Le Fleurdelisé - Mouvement national des Québécoises et Québécois

Québec.
ÉDITION SPÉCIALE :
JOURNÉE NATIONALE
DES PATRIOTES
LUNDI, 11 MAI 2015
CANADIEN, UNE IDENTITÉ CONFISQUÉE
À l’occasion de cette édition du Journal
Le Fleurdelisé de la Journée nationale des
patriotes, l’idée nous est venue de reprendre
le frontispice d’un grand journal patriote
de l’époque, LE CANADIEN, fondé à
Québec par Pierre-Stanislas Bédard. À cette
époque, les patriotes arboraient fièrement
des symboles aujourd’hui confisqués par le
Canada anglais.
Dès leur arrivée dans la vallée du SaintLaurent, les Français adoptent les attributs
naturels de leur nouvelle patrie : le castor,
qu’on retrouve en abondance et qui devient
vite le symbole de la prospérité de la
Nouvelle-France, l’érable, un arbre qui
pousse partout et dont la feuille se pare de
mille couleurs à l’automne, et les cônes de
pin, cette graine qui dut paraître si étrange
aux Européens et dont on confectionne vite
des couronnes et des centres de table. Quant
au mot CANADA, il remonte à Jacques
Cartier pour nommer le fleuve Saint-Laurent
et ses rives. L’usage s’installe et le nom de
Canadiens désigne vite les Français de la
vallée du Saint-Laurent, qu’on distingue
ainsi des Acadiens, des Louisianais ou des
Français de France.
Depuis, tout un patrimoine de chansons,
de poèmes, de récits et de légendes s’est
édifié autour du gentilé de CANADIENS.
On a qu’à penser à « Vive la Canadienne »,
à « Canada, mon pays mes amours » et
bien sûr à la fameuse complainte « Un
Canadien errant », écrite en hommage aux
patriotes exilés en Australie. On pense aussi
bien sûr à l’hymne national « Ô Canada »,
initialement créé pour le Congrès national
Saint-Jean-Baptiste de juin 1880, ainsi
qu’au club de hockey Canadien, fondé
sous ce nom en 1909 parce que l’équipe
était alors strictement composée de joueurs
francophones…
L’usage de se désigner d’abord comme
Québécoises et Québécois, en référence
au seul État majoritairement français
d’Amérique, s’installe au tournant des
années 1960. Or, en abandonnant le noble
nom de Canadiens aux « Canadians » anglosaxons, c’est tout un héritage culturel qui
allait être confisqué et dès lors se charger
d’ambiguïté. Notre identité québécoise ne
doit donc pas faire oublier qu’un journal
patriote comme LE CANADIEN désignait
d’abord les francophones du Québec.
Il nous revient donc de revendiquer cet
héritage, sous peine de voir périr un pan
entier de notre identité.
Le Fleurdelisé | Édition Patriotes 2015 | p.1_
thématique
_ La thématique 2015 : Tissés dans l’étoffe du pays
Comment un peuple d’agriculteurs pauvres
et largement illettrés, comme l’était le
Québec en 1837, a-t-il su se montrer
sensible aux revendications démocratiques
et républicaines élaborées par les chefs
patriotes, au point de se lever d’un seul
homme en 1837 pour braver les balles
anglaises ?
soulèvent quand les élites locales sonnent le sociaux et nationaux et afin de préserver
notre modèle québécois.
ralliement à la cause patriote.
Il faut d’abord rappeler la grande solidarité
et le sens inné de la démocratie qui animent
les campagnes du Bas-Canada en 1837.
Au contact des Autochtones, des épreuves
du défrichement, mais aussi des vieilles
traditions du terroir français et des idées
révolutionnaires issues de la Révolution
américaine, se noue au alors un réseau
serré d’entraide et de fidélité sacrées fondé
sur la famille, la paroisse et le village. Ces
farouches habitants n’ont pas encore pris
conscience de leur unité nationale, mais
sont déjà à même de ressentir le poids de
la tutelle coloniale et l’exclusion dont sont
victimes leurs compatriotes.
Cette année, la Journée nationale des
patriotes célèbre donc cette solidarité liant
les Québécois de toutes origines, tissés
serrés autour de l’attachement au sol, à leur
langue et à leurs valeurs, fidèles à leur nature
et soudés par une solidarité et par un sens
de l’entraide sans lequel aucun mouvement
politique collectif ne peut naître ni fleurir.
L’étoffe du pays, c’est cette laine chaude
et enveloppante qui nous conforte dans nos
valeurs et nous rassure sur la justesse de notre
combat nationale. Jeunes et vieux, étudiants
et entrepreneurs, hommes et femmes sont
invités à renouer avec l’idéal des villages
d’antan qui, au-delà de leurs différences,
demeuraient solidaires en vue de fonder
une communauté démocratique proprement
québécoise, débarrassée de ses reliquats du
colonialisme et du dépendantisme débilitant
qui nous rivent encore à la Confédération
canadienne.
Le dévouement de milliers de Québécois à
la cause patriote est admirable mais demeure
étonnante. Il faut d’abord reconnaître
l’importance à l’époque des réseaux
familiaux, des liens communautaires dans
la paroisse et du clientélisme dans le régime
seigneurial : des fidélités sacrées et des
rivalités locales vécues parfois de manière
viscérale. À Terrebonne, à Saint-Eustache,
Saint-Hyacinthe ou Saint-Charles-surRichelieu, ce sont des villages entiers qui se
Ce sera l’immense force du mouvement
patriote que d’être parvenu à patiemment
intégrer la plupart de ces réseaux locaux de
solidarité et à fédérer les diverses sources de
mécontentement autour d’une grande lutte
nationale visant la réforme des institutions
politiques. C’est là un programme tout
désignés pour nos Sociétés nationales et
Saint-Jean-Baptiste : reconnecter avec les
milieux locaux et les réseaux de citoyens en
vue de préparer la reconquête de nos droits
_p.2 | Le Fleurdelisé | Édition Patriotes 2015
Cet idéal est d’ailleurs rappelé dans le
décret de novembre 2002, proclamant la
Journée nationale des patriotes :
« Nous avons choisi d’honorer de cette
manière la mémoire des hommes et des
femmes qui, depuis l’implantation des
institutions parlementaires en 1791, ont
milité pour les droits de la majorité, dont
celui du peuple à se gouverner lui-même. »
Tout compte fait, l’essentiel n’est peutêtre pas d’avoir milité pour des principes
aussi élevés soient-ils, qui regardent tant
les droits humains que ceux d’un peuple à
son existence collective. Ce qui est d’abord
remarquable est qu’un tel programme ait été
porté par des Québécoises et des Québécois
alors plongés dans la pauvreté, la précarité,
la discrimination et l’isolement sur le plan
international. Cette capacité à s’élever
au-dessus de sa condition au seul nom
d’un idéal collectif est assurément la plus
belle leçon que nous ont léguée ce groupe
d’hommes et de femmes déterminés,
tricotés serrés dans l’étoffe du Pays. Du
seul fait de cette étonnante abnégation, le
rappel de la lutte des patriotes continue à
s’inscrire dans les débats actuels comme
une invitation permanente lancée au peuple
du Québec à reprendre, dès que possible, sa
marche vers l’indépendance, brutalement
interrompue par l’armée en 1837.
dossier
_ La Journée nationale des patriotes
ET VIVE LA RÉPUBLIQUE !
