinée à l’offensive médiatique, le gouvernement a
finalement reculé, fin 2002, sur l’ensemble des
projets de barrage annoncés. « Sans dire que nous
sommes les instigateurs des batailles contre les barrages, c’est quand même beaucoup à Trois-Pistoles
que ç’a commencé », confie l’un des cofondateurs du
festival Échofête.
De la lutte à la fête
« L’idée du festival est venue pendant la bataille.
Nous avons eu l’envie, le soir autour du tipi avec
notre tisane, de créer quelque chose. On voulait
proposer des alternatives plutôt que juste dire non à
6 - PRATIQUES CITOYENNES
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
quelque chose. On a donc décidé
du festival Échofête élabore :
gens nous voyaient comme des
d’organiser un festival », raconte
«Nous avons ouvert des espaces
anti-développeurs. Depuis 13
M. Rioux. C’est ainsi qu’est né le
de discussion, de prise de paans, et encore aujourd’hui, des
festival Échofête, premier festirole citoyenne. On ne savait pas
gens boycottent le festival », conval environnemental au Québec,
trop ce que ça donnerait, mais
fie Sébastien Rioux. D’après ce
qui fêtera sa 14e année cet été si
on s’est rendu compte que les
dernier, le retour de jeunes et de
tout va bien. « On a eu une très
gens avaient envie de s’organiser
nouveaux arrivants est cepenbelle visibilité, l’environnement
pour agir, et avaient des choses
dant notable. Le préfet de la MRC
était vraiment à la mode les preà dire. C’est pour ça que dans
des Basques, Bertin Denis, dit
mières années. Depuis, il faut se
les dernières années, en plus du
d’ailleurs ouvertement que le
réinventer un peu parce que c’est
volet culturel, nous avons décidé
festival apporte un dynamisme
un sujet un peu galcertain à la ré« Selon les organisateurs, le festival rapporte
vaudé », poursuit celui
gion. «Nous avons
annuellement 2,5 millions de dollars (hôtels,
qui, depuis 2010, s’est
même eu un imrestaurants, etc.); c’est bien plus que ce qu’un
retiré de l’organisation
pact sur d’autres
du festival, mais y est
festivals,
qui
barrage aurait rapporté (50 000 $) »
encore actif.
ont
des
consiSébastien Rioux
Sur le site
dérations
envid’Échofête, la description du fesde créer de tels espaces pour reronnementales dans leurs pratival est attrayante : « Présentant
donner la parole aux citoyens. »
tiques », ajoute M. Rioux.
une programmation culturelle à
L’événement estival a également
« C’était la première bataille
l’année, en plus de s’engager en
des retombées économiques et
citoyenne à laquelle je particimatière de saines habitudes de
sociales importantes pour la répais de ma vie, et on l’a gagnée
vie, Échofête devient un acteur de
gion de Trois-Pistoles. En effet,
sur toute la ligne. Ça m’a donc
changement pour sa région. D’un
selon les organisateurs, le festival
toujours montré que “si on veut,
jardin communautaire interrapporte annuellement 2,5 milon peut”. Ce n’est pas facile de
générationnel à des cours de cuilions de dollars (hôtels, restaus’organiser, mais ça se peut, et
sine végétarienne, en passant par
rants, etc.); c’est bien plus que
ça porte fruit », conclut-il. /
l’accès à une scène pour les artistes
ce qu’un barrage aurait rapporté
locaux, l’organisme prend racine
(50 000 $ par année).
dans sa communauté et ses ac« Au début, nous n’étions
tions ont des portées socialepas très aimés. Nous étions ceux
ment significatives. » Le présiqui avaient arrêté le projet de
dent du conseil d’administration
barrage et créé un festival. Les
TERRITOIRES NUMÉRIQUES - 7
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
Le sociofinancement :
porte de sortie temporaire ?
Quinze minutes. Cela aura suffi à Gabriel Nadeau-Dubois, de passage à
l’émission Tout le monde en parle en novembre, pour convaincre des
milliers de Québécois de participer à une campagne de sociofinancement contre
les oléoducs. Les histoires à succès ne manquent pas dans l’univers du
financement participatif, une méthode 2.0 de collecte de fonds pourvue
de grandes forces… mais aussi de faiblesses.
Par Daphnée Hacker-Bousquet
Grâce à une présence très active dans les médias traUn système encore méconnu
ditionnels et sociaux, Gabriel Nadeau-Dubois a permis
au mouvement citoyen Coule pas chez nous de récolter le
Les plateformes web de sociofinancement sont apparues
montant colossal de 385 000 $ en quelques jours. « Nous
au début des années 2000 et se sont multipliées vers la
sommes complètement ébahis par cette campagne, les
fin de la dernière décennie. Ont alors été créés, notaminternautes ont répondu de façon vraiment spontanée à
ment, Indiegogo (2008) et Kickstarter (2009) aux Étatsl’appel », confie Jacques Tétreault, porte-parole du collecUnis, et Haricot (2011) au Québec. Pour chaque camtif visant à sensibiliser et mobiliser la population québépagne, on trouve sur ces sites une présentation écrite ou
coise aux conséquences environnementales du transport
visuelle du projet à financer, un objectif financier à atteindre
de pétrole.
et une échéance (délai de 30 à
Selon
M.
Tétreault,
90 jours).
« Le sociofinancement est
«
aucun
organisateur
« Le sociofinancement est
un système encore méconnu d’un
de souper spaghetti »
un système encore méconnu
n’aurait pu rêver d’une
d’un grand pan de la populagrand pan de la population. Je me
pareille récolte. À ses
tion. Je me rappelle que nous
rappelle que nous avons passé notre
yeux, le sociofinancement
avons passé notre temps, la
temps, la première année de
(ou financement participremière année de lancement,
patif), qui vise à solliciter
à expliquer en quoi ça conlancement, à expliquer en
les dons du grand public
sistait », raconte Audrey Benoît,
quoi ça consistait »
via Internet et les médias
cofondatrice de Haricot. ConAudrey Benoît
sociaux, est un outil révotrairement à plusieurs autres
lutionnaire. « L’idée n’est
sites qui acceptent tous les
pas nouvelle : demander un petit montant d’argent à un
projets, Haricot ne retient que les propositions « qui semgrand nombre pour matérialiser un projet ou appuyer
blent avoir réellement le potentiel d’atteindre l’objectif »,
un organisme. Tout est dans la méthode, beaucoup plus
explique Mme Benoît.
branchée », constate-t-il.
Cette plateforme défend un autre principe : le soLe succès du sociofinancement de Coule pas chez nous
ciofinancement est un échange, et non un don. Le groupe
devrait selon lui inspirer les organismes à but non luqui sollicite un financement doit donc offrir une « récomcratif (OBNL), largement touchés par des coupes de subpense ». Par exemple, le comédien David La Haye, qui a
ventions gouvernementales. « Malheureusement, trop
lancé une campagne de financement sur Haricot en 2013
de gestionnaires ne comprennent pas comment ça foncpour la réalisation d’un long métrage, promettait aux
tionne, tandis que d’autres croient que ce ne sont que les
donateurs d’au moins 20$ un DVD du film ainsi que la
projets très technologiques qui peuvent vraiment susciter
mention de leur nom dans le générique. Mme Benoît menl’engouement des citoyens… Ils se trompent », soupire-ttionne aussi la campagne d’une jeune femme, Alexandra
il.
Lamontagne, qui visait à sauver un lionceau de la chasse
8 - TERRITOIRES NUMÉRIQUES
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
Grâce à Gabriel Nadeau-Dubois, le mouvement citoyen Coule pas chez nous a récolté 385 000 $ en quelques jours.
Photo Anne Marie Berthiaume.
en enclos et qui a suscité une grande
mobilisation des internautes (près de
10 000 $). Pour plus de 50 $, le donateur recevait une photo géante et
une copie du documentaire réalisé
sur la démarche.
Les ingrédients du succès
Sur Indiegogo, la plus grande
plateforme de sociofinancement au
monde, le principe de « récompense
» n’est pas obligatoire, mais fortement recommandé. « Les meilleures
campagnes sont clairement celles où
une relation d’honneur est établie
avec les partisans », explique Steve
Tam, responsable du marketing pour
Indiegogo Canada. M. Tam souligne
par ailleurs l’importance des stratégies de communication : « Il ne suffit pas d’avoir une super idée; il faut
bien savoir la mettre en valeur, en
établissant rapidement un lien avec
le public intéressé, à travers des outils
comme Facebook, Twitter ou You
Tube ».
Le projet de deux diplômés en conception de jeu vidéo de l’Université de
Montréal, François Alain et Germain
Couët, fournit une excellente illustration : en promouvant bien leur
produit, ceux-ci ont amassé plus de
700 000 $ alors que la cible de départ
était 80 000 $. « Six mois avant le
lancement de notre campagne, nous
avons mis en ligne une vidéo présentant
le concept de notre jeu, baptisé Castle
Story. Puis, à travers un blogue,
nous avons établi un contact
hebdomadaire avec les intéressés, en
les tenant informés de l’évolution du
projet », raconte M. Couët..
Loin d’être une « solution
magique »
Pour le professeur de finances
de l’Université de Concordia Denis
Schweizer, le sociofinancement est
une avenue très intéressante pour
une entreprise en démarrage : « Le
futur entrepreneur peut recueillir
des fonds, tout en validant la pertinence de son produit ». Pour des compagnies ou des OBNL déjà établis,
cela peut aussi permettre de « faire
un coup de publicité », ou encore de
récolter des fonds pour financer un
projet particulier. Toutefois, Schweizer
rappelle que le financement participatif ne représente pas une source
récurrente de revenus, contrairement
à une subvention.
Les compagnies ou organismes à la
recherche d’une solution de rechange
aux institutions financières ou gouvernementales devraient plutôt se
tourner vers le socio-investissement,
fait-il valoir. Cette formule permet à
une entreprise d’émettre des actions
ou d’effectuer des prêts avec intérêt
sur le Web, à des « investisseurs »
moins traditionnels. Plusieurs États
américains, et plus récemment
quelques provinces canadiennes, ont
légiféré pour permettre ce nouveau
type de financement. «C’est vers cette
option qu’il faudra se tourner si on
cherche à assurer la longévité financière d’un projet ou d’un organisme.
Elle n’existe pas encore au Québec»,
souligne M. Schweizer.
« Le sociofinancement offre des
occasions incroyables de collecte
de fonds, mais ce n’est pas une
solution magique », croit aussi Jérémie Bédard-Wien, un des
membres fondateurs de Ricochet,
un média indépendant et participa-
TERRITOIRES NUMÉRIQUES - 9
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
78
Nombre de plateformes de
financement participatif au
Canada, selon le compte
effectué par le National Crowdfunding Association of Canada.
1,5 milliard $ US
Montant amassé à travers le
monde grâce à des plateformes de
sociofinancement, selon un
rapport publié en 2012 par la firme
Massolution Crowdsourcing.
33 %
Pourcentage des dons provenant de la famille et des
amis, selon les données du
site Indiegogo. Un autre tiers
proviendrait de collègues ou de
connaissances, le dernier, de la
communauté Internet.
Alexandra Lamontagne et un lionceau qu’elle a sauvé de la mort.
Photo : Alexandra Lamontagne.
tif. Lancé l’automne dernier grâce
à une campagne sur Indiegogo, le
projet a collecté plus de 82 000 $,
dépassant l’objectif de départ de
75 000 $. Pourtant, quelques mois
plus tard, l’équipe de production
constate que l’argent amassé ne suffira pas. « Nous savions dès le départ
que la campagne permettrait seulement de lancer Ricochet. Maintenant nous cherchons des sources de
financement récurrentes… Et c’est
difficile», admet M. Bédard-Wien.
Le jeune homme croit que les fonds
publics restent la meilleure option
pour assurer la viabilité à long terme,
voire la survie, d’un énorme bassin
d’organismes. Cela l’amène à conclure que le sociofinancement est
au fond « une béquille qui peut être
utile pour pallier un besoin urgent
d’argent [et qu’]il faut continuer de
dénoncer le sous-financement chronique de la culture, et aussi des centaines d’organismes voués à aider la
communauté. ». /
80%
Baisse des investissements en
capital-risque, qui sont passés
de 5,9 milliards $ en 2000 à
1,1 milliard en 2010, selon le
quotidien The Globe and Mail.
Ces investissements sont une
source importante de
financement pour les petites et
moyennes entreprises du pays.
Participez à l’état des lieux en écocitoyenneté en vous joignant aux Conversation impulsées
autour de l’écocitoyenneté.
Qu’est-ce que l’écocitoyenneté nous amène à être et à faire ?
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10 - INTERNATIONAL
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
Le modèle français de l’économie
sociale et solidaire :
inspirant ?
En novembre dernier, une dizaine de jeunes professionnels québécois de
l’économie sociale et solidaire (ESS) se sont rendus à Paris pour participer aux
Premières rencontres professionnelles Québec/Île-de-France de l’ESS.
Aperçu des pratiques françaises glissées dans les bagages.
Par Sophie Clerc
Lundi 24 novembre. 8 h 30. Les yeux cernés par
le décalage horaire, café en main, la délégation
québécoise débarque à l’Atelier, centre de ressources
régional de l’ESS et partenaire de c e t t e p r e m i è r e
collaboration franco-québécoise. Si l’accueil est chaleureux,
la grisaille économique et sociale, elle, se fait sentir en
France : le taux de chômage progresse et touche durement
les jeunes (un quart des actifs de moins de 24 ans est
sans emploi ), les déficits publics sont énormes et les
mesures d’austérité prévalent dans les décisions
gouvernementales.
Sur fond de morosité, l’économie sociale détone.
«C’est un secteur économique à part entière », souligne
Julien Bottriaux, responsable des relations publiques à
l’Atelier. En dix ans, le secteur a connu un essor spec-
taculaire. Le nombre d’emplois dans le domaine a progressé de 21 %, contre 7 % dans l’économie traditionnelle
. À cela s’ajoute l’adoption récente de la loi en économie
sociale et solidaire qui définit clairement les principes
de ce modèle économique alternatif : poursuivre un but
social, s’appuyer sur une gouvernance démocratique et
participative et avoir une lucrativité encadrée. Surtout, la
loi fait la part belle à l’entrepreneuriat social en incluant
non seulement les acteurs historiques du secteur (associations, fondations, coopératives, mutuelles), mais aussi
des entreprises classiques qui poursuivent un objectif
d’utilité sociale.
C’est dans ce contexte que les québécois ont visité une
dizaine d’entreprises solidaires en Île-de-France afin d’en
cerner les spécificités.
Entreprendre en collectif
Le « speed-dating » des Entrepreneurs du changement.
Photo : Sophie Clerc.
