Histoire de Chicoutimi - Les Classiques des sciences sociales

Russel Aurore Bouchard
citoyenne libre et historienne professionnelle,
Chicoutimi, Ville de Saguenay (1948 - )
(1992)
Histoire de Chicoutimi
Volume 1er
LA FONDATION
1842-1893
Un document produit en version numérique par Diane Brunet, bénévole,
Diane Brunet, bénévole, guide, Musée de La Pulperie, Chicoutimi
Courriel: [email protected]
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Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi
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Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
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Fondateur et Président-directeur général,
LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
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Cette édition électronique a été réalisée par mon épouse, Diane Brunet, bénévole, guide retraitée du Musée de la Pulperie de Chicoutimi à partir de :
Russel Aurore Bouchard
Histoire de Chicoutimi.
Volume 1er. La fondation 1842-1893.
Chicoutimi-Nord : Russel Bouchard, à compte d’auteur, 1992,
241 pp.
[Autorisation formelle accordée par l’auteur le 22 septembre 2005 de diffuser
ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]
Courriel : Russel-Aurore Bouchard : [email protected]
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Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word
2008 pour Macintosh.
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Édition numérique réalisée le 18 mars 2015 à Chicoutimi, Ville
de Saguenay, Québec.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
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Russel Aurore Bouchard
citoyenne libre et historienne professionnelle,
Chicoutimi, Ville de Saguenay (1948 - )
Histoire de Chicoutimi.
Volume 1er. La fondation 1842-1893
Chicoutimi-Nord : Russel Bouchard, à compte d’auteur, 1992,
241 pp.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
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Histoire de Chicoutimi. La fondation 1842-1893.
QUATRIÈME DE COUVERTURE
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Le 24 août 1842, Peter McLeod junior, métis né d'une mère montagnaise et d'un père écossais, débarque à l'embouchure de la rivière
du Moulin pour construire une scierie. Accompagné de sa femme et
de son fils, John, et assisté de 23 hommes recrutés parmi ses meilleurs
ouvriers de la Rivière-Noire, le groupe entreprend de jeter les bases
d'une communauté permanente — Chicoutimi —qui deviendra la plus
importante de tout le Saguenay. Sans égard aux épreuves qu’ils auront
à surmonter, les travailleurs commencent donc par installer l'usine,
s'attaquent au riche couvert forestier et utilisent le bois rebuté pour
construire leurs habitations. Dirigés d'une main de fer par le métis
bien décidé à s'imposer par la seule force des poings, la jeune population devra vivre sous un véritable joug de terreur qui prendra fin avec
la mort de McLeod, à l'automne 1852. C'est de cette épopée captivante
dont il est fait question dans cet ouvrage.
L'auteur de ce volume, Russel Bouchard, fait justement partie de
cette histoire fort prenante. Chicoutimien pure laine, né le 4 octobre
1948 dans la paroisse de Sainte-Anne, cet historien bien connu dans la
région, possède plusieurs points communs avec le fondateur de sa
ville. Lui aussi, fortement métissé montagnais, d'ascendance écossaise
par son ancêtre traiteur de fourrures, James McKenzie, et comptant
parmi ses aïeuls nul autre que le fier-à-bras de McLeod, Michel
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
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Tremblay dit «Gros Micho», il est sans aucun doute l'historien qui
avait le plus de raisons d'écrire le récit de la fondation de sa ville; et il
l'a fait d'une main de maître. Russel Bouchard, à l'aide de textes et
d'illustrations d'époque judicieusement choisis, fait dérouler devant
son lecteur le film des principaux événements qui président à la naissance de Chicoutimi. Pour les habitués des lieux, ce sera là un merveilleux rappel. Quant aux autres, ils y trouveront une leçon d'histoire
à la fois concise, fascinante et magistrale…
Raoul Lapointe
MSLS
ISBN 2-921101-08-4
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
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[ii]
Cette publication a été réalisée dans le cadre des fêtes du 150e anniversaire de la fondation de la ville de Chicoutimi
Illustration de la page couverture : « Le métis. Peter McLeod, junior, par Théophile Hamel »
Courtoisie, Archives nationales du Canada
Maquette de la page couverture, typographie et montage: Russel
Bouchard
Correction des textes: Madeleine Bouchard et Raoul Lapointe
Assistants de recherche: Sylvain Gaudreault et Jean-François Hébert
© 1992, Russel Bouchard, Chicoutimi-Nord, Québec, Canada
ISBN 2-921101-08-4
Dépôt légal: 1er trimestre 1992
Bibliothèque Nationale du Québec
Bibliothèque Nationale du Canada
Tous droits réservés.
La reproduction d'un extrait quelconque de ce livre, par quelque
procédé que ce soit, tant électronique, informatique que mécanique, en
particulier par photocopie, est interdite sans l'autorisation écrite de
l'auteur.
Imprimé aux presses de l'Imprimerie Gagné, à Louiseville.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
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[iii]
Une communauté qui a oublié son passé et qui n'a
pas su conserver son patrimoine historique,
ressemble à un être amnésique qui n'est
plus capable de retrouver son foyer
le soir venu.
R.B.
[iv]
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
[v]
Table des matières
Quatrième de couverture
Liste des sigles utilisés [VII]
Liste des illustrations [VIII]
Préface [7]
Introduction [9]
Chapitre 1
Le milieu et les hommes avant l'entreprise coloniale [13]
Le milieu physique et humain [15]
Rencontre de deux cultures: les premiers contacts [18]
Le poste de traite: grandeur et décadence [21]
L'ouverture du Saguenay à la colonisation: 1838-1842. [28]
Chapitre 2
Les années McLeod, 1842-1852 [33]
L'association Price et McLeod [35]
Construction de la scierie de la rivière du Moulin : les chantiers de l'hiver 1843
[40]
La scierie de la rivière Chicoutimi [46]
Cadastrage et arpentage du canton Chicoutimi [51]
Proclamation de la «municipalité» et du «canton» Chicoutimi [58]
Début de l'organisation religieuse: construction de la chapelle de Rivière-duMoulin [62]
Le duel McLeod-Honorat s'amplifie : la fondation du Grand-Brûlé [67]
La nomination du curé Jean-Baptiste Gagnon [73]
La mort de McLeod [78]
9
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
Chapitre 3
La formation du village, 1852-1879 [85]
La transformation du noyau urbain : proclamation du village [87]
Récupération des fonctions administratives [94]
L'équipe fondatrice [96]
Chicoutimi brûle: les feux de 1856, 1858 et 1870 [111]
L'organisation de la justice: du régime des fiers-à-bras à la création du district
judiciaire de Chicoutimi [114]
Élaboration du premier réseau de communications [122]
La colonisation de la rive nord du Saguenay [137]
La restructuration religieuse : fondation du diocèse de Chicoutimi [145]
Le raffermissement du réseau scolaire [158]
Chapitre 4
L'incorporation de la ville, 1879-1893 [175]
Le réajustement de l'économie [177]
Création de la «ville», 1879 [188]
Chicoutimi en 1882 : l'arrivée de Mgr Eugène Lapointe [190]
La Société de Colonisation de la ville de Chicoutimi [195]
L'organisation du premier corps de sapeurs-pompiers [202]
Les débuts de la médecine au Saguenay : l'Hôpital de la Marine [204]
Les premières publications et Le Progrès du Saguenay [210]
L'instruction publique à la fin du XIXe siècle [215]
La nouvelle société chicoutimienne à l'aube des années 1890 [220]
Conclusion [227]
Index [231]
10
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
[vii]
Liste des sigles utilisés
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ANQC: Archives Nationales du Québec à Chicoutimi
ANQQ: Archives Nationales du Québec à Québec
DSC:
Documents de la Session du Canada
DSQ:
Documents de la Session du Québec
JPS:
Fonds Jean-Paul Simard
PUQ:
Presses de l'Université du Québec
SHS:
Société historique du Saguenay
UL:
Université Laval
***
11
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
[viii]
Liste des illustrations
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Fig. 1.
La chute de la rivière Chicoutimi. p. 18.
Fig. 2.
Carte des installations du poste de traite de Chicoutimi, en 1748. p. 24.
Fig. 3.
William Price. p. 36.
Fig. 4.
Peter McLeod, junior, p. 37.
Fig. 5.
Voiliers mouillant devant la rade de Chicoutimi, vers 1882. p. 42
Fig. 6.
Installations industrielles du Bassin, à la fin du XIXe siècle, p. 47.
Fig. 7.
Plan des installations du Bassin, en 1845. p. 53.
Fig. 8.
Piton, p. 56.
Fig. 9.
Le village de Chicoutimi, au milieu du XIXe siècle, p. 68.
Fig. 10. Le curé Jean-Baptiste Gagnon. p. 74.
Fig. 11. La maison du fondateur Peter McLeod, junior, p. 79.
Fig. 12. David McLaren, p. 90.
Fig. 13. Le secteur ouest du village de Chicoutimi. p. 97.
Fig. 14. La mi-carême, p. 103.
Fig. 15. Johnny Guay. p. 109.
Fig. 16. Jean Dechêne. p. 116.
Fig. 17. Le premier palais de justice de Chicoutimi. p. 119.
Fig. 18. Le premier quai de Chicoutimi. p. 124.
Fig. 19. Le St-Anne. p. 129.
Fig. 20. L'embouchure de la rivière du Moulin, p. 135.
Fig. 21. Peter McLeod, senior, p. 138.
Fig. 22. Scène pastorale à Sainte-Anne. p. 141.
Fig. 23. La chapelle du père Laure. p. 146.
Fig. 24. Mgr Dominique Racine, p. 149.
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Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
Fig. 25. Plan du secteur épiscopal, en 1876. p. 153.
Fig. 26. La première cathédrale de Chicoutimi. p. 155.
Fig. 27. Le premier évêché de Chicoutimi. p. 157.
Fig. 28. Le premier couvent des sœurs du Bon-Pasteur, p. 163.
Fig. 29. Le premier séminaire de Chicoutimi. p. 168.
Fig. 30. Plan de l'arrondissement épiscopal, en 1880. p. 171.
Fig. 31. Les installations industrielles du Bassin, à la fin du XIXe. p. 180.
Fig. 32. Jean-Baptiste Petit, p. 183.
Fig. 33. Le magasin Tessier & Petit, p. 183.
Fig. 34. Une partie du Bassin, côté ouest de la rivière, p. 189.
Fig. 35. Chicoutimi, en 1897. p. 194.
Fig. 36. L'abbé Ambroise Fafard. p. 196.
Fig. 37. Le boulevard de la Rivière-du-Moulin. p. 201.
Fig. 38. L'Hôpital de la Marine, p. 205.
Fig. 39. L'embouchure de la rivière du Moulin, p. 209.
[6]
13
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
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[7]
Histoire de Chicoutimi. La fondation 1842-1893.
PRÉFACE
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En 1992, la population de Chicoutimi fête ses 150 ans d'histoire.
Inévitablement, les manifestations sont tournées vers le sentiment
d'appartenance et la fierté d'être un citoyen, une citoyenne de cette
communauté. Mais voilà aussi une bonne occasion de faire un bilan,
de prendre conscience de nos origines, de nos racines et de regarder
les valeurs et les motivations qui ont guidé les pionniers.
Dans ces années difficiles de crise économique qui viennent briser
le charme du confort de la vie quotidienne, dans cette période de recherche de l'identité nationale, il est encore beaucoup plus important
de retourner aux sources mêmes de l'histoire et de s'en inspirer. Rappelons simplement, qu'au moment même où le groupe de Peter
McLeod venait «fonder» Chicoutimi, le Bas-Canada —le Québec—
se relève à peine d'une grave crise politique et économique. Les révoltes des années 1837-1838 et la misère qu'a connue la population
sont encore fraîches dans la mémoire collective. Là aussi, il fallait
composer avec un quotidien rempli d'embûches.
La présente publication coïncide parfaitement avec ces moments
de remise en question. L'histoire d'une ville ce n'est pas simplement le
récit d'une suite d'événements, d'une énumération simple de personnalités qui ont marqué le pas du développement de cette société. Mais
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
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c'est avant tout celle des hommes et des femmes qui mettent en place
des structures économiques et politiques, qui fondent des institutions
et provoquent le cours de l'évolution.
[8]
À Chicoutimi, l'esprit d'entreprise, la ténacité à affronter les obstacles du développement et la perspicacité sont les principales caractéristiques des bâtisseurs. Ville et terre prometteuses pour le Québec des
régions, nos pionniers marqueront un pas de plus dans le peuplement
et l'occupation du territoire du Saguenay—Lac-Saint-Jean. Cette histoire, c'est aussi celle de la mise en place d'une société organisée dont
les bases industrielles et les institutions en font rapidement la capitale
régionale. Avec cet ouvrage, le lecteur sera en mesure de voir cette
lente évolution du progrès et pourra donner aux Chicoutimiens et Chicoutimiennes ce sentiment d'appartenance à son milieu. L'auteur, professionnel tant par formation que par ses nombreux écrits, a su très
bien cerner la trame de l'histoire de cette période des pionniers. Quel
courage il a déployé à sélectionner dans l'imposante masse documentaire les éléments essentiels à son récit. Le lecteur saura se retrouver et
puiser les fondements même de notre société. Je laisse donc aux profanes et aux experts de psychanalyser, d'examiner en détail ou globalement, l'œuvre de Russel Bouchard.
Laurent Thibeault
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
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[9]
Histoire de Chicoutimi. La fondation 1842-1893.
INTRODUCTION
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En 1971, lors de la parution du volume «Chicoutimi, poste de
traite», un différend pour le moins intempestif avait opposé les abbés
historiens, Lorenzo Angers et Victor Tremblay, à propos de la date de
fondation de la ville et de l'identité de son fondateur. À l'époque, cette
controverse historiographique d'une ampleur inhabituelle, avait attiré
l'attention de toute la communauté régionale et avait même fait la une
des principaux journaux. Le premier des protagonistes, l'abbé Angers,
auteur bien innocent de l'œuvre «hérétique», faisait alors remonter les
débuts de la ville à l'année 1676 et attribuait à Charles Bazire,
l'insigne honneur d'avoir établi un poste de traite à l'embouchure de la
rivière Chicoutimi. Le second pour sa part, choqué par les déclarations
de l'auteur — et probablement par son succès — était passé violemment à l'attaque en tentant de démontrer maladroitement que la ville
avait été fondée le 24 août 1842 par le métis; en voulant proclamer
son «évangile», Mgr Victor argumentait faiblement, qu'à l'époque on
disait le poste de Chicoutimi et non pas le poste Chicoutimi; pour lui
Chicoutimi ne signifiait rien de plus que la fin des eaux profondes et
que le poste de traite n'avait rien de commun avec la ville actuelle...
Vingt ans plus tard, alors que la population est aux prises avec
l'une des pires crises économiques de son histoire et alors que la municipalité se prépare à fêter le 150e anniversaire de sa fondation, la
question reste toujours d'actualité malgré le décès des deux polémistes. Sans être virulents et situés à un niveau [10] plus civilisé, les
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
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détracteurs de la manifestation culturelle tentent plutôt de tirer profit
du quiproquo historique afin d'éprouver la pertinence d'organiser une
telle fête en cette époque troublée et difficile. Quoi penser de tout cela ?
Cela ne fait aucun doute, sur un plan strictement de la géographie
historique, Chicoutimi possède de toute évidence des bases profondes
et puissantes qui justifient sa fondation et expliquent son rôle de capitale sur l'échiquier régional. Située stratégiquement aux confluents des
rivières Saguenay et Chicoutimi, elle possède sur son territoire, l'un
des plus anciens sites d'occupation humaine qui remonte à environ
3 000 ans de notre ère. C'est à cet endroit également, qu'en 1671,
avant même que les trafiquants de fourrures aient établi un plan structuré de la pénétration du territoire, les propriétaires de la Traite de Tadoussac décidaient de venir construire la première habitation blanche
en sol sagamien. Quelques années plus tard, vers 1750, les Jésuites
tentèrent de tirer profit des ressources hydrauliques et forestières locales et construisirent à la chute de la rivière du Moulin, la première
structure industrielle de toute l'histoire de notre région.
À l'été 1842, année qui correspond à notre avis à la fondation strictement civile et industrielle de la municipalité, le métis Peter McLeod
et le britannique William Price s'associaient pour construire une première scierie à la rivière du Moulin et fonder un premier noyau urbain. Fortement encouragés par les succès de ce premier établissement, l'année suivante, ils poursuivirent leur conquête du territoire et
entreprirent de construire au Bassin, tout près des installations de la
Compagnie de la Baie d'Hudson, une autre scierie qui deviendra la
plus importante du Saguenay. À partir de ce moment, Chicoutimi
entre par la grande porte dans la deuxième étape de son histoire. Cette
véritable épopée, digne des plus grandes fresques historiques, sera désormais intimement liée à celle de l'industrie forestière toute entière et
à celle de notre région. C'est de cette époque de fondation dont il est
fait question dans cette étude.
Premier volume d'une série de trois, l'histoire débute en fait à l'embouchure de la rivière du Moulin. Elle met en présence [11] des
hommes et des femmes dotés d'une forte trempe, des individus pour la
plupart totalement démunis sur le plan matériel mais fermement décidés à se forger une nouvelle patrie. Pendant un demi-siècle, de 1842 à
1893, ces gens, animés d'un esprit fondateur, défrichent la forêt, cons-
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
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truisent des maisons, créent des institutions et mettent en place les
premières structures administratives qui vont faire de Chicoutimi, la
capitale politique et le centre administratif du Saguenay—Lac-SaintJean.
Au cours des dix premières années de la «fondation», la population
vit sous un véritable joug de la terreur et ne peut se libérer de l'étreinte
oppressante qui la lie au «fondateur», Peter McLeod, junior. Grâce à
sa police de fiers-à-bras, l'homme, un métis né d'une mère montagnaise et d'un père écossais, réussit à maintenir une autorité incontestée à travers tout le territoire circonscrit entre la Baie des Ha! Ha! et le
lac Saint-Jean.
Le Haut-Saguenay restera profondément marqué par ce personnage
à la fois fascinant, craint et détesté. Après la mort mystérieuse du métis, à l'automne 1852, la population de Chicoutimi, enfin libérée de ses
fers, peut désormais aspirer à des jours meilleurs. Le monopole établi
autour du secteur commercial et industriel, qui avait été jusqu'alors
une des grandes prérogatives du tandem Price — McLeod, disparaît.
À partir de ce moment, la localité connaît un essor fulgurant; le commerce se développe et se diversifie, le village s'urbanise et conquiert
son statut de ville, les services administratifs se multiplient, bref, Chicoutimi conquiert graduellement son titre de capitale et de métropole
régionales. Cette période de fondation prendra fin en 1893, avec l'arrivée du chemin de fer à son terminus, en plein cœur de la ville.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
[13]
Histoire de Chicoutimi.
La fondation 1842-1893.
Chapitre 1
Le milieu et les hommes
avant l’entreprise coloniale
Retour à la table des matières
[14]
19
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
20
[15]
Le milieu physique et humain
Retour à la table des matières
À travers l'histoire de l'Amérique du Nord toute entière, le mystérieux royaume du Saguenay occupe une place privilégiée dans la pensée et les démarches des premiers explorateurs. Découverte officiellement par Jacques Cartier, lors de son second voyage en Canada,
cette région aussi vaste qu'un pays a été, pendant plus de trois siècles,
maintenue à l'extérieur du circuit de colonisation. Pendant tout ce
temps, la rivière et les territoires qui la bordent conservent jalousement leurs secrets. Les interdits autochtones et métropolitains qui en
bloquent l'accès contribuent, de surcroît, à alimenter toutes sortes de
légendes à son égard.
Physiquement, le pays du Saguenay se caractérise d'abord par le
fjord, ce bras de mer sinueux, large d'environ deux kilomètres et s'étirant sur près de cent. Ce véritable fleuve traverse une contrée montagneuse recouverte principalement d'une forêt de conifères, parsemée
d'innombrables bouquets de feuillus aux essences diversifiées. Il tire
son nom de deux mots empruntés à la langue montagnaise: saga et
nipi, mots signifiants «eau qui sort» de terre, et «d'où l'eau sort». 1
[16]
Les limites géographiques de cette région baptisée pompeusement
par nos premiers historiens de «Royaume du Saguenay», n'ont pas
toujours été immuables. A l'époque préhistorique, elle constitue l'un
des axes principaux d'un vaste réseau d'échanges commerciaux intertribaux qui s'étend au-delà des frontières actuelles de la province de
Québec. Si nous nous référons aux voyages de Jacques Cartier, ce Saguenay préhistorique fait partie d'une contrée beaucoup plus vaste
qu'aujourd'hui et comprend un ensemble de tribus disséminées dans
1
Victor Tremblay, «Le Royaume du Saguenay», Saguenayensia, novembredécembre 1975, pp. 124-126.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
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l'immense territoire circonscrit entre le fjord, les Grands Lacs et le
nord du fleuve Saint-Laurent. 2
À l'époque des premiers contacts, les rives du Saguenay sont fréquentées par des bandes de chasseurs amérindiens de souche algonquine: les Montagnais. Ces primitifs mènent une vie principalement
nomade et se retrouvent périodiquement, selon une tradition bien établie, dans des lieux de rencontre — des «foires»— dont l'embouchure
de la rivière Chicoutimi 3 constitue l'un des pivots les plus anciens.
Vers la Côte-Nord du Saint-Laurent, entre Tadoussac et Sept-Iles,
ce sont les Papinachois. Au centre, sur les bords de la rivière Saguenay et ses affluents, habitent les Chicoutimiens. Le Lac-Saint-Jean,
pour sa part, est le domaine des [17] Piékouagamiens, ou encore des
Kakouchaks 4 nom signifiant porc-épic. Enfin, entre la rivière Ashuapmushuan et la baie d'Ungava vivent les Nekoubauistes, les Mistassins et les Naskapis. Tous parlent une langue commune et font partie de la grande famille linguistique montagnaise. 5
L'occupation précoce de l'embouchure de la rivière Chicoutimi remonte probablement au troisième millénaire avant notre ère. 6 L'ana2
3
4
5
6
J.-Camille Pouliot. La Grande aventure de Jacques Cartier, «Relations de 1534 et
1535-36», Québec, 1934, pp. 115-116; Michel Bideaux, Jacques Cartier, Relations, P.U.M., 1986, pp. 459-460; Russel Bouchard, Le Saguenay des fourrures, Chicoutimi, 1989, pp. 13-29.
Selon le père Babel, O.M.I., le nom de «Chicoutimi» provient de la langue montagnaise et a été tiré de deux mots «tcheko» qui veut dire «enfin», et «timi» qui
veut dire «profond». L'explication généralement admise cependant, attribue ce
toponyme à la langue cris («Ishks» qui veut dire «jusque-là», et «timew»,
qui veut dire «c'est profond») et se traduit par «Jusqu'où c'est profond». Cf.,
Léonidas Bélanger, «Le nom de "Chicoutimi"», Saguenayensia, septembredécembre 1963, pp. 129-133; P.-G. Roy, Les noms géographiques de la province
de Québec, Lévis, 1906, pp. 130-131.
Selon le père Albanel, le mot «Kakouchac» ou «Kak8chas», provient du mot
«Kakou, qui en leur langue signifie porc-épic», Relations des Jésuites, Éditions du
Jour, Relation de 1672, p. 44.
V. Tremblay, Histoire du Saguenay, depuis les origines jusqu'à 1870, La
Librairie Régionale, Chicoutimi, 1968, pp. 95-114.
Claude Chapdeleine, «Les Iroquoiens de la province de Canada au
Royaume du Saguenay: alliances, foires ou diaspora à Chicoutimi», Saguenayensia, octobre-décembre 1985, pp. 176-180. D'ailleurs, les dernières découvertes archéologiques menées à l'embouchure du Saguenay, tendent de plus en
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
22
lyse récente des vestiges archéologiques exhumés aux alentours du
site du poste de traite de Chicoutimi qui s'ajoutent aux dernières découvertes relatives à ce lieu, y établissent même une présence iroquoienne importante. Un groupe de chercheurs en archéologie rattaché à l'Université du Québec à Chicoutimi démontre que le Saguenay—Lac-Saint-Jean a connu des échanges soutenus entre les Iroquois
laurentiens et les Hurons des Grands Lacs. 7
Fig. 1. La chute de la rivière Chicoutimi, telle qu'elle se présentait avant l'arrivée de la grande industrie. Photo: coll. Yvan Gauthier, Chicoutimi.
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7
plus à démontrer qu'avant 1534, les Iroquoiens du Saint-Laurent avaient un territoire beaucoup plus étendu que l'Ile-aux-Coudres et que ce territoire atteignait même
la péninsule gaspésienne: cf., Michel Plourde, « Un site iroquoien à la confluence du
Saguenay et du Saint-Laurent au XIIIe siècle », Recherches amérindiennes au
Québec, vol. XX, no 1,1990, pp. 47-62.
Moreau, Langevin et Verreault, « Assessment of the ceramic evidence for
woodland-period cultures in the Lac-Saint-Jean area, eastern Quebec », Man
in the Northeast, number, 41, Spring 1991, pp. 33-64.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
23
Selon Claude Chapdelaine, un chercheur rattaché au département
d'Anthropologie de l'Université de Montréal, le site de Chicoutimi a
connu trois grandes périodes d'occupation préhistorique. La première
occupation, fort ancienne, date du [18] Sylvicole inférieur (environ 3
000 ans avant notre ère) et pourrait même remonter à l'Archaïque récent (environ 5 000 ans avant notre ère); au cours du Sylvicole supérieur (1 000 ans de notre ère), cette sorte d'âge d'or de la préhistoire de
Chicoutimi fut interrompu par une période de déclin qui va s'échelonner jusqu'à l'époque de la découverte de l'Amérique; enfin, vers 1450
de notre ère, le site connaît à nouveau une recrudescence de l'activité
humaine, mais cette ère d'occupation qui s'étire sur près d'un siècle et
demi, apparaît aussi dense que complexe. 8
Rencontre de deux cultures:
les premiers contacts
Retour à la table des matières
L'histoire du Saguenay commence donc avec sa découverte par
Jacques Cartier, lors de son second voyage. Le premier septembre
1535, le «découvreur» du Canada jette l'ancre dans la rade de Tadoussac. Dans sa Relation, Cartier décrit l'entrée du fjord comme une rivière profonde, bordée de montagnes de [19] pierre nue où croissent
«grande quantité d'arbres». 9 Pour une raison ou pour une autre, il n'y
pénétrera pas!
C'est Samuel de Champlain qui sera le premier à oser s'y aventurer.
Le 11 juin 1603, il brise la tradition en pénétrant jusqu'à une distance
de «quelque douze ou quinze lieues» mais rebrousse chemin un peu
avant l'actuel village de Sainte-Rose-du-Nord. Tout comme l'avait fait
remarquer Cartier, près de trois quarts de siècle auparavant, Champlain constate que toutes ces terres «ne sont que montaignes de rochers la pluspart couvertes de bois de sapins, cyprez & boulle [bou-
8
9
C. Chapdelaine, op. cit., pp. 176-177.
J.-C. Pouliot, op. cit., p. 65.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
24
leau] » 10 Cherchant vivement un emplacement pour établir une colonie, il qualifie Y endroit de véritable désert et y voit peu d’avantages.
Malgré cette petite incartade de Samuel de Champlain à l'intérieur
du Saguenay, le mystère reste entier quant à la possibilité qu'il ait pu
se rendre, un jour ou l'autre, jusqu'à l'embouchure de la rivière Chicoutimi. Une lecture attentive de son premier récit portant sur la «Rivière du Saguenay & son origine», tend plutôt à démontrer qu'il ne
s'est pas rendu au terme des eaux navigables et ce qu'il savait des environs de Chicoutimi provenait de ses guides autochtones. 11
Cependant, les rencontres saisonnières qui s'effectuent à Tadoussac
entre pêcheurs de morue et Amérindiens à partir du milieu du XVIe
siècle, auront comme conséquence immédiate de modifier profondément le comportement sociologique des deux groupes ethniques en
présence. Rapidement, la tradition d'un commerce régulier s'implante.
Au fur et à mesure que se développe le marché du castor, des monopoles s'établissent. Dans ce nouveau contexte, la position géographique particulière de Chicoutimi et de Métabetchouan confère à ces
lieux une importance capitale qui s'accentuera à la faveur des guerres
tribales meurtrières et dévastatrices.
[20]
Pendant plusieurs années, les Montagnais de Tadoussac s'occupent
à défendre jalousement l'exclusivité de la traite en ces contrées et établissent à l'entrée du fjord une véritable « chasse-gardée ». Pour préserver leur monopole ils exercent une surveillance très serrée du territoire, décourageant même les trafiquants et les missionnaires de
s'aventurer à l'intérieur des terres, dans les régions du Saguenay et du
Lac-Saint-Jean. 12
Ainsi, jusqu'en 1647, aucun Blanc n'est en mesure de remonter la
grande rivière Saguenay. C'est le jésuite Jean Dequen qui brisera la
tradition, le 11 juillet de cette année-là, lorsqu'il ira rencontrer les In10
11
12
Oeuvres de Champlain, présenté par Georges-Émile Giguère, Éditions du
Jour, Montréal, 1973, vol. 1, pp. 68-69, 84-85.
Ibid.
Jean-Paul Simard, «Les Amérindiens du Saguenay avant la colonisation
blanche», dans Simard, Pouyez et Lavoie, Les Saguenayens, P.U.Q., 1983,
pp. 67-77; R Bouchard, Le Saguenay des fourrures, op. cit., pp. 33-78.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
25
diens du Lac-Saint-Jean. Dans sa Relation de voyage par contre, le
missionnaire ne fait aucunement allusion à l'existence d'un établissement au confluent des rivières Chicoutimi et Saguenay. Tout au plus
se borne-t-il à noter que l'endroit sert de lieu de passage permettant
d'atteindre le lac Saint-Jean. 13
L'année suivante, Dequen entreprend un autre voyage au LacSaint-Jean, sans toutefois réussir à atteindre son objectif. Rendu à michemin —probablement à la hauteur de l'embouchure de la rivière
Chicoutimi— il apprend que les Montagnais des terres lointaines sont
déjà partis et qu'il lui sera impossible de les rattraper. N'insistant pas
devant ces témoignages, il se limite à donner les secours de la foi aux
quelques résidents et décide de retourner à Tadoussac. Notons par
contre que pour la première fois, il parle de l'existence de «cabanes» à
cet endroit. 14 Lors de leur retour au Lac-Saint-Jean en mai 1652, les
jésuites ne feront pas état de l'emplacement de Chicoutimi; selon les
propos du missionnaire qui dit rencontrer régulièrement des sépultures
le long du Saguenay, c'est la maladie qui les aurait presque tous décimés. 15
[21]
Le poste de traite:
grandeur et décadence
Retour à la table des matières
Le troisième voyage du père Dequen au Saguenay—Lac-SaintJean ne revêt pas seulement un aspect religieux. En effet, la crise économique, accentuée par la destruction de la huronnie, y est certainement pour quelque chose. Pressés par la nécessité de redresser les finances de la Nouvelle-France, le gouverneur Lauzon et le père Ragueneau, tous deux membres du Conseil de Québec, décident de créer
un monopole régional de fourrures, dit Traite de Tadoussac, du nom
13
14
15
Relations des Jésuites, Éditions du Jour, Relation de 1647, pp. 64-65.
Ibid., Relation de 1648, p. 39.
Ibid., Relation de 1652, pp. 16-20.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
26
de son centre d'opération. Sur le plan géographique, ce monopole englobe, au début, tout le territoire circonscrit entre l'Île-aux-Coudres,
Sept-Iles et la région du Saguenay—Lac-Saint-Jean. 16 Le décret qui
intégrera le territoire montagnais dans les limites de la NouvelleFrance est signé par Lauzon, le 2 mars 1652. Pendant près de deux
siècles, ce domaine sera affermé à des particuliers ou encore à des
compagnies privées.
En fait, c'est en 1661 que l’on retrouve, pour la première fois, la
description des environs de Chicoutimi, dans la Relation des pères
Gabriel Druillet et Claude Dablon. Les jésuites accompagnent, à ce
moment, l'expédition de Michel Leneuf de La Vallière qui va découvrir le passage entre la Baie d'Hudson et le Saguenay. Partis de Tadoussac le 1er juin avec quarante canots, les pères prennent six jours
pour remonter la rivière. «Le sixième, disent-ils, nous arrivons de
bonne heure à Chegoutinis, lieu remarquable pour estre le terme de la
belle navigation, & le commencement des portages, c'est ainsi que
nous appelons les lieux, où la rapidité & les cheutes d'eau obligent les
Nautonniers de mettre à terre, & de porter sur leurs épaules leurs
Canots, & tout l'équipage, pour gagner le dessus du Sault» 17
[22]
Les années 1647 à 1671 auront donc été celles des premiers contacts caractérisés par le passage plus ou moins régulier des missionnaires qui vont donner les secours de la foi aux Indiens du Lac-SaintJean. Ce sont eux, en quelque sorte, qui ont préparé une mission dont
les préoccupations seront plus matérielles que spirituelles: la fondation des postes de traite de Chicoutimi et de Métabetchouan précède
de quelques années celles du lac Mistassini (1679), du lac Nicabau
(1683) et de la rivière Ashuapmushuan (1689).
L'arrivée des premiers commerçants remonte justement à cette
époque. En 1671, ils construisent une maison à l'embouchure de la
rivière Chicoutimi, action qui établit un premier pas vers la conquête
16
17
Gustave Lanctôt, Histoire du Canada, Beauchemin, Montréal, 1967, p. 266;
R. Bouchard, Le Saguenay des fourrures, op. cit., pp. 79-97.
Relations des Jésuites, Édition du Jour, Relation de 1661, p. 14.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
27
commerciale du territoire. 18 Il faut dire que les Indiens ont recommencé à fréquenter les lieux car le père de Crepieul y trouve, lors de
son passage en 1673-1674, plus de deux cents Amérindiens et même
un petit nombre de Français. Peu à peu et prudemment, les propriétaires de la Traite de Tadoussac pénètrent à l'intérieur des terres. 19
Le commerce des fourrures, dans ce qu'il est maintenant convenu
d'appeler le Domaine du Roi, est affermé en 1676 à Jean Oudiette, un
marchand de Paris. Il prend comme procureur, Charles Bazire, marchand de Québec, ancien commis de la précédente Compagnie des
Indes Occidentales et un associé de Charles Aubert de la Chenaye.
Pratiquant depuis plusieurs années la Traite de Tadoussac, Bazire
comprend qu'il faut abandonner ce poste et en créer de nouveaux, plus
à l'intérieur des terres et pour asseoir son entreprise, il confie à Pierre
Bécart de Grandville la tâche d'aller fonder un poste à Chicoutimi et
au Lac-Saint-Jean, premiers établissements d'une série de satellites qui
auront comme vocation de servir de relais le long de la route devant
déboucher à la mer du Nord. 20
[23]
Au cours des dix premières années, l'établissement du Saguenay,
consolidé par une bonne colonie d'autochtones vivant sur les rives du
lac Kénogami, produit plus de pelleteries que tout le Canada ensemble. Cette réussite éclatante satisfait grandement les promoteurs
désireux de soustraire les Indiens du Saguenay à la contrebande. Le
succès est tel qu'en 1684, certains n'hésitent pas à parler de la «Traite
de Chig8timy», en remplacement de celle de Tadoussac. 21
Les débuts prometteurs enregistrés dans les postes du Domaine du
Roi vont malheureusement s'essouffler assez rapidement. La mission
de Métabetchouan est abandonnée vers 1698 alors qu'à ce même mo18
19
20
21
Léonidas Larouche, Second Registre de Tadoussac (1670-1700), retranscription de l'original publié par l'UQAC, dans la série Tekouerimat, P.U.Q.,
Chicoutimi, 1972, p. 152.
Relations inédites de la Nouvelle-France (1672-1678), Éditions Élysée,
tome 1, Montréal, 1974, pp. 321-322.
Relations des Jésuites, (Thwaites), vol. 60, p. 244.
Twaites, op. cit., vol. 62, pp. 214-216; Archives des Colonies, C 11 A, vol.
7, folios 255-284; A.N.Q.Q., Manuscrit concernant la Nouvelle- France,
vol. IV, 1680-1685, pp. 210-221.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
28
ment celle de Chicoutimi entre dans une période de déclin qui durera
un quart de siècle. La renaissance du poste de Chicoutimi deviendra
évidente avec 1'arrivée du père Pierre Laure, lequel est chargé par ses
supérieurs de rétablir la mission. Il faut dire cependant que, contrairement à Métabetchouan, les lieux n'avaient jamais été complètement
délaissés. Quelques engagés, à la solde de la Ferme d'Occident,
avaient toujours continué leurs activités commerciales.
L'époque du père Laure en aura été une de transition et de raffermissement. Après son décès qui survient le 22 novembre 1738, les
missions du Saguenay reçoivent rarement la visite des missionnaires.
Elles sont confiées, en 1739, au Jésuite Jean-Baptiste Maurice. Ce
dernier restera cinq ans et c'est le père Claude-Godeffoy Coquart qui
héritera de cette responsabilité, et ce jusqu'à son départ en 1765. 22
À partir de 1763, après la signature du Traité de Paris, le Canada
devient définitivement possession anglaise et la traite [24] des fourrures passe entièrement aux mains des Britanniques. Au Saguenay, la
transition d'un régime à l'autre s'effectue avec un calme relatif; les
missionnaires desservant les postes ne sont pas dérangés, même si au
niveau de la direction commerciale les chefs français font place aux
chefs anglais.
22
Arthur E. Jones, Relations inédites de R.P.P. Pierre Laure, SJ., 1720-1730,
Documents rares ou inédits, Archives du Collège Ste-Marie, 1889, p. 40;
R. Bouchard, Le Saguenay des fourrures, op. cit., pp. 101- 127; R. Bouchard, Chicoutimi: la formation de la métropole régionale, SHS, Série Histoire des Municipalités, no 4, 1987, pp. 7-12.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
29
Fig, 2. Carte montrant les installations du poste de traite de Chicoutimi, en
1748.(a) la chapelle, (b) la croix, (c) le presbytère, (d) la maison du commis, (e) le
four, (f) le magasin, (g) l'arsenal, (h) l'étable, (i) la vieille boutique de l'armurier,
(k) le jardin des Français, (1) le jardin et le four du missionnaire. Source: Bibliothèque nationale, Paris. Photo: coll. de l'auteur.
Sous le nouveau régime, les premiers locataires des Postes du Roi
sont deux marchands de Québec. Le 20 septembre 1762, [25] Thomas
Dunn et John Gray louent l'exploitation de la pêche et de la traite de
tout ce territoire pour la somme de 400 £ sterling par année. Le 1er
octobre 1763, le bail est renouvelé pour quatorze ans: William Grant
se joint à eux en 1763 et Richard Murray le fait en 1764. Indépendamment du poste du Lac-Saint-Jean qui devra attendre quelques années avant d'être réouvert, celui de Chicoutimi n'a pas à souffrir du
changement d'allégeance et de l'arrivée des nouveaux locataires.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
30
Les Jésuites continueront à desservir la mission de Chicoutimi jusqu'en 1782. C'est à cette époque que meurt le légendaire père de La
Brosse, dernier missionnaire de la Compagnie de Jésus à en être chargé. À partir de ce moment et jusqu'en 1845, à chaque année, un prêtre
séculier s'arrête à la mission et y demeure pendant quelques semaines.
Au cours de ses brefs passages, il en profite pour instruire les «Sauvages» et leur administrer les sacrements.
À la fin du XVIIIe siècle, Chicoutimi constitue encore le chef-lieu
des postes plus avancés de Métabetchouan et d'Ashuapmushuan. Plusieurs bâtisses, dont certaines remontent à l'époque des premières missions des Jésuites, forment l'ensemble des équipements architecturaux.
Nous retrouvons d'abord la vieille église de 1726, construite en pièces
sur pièces, avec ses trois grandes fenêtres de 28 carreaux chacune, recouverte de bardeaux, le tout surmonté d'un coq de fer et d'une cloche.
Selon l'explorateur Edward Harrison, en 1786 le presbytère de pièces
sur pièces reposant sur une fondation de pierres et le petit magasin
affecté aux marchandises sèches, datent également de cette époque.
Ce dernier ne manque pas d'ajouter à sa liste une grande maison pour
le commis, un entrepôt pour les provisions, une boutique ainsi que des
bâtiments de ferme tels un poulailler, une grange et une étable. Quant
à la poudrière de pierre, celle-ci est en ruine bien qu'elle conserve encore une partie de sa toiture. 23
[26]
En 1808, James McKenzie, bourgeois et surintendant de la Compagnie du Nord-Ouest dans les Postes du Roi, dit y trouver une bonne
maison d'habitation, une chapelle et un vieux magasin. Il faut croire
que Chicoutimi reste, à cette époque, un lieu visité mais cet endroit n'a
plus la même importance. Même si la traite s'y pratique encore de façon intensive, le poste est surtout devenu un quai de débarquement et
de transit pour les marchandises destinées aux postes de l'intérieur.
C'est à partir de là que les traiteurs s'équipent pour monter au-delà du
lac Saint-Jean, plus loin vers l'Ashuapmushuan et le lac Mistassini. 24
23
24
Edward Harrison, King-s posts from 20th of Sept. 1762 to 9th of Sept. 1786,
retranscription de l'original appartenant aux A.P.C., RG4, A1, f. 124, microfilm C-2994.
James Me Kenzie, The King-s Posts and Journal of a Cane jaunt through the
King's domain, 1808.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
31
Lorsque l'équipe d'explorateurs engagés pour faire une évaluation
du Saguenay—Lac-Saint-Jean prépare son expédition, neuf familles
d'autochtones habitent encore les alentours. Nixon confirme le rôle
transitoire de Chicoutimi, lequel est toujours, le principal poste de la
Compagnie de la Baie d'Hudson. Plusieurs bâtisses sont encore en
opération: «une grande maison, demeure du commis de ce poste, un
magazin, boulangerie, grange, étables et autres bâtisses», et, plus
haut, «une chapelle et un cymetière» 25
À cette époque, la population des postes du Saguenay est encore
majoritairement composée d'Amérindiens. En 1839, ils se répartissent
à travers ceux de Métabetchouan, d'Ashuapmushuan et de Chicoutimi.
Sur 238 individus, 198 sont des Amérindiens de souche montagnaise.
Le reste, soit 40 individus, représente la population «libre» 26 et regroupe particulièrement les trois commis avec leurs familles (11
membres) et 28 personnes de différentes qualités (engagés, Allemands, métis, Micmacs). 27
[27]
Lors du passage des commissaires (1828), Chicoutimi, avec ses
neuf familles d'Amérindiens, se classait après le Lac-Saint-Jean et
maintenait le niveau de sa population égal à celui du poste
d'Ashuapmushuan. 28 En 1839, la baisse démographique démontre que
le poste a perdu toute son importance. La population se compose de
68 personnes, dont 46 autochtones répartis dans 12 familles. À ce
moment, la direction du poste est assurée par Simon Me Gillivray qui
vit là avec sa femme et ses deux filles. Me Gillivray est aidé dans sa
tâche par Jérôme Saintonge qui réside lui aussi avec sa famille: Saintonge reste là avec sa femme et ses deux fils. La colonie des «gens
25
Incursion documentaire dans le Domaine du Roi, 1780-1830, Séminaire de
Chicoutimi, 1968, p. 55; Exploration du Saguenay, 1828, Séminaire de Chicoutimi, 1968, pp. 125 et 145.
26
Ces gens «libres», comme Cyriac Buckell, ont habituellement marié une
Amérindienne et vivent dans les environs du poste.
27
«Recensements envoyés par M. l'abbé Isidore Doucet, curé de l'Île-Verte,
Chicoutimi, Métabetchouan, Ashuapmushuan, 23 juillet 1839», Archives de
l'Évêché de Chicoutimi, photocopies des originaux, Série XVII, paroisse 12,
cote 9, volume 1, pièce 3.
28
Incursion documentaire dans le Domaine du roi, Centre d'Études et de Recherches du Saguenay, Chicoutimi, 1968, p. 55.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
32
libres» compte, pour sa part, 18 individus: 7 Allemands, 6 métis, 4
Canadiens et 1 Micmac. 29
En même temps que l'abbé Doucet fournit son recensement à
l'Evêque de Québec, la Compagnie de la Baie d'Hudson entreprend
des pourparlers avec le gouvernement du Bas-Canada pour renouveler
son bail qui prendra fin le 1er octobre 1842. Réagissant aux pressions
des commerçants de bois et des défenseurs de la colonisation, la
Compagnie désire, envers et contre tous, conserver ses droits exclusifs
de chasse et de traite. Avec réserves importantes, le bail des Postes du
Roi lui sera renouvelé pour 21 ans à compter du 2 octobre 1842 et sera
enregistré à Kingston le 30 août de cette même année. 30
Le nouveau bail ne redonnera pas à la Compagnie de la Baie
d'Hudson tous les privilèges qu'elle détenait avant le premier octobre.
Elle conservera toutes les installations physiques et les terrains qui les
abritent « aux fins d'y faire la traite exclusive avec les sauvages sur
les dites terres du Domaine maintenant données à bail et louées, ainsi
que la pêche et les pêches au [28] loup-marin ». Plus question maintenant d'être seul à exploiter ce vaste territoire. Il faudra partager la
forêt avec les entrepreneurs de bois et laisser les colons exploiter la
terre. 31
L'ouverture du Saguenay
à la colonisation: 1838-1842
Retour à la table des matières
La Compagnie de la Baie d'Hudson, dernière détentrice du bail de
location du Domaine du Roi, s'était installée très tardivement au Saguenay. Elle n'était arrivée en fait qu'en 1831 à Chicoutimi pour prendre possession de son monopole, grande perdante d'une lutte intestine
déchirante qui l'avait opposée pendant dix ans (de 1822 à 1831) à son
29
30
31
Isidore Doucet, Recensements. ...op. cit.
«Renouvellement du Bail des Postes du Roi», Journal de l'Assemblée législative de la Province de Québec, 1844-1845, vol. 4, p. 72.
«Correspondance aux habitants du comté de Saguenay, Postes du Roi»,
journal Le Canadien, 9 juillet 1841.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
33
principal co-locataire, William Lampson. 32 En dépit de tous ses efforts, elle n'avait pas été en mesure de profiter de son acquisition bien
longtemps! Lorsqu'elle avait entrepris de s'installer définitivement
dans les Postes du Roi, elle avait dû en effet manoeuvrer pour empêcher l'effritement de son monopole de plus en plus menacé par les industriels forestiers qui désiraient étendre leur emprise et par les
groupes de cultivateurs qui espéraient quant à eux s'y installer en permanence.
Au début de 1836, une pétition qui regroupe quelque 1 800 noms
est appuyée par la Chambre des députés. Tous ces colons pressent fortement le gouvernement d'ouvrir le Saguenay à la colonisation. La
Compagnie de la Baie d'Hudson, protégée par son bail des Postes du
Roi, s'oppose farouchement au projet. À ce moment, le Bas-Canada
est secoué par une crise politique et sociale qui risque d'aboutir à la
révolte, conjoncture qui incite la Compagnie à présenter un compromis. Pour calmer les esprits et conserver la maîtrise du jeu, elle consent à accepter une certaine exploitation de la forêt, avec la condition
d'en être le seul patron. 33 Cette décision lui portera le coup de grâce
en [29] permettant à d'autres intervenants d'empiéter sur son monopole. Voici les faits...
Pour être en mesure de conserver ses droits, la Compagnie de la
Baie d'Hudson accepte un compromis. En maître des lieux, elle obtient du gouvernement la permission de tirer du Saguenay 60 000 billots de pin. Elle réussit à en couper une petite partie. Toutefois, en raison d'une opposition farouche des marchands de bois de Québec et
aussi en raison de son incapacité à sortir les 10 000 billots coupés au
cours de l'hiver 1836-37, celle-ci est contrainte d'abandonner ses
droits en faveur de quelqu'un qui occupe déjà ce champ d'activité: Sir
William Price. À son tour, s'il veut être en mesure de tirer le meilleur
parti de cette transaction, Price comprend qu'il faut s'adjoindre des
travailleurs qui n'attendent qu'une ouverture pour pénétrer le Sague-
32
33
R. Bouchard, Le Saguenay des fourrures, op. cit., pp. 211-217.
Jean-Paul Simard, Économie régionale du Saguenay—Lac-Saint-Jean Gaétan Morin éditeur, Chicoutimi, 1981, p. 22.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
34
nay. Cette procédure aura pour effet de porter le coup fatal au monopole de la Compagnie de la Baie d'Hudson dans les Postes du Roi. 34
Les chroniqueurs de l'époque n'hésitent pas à attribuer à Alexis
Tremblay dit Picoté la paternité de la formation de la Société des Pinières du Saguenay, mieux connue sous le nom de Société des Vingt et
un., du fait que ses actifs se trouvaient répartis en vingt et une parts de
100 £ (entre 300 et 400$) chacune. En dépit des tentatives récentes de
lever le voile sur cette société et en dépit du fait que la famille des Picoté a été régulièrement mise en présence de Price (entre 1810 et
1837), il n'est toujours pas possible aujourd'hui de dire à quel niveau
se situe l'influence de William Price sur son obligé, Alexis. 35 [30]
Malgré cette zone grise, il est d'ores et déjà admis que c'est l'initiative
combinée de ces deux hommes qui mena à la formation de la Société
des Vingt et un, et, par voie de conséquence, à l'ouverture du Saguenay à l'entreprise coloniale.
La Société des Vingt et un avait été baptisée ainsi par Tremblay
dans le but de ne pas éveiller les soupçons de la Compagnie de la Baie
d'Hudson sur les manigances de Price et sur ses vues sur le Saguenay.
Pour réunir les 100 £ nécessaires à l'achat d'une part, chacun des vingt
et un actionnaires avait le droit de s'adjoindre un ou plusieurs coassociés. C'est cette clause qui explique que le nombre des premiers
migrants de 1838 soit beaucoup plus important que celui inscrit dans
la raison sociale. 36
34
35
36
«Murdock McPherson to James Hargrave, private, Tadoussac, 15th March
1842 », The Hargrave Correspondance, The Champlain Society, pp. 374375; J.-P. Simard, Économie régionale...», op. cit., p. 22; «Biographie de
Thomas Simard», Saguenayensia, janvier-février 1978, p. 4. A propos des
documents traitant de l'association nébuleuse entre Price et la Société des
Vingt et un, se référer au texte de l'abbé Jean-Paul Simard, «Le Saguenay
s'ouvre sous le signe du bois», publié dans Russel Bouchard, Aux sources de
l'histoire sagamienne, Chicoutimi, 1989, pp. 92-103.
Arthur Maheux, William Price et la Compagnie Price (1810-1954), Québec
1954, pp. 118-123, (document non publié). Louis-Antoine Martel, Notes sur
le Saguenay, Chicoutimi, Centre d'études et de recherches historiques du
Saguenay, 1968, p. 3.
«Contrat passé entre les "Vingt-et-Un" et la Cie de la Baie d'Hudson»,
greffe du notaire C.-H. Gauvreau, La Malbaie, 9 octobre 1837. Ce document
a déjà été publié dans Le Colon, 30 juillet 1925; «Collection de contrats des
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
35
Lorsque le 25 avril 1838, la goélette de Thomas Simard appareille
de La Malbaie avec 27 hommes à son bord, son itinéraire est déjà clairement établi. Alexis Tremblay a exploré le territoire l'année précédente et Thomas Simard lui-même connaît bien les eaux du fjord pour
y avoir navigué pendant une bonne quinzaine d'années pour le compte
de la Compagnie de la Baie d'Hudson. Un premier groupe d'hommes
arrête aux « Petites-Iles », s'y installe, construit un moulin à scie et y
passe l'été. Quelques jours plus tard, un deuxième groupe part s'installer à L'Anse-au-Cheval, tout près de la rivière Petit Saguenay, avec
l'intention d'y construire là aussi un moulin à scie et d'y entreprendre
la coupe du bois. Ce travail terminé, le reste de l'équipage, apparemment le plus important, continue jusqu'à L'Anse-Saint-Jean et,
quelques jours plus tard, le 11 [31] juin 1838, quatorze hommes se
séparent du groupe initial et vont s'établir à la baie des Ha! Ha! 37
[32]
37
Vingt et un», ANQC, fonds SHS, dossier 185, pièce 1 (ancienne cote), M
180/10.
