Chapitre 1 Le droit de l'information et de la communication : concepts et méthodes Ce qui explique, en partie du moins le droit et la morphologie qu'il revêt, c'est qu'il vise à donner à chacun ce qui lui revient. Le droit contribue en effet à résoudre ou atténuer les contradictions qui existent forcément entre les intérêts, les prétentions et les droits des sujets. Le droit de la communication est un droit-carrefour. Il est à la fois le point de rencontre de plusieurs branches du droit et de plusieurs droits fondamentaux divergents. Les droits fondamentaux invoqués lors des conflits qui finissent un jour par opposer les protagonistes ne portent pas toujours aux mêmes conclusions. Ils marquent souvent la présence simultanée de valeurs contradictoires. En raison des enjeux importants et fondamentaux qu'elle recèle et de l'omniprésence des technologies innovatrices, la régulation de l'information est un phénomène riche en enseignements pour le juriste intéressé aux techniques et moyens par lesquels les normes sont énoncées et appliquées et par lesquelles on arrive à résoudre les conflits. Les phénomènes informationnels interpellent la règle de droit et induisent de nouvelles formes de normativité. Ils contribuent à la redéfinition de plusieurs institutions juridiques et au premier chef, les droits fondamentaux. Parce qu'il met en présence les libertés et valeurs les plus fondamentales des sociétés contemporaines, le droit de l'information et de la communication est à la fois le lieu de l'affirmation et de la réalisation de certains des droits les plus essentiels à la dignité humaine et le situs des principes les plus fondamentaux de la vie sociale. Mais le droit de l'information n'est pas qu'un ensemble vertueux de proclamations abstraites. C'est aussi le lieu d'arbitrage et de délimitation des prétentions respectives de ceux qui, dans des situations juridiques données et infiniment variables, se retrouvent en conflit. Et de tels conflits se trouvent parfois exacerbés par la démultiplication résultant du développement des technologies de l'information. En droit de la communication, les droits et obligations des sujets s'énoncent souvent dans des textes à caractère constitutionnel ou à tout le moins revêtus d'une certaine solennité et presque toujours situés à un niveau élevé dans la hiérarchie des normes. Les principes du droit de la communication trouvent souvent leur source dans les principes du droit international ou résultent des délibérations des instances à caractère supranational. Ils trouvent souvent leur signification concrète à la faveur de processus d'explicitation menés dans des instances qui se distinguent de celles qui contribuent à l'élaboration du droit commun. 5 Droit de l'information et de la communication La tâche du juriste de la communication est de situer les limites respectives des droits et libertés. Le domaine de l'un et l'autre de ces droits et libertés est souvent la résultante des délimitations du domaine d'application des autres droits et libertés. C'est dire la nécessité de bien appréhender les notions fondamentales et essentielles que comporte et génère le droit. De telles notions, l'expérience quotidienne nous le fait découvrir à l'envi, sont l'objet de ré interprétations continues. Ce travail de réinterprétation des concepts fondamentaux du droit prend un caractère encore plus impérieux dans le contexte des nouvelles technologies de l'information. Ces dernières bouleversent plusieurs principes fondateurs du cadre juridique de l'information tel que les notions de service public, de rareté des fréquences etc. Les nouvelles technologies de l'information posent également dans des termes inédits le défi de la promotion et du maintien du pluralisme, de la diversité des vues, des possibilités d'accéder aux médias et les moyens d'assurer la protection de la dignité des personnes et des identités culturelles. Un objet de recherche La recherche juridique figure au nombre des démarches de tous ceux qui cherchent à comprendre, développer et appliquer les politiques de communication; elle demeure pourtant un phénomène relativement récent aussi bien au Canada qu'au Québec. Le Groupe consultatif sur la recherche et les études en droit dans son rapport au Conseil de recherches en sciences humaines du Canada1 rappelle que jusqu'aux années 1950, et même 1960 pour le Québec, la recherche juridique au Canada était une entreprise extrêmement fragile, surtout à cause de la pénurie de chercheurs. Son enracinement tardait dans les milieux universitaires. Le petit nombre des professeurs de droit, la priorité quasi exclusive accordée à la formation professionnelle, le relatif dédain avec lequel était vue la recherche dans les milieux de la pratique juridique contribuent à expliquer un tel sousdéveloppement. L'expansion et l'essor qu'ont pris les facultés de droit dans les universités canadiennes au cours des années soixante et soixante-dix aurait pu laisser espérer une amélioration de l'état de la recherche. Pourtant, le Groupe consultatif sur la recherche et les études en droit constatait, dans son rapport publié en 1983, qu'en dépit de certaines améliorations, la situation demeurait nettement inacceptable. Malgré tout, le nombre de travaux publiés a connu une augmentation phénoménale au cours des années soixante et soixante-dix. Cela se reflète aussi dans le domaine du droit des communications. La production de recherche publiée demeure toutefois composée de travaux de nature argumentative ou de travaux cherchant principalement à décrire la règle de droit. Afin de mieux situer la recherche juridique québécoise sur le droit relatif aux politiques de communication, il est nécessaire d'identifier ce que ce genre de recherche peut apporter à l'analyse des politiques de communication. Pour y arriver, il importe de situer le 1 GROUPE CONSULTATIF SUR LA RECHERCHE ET LES ÉTUDES EN DROIT, Le droit et le savoir, Ottawa, Conseil de recherches en sciences humaines, 1983, 212 p. 6 Aspects généraux et méthodologiques du droit de l'information rôle du droit dans les politiques de communication et de distinguer les différents types de recherche juridiques possibles. Ces mises en situation étant faites, il sera plus facile de faire état du profil des chercheurs et des lieux de déroulement de cette recherche puis, de passer en revue les thèmes dominants de la littérature juridique relative aux politiques de communication. 