Couveuses, pépinières, incubateurs, ruches… Nombreux
sont les termes imagés qui désignent ces écosystèmes
soutenant l’émergence d’entreprises d’économie sociale et
solidaire. Qu’il s’agisse de simples espaces de co-working
incluant le partage de mobilier, de lieux offrant, outre une
aire de travail, un accompagnement, de la formation et un
financement pour les projets, ou encore de coopératives
regroupant des entrepreneurs salariés de la structure, la
philosophie guidant la création de ces espaces est la suivante : une mutualisation du risque d’entreprendre.
Parmi les entreprises visitées, la coopérative d’activités
et d’emploi Coopaname a tapé dans l’œil de la délégation. Elle accueille des travailleurs autonomes de tout
acabit désireux de créer leur emploi salarié au sein
d’une entreprise collective. Traductrice expérimentée, journaliste, comptable ou cuistot à domicile s’y côtoient
et y font entreprise commune. Pierre-Olivier Lessard,
directeur général de la Coopérative de solidarité Actions
Multimédia, membre de la délégation, n’a qu’une idée
en tête, importer ce modèle coopératif au Québec : « Je
INTERNATIONAL - 11
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
Les membres de la délégation québécoise participants aux Premières rencontres professionnelles Québec/Île-de-France
de l’ESS du 24 au 28 novembre à Paris. Photo : Sophie Clerc.
nomie sociale et solidaire). « L’offre
de formation s’étoffe progressivement au Québec, mais nous n’en
sommes clairement pas au même
point ».
Les étudiants eux-mêmes s’approprient ce secteur économique en pleine expansion : les associations étudiantes sensibilisent à l’économie
sociale comme secteur de formation,
d’emploi ou de consomUne jeunesse outillée
mation, et supportent
« Je suis tombé en amour avec ce
des projets d’utilité soAutre
point
fort
de
concept. L’entrepreneur se donne une
l’Hexagone : miser sur la
ciale. À titre d’exemple,
sécurité d’emploi en étant salarié de la l’association nationale
formation des jeunes à
l’économie sociale et soliAnimafac a mis sur pied
coopérative tout en développant
daire. Bien qu’ils soient enun incubateur en écoses projets. »
core minoritaires dans ce
nomie sociale solidaire
secteur (19 % des salariés
Pierre-Oliver Lessard
(l’Arsenal) afin de soutey ont moins de 30 ans ), les
nir les initiatives sociales
départs à la retraite et le développedes étudiants par une aide finantrise en management des organisations
ment croissant vont s’accompagner
de l’ESS qui se multiplient », souligne
cière, un accompagnement et une
d’ouverture de postes attrayants
place au sein dudit incubateur. De
Emilien Gruet, membre de la délégapour cette frange de la population.
quoi inspirer nos associations étution et conseiller en transfert pour le
Sera-t-elle outillée pour y prétendre?
TIESS (Territoires innovants en écodiantes québécoises.
suis tombé en amour avec ce concept. L’entrepreneur se donne une
sécurité d’emploi en étant salarié de
la coopérative tout en développant
ses projets. Cela “déprécarise” les
travailleurs autonomes et crée un
nouveau type d’organisation efficace
économiquement et socialement. »
La richesse de l’offre de formation
dans ce domaine laisse penser que
oui.
Il existe plus de 70 formations
débouchant sur l’obtention d’un
diplôme et abordant l’économie solidaire. « J’ai été impressionné par la
richesse de l’offre de formations et de
programmes universitaires, notamment
les formations de 2e cycle de type maî-
12 - INTERNATIONAL
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
La délégation du Québec à La réserve des Arts. Une association qui récupère des rebuts, les valorise et les revend aux
professionnels de la création. Photo : Sophie Clerc.
La concertation : carte
maîtresse de l’économie
sociale et solidaire
Soucieuse de combiner activité
économique pérenne et prise en
compte de la réalité sociale dans
laquelle elle s’inscrit, l’économie so-
ciale et solidaire, en France comme
au Québec, mise sur la coopération
dans un contexte économique qui,
pourtant, invite au repli sur ses
intérêts particuliers. Sur ce point,
les Pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) ont fait des
émules au sein de la délégation.
La loi en ESS a défini et assuré
le développement des PTCE, mais
la coopération territoriale initiée par
des entreprises solidaires n’est pas
nouvelle. Une centaine d’initiatives de
coopération entre des entreprises du
secteur et des entreprises commerciales ont vu le jour ces cinq dernières
années. Par exemple, la Fontaine
ô livres , regroupement associatif
d’une cinquantaine de professionnels du livre du Nord-Est parisien
INTERNATIONAL - 13
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
(éditeurs indépendants, libraires,
graphistes, correcteurs, etc.) dont
il se veut le « trait d’union », a été
créé en 2006 et labellisée PTCE
en 2012. Dans un secteur sous forte
pression concurrentielle, la Fontaine,
en s’associant notamment à la Mairie
de Paris, à la Compagnie des Chefs
de Fabrication de l’Imprimerie ou encore à l’Université Paris 13, par
tage son expertise éditoriale et offre à ses membres formations, accompagnement, conseils, réseautage et
espaces de travail afin d’assurer
leur développement et leur pérennité.
La France progresse, et le
Québec ?
Cette concertation territoriale a interpellé, mais aussi fait sourciller, la
délégation québécoise. « En matière
K
Kaléidoscope
Le développement
collectif dans tous
ses états
de concertation et de réseaux de
soutien au développement de l’ESS,
le modèle québécois était reconnu
internationalement avec des structures comme les Centres locaux
de développement (CLD) ou encore
les Conférences régionales des élus
(CRÉ). Finalement, ce pour quoi il a
été reconnu est en train d’être démantelé alors qu’en France, un
réseau similaire s’institutionnalise
et se consolide avec les pôles, mais
aussi avec la structuration du réseau
des Chambres régionales de l’ESS
(CRESS), instances de représentation
politique et économique », constate
Emilien Gruet.
« Il y a eu beaucoup de progrès en
ESS tant au Québec qu’en France,
notamment avec l’adoption de loiscadres. Toutefois, il y a encore du
chemin à parcourir », conclut JeanSébastien Plourde, conseiller en
développement coopératif à la Coopérative de développement régional
Québec-Appalaches, membre de la
cohorte. « Bien que les contextes
sociaux et économiques diffèrent,
la réduction des financements publics et les mesures d’austérité qui
l’accompagnent nous frappent également de plein fouet. L’économie
sociale doit encore innover et
emprunter des chemins de traverse.
En ce sens, se “challenger” mutuellement, Français et Québécois, pour
développer des actions porteuses
d’alternatives, est essentiel ».
La réflexion se poursuivra fin 2015 avec
l’accueil d’une cohorte de Français. /
Pour en savoir plus :
www.lojiq.com et
www.atelier-idf.org
CAMPAGNE D’ADHÉSION
Kaléidoscope a besoin de votre soutien pour continuer!
Kaléidoscope n’est pas à l’abri de la conjoncture actuelle.
Afin d’assurer sa vitalité et de lui permettre de développer
de nouveaux outils pour devenir un lieu d’échanges
et de collaboration des acteurs du développement collectif,
l’assemblée générale a convenu la pertinence d’une campagne
visant rehausser le membership de Kaléidoscope.
Devenir membre de Kaléidoscope, c’est :
• Recevoir Kaléidoscope, les infolettres et le webzine dédiés exclusivement au développement collectif au Québec;
• Participer à nos activités et accéder aux instances de gouvernance
de Kaléidoscope;
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ses artisans et manifester sa pertinence dans le paysage médiatique;
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14 - DÉVELOPPEMENT COLLECTIF : L’ÉLAN BRISÉ ?
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
NOTRE DÉFINITION DU DÉVELOPPEMENT COLLECTIF
Le développement collectif est un processus visant à soutenir la participation citoyenne, conjointement
avec celle des organismes et des institutions. Cela dans le but de renforcer les capacités de développement des communautés et la transformation de leur milieu et de leur territoire, dans une perspective
de développement durable.
DÉVELOPPEMENT COLLECTIF : L’ÉLAN BRISÉ ? -15
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
Développement collectif :
L’élan brisé?
Le thème de notre dossier s’imposait.
En effet, la question est sur toutes les lèvres... Le milieu est en crise.
Il oscille entre la stupeur et l’envie d’entrer en guerre. Nous sommes conscients
que stimuler cette réflexion représente un défi dans le contexte actuel de rigueur
et/ou d’austérité budgétaire, qui remet lourdement en question plusieurs
acquis du développement collectif depuis 30 ans.
Par Ariane Émond et Marcelo Solervicens
Comme média indépendant, notre but est d’informer
journalisme constructif qui cherche à refléter la résilience
et de témoigner de ce qui s’abat actuellement sur les
et à médiatiser l’espoir, et cela sans lunettes roses. Si
acteurs du développement collectif.
les problèmes doivent être exposés, il faut aussi
D’abord, nous proposons un peu de recul historique,
rendre compte des solutions qui émergent partout sur
ce qui permet de mieux déceler ce qui rend spécifique et
le territoire. Autrement, on nourrit l’impuissance et
distinct le développement collectif d’ici. Cela aide aussi
la résignation. Dans ce contexte difficile, nous sommes
à mieux évaluer l’impact appréhendé de la disparition
plus que jamais convaincus qu’il faut rendre plus visibles
d’instances de concertation et de soutien telles que les
les expériences de participation, de concertation et
CRÉ, les CLD, les Agences de la santé, par exemple, à
d’innovation qui portent fruit et contribuent depuis des
mesurer aussi les effets de la baisse de l’investissement
années, au Québec, à mettre en place des solutions aux
de l’État sur les groupes communautaires et citoyens.
problèmes de développement économique et social.
Le risque de perte d’expertise est réel et choquant.
Quelles sont, dans la crise actuelle, les pistes de
L’élimination de certains acteurs est annoncée, tout
solution existantes pour sauvegarder l’essentiel de
comme les défis posés aux instances ciblées – dont les
l’appui institutionnel au développement collectif, et pouMunicipalités régionales de comté
vons-nous explorer de nouvelles
Comme média indépendant,
(MRC), les 33 nouveaux CISSS (cenmanières de faire? C’est la question
tres intégrés de santé et de services
notre but est d’informer et de centrale de ce numéro.
sociaux), entre autres –, qui hériteront
D’autres questions se posent. Ces
témoigner de ce qui s’abat
de mandats encore mal définis, sur actuellement sur les acteurs du politiques visent-elles d’abord, comdes territoires élargis, avec moins
me plusieurs le craignent, un changedéveloppement collectif.
de budget et sans transfert prévu
ment de paradigme concernant le rôle
d’expertise… Quoi faire maintenant?
de l’État, avec lequel nous devrons
Pour ne pas trop perdre d’acquis, quelles sont les
vivre longtemps? Ou bien, comme d’autres le répètent,
stratégies de résilience les plus pertinentes?
ne sont-ce que des actions nécessaires et ponctuelles
Dans ce dossier, nous tentons modestement de
pour remettre les finances publiques sur les rails? Ces
systématiser l’information disponible concernant les
transformations ne colportent-elles que des menaces ou
répercussions potentielles, sur le développement collecbien forcent-elles l’innovation au cœur du développement
tif, des politiques liées au déficit zéro. Pour bon nomcollectif? Enfin, où était l’urgence d’agir (ou de sabrer)
bre d’acteurs (et nous partageons leur lecture), ces
si vite?
politiques affichent une méconnaissance énorme de la
Les acteurs du développement collectif (acteurs
contribution des initiatives citoyennes à la richesse
institutionnels, privés, citoyens, communautaires,
collective en région comme à Montréal ou à Québec, et
culturels) sont appelés plus que jamais à s’approprier
de la valeur ajoutée des secteurs communautaire,
l’avenir de leur secteur d’intervention. Nos pages veulent
coopératif, institutionnel et privé. Il s’agit d’une erreur
contribuer à ce débat essentiel, car la chose publique ne
à nos yeux, puisque ces expériences devraient être
devrait plus, au 21e siècle, ni se réduire aux élections,
partie intrinsèque de tout plan de développement
ni rester l’apanage des gouvernements. Rappelons-nous
durable propre à un État soucieux de lutter contre les
que le développement collectif n’a jamais obéi à des ordres.
inégalités sociales, économiques et régionales.
Et que depuis 40 ans, sans cesse, il a su rebondir.
À Kaléidoscope, nous adhérons aux valeurs d’un
Bonne lecture! /
16 - HAUT PARLEUR - DOSSIER
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
Lettre de solidarité aux acteurs du
développement collectif
québécois
Par Geneviève Giasson
L’automne frappe durement… celles et ceux qui croient que l’avenir des
« régions
et des localités du Québec passe par la mobilisation des forces,
par une vision d’ensemble, partagée, négociée, axée sur le bien commun.
Il frappe celles et ceux qui croient que le « développement » est le fruit de
ce dialogue entre les différentes parties prenantes d’une société : citoyens,
élus, institutions publiques, entreprises privées, organismes communautaires,
etc. Il frappe celles et ceux qui croient que le pouvoir n’appartient pas aux
seules personnes que nous élisons aux quatre ans, que ce pouvoir leur est
prêté par l’ensemble des citoyens que nous sommes et que le débat
social est un devoir démocratique. Il frappe celles et ceux, enfin, qui croient
que l’État n’est pas un pourvoyeur de services, mais plutôt un mécanisme
mis en place pour servir la société, favoriser l’équité sociale et économique,
préserver et gérer nos ressources, assurer le développement équitable de
l’ensemble de notre territoire, rural comme urbain… que ce n’est pas d’un
Équipe de Communagir. Geneviève Giasson est troisième à la première rangée. Photo : communagir
HAUT PARLEUR - DOSSIER - 17
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
État « mince », vidé de sa substance et soumis aux influences, dont nous avons
besoin, mais d’un État qui possède la vision, l’expertise et les moyens pour
soutenir un développement « collectif ».
Nous avons soif de transparence et d’intelligence collective devant les discours
de catastrophe, qui sentent la stratégie politique et qui excluent les nuances et
la diversité des points de vue.
Nous remercions pour leur lucidité et leur courage celles et ceux qui parlent, qui
argumentent, qui cherchent la vérité et qui manifestent.
Nous saluons le feu qui brille actuellement dans plusieurs régions du Québec,
qui résistent et agissent, qui ne veulent pas voir s’étioler leurs acquis, leurs
solidarités, leur capacité de travailler ensemble et de bâtir un avenir commun.
Nous reconnaissons le rôle essentiel et structurant des acteurs publics et
des organisations vouées au développement régional et local dans toutes ses
dimensions, souvent animateurs de l’action collective, souvent facilitateurs. Ils contribuent à structurer et à promouvoir un développement intégré de
leur territoire. Sans eux, c’est une expertise qui se perd, une capacité d’action
qui se disperse, un pouvoir collectif qui se fragilise, un rapport de force État/
régions qui s’affaiblit… et tant de superbes projets qui risquent de disparaître.
De par notre rôle auprès des acteurs du développement collectif, nous sommes à même de constater les dégâts. Nous craignons beaucoup pour les efforts
mis depuis des années à construire des régions et des collectivités fières et
résilientes. Nous craignons aussi pour les gens, ceux qui perdent leur emploi et
ceux qui perdent leurs ressources.