Sans signature, «Biographie de Thomas Simard», Saguenayensia, vol. 20,
no 1, pp. 4-6; Louis-Eugène Otis, Saint-Alexis de Grande-Baie, Chicoutimi,
SHS, 1938,pp.4-7; Russel Bouchard, L’Anse-Saint-Jean: 150 ans d'histoire,
SHS, Histoire des Municipalités, no 1, 1989, pp.6-7.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
[33]
Histoire de Chicoutimi.
La fondation 1842-1893.
Chapitre 2
Les années McLeod
1842-1852
Retour à la table des matières
[34]
36
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
37
[35]
L'association Price et McLeod
Retour à la table des matières
Pour apaiser les pressions populaires et contrer le lobby formé par
les industriels du bois, tout indique que la Compagnie de la Baie
d'Hudson avait été victime de sa propre stratégie. Le lecteur aura intérêt à se souvenir que William Price, le plus grand entrepreneur de bois
à l'époque, avait favorisé la création de la Société des Vingt et un pour
lui servir de couverture et de paravent. Pour la colonisation qui détenait peu d'atouts, la situation n'était pas aussi reluisante. Désireuse
d'enlever un tyran et d'ouvrir la porte du territoire, il avait fallu pactiser avec des puissances obscures qui n'avaient qu'une seule préoccupation; l'exploitation de la forêt. 38
La première étape du projet de Price prendra environ cinq ans à se
concrétiser. Il atteint son but le 28 juillet 1842 alors que les principaux
actionnaires de la Société des Vingt et un lui cèdent, moyennant 325 £
chacun et l'opportunité de travailler dans les chantiers, tous les droits
et prétentions qu'ils détiennent sur les neuf scieries et les équipements
qu'ils possèdent le long du Saguenay et de ses principaux affluents.
Selon les termes de cet acte de vente signé à La Malbaie chez Maître
Edouard [36] Tremblay, les sociétaires acceptent également de se départir — en plus du moulin de la baie des Rochers — 39 de leur flottille composée d'embarcations de toutes sortes, de leurs chantiers, des
dépendances et des autres bâtiments construits à l'usage des moulins. 40
38
39
40
J.-P. Simard, «Le Saguenay s'ouvre sous le signe du bois», op. cit.
Ce modeste moulin, jumelé à quelques installations agricoles primaires,
appartenait alors à un dénommé Savard qui y faisait vivre sa famille.
Contrat entre les actionnaires de la Société des Vingt et un et William Price,
Greffe de Edouard Tremblay, La Malbaie, 25 juillet 1842; «Pétition William
Price, 10 March 1849», ANQC, fonds Price, M180/ 2, folios 1568-1575.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
38
Fig. 3. L'industriel William Priée, considéré par l'histoire, comme le père industriel du Saguenay. Photo: coll. de l'auteur.
Malgré l'apparence d'un gain intéressant (325 £ pour des actions
payées initialement 100 £) réalisé par les sociétaires, il faut savoir que
Price, par le biais de son «ministre» Alexis Tremblay, a bien pris soin
de stipuler dans l'acte d'achat qu'il déduira toutes les dettes contractées
par chacun d'entre eux à son égard. Cette attitude, dure et intransigeante envers ses [37] anciens «partenaires», démontre de manière
très éloquente le caractère implacable de l'industriel et dicte les principes qui le guideront dans les prochaines années lors de sa conquête
du Saguenay. 41
41
Ibid.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
39
Fig. 4. Le métis Peter McLeod (junior), considéré par l'histoire, comme le
père industriel et le fondateur de Chicoutimi. Photo: coll. de l'auteur.
Propriétaire en titre des terrains et des équipements industriel s du
Saguenay et solidement implanté de Tadoussac à la Grande-Baie, pour
l'entrepreneur, il suffit maintenant de trouver le moyen de pénétrer
jusqu'à la tête de la rivière Chicoutimi. La partie ne sera pas facile, car
la Compagnie de la Baie d'Hudson, qui a déjà suffisamment perdu
d'emprise et qui négocie à ce moment précis, avec le gouvernement,
les termes de son nouveau bail de location, désire conserver farouchement ce qui lui reste. L'expérience de 1838 ayant été fructueuse à
tout point de vue, ce sera encore une fois en passant par des intermédiaires qu'il arrivera à ses fins.
[38]
Ne pouvant acquérir lui-même les droits de coupe et les lettres patentes à cette hauteur du Saguenay, Price décide de s'associer à Peter
McLeod (le fils), un métis qui lui doit de l'argent et qui est déjà propriétaire d'une scierie à la rivière Noire, près de Saint-Siméon. Fils
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
40
d'une mère Montagnaise et ayant déjà travaillé avec son père pour la
Compagnie de la Baie d'Hudson comme agent et garde-côte, McLeod
possède le droit légal de circuler librement dans les Postes du Roi et
de s'y fixer. La Compagnie, de son côté, ne détient aucun pouvoir sur
cet homme qui est bel et bien venu au monde à Chicoutimi, qui y a
passé une partie de sa vie et qui dit avoir reçu en héritage de sa mère
les terres sises à l'embouchure de la rivière du Moulin 42. Par conséquent, n'étant pas en mesure de contrôler ses déplacements à
1'intérieur de son territoire et, de toute évidence, totalement ignorant
des intentions de McLeod, l'agent en chef de la Compagnie avait accepté de lui accorder par lettre, le privilège extraordinaire d'occuper
deux lots le long de la rivière du Moulin. C'est en brandissant cette
missive et son droit de naissance que le métis tentera par la suite d'obtenir auprès du Gouverneur Général, Sir Charles Bagot, les titres de
ses propriétés. 43
Fort d'un tel coéquipier, William Price est en mesure dorénavant de
réaliser ses objectifs et d'exploiter les riches pinières de la région. Fait
non moins appréciable, le père de McLeod avait lui-même créé un
précédent vers 1810, en organisant une scierie au pied de la chute, sur
les vestiges de l'ancienne scierie des Jésuites (construite vraisemblablement vers 1750), une activité qui avait contribué à conserver le
nom [39] de rivière du Moulin (voir carte de Duberger, 20 janvier
1846). 44 Même s'il n'a pas les titres en mains, le clan McLeod se dit
toujours résident-propriétaire des terrains de la rivière du Moulin et
dispose ainsi, aux yeux de Price, de solides atouts lui permettant de
42
43
44
Gouvernement du Québec, Service de l'Arpentage, Canton C-30-2, «Repons
on improvement by Peter McLeod Jun Esqur in the township of Chicoutimi
1848». Plusieurs documents précisent le lieu de naissance du fils McLeod:
nous retrouvons d'abord cette mention dans un document officiel du Gouvernement (une lettre de l'arpenteur Ballantyne à Thomas Parke Esqr, superviseur général du Canada, signée à L’Islet le 13 janvier 1845); Kelso
(Saguenayensia, avril-juin 1988, p. 14) précise même qu'il «naquit à Chicoutimi dans la maison du Poste du Roi».
ANQC, fonds Price, M 188/11, «the petition of Peter McLeod Jun’r of Chicoutimi in the river Saguenay, 20 oct. 1842».
«Plan of Riviere du Moulin, Jean-Baptiste Duberger, 1846». Le plan retouché a été publié par Russel Bouchard, Chicoutimi: la formation..., op. cit., p.
25.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
41
venir jouer librement dans la cour arrière de son ancien employeur... 45
Les termes du contrat, passé devant le notaire Laughlan Thomas
McPherson, le 7 novembre 1842, renseignent sur 1'intérêt des deux
parties. Pour permettre à McLeod de s 'acquitter d'une portion de ses
dettes qu'il détient à son égard (2 200 £), Price, par l'intermédiaire de
son agent Alexis Tremblay Picoté, consent d'abord à lui acheter, au
prix de 1 200 £, vingt mille madriers produits à sa scierie de la rivière
Noire (Saint-Siméon). De plus, afin de permettre à McLeod de construire ses scieries à la rivière du Moulin et à la rivière Chicoutimi,
Price s'entend pour acquérir celle de la rivière Noire, moyennant une
avance de 2 000 £, somme qui lui permettra d'aller de l'avant dans son
projet. En contrepartie, McLeod, qui habite à ce moment précis le petit bourg de Port-au-Persil, devra se porter acquéreur des titres de propriété de ces emplacements. L'accord précise finalement que les nouveaux établissements deviendront la propriété conjointe des deux parties. 46
Malgré ses antécédents généalogiques métissés, le fils McLeod ne
sera pas en mesure d'obtenir l'enregistrement des sites en question
mais cet inconvénient ne l'empêchera aucunement de s'établir au Saguenay. Quelques semaines avant la signature du contrat, en août
1842, le métis avait quitté la rivière Noire avec sa femme, Josephte
Atikuapi, son fils, John, [40] et 23 hommes. 47 Sitôt sur place il avait
entrepris de construire sa scierie de la rivière du Moulin et il s'était
mis en frais de préparer son premier chantier forestier qui devait se
tenir à l'hiver 1843. Débute alors pour Priée un long calvaire ponctué
de pertes financières et de déboires de toutes sortes qui ne prendront
fin qu'à la mort tragique de son partenaire d'occasion, en 1852.
45
46
47
Le contrat signé entre McLeod et Price, le 7 novembre 1842, justifïe très
bien les raisons de l'entente. Retranscription dactylographiée du contrat,
ANQC, fonds SHS, documents 13, no 1.
Ibid.
ANQC, fonds SHS, dossier 1677, pièces 2 et3.Les livres de comptabilité de
Price révèlent que les travaux de construction ont débuté le 24 août 1842;
cf., G.-E. LaMothe, «Origine de Chicoutimi industrielle (1842-1850)», Chicoutimi, 1941, p. 2.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
42
Construction de la scierie
de la rivière du Moulin:
les chantiers de l'hiver 1843
Retour à la table des matières
Tout en travaillant avec acharnement dans la forêt, les premiers arrivants s'établissent près du moulin. Ceux qui sont venus dans le dessein d'exploiter le sol commencent immédiatement à défricher et finissent par envahir rapidement les terres voisines non arpentées. En l'espace de quelques mois, la poussée colonisatrice s'étend progressivement et de plus en plus loin vers l'intérieur des terres. Un premier rapport publié le 18 décembre 1843 par l'arpenteur Louis Legendre, démontre avec quelle rapidité se développe la nouvelle communauté
établie autour de la scierie de Rivière-du-Moulin.
***
«On voit encore à Chicoutimi la chapelle des révérends pères jésuites.
La belle rivière Chicoutimi forme avec la rive sud du Saguenay une pointe
charmante sur laquelle est bâtie cette chapelle, ainsi qu'une maison, un
magasin, un hangar et autres dépendances appartenant à l'honorable compagnie de la Baie d'Hudson. À la rivière du Moulin, environ une demilieue plus bas que Chicoutimi, il y a aussi un très bon havre, qui est
presque toujours rempli de goélettes, bateaux et chaloupes qui amènent
des provisions au magasin de M. Price pour ses employés. Il règne aussi
beaucoup d'activité en cet endroit. Un grand nombre de personnes se sont
bâti des maisons des deux côtés de la rivière en remontant jusque près d'un
moulin à scie d'une force considérable qui [41] n'est en opération que depuis le mois de juillet dernier [ 1843]. D'autres en grand nombre sont établis en aval sur la rive sud du Saguenay jusqu'à environ une demi-lieue du
havre et en remontant de celui-ci jusque près du poste de Chicoutimi. Le
poste de la rivière du Moulin est un endroit charmant. M. Peter McLeod,
qui est à la tête de ce poste, est un homme très actif, très industrieux et très
poli, d'un physique avantageux et d'une conduite exemplaire, âgé de vingtcinq à trente ans. On le voit depuis le lever de l'aurore jusqu'à la nuit toujours sur pieds pour conduire les hommes qui sont à son service. Ceux qui
s'écartent de leur devoir sont saisis par ses forts bras, ou deux bons constables les amènent devant lui pour recevoir la morale méritée, puis retour-
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
43
ner à leur ouvrage ou être chassés de l'établissement. M. Legendre se réjouit que ce brave homme et MM. A. Tremblay Picoté, André Bouchard et
Robert Blair aient été nommés magistrats pour le Saguenay. L'établissement de la rivière du Moulin n'a été commencé que depuis un an par M.
McLeod.» 48
***
En moins d'un an, la colonie de la rivière du Moulin prend donc
l'allure d'un véritable petit bourg. En plus de la scierie et de la vingtaine de maisons de pièces sur pièces construites pour ses engagés,
McLeod possède aussi une écluse, une grande maison de 45 pieds sur
30 pieds, un magasin de 36 pieds sur 24 et une étable de 48 pieds sur
24. 49 Le défrichement, entrepris dès le débarquement des premiers
arrivants, permet d'ensemencer des pommes de terre et une bonne variété de légumes. Un grand «boom» (une estacade de bois) d'environ
400 pieds de long, ceinture la rivière et sert de pont aux piétons. C'est
McLeod lui-même qui contrôle la vie communautaire et la moralité
publique. Bien secondé par sa police de fiers-à-bras qui n'hésite pas à
utiliser la force pour se faire obéir, il est roi et maître des lieux. 50
Pour que son entreprise détienne une chance de progresser rapidement, McLeod avait eu en effet l'heureuse idée de recruter la majeure
partie des hommes qui avaient été affectés à son [42] chantier de la
rivière Noire; les autres provenaient de La Malbaie. Grâce aux livres
de compte de l'époque, nous savons que cette première équipe de 23
hommes comprenait, en plus des bûcherons, un forgeron, des menuisiers, des charpentiers, et différents artisans utiles à la construction de
la scierie et des habitations: Michel Bouchard, David Boulianne, William Connelly, Partis Côté, André Couturier, Etienne Dallaire, Joseph
Dallaire, Joseph Desbiens, Pierre Desbiens, Alexandre Gagné, Abraham Gagnon, Ambroise Gagnon, Magloire Gagnon, Henry
48
49
50
Le Canadien, 18 décembre 1843, Éditorial de Louis Legendre pour décrire
les établissements du Royaume du Saguenay en 1843.
Gouvernement du Québec, Service de l'Arpentage, Canton C-30-2, pp. 3031, «Ballantyne à Thomas Parke, 13 janvier 1845».
Le Canadien, op. cit., 18 décembre 1843.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
44
Fig. 5. Voiliers mouillant l'ancre devant la rade de Chicoutimi, vers 1882. Au
premier plan, à gauche, nous pouvons remarquer l'embouchure de la rivière du
Moulin et la maison de Peter McLeod, junior. Source: Picturesque Canada.
[43]
Grenon, Octave Grenon, Thomas Harvey, David Laberge, Joseph
McNicoll, François Renald, Pierre Terrien, Marcellein Tremblay, Michel Tremblay et Guillaume Savard. 51
51
Léonidas Bélanger, Rivière-du-Moulin, esquisse de son histoire religieuse,
SHS, no 14,1953, p. 23; Mgr Victor Tremblay, Histoire du Saguenay, 1968,
pp. 247-251.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
45
Le choix d'implanter la première scierie du Haut-Saguenay, à la
première chute de la rivière du moulin, n'avait pas été effectué à la
légère et avait été mûrement réfléchi par les deux associés désireux de
devancer le flot de colons qui commençaient à s'impatienter sur les
quais de Charlevoix. La vallée que la rivière drainait, montrait de surcroît, d'intéressantes possibilités de rendement: elle détenait à ce moment quelques cèdres de bonne dimension, beaucoup d'épinettes et un
bon potentiel de pins rouges, de pins gris et surtout de pins jaunes (ou
pins blancs) et cette forêt ne semblait pas avoir trop souffert des incendies, terrible menace qui avait déjà dévasté si souvent les environs.
À la fin de l'année 1842, le moulin n'est pas encore en opération
mais, selon les propres estimations de McLeod, les scies pourront
commencer à fonctionner au plus tard au printemps, lorsque les premiers billots arriveront avec les eaux gonflées de la fonte des neiges;
une fois terminée, l'usine comprendra trois scies circulaires et mesurera 60 pieds de longueur sur 30 pieds de largeur. 52
Au cours du mois de janvier 1843, alors que l'équipe de bûcherons
s'attaque sans relâche à la forêt des alentours et alors que le groupe
d'artisans s'affaire à finaliser la construction de l'usine et des habitations, le métis adresse un premier rapport à son associé sur les opérations de ses chantiers: la neige a été si peu abondante jusqu'au 18 de
ce mois — écrit-il — que les hommes n'ont pas été capables de transporter les gros billots jusqu'à la rivière. Fort heureusement — poursuit-il — la bordée des derniers jours est venue corriger la situation et
permet [44] maintenant de « charroier » près du Saguenay 53 les
grosses pièces de pin jaune au rythme d'une centaine par jour. D'après
sa propre estimation, la première saison de coupe, bien qu'elle ne réponde pas à ses attentes, fournira environ 10 000 billots de pin jaune
et une partie importante de cette production proviendra des habitants,
au prix de 8 à 12 sous le madrier. 54
52
53
54
Gouvernement du Québec, Service de l'Arpentage, Canton C-30-2, pp. 3031, «Ballantyne à Thomas Parke, 13 janvier 1845».
Charrier, transporter; cf. Dictionnaire du Français Plus, Montréal, 1987, p.
284.
ANQC, fonds Price, M 188/11, 26 janvier 1843. Voir également, Gaston
Gagnon, Un pays neuf, le Saguenay—Lac-Saint-Jean en évolution, Les Éditions du Royaume, Alma 1988, pp. 81-83. L'auteur tient à remercier ici l'his-
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
46
***
« Le nombre de billots je pense de faire couper cet hiver est de 10 000
pin jaune seulement. Je pourrais acheter une grande partie de billots des
habitants rendus au bord du Saguenay et d'autres rivières, au prix de 8 à 12
sous par madrier. Pour le premier à seconde qualité coller après d'être scié
et le prix varira selon la distance que les billots seront & le risque qu'il y
aura à les rendre au moulin où les madriers seront manufacturier, embarquer aux frais et dépens de l'établissement, car ces gens ici ne comprennent pas de rendre leur bois autrement. Mais peut être que je pourrais les
persuadés de nous le vendre en billots. Mais pourtant ils veulent le vendre
trop chère, je crois que les conditions sis dessus mentionné plus avantageuse. »
(...) « Je vous avoue que j'ai eu un peu de trouble de persuadé les habitants de les faires coupé de bons billots de la manière que nous le désirons.
Car une partie sont des résidens du Saguenay et veulent (right or wrong)
continué sur les mêmes principes de la vieille coutume de la Grande Baie.
Mais a présent ils ont la raison de comprendre qu'il y a plus de profit de
coupé de bons billots que de mauvais, vu que sa leur sauve la dépense de
faire scié du mauvais bois et j'ose me flatter de penser que vous serez satisfait de la qualité de nos billots et soyez persuadé que tous ce que je fais
et ferai ce qu'il sera en mon pouvoir pour promoter les intérêts de l'Etablissement. » 55
***
[45]
Dans ses rapports, McLeod se plaint régulièrement du fait que les
habitants se livrent à un véritable gaspillage, coupent du mauvais bois
et ne respectent pas les dimensions requises aux exigences du marché.
Voyant arriver la fonte des neiges, il en profite également pour lui
demander de lui envoyer, au début de mars, un ouvrier spécialisé dans
la construction d'écluses et capable de monter des moulins, «car je
vous assure que les Mill Rights de la Malbaie et ceux du Saguenay
sont qu'indifféremment connaissant dans cette sorte d'ouvrage». Pour
que la scierie soit en mesure de fonctionner au printemps, se plaît-il à
préciser, il faudrait que son associé lui envoie, dès l'ouverture de la
55
torien Gaston Gagnon, qui a accepté de nous faire profiter de son expertise
dans ce dossier
Fonds Price, Ibid.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
47
navigation, un navire assez grand pour lui livrer les machines et les
équipements du moulin; 56 faisant d'une pierre deux coups ce bateau
pourrait en profiter pour prendre une première livraison de 1 000 madriers. Enfin, McLeod informe Price qu'il n'a pas eu le temps d'ouvrir
un chantier dans les environs du lac Kénogami et qu'il devra attendre
la prochaine saison de coupe pour atteindre cet objectif. 57
Malgré de petits contretemps qui étaient, avouons-le, guère prévisibles au départ, les premiers comptes rendus de McLeod à Price laissent tout de même croire que l'organisation de la scierie et l'opération
forestière n'avaient pas été réalisées à l'aveuglette. Rivière-du-Moulin
répondait positivement aux attentes de l'industriel qui veillait jalousement à la rentabilité de son entreprise. D'ailleurs, cette année-là c'est
toute l'organisation du Saguenay qui avait le vent dans les voiles. Un
rapport portant sur les opérations forestières effectuées dans l'ensemble du Saguenay au cours de l'année 1843, nous permet effectivement de mesurer la performance des chantiers de Price: cette année-là,
on y coupa 103 300 billots de pin blanc et 18 500 billots d'épinette.
Plus des trois quarts de cette production, soit 83 000 billots de pin
blanc et 11 000 billots d'épinette, provenaient des [46] territoires de
coupe de Priée; le reste de la production avait été l'œuvre de « jobbeurs » 58 solidement contrôlés par Price: Thomas Simard, Alexis
Tremblay, Elie Hudon, Charles Turgeon, Adolphe Gagnon et François
Guay. 59
56
57
58
59
McLeod parle ici du «rolling gate», de la «table» et des «scies rondes», ce
qui, dans le dernier cas, prouve historiquement que la scierie de la rivière du
Moulin était bel et bien équipée de scies rondes, une innovation au Saguenay depuis 1838.
Ibid.
Petits contracteurs forestiers travaillant pour un grand entrepreneur.
J.-P. Simard, Économie régionale..., op. cit., p. 24.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
48
La scierie de la rivière Chicoutimi
Retour à la table des matières
Du côté de la Compagnie de la Baie d'Hudson, les événements se
succédaient à un rythme effréné. Cette dernière n'était pas dupe du
plan élaboré par Price et savait très bien que, désormais, il lui serait
impossible de freiner l'avance des «usurpateurs» sur ce qui avait été
jadis son territoire exclusif. Pour elle, le combat était bel et bien terminé, bel et bien perdu! 60 À l'automne 1843, alors qu'il vient tout
juste de terminer la construction de la scierie de la rivière du Moulin,
McLeod décide de donner le grand coup et dirige son attention vers la
rivière Chicoutimi, tout près des installations de la Compagnie de la
Baie d'Hudson. Profitant d'un plus grand pouvoir hydraulique et d'un
havre portuaire intéressant, le métis entreprend de réaliser la seconde
partie du plan et d'organiser là une deuxième scierie. Cette dernière
deviendra la plus considérable de tout le Saguenay.
Le 4 novembre 1843, en présence de deux témoins, Price et
McLeod couchent sur papier les termes d'une seconde association qui
leur permettra de passer dans les plus brefs délais à la phase deux du
«projet Chicoutimi»: la construction de la scierie du «Bassin». Dans
cette entente signée chez le notaire de Price, L.T. McPherson, les deux
associés conviennent d'un commun accord de poursuivre conjointement l'expérience de la rivière du Moulin en se portant acquéreur de
lots de terre au Bassin pour y construire des écluses et des scieries. 61
[47]
Propriété commune des deux hommes, l'édification et l'administration de la scierie de la rivière Chicoutimi seront sous la responsabilité
directe et immédiate du métis qui verra à entreprendre les travaux
dans les plus brefs délais, de façon à ce qu'elle soit opérationnelle au
printemps de l'année 1844. De son côté, Price aura la responsabilité de
60
61
Archives de la Compagnie de la Baie d'Hudson, (D. 5/6, folios 147- 147d),
(D. 4/31, folios 19d-20).
ANQQ, E-9,4 novembre 1843, «Vieux papiers de la Commission desTerres
et Forêts».
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
49
fournir tout le matériel nécessaire à son organisation et s'occupera luimême de faire fabriquer à Québec la machinerie du moulin et de l'expédier à Chicoutimi dès la fonte des glaces sur le Saguenay. Naturellement, en vertu de l'entente, Price reste l'acheteur exclusif de la production de madriers (au prix fixé à l'avance de 6 £) qui devront être
coupés selon les «standards de La Malbaie»,
Fig. 6. Une partie de la scierie et des installations industrielles du Bassin, à la
fin du XIXe siècle. Photo: coll. de l'auteur.
[48]
c'est-à-dire 100 madriers de 12 pieds de longueur, sur 9 pouces de largeur, sur 3 pouces d'épaisseur. 62
62
Ibid. Cette unité, genre d'étalon officiellement adopté par la Compagnie
Price à 'époque, représentait environ 2 700 pieds de bois de pin (P.M.P.
«Pieds Mesure Planches»); cf., G.-E. LaMothe, op.cit.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
50
***
« Il est réciproquement convenu par et entre Peter McLeod, Junior de
Rivière-du-Moulin, Chicoutimi, au Saguenay, et William Price de Québec,
marchand, qu'ils agiront ensemble, main dans la main, et établiront une
entreprise commerciale conjointe en tentant d'acquérir et en acquérant des
lots de terre au Bassin de Chicoutimi et sur la rivière Chicoutimi, et en
construisant des moulins, des écluses et autres améliorations reliées à cette
entreprise. — Que les dites parties useront de toutes leurs influences, assertions, droits, prétentions et réclamations de quelque sorte que ce soit,
qui existent sur ces lots, avec et sur approbation du Gouvernement Provincial de sa Majesté ou de l'Honorable Compagnie de la Baie d'Hudson, soit
par des promesses obtenues, droits de naissance ou d'héritage, requêtes
adressées au Gouverneur Général en Conseil ou autrement, pour s'approprier les dits lots à obtenir sur la Rivière Chicoutimi et au Bassin, et lorsque ces lots seront obtenus par l'un ou l'autre, cette acquisition devant être
la propriété commune dudit Peter McLeod, Junior et dudit William
Price. »
« Que le dit Peter McLeod s'occupera sur place de la bonne marche du
dit établissement qu'on doit construire et faire fonctionner sur la Rivière et
le Bras de Chicoutimi à l'avantage et dans l'intérêt de la partie concernée,
(qu'elle) favorisera ses intérêts et aidera et utilisera tout ce qui est en son
pouvoir pour assurer le succès et les avantages de cette installation. »
« Que le dit William Price, pour sa part, aidera aussi et donnera son assistance à la bonne marche des affaires du dit établissement, de toutes les
manières possibles en son pouvoir et par les moyens à sa disposition; qu'il
s'occupera de faire construire, à Québec, la machinerie du moulin et
qu'elle sera expédiée de bonne heure au printemps, de façon à être installée à Chicoutimi aussitôt que la saison le permettra. »
« Que Peter McLeod, Junior, s'occupera de faire transporter le bois
d'oeuvre nécessaire sur les différents sites cet hiver pour l'écluse et le
moulin et fera sortir le bois pour alimenter le dit moulin, de pin rouge [49]
et jaune de première qualité et au plus bas prix possible; que les ouvriers
employés à ces travaux et les bateaux qui peuvent être chargés, seront
aprovisionnés à partir du magasin de Peter McLeod, Junior, et William
Price, mais que la part de profit qu'on pourra faire sur la dite marchandise
ou sur les provisions etc. qui seront fournies en acompte à l'entreprise du
moulin de Chicoutimi sera porté au crédit de cet acompte, de sorte qu'il n'y
aura qu'un seul magasin à cet endroit.»
« Et il est, par les présentes mutuellement accepté, par et entre les dites
parties que les madriers, qui constituent le produit du dit moulin, seront et
sont, par les présentes, vendus par la dite entreprise-mutuelle au dit Wil-
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
51
liam Price, pour être chargé sur ses bateaux, mis en piles à cet endroit, ou
si près de cet endroit qu'ils puissent être transportés au moulin au taux ou
au prix de six livres, au Standard de la Malbaie, c'est-à-dire 100 madriers
de 12' x 9" x 3" avec 5% du prix versé à Peter McLeod, individuellement,
pour tous les troubles que cela lui a causés et les services qu'il a rendus en
s'occupant de l'entreprise de toutes sortes de façons, en effectuant le tri des
madriers de même que leur classement pour l'expédition par bateaux. Peter
McLeod et William Price vendant et William Price, individuellement,
achetant le bois dont il est question. » 63
***
En dépit des tentatives d'obstructions de la part de la Compagnie
de la Baie d'Hudson qui, désormais, ne peut guère opposer de résistance puisque ses droits ont été littéralement sapés lors du renouvellement de son bail (le 2 octobre 1842), McLeod entreprend alors la
construction de la scierie du Bassin et se met en frais d'exploiter les
pinières du lac Kénogami. 64 Sans se soucier le moins du monde de
l'ancien maître des lieux, il s'installe donc à l'embouchure de la rivière
Chicoutimi, sur la rive ouest, et accapare le site de la première chute,
soit les lots 20 et 21 de la «réserve Chicoutimi»; un terrain d'une superficie de trois acres environ. 65
[50]
Au printemps 1845, l'usine fonctionne déjà à la moitié de son rendement 66 et, à l'automne suivant, toutes les scies, au nombre de six,
tournent à pleine capacité: à ce moment précis, l'organisation du Bassin comprend, une écluse située en amont de la première chute, un
quai de 500 pieds de longueur sur 40 pieds de largeur, trois maisons,
un magasin et la scierie proprement dite qui est située en aval de la
première chute; cette dernière mesure 156 pieds de longueur sur 72
63
64
65
66
Ibid. Traduction du manuscrit, Raoul Lapointe.
ANQC, fonds JPS, «Lettre de l’arpenteur Ballantyne à Park, 13 janvier
1845».
Gouvernement du Québec, Service de l'Arpentage, Canton C-30-2, p. 12,
«Ballantyne au Commissaire des Terres de la Couronne, 4 novembre 1845».
Gouvernement du Québec, Service de l'Arpentage, Canton C-30-2, pp. 3031, «Ballantyne à Thomas Parke, 13 janvier 1845».
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
52
pieds de largeur et comprend, ainsi que nous venons de le dire, six
scies circulaires. 67 Pour amener l'eau jusqu'aux turbines, McLeod a
fait creuser un immense canal qui relie l'écluse au moulin. 68 Dans le
but d'accélérer les opérations entre les deux scieries, Price a même
acheté, en 1845, un petit bateau à vapeur (le « Pocohontas ») de 30
chevaux, une innovation de première importance au Saguenay. 69
Contrairement à la scierie de la rivière du Moulin qui scie bon an
mal an entre 60 000 et 70 000 madriers par saison, 70 la scierie du
Bassin —appelée également dans les livres de comptabilité «moulin
de Kénogami»— détient quant à elle une capacité trois fois supérieure. Entre 1843 et 1846, les deux usines exportent grosso modo environ 250 000 madriers annuellement, ce qui représente une somme
d'environ 15 000 £. 71
Même si nous connaissons encore peu de chose sur les spécifications et la classification du bois de sciage imposées par [51] Price,
nous savons qu'en général ses usines de Chicoutimi doivent produire
uniquement du madrier de 3 pouces d'épaisseur, dont la longueur varie
de 6, 8, 10 et 12 pieds: les madriers de pin jaune doivent mesurer, autant que possible, 11 pouces de largeur, mais les contremaîtres acceptent également celui de 9 pouces; les madriers de pin rouge pour leur
part doivent mesurer 9 pouces de largeur. Critère de sélection important par contre, seuls les billots du pied de l'arbre qui ne comprennent
pas de nœud, doivent être charriés; de surcroît, ceux-ci doivent toujours mesurer plus de 12 pieds. Enfin, tous les madriers comprenant
une partie de pourriture, de fissures, de nœuds ou de faux bois, sont
irrémédiablement rejetés. 72
67
68
69
70
71
72
Gouvernement du Québec, Service de l'Arpentage, Canton C-30-2, pp. 1213, «Ballantyne au Commissaire des Terres de la Couronne, 4 novembre
1845».
Archives de l'Évêché de Chicoutimi, Série XVII, paroisse 12, cote 5, volume 3, pièce, 4-b2, plan de P.-L. Morin, «Westport of the town-plot of Chicoutimi».
L.-G. LaMothe, op. cit., p.13; G. Gagnon, Un pays neuf, op. cit., p. 84.
Ce qui représentait environ 1 500 000 pieds de bois de pin (P.M.P.).
G.-E. LaMothe, op. cit., p. 4.
G.-E. LaMothe, op. cit., pp. 3-4.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
53
Cadastrage et arpentage
du canton Chicoutimi
Retour à la table des matières
Aux yeux du Gouvernement, il devenait de plus en plus clair que la
colonisation à Chicoutimi et à travers tout le Saguenay ne pouvait plus
progresser dans cette même veine. D'ailleurs, au cours de l'été 1842,
cette colonisation hâtive avait même fait l'objet d'un rapport étoffé de
la part de l'arpenteur Jean-Baptiste Duberger. Délégué spécialement
pour aller vérifier sur place l'état de la marche du peuplement, Duberger avait eu en effet la surprise de constater que la récupération des
terres était en proie à une véritable anarchie et ce phénomène était loin
de s'atténuer et s'envenimait avec l'approche de l'expiration officielle
du bail de la Compagnie de la Baie d'Hudson, le deux octobre. Selon
sa propre estimation, le cas le plus urgent restait sans contredit celui
de la baie des Ha! Ha!, où 161 familles de squatters occupaient déjà
d'importantes superficies, sans trop se soucier des droits de propriété.
Sans être aussi grave, la situation était également jugée inacceptable à
L'Anse-Saint-Jean, à L'Anse-au-Foin et à la Rivière-du-Moulin où les
gens s'étaient là aussi installés à demeure. 73
[52]
Au mois de juillet 1842, rien n'a encore été fait malgré les vieilles
promesses de Lord Sydenham et les tentatives répétées d'Etienne Parent, le député du comté Saguenay. Aux yeux des commentateurs de
l'époque, si l'on ne procède pas à l'arpentage dans les plus brefs délais,
la situation risque de devenir encore plus critique, voire même incontrôlable. 74 Au printemps 1843, le Gouvernement est maintenant prêt à
73
74
Gouvernement du Québec, Service de 1'Arpentage, «Arpentage primitif du
Saguenay par Jean-Baptiste Duberger, 1842»; Jean-Paul Simard, «Le Saguenay de 1845», Saguenayensia, janvier-février 1970, pp. 9-10; ANQC,
fonds JPS, 11.2, «Murdock à Price, 4 août 1842»; Russel Bouchard et Jean
Martin, Ville de La Baie, op. cit., p. 25; Michel Bergeron et G. Bouchard,
«L’arpenteur J.-B. Duberger et les premiers recensements de la population
saguenayenne au XIXe siècle, Archives, décembre 1976, pp. 11-19.
Le Canadien, 8 juillet 1842, p. 3.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
54
passer aux actes et donne des ordres pour que l'on donne enfin des
instructions à ses arpenteurs: dans le Bas-Saguenay, Jules Tremblay
s'occupera du canton Tadoussac, J.-P. Proulx aura la responsabilité de
chaîner et de légaliser la situation des squatters vivant dans le canton
Saint-Jean et Jean-Baptiste Duberger verra à délimiter le tracé du
chemin et du canton Bagot; dans le Haut-Saguenay, Louis Legendre
s'occupera des cantons Tremblay et Harvey, François Têtu aura le
canton Simard alors que le canton Chicoutimi, plus compliqué, sera
confié aux soins de Duncan Stephen Ballantyne, un homme doté d'un
sens du devoir peu commun, bref un professionnel chevronné dont la
réputation n'est plus à faire et qui pourra très certainement être à la
hauteur du défi qui l'attend. 75
Dans son ordre de mission signé par Thomas Parke le 23 mai 1843,
Ballantyne doit en tout premier lieu tracer la ligne du «chemin Sydenham», tirée entre les cantons Bagot et Chicoutimi afin de servir de
point de repère pour le chaînage des deux cantons. Dans un deuxième
temps, il devra tirer la ligne de démarcation entre les cantons Laterrière et Chicoutimi, et en profiter pour subdiviser les premières parties
des lots prévus à la colonisation; règle générale, ces lopins de terre
ainsi divisés devront compter 105 acres et devront prévoir sur leur façade une langue de terre de 5% pour la construction des chemins. 76
75
76
Gouvernement du Québec, Service de l'Arpentage, Instruction de 1839 à
1844, volume V.
Gouvemement du Québec, Service de l’Arpentage, C-30-l, «Instruction de
Parke à Ballantyne, 25 mai 1843».
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
55
[53]
Fig. 7. Plan des installations de la scierie de McLeod, au Bassin, et de ce qui
reste de l'organisation de la Compagnie de la Baie d'Hudson, en 1845. Source: P.L. Morin, 1845, Archives de l'Évêché de Chicoutimi.
[54]
Les impressions fournies par Ballantyne dans son rapport d'arpentage portant sur les cantons Laterrière et Chicoutimi, fournissent de
bons indices qui nous permettent de bien sentir l'ampleur du désordre
qui règne dans le Haut-Saguenay. Seul bon point à l'ordre du jour, en
janvier 1845, Laterrière profite toujours d'un sursis et n'a pas encore
reçu la visite des colons. A Chicoutimi cependant, la situation est totalement différente et frise l'anarchie: les colons, frénétiques, ont littéralement envahi les terres situées entre les deux scieries et réclament à
grands cris leurs titres de propriété; McLeod, à lui seul, réclame
presque la totalité des terrains de la Rivière-du-Moulin et une partie
des rives de la rivière Chicoutimi. Alors que les terres de l'actuelle
paroisse Saint-Isidore sont déjà toutes prises, certains colons ont
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
56
même commencé à envahir les premières terres du plateau supérieur. 77
Parallèlement au petit bourg de Rivière-du-Moulin qui connaît un
accroissement notable, le secteur du Bassin enregistre donc lui aussi
un essor sans précédent. En dehors des installations de Price et de
McLeod et de l'organisation de la Compagnie de la Baie d'Hudson,
nous retrouvons déjà à cet endroit une vingtaine de maisons en bois
rond. Dans son rapport du 10 janvier 1845, l'arpenteur Ballantyne légalise la situation de onze squatters vivant sur des lots situés au nordest du chemin Sydenham, alors qu'un groupe de citoyens travaillent à
la construction d'un moulin à farine. Ces squatters deviendront, pour
la plupart, des familles souches de Chicoutimi: ce sont Malcome et
Jean Dechêne, James McCallister, William Tremblay, Léandre Lessard, Jules Villeneuve, Jean Guenard, Pascal Simard, Alexandre Dallaire, Étienne Dallaire et un dénommé Lazonnie G. En plus de ces
nouveaux venus qui viennent de se voir reconnaître leurs titres de
propriété, on compte également la présence de Grant Forest, Joseph
Asselin, [55] Thomas Harvey, le métis Louis Morel, Peter Blackburn,
David McLaren, William Smith, James Hechu et Jean Ouellet. 78
Non loin de là, juste en face de Chicoutimi, entre les TerresRompues et L'Anse-au-Foin, le phénomène de l'envahissement des
terres est tout aussi présent mais reste cependant sous contrôle. Legendre, qui a effectué sa première visite des cantons Tremblay et Harvey au cours de l'été 1843, note effectivement que ce sont essentiellement les terres du littoral qui ont été récupérées par les colons. François Têtu quant à lui, prend bien soin de préciser lors de son passage
dans le canton Simard, qu'en dépit des chantiers tenus par Peter
McLeod junior, aucun colon n'est encore implanté dans ce secteur en
77
78
Gouvernement du Québec, Service de l'Arpentage, (Laterrière, L-10), (Chicoutimi, C-30. Voir aussi à ce sujet, J.-P. Simard, «Le Saguenay de 1845»,
op. cit.
Gouvernement du Québec, Service de l'Arpentage, Canton C-30-2, (pp. 3031, «Ballantyne à Thomas Parke, 13 janvier. 1845»), (pp. 16- 17, « Ballantyne à Parke, 10 janvier 1845 »), (pp. 8-11, « Ballantyne à Papineau, 4 novembre 1845 »).
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
57
1843; en fait, le père du métis ne s'y installera à demeure qu'en
1844. 79
La visite des arpenteurs et les conclusions alarmistes qui s'en dégagent, auront pour effet immédiat de provoquer une véritable prise
de conscience au sein du pouvoir politique à Québec. A l'époque où
Ballantyne rédige son rapport, la colonisation du Saguenay et aux
alentours de Chicoutimi entre dans une phase d'essoufflement et subit
un court temps d'arrêt qui se prolongera jusqu'au milieu de la prochaine décennie: l'essor fulgurant que connaît l'industrie du bois de
sciage et la marche désordonnée du peuplement cachent en effet un
malaise inquiétant...
Lorsque le commissaire des Terres de la Couronne DenisBenjamin Papineau fait son rapport d'inspection au Saguenay, le 27
septembre 1845, il évalue sommairement à trois milles le [56] nombre
de «squatters» établis entre Grande-Baie et Chicoutimi. Dans ce document, constituant le premier compte rendu de l'état de la colonisation au Saguenay, Papineau note que dans certains secteurs la situation est tellement dégradée qu'elle frise le ridicule; certains lots étant
même revendiqués par quatre ou cinq travailleurs non-autorisés. 80 À
Chicoutimi et aux Terres-Rompues par exemple, là où le fils et le père
McLeod se sont installés en seigneurs, les colons vivent sous un véritable joug de terreur et sont incapables de faire valoir leurs droits du
premier occupant; tous ceux qui osent revendiquer trop haut leurs
droits de propriété s'exposent à des représailles physiques qui peuvent
aller jusqu'au molestage et à l'expulsion pure et simple du malheureux
contestataire. 81
79
80
81
Gouvernement du Québec, Service de l'Arpentage, (Tremblay, T-13), (Harvey, H-7), Simard, S-15). Voir également, Russel Bouchard, Histoire de
Chicoutimi-Nord, le canton Tremblay et le village de Sainte-Anne (18481854), Chicoutimi, 1985, vol. 1er, pp. 9-10; R. Bouchard, Villages fantômes,
localités disparues et méconnues du Haut-Saguenay, Chicoutimi, 1991, pp.
64-69.
«Extrait du rapport du commissaire des Terres de la couronne, relativement
à son voyage au Saguenay, en date du 27 septembre 1845», Imprimerie
Desbarats & Dershire, Montréal, original conservé aux Archives du Ministère des Terres et Forêts, OC2,151/1845. Voir aussi «Notes sur Vétablissement du Saguenay—Juin 1845».
Voir à titre d'exemple, ANQC, Cour de Circuit, dossier 16.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
58
Fig. 8. De 1839 à 1881 environ, William Price instaura le système des « pitons », une sorte de monnaie de singe qui lui permettait de maintenir la population
du Saguenay et de Chicoutimi dans une véritable condition d'esclavage. Source:
ANQC, fonds SHS, P-1000 (30.01).
[57]
Au moment où Jacques Crémazie déposera à son tour son enquête,
en 1850, la situation atteindra presque l'état de crise. 82 En effet, l'euphorie collective qui avait marqué l'ouverture du Saguenay fait place
désormais à un découragement profond. À cette époque, les gens
commencent à comprendre que la nouvelle région est loin d'être la
terre promise. 83 À Chicoutimi notamment, les plus beaux morceaux
82
83
Le recensement réalisé par le curé Jean-Baptiste Gagnon en 1859, démontre
que dix ans après le dépôt du rapport Crémazie, le problème de la reconnaissance des titres n'est toujours pas réglé car les procès entre colons constituent l'un des grands désordres auxquels doit faire face la communauté. Cf.,
Archives de l'Évêché de Chicoutimi, Série XVII, paroisse 12, cote 9, volume 1, pièce 8.
«Rapport du commissaire Jacques Crémazie sur le Saguenay, le 20 février
1850», ANQQ, petite collection Crémazie, J. Ce document a été publié par
Camil Girard, Le Saguenay—Lac-Saint-Jean en 1850, Sagamie/Québec,
1988
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
59
sont déjà tous occupés par des compagnies ou associations et plusieurs
immigrants de la première heure préfèrent plier bagage pour s'en retourner dans leur paroisse d'origine ou tenter leur chance sur la rive
nord du Saint-Laurent. Selon Crémazie, posséder une terre au Saguenay à l'époque relève à toute fin pratique de l'impossible. En plus
d'avoir de la difficulté à posséder son propre lopin, les plus fortunés,
ceux qui ont réussi à s'en procurer un, ont de la peine à le conserver.
Ils sont, soit endettés envers Price et McLeod à qui ils ont hypothéqué
tous leurs biens, soit trop pauvres pour payer les redevances à l'État.
Crémazie identifie sept causes de la crise: 1- le désappointement
éprouvé par les colons après avoir fait connaissance avec le climat et
l'absence de commodité; 2- la difficulté d'acquérir une terre; 3- le
manque de chemins et l'absence totale d'une organisation de voirie; 4la carence des lois en matière d'obligation communautaire et l'indifférence flagrante des colons entre eux; 5- la baisse des exportations de
bois et le chômage consécutif à cet état; 6- le manque de connaissances des méthodes de culture propres à ce nouveau milieu; 7- la [58]
difficulté des colons d'accepter de tenir une terre en «franc alleu roturier». 84
Proclamation de la «municipalité»
et du «canton» Chicoutimi
Retour à la table des matières
Aux yeux de la population québécoise, copieusement informée par
les journaux qui n'hésitent pas à dénoncer 1'incurie gouvernementale
en ce qui concerne la politique du peuplement, il est clair que le régime politique mis en place par le nouveau système constitutionnel ne
peut plus se désister devant ses responsabilités. Relativement aux cas
de Grande-Baie et de Chicoutimi, là où la situation est évidemment la
plus alarmante, Papineau propose de commencer d'abord par délimiter
84
Lorsqu'ils sont venus se fixer au Saguenay, les colons étaient habitués d'occuper le sol en suivant le droit seigneurial, avec une certaine forme de gratuité. Avec le mode anglais, l'acquéreur devait payer sa terre au gouvernement et c'est cette obligation qu'il ne pouvait accepter.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
60
des «réserves» de territoire qui serviront de point d'ancrage à la fondation de municipalités; à Chicoutimi notamment, Ballantyne propose
d'établir cette «réserve» 85 à l'embouchure de la rivière Chicoutimi, là
où sont installées la Compagnie de la Baie d'Hudson et la scierie
Price-McLeod. Selon lui, cet emplacement est le plus judicieux car
c'est à cet endroit que 1'activité humaine est la plus dense dans ce secteur. Quant au site de Rivière-du-Moulin qui dispose de nombreux
avantages sur le plan géographique, 1'arpenteur propose au Gouvernement de 1'ajouter à la réserve désignée: «La rivière qu'on appelle
du Moulin auprès de Chicoutimi offrant le meilleur port dans cette
localité, et présentant d'ailleurs, par 15 ou 18 arpents de chaque côté
sur la rive sud du Saguenay, une place en plaines et en amphithéâtre
d'une vingtaine d'arpents de profondeur, d'un [59] aspect vraiment
agréable et imposant soit en montant soit en descendant le Saguenay». 86
D'ailleurs, la situation désordonnée dans laquelle le Saguenay
s'était empêtré, n'était que le reflet caricatural de ce que vivait le système municipal du Bas-Canada à l'époque; conscient de cet épineux
problème, quelques années auparavant (1839), Lord Durham avait luimême déploré l'absence d'institutions municipales et prétendait dans
son rapport qu'il fallait engager le pays dans une véritable révolution
du régime municipal; cette sortie déboucha sur 1 ' adoption, 1 ' année
suivante, de la première loi qui dotait enfin le Bas-Canada d'institutions municipales. Votée le 29 décembre 1840, par le successeur de
Durham, Lord Sydenham, la loi prévoyait entre autre «l'élection et la
nomination de certains officiers [des « wardens »] dans les différentes
paroisses et townships de cette province», et déboucha sur la création
de 22 districts municipaux (proclamation du 15 avril 1841) auxquels
s'ajoutèrent quelques mois plus tard ceux de Montréal et de Québec
(proclamation du 3 janvier 1842). 87
85
86
87
C'est cette délimitation de la «réserve Chicoutimi» qui sera à l'origine de la
dénomination toponymique de la «Côte de la Réserve» et non pas, ainsi que
le veut la croyance populaire, l'existence potentielle d'une réserve indienne à
cet endroit
« Notes sur l'établissement du Saguenay, juin 1845 », op. cit.
4 Victoria, Chapitre 3. Voir aussi: Jean-Charles Bonenfant, «Le développement de notre système municipal». Concorde: Revue municipale, no 8-9,
août-septembre 1958, pp. 16-17; Roger Bussière, Le Régime municipal de la
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
61
Or, au moment de la crise des squatters au Saguenay, ce système
ne fonctionne pas. Pour corriger la situation, en 1845, le Parlement du
Canada-Uni crée une nouvelle structure municipale qui sera centrée,
cette fois, sur la paroisse religieuse qui, depuis le début du Régime
français, constitue la base de la
province de Québec, Ministère des Affaires municipales, Québec 1964, pp.
20-25; Julien Drapeau, Histoire du régime municipal au Québec, Ministère
des Affaires municipales, Québec 1967, pp. 33-47; Fernand Martel, Le système du canton au Québec, Service de l'Arpentage, Ministère de l'Énergie et
Ressources, 1986. L'auteur tient à remercier ici M. Fernand Martel, du Service de l'Arpentage, pour nous avoir généreusement fait profiter de son expertise en cette matière; Hidalla Simard, «Les seigneuries du district de Saguenay», Bulletin de la Société de Géographie de Québec, Québec, 1916,
pp. 76-93.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
[60]
L'épidémie de 1846
Monseigneur
Garin et Durocher sont partis pour les missions de la Côte-Nord. Honorat,
seul à la Grande-Baie, attend le prêtre qu'on lui a promis.
Nous serions vraiment ici dans un état pitoyable, si ce secours n'arrivait
pas. Les malades seuls de Chicoutimi et de la Grande Baie occuperaient les
deux prêtres. Pendant tout l'hiver, ils nous ont donné beaucoup d'occupation.
Maintenant que je suis seul, le nombre en augmente encore tous les jours. Il
n'y a pas de maison à Chicoutimi qui ne compte un scorbutique. A la Grande
Baie, il y a aussi un bon nombre de personnes atteintes de cette maladie qui
est très souffrante, très longue et a déjà donné la mort à quelques-uns. Ajoutez à cela la maladie des femmes enceintes qui les mettent presque toutes en
danger cette année, le scorbut s'y [manifestant] par des symptômes bien extraordinaires. Déjà plusieurs sont mortes à la suite de leurs couches. Et nous
n'avons d'autres chemins entre les deux places que le Saguenay qui les
éloigne de huit lieux et on est sûr d'avoir toujours un vent contraire. Je suis
entré à Chicoutimi dans une maison où j'ai trouvé une vingtaine de jeunes
gens restés des chantiers et presque tous atteints de la maladie qui règne ici.
Le docteur en attribue la cause au genre de nourriture qui n'est autre que le
gros lard anglais. De tout l'hiver, on n'a pas eu une patate pour tout le monde
des chantiers et pour bien d'autres depuis longtemps. A Chicoutimi, il n'y a ni
beurre, ni sucre, ni mélasse. De lait pour le grand nombre, inutile d'en parler.
Le docteur défendant le lard, un bon nombre de ces malades ne peuvent
prendre que de la farine détrempée dans l'eau.
Vous comprendrez aussi, Monseigneur, dans quel état la maladie de tant
de gens aura réduit nos provisions et nos finances personnelles. A la lettre,
ici, quand le père ou la mère sont malades (et c'est les grandes personnes qui
sont atteintes), la famille est là à mandiciter; et à la lettre, il n'y a que le curé
qui puisse faire la charité. Au hangard, on avance sur le compte, des provisions ordinaires et en petite quantité pour la famille et voilà tout. Et même en
ayant fait beaucoup, ce que j'ai pu faire n'est pas grand-chose pour tant de
gens. Dans ma position j'aurais eu besoin de trois cents livres de petites provisions diverses pour accorder quelques soulagements à tant de gens. Les
gens ont souffert et souffrent encore beaucoup et il faut se contenter de souffrir avec eux.
Honorat à Turgeon
1er mai 1846
ANQC, fonds JPS.