On commet souvent l’erreur de réduire la
lutte patriote à l’obtention du gouvernement
responsable; que les ministres soient
responsables devant la Chambre élue. Les
revendications patriotes allaient en fait
beaucoup plus loin et visaient à appliquer
ici des institutions républicaines, jugeant :
« Que le Bas-Canada doit prendre la forme
d’un Gouvernement RÉPUBLICAIN
et se déclare maintenant, de fait,
RÉPUBLIQUE ».
L’idéal républicain est d’ailleurs inscrit
au cœur du mot « patriote ». Lors de la
Révolution américaine (1776), les Patriots
sont ceux qui défendent le sol contre la
couronne britannique. Avec la Révolution
française (1789), le patriote désigne un
citoyen fidèle à son pays et non plus « sujet
du roi de France ». Être patriote consiste
à prêter allégeance à la patrie populaire et
non plus à un roi ou à une reine en titre.
À la sujétion, les patriotes substituent la
citoyenneté; la souveraineté passant du Roi
à la République.
Alors qu’on discute de la place de la
monarchie au Canada et du rôle accessoire
de fonctions honorifiques, comme celle
de lieutenant-gouverneur, déjà, il y a deux
siècles, les patriotes avaient beaucoup à
nous dire sur le principe d’un gouvernement
« par et pour le peuple ».
Lutte à la corruption, indépendance des élus,
séparation des pouvoirs, république, ce n’est
là qu’un modeste survol de l’œuvre de quatre
générations de patriotes, de 1793 et 1850.
Leur contribution ne s’arrête effectivement
pas là. C’est en effet aux patriotes qu’on
doit une presse libre au Canada (1806), le
premier parti démocratique (1827) et le
réseau scolaire francophone laïc (1829).
On leur doit également une fête nationale
et une Société Saint-Jean-Baptiste (1834) et
la conquête du gouvernement responsable
(1849).
En février 1838, Robert Nelson proclame
l’indépendance du Bas-Canada, assortie
de plusieurs réformes audacieuses pour
l’époque, dont certaines ne seront finalement acquises que beaucoup plus tard,
comme l’abolition de la tenure seigneuriale
(1854), le vote secret (1874), l’éducation
obligatoire (1943), le suffrage universel
(1960) et l’abolition de la peine de mort
(1976). D’autres demandes patriotes n’ont
même pas encore été obtenues, telles
l’abolition de la monarchie (république) ou
l’égalité juridique des autochtones.
Pertinente, actuelle et édifiante, l’expérience
patriote est riche en leçons. À l’heure où
il est beaucoup question d’éthique, de
fierté et de respect envers les institutions,
la Journée nationale des patriotes est un
moment privilégié pour rappeler la ténacité
de Québécois d’hier et d’aujourd’hui dans
la défense de nos droits nationaux.
En 1830, le Parti canadien du Bas-Canada
choisit le nom de « patriote » afin d’insister
sur la lutte pour la liberté, la justice et les
valeurs républicaines. L’exemple vient
d’ailleurs de haut. Jusqu’à sa mort, le chef
patriote Louis-Joseph Papineau n’aura de
cesse de répéter que les rois et les reines
n’ont rien à faire dans le Nouveau Monde
et qu’« Il est certain qu’avant un temps
bien éloigné, toute l’Amérique doit être
républicaine. »
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Le Fleurdelisé | Édition Patriotes 2015 | p.3_
dossier
_ La Journée nationale des patriotes
LES PATRIOTES À L’ASSAUT DE LA CORRUPTION
À l’école et dans les manuels scolaires,
la contribution des patriotes est souvent
réduite à la défense de vagues principes :
démocratie, justice, gouvernement responsable. Pour certains, ils sont de véritables
héros, précurseurs de l’idée d’indépendance.
Pour la plupart cependant, les patriotes de
1837 n’évoquent rien du tout. Le souvenir
de leur lutte est pourtant d’une percutante
actualité, riche en leçons et source d’une
légitime fierté que la Journée nationale des
patriotes nous permet de raviver.
Des premiers discours de Pierre-Stanislas
Bédard en 1793, à l’adresse des Fils de
la liberté en 1837, les patriotes n’auront
de cesse de purger l’État de sa clique de
coquins afin de redonner le gouvernement
au peuple.
À l’époque, le parlement élu n’a guère
qu’un pouvoir : celui de voter le budget
et l’allocation des dépenses. De son
côté, le gouvernement colonial anglais
exigeait que le revenu des taxes lui soit
versé automatiquement pour financer
l’administration coloniale et payer les
« sinécures », ces bureaucrates vivant aux
crochets de la colonie. Les députés patriotes
ripostent donc en rendant publics le nom et
le salaire de chaque fonctionnaire ainsi que
le montant de tous les contrats octroyés aux
amis du gouverneur. On révèle ainsi quantité
de cas de corruption et de favoritisme. On
apprend par exemple que le procureur de
la province, l’honorable Jonathan Sewell,
cumulait à lui seul quatre emplois à temps
plein grassement payés et que chacun de
ses trois fils bénéficiait d’une sinécure
payée par la population. Louis-Joseph
Papineau dénonce alors « Les honoraires
exorbitants, illégalement exigés dans divers
bureaux publics de l’administration, des
juges et d’autres fonctionnaires usurpant les
pouvoirs de la législature. »
La saine gestion par l’État est le plus
constant engagement pris par les patriotes.
Ils exigeaient donc inlassablement
la tenue d’enquêtes publiques, ce à
quoi le gouverneur anglais s’opposait
systématiquement. Cette situation n’est pas
sans rappeler l’obstination dont a fait preuve
le gouvernement libéral de Jean Charest
(2003-2012) afin de retarder la tenue d’une
enquête sur l’industrie de la construction :
Que c’est l’opinion de ce comité
qu’un grand nombre de requêtes
relatives à l’infinie variété de sujets
qui tiennent à l’utilité publique ont
été présentées; plusieurs enquêtes
importantes ordonnées par elle, dans
plusieurs desquelles le gouverneur
en chef se trouve personnellement et
profondément impliqué; lesquelles
enquêtes commencées pour être
continuées avec diligence, peuvent
et doivent nécessiter la présence de
nombre de témoins, la production
18
mai
Bonne Journée
des patriotes
En 1834, les députés patriotes déposent
92 résolutions réclamant qu’on fasse toute
la lumière sur les cas de corruption et de
favoritisme.