1. Le rôle du droit dans les activités de communication Le droit peut assurément être considéré comme l'un des instruments de mise en oeuvre des politiques de communication. À bien des égards, le droit précède même l'énonciation explicite des politiques de communication car il fournit souvent les concepts assurant l'existence et le fonctionnement d'un marché des produits culturels et de communication. C'est pourquoi la recherche juridique est au nombre des démarches importantes de ceux qui veulent comprendre le fonctionnement des politiques de communication. Le droit est aussi le lieu d'émergence des techniques réglementaires et des cadres à l'intérieur desquels s'articulent les prérogatives et les obligations des acteurs dans le champ des activités de communication. Pour ces raisons, il ne faut pas s'étonner que la recherche juridique relative aux politiques de communication reflète l'ambiguïté de la notion de droit elle-même. 1.1 Le droit Toutes les époques de l'histoire humaine ont été marquées par la divergence dans les conceptions du droit. C'est pourquoi il importe de faire état de la conception positiviste traditionnelle du droit qui a marqué, pourrait-t-on dire, à titre exclusif la discipline juridique québécoise depuis le début du vingtième siècle. Par la suite, nous ferons état de visions plus interdisciplinaires et moins exclusivement étatistes du droit dont l'émergence encore toute récente au Québec, marque un certain tournant des études juridiques liées au développement des politiques. 1.2 La conception positiviste classique du droit Suivant la perspective traditionnelle du positivisme juridique, c'est la contrainte étatique2 qui donne à la règle de droit sa spécificité3. Seule la règle de droit peut faire l'objet 2 Cette idée est presq'universellement reçue par tous ceux qui envisagent le droit dans une perspective positiviste. Elle apparaît souvent comme une évidence. Il suffit, pour s'en convaincre de consulter la plupart des manuels et traités consacrés à l'introduction au droit. Voir notamment: Jean-Luc AUBERT, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, 2e édition, Paris, Armand Colin, 1984, n° 17; Philippe MALINVAUD, Introduction à l'étude du droit - cadre juridique des relations économiques, 4e édition, Paris, Litec, 1986, n° 8; Pour une revue des principaux courants positivistes en droit, voir: Jacques GHESTIN et Gilles GOUBEAUX, Traité de droit civil - Introduction générale, Paris, L.G.D.J., 1983, n° 20 à 34. 3 Jean-Louis Bergel rappelle que «les positivistes soutiennent qu'il n'y a pas d'obligation juridique sans sanction organisée». Pour leur part, note cet auteur, «les partisans du droit naturel le contestent , soutenant qu'il existe des règles de droit sans sanction coercitive et qu'en insistant trop sur la contrainte sociale, o n 7 Droit de l'information et de la communication d'une sanction par les instances étatiques. Ce qui distingue cette règle des autres, c'est en fin de compte l'autorité qui l'impose et la sanctionne. Il est certes de l'essence de toute règle de conduite obligatoire d'être assortie d'une sanction, par exemple, le non-respect des règles de politesse ou de bienséance nous expose à devoir subir la réprobation du milieu dans lequel la transgression a été ressentie. Une telle réprobation n'a cependant qu'un caractère relatif, il s'agit d'une sanction psychologique se manifestant par l'exclusion du groupe ou un sentiment d'inconfort; il y a néanmoins sanction. L'existence d'une sanction n'est pas considérée comme l'élément spécifique de la règle de droit4 car les autres règles de conduite sont également sanctionnées, c'est là le propre de toute règle. La règle de droit bénéficie cependant d'un type bien particulier de sanction, celle à laquelle s'ajoute la contrainte de l'État. Sans doute peut-on trouver parmi les règles juridiques certaines qui ont des fondements moraux, voire même religieux. C'est une coïncidence fréquente puisqu'il y a des situations où les domaines du droit, de la morale ou de la religion se recoupent. Cependant, seule la règle de droit, peu importe qu'elle ressemble ou réitère une règle morale ou autre, s'appuie sur la sanction étatique. 1.3 Les normativités juridiques et les autres ordres normatifs Plusieurs juristes et spécialistes des sciences sociales ont exprimé l'inconfort que l'on ressent en s'en tenant à une vision étatiste du droit. Il n'y a pas que l'État qui élabore des règles qui sont suivies. Dans beaucoup de cas, le droit ne fait que juridiciser les normes existant ailleurs, dans d'autres univers normatifs. La réception par le droit de telles normes initialement conçues en dehors de l'univers juridique, bien qu'elle ne leur enlève pas leur appartenance à une discipline non-juridique, peut être pertinente à l'étude du cadre normatif d'un phénomène ou d'une réalité. Les politiques de communication doivent être mises en oeuvre dans un environnement façonné par les pratiques et comportements des acteurs. On ne peut analyser le cadre juridique dans lequel s'inscrivent les politiques sans tenir compte de l'ensemble de l'activité des définisseurs de normes. Chevallier5 a montré comment l'ordre juridique est «socialisé», c'est-à-dire, comme l'écrit Rocher «structuré et informé par l'ordre social auquel il appartient et dont il est un «sous-ensemble» ou un sous-système»6. Il n'est donc pas étonnant que le droit montre une certaine porosité à l'égard de la production normative émanant d'autres univers et pratiques. Le droit ne possède pas le monopole du discours normatif. Rocher écrit à cet égard que: subordonne trop le droit à l'action des pouvoirs publics, tant en ce qui concerne sa définition que son contenu ou son effectivité». Jean-Louis BERGEL, Théorie générale du droit, Paris, Dalloz, 1985, n° 34 4 En ce sens, voir notamment: Philippe MALINVAUD, Introduction à l'étude du droit - cadre juridique des relations économiques, 4e édition, Paris, Litec, 1986, n° 8. 