62
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
63
[61]
cellule sociale du pays; les conseils de districts sont alors abolis et la
population de chaque paroisse, canton ou municipalité, est constituée
en corporation dont les pouvoirs sont censés être exercés par un conseil composé de sept conseillers élus pour trois ans. C'est en vertu de
cette loi que le 18 juin 1845 — en même temps qu'il proclame la création de 322 municipalités— que le Gouvernement procède enfin à la
création des municipalités de Chicoutimi (comprenant alors les cantons Chicoutimi, Laterrière, Simard et Tremblay) et de Bagot (comprenant les cantons Bagot, Simon et Harvey). 88
Nettement imparfaite elle aussi, cette dernière loi est loin d'être satisfaisante. Le 1er septembre 1847, de nouvelles dispositions législatives entrent en vigueur et abrogent la loi de 1845. Préparée par Bradley, cette dernière abolit donc les municipalités de paroisses et de
townships et les remplace par des municipalités de comté. 89 À la faveur de cette législation, le Comté de Saguenay est réparti en deux
divisions: la première, dont le chef-lieu se situe aux Éboulements,
forme son conseil immédiatement et tient sa première séance les 13 et
14 décembre suivants; la seconde division, nommée «Division no 2 du
comté de Saguenay», sera formée des cantons Bagot, Laterrière, Chicoutimi, Harvey, Jonquière, Simard et Tremblay, ne s'organisera que
trois ans plus tard et choisira Grande-Baie comme chef-lieu. C'est
dans ce contexte de restructuration que, le 21 octobre 1848, le Gouvernement proclame l'érection du «Canton Chicoutimi». 90
88
89
90
8 Victoria, Chapitre 40.
10-11 Victoria, Chapitre 7.
C.-E. Deschamps, Municipalités et paroisses dans la province de Québec,
Québec, Imprimerie Léger Brousseau, 1896, pp. 114-115.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
64
Proclamation du canton Chicoutimi 91
21 octobre, 1848
« Toute cette étendue ou compeau de terre borné et limité comme suit : - au
nord-est, par la Rivière Saguenay; au sud-est, par le canton de [62] Bagot ; au
sud-ouest, par le canton de Laterrière; au nord-ouest, par les terres vacantes de la
Couronne. »
« Commençant sur la rive sud du Saguenay à un poteau et borne en pierre érigés pour le coin nord-ouest du canton Bagot et le coin nord-est de la dite étendue
de terre; de là, longeant la ligne de séparation du dit canton de Bagot et la dite
étendue ou partie de terre, sud astronomiquement, trente-huit degrés ouest, sept
cent soixante et seize chaînes, plus ou moins, à un poteau et borne en pierre formant le coin le plus au sud de la dite étendue ou partie de terre; de là, nord astronomique, cinquante-deux degrés ouest, sept cent dix-huit chaînes, cinquante et un
chaînons, plus ou moins, à un poteau et borne en pierre formant le coin le plus à
l'ouest de la dite étendue, ou partie de terre; de là, nord astronomique, trente-huit
degrés est, quatre cent six chaînes, plus ou moins, jusqu'à la Rivière Saguenay,
suivant les sinuosités d'icelle, jusqu'au point de départ. »
Annexions :
91
-
Le canton de Jonquière par résolution du Conseil de Comté du 1er août,
1855
-
Moins: Tremblay organisé en municipalité par résolution du Conseil de
Comté, en date du 1er juillet 1855.
-
Moins: Le canton de Simard annexé à Tremblay par résolution du Conseil
de Comté, en date du 1er août 1855.
-
Moins: Le canton de Jonquière, par Conseil de Comté en 1866.
-
Moins: Les limites de la ville de Chicoutimi, par 42-43 V. c. 61.
-
Moins: Cette partie du canton de Chicoutimi, comprise dans St-Dominique
de Jonquière, par Ordre en Conseil du 28 décembre 1882.
-
Moins: Partie du canton de Chicoutimi et le canton de Laterrière, compris
dans N.-D. de Laterrière, par Ordre en Conseil du 28 décembre 1882.
-
Moins: Cette partie comprise dans Bagotville, Nord-Ouest, par 22 Vict. c.
69.
C.-E. Deschamps, Municipalités et paroisses de la Province de Québec,
1896, pp. 114-115.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
65
Début de l'organisation religieuse :
construction de la chapelle
de Rivière-du-Moulin
Retour à la table des matières
Les petites colonies de peuplement qui s'étaient ainsi établies entre
L'Anse-Saint-Jean et Chicoutimi eurent beaucoup à souffrir de l'éloignement de l'Église. De la mort du père de La Brosse, en 1782, jusqu'à l'année 1845, c'est un prêtre séculier qui était sensé venir au
moins une fois l'an à Chicoutimi pour donner la mission. Avant que
n'arrivent les premiers travailleurs de McLeod, la mission du poste de
Chicoutimi était donnée par [63] l'abbé Isidore Doucet, curé de l'ÎleVerte; ce dernier fut remplacé en 1839, par les curés des paroissesmères de la région de Charlevoix. Après l'annonce officielle du retrait
définitif du monopole de la Compagnie de la Baie d'Hudson, Mgr Signay décidait de nommer un missionnaire permanent au Saguenay et
confia cette responsabilité au vicaire de La Malbaie, l'abbé Charles
Pouliot; ayant pour consigne d'établir sa résidence à la Grande-Baie,
ce dernier arriva vers le 2 ou 3 novembre 1842, devant une population
en liesse qui s'était regroupée près du quai pour l'accueillir. 92
L'abbé Pouliot était arrivé à la Grande-Baie dans un contexte tout à
fait particulier, alors que la colonisation du Haut-Saguenay entrait
dans une nouvelle phase. Conscient que l'avance du front pionnier
dans les environs de Chicoutimi l'empêchait de donner un service religieux valable à toutes ses ouailles, il demanda donc de l'aide à son
évêque, mais celle-ci lui arriva sous une forme totalement imprévue;
au mois d'août 1844, alors que le Saguenay se débat avec sa crise de
l'arpentage, le curé Bourret de La Malbaie, lui aussi un ancien missionnaire au Saguenay, arrive à la Grande-Baie pour annoncer aux
colons de l'intérieur que les Oblats de Marie Immaculée ont accepté
92
L.-A. Martel, Notes sur le Saguenay (1858-1865), Centres d'Études et de
Recherches historiques du Saguenay, Chicoutimi, 1968, pp. 35-41.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
66
de se charger des missions du Saguenay, «tant canadiennes que sauvages». 93 Pour l'Église saguenéenne, une nouvelle ère commençait...
***
Le supérieur des Oblats, le père Jean-Baptiste Honorat, débarque à
la Grande-Baie, le 15 octobre 1844; dans ce voyage l'accompagnent
les révérends pères Flavien Durocher, Médard Bourassa et Pierre Fisette. Le dynamisme des nouveaux missionnaires ne prendra guère de
temps à se manifester. Dès le lendemain de leur arrivée, les pères Durocher et Fisette partent donner la mission dans les différents établissements de [64] la région. Aussitôt rentrés à la Grande-Baie, ils entreprennent l'étude de la langue montagnaise afin de mieux communiquer avec les Indiens vivant au poste de Chicoutimi. Pour bien réaliser
leur travail, l'archevêque leur recommande d'avoir tous les égards possibles envers les McLeod et la Compagnie de la Baie d'Hudson, avec
lesquels il est important de vivre en bonne intelligence. 94
L'annonce de l'arrivée des révérends pères Oblats est accueillie
avec soulagement par la population de Chicoutimi. Ces travailleurs,
habitués à vivre avec l'assistance constante d'un prêtre catholique, ne
sont pas sans s'inquiéter de la présence de quelques familles protestantes dans leur milieu, d'autant plus que depuis quelques semaines,
certaines rumeurs persistantes annoncent la construction prochaine
d'une chapelle protestante à Rivière-du-Moulin. Visiblement décidés à
sauter sur la première occasion, le jour même de l'arrivée des Oblats,
les chefs de famille se réunissent chez le colon André Gagnon pour
discuter du problème et pour tenter de trouver une solution durable à
l'absence d'un prêtre permanent. On étudie alors différents aspects de
la question et, à la fin de la réunion, on approuve à l'unanimité une
résolution voulant qu'une certaine somme d'argent soit prélevée au
moyen de souscription afin de payer le missionnaire qui viendra les
93
94
L.-A. Martel, op. cit., p. 40. Aussi: Mgr Marius Paré, L'Église au diocèse de
Chicoutimi (1535-1888), tome 1er, pp. 137-144.
ANQC, fonds JPS, « Signai à Honorat, 25 avril 1844 », « Honorat Turgeon,
14 novembre 1844 ».
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
67
desservir; certains travailleurs offrant de payer 5 et même 10 chelins,
d'autres s'engageant à payer la dîme en nature. 95
Sitôt arrivés, les Oblats commencent par organiser la base de leur
apostolat en construisant une chapelle à Saint-Alphonse. Loin de
prendre à la légère les rumeurs qui circulent à propos de [65] la chapelle protestante, Honorat entreprend d'effectuer une première visite à
Chicoutimi dans l'idée avouée de rencontrer McLeod, maître incontesté des lieux. Lors de son voyage, le père choisit de célébrer la messe
dans une maison de Rivière-du-Moulin plutôt que dans la chapelle du
Bassin, afin de marquer sa préférence pour la construction du nouveau
temple. Conscient que les habitants sont trop pauvres et encore trop
peu nombreux, il leur conseille de construire un édifice plus polyvalent et plus pratique, une maison qui servira à la fois de presbytère,
d'école et d'église. 96
À la suite de son voyage à Chicoutimi, Honorat décide que la chapelle sera construite dans le secteur de Rivière-du-Moulin, sur le plateau supérieur de la rive droite, tout près de la demeure de McLeod,
car c'est là, à son avis, que se trouve le gros de la population. Au milieu du mois de décembre 1844, il convoque donc une assemblée de
tous les résidents des alentours, procède à la nomination des syndics et
accorde le contrat de la préparation et de la coupe du bois devant servir à la construction de la chapelle. 97
Informé de cette initiative par des travailleurs gagnés à sa cause,
McLeod oppose aussitôt un refus énergique à la décision d'Honorat, et
menace de sévir contre tous ceux qui prendront le parti d'aider le missionnaire dans l'exécution de son projet; en fait, il fait tant et si bien
que les deux ouvriers de Grande-Baie, affectés à la préparation du
95
96
97
Archives de l'Évêché de Chicoutimi, Série XVII, paroisse 12, cote 3, vol. 4,
«Souscription des habitants de la Rivière-du-Moulin pour les pères Oblats,
15 octobre 1844»; ANQC, fonds JPS, 9-40, «Honorat à Sydime 16 octobre
1844». L. Bélanger, Rivière-du-Moulin, op. cit., p. 26; «La chapelle de Rivière-du-Moulin», Progrès du Saguenay, 6 août 1942, p. 22; «Un document
intéressant», Le Progrès du Saguenay», 6 août 1922.
ANQC, fonds JPS, «Honorat à Turgeon, 14 novembre 1844». Voir aussi :
Archives de l'Évêché de Chicoutimi, «Documents et informations transcrits
dans un ancien registre d'actes par M. Jean-Baptiste Gagnon».
L. Bélanger, op. cit., p. 31.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
68
bois, sont obligés de plier armes et bagages après seulement deux
jours d'ouvrage.
Averti du renvoi de ses deux engagés et toujours décidé à ne pas
s'en laisser imposer, Honorat réagira promptement: «Le chemin existe,
—réplique-il à son supérieur — l’église va être debout, voilà tout...»
Après avoir célébré la messe de Noël dans la maison d'un colon de
Rivière-du-Moulin, le père convoque une assemblée populaire à laquelle assiste McLeod. Devinant [66] l'entêtement du prêtre, le métis,
fidèle à son image, sort de ses gonds et devient encore plus agressif;
intraitable, il n'hésite pas à recourir une fois de plus «à l'intimidation
des poings et du bâton» et se dit «capable de tout renverser et chapelle et habitations s'il apprenait qu'on fit pareilles démarches». 98
S'engage alors entre les deux hommes une lutte féroce, un duel sans
merci qui prendra fin avec le rappel du père Honorat, quelques années
plus tard.
Selon la propre évaluation du père Honorat, qui se dit motivé par
d'uniques considérations d'ordre pratique, McLeod a de nombreuses
raisons de s'opposer à la volonté populaire et de désirer que les catholiques construisent leur temple au centre des deux colonies de peuplement: en tout premier lieu, dit-il, l'industriel veut rester roi et
maître du secteur et il ne tient absolument pas à ce qu'un éventuel
concurrent ne vienne s'établir près de son négoce pour gruger une partie de son monopole; de plus, ce dernier craint comme la peste que
l'établissement d'un temple catholique fasse avorter son propre projet
d'établir un temple protestant à la Rivière-du-Moulin; enfin, pour Honorat, ce qui met le plus McLeod en furie, c'est la possibilité «que les
habitants ne fassent une pétition au gouvernement pour demander que
les emplacements sur lesquels ils ont bâti, soi-disant sur la propriété
de McLeod, leur soient vendues à eux par le gouvernement, comme
emplacements et que le gouvernement n'accède à leur demande et par
suite à celles qu'ils pourraient bien lui faire des six acres de terrain
pour l'église etc.. sur le même lieu». 99
98
99
ANQC, JPS, «Honorat à Sidyme, 28 décembre 1844». Voir aussi: Jean-Paul
Simard, «Lepère Jean-Baptiste Honorat: son séjour au Saguenay (18441849)» Évocations et témoignages, Évêché de Chicoutimi, 1978, pp.59-79.
«Honorat à Sidyme, 28 décembre 1844», op. cit.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
69
Au début du mois de janvier 1845, nullement ébranlé par la violence des propos de son antagoniste et croyant — peut-être à tort —
qu'il est le seul à pouvoir faire entendre raison à McLeod, Honorat est
toujours à Chicoutimi pour s'occuper [67] personnellement de son
projet de construction. Malgré les mises en garde de ses supérieurs (le
père Guigues et Mgr de Mazenod) qui lui disent de ne pas froisser la
susceptibilité des grands propriétaires, le missionnaire persiste et
s'acharne. Le 4 janvier 1845, à l'étonnement général, McLeod convoque en entrevue Honorat et les syndics. Dans cette rencontre ultime,
le bouillant métis fait alors volte face, décide d'assister le prêtre dans
sa démarche et offre même un terrain et de l'argent pour l'érection de
la chapelle; cet emplacement, est situé sur le plateau qui se trouve à
mi-côte et domine la rive droite de la rivière du Moulin. À la fois surpris et soulagés de la tournure des événements, les syndics acceptent
l'offre avec empressement et signent sans plus tarder une convention
liant les deux parties. 100 Pour McLeod, c'était reculer pour mieux sauter...
Aussitôt après la signature de l'accord, les hommes d'Honorat
commencent à récolter l'argent et entreprennent la construction. En
moins de quinze jours, le 19 janvier 1845, le temple est officiellement
terminé et est béni par le père Honorât. Placée sous le vocable de
« Saint-Nom-de-Jésus », cette petite chapelle, construite en pièces sur
pièces et mesurant 36 pieds sur 20, fait face à la rivière et ressemble
un peu à une étable. 101
100
101
J.-P. Simard, «Le père..», op. cit.; L. Bélanger, op. cit., p. 33.
«1845, bénédiction de la chapelle», dans AEC, «Documents et informations
transcrits...» Ibid
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
70
Le duel McLeod-Honorat s'amplifie:
la fondation du Grand-Brûlé
Retour à la table des matières
On l'aura sans aucun doute très bien perçu, l'accord de dernière
minute ne signifiait pas pour autant la fin du combat entre les protagonistes. Le différend qui avait pris racine autour de la question religieuse et qui avait été à l'origine du conflit de personnalité opposant
ces deux hommes dotés d'une forte trempe, risquait maintenant de se
déplacer sur un autre front, celui de la colonisation...
En effet, les aléas qui avaient entouré la construction de la chapelle
de Rivière-du-Moulin avaient eu entre autres comme conséquence de
faire comprendre à Honorat et à son groupe qu'ils représentaient à ce
moment l'unique force capable de fournir une certaine forme d'opposition aux potentats du Saguenay. Conscient que son organisation était
encore la seule à pouvoir encadrer le mouvement de colonisation qui
venait tout juste de s'amorcer dans la région, le père Honorat décidait
de s'engager activement pour supporter et orienter la formation de la
société saguenéenne. L'expérience sociale des «colonies agricoles
libres», vécue en Hollande, en France et en Belgique dans les années
qui précédaient son voyage au Canada, constituait pour lui une source
d'inspiration et méritait très certainement d'être testée en Amérique du
Nord. 102
102
J.-P. Simard, «Le père...», op. cit., p. 68.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
71
[68]
Fig. 9. Le village de Chicoutimi, au milieu du XIXe siècle. Nous pouvons remarquer le cimetière (premier plan), le presbytère (centre), la fromagerie de Siméon Fortin (centre gauche) et la côte Bossé (extrême droite). Photo: ANQC,
fonds SHS, no 133.
[69]
Sa vision d'une communauté rurale engagée sur le plan de la foi
chrétienne et toujours prête à se porter au secours des opprimés n'aura
cependant pas lieu de plaire à tout le monde. Pour William Price et
Peter McLeod, la population locale représente d'abord et avant tout
une maille essentielle dans la chaîne de production de leur industrie,
une main-d'œuvre qui leur appartient de plein droit, et il leur apparaît
capital de neutraliser le mouvement de libération qui pointe à l'horizon.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
72
Au cours de l'année 1846, la plus difficile depuis le débarquement,
les événements vont se précipiter à un rythme soutenu. Le 5 mai de
cette année-là, une série de feux d'abattis allumés un peu partout à travers le canton Bagot, se transforme, à la faveur d'une sécheresse exceptionnelle, en un gigantesque incendie qui dévaste la majeure partie
du canton. La forêt, les cultures, les habitations, les moulins et les
quais de Grande Baie sont réduits en cendres en moins de deux
heures; au total, 1 061 personnes sont touchées directement par le sinistre. 103 L'épreuve est de taille. Tout est à recommencer. Il faut reconstruire les maisons, labourer les champs et ensemencer de nouveau. Il y a cependant un bon côté à cette tragédie. Une importante
quantité de terre se trouve dégagée de son couvert forestier; de
grandes surfaces deviennent ainsi disponibles à la culture et le «brûlé»
offre une excellente capacité de rendement.
Pour les dizaines de familles dans le besoin, il faut tout de même
obtenir du secours. Les Oblats prennent la tête du mouvement. Une
cinquantaine de personnes, femmes et enfants, sont envoyées à La
Malbaie pour y être logées en attendant que les maisons soient reconstruites. Le père Honorat de son côté, descend à Québec où il obtient
l'aide de l'Archevêché et du Séminaire. La Vieille Capitale donne 50
louis, le Séminaire de Montréal 25 et chaque paroisse de l'archidiocèse organise une souscription. La générosité n'est cependant pas aussi
grande qu'on le souhaiterait; des rumeurs ayant couru à Québec que le
malheur aurait été volontairement exagéré par ceux qui sollicitent de
l'aide en son nom. 104
[70]
Il est difficile d'évaluer dans quelle proportion la tragédie de 1846
a pu favoriser l'entreprise que les Oblats s'apprêtent à lancer dans le
canton voisin de Laterrière. Le père Honorat, rêvant d'une paroisse
entièrement consacrée à l'agriculture, dispose cependant là d'une excellente occasion pour décider bon nombre de familles vivant à SaintAlphone, Saint-Alexis et Chicoutimi, à le suivre pour aller fonder la
colonie libre du Grand-Brûlé. Cette idée représente donc une tentative
originale de libérer le mouvement de colonisation de l'emprise de
Price qui maintient solidement son autorité par l'entremise de ses deux
103
104
L.-A. Martel, op. cit., pp. 44-45.
Ibid., pp. 46-47. ANQC, fonds JPS, «Honorat à Turgeon, 12 juin 1846».
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
73
gérants; McLeod à Chicoutimi et Robert Blair à la Grande-Baie. Pour
1'Archevêché de Québec, tout porte à croire également que le projet
de fondation du Grand-Brûlé risque d'avoir la conséquence bénéfique
d'éloigner momentanément Honorat de Chicoutimi; pour apaiser les
tensions entre McLeod et Honorat, voilà sans aucun doute une excellente occasion...
Suite aux premières démarches effectuées auprès du gouvernement, le missionnaire-colonisateur réussit ainsi à obtenir des concessions de plusieurs lots situés en plein centre du canton Laterrière. Papiers en mains, dans les semaines qui suivent l'incendie, Honorat convainc quatre habitants de la Grande-Baie d'aller s'établir sur des terres
du Gouvernement, dans l'espoir qu'ils contribueront à fonder le premier noyau de peuplement du Grand-Brûlé. 105
Aussitôt arrivé, le petit groupe entreprend d'abord l'ouverture d'un
chemin devant lui permettre de communiquer avec la Grande-Baie; ce
travail terminé, chacun se met à l'ouvrage, prépare le sol, herse et
sème avec des nouvelles techniques qui serviront de modèle aux habitants des alentours. Sans plus attendre, Honorat entreprend alors la
construction d'un moulin à scie et à farine afin que les habitants soient
en mesure de traiter eux-mêmes leur bois, «un avantage qu’il leur
était impossible à se procurer ailleurs». Assuré du bien-fondé de son
action et intéressé à la viabilité financière de son projet, [71] le prêtre
va même pousser la témérité jusqu'à défier les puissants de l'époque,
en achetant directement du bois des colons qui ont l'habitude de
vendre la totalité de leur production à McLeod. 106 La riposte ne tardera pas et sera foudroyante...
Malgré son enthousiasme débordant et des premiers résultats fort
encourageants, Honorat comprend très tôt qu'il s'est empêtré dans un
véritable bourbier auquel il pourra difficilement échapper. Libéré
d'une des meilleures portions de son territoire de coupe, soulagé de
plusieurs de ses meilleurs hommes et amputé, pour la première fois,
de son monopole, McLeod voit là un affront qui ne peut se laver que
105
106
ANQC, fonds JPS, «Requête de Honorat à William Price, 14 août 1848».
Ibid. Voir aussi: Gaston Carrière, Histoire documentaire de la congrégation
des missionnaires Oblats de Marie-Immaculée dans l'Est du Canada (18411861). Ottawa, 1961, t. III, pp. 63-77; Camil Girard et Normand Perron,
Histoire du Saguenay—Lac-Saint-Jean, IQRC, 1989, p. 201.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
74
par le départ de son ennemi. Réagissant promptement à l'attaque, bien
conseillé par Price et profitant de l'expérience acquise dans l'affaire de
l'église de Rivière-du-Moulin, le métis va jouer de finesse...
Sachant fort bien que son opposant doit répondre de ses gestes devant ses supérieurs, McLeod entreprend par personnes interposées une
véritable campagne de salissage auprès de ses supérieurs qui viendront à croire que leur délégué a trahi la mission qu'on lui a confiée;
certains de ses confrères, surtout ceux qui font partie de l'entourage de
l'archevêque, jaloux de la popularité du missionnaire et de son influence, vont même en profiter pour calomnier leur «ami» qui a changé sa soutane d'Oblat contre la tunique du percepteur. Sur le front régional, l'attaque du métis est là aussi sans merci! Encore une fois, par
le biais d'un tiers, McLeod réussit à convaincre un colon de l'endroit,
Mars Simard, de contester juridiquement la validité des titres où Honorat a entrepris la construction d'une chapelle. À partir de ce moment, « l'affaire du Grand-Brûlé » prend des proportions énormes et
paraît pour plus d'un comme « un vol [72] crapuleux, commis par un
membre de l'Église, au nom de l'Église ». 107 Honorat ne s'en remettra
jamais...
Au printemps 1848, alors que le père Honorat tente encore de limiter les dégâts du complot ourdi contre lui, McLeod poursuit son action
de «nettoyage» et dirige son attention vers le secteur de la rivière aux
Sables, où plusieurs colons originaires de La Malbaie ont entrepris de
fonder une nouvelle colonie de peuplement. 108 En fin stratège, le métis gagne à sa cause plusieurs «sauvages» et réussit à les convaincre
d'adresser une pétition au Gouverneur de Montréal pour que ces terres
leur soient concédées. Incapable d'avoir gain de cause dans cette démarche et voyant que la situation lui échappe à son tour, le métis
contre-attaque en faisant construire par une quarantaine d'hommes une
écluse sur la rivière aux Sables, imaginant qu'il pourra ainsi enrayer
l'avance du front pionnier. 109
107
J.-P. Simard, «Un procès au Saguenay en 1847», Laterrière au Saguenay,
des origines à nos jours, 1983, pp. 56-59; «Le père Jean-Baptiste Honorat...», op. cit
108 ANQC, fonds JPS, «Honorat à Turgeon, 16février 1848».
109
ANQC, fonds JPS, «Gagnon à Cazeau, 6 mars 1848».
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
75
Cette fois-ci, la bouchée est trop grosse pour McLeod, car l'œuvre
du père Honorat —malgré sa faillite apparente— commence à donner
de premiers résultats. Ayant tiré profit de l'expérience du GrandBrûlé, les colons ont en effet pris soin de s'unir et de s'organiser en
société pour être en mesure d'offrir une force d'opposition au puissant
lobby du bois; aidés dans leurs démarches par Mgr Antoine Racine, ils
viennent de fonder la Société de défricheurs et de cultivateurs du Saguenay et se préparent à tracer la voie aux autres sociétés qui vont venir ouvrir le Lac-Saint-Jean à la colonisation. L'histoire du Saguenay
est à un tournant et, ni McLeod, ni Price n'y pourront rien. 110
De l'avis de l'abbé Jean-Paul Simard qui a bien étudié le cas du
père Honorat et de sa fondation du Grand-Brûlé, «les projets du père
Honorat coûteront un prix moral très élevé, non seulement pour le
promoteur lui-même mais pour toute la [73] communauté et même
pour les habitants du Saguenay 111 Après son rappel par l'Archevêché
de Québec, au mois d'août 1849, Honorat quitte le Saguenay, à la fois
soulagé et meurtri. Ses confrères poursuivront son œuvre pendant
quatre autres années. Ils quitteront le Saguenay à leur tour et seront
remplacés par des prêtres séculiers rattachés à l'archidiocèse de Québec. 112
La nomination du curé
Jean-Baptiste Gagnon
Retour à la table des matières
Lorsqu'il avait entrepris de s'occuper de la fondation du GrandBrûlé, Honorat avait très bien compris que la tâche qui l'attendait risquait de monopoliser tout son temps et qu'elle allait l'éloigner pendant
plusieurs mois de la population de Chicoutimi. Afin de l'aider dans sa
tâche, et probablement pour favoriser son éloignement de Chicoutimi,
l'archevêque de Québec avait acquiescé à sa requête et avait demandé
à l'abbé Jean-Baptiste Gagnon — un jeune colosse de 300 livres âgé à
110
111
Russel Bouchard, Le Pays du Lac-Saint-Jean, 1988, pp. 77-78.
J.-P. Simard, «Le père Jean-Baptiste Honorat...», op. cit., p. 70.
112 G. Carrière, op. cit.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
76
peine de 26 ans, véritable bourreau de travail de surcroît — de se
rendre au Saguenay pour prendre charge de la mission de Chicoutimi. 113
Bénéficiant de la confiance de ses supérieurs... et probablement de
celle de Price et McLeod, l'abbé Gagnon semble donc pour plus d'un
le candidat idéal, car il connaît bien l'endroit où il est assigné puisque
pendant deux mois il a personnellement aidé le supérieur des Oblats à
s'installer à Chicoutimi. Le vicaire d'Honorat profite en effet de privilèges peu communs; arrivé à Chicoutimi à la fin de l'automne 1846
par le « steamboat » de Price, il est logé gratuitement dans une [74]
maison de McLeod, en attendant que les habitants lui construisent une
demeure permanente. 114
De toute évidence, le premier gros dossier qui lui est confié en
terre saguenéenne, n'est probablement pas étranger à la querelle qui
vient tout juste d'opposer McLeod à Honorat dans l'affaire de la chapelle de Rivière-du-Moulin. Près de deux ans se sont écoulés depuis
cette chicane mémorable, la population de Chicoutimi a passablement
augmenté et les habitations s'étendent maintenant un peu partout le
long de la grève (l'actuelle rue Racine), entre les deux scieries. Même
si les fidèles de Rivière-du-Moulin, avec leur chapelle toute neuve,
113
V. Tremblay, Les trente aînées de nos localités, SHS, 1968, pp. 60-61. L.-A.
Martel, op. cit., pp. 49-50. Pour une courte biographie, voir: ANQC, fonds
SHS, dossier 17, pièce 20 (ancienne cote); Mgr Tanguay, Répertoire général
du Clergé Canadien, 1893, p. 261 ; ANQC, fonds SHS, dossier 17 pièce 28
(ancienne cote); J.-B.-A. Allaire, Dictionnaire biographique du clergé canadien-français, Montréal, 1910. Voir aussi: AEC, «Documents et informations transcrits...» op. cit.
114 ANQC, fonds JPS, «Honorat à Sidyme, 11 novembre 1846», (Honorat à
Guigues, 8 janvier 1847).
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
77
Fig. 10. Le curé Jean-Baptiste Gagnon. Photo: coll., Archives de l'Évêché de
Chicoutimi.
[75]
sont passablement bien organisés, il n'en reste pas moins que selon
l'entente intervenue entre McLeod et l'Archevêché, cet édifice a été
construit pour répondre à des besoins temporaires qui ne doivent pas
excéder les quatre ou cinq ans. Quant à la chapelle des Jésuites, inutile
d'y penser, car tous savent parfaitement bien qu'elle ne peut plus
rendre aucun service. 115
Dans ce nouveau contexte, on comprendra très bien que les besoins
en matière d'équipements religieux dans le fief de McLeod, exigent du
doigté de la part des autorités religieuses qui croient d'ailleurs à juste
titre qu'il leur faut jouer de finesse dans ce dossier toujours brûlant.
Après avoir bien évalué la situation et les enjeux, à la sortie de la
messe du 20 mai 1847, le curé convoque tous les habitants afin de dé115
ANQC, fonds JPS, «Turgeon à Honorat, 31 mai 1847».
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
78
cider des dispositions à prendre à propos de la construction de la nouvelle église. À l'issue de cette réunion mouvementée, les paroissiens et
le curé conviennent que l'église sera construite au «Rocher de la
Vieille», 116 car ce lieu constitue maintenant le centre du village. Pour
le curé Gagnon qui brandit fièrement l'entente intervenue entre les citoyens, ce choix est judicieux puisqu'il facilitera la fusion des deux
aires d'occupation.
À la suite de la réunion du 20 mai, l'abbé Gagnon décide d'aller
aussitôt de l'avant dans son projet et entreprend les démarches en vue
de construire le nouveau temple entre les deux villages. Malgré les
nouvelles oppositions de McLeod, les travaux débutent à l'automne
1847 et, au début du mois de février 1848, les chantiers avancent rondement; l'habitation du curé est déjà levée, le nouveau cimetière (béni
le 20 novembre 1847) entouré d'une clôture est maintenant prêt à recevoir ses [76] premiers locataires et une bonne partie du bois prévu
pour la construction de l'église est déjà disponible. 117
Le 27 juillet 1848, alors que le duel entre le père Honorat et Peter
McLeod tire à sa fin, le coadjuteur de l'Archevêché de Québec, Mgr
Turgeon, entreprend sa première visite pastorale dans la nouvelle paroisse Saint-François-Xavier. 118 Officiellement, le prélat arrive ici
pour régler les affaires de l'Église saguenéenne et, peut-être aussi,
pour vérifier les travaux de construction de la future église de Chicoutimi; officieusement cependant, les gens bien informés savent pertinemment qu'il vient probablement tenter de dénouer l'impasse dans
laquelle s'est empêtré son supérieur au Saguenay, dans le Grand-Brûlé
et à la Rivière-au-Sable. 119 Intéressé à tout ce qui touche l'aspect
temporel de ses ouailles, Mgr Turgeon en profite pour rédiger un rap116
Le « Rocher de la Vieille » est situé à l'ancienne limite des cités de Chicoutimi et de Rivière-du-Moulin, à l'endroit exact où se rejoignent la rue Racine
et le boulevard Lamarche. A l'époque de la construction de la chapelle, ce
lieu s'étendait jusqu'à la rue Salaberry. L. Bélanger, op. cit., pp. 36-37. Pour
la bénédiction du cimetière voir: ANQC, fonds SHS, dossier 32, pièce 13
(ancienne cote).
117 ANQC, fonds JPS, « Honorat à Turgeon, 2 février 1848 ».
118 La paroisse Saint-François-Xavier sera officiellement érigée, le 14 mai
1859; cf., Archives de l'Évêché de Chicoutimi, Série XVII, paroisse 12, cote
3, volume 5, pièce 7.
119 ANQC, fonds JPS, «Garin à Cazeau, 29 juillet 1848».
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
79
port de ses observations et il note que l'église, une fois terminée, aura
150 pieds sur 24 pieds, comptera une tribune et une galerie, et disposera d'une sacristie mesurant 36 pieds sur 27 pieds; quant au nouveau
presbytère qui vient tout juste d'être terminé, disons seulement qu'il
mesure 37 pieds sur 30 pieds. 120
Fort des recommandations de Mgr Turgeon, le vicaire Gagnon
ouvre le registre de la paroisse, nomme des marguilliers et entreprend
avec eux de fixer le prix des bancs de l'église neuve qui sera finalement inaugurée le 7 août 1849, dans un soupir de soulagement général. 121
Au tournant des années cinquante, la tâche du vicaire s'est passablement accrue. Honorat vient tout juste de quitter le Saguenay et ce
départ forcé n'a pas aidé à corriger la situation. La forte personnalité
de l'abbé Gagnon, son zèle exemplaire et [77] la nouvelle conjoncture
dans laquelle est engagée la paroisse de Chicoutimi font qu'il est le
seul à pouvoir remplir désormais les fonctions de curé; le titre n'est
pas encore officiel mais il n'en est pas moins réel pour autant ! Le territoire dont il a la charge est énorme: il comprend alors «les habitations des deux rives du Bras Chicoutimi, depuis l'Anse à Pelletier au
nord du dit Bras, et la ligne Bagot au sud en remontant vers la
Grande Décharge du lac Saint-Jean, laquelle Décharge [est] aussi
comprise dans [la] desserte. [Celle-ci] comprend aussi les établissements qui se formeront du côté nord du dit Bras de Chicoutimi, outre
ceux situés sur la rive ainsi que ceux qui se formeront du côté sud
dans toute la profondeur du township Chicoutimi» 122
En fait, en l'espace de deux ans, sa tâche s'est accrue considérablement; depuis sa nomination, des colonies de peuplement ont été
fondées et se développent sans cesse à la Rivière-au-Sable, à la
Grande Décharge, aux Terres-Rompues et à L'Anse-au-Foin, et tout
indique que la marche du peuplement se prépare à connaître un nouveau bond. Pour le curé, dépassé par les événements, il est de plus en
plus clair que ses nouvelles obligations exigent qu'on lui assigne un
120
121
L. Bélanger, op. cit., p. 37.
Mgr M. Paré, Ibid. pp. 152.
122 ANQC, fonds JPS, « Signay à Gagnon, 1er avril 1848 ».
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
80
vicaire dans les plus brefs délais, sinon dit-il à son supérieur, «je ne
puis rester ici cet automne» 123
Malgré les menaces à peine voilées du curé et malgré le refus de
son supérieur de lui accorder pour l'instant l'aide demandée, 124 l'abbé
Jean-Baptiste Gagnon réussira à tenir le coup un autre hiver et remplira sa tâche avec brio. Quelques mois plus tard (en 1852), l'Archevêché
acceptera enfin de lui nommer un vicaire, l'abbé François-Anselme
Blouin. 125 Cette aide tant attendue lui permettra d'étendre son séjour à
Chicoutimi pendant encore deux ans. En 1854, il partira pour l'ÎleVerte afin de prendre un repos bien mérité, mais il récupérera sa cure
de Chicoutimi en 1856, poste qu'il occupera jusqu'en 1862.
[78]
La mort de McLeod
Retour à la table des matières
Dix ans après le débarquement de Peter McLeod et son équipe à
l'été 1842, Chicoutimi a bien changé; avec ses 1 200 habitants, 126 le
canton constitue le deuxième îlot de peuplement de tout le Saguenay
et, si l'on tient compte de la vitesse avec laquelle s'effectue maintenant
la marche du peuplement dans ce secteur, tout indique que la paroisse
aura rejoint —sinon dépassé— le canton Bagot dans une dizaine d'années tout au plus. Avec l'ouverture de la colonisation au Lac-SaintJean, chacune des deux contrées, consciente de l'enjeu des prochaines
années, se bat farouchement pour obtenir le titre de métropole du Saguenay. Malgré la crise qui afflige toujours aussi atrocement la colonisation, la population travaille sans relâche; les nombreuses tentatives du gouvernement pour trouver des solutions aux problèmes de
l'arpentage et des squatters n'ont toujours pas porté fruits mais malgré
123
ANQC, fonds JPS, «Jean-Baptiste Gagnon à l'Archevêché de Québec, 14
septembre 1849 ».
124 ANQC, fonds JPS, «Turgeon à Durocher, 16 mars 1850».
125 J.-B.-A. Allaire, op. cit., pp. 59-60
126 Avec les populations des cantons Jonquière, Kénogami, Simard, Tremblay
et Harvey, la paroisse de Chicoutimi compte 2 046 âmes.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
81
tout, les gens ont réussi à trouver le moyen d'organiser un petit réseau
scolaire et de développer les premières voies de communication. 127
Dans les deux paroisses de Chicoutimi et de Grande-Baie, on
compte à ce moment précis, 17 moulins à scie en activité et huit moulins à farine. La scierie du Bassin, la plus grosse de tout le Saguenay,
emploie 120 hommes et réussit à scier 3 000 madriers quotidiennement. Tous les ans, l'entreprise Price-McLeod charge vingt bateaux à
Chicoutimi et dix à la Grande-Baie. Quelques-uns prennent jusqu'à
27 000 madriers. En plus de ces exportations, les entrepreneurs produisent du bardeau, de la planche, du bois de châssis et des lattes pour
les marchés de Québec et de Montréal. Le pin commence déjà à se
raréfier et cette situation contraint les entrepreneurs à s'éloigner à
l’intérieur des forêts pour trouver la matière première et alimenter les
scieries. 128 Ces premiers déplacements vers l'arrière-pays seront à
l'origine d'un nouveau style de vie et favoriseront l'éclosion de nouvelles coutumes et des traditions qui s'enracineront profondément dans
la société saguenéenne.
Le canton Chicoutimi, avec ses 19 365 arpents occupés et ses
4 213 arpents en culture, vient immédiatement après celui de Bagot
qui compte 22 134 arpents de terres occupées et 7 478 arpents en culture. En plus de produire du bois et du foin, les colons établis à l'embouchure des deux rivières produisent des pommes de terre (6 497
minots), du blé (3 671 minots), de l'orge (3 419 minots), des pois
(3 301 minots), de l'avoine (1 577 minots), des navets (221 minots) et
du seigle (175 minots). 129
127
Recensements du Canada, (1851) et (1861); ANQC, fonds JPS, «Gagnon à
Meilleur, 20 mars 1850».
128 Recensement du Canada, 1851. Voir aussi François Pilote: Le Saguenay en
1851, Imprimerie Augustin Côté, Québec, 1852, pp. 67-93; L.-A. Martel,
op. cit., pp. 49-50.
129 Ibid.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
82
Fig. 11. La maison du fondateur, Peter McLeod, junior. Photo: SHS.
***
[80]
À ce moment précis, Peter McLeod junior maintient toujours solidement sa férule sur la population des environs qui le craint comme le
diable et le déteste comme la peste. L'homme, avec son caractère instable et violent, est capable des pires excès. La tradition populaire a
fait naître autour de lui une véritable légende à laquelle se mêlent la
débauche, le burlesque et le folklore. Ses contemporains disent que ce
métis, fils d'une Montagnaise et d'un Écossais, «était un composé de
plusieurs bêtes fauves, dans lequel s'étaient introduites quelques-unes
des plus belles et des plus nobles qualités». 130
Il faut dire que la façon dont il dirige la population et ses hommes
est d'une sévérité extrême. Selon le mode de gestion élaboré par son
associé William Price, le secteur de Chicoutimi doit idéalement se
130
Arthur Buies, « Peter McLeod », Le Progrès du Saguenay, 3 juillet 1924.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
83
suffire à lui-même et c'est pour cette raison que la paroisse ne compte
encore à ce moment qu'un magasin général... propriété de McLeod
naturellement. Seul commerce où la population peut s'approvisionner,
on y vend de tout: sel, farine, vêtements, outils, boisson, etc… La totalité du ravitaillement des chantiers (bovins, porcs, volailles et céréales) provient de «La Ferme», un établissement agricole que Price a
construit à L'Anse Saint-Etienne. Une fois la semaine, le samedi habituellement, les colons-bûcherons se rendent au magasin pour s'approvisionner en denrées alimentaires de base et en produits d'utilité quotidienne. De 1839 à 1881 environ, l'usage veut que ces marchandises
soient portées directement au compte de l'acheteur ou payées en «pitons»; une sorte de monnaie de singe avec laquelle est payé le travailleur et qui n'est échangeable qu'au magasin ou au bureau de la compagnie. 131
On comprendra aisément que ce système de paiement, basé sur les
principes du capitalisme sauvage et du monopole exclusif, favorise à
la fois l'endettement et l'emprise de la compagnie sur [81] la collectivité locale. Le cycle est à la fois génial et infernal car il s'asseoit sur
l'exercice d'une double exploitation; grâce à une absence totale de
concurrence, c'est l'employeur-entrepreneur qui fixe lui-même les salaires et les prix des marchandises. À Chicoutimi, c'est McLeod, à titre
de gérant et d'associé de Price, qui s'occupe d'appliquer cette loi à laquelle le pauvre colon, littéralement coincé, ne peut échapper. Honorat s'était rapidement rendu compte que ce procédé était abject mais
son acharnement à vouloir le détruire l'avait perdu; les puissances de
l'époque étant encore trop solidement protégées.
La façon équivoque, l'acharnement, voire même la brutalité avec
lesquels Peter McLeod avait réussi à maintenir son pouvoir, deviendront à un certain moment une source de discorde importante entre lui
et son associé. Habitué de diriger sans contestation et se croyant à
l'abri de toute attaque, le métis avait toujours fait preuve d'un manque
total de discrétion et de savoir-vivre. En traitant de la crise de l'arpentage au Saguenay, les journaux du Bas-Canada avaient d'ailleurs publicisé de nombreux détails sur les excès des entrepreneurs; leurs re131
G. Gagnon, «McLeod», Dictionnaire Biographique du Canada, VII, pp. 633636. R. Bouchard, Villages fantômes, localités disparues ou méconnues du
Bas-Saguenay, SHS, Histoire des Municipalités, 1991, p. 12.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
84
gards indiscrets avaient eu comme premiers effets d'attirer l'attention
du Gouvernement et d'entacher sérieusement la crédibilité de William
Price. 132
De toute façon, les critiques désobligeantes que serait en droit de
proférer Price à l'égard de McLeod, ne sont pas les seuls éléments de
la discorde qui ne cesse de s'amplifier au début des années cinquante.
Depuis plusieurs années (en fait depuis 1847), tout porte à croire d'ailleurs que Price a de nombreuses et bonnes raisons de s'éloigner de son
associé et c'est un peu pour cela qu'il n'entreprend plus rien sans passer devant le notaire. Selon l'abbé Arthur Maheu — le premier historien à s'être véritablement penché sur les relations entretenues par les
deux hommes — eu égard à une entente signée en 1847, Price n'a plus
aucun contrôle sur l'administration de McLeod et ce [82] dernier «ne
fait que s'enfoncer dans sa dette» envers lui; «aucun autre établissement ne donne plus de difficultés à Price». Ce ne sont ni l'intelligence
ni l'initiative qui manquent à cet homme, ce sont, dit-il, le savoir-faire
et les connaissances techniques. 133
Le 21 octobre 1850, craignant pour ses intérêts et jugeant qu'il n'est
plus suffisamment protégé par les contrats de 1842 et de 1843, Price
présente une requête en dissolution de société envers les McLeod et
réalise un inventaire détaillé de leurs avoirs. Pour récupérer la somme
rondelette de 4 520£ que lui doit le métis, Price prend alors une hypothèque sur la scierie du Bassin et les terrains qui s'y rattachent et signe
coup sur coup d'autres ententes qui auront pour effet de diminuer considérablement les pouvoirs de McLeod. 134
Au cours du mois de mars 1851, pendant que Price s'affaire à récupérer par actes notariés une partie de ses pouvoirs, McLeod tombe
malade, affligé d'un mal mystérieux. Se sentant diminuer physiquement, il engage des apprentis pour le remplacer tout au long de l'hiver
1851-1852 et le docteur Dubois, premier médecin de Chicoutimi, le
132
Se référer à cet effet aux nombreux articles publiés dans le journal Le Canadien. Tous les textes se rapportant au Saguenay ont été retranscrits et colligés par la société historique du Saguenay et sont conservés dans la série
« Extraits du journal Le Canadien ».
133 Arthur Maheu, William Price et la Compagnie Price (1810-1954), Québec,
1954, p. 149 (pagination personnelle).
134 A. Maheu, op. cit., pp. 150-151 ; G. Gagnon, « McLeod », op. cit., p. 635.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
85
visite régulièrement pour lui prodiguer les meilleurs soins possibles.
Au début de septembre, McLeod, encore plus mal en point, fait procéder à soixante-six paiements par le bureau Price. Quelques jours plus
tard, le 14 septembre 1852, 135 alors que les équipes de bûcherons se
préparent à monter dans les chantiers, McLeod s'éteint dans sa maison
de Rivière-du-Moulin, en présence du docteur Dubois et d'un autre
médecin, un spécialiste nous dit-on, qui avait été spécifiquement engagé par William Price pour «veiller» — le [83] mot n'est pas trop
fort— au rétablissement du malade. 136 Ainsi que le veut la coutume,
n'étant pas baptisé, son corps sera déposé dans le vieux «cimetière des
sauvages», tout près de la vieille chapelle des Jésuites.
L'annonce du décès de Peter McLeod ne laissera personne indifférent et va se répandre comme une traînée de poudre. Les journaux de
l'extérieur, toujours à l'affût d'une «bonne» nouvelle, vont aussitôt
commenter l'événement. Controversé sur sa manière de vivre,
McLeod le sera également sur sa manière de mourir. Les rumeurs,
plus rapides que la presse écrite, vont faire de lui la victime malheureuse d'un complot machiavélique fomenté par nul autre que son associé, William Price. Étant donné que leur association notariée accorde
au survivant de l'entente l'entière jouissance des biens de l'autre, la
population ne sera pas longue à établir le lien et la coïncidence entre
la crise que traverse l'entreprise de Chicoutimi, la révision des actes
notariés qui s'ensuit et le début de la maladie de McLeod, au printemps de l'année 1851.
Encore aujourd'hui, malgré l'apport des dernières découvertes en
histoire, le mystère qui plane autour de la mort de McLeod reste entier. Dans la parenté immédiate du fondateur, on n'hésitera pas à dire
que Price, restant le seul bénéficiaire de ce décès précipité, avait
toutes les raisons du monde pour se libérer de son embarrassant associé. D'autres, qui ont assisté à la translation du corps, en 1874, et qui
ont pu voir les restes de la dépouille, abondent dans le même sens et
135
Le Canadien, 1er octobre 1852. Un mémorandum rédigé par William Price
peu après le décès de McLeod, fixe la date de son décès au 11 septembre
(cf., ANQC, fonds Price, M 188/2, folios 1596-1598). N'étant pas en mesure
de dater positivement le document dactylographié, nous préférons nous en
tenir à la référence du journal Le Canadien. D'ailleurs, Martel, Noter..., p.60,
fait remonter sa mort au l2 septembre...
136 Ibid.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
86
croient tout simplement que McLeod a été empoisonné par Price pour
se libérer de cet homme qui risquait de le conduire à la ruine. 137 Sans
vouloir donner foi à ces rumeurs mettant en évidence l'existence d'un
complot organisé, force nous est d'admettre que la mort subite de
McLeod a grandement arrangé les affaires de Price dans le HautSaguenay: nous devons reconnaître en tout premier lieu que McLeod
disparu, l'unique propriétaire de l'entreprise disposait désormais de
toute la latitude pour juguler [84] les pertes financières à Chicoutimi;
en second lieu, l'impossibilité d'établir la légitimité de ses héritiers
(ses deux fils, John et François) a permis à Price, en tant que créancier
et curateur de la succession, de devenir le seul propriétaire des biens
du défunt. 138 De là jusqu'à conclure pour la population locale que tout
avait été planifié laborieusement par un esprit calculateur, il n'y a
qu'un pas...
***
« Un jour McLeod tombe malade. Il fait venir le Dr. Dubois. Il était le
seul docteur de Chicoutimi. C'était un métis sauvage. Lorsque Price apprend cela il écrit une lettre à McLeod lui disant qu'il allait faire revenir un
médecin de Québec et il était certain qu'il allait revenir parce que ce médecin faisait revenir les morts. McLeod a cru Price puis le docteur est arrivé. Ce médecin arriva et le soigna si bien que dans 8 jours McLeod était
dans la tombe. Une rumeur disait que McLeod n'était pas malade pour
mourir mais les Price voulaient s'en débarrasser. Vous savez, si McLeod
aurait vécu plus longtemps, les Price se seraient mangé. Quand M. Dubois
a vu comment McLeod était soigné, il lui a dit tout de suite qu'il allait
mourir, mais McLeod a pensé que Price voulait son bien en faisant venir
un médecin étranger. Personne n'a regretté la mort de McLeod, parce que
vous savez, c'était un homme qui menait ses hommes à coups de pied. Le
matin de sa mort, les matelots des bâtiments de McLeod avaient mis pavillon à mi-mât et se promenaient sur la rivière en chantant: «McLeod était
un bon bourgeois mais pas de monnaie». Il a été enterré dans le cimetière
137
ANQC, Mémoires de Vieillards, no 19, « Peter McLeod III, 17 juin 1934 » ;
Mémoire no 44, « Philias Lavoie, juillet 1934 » ; Mémoire no 16, « L'abbé
Alexandre Maltais, 28 mai l934» Voir aussi : « Documents : Peter McLeod
jr », Saguenayensia, janvier-février 1978, pp. 22-24.
138 Pour la succession de McLeod se référer aux documents publiés dans «Documents: Peter McLeod», op. cit.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
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protestant de la Rivière-du-Moulin [sic]. 139 Tout de suite après sa mort,
les Price se sont emparés de sa succession. Le père de McLeod vivait encore. Il était aux Terres-Rompues. Le père ne s'occupait pas beaucoup des
affaires de son garçon. C'était son garçon qui lui avait donné sa terre. » 140
***
139
II fut d'abord enterré dans le cimetière des «sauvages», au Bassin, puis fut
transféré en 1874 dans le cimetière protestant de Rivière-du-Moulin.
140 ANQC, fonds SHS, Mémoire no 44, Témoignage de M. Philias Lavoie
« Cayen », juillet 1934.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
[85]
Histoire de Chicoutimi.
La fondation 1842-1893.
Chapitre 3
La formation du village
1852-1879
Retour à la table des matières
[86]
88
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
89
[87]
La transformation du noyau urbain :
proclamation du village
Retour à la table des matières
Affaiblie depuis la fin de son bail d'exclusivité, la Compagnie de la
Baie d'Hudson était restée, quant à elle, volontairement à l'écart des
intrigues et des scandales qui secouaient le Saguenay et surtout les
environs de Chicoutimi, spectatrice insensible à tout ce qui pouvait
désormais arriver aux nouveaux maîtres des lieux. Le monopole exclusif de la traite des fourrures que le Gouvernement lui avait retransmis, n'allait pas durer éternellement. Les pressions qui avaient
provoqué l'ouverture du Saguenay—Lac-Saint-Jean au profit des entreprises forestières et agricoles ne s'étaient pas arrêtées en 1842. Assailli par des requêtes de toutes sortes, le Gouvernement reconsidérera
à nouveau la question du bail et, le 15 novembre 1859, la reine déchue
perdra ses derniers privilèges. 141
L'aménagement de la scierie par Price et McLeod, le long de la rivière, et les débuts de la colonisation du Saguenay sont donc les
grandes raisons qui contribuèrent à réduire l'importance des activités
de traite à Chicoutimi. Les plans de l'arpenteur Ballantyne et ceux de
Morin montrent qu'en 1845 l'organisation [88] de la Compagnie de la
Baie d'Hudson ne comprend plus que cinq bâtiments et l'emplacement
du cimetière. 142
Sir George Simpson est d'avis qu'en 1851 le poste de Chicoutimi
n'est plus rentable et il décide de réduire son statut à celui de simple
poste temporaire, ouvert seulement en saison. Seuls deux hommes
s'occuperont, jusqu'en 1856, de la maintenance et du transbordement
141
142
Michelle Guitard, op. cit., p. 100.