Que le refus du gouverneur en
chef de commander ces enquêtes,
dans la circonstance actuelle, nuit
essentiellement à la dépêche des
affaires pour lesquelles le parlement
a été convoqué, est contraire aux
droits et à l’honneur de cette
chambre, et est un nouveau grief
contre l’administration actuelle de
cette province. [92 Résolutions.
Résolution 83]
En plus de la corruption, les députés patriotes
dénoncent la collusion, la claire séparation
du pouvoir politique et judiciaire, ainsi que
le cumul des emplois au gouvernement.
Ils dénoncent ainsi Samuel Gale, à la fois
juge et député à l’Assemblée, ou Jonathan
Sewell, à la fois juge en chef et président du
Conseil législatif. Les patriotes obtiennent
ainsi en 1811 l’inéligibilité des juges, une
mesure fondamentale qui, depuis ce jour,
évite que la partisanerie politique n’entrave
l’application d’une justice impartiale.
L’étoffe d’un pays se tisse
dans l’histoire d’un peuple
csn.qc.ca
_p.4 | Le Fleurdelisé | Édition Patriotes 2015
de nombre d’écrits, l’emploi de
nombre de commissaires, messagers, assistants, impressions,
déboursés inévitables et journaliers.
[92 Résolutions. Résolution 82]
www.fondationlionelgroulx.org
LG_Pub-Fleurdelise_01.indd 1
2015-04-30 09:15
dossier
_ La Journée nationale des patriotes
LES PATRIOTES, PIONNIERS DE L’ACHAT LOCAL
L’achat local est aujourd’hui encouragé
afin de diminuer notre dépendance aux
importations ainsi que l’émission de
gaz à effet de serre lors du transport.
Cette tendance à la mode est en fait très
ancienne au Québec et a toujours consisté
à soutenir nos entreprises afin de conserver
des emplois ici. Ce sera tout le mérite
des patriotes d’avoir lancé la première
campagne « d’achat chez nous ». Le chef
patriote Louis-Joseph Papineau lui-même
en fait une question de salut national :
procurer des toiles et des lainages
fabriqués dans le pays, et j’espère les
avoir d’assez bonne heure pour me
dispenser d’en acheter d’importation.
J’ai cessé de mettre du vin sur ma
table et j’ai dit à mes amis : si vous
voulez vous contenter de la poule
au pot, d’eau, de bière ou de cidre
canadiens, allons, venez et dînons
sans un verre de vin. Aux premiers
moments, cet éloignement des
usages reçus embarrasse, mais j’ai
déjà appris en huit jours qu’il n’y a
rien à quoi l’on s’habitue si aisément
que de faire à sa tête, quand on a la
conviction que l’on fait bien. Ibid.
MM. Meilleur, DeWitt, Cherrier,
Duvernay. M. Viger -- le « beau Viger
» -- et M. LaFontaine n’avaient que la
veste en étoffe canadienne. M. Jobin
avait un complet. Le Dr Côté portait
une redingote d’étoffe grise, avec
garniture noire, des pantalons et une
veste de même étoffe rayée de bleu et
de blanc, et un abominable chapeau
tellement usé qu’il était impossible
de discerner son pays d’origine. Le
Populaire, 23 août 1837
Cultivés depuis l’époque de Jean Talon
et de la Nouvelle-France, le chanvre et le
lin servent surtout à la ferme où seuls les
paysans s’en revêtent. Déjà, en ville, on en
L’exemple de Papineau est contagieux. Un a que pour les vêtements et les accessoires
journal anti-patriote de l’époque s’en amuse importés, plus chics et plus délicats que
la grossière étoffe qu’on produit alors au
d’ailleurs :
Québec.
Le 18 août 1837, plusieurs des
Les convives aux banquets de la Fête
députés papineautistes sont arrivés
nationale et les députés patriotes ne sont
dans la capitale habillés à la mode
pas les seuls à promouvoir les produits
patriote. Les curieux eurent beaucoup
québécois et l’épouse du patriote Louis
d’amusement lorsqu’ils virent
H. LaFontaine, Adèle Berthelot, fut
descendre du bateau à vapeur les
apparemment la première bourgeoise à
représentants du district de Montréal.
Papineau s’en prend ensuite aux snobs
porter les étoffes canadiennes. L’exemple
En tête de la phalange patriotique
qui se vantent de ne consommer que des
fut généralement suivi par le peuple, les
se trouvait le grand réformiste,
produits importés.
Québécois de l’époque, pour une fois
l’honorable M. Papineau, habillé en
positivement inspirés par leurs élites...
étoffe du pays.
Pour réformer efficacement ce
désordre funeste, nous n’avons pas
Le costume de M. Rodier remporta
besoin de l’aide des jeunes dandys
la palme. Le député de l’Assomption
qui se pavanent dans nos villes. Ils
portait une redingote, une veste et
sont trop souvent des sensualistes qui
des « inexpressibles » d’étoffes du
tiennent plus à leur luxe qu’au bien de
pays, grise avec des raies bleues
leur patrie. Dans tous les pays, c’est
et blanches, un chapeau de paille
le peuple, les classes pauvres, qui
de fabrication domestique, des
soutiennent la prospérité, et partout
souliers de peau de bœuf et des bas
ce sont les classes supérieures qui la
tricotés. [...] M. Rodier n’avait pas
dévorent. Ibid.
de chemise, n’ayant pu s’en procurer
de contrebande ni s’en faire faire une
Le tribun n’en reste pas là et prêche par
ici.
l’exemple :
L’engouement pour les produits québécois,
dans la foulée de la campagne de boycottage
Le docteur O’Callaghan méritait
J’ai de suite renoncé à l’usage du
et d’achats locaux en 1837 fut bref, mais eut
le second prix : son chapeau, ses
sucre raffiné, mais taxé, et acheté
notamment pour conséquence de relancer
bottes, ses gants, sa chemise -- il
pour l’usage de ma famille du
dans plusieurs localités l’industrie de la
avait une chemise! -- et ses lunettes
sucre d’érable. Je me suis procuré
laine et du tissage, en particulier le long du
étant seuls de fabrication étrangère.
du thé venu en contrebande et je
Richelieu et, à la frontière, où on note une
M. Perreault avait des pantalons et
sais plusieurs qui en ont fait autant.
croissance significative du commerce de
un gilet d’étoffes du pays, ainsi que
J’ai écrit à la campagne pour me
contrebande avec les États-Unis.