5 Jacques CHEVALLIER, «L'ordre juridique», dans Le droit en procès, Paris, Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie, P.U.F., 1984, pp. 7-49. 6 Guy ROCHER, «Pour une sociologie des ordres juridiques» (1988) 29 C. de D., 91, à la p.103. 8 Aspects généraux et méthodologiques du droit de l'information Des règles qui ne sont pas juridiques peuvent constituer un discours normatif efficace, comme c'est le cas par exemple, de règles morales ou de traditions hautement respectées. Ces règles non juridiques peuvent même être plus efficaces que les règles juridiques. Mais elles constituent un discours normatif d'une autre nature que le droit7. Cet auteur ajoute que d'un point de vue sociologique, ce qui fait qu'un ensemble de règles appartienne au droit, c'est qu'elles s'intègrent à un ordre juridique, c'est-à-dire un appareil revêtu de certains attributs lui permettant d'imposer le respect de ses décisions. Une telle autorité pouvant trouver sa source à la fois dans la force, la tradition et même le charisme. Or, il existe plus d'un ordre juridique dans une société donnée. Santi Romano dans son ouvrage L'ordre juridique8 a mis en relief l'existence d'une pluralité d'ordres juridiques et a proposé un schéma analytique des différents rapports pouvant exister entre ces différents ordres juridiques9. Cet auteur a mis de l'avant la notion de « relevance juridique» suivant laquelle l'existence, le contenu ou l'efficacité d'un ordre juridique est conforme aux conditions dégagées dans un autre ordre juridique10. Il y a donc des liens étroits entre le droit étatique et d'autres ordres juridiques. Le droit « étatique» explique Rocher11 entretient des rapports avec les autres systèmes juridiques qu'il considère relevants. Par exemple, les systèmes de normalisation volontaires ou techniques sont de ces systèmes; il en va de même pour la déontologie. Cousy relève, après avoir constaté la coexistence de divers systèmes normatifs au sein des sociétés modernes, qu'il existe un va et vient entre le droit et les autres systèmes normatifs. L'observation des relations entre le droit, la religion et la morale montre bien ce phénomène. À certaines époques, le droit intègre des normes ayant leur origine dans la morale ou dans la religion tandis qu'à d'autres périodes de son développement, il montre une tendance à la sécularisation, par exemple en dépénalisant certaines pratiques sexuelles entre adultes consentants ou en décriminalisant l'avortement. Ce qui mène à conclure selon Cousy que « dans la mobilité internormative, il n'y a pas qu'une progression invincible du droit»12. Ce phénomène est important car il permet de rendre compte du phénomène que d'aucuns ont intitulé la « déréglementation» . Du point de vue de l'analyse juridique, ce qu'on désigne par « déréglementation» est le transfert du pouvoir de détermination des droits et des 7 ROCHER, loc. cit., p. 105. 8 Santi ROMANO, L'ordre juridique, traduction française de la deuxième édition de l'«Ordinamento giuridico» par Lucien François et Pierre Gothot, Paris, Dalloz, 1975. 9 S. ROMANO, op. cit., pp. 77 à 163. 10 S. ROMANO, op. cit., p. 106, voir aussi ROCHER, loc.cit., p. 114. 11 ROCHER, loc.cit., p. 114. 12 H. COUSY, «Le rôle des normes non-juridiques dans le droit» dans CENTRE INTERUNIVERSITAIRE DE DROIT COMPARE, Rapports belges au XIe Congrès de l'Académie internationale de droit comparé, Caracas, 29 août - 5 septembre 1982, Bruxelles, Établissements Emile Bruylant, 1982, p. 131. 9 Droit de l'information et de la communication obligations à des acteurs engagés dans une activité. Il y autant de droit après la déréglementation qu'avant; mais il y a moins de droit étatique13. Les acteurs font usage du droit et des autres systèmes de règles. L'un et l'autre des systèmes normatifs recèlent, pour les acteurs et les définisseurs de politiques, un certain nombre de potentialités14 que leurs diverses activités de mobilisation des règles vont permettre d'activer. Ceci étant posé, quelle est la nature de la recherche juridique? 2. Les différents types de recherche juridique Paul Amselek15 écrit que « définir la recherche juridique est une entreprise doublement redoutable en raison des incertitudes qui entourent à la fois la notion de "recherche" et celle de "juridique"». Certes, il n'y a pas de définition absolue de la recherche, toute définition de la recherche est relative et surtout liée à l'usage qui en est fait16. L'on peut toutefois soutenir que les activités de recherche sont celles où un élément de nouveauté ou d'innovation permet de les considérer comme frayant une voie nouvelle. Les activités d'enseignement et de formation professionnelle, qui ont dominé et dominent encore la production des juristes, ne sont pas considérées en tant que telles, comme des activités de recherche. Cependant, il arrive souvent dans le domaine juridique que l'enseignement offre une occasion privilégiée de faire de la recherche et d'en diffuser les résultats. La recherche juridique ne se présente pas comme la recherche scientifique entendue comme la recherche de lois scientifiques. Il peut souvent s'agir de recherche de faits et de données. Très souvent, il s'agira d'efforts afin d'identifier les lignes de cohérence d'un corpus de règles ou de décisions. Amselek distingue deux grands types de recherche juridique: la recherche « épistémologique» et la recherche « opératoire» . Amselek identifie un premier type de recherche juridique: celle qui serait épistémologique, vouée à la recherche sur la recherche juridique elle-même. «Elle se déploie dans une double direction, en vue de fonder à la fois le statut de l'objet de recherche et le statut de l'activité de recherche tournée vers cet objet» 17. Mais c'est surtout au deuxième type de recherche qu'Amselek identifie que l'on peut rattacher la majeure partie de la production des chercheurs juristes québécois. La recherche juridique «opératoire» est celle 13 Sur cette question, voir Michel van de KERCHOVE, «Les différentes formes de baisse de la pression juridique et leurs principaux enjeux» dans Cahiers de recherche sociologique, n° 13, Automne 1989, p. 11. 