Devant cela, nous continuerons à agir, veiller, accompagner et outiller, dans le
sens des valeurs et des façons de faire qui sont celles du développement collectif et
que nous partageons avec vous.
En toute solidarité!
»
Geneviève Giasson est coordonnatrice générale de Communagir
Novembre 2014
www.communagir.org #UnisAvecVous
18 - REGARDS CROISÉS - DOSSIER
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
Sur le terrain
L’impact de l’austérité
Nous leur avons posé cette question : « Quel impact les récentes mesures
budgétaires gouvernementales ont-elles sur votre organisation ou sur
le développement collectif au Québec? »
- Propos recueillis par Sophie Mangado -
Martin Zibeau, membre de la
coopérative de solidarité
Horizons Gaspésiens
molissent ce qui s’était construit en
terme de partenariat et de collaboration dans les quartiers. /
bien avant les mesures prises par
le gouvernement libéral. Avec les
compressions vient le risque du
retour des querelles de clocher.
Même si elle n’était pas parfaite,
la Conférence régionale des élus
(CRÉ) avait permis de mettre fin
à cette guerre. C’était un outil de
concertation essentiel. L’impact
dépasse la perte des emplois
inhérente à sa disparition. Mais au
lieu de s’effondrer, on se dit qu’il
y a cette opportunité à saisir de
prendre le contrôle de notre propre
destinée. Il y a une volonté partagée
de faire preuve de résilience en
développant des pratiques locales
plus proches de nos besoins. /
Jerry Espada, agent rural au
Centre local de développement
(CLD) du Haut-Saint-François,
au centre de l’Estrie.
Nous avons vu l’austérité poindre
Yves Bellavance, coordonnateur de la Coalition montréalaise des tables de quartier
À ce stade-ci, il n’y a pas de
menace de financement des tables
de quartier en tant que telles. Notre
préoccupation concerne davantage
le travail de collaboration entre
les acteurs. Une table de concertation travaille avec les écoles, la
commission scolaire, les services
sociaux et de santé, les groupes
communautaires... Des entités
affectées par les compressions. On
sent une déstructuration de ce qui
a été mis en place sur plusieurs
années. Ces compressions dé-
Le développement collectif nécessite de travailler sur la capacité d’entreprendre des différents
acteurs, sur la participation citoyenne, sur la mise en place de
systèmes organisationnels permettant de réfléchir et d’agir en
concertation. Les outils de mobilisation dont on disposait à cet effet
disparaissent. Les régions rurales
qui ne s’étaient pas encore dotées
de pratiques solides en terme de
développement collectif risquent
de stagner. Au sein de celles qui
étaient plus avancées, on peut
craindre une concurrence entre les
Municipalités régionales de comté
(MRC) dans un contexte où toutes
doivent se partager moins de
ressources . /
Valérie Gilker-Létourneau,
responsable des communications de L’R des centres de
femmes du Québec
Les centres de femmes, particulièrement en région, rapportent une
augmentation et une diversification de
leur clientèle. Davantage de femmes
frappent à leurs portes, parmi
lesquelles certaines ont perdu leur
emploi à la suite de compressions.
Une grande partie des mesures
d’austérité concernent les secteurs
de l’éducation, de la santé et des
services sociaux, dans lesquels les
femmes sont surreprésentées. Par
ailleurs, la refonte des Centres de
santé et de services sociaux (CSSS)
risque d’accentuer la tendance des
institutions publiques à sous-traiter
avec des groupes communautaires
ou d’économie sociale, déjà mal
financés par l’État, qui devront
assumer des services
autrefois
confiés au public. Le salaire et les
conditions de travail des personnes
occupant ces emplois, majoritairement des femmes, s’en ressentiront. /
Élise-Ariane Cabirol, présidente de la Table de concertation
des forums jeunesse régionaux du Québec
Parmi les emplois supprimés,
nombre de postes influant sur les
enjeux de développement collectifs
étaient occupés par des jeunes
revenus s’installer en région. Nous
craignons une perte d’expertise et de
dynamisme. Actuellement, on gère
l’onde de choc : le développement régional se voit un peu paralysé, des
projets qui avançaient bien sont freinés, voire arrêtés, les énergies qu’on
aurait pu consacrer à l’innovation
sont investies dans le sauvetage
des meubles! Avec l’abolition des CRÉ,
on s’interroge sur la représentativité
REGARDS CROISÉS - DOSSIER- 19
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
des jeunes au sein des instances
décisionnelles.
Lise Gervais, coordonnatrice
générale de Relais-femmes,
Montréal
La fermeture des CRÉ coupe
l’organisation, au niveau régional, de la politique d’égalité,
puisqu’elles étaient responsables
de s’assurer de l’implantation
de certains engagements gouvernementaux en la matière. Les
femmes sont les premières à subir
les contrecoups des mesures
d’austérité. Traditionnellement,
elles assument les rôles d’aide aux
personnes. Et elles vont continuer
à le faire de toute façon. Alors
on coupe impunément. D’autre
part, on met en péril tous les
choix collectifs de ces dernières
années. On renvoie au domaine
du privé ce qui avait été socialisé,
mutualisé. /
Suzanne Roy, présidente de
l’Union des municipalités du
Québec
Comme élus, nous devrons
mettre l’épaule à la roue pour as-
surer le moins de perte d’expertise
possible et le maintien des services rendus aux entrepreneurs
en terme de développement
économique. Nous allons devoir
revoir nos façons de faire. Dans
plusieurs régions, des choix sont
déjà faits.
Par exemple, en intégrant aux
MRC les personnes qui offraient des
services via des structures abolies.
Le défi consiste à maintenir les
services avec des ressources
financières moindres. On peut y
voir une opportunité de se réinventer. /
- Propos recueillis par Marcelo Solervicens -
Lise Roy, Directrice générale,
Centre Saint-Pierre
« Le Centre St-Pierre (centre
de formation continue et centre
d’éducation populaire au service des
groupes engagés socialement), se
trouve au cœur de la dure réalité
imposée par le gouvernement à plusieurs organismes communautaires, entreprises d’économie
sociale, syndicats et instances
de développement à travers le
Québec, car ceux-ci sont nos
partenaires, nos participants
ou nos clients. Nous craignons
à juste titre une sérieuse baisse
dans les demandes de formation
en plus de voir le partage d’expertise,
l’intégration de la relève et la
mise en place de groupes de codéveloppement sacrifiés. » /
Mario Dion, organisateur
communautaire, Gatineau
L’impact majeur est un déficit
démocratique. Avec la disparition
des CA des CSSS, des agences
de santé, des CRÉ et des CLD,
on concentre de plus en plus le
pouvoir dans l’unique champ
de la démocratie représentative.
Cela discrédite toute structure de
démocratie participative, toute
structure, locale ou régionale,
destinée à aider les préoccupations des milieux à influencer le
pouvoir central. La « dictature »
de la démocratie représentative
risque de démobiliser les communautés et d’affaiblir considérablement la démocratie participative.
Un recul majeur! /
Christiane Lussier, Réseau
québécois de développement
social, RQDS
Aucune référence n’est faite
dans les annonces gouvernementales au développement social. Or,
la décision d’abolir les Conférences
régionales des élus implique des
«dommages collatéraux » portant
atteinte à ce développement.
Comme les CRÉ étaient les fiduciaires
et les partenaires d’ententes régionales, leur disparition prive les
autres partenaires du développement
social de moyens pour continuer
les travaux en cours. Ainsi,
selon les régions, on pourra voir
la fin des démarches régionales
et des ententes régionales liées à
l’égalité, l’immigration, les aînés,
l’économie sociale, la lutte contre
la pauvreté, etc., et, par con-
séquent, l’abandon des projets
liés à leur financement. Pourtant
les besoins demeureront. /
Paulette Lalande, présidente,
Conférence régionale des élus
Outaouais
L’abolition des Conférences
régionales des élus ne fait pas
l’unanimité. D’ailleurs, quatorze
régions sont en voie de créer une
nouvelle instance régionale de
concertation pour prendre leur
relève. Les régions ont besoin de
ces instances, pour parler d’une
voix solidaire. Elles favorisent un
réel dialogue entre les représentants des villes et des MRC qui,
autrement,
seraient
isolées.
L’implication de la société civile
permet par ailleurs une meilleure cohésion entre l’action politique et citoyenne. Ensemble, il
de-vient possible d’établir une
vision commune du développement d’un territoire, y compris en développement social.
Les compressions en santé, éducation, développement régional
et d’autres secteurs fragiliseront davantage les MRC rurales,
notamment par la perte de nombreux emplois de qualité. » /
20 - REGARDS CROISÉS - DOSSIER
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
Kaléidoscope a cru important de partager avec les acteurs du développement
collectif le manifeste de Dynamo. Pour en savoir plus à http://dynamocollectivo.com/
Le manifeste de DYNAMO
Suite aux récentes décisions du gouvernement québécois, bon nombre de territoires du Québec
vivent depuis plusieurs semaines une onde de choc plus que déstabilisante.
Face à ce bouleversement de structures annoncé ou à prévoir, face à l’incertitude, comment
réagir : dénoncer, résister, protéger, agir, subir, informer, énoncer, laisser passer,
laisser venir...
Les actions possibles sont multiples.
Chez DYNAMO, nous choisissons d’énoncer, de croire, et - vous nous connaissez un peu - de
RÊVER. Et plus encore avec ce vent de changements qui se lève.
Parce que nous sommes complices et solidaires des acteurs en développement des
collectivités du Québec, voici notre MANIFESTE.
Il est nôtre. Nous vous le partageons.
Il peut aussi devenir le vôtre.
Les possibles collectifs
Énoncer d’un souffle profond,
qu’un Québec des solidarités ne
peut s’ériger qu’en s’appuyant sur
un développement inclusif et intégré
des collectivités. Un développement
intelligent, car dessiné à grands
coups de pinceaux inventifs par une
diversité d’acteurs : forces vives de
chaque territoire.
Énoncer avec audace que notre
devenir collectif doit comprendre
des espaces de dialogue patiemment
construits. Des mobilisations
apprenantes. Des collaborations
qui font une différence. Des visions
communes finement ciselées. De
l’intelligence collective au rendezvous. Des projets inspirants et
porteurs d’avenir. Des alliances
déterminantes. Des citoyennetés
actives à hauteur d’hommes et de
femmes allumés. Et parfois. Des
allers. Des retours. Et des peutêtre, des souhaitables, des imaginables,
des inavouables et des possibles
collectifs. Les nôtres.
Énoncer avec conviction q u e
même ébranlé, le travail collaboratif au cœur des terri-
t o i r e s s e p o u r s u i v r a , s’animera
de ses mille feux et passions,
s’affirmera avec vigueur et intention.
Qu’il n’y aura pas de Québec sans
nous. NOUS des villages et des villes.
NOUS citoyenNEs, organisations
communautaires, éluEs, institutions, entreprises d’économie sociale et privées préoccupés par les
trop présentes inégalités sociales et
l’insoutenable exclusion.
Énoncer avec force l’importance
de soutenir les acteurs locaux et régionaux qui inventent chaque jour
des coins de pays inclusifs et conviviaux. Et ainsi, être du côté de
ceux et celles qui, contre vents et
marées, osent, collaborent, créent,
rassemblent et cherchent des voies
d’avenir. Un travail collaboratif
s’appuie sur des talents et un savoirfaire construit à travers les succès
et les échecs collectifs. Ce capital humain porte en lui-même une
valeur inestimable. Il importe qu’il
puisse prendre son envol. Face aux
vents contraires.
Rêver. Sans cesse. S’inscrire du
côté des possibles collectifs et du
côté de celles et de ceux qui veu-
lent faire bouger les choses en repoussant les limites connues. Avoir
la tête dans les étoiles et les deux
pieds sur terre. À même notre élan
collectif légendaire.
Rêver. Ensemble. Pour réinventer
des territoires solidaires et faire face
aux enjeux complexes, il nous est
essentiel d’œuvrer en mode collectif,
car aucune organisation ne possède
à elle seule la solution. Nous devons
sans relâche et avec audace travailler
à faire advenir des territoires plus
justes, plus inclusifs, plus prospères
et solidaires où chacun et chacune
peut s’épanouir et participer à la vie
de sa collectivité.
Et, nommons-le, rien ne peut
ébranler cette volonté.
La mobilisation locale et régionale
fait partie de notre histoire.
Nous sommes le Québec que nous
souhaitons, que nous créons. Qu’on
se le dise. Qu’on se le rappelle.
Et ce, même lors de jours de grands
vents. /
REGARDS CROISÉS - DOSSIER - 21
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
Genèse
d’une rigueur annoncée
Quelle est l’origine de cette rigueur budgétaire qui sévit et menace de faire
tomber certains piliers du développement communautaire? Un mot : dette.
Source d’inquiétude et d’angoisse depuis trente ans, la dette
brute du Québec atteignait 197 milliards de dollars en mars 2014,
soit 54,3% du Produit intérieur brut (PIB).
- Par Anabel Cossette Civitella -
L’importance de la dette est-elle une exagération,
comme le laisse croire la gauche, ou est-elle plutôt catastrophique, comme le laisse entendre le gouvernement
libéral? Mathieu Arès, professeur adjoint en économie à
l’Université de Sherbrooke, considère que le Québec ne
peut plus continuer à s’endetter de la sorte : « La situation
est intenable. Oui, il y a un débat idéologique à faire. Mais
il y a aussi la pression des marchés. Et c’est la crédibilité du Québec qui est en jeu. Le gouvernement a dit aux
marchés internationaux qu’on avait un plan de redressement. Si on reporte d’une année, puis de deux, c’est
comme si on racontait n’importe quoi. »
Certains, comme le professeur Arès, plaident pour la
création d’emplois afin d’augmenter la croissance de la
province. D’autres, d’orientation plus néolibérale et partisans du plan des Libéraux, invoquent le laisser-faire et
le désengagement de l’État, en avalisant les coupes dans
les programmes sociaux ou encore en se tournant vers le
secteur privé. Mais les tergiversations autour de la dette
ne datent pas d’hier. Voilà 30 ans que les gouvernements
péquistes et libéraux tentent par tous les moyens de
réduire son fardeau fiscal.
Petite histoire de la dette
Nous sommes en 1980. La Révolution tranquille (19601980) s’achève et, avec elle, une période durant laquelle
l’influence de l’État était particulièrement importante.
La Révolution tranquille a donné naissance, entre
autres, à des structures destinées à l’éducation de masse
et à un État-providence. Par ailleurs, durant cette
période, le nombre de travailleurs a doublé dans la
fonction publique, alors que les revenus de l’État se sont
multipliés par six. Les années 1970 ont quant à elles
été une période d’endettement vouée à l’investissement
dans la construction de routes, d’hôpitaux, et dans le
développement hydroélectrique, notamment. Ces dépenses
d’immobilisation étaient justifiées : elles créaient de la
richesse à long terme.