Le revenu que l’on veut nous voler
se compose, pour les deux tiers, des
taxes que nous payons chaque fois
que nous buvons un verre de vin ou
de liqueurs spiritueuses, et une tasse
de thé au sucre. Nos consommations
en objet qui ne sont nullement de
nécessité sont plus fortes que celles
que nous faisons en fer pour nous
bâtir, défricher et cultiver nos terres,
en cuir et en étoffes pour nous
chausser et nous vêtir. La Minerve,
25 mai, 1837
Le Fleurdelisé | Édition Patriotes 2015 | p.5_
dossier
_ La Journée nationale des patriotes
LE BOYCOTTAGE : L’ARME ÉCONOMIQUE DES PATRIOTES
Dès la création des institutions
parlementaires, les députés canadiensfrançais avaient su tirer parti de tous les
moyens légaux de faire valoir les droits
de la majorité. D’imposantes pétitions
sont signées par des dizaines de milliers
de citoyens, des délégués sont envoyés en
Angleterre et des assemblées sont tenues
aux quatre coins du Québec. Au printemps
de 1837, l’Angleterre désavoue les
revendications patriotes, fouettant d’autant
l’ardeur nationaliste. Les patriotes ont alors
recours à l’arme économique. Cette annéelà, la Fête nationale sera donc soulignée,
mais d’une manière bien particulière.
En effet, les patriotes votent à plusieurs
endroits des mesures visant le boycottage
des produits de luxe, afin de priver le
gouvernement colonial du revenu des taxes.
Que nous nous abstiendrons, autant
qu’il sera en nous, de consommer les
articles importés et particulièrement
ceux qui paient des droits plus élevés,
tels que le thé, le tabac, les vins, le
rhum, etc. Que nous consommerons
de préférence les produits manufacturés en ce pays; que nous
regarderons comme bien méritant
de la patrie quiconque établira des
manufactures de soie, de draps, de
toiles, soit de sucre, de spiritueux,
etc. La Minerve, 11 mai 1837
Les aliments visés sont principalement le
thé (on n’importe pratiquement pas de café
à l’époque), le rhum et la mélasse (importés
de Barbade) et les textiles, principalement
les chemises de soie, les cotonnades et les
laines fines tel le tweed.
Durant les banquets de la Saint-Jean, les
produits locaux sont donc à l’honneur, les
leaders du Parti patriote encourageant le
peuple à les imiter.
C’est en grand qu’il faut faire la
contrebande. Plus de ménagement ni
de temporisation. Aux grands maux
[sic] les grands remèdes. Il faut tarir
la source du revenu. Les coffres se
videront, les voleurs n’y trouveront
plus rien. Alors l’Angleterre entendra
raison. Jamais de lutte n’aura été
plus juste. Nous avons retenu les
subsides; on nous ôte ce moyen,
on nous met dans la nécessité d’en
chercher de plus efficaces. (Source :
Michel Bibaud, Histoire du Canada
et des Canadiens sous la domination
anglaise, Montréal, Lovell et Gibson,
1878 : 415).
Boycottage ou contrebande, dans les deux
cas il s’agit bien de priver l’administration
coloniale des revenus générés par les taxes
et d’encourager les manufactures locales
en consommant de préférence des produits
Le journal patriote La Minerve va plus fabriqués au Québec.
loin, recommandant même de recourir à la
Les patriotes n’ont alors aucun mal à
contrebande :
proposer des produits de substitution au thé,
au sucre et au rhum importés : les tisanes du
Les objets que nous ne pouvons
pays, le thé des bois, le sucre d’érable et le
fabriquer ici, l’ami Jonathan nous
gin tiré de nos propres baies de genièvre sont
les fournira. Pour cela, donnons la
alors abondants. Quant aux textiles anglais,
main au contrebandier : désormais
le Québec peut aussi bien les remplacer
c’est un brave que chacun de nous
par une excellente laine, ainsi que par du
encouragera. Il faut former à son
chanvre et du lin qui, sommairement tissés,
métier une vigoureuse jeunesse,
donnent la fameuse étoffe du pays.
bien organisée et déterminée.
nos Sociétés
« Lorem ipsum dolor
LE RÉSEAU DE LA
FIERTÉ QUÉBÉCOISE
_p.6 | Le Fleurdelisé | Édition Patriotes 2015
r
en mouvement
_ Mot du président
LE VIRUS DE LA CORRUPTION SÉVIT AU QUÉBEC
De tous les facteurs ayant contribué à
miner la confiance des Québécoises
et des Québécois envers leur État
national, les allégations de corruption
figurent certainement en tête de liste.
Symptomatiquement, ceux qui s’affairent
actuellement à détruire le modèle québécois
se retrouvent essentiellement dans le même
camp que ceux associés aux pires scandales,
celui du parti actuellement au pouvoir. Sans
trop d’efforts, on constatera ainsi que la
corruption est largement la conséquence de
la compromission de nos élites au système
fédéral canadien qui, depuis des décennies,
récompense les pires d’entre nous en
échange de leur collaboration docile et
vénale. Incapables de nier l’évidence, les
« dépendantistes » canadiens font en sorte
de jeter le discrédit sur toute la classe
politique, alléguant que tous les partis sont
pareils, tous pourris! (Comme eux?)
L’attachement au bien commun et à la
patrie représentent ainsi le meilleur rempart
contre la corruption et la collusion, dont le
principe moteur demeure l’individualisme
rapace découlant de la tutelle fédérale. Le
respect envers notre État et la solidarité
nationale passent donc par le patriotisme et
la valorisation des vertus citoyennes.
Ce travail peut être accompli par
l’éducation reçue dans la famille et à
l’école, mais aussi par les commémorations
historiques où l’on célèbre ceux et celles
dont les actions les ont rendus dignes de
mémoire. On saisit d’ailleurs encore mal
au Québec le rôle bien tangible que jouent
les commémorations afin d’inculquer des
valeurs de respect, d’unité et de solidarité.
Il est grand temps que les chantres de
l’austérité budgétaire comprennent qu’à ne
jamais commémorer nos vertus civiques,
on hypothèque gravement chez chaque
Québécois le désir de respecter les lois et
de continuer à agir en « bon et honnête
citoyen ». Durant l’essentiel de son
histoire, le mouvement national québécois a
d’ailleurs su assumer cette direction morale
et éthique, au cœur des vertus patriotiques.