ANQC, fonds SHS, dossier 154, « Copy of Letter Pattent leasing the
King'sPosts to the Honorable The Hudson's Bay Company, recorded 9th
September 1852 », p. 8
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
90
des marchandises vers le Lac-Saint-Jean. 143 La Compagnie de la Baie
d'Hudson reviendra à Chicoutimi, en 1863, mais établira ses quartiers
généraux sur une toute autre base ; ayant pignon sur rue et étant plus
disposé à faire face à la concurrence, son commis, Flanagan, devra
désormais transiger surtout avec les voyageurs canadiens qui s'occuperont eux-mêmes d'aller chercher les fourrures. Des commerçants
très en vue à l'époque, tels John Guay, P.-H. Boily, Roger Savard et
Onésime Côté seront ses principaux clients. Le nouveau réseau de
fournisseurs sera complété par les bûcherons et les Indiens. 144
Chicoutimi était destinée très tôt à jouer un rôle important dans
l'administration régionale. Quelques années avant la mort de McLeod,
en 1850, le gouvernement avait commencé par y établir une Cour de
Circuit. La nomination de David Roy comme juge de ce nouveau district judiciaire et son assignation à Chicoutimi démontrent clairement
la place qu'elle occupe dans les intentions gouvernementales au chapitre de ses responsabilités sur l'échiquier régional. 145
À ce moment, la région fait toujours partie de la Division no 2 du
Comté de Saguenay et le chef-lieu se situe encore à Grande-Baie. Au
cours des mois de novembre et décembre 1850, trois [89] ans après
que la division des Éboulements se soit prononcée sur la formation de
son propre conseil, la Divion no 2 choisit enfin ses premiers représentants aux postes de conseillers. Sept cantons sont priés de faire l'exercice : dans le canton Bagot notamment, les électeurs choisissent le
notaire John Kane, Robert Blair, Ignace Gravel et Thomas Tremblay ;
à Chicoutimi ce sont Louis Tremblay et Jean Harvey qui officieront
comme conseillers. 146
Les élus des différents cantons vont se réunir pour la première fois
à Saint-Alexis, le 7 janvier 1851, sous la présidence de Kane : à cette
occasion, le comité pourvoit aux différentes fonctions administratives
en nommant Louis-Z. Rousseau (de Bagotville) comme secrétaire, et
le notaire Ovide Bossé (de Chicoutimi) comme suppléant local du
143
Archives de la Compagnie de la Baie d'Hudson, « Inward correspondance
from Simpson », 1851.
144 Gaston Gagnon, Commerce des fourrures et poste de traite à Chicoutimi au
XIXe siècle. Rapport de recherche, Ville de Chicoutimi, 1983, p. 117.
145 Statuts du Québec, 12 Victoria, Chapitre 28.
146 V. Tremblay, Histoire du Saguenay, op. cit., pp. 388-393.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
91
grand-voyer. Lors de la seconde séance du conseil de comté, un
groupe de citoyens de Chicoutimi, McLeod en tête, vont provoquer
une crise administrative en alléguant les termes de la loi voulant que
seuls les cantons comptant 300 habitants et plus ont le droit d'élire des
conseillers. Suite à l'examen de deux commissaires spéciaux mandatés
pour effectuer le recensement des cantons, le 9 juin suivant, on décide
de reconnaître seulement les élections des cantons Tremblay et Laterrière et de déclarer nulles celles de Jonquière, Simard et Harvey. 147
En 1855, soit un an seulement après que le nouveau conseil du
comté de Chicoutimi se soit séparé de celui du comté de Saguenay
(qui était devenu le comté de Charlevoix), le gouvernement modifie la
loi régissant T administration publique et substitue les municipalités
de canton aux municipalités de comté. 148
Suivant 1’exemple de la municipalité de « Canton-Tremblay » qui
a marqué la mesure le 17 juillet 1855, Chicoutimi sera le second canton à se prévaloir de la nouvelle disposition de la loi ; il formera son
premier conseil municipal le 25 juillet suivant et [90] tiendra sa première séance dès le lendemain. Les sept conseillers —William Tremblay, Honoré Savard, Théophile Boulianne, Pierre Gauthier (fils),
Louis Tremblay, John Guay et David McLaren — sont présents ; ils
nomment David McLaren comme maire et Isidore Morin comme secrétaire-trésorier.
147
148
Ibid.
18 Victoria, Chapitre 100.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
92
Fig. 12. David McLaren, premier maire de Chicoutimi.
Photo : ANQC, fonds SHS, no 61.
La première réunion du Conseil des Municipalités du Comté de
Chicoutimi aura lieu au village de Chicoutimi, mercredi, le 1er août
1855. Lors de cette rencontre tenue conformément aux dispositions de
l'Acte des Municipalités et des chemins du Bas-Canada, les maires
présents nomment comme préfet, John Kane, un citoyen de GrandeBaie qui occupe déjà le poste de maire du canton Chicoutimi. Sur une
motion de M.D. McLean, secondée par Ambroise Gagnon, il est aussi
résolu à l'unanimité que les cantons Jonquière, Harvey et Simard, ne
comptant pas le nombre d'âmes requis (300) pour avoir le droit d'établir leur propre conseil local, seront annexés tout simplement à
d'autres municipalités de canton : la municipalité de Canton-Tremblay
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
93
[91] récupère donc les cantons Harvey et Simard, alors que le canton
Jonquière est fusionné à celui de Chicoutimi. 149
Le canton Bagot payera très cher le fait d'avoir eu l'insigne honneur d'abriter sur son territoire le premier préfet de comté. Grâce à une
manœuvre habilement orchestrée par les maires de Chicoutimi et de
Canton Tremblay, c'est au cours de cette même réunion du 1er août
1855 que la municipalité de Chicoutimi va récupérer le privilège
d'être choisie comme chef-lieu du comté, supplantant ainsi GrandeBaie et lui enlevant toute chance de devenir un jour la capitale du Saguenay ; lorsque la motion de choisir le chef-lieu fut proposée, les
cantons Chicoutimi et Tremblay votèrent en effet pour le transfert à
Chicoutimi, le canton Laterrière s'opposa au changement et le préfet
John Kane — n'étant appelé à voter qu'en cas d'égalité— ne fut pas
appelé à se prononcer. 150
En 1860, le Gouvernement réforme à nouveau la loi portant sur le
régime municipal, précise les attributions des corporations municipales et crée une nouvelle forme d'entité administrative : le village
non-incorporé. Pour pouvoir se prévaloir des privilèges de la nouvelle
loi, le périmètre visé doit ainsi compter une quantité minimale de maisons habitées et construites dans un espace restreint. 151 Le canton
Chicoutimi accédera à ce nouveau statut le 7 mai de cette année-là et
la section la plus urbanisée deviendra ainsi la première localité de la
région à obtenir le statut de « village non-incorporé ».
***
« À compter de ce jour, la partie du village de Chicoutimi bornée au
nord par la Rivière Saguenay, à l'est par la ligne qui sépare les lots du Village des lots de Parc, les lots de Village, les lots de Ferme, formera un Village non incorporé de Chicoutimi, et sera désigné comme tel dans tous les
règlements, résolutions et autres procédés de ce Conseil. »
***
149
150
R. Bouchard, Histoire de Chicoutimi-Nord, op. cit. vol. 1, pp. 21-22.
L. Bélanger, « L'évolution de l’organisation municipale de Chicoutimi », op.
cit.
151 23 Victoria, Chapitre 61.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
[92]
Hourras ! pour le député Cimon.
Le 6 mars l874, les électeurs du comté Chicoutimi-Saguenay décidaient
d'élire Ernest Cimon plutôt que son adversaire, Arthur-A. Hudon. Le vote,
qui s'était déroulé dans une atmosphère surchauffée, donnait une majorité de
269 voix (sur un total de 1 715). Dans les jours qui suivirent, les 8 et 9 mars,
les partisans du candidat élu organisèrent un défilé pour manifester et démontrer leur joie. Ce texte original provient du journal intime de Ludger Petit, un des plus chauds partisans de Cimon. Afin d'en faciliter la lecture et la
compréhension, l'écrit a été en revanche corrigé, la ponctuation et les temps
de verbe ont été revus et certains mots ont même été ajoutés, changés ou tout
simplement enlevés...
Monsieur Cimon a fait dire à tous ses partisans qu'ils doivent se rendre à
8 heures, à sa demeure pour faire le triomphe. C'est [Michel Tremblay, dit]
Gros Micho qui nous a crié cela à la porte de l'église. Le 9 au matin, nous
nous sommes rendus à sa demande et même s'il faisait mauvais nous étions
près de 100 voitures qui attendaient l'heure fixée pour le départ. Un peu avant
de partir, nous avons vu apparaître Pit Tremblay en statue de bois ; il lui ressemblait beaucoup, ce qui a fait rire bien du monde et moi le premier. L'heure
arrivée, nous sommes partis, mais en voulant me placer trop en avant j'ai fait
fendre le derrière du barlot que nous étrennions ; c'est la seule voiture qui
s'est fait briser.
Nous avons engagé le pas et nous n'avons pas crié un seul cri dans le faubourg. Le bonhomme [l'effigie de Pit Tremblay] qui était comme un pantin, a
sauté et dansé à toute volée devant chez Johnny Guay et surtout chez Hudon,
le prix du compte. Nous avons ensuite passé par la Rivière-du-Moulin, sur la
glace ; le pont était en radoub et nous nous sommes rendus à la Grande Baie
en passant par la Grande Ligne et Saint-Alphonse. Nous avons crié à cet endroit et en arrivant à la Grande Baie, M. Blair, a fait tirer 8 coups de canon,
ce qui était fort agréable. Il y avait des pavillons à toutes les maisons des partisans de Cimon ; chez M. Blair il y en avait au moins une vingtaine, ce qui
était bien beau. Nous avons arrêté au moins une heure pour faire manger les
chevaux et les faire boire et nous sommes repartis de la Grande Baie à midi.
Nous sommes alors passés par le faubourg de Saint-Alphonse, par l'Anse à
Benjamin, par la concession des Maltais et puis par chez Isaü. Nous avons
descendu ensuite par la grande côte, chez Malcôme, nous avons repassé par
le faubourg [de Chicoutimi], traversé à Sainte-Anne pour aller chez Côté,
avant de retraverser finalement au Bassin. C'est là [enfin] que nous avons été
94
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
95
reçus, avec des hourras et des coups de feu en masse.
Ce qui était le plus beau, c'est que toutes les voitures sans exception
avaient deux pavillons, et des beaux. Le candidat conduisait deux chevaux
[93] bien attelés l'un devant l'autre et [arborait] un pavillon avec un castor et
la devise « Le Progrès du Saguenay ». M. Morin [avait] deux chevaux ; il
était avec le père Gravel et le Dr [Blair ?] qui avaient deux pavillons où nous
pouvions lire « mes pauvres nécessiteux ». Sur celui de Talbot était [dépeint]
un bœuf caille avec ces mots « Hu Chaillé, tu as perdu ton élection » et bien
d'autres à peu près pareils. Sur le bonhomme il y avait d'écrit ces mots charmants, banals. Sur le pavillon des [manifestants] de Sainte-Anne, le pi us
beau était celui de Jean, mon frère, et celui de Honoré. La plus rare des belles
choses était une espèce de cloche géographique sur laquelle était écrit au milieu « justice, amitié et Cimon ». Tout cela était au bout d'un manche de
fourche. Sur le pavillon de Jean un [ ] et sur celui de Honoré un castor et « je
triomphe et rit Cimon ». Sur celui de Honoré Gravel, il y avait un bœuf
rouge. Tous les partisans de Hudon étaient bien gênés et piteux. On a eu beau
rire car il faisait doux. Il faisait assez chaud pour faire fondre la neige. C'est
mon premier triomphe et c'est un beau comme il ne s'en ai pas encore fait au
Saguenay...
Trois ans plus tard, le premier juillet 1863, la petite localité obtient
enfin le statut de « village incorporé » et voit son territoire officiellement détaché du canton Chicoutimi. 152 Pour la première et brève
séance du conseil, le 23 juillet suivant, les membres vont se réunir au
palais de justice ; sur une proposition de David McLaren, John Guay
est élu maire du village. 153
En l'espace de deux décennies à peine, la paroisse forme une
communauté extrêmement dynamique qui n'a pas son égal au Saguenay. En plus des boutiques d'artisans et des commerçants qui ont
commencé à s'établir après la mort de McLeod, on y compte six
écoles, dont deux institutions modèles fréquentées par 188 enfants. Sa
152
Satuts du Québec, 42 Victoria, Chapitre 61. Voir aussi : L. Bélanger,
« L'évolution de l'organisation municipale de Chicoutimi », op. cit. ;
« Étapes de l'organisation municipale à Chicoutimi, op. cit.
153 Ville de Chicoutimi, « Livre des délibérations du conseil municipal du village de Chicoutimi, 1863-1870, p. 1.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
96
population provient principalement de La Malbaie (200 âmes), des
Éboulements (66 âmes) et de Baie-Saint-Paul (37 âmes). Les chantiers
engagent en permanence deux cents hommes. 154 Un rapport du [94]
curé Racine nous dit qu'en 1864, la paroisse compte une population de
3 483 âmes.
***
« À compter du premier du mois de juillet prochain, le village de Chicoutimi, dans le comté de Chicoutimi, formera une municipalité séparée,
et le dit village sera une municipalité séparée distincte de celle du
township de Chicoutimi dans laquelle le dit village est situé, et les habitants du dit village sont par le présent constituées en corporation sous le
nom de la « corporation du village de Chicoutimi. »
***
Récupération
des fonctions administratives
Retour à la table des matières
Au moment de la création du « village incorporé », Chicoutimi
n'est plus le petit bourg de la Rivière-du-Moulin, regroupé autour du
moulin de McLeod. Cette époque est maintenant révolue et appartient
déjà à l'imaginaire. La municipalité a élargi son cadre géographique et
ses fonctions administratives. Elle s'étend maintenant vers le Bassin,
où sont regroupés les employés et les ouvriers de la maison Price.
Dans la partie basse, le long du chemin, se sont établis les gens de métiers, les commerçants et les hommes de profession. Dans la partie
haute, là où les terrains en friche et les boisés dominent encore, vivent
les cultivateurs. 155
Ainsi, l'établissement Price, axé principalement sur le bois de
sciage et le bois d'exportation, contribue grandement à faire de Chi154
Arthur Buies, Le Saguenay et le bassin du Lac-Saint-Jean, Québec, Léger
Brousseau, 1896, p. 147.
155 Chicoutimi la Reine du Nord, Album préparé par F.-X. Gosselin et publié à
l'occasion de la visite de la Fédération des Chambres de Commerce de la
Province de Québec, 1913, p. 14.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
97
coutimi le centre industriel le plus important du Saguenay. Pour bien
des raisons, cette agglomération détient des atouts intéressants qui lui
permettront de devenir la métropole administrative et commerciale de
cette vaste région.
[95]
En effet, jouissant d'une position géographique particulière, le village est le seul à accéder facilement aux deux rives du Saguenay. Que
ce soit vers le nord, vers l'ouest ou vers l'est, il lui est de plus en plus
possible d'entretenir des rapports soutenus avec toute la communauté
régionale. En simple terme de l'administration de la justice précisément, à cette époque, Chicoutimi abrite la Cour supérieure (depuis
1859), la Cour du banc de la reine (depuis 1862) et s'occupe à construire un palais de justice.
Les nouvelles délimitations du village non-incorporé de Chicoutimi, établies par la proclamation de 1860, confirment, d'une certaine
façon, l'allure de la croissance. Selon la loi de l'époque, une telle disposition est possible seulement s'il se trouve dans les limites touchées
par le règlement « au moins quarante maisons bâties dans un espace
n'excédant pas soixante arpents en superficie » 156 D'une part, la colonisation peut continuer de s'étendre dans les limites de la paroisse
municipale, en tenant compte de ses propres besoins et selon le
rythme qui lui convient. D'autre part, le village, centre nerveux des
activités sociales, économiques et administratives, pourra se consacrer
plus intensément à sa nouvelle vocation.
Les premières années de la décennie soixante sont déterminantes
car c'est particulièrement au cours de ce bref laps de temps que la municipalité prend une longueur d'avance sur toutes les communautés de
la région. Pour conquérir son titre de « village incorporé », il a fallu
que la municipalité réponde à des normes strictes et celles-ci en disent
long sur sa performance. En effet, la nouvelle « Corporation du Village de Chicoutimi » est censée regrouper au moins cent vingt-cinq
maisons habitées par une population de plus de huit cents âmes. 157
Nous verrons dans les prochaines pages que la nomination de l'abbé Racine pour succéder au curé Jean-Baptiste Gagnon apparaîtra
156
157
23 Victoria, Chapitre 61.
28 Victoria, Chapitre 54.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
98
pour certain comme un « événement providentiel ». Il [96] faut dire
qu'à cette époque, le Saguenay politique et religieux est en pleine formation. Institutionnellement et même politiquement les gens dépendent entièrement de l'extérieur : sur le plan géographique et politique,
la région est encore un immense territoire, peu peuplé, et englobe toujours le lointain comté de Charlevoix. Le recensement de 1871 nous
donne une population de 17 473 habitants ; 158 sur le plan religieux
nous savons que le diocèse de Chicoutimi n'existe pas encore et les
paroisses sont toutes rattachées à l'archidiocèse de Québec.
L'équipe fondatrice
Retour à la table des matières
Nous avons été en mesure de l'observer au cours des pages précédentes, à l'époque où la population blanche débarquait pour prendre
possession du sol saguenéen, Chicoutimi était déjà depuis un peu plus
de 160 ans, le centre reconnu de la traite des fourrures et des missions
desservant l'ensemble du territoire circonscrit autour du bassin hydrographique de la rivière Saguenay et du Lac-Saint-Jean. Le recensement colligé par l'abbé Isidore Doucet, en 1839, premier du genre
dans nos annales, démontre avec éloquence qu'avant l'amorce du
mouvement fondateur, en 1842, la population fixe de Chicoutimi —
qui atteignait près de soixante-dix personnes — était composée bon an
mal an d'environ 70% d'autochtones et de 30% de « gens libres » ; ces
derniers étant des personnes pour la plupart métissées ou encore tout
simplement mariées à des amérindiennes. En dehors des trois ou
quatre individus engagés par la Compagnie de la Baie d'Hudson, et de
l'Allemand, Cyriac Buckell, qui vit dans les environs du lac Kénogami
depuis 1830 environ, cette population est donc toujours nomade et ne
fait qu'entretenir des liens commerciaux avec les messieurs du poste.
De ce groupe précurseur, seul le métis William Connely persistera
à demeurer sur place lorsqu'arrive McLeod et son équipe. Coureur des
bois marié à une Montagnaise de la famille Prosper, Connely était
père de deux enfants vivants lors du recensement de 1839. En 1842, il
158
Recensement du Canada, 1871.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
99
s'engage envers McLeod et, [97] peu après, il prend un lot le long de
la rivière Chicoutimi dans l'idée bien arrêtée de se convertir à l'agriculture. 159 Connely ne restera pas bien longtemps à Chicoutimi,
puisque le recensement nominatif de 1851 l'enregistre comme trappeur vivant à Tadoussac.
Fig. 13. Le secteur ouest du village de Chicoutimi (le Bassin), tel qu'il se présentait pendant le troisième quart du XIXe siècle. Photo : ANQC, fonds SHS, no
199.
En dépit des nombreuses recherches qui ont été réalisées depuis un
peu plus d'un demi-siècle sur le plan de l'histoire et malgré les études
fort savantes amorcées depuis les années soixante-dix sur le plan de la
démographie historique par le groupe universitaire SOREP, aucune
étude véritablement sérieuse ne peut encore mettre en lumière les origines de la population de Chicoutimi. Même si nous connaissons le
nom de [98] tous ceux qui sont arrivés au début, il faut reconnaître
que plusieurs d'entre eux ne se sont pas implantés ici : les uns sont
159
Victor Tremblay, « Les fondateurs de Chicoutimi », Saguenayensia, marsavril 1970, pp. 51-52 ; ce document a été publié également dans Annuaire
1946-47, Guide Commerce, Coudé, Chicoutimi, 1947.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
100
retournés dans leurs paroisses d'origine après un essai de deux ou trois
années ; les autres ont préféré se joindre à la marche du peuplement
pour aller grossir le flot des migrants et fonder d'autres colonies sur la
rive nord du Saguenay ou un peu plus loin vers le Lac-Saint-Jean ;
c'est le cas entre autres du métis Louis Morel qui va prendre des lots
dès l'ouverture de la colonisation à Chicoutimi et qui va se déplacer à
Saint-Jérôme de Métabetchouan quelques années plus tard. Enfin, estil utile de persévérer et de préciser à nouveau qu'à l'époque de la fondation de Chicoutimi, le mouvement migratoire qui se déploie à travers tout le Saguenay — Lac-Saint-Jean est extrêmement fluide ;
n'est-ce pas là d'ailleurs sa fonction ? Dans cette perspective, il faut
donc toujours conserver à l'esprit que Chicoutimi, centre géographique, administratif, politique et religieux de la région, sert de plaque
tournante et de lieu de transit pour ces milliers de colons en quête
d'une terre d'accueil.
Le premier document sérieux pouvant nous permettre d'établir une
liste de fondateurs — que nous oserons qualifier de « tenaces » — a
été rédigé par le curé Jean-Baptiste Gagnon et remonte à l'année 1859.
Le texte dont nous faisons référence ici est d'autant plus intéressant
qu'il comprend à la fois le nombre d'habitants en chiffre réel, les noms
des chefs de famille et leurs lieux d'origine. À ce moment précis, le
grand Chicoutimi — du moins la circonscription religieuse — compte
363 familles qui regroupent 1 930 âmes. De ce nombre 81% des familles sont originaires de la région de Charlevoix (53,7% sont de La
Malbaie), 8% proviennent de la Côte Sud, 4% proviennent de la région de Québec et 2% sont des anciens citoyens des environs de
Trois-Rivières ; le 5% qui reste provient d'ailleurs. S'ajoutent à cette
population permanente, les quelque 200 étrangers engagés annuellement dans les chantiers de Price. 160
160
Ces statistiques ont été compilées au moyen de État de la population de la
paroisse de Chikoutimy pour l'année 1859, préparé par le curé Jean-Baptiste
Gagnon, et conservé dans les Archives de l'Évêché de Chicoutimi, série
XVII, paroisse 12, cote 9, volume 1, pièce 8.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
101
[99]
Origine de la population de Chicoutimi
selon le recensement de 1859
Paroisses
Familles
Âmes
% des familles
La Malbaie
Les Éboulements
Baie-Saint-Paul
Sainte-Anne-de-la-Pocatière
Québec
Rimouski
Saint-Thomas
Rivière-Ouelle
Île-Verte
Saint-Jean
Kamouraska
Irlande
Bécancour
Saint-André
L’Islet
Pointe de Lévis
Espagne
Restigouche
Saint-Irenée
Rivière-du-Loup
Ile-aux-Coudres
Saint-Henry
Jersey
Saint-Pierre
Sainte-Famille
Prescott
Château Richer
195
65
37
10
9
8
7
4
4
3
2
2
2
2
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1052
345
186
62
40
34
31
26
19
13
18
18
11
5
14
8
6
5
5
5
5
5
5
4
3
3
2
53,7%
17,9%
10,2%
2,8%
22%
2,2%
1,9%
1,1%
1,1%
- de l%
Total
363
1930
Il est intéressant de constater que parmi tous ces gens, seulement
onze chefs de familles faisant partie de l'expédition de 1842, résident
encore à Chicoutimi lors du recensement de 1859. En dehors de Michel Tremblay dit le « Gros-Micho » (qui s'est installé sur une terre du
canton Tremblay en 1843) et d'André Couturier (qui va retourner à La
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
102
Malbaie en 1860), nous reconnaissons William Connely, Patrice Côté,
Étienne [100] Dallaire, Pierre Desbiens, Alexandre Gagné, Abraham
Gagnon, Ambroise Gagnon, Magloire Gagnon, Thomas Harvey et
François Renald. S'ajoutent à ces noms déjà passablement connus,
quelques personnalités qui auront très prochainement à jouer un rôle
important sur le plan de l'histoire régionale : Damas Boulanger, Johnny Guay, Ovide Bossé, Malcome Dechêne et le docteur Dubois, celuilà même qui avait accompagné Peter McLeod dans les derniers moments de sa vie. Enfin, si nous poursuivons l'expérience et comparons
l'équipe établie en 1845 autour de la scierie de la rivière Chicoutimi,
nous constatons qu'en plus d'Étienne Dallaire qui faisait partie du
groupe de 1842, au moins trois colons résidant toujours dans la municipalité, lors du recensement de 1859 : ce sont Joseph Asselin, Peter
Blackburn, et Jean Dechêne. 161 Même si plusieurs autres noms pourraient, sans l'ombre d'un doute, s'ajouter à notre liste de fondateurs,
nous croyons que tout ce beau monde forme l'essentiel des familles
fondatrices de Chicoutimi ; ce ne sont pas nécessairement des familles
souches au sens génétique du terme, mais plutôt les principales familles qui sont à la base de la formation du premier noyau social de la
communauté.
***
— JOSEPH ASSELIN. Né dans la paroisse Sainte-Famille de l'Ile
d'Orléans, il arriva vraisemblablement à Chicoutimi au cours de l'année 1843 et laissa peu de trace de son passage chez nous. Tout ce que
nous savons de lui c'est que dans le rapport de l'arpenteur Ballantyne,
en date du 4 novembre 1845, il possédait plusieurs lots dans le canton
Chicoutimi, des terres en culture, une maison de 48 pieds sur 30 pieds
et une étable. Dans le recensement de 1859, on dit que sa famille
comptait à ce moment trois personnes. 162
161
162
Ibid
Gouvernement du Québec, Service de l'Arpentage, C-30-2.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
103
[101]
— PETER BLACKBURN. Originaire de La Malbaie, il arriva à
Chicoutimi dans les mois qui suivirent le débarquement de Rivièredu-Moulin. Il avait épousé en premières noces, Christine Brassard,
fille d'Augustin : de ce mariage ils eurent au moins 9 enfants. Il épousa en secondes noces Louise Girard et eurent au moins 6 enfants de
cette union. Dans le rapport de Ballantyne, en 1845, nous voyons qu'il
possédait plusieurs lots en culture ; sa terre comprenait en fait une
bonne partie de la basse ville actuelle. Sa maison était située tout près
de l'église construite en 1847. 163
— OVIDE BOSSÉ. Né le 24 août 1828 à Sainte-Anne-de-laPocatière, du mariage de Maurice et de Restitue Ouellet, le notaire
Ovide Bossé était également le frère de Mgr F. -X. Bossé et de sœur
Saint-Joseph, première recrue saguenéenne chez les filles de la Miséricorde de Jésus. Après avoir étudié à différents endroits de la province, il fut reçu au barreau le 5 novembre 1849 et décida de s'installer
à Chicoutimi pour ouvrir un bureau de notaire. Le 11 novembre 1850,
il était nommé grand voyer de la Division No 2 du comté Saguenay et
conserva ce poste jusqu'au 8 mars 1852. N'hésitant pas à mettre ses
talents au service de ses concitoyens, il deviendra l'un des fondateurs
de la Commission scolaire locale (1852), occupera les fonctions de
maître de poste (1854) et de secrétaire de l'Association de Bibliothèque de Chicoutimi (1859).
Le 12 juillet 1853, Maître Ovide Bossé avait épousé en premières
noces, à la Grande-Baie, Desphine Rousseau : de cette union ils eurent
deux enfants qui moururent en bas âge. Suite à la mort de sa première
femme (avril 1855), il épousa en secondes noces, Sophie Fraser, une
institutrice de Chicoutimi ; de cette union, ils eurent 12 enfants. Finalement, le 17 octobre 1876, il épousait en troisièmes noces, HenrietteNathalie Fraser, cousine germaine de sa deuxième femme décédée le
8 octobre 1874. De 1858 à sa mort il occupa différentes fonctions au
niveau de l'administration de la justice et s'intéressa grandement [102]
aux œuvres communautaires. Nommé shérif du district judiciaire de
163
Gouvernement du Québec, Service de l'Arpentage, C-30-2. Alexandre Maltais, « Les anciennes familles de Chicoutimi », ANQC, fonds SHS, dossier
348, pièce 1 (ancienne cote), p. 1.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
104
Chicoutimi en 1858, il cessa la pratique du droit en 1883, pour satisfaire à une nouvelle loi qui interdisait au shérif de faire double emploi.
Ovide Bossé mourut à Chicoutimi le 3 juillet 1909. 164
— DAMASE BOULANGER. Né à Saint-Thomas de Montmagny le
5 octobre 1818, il serait arrivé à Chicoutimi en 1843. C'est là d'ailleurs
qu'il épousa en premières noces le 4 novembre 1845, dame MarieMarthe Chalifour, et de ce mariage ils eurent au moins un fils :
Achille. En 1850, il épousa en secondes noces, Justine Alarie, veuve
de son beau-frère Joseph-Eugène Chalifour : de cette union, naquirent
à Chicoutimi ses trois fils : Georges-Arthur, Arthur et Edmond. Travaillant comme journalier pour McLeod, après la mort de ce dernier il
passa au service de Price qui l'engagea comme mesureur de bois. Devenu manchot à la suite d'un accident, il fut nommé surintendant de la
glissoire d'Aima lorsque celle-ci fut mise en opération, en 1860. Trouvant l'endroit propice pour s'y installer, il entreprit le défrichement
d'un lopin de terre et s'y installa à demeure en 1861. Sa femme le rejoignit en 1863 pour fonder avec lui la ville d'Alma. 165
— PATRICE CÔTÉ. Il est lui aussi originaire de La Malbaie.
Nommé également « Pâtri » dans différents registres, il arriva avec
l'équipe de McLeod, en 1842, mais dut vraisemblablement retourner à
La Malbaie pendant quelques années, où il se mariera en 1846. Un
peu plus tard, en 1850, on le retrouve établi définitivement sur une
terre dans le rang Saint-Joseph. 166
— ÉTIENNE DALLAIRE. Nous connaissons peu de chose sur la
vie de ce fondateur. Originaire de La Malbaie, il s'établit à la Rivièredu-Moulin en 1842 et travailla pour McLeod comme
164
Léonidas Bélanger, « Le notaire Ovide Bossé », Saguenayensia, janvierfévrier 1968, pp. 17-23. L'annuaire des comtés de Chicoutimi et du LacSaint-Jean, Le Progrès du Saguenay, 1927, p. 418.
165 Victor Tremblay, Alma au Lac-Saint-Jean : son histoire. SHS, 1967, pp. 3743.
166 « Les fondateurs de Chicoutimi », op.cit. ; « Ceux de la première équipe »,
Saguenayensia, mai-juin 1971, p. 88.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
105
[103]
LA MI-CARÊME À CHICOUTIMI
EN 1888
L'institution des « micarêmes » est en grand honneur à Chicoutimi. Les
gens, les plus jeunes surtout, s'en donnent à cœur joie. La grande branle vient
des ouvriers, gens du Bassin, de la rue du Couvent et de quelques jeunes gens
de la rue Racine. Chacun se masque de la meilleure façon possible : tel, avec
un bout de coton, un bout de voile, un masque de coton. Ordinairement, il se
forme une bande de micarêmes de 5 à 10 individus qui ont quelquefois un
musicien, violon, accordéon, sifflets etc... Mais ce que je remarque beaucoup,
c'est la parfaite harmonie qui règne entre les différentes bandes de micarêmes
qui ont tout le savoir-faire des gens qui font des visites du jour de l'an à Chicoutimi. Aussitôt qu'une bande est annoncée, celle qui est présente tire sa révérence et s'en va. Il est vrai de dire qu'il n'y a pas de micarêmes de l'école du
protonotaire Xavier Gosselin, Vilmond Savard avocat, Alain T. qui pourraient bien faire les micarêmes comme ils écrivent sur les journaux.
Journal de Jean-Baptiste Petit, 8 mars 1888
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Fig. 14. La mi-carême à Chicoutimi.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
106
[104]
journalier. C'est à cet endroit d'ailleurs qu'il épousa, en 1844, Marie
McLeod, sœur du fondateur et deuxième fille de Peter McLeod senior.
De leur union, le couple Dallaire donna naissance à quatre enfants :
William (décédé en 1847), Jacques (décédé en 1856), Marie-Aurore
(décédée en 1859) et David ; tous furent baptisés à Chicoutimi entre
1846 et 1852. En 1845, l'arpenteur Ballantyne précise qu'il est installé
en squatter sur le lot 72, Rang 1 Nord-Est du Chemin Sydenham, où il
s'est construit une petite maison de 36 pieds sur 25 pieds et où il cultive un petit jardin d'une demi-acre. Son fils David, filleul du fondateur, épousa Justine-Flore Tremblay le 6 mai 1873 et déménagea momentanément à Sainte-Anne de Chicoutimi. Il semble que David se
joignit, avec sa femme, aux nombreux émigrants qui partirent pour les
États-Unis, à la fin du XIXe siècle ; laissant ses parents sans descendants directs au Saguenay. 167
— JEAN DECHÊNE. Né à La Malbaie vers 1812 et frère de Malcome, nous savons qu'il faisait partie de l'équipe des fiers-à-bras de
Peter McLeod. Il est vraisemblablement arrivé à Chicoutimi, vers
1843, quelques mois après le débarquement de la première équipe.
Lorsque l'arpenteur Ballantyne rédigea sa liste des squatters installés à
Chicoutimi, Jean Dechêne possédait déjà le lot 21, du 2e rang NordEst du Chemin Sydenham. Sur ce petit lopin de terre d'une surface de
63 acres, il avait construit une modeste maison de 30 pieds sur 25
pieds et avait six acres en culture ; à l'automne 1845, on le retrouve
également propriétaire d'un lot situé le long de la rivière Chicoutimi.
Lors du recensement de 1859, on le dit père de deux enfants vivants.
Il semble que Jean Dechêne ne fut pas toujours au service de McLeod
et ne s'en laissa pas imposer par ce dernier ; au printemps 1848, malgré les interdictions du métis, Dechêne entreprend en effet de cultiver
un lot dans les environs de la rivière aux Sables ; une présence que
McLeod trouvait alors bien gênante. 168 Au printemps 1850, dans une
167
Jean-Charles Claveau, L'ancêtre McLeod et sa descendance, Édition Fleur
de Lys, Chicoutimi, 1988, pp. 42-43. A. Maltais, op. cit., p. 17. Gouvernement du Québec, Service de l'Arpentage, C-30-2.
168 Gouvernement du Québec, Service de l'Arpentage, C-30-2. A. Maltais, op.
cit., p. 6.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
107
cause [105] débattue devant la Cour de circuit de Chicoutimi, on dit
qu'il travaillait à ce moment comme cultivateur et « foreman » pour
McLeod. Il déménagea par la suite à Saint-Cyriac, où il mourut le ler
mai l888. 169
— MALCOME DECHÊNE. Originaire de La Malbaie, il faisait
partie du célèbre trio de fiers-à-bras engagé par Peter McLeod et
composé de Michel Simard et Michel Tremblay dit le « GrosMicho ». Il est fort probablement arrivé à Chicoutimi en 1843, en
même temps que son frère Jean, et s'installa tout près de lui, sur le lot
20, du 2e rang Nord-Est du Chemin Sydenham. Au moment du passage de Ballantyne, il possédait un lot de 70 acres (dont 15 étaient en
culture), sur lequel il avait construit une maison de 36 pieds sur 30
pieds et une étable. Lors du recensement de 1859, Malcome Dechêne
résidait toujours à Chicoutimi et était à la tête d'une famille composée
de six membres. On dit qu'il passa une bonne partie de sa vie dans les
chantiers forestiers ; pendant ses vieux jours, il occupait son temps à
fabriquer des chaises. 170
— PIERRE DESBIENS. Né à La Malbaie, cet homme de petite
taille arriva avec l'équipe de l'été 1842 et s'installa à la Rivière-duMoulin. Passant sa vie à l'emploi de McLeod et de Price, c'est lui qui
s'occupait du « grand-boom » (l'estacade) des Terres-Rompues, destiné à arrêter les billots descendant du lac Saint-Jean et des affluents en
amont du Saguenay. Après le feu de 1870, Pierre Desbiens déménagea
au « Rocher de la Vieille » et alla finir ses jours chez son fils, aux
Terres-Rompues. 171
— Dr CYRILLE DUBOIS. Pierre-Cyrille-Adolphe Dubois est né à
Bécancour, le 11 août 1816, du mariage de Marie-Louise Lemarié et
de Louis Dubois. Après ses études au séminaire de Nicolet en 1832, il
entra se spécialiser en médecine à l'École de Médecine de Victoria à
Montréal jusqu'en 1844. Diplôme en main, il arrivait à la Grande-Baie
au cours du mois de février [106] 1846. Le 9 janvier 1847, il prenait
maison tout près de la résidence de Peter McLeod, à la Rivière-duMoulin. Après avoir confortablement installé son vieux père sur une
169
170
Journal de Jean-Baptiste Petit, 1er mai 1888.
Gouvernement du Québec. Service de l'Arpentage, C-30-2. A. Maltais, op.
cit., 6.
171 « Pierre Desbiens », Saguenayensia, mars-avril 1959, p. 10.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
108
terre de la paroisse Saint-Alexis, il acheta des lots dans le canton
Tremblay, un véritable domaine de 700 acres longeant la rivière Valin
où il décida d'en faire une ferme modèle.
Pratiquant son art au service de ses concitoyens, le Dr Dubois avait
été celui qui avait assisté Peter McLeod, dans les derniers moments de
sa vie. Après ce décès historique, il partit se perfectionner à Québec et
fut reçu (le 13 juillet 1853) par le Collège des Médecins et Chirurgiens du Bas-Canada. Particulièrement actif sur le plan social, il fut
l'un des membres fondateurs de l'Institut des Artisans et Association
de Bibliothèque de Chicoutimi et occupa le poste de directeur. En
1858-1859, il fut même nommé président de la Commission scolaire
locale et, en 1860, il fut élu maire suppléant. Adversaire politique de
Price, il dut quitter précipitamment Chicoutimi en 1866 et termina ses
jours au Texas, aveugle et misérable. 172
— ALEXANDRE GAGNÉ. Né à La Malbaie vers 1815, il était âgé
à peine de 27 ans lorsqu'il arriva à Chicoutimi avec l'équipe de
McLeod, en 1842. En 1844, les registres nous disent qu'il s'était installé à la Rivière-du-Moulin. Intéressé à contrer le projet de McLeod qui
voulait installer un pasteur protestant à Chicoutimi, le 15 octobre
1844, il signait, avec ses concitoyens, une requête demandant le service régulier d'un prêtre catholique et s'engageait à payer 5 chelins
pour son entretien. 173 Dans le recensement de 1859, nous apprenons
qu'il avait trois enfants à ce moment précis. Le premier octobre de
cette même année, nous le voyons comparaître également comme témoin dans le procès de Guillaume Lapointe, une cause relative aux
travaux de réparation de l'église. Nous retrouvons sa trace le 2 janvier
1865, lorsque le conseil du village approuva « le paiement de la
somme de deux piastres et trente centins fait par Son honneur le
maire, à Alexandre Gagné pour éviter à ce conseil les frais d'une
poursuite que ce dernier voulait intenter à ce conseil pour [107]
dommages à l’occasion d'un accident qui lui est arrivé lorsque son
cheval a défoncé l'un des ponts... » 174 Certains documents nous disent
enfin qu'il déménagea dans le rang Saint-Ignace. 175
172
R. Bouchard, Histoire de Chicoutimi-Nord, op. cit., pp. 22-28.
Voir le chapitre sur « Le début de l'organisation religieuse ».
« Les fondateurs de Chicoutimi, op. cit.
175 A. Maltais, op. cit., p. 16.
173
174
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
109
— AMBROISE GAGNON. Originaire de La Malbaie, fils de Magloire et père de l'autre Magloire, il avait travaillé pendant de nombreuses années comme commis, trappeur et voyageur à la solde de la
Compagnie de la Baie d'Hudson. Faisant partie de l'équipe de 1842, il
s'était d'abord installé à la Rivière-du-Moulin. L'année suivante, en
1843, il déménagea dans le canton Tremblay et fut l'un des fondateurs
de cette localité. Homme assez instruit, en 1855 il devint le premier
maire de la municipalité de Canton Tremblay ; une fonction qu'il occupa d'ailleurs jusqu'en 1858 et à nouveau, de 1862 à 1864. Très engagé dans tout ce qui touche aux intérêts de sa communauté, il fut l'un
des signataires de la pétition du 9 août 1858, laquelle demandait
l'érection canonique de la paroisse de Sainte-Anne. Passionné de politique, il représenta le candidat Gagné et s'opposa à William Evan
Price lors de l'élection fédérale de 1872 : « C'est la première élection
que j'ai vue, nous dit un vieillard, et la dernière au vote ouvert ».
Ambroise Gagnon laissa de nombreux descendants parmi lesquels
nous retrouvons le célèbre « Père Tom » du lac Clair. 176
— ABRAHAM GAGNON. Originaire de La Malbaie, il était le frère
de Magloire, un autre membre de l'équipe fondatrice. Tout ce que
nous savons de lui c'est qu'il arriva à Chicoutimi avec l'équipe de 1842
et épousa Madeleine Murdock, la sœur de l'ancêtre Murdock au Saguenay. Il passa toute sa vie à la Rivière-du-Moulin et fut le père
d'Alexandre, mieux connu sous le pseudonyme de « Gros Alec ».
— MAGLOIRE GAGNON. Originaire de La Malbaie, père
d'Ambroise, il arriva à Chicoutimi avec l'équipe de 1842. Nous [108]
savons très peu de chose de ce fondateur, car les notes qui s'y réfèrent
ne font pas de distinction entre l'un de ses fils et l'un de ses petits-fils
qui portaient également le même nom. Nous ignorons si c'est lui ou
son fils, « Magloire », qui déménagea à Sainte-Anne de Chicoutimi et
devint l'un des conseillers choisis à l'élection de 1855. 177
— JOHNNY GUAY. Considéré comme le premier marchand de
Chicoutimi, Johnny Guay est né à La Malbaie, le 10 août 1828, du
176
« Les fondateurs », op. cit. ; A. Maltais, op. cit., p. 18 ; R. Bouchard, Histoire de Chicoutimi-Nord, vol. 1er, op. cit., pp. 10, 21, 22, 37, 50, 66, 207 ;
ANQC, fonds SHS, Mémoires de Vieillards, No 42 et No 200.
177 « Les fondateurs de Chicoutimi, op. cit. ; R. Bouchard, Histoire de Chicoutimi-Nord, vol. 1er, op. cit., pp. 21-22.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
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mariage de François et de Théodiste Dallaire. C'est en 1848, alors qu'il
travaillait pour le marchand J. Collard, qu'il vint pour la première fois
au Saguenay, ouvrir un petit commerce qui sera connu sous le nom de
« Collard & Guay ». Quelques années plus tard, le 28 janvier 1850, il
épousa Emilie Tremblay et de ce mariage ils eurent 11 enfants, dont 7
garçons et 4 filles. Après la dissolution de son association avec Collard, en 1860, il installa son magasin général tout près de l'embouchure de la rivière aux Rats et y construisit un quai où accostaient ses
deux goélettes qui effectuaient la navette entre Chicoutimi et Québec.
Industrieux et inventif, il organisa autour de son magasin général un
véritable petit empire qui touchait à la fois au commerce de détail, à
l'industrie du bois de sciage et à la traite des fourrures. Ses trois moulins à scie étaient situés sur les rivières aux Vases et Chicoutimi de
même qu'à l'Anse-à-Pelletier, tout près de Saint-Fulgence.
Homme particulièrement instruit et maîtrisant parfaitement bien
l'anglais et le montagnais, Johnny Guay se lança également dans la
traite des fourrures et devint l'un des principaux concurrents de la
Compagnie de la Baie d'Hudson. Sur les plans politique et social, il
eut l'honneur de devenir le premier maire du village de Chicoutimi
(1860-1870) et le premier président de la Commission scolaire locale.
Au moment de sa mort, le 28 septembre 1880, sa fortune (évaluée
entre 60 000$ et 90 000$) faisait de lui l'homme le plus riche après
Price. Marchand sur ses pas, son fils, Joseph-Dominique, fondera le
Progrès du Saguenay (1886), deviendra un homme politique fort influent [109] (maire de Chicoutimi, 1895-1903 et 1922-1924) et s'unira
à J.-É.-A. Dubuc pour fonder la Pulperie de Chicoutimi (1896). 178
178
Diane Perron, « Johnny Guay, marchand général », LÉcho du Saguenay, 10
février 1887, p. 12 ; « En souvenir du premier marchand de Chicoutimi »,
Le Soleil au Saguenay, 17 février 1962 ; Raymond Desgagné, « JosephDominique Guay (1866-1925), Saguenayensia, juillet-août 1968, pp.89-92 ;
L'annuaire des comtés de Chicoutimi et du Lac-Saint-Jean, Ibid., 1927, pp.
394-396.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
111
Fig. 15. Le marchand Johnny Guay.
Photo : ANQC, fonds SHS, no 4956.
— THOMAS HARVEY. Originaire de La Malbaie, il arriva à Chicoutimi avec l'équipe de 1842. JJ est l'un des souscripteurs de la requête du 15 octobre 1844 qui demandait la présence plus régulière
d'un prêtre à Chicoutimi. Lors du dépôt du rapport de Ballantyne, en
1845, il possédait sa propre maison et détenait plusieurs lots, dont un
était en culture. 179
[110]
— FRANÇOIS RENALD. Né vers 1804 à la Rivière-aux-Canards
du mariage de Michel et de Josephte Migneault, la tradition orale nous
dit qu'il est de descendance allemande. Avant de venir au Saguenay, il
avait épousé (vers 1825) à La Malbaie une dénommée Josette Desbiens et de cette union ils eurent cinq enfants : François-Xavier (baptisé le 29 octobre 1830), Marie-Joséphine (baptisée le 6 juin 1833), Joseph-Ferdinand (baptisé le 14 juillet 1835), David-Pantaléon (baptisé
179
Gouvernement du Québec, Service de l'Arpentage, C-30-2.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
112
le 26 juillet 1837) et Joseph-Émile (baptisé le 14 juillet 1842). Pratiquant le métier de forgeron à La Malbaie, en 1841 il décidait de
vendre son terrain et s'engagea comme maître-forgeron dans l'équipe
de Peter McLeod. Au printemps 1843, François Renald perdait sa
femme et décidait de déménager dans le canton Tremblay pour s'y
installer comme forgeron et cultivateur, sur le lot no 1, du premier et
du second rang ; sa boutique et sa terre longeaient celle de Michel
Tremblay, le long de la rivière Michaud. Le 29 avril 1845, il épousait
en secondes noces, Henriette Boivin, veuve d'Étienne Tremblay, tous
deux originaires de Baie-Saint-Paul. François mourut à la fin du mois
de juin 1856, d'une pleurésie contractée à la suite d'un malheureux
accident survenu en déchargeant une goélette venue lui livrer son
charbon. Il n'était âgé que de 52 ans. 180
— MICHEL TREMBLAY dit « Gros-Micho ». Certainement l'une
des personnalités les plus connues à l'époque. Originaire de La Malbaie, cet homme, doté d'une force herculéenne, arriva au Saguenay à
l'été 1842. Il travailla à ce moment comme « boulé » à la solde de
McLeod et constitua l'un des membres de l'imbattable trio de fiers-àbras formé par Michel Tremblay, Michel Simard et Malcome Dechêne. En 1843, l'arpenteur Légendre l'enregistrait comme propriétaire
d'un lot, au canton Tremblay. L'histoire nous dit que c'est à la suite
d'un différend avec le métis qu'il déménagea de l'autre côté du Saguenay pour s'y installer comme agriculteur et travailler comme arrimeur
de navire pour Price. Sa terre longeait la petite rivière Michaud,
nommée ainsi en son honneur. De son premier mariage avec la « Sauvagesse » Saint-Onge, il eut trois enfants : Michel, Pitre et [111] Marie. Après la mort de sa femme, il épouse Aurélie Tremblay le 15 novembre 1850 mais n'a pas d'enfant de cette union. Il épousera en troisièmes noces, Josepte Dufour avec qui il aura six enfants : Irène, John,
Émilie, Delphis, Alfeda et Nil. Michel Tremblay dit « Gros-Micho »
décède le 28 décembre 1891, à l'âge de 83 ans. Sa terre sera retransmise à sa famille, avant d'aboutir aux mains de l'industriel Rosario
Morin qui l'utilisera pour monter sa scierie. 181
180
181
R. Bouchard, Histoire de Chicoutimi-Nord, op. cit., pp. 98-103.
R. Bouchard, Histoire de Chicoutimi-Nord, op. cit., vol. 1er, pp. 32-35.
Journal de Jean-Baptiste Petit, 28 décembre 1891.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
113
Chicoutimi brûle :
les feux de 1856, 1858 et 1870
Retour à la table des matières
Parmi les faits divers rattachés à la petite histoire de Chicoutimi, le
feu a toujours été perçu comme l'une des pires menaces, un véritable
fléau frappant indifféremment les plus démunis comme les mieux
nantis. Même si les grandes conflagrations qui ont ponctué le cours de
l'évolution de la ville n'ont curieusement pas fait beaucoup de victimes sur le plan humain, le patrimoine bâti par contre a eu à payer un
lourd tribut à cet élément imprévisible.
Dans les années qui suivirent la fondation de la ville, les habitations s'étaient entassées à un rythme effréné le long des principales
artères et offraient bien peu de protection à ce chapitre. Construites
essentiellement en bois et éparpillées anarchiquement entre les rivières Chicoutimi et du Moulin, les maisons de ferme côtoyaient alors
sans méfiance les hangars délabrés, les cordes de bois rangées nerveusement sur des terrains en friche et les édifices commerciaux qui
avaient plutôt tendance à se regrouper le long de l'avenue qui va devenir un peu plus tard la rue Racine. Certains notables, plus prévoyants
que d'autres, s'étaient dits inquiets des conséquences désastreuses que
pouvait avoir un incendie en période de grand vent. À plusieurs reprises, ces gens s'étaient prononcés contre une insouciance populaire
généralisée et certains avaient même tenté de corriger les lacunes les
plus évidentes. À ces messages [112] timides qui semblaient s'adresser
à une population de sourds, rien n'y fit ! Les changements ne vinrent
que tardivement hélas, et furent dictés malheureusement par les événements.
Certains de ces feux furent si dévastateurs qu'ils influencèrent le
cours normal de notre histoire. Pensons spécifiquement au feu du
mois de juin 1841 et à celui du 5 mai 1846 qui dévastèrent Grande-
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
114
Baie et permirent en quelque sorte l'ouverture de la colonisation dans
le Grand-Brûlé. 182
Dans l'histoire de Chicoutimi, le premier incendie d'importance
que nous avons été en mesure de retracer, remonte aux 6 et 7 juin
1856. Pendant deux jours, le village fut la proie des flammes ! Le feu,
attisé par des vents violents, détruisit plusieurs habitations, des
granges et la presque totalité des clôtures. Les journaux de l'époque
qui eurent à commenter les détails de la tragédie précisèrent qu'une
soixantaine de familles virent brûler, impuissantes, les grains qu'elles
venaient à peine de semer. L'église, les moulins et une partie du village furent épargnés comme par miracle. 183
Deux ans plus tard presque jour pour jour, au début du mois de juin
1858, la paroisse de Chicoutimi fut bien près d'y passer une fois de
plus. Un incendie, probablement allumé par un autre feu d'abattis,
commença au Grand-Brûlé et s'étendit jusque dans le canton de Chicoutimi. Même si le village ne fut pas implicitement touché, de 30 à
35 bâtisses furent détruites et 2 000 minots de semences furent brûlés
dans les champs. Pour soulager la misère des colons sinistrés, David
Edward Price et le curé Jean-Baptiste Gagnon organisèrent une quête
publique qui s'échelonna sur un peu plus de deux ans. 184
[113]
Le feu de 1858, malgré son côté spectaculaire, n'avait rien de bien
comparable à l'incendie de 1846 et encore moins à celui qui va dévaster toute la région, douze ans plus tard. Localisé en pleine campagne,
il avait provoqué plus de peur que de mal et la population s'en était
malgré tout fort bien tirée. Un fait intéressant à noter par contre, tous
ces feux, y compris celui de 1870, furent allumés au printemps, prirent
naissance dans des abattis mal contrôlés et purent se propager à la faveur d'un fort vent d'ouest.