Les années 1980 sonnent la fin de la récréation. Le
cours des matières premières se met à descendre au
moment où les taux d’intérêt montent en flèche, alourdissant le service de la dette de nombreux pays. Au Québec,
celle-ci atteint un sommet de 60% du PIB. En GrandeBretagne et aux États-Unis, Margaret Thatcher et Ronald
Reagan sévissent. Leurs politiques conservatrices et néolibérales comptent sur les contraintes fiscales et la privatisation. Elles influencent tout l’Occident. Le Québec et
le Canada ne sont pas en reste. En effet, alors que peu de
temps auparavant, on considérait l’État comme le levier
du développement économique au Québec, les années
1980 donnent plutôt le beau rôle au conservatisme et à
l’entreprise privée.
À partir des années 1980, les politiciens se succèdent
donc pour assainir les finances publiques. Dans les années 1990, le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard
se débarrasse d’entreprises d’État déficitaires en plus de
forcer des fonctionnaires à la retraite. Au tournant du
millénaire, le premier ministre libéral de Jean Charest
coupe dans les dépenses et fait passer la Loi sur la réduction de la dette et institue le Fonds des générations
(2006). Le Québec voit ainsi son premier surplus budgétaire lorsqu’arrive la récession de 2008.
Durant ces 15 années d’avant crise, la dette diminue.
Ce n’est qu’avec la crise financière de 2008 que
le rapport dette/PIB augmente, selon les données de
l’Institut de recherche et d’informations socio-économique
(IRIS). Les stratégies de sortie de crise ramènent alors la
dette à ce qu’elle était en 2000.
Qu’en est-il aujourd’hui?
En 2015, l’augmentation de la dette est une inquiétude
bien réelle, mais les moyens pour la réduire manquent
leur cible.
D’abord, Mathieu Arès rappelle que, tant qu’il n’y aura
22 - REGARDS CROISÉS - DOSSIER
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
pas de croissance, il n’y aura pas
tout ça? Qu’est-ce qui justifie les
d’équilibre facile. Et pour qu’il y ait
coupes du côté des Conférences récroissance, il doit y avoir plus de gens
gionales des élus (CRÉ), des Corporaqui travaillent. « Mais on n’est pas du
tions de développement économique
tout dans ça. La machine gouvernecommunautaire (CDEC), des Cenmentale ne va pas créer des milliers
tres locaux de développement (CLD),
d’emplois », insiste-t-il. Le gouvernealouette?
ment diminue plutôt ses investissePour Mathieu Arès, il ne fait
ments en infrastructure (trois milaucun doute que certains secteurs
liards de moins d’ici deux ans), ce qui
de la société sont plus durement touaffectera bon nomchés que d’autres.
bre de travailleurs. « Certains secteurs de la « Les économies
Les économistes de société sont plus durement de bouts de chanDesjardins soutiendelle sont beaucoup
touchés que d’autres.
nent d’ailleurs que Les économies de bouts de plus faciles à faire.
les coupes gouverPlutôt que de dire
chandelle sont beaucoup qu’on
nementales actuelles
réorganise
plus faciles à faire.
contribuent à ralenle ministère pour
tir l’économie.
Plutôt que de dire qu’on maintenir les subPierre Fortin,
réorganise le ministère ventions, on coupe
professeur émérite
pour maintenir les subven- dans les petits orde l’Université du
ganismes. Et reste
Québec à Montréal tions, on coupe dans les que,
d’un
point
petits organismes. »
(UQAM), évoque mêde vue froidement
me, dans son blogue
comptable, éconoMathieu Arès
économique pour le
miser 1$ sur le dos
magazine L’Actualité, la possibilité
des petits organismes ou 1$ sur le
d’une récession au Québec si les
ministère, dans le budget, c’est la
Libéraux précipitent leurs actions :
même chose », rappelle-t-il.
«Il faut comprendre que le gouverneAinsi, la présidente de Solidarité
ment désire agir vite : il veut en finir
rurale du Québec, Claire Bolduc,
au plus tôt avec les mauvaises nous’est vue dans l’obligation de mettre
velles afin de se présenter de façon
à pied l’ensemble de ses employés en
plus positive à l’élection provinciale
décembre dernier, suite à l’annonce
de 2018. Mais en agissant de façon
du non-renouvellement d’une entrop rapide, il nous fait courir pluveloppe financière gouvernementale.
sieurs risques. »
Le directeur de Territoires innovants en
Par ailleurs, malgré la promesse du
économie sociale et solidaire (TIESS)
gouvernement libéral de couper dans
Vincent Van Schendel, échappe à
les structures de l’État, l’économiste
une telle mise à mort, mais il devra
Mathieu Arès ne voit pas de comréapprendre à faire fonctionner son
pressions significatives. Pour lui,
organisme avec un budget grandeon ne fait qu’augmenter les revenus
ment diminué. Pour lui, ce sera peuten augmentant la facture des conêtre là l’occasion de créer une mobilitribuables. Par exemple, on n’a
sation comme celle qui avait eu lieu
pas annoncé la fermeture des gardans les années 1980, lors du grand
deries, mais plutôt l’augmentation
tournant néolibéral. « Partout, les
des tarifs. On refile ainsi la note aux
gens ne décolèrent pas. Les coupes
Québécois. Même procédé pour les
vont faire mal, mais les initiatives
commissions scolaires : on envoie
vont probablement repartir sous une
l’addition aux commissions scolaires
autre forme », espère-t-il. /
qui, elles, la transmettent aux
parents.
Le développement collectif :
des coupures faciles
Et le développement collectif, dans
Pour en savoir plus
* Économistes canadiens contre l’austérité
* Ministère des Finances du Québec.
* État de la dette du Québec 2014, l’IRIS.
* Les carnets de blogue de Gérald Fillion.
Qu’est-ce que la
dette?
• La dette prend une signification
lorsqu’on la compare aux revenus du Québec. On utilise le ratio dette/PIB pour en comprendre
l’importance. C’est pourquoi augmenter le PIB d’un pays – augmenter sa croissance économique
– a l’effet de faire paraître la dette
plus petite.
• La dette est plus ou moins
grande selon qu’elle est « du
secteur public », « brute », « nette
» ou « représentant les déficits cumulés ».
• On parle d’un déficit budgétaire
lorsque les dépenses excèdent les
recettes de l’État. Depuis 1997, le
déficit concerne uniquement les
opérations courantes du gouvernement, pas ses investissements
dans les infrastructures. « Ainsi,
le gouvernement du Québec peut
être en équilibre budgétaire et voir
sa dette augmenter chaque année.
C’est ce qui s’est d’ailleurs produit
au début des années 2000,
jusqu’à la crise de 2008 », explique Simon Tremblay-Pepin, chercheur à l’Institut de recherche et
d’informations socio-économique
(IRIS).
• L’objectif gouvernemental est de
diminuer le fardeau de la dette
de 54,3% à 45% du PIB en 2026.
Son principal outil : le Fonds des
générations, une sorte de compte
d’épargne dans lequel est versée
une portion des revenus de l’État
(entre autres, les redevances
minières et la taxe sur l’alcool).
« On fait le pari que les intérêts
vont faire grossir la cagnotte de
manière plus importante que si on
payait le total de la dette », mentionne M. Tremblay-Pepin. Mais
comme il le précise, c’est un coup
de dé. /
REGARDS CROISÉS - DOSSIER - 23
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
Points de repères
Par Georges Letarte
Gouvernance actuelle
Nouvelle configuration
Conférence régionale des élus (CRÉ):
• Disparition de la structure officielle de représentation des
régions auprès de l’État
• Dialogue et concertation entre les élus et
autres acteurs du développement (société civile)
• Vision globale du développement
• Concertation et soutien de projets porteurs à
l’échelle régionale
• Voix de la région auprès de l’État • Centralisation décisionnelle dans les ministères
• Absence de vision commune et de projets porteurs à l’échelle
régionale
• Valorisation de l’échelle territoriale MRC
• Pouvoir décisionnel exclusif des élus locaux et accentuation
de la compétition entre les MRC
• Capacité des MRC à assumer les mandats de développement
(taille et niveau de ressource)
Centre local de développement (CLD)
et Corporation de développement
économique communautaire (CDEC) :
• Partage et développement de l’expertise entre
les élus et autres acteurs du développement
(société civile)
• Diversité et soutien aux différents modes de
développement économique
• Prise en compte d’une vision durable du
développement
• Modalités variables des nouvelles structures de développement économique selon les MRC et les villes
• Pouvoir décisionnel exclusif des élus : hausse du pouvoir
d’influence des réseaux politiques locaux et risque de corruption
• Réduction potentielle à la seule vision du développement
économique traditionnel sans prise en compte de l’économie
sociale
• Insuffisance d’expertise diversifiée dans l’analyse des projets
• Déficit démocratique des MRC : élus délégués et absence
quasi totale de préfets élus
• Forte diminution des budgets de soutien au développement
économique sous contrôle local
Établissements de santé et de services
sociaux :
• Un seul établissement régional assumant la totalité des missions sauf exceptions, de 182 à 33 établissements
• Échelle territoriale (CSSS) permettant un
certain niveau d’adaptation des services aux
réalités et besoins des divers territoires
• Complexité et fragilité des processus permettant des partenariats locaux et régionaux
• Représentation minimale de la population permettant une vigilance démocratique
• Partenariat dans des projets de prévention, de
promotion et de développement territorial
Georges Letarte est consultant
en développement collectif
• Pouvoir décisionnel unique du ministre dans la désignation
des conseils d’administration et du PDG dans les nouveaux
établissements et bureaucratie non imputable auprès de la
population
• Fragilisation de la promotion, de la prévention et de la santé
publique et retour à l’hospitalocentrisme /
24 - REGARDS CROISÉS - DOSSIER
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
La fin de la concertation
régionale au Québec?
L’impact des mesures d’austérité annoncées l’automne dernier va au-delà de la
fermeture de certains organismes et des pertes d’emplois. Il s’agit d’une
véritable transformation du développement régional.
Dans ce remue-ménage, on trouve plus de questions que de réponses.
Rien pour conforter les acteurs économiques.
Par Mickaël Bergeron
La liste des organismes touchés par ces mesures
ner aux régions leurs propres outils de développeest longue : Centres locaux de développement (CLD),
ment, dans les années 1990 : notamment les CJE
Centres jeunesse-emploi (CJE), Agences de santé,
(1995), SRQ (1997) et les CLD (1998).
Conférences régionales des élus (CRÉ), Solidarité
La présidente de SRQ (instance-conseil du
rurale du Québec (SRQ), etc. Et encore, l’onde de
gouvernement en développement rural jusqu’en
choc ne se limite pas aux premières victimes. « Il
décembre dernier), Claire Bolduc, raconte que
y a un effet domino dont on ne parle pas, fait reBernard Landry, alors ministre des Finances du
marquer la directrice générale de l’Association des
Québec, avait mis son groupe au défi de citer un
CLD du Québec (ACLDQ), Suzie Loubier. Plusieurs
seul village prospère au Québec : « On en a nommé
chambres de commerce ou organismes seront touquinze. M. Landry voulait savoir comment en créer
chés par la perte des CLD, qui les finançaient ou les
une centaine. C’est comme ça qu’est né le budget
soutenaient. »
de recherche. Pour voir les choses autrement. »
Selon Marie-Josée Fortin, professeure au DéparteAujourd’hui, les structures sont ébranlées, dément Sociétés, territoires
truites ou modifiées,
« C’est un recul majeur sur 40-50 ans
et développement et titumais
pourquoi?
Les
d’histoire. C’est une remise en
laire de la Chaire de requestions demeurent en
cherche du Canada en question des outils et des structures. Ça suspens. Surtout, est-ce
développement régional
que les villes et les MRC
va à l’encontre de ce qui a été bâti. »
et territorial à l’Université
pourront prendre la
Marie-Josée Fortin
du Québec à Rimouski,
relève efficacement? Les
il s’agit d’un « recul hisavis sont mitigés.
torique » : « C’est un recul majeur sur 40-50 ans
Dans son étude « Villages prospères », SRQ montre
d’histoire. C’est un enjeu majeur. C’est une remise
que le leadership local et l’ancrage régional sont esen question des outils et des structures. Ça va à
sentiels à un véritable essor économique, que la clé
l’encontre de ce qui a été bâti. » Elle et son équipe
est un développement intégré. « Les élus ne sont pas
ont dénoncé la vision du premier ministre Couillard
tous des leaders, souligne Mme Bolduc. Nous allons
dans une lettre ouverte . « C’est l’une des rares fois
avoir des histoires à succès… et de moins bonnes
où j’ai sorti ma plume. Les décisions sont incohéhistoires. Ça va dépendre des élus. » Un point de vue
rentes », confie-t-elle.
partagé par Marie-Josée Fortin : « Ça va dépendre
des territoires. »
Suzie Loubier ne croit pas non plus qu’il soit
Des structures remises en cause
avisé de tout remettre entre les mains des élus :
«Il ne faut pas que ce soit que les maires qui déPlusieurs organismes touchés par les comprescident du développement économique. Ils devront
sions budgétaires sont nés d’une intention de don-
REGARDS CROISÉS - DOSSIER - 25
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
s’entourer d’experts qui,
bénévolement, s’impliquent
et croient au développement de leur région. » Elle
rappelle par ailleurs que
si les CLD géraient des
fonds
gouvernementaux,
avaient un financement
public, ils demeuraient
des organismes sans but
lucratif, avec des conseils
d’administration composés
de gens de tous les milieux.
Avant de se dissoudre le 15
février prochain, l’ACLDQ
fera d’ailleurs valoir auprès
du gouvernement que le
développement économique
passe par la mobilisation
des collectivités et qu’elle
craint que les décisions se
prennent désormais à « huis
clos », entre élus. Selon elle, les
gens d’affaires partenaires
du CLD ne voulaient pas
d’une structure politisée :
« Voudront-ils s’impliquer
avec des élus, avec une
MRC? »
La concertation,
principale victime
Pour l’experte en développement territorial qu’est
Marie-Josée Fortin, la plus
grande perte risque d’être la
concertation, principal moteur de l’essor régional: « Le
développement régional se
fait souvent par de grandes
Celliers de la Vieille
entreprises qui convoitent les
ressources naturelles. Il faut
devant eux un interlocuteur qui a du poids, comme
les CRÉ, plutôt qu’une petite MRC, pour créer
des ententes et des accords qui maximiseront
le territoire. » Elle donne en exemple le développement de l’éolien en Gaspésie. La CRÉ de la Gaspésie
a réussi à faire modifier un programme québécois
mal adapté à la région, à rendre les communautés
partenaires, créant ainsi une forme de nationalisation de l’éolien. Un poids politique que Cap-Chat
Garde, Saint-Honoré. Photo: Marie-Ève Lavoie.
n’aurait pu avoir seul.