Dès 1830, les patriotes voient bien que
l’administration coloniale est corrompue
et inefficace. Toute sa vie, Louis-Joseph
Papineau dénoncera l’immoralité du
régime colonial, l’inefficacité du système
politique, la corruption des bureaucrates et
l’iniquité envers la majorité française. Pour
toute une génération, Papineau fut d’abord
l’incorruptible : celui qui refuse un siège
au conseil législatif, un poste de ministre
même et cela tant que l’État ne sera pas
véritablement mis au service du peuple et
de la majorité française.
Au Québec comme ailleurs, le seul vaccin
crédible au virus de la corruption demeure
que chacun se sente solidaire de sa
communauté et qu’il ait minimalement à
cœur le bien commun. La Journée nationale
des patriotes est l’occasion de rappeler la
lutte de ceux et celles qui ont tout sacrifié à
la conquête de nos libertés et de nos droits.
Rendons-nous dignes de leur exemple
et prouvons, plus que jamais, que nous
sommes bien tissés dans la même étoffe du
pays que les patriotes de 1837-1838.
Gilles Laporte
dossier
_ par Myriam D’Arcy
SE RÉAPPROPRIER NOTRE CULTURE TRADITIONNELLE
Depuis plusieurs années, le Mouvement
national des Québécoises et Québécois
(MNQ) et ses Sociétés membres
s’investissent dans la promotion et
l’organisation d’activités de commémorations nationales telles que la Fête
nationale et la Journée nationale des
patriotes. Ces manifestations empruntent
souvent au folklore québécois des éléments
tels que les contes et légendes, les grandes
tablées, le chant et les danses traditionnelles.
Nous nous rappelons avec bonheur cette
magnifique affiche de l’édition 2011 de la
Fête nationale évoquant la Chasse-galerie
et son canot volant stylisé au goût du jour.
Cette année, nous célébrons la mémoire de
nos patriotes et des Rébellions de 18371838 sous le thème Tissés dans l’étoffe
du pays où la ceinture fléchée a été mise
à l’honneur. Le choix de cette thématique
nous a amené à réfléchir au rapport que les
Québécois entretiennent avec leur culture
traditionnelle et son patrimoine vivant, de
même que sur la place que le folklore occupe
dans la culture populaire d’aujourd’hui.
Voilà des questions importantes auxquelles
nous pouvons réfléchir à quelques jours de la
Journée nationale des patriotes, d’autant plus
que la promotion de l’identité québécoise,
la culture et le patrimoine se trouvent au
cœur de la mission du MNQ. Il est donc
tout naturel de s’intéresser de plus près aux
éléments qui constituent notre patrimoine
vivant et notre culture traditionnelle, de
même que la place qu’ils occupent dans les
Le Fleurdelisé | Édition Patriotes 2015 | p.7_
dossier
_ Se réapproprier notre culture traditionnelle (SUITE)
habitudes de consommation culturelles des
Québécois. Nous pourrons aussi réfléchir au
rôle que le MNQ et ses Sociétés membres
peuvent jouer pour faire rayonner ce
patrimoine et quels liens peuvent être tissés
avec les principaux artisans et organismes
promoteurs dans les régions du Québec.
D’abord, de quel patrimoine parle-t-on? La
Loi sur le patrimoine culturel du Québec
(2011) définit le patrimoine immatériel ou
vivant comme suit : « les savoir-faire, les
connaissances, les expressions, les pratiques
et les représentations transmis de génération
en génération et recréés en permanence
en conjonction, le cas échéant, avec les
objets et les espaces culturels qui leur sont
associés, qu’une communauté ou un groupe
reconnaît comme faisant partie de son
patrimoine culturel et dont la connaissance,
la sauvegarde, la transmission ou la mise en
valeur présente un intérêt public ». Ainsi,
la gastronomie, la danse, la musique, le
conte, l’artisanat font partie de ces pratiques
propres à la culture québécoise, transmises
d’une génération à l’autre.
traditionnelle est riche d’enseignements
sur notre passé. Pensons notamment
aux traditions culinaires, façonnées par
les familles nombreuses et la rigueur
de l’hiver. Pensons aussi aux contes et
légendes qui permettaient à un peuple jadis
majoritairement illettré de faire vivre de
magnifiques histoires qui ont enrichi notre
imaginaire collectif. Finalement, au chant
et à la danse traditionnelle, influencés par
la gigue irlandaise et la musique à répondre
française qui ont fait les beaux jours de nos
veillées canadiennes. Cette vaste culture
mérite donc d’être revalorisée pour en
assurer la préservation.
À l’heure où le rouleau compresseur de la
culture populaire anglo-saxonne n’épargne
personne ni aucun secteur, la question de
la diversité culturelle se pose avec acuité.
À l’époque de la dématérialisation des
produits culturels qui abolit les frontières, il
importe de préserver les cultures nationales
d’une culture mondialisée qui aplanit les
particularités et l’histoire de chacune. Voilà
pourquoi il importe de notamment protéger
notre patrimoine vivant, qui témoigne de
l’existence de notre peuple dans la grande
aventure humaine.
se sont mis de la partie et proposent une
cuisine où les produits et plats québécois
sont à l’honneur.
Ces habitudes sont d’ailleurs encouragées
par plusieurs chefs médiatisés tels Martin
Picard, Daniel Pinard et Ian Perreau, qui
réhabilitent notre patrimoine culinaire en
actualisant au goût du jour moult recettes
traditionnelles québécoises. À telle enseigne
que récemment, une véritable polémique a
éclaté sur les ondes de la radio d’État autour
de la paternité contestée d’une recette de
pouding chômeur!
Dans le domaine de la chanson, le succès à
long terme de groupes comme La Bottine
Souriante, Les Charbonniers de l’enfer et
plus récemment, celui fulgurant de Mes
Aïeux, montrent aussi un certain intérêt du
public québécois. Par contre, aucune place
n’est faite à la chanson traditionnelle dans
les médias et les émissions culturelles, ce
qui réduit considérablement son rayonnement et sa diffusion.
Finalement, le succès hors norme du
conteur Fred Pellerin, véritable enfant chéri
des Québécois, qui rallie les Québécois de
toutes les classes et origines, prouve bien
Revalorisation du patrimoine : des que les traditions orales peuvent encore
toucher l’imaginaire et le cœur des gens.
exemples de réussites
Heureusement, tout n’est pas sombre.
Dans le domaine culinaire, un véritable
engouement pour les produits du terroir
et le patrimoine gastronomique québécois
s’observent. La cuisine s’inscrit aujourd’hui
comme art de vivre et cause une rupture
nette avec les pratiques culinaires adoptées
durant la période de l’après-guerre où le
four à micro-ondes et les plats préparés
en usine étaient rois. Désormais, par
souci de préserver l’environnement et
La culture traditionnelle : témoin de d’encourager les producteurs de chez nous,
les consommateurs cherchent des produits
notre passé
Nous croyons que cette culture frais et locaux. Plusieurs chefs bien connus
Dans les pages qui suivent, nous vous
invitions à lire un texte fort intéressant signé
par l’artiste visuel Simon Beaudry, dont
l’œuvre est inspirée par les symboles de
la culture traditionnelle québécoise. Avec
originalité et talent, il actualise des éléments
phare de notre culture traditionnelle en leur
donnant un second souffle, une nouvelle
vie.