14 Voir Pierre LASCOUMES et Evelyne SERVERIN, «Le droit comme activité sociale: pour une approche wébérienne des activités juridiques», [1988] 9 Droit et société, 165. 15 Paul AMSELEK, «Éléments d'une définition de la recherche juridique», [1979] Archives de philosophie d u droit, 297. 16 Voir Jean-Paul SPINDLER, «Réflexions sur les définitions de la recherche et du développement», Le progrès scientifique, n° 133, sept. 1969, p. 18. 17 AMSELEK, loc. cit., p. 298. 10 Aspects généraux et méthodologiques du droit de l'information qui se situe «sur le terrain», au premier degré et visant à proposer des réponses aux questions qui interpellent le droit. Cette notion de recherche juridique «opératoire» appelle certaines distinctions supplémentaires. Dans le domaine de la recherche juridique, la distinction, bien connue dans d'autres univers, entre recherche fondamentale et recherche appliquée ne peut être exactement transposée. En droit, il existe plutôt deux ordres assez spécifiques de recherche que l'on peut distinguer en fonction du type de préoccupation du chercheur. Dans certaines démarches, la préoccupation du chercheur sera tout orientée vers les phénomènes, les faits d'activité humaine et les comportements humains en relation avec le droit. L'on sera alors justifié de parler de recherche juridique anthropologique. Dans d'autres démarches, le domaine juridique sera abordé, non pas comme un ensemble de phénomènes ou de manifestations de l'histoire humaine, mais surtout comme un ensemble d'instruments, d'outils, telles les règles de droit, les autres règles de conduite émanant des pouvoirs publics ou de techniques de direction des conduites. Dans ce dernier cas, comme le signale Amselek, le juriste chercheur n'entreprend pas de percer les mystères de l'histoire humaine, il s'attache plutôt à rationaliser les techniques qu'emprunte le droit. «C'est, écrit Amselek, l'homo faber au second degré qui réfléchit sur lui-même, sur son expérience artisanale en matière juridique dans un but intéressé, en quête de perfectionnement, de rationalisation». Dans un tel sens précis, la technologie juridique est la théorie de la technique juridique. La technologie juridique se développe essentiellement dans deux directions. D'une part, des travaux s'attachent «à rationaliser la technique juridique constituante, c'est à dire les modes de fabrication et de diffusion des normes juridiques». C'est en quelque sorte une démarche axée sur la rationalisation des modes de création du droit. D'un autre côté, la technologie juridique peut se donner pour mission de rationaliser la technique juridique constituée, c'est à dire les normes édictées. C'est le domaine de la « dogmatique juridique» ; ce type de recherche, nettement et de loin le plus manifestement dominant dans la production publiée des juristes, consiste comme l'écrit Amselek: [...] à envisager les différents instruments juridiques émis par les pouvoirs publics à la manière d'un dogme et à tâcher de mettre de l'ordre, de la cohérence à l'intérieur de ce dogme en établissant des corrélations entre les différentes parties qui le constituent, en s'efforçant d'éliminer par un commentaire rationnel des textes, les défauts, les diverses contradictions qui peuvent paraître, mais aussi en dénonçant le cas échéant les imperfections irréductibles et en proposant d'autres solutions. Les données sur la recherche juridique sont éparses et fragmentaires. À défaut d'une analyse qui rendrait compte de la recherche juridique en contexte québécois, la catégorisation d'Amselek peut éclairer de quelle façon se répartissent les divers travaux de recherche juridique pertinents aux politiques de communication. Au Québec, ce n'est que de façon très marginale que les chercheurs juristes ont trouvé le temps d'aller en dehors de cette dernière démarche qu'Amselek appelle la dogmatique juridique. Loin de nous la pensée que cette démarche soit dépourvue de 11 Droit de l'information et de la communication quelque légitimité. Pas question non plus de décrier ce type de recherche dont la nécessité demeure, en tout état de cause, omniprésente. Il importe toutefois de garder à l'esprit que ce n'est pas la seule recherche possible sur le droit afférent aux politiques de communications. 3. La recherche juridique dans l'élaboration de politiques de communication Comment s'insère la recherche juridique dans les démarches visant à mieux comprendre les politiques de communication et, le cas échéant, à en formuler d'autres? Très souvent, l'on se représente le droit comme un ensemble indifférencié de codes, de lois et de règlements qu'il suffirait de compiler pour en connaître la portée; cette vision est parfois même reflétée par certains juristes. Cette simplification ne tient pas compte que les instances étatiques n'ont pas toujours le monopole de l'élaboration des normes. L'autre excès est de postuler, souvent à la suite d'une revue superficielle du droit existant, que celui-ci est nécessairement dépassé par les réalités technologiques et les nouvelles situations qu'elles impliquent. C'est oublier que le droit s'adapte souvent rapidement à de nouveaux environnements pour peu qu'il se développe dans un milieu juridique dynamique. L'encadrement juridique constitue l'infrastructure de la régulation étatique des activités de communication. Cet encadrement est fortement tributaire des valeurs, souvent contradictoires, qu'on essaie d'y refléter ou qui s'y reflètent spontanément. La façon dont le cadre juridique est connu n'est pas sans conséquence dans l'élaboration des politiques de communication. La recherche