Un des avantages des CRÉ était justement la
concertation, ajoute la professeure. Les élus, qui
« étaient obligés de s’asseoir pour les fonds » et
de s’entendre, craignent d’ailleurs un retour des
guerres de clochers.
La concertation était aussi une des forces des
CLD. « Notre rôle était de créer une mobilisation
des acteurs socioéconomiques d’un territoire » pour
voir apparaître de nouveaux projets des conditions
26 - REGARDS CROISÉS - DOSSIER
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
jeunes professionnels des centres urbains, ne sait plus avec
qui il devra collaborer pour continuer son mandat. R. Mathieu
Vigneault, directeur général, ne
prend pas clairement position
sur la tourmente, mais parle de
confusion : « On devra faire des
contorsions administratives ou
organisationnelles. Il y a des CLD
où travaillaient nos agents régionaux qui ferment. Est-ce que
les MRC prendront la relève?
C’est à voir. »
Poursuivre l’occupation du
territoire malgré tout
Si Solidarité rurale du Québec
n’a plus de bureau ni d’employés,
Brunch-mentorat, Saint-Fulgence. Place aux jeunes en Région.
l’organisme «existe toujours», inPhoto : Marie-Ève Lavoie.
siste sa présidente. Le regroupement, dont le membership compte
propices à l’entrepreneuriat, exchaire de recherche sur la ruralidésormais de plus en plus de ciplique Suzie Loubier.
té avec. Il en existe déjà quatre au
toyens et moins d’organismes,
Québec! Il y a des départements
est maintenant en réflexion sur
complets
qui
travaillent
déjà
làOù s’en va le
son futur.
dessus.
Ça
va
donner
quoi?
On
gouvernement Couillard?
Quant à la direction de Place
était un catalyseur. On analysait
aux jeunes, elle maintient que
et
vulgarisait
les
recherches
pour
Comment se fera la passation
«le service ne sera pas délaissé»
les communautés et on revenait
des pouvoirs? Quels services
et se montre solidaire
seront maintenus?
de ses partenaires :
«
Il
ne
faut
pas
que
ce
soit
que
les
maires
Difficile de le savoir.
«La grande famille du
qui
décident
du
développement
économique.
Les décisions ont été
développement régional
Ils devront s’entourer d’experts qui,
annoncées, mais la
est affectée, des solloi 28, loi omnibus
bénévolement, s’impliquent
dats tombent, déplore
regroupant
toutes
et croient au développement de
M. Vigneault. On se
les mesures visant
concentre sur notre
leur
région.
»
l’équilibre
budgémission: parler des réSuzie Loubier
taire, n’a pas encore
gions. Elles ont besoin
été votée.
plus que jamais d’une
vers
les
universités
avec
le
pouls
Tous semblent chercher la
tribune. Envers et contre tous,
et
les
projets
des
citoyens.
»
Elle
ligne directrice du gouverneon maintient le cap. C’est comme
s’inquiète : « Les lieux de débats
ment. «Il n’a pas étudié l’impact
ça qu’on garde le fort. » /
sont
mis
à
mal
dans
les
mesures
des changements. C’est une dédu
gouvernement.
SRQ,
les
CLD
cision comptable», lance la diet les CRÉ étaient des lieux de
rectrice de l’ACLDQ. Un avis apdébats. La réflexion rurale ne
puyé par Marie-Josée Fortin :
sera jamais terminée. »
«On cherche le raisonnement…
Indirectement
touché
par
c’est une stratégie à courte vue.»
les
compressions,
l’organisme
Claire Bolduc y voit aussi des erPlace aux jeunes, chargé de prorements : « Notre budget existe
mouvoir les régions auprès des
toujours. Ils veulent créer une
REGARDS CROISÉS - DOSSIER - 27
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
Sejour exploratoire au Mont-Saint-Joseph. Place aux jeunes en Région. Photo : Geneviève Labillois.
Des impacts régionaux de la fermeture des
Conférences régionales des élus
Par Louis-André Lussier
Les Conférences régionales des élus (CRÉ)
seront abolies dès l’entrée en vigueur de
la loi 28 à l’ouverture législative à Québec.
Rappelons que lors de leur création, les CRÉ
avaient reçu comme mission, entre autres,
de favoriser la concertation des partenaires
sur leur territoire et de conclure des ententes spécifiques de régionalisation avec le
gouvernement. Tout cela, autour de priorités
reconnues régionalement pour mieux assurer
le développement socioéconomique de leur
territoire respectif.
Les enjeux régionaux, urbains, périurbains
et ruraux y étaient donc concrètement analysés
via des concertations où experts régionaux,
conseillers des CRÉ, élus régionaux et leurs
nombreux partenaires pouvaient se saisir des
dossiers chauds et ainsi prendre des décisions
éclairées pour mettre en place des projets viables économiquement et socialement.
Tout membre de la société civile intéressé par
le développement socioéconomique d’une région y avait donc une voix. De l’entrepreneur
visionnaire d’une PME à la directrice d’un
Centre de femmes, en passant par des
fonctionnaires de tous horizons, tous y
trouvaient un espace d’échange, d’écoute
et de participation citoyenne. Du choc des
idées et des points de vue naissaient des
projets concertés et un accès souvent
privilégié aux élus des régions.
Une plus-value régionale disparaîtra, malgré une période de transition planifiée, ce
qui met en péril de multiples avancées en
développement régional, tout en soulevant
des inquiétudes légitimes sur l’avenir du
développement socioéconomique de nombreuses collectivités du Québec. /
28 - REGARDS CROISÉS - DOSSIER
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
L’héritage saccagé des CLD
Il y a long à dire et à écrire sur la décision prise en octobre
dernier par le gouvernement du Québec de revoir le financement des
Centres Locaux de développement (CLD) à travers une révision en
profondeur du pacte fiscal le liant aux différentes
municipalités du Québec.
Par Jacques Fiset et André Fortin
Cette décision, comprise dans
le mouvement plus large de
l’austérité qui prévaut (et que
certains
préfèrent
indûment
nommer « rigueur »), supprime
l’obligation, pour les municipalités et les MRC, de confier à un
CLD une mission de développement local, leur donnant ainsi le
choix de maintenir ou non leur
CLD.
Nous avons décidé de commenter cette décision sous l’angle
de la gouvernance, puisque nous
avons la conviction qu’il s’agit de
l’enjeu principal. En effet, le type
de gouvernance promu par ces organismes est l’une de leurs principales innovations, une innovation qui a pourtant régulièrement
été remise en question au cours
de sa trop brève histoire.
De la gouvernance version
citoyenne au contrôle par
les élus
La loi 171, qui a mené à la création des CLD en 1998, entérinait
l’idée selon laquelle il est avantageux de confier à la population
d’une communauté l’initiative de
son développement. Cette idée
n’était pas nouvelle : il existait
déjà sur le terrain des initiatives
citoyennes, souvent soutenues
par les pouvoirs politiques locaux, qui permettaient à des
collectivités d’innover, de contrer
un faible développement par une
forte mobilisation, bref, de faire
du développement local. Allant de
la création de petites entreprises
privées ou communautaires à
la revitalisation d’écoles désaffectées, en passant par la valorisation du patrimoine, ces initiatives
couvraient des domaines diversifiés (production manufacturière,
culture, habitation, services
collectifs) et mettaient à contribution une pluralité de parties
prenantes.
La loi 171 s’inscrivait donc dans
cette approche sur le plan de la
gouvernance : les CLD auraient
des conseils d’administration diversifiés, pluralistes, où aucune
partie prenante ne serait majoritaire et où les milieux eux-mêmes
désigneraient leurs représentants.
Le gouvernement prenait alors
clairement acte que la société,
tout comme l’économie, est plurielle.
Si l’idée n’est pas neuve,
l’institutionnalisation et la généralisation de ce modèle de
gouvernance constituent par
ailleurs, à l’époque, une avancée
importante, notamment en termes de décentralisation. Au
départ, cette avancée ne se fait
pas sans heurts : aux yeux du
milieu des affaires, le CLD est
d’abord perçu comme « plus
communautaire qu’économique»
alors que le milieu communautaire lui reproche son côté trop
«affaires». Mais le CLD réussit à
rapprocher ces milieux aux perceptions divergentes, à établir
une collaboration.
En 2004, le gouvernement
libéral casse cependant ce modèle
efficace : il permet aux élus municipaux d’être majoritaires sur
le conseil d’administration et
donne aux MRC le pouvoir de
nommer les membres du conseil,
retranchant des pouvoirs à la
société civile. Si certaines villes,
comme Québec, décident alors
de maintenir une pluralité non
hiérarchique au sein de la gouvernance, près de 50 % des CLD
sont désormais « contrôlés » par
les élus municipaux.
Et cette mainmise des élus vient
tout juste d’être renforcée par le
« Pacte fiscal transitoire concernant les transferts financiers aux
municipalités pour 2015 et une
nouvelle gouvernance régionale»
REGARDS CROISÉS - DOSSIER - 29
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
départ, comme nous l’avons dit,
Premier constat : l’addition de
du
gouvernement
Couillard.
des perceptions assez biaisées
ces démocraties fonctionne bien.
Dorénavant, ce sont les MRC qui
de leurs actions respectives. Ce
Elle a en effet permis de prense chargeront du développement
dre de bonnes décisions, de géfaisant, elle a contribué à rendre
local, puisque le gouvernement
nérer du développement collectif
le développement plus démocraleur transfère le financement des
et de soutenir la croissance de
tique.
CLD.
l’économie sociale.
Le développement local ne peut
Si les maires de Québec et de
Second constat (le plus imporêtre réduit au soutien aux entreMontréal se sont empressés de
prises et encore moins à l’octroi
tant à nos yeux) : l’addition de ces
signer cette entente, plusieurs
de fonds. Toutes les analyses
démocraties permet à différents
municipalités la décrient. Parqui établissent la relation enmouvements (le mouvement syntout au Québec, elle se traduit
tre de tels éléments
par un recul de la
Selon SUCO, « permettre aux collectivités de
et le coût de foncparticipation de la
société civile aux dé- s’approprier le processus de développement c’est tionnement des CLD
déjà se développer ». Les récentes décisions poli- confirment la méconcisions de développetiques nient ce principe, qui a inspiré pendant
naissance de la nament économique et
plusieurs années l’action des CLD.
ture du développepar des abolitions
ment local dont font
d’emplois. Les dés
preuve ceux qui véhiculent cette
dical, le patronat, les jeunes, le
sont jetés sur l’avenir des CLD. À
idée réductrice. Il s’agit d’un tramilieu institutionnel, le milieu
Québec, le jour même du dévoilevail soutenu de mobilisation des
politique et autres) de se renment du pacte fiscal, le maire
milieux, de conseil aux entrecontrer, d’échanger, de délibérer
annonce la fermeture du CLD de
prises, certes, mais également de
dans le respect des capacités et
Québec et s’en réjouit.
complicité avec ceux et celles qui
de la légitimité de chacun. Elle a
se soucient la relation complexe
notamment
permis
à
l’économie
Deux démocraties
entre l’économique et le social
sociale d’apprendre à être plus
ainsi que de la recherche d’une
entrepreneuriale
et
à
l’économie
Selon Gilles L. Bourque
et
plus grande égalité.
libérale
d’être
plus
sociale,
plusieurs autres, le modèle
Selon SUCO, « permettre aux
établissant
un
dialogue
entre
québécois de développement se
collectivités
de s’approprier le
des
personnes
qui
avaient
au
caractérise précisément par la
capacité à faire reposer les décisions de développement sur deux
jambes : celle de la démocratie représentative — qui renvoie
aux représentants élus par suffrage universel — et celle d’une
démocratie sociale ou participative – qui renvoie à la société civile, constituée de différents mouvements sociaux dont l’action
est déterminante sur les collectivités. Le modèle de gouvernance instauré en 1998 mettait
de l’avant l’interaction entre ces
deux démocraties ; celui qui vient
d’être imposé occulte totalement
la seconde.
Notre expérience en développement local nous a permis de faire
deux constats qui nous poussent
à voir ce changement comme une
régression.
30 - REGARDS CROISÉS - DOSSIER
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
processus de développement c’est déjà se
développer». Les récentes décisions politiques
nient ce principe, qui a inspiré pendant plusieurs
années l’action des CLD. Cela dit, il est trop tôt pour
mesurer l’impact réel de tout ceci sur le soutien aux
entreprises, sur le déve-loppement local et social.
Les décisions quant au maintien des CLD dans plusieurs régions ne sont pas prises et, surtout, la nature du mandat transféré aux municipalités ou MRC
reste à déterminer et s’avèrera évidemment variable.
Quoi qu’il en soit, nous croyons que tous ceux
qui se sont mobilisés de plusieurs façons au sein
des CLD doivent aujourd’hui demeurer actifs, continuer de militer au sein des différentes organisations épargnées, interpeller les élus municipaux sur
la question du développement local, bref, refuser
d’abandonner. /
Jacques Fiset est consultant en développement local
et ex-directeur général du CLD de Québec
André Fortin est chargé de cours à l’École de service
social de l’Université Laval et ex-analyste de projets
au CLD de Québec.
Dans le rétroviseur
Par Geneviève Huot et Vincent van Schendel, en collaboration avec Lynn O’Cain
Au Québec, les citoyens se sont regroupés
depuis des décennies pour créer des outils et des
organisations afin de soutenir les initiatives de
développement territorial.
L’État a mis sur pied des politiques publiques
qui ont appuyé ces démarches. Pour ce faire, des
Corporations de développement économique communautaires (CDEC), des Centres locaux de développement (CLD), des Coopératives de développement régional (CDR), etc., ont alors vu le jour.
Des mécanismes de concertation sont apparus
dans les quartiers, les villes, les Municipalités régionales de comté (MRC) et les régions, pour trouver collectivement des solutions aux problèmes
vécus et mettre en œuvre des projets répondant
aux besoins et aux aspirations des populations.
La création des Conseils régionaux de développement (CRD) se situait notamment dans
cette perspective. En 2003, les Conférences
régionales des élus (CRÉ) leur ont succédé.
Réunissant des élus et des acteurs de la société civile, les CRE laissaient cependant moins de
place à ces derniers.
Par ailleurs, en 1991, les acteurs ruraux créent
Solidarité rurale du Québec pour réfléchir ensemble au développement des milieux ruraux. Le
mouvement communautaire se réorganise alors
sur une base territoriale à travers le réseau des
CDC.
À compter de 1996, l’économie sociale s’organise
également davantage, notamment par le biais des
pôles régionaux d’économie sociale et du Chantier de l’économie sociale qui œuvrent depuis à la
concertation des partenaires et à la promotion de
cette forme d’entrepreneuriat. Ils assurent aussi
la présence d’outils et de politiques permettant
aux entreprises collectives de se développer.