182
« A plusieurs reprises, le feu dévora forêts et villages », Progrès-Dimanche,
l6 janvier 1968, p. 11 ; L.-A. Martel, Notes sur le Saguenay (1858-1865),
Centre d'Études et de Recherches historiques du Saguenay, 1968, pp. 28,
44b.
183 « Désastre à Chicoutimi », Le Canadien, 18 juin 1856, p. 3.
184 SHS, Petit fonds Price (papiers David Edward Price) ; « Terrible conflagration au Saguenay », Le Canadien, 7 juin 1858.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
115
Dans l'histoire du Saguenay—Lac-Saint-Jean, le feu de 1870 fait
évidemment époque et nous n'avons pas le choix de nous arrêter
quelques instants pour rappeler les faits... Ce printemps-là avait été
particulièrement hâtif, si bien qu'à la mi-mai les semailles étaient déjà
presque terminées. Durant toute la journée du 16, les colons du haut
du Lac s'occupaient à faire brûler des abattis. Pendant deux jours, les
gens tentaient d'éviter le pire et travaillaient sans relâche afin que
l'élément destructeur ne puisse se communiquer à la forêt environnante. C'était peine perdue ! A l'aube du 19, après une pluie légère
tombée au cours de la nuit et à la faveur d'un fort vent d'ouest, le feu
devint hors-contrôle. En moins d'une demi-heure nous disent les
commentateurs, tout l'ouest du Lac-Saint-Jean était en flammes et cinq
heures plus tard le brasier s'étendait jusqu'à Saint-Alexis-de-GrandeBaie. Les résultats furent catastrophiques. Tout était pratiquement rasé : 555 familles avaient tout perdu et se retrouvaient sans abris, sans
vivres, sans vêtements ; dans le haut du Lac on déplora même sept
pertes de vie, sans compter les nombreux blessés. 185
Le village de Chicoutimi et la paroisse de Sainte-Anne furent « miraculeusement » épargnés. À ce sujet justement, des témoins oculaires
racontent qu'à Chicoutimi le curé Racine et [114]
M. Price étaient allés au-devant de la menace sur la côte de la Réserve afin de sauver le village et la scierie ; selon ces gens, « le feu
s'est arrêté là où M. Racine a passé ». À Sainte-Anne, le scénario était
sensiblement le même. Un groupe de paroissiens, avec le curé Delâge
à leur tête, partirent en procession sur le cap Saint-Joseph, en tenant le
Saint-Sacrement au bout de leurs bras. Tout comme cela s'était passé à
Chicoutimi, des témoins virent « le feu tourbillonner en l'air », sauter
par-dessus le village et aller reprendre à Saint-Fulgence.
***
185
Mgr Victor Tremblay, Histoire du Saguenay depuis les origines jusqu’à
1870, 1984, pp. 433-449 ; Pierre Saint-Aubin, « Le "Grand Feu" », L'annuaire de la ville et du district de Chicoutimi, 1922, pp. 173-176 ; Maurice
Girard, « Le Grand Feu de 1870 », Saguenayensia, mars-avril 1970, pp. 3035 ; Russel Bouchard, Saint-Félicien : fleuron de l’industrie touristique régionale, Histoire des Municipalités, no 9, 1990, pp. 11-13.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
116
« Entre sept et huit heures, raconte M. le chanoine V.-A. Huard,
l'incendie avait atteint les hauteurs qui entourent Chicoutimi, et le village
était véritablement entouré d'un cercle de feu. C'est alors qu'on vit un protestant, feu M. W. Price, accourir vers le curé de Chicoutimi et lui demander sa protection. M. Racine se rendit aussitôt au Bassin de la rivière Chicoutimi, réunit la population au pied de la croix érigée sur le site de l'ancienne chapelle des Jésuites ; et ce peuple consterné s'unissant à son pasteur, d'ardentes supplications s'élevèrent vers le ciel pour demander la cessation du fléau. Le feu s'arrêta et le village fut préservé. Tout le monde est
resté convaincu que la prière du curé de Chicoutimi obtint cette protection
extraordinaire. » 186
***
L'organisation de la justice :
du régime des fiers-à-bras
à la création du district judiciaire
de Chicoutimi
Retour à la table des matières
En matière de justice, la société saguenéenne était théoriquement
soumise aux procédures prévues dans l'Acte de Québec, adopté par le
Parlement britannique en 1774 ; ce principe d'application de la justice
accordait entre autres aux sujets Canadiens, la prédominance des lois
civiles françaises et la liberté de religion qui s'exprimait surtout par la
reconnaissance de la dîme. L'Acte Constitutionnel de 1791 qui avait
divisé le pays en deux parties — le Bas-Canada et le Haut-Canada —
et l'Union des Canadas, en 1841, n'apportèrent pas d'importants [115]
changements au système judiciaire en vigueur au Canada-français. 187
Contrairement à la majeure partie du territoire québécois qui tentait
toujours de se libérer des reliquats de l'archaïque système féodal im186
187
L'annuaire de la ville et du district de Chicoutimi, 1922, pp. 173 -176.
Raymond Boyer, Les crimes et les châtiments au Canada-français du XVIIe
au XXe siècle, Le Cercle du Livre de France, Montréal, 1966, pp. 53-59.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
117
planté lors du Régime français, le territoire saguenéen ne possédait
aucune tradition de justice, si ce n'est celle imposée par les célèbres
garde-côtes engagés par les compagnies de traite. Ces hommes, dotés
d'une force vive, étaient recrutés selon des critères purement physiques et constituaient en soi une véritable armée privée vouée corps
et âme à la défense des intérêts de leur patron. Par petits groupes, ils
écumaient continuellement les eaux du Saguenay et du fleuve SaintLaurent afin de faire respecter 1'intégrité du territoire et maintenir
1'ordre parmi les Indiens. Toujours prêts à s'imposer par la force des
poings, n'hésitant pas à faire usage des armes, ils avaient alors pour
mission d'éloigner violemment les intrus et de décourager tous ceux
qui étaient tentés de défier les interdits dictés par les propriétaires du
monopole. Alors qu'ils étaient à l'emploi de William Lampson, les
McLeod, père et fils, avaient d'ailleurs été appelés à se familiariser
avec ces pratiques « frappantes ». Dans la célèbre saga où s'étaient
affrontés Lampson et la Compagnie de la Baie d'Hudson (1821-1831),
le père n'avait pas hésité à affronter physiquement les usurpateurs et
son comportement violent lui avait permis de se tailler ainsi une réputation peu enviable de fier-à-bras ; 188 une renommée qui deviendra
presque légendaire mais qui aidera grandement sa famille à imposer
son autorité à Chicoutimi et aux Terres-Rompues.
Tout porte à croire que le régime des fiers-à-bras implanté par la
suite par le fils McLeod, ne fut pas en vigueur dans les établissements
gérés par la Société des Vingt et un. Tous ces gens qui avaient été recrutés dans les paroisses de Charlevoix, habitués de vivre ensemble et
de s'auto-discipliner, avaient [116] réintroduit instinctivement les
bonnes pratiques de convivialité qui les distinguaient depuis toujours.
Lorsque McLeod arriva à Chicoutimi, il décida d'utiliser à son profit
les anciens garde-côtes de la Compagnie de la Baie d'Hudson. Constituant une classe d'élite, ceux que l'on appellera les « boules », étaient
considérés comme des bagarreurs habitués à se faire respecter et à
s'imposer par la force ; parmi les plus réputés, l'histoire a retenu les
noms de Michel Tremblay dit « Gros-Micho », Joachim Desgagné,
François Gauthier, les frères Jean et Malcome
188
Russel Bouchard, Le Saguenay des fourrures, 1989, pp. 211-217.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
118
Fig. 16. Le « boulé » Jean Dechêne, considéré à l'époque de McLeod, comme
l'un des plus forts et l'une des pires brutes de Chicoutimi. Photo : SHS.
[117]
Dechêne, Michel Simard, James Alexander, Paschal Tremblay, Romuald Corneau et Peter McLeod lui-même. 189
***
« Le poste de la rivière du Moulin est un endroit charmant. M. Peter
McLeod, qui est à la tête de ce poste, est un homme très actif, très industrieux et très poli, d'un physique avantageux et d'une conduite exemplaire,
âgé de vingt-cinq à trente ans. On le voit depuis le lever de l'aurore jusqu'à
la nuit toujours sur pieds pour conduire les hommes qui sont à son service.
Ceux qui s'écartent de leur devoir sont saisis par ses forts bras, ou deux
189
V. Tremblay, Histoire du Saguenay, op. cit., pp. 394-395.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
119
bons constables les amènent devant lui pour recevoir la morale méritée,
puis retourner à leur ouvrage ou être chassés de l'établissement. » 190
***
Après la mort de McLeod, les habitants de Chicoutimi resteront
marqués longtemps par le régime des fiers-à-bras qu'avait instauré le
métis dans le Haut-Saguenay. Même la Compagnie de la Baie d'Hudson, qui avait joui jusqu'alors d'un pouvoir quasi illimité, n'avait pas
été en mesure de contrer sa montée foudroyante. Cette justice expéditive avait particulièrement bien servi le métis dans les premières années, car elle l'avait autorisé en quelque sorte à imposer son autorité
incontestée, à établir son monopole commercial et à s'emparer des
meilleures portions du territoire du canton Chicoutimi et des TerresRompues. C'est d'ailleurs cette manière brutale de soumettre toute une
population qui avait été à l'origine de la crise de l'arpentage au Saguenay. Sans se soucier du droit du premier occupant et sans s'être prémuni d'un droit de préemption, McLeod avait ainsi poussé 1'audace
jusqu' à déposséder plusieurs colons des lots qu'ils avaient légalement
occupés et mis en valeur ; son père, associé à lui dans son entreprise et
solidement implanté aux Terres-Rompues, avait d'ailleurs recours au
même procédé et tabassait tous ceux qui osaient défier son autorité. 191
Lors de sa visite, Jacques Crémazie avait dénoncé cette pratique [118]
illégale et l'avait identifiée comme l'une des principales causes de la
crise qui affectait la colonisation dans le Haut-Saguenay : 192
***
« Il serait aussi à propos d'étendre au territoire du Saguenay l'ordonnance de police dont l'exécution pourrait être confiée au juge résident. »
« Le Saguenay depuis son établissement a été sans lois, sans autorité
d'aucune espèce. Peuplé en grande partie par l'excédant (sic) de la population des paroisses voisines, il s'y passe fréquemment des choses qui nécessitent sans délai, l'établissement d'une cour criminelle et d'une prison. Je
190
191
Le Canadien, 18 décembre 1843.
Russel Bouchard, Villages fantômes, localités disparues ou méconnues du
Haut-Saguenay, SHS, Chicoutimi, 1991, pp. 66-67.
192 C. Girard, « Rapport du commissaire Jacques Crémazie..., op., cit., pp. 4344 ; F. F. Pilote, op., cit., p. 113.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
120
dois dire ici que les habitans considèrent l'absence de toute autorité pour
faire maintenir les lois comme le mal le plus insupportable. Non seulement
les gens honnêtes pensent ainsi, mais encore ceux qui ne le sont pas. Ces
derniers trouvent très commode de faire du communisme au dépens des
autres, mais pratiqué à leurs dépens, le communisme perd de ses charmes,
et ils comprennent que la loi seule peut faire respecter leur bien tout en les
forçant à respecter celui d'autrui. » 193
***
Lorsque Crémazie effectue son voyage au Saguenay, seule une
Cour des commissaires siégeant à la Grande-Baie depuis 1847, a autorité pour trancher les litiges n'excédant pas 5£ 5s. (environ 25$). Toute
poursuite dépassant ce montant doit obligatoirement être transférée
devant des instances supérieures situées à l'extérieur de la région. 194
Informé par les journaux et ameuté par les plaintes des citoyens, le
Gouvernement est parfaitement conscient du problème qui affecte
alors l'application de la justice au Saguenay et dans les environs de
Chicoutimi. Ne jugeant pas pertinent d'attendre le dépôt final du rapport de Crémazie, en 1849 il en profite pour passer une loi établissant
dans le district de Québec neuf Cours de circuit, dont l'une au Saguenay, avec un juge résidant dans le village de Chicoutimi.
[119]
Sur le plan juridique, cette institution s'étend aux actions dont les
matières en litiges n'excèdent pas 200$. La loi prévoit de surcroît
l'établissement d'une prison qui devra être construite aux frais des
contribuables. 195 Le 24 décembre 1849, le Gouvernement nomme
David Roy, un avocat de Québec, juge de la Cour de circuit de Chicoutimi ; le poste de greffier est confié à Thomas Casault, un autre
citoyen de Québec, et celui de greffier-suppléant à Réhule Boulianne,
un marchand de Chicoutimi. Le 2 janvier 1850, le juge Roy prête le
serment d'office et, quelques semaines plus tard, au cours du mois de
193
194
Ibid.
V. Tremblay, Histoire du Saguenay, op. cit., p. 396
195 12 Victoria, Chapitre 28.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
121
mars suivant, il arrive à Chicoutimi pour prendre charge de sa fonction. 196
À l'origine, les séances de cette cour sont tenues dans la maison de
Joseph Asselin ; une modeste demeure familiale, nous dit Percy Martin, située sur la rue Racine, entre les rues Sainte-Anne et Hôtel-deVille. Les premières causes entendues par le juge Roy, font écho au
régime des fiers-à-bras et concernent des actions en dommages et intérêts intentées par des citoyens qui désirent mettre fin à ces pratiques
abusives et violentes.
Fig. 17. Le premier palais de justice de Chicoutimi fut construit entre 1860 et
1862 et était situé sur la rue Jacques-Cartier. Photo : ANQC, fonds SHS, no 9712.
[120]
Le premier de ces procès est intenté le 18 mars 1850 par un dénommé Jérémie Marié, un citoyen du canton Chicoutimi qui demande
une compensation de 25 louis pour des coups et blessures infligés par
le boulé Jean Dechêne, qui travaille à ce moment comme « foreman »
(contremaître) dans un des chantiers de Peter McLeod junior. L'affaire
196
Percy Martin, « Le premier juge à Chicoutimi », Saguenayensia, juillet-août
1959, pp. 81-82.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
122
est toute récente. Elle se déroule dans le courant du mois de mars,
dans une cabane du chantier de la rivière aux Sables. Jérémie Marié
qui travaille à ce moment comme journalier, veut quitter le chantier et
demande sans sommation à Dechêne qu'il lui donne sa paie. Furieux à
l'idée de perdre un de ses hommes, Dechêne refuse d'obtempérer à la
requête, se jette sur lui, le prend par les cheveux pour le traîner dans le
milieu de la place et le roue de coups de poing au visage. Après avoir
lu les dépositions des témoins, le juge instruit la cause au rôle le 26
juin suivant et fixe la date de la comparution au mois de septembre
1850. Même si l'histoire ne nous dit pas si la poursuite a eu gain de
cause, nous pouvons par contre évaluer facilement le climat de terreur
qui prévaut à l'époque et le contexte dans lequel est appliquée la justice à Chicoutimi lors de la création de la Cour de circuit. 197
La poursuite intentée contre le boulé Jean Dechêne n'est pas
unique en son genre. La deuxième cause inscrite au rôle le 27 juin
1850, concerne encore une fois une réclamation pour « assaut et batterie ». L'affaire en question s'était déroulée au cours de l'automne 1849
et met en présence un dénommé Jean-Baptiste Thiboutot et le métis
Peter McLeod. L'action se passe cette fois-ci à la Rivière-du-Moulin.
Selon Michel Tremblay, un témoin qui n'avait pas peur de témoigner
contre son ancien patron, McLeod n'aurait pas particulièrement apprécié que son employé se traîne les pieds au cours de cette journée-là.
Aucunement attendri par les explications de ce dernier qui se disait
alors malade, McLeod avait commencé par l'accuser d'être paresseux
et l'avait menacé de le frapper avec ses poings. Soudainement, sans
aucun avertissement, l'homme avait été saisi par le collet, jeté par terre
violemment et roué de coups de pieds. McLeod, qui portait toujours
des « bottes malouines », ne lui avait laissé aucune chance et l'avait
sérieusement blessé. [121] Tout en reconnaissant certains droits du
défendeur, le juge le condamnera malgré tout « pour s'être fait justice
soi-même ». 198
Le juge Roy présidera les séances de la Cour de circuit pendant
sept ans. En 1857, en vertu de « L'Acte de la décentralisation judiciaire », le Gouvernement abolit la charge de juge de Cour de circuit
dans le Bas-Canada et forme un nouveau district judiciaire qui sera
197
198
ANQC, Cour de circuit, cause 1.
ANQC, Cour de circuit, cause 2.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
123
connu sous le nom de « District du Saguenay » ; celui-ci englobe les
comtés de Charlevoix, Saguenay et Chicoutimi. Selon les dispositions
prévues par la loi, le chef-lieu est fixé à La Malbaie et la Cour doit
obligatoirement siéger à cet endroit. Se sentant pénalisé par le déménagement du juge à La Malbaie et par la perte du chef-lieu de la Cour,
la population du comté de Chicoutimi craint que le Haut-Saguenay
soit livré à nouveau à la loi du plus fort, une « loi dont ils n'ont que
trop souvent fait une triste expérience avant la résidence d'un juge à
Chicoutimi ». Fermement décidés à obtenir gain de cause dans cette
affaire, les citoyens adressent alors une pétition à la législature provinciale afin qu'elle accepte « d'amender l'acte de judicature de 1857,
et d'ériger le comté de Chicoutimi en district judiciaire séparé ». 199
Grâce aux représentations de plusieurs personnes influentes (notamment de celles du Dr Dubois), le Gouvernement acquiesce à la requête des citoyens et crée une Cour supérieure à Chicoutimi, une Cour
qui n'aura cependant qu'une juridiction civile et qui siégera pour la
première fois le 11 avril 1859. En 1861, le Gouvernement poursuit la
refonte du système judiciaire au Saguenay et forme la Cour du banc
de la reine (pour le civil et le criminel) ; cette dernière sera localisée à
Chicoutimi et siégera pour la première fois le 13 février 1862. 200
[122]
La création d'une Cour du banc de la reine et la concentration de
l'appareil judiciaire à Chicoutimi, permettront à la Reine-du-Nord de
prendre une bonne longueur d'avance en matière d'administration de la
justice sur le plan régional. En 1860, après que le conseil du village de
Chicoutimi se soit entendu sur le choix du site, le Gouvernement décide d'entreprendre la construction d'un palais de justice et d'une prison. Le bâtiment sera localisé sur la rue Jacques-Cartier, non loin de la
rue Lafontaine, et le contrat de construction sera accordé aux entrepreneurs Henry Sinclair et Joseph Skelsey de Québec. Entrepris à la
fin du mois de janvier 1860 et terminé en mars 1862, l'édifice compte
199
Le Canadien, 24 mars 1858, « Correspondance, Chicoutimi, 16 mars
1858 » ; Ibid., « Correspondance, 5 mars 1858 ». Ces deux textes ont été
publiés par Mgr Victor Tremblay dans Le Lac-Saint-Jean, 13 mars 1958, p.
6. Voir aussi : Chicoutimi la Reine du Nord, op. cit., pp 17-18.
200 Percy Martin, « Première séance de la Cour du banc de la reine, juridiction
criminelle », Saguenayensia, juillet-août 1960, p. 107.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
124
un rez-de-chaussée et un étage ; la partie de la bâtisse affectée à la
cour mesure 90 pieds de longueur sur 45 pieds de largeur, et celle qui
est affectée à la prison mesure 52 pieds de longueur sur 36 pieds de
largeur. 201
Élaboration du premier
réseau de communications
Retour à la table des matières
Pendant cette période de fondation qui s'échelonne de 1842 à 1893,
l'absence d'un réseau de communications structuré et efficace constitue le principal frein au développement de Chicoutimi et à l'avance de
la colonisation dans son arrière-pays. Jusqu'à l'arrivée du chemin de
fer au terminus de Chicoutimi en 1893, toutes les liaisons avec l'extérieur s'effectuent par bateaux. L'hiver, les voyageurs peuvent toujours
emprunter le sentier tracé sur les eaux gelées du fjord, car ce ne sera
qu'à partir de la fin des années soixante, lorsque sera inauguré le chemin des Marais, que l'on pourra atteindre directement la région de
Charlevoix et, par la suite, celle de Québec.
— LA VOIE FLUVIALE. Située à la tête des eaux navigables, Chicoutimi constitue donc, depuis des temps immémoriaux, le [123] terminus maritime de la région. Jusqu'au début des années 1870, le
transport des colons, des voyageurs et des marchandises par la voie
fluviale s'effectue avec des goélettes à voiles. Soumises aux caprices
de la température, des vents et des marées, ces embarcations n'ont rien
de bien efficaces et comportent d'énormes problèmes au niveau de la
régularité des horaires. On comprendra que la remontée du Saguenay
jusqu'à Chicoutimi dans de telles circonstances, reste aléatoire et peut
présenter des difficultés imprévues ; certains chroniqueurs témoignent
qu'il n'est pas rare à l'époque de voir les goélettes attendre le nordais à
201
Percy Martin, « Le palais de justice de Chicoutimi », Le Progrès du Saguenay, 5 novembre 1936. Voir aussi : Linda Robitaille, Évolution urbaine et
analyse architecturale de Chicoutimi (1842-1914), Thèse de Maîtrise, Université Laval, 1985, pp. 18-22.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
125
Tadoussac pendant des jours, voire même pendant des semaines. Pour
ce type d'embarcation, l'entrée du fjord a toujours été perçue comme
un danger. D'ailleurs les premiers navigateurs qui avaient voulu s'y
aventurer l'avaient signalé à plusieurs reprises. Au fur et à mesure que
va s'intensifier le transport du bois de commerce et des marchandises
destinées à la colonisation, les armateurs vont faire appel à des remorqueurs à vapeur pour touer les navires ; à une certaine époque, il est
fréquent dit-on, de voir dix, douze ou même davantage de gros voiliers ancrés au mouillage de Chicoutimi ou tout près des « Battures »
(en face de Valin) qui attendent le passage du remorqueur. 202
L'arrivée des premiers bateaux à vapeur dans les eaux du fjord date
de fort loin et remonte presque à l'apparition de ce type de navigation
au Canada ; au début du mois de novembre 1822, le journal Le Canadien relate en effet que treize ans seulement après l'entrée en service
du premier vapeur canadien, 203 Le Montagnais avait réalisé le tour de
force d'avoir remonté le Saguenay jusqu'à Chicoutimi. 204 Malgré son
côté exceptionnel,
202
Chicoutimi la Reine du Nord, op. cit., p. 21 ; Jean-Eudes Simard, « Les
communications par eau », Saguenayensia, septembre-octobre 1970, pp.
120-123.
203 C'était L'Accomodation, un vapeur pourvu d'un engin fabriqué à TroisRivières. Il avait levé l'ancre de ce port d'attache le premier novembre 1809
et était arrivé à Québec trois jours plus tard. Cf., Eugène Rouillard, « Le
premier bateau à vapeur canadien », Bulletin des Recherches Historiques,
vol. 7, no 1, janvier 1901, pp. 83-85.
204 Le Canadien, 6 novembre 1822.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
126
[124]
Fig. 18. Le premier quai de Chicoutimi était situé au pied de la côte Salaberry.
Il fut inauguré en 1882. Photo : ANQC, fonds des Travaux Publics.
[125]
ce voyage n'eut pas de suite et resta isolé pendant près de vingt ans.
En fait, il aura fallu attendre le débarquement des premières équipes
de bûcherons dans les environs de la Grande-Baie pour que l'on puisse
assister à une reprise des visites des bateaux à vapeur à l'intérieur du
Saguenay. Dix-huit ans après la venue du SS Le Montagnais, en 1840
le propriétaire de L'Unicorne, un petit navire jaugeant, 524 tonneaux,
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
127
organisait les premiers voyages de plaisir à l'intérieur du fjord, sans
atteindre toutefois le terme des eaux navigables. 205
L'exploit de L’Unicorne ne restera pas isolé bien longtemps. Le 30
août 1842, six jours seulement après le débarquement de Peter
McLeod et de son équipe à l'embouchure de la rivière du Moulin, le
North America ferme la boucle et remonte le Saguenay jusqu'à la hauteur de Chicoutimi. Parti de Kamouraska à sept heures du matin avec
une centaine d'excursionnistes à son bord, il accoste en face du poste
de la Compagnie de la Baie d'Hudson, délesté de la moitié de ses passagers qui ont été déposés à différents endroits le long du parcours.
« C'est la première fois [sic], — rapportent alors les journaux — qu'un
bateau à vapeur est monté si haut dans cette rivière »; l'apparition de
cette « maison flottante en feu » va faire une si étrange impression sur
les sauvages de l'endroit qu'ils vont s'enfuir avec précipitation et
l'agent en charge du poste aura toutes les misères du monde à les convaincre de revenir. 206
Malgré les visites épisodiques de quelques vapeurs chargés de touristes et malgré l'entrée en service du vapeur affrété spécialement par
Price pour touer ses navires dans le secteur de Chicoutimi (depuis
1845), il faudra attendre en 1849 pour que soit inaugurée la première
ligne régulière entre Québec et la Grande-Baie. En 1854, en raison de
la reprise de la marche du peuplement et de l'incroyable essor qu'elle
provoque sur [126] l'industrie touristique, une compagnie canadienne
décide d'opérer elle aussi un service régulier et achète le vapeur Le
Saguenay. Construit à Sorel l'année précédente, ce navire de première
classe est bien adapté pour le transport des passagers. Commandé par
le capitaine René Simard, un vieux loup de mer qui connaît très bien
la navigation dans le bas Saint-Laurent, ce bateau entre en service le
20 juin 1854 et est remplacé en 1861 par le Magnet, un bâtiment qui
appartient à une compagnie anglaise. 207
205
Victor Tremblay, « Le premier bateau à vapeur au Saguenay », Saguenayensia, juillet-août 1967, p. 92.
206 Le Canadien, 31 août 1842 ; La Gazette de Québec, 30 août 1842 et 1er septembre 1842. Voir aussi : Philéas Gagnon, « Les bateaux à vapeur sur la rivière Saguenay », Bulletin des Recherches Historiques, vol. 4, no 6, juin
1898, pp. 180-181.
207 Le Canadien, 13 mars 1854 et 2 juin 1854.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
128
Sauf exceptions, ces navires viennent seulement deux fois par semaine à la Grande-Baie et ne remontent pas jusqu'à Chicoutimi. Ce ne
sera qu'après de longues et fastidieuses requêtes que la population du
Haut-Saguenay pourra enfin bénéficier d'un tel service. Le Clyde, un
navire un peu moins gros que ses prédécesseurs et appartenant à la
Compagnie des Remorqueurs du Saint-Laurent, inaugurera la liaison
avec Chicoutimi le 28 août 1869. Un nouveau pas pour le transport
maritime au Saguenay viendra d'être franchi. 208
Les premiers voyages du Clyde à la tête du Saguenay n'auront cependant rien de bien faciles ; à ce moment, le village de Chicoutimi ne
possède pas encore de quai et le navire doit jeter l'ancre en face de
Rivière-du-Moulin. 209 Pour faciliter le débarquement des marchandises et des voyageurs, en 1873 la Compagnie entreprend la construction d'une jetée. L'année suivante, elle décide de transférer ses droits
et prétentions au Gouvernement fédéral qui s'occupe de finaliser le
chantier. En 1882, la construction est terminée. La structure qui ressemble à un « T », mesure 282 pieds de longueur, 30 pieds de largeur
et une aile à son extrémité de 127 pieds sur 34 pieds. A marée basse,
la profondeur est d'environ dix pieds, ce qui est amplement suffisant
pour les navires à fond plat. Sur la grève, près des installations, on a
construit un petit bâtiment de 20 pieds sur 20 pieds comprenant salle
d'attente et bureau. Disons enfin que [127] cette jetée est située au
pied de l'actuelle rue Salaberry et conduit directement au couvent, à la
cathédrale et à l'Hôpital de la Marine. 210
— LES COMMUNICATIONS AVEC LA RIVE NORD. L'hiver, la
liaison avec la rive nord du Saguenay est assurée par un pont de glace.
Les tracés habituels se situent entre Rivière-du-Moulin et l'Anse-auFoin, entre le Bassin et le village de Sainte-Anne et entre le site du
poste de traite et les Terres-Rompues. En raison de la plus forte concentration humaine à cet endroit, celui de Sainte-Anne reste le plus
fréquenté ; dépendamment des caprices de la température, ce pont de
glace débute habituellement sur la rive est du Bassin, là où était située
208
209
Le Canadien, 23 août 1869 et 22 novembre 1869.
Chicoutimi la Reine du Nord, op. cit., p. 21.
210 Documents de la Session du Canada, no 10,1883, Annexe 8, deuxième partie, « La rivière Saguenay et ses affluents », pp. 373-374.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
129
anciennement la cour à bois de la Compagnie Smith, le long des approches de l'actuel pont Dubuc. Assez souvent, lorsque les glaces sont
moins sûres, à l'automne et toujours au printemps, le pont de glace qui
unit Chicoutimi à Sainte-Anne débute un peu plus en amont, à partir
des terres de la Compagnie Price. 211
Le tracé entre Sainte-Anne et Chicoutimi est balisé et ouvert à la
circulation piétonnière dans les trois jours suivant la prise des glaces.
À l'occasion, on commence la même journée, soit vers le 18 décembre
environ. Vers le 17 avril, il n'est plus praticable et il ne se passe guère
plus de sept à huit jours d'intervalle entre la traverse d'hiver et celle
d'été. Il est assez rare que le pont de glace, en face de la ville, résiste
jusqu'au premier mai, bien que ce phénomène ait pu être observé au
cours des printemps 1880, 1882, 1883, 1885, 1887, 1888 et 1893 ; 212
lorsqu'il se présente, une coutume originale remontant aux premières
années de la colonisation, veut qu'un « mai » (mât) soit planté sur la
glace au milieu de la rivière le matin du premier jour du mois. Gloire
au brave qui réussit l'exploit d'aller le chercher. 213
[128]
De l'arrêt du traversier à la formation solide du pont de glace, la
population de Sainte-Anne se retrouve complètement isolée de celle
de Chicoutimi. L'activité économique s'arrête donc entre les deux localités et la prise des glaces donne toujours lieu à un surcroît d'activité. C'est à ce moment que les cultivateurs de Sainte-Anne commencent à livrer le bois de chauffage aux citoyens de Chicoutimi. 214
La traverse sur la glace ne se fait pas sans danger et certaines années elle est interrompue en raison du dégel. En tout temps elle présente des risques, à cause du mouvement des glaces produit par la marée et des obstacles dus aux amoncellements de blocs (appelés « remparts ») près de la rive. C'est à la municipalité de Sainte-Anne
qu'incombe la tâche de baliser le tracé. Si la température se réchauffe
et fait fondre la glace en certains endroits, les communications sont
211
R. Bouchard, Histoire de Chicoutimi-Nord, op. cit., pp. 56-57.
Journal de Jean-Baptiste Petit. Voir également, R. Bouchard, Histoire de
Chicoutimi-Nord, op. cit., pp. 218-219.
213 Le Progrès du Saguenay, « Le pont de glace et... », 4 avril 1893.
214 Le Progrès du Saguenay, « Le pont de glace », 19 décembre 1903.
212
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
130
une fois de plus interrompues et les gens doivent alors passer par la
chute à Caron. 215
Après le départ des glaces, la traverse entre les deux rives du Saguenay reste toujours une entreprise hasardeuse au début. Toutes les
embarcations disponibles sont utilisées et ceux qui en possèdent rendent bénévolement service à la communauté. Un citoyen de SainteAnne, Ludger Petit, rapporte avoir traversé dans un canot creusé dans
un gros pin : « Ce canot avait 25 pieds de long, et 3 pieds de
large » 216 D'autres, vont se servir de petites chaloupes à rame et
même de radeaux à voile. À ces chaloupes s'ajoutent des chalands
pour le transport des animaux et des marchandises. Dans de telles
conditions, il est facile d'imaginer que cette traverse se réalise dans
l'absence d'ordre et de régularité d'horaires.
Plusieurs citoyens des deux rives possèdent des embarcations et
traversent gens et marchandises au fur et à mesure qu'ils se présentent.
Les prix sont arbitraires et fluctuent selon la bonne [129] volonté du
propriétaire. En présence de moyens aussi précaires et d'une si mauvaise organisation, la population va exiger très tôt des correctifs. Pour
pallier à tous ces inconvénients, en 1865, plusieurs citoyens appartenant aux deux localités riveraines s'entendent et présentent une requête demandant aux autorités municipales de bien vouloir régler ce
problème. Lors de la séance du 17 avril 1865, le Conseil de Comté de
Chicoutimi décide enfin de réglementer les activités d'une « ligne régulière » : sur la rive nord, le départ s'effectuera désormais au milieu
de la propriété de Johnny Guay, dans le rang 1 du canton Tremblay ;
sur la rive sud, le bateau pourra accoster à différents endroits du Bassin, au quai Price ou au moulin à farine. Quant aux tarifs, les prix
peuvent varier entre trente sous pour un cheval, sept sous par adulte et
deux sous par enfant. 217
215
Le Progrès du Saguenay, « Le pont de glace est dangereux », 10 janvier
1928.
216 ANQC, fonds SHS, Mémoire de M. Ludger Petit, no 142.
217 ANQC, fonds SHS, dossier 12, pièce 3 (ancienne cote). Ce règlement a été
retranscrit dans R. Bouchard, Histoire de Chicoutimi-Nord, op. cit., pp. 5859.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
131
Fig. 19. « Le St-Anne », premier bateau à effectuer le service de la traverse,
entre les deux rives du Saguenay. Photo : coll. Yvan Gauthier.
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[130]
Pour obtenir le droit d'un passage d'eau ou de tenir une ligne régulière de traverse entre les deux rives, il faut d'après ce règlement,
payer une licence de 1$ par année et pour parer à toute illégalité, une
amende de 2$ est imposée au contrevenant d'une première offense et
4$ pour toute récidive. La première licence est accordée à Flavien
Bouchard et à Jacques Gagné, deux résidents du canton Tremblay.
Bien que ce moyen de transport par chaloupe et par chaland donne
un service médiocre, ce service subsiste néanmoins jusqu'à la fin des
années soixante-dix. 218 On ne s'entend pas sur la préférence : certains
prétendent que la chaloupe est plus avantageuse et plus rapide ;
d'autres, soutiennent que le chaland offre plus d'espace. Les discussions interminables aboutissent finalement à une course qui tranche la
218
Journal de Honoré Petit fonds Russel Bouchard, « Copie d'une requête
adressée au Ministre des Travaux publics à Ottawa », 17 décembre 1877.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
132
question à l'avantage du chaland. Louis Martel et Johnny Gagnon seront les derniers à offrir un tel service. 219
La traversée à la rame prend une demi-heure environ et vingt minutes dans des conditions idéales. Répondant à une invitation du curé
de Sainte-Anne, les frères Mailly, deux citoyens de Saint-Pierre le
Becquet, signent un contrat de dix ans pour assurer le service de la
traverse. Leur bateau à vapeur est dans un état si délabré que les gens
vont le baptiser ironiquement « La Barouette » (La Brouette). Poussé
par des requêtes de toute sorte, en 1888 le Gouvernement fédéral entreprend la construction d'une jetée mais celle-ci ne sera complétée
qu'en 1897.
Inspiré par l'expérience des frères Mailly et tirant profit de la construction des approches de la jetée, en 1892 un citoyen de Sainte-Anne,
Épiphane Gagnon, organise de sa propre initiative, [131] un « horse
boat » ; 220 ce traversier n'est en réalité qu'un vulgaire chaland pointé,
auquel est adapté des roues mues par des chevaux. En 1893, Gagnon
élargit la coque pour mettre un moteur à vapeur et nomme son bateau
Le St-Anne. Bien que cette dernière innovation n'offre aucun confort,
elle préfigure toutefois l'organisation d'un système de traversiers qui
deviendra beaucoup plus efficace et beaucoup plus sûr.
— LE CHEMIN KÉNOGAMI. Avant que ne soit entreprise la
construction des premiers chemins menant au Lac-Saint-Jean, les
voyageurs et les colons en partance de Chicoutimi sont toujours obligés d'emprunter la route traditionnelle utilisée depuis des siècles par
les Amérindiens et les coureurs de bois. L'été on s'accommode du réseau bien connu qui part de l'embouchure de la rivière Chicoutimi,
passe par le lac Kénogami, communique à la rivière des Aulnaies par
le lac Kénogamichiche, pour atteindre finalement le lac Saint-Jean.
219
Percy Martin, « La traverse qui reliait Ste-Anne et Chicoutimi », Le Progrès
du Saguenay, 5 septembre 1953.
220 Le mécanisme des « horse boats » était assez ingénieux, quoique fort
simple : de chaque côté, des roues à palettes ou à aubes sont réunies par un
arbre central et sont mises en branle par un ou plusieurs chevaux. Les premiers « horse boats » utilisés au Québec, datent de l812 à l815 et sont
presque définitivement abandonnés vers 1850, au profit des bateaux à vapeur. Cf., « Les "horse boats" », BRH, vol. 6, no 6, juin 1900, p. 191.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
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L'hiver, c'est le chemin emprunté par les traîneaux à chien. Avant d'arriver au lac Kénogami, les voyageurs qui empruntent la rivière Chicoutimi doivent sauter sept portages, un travail des plus astreignants
qui ajoute considérablement à la difficulté du transport : en progressant vers la mission de Saint-Cyriac, il y a le « Portage de Chicoutimi », le « Portage de la Poussière », le « Portage de l'Enfant », l'« Ile
au Sépulcre », le « Beau Portage », le « Portage de l'Islet » et le « Portage des Roches ». Le premier d'entre eux est long de près de quatre
kilomètres. 221
Inutile de dire que ce réseau de communications archaïque entrave
la colonisation au plus haut point. Parmi les traits d'union nécessaires
aux jeunes colonies du Haut-Saguenay, trois sont indispensables : celui de Grande-Baie à Métabetchouan (le chemin Kénogami) ; celui
entre Grande-Baie et Chicoutimi [132] (le chemin Sydenham appelé
plus familièrement la « Grande Ligne ») ; celui entre Grande-Baie et
le fleuve Saint-Laurent (le chemin de Saint-Urbain). 222 Selon le rapport d'inspection rédigé par Jacques Crémazie, en 1850 le Saguenay
ne possède toujours pas de chemins pour les voitures et ceux qui existent ressemblent beaucoup plus à des sentes : « Point de communications, ni entre voisins, ni d'un township à l'autre, excepté en canot ou
en chaloupe, dans les localités qui avoisinent la rivière Saguenay. On
n'y trouve ni autorités municipales, ni officiers de voierie, parce que
les lois qui créent ou autorisent l'élection des conseils municipaux et
des officiers des chemins ne peuvent être exécutées au Saguenay, vu
l'absence de propriétaires pour les nommer » 223
Au début des années cinquante, tous ceux portant un intérêt à la
colonisation du Haut-Saguenay s'interrogent en vue d'identifier le
meilleur tracé possible devant être adopté pour le chemin Kénogami.
Le plan proposé par l'arpenteur provincial Ballantyne suggère de partir de Grande-Baie, de passer par Laterrière et de se rendre directement à Métabetchouan via Hébertville. 224 L'idée est intéressante mais
221
Exploration du Saguenay, op. cit., pp. 209-211.
F. Pilote, Le Saguenay en 1851, op. cit., pp. 99-102.
C. Girard, Rapport Crémazie, op. cit., p. 34.
224 L'arpenteur Ballantyne fait son relevé en 1851. Pour des informations plus
techniques se référer aux documents conservés au Service de l'Arpentage,
K-9 et M-30. Ces rapports sont accompagnés de cartes détachées.
222
223
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
134
se heurte inévitablement aux intérêts et à la méfiance du village de
Chicoutimi qui sent son influence menacée par un hypothétique déplacement de l'axe des communications vers Grande-Baie. 225
En 1854, le gouvernement débloque 1 050 £ pour faire débuter les
travaux du premier tronçon ; de son point de départ — Portage des
Roches — jusqu'à son terme au poste de Métabetchouan, le chemin
s'étendra sur une longueur de 38 [133] milles. 226 Cela prendra cinq
ans pour terminer la première portion qui consiste à aller rejoindre le
lac Saint-Jean. Ce chemin est censé devenir la principale artère par où
la colonisation, le commerce et l'industrie doivent pénétrer à l'intérieur
de cette partie du territoire. À la fin des années cinquante, ce chemin
ressemble beaucoup plus à une percée à travers la forêt qu'à une route
carrossable. 227
En 1862, le parcours s'étend sur une distance de 48 milles et atteint
le lot 31 du premier rang double de Caron. De ce total, 28 milles sont
carrossables en voiture en tout temps et quinze seulement par les voitures d'hiver. 228 Au début des années soixante, les travaux avancent
moins rapidement mais sont toutefois relancés par la publicité provoquée par la disette de 1863, imputée en partie à l'absence de communications entre le Saguenay et le Lac-Saint-Jean. 229 En 1867, dans le
but de défrayer une partie des frais d'entretien, le gouvernement décide d'installer une barrière de péage. 230
Avant l'arrivée du chemin de fer à Chicoutimi en 1893, le chemin
Kénogami restera ainsi la seule voie reliant le bassin du lac Saint-Jean
au Saguenay. En 1880, il n'est pas encore terminé et ce qui a été réalisé dépasse à peine le canton Ouiatchouan. 231 [134] À cette époque,
225
226
227
228
229
230
231
Selon l'abbé Provancher, la réalisation du chemin Kénogami nuirait également aux intérêts de Price : « une fois les chemins ouverts et les terres occupées il ne lui [Price] sera plus libre d’aller y exploiter les riches pinières
qu'elles portent. », V.-A. Huard, op. cit., p. 315.
Appendice des journaux de l'Assemblée législative de la province du Canada, vol. XIV, 1856, Appendice no 38, pp. 12-13.
Le Canadien, 15 septembre 1857.
Documents de la Session du Canada, 1862, vol. 20, (no 11), pp. 68-69.
Le Canadien, 4 décembre 1863.
V. Tremblay, Histoire du Saguenay, op.cit., p. 336
En fait, la Rivière-à-1'Ours (Saint-Félicien) a été reliée au réseau, de façon
rudimentaire, dès le début des années 1870. Un rapport remontant à l'année
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
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les voyageurs arrivant de Chicoutimi ou de Saint-Alphonse ont pris
l'habitude de débarquer à Cascouïa, chez l'ancien fier-à-bras Jean Dechêne, lequel ne semble pas trop souffrir de son ancienne renommée
acquise à la solde de McLeod : « c'est là où font halte tous ceux qui se
rendent au lac Saint-Jean ou en reviennent. Ne le voudraient-ils point
qu'ils sont forcés de s'y arrêter, certains d'être bien traités. » 232
— LE CHEMIN SYDENHAM. Paroisses voisines et paroisses jumelles liées par des intérêts et des ambitions communs sur les plans
politique, économique et administratif, Grande-Baie et Chicoutimi
compteront parmi les premières localités du Haut-Saguenay à s'unir
par la voie terrestre. Connu sous le nom officiel de chemin « Sydenham », mais appelé plus familièrement « Grande-Ligne » parce qu'il
traverse un rang double, ce chemin sera en fait l'un des deux embranchements principaux donnant accès au chemin Kénogami. 233 Avant
sa construction, nous l'avons dit au début de ce chapitre, les voyageurs
doivent nécessairement utiliser la voie fluviale ; ceux qui pensent
pouvoir gagner du temps en empruntant les nombreux sentiers pratiqués par les colons pour se déplacer à l'intérieur de leurs propriétés,
« se résignent à marcher la moitié du temps dans l'eau jusqu'à mijambe et l'autre moitié chevauchant sur des troncs d'arbres renversés,
quelquefois à demi-brûlés. » 234
C'est le père Honorat, à la suite des incidents pénibles qu'il avait
personnellement vécus au cours de l'automne 1844, qui imagina d'entreprendre la construction d'un premier chemin d'hiver dans ce sec1871-1872 nous dit qu'entre Chicoutimi et la Rivière-à-l'Ours, « il ne reste
que quelques milles à compléter et différents ponts à construire ou à réparer », SHS, fonds Mgr Victor Tremblay, dossier 917, pièce 8. « Ministère de
la colonisation, service ponts et chaussées », rapport pour l'année 1871-72.
Un autre commentaire contradictoire révèle qu'au début des années quatrevingt, le chemin Kénogami atteint les limites de la colonisation, à la rivière
Ashuapmushuan ; cf. Boucher de La Bruière, Le Saguenay, Lettres au Courrier de St. Hyacinthe, Les Presses du Courrier de St. Hyacinthe, 1880, pp. 79
232 Boucher de La Bruière, op. cit., p. 8.
233 Chicoutimi la Reine du Nord, op. cit., p. 22.
234 Jean-Paul Simard, « Comment on voyageait de Saint-Alexis à la Rivière-duMoulin en 1844 », Saguenayensia, juillet-août 1965, pp. 79-80.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
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teur. Dans son projet, il réussit à convaincre Peter McLeod et Robert
Blair, les agents de Price à la Rivière-du-Moulin et à la Grande-Baie,
afin qu'ils unissent leurs efforts pour s'occuper de la chose. Le 28 décembre 1844, le chemin — la piste devrions-nous dire — est terminé
mais n'est utilisable qu'au cours de la saison froide. 235 Dans les périodes de gel et de [135] dégel, les voyageurs s'engagent dans un
bourbier cauchemardesque alors qu'au cours de l'été, ils doivent affronter continuellement les attaques sanguinaires des nuées de moustiques !
Fig. 20. Une vue de l'embouchure de la rivière du Moulin, en 1879.
Source : Canadian lllustrated News, 12 June 1880, p. 372.
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235
lbid.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
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Malgré cette demi-victoire, et en dépit de bien des efforts, nous savons que le bon père Honorat ne fut pas en mesure de réaliser tous ses
rêves au Saguenay. Ses démêlés avec McLeod et son rappel en 1849,
l'avaient obligé en effet à faire une croix sur son idée de construire un
chemin praticable en toute saison. Encouragés par les efforts du missionnaire, le 9 mars 1851 les colons établis entre les cantons Bagot et
Chicoutimi s'unissent [136] ensemble et adressent avec force une requête demandant au conseil de la Seconde Division du Comté de Saguenay d'ordonner le parachèvement du chemin, la construction des
ponts qu'il nécessite et son entretien. 236
Cette requête des colons sera sans grande conséquence immédiate.
En 1852,1'abbé Pilote note d'ailleurs à ce sujet dans son petit livre
portant sur Le Saguenay en 1851, que « Le chemin entre la GrandeBaie et Chicoutimi ne sera probablement pas pratiqué en été d'ici à
plusieurs années, si les habitants des deux townships sont seuls à le
faire. Mais avec un secours modique de la Législature, il serait un des
plus beaux du Saguenay-lntérieur » 237 De 1854 à 1857, le Gouvernement s'engage financièrement dans le dossier et accorde coup sur
coup des octrois afin d'aider à la construction des ponts de la rivière à
Mars et de la rivière du Moulin. En 1858, ces deux ponts majeurs sont
terminés et cette réalisation permet enfin d'entreprendre les travaux de
construction du chemin Sydenham. L'année suivante, cinq ponceaux
fraîchement terminés permettent désormais de franchir les ruisseaux
les plus importants, deux milles du chemin sont complétés et deux
autres milles peuvent être fréquentés par des voitures d'été, mais avec
difficulté. 238
236
ANQC, fonds SHS, Document 1305-A, « Requête de Mons Honoré Savard
et autres demandant un chemin le long du Saguenay, entre le Township Bagot et la Rivière du Moulin, 9 mars 1851 ».
237 F. Pilote, Le Saguenay en 1851, op. cit., p. 103.
238 T. Boutillier, « Rapport des Travaux de Colonisation de l’année 1855 » Toronto, 1856, Appendice No 38, pp. 13-14 ; Léonidas Boulanger, « Histoire
du premier pont érigé sur la rivière du Moulin dans les limites du village actuel », Saguenayensia, pp. 111-115. Voir aussi Documents de la Session du
Canada, No 12,1860, p. 169.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
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Il faudra attendre encore plusieurs années avant que le chemin Sydenham ne soit complété définitivement. En 1866, le responsable des
travaux de construction, M. Joseph Fortin, informe justement le Gouvernement à cet effet que l'octroi de cette année-là a suffi pour compléter le chemin dans toute son étendue : « Tous ceux—dit-il— qui
ont eu l’occasion de traverser [137] de la Grande-Baie à Chicoutimi,
ont pu constater l’importance du chemin Sydenham, qui relie notre
beau port de la Baie des Ha ! Ha ! au chef-lieu du comté. » 239 Ce
chemin, nous dit Arthur Buies, « prend le nom de Sydenham à une
lieue de son point de départ », à la Grande-Baie. Il s'étire sur une
vingtaine de kilomètres et « est flanqué de ravines et de gorges qui
mesurent 200 à 300 pieds de profondeur, et qui ne présentent autre
chose que de la terre argileuse du sommet à la base ». 240
La colonisation de la rive nord
du Saguenay
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— AUX TERRES-ROMPUES. La colonisation de la rive nord du
Saguenay fut un peu « comme le rayonnement de l'établissement de
Chicoutimi ».241 Avant l'arrivée des premiers colons, les employés des
fermiers des Postes du Roi s'y rendaient d'ailleurs annuellement pour
couper le foin naturel. 242 À l'automne 1842, le fils McLeod y détachait une première équipe de cinq ou six bûcherons afin d'exploiter les
riches pinières de l'endroit pour alimenter sa scierie de la rivière du
Moulin. 243
239
240
241
242
243
Documents de la Session du Canada, no 3, 1867-68, « Rapport du ministre
de l'Agriculture, 1866 ».
Arthur Buies, Le Saguenay et le bassin du Lac St-Jean, Québec, 1896, pp.
135-136.
Mgr Victor Tremblay, Chicoutimi-Nord — Notes historiques, ANQC, fonds
SHS, dossier 1 678, pièce 6.
Exploration du Saguenay, op. cit., p. 425.
Service de l'Arpentage, op. cit., S-15-1.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
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Si nous nous reportons à la tradition orale et aux témoignages des
anciens, c'est le père du métis qui fut le premier à venir s'installer en
permanence dans ce secteur. Travaillant d'abord comme contremaître
dans les chantiers de son fils, il avait découvert la richesse des lieux et
s'y était installé en « seigneur » au cours du printemps 1844 ; 244 il
avait commencé par construire une maison spacieuse à deux étages
qui ressemblait à une sorte [138] de manoir, avec grange et dépendances, et veillait personnellement à ce qu'aucun intrus n'empiète sur
ce territoire qu'il jugeait sien. Son domaine comprenait à l'époque les
lots 10, 11, 14, 17, 18, 19 et 20, du premier rang du canton Simard,
ainsi que les lots 14, 17, 18 et 19 du deuxième rang du même canton,
et était situé dans les limites de l'ancienne paroisse de Saint-JeanVianney. Possédant également des droits sur la rivière Shipshaw, il fut
le premier à obtenir les lettres patentes de ses lots, le 21 octobre
1850. 245
Fig. 21. Peter McLeod, senior, le père du fondateur de Chicoutimi.
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Le père McLeod ne fit pas qu'exploiter la terre. En plus de s'adonner au commerce des fourrures, sa maison servait également de maga244
R. Bouchard, Villages fantômes, localités disparues ou méconnues du HautSaguenay, op. cit., pp. 64-65.
245 Rapport Langelier, Terrains concédés par la Couronne, 1.1, p. 263.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
140
sin général. Constituant une sorte d'avant-poste sur le front pionnier
de la rive nord du Saguenay, sa ferme servait également de pied-àterre et de base de ravitaillement pour les nouveaux arrivants. Lorsqu'il vendra ses propriétés à Isaïe Villeneuve, en 1867, ses terres seront en état de rendement et ne demanderont qu'à être mises en valeur. 246
À la suite de Peter McLeod, vont débarquer Augustin Blackburn,
(en 1851), Médard Beaulieu, Louis Gravel et Thomas Savard (en
1853), ainsi que Nazaire Boucher et Noël Simoneau (en 1854). Willam et David Edward Priée font également partie de la première recrue, car après la mort du métis, ce sont eux qui héritent de toutes ses
concessions du canton Simard : les lots 8, 12 et 15 du même rang, ainsi que les lots 15 et 16 du rang « A » ; [139] en 1862, ils vont même
s'associer à nouveau au père McLeod dans le but d'acquérir les lots 17,
18 et 19 du rang « A ». Empruntant les traces de ces premiers arrivants, d'autres viendront dans cette même foulée et s'installeront à
demeure : Michel Caron (en 1863), Joseph Tremblay et John Cowan
(en 1864), Ferdinand Filion (en 1866), et enfin Alexander et Joseph
Murdock (en 1867), une famille qui s'installera près des chutes portant
leur nom et qui fera parler d'elle au tournant du siècle. L'arrivée des
Murdock marquera un arrêt momentané de la marche du peuplement
dans ce canton. 247
Alors que la colonisation dans les environs des Terres-Rompues
subit un bref temps d'arrêt, c'est dans le canton Bourget, limitrophe au
canton Simard, que s'effectuera la marche du peuplement dans les
prochaines années. Localisée à une quinzaine de kilomètres à l'ouest
de la rivière Shipshaw, la colonie de « La-Décharge » — qui sera appelée un peu plus tard « Saint-Charles-Borromée » 248 — se concen-
246
Victor Tremblay, « Saint-Jean-Vianney de Shipshaw », Saguenayensia, novembre-décembre 1971, p. 146.