juridique et son produit le plus perceptible, la «doctrine juridique» contribue à élaborer une structure théorique d'un domaine du droit, elle dirige ensuite un regard critique sur les postulats du droit pour éclaircir les valeurs qui y sont reflétées, elle prend position vis à vis l'explication donnée au passé et s'interroge sur le droit à venir18. On observe ici la vocation réformatrice et programmatrice de la doctrine. Minimalement, la recherche juridique permet d'exposer le droit actuel d'une façon cohérente et systématique; c'est une vocation d'organisation. Cette vocation s'ajoute à celle qu'on lui attribue souvent d'intégrer les diverses sources du droit dans un contexte social, soit de vérifier l'efficacité de la norme juridique. La régulation des activités de communication, à l'instar sans doute de la régulation de la plupart des activités complexes, pose des défis considérables. Il y est généralement manifeste que les perceptions de «ce qui est», «ce qui pourrait être» ou «ce qui devrait être» ne correspondent pas les unes avec les autres19. Il est en effet peu probable que les différents acteurs sociaux aient une perception unanime de ce que font les médias et du rôle qu'ils pourraient jouer. L'on attend de l'État qu'il fournisse un encadrement, à tout le moins minimal, pour le déroulement harmonieux des activités de communication. Voilà quelquesunes des raisons pour lesquelles l'activité de communication en général et les médias de 18 Roderick Mac DONALD, «La doctrine : source de droit administratif québécois?», (1983-84) 28 Mc Gill L.J. 340. 19 Bernard GUILLOU et Jean-Gustave PADIOLEAU, La régulation de la télévision, Paris, CNCL, La documentation Française, 1988, p. 44. 12 Aspects généraux et méthodologiques du droit de l'information radio et de télévision en particulier sont partout l'objet d'une régulation étatique20 et que cette régulation est régulièrement source de controverses et de conflits21. Les règles de droit encadrant le déroulement des échanges d'information doivent, plus que jamais, reposer sur des justifications. L'intervention de l'État ne va pas de soi en matière d'information. L'avènement de la liberté d'expression au nombre des principes constitutionnels n'a fait qu'accentuer ce phénomène. Les valeurs qu'on essaie de défendre par le recours au droit forment un ensemble de rationalités qui sont présentes dans les argumentations justifiant les règles de droit et les mesures réglementaires qui sont prises à l'égard des multiples aspects du fonctionnement des activités de communication. L'analyse des dimensions juridiques des phénomènes de communication suppose, au premier chef, d'identifier ces rationalités au nom desquelles l'on pourra voir émerger des demandes afin d'en encadrer certains aspects. Les représentations de la réalité que se font les acteurs et les décideurs, les impératifs dictés par les inquiétudes se développant à diverses époques au sein de ce qu'il est convenu d'appeler «l'opinion publique» jouent assurément un rôle majeur dans l'émergence et la cristallisation de rationalités perçues comme autant de motifs légitimes pour intervenir à l'égard d'une question. Il importe de bien examiner tous ces phénomènes lorsqu'on est en présence d'une question rattachée à l'exercice de la liberté d'expression. L'étude des aspects juridiques de la communication suppose donc d'identifier quelles sont ces rationalités au nom desquelles l'État pourra être appelé à intervenir. Les décisions des autorités publiques en application des politiques de communication peuvent s'exprimer par plusieurs techniques. Nous appelons «techniques de réglementation» les diverses techniques utilisées par ceux qui veulent imposer des normes de conduite à ceux qui prennent part à une activité. C'est en adoptant l'une ou l'autre ou une combinaison de techniques de réglementation que les instances chargées de mettre au point les politiques parviennent à définir et à prévoir les modes d'articulation entre les droits, les obligations et les intérêts des diverses parties impliquées dans la circulation de l'information. Les normes peuvent être formulées de façon prescriptive, à la manière des lois ou règlements, créant des droits subjectifs22 pour les personnes. Par exemple, l'article 5 de la 20 Voir Sydney W. HEAD, World Broadcasting Systems A Comparative Analysis, Belmont, Ca, Walsworth Publishing, 1985, pp. 57 et ss. 21 Pierre TRUDEL, «Les conflits et enjeux juridico-politiques suscités par l'implantation de la télévision à péage», (1981-82) 16 Revue Juridique Thémis, 431. 22 Le droit subjectif peut être défini comme un pouvoir à contenu déterminé et exclusif qui est mis au service d'intérêts de caractère social et exercé par une volonté autonome, créant par là, en sa faveur, un domaine o ù la liberté d'autrui est restreinte. Voir Pierre KAYSER, «Les droits de la personnalité : Aspects théoriques et pratiques», [1971] R.T.D.C. 445, 454 et Jacques GHESTIN et Gilles GOUBEAUX, Traité de droit civil Introduction générale, 2e éd., t.1, Paris, L.G.D.J., 1983, p. 149. 13 Droit de l'information et de la communication Charte des droits et libertés de la personne 23 affirme que «toute personne a droit au respect de sa vie privée». En reconnaissant ainsi des droits aux personnes, la loi leur accorde la possibilité de s'adresser éventuellement aux tribunaux pour faire cesser une atteinte. Une autre façon d'énoncer des normes est de s'en tenir à formuler les objectifs vers lesquels devraient tendre les actions des autorités publiques en certaines matières24. Ainsi, la Loi sur le ministère des Communications25 affirme que le ministre «suscite en cette matière des retombées positives au plan culturel, social et économique.» Au niveau fédéral, dans la Loi sur la radiodiffusion26, le Parlement a prescrit que la programmation de chaque radiodiffuseur devrait être de haute qualité27. Les normes peuvent aussi se développer de façon plus graduelle et imperceptible, à la manière des règles jurisprudentielles. Les solutions apportées à chaque cas permettent, de faire émerger graduellement les principes suivant lesquels les problèmes futurs seront résolus. Dans la mise en oeuvre des politiques de communication, l'on rencontre souvent des règles de type informelles, parfois désignées sous le vocable de «soft law»28. Par exemple, 23 L.R.Q., c. C-12; Sur le droit à la vie privée voir: Patrick A. MOLINARI et Pierre TRUDEL, «Le droit au respect de l'honneur, de la réputation et de la vie privé: aspects généraux et application» dans BARREAU DU QUÉBEC, FORMATION PERMANENTE, Application des chartes des droits et libertés en matière civile, Cowansville, Yvon Blais, 1988, pp. 197 à 231. 