À l’automne 2014, le contexte change. Le gouvernement du Québec abolit les conférences régionales des élus (CRÉ). Il conclut également un
pacte fiscal avec les unions municipales consacrant le transfert des responsabilités en matière
de développement territorial aux municipalités
et MRC. Du même souffle, il réduit de moitié les
budgets de développement local, tout en laissant
le choix aux MRC de maintenir ou non leur centre local de développement (CLD). Suit également
la fin de la reconnaissance de Solidarité rurale
du Québec comme instance conseil du gouvernement en matière de ruralité. /
REGARDS CROISÉS - DOSSIER - 31
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
Et si le développement
collectif rebondissait?
Le monde du développement collectif traverse une crise existentielle.
Malgré les éclaircies offertes par des manifestations et des appels à la solidarité
sur les réseaux sociaux, le défi de la mobilisation demeure entier, et toutes les
générations sont concernées. Et si le milieu misait sur sa crédibilité pour non
seulement survivre, mais aussi grandir en beauté avec de nouveaux joueurs?
Par Alexandra Viau
inquiet des coupes budgétaires
Lorsque Carole Boucher et
Sa collègue et co-porte-parole,
Émilien Larochelle ont appris
«idéologiques» opérées par le gouCarole Boucher, est fière du
que leur Conférence régionale
vernement libéral. Comme lui,
déroulement de la rencontre :
des élus (CRÉ) serait abolie avec
plusieurs craignent que les ré« Elle nous a permis non seuled’autres instances de développegions ne soient pas égales devant
ment d’envoyer un message fort
ment local, ils en ont eu ras le
les compressions budgétaires qui
aux élus, mais aussi de créer une
bol. En novembre dernier, la traaffectent les Centres locaux de
vague de mobilisation et un sentivailleuse et le retraité ont créé
développement (CLD), les CRÉ
ment d’appartenance à la région.
avec des comparses une cellule
et l’organisme Solidarité rurale
C’est inconcevable pour nous de
d’urgence et une douzaine de
du Québec, car les municipaline pas avoir une instance de conjours plus tard, plus de 300 cités n’auront pas toutes la même
certation ».
toyens, décideurs, étudiants
volonté ni les mêmes reset artistes se réunissaient
« Il faut être stratégiques dans nos sources pour poursuivre
dans un sous-sol d’église
leurs actions.
mobilisations, pour forcer le
de Rouyn-Noranda pour
« Ces coupes affectent ceux
gouvernement à faire des
donner naissance au maniqui ont le plus besoin de
compromis ».
feste « Être l’Abitibi-Témissoutien et d’accompagnement,
Denis Bourque
camingue ».
c’est-à-dire les entrepreLe manifeste, signé par
neurs sociaux et les petits
plus de 2 400 personnes à la
Ce sont des actions de ce genre
entrepreneurs », dénonce Luc
mi-janvier, réitère les valeurs loqui permettront aux artisans
Audebrand, professeur adjoint
cales de coopération et le désir
du développement collectif de
à la Faculté des sciences de
d’avoir un lieu de rassemblement
conserver un poids, selon Denis
l’administration de l’Université
et d’échanges, comme l’était la
Bourque, titulaire de la Chaire
Laval et titulaire de la Chaire de
CRÉ. « Je fais cela pour défendre
de recherche du Canada en orgaleadership en enseignement en
ma région. Nous avons la répucréation et gestion de coopéranisation communautaire : « Il faut
tation d’être résilients, mais ça
tives et d’entreprises collectives.
être stratégiques dans nos mobisuffit, je ne veux pas que l’on plie
Face à la tempête, il ne faut
lisations, pour forcer le gouverl’échine », dit Émilien Larochelle,
pas seulement sauver les meunement à faire des compromis ».
bles, pense Denis Bourque,
co-porte-parole du comité de momais profiter de la secousse
bilisation régionale en AbitibiNaufrage ou nouveau cap?
pour améliorer la participaTémiscamingue, membre de la
tion citoyenne, qu’aucun poucoalition « Touche pas à mes réM. Bourque, aussi professeur
voir ne peut empêcher : «Le dévegions », résolument en faveur du
en travail social à l’Université
loppement collectif s’appuie sur
développement rural.
du Québec en Outaouais, se dit
32 - REGARDS CROISÉS - DOSSIER
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
Le 25 novembre dernier, plus de 300 personnes se sont réunies à Rouyn-Noranda pour discuter de l’avenir de leur
région. Photo : Alexandra Viau.
et liberté d’action) ou encore des
la volonté de transformer des
propositions viables et réalistes
sur le long terme ». L’infatigable
acteurs qui sont moins actifs
problèmes en réponses collecqu’ils le pourraient. Il pense aux
défenseuse de l’économie sociale
tives. Ce type de développement
organisations philanthropiques
propose à ses pairs de miser sur
existait à l’époque de Maurice
que sont la Fondation Lucie et
la crédibilité acquise au fil des
Duplessis (NDLR: Premier minisAndré Chagnon et Centraide,
années et de donner l’exemple au
tre du Québec de 1936 à 1939 et
ainsi qu’au mouvement syndical,
gouvernement en cessant de trade 1944 à 1959), même s’il ne le
qu’il souhaite voir se réengager.
vailler en silo.
supportait pas ».
Si, en plus de cela, le milieu
Denis Bourque partage cette
C’est pourquoi le naufrage
se serre les coudes, fait preuve
volonté de mobilisation positive
n’aura pas lieu, croit la présidende courage et donne l’exemple,
et invite le milieu à davantage
te-directrice générale du Chanl’avenir commence à être
tier de l’économie sociale,
Et si la principale embûche, pour le
plus radieux aux yeux de
Nancy Neamtan, qui refuse de baisser les bras milieu, n’était pas son manque de res- Luc Audebrand : « Ce qui
et invite ses collègues à sources financières, mais l’ignorance nous manque, c’est un sens
aigu de l’intercoopération.
avoir une vision histode la population à son égard?
Nous ne pouvons pas
rique et non hystérique :
uniquement demander au
« Je ne suis pas d’accord
gouvernement d’avoir une polid’indépendance : « Il faut réfléchir
avec ceux qui disent que nous
tique d’achat en économie soà la diversification des modes de
sommes en train de reculer de 30
ciale; il faut aussi que les enfinancement, [afin d’]à être moins
ans! L’action collective ne dépend
treprises d’économie sociale en
pas de l’État, mais des citoyens. »
à la merci d’une décision polidéveloppent une entre elles! ».
tique. Le financement public est
Il y a donc des opportunités à
absolument nécessaire, mais il
Des idées pour demain
saisir dans l’actuelle crise: «Les
est problématique, car il crée une
idées et les valeurs sont plus
vulnérabilité lorsqu’il est omniLes citoyens devront ainsi se
importantes que les structures.
présent. »
mobiliser pour quelque chose
Nous serons donc amenés à
Parmi ses idées, il y a celle de
et non simplement verser dans
passer par de nouveaux rémettre à contribution de noul’opposition, pense Nancy Neamtan:
seaux pour développer de nouveaux acteurs (notamment les
« Il faut aller au-delà du front sovelles alliances. Des gens qui ne
retraités du milieu communaucial contre l’austérité et proposer
se parlaient pas vont peut-être
taire, qui ont temps, compétences
un front économique en faveur de
REGARDS CROISÉS - DOSSIER - 33
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
commencer à le faire, sans intermédiaires et dans un cadre moins
formel », croit Valérie Demers, responsable de recherche au Centre
d’étude en responsabilité sociale
et écocitoyenneté au Collège de
Rosemont, qui aide depuis 2010
les entreprises à faire du développement durable et social.
L’importance de l’éducation
Et si la principale embûche,
pour le milieu, n’était pas son
manque de ressources financières, mais l’ignorance de la
population à son égard? Luc
Audebrand rappelle que pour
choisir l’économie sociale, encore
faut-il savoir qu’elle existe : « Il
faut en parler davantage dans les
universités. Il faut que les entreprises d’économie sociale aillent
voir les étudiants en sciences de
la gestion, pas seulement ceux
en sciences sociales puisqu’un
faible pourcentage de diplômés
en gestion connaissent ce qu’est
une coopérative. »
L’éducation auprès des citoyens pourrait quant à elle
sauver des lieux de concertation
et de développement régional,
selon Émilien Larochelle, un retraité de l’enseignement, qui reconnaît que « c’est difficile de
faire comprendre aux citoyens ce
qu’ils vont perdre, parce que les
impacts des compressions sont
répartis sur une longue durée ».
Mais il s’engage à « travailler fort
pour bien leur communiquer [le]
message [du développement collectif] ».
Finalement, l’avenir sera certainement plus radieux quand les
Touche pas à ma région! AbitibiTémiscamingue. Photographies :
Alexandra Viau.
jeunes prendront leur place
sur l’échiquier de l’action
collective au Québec. Ils sont
l’une des sources de l’optimisme
de Nancy Neamtan et de la chercheuse Valérie Demers. Cette
dernière, qui développe des projets conjointement avec des étudiants du cégep, a constaté que
« les jeunes ont une meilleure
estime que nous de leur pouvoir
d’agir. Pour eux, cela va de soi
qu’ils sont capables de changer
les choses ». Prétention? Excès
d’enthousiasme? Pour changer
les choses, il faut d’abord y
croire. /
34 - SOCIALE FICTION
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
Bonne année 2015 !
31 décembre. Montréal. Fin d’après-midi.
Deux voisins en train de pelleter leur entrée individuelle.
Rick (55 ans), Gabriel (24 ans).
Texte de Martin Léon
RICK
Heille Gab, y a que’que chose
qui m’trotte dans’ tête depuis
un boutte…
GABRIEL
Vas-y donc.
RICK
J’t’ai vu aller, là, toute
l’année… avec tes pancartes
« allez donc voter » pis « engagez-vous socialement » pis
ci, pis ça…
Gabriel cesse de pelleter et regarde Rick.
RICK
Le monde, i’ changera jamais,
mon homme. (Un temps). Pis
que j’aille voter ou pas, ça va
rien changer dans le fait qu’i’
va toujours y avoir un paquet
de corrompus au pouvoir.
Parce que la corruption c’est
DANS l’être humain, ça, mon
homme. Ça changera jamais!
GABRIEL
Rick. Ça existe, du monde
qui pense autrement, non ?
Nelson Mandela, par exemple,
David
Suzuki,
Aung San Suu Kyi, Hubert
Reeves, Malala Yousafzai.
(Un temps). Y a des centaines
de milliers de citoyens en ce
moment qui travaillent dans
l’espoir de faire évoluer la «
conscience collective » : des
jeunes, des femmes, des gens
d’affaires, toutes sortes de citoyens. Pis pas juste dans le
but d’améliorer leur petit sort
individuel ou dans l’espoir de
devenir populaires. Prends le
président Mujica par exemple, en Uruguay, il vient juste
d’aménager une place dans le
palais présidentiel pour pouvoir accueillir les sans-abris.
Pense à Mandela. L’histoire le
démontre : ça existe pour vrai,
des gens de pouvoir qui ont le
goût de contribuer à améliorer
le monde dans lequel on vit ;
ça aussi, ça existe pour vrai
DANS l’être humain, Rick, pis
ça changera jamais.
RICK
Oui, mais y en a pas des
politiciens de même chez
nous, câlice…
On entend un camion à
ordures; il fait beaucoup de
bruit. Rick doit donc parler un
peu plus fort pour se faire entendre.
RICK
Moé, j’écoute leurs discours
aux politiciens pis j’trouve
qu’y a rien de collectif làdedans. On dirait des osties
de discours de comptables.
Aucune présence de valeurs
familiales, artistiques, humanistes ou scientifiques dans
leur discours. Rien. Juste des
chiffres. Des projets de développement. Pis des chiffres.
Comment veux-tu rassembler
des vrais bâtisseurs autour
de toi si ton seul thème c’est
l’argent ? Les politiciens sonttu inconscients ou juste pus
capables de parler avec leur
cœur, câlice ? (Un temps).
En tout cas, moé, j’me sens
pas « inclus » pantoute dans
leur discours, au contraire : à
chaque fois que j’en écoute un
parler, j’me sens encore plus
tout seul dans’ vie…
Un temps passe. Gabriel regarde Rick. Les deux hommes
se remettent à pelleter.
GABRIEL
C’est justement une des raisons qui fait que j’ai l’goût
de m’engager socialement,
Rick: ça me fait rencontrer du
monde allumé pis ça me fait
SOCIALE FICTION - 35
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
sentir moins tout seul dans’
vie…
La pelle de Rick s’est prise
dans un tas de glace. Rick
tente de la dégager.
RICK
Voyons câlice…
GABRIEL (continue)
Pendant que nos politiciens
s’obstinent pour savoir qui va tenir le râteau, personne s’occupe
du jardin. Moi, quand je participe à des projets collectifs
dans le quartier, ça me donne
au moins un peu l’impression
de m’occuper du jardin, justement. L’impression que je
fais ma part individuelle pour
que ça marche mieux collectivement.
RICK (force et casse le manche de sa pelle)
Câlice, mon homme…
GABRIEL
Ça me rend fier de moi… pis
en plus, c’est l’fun.
Gabriel sourit en regardant
Rick. Rick examine les deux
bouts du manche de sa pelle
cassée...
RICK
Pis Mandela, lui, y aurait fait
quoi avec une pelle cassée ?
Une petite neige recommence à
tomber.
GABRIEL
(Un temps). Mandela a reçu
le prix « Ambassadeur de la
conscience » en 2006.
RICK
Harper a dû l’envier...
GABRIEL
Aung San Suu Kyi l’a reçu en
2009 ; Malala Yousafzai, en
2013. Les gens d’influence
ou en position de pouvoir
devraient toujours avoir un
niveau de conscience élevé. Et
chercher à en faire bénéficier
les autres. Ils deviendraient
des inspirations positives ;
ils seraient aimés ; on voudrait
leur ressembler. (Un temps).
Mais c’est tout un travail, la
conscience… (Gabriel se remet
à pelleter). La conscience : il
faut s’en occuper, l’entretenir,
lui donner une formation comme si on était pour en faire un
métier. Les discours politiques
au Québec, la qualité des conversations à l’assemblée nationale, les combats d’ego qui
font qu’on en oublie les enjeux,
les interventions policières dégradantes, tout ça démontre
un besoin urgent de ressources
au sein du pouvoir. Un besoin urgent de formations
supplémentaires autres qu’en
comptabilité, en marketing ou
en auto-défense. Genre : psychologie, travail social, yoga,
aide humanitaire, je sais pas…
Gabriel réfléchit. Il regarde
Rick.
Rick est silencieux.
GABRIEL
C’est pas vrai que la seule
chose qui intéresse le monde
entier, c’est l’argent, Rick.
C’est des milliardaires qui
disent ça à des gens de pou-
voir qui à leur tour disent ça
à des citoyens. Mais on est
libre d’adhérer à ça ou pas.
C’est pas vrai que c’est juste
par l’argent que l’être humain
se définit ou entre en relation
avec ce qui l’entoure ou évalue
sa réussite. Il faut «contribuer»
plus que ça, être en paix plus
que ça, non ? J’te l’dit : y a des
milliers de gens, des millions,
qui travaillent en ce moment
à faire évoluer une nouvelle
« conscience collective ». Pis
moi, je veux faire partie de la
vague. (Un temps). Pis le «chacun pour soi » me lève le cœur,
anyway.