247 Rapport Langelier, op. cit.
248 II ne faut pas confondre cette localité avec la mission indienne de PointeBleue, laquelle portera également ce nom jusqu'au 26 janvier 1987 ; date de
l'érection canonique de cette nouvelle paroisse qui sera placée désormais
sous la protection de la bienheureuse Kateri Tekakwitha. Au point de vue religieux, « La-Décharge » conserve comme titulaire « Saint-CharlesBorromée » mais, au point de vue civil, cette désignation « La-Décharge »
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
141
trera presque à mi-chemin entre les rivières des Aulnets et Gervais, et
longera la rivière Saguenay.
La colonisation dans ce secteur est redevable au curé de la paroisse
de Sainte-Anne de Chicoutimi, l'abbé Charles-Stanislas Richard. Le
prêtre trouve en effet que les « Canadiens » sont trop souvent attirés
par les chantiers et par l'émigration, et veut prêcher par l'exemple.
Aussitôt que le canton Bourget est arpenté, en 1864, 249 il y prend personnellement des lots pour les [140] exploiter et réussit à entraîner
dans son projet, quelques citoyens de Sainte-Anne. 250
Jérémie Gagnon sera le premier colon à venir s'installer dans ce
secteur. Arrivé peu après le passage de l'arpenteur Duberger, Gagnon
restera isolé pendant près de trois ans. Vers le début du printemps
1867, un groupe de cinq colons originaires de Sainte-Anne, arrivent à
leur tour pour occuper des terres du canton Bourget : les frères Ferdinand et Jimmy Gauthier, Joseph Gagnon, Lucien Bouchard et Joseph
Lavoie. Sur l'autre rive du Saguenay, à la limite Nord du canton Kénogami, un autre groupe de Sainte-Anne les accompagne : il s'agit de
François Duperré, Georges Briand, Pitre Deschênes et Hubert Laberge. 251
— À SAINTE-ANNE. Juste en face de Chicoutimi, la petite vallée
solidement encaissée entre les caps Saint-Joseph et Saint-François,
accueillera ses premiers habitants dans les jours qui vont suivre la
fondation de Chicoutimi. Nous savons que pour la plupart des bûcherons, le travail dans les chantiers ou dans les scieries, ne constitue
qu'un moyen détourné d'acquérir une terre cultivable. De ce fait, les
premiers défrichements effectués dans ce qui deviendra le village de
Sainte-Anne, le seront avant l'arrivée de l'arpenteur du Gouvernement.
sera modifiée le 4 avril 1881, par celui de « Saint-Charles-de-Bourget » ;
voir à ce sujet, Gazette Officielle du Québec, vol. 113, no 14, p. 5311.
249 Gouvernement du Québec, Service de l’Arpentage. Instructions pour les
arpenteurs, vol. IX, pp. 356-358.
250 V. Tremblay, Notes monographiques de 33 localités nord du Saguenay, Document non publié, 1965, pp. 34-39.
251 Real Gauthier, « Les origines de St-Charles Borromée », École Normale
Cardinal-Bégin, avril 1865, p. 3 ; Alain Mérette et collaborateurs, « SaintCharles Borromée », document sans date, p. 1.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
142
Ces premiers colons suivent donc de façon tout à fait naturelle, le sillon creusé lors du débarquement à la rivière du Moulin, en août 1842.
Lors du passage de l'arpenteur Louis Legendre, à l'été 1843, la nouvelle colonie compte déjà dix-sept squatters fraîchement installés sur
les terres du canton Tremblay qui sont contiguës à la rivière Saguenay : il y a là Albert Blackburn, Simon Blackburn, Joseph Blackburn,
Ambroise Gagnon, Tadé Gagnon, Télesphore Gagnon, Eugène Guillemette, François Lemieux, François Néron, François Renald, Georges
Rhainds, Améri Simard, Emilien Tremblay, Jean Tremblay, Jules
[141] Tremblay, Louis Tremblay et Michel Tremblay. À l'exception
de Jean Tremblay qui est originaire des Éboulements, tous proviennent de La Malbaie. 252
Après le passage de l'arpenteur, la marche du peuplement va
s'étendre de plus belle et l'arrivée régulière des nouveaux colons va
déborder rapidement dans les terres de 1'arrière-pays. Les lots sont
donc occupés graduellement par voie de repoussement et ce sont la
Compagnie de la Baie d'Hudson et William Price qui auront l'honneur
d'obtenir les premières lettres patentes dans ce secteur. En 1851, la
population du
252
Gouvernement du Québec, Service de l'Arpentage, H-7, « Rapport de Louis
Legendre pour l'arpentage des townships Harvey et Tremblay, 8juillet
1844 ». Pour son journal d'arpentage qui fut rédigé entre le 29 mai 1843 et le
12mars 1844, voir le dossierH-23 conservé au Service de l'Arpentage.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
143
Fig. 22. Scène pastorale à Sainte-Anne de Chicoutimi, au XIXe siècle.
Photo : ANQC, fonds Dubuc.
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[142]
canton Tremblay atteint déjà le chiffre record de 422 habitants, comparativement à 85 pour le canton Harvey et 75 pour le canton Simard ; 253 il faut prendre le temps de préciser par contre, qu'à partir de
1850 la marche du peuplement subit un certain fléchissement, dû en
partie au mouvement des chantiers vers le lac Kénogami, à l'ouverture
de la colonisation au Lac-Saint-Jean et au manque de communications
qui affecte d'ailleurs l'ensemble de la région. Selon l'abbé JeanBaptiste Gagnon, de 1848 à 1852 la situation est si dramatique que les
récoltes sont presque nulles et de nombreux colons sont même repartis. 254
253
254
Recensement du Canada, 1851.
ANQC, fonds SHS, dossier 42, pièce 18 (ancienne cote).
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
144
Le 7 septembre 1852, à la suite de la visite de Jacques Crémazie, le
commissaire des Terres de la Couronne mandate l'arpenteur Fournier
afin qu'il termine le travail amorcé dix ans auparavant par son collègue Louis Legendre et afin qu'il subdivise les terres situées entre les
rangs 5 et 10 du canton Tremblay. Dès son arrivée, Fournier constate
que les meilleurs lots sont déjà occupés par des squatters établis là
depuis quelques années : nous retrouvons entre autres, Louis Morissette, un colon originaire de Saint-Henry de Lévis, qui s'est installé là
en 1848 avec toute sa famille (ses deux fils, Louis, François, et sa fille
Marie) ; il y a aussi le docteur Cyrille Dubois, qui s'est taillé la part du
lion en s'appropriant les meilleures terres situées sur le côté ouest de la
rivière Valin ; enfin, il y a Henri Morin, Joseph Chamberland, David
Edward Price et plusieurs autres... 255
Grâce au rapport d'enquête de Stanislas Drapeau, nous savons
qu'en 1861 le canton Tremblay renferme dix rangs de terre arpentées
et la paroisse de Sainte-Anne regroupe à elle seule au moins 590 habitants, « tous canadiens-français, à l'exception de 21 personnes. » À ce
moment, la colonisation progresse rapidement, la population s'est accrue considérablement et parmi ces nouveaux venus on compte « une
partie de colons de Beauport amenés [en 1861] par leur curé, [143]
l'abbé Grégoire Tremblay ». Ceux-ci sont desservis depuis 1862 par
un curé résidant (l'abbé Charles-Stanislas Richard) et profitent d'une
petite chapelle construite sur le premier rang. Deux beaux chemins —
appelés chemins « Tremblay » et « Price » — traversent le canton
d'est en ouest et permettent de communiquer avec les cantons Harvey
et Simard. 256
De 1871 à 1881, la population de la paroisse de Sainte-Anne va
grimper à 1260 habitants. En l'espace de dix ans, la paroisse a pratiquement triplé sa population et ce, malgré le retranchement du canton
Harvey qui formera à partir de 1870 sa propre municipalité et en dépit
d'un faible fléchissement de la marche du peuplement causé par le départ de plusieurs familles vers les États-Unis. 257 Dix ans plus tard, en
255
Gouvernement du Québec, Service de l'Arpentage, T-13, « Rapport de l'arpenteur Fournier, 30 mars 1854 ».
256 Stanislas Drapeau, Études sur le développement de la colonisation du BasCanada depuis dix ans (1851-1861), Québec, 1863, pp. 522-523.
257 Le Nouvelliste, 25 mai 1880. ANQC, fonds SHS, dossier 42, pièce 23 (ancienne cote).
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
145
1890, la marche du peuplement connaîtra un bond extraordinaire dans
tout le secteur nord du Saguenay et atteindra le canton Falardeau, où
se seront établies quelques familles de colons attirées là par la Société
Roussel.
— À L'ANSE-AU-FOIN. La colonisation sera également précoce
dans le canton Harvey, dans tout le secteur compris entre les rivières
Valin et aux Outardes, et précédera même celle de Chicoutimi. Michel
Simard, un ancien garde-côte de la Compagnie de la Baie d'Hudson,
frère d'Alexis et de Thomas, était vraisemblablement arrivé là en 1839
pour s'approprier les lots situés de chaque côté de l'embouchure de la
rivière aux Outardes ; ces terres, constituées de riches prairies où
poussait le foin naturel, étaient toujours utilisées par la Compagnie de
la Baie d'Hudson qui y envoyait paître ses animaux. L'histoire de son
arrivée à l'Anse-au-Foin et les démêlés qu'il eut avec la maîtresse des
lieux, ont fait naître une véritable légende autour de ce personnage
fascinant. Cet épisode pour le moins tragico-comique, auquel se mêlent le burlesque et la bagarre, nous démontre à quel point la Compagnie de la Baie d'Hudson était [144] décidée, encore à ce moment, à
tenir tête à l'envahissement des colons. 258
Simard avait suivi de près Roger Bouchard, un riche propriétaire
foncier de Baie-Saint-Paul, qui avait établi une scierie non loin de là,
au lieu dit de l'Anse-à-Pelletier. Lors de son passage dans ce secteur à
la fin du mois d'août 1843, Louis Legendre avait noté la présence
d'une quinzaine de colons travaillant sur des terres déjà en état de produire : parmi cette première recrue, nous retrouvons évidemment le
fondateur Michel Simard, D. Bouchard, Joseph Chamberland, Xavier
Ennepton, Joseph Dégagné, Barthélémy Harvieux, Éloy Morin, François Morin, Léon Savard, Narcisse Morin, Jean-Baptiste Saint-Gelais
et Thélesphore Saint-Gelais. 259 Dès son arrivée au Saguenay, le père
Honorat avait entrepris de donner la mission dans les résidences des
258
Émile Benoist, « Les trois Simard qui furent du commencement », ANQC,
fonds JPS ; Eugène Achard, Le royaume du Saguenay, Librairie Générale
Canadienne, Montréal, 1942, pp. 101-106 ; V. Tremblay, Histoire du Saguenay..., op. cit., p. 242.
259 Gouvernement du Québec, Service de l'Arpentage, H-7, op. cit. Journal
d'arpentage de Louis Legendre, op. cit.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
146
colons François Morin et Marcel Tremblay et, en 1845, les citoyens
procédèrent à la construction d'une première petite chapelle qui fut
mise sous le patronage de Saint-Fulgence. 260
L'enquête publiée par Stanislas Drapeau en 1861, démontre qu'à ce
moment précis la petite colonie « se développe dans des conditions
assez satisfaisantes » : la population se chiffre à 207 habitants et la
quantité des terres en culture est évaluée à 702 acres ; de cette surface,
275 acres ont produit 1 977 minots de grains, 3 304 minots de patates
et 129 tonneaux de foin. La colonie profite également d'une école qui
est fréquentée par 38 [145] enfants. 261 Sur le plan religieux, tout le
secteur de l'Anse-au-Foin est desservi par voie de mission par le curé
de Chicoutimi jusqu'en 1860 ; ce dernier sera remplacé par le curé de
Sainte-Anne qui en prendra charge jusqu'à la création de la paroisse,
en 1871.
En dehors de l'agriculture, la paroisse compte sur son territoire
deux scieries : la première, celle de l'Anse-à-Pelletier, appartient
maintenant au marchand chicoutimien Johnny Guay mais elle sera
détruite vers 1880 par une inondation et ne sera pas reconstruite ; 262
la seconde, celle établie en 1866 par Matthew Thomas Wyatt sur
l'emplacement de la scierie de Toussaint Bouchard, sera agrandie
après le feu de 1870 et deviendra (en 1875) la « A Fraser & Co. ». 263
C'est d'ailleurs au cours de cette période, le 13 janvier 1873, que le
Gouvernement du Québec procédera à la création de la « municipalité
de la paroisse de Saint-Fulgence ». 264
260
261
262
263
264
L'abbé Georges Gagnon, qui fut curé de Saint-Fulgence de 1901 à 1922, a
rédigé, au cours de son passage dans cette paroisse, une ébauche de l'histoire
de Saint-Fulgence. L'original de ce manuscrit, comprenant quatre cahiers
remplis de brouillons, de notes et même de recensements, est conservé aux
ANQC, fonds SHS, Documents numéros 265-266.
S. Drapeau, op. cit., p. 522.
En 1848, Price avait bien voulu acquérir la scierie de l'Anse-à-Pelletier mais
il semble qu'il n'eut pas l'occasion de réaliser ce vœu ; cf., Gouvernement du
Québec, Service de l'Arpentage, H-7-14, « Rapport d'arpentage de J.-B.
Duberger, 7 octobre 1848 ».
ANQC, Mémoires de Vieillards, numéros, 52,54 et 213. Voir aussi :
V. Tremblay, Les trente aînées..., op. cit., pp. 41-47.
Gazette Officielle du Québec, 1873, pp. 143-144.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
147
La restructuration religieuse :
fondation du diocèse de Chicoutimi
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— DÉMOLITION DE LA VIEILLE CHAPELLE DES JÉSUITES :
À l'intérieur des limites de l'ancien poste de traite, les reliquats de la
chapelle érigée par le père Laure, défiaient toujours le temps. Ce
temple, qui avait été placé sous le patronage de saint François-Xavier,
avait été construit au Coteau du Portage pour remplacer la première
chapelle construite en 1676 par Charles Bazire et le père de Crépieul,
et détruite en
[146]
Fig. 23. La petite chapelle du père Laure et l'embouchure de la rivière Chicoutimi, avant le début de la colonisation agricole. Photo : ANQC, fonds SHS, no
320-B.
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Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
148
1682 par un malheureux incendie. 265 En fait, le site devait sa renaissance au père Pierre Laure qui avait accepté de reprendre les missions
permanentes du Saguenay. Pour faciliter le retour des familles montagnaises parties depuis un quart de siècle, à l'automne de l'année 1725
le missionnaire avait entrepris de rebâtir le petit temple sur l'emplacement même du premier ; il avait donné lui-même « le premier coup
de hache pour la nouvelle église, qui se trouve levée à la fonte des
neiges et achevée le 28 septembre 1726 ». 266
L'initiative du père Laure fut particulièrement bien accueillie par
les autochtones et les coureurs de bois des environs. Au [147] cours
de la première messe de minuit (1726), la petite église — qui avait été
méticuleusement décorée de peaux d'animaux et illuminée par des lanternes pour la circonstance — se remplit de Montagnais et de Français
qui avaient peine à dissimuler leur émotion en écoutant le sermon
prononcé en montagnais. Juste à côté de la chapelle, se trouvait un
petit cimetière où furent inhumés des Montagnais, des engagés du
poste de traite et quelques missionnaires ; les restes d'un d'entre eux
furent découverts fortuitement à la fin du XIXe siècle. 267
Les Jésuites cessèrent leurs activités au Saguenay en 1782. À partir
de ce moment, et ce jusqu'à la moitié du XIXe siècle, ce furent des
prêtres séculiers qui, à chaque année, s'occupèrent de rendre visite aux
Montagnais de l'endroit. En 1849, en raison de la vétusté des locaux et
du danger qu'ils représentaient pour les usagers, la chapelle fut définitivement abandonnée. Chargée de souvenirs, elle continua malgré tout
d'attirer le regard des voyageurs de passage à Chicoutimi qui ne manquèrent pas d'y soutirer tableaux, argenteries et décorations. 268
En état de décrépitude avancée et croulant sous le poids des ans, la
chapelle du père Laure fut démolie en 1856. Quelques temps auparavant, une Anglaise, Lady Head, crut bon de 1'immortaliser sur papier
265
« Les vieilles chapelles du Bassin de Chicoutimi », Le Progrès du Saguenay, 8 janvier 1931.
266 R. Bouchard, et N. Perron, Chicoutimi, la formation de la métropole régionale, op. cit., 1988, p.12.
267 « Première messe de minuit dans la chapelle du père Laure, en 1726 », Le
Soleil au Saguenay, 29 décembre 1958. ANQC, fonds SHS, dossier 368, p.
2. (ancienne cote).
268 V.-A. Huard, L'Apôtre du Saguenay, p. 28. A. Buies, Le Saguenay.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
149
en réalisant une aquarelle du bâtiment et de ses environs. Dans les années qui suivirent la démolition, David Edward Price fit recouvrir le
site, construisit une clôture autour du cimetière et y installa une croix
commémorative. 269 Parmi les quelques objets historiques récupérés
après la démolition, mentionnons la croix de fer fabriquée en 1726 par
[148] le maître-serrurier de Québec, Jean-Baptiste Lozeau, un petit
crucifix donné aux sœurs du Bon-Pasteur, une vieille armoire conservée au presbytère et le tabernacle confié à la mission de la Rivière-auSable. Presque toutes ces reliques ont malheureusement disparu lors
du feu qui ravagea Chicoutimi en 1912 ; forgée en fer massif, seule la
croix de Lozeau a pu survivre à la tragédie ; elle est conservée présentement au musée du Saguenay — Lac-Saint-Jean. 270 En 1893, Mgr
Michel-Thomas Labrecque fera construire une chapelle plus moderne
sur l'emplacement même des deux premiers temples de Chicoutimi.
Dédiée au Sacré-Coeur, cette dernière desservira la population du
Bassin jusqu'en 1905, et sera démolie à son tour en 1930. 271
— L'ARRIVÉE DU CURÉ DOMINIQUE RACINE : En 1862, alors
que les autorités judiciaires s'apprêtent à régler définitivement l'affaire
de la succession de Peter McLeod junior, l'archevêché de Québec entreprend de son côté des changements au sein de l'Église saguenéenne.
Pour remplacer l'abbé Jean-Baptiste Gagnon qui œuvre à Chicoutimi
depuis une bonne quinzaine d'années, l'administrateur du diocèse de
Québec, Mgr Charles-François Baillargeon, nomme l'abbé Dominique
Racine à la cure de Chicoutimi. Arrivé en goélette le 5 octobre 1862,
ce dernier devra cumuler les tâches de curé et de vicaire forain. 272
269
Archives de l'évêché de Chicoutimi, registre des délibérations de la Fabrique
de Chicoutimy, 5 août 1866. Archives de l'évêché de Chicoutimi, « CF.
Baillargeaon à l'abbé D. Racine, 10 août 1863 ».
270 Archives de l’Évêché de Chicoutimi, « Registre des délibérations de la Fabrique de Chicoutimy, 5 août 1866 » ; R. Bouchard et N. Perron, op.cit., p.
26.
271 Progrès du Saguenay, 8 janvier 1931.
272 V.-A. Huard, op. cit., p. 30.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
150
Né à Loretteville en janvier 1828 et ordonné prêtre à la cathédrale
de Québec en septembre 1853, le curé Racine imite ainsi ses deux
frères —notamment Antoine, futur évêque de Sherbrooke — qui ont
choisi le sacerdoce. Avant d'accepter la cure de Chicoutimi, il avait
rempli l'humble fonction de vicaire à la cathédrale de Québec et il
s'était vu confier la responsabilité de la desserte de Notre-Dame-desVictoires (de 1853 à 1858). Cette double expérience 1'avait amené à
prendre successivement
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
151
[149]
Le cœur de Mgr Dominique Racine
Funérailles de Monseigneur Dominique Racine, premier évêque de Chicoutimi. Service chanté à la cathédrale de Chicoutimi par Monseigneur Antoine Racine, évêque de Sherbrooke et frère de Monseigneur Dominique. Funérailles des plus solennelles. Au moins 4 500 à 5 000 personnes. Tous,
[sont] dans le plus profond recueillement et [sont] vraiment attristés de la
mort de Monseigneur. Service commencé à 9 heures. L'oraison funèbre faite
par Monseigneur T.-É. Hamel du séminaire et [de l’]Université Laval [de]
Québec. Trente-sept prêtres, tant du diocèse de Québec et de quelques autres
diocèses. Le service des plus solennels. Le cercueil couvert de noir. La figure
de Monseigneur très bien conservée, ayant conservé son expression. Après le
service et les dernières oraisons, le corps [est] descendu dans une voûte sous
les marches de l'autel, du côté de l'Évangile. Voûte en brique rouge et maçonne après avoir mis le cercueil dans le caveau. À 2 heures p.m., les docteurs L.-E. Beauchamp et Stanislas Caron lui ôter le cœur et le poumon ; le
cœur est donné au séminaire de Chicoutimi et le poumon à l'hôpital SaintVallier de Chicoutimi. Monseigneur avait déjà l'engraissement du cœur et
avait le foie le double de la grosseur ordinaire. [Il] était déjà aux limites de la
vie.
Journal de Jean-Baptiste Petit, 3 février 1888
Fig. 24. Mgr Dominique Racine, premier évêque de Chicoutimi.
Photo : ANQC, fonds SHS, no 9980.
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Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
152
[150]
les cures de Saint-Basile de Portneuf et de Saint-Patrice de Rivièredu-Loup, où il resta de 1859 à 1862. Homme doté d'une forte trempe,
faisant preuve d'un dévouement exemplaire, esprit tenace et excellent
prédicateur de surcroît, il dispose donc de toutes les qualités requises
pour la nouvelle mission qui l'attend.
Sa nomination apparaît donc pour plus d'un comme un « événement providentiel ». Il s'appliquera non seulement à sauver les âmes,
mais sur le plan plus humain rien ne lui sera étranger ; âgé à peine de
trente-quatre ans lors de son arrivée à Chicoutimi, il deviendra rapidement l'homme fort des lieux. C'est par lui que passeront pratiquement tous les éléments importants de la vie sociale, politique et, dans
bien des cas, économique. Le défi qui l'attend est énorme et le territoire dont il a la responsabilité comprend les deux rives du Saguenay
et s'étend jusqu'à la rivière aux Sables. Sur le plan économique, la paroisse est endettée et très peu organisée et la petite église de bois réussit à peine à combler les lourds besoins du moment. 273
Croyant ajuste titre que la qualité du peuple est indissociable de la
qualité de son âme, le curé Racine se donne comme priorité d'éduquer
la jeunesse et de raffermir la foi chez les paroissiens. Confronté aux
dures réalités qui caractérisent ce pays de colonisation, il devra par
contre composer continuellement avec la pauvreté matérielle du milieu et avec l'esprit libertaire de cette population attirée irrésistiblement par le relâchement qu'offre la vie de chantier. Sur le plan strictement matériel, les revenus de la fabrique sont faibles (180 louis) et
la dîme est difficile à percevoir. Du point de vue spirituel, là aussi tout
est à faire : l'archevêque de Québec remarque d'ailleurs que les
hommes de chantier causent certains problèmes, ce qui n'aide aucunement à calmer une population orgueilleuse, turbulente et difficile à
contenter.
[151]
Malgré ces petits inconvénients, le curé Racine travaille sans relâche pour comprendre le milieu et les gens. Sa grande disponibilité
lui gagne d'ailleurs la confiance de toute la population mais n'élimine
273
Mgr Marius Paré, L'Église au diocèse de Chicoutimi (1535-1888), tome 1er,
1983, p. 209.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
153
pas pour autant son angoisse et son découragement. En 1871, pour le
remercier de sa fidélité et de son grand dévouement, l'archevêque le
nomme vicaire général pour tout le district du Saguenay. 274
L'éducation deviendra sa première grande préoccupation. Dès son
arrivée, il s'intéresse à l'organisation des écoles et accepte de remplacer son prédécesseur à la présidence de la commission scolaire locale.
Dans une certaine mesure, la communauté chicoutimienne lui est redevable de son développement spectaculaire. Tous les efforts qu'il déploie afin d'améliorer le sort de ses concitoyens permettent inévitablement au village de s'affirmer. Après avoir assisté les religieuses du
Bon-Pasteur lors de la fondation du couvent pour jeunes filles (1864),
l'abbé Racine concentre ses efforts sur l'implantation d'un séminaire
(1873). Nous verrons que cette fondation sera déterminante car elle
permettra à Chicoutimi de s'imposer et de devenir le centre éducationnel régional.
Intellectuellement parlant, Dominique Racine a toujours été reconnu pour ses dons d'orateur. Grâce à cette facilité d'expression, caractérisée par un langage à la fois imagé et sensible, il réussit toujours à
rejoindre la population. Doté de surcroît d'un esprit vif et d'un bon jugement, ses contemporains affirment qu'il possède de grandes qualités
intellectuelles ; l'ensemble de la population apprécie tellement son
pasteur qu'elle va lui donner le titre honorifique d'« Apôtre du Saguenay ».
— LA FONDATION DU DIOCÈSE : Au milieu de la décennie
soixante-dix, l'archevêque de Québec exprime le vœu de créer une
circonscription ecclésiastique au Saguenay—Lac-Saint-Jean. Rome
avait commencé sa réforme en 1874, en détachant de Québec le diocèse de Sherbrooke et en nommant comme titulaire le frère du curé
Racine. La question de créer un diocèse [152] au Saguenay ne date
donc pas d'hier et se pose en fait depuis plusieurs années au sein de la
communauté sagamienne et de l'épiscopat québécois.
Pour Dominique Racine par contre, qui n'a aucunement l'intention
de coiffer la mitre, cette question reste prématurée puisque l'Archevêché de Québec peut très bien régler le contentieux en nommant un
274
M. Paré, « Monseigneur Dominique Racine, op. cit., pp. 102-103.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
154
coadjuteur. Advenant la création d'un nouveau diocèse au Saguenay—
Lac-Saint-Jean, il devient donc clair aux yeux de tous que le curé de
Chicoutimi —devenu depuis 1871 Grand vicaire — reste la personnalité toute désignée pour occuper la fonction d'évêque ; très apprécié
dans son milieu d'adoption et de ses supérieurs, il est le plus qualifié
d'entre tous et lui seul est en mesure de recevoir cette énorme responsabilité. Sa riche expérience du milieu, des hommes et du ministère l'a
préparé mieux que quiconque.
Le 28 mai 1878, le Pape Léon XIII tranche définitivement la question lorsqu'il érige canoniquement le diocèse de Chicoutimi et nomme
Monseigneur Dominique Racine comme premier évêque résidentiel.
Le territoire du nouveau diocèse est vaste et comprend les comtés de
Charlevoix, Chicoutimi et Saguenay depuis la rivière Portneuf (Haute
Côte-Nord), ainsi que l'île d'Anticosti. Il est limité au nord par le diocèse de Rimouski, au sud par l'archidiocèse de Québec, à l'ouest par le
vicariat apostolique de Pontiac et à l'est par le fleuve Saint-Laurent, et
compte 27 paroisses avec prêtre résident, 11 dessertes et une réserve
montagnaise, récemment établie à la Pointe-Bleue. Les populations
catholiques et protestantes comptent respectivement 39 440 et 140
âmes. Enfin, on y dénombre au total 35 prêtres séculiers et un père
oblat. 275
Pour le nouvel évêque, en dehors du décès de sa mère cette nomination apparaît comme l'une des pires épreuves de sa vie. Malgré
toutes ses réserves, il se résigne et accepte la décision du
275
Voir le dossier publié dans la revue Saguenayensia, mai-août 1978. « L'évolution territoriale du diocèse de Chicoutimi, 1878-1978 », Saguenayensia,
mai-août 1978. Voir aussi J.C. Drolet, op. cit., pp. 35-36 ; M. Paré, Évocations et témoignages, op. cit., p. 107).
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155
[153]
Fig. 25. Plan montrant l'emplacement des principaux édifices religieux et scolaires de Chicoutimi, en 1876. Source : Archives de l'Évêché de Chicoutimi.
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[154]
Vatican. Le sacre est célébré le 4 août 1878 dans la basilique de Québec, par Mgr Taschereau. Lors de son retour au Saguenay, le nouvel
évêque reçoit un accueil triomphal ; après de courtes escales à BaieSaint-Paul, aux Écoulements et à La Malbaie, il effectue un léger détour vers Rivière-du-Loup, où il rencontre ses anciens paroissiens,
s'arrête quelque temps à Tadoussac puis remonte finalement le Saguenay. Tout au long de son parcours, Mgr Racine est salué par des
salves d'armes à feu et par des feux de joie allumés en son honneur.
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L'allégresse générale et débordante atteint toutefois son paroxysme à
Chicoutimi, où la population, accompagnée de la plupart des évêques
du Québec et d'une centaine de prêtres, lui réserve une réception grandiose. 276
Au cours de son mandat qui s'échelonnera sur une bonne dizaine
d'années, Mgr Dominique Racine ne décevra jamais ses ouailles.
Entre 1878 et 1888, malgré le climat et les problèmes de communication qu'il doit surmonter, il réalise trois visites du diocèse, fonde sept
nouvelles paroisses et ordonne 27 nouveaux prêtres. Tout en s'occupant de colonisation et d'agriculture, il réussit le tour de force de rédiger 22 mandements, 7 lettres pastorales et de nombreuses conférences
ecclésiastiques, et œuvre à la fondation de nombreuses associations à
caractère socio-économique et à diverses œuvres religieuses, dont
celle de la Propagation de la Foi en 1878. En 1884, il fait venir la
communauté religieuse des Hospitalières et leur demande de fonder
l'Hôtel-Dieu Saint-Vallier. Malgré l'énorme travail qu'il doit accomplir au Saguenay, Mgr Racine trouve le temps de réaliser deux
voyages à Rome (en 1882 et en 1885) ; lors de sa première visite notamment, il rencontre le Pape pour lui présenter un état général du
jeune diocèse et est nommé assistant au trône pontifical. 277
***
[155]
Dans un tout autre domaine, rappelons-nous que la paroisse SaintFrançois-Xavier avait reçu l'érection canonique le 14 mai 1859. Elle
disposait, depuis 1849, d'une modeste église en bois qui était devenue,
au fil des ans, nettement insuffisante en raison de l'accroissement de la
population. À cet égard, le curé Racine caressait depuis longtemps
l'idée de doter Chicoutimi d'un temple plus spacieux, une bâtisse plus
riche qui viendrait témoigner en fait de la nouvelle réalité chicoutimienne. Deux ans avant son intronisation, en 1876, il avait entrepris la
276
Raymond Desgagné, « Mgr Dominique Racine (1828-1888) », Saguenayensia, mai-juin 1962, pp. 63-66 ; Drolet, op.cit., p.40 ; M. Paré, Évocations et
témoignages, op. cit., p. 108.
277 Ibid.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
157
Fig. 26. La première cathédrale de Chicoutimi.
Photo : ANQC, album Notman.
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[156]
construction d'une église en pierre, une future cathédrale devrionsnous dire, qui sera bénite le jour même de son sacre.
Cette réalisation architecturale de première importance, va représenter cependant une charge beaucoup trop lourde pour la population
de la ville hôtesse. Afin d'aider à son financement, Mgr Racine décide
alors d'imposer une taxe de 6% sur tous les revenus des fabriques du
diocèse et cette capitation, qui s'applique à partir du mois d'octobre
1881, s'échelonnera sur une période de douze ans ; en vue de recueillir
des fonds pour la cathédrale, l'abbé Ambroise Fafard, appuyé par
l'évêque, fonde en 1881 l'Œuvre de Saint-François-Xavier. C'est ce
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
158
soutien qui lui permettra d'effacer presque complètement la dette.
Après sa mort, dans les mois qui vont suivre l'intronisation de son
successeur, Mgr Louis-Nazaire Bégin aura ainsi les coudées franches
pour terminer l'intérieur de l'édifice. 278
D'autre part, le diocèse de Chicoutimi ne disposera pas de véritable
évêché avant 1890. En raison des contraintes monétaires, Mgr Racine
avait été obligé de reculer constamment sa construction et il avait dû
élire domicile dans une chambre offerte généreusement par le séminaire. Se sentant trop à l'étroit dans ce local exigu, le 4 octobre 1887,
l'évêque achète la maison du fromager Siméon Fortin ; dans son esprit, il est clair que l'occupation de ce local situé tout près du quai,
n'est que temporaire. Toutefois, comme Moïse qui ne put atteindre la
terre promise, Mgr Racine ne sera pas en mesure de réaliser son souhait d'habiter le futur évêché et décédera le 28 janvier 1888.
Mgr Bégin s'installera dès le mois d'octobre suivant dans l'ancienne maison de l'arpenteur Georges Duberger ; celui-ci avait vendu
sa résidence à Jimmy Scott, gérant de la maison Price. Le nouvel
évêque, qui deviendra plus tard cardinal, choisira le site, fera entreprendre en 1889 la construction de l’évêché et vendra l'ancienne propriété de Duberger à un dénommé Victorien Morin, pour la somme de
« 900 piastres ». 279 C'est l'abbé Thomas Roberge, secrétaire de
l'évêque, qui [157] surveillera et dirigera le déroulement des travaux
exécutés par l'entrepreneur Ferdinand de Varennes. Conçu selon les
plans de l'architecte David Ouellet, de Québec, et construit sur un site
exceptionnel au coût de 12 000$, l'édifice de brique rouge comptera
trois étages et mesurera 88 pieds de façade sur 45 de largeur.
À l'été 1890, l'évêque pourra enfin s'installer dans son palais épiscopal. Considéré à l'époque comme une des plus belles constructions
de tout le diocèse, richement décoré et meublé avec goût, cet édifice
servira de refuge luxueux à cinq évêques. Il sera démoli en 1956, en
raison, nous dit-on, de sa vieillesse et de la vétusté des locaux.
278
279
Ibid.
Greffe du notaire T.-Z. Cloutier, acte no 5 525.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
159
Fig. 27. Le premier évêché de Chicoutimi, inauguré en 1890 et remplacé en
1956 par la bâtisse actuelle. Photo : ANQC, fonds Dubuc.
[158]
Le raffermissement du réseau scolaire
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— LA CONSTRUCTION DES PREMIÈRES ÉCOLES : Sur le plan
scolaire, les développements sont tout aussi spectaculaires que sur le
plan religieux ; sorte d'indice barométrique trahissant la réalité chicoutimienne, les réalisations à ce chapitre nous permettent en quelque
sorte de mieux mesurer l'ampleur du phénomène d'urbanisation et de
mieux sentir les étapes qui vont mener à la formation de la métropole
régionale. Quelques mois seulement après avoir mis les pieds à SaintAlexis de Grande-Baie, le père Honorat avait déjà été en mesure de
dresser un bilan de la situation qui prévalait à cette époque dans un
Saguenay en formation et en pleine expansion ; en dehors des
énormes difficultés vécues par les colons croyait-il, la mise en place
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
160
d'écoles fonctionnelles s'avérait alors comme une priorité essentielle
dans ce nouveau coin de pays où les enfants poussent aussi drus que le
blé dans les champs. 280
C'est le missionnaire installé en permanence à la Grande-Baie,
l'abbé Charles Pouliot, qui avait implanté l'école de Rivière-duMoulin, vers le début de l'année 1844 : celle-ci avait ouvert ses portes
pendant six mois et avait accueilli une trentaine d'élèves ; la somme de
30 louis (environ 120 $) avait été souscrite auprès des habitants afin
de payer le salaire annuel de l'instituteur, André Gagnon. 281 Pour succéder à l'abbé Pouliot qui avait été affecté à la paroisse de SaintIrénée, comté de Charlevoix, le père Honorât récupéra la lourde tâche
de structurer le premier noyau scolaire au Saguenay. Ce travail était
loin d'être facile ; dans ce pays de colonisation, les besoins d'écoles
augmentaient de pair avec la population et à l'époque la législation
provinciale était loin de favoriser l'éducation dans les régions éloignées.
[159]
La loi de 1841, commune aux deux Canadas, subdivisait en effet le
Bas-Canada en 22 arrondissements scolaires, regroupant chacun plus
de cent paroisses ou villages, et avait surtout l'effet pervers de favoriser une centralisation excessive. Le Saguenay, ainsi rattaché au district de La Malbaie, était administré par un conseil municipal nommé
arbitrairement par le Gouverneur. C'est ce conseil qui avait juridiction
sur les affaires municipales et scolaires dans le district qu'il couvrait. 282
Cette loi prévoyait en gros l'élection par les citoyens de chaque paroisse, de commissaires qui devaient veiller au bon fonctionnement
des écoles de leur arrondissement. Ceux-ci avaient aussi pour mandat
l'entretien des écoles, le choix des maîtres et la tournée annuelle de
ces lieux d'enseignement après laquelle, ils devaient en faire un rap280
Jean-Paul Simard et Léonidas Larouche, « Les premières écoles au Saguenay, 1844-1845 », Saguenayensia, septembre-octobre 1964, pp.111-114.
Voir aussi, ANQC, fonds JPS, 9-48, « Honorat à Mgr Signai, 14 novembre
1844 ».
281 J.-P. Simard et L. Larouche, op. cit.
282 Gérard Filteau, Organisation scolaire de la province de Québec, Centre de
psychologie et de pédagogie de Montréal, 1954, pp. 48-54.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
161
port au conseil municipal de leur district. Les Commissaires ne possédaient aucun pouvoir de taxation et dépendaient directement du conseil municipal de district ; c'est ce dernier qui avait pour mandat de
prélever les taxes pour ensuite les redistribuer selon les besoins municipaux et scolaires des différentes paroisses et, est-il utile de préciser,
dans ce contexte le Saguenay était bien loin de recevoir sa quote-part.
À la fin de l'année, le Préfet devait faire parvenir au Surintendant de
l'éducation un rapport concernant toutes les écoles fonctionnant dans
son district et c'est de ce même Surintendant que dépendait le sort de
l'ensemble des écoles primaires de la province. 283
En 1846, le Gouvernement retouchait enfin sa loi et créait la
Commission scolaire autonome. Celle-ci fut alors revêtue de la responsabilité civile, reçut le pouvoir d'imposer des taxes et de les répartir pour le maintien des établissements scolaires et permettait aux parents d'élire leurs propres commissaires. C'est cette forme d'administration qui sera à la base du système scolaire québécois actuel. 284
[160]
Dans les mois qui avaient précédé la promulgation de la loi, au début de l'année 1845, le père Honorât avait foncé tête première en
créant une petite école de fabrique à la Rivière-du-Moulin ; il avait
mandaté André Gagnon, l'instituteur qui avait enseigné l'année précédente dans ce même village, pour organiser les bases de l'enseignement scolaire à Chicoutimi. Au moment où 1'État promulguait sa loi
et demandait à la population de procéder enfin à l'élection de leurs
propres commissaires d'école, le Saguenay comptait en tout et partout
559 enfants d'âge scolaire (de 5 à 16 ans) répartis à travers trois districts : celui de Tadoussac (comprenant Anse-à-1'Eau, Rivière-auxCanards, Port-au-Saumon et Rivière-Sainte-Marguerite) comptait 79
enfants ; celui de Grande-Baie (comprenant Rivière-à-Mars, Anse-àPelletier, Anse-Saint-Jean et Poste-Martin) comptait 330 enfants ; celui de Chicoutimi (comprenant Rivière-du-Moulin, Terres-Rompues,
Anse-au-Foin et Poste-des-Gauthier) comptait 150 enfants. 285
***
283
284
R. Bouchard, Histoire de..., op. cit., vol. 1er, pp. 80-82.
G. Filteau, op. cit., pp. 57-58 ; R. Bouchard, Histoire de Chicoutimi-Nord, op.
cit., vol. 1er, p. 82.
285 ANQC, fonds JPS, « J.-B. Meilleur à P. de Sales Laterrière, 16 mai 1846 ».
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
162
Avec le temps, les premiers établissements scolaires réussissent
tant bien que mal à se conformer aux lois en vigueur dans la province,
mais les écoles connaissent d'énormes difficultés à se prévaloir des
octrois auxquels elles ont droit. Chaque fois qu'il leur est possible de
légaliser la situation des écoles, le Gouvernement change sa loi, ce qui
oblige la région à se passer d'octrois et à restructurer son organisation
afin de la rendre conforme à la nouvelle législation. La réorganisation
du régime scolaire québécois ne deviendra évidente qu'à partir de
1859 ; c'est à ce moment précis que la direction des écoles est confiée
au Conseil de l'Instruction publique, créé en 1856 sous la présidence
du Surintendant.
Dans ce nouveau contexte, l'arrivée du curé Dominique Racine,
marque ainsi le véritable début de la consolidation du réseau scolaire à
Chicoutimi. Faisant de l'éducation et de l'instruction de la jeunesse la
pierre angulaire de son apostolat [161] au Saguenay, cette personnalité
ecclésiastique va donner un souffle nouveau à l'organisation scolaire
paroissiale. Au moment de son affectation à la cure de Chicoutimi, il
accepte volontiers de remplacer l'abbé Jean-Baptiste Gagnon au sein
de la Commission scolaire locale, une fonction qu'il occupera jusqu'en
1877. C'est pendant cette période qu'il contribue, grâce à son travail
acharné, à l'implantation de maisons d'enseignement qui vont jouer un
rôle majeur sur l'échiquier régional : notamment la fondation du couvent des sœurs du Bon-Pasteur et l'implantation d'un séminaire. 286
En dehors de son implication au sein de la commission scolaire locale, le nouveau curé de Chicoutimi s'implique de surcroît dans le Bureau d'Examinateurs ; créé en 1862 sous la tutelle des curés de la région pour contrer la menace gouvernementale de supprimer les octrois
aux écoles dont les maîtres ne sont pas diplômés, ce bureau est habilité à décerner des diplômes aux instituteurs possédant les qualifications
requises.
L'énorme influence de l'abbé Racine sur le plan scolaire ne doit pas
nous faire oublier également le travail des commissaires qui vont le
seconder dans sa lourde tâche. Le choix de Chicoutimi, pour établir le
couvent des sœurs du Bon-Pasteur, s'avère donc justifié puisque l'inspecteur Martin note que cette municipalité vient en tête du district
grâce au dévouement de ses commissaires et à la bonne organisation
286
M. Paré, op. cit., p. 214 ; R. Bouchard et N. Perron, op. cit., p. 27.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
163
des écoles. Cette mention est d'autant plus vraie qu'en l'espace de seulement deux décennies, on y retrouve déjà six écoles dont deux institutions modèles fréquentées par 188 enfants. Après l'arrivée des sœurs
du Bon-Pasteur, le curé Racine va entreprendre l'implantation d'un
séminaire à Chicoutimi ; ces deux maisons d'enseignement supérieur
seront déterminantes pour la municipalité puisqu'elles lui permettront
de s'imposer et de devenir le pivot de l'éducation sur le plan régional. 287
[162]
***
« Je n'ai que des éloges à donner aux commissaires du village de Chicoutimi —dira-t-il — pour leur zèle et leurs succès. Les affaires de cette
municipalité sont parfaitement tenues par le secrétaire-trésorier. Une superbe maison de 40X60 pieds, à deux étages, est en voie avancée de construction. Les commissaires, désireux de donner, dans un avenir prochain,
une haute éducation aux enfants, n'ont pas hésite à former un emprunt de
1 600 piastres pour cet objet. Écoles fréquentées par 142 enfants. » 288
***
— L'ARRIVÉE DES SŒURS DU BON-PASTEUR : Le débarquement des sœurs du Bon-Pasteur à Chicoutimi, caractérise la première
grande réalisation éducationnelle de l'abbé Dominique Racine. L'histoire nous le présente comme l'initiateur et le principal défenseur du
projet de la fondation de ce premier couvent destiné à l'instruction et à
l'éducation des jeunes filles en Sagamie. Ce projet est d'une importance capitale pour l'ensemble de la communauté ; il s'avère nécessaire dans la perspective d'une région en pleine formation et du rôle
majeur joué par les femmes sur l'orientation et sur la retransmission
des valeurs culturelles de la société. L'abbé Racine comprendra immédiatement ce lien intrinsèque et s'en préoccupera dès son arrivée à
Chicoutimi.
287
288
R. Bouchard et N. Perron, op.cit., p. 27.
« Extraits des rapports de M. l'inspecteur V. Martin, comté de Chicoutimi »,
1861-1862.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
164
Pour atteindre ses objectifs en matière éducative, il commence
donc par travailler à 1'implantation d'un couvent qui sera dirigé par
des religieuses et arrête son choix sur les Servantes du Cœurimmaculé-de-Marie, mieux connues aujourd'hui sous le nom familier
des sœurs du Bon-Pasteur. Cette communauté religieuse — fondée en
l850 par Mgr Turgeon (archevêque de Québec), G. Manly Muyr et
Marie Fitzbach (sœur F.-X. Roy) pour aider à la réhabilitation des
jeunes filles et des femmes en difficulté — avait également ajouté à
son [163] œuvre l'enseignement et l'éducation aux enfants. 289 Ce
choix n'a donc rien d'arbitraire car l'abbé Racine connaît bien la communauté religieuse qu'il vise pour réaliser son projet ; alors qu'il œuvrait à la cure de Rivière-du-Loup, il avait en outre personnellement
fait appel à leur service et il avait été en mesure d'évaluer positivement leur efficacité. Ayant ainsi eu l'occasion de les côtoyer pendant quelques années, il avait gardé un excellent souvenir de leur travail édifiant.
Lorsqu'il leur demande de venir s'établir à Chicoutimi, les sœurs
acquiescent de bon gré, même si l'absence de ressources matérielles
constitue un obstacle majeur. Aidé par Mgr Baillargeon, alors administrateur du diocèse de Québec, et par le conseil du village de Chicoutimi, l'abbé Racine réussit à les loger momentanément dans une
maison dont la construction inachevée avait été entreprise dans l'idée
de servir d'hôtel de
289
Russel Bouchard, « Lexique historique des communautés religieuses au Saguenay — Lac-Saint-Jean », Saguenayensia, juillet-septembre 1991, p. 10 ;
M. Paré, L'Église au Diocèse de Chicoutimi, tome 1er, 1983, p. 216
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
165
Fig. 28. Le premier couvent des sœurs du Bon-Pasteur.
Photo : ANQC, fonds SHS.
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[164]
ville et de salle publique ; cet édifice à deux étages, mesurant à l'origine 50 pieds sur 35, devait servir plus exactement de salle pour les
assemblées publiques, les séances du conseil municipal et de
1'« Institut des Artisans et Association de Bibliothèque de Chicoutimi » qui avait été fondé en 1858. L'abbé Racine va faire ajouter 24
pieds à cette bâtisse afin de la rendre plus conforme à sa nouvelle vocation. 290
Sous un ciel orageux, après un voyage mouvementé et physiquement éprouvées, le 3 septembre 1864 les quatre sœurs fondatrices arrivent au quai de Grande-Baie : il y a là sœur Saint-Édouard (première
supérieure), sœur Saint-Philippe-de-Néri, sœur Sainte-Anne et sœur
290
Mgr Victor Tremblay, « L’établissement des sœurs du Bon-Pasteur », Saguenayensia, juillet-août 1964, pp. 74-75 ; Jérôme Gagnon, L'arrivée des
sœurs du Bon-Pasteur à Chicoutimi... » Saguenayensia, juillet-septembre
1991, pp. 39-40.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
166
Sainte-Gertrude. Le groupuscule avait entrepris le voyage de Québec
jusqu'à la Grande-Baie, à bord d'un petit bateau — le « Magnet » —
piloté par le capitaine J.-B. Fairgrieves. Peiné de n'avoir pu se rendre
personnellement à la Grande-Baie pour les accueillir en raison d'un
mauvais temps persistant, l'abbé Racine fixera malgré tout ce moment
historique dans une lettre qu'il rédigera le même jour et qu'il adressera
à son supérieur, le grand vicaire Cazeau : « nos bonnes sœurs me sont
arrivées à midi — dira-t-il — par une pluie battante et des chemins
affreux. Je voulais aller moi-même les recevoir à la Grande-Baie ;
mais je n'ai pu avoir ce plaisir pour plusieurs raisons. Les sœurs,
toutes moins Saint-Édouard, ont été malades du mal de mer dans la
traversée ; heureusement qu'elles sont bien aujourd'hui qu'elles ont
mis pied à terre... » 291
En raison de l'absence du curé Racine, c'est le maire John Kane et
le curé Louis-Antoine Martel qui vont accueillir les religieuses à
Grande-Baie. Dans un bref discours de circonstances, le curé Martel
en profite pour féliciter les sœurs d'avoir laissé leur confortable couvent à Québec, dans l'unique but de promouvoir l'enseignement scolaire auprès des jeunes [165] filles de la région et ce, au prix d'immenses sacrifices. Tout en les remerciant de leur générosité, le prêtre
leur assure ensuite le support de la population dans la poursuite de
leur œuvre.
Immédiatement après le sermon d'usage, les religieuses entreprennent le voyage vers Chicoutimi en « surrey » (voiture tirée par des
chevaux et pouvant transporter plusieurs passagers) et sont accueillies
par le curé Racine qui va personnellement se charger de leur faire visiter la bâtisse qui leur servira de couvent jusqu'en 1912. Grâce à des
aménagements apportés au plan initial, l'édifice maintenant terminé
mesure désormais 74 pieds de front sur 35 pieds de largeur ; bâti en
pièce sur pièce, il compte deux étages et un grenier. Sa toiture, recouverte de bardeaux et percée de lucarnes, est dominée aux extrémités
par deux cheminées et est munie d'un clocheton au centre. Disons enfin que le couvent qui domine les hauteurs du village de Chicoutimi,
fait face au Saguenay et est entouré d'une petite clôture. 292
***
291
292
Ibid.
Ibid.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
167
« Mère Saint-édouard a eu ses peines à Chicoutimi. Vous comprenez,
elle rentrait dans la maison la plus pauvre de toute la communauté. Il fallait voir comme il n ' y avait rien ici quand les sœurs se sont installées.
Mère Saint-Edouard a fait de ses mains toutes espèces de choses : jusqu'à
bûcher, piocher, pelleter, transporter des roches dans ses mains, charroyer
de la terre dans son tablier, enfin tout, avec les petites filles qui l'aidaient.
Elle a fait elle-même une terrasse et un jardin à côté du couvent. Si vous
aviez vu comme elle avait bien arrangé cela, les abords du couvent... »
« Le couvent était près de la rue du côté de la cathédrale ; elle avait fait
une terrasse avec un trottoir autour où les élèves se promenaient, et plus
loin, dans le jardin du presbytère actuel, un jardin... »
« Le premier couvent était bien modeste, L'intérieur n'était pas fini,
même pas peinturé. Nous allions à l'église et nous nous logions à côté du
chœur, dans un espace libre qui se trouvait en arrière de l'autel de la Sainte
Vierge. De là, on regardait toutes sortes de choses. Une de nos attractions
était de voir, par la porte ouverte de la sacristie, trancher le [166] pain bénit. Nous arrivions à l'église le poêle mort ; on l'allumait à notre arrivée et
en attendant qu'il fût assez chaud, nous nous tenions autour. » 293
***
Sans perdre de temps, les sœurs s'installent à la hâte et organisent
la rentrée des élèves prévue pour le 14 septembre suivant. Le lendemain, l'abbé Racine célèbre la messe dans la petite chapelle du couvent et prononce un sermon d'usage. Le couvent des sœurs du BonPasteur est si populaire aux débuts, qu'après seulement une semaine
d'enseignement une autre religieuse, sœur Marie-Joseph, est invitée à
venir se joindre au groupe ; cette dernière est accompagnée d'une institutrice laïque, Mary Ann O'Reilly, qui a été engagée pour enseigner
la musique et qui a apporté avec elle son propre piano. Après une
première année, l'expérience est concluante : l'institution compte déjà
86 élèves, dont 25 pensionnaires, 18 demi-pensionnaires et plusieurs
externes. Pour le curé Racine et la population chicoutimienne, la réussite est totale et démontre admirablement bien que l'implantation d'un
couvent pour jeunes filles est nécessaire et répond à un besoin pres293
ANQC, fonds SHS, Mémoires de Vieillards, no 169. Ce texte à été publié
dans Saguenayensia, septembre-octobre 1971, pp. 138-140.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
168
sant dans ce village en pleine formation et en voie de devenir le centre
éducationnel du Saguenay—Lac-Saint-Jean.