À tous, bonne Journée nationale des
patriotes!
Fier partenaire du Mouvement national
des Québécoises et Québécois, parce qu’il
est essentiel de se souvenir des moments
marquants de notre histoire.
_p.8 | Le Fleurdelisé | Édition Patriotes 2015
dossier
_ Simon Beaudry
QUAND L’ART PARLE AU NOM DU PAYS
les assimile, leur donne un sens nouveau,
celui d’une œuvre qu’il bâtit en fonction du
nouvel univers qu’il voudrait voir s’établir
ici. » — Victor-Lévy Beaulieu, écrivain
québécois (Le Devoir, 13 janvier 1973)
Bien qu’elle date d’avant ma naissance, cette
citation de l’un des plus grands créateurs
littéraires québécois est devenue le porteétendard de ma démarche artistique. À elle
seule, elle résume ce que j’ai été, ce que
je suis et ce vers quoi je me dirige en tant
qu’artiste.
la mienne, de manière à ce que nous nous
émancipions au même rythme, de même
que pour lier celui que je suis à ceux que
nous sommes et devenons.
C’est en 2007, au moment de la mise sur
pied du collectif Identité québécoise, que
l’identité, cette représentation que nous
avons de nous-mêmes, m’est apparue
comme étant le ciment pouvant servir à
réunir tout ce qui existe en y ajoutant de
nouveaux éléments pour notre suite du
monde. La pérennité de notre culture est
selon moi la seule vraie raison de vouloir
un pays québécois officiel, indépendant et
libre du carcan canadien, car elle structure
l’âme et la pensée. Pour ma part, l’art,
plutôt que le militantisme politique, m’est
apparu comme le meilleur champ d’action,
celui avec lequel je suis le plus efficace et
pertinent. Il représente aussi le meilleur
véhicule pour porter un discours sur ce
Québec libre, se rassemblant de son passé,
son présent et son futur, et y ajouter de
l’envergure, de la démesure. Et par la
mythologie que je suis en train de créer à
chacune de mes nouvelles œuvres, inventer
une civilisation québécoise.
Définir la frontière
Mon travail évoque une vision personnelle
de la nation québécoise, et à travers
elle, de moi-même. La réflexion qui
accompagne cette démarche me pousse
© Alain Desjean, 2012, portrait de Simon Beaudry
à (me) réinventer, à (me) transformer et à
Simon Beaudry : Artiste multidisciplinaire en arts visuels critiquer ce qui caractérise cette identité.
et étudiant à la maîtrise en arts visuels et médiatiques De ce processus sont nées des œuvres qui
de l’UQAM. (Remerciements spéciaux à Catherine reflètent une certaine vision du Québec, que
Martellini)
j’ai tenté et tente toujours de propulser vers
l’avant, souvent en utilisant des éléments
« Le [créateur] québécois actuel a deux traditionnels modernisés.
choix : ou il tourne carrément le dos au
passé et s’invente totalement un présent, Ma démarche artistique s’inscrit dans une
donc un futur, ou il croit suffisamment aux volonté de participer à la libération et à la
choses qu’il y a derrière lui, s’y plonge, transformation culturelle du Québec et à Jusqu’à tout récemment, mes œuvres étaient
Le Fleurdelisé | Édition Patriotes 2015 | p.9_
dossier
_ Simon Beaudry
constituées de photos et d’objets (readymade, sculptures), production à laquelle j’ai
intégré graduellement des éléments vidéo.
Somme toute, ces œuvres se composaient
d’objets, d’artefacts culturels du Québec
d’avant, présentés sous une forme
actualisée, réinventée.
Traverser la frontière
Mais pour réinventer cette nation, ce présent
qui se transformera en futur, je devais
traverser le carrefour qui lie ma production
artistique à ma vie (citoyenne). Abattre les
frontières pour les transcender. Me rapailler.
J’ai donc décidé d’ajouter un aspect à ma
pratique en produisant des œuvres à même
l’espace politique, au sens du polis, du vivre
ensemble. Et par ce procédé, me créer une
nouvelle agora en réunissant l’atelier, la vie
et le lieu d’exposition, au milieu de ceux
qui s’y trouvent, sans que ceux-ci puissent
s’attendre à recevoir une œuvre et son
discours.
Ma pratique est donc devenue plus
hétéroclite et imprévisible, mélangeant la
photo, l’objet, la vidéo, l’installation, la
performance et l’action « guérilla » d’art.
Une première bribe de cet art guérilla avait
été l’œuvre Printemps québécois – carré
fléché rouge – que j’ai non seulement offerte
à un coût très bas en galerie pour refléter un
discours contre l’augmentation des frais de
scolarité, mais que j’ai aussi reproduite en
autocollants. Ceux-ci ont servi à tracer mon
parcours lors des manifestations auxquelles
je prenais part durant le désormais célèbre
soulèvement étudiant.
Puis, j’ai voulu pousser plus loin. Défoncer
des portes. Littéralement. Mon œuvreperformance La charge de l’orignal
épormyable donne aux paroles de Victor
Lévy Beaulieu tout leur sens : j’y intègre
des morceaux d’œuvres québécoises du
passé que je colle à une œuvre pour mieux
me propulser vers l’avenir. Moi, vêtu d’une
armure fabriquée de pièces d’équipement
de hockey, je prends mon élan et défonce
une porte. Cet éclatement symbolise la
libération de mon peuple, mais aussi celui
de mes freins personnels qui m’empêchent
de me positionner complètement comme
artiste professionnel. Tout comme le
personnage de Mycroft Mixeudeim de la
pièce de Claude Gauvreau, ostracisé par
des psychiatres et enfermé dans un institut
dont il tente de se sortir en défonçant des
portes avec sa tête, mon œuvre reprend
cette charge dans le contexte d’aujourd’hui.
Dans cette performance, je me représente
en tant qu’artiste et en tant que Québécois,
cherchant à repousser toutes mes limites.
espace libre, m’y engage et y agit. Ce travail
se fait de façon libre (sans commande)
et autonome (je n’agis pas au nom d’un
groupe, d’une entreprise ou d’un parti
politique).