RICK
Moi aussi.
GABRIEL
Ça coûte trop cher pis ça
marche pas.
RICK
Exact.
Gabriel a terminé de pelleter
son entrée. Rick ne peut pas
vraiment poursuivre le travail
avec sa pelle cassée. Les deux
hommes se sourient.
Gabriel donne sa pelle à Rick.
GABRIEL
Bonne année, Rick.
RICK
Peace, bro. /
Martin Léon est homme de musique et
de chanson, de voyage. Et amoureaux
des mots.
36 - TOUTE UNE HISTOIRE
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
Les Québécois et les oléoducs :
quelle place pour l’environnement?
Lors de la construction de l’oléoduc Montréal-Sarnia dans les années 1970, les
préoccupations environnementales ont été reléguées au second plan avec le soutien
tacite du gouvernement fédéral, sans qu’il y ait de mobilisation publique
pour dénoncer les risques environnementaux.
Des initiatives comme l’actuelle campagne Coule pas chez nous changeront-elles
la donne ou l’histoire est-elle condamnée à se répéter?
Par Yanic Viau
montréalaises de la Imperial Oil en pétrole brut
Dans le film Panique, de Jean-Claude Lord
extrait des sables bitumineux albertains. Depuis
(1977), une usine de pâtes et papiers appartenant
1940, plusieurs oléoducs avaient été construits vers
à une multinationale américaine est responsable
les États-Unis ou la côte pacifique, mais pour la prede l’intoxication d’une agglomération urbaine. Une
mière fois, un oléoduc traverserait sur une distance
employée (interprétée par Paule Baillargeon) se
de 830 km le corridor Québec-Windsor, la zone la
révolte contre ses patrons qui cherchent, grâce à
plus densément peuplée du Canada.
la collusion avec les politiciens, des moyens de conLe gouvernement fédéral de l’époque, dirigé par
tourner les normes environnementales et d’étouffer
Pierre Eliott Trudeau (PLC), souhaitait à tout prix
le scandale : elle prend le contrôle d’une émission
réduire la dépendance
de télévision où est invité le
du Canada envers le pépremier ministre du Québec,
Comment expliquer qu’aucun
trole étranger. Aucune
afin d’attirer l’attention du
débat public d’envergure n’ait eu lieu obligation d’évaluer les
public sur la catastrophe. On
sur les risques environnementaux
risques environnemenaimerait voir dans ce «thriller»
lors de la construction de l’oléoduc taux reliés à la conenvironnemental le reflet d’une
struction et au foncdécennie (les années soixanteMontréal-Sarnia?
tionnement de l’oléoduc
dix) marquée par le militann’a donc été imposée à
tisme, mais le film révèle au
l’entreprise. C’est ce que confiait Owen Linton, responcontraire la difficulté de mobiliser l’opinion pusable du projet pour l’Interprovincial Pipe Line, lors
blique, à l’époque, sur des enjeux environnemend’audiences de l’Office national de l’énergie en 1974:
taux.
l’échéancier imposé par le gouvernement fédéral
«pourrait forcer à rejeter [disregard] certains des
Oléoduc Sarnia-Montréal (1976) :
avis formulés par les consultants en environnement
l’environnement au second plan
» (librement traduit du Ottawa Citizen du 16 mai
1974). Il avouait par ailleurs qu’aucune étude enQuelques mois avant la sortie de Panique, le 16
vironnementale n’avait été réalisée par l’entreprise
mai 1976, l’entreprise Interprovincial Pipe Line Ltd,
avant l’établissement du tracé et que des études
aujourd’hui Enbridge Inc., inaugurait l’oléoduc
supplémentaires seraient nécessaires pour évaluer
Sarnia-Montréal (ou canalisation 9). Celui-ci proles impacts écologiques. À un représentant du goulongeait l’oléoduc reliant Edmonton à Sarnia (1954),
vernement du Québec préoccupé par le passage
une ville ontarienne située à l’extrême sud du Lac
du pipeline sous le lac des Deux-Montagnes,
Supérieur, afin d’approvisionner les raffineries
TOUTE UNE HISTOIRE - 37
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
approvisionnant Montréal en
eau potable, Linton répétait qu’il
n’y avait aucune étude « permettant de choisir entre le tracé retenu et des tracés alternatifs ».
L’oléoduc passera finalement
sous la rivière des Outaouais…
à quelques kilomètres du lac
des Deux-Montagnes!
Lors de l’inauguration de
l’oléoduc en 1976, les préoccupations
environnementales
avaient complètement disparu.
Une dépêche de la Presse canadienne (La Presse, 16 juin 1976)
rapportait simplement que « le
gouvernement fédéral en a[vait]
retardé la mise en opération afin
d’y faire des expériences » [sic]
dont la nature n’est pas précisée.
Les risques les plus immédiats sur la population et
l’environnement ayant été relégués au second plan, il aurait
été bien surprenant que les risques à long terme (le réchauffement climatique, la dépendance économique envers le
pétrole, ressource non renouvelable incompatible avec les
exigences de la croissance continue) soient pris en compte.
Même les avertissements lancés
en 1972 par le Club de Rome dans
son célèbre rapport The Limits to
Growth (Halte à la croissance)
et la hausse massive des prix
du pétrole causée par le premier
« choc pétrolier » en 1973 n’ont
apparemment entrainé aucun
changement en matière de politiques énergétiques. La nécessité
d’investir pour devenir une société post-pétrole et de limiter le
développement de l’industrie pétrolière n’est d’ailleurs toujours
pas reconnue au Québec et au
Canada aujourd’hui.
Un mouvement écologiste
à ses balbutiements
Comment expliquer qu’aucun
débat public d’envergure n’ait eu
38 - TOUTE UNE HISTOIRE
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
deux projets sont destinés à
lieu sur les risques environnementelles que la Société pour vaincre
acheminer à travers le Québec
taux lors de la construction de
la pollution ou le Conseil québéle pétrole bitumineux albertain
l’oléoduc Montréal-Sarnia? Bien
cois de l’environnement (1970).
vers l’Atlantique, principalement
que le film Panique n’ait auLe choc pétrolier de 1973 a par
cune prétention documentaire,
à des fins d’exportation, avec
ailleurs favorisé la naissance d’un
il révèle la mentalité des années
l’appui des gouvernements féécologisme politique (ex. Amis
soixante-dix et peut aider à saisir
déral et provincial.
de la Terre, 1974), qui remettait
la réaction de l’opinion publique.
L’avenir nous dira si la réacen question la logique producOn y trouve par exemple
tion impressionnante
L’avenir nous dira si la réaction
l’idée selon laquelle les
du public (385 000$
impressionnante du public (385 000$
normes environnementaen dons recueillis en
les sont strictes et les caquelques jours) est
recueillis en quelques jours) est
tastrophes écologiques,
l’expression
d’une
l’expression d’une prise de conscience
causées par une négliprise de conscience
nouvelle qui se traduira par une
gence criminelle et non
collective
nouvelle
mobilisation durable, inexistante lors
politique. Le drame de
qui se traduira par
de la construction de l’oléoduc
Lac-Mégantic en 2012 a
une mobilisation dupourtant rappelé comrable, inexistante lors
Montréal-Sarnia.
bien une règlementade la construction
tion peut être déficiente ou mal
de l’oléoduc Montréal-Sarnia.
tiviste de l’économie, considérée
appliquée à cause de la comSi tel est le cas, l’explication de
comme la source des problèmes
plaisance ou de l’ignorance des
cette évolution sera sans doute à
écologiques. Mais le mouvement
autorités. Et l’indifférence de la
chercher dans l’accès plus facile
écologiste était alors surtout tout
classe politique face aux enjeux
à l’information sur les projets péconstitué d’organisations de peenvironnementaux était particutroliers, mais également dans la
tite taille, dotées de peu de molièrement grande dans les années
tolérance plus faible au risque,
yens et souvent éphémères ou
1970, sauf exception. On aurait
résultat des 35 fuites le long de
mobilisées autour d’une seule
pu croire que les choses allaient
l’oléoduc Montréal-Sarnia. Les
cause ou d’un enjeu local. Une
changer lorsque les politiciens
arguments pour s’opposer aux
réussite est toutefois à souont commencé à se draper dans
deux projets sont nombreux,
ligner : en 1977, la concertala promotion du « développement
mais un travail important de
tion des groupes écologiques a
durable » dans les années 1980,
sensibilisation reste à faire pour
mené à l’annulation du projet
mais l’expression a été a tellele collectif Coule pas chez nous
de centrale nucléaire Gentilly III,
ment été galvaudée qu’on peut
au Québec et les regroupements
ce que le sociologue Jean-Guy
aujourd’hui lui faire dire tout et
ontariens. Pensons par exemple à
Vaillancourt considère comme le
son contraire.
la mobilisation des Montréalais,
« grand redémarrage du mouveLa jeunesse et la faible capaciqui ne se sentent pas directement écologique québécois ».
ment menacés par les travaux
té de mobilisation des organisad’arpentage ou et d’installation
tions écologistes dans les années
Inverser la tendance
du pipeline Énergie-Est dans les
soixante-dix expliquent peuten 2015?
régions. Les dons sauront-ils être
être aussi pourquoi l’héroïne de
suivis d’actions de la part des ciPanique décide de procéder à un
En novembre 2014, le militant
toyens? /
coup d’éclat en solitaire. Si des
Gabriel Nadeau-Dubois lançait
organisations naturalistes ont vu
un appel public en appui à la
Yanic Viau est professeur d’histoire
le jour au Québec tout au long
campagne Coule pas chez nous
au Cégep du Vieux Montréal. Penau XXe siècle, la naissance du
contre une nouvelle inversion de
dant près d’une décennie, il a été conmouvement écologiste québécois
l’oléoduc Montréal-Sarnia (une
seiller au ministère de l’Emploi et de
comme force de revendication est
première inversion ayant eu lieu
la Solidarité sociale (MESS), où il s’est
généralement située au début des
en 1998), et contre le mégapronotamment consacré à la gestion de
années soixante-dix, avec la fonjet d’oléoduc Énergie-Est de la
projets-pilotes d’insertion socioprofesdation d’organisations pionnières
compagnie TransCanada. Ces
sionnelle des jeunes.
ÉTUDES DE K - 39
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
ÉTUDES DE K
Lebel-sur-Quévillon
L’art de la résilience
Par Gérald Lemoyne
C’est avec la construction d’une
usine de pâte de papier par la
compagnie Domtar, en 1966, que
Lebel-sur-Quévillon a été créée.
On a d’abord construit une route
carrossable pour se rendre au
site où était l’usine, puis la ville,
sur une presqu’île voisinant avec
le magnifique lac Quévillon, en
plein cœur de la forêt.
Dans le milieu des années 1990,
des investissements de plus de
200 millions de dollars sont faits
pour moderniser l’usine de pâte
de papier. Dans les années 2000,
le revenu par famille est l’un des
plus élevés au Québec ; c’est pratiquement le plein emploi à Lebelsur-Quévillon. Tout semble bien
aller malgré la crise forestière qui
sévit à cette époque. Mais lors
d’une réunion en novembre 2005
à Québec, alors que je suis maire
de Lebel-sur-Quévillon, un viceprésident de Domtar m’appelle
pour m’annoncer la fermeture de
l’usine de pâte pour une période
indéterminée. Je lui demande à
partir de quelle date cette décision sera effective. Il me répond:
« C’est déjà fait depuis cinq
minutes ». Il m’informe que tous
les employés syndiqués ont reçu
l’ordre de sortir du site. Je comprends que cette fermeture n’est
pas faite selon la procédure habituelle et qu’elle n’augure rien de
bon.
Au cours de la même période, la
mine, l’usine de sciage de Domtar
et celle de la compagnie Résolu
cessent leurs opérations. Les travailleurs forestiers subissent le
même sort que celui de l’usine
Domtar. Plus de 1000 emplois
directs dans l’industrie primaire
sont perdus, dans une ville de
3200 personnes.
De retour à Lebel-sur-Quévillon,
mon administration et moi décidons d’organiser une rencontre
du conseil municipal, puis une
autre avec toute la population,
pour recueillir les commentaires,
informer et rassurer les citoyens
sur l’avenir de notre ville, de notre
milieu de vie. Nous décidons de
mettre en place un groupe de travail avec l’aide de l’Université du
Québec en Abitibi-Témiscamingue
(UQAT). Nous sollicitons l’aide
des organismes communautaires
pour l’organisation d’activités et
le soutien aux personnes. Les
gens du milieu de la santé et de
l’éducation jouent un grand rôle
dans le support aux citoyens et
y sont très actifs, en organisant
entre autres de la formation pour
permettre aux travailleurs de se
spécialiser ou de se réorienter.
Finalement, nous remettons en
place un « comité de survie » qui
avait permis aux employés de
40 - ÉTUDES DE K
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
l’usine de pâte de devenir actionnaires de leur usine au milieu
des années 1990.
Au moment où des annonces
de fermeture d’usines dans le milieu forestier s’accumulent, Lebel-sur-Quévillon travaille à faire
repartir une usine. Peu de gens
y croient, alors. Mais après des
années de rencontres avec différents acteurs, le premier ministre de l’époque annonce finalement la relance de l’usine, en
janvier 2012, devant plus de 600
citoyens de Lebel-sur-Quévillon.
Les gens réalisent alors que
tous ensemble, lorsqu’on est
solidaires, il est possible de
traverser des périodes difficiles
et d’accomplir des choses qui
paraissaient irréalisables.
Toute une communauté s’est
donc mobilisée pour conserver le
milieu de vie qu’elle avait choisi.
C’est cette implication, cette mobilisation, qui nous a permis de
nous en sortir tout en maintenant la qualité de vie dans notre
communauté. Et la communauté continue, dans son souci de
l’avenir, à s’assurer du bien-être
des personnes, en faisant jouer
un rôle à chaque organisme et à
chaque personne en faisant partie. Un autre enjeu pour le futur,
plus économique, consiste à faire
redémarrer le complexe forestier
Domtar, grâce au travail du « comité de survie ».
La situation de Lebel-surQuévillon s’est améliorée depuis
ces années sombres, mais beaucoup reste à faire. Alors on garde
en tête qu’ensemble, on peut faire
de grandes choses. /
Gerald Lemoyne est l’ex-maire de
Lebel-sur-Quévillon, ex-président du
comité de survie, ex-maire de la municipalité de la Baie-James, ex-président de la CRÉ Baie-James, mais
pour toujours citoyen de Lebel-surQuévillon.