24 C'est le cas des «droits sociaux» ou selon l'expression consacrée par la pratique internationale, les «droits économiques, sociaux et culturels». Ces droits se distinguent des droits et libertés classiques en ce que leur existence effective suppose un certain degré d'action étatique. Contrairement aux droits classiques, les droits sociaux ne sont pas considérés comme inhérents à l'être humain. Jean Rivero explique que ces droits n'existent pas à l'état naturel et l'individu ne peut les exercer de sa seule initiative [voir : Jean RIVERO, Les libertés publiques, Paris, P.U.F. coll. Thémis, 1973, p. 104.]. Ainsi, pour que l'individu puisse jouir de l'aide sociale ou de son droit à l'éducation publique, il ne suffit pas que l'État reconnaisse de tels droits, fut-ce dans des textes constitutionnels. Il faut en plus que l'État agisse, mette en place des mécanismes et accepte de consacrer des crédits. Il existe donc une différence de nature significative entre les droits fondamentaux classiques et les droits sociaux. Daniel Proulx dans son article intitulé «La portée de la Charte canadienne des droits et libertés en matière de droits sociaux et collectifs : le cas de l'article 23» dans La Charte canadienne des droits et libertés et les droits collectifs et sociaux, Cahiers de l'ACFAS, n° 18, 1983, p. 55 à la p. 59., explique ainsi la différence : «Les premiers [les droits fondamentaux] sont de véritables droits aussitôt qu'ils sont protégés par la constitution parce qu'ils peuvent être exercés immédiatement par toute personne. Les seconds ne sont pas de véritables droits, du moins au moment où ils sont reconnus. Il s'agit de droits "potentiels" car, au lieu de se tenir à l'écart et de laisser l'individu jouir de ses libertés, l'État doit ici intervenir pour assurer l'exercice du droit social». Ces droits sociaux se présentent donc surtout comme des objectifs à atteindre pour les autorités publiques, à la différence des droits subjectifs, ils ne confèrent pas comme tels de pouvoirs aux personnes qui en sont titulaires. Pour la même démonstration à l'égard du droit à l'information voir : Pierre TRUDEL, «Liberté d'information et droit du public à l'information», dans Alain PRUJINER et Florian SAUVAGEAU (éds) Qu'est-ce que la liberté de presse?, Montréal, Boréal, 1986, pp. 174-184. Aussi, Pierre TRUDEL, Jacques BOUCHER, René PIOTTE et Jean-Maurice BRISSON, Le droit à l'information, Montréal, P.U.M.,1981. 25 L.R.Q., c. M-24, a. 12. 26 L.R.C. 1985, c. B-9, a. 3(d). 27 Voir sur cette question Pierre TRUDEL, «Le standard de programmation de haute qualité dans la législation sur la radio et la télévision», [1989] 34 R. D. Mc Gill 203-233. 28 Voir TADEUSZ - GRUCHALLA WESIERSKI, «A Framework for Understanding Soft Law», [1984] 30 Mc Gill L.J. 37. 14 Aspects généraux et méthodologiques du droit de l'information le problème des stéréotypes sexistes dans les médias ne peut être contrôlé au moyen d'interdictions pures et simples. C'est au phénomène de la répétition des messages sexistes que les mesures cherchent à s'attaquer. Il est alors nécessaire de songer à des techniques de réglementation qui soient propres à rendre compte de ce phénomène. Le «soft law" se caractérise par la grande discrétion qu'il laisse au débiteur de l'obligation pour atteindre certains niveaux acceptables. Bien qu'elles laissent une importante marge d'appréciation à ceux qui sont visés, ces normes produisent des effets souvent comparables à des mesures réglementaires s'avérant moins bien adaptées à certains phénomènes mettant en cause des dimensions informationnelles. Dans le domaine de l'information, l'on s'en remet parfois à la réglementation volontaire29 des entreprises impliquées, ce qui correspond à la technique de l'autoréglementation30. Au Canada, le CRTC a eu recours à cette technique afin de mettre en oeuvre certains éléments de la politique canadienne de radiodiffusion31. Les limites intrinsèques de cette technique ne conviennent pas toujours aux objectifs recherchés. L'autoréglementation suppose un certain degré de consensus et ne saurait comporter d'obligations allant trop directement à l'encontre des intérêts des acteurs. En revanche, il vaut sans doute mieux, dans certains domaines, tirer parti d'un régime autoréglementaire qui fonctionne avec des résultats modestes, que de mettre au point un régime de réglementation étatique lourd et si coûteux qu'il demeurera lettre-morte. Lorsqu'ils ont à mettre en oeuvre des politiques de communication, les Parlements ainsi que les ministères doivent déterminer par quelles techniques les normes relevant de leur compétence seront énoncées. Une législation doit-elle être rédigée de façon large ou prévoir tous les détails nécessaires? Un organisme de réglementation doit-il imposer une 29 Sur le phénomène de l'autoréglementation et des normes volontaires voir Pierre TRUDEL [avec la collaboration de France ABRAN et Martin-François PARENT], La nature et les effets juridiques des normes autoréglementaires, Rapport présenté au Conseil canadien des normes, Montréal, Centre de recherche en droit public, novembre 1988, 39 p. et P. TRUDEL, «Les effets juridiques de l'autoréglementation», [1989] 19 R.D.U.S., 247. 