Est-ce que, quelque part, le rôle de l’artiste,
le genre que je cherche à être, ne pourrait
pas être contributeur, une fois conscient de
sa double position d’artiste et de citoyen
(obligatoirement politique et liée aux
autres, qu’il le veuille ou non)? Ne pourraitil pas proposer, plutôt qu’imposer comme le
suggérait la vision moderne de l’engagement
en art, une nouvelle forme de démocratie,
celle où le spectateur pourrait vouloir se
joindre à ce qu’il voit (mon œuvre), au
mieux? Au pire, il restera une proposition
personnelle, libre et autonome, toujours
sur le point de se révéler au monde par son
rapport incessant à un espace artistique et
politique et qui pourrait l’interpeller comme
un double miroir. Celui d’un artiste devant
lui-même et son peuple qu’il imagine et
mythologise.
Transcender la frontière
En septembre dernier, l’Écosse se prononçait
sur son indépendance et c’est dans ce
contexte que ma volonté de mélanger l’art
et la vie a trouvé tout son sens. Ce voyage
est venu marquer ma position d’artiste
engagé, ainsi que le désir d’ancrer mes
œuvres dans le réel, sans port d’attache à
des lieux d’exposition. Un film réalisé par
Félix Rose et Éric Piccoli (Productions
Babel) à paraître a d’ailleurs immortalisé
ce voyage et cette quête. Embrassant une
forme cinématographique nouvelle qui
mélange le cinéma direct, le documentaire,
le vidéoclip et la fiction, ce film présente
une Écosse en pleine ébullition. Pendant
quelques semaines, j’ai sillonné le territoire
écossais pour y déployer des œuvres à
ciel ouvert qui amalgamaient l’histoire et
l’identité écossaises avec celle du Québec.
Ces œuvres ont été archivées par le film
ou par la photographie et constitueront les mythologise.
artefacts de demain.
À la manière d’un citoyen au sein de sa
société, ma démarche artistique participe
à l’évolution de l’identité québécoise. Je
construis en quelque sorte le Pays par l’art
à défaut, à défaut de le faire politiquement.
J’y projette mes aspirations, mes craintes,
ce que j’aime et n’aime pas. J’utilise cet
_p.10 | Le Fleurdelisé | Édition Patriotes 2015
Simon Beaudry, artiste visuel
www.simonbeaudry.quebec
www.identitequebecoise.org
www.facebook.com/simonbeaudry
dossier
_ Simon Beaudry
QUELQUES OEUVRES DE L’ARTSTE SIMON BEAUDRY
Le Fleurdelisé | Édition Patriotes 2015 | p.11_
Fête nationale
_ La Fête nationale et les Patriotes
LES PATRIOTES FONDENT LA FÊTE NATIONALE
Le Québec célèbre cette année sa 181e
édition de la Fête nationale. Bien que la
Saint-Jean soit aussi soulignée en Europe
depuis le Moyen Âge et, depuis toujours,
par les Autochtones à l’occasion du solstice
d’été, c’est en juin 1834 qu’on associe
pour la première fois celui qui baptisa le
Christ et « apporta la lumière » à ce peuple
d’évangélisateurs qui, chaque année, avait
coutume ce jour-là de faire un grand feu
pour illuminer la plus courte nuit de l’année.
Célébrer un événement par un banquet est
alors fort répandu dans la pure tradition
chrétienne (pensons à la Cène). Des
banquets sont notamment organisés par la
franc-maçonnerie et les corporations de
métiers afin de célébrer l’un des leurs.
Les tables champêtres qu’on tient à l’époque
des patriotes à l’occasion de la Saint-Jean
se distinguent cependant sur certains points.
D’abord, elles se déroulent en plein jour et à
l’extérieur, généralement dans un jardin, et
non pas le soir dans une salle de réception
d’un hôtel par exemple. En outre, dès le
départ, elles sont ouvertes à tous, hommes,
femmes et enfants, peu importe leur origine,
tandis que les banquets alors tenus par les
sociétés nationales d’Anglais, de Gallois,
d’Écossais, d’Allemands ou d’Irlandais Montréal. Se développe alors l’habitude
étaient strictement réservés aux hommes de couvrir la table de branches d’érable
fraîchement coupées, un vieux symbole
provenant de leur communauté.
national, symbole aussi de notre vitalité.
Le 24 juin 1834, environ soixante convives
s’assemblent dans les jardins de l’avocat La Saint-Jean-Baptiste de 1836 est marquée
John McDonnell, à Montréal, afin de célébrer par les premières dissensions puisque
la Saint-Jean-Baptiste. Les participants, deux banquets concurrents sont tenus
tant britanniques que canadiens, sont à Montréal : l’un, au Rasco, réunit une
issus du mouvement patriote : Edmund centaine de papineauistes, Denis-Benjamin
B. O’Callaghan, Charles-Ovide Perrault, Viger, Larocque, Dunn et Brown et 112
Thomas-Storrow Brown, Rodier, Louis- invités, l’autre, organisé par Pierre-Clément
Hippolyte Lafontaine et George-Étienne Sabrevois de Bleury, réunit « plusieurs
Cartier, sous la présidence du premier maire patriotes, qui ne sont point de la nuance des
de Montréal, Jacques Viger. On chante, on amateurs de La Minerve [un journal proversifie et surtout on porte des toasts en Papineau] ». En juin 1837, deux banquets
hommage aux « Canadiennes », « au peuple se disputent à nouveau les convives autour
irlandais », « aux députés patriotes » et à d’un motif tout bête : devrions-nous boire
« nos amis du Haut-Canada ». C’est un de l’alcool? En effet, un mois auparavant,
véritable succès et les journaux patriotes les patriotes avaient voté à Saint-Ours une
lancent aussitôt l’invitation à toutes les série de résolutions visant à boycotter les
paroisses de tenir de pareils banquets dès produits importés afin de priver l’Angleterre
du revenu des taxes, y compris les vins et
l’année suivante.
spiritueux, dont on faisait grand usage lors
En 1835, 1836 et 1837, les banquets de des banquets de la Saint-Jean-Baptiste.
la Fête nationale se multiplient au BasCanada. Les événements se tiennent à Par solidarité avec les résolutions de
Saint-Charles, à Saint-Denis, à Verchères, à Saint-Ours et en appui au Parti patriote,
Varennes, à Saint-Benoît, à Saint-Eustache, on ne retrouve donc sur les tables des
à Terrebonne, à Berthier et bien sûr à banquets patriotiques que des produits
Le Fleurdelisé | Édition Patriotes 2015 | p.13_
Fête nationale
_ La Fête nationale et les Patriotes (suite)
issus du terroir canadien, et de l’eau en
guise de rafraîchissement. À Montréal, 200
personnes célèbrent ainsi la Saint-Jean à
l’hôtel Nelson. Cependant, un autre banquet
réunit d’autres convives, moins contraints
par les mesures de boycottage. Le journal
L’Ami du peuple, de l’ordre et des lois
[anti-patriote] écrit, ironique :
La Saint-Jean-Baptiste doit être
en deux volumes, cette année, à
Montréal. L’un se composera des
ultras patriotes ou parti Papineau.