— FONDATION DU PETIT SÉMINAIRE : Bien que la fondation
du séminaire soit redevable aux efforts de l'abbé Dominique Racine,
le projet d'établissement d'un collège pour garçon remonte beaucoup
plus loin dans le temps. Nous avons vu que le père Honorât avait décelé l'importance de doter la région d'une telle institution ; dans une
lettre adressée au Surintendant de l'éducation, en date du 8 mars 1846,
il avait effectivement trahi sa pensée en avouant à son interlocuteur
que déjà à ce moment il envisageait d'acquérir des terres pour « un
collège qui devra être établi ici dans peu d'années » 294
[167]
Comme nous le savons, Honorat n'a pas eu le temps de réaliser ce
vœu puisqu'il dut partir précipitamment en 1849. C'est le curé Dominique Racine qui reprendra l'idée quelques années plus tard. Après
avoir assisté les religieuses du Bon-Pasteur lors de la fondation du
couvent pour jeunes filles, il concentre ses efforts sur l'implantation
d'un séminaire. Cette fondation sera déterminante car elle permettra à
Chicoutimi de s'imposer pour devenir le centre éducationnel régional.
Rappelons-nous qu'à cette époque, le Saguenay politique et religieux
est en pleine formation. Institutionnellement et même politiquement,
les gens dépendent entièrement de l'extérieur. Sur le plan géographique et politique, la région est encore un immense territoire peu
peuplé et englobe le lointain comté de Charlevoix. Le recensement de
1871 nous donne à ce moment une population de 17 473 habitants. 295
Sur le plan religieux, nous savons que le diocèse de Chicoutimi
n'existe pas encore et les paroisses sont toutes rattachées à l'archidiocèse de Québec.
Fermement décidé à atteindre son objectif, le 19 octobre 1865, le
curé Racine écrit à son ami, l'abbé Thomas-Étienne Hamel qui œuvre
au séminaire de Québec, et lui fait état des principales difficultés qui
l'empêchent de passer aux actes : il lui faut d'abord, précise-t-il, acquérir une maison assez vaste et un bon terrain et recruter de bons
294
295
ANQC, fonds JPS, « Honorat au Surintendant, 8 mars 1846 ».
Recensement du Canada, 1871.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
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maîtres qui seront en mesure d'assurer un enseignement de qualité ; la
population est pauvre et n'est pas encore capable d'assumer les coûts
liés à un tel établissement. C'est sans doute pour ces raisons qu'il
pense souvent au séminaire de Québec et à l'aide qu'il pourrait en retirer si son ami voulait bien 1'aider à acheminer son dossier sur le bureau du supérieur de l'institution. Nullement découragé et fermement
convaincu de la justesse de son projet, le 4 mars 1866 il récidive et
réécrit à son ami pour lui confirmer à nouveau son désir de fonder un
collège-séminaire et il se dit « prêt à faire des sacrifices pour » y arriver. 296
[168]
Bien que l'entreprise soit difficile, le curé Racine y met tout son
zèle et sa détermination afin de mener à terme son idée, même s'il lui
faut convaincre ses pairs que cette œuvre ne contribuera pas à envenimer le problème de la multiplicité des collèges dénoncée par le séminaire de Québec, une opinion énergiquement partagée dans l'ensemble du milieu de l'éducation provinciale. S'adressant de nouveau à
l'abbé Hamel dans une lettre datée du 1er avril 1867 et se disant d'accord en ce qui concerne le nombre élevé de collèges dans la province,
il tente de lui faire comprendre que « le Saguenay se trouve dans
296
J.-C. Drolet, op. cit., p. 119 ; Progrès-Dimanche, 21 janvier 1973, p. 58 ;
Jean-Claude Drolet, « Les débuts du Séminaire de Chicoutimi, 1873-1888 »,
Saguenayensia, janvier-février 1966, p. 3 ; Jean-Claude Drolet, « Un collège- séminaire à Chicoutimi en l873 », Saguenayensia, septembre-octobre
1972, pp 118-133.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
170
Fig. 29. Le Premier séminaire de Chicoutimi.
Photo : ANQC, fonds SHS, no 125.
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[169]
une position exceptionnelle : nous sommes pour ainsi dire séparés du
reste des mortels par nos hautes montagnes, nos voies de communication très difficiles en hiver et très coûteuses en été ». Poursuivant son
énoncé, il revient à la charge et ajoute cette fois qu'il fera tout ce qui
est en son pouvoir pour atteindre son objectif. 297
297
« Dominique Racine à T.-É. Hamel, 1er avril 1867 », cité dans J.-C. Drolet,
« Les débuts... », op. cit., p. 3 ; J.-C. Drolet, « Un collège- séminaire... », op.
cit., pp. 119-120 ; Progrès-Dimanche, op. cit., p. 58.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
171
Face à l'obstination de ses opposants, l'abbé Racine croit plus prudent de retraiter ; de 1867 à 1870, il décide donc stratégiquement de
laisser dormir le dossier en attendant qu'une opportunité se présente.
Celle-ci ne tardera pas ! En 1870, il profite de la fondation d'une école
protestante à Chicoutimi et du fait qu'elle reçoit gratuitement les enfants canadiens-français pour dépoussiérer son projet et le présenter
comme une alternative valable pouvant aider à contrer l'avance du
protestantisme au Saguenay—Lac-Saint-Jean. 298 Il n'en faudra pas
plus !
Dans une lettre adressée le 10 avril 1872 à l'Archevêque de Québec
et Mgr E.-A. Taschereau, Racine tire ainsi profit des craintes de
l'Eglise catholique et réussit à justifier l'implantation de cette nouvelle
maison d'éducation, vouée à devenir un peu plus tard un séminaire qui
desservira toute la région. Sentant qu'il a maintenant le vent dans les
voiles, il poursuit sa requête en présentant à Mgr Taschereau un plan
et un échéancier précis qui prévoient en outre l'achat et l'agrandissement de la maison d'école du village. Le succès de l'entreprise sera
finalement garanti par la participation de prêtres et d'ecclésiastiques et
par une contribution financière du gouvernement. Ayant bien soupesé
le pour et le contre, le 18 avril suivant Mgr Taschereau fait volte face
et acquiesce de bon gré à la requête du curé de Chicoutimi : « C'est
très bien — lui dira-t-il dans une lettre — et je donne de tout mon
cœur ma bénédiction au futur collège dont les humbles commencements permettent, comme tout ce qui est
298
Ibid.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
172
[170]
Fig. 30. Plan de l'arrondissement scolaire et épiscopal de Chicoutimi, en 1880.
Source : Archives de l'Évêché de Chicoutimi
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Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
173
[171]
humble, une grande prospérité et une longue durée... Je ferai tout en
mon pouvoir pour l'aider et le favoriser... Voilà donc la première
pierre de l'édifice que je pose et que je bénis : vous allez dire peutêtre qu'elle paraît lourde et hérissée d'angles menaçants. C'est néanmoins une pierre de la meilleure espèce ». 299
Il ne reste plus maintenant qu'à entreprendre la réalisation et à
trouver une bâtisse convenable. Dans les jours qui suivent, les commissaires d'école du village de Chicoutimi (Ovide Bossé, Méron
Tremblay, Eucher Lemieux et Michel Caron), heureux de l'approbation de l'Archevêché, lui offrent de s'installer dans l'école du village.
Cette petite maison de bois, construite en 1861 par l'entrepreneur
Pierre Lamarre, comprend alors deux étages et se situe près de la rivière aux Rats. Bien que la résolution des commissaires d'école de
Chicoutimi soit inscrite dans le registre dès le 14 novembre 1872, ce
ne sera par contre que le 16 juin 1873 que le Conseil de l'Instruction
publique permettra la vente (comprenant l'édifice et un acre de terrain)
à la corporation archiépiscopale pour la somme symbolique de un dollar ; l'acte sera officiellement signé le 1er août suivant. Pressé de passer aux actes et nullement disposé à se laisser retarder par les formalités, au cours de l'hiver 1872-1873, le curé avait même entrepris la réparation de la maison d'école et les travaux, estimés à 700$, s'étaient
poursuivis pendant tout l'été : l'édifice deviendra alors un véritable
pensionnat comprenant chapelle, salle de récréation et d'études, réfectoire et dortoir. 300
Prévoyant la première rentrée pour le mois de septembre, le 28
juillet 1873 l'abbé Dominique Racine avait même voulu profiter de la
visite de confirmation de l'archevêque de Québec pour bénir la nouvelle institution. Impressionné par tout ce qu'il avait vu, un mois plus
tard, soit le 15 août, Mgr Taschereau signe le décret d'érection canonique qui officialise la fondation du séminaire de Chicoutimi et place
le nouvel établissement sous la protection de la sainte Famille de Jésus, Marie et Joseph : [172] Dominique Racine occupera la fonction
de supérieur et Samuel Garon, ancien curé de Saint-Louis-deMétabetchouan, celui de directeur et de préfet des études. Sur le plan
299
300
Ibid.
Ibid.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
174
administratif, le séminaire de Chicoutimi devra néanmoins se conformer aux règlements en vigueur dans le petit et le grand séminaire de
Québec alors que sur le plan académique le programme des études
sera calqué sur celui du Collège de Sainte-Anne. 301
Le 15 septembre 1873,45 élèves se présentent aux portes du séminaire et inaugurent ainsi la première année scolaire de l'histoire de
l'institution. Grâce à cette fondation, Chicoutimi compte maintenant
une institution de premier plan. L'inspecteur Martin dira justement
dans son compte rendu annuel que la municipalité du village, est
« sous tous les rapports, recommandable par les efforts qu'elle fait
pour avancer l'instruction du peuple et par le succès qui résulte de ses
efforts ». « Outre un couvent florissant — poursuivra-t-il —- M. le
Grand-Vicaire Racine, à force de sacrifices, est parvenu à y établir un
séminaire qui compte aujourd'hui 54 élèves ». (...) « L’établissement
de cette maison à Chicoutimi doit être considéré comme un bienfait
inappréciable pour toute cette partie de la province. » 302 De son côté,
la municipalité de la paroisse vient substantiellement renforcer la position stratégique des lieux par le nombre des écoles et la qualité de
son enseignement.
Dès l'ouverture du séminaire, l'abbé Racine songe déjà à une autre
maison afin de loger les étudiants qui se font de plus en plus nombreux. Épaulé par Mgr Taschereau qui se donne corps et âme à cette
cause, le supérieur du séminaire tente tant bien que mal de trouver les
ressources nécessaires à la poursuite de son œuvre et c'est l'archevêque de Québec qui apportera le plus à cette nouvelle réalisation. En
effet, le 22 décembre 1873, il fait signer une promesse de vente à David-E. Price pour le lot numéro soixante-quatorze, au prix de trois
mille dollars. Pour pouvoir payer ce terrain, Mgr Taschereau reçoit
des dons de [173] quelques prêtres et lance une souscription volontaire qui s'étendra à tout le diocèse de Québec et s'échelonnera sur
trois années.
Fort d'un tel appui, au cours de l'année 1874 l'abbé Racine commence la construction du second séminaire. L'édifice en pierre et
comptant quatre étages sera encore inachevé lorsque les étudiants s'y
301
302
Ibid.
Rapport du Ministre de l'Instruction Publique de la Province de Québec,
1872-1873, pp. 125-126.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
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transporteront en septembre 1875. Même s'il n'est pas encore terminé,
le 4 août 1875 on procède à la bénédiction solennelle de 1'édifice et
Mgr Taschereau profite de l'occasion pour faire l'éloge de l'abbé Racine sans qui, témoigne-t-il, la fondation d'un séminaire au Saguenay
aurait été impensable et impossible à réaliser.
[174]
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
[175]
Histoire de Chicoutimi.
La fondation 1842-1893.
Chapitre 4
L’incorporation de la ville
1879-1893
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[176]
176
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
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[177]
Le réajustement de l'économie
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— L’INDUSTRIE DU BOIS DE SCIAGE. Pendant tout le XIXe
siècle, le commerce du bois de sciage constitue le principal facteur de
développement économique de Chicoutimi. Lorsque meurt McLeod,
l'industrie forestière saguenéenne, vient tout juste d'entrer dans une
phase de transformation rapide. Le bois canadien, jusqu'alors dépendant du marché britannique, tente d'atteindre celui des États-Unis. En
1854, le traité de Réciprocité, signé avec nos voisins du Sud, procure
justement cette opportunité car il supprime entre les deux pays tous
les tarifs douaniers touchant les produits naturels comme le bois. La
Guerre civile américaine (1861-1865) et la période consécutive à ce
conflit, événements auxquels s'ajoute la Confédération canadienne en
1867, auront pour conséquence de provoquer une forte croissance de
l'activité forestière au Québec et particulièrement à Chicoutimi, où se
trouve toujours la plus grosse scierie de la région.
Au Saguenay, on commence déjà malheureusement à vivre les
aléas des premières ruptures de stocks, des ruptures provoquées évidemment en grande partie par une surexploitation de la matière ligneuse. La coupe irrationnelle des îlots de pins blancs et la disparition
du couvert forestier, vont alors pousser les entrepreneurs à pénétrer
plus avant dans le territoire. Après avoir épuisé la plus belle partie de
la forêt chicoutimienne, en [178]
1851 Price arrive donc aux abords des rivières Petite et Grande
Décharge pour ouvrir les premiers chantiers du Lac-Saint-Jean ; la
construction de la glissoire, à l'Ile d'Alma, entre 1856 et 1860, 303
donnera un certain sursis aux scieries de Chicoutimi. Un exposé de
David Edward Price devant l'Assemblée Législative du Canada, nous
303
A. Buies, Le Saguenay et le bassin..., op. cit., p. 149. Jocelyn Caron, « La
glissoire d'Alma », Saguenayensia, vol. 28, no 3, juillet-septembre 1986, pp.
89-92.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
178
apprend qu'en 1860 le pin n'existe déjà plus en quantité suffisante
pour rentabiliser à lui seul les opérations forestières au Saguenay. 304
***
« Il y a une certaine quantité de pins mais il faut plutôt se diriger vers
le nord pour en trouver davantage, étant donné que ceux qui étaient là ont
déjà été utilisés ou détruits par le feu. Toutefois, il y en a encore assez, du
moins je l'espère, pour maintenir le marché, à cet endroit, durant encore
deux ans ; mais ce n'est plus le beau pin gros et élevé que nous trouvons
en allant plus avant vers l'ouest et vers le sud de la province. »
***
C'est le Grand feu du printemps 1870 qui brisera le rythme et imposera un ralentissement subit à l'industrie forestière régionale et chicoutimienne. Au niveau provincial, la conjoncture n'aidera pas au relèvement car de 1874 à 1890 l'exploitation forestière québécoise entre
dans une phase de transition, marquée principalement par un plafonnement de la production. 305 En 1875 plus précisément, l'industrie forestière vit des moments extrêmement difficiles en Amérique du Nord
et le village de Chicoutimi se trouve directement affecté par la crise :
alors que la Compagnie Eddy d'Ottawa tente d'éviter son propre naufrage [179] dû à l'effondrement de plusieurs compagnies aux ÉtatsUnis, 306 la maison Price doit quant à elle se déplacer à Londres pour
faire face à des poursuites judiciaires intentées par un de ses compatriotes ; 307 s'ajoute à tous ces déboires qui n'ont rien de bien réjouissants, l'effondrement simultané des prix du bardeau qui provoque à
son tour la mise à pied de plusieurs dizaines de travailleurs gravitant
304
Samuel J. Kelso, Notes on the Saguenay for tourists and others, Morning
Chronicle, Montreal, 1862, pp. 5-6 ; texte traduit par Raoul Lapointe, Saguenayensia, mai-juin 1988, p. 8.
305 G. Gaudreau, L'exploitation des forêts publiques au Québec, (1842-1905) :
cadre juridique, mode d’appropriation et évolution des récoltes, thèse présentée à l'Université du Québec à Montréal, Doctorat en histoire, septembre
1986, pp. 73-97.
306 Journal de Jean-Baptiste Petit, 5 janvier 1875.
307 Journal de Jean-Baptiste Petit, (18 juin 1875), (11 octobre 1875).
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
179
autour de ces petites entreprises artisanales. 308 Fermée depuis le début des années 1870 (depuis 1872 environ), la scierie de la Rivière-duMoulin ne pourra jamais reprendre du service dans un tel contexte et
ce, en dépit des nombreuses tentatives destinées à lui redonner vie ; en
plus de subir les conséquences de la disparition du pin, l'usine est
presque en ruine et constitue à plusieurs égards une menace constante
pour les travailleurs. Voici ce qu'en dit d'ailleurs le colon Ludger Petit
dans son journal intime : 309
***
« Chicoutimi 15 juin [1874], le moulin de la Rivière-du-Moulin a
commencé à marcher un peu pour voir si cela pourais faire. Depuis un an
qu'il doit marcher et il ne fait que s'essayer s'il va pouvoir marcher. Il a des
hommes qu'il paie 3 piastres par jour et tous les jours il doit marcher et il
ne marche pas. Il a commencé à marcher que dans le mois de juillet [1873]
pour dire qu'il marche complètement et quand il a marché il a presque tout
estropié le monde ; surtout le garçon de [...] Laforge, Charles. Il s'est fait
casser la jambe en 3 et démancher le pied [et] il est venu prêt de mourir
par plusieurs fois ; c'est le docteur Blaire qui l'a soigné et qui l'a guéri. Il a
perdu son été. »
***
Ce sont évidemment les essences les plus recherchées, le pin blanc
et le cèdre, qui vont être les premiers à souffrir de la surexploitation
honteuse de la forêt saguenéenne ; Raoul Blanchard, en traitant de la
question, parle de l'époque de « la [180] décadence des scieries » 310
Le Recensement de 1871 établit à seulement 60% le total des expéditions de billots de pin blanc alors que la quantité de planches de ce
même produit ne correspond plus à ce moment qu'à 2% de l'ensemble.
Sur les 201 052 billots coupés dans toute la région par la maison Price
en 1878, il ne reste plus que 12 897 billots de pin (31%), sur lesquels
308
309
Journal de Jean-Baptiste Petit, 2 juin 1875.
Journal de Ludger Petit, 15 juin 1874. Il est à noter que la retranscription a
été corrigée pour en faciliter la compréhension.
310 R. Blanchard, « L’est du Canada français, Beauchemin, Montréal, 1935, pp.
90-91.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
180
on ne pourra retirer que 4 000 pièces pouvant répondre au « standard
de La Malbaie ». 311
Fig. 31. Le Bassin et les installations industrielles, à la fin du XIXe siècle.
Photo : ANQC, fonds SHS, no 311.
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C'est cette situation qui poussera quelques années plus tard la
Compagnie Price à fermer tour à tour ses scieries au Saguenay, au
profit de celles du Lac-Saint-Jean. Dans ce second cas par contre, le
facteur d'éloignement et l'absence d'une liaison [181] maritime surtout, rendront plus difficile la rentabilité des usines de sciage qui devront graduellement fermer leurs portes. Fort heureusement pour les
bûcherons, la naissance de l'industrie de la pulpe, à la fin du XIXe
siècle, viendra suppléer à la décadence des scieries. Profitant de l'ouverture de la ligne de chemin de fer, le Lac-Saint-Jean ne souffrira pas
autant que le Saguenay de la perte de vitesse enregistrée dans les scie311
A. Buies, Le Saguenay et le bassin..., op. cit., p. 150.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
181
ries. Le tracé de la ligne ferroviaire permettra en effet d'éviter une rupture subite des stocks, comme cela avait été le cas pour les usines du
Bas-Saguenay, de Grande-Baie et de Rivière-du-Moulin.
— LE DÉVELOPPEMENT DU COMMERCE ET DE L'INDUSTRIE. La mort de McLeod ne correspond pas uniquement à la fin de
l'âge d'or des scieries du Saguenay. Elle coïncide également à une rupture de la pratique commerciale basée sur le monopole exclusif et sur
l'élimination de toute compétition qui viendrait amoindrir le pouvoir
despotique des industriels. La décennie cinquante assiste donc à la
libéralisation des secteurs secondaire et tertiaire et à l'arrivée des premiers commerçants qui vont commencer à s'installer le long de la future rue Racine, en bas de la côte Bossé.
En 1861, le canton Chicoutimi détient désormais le titre de paroisse la plus populeuse de la région et le village compte de son côté
72 emplacements : avec ses 3 177 habitants, la paroisse déclasse
même de peu la Baie des Ha ! Ha ! qui se classe bonne deuxième avec
ses 3 063 habitants. 312
C'est d'ailleurs à cette époque que Johnny Guay, installé depuis
1848 à Chicoutimi, rompt son association avec le marchand J. Collard, son ancien compatriote de La Malbaie. Obligé de recommencer à
zéro puisqu'il se retrouve avec plus de dettes que d'avoir, en 1860
Guay décide de se réorganiser tout près de la rivière aux Rats pour
tirer profit du cours d'eau. Dans la première moitié des années cinquante, il construit un quai à proximité de son magasin général afin
d'y faire accoster ses deux goélettes : L'Aima et La Martin qui vont
connaître une [182] certaine popularité. 313 Pendant une bonne vingtaine d'années, son commerce restera le plus important du genre dans
tout le Saguenay et supplantera même celui instauré par la maison
Price, tout près de la scierie du Bassin.
En 1867, David Tessier et Jean-Baptiste Petit, deux résidents de
Sainte-Anne, décident de s'associer et d'ouvrir à leur tour un magasin
général dans la résidence de Tessier située sur la rive nord du Sague-
312
313
Recensement du Canada.
D. Perron, op. cit.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
182
nay. 314 Vers 1873, la société plonge tête devant et déménage ses pénates à Chicoutimi pour s'installer dans le secteur commercial du village, à l'intérieur du quadrilataire limité aujourd'hui par les rues Tessier et Morin. Ce commerce connaîtra un essor fulgurant et supplantera même dans les années quatre-vingt, l'entreprise fondée par Johnny
Guay. En 1881, Jean-Baptiste Petit se voit confier la responsabilité à
la fois lucrative et honorifique de vérificateur des balances pour le
Gouvernement provincial. Deux fois par année, Petit doit visiter tous
les commerces du Saguenay—Lac-Saint-Jean. Ce voyage de routine
permettra ainsi à la société, d'ajouter à ses activités, l'industrie hôtelière et touristique (puisque Petit possède à L'Anse-Saint-Jean une
maison de pension tout près du quai), le commerce des fourrures, des
bleuets et du bois.
Grâce au journal rédigé quotidiennement par Jean-Baptiste Petit
entre 1873 et 1913, nous savons qu'au moment de la création de la
ville, en 1879, Chicoutimi compte au moins 19 commerces spécialisés
dans la vente au détail, 3 hôteliers et 2 prêteurs. Du côté de la petite
entreprise artisanale, la future ville à de quoi être fière là aussi puisqu'elle compte une cinquantaine d'artisans de toutes sortes, dont 7
charretiers, 6 forgerons, 6 charrons, 5 cordonniers, 4 ferblantiers, 3
boulangers et un pâtissier. Niveau professionnel, rien à redire là non
plus car la future ville compte 3 avocats, 3 notaires, 3 médecins et 2
arpenteurs. La vocation maritime constitue également un facteur de
prospérité pour la paroisse : en plus des 9 marins enregistrés officiellement, nous retrouvons une douzaine de bateliers. 315
[183]
L'essor notable enregistré par le secteur tertiaire est atténué en revanche par la baisse de l'activité secondaire et primaire. À cette même
époque, nous savons que la scierie de Rivière-du-Moulin n'est plus en
opération et la future ville ne compte plus que trois usines sur son territoire : le moulin de la rivière Chicoutimi emploie toujours 300
hommes, le moulin à farine situé juste en face, compte trois moulanges et donne du travail à 2 meuniers, et le moulin à carder de William Warren procure tout juste du travail à deux hommes. 316 Pendant
314
315
T.-Z. Cloutier, acte no 340.
Journal de Jean-Baptiste Petit, 1879.
316 Journal de Jean-Baptiste Petit, 1879.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
183
près de cinq ans (de 1874 à 1879) un Anglais originaire de Londres,
M. Wells, avait bien essayé d'implanter une manufacture d'allumettes
au Bassin, mais cette petite entreprise qui utilisait le bois
Fig. 32. Jean-Baptiste Petit.
Photo : coll. de l'auteur.
Fig. 33. Croquis du magasin Tessier & Petit,
vers 1885. Il était situé entre les rues Morin et
Tessier. Photo : coll. de l'auteur, fonds JeanBaptiste Petit.
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[184]
de pin rebuté par la scierie, ne fit cependant pas long feu et disparut à
cause du manque de matière première. 317
Le chroniqueur Arthur Buies fait état également de la cueillette de
la gomme de sapin. Cette industrie fort originale, est exploitée par la
plupart des marchands de Chicoutimi qui réussissent à expédier tous
les ans entre quinze et vingt barils à Québec, à bord des goélettes :
317
Journal de Jean-Baptiste Petit, 16 juin 1875. Voir aussi : Mgr Victor Tremblay, « Une manufacture d'allumettes », Saguenayensia, mai-août 1976, p.
67.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
184
« Là — dit-il — elle sert à différents usages, entre autres à faire du
vernis ; les Américains en tirent aussi de l'encre. Il n'y a pas encore
longtemps, M. David Price l'exportait en gros pour les pharmaciens
de la Grande-Bretagne. » 318
—FONDATION DE LA SOCIÉTÉ D'AGRICULTURE. À l'instar
de la production forestière, l'activité agricole québécoise et régionale
est favorisée, au XIXe siècle, par les mêmes stimulants extérieurs :
l'époque de la Réciprocité (1854-1864), celle de la guerre de Sécession (1861-1865) et celle de la Confédération canadienne (1867) sont
autant de facteurs qui vont lui permettre de prendre pied. Mais, avant
que le Saguenay— Lac-Saint-Jean soit coiffé, à tort ou à raison, du
titre de « grenier de la Province », cette agriculture aura à surmonter
des obstacles importants. Il faudra d'abord dépasser l'étape d'une agriculture de survivance et ce ne sera pas avant le milieu des années
soixante-dix, voire même la fin des années quatre-vingt, que l'on pourra commencer à parler d'une industrie agricole viable.
Chicoutimi, en raison de ses fonctions administratives, commerciales et industrielles, n'est pas une paroisse agricole au sens propre du
terme mais elle joue tout de même un rôle important dans ce secteur
de l'économie : elle est plutôt à caractère mi-agricole, mi-industrielle.
Les cultivateurs, essentiellement localisés dans la municipalité de la
paroisse, profitent évidemment des retombées économiques importantes [185] générées par la future ville. « Il ne faut pas croire que
cette population soit avant tout agricole ; — conclut effectivement
Buies, dans la première édition de son volume portant sur le Saguenay
— non, elle est en général pauvre, et les hommes préfèrent travailler
aux chantiers, ou faire la cueillette des bleuets et celle de la gomme
de sapin». 319
318
319
A. Buies, Le Saguenay et le bassin..., op. cit., p. 154.
Arthur Buies, Le Saguenay et la vallée du Lac-Saint-Jean, A. Côté, Québec,
1880, p. 156.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
185
La première meule de fromage
de toute l'histoire du Saguenay
Siméon Fortin, le propriétaire de la fromagerie de Chicoutimi, commence à fabriquer du fromage ce matin avec environ 2 000 livres de lait. [Il
a] fabriqué quatre magnifiques fromages d'environ 50 à 60 livres, un fromage à 4$ pour un Américain. La bâtisse [est] très avancée. Belle bâtisse à
deux étages, toit français. Les appareils [sont] de première classe et du dernier modèle. [Ce] système amélioré pourrait manufacturer le lait de 1 500 à
2 000 vaches. [Il a] acheté le lait des habitants à 8¢ le gallon de lait vendu à
la fromagerie. La fromagerie [est] installée pour faire le beurre en même
temps que le fromage mais je crois qu'il aurait dû ne pas commencer aujourd'hui ; le vendredi n'a pas bonne réputation comme jour chanceux. [J'ai] été
à la fromagerie à 4 heures de l'après-midi, pour voir sortir de la presse le
premier fromage fabriqué à la fromagerie et le premier fabriqué au Saguenay et la première fabrique établie depuis Québec à Chicoutimi, établi par
Siméon Fortin de Québec.
Journal de Jean-Baptiste Petit, 30 juin 1882
Cherchant malgré tout à se démarquer des autres municipalités de
la région et intéressée à ne pas perdre tous ses acquis à ce chapitre, en
1854 on avait décidé de former la Société d'Agriculture de Chicoutimi
afin de répondre aux besoins sans cesse croissants de tout le Saguenay—Lac-Saint-Jean. 320 En raison des difficultés énormes causées
par l'absence de communications dans le Bas-Saguenay et dans la région de [186] Charlevoix, en 1863 le Gouvernement avait procédé à
l'élargissement du rôle de Chicoutimi en matière agricole et avait fusionné le comté Saguenay pour former « La Société d'Agriculture des
comtés unis de Chicoutimi et Saguenay ». 321
320
La fondation de la Société d'Agriculture de Chicoutimi remonte à 1854 »,
Le Progrès du Saguenay, 5 septembre 1953.
321 27 Victoria, Chapitre 25.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
186
Évolution de la population 322
rurale et urbaine de Chicoutimi
1851-1901
Années
Tremblay
1851
582
1861
Jonquière
82
Chicoutimi
village
1 200
401
Chicoutimi
paroisse
Total
1864
3 177
3 578
1871
1 393
2 707
4 100
1881
1 935
2 687
4 622
1891
2 277
2 071
4 348
1901
3 826
1 970
5 796
Lorsque l'État adopte sa loi des sociétés de colonisation, au printemps 1869, il en profite pour réviser la loi se rapportant aux sociétés
d'agriculture et vote celle du Conseil d'Agriculture. 323 Cette loi qui
donne au nouvel organisme des pouvoirs importants, notamment en
matière de perfectionnement des techniques agricoles, aura suffisamment de mordant pour rénover l'agriculture du Québec et sera décisive
sur l'orientation agricole de la Reine-du-Nord. 324
Au Saguenay—Lac-Saint-Jean, on en profite donc pour apprendre
à mieux connaître le milieu, à identifier les secteurs improductifs et à
découvrir que le véritable potentiel ne réside pas nécessairement dans
l'exploitation des cultures céréalières. Le compte rendu final de l'agent
d'immigration, pour l'année 1875, démontre qu'à ce moment-là l'agriculture régionale est [187] rendue à la croisée des chemins et doit impérativement changer son orientation si elle veut survivre. Pour pallier
aux désavantages d'une saison agricole trop courte, les agents du
322
Recensements du Canada.
32 Victoria, Chapitre 15.
324 Esdras Minville, L'Agriculture, pp. 356-357.
323
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
187
Gouvernement proposent alors de s'orienter vers l'élevage, de privilégier la fabrication des sous-produits du lait, tels le beurre et le fromage, et de ne produire en grains que l'indispensable pour la famille. 325
Les orientations nouvelles proposées par les agents du gouvernement trouveront une première oreille attentive chez les agriculteurs du
Saguenay qui sont toujours représentés par la Société d'Agriculture de
Chicoutimi. Durement affectés par la fermeture des scieries, ces gens
voient dans l'exploitation laitière une sorte de compensation économique. Ces agriculteurs ne sont pas insensibles aux changements. À
l'automne 1877, ils profitent du contexte pour réorganiser la Société
d'Agriculture du comté et nomment David Edward Price comme président. 326
Intéressés à tirer parti de la nouvelle ouverture des marchés extérieurs créée par la construction des installations portuaires de Chicoutimi, les agriculteurs entreprennent de modifier leurs habitudes et
s'orientent ainsi vers la production laitière. Parfaitement bien adapté
pour emboîter le pas, le comté Chicoutimi voit ouvrir ses premières
fromageries en 1882 : l'une à Saint-Alphonse ; l'autre, dirigée par le
fromager Firmin Paradis, ouvre ses portes le 30 juin 1882 à Chicoutimi. 327 À partir de ce moment, la progression sera fulgurante : en
1884, le comté Chicoutimi compte déjà 6 fromageries et une beurrerie
et, à la fin du siècle, il regroupe 29 fromageries et 4 beurreries. 328
325
« Rapport de M.EA. Barnard, agent d'Immigration et de Colonisation au
Ministre de l'Agriculture », Documents de la Session du Québec, 1875, (no
4), pp. 257-259.
326 Journal de Honoré Petit.
327 Journal de Jean-Baptiste Petit, 30 juin 1882.
328 « Rapport d'une inspection des sociétés d'agriculture et des fabriques de beurre
et fromage », Documents de la Session du Québec, (1884- 1885), Vol. 18, p.
22. Léonidas Bélanger, « Brèves notes historiques sur l'agriculture et l'industrie laitière », Saguenayensia, mai-juin 1974, p. 55. C. Girard et N. Perron,
Histoire du Saguenay—Lac-Saint-Jean, IQRC, 1989, pp. 166-167.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
188
[188]
Création de la « ville », 1879
Retour à la table des matières
À la fin des années soixante-dix, Chicoutimi a atteint une maturité
et une renommée qui dépassent largement les frontières de la région et
même du Québec. Grâce à ses institutions religieuses, scolaires, politiques et économiques, plus rien ne peut l'empêcher maintenant de
s'afficher avec les prétentions d'être le centre nerveux du Saguenay.
Ce village possède maintenant trop d'atouts pour que ce titre lui
échappe. Ayant été le berceau de la pénétration européenne à l'intérieur des terres à l'époque de la traite des fourrures, étant avantageusement situé à la tête des eaux navigables, servant presque de limite
entre les deux régions du Saguenay et du Lac-Saint-Jean, le village
constitue le cœur géographique régional. Rien de plus normal à ce
qu'il devienne le centre économique, administratif, éducationnel et
religieux de toute la communauté saguenéenne et soit coiffé du titre
de capitale.
Mais, sur le plan administratif, le simple statut de village impose
des limites qui apparaissent de moins en moins acceptables. Il est évident que l'acquisition de chacune de ces institutions exige de la localité hôtesse des contraintes et des efforts proportionnels. Afin d'être en
mesure de répondre plus convenablement à ses nouveaux besoins, la
corporation municipale ne perd pas de temps. Le village est pauvre
mais il a la chance de bénéficier de l'aide de William Evan Price. C'est
heureusement ce dernier qui défraie une partie des dépenses et qui
s'occupe personnellement, au cours de l'été 1879, d'adresser aux autorités gouvernementales une demande en vue d'incorporer le village en
ville. 329
Le gouvernement est conscient du rôle et de la position difficile de
Chicoutimi. Il n'est pas sans savoir que la population a considérablement augmenté au cours des dernières années. Il ne peut oublier éga329
Archives de la ville de Chicoutimi, Livres des minutes, séance spéciale du
23 juillet 1879.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
189
lement le choix de l'épiscopat catholique comme siège du nouveau
diocèse. « Considérant que les dispositions du code municipal ne suffisent plus à ses habitants [189] pour opérer les améliorations qu'ils
se proposent défaire, et (...) qu'il serait nécessaire que de plus amples
dispositions fussent faites en faveur du dit village, en y annexant le lot
numéro soixante et quatorze du premier rang nord-est du canton de
Chicoutimi », le gouvernement sanctionne, le 31 octobre 1879, l'Acte
qui incorpore la nouvelle « Ville de Chicoutimi ». 330
Fig. 34. Une partie du Bassin, côté ouest de la rivière Chicoutimi, à la fin du
XIXe siècle. Photo : SHS.
Retour à la table des matières
***
330
Statuts du Québec, 32-43 Victoria, Chapitre 61. Ce document a été publié
dans Saguenayensia, septembre-octobre 1979, pp. 94-96. Voir aussi : C.-E.
Deschamps, Municipalités et paroisses dans la province de Québec, Imprimerie Léger Brousseau, Québec, 1896, pp. 238-239.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
190
« La municipalité de la ville de Chicoutimi comprendra la municipalité
actuelle du village de Chicoutimi et de plus, le lot numéro soixantequatorze du premier rang nord-est du canton de Chicoutimi. »
[190]
43-43 V. C. 61, sanctionné le 31 octobre 1879.
Description officielle :
19 mars 1886
« Borné et limitée comme suit ; vers le sud-est, par le lot No 73. du
rang nord-est du chemin Sydenham, par le lot No. 74 du rang sud-ouest du
chemin Sydenham, et par les lots Nos. 1, 2 et 3 du 8e rang du canton de
Chicoutimi ; vers le sud-ouest, partie par le lot No. 74 susdit du rang sudouest du chemin Sydenham, et partie par les lots No 4 dans chacun des 9e
et 10e rangs du dit canton ; vers le nord-ouest, par le lot No. 1 dans les 14e
et 15e rangs du canton de Chicoutimi susdit ; vers le nord et le nord-est,
par la rivière Saguenay. L'étendue de terre ainsi bornée et décrite contenant 1260 acres, plus ou moins. » 331
***
Chicoutimi en 1882 :
l'arrivée de Mgr Eugène Lapointe
Retour à la table des matières
Ainsi que le fait si bien remarquer Mgr Eugène Lapointe dans ses
mémoires, Chicoutimi reçut sa vocation industrielle dès le début. Contrairement aux colons arrivés avec l'équipe de la Société des Vingt et
un qui trouvèrent dans les environs de la Grande-Baie une riche cuvette constituée de terres agricoles ressemblant à tout ce qu'ils venaient de quitter à La Malbaie, ceux qui débarquèrent à la suite de
McLeod n'eurent pas cet avantage, car le territoire côtier aux environs
de Chicoutimi était plutôt bordé de rochers et de fondrières, où cou-
331
C.-E. Deschamps, op. cit., 1896, p. 46.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
191
lent, au niveau des marées, deux magnifiques chutes d'eau qui allaient
permettre l'édification des plus importantes scieries du Saguenay.
À peine âgé de 22 ans, Mgr Lapointe arrive à Chicoutimi en juillet
1882, alors que la municipalité vient à peine d'accéder au statut de
ville : Élie Saint-Hilaire vient tout juste d'être nommé représentant des
comtés unis de Chicoutimi et Saguenay, Siméon Fortin est en train de
produire la première meule de fromage de toute l'histoire de Chicoutimi, une équipe d'ouvriers termine la [191] construction du quai et
Michel Caron fait ses premières expériences à la mairie de la ville. 332
Fils de cultivateur né à La Malbaie le 21 avril 1860, il débarque ici
pour étudier au Petit Séminaire et conservera un souvenir impérissable
de sa rencontre qu'il eut avec David Edward Price, quelques mois
avant sa mort. Homme de lettre jusqu'au bout des doigts, fondateur de
la Fédération Ouvrière du Nord, et véritable esprit de son temps,
l'image qu'il nous livre de la métropole constitue à notre avis une véritable fresque historique à laquelle nous ne pouvons échapper.
Les mémoires de Mgr Eugène Lapointe, rédigés de main de maître,
constituent en soi un des plus beaux récits d'histoire consacré à la colonisation de la région et à l'époque de la fondation de Chicoutimi.
Textes retranscrits et publiés dans la revue Saguenayensia à partir du
premier numéro de l'année 1987, nous croyons justifié de vous présenter ici la partie qui présente la ville de Chicoutimi lors de son arrivée.
La société d'alors, qu'il dépeint avec habilité et sensibilité, n'a pas
d'égal au Saguenay—Lac-Saint-Jean et est divisée en deux classes
bien distinctes : celle des ouvriers et celle des bourgeois. Entre les
deux, une mince minorité composée d'artisans et de petits commerçants constituant l'essentiel de la classe moyenne de l'époque. Parmi
eux, deux familles émergent : la famille des Guay et la famille des
Savard. Arrêtons-nous quelques moments pour écouter ce fin raconteur et voir comment il perçoit tout ce beau monde et comment se présente à lui cette micro-société, à l'aube des années quatre-vingt...
***
332
Journal de Jean-Baptiste Petit, 1882.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
192
« En 1882, [la scierie de Rivière-du-Moulin] — la seconde en cet endroit je crois ; — existait encore, mais était abandonnée, 333 tandis que
celle du Bassin était encore en pleine activité. Inutile de dire qu'à ce moment-là le tout appartenait à la maison Price, McLeod dormant depuis
[192] longtemps son dernier sommeil dans le petit cimetière de l'ancienne
chapelle des Jésuites au Bassin [sic] 334. »
« La population de Chicoutimi en 1882 se ressentait, quant à sa composition, de son origine. Autour du moulin du Bassin, un groupe d'ouvriers
et quelques employés du bureau ou du magasin de M. Price. Près de
l'église paroissiale, dans ce qu'on appelait le « faubourg du Couvent » —
dont le couvent des S S. du Bon-Pasteur était le centre — un autre groupe
restreint d'ouvriers, dont un certain nombre exerçaient le métier de menuisier ou de maçon. Le reste de la population, échelonnée le long de ce qui
est aujourd'hui la rue Racine, depuis le Rocher-de-la-Vieille jusqu'au Bassin, se composait de professionnels, de marchands et de quelques employés supérieurs de la maison Price principalement. »
« Il y avait donc à Chicoutimi dans ce temps-là deux classes bien distinctes et assez éloignées l'une de l'autre, celle des ouvriers et celle des
bourgeois. Entre les deux, un certain nombre d'intermédiaires participant
plus ou moins de l'une et de l'autre. »
333
334
Elle avait arrêté de fonctionner vers 1872 ; cf., Journal de Ludger Petit.
Le corps de McLeod avait été transporté en 1874 dans le cimetière protestant, à la Rivière-du-Moulin ; cf., se référer au chapitre sur « la mort de
McLeod ».
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
193
Un décès remarqué
Morte ce matin à sa résidence à Chicoutimi [à l'âge de 76 ans], Josepte
Fortin, épouse de feu Roger Savard, de son vivant marchand aux Écoulements comté de Charlevoix et marchand aussi à Chicoutimi. Le père Roger
Savard avait laissé une des plus grosses fortunes de Chicoutimi (50 à 60
milles piastres) consistant en propriétés. [Il était] le plus grand propriétaire de
terrains de la ville après la maison Price Brothers. Aujourd'hui, sa fortune est
encore considérable mais a été fortement écornée par feu Edmond, son fils, et
[par] les dépenses de la maison faites par la veuve et les deux petits fils, Vilmond Savard et Edmond Savard. Madame Savard laisse 800$ au couvent du
Bon Pasteur de Chicoutimi, Philippe, Edmond et Vilmond Savard, chacun
2 000$, ses trois gendres (F. Tremblay, Patrice Tremblay, E. Tremblay) chacun 1 000$, la fille (Madame David Dechêne) une rente de 150$ par année sa
vie durant [et] le reste de la fortune aux trois enfants de feu Edmond Savard.
Journal de Jean-Baptiste Petit, 8 février 1890
[193]
« Les ouvriers étaient en général très pauvres, gagnant peu : 8$ à 10$
par mois dans les chantiers en hiver, .500 par jour au moulin l'été, pour
une journée de 12 heures. »
« Ils étaient tous très mal logés. La vie n'était pas chère, parce qu'ils
dépensaient très peu, vivant de si peu. »
« Le reste de la population au contraire menait la vie large pour le
temps. Les professionnels avaient dans l'ensemble un beau revenu. Il y
avait des marchands cossus. Le commerce était florissant, étant alimenté
en bonne partie encore par la population du Lac-Saint-Jean. »
« Deux familles émergeaient dans ce milieu par leur opulence : la famille Savard et la famille Guay. Roger Savard et Johnny Guay, étaient
morts depuis quelques années, mais les fils avaient hérité d'une belle fortune, dont ils ne surent guère profiter pour la plupart. »
« Ces deux familles furent durant longtemps en lutte sur le terrain politique. Roger Savard était conservateur, Johnny Guay libéral. Madame
Johnny Guay était la sœur de Pitre Tremblay, qui se présenta contre
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
194
D. Price, fut battu, je crois, puis fut élu dans Charlevoix contre Xavier
Cimon, puis enfin battu par Hector Langevin à la suite de quoi il contesta
cette élection pour cause d'influence indue cléricale. »
« Les deux familles restèrent toujours néanmoins en excellents rapports avec Mgr Racine et les prêtres du Séminaire de ce temps-là. »
« J'ai connu madame Roger Savard. C'était une bien vénérable personne, traitant les jeunes prêtres que nous étions avec une bonté toute maternelle. L'accueil de cette maison, l'une des plus anciennes de Chicoutimi,
était chaud et sympathique. L'un des fils, Edmond, marié avec une nièce
de Mgr Racine, grand-père de l'abbé Félix-Antoine Savard, aujourd'hui curé de St-Félix de Clermont, était le principal héritier et occupait la maison
paternelle. Homme très aimable, d'un cœur d'or, il n'avait que des amis. »
« Madame Johnny Guay avait en plus d'une instruction supérieure puisée aux Ursulines de Québec, si je ne me trompe, une distinction de manières peu communes, avec peut-être un peu de hauteur. Elle était d'ailleurs très bonne. Ses filles aînées, madame Catellier et madame Jules Gagné, avaient hérité de ses plus éminentes qualités. J'ai rarement rencontré
dans ma vie, de femmes d'une si parfaite éducation, si distinguées et si
sympathiques. Très religieuses, au reste, et pas mondaines du tout. »
« Parmi les autres citoyens de marque, il convient de mentionner Régis
Gosselin, régistrateur, François-Xavier Gosselin, avocat, son frère, [194]
encore célibataire, Eucher Lemieux, le Shérif Bossé, P.-Hercule Boily,
marchand, le magistrat Hudon, le juge Cimon, Méron Tremblay, Pitre
Talbot et « Tessier et Petit ». Il y avait bien encore, en seconde zone pourrait-on dire, Honoré Martel, cousin de Mgr Racine, Madoc Martin, Hubert
Delisle, les familles Léandre Tremblay, Juste Ouellet, et d'autres encore.
Parmi les employés supérieurs de la maison Price on pouvait compter Tom
Riverin, capt. du « Thor », Raphaël Bouchard, Godin, etc...,et puis
quelques familles anglaises : Scott, Blair, Sturton, O'Brien, irlandais catholiques. »
« L'ensemble composait une société vraiment intéressante. Les rapports entre canadiens-français et anglais étaient plus que courtois, on peut
dire amicaux. C'est ainsi que j'avais assez souvent, par exemple, la visite
de Sturton. »
« Le Séminaire jouissait d'un grand prestige. Ses prêtres étaient vénérés de tous. Tous recherchaient leur société. On les recevait avec les plus
grands égards. Quant à Mgr Racine, il était littéralement adoré. »
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
195
Fig. 35. Chicoutimi en 1897. Cette photo exceptionnelle nous montre au premier plan le Rocher de la Vieille, le centre de la ville et les limites naturelles de la
grève du Saguenay. Photo : ANQC, fonds SHS, no 370.
Retour à la table des matières
[195]
« Vraiment, c'était le beau temps. Certes, tout n'était pas parfait dans
cette communauté de 1 500 âmes environ, mais on y vivait d'une vie sociale qu'on ne retrouve maintenant nulle part au même degré. Tous les citoyens se connaissaient. Ils entretenaient entre eux des relations plus assidues et plus intimes que l'isolement favorisait. On se chicanait bien un peu
en politique comme aujourd'hui, on s'intentait des procès, mais au « jour
de l'an » suivant on se faisait visite, et les relations quelquefois interrompues reprenaient leur cours. »
***
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
196
La Société de Colonisation
de la ville de Chicoutimi
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Parler de la situation nouvelle de Chicoutimi en omettant de s'arrêter sur son rôle dans le secteur de la colonisation, n'aiderait pas à bien
comprendre la place que la ville détient toujours dans le processus de
la marche du peuplement à travers la région. Faut-il préciser, qu'au
début des années quatre-vingt, la récupération des terres dans le canton Chicoutimi manque de vigueur ; en fait, la distribution des lots est
à toute fin pratique terminée à l'intérieur des limites de la ville et, cela
va sans dire, le processus se trouve passablement ralenti dans les limites de la paroisse. De 1860 à 1880 inclusivement, 47 concessions
de plus ou moins grandes dimensions avaient été accordées dans la
ville ; ces chiffres comprenant évidemment tous les titres ayant appartenus à Peter McLeod et remis officiellement aux Price, en 1860,
comme curateurs des biens et de la succession. En contrepartie, au
cours de cette même période, le gouvernement avait reconnu 112 concessions à l'intérieur de la paroisse, dont 25 seulement au cours des
cinq dernières années. En 1881-1882, les concessions accordées dans
la ville et dans la paroisse ne se situent plus qu'à une seule, pour la
première municipalité, et à 13, pour la seconde. 335
Afin de contrôler plus adéquatement 1'arrivée des nouveaux colons
tout en voulant vivifier l'activité agricole autour de [196] Chicoutimi,
plusieurs notables du Haut-Saguenay entreprennent alors des démarches pour évaluer l'ampleur du problème et, si possible, trouver
des solutions durables. Le 29 janvier 1882, le groupe se réunit une
première fois dans la maison d'école centrale (le Vieux Séminaire) et
convient de nommer l'abbé Ambroise Fafard et le shérif Ovide Bossé,
respectivement président et secrétaire de l'assemblée. Parmi tous les
sujets soulevés, se dégage un consensus général : tous reconnaissent le
manque de dynamisme du comté en matière de colonisation. Pour
mettre fin à cette situation qui n'a rien de bien reluisante —si on la
335
Rapport Langelier, op. cit., pp. 269-285.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
197
compare à celle du Lac-Saint-Jean — on propose alors de travailler
énergiquement pour « aider à la colonisation des terres situées au
nord de la rivière Saguenay » (il faut faire référence ici au canton Falardeau) et d'organiser à cet effet une société de colonisation. Avant de
fermer l'assemblée, le groupe s'engage à se soumettre à toutes les dispositions de l'Acte des Sociétés de Colonisation, pointe officieusement ceux qui formeront prochainement l'équipe de direction et s'engage finalement à payer individuellement une souscription annuelle de
vingt « piastres » pendant trois ans. 336
Fig. 36.
L'abbé Ambroise Fafard, principal
initiateur de la Société de Colonisation
de la ville de Chicoutimi.
Photo : Archives de l’Évêché de
Chicoutimi
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Fort de ce consensus populaire, deux jours plus tard, le premier
janvier, une trentaine de personnes s'engagent à faire partie de la Société projetée, signent l'acte d'association et procèdent à l'élection des
officiers et des directeurs : Mgr Dominique Racine est nommé président-honoraire, l'abbé Ambroise Fafard est élu président, [197] le shérif Ovide Bossé occupe le poste de vice-président, et l'abbé Thomas
Roberge, l'ancien vicaire du curé Fafard, comble celui de secrétairetrésorier ; ce dernier jouit d'une très grande crédibilité car il avait été
également professeur et avait rempli diverses charges au Séminaire de
336
« Historique de la Société de Colonisation de Chicoutimi, 1882-1883 »,
ANQC, fonds SHS, document 86
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
198
Chicoutimi ; de plus entre 1878 et 1880, il avait collaboré au ministère
de la paroisse Saint-François-Xavier. Au-dessus d'eux siégeront au
conseil d'administration, six autres directeurs : MM. Eustache Lemieux, Joseph Fortin, Pierre Talbot (fils), David Tessier, Simon
Tremblay et Georges-B. Du Tremblay. 337
En attendant sa reconnaissance légale —qui n'arrivera en fait que
le 12 avril 1882—la Société se réunit une troisième fois le 19 février
pour finaliser sa constitution et édicter 24 règlements. Fondé officiellement sous le nom de « Société de Colonisation de la Ville de Chicoutimi », l'organisme —qui aura son siège social à l'intérieur des limites de la ville — base sa démarche « sur la religion et le patriotisme » et se place immédiatement sous la protection de la « Sainte
famille ». 338
Les citoyens intéressés à en faire partie, devront s'engager en tout
premier lieu à débourser annuellement 20$ et à se conformer aux dispositions de la loi et aux règlements internes. Après l'expiration de la
prescription de trois ans, la Société pourra continuer d'exister pour
tous ceux qui en feront la demande, à la condition « que trente
membres au moins demandent telle continuation » ; si tel n'est pas le
cas par contre, elle aura un an pour liquider ses actifs. La Société envisage enfin de porter son action dans le comté Chicoutimi, vers les
terres encore libres du canton Falardeau, et prendra autant de lots
qu'elle jugera à propos. 339
Lors du partage des terrains préparés, chaque membre en règle aura droit à un lot qui lui sera assigné selon un processus déterminé à
l'avance qui devra donner justice à tous et chacun. Pendant toute la
durée du défrichement, la Société se réserve le [198] droit de pouvoir
ensemencer et récolter les produits pour son propre profit. Le coût des
lots et des certificats restera à la charge de chaque membre et sous
certaines conditions. Enfin, disons que les affaires de la Société seront
administrées par le conseil d'administration, lequel sera élu par les
membres à tous les ans. 340
337
Ibid. Voir aussi : Gazette Officielle du Québec, 1882, vol. 14, p. 845.