30 L'opportunité de recourir à l'autoréglementation pour remplacer la réglementation étatique des médias a été chaudement discutée en Australie. Voir Michael BLAKENEY, «Leaving the Field - Government Regulatory Agencies and Media Self-Regulation», [1986] 9 UNSW L. J. 53-65; pour le Canada, voir Pierre TRUDEL, Le rôle des standards déontologiques dans le cadre normatif de l'information, Rapport présenté au Congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, Québec, 5 décembre 1986, 14 p. Voir en général sur la réglementation volontaire : Robert F. LEGGET, Les normes au Canada, Étude préparée pour le Conseil économique du Canada et le Conseil des sciences du Canada, Ottawa, Information Canada, décembre 1970; Robert W. HAMILTON, «The Role of Nongovernmental Standards in the Development of Mandatory Federal Standards Affecting Safety and Health», [1978] 56 Texas L.R. 1329; Kyra A. GOIDICH, «The Role of Voluntary safety standards in product liability litigation : Evidence or cause in Fact?», [1982] Insurance Counsel Journal 320; James P. NEELANKAVIL et Albert B. STRIDSBERG, Advertising Self-Regulation : A Global Perspective, New York, Hastings House, 1980; Jean PARDON, «Quelques normes propres au secteur bancaire» dans COMMISSION DROIT ET VIE DES AFFAIRES, Le droit des normes professionnelles et techniques, séminaire organisé à Spa-Balmoral, 16 et 17 Novembre 1983, Bruxelles, Bruylant, 1985; David L. RATNER, «Self-Regulatory Organizations", [1981] 19 Osgoode Hall L. J. 368; Alan C. PAGE, «SelfRegulation : The Constitutional Dimension", [1986] 49 Mod. L. Rev. 141. 31 Voir CONSEIL DE LA RADIODIFFUSION ET DES TÉLÉCOMMUNICATIONS CANADIENNES, Avis Public 1987-205 du 15 septembre 1987, Une démarche à l'égard des normes gérées par l'industrie: un Comité de la radiodiffusion, Avis Public 1987-9 du 9 janvier 1987, Lignes directrices applicables à l'élaboration de normes de l'industrie; Avis public 1988-159 du 22 septembre 1988, Le Conseil canadien des normes de l a radiotélévision. 15 Droit de l'information et de la communication interdiction, par voie réglementaire ou énoncer des conditions de licence? Vaut-il mieux prendre avantage de l'auto-régulation pratiquée au sein de l'industrie? C'est à ce genre de questions que doivent répondre ceux qui ont à élaborer des politiques et les instruments de leur mise en oeuvre. Ce sont là des questions de techniques de réglementation. 4. La connaissance du droit positif dans lequel s'inscrivent les politiques Toute initiative relative aux politiques de communication suppose la connaissance de l'état du droit dans lequel elle va nécessairement s'inscrire; à cet égard, la recherche juridique apparaît comme une nécessité fondamentale, bien que l'on note certaines initiatives axées sur l'élaboration de politiques ayant, à toutes fins pratiques, ignoré la recherche juridique32. Il n'est pas étonnant qu'un bon nombre de commissions d'enquête aient eu tendance à commanditer des travaux de recherche afin de disposer d'une connaissance systématique de l'état du droit existant. Leurs travaux, orientés souvent vers des interventions postulant un changement dans les politiques et les normes pré-existantes, se prêtaient tout naturellement à ce genre de démarche. Mais c'est surtout aux juristes travaillant seuls ou dans le cadre de travaux réalisés pour l'obtention de diplômes universitaires que l'on doit la majeure partie de la production de recherche liée au droit et aux politiques de communication. À cet égard, l'on peut se demander si les ministères ont accordé suffisamment d'attention au suivi de l'évolution des règles de droit dans le champ de leurs activités. Ils comptent pour bien peu, toutes proportions gardées dans la production de recherche juridique. Ils sont à toutes fins pratiques absents des recherches fondamentales, analytiques et interdisciplinaires sur le droit relatif aux politiques de communication. Bien souvent, la recherche juridique commandée par les ministères des communications se limite à des cueillettes de données ou des études très ponctuelles. Rarement la recherche juridique est envisagée dans une perspective qui permettrait de mieux comprendre le rôle et le fonctionnement des techniques de réglementation mises en place afin d'atteindre un objectif des politiques de communication. Ce phénomène tient manifestement à des facteurs attribuables à la conception que l'on se fait du droit dans certains lieux de décision, mais elle tient davantage à la conception dominante du droit que les juristes véhiculent. Il y a en effet plusieurs types de recherche juridique, le milieu juridique québécois en a généralement pratiqué un seul, la recherche suivant une perspective positiviste, à l'exclusion des autres. La connaissance du droit dans une perspective positiviste et étroitement dogmatique fournit évidemment des informations essentielles pour la mise au point de politiques de communication appropriées. En ce sens elle est toujours nécessaire, surtout dès lors que l'on envisage des interventions qui nécessiteront des changements dans les comportements des acteurs, individus ou entreprises. La connaissance positiviste du droit 32 Sans doute le rapport intitulé Les communications au Québec - Bâtir l'avenir, [1982] peut être cité en exemple d'une démarche faisant complètement abstraction des dimensions juridiques. Rarement aura-t-on vu au Québec une entreprise supposément axée sur le développement de politiques qui soit si mal appuyée par de la recherche sur les dimensions juridiques des phénomènes. 16 Aspects généraux et méthodologiques du droit de l'information peut toutefois s'avérer insuffisante. Elle ne rend pas compte des pratiques juridiques et du droit effectivement appliqué. Or, l'on observe souvent des écarts marqués entre le droit énoncé dans les textes officiels ou ailleurs et le droit effectivement appliqué. L'application et l'interprétation du droit comportent également des dimensions multiples dont ne rend pas toujours compte une démarche axée uniquement sur la description du droit étatique en vigueur. 