Reinventer
Lac-Mégantic, ensemble
Par Karine Dubé
Le 6 juillet 2013, la Ville de
Lac-Mégantic est frappée de plein
fouet par le déraillement d’un
train transportant du pétrole au
cœur du centre-ville. L’accident
provoque une explosion et un
incendie majeur, détruisant près
de 30 résidences ou commerces
et tuant 47 personnes. Le pétrole
brut léger, libéré des wagons,
s’écoule jusqu’au lac Mégantic, à
la rivière Chaudière et aux infrastructures municipales, contaminant une très grande superficie.
Des initiatives sociales, culturelles et économiques sont
organisées aux quatre coins du
Québec et du Canada pour venir en aide aux citoyens sinistrés. Des millions de dollars sont
amassés afin de soutenir la communauté. La générosité et la solidarité dépassent toutes les frontières. Tous deviennent, pour un
temps, des Méganticois.
Mais par-delà cette solidarité
et ces initiatives, comment s’y
prend-on pour reconstruire le
cœur d’une ville et son tissu social
après un événement aussi traumatisant? Par quoi commence-ton? Les élus municipaux de la
Ville de Lac-Mégantic ont choisi
de mobiliser les citoyens afin de
reconstruire le centre-ville selon
leur vision et leurs idées.
En mars 2014, la Ville de LacMégantic a lancé une grande
démarche de participation citoyenne, dans le but de concev-
oir le plan de reconstruction de
la zone sinistrée. Cette zone est
toujours désignée comme le cœur
du centre-ville de Lac-Mégantic.
Dans le cadre de cet exercice, les
citoyens de la ville et de la région
ont été invités à partager leurs
idées et leur vision.
Le conseil municipal a choisi de
nommer cette démarche « Réinventer la ville », car les élus croient
qu’il s’agit d’une bonne occasion
d’insuffler une énergie nouvelle à
l’ensemble de la ville et de la région.
L’intention est de susciter une réflexion et, ensuite, de poser des
actions susceptibles de transformer la tragédie en une occasion de ralliement derrière un
grand projet collectif.
ÉTUDES DE K - 41
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
Dans les derniers mois, la
démarche de participation
citoyenne a connu un grand
succès, sur plusieurs plans.
D’abord, un succès de participation, des centaines de citoyens
s’étant mobilisés et impliqués.
Ensuite, un succès en terme de
résultat : menée efficacement,
la démarche a permis d’établir
des consensus majeurs et de
réaliser un plan préliminaire
d’aménagement qui reflète les
propositions de la majorité des
Méganticois. Finalement, la démarche elle-même a permis de
réunir les citoyens, de contribuer
à leur guérison dans un climat
constructif, marqué par l’entraide
et la solidarité.
La Ville a établi deux balises
pour encadrer les discussions :
respecter un devoir de mémoire
des victimes et adopter une approche de développement du-
rable. C’est à la suite de rencontres publiques et de deux
séries d’ateliers communautaires
tenues au printemps 2014 que le
plan préliminaire de reconstruc-
tion a été présenté. Il définit les
grandes fonctions et usages du
territoire.
Depuis janvier 2015, des
groupes thématiques composés
de citoyens ont pour mandat
d’identifier les projets qui seront
prioritaires lorsque la reconstruction du centre-ville se met-
tra en branle. Les fruits de ces
réflexions seront présentés en
mars 2015 aux états généraux
de « Réinventer la ville », états généraux dont les conclusions serviront ensuite à l’élaboration du
plan stratégique de la Ville 20152020.
Les Méganticois doivent créer
un nouveau modèle afin de réinventer Lac-Mégantic. Chacun doit
regarder vers l’avant en agissant
au mieux de ses connaissances,
dans une situation jamais vécue
et sans point de référence. Ensemble, ils doivent littéralement
réinventer Lac-Mégantic. /
Pour en savoir plus:
www.reinventerlaville.ca
Karine Dubé est conseillère en
communication à la Ville de LacMégantic.
42 - ÉTUDES DE K
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
Idle no more (Jamais plus l’inaction) :
Le réveil du peuple autochtone
Par Widia Larivière
Le mouvement Idle No More
est né à l’automne 2012, en
Saskatchewan, à l’instigation
de quatre femmes autochtones
et allochtones indignées devant
les projets de loi « mammouths
» du gouvernement Harper (C45 et C-38). Ces quatre femmes
ont voulu sensibiliser la population aux impacts de ces projets
de loi qui mettent en danger la
démocratie, l’environnement et
les droits ancestraux des peuples autochtones. La mobilisation a vite pris de l’ampleur :
dès décembre 2012, des manifestations simultanées ont eu
lieu à travers le Canada. La chef
de la communauté ontarienne
d’Attawapiskat, Theresa Spence,
s’est greffée au mouvement et
a entamé une grève de la faim
pour dénoncer les conditions de
vie déplorables dans les communautés autochtones. L’action
de cette dernière a été particulièrement importante au
sein du mouvement, puisque
sa médiatisation a donné une
visibi-lité sans précédent à
celui-ci. Diverses actions ont
été menées : manifestations, blocus de routes, « flashmob » de
danse traditionnelle autochtone,
«teach-in », etc. Idle No More est
rapidement devenu la manifestation d’un ras-le-bol collectif
des peuples autochtones du
Canada, usés par une longue
histoire d’oppression et de colonisation et par la dégradation de
leurs relations avec le gouvernement. Les projets de loi «mam-
mouths» dénoncés par le mouvement n’ont été que la goutte qui a
fait déborder le vase.
Deux ans plus tard, malgré
l’entêtement du gouvernement
fédéral conservateur, le mouvement reste actif et organisé. Et il
a de nombreuses répercussions
positives. D’abord, il a ravivé la
fierté identitaire de la jeunesse
ainsi que la solidarité entre les
différentes luttes autochtones
au pays. Ensuite, il a redonné
une place aux femmes autochtones, puisqu’un aspect singulier du mouvement Idle No More
demeure qu’il est principalement mené par des femmes. Non
seulement parce qu’elles n’ont
plus rien à perdre, étant souvent
marginalisées et discriminées,
mais aussi parce qu’elles tentent
de reprendre la voix qu’elles ont
perdue au sein des structures
politiques coloniales depuis que
la colonisation et les tactiques
d’assimilation du gouvernement ont institué le patriarcat.
L’organisation politique actuelle
dans les communautés autochtones a en effet été créée et imposée par le gouvernement fédéral,
alors qu’avant la colonisation,
les peuples autochtones avaient
leurs propres systèmes politiques dans lesquels les femmes
jouaient un rôle décisionnel tout
aussi important que les hommes.
Ce qui est également ressorti de
ce mouvement, c’est l’importance
et l’urgence d’établir un dialogue
entre Autochtones et Allochtones
et de favoriser la collaboration
entre ceux-ci. Les enjeux soulevés par Idle No More touchent
effectivement toute la population, et non seulement les peuples autochtones : démocratie,
environnement, droits de la personne, droits des femmes, etc.
Cela explique pourquoi le mouvement est né d’une collaboration
entre des femmes autochtones et
allochtones. Depuis ses débuts,
les militants du mouvement se
sont alliés avec divers groupes
afin de faire converger les luttes.
Les questions autochtones ont
été remises à l’ordre du jour dans
différents milieux, notamment
militants,
communautaires,
féministes et universitaires.
La mobilisation qui persiste
et les liens plus forts qui se tissent entre Autochtones et Allochtones, autour de la protection du
territoire et de la justice sociale,
font germer l’espoir. Nous vous
invitons à vous joindre aussi à
cet élan de solidarité. /
Pour en savoir plus :
www.idlenomore.ca
RADAR CULTUREL - 43
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
Radar culturel
Impératif transition, remède contre le cynisme
Livre
Nous sommes (2009), un film de Kevin Papatie
Court métrage disponible en ligne
Changements climatiques, raréfaction des
réserves pétrolières, économie casino : en ce
début de XXIe siècle, maintenir le statu quo est
une option dangereuse susceptible de mener
l’espèce humaine à sa perte. Prendrons-nous le
risque d’un effondrement total en poursuivant
dans la même voie? Ou aurons-nous la sagesse et
le courage de changer radicalement de paradigme
pour nous assurer un avenir commun?
Kevin Papatie est originaire de Kitcisakik, une communauté algonquine située en Abitibi. Il compte
parmi les premiers participants du Wapikoni mobile, au sein duquel il s’est illustré en tant que réalisateur, caméraman, preneur de son, musicien et
coordonnateur. Il a réalisé une douzaine de courts
métrages dans le cadre du projet.
Le livre Impératif Transition, de Michael Lewis et
Pat Conaty (Écosociété, 2015, 420 pages) nous
invite à opérer un profond changement social,
écologique et économique pour effectuer ce passage
d’une économie fondée sur le dogme de la croissance infinie, carburant aux énergies fossiles, à
des économies diversifiées, locales, résilientes et
faibles en carbone.
Source : http://ecosociete.org/livres/la-necessaire-resilience
1950, Le Québec de la photojournaliste
américaine Lida Moser
Exposition photo
1950 : la jeune photographe new-yorkaise Lida
Moser découvre le Québec. Elle réalise alors deux
reportages pour les célèbres magazines étatsuniens Vogue et Look, parcourant la province, de
Montréal à Québec, de Charlevoix à la Gaspésie, de
la Côte-du-Sud à la Montérégie. Paysages urbains
et ruraux se succèdent tout comme les habitants
– enfants, sculpteurs, conteurs, acteurs, amoureux… – qu’elle saisit avec tendresse et fascination
à la fois.
Avec quelque 190 photographies, cette exposition offre un splendide témoignage visuel de la
vie socioculturelle et des mutations profondes
que connaît le Québec dans ces années de
l’après-guerre.
Du 19 février au 10 mai 2015, au Musée national
des beaux-arts du Québec.
Source : http://www.mnbaq.org/exposition/19501225#sthash.w8wvXjO1.dpuf
Kevin Papatie continue aujourd’hui à mettre ses
compétences au service du Wapikoni mobile. Ses
films sont poétiques, engagés, militants et concis.
Le cinéma est devenu son activité principale et il
participe à plusieurs événements et festivals locaux
et internationaux en tant que réalisateur et ambassadeur du Wapikoni mobile. Il a été invité à participer à la Carte Blanche du Festival du nouveau
cinéma en 2012, ce qui lui a permis de réaliser
Sakitakwin - Liberté. Il vient tout juste de terminer
le tournage de son dernier court métrage, Kokom,
réalisé dans le cadre de l’atelier 2014 du Wapikoni
à Kitcisakik.
Source : http://www.lafabriqueculturelle.tv/
capsules/1222/nous-sommes-un-film-de-kevinpapatie
21 jours : Vivre dans la peau des autres
Série télévisée
Pour comprendre la vie d’autrui, il paraît nécessaire de chausser ses souliers, de se mettre dans
sa peau, d’en faire soi-même l’expérience. Voilà ce
que propose 21 jours. Chaque épisode se présente
comme un laboratoire consistant en l’immersion
totale d’un sujet dans une de ces réalités dont on
sait tous qu’elles existent (itinérance, cécité, autisme, etc.), mais qui n’en demeurent pas moins
mystérieuses, marginales ou intrigantes… Nos
cobayes, Eza Paventi, Myriam Fehmiu et Hugo
Meunier, dotés d’une expérience journalistique et
d’une curiosité anthropologique avérée, mettront
temporairement leur propre vie de côté pour se
lancer dans cette aventure hors du commun.
Source : http://tv5.ca/21-jours/
44 - À SURVEILLER
KALÉIDOSCOPE - VOL. 2 NUMÉRO 3 - HIVER 2015
Soyez à l’affût des activités à venir
dans le secteur du développement collectif
LANCEMENT DU LIVRE DÉPOSSESSION
DÉFI SPORTIF ALTERGO
Du 27 avril au 3 mai prochains se tiendra le 32e Défi
AlterGo, véritable levier pour l’accessibilité universelle
(accès à tout garanti à tous, même aux personnes
ayant des limitations fonctionnelles). Événement
international, ce défi rassemble des athlètes d’élite et
de la relève, de toutes les déficiences. Plus de 5000
d’entre eux se donnent rendez-vous pour une semaine
de compétition à Montréal, Longueuil et Boucherville.
Au total, 90 écoles de 12 régions du Québec y participeront. Belle occasion de positionner Montréal comme
un haut lieu du sport adapté, accessible aux personnes
handicapées.
POUR PLUS D’INFORMATIONS :
Marina Le Chêne, agente de communication, 514 933-2739,
poste 236. [email protected], www.defisportif.com
L’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) et Lux éditeur invitent le public au
lancement de Dépossession, tome 1 : Les ressources.
L’événement se déroulera le 6 mars prochain au Café
du Monument national, à Montréal.
C’est dans le cadre des festivités du 15e anniversaire
de l’IRIS qu’est publié cet ouvrage collectif, dirigé par
Simon Tremblay-Pépin. À qui profitent les ressources
du Québec? Qui contrôle nos forêts, nos mines et les
produits de nos terres agricoles? Qui choisit la voie
qu’empruntera notre développement hydroélectrique?
Qui décide du sort de nos réserves d’eau potable? Cet
ouvrage met à nu les racines du malaise profond qui
perdure depuis plus de 40 ans au sujet de nos ressources naturelles. Il sera suivi d’un deuxième tome
sur les services publics.
POUR PLUS D’INFORMATIONS : http://iris-recherche.qc.ca/
evenements
FEMMES EN MARCHE POUR L’ÉGALITÉ
Le Collectif du 8 mars invite tous les Québécois à se mobiliser pour la Journée internationale des femmes,
le 8 mars prochain, sous le thème « Femmes en marche pour l’égalité / Solidaires contre l’austérité! »
Quand l’égalité entre les femmes et les hommes est menacée, c’est la force du nombre et la solidarité qui
permettent de faire des gains et de maintenir les acquis.
POUR PLUS D’INFORMATIONS
femmes--8-mars?langue=fr
: http://www.femmes.ftq.qc.ca/pages/6/Journee-internationale-des-
FORMATION : EXPLORER LA PÉRENNITÉ POUR DES CHANGEMENTS DURABLES (QUÉBEC)
Comment assurer la durabilité des changements que vous souhaitez réaliser collectivement? Qu’estce que vous souhaitez pérenniser? Depuis quelques années, les opportunités de financement pour
développer des actions collectives de transformation sociale basées sur une stratégie de mobilisation des collectivités se sont multipliées au Québec. Elles soulèvent toutefois un enjeu fondamental,
celui de la durabilité des changements. En effet, les fonds et programmes actuellement en place ont
des durées de vie limitées, alors que les transformations souhaitées se profilent à long terme.
La formation se tiendra à Québec, les 22 et 23 avril 2015. 20 places disponibles.
Pour plus d’informations : [email protected] I 514 742-7457.
LA CSN SALue
l’engagement
de celles et ceux
qui œuvrent au
quotidien pour
leur communauté
ADRESSÉ À:
refusons.org
ADRESSE DE L’EXPEDITEUR:
KALÉIDOSCOPE
190, boul. Crémazie Est
Montréal (Québec) Canada H2P 1E2
11,95 $
PUBLICATION CANADIENNE : 42748021
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