L’autre de la portion plus calme des
Canadiens. Les derniers qui craignent
moins l’excitation se permettront de
boire du vin...
Dès le départ, les activités de la SaintJean-Baptiste furent ouvertes à toutes les
communautés nationales, misant d’abord
sur des valeurs universelles de justice, de
démocratie et invoquant le droit des peuples
à disposer d’eux-mêmes. Les premiers
banquets Saint-Jean-Baptiste ne furent
cependant pas exempts de tiraillements, et
cela dès les premières éditions. Décidément,
le passé est bien garant de l’avenir. De telles
tensions sont sans doute inévitables chez une
nation qui n’a pu accéder à l’indépendance,
entre ceux qui souhaitent que la fête puisse
porter l’espoir du pays désiré et ceux qui n’y
voient qu’une célébration de la solidarité
nationale.
sur une base ethnique, les premières
célébrations de la Saint-Jean-Baptiste sont,
au contraire et dès le départ, ouvertes aux
représentants de toutes les communautés,
prémices à ce qui allait devenir la Fête
nationale des Québécois-es.
Les sociétés nationales qui se forment
spontanément au Québec à l’époque des
patriotes sont à la base destinées à venir en
aide à leurs ressortissants les plus démunis
et à leur assurer des services religieux et
médicaux. Elles jouent aussi le rôle de club
privé pour leur élite économique respective.
Dès leur fondation aussi, ces sociétés sont
engagées en politique, généralement pour
faire obstacle au projet patriote et écraser le
nationalisme canadien-français.
Reprenant le nom de leur saint patron, les
Anglais s’organisent les premiers au sein de
la St-George’s Society en décembre 1834.
La charte de la société dit bien qu’elle est
strictement réservée aux ressortissants
anglais ou gallois. Les Écossais s’unissent
à leur tour, le 6 février suivant, dans la
St-Andrew’s Society. Encore là, la StAndrew s’adresse exclusivement aux sujets
britanniques d’origine écossaise, dont
plusieurs membres de l’élite économique
tels Peter McGill, président fondateur, John
Fleming, John Boston, James Leslie, ou
des journalistes influents comme Robert
Armour de The Gazette et Adam Thom du
Herald. Les Allemands s’organisent le 31
mars suivant : « une assemblée nombreuse
La fête de tous les Québécois
Tandis qu’Anglais, Écossais, Irlandais et respectable réunit à l’hôtel Nelson des
et Allemands du Bas-Canada s’étaient Allemands et des Hollandais au sein de la
initialement organisés en sociétés nationales German Society of Montreal [...] ». Louis
_p.14 | Le Fleurdelisé | Édition Patriotes 2015
Gugy en est élu président, assisté d’un
conseil de sept membres.
Du côté des Irlandais, les choses sont plus
compliquées, cette communauté s’avérant
un enjeu de taille dans la joute politique qui
oppose alors patriotes et tories.
La Hibernian Benevolent Society est d’abord
formée en 1834 et aurait compté jusqu’à une
centaine de membres. Son association au
Parti patriote est alors évidente. C’est donc
en réaction qu’est créée, en mars 1835, la
St-Patrick’s Society, manifestement alignée
sur le parti tory. Ses principaux membres
sont d’ailleurs tous aussi impliqués dans la
Constitutional Association of Montreal, un
club politique particulièrement hostile aux
patriotes.
Alors que les associations anglophones
lancent à tous venants des appels aux
« True Britons of all origins », le credo
patriote veut plutôt que leurs revendications
transcendent les origines et s’adressent à
tous les habitants du Bas-Canada, épris
de justice et de liberté. Les fondateurs de
la Saint-Jean-Baptiste sont d’ailleurs fort
désireux d’attirer dans leurs rangs des
Britanniques susceptibles de joindre leur
coalition « arc-en-ciel ». La communauté
irlandaise est particulièrement courtisée,
les patriotes multipliant les représentations
auprès de ses membres influents, comme
Edmund O’Callaghan ou Daniel Tracey,
en soutenant les journaux anglophones
propatriotes, The Spectator, The Vindicator
et The Liberal et en conviant les Irlandais
aux banquets de la Saint-Jean-Baptiste.
Dévoilement de la programmation
des activités de la Journée nationale
des patriotes
Le président du Mouvement national des
Québécoises et Québécois, Monsieur Gilles
Laporte vous convie à un cocktail dînatoire
à l’occasion de la prochaine édition de la
Journée nationale des patriotes
LE JEUDI 14 MAI, 17 h
À la chapelle de la Maison Gisèle-Auprix-St-Germain
150, rue Grant, Vieux-Longueuil
Un vin d’honneur et un léger goûter seront servis
Sous le thème « Tissés dans l’étoffe du pays »,
vous seront offerts :
L’interprétation de l’Hymne au Québec par
l’Octuor lyrique de Québec
Un atelier de tissage de ceintures fléchées
Une exposition d’œuvres choisies
de l’artiste Simon Beaudry
Une exposition de costumes traditionnels
québécois
RSVP auprès de Myriam D’Arcy
[email protected]
514-527-9891 poste 307
Entrée libre
Invitation
_ Les Sociétés nationales et Saint-Jean-Baptiste de la Montérégie
_ La Journée nationale des Patriotes à Saint-Denis
LA FOIRE PATRIOTE DE SAINT-DENIS
SAMEDI, LE 16 MAI 2015
Parc des Patriotes à Saint-Denis-sur-Richelieu
Bordé par les rues Saint-Thomas, Saint-Hubert,
Nelson et chemin des Patriotes
ACTIVITÉS EN CONTINU GRATUITES POUR TOUS !
MMRencontre d’auteurs.
MMDémonstration de métiers anciens.
MMVisite du camp patriote de Saint-Denis.
MMVous y ferez l’étonnante rencontre de Patriotes et de soldats de sa
Majesté!
MMPièce de théâtre sur l’histoire des Patriotes par l’extraordinaire
troupe de théâtre Exaltemps.
MM« Des objets qui parlent... » Présentation et manipulation d’artefacts
patriotes. Présentée par la responsable des Collections de la Maison
nationale des Patriotes.
MMVisite guidée du village de Saint-Denis-sur-Richelieu et de la
Maison nationale des patriotes (payante)
Pour informations : 1 888 773-8535
Courriel : [email protected]
_p.16 | Le Fleurdelisé | Édition Patriotes 2015