5. Les chercheurs et les lieux de recherche Une constante frappe l'observateur de la scène de la recherche juridique québécoise: elle est généralement le fait d'individus isolés, tantôt des professeurs d'université, parfois des praticiens ayant bien voulu porter à la connaissance de leurs pairs le fruit de leurs réflexions et recherches. La recherche juridique connaît des périodes d'activités plus intenses comme au moment de la querelle constitutionnelle au sujet de la juridiction sur le câble vers la fin de la décennie 1970. Le relevé bibliographique que nous avons effectué à partir de six répertoires bibliographiques spécialisés et l'Index to Canadian Legal Periodicals pour la période 19701989, montre une impressionnante production d'articles publiés dans des revues scientifiques ou professionnelles. Les livres ou les rapports de recherche réalisés au cours de cette période sont moins nombreux, la plupart ont été réalisés à l'occasion de commissions d'enquête ou d'initiatives gouvernementales. Les thèmes dominants de la littérature juridique en droit des communications coïncident le plus souvent avec les préoccupations du milieu juridique ou politique pour certaines questions, cela explique sans doute le grand nombre de travaux sur le droit d'auteur. Les travaux individuels dominent nettement. Sur les quelques deux cents titres de la bibliographie sélective que nous avons établie, plus de 180 sont des travaux réalisés par une seule personne. Cette donnée atteste que le monde dominant de la recherche juridique est le travail individuel. Il y a très peu d'équipes de recherche et encore moins d'équipes interdisciplinaires. Nous avons relevé un peu plus d'une vingtaine de travaux signés par plus d'un auteur. L'immense majorité des travaux recensés sont le fait d'individus travaillant la plupart du temps seul ou ayant parfois rempli des mandats de recherche. Outre les thèses et mémoires sur la propriété intellectuelle, relativement nombreuses, il y a peu de travaux d'étudiants orientés vers d'autres aspects du développement des politiques. Si l'on fait abstraction du droit de la propriété intellectuelle, l'enseignement en droit des communications est à toutes fins pratiques absent du programme des facultés de droit33 et des écoles de communication34, on ne se surprendra pas d'observer une relative 33 Seule la Faculté de droit de l'Université de Montréal offre un enseignement optionnel régulier en droit de l'information et de la communication au niveau du baccalauréat en droit. La Faculté de droit de l'Université de Sherbrooke offre un cours de droit des mass médias. 34 Certains programmes des départements de communications ou de journalisme n'offrent qu'un cours en droit. Plusieurs n'ont aucun cours de droit à leur programme. Le Québec semble faire exception à un bon nombre d'États occidentaux où les programmes d'études en communication incluent, parfois de façon dominante, la dimension juridique. 17 Droit de l'information et de la communication rareté des manuels et autres travaux de base dont le développement nécessite l'existence d'une demande viable. On a quand même pu observer une activité de recherche concertée sur le droit et les politiques de communication au Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal et pendant un certain temps au Laboratoire de justice administrative de l'Université Laval. Au début des années 1970, la Faculté de droit de l'Université de Sherbrooke avait un programme de recherche en droit des communications. Toutefois, seul le Centre de recherche en droit public a été en mesure de maintenir en place, depuis le début des années '70, une équipe de recherche menant de façon continue des travaux sur divers aspects du droit relatif aux politiques de communications. Il faut aussi mentionner l'activité de l'Institut de droit aérien et spatial de l'Université Mc Gill qui a donné lieu à plusieurs travaux importants principalement sur les aspects du droit des communications ayant trait à l'espace. Dans certains pays, les entreprises investissent dans la recherche sur les techniques de réglementation. Au Québec, les entreprises de communication n'ont généralement pas trouvé utile de commanditer ou d'appuyer des initiatives significatives de recherche sur la réglementation. Cela est étonnant lorsqu'on connaît les multiples récriminations de certains au sujet des difficultés engendrées par la réglementation. On aurait en effet été en droit de s'attendre à quelque effort afin de substantier les affirmations souvent réitérées, rarement vérifiées, au sujet des inconvénients découlant des techniques réglementaires utilisées dans certains secteurs d'activités. Quant aux ministères des Communications, ils ont généralement eu tendance, surtout au cours des années récentes, à se contenter de travaux ponctuels nécessités par des impératifs définis exclusivement par des préoccupations à court terme. Il n'y a pas de véritable programme de recherche orienté vers le développement d'une capacité et d'une expertise québécoise de recherche en droit des communications. Il y a quand même des situations où les efforts publics afin de favoriser l'émergence d'une doctrine juridique québécoise portant sur certaines questions ont permis de conforter la position québécoise. Par exemple, le Service de la propriété intellectuelle et du statut de l'artiste du ministère des Affaires culturelles du Québec a suscité l'émergence de réflexions proprement québécoises dans un champ jusque là plutôt ignoré dans la doctrine juridique québécoise. Cela a préparé le terrain à des interventions, attendues depuis longtemps en certains milieux, sur le statut des artistes et la protection des droits des interprètes. À l'égard des technologies de l'information, le service Droit et technologies de l'information du ministère des Communications du Québec joue le rôle de susciter l'émergence et le développement de la doctrine juridique québécoise dans ce champ. Malgré certaines initiatives ponctuelles, on ne trouve pas de préoccupations semblables dans le domaine des médias pour lequel le ministère s'est pourtant doté d'une forte expertise en recherche économique. 18
© Copyright 2024