« Historique de la Société de Colonisation de Chicoutimi, op. cit.
« Historique de la Société de Colonisation de Chicoutimi, op. cit.
340 « Historique de la Société de Colonisation de Chicoutimi, op. cit.
338
339
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
199
***
Même si nous ignorons les raisons profondes qui vont provoquer
l'échec du projet, certains indices troublants semblent vouloir nous
indiquer que la Société n'a pas été capable de prendre son envol et
était pour ainsi dire coincée dès le départ... À la fin du mois de juin
1882 entre autres, aucune action concrète n'avait encore été entreprise
et les membres ne savaient toujours pas où ils seraient dirigés. L'arpentage des terres visées avait bien été demandé mais tout porte à
croire que le Gouvernement n'avait pas voulu accepter la nomination
d'un arpenteur faisant partie de la Société, ni d'ailleurs le territoire
demandé ; G.-B. Du Tremblay — arpenteur reconnu et proposeur de
la motion — était dans le décor et nous apparaît donc à bien des
égards comme la graine de sable qui aurait fait avorter le projet. Y
avait-il conflits d'intérêts à l'horizon ou vulgaires tentatives de noyauter le mouvement ? Difficile à dire car le livre des minutes reste totalement muet à ce sujet. Après neuf mois d'absence, les membres se
réunirent enfin une dernière fois le 8 avril 1883, pour reconnaître que
le Gouvernement n'avait pas voulu accéder à leurs demandes et pour
suspendre les travaux de la Société jusqu'à nouvel ordre... 341
La tentative avortée de la Société de Colonisation de la Ville de
Chicoutimi et l'espoir déçu des citoyens du Haut-Saguenay provoqueront un arrêt momentané de la colonisation dans les environs. La reprise sera l'œuvre de citoyens de Sainte-Anne. [199] En 1887, 342 le
curé de la paroisse, l'abbé David Roussel, entreprend de ressusciter la
Société de Colonisation de la ville de Chicoutimi — qui n'avait existé
que sur papier — et fonde son propre mouvement : la « Société Rous341
342
« Historique de la Société de Colonisation de Chicoutimi, op. cit.
Mgr Victor Tremblay dans ses « Notes monographiques de 33 localités... »
(op. cit., pp. 14, 18) fait remonter la fondation de la Société Roussel, à l'année 1891. Cette information qui a été reprise par la suite par tous ceux qui
ont eu à écrire sur ce sujet, n'est pas exacte. Si nous nous référons au Journal de Jean-Baptiste Petit, des travaux de défrichement effectués sous la direction du curé Roussel sont déjà en cours lors de son passage, le 29 septembre 1888. À ce moment précis, des hommes s'affairent même à la construction d'une grange et d'une maison. C'est le curé Roussel qui reprend le
dossier en 1887 : voir à ce sujet, Archives de l'Évêché de Chicoutimi, série
XVII, paroisse 18, cote 11, volume 1, pièce 17, « Roussel à Mgr Bégin, 8
octobre 1892 ».
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
200
sel ». Par cette action, son ambition est d'inciter les habitants les plus
démunis de sa paroisse à le rejoindre pour aller ouvrir quelques lots
dans le canton de Falardeau, entre le lac Charles et le lac Clair. La
tâche qui les attend n'est pas des plus faciles.
Sans attendre la reconnaissance légale de son mouvement — qui
n'arrivera en fait qu'en 1889 — l'abbé Roussel se met avec enthousiasme à l'œuvre et recrute ses premiers colons. À l'été 1888, alors que
des colons venus de Sainte-Anne entreprennent de défricher en squatters quelques lots du canton Falardeau, M. Roussel élabore discrètement les règlements devant guider sa Société. Dans une lettre qu'il
adresse le 23 mai 1889 à Mgr Bégin comme s'il désirait se disculper
des attaques lancées par certains détracteurs, il prend bien soin de préciser que son but principal « n'est pas une affaire d'argent et de spéculation » ; 343 pour lui, ce qui importe surtout c'est de venir au secours
des jeunes gens pauvres de sa paroisse, d'empêcher l'émigration et, si
possible, de rapatrier « nos Canadiens des États-Unis » ; des ambitions
et des intentions fort louables en soi, mais qui ne donneront, somme
toute, que des résultats médiocres.
[200]
Fondée sous le patronage de Saint-Joseph et n'ayant aucun lien direct avec les autres sociétés de colonisation qui naissent frénétiquement un peu partout à travers le Québec comme pour répondre à une
« mystique » du retour à la terre, la Société Roussel se fixe en tout et
partout vingt-cinq règlements. Ceux-ci s'inspirent partiellement des
règlements élaborés dans la constitution de la défunte Société de Colonisation de la Ville de Chicoutimi, mais ils s'en écartent toutefois
par ses motifs profonds. N’étant nullement conçus pour satisfaire aux
ambitions des notables de la place, ces règlements sont censés assurer
une place privilégiée aux pauvres et un maximum de démocratie au
sein de l'organisme. C'est probablement cette base plus populiste qui
lui vaudra sa réussite...
Les sociétaires, appelés pour la circonstance « patrons », peuvent
contribuer financièrement sans aucune limite mais doivent s'engager à
ne pas spéculer sur leurs propriétés. Le conseil d'administration,
343
Archives de l'Évêché de Chicoutimi, série XVII, paroisse 18, cote 11, volume 1, pièce 14, « Lettre à Mgr Bégin, 23 mai 1889 ».
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
201
nommé pour trois ans, est formé de neuf membres en règle qui doivent se réunir au moins trois fois par année pour se rendre compte de
la progression des travaux. 344 Tout en privilégiant les fils de familles
pauvres originaires de la paroisse de Sainte-Anne, la Société a le droit
toutefois d'admettre dans ses rangs des jeunes étrangers issus de familles aisées, à la condition cependant que ces derniers soient munis
d'une lettre de recommandation signée par leurs curés et qu'ils soient
nourris par leurs familles pendant les travaux de défrichement. Les
émigrants d'origine canadienne qui résident aux États-Unis devront
s'engager à verser une cotisation annuelle de 20$ et pourront jouir de
tous les privilèges accordés aux sociétaires. 345
La Société sera dissoute automatiquement au bout de trois ou
quatre années, dépendamment de l'avance des travaux de colonisation.
Pendant ce laps de temps, elle demeure seule gestionnaire des revenus
générés au cours de cette période.
[201]
Passé ce délai, les lots exploités seront tirés au sort et seront distribués à ceux qui auront été choisis pour les occuper. Les colons qui
n'auront pas été favorisés par le sort et qui auront hérité de lots considérés comme pauvres, pourront toutefois profiter de portions de lots
réservés à cet effet. Bien qu'elle soit fondée initialement pour une durée de trois ou quatre ans selon le besoin, la Société se réserve le droit
de poursuivre indéfiniment ses opérations dans d'autres comtés. 346
De 1888 à 1891, en dépit de l'absence cruelle d'octrois gouvernementaux, les membres de la Société Roussel réussiront à défricher
plusieurs lopins de terre dans le canton Falardeau, certaines maisons
seront construites et les lots seront suffisamment préparés pour accueillir les propriétaires. Au printemps 1891, alors que l'échéance du
tirage au sort se rapproche et que les subventions du gouvernement du
Québec
344
Pendant les trois ans d'existence de la Société, c'est le curé Roussel qui occupera le poste de président.
345 Archives de l'Évêché de Chicoutimi, série XVII, paroisse 18, cote 11, volume 1, pièce 14, « Buts et règlements de la Société de Colonisation de SteAnne du Saguenay, mai 1889 ».
346 Ibid.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
202
Fig. 37. Le boulevard de la Rivière-du-Moulin, au tournant du siècle.
Photo : ANQC, fonds SHS.
Retour à la table des matières
[202]
se font toujours attendre, 347 les groupuscules de colons commencent à
arriver et à la fin de l'été, la petite colonie du Lac Clair compte déjà 76
âmes. Pour l'instigateur du projet, c'est une demi-réussite, mais,
« malgré ces déboires » se plaît-il à préciser, la survie de la mission
est assurée ; 348 le nombre d'enfants justifiant même l'organisation
d'une école avant l'hiver. 349 Dans une lettre qu'il adressera à Mgr Bégin le 8 octobre 1892, missive où il résumera l'histoire de son mouvement de colonisation, l'abbé Roussel tentera de justifier le résultat
347
Archives de l'Évêché de Chicoutimi, série XVII, paroisse 18, cote 6, volume
2, pièce 2-b, « H.-A. Turgeon à Roussel, 25 mai 1892 ».
348 Archives de l'Évêché de Chicoutimi, série XVII, paroisse 18, cote 6, volume
2, pièce 2-c, « Roussel à H.-A. Turgeon, chef de la branche de la Colonisation, 29 mai 1892 ».
349 Archives de l'Évêché de Chicoutimi, « Annexe au rapport annuel paroissial
de M. David Roussel pour Tannée se terminant le 1er septembre 1891 ».
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
203
médiocre de la Société par une apathie du ministre de la Colonisation
à son égard et par le manque de fonds nécessaires à la poursuite de
son œuvre. 350
L'organisation du premier corps
de sapeurs-pompiers
Retour à la table des matières
Le 2 avril 1883, la ville de Chicoutimi entreprend de se doter d'une
compagnie de sapeurs-pompiers. L'événement est important et démontre bien par lui-même que la municipalité est désormais fermement décidée à protéger plus adéquatement sa population contre ce
fléau. Pour donner encore plus de force à cette initiative louable et
tout à fait justifiable, le 11 juin suivant, le Conseil de ville vote un
premier règlement touchant la prévention des incendies et la sécurité
publique. Le décret municipal formant officiellement la compagnie de
sapeurs-pompiers [203] est voté le 2 juillet de cette même année et
compte 18 articles : parmi ceux-ci, retenons surtout les règlements
relatifs à la structuration de l'organisme, l'obligation des citoyens
d'assister les pompiers lors des feux et l'établissement d'une sorte de
code d'éthique pour les membres. Nous allons constater dans les prochaines lignes que cette modeste disposition législative connaîtra des
ratés dès le début. 351
Le nouveau corps de sapeurs-pompiers aura effectivement l'occasion de démontrer très tôt son importance et son manque d'efficacité.
En effet, moins d'un an après sa fondation, dans l'après-midi du 30
avril 1884, un incendie se déclare tout près de l'évêché, dans un hangar privé servant d'écurie. À la vitesse de l'éclair, l'élément destructeur
se communique à une maison à deux étages, saute sur les édifices voi350
Archives de l'Évêché de Chicoutimi, série XVII, paroisse 18, cote 11, volume 1, pièce 17, « Roussel à Mgr Bégin, 8 octobre 1892 ». Pour plus
d'information à propos de la Société Roussel et de la colonisation du canton
Falardeau, se référer à Villages fantômes, localités disparues ou méconnues
du Haut-Saguenay, SHS, 1991, pp. 113-119.
351 Journal de Jean-Baptiste Petit, 1884. Archives de la ville de Chicoutimi,
Livre des minutes.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
204
sins et risque de s'étendre à la cathédrale s'il n'est pas circonscrit dans
les plus brefs délais. L'alerte est aussitôt donnée mais, comble de malchance, dans leur empressement les sapeurs-pompiers renversent la
pompe et cassent le manchon servant à actionner le mécanisme. 352
Malgré la diligence de tous et de chacun, toutes tentatives de circonscrire l'incendie restent vaines. Les sapeurs-pompiers doivent alors
se contenter d'arroser les flammes avec une pompe défectueuse et
avec des seaux à mains, en utilisant seulement l'eau contenue dans le
puits de l'église. Aux petites heures du matin, le feu est enfin maîtrisé,
mais à quel prix : quatre édifices ont été complètement détruits et
parmi eux on compte l'Hôtel Martin, une maison adjacente (celle de la
veuve Pitre Blackburn) et la maison de L.-O.Tousignant. Même si
trois des quatre propriétaires sinistrés sont sans assurance et perdent
tout leur avoir, la population est consciente que dans les circonstances
le bilan aurait pu être bien plus désastreux. Grâce au travail acharné
des sapeurs-pompiers et de plusieurs citoyens bénévoles, on a fort
heureusement réussi à sauver la cathédrale toute neuve, la salle publique et plusieurs maisons. 353
[204]
Selon Jean-Baptiste Petit, un citoyen qui a assisté dès le début aux
diverses tentatives de sauvetage et qui a même participé à l'opération,
la pompe et la brigade de feu ont été bien loin de répondre aux attentes de la population ; en plus de l'accident de la pompe, l'absence
de deux officiers (B.À. Scott et P.-A. Guay) et des trois quarts de
l'équipe de sapeurs-pompiers — qui avaient le malheur de résider au
Bassin ou d'être partis faire la drave du printemps — ont été semble-til des éléments déterminants. S'ajoutent à ce manque flagrant de professionnalisme, l'apathie de la population envers la planification du
dispositif contre les incendies et le peu d'empressement des badauds à
aider les sapeurs-pompiers dans leur tâche, certains profitant même du
désastre pour voler et piller les malheureuses victimes. 354
352
353
« Conflagration à Chicoutimi », Le Canadien, 1er mai 1884.
Journal de Jean-Baptiste Petit, 1884.
354 Journal de Jean-Baptiste Petit, 1884.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
205
Les débuts de la médecine au Saguenay :
l'Hôpital de la Marine
Retour à la table des matières
Promue au rang de ville depuis 1879, nous avons été en mesure de
constater précédemment que Chicoutimi avait été désignée, en 1878,
comme lieu du siège épiscopal. L'autorité religieuse, en la personne du
curé et de l'évêque Dominique Racine, avait favorisé, depuis le début
des années 1860, la vocation dans le secteur de l'éducation. Mais
l'Église n'est pas présente qu'à ce double niveau. Elle joue aussi
d'autres rôles socio-religieux. Parmi ceux-ci, l'un des plus importants
est certes son implication dans le domaine de la santé et particulièrement dans celui des hôpitaux. L'Église y joue un rôle d'autant plus actif que l'État, pour des raisons financières, montre peu d'empressement
à investir dans les institutions hospitalières.
À l'époque de McLeod, la médecine n'avait rien de bien rassurant.
Est-il possible en effet de s'imaginer aujourd'hui dans quelles conditions elle était pratiquée au Saguenay ? Nous avons été en mesure de
le constater à plusieurs reprises dans ce [205] volume, vivre à Chicoutimi au milieu du XIXe siècle relève presque de la témérité : pour les
hommes, le travail à la ferme et au moulin s'opère à travers des risques
infinis alors que pour les femmes le simple fait d'enfanter apparaît
comme une des principales causes de décès. S'ajoutent à tout cela,
l'absence de confort, le manque d'hygiène et les carences alimentaires
qui favorisent l'éclosion des maladies et la propagation des épidémies.
Dans de telles conditions, il va de soi qu'attraper la moindre grippe
risque de dégénérer en maladie mortelle. Un coup de hache mal soigné, la cassure d'un membre ou la moindre coupure aboutissent trop
souvent en gangrène dont la conséquence la moins dramatique reste
l'amputation... laquelle risque évidemment d'être mortelle. Selon des
données publiées par Christian Pouyez, en 1861 l'espérance de vie des
Saguenéens à la naissance se situe autour de 45 à 48 ans chez les
hommes et de 48 à 51 ans chez les femmes ; une moyenne qui se
compare
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
206
Fig. 38. L'Hôpital de la Marine, à Chicoutimi. Dessin de 1884.
Photo : ANQC, fonds SHS, no 668.
[206]
avantageusement semble-t-il avec celle de l'ensemble du Québec. 355
Lorsque le Docteur Cyrille Dubois arrive au Saguenay au début de
février de l'année 1846, la région — de même que l'ensemble du Québec — se prépare à faire face à une forte augmentation de décès qui
s'explique notamment par une épidémie de typhus apportée par l'arrivée massive d'immigrants irlandais dans le Bas-Canada. 356 Le 9 jan355
Christian Pouyez, « Les composantes de la croissance démographiques », in
Les Saguenayens, P.U.Q., 1983, p. 300.
356 C. Pouyez, « Le mouvement naturel : naissances, mariages et décès, 18421961 », op. cit., pp. 201-215.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
207
vier 1847, dans le plus fort de la crise, le Dr Dubois se déplace à la
Rivière-du-Moulin et s'installe près de la résidence de Peter McLeod.
Malgré la haine reconnue que lui voue les Price, il réussira à tenir le
coup jusqu'en 1866, date où il déménagera aux États-Unis.
Jusqu'à la construction de l'Hôpital de la Marine, en 1882, nous
connaissons très peu de chose sur l'histoire des soins de santé à Chicoutimi et au Saguenay. Nous savons par contre qu'après le départ
précipité du Dr Dubois, cette fonction importante sera comblée par le
Dr François Simon, jusqu'à son décès qui surviendra le 29 mars 1870.
C'est le Dr Louis-Elie Beauchamp, un jeune homme né à Varenne le
28 décembre 1844, qui récupérera le poste. 357
À Chicoutimi, l'évêque Racine se préoccupera de la question d'un
hôpital pour la région, dès 1879-1880. Convenons dès le départ, qu'à
l'époque tout diocèse qui se respecte possède son séminaire, ses maisons d'éducation et aussi son hôpital, construit à l'ombre de la cathédrale. 358 Outre les questions relatives à [207] l'organisation de la vie
religieuse diocésaine, la population régionale dispose tout au plus de
sept ou huit médecins, dont trois à Chicoutimi. De plus, la ville vit le
problème des activités portuaires et celui des marins malades qui,
faute d'hôpital, résident dans des familles de l'endroit lorsque leur état
de santé le requiert. Mais ce sont souvent des marins étrangers, de foi
protestante, et qui, pour les autorités religieuses, peuvent menacer la
foi catholique des familles chicoutimiennes qui les hébergent.
357
Mgr Victor Tremblay, « Le docteur L.-E. Beauchamp », Saguenayensia,
juillet-août 1967, pp. 87-90.
358 Sur l'Hôpital de Chicoutimi ou l'Hôtel-Dieu Saint-Vallier, les informations
utilisées proviennent des sources et études suivantes : (Georgianna-Henriette
Grenette (Sœur Sainte-Luce), Histoire de l'Hôtel-Dieu Saint-Vallier de Chicoutimi, 1884-1934, Chicoutimi, Imprimerie du Progrès du Saguenay, 1934,
421p. ; André Lemieux, « Hôpital de Marine et Hôtel-Dieu », Saguenayensia, mai-juin 1959, pp. 63-69 ; Normand Perron, « L'œuvre des Augustines
de la Miséricorde de Jésus dans le diocèse de Chicoutimi », dans Église catholique, diocèse de Chicoutimi, Évocations et témoignages, Chicoutimi.
Évêché de Chicoutimi, 1978, pp. 215-244 ; Normand Perron, Un siècle de
vie hospitalière. Les Augustines et l'Hôtel-Dieu Saint-Vallier de Chicoutimi,
1884-1984, Sillery, P.U.Q., Chicoutimi, Augustines de la Miséricorde de Jésus, 1984, xxix-439 p.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
208
Comme Mgr Racine n'a pas l'argent nécessaire pour construire un
hôtel-Dieu, il évoque auprès du Gouvernement fédéral la nécessité
d'un hôpital maritime à Chicoutimi. Il intervient auprès de son ami
Hector Langevin, ministre des Travaux publics, afin que celui-ci utilise son influence auprès du ministère de la Marine et des Pêcheries.
Après deux ans de pourparlers impliquant l'évêque Racine, le député
de la circonscription et quelques ministres fédéraux, l'autorisation de
construire « l'hôpital de la marine » est acquise. Les journaux apprennent la nouvelle à la population en 1881. 359
Les travaux commencent au printemps 1882. Le site choisi consiste en une élévation rocheuse à proximité du Petit séminaire. Les
plans de l'architecte William Warren prévoient d'abord une construction de 35 pieds sur 45, puis de 35 sur 40 pieds pour des raisons
d'économie. La partie centrale comporte un rez-de-chaussée et deux
étages. A chaque extrémité du bâtiment sont prévues deux ailes composées d'un rez-de-chaussée et d'un étage aux dimensions de 25 pieds
sur 25. À la mode du temps, les fondations sont en pierre, le corps du
bâtiment en brique, le [208] toit en bois. La façade de l'hôpital donne
sur le Saguenay, à 45 pieds en retrait de l'obélisque élevé en 1882 à la
mémoire de William Price.
Les intentions de Mgr Racine en faveur d'un hôtel-Dieu deviennent
alors plus évidentes. Il désire confier le futur hôpital maritime à une
communauté de religieuses et en faire à la fois un hôpital du département de la Marine et un hôtel-Dieu. De nouvelles négociations ont
lieu avec le ministre Langevin ; le gouvernement fédéral se laisse finalement convaincre. En même temps, Mgr Racine obtient des Augustines de la Miséricorde de Jésus de l'Hôpital-Général de Québec
qu'elles envoient des religieuses prendre la charge de l'hôtel-Dieu de
Chicoutimi. L'Évêque réalise son vœu d'avoir enfin un hôpital pour
son diocèse. Le 24 mai 1884, les religieuses arrivent de Québec après
un voyage mouvementé sur le vapeur « Union ». Trois jours plus tard,
Mgr Racine bénit le petit hôpital de six lits et lui donne le nom d'Hôtel-Dieu Saint-Vallier, en l'honneur de Mgr de Saint-Vallier. Ce der-
359
Le Courrier du Canada, 17 février et 6 avril 1881 ; Le Canadien, dans son
édition du 22 décembre 1880, avait annoncé les discussions en cours sur ce
projet.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
209
nier avait été le deuxième évêque de la Nouvelle-France et le fondateur de l'Hôpital-Général de Québec en 1693.
Venues pour un essai d'un an, les religieuses entendent, sans tarder,
prendre les mesures pour demeurer dans la capitale du Saguenay.
Malgré les difficultés prévisibles et communes à toutes nouvelles fondations, les Révérendes sœurs sont confiantes de réussir. Dès juillet
1884, la supérieure, sœur Saint-Gabriel (Julie-Émilie Lamarre) prend
des informations sur la procédure à suivre pour obtenir l'incorporation
civile. 360 Le 9 mai 1885, la loi incorporant l'Hôtel-Dieu Saint-Vallier
était sanctionnée.
Dans les années 1880-1900, l'hôpital reçoit peu de malades. Beaucoup craignent ce lieu. L'Hôtel-Dieu Saint-Vallier sert surtout à héberger des pensionnaires (vieillards, infirmes, enfants abandonnés...).
Toutefois, la population n'hésite pas à recourir [209] au savoir-faire
des religieuses par le biais du dispensaire. Les Augustines choisissent
sans tarder un médecin pour desservir l’hôpital. À cette époque, le
médecin se rend au chevet d'un malade à l'hôpital sur la demande des
religieuses. Le médecin ne travaille à l'hôpital qu'occasionnellement.
Le choix des religieuses porte sur le docteur Louis-Élie Beauchamp.
Les demandes d'hébergement dépassent bientôt la capacité de six
lits de l'institution. Commencent alors les agrandissements répétés de
l'hôpital. Les religieuses construisent la chapelle de la Sainte-Face en
1886. Elle est reliée en 1888-1889 au bâtiment principal par un
« chemin couvert » dont une partie des coûts est défrayée par le Gouvernement fédéral. Les religieuses décident d'y investir également de
l'argent et le « chemin couvert » devient finalement une véritable aile
d'un rez-de-chaussée et de
360
L'incorporation civile des instituts religieux est nécessaire au Canada. Le
Droit canon ne fait pas partie de la législation canadienne depuis le Traité de
Paris en 1764.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
210
Fig. 39. Une vue absolument saisissante de l'embouchure de la rivière du
Moulin, au tournant du siècle. En dehors du pont de fer qui n'existait pas à
l'époque de la fondation, ce paysage nous fait remonter aux premières années de
Chicoutimi. Photo : ANQC, fonds SHS, no 10 769.
Retour à la table des matières
[210]
deux étages, d'une longueur de 67 pieds. À tout cela s'ajoutent des bâtiments pour la ferme, l'indispensable ferme qui doit permettre à la
communauté et à l'hôpital de répondre à leurs besoins alimentaires.
L'entente qui avait permis la construction d'un hôpital du gouvernement et d'un hôtel-Dieu aboutit à deux institutions sous un même
toit, avec des bâtiments appartenant au Gouvernement fédéral, d'autres
aux religieuses, et quelques-uns aux deux « partenaires ». L'entente
reposait sur l'amitié Racine-Langevin, mais la mort du premier évêque
de Chicoutimi, en 1888, et le départ de Langevin de la scène politique,
en 1891, allaient en montrer la bien faible assise.
En fait, l'hôpital accueille en moyenne une dizaine de marins par
année et le Gouvernement trouve injustifiés les coûts financiers pour
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
211
le maintien de cette institution. De plus, les nouveaux maîtres de la
politique fédérale ne prisent guère l'entente Racine-Langevin et les
faveurs accordées, compte tenu de leur nature et aussi du contexte des
affaires Louis Riel et des écoles catholiques du Manitoba.
Dès 1890, la tension commence à monter. Charles Tupper, ministre
de la Marine et des Pêcheries depuis 1888, exige bientôt que les religieuses achètent l'hôpital ou le quittent. Débutent alors des négociations longues et pénibles sur la possession de la propriété et les obligations de chacun, des négociations teintées de méfiance. Finalement, en
février 1895, l'énergique Mgr Michel-Thomas Labrecque, troisième
évêque de Chicoutimi, se rend à Ottawa et obtient un règlement satisfaisant pour les religieuses. Moyennant un déboursé de 2 000$, elles
deviennent propriétaires de l'hôpital, ce qui assure l'avenir de l'HôtelDieu Saint-Vallier.
Les premières publications
et Le Progrès du Saguenay
Retour à la table des matières
Au XIXe siècle, à une époque où la radio et la télévision n'existent
pas, l'écrit apparaît l'instrument privilégié pour la [211] diffusion des
nouvelles. Même si au cours des années 1880, le Saguenay—LacSaint-Jean demeure toujours un tout jeune pays de colonisation, l'intérêt pour la diffusion des informations par le biais de l'imprimé est bien
présent.
Déjà, en 1860, la population de la région recevait pas moins de
quatorze journaux différents. 361 Dans son histoire de Roberval, Rossel Vien attribue à Émile Dumais un premier projet de journal régional à Chicoutimi en 1864, journal qui aurait reçu le nom de « Écho du
361
Raoul Lapointe, Histoire de l'imprimerie au Saguenay (1879-1969), Chicoutimi, SHS, 1969, p. 47. Le lecteur aura intérêt à consulter cet ouvrage en ce
qui a trait à l'histoire de l'imprimerie dans la région. Voir aussi le dossier paru dans Saguenayensia, avril-juin, vol. XIX, no 2, 1987, Raoul Lapointe,
« Le centenaire du Progrès du Saguenay », pp. 12-29.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
212
Saguenay », 362 un titre que reprendra le journal du Carnaval-Souvenir
de Chicoutimi. C'est curieusement au Lac-Saint-Jean que fut publié le
premier journal à caractère régional. Il s'agit du « Murmure du Lac StJean », journal dont il ne fut publié qu'un numéro (le prospectus). Un
peu moins éphémère cependant fut l'initiative d'Auguste Béchard, en
1882. Son journal hebdomadaire, « Le Saguenay », parut jusqu'en août
1883. Pour que les abonnés du diocèse l'aient reçu le dimanche suivant, le journal était imprimé le mardi dans les ateliers du « Nouvelliste », à Québec. M. Béchard, un homme fort instruit qui était né à
Longueuil le 18 février, était tombé en amour avec la ville de Chicoutimi et avait déjà une carrière bien remplie lorsqu'il décida de lancer
son journal. 363
C'est « L'annuaire du Séminaire de Chicoutimi », publié en 1881,
qui constitue cependant le premier livre imprimé dans la région. Lancé deux ans après l'impression d'un programme d'une soirée dramatique donnée au Petit séminaire de Chicoutimi, il ne compte que 30
pages et se présente sous la forme d'un feuillet broché mesurant 18
centimètres sur 13 centimètres. Malgré son caractère et sa forme modeste, cette [212] publication préfigure la naissance de l'imprimerie au
Saguenay et au Lac-Saint-Jean.
En 1886, Alphonse Guay achète pour la somme de 300$ l'imprimerie du Séminaire et sort une première plaquette à caractère religieux :
son titre, « Origine et but de la dévotion à la Sainte-Face. Promesses
faites par Notre-Seigneur à ceux qui pratiquent cette dévotion ». Au
cours de cette même année, une société formée de l'abbé Ambroise
Fafard (curé d'office de la cathédrale), de J.-A. Gagné et d'Arthur-A.
Hudon (magistrat du district) 364 fonde le « Réveil au Saguenay ».
Confié aux ateliers d'Alphonse Guay pour l'impression, ce journal sera
lui aussi condamné à disparaître dès le départ puisque les propriétaires
cesseront de le publier le 4 août 1887. 365
362
Rossel Vien, Histoire de Roberval, p. 241.
R. Lapointe, Histoire de... », op. cit., pp. 30,40,47.
Journal de Jean-Baptiste Petit, 18 août 1887.
365 R. Lapointe, Histoire de l'imprimerie..., op. cit., p. 41.
363
364
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
213
Le 18 août suivant, un nouveau journal paraît : « Le Progrès du
Saguenay ». Cette fois-ci, c'est la bonne. L'essai sera durable et marquera son époque. De nombreux changements de noms et de propriétés vont survenir au fil des années, certes, mais ce journal, malgré
quelques interruptions temporaires, sera toujours publié un siècle plus
tard sous le nom de « Progrès-Dimanche ».
Hebdomadaire comme son prédécesseur, « Le Progrès du Saguenay » appartient au départ à l'imprimeur Alphonse Guay, à Louis de
Gonzague Belley et à Joseph-Dominique Guay, un personnage
presque charismatique qui aura à jouer un rôle important dans l'histoire politique de la ville. Joseph-Dominique avait en effet été formé
pour occuper une fonction influente au sein de la communauté chicoutimienne ; cinquième enfant d'une famille de onze, il était né dans la
maison paternelle le 14 avril 1866 du mariage de Johnny Guay et de
Marie Tremblay, et il avait eu le rare honneur d'avoir Mgr Dominique
Racine comme parrain. Après ses études au Petit séminaire de Chicoutimi et à celui de Québec, il avait entrepris ses cours de Droit mais
ne s'était pas présenté aux examens finaux, sans doute trop intéressé
par le monde fascinant du journalisme et de la politique municipale.
Le 3 janvier 1889, seize mois à peine après la [213] parution du premier numéro, le journal passe entièrement entre ses mains et c'est lui
qui le dirigera jusqu'au 9 juillet 1908 : au cours de cette période, il
cumulera les fonctions et les titres de rédacteur, d'éditeur et de propriétaire. 366
366
R. Lapointe, « Le centenaire du... », op. cit. ; Raymond Desgagné, « JosephDominique Guay, (1866-1925) », Saguenayensia, juillet-août 1968, pp. 8992.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
214
La question Riel
Le 26 novembre courant un certain nombre de citoyens de la ville de
Chicoutimi réunis en assemblée, décidèrent de convoquer, à Chicoutimi, une
grande assemblée de tous les électeurs de la municipalité No 1 de Chicoutimi
pour le trente de ce mois, dans le but de protester contre l'exécution de Riel.
Il fut convenu d'inviter le député du comté à la chambre des communes
d'assister à cette assemblée pour donner son opinion sur cette question qui
passionne en ce moment tous les Canadiens-français. L'assemblée eut lieu ce
matin à la salle publique de la ville de Chicoutimi. M. J.-O. Tremblay fut
choisi comme président. Ce monsieur exposa le but de l'assemblée. M. Gagné, M.P., qui s'était rendu à l'invitation qui lui avait été faite exposa alors
ses vues sur la question et parla dans le sens des résolutions ci-dessous qui
furent passées à l'unanimité.
Proposé et résolu unanimement :
Que cette assemblée regrette que le gouvernement n'ait pas écouté la recommandation à la clémence faite par le jury qui a jugé Louis Riel.
Que cette assemblée regrette aussi que le gouvernement ait été sourd à la
demande de toute la population Canadienne-française qui réclamait la commutation de la sentence de mort portée contre Louis Riel.
Que l'offense commise par Louis Riel était une offense politique et que
dans l'opinion de cette assemblée, la sûreté de l'État ne demandait pas l'exécution de la sentence portée contre lui.
Que cette assemblée croit que son devoir de protester énergiquement
contre l'exécution de cette sentence qu'elle considère comme un acte impolitique et injuste.
Le Canadien, 5 décembre 1885
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
215
[214]
Les promoteurs du « Progrès du Saguenay » voulaient faire de leur
journal un instrument de progrès pour Chicoutimi et la région. Les
frères Guay et Belley vont marquer d'ailleurs la vie chicoutimienne à
la fin du siècle, particulièrement dans la lutte qu'ils vont livrer pour le
pouvoir municipal et le développement industriel. Jusqu'au printemps
1893, le journal sera logé dans un édifice de style, coin Racine et
Sainte-Anne. À partir de cette date, les propriétaires déménageront sur
la rue Racine, dans un magnifique local, situé en face de l'Hôtel de
Ville actuel (l'édifice existe encore aujourd'hui).
En dehors du « Progrès du Saguenay », le milieu journalistique va
connaître d'autres succès à Chicoutimi au cours des deux dernières
décennies du XIXe siècle. Deux publications vont même bénéficier
d'un rayonnement à l'extérieur de la région : il s'agit du « Naturaliste
Canadien » et du « Messager de Saint-Antoine ». Le premier avait été
fondé en 1869, mais l'éditeur avait dû cesser sa publication à plusieurs
reprises. En janvier 1894, l'abbé Victor-Alphonse Huard, véritable
encyclopédie vivante déjà responsable de « L’Oiseau-Mouche », relancera cette publication, à titre de rédacteur-propriétaire. Cette revue
scientifique, maintenant publiée à l'université Laval, reste toujours un
instrument de diffusion utilisé par de nombreux chercheurs universitaires. La seconde revue, le « Messager de Saint-Antoine », paraîtra
pour la première fois en 1895. Par cette revue, son fondateur, l'abbé
Elzéar DeLamarre, souhaitera répandre la dévotion à saint Antoine de
Padoue. Le « Messager de Saint-Antoine » devra également assurer
des revenus pour le financement de l'orphelinat Saint-Antoine à l'Hôtel-Dieu Saint-Vallier et pour le développement de l'Ermitage SaintAntoine, au Lac-Bouchette. Avec sa version anglaise imprimée à l'Hôtel-Dieu Saint-Vallier, le « Messager de Saint-Antoine » rayonnera à
l'extérieur de la région et sera lu outre-frontière, au Canada anglais et
aux États-Unis. 367
[215]
367
Sur le Messager de Saint-Antoine, voir Louise Gagnon-Arguin, La dévotion
à Saint-Antoine à travers le Messager de Saint-Antoine ; essai d'analyse
d'une dévotion populaire, thèse de maîtrise (histoire, Québec, Université
Laval, 1978, xii-181p.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
216
Jusqu'à la fin du XIXe siècle, le monde de l'édition à Chicoutimi vit
donc une véritable période d'effervescence, marquée particulièrement
par l'apparition plus ou moins éphémère de journaux, de revues et de
volumes de toutes sortes. Pour assurer l'édition de toutes ces publications, des imprimeries appartenant tantôt à des laïcs, tantôt à des maisons religieuses, furent mises sur pied. Malgré bien des essais infructueux, chacune d'entre elles va marquer le désir des Chicoutimiens
d'affirmer leur présence et leur influence partout dans la région.
L'instruction publique
à la fin du XIXe siècle
Retour à la table des matières
L'effort que Chicoutimi avait toujours mis dans l'éducation depuis
le début des années 1860, se poursuit au cours des années 1879-1900.
Les commissaires s'efforcent de répondre tant bien que mal aux besoins de la population. Ils essaient également de satisfaire aux exigences des inspecteurs d'école et du conseil de l'Instruction publique
en ce qui a trait aux locaux, aux programmes enseignés et aux manuels scolaires.
Chacune des municipalités de Chicoutimi et de Sainte-Anne a sa
propre commission scolaire : Rivière-du-Moulin et la paroisse de Chicoutimi font partie de la Commission scolaire du canton Chicoutimi.
Dans le cas de Rivière-du-Moulin, c'est seulement en 1914 qu'existe
une commission scolaire pour le village, soit deux ans après l'incorporation municipale. Entre 1879 et 1900, la population d'enfants de 7 à
14 ans fréquentant les écoles communes (cours élémentaire de base)
augmente régulièrement dans ces municipalités. À titre indicatif, mentionnons que les municipalités scolaires de Chicoutimi, Sainte-Anne
et de la paroisse de Chicoutimi déclarent, en 1885, respectivement
337, 201 et 437 élèves dans les écoles communes. 368
368
Documents de la Session du Québec, vol. 19, no 2, 1885, Rapport du surintendant de l'Instruction publique, pp. 238-239.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
217
L'augmentation de la clientèle force l'ouverture d'écoles nouvelles.
Par exemple, la Commission scolaire de Chicoutimi [216] achète le 15
août 1881 la maison Martel et Delisle, située au coin des rues JacquesCartier et Saint-Sacrement, et la transforme en école. En 1895, elle
construit une école au Bassin. Deux ans plus tard, la partie centre de la
ville a droit à une nouvelle école dans le but de remplacer l'école no 1,
dite « Le Vieux Séminaire ». 369 En 1900, Chicoutimi aura quatre
écoles primaires, sans compter l'école indépendante et l'école anglaise,
soit une école de plus qu'en 1879. L'Académie du Bon-Pasteur à Chicoutimi accueillera, en 1900, 236 élèves et jouira d'une excellente réputation.
À Sainte-Anne, le nombre d'écoles élémentaires dans le village et
les rangs passe de quatre à neuf entre 1885 et 1900. Toute comparaison reste difficile, car le territoire de la commission scolaire évolue.
Par exemple, en 1894, une partie du district no 9 (Saint-Ambroise) se
détachera de la municipalité scolaire de Sainte-Anne alors que
quelques rangs à l'ouest de la rivière Shipshaw y seront encore annexés. 370
À la Rivière-du-Moulin, toujours au cours des années 1879-1890,
peu de changements surviennent et il n'y a toujours pas de commission scolaire. Ce secteur possède néanmoins l'école qui assure l'éducation à la minorité protestante depuis 1869. De 25 à 30 élèves s'y inscrivent régulièrement. À la fin du siècle, c'est la présence d'une école
anglaise modèle, plutôt que protestante, qui attirera l'attention de l'inspecteur des écoles. Son professeur, J.L. Campbell, un homme instruit
et doué, a droit aux louanges de l'inspecteur. 371
Du côté de la paroisse de Chicoutimi, la population scolaire et le
territoire à desservir sont assez stables. Toutefois, la [217] situation
369
La Commission des Écoles catholiques de Chicoutimi, Album-souvenir,
1860-1960, novembre 1960, non paginé. Voir aussi les Rapports du surintendant de l'Instruction publique dans les Documents de la Session du Québec.
370 R. Bouchard, Histoire de Chicoutimi-Nord, vol. 1er, op. cit., pp. 87-88.
371 Sur l'école anglaise de Rivière-du-Moulin, voir, en particulier, les Rapports
du surintendant de l'Instruction publique dans les Documents de la Session
du Québec.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
218
évolue là aussi, le nombre d'écoles passant de 13 en 1885 à 14 en
1900.
Enfin, Chicoutimi et Sainte-Anne ont une (1) école modèle chacune qui offre les dernières années du cours élémentaire. L'académie
des sœurs du Bon-Pasteur de Chicoutimi reste la plus recherchée, répondant en somme aux normes les plus exigeantes et jouissant d'une
excellente réputation. Elle accueille seulement 70 élèves en 1885,
mais ce chiffre grimpera à 236 en 1900. À Sainte-Anne, l'école modèle mixte dessert la municipalité et recevra une quarantaine d'élèves
à la fin du siècle.
En ce qui a trait aux études supérieures, la grande institution chicoutimienne et régionale demeure le séminaire. Pour aider ce collège
classique, l'inspecteur lui obtient une subvention annuelle de 1 000$
depuis 1873. En 1883-1884, cette subvention annuelle atteint 2 000$,
mais elle ne sera plus que de 1 354$ en 1900. Outre cette subvention
statutaire, le petit séminaire bénéficie parfois d'une aide spéciale,
comme le versement par le surintendant de l'Instruction publique
d'une somme annuelle de 1 000$ pendant quatre ans (1889-1892) pour
aider au financement d'une construction. 372
Les effectifs étudiants du petit séminaire s'accroîtront régulièrement pour passer de 61 élèves en 1874 à 96 en 1884 et 162 (80 internes et 82 externes) en 1894. La formation de prêtres demeure l'objectif premier de l'institution, prétend une étude. 373 Il semble toutefois
que les autorités s'intéressent aussi à d'autres besoins de la société régionale. Outre son cours classique de six ans, l'institution offre un
cours commercial
372
Documents de la Session du Québec, voir les Comptes publics pour les années 1889-1892 ainsi que les Rapports du surintendant de l'Instruction publique.
373 Jean-Paul Simard et Bérard Riverin, « Origine géographique et sociale des
étudiants du Petit-Séminaire de Chicoutimi et leur orientation socioprofessionnelle : 1873-1930 », dans Société canadienne d'histoire de l'Église
catholique, Session d'étude, 1973, no 40, pp. 33-53.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
219
[218]
La Saint-Jean-Baptiste
17 juin 1880
La fondation de la Société Saint-Jean-Baptiste de Chicoutimi, est due à
l’initiative de Mgr Dominique Racine et remonte à l'année 1880. Parmi les
fondateurs du mouvement, nous retrouvons entre autres l'avocat Arthur-A.
Hudon (président actif), David Tessier (président assistant), 0. Lachance et
Michel Caron (vice-présidents), J.-A. Gagné (secrétaire), Dr C. Lacombe
(assistant-secrétaire) et D. Savard (trésorier). La nouvelle société se montra
très active dès le début et organisa une première célébration, jeudi le 17 juin
1880. Le document que nous vous présentons, provient du journal intime de
Ludger Petit. Nous vous prions de prendre note que l'écrit a été corrigé afin
d'en faciliter la lecture et la compréhension...
Le 17 juin a été fêtée à Chicoutimi la Saint-Jean-Baptiste pour la première fois. Il y avait beaucoup de monde à la messe qui a été chantée avec
[de la] musique. La bande de Chicoutimi a très bien joué. C'est M. [l'abbé
François-Xavier] Belley qui a fait le sermon de circonstance, qui a été très
beau. Il nous a parlé du patriarche Abraham sortant de la terre de ses pères et
de la promesse que Dieu lui fit pour [le] récompenser de ses vertus. Il nous a
aussi parlé de Jacques Cartier et comment Dieu s'était plu à guider ses vaisseaux au Canada et comment il avait pris possession du pays. Il nous a aussi
parlé de Monseigneur de Laval, de ses vertus et de son courage, des difficultés qu'il a éprouvées. En un mot il a développé les premiers [arrivants] au
temps du Canada jusqu'à nos jours. Il a félicité les personnes qui, aujourd'hui,
avaient travaillé à faire la démonstration qui avait lieu. Il a commué [communiqué ?] avec autant d'esprit de bienveillance et d'encouragement qu'un
prédicateur peut faire. J'ai trouvé qu'il prêchait très bien et avec beaucoup
d'élégance. Les membres du comité de régie avaient tous des chaises en dedans des balustres et les bienfaiteurs étaient sur des bancs en avant. Il y en
avait de Sainte-Anne (Honoré, Thomas, Alexis et Ludger) ; de Chicoutimi, il
y en avait 18 ou 20.
Après la messe tous les membres se sont rendus au séminaire et là il a été
présentée une adresse par M. le président (Maître A.-A. Hudon) à Monseigneur Dominique Racine qui a répondu par des termes les plus flatteurs. Il a
surtout exprimé le plaisir qu'il avait de savoir que le but de la Société tendait
à un but pratique et surtout celui de la colonisation. Il [219] nous a fait aussi
remarquer que cela pouvait faire arrêter le courant de l'immigration qui était
très désaventageux pour notre jeune Saguenay. Il a, en un mot, montré aux
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
220
ignorants que cela valait la peine d'être de cette belle société. Je crois que
tout [le] monde a compris ; du moins ceux qui ont voulu comprendre. Après
la réponse de Monseigneur, la bande a joué un morceau des plus beaux et la
procession a repris sa marche pour se rendre au rond à patiner.
Là, M. Hudon a invité tout [le] monde à se regarder et à faire comme faisaient les anciens dans les jubilés : « non pas que je voudrais dire de remettre
les dettes à ceux qui doivent, non car ce serait donner à croire aux gens que je
parle dans mon intention » ; ce qui a fait rire tout le monde et lui-même en
riait. « Non —a-t-il dit— mais à remettre toutes les petites rancunes politiques et toutes les petites affaires qui nous tracassent, se réjouir comme de
vrais Canadiens-français ». Il a remercié les membres qui l'avaient choisi
pour président. Il a aussi remercié tous les membres en général ; M. Dufresne
pour la complaisance et le travail qu'il s'était donné à faire de la musique qui
avait été très belle, tous les Messieurs du séminaire sans exception, ainsi que
tous les élèves. Il a, en terminant, demandé 3 hourras pour les belles dames
qui avaient assisté à notre belle et grande démonstration, ce qui a été fait avec
plaisir et tout le monde s'est séparé pour se rendre à leur domicile prendre
une bouchée [et] se préparer à la soirée qui devait avoir lieu le soir à 7
heures, en plein air. On a eu pour dîner le petit Néré Gravel. On a dîné à 2
heures et demi et on est redescendu chez M. Tessier à 3 heures. Le temps a
été bien beau et bien chaud. Il y avait beaucoup de poussière dans les rues de
Chicoutimi.
français-anglais d'une durée de quatre ans. Le cours remporte un vif
succès ; en 1900, 165 des 235 élèves s'y inscriront.
La fin du XIXe siècle annoncera également dans la région une ère
de prospérité sur les plans commercial et industriel. Puisque le petit
séminaire ne voudra pas être en reste, il ajoutera en 1897, une classe
d'affaires (Business class) à son cours commercial. Au sujet de cette
initiative, l'inspecteur des écoles note l'approbation des parents « qui
tiennent à donner à leurs enfants une instruction pratique qui les mettra en position [220] d'obtenir des emplois dans le commerce, les
banques, etc. » 374 Le petit séminaire semble bien s'adapter aux exigences de la nouvelle économie urbaine et industrielle.
374
Documents de la session du Québec, vol. 32, no 2,1898-1899, Rapport du
surintendant de l'Instruction publique, p. 89.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
221
Vers la fin du XIXe siècle, l'intérêt pour l'instruction s'étendra aussi
au monde des adultes et les écoles du soir prendront alors beaucoup
d'importance. 375 Chicoutimi et Sainte-Anne vont profiter rapidement
de ce service. La gratuité des cours leur donne un caractère populaire.
Ces écoles subventionnées par l'État ne relèvent toutefois pas du surintendant de l'Instruction publique. Les cours durent pendant trois à
quatre mois et se donnent habituellement entre novembre et mars. À
ce moment précis, Chicoutimi domine presque totalement la scène de
l'éducation dans la région. Seule la prestigieuse École ménagère des
Ursulines de Roberval lui échappe véritablement. Sur le plan de l'éducation, il ressort que cette ville possède déjà de nombreux atouts qui
lui permettront de s'engager avec confiance dans le XXe siècle.
La nouvelle société chicoutimienne
à l'aube des années 1890
Retour à la table des matières
Au niveau des services offerts en général à la population, en 1890
la ville détient désormais une bonne longueur d'avance sur toutes les
autres localités du Saguenay—Lac-Saint-Jean et n'a plus rien à
craindre pour son statut de capitale régionale ; ainsi que nous l'avons
dit à quelques reprises, en plus d'être le terminus maritime et d'accueillir sur son territoire les principales institutions gouvernementales,
judiciaires, scolaires et religieuses qui lui valent d'être coiffée du titre
ronflant de « Reine-du-Nord », la métropole possède un hôpital, abrite
sur son sol le plus grand journal de la région et accueille toutes sortes
de professionnels attachés aux services gouvernementaux, à la médecine et à la justice.
375
C'est ce qui ressort des propos des journaux sur les écoles du soir. Voir Le
Progrès du Saguenay, 12 novembre 1891, 24 novembre 1898.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
222
[221]
Niveau commercial, tout va pour le mieux là aussi car elle compte
une bonne trentaine de marchands regroupés principalement entre le
Bassin et la cathédrale, ainsi qu'une bonne cinquantaine d'artisans
éparpillés sur tout son territoire, mais concentrés surtout entre le Rocher de la Vieille et la scierie du Bassin. Dans son journal intime,
Jean-Baptiste Petit nous brosse d'ailleurs un excellent tableau de la
petite société chicoutimienne de l'époque, une société passablement
diminuée sur le plan industriel mais tout de même confiante en l'avenir, engagée dans la voie du modernisme et qui se prépare à accueillir
très prochainement la première locomotive du chemin de fer...
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
223
La petite société chicoutimienne
en 1890 376
Conseil de ville
Maire :
David Tessier (marchand)
Échevins
Louis-Élie Beauchamp (médecin)
H. Boily (marchand)
Louis Bouchard (forgeron)
Jean Fortin (commis)
Joseph Desbiens (forgeron)
Stanislas Caron (médecin)
Secrétaire –trésorier
M-O Bossé (protonotaire)
Maire de la paroisse
Louis Guay (cultuvateur)
Député fédéral
Paul Couture
Député provincial du comté Chicoutimi-Saguenay
Onésime Côté (marchand de Bagotville)
376
Cette liste a été montée grâce aux informations recueillies dans le Journal
de Jean-Baptiste Petit. Pour le clergé et le séminaire, voir Canada ecclésiastique, Montréal, 1890, p. 45.
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
[222]
Le haut-clergé du diocèse
Mgr Louis-Nazaire Bégin (évêque)
L'abbé Thomas Roberge (secrétaire diocésain)
François-Xavier Delâge (curé d'office de la cathédrale)
Héraclius Lavoie (vicaires de la cathédrale)
Aristide Magnan
Joseph Jobin
Les institutions scolaires
Le Séminaire
Ambroise Fafard (supérieur du séminaire)
A.-Hilaire Marceau (directeur du grand sém.)
Eugène Lapointe (dir. du petit sém.)
Jos. Roy (procureur du petit séminaire)
Victor-Alphonse Huard (prof et directeur)
Le couvent du Bon-Pasteur
Sœur Sainte-Marthe (Philomène Boulianne, supérieure)
Inspecteur d'école
Joseph-Édouard Savard
Commissaires d'école
David Tessier
M. Claveau
A. Guay
L.-O. Tousignant
M. Marsen
224
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
L'hôpital Hôtel-Dieu-Saint-Vallier
Supérieures
Mère Saint-Gabriel (Julie-Emilie Lamarre)
Mère Saint-Elzéar (Marie-Célanire Taschereau)
Chapelain
David-Odilon Dufresne
Médecins
Louis-Élie Beauchamp Stanislas Caron Edmond Savard
Société Saint-Jean-Baptiste
David Tessier (marchand)
[223]
Justice
A. Gagné (juge de la Cour supérieure)
Ludger Alain (procureur de la Couronne)
Arthur-Adjutor Hudon (magistrat du district)
Ovide Bossé (shérif)
T.-Z. Cloutier (grand constable)
Thélesphore Boily (coronaire)
L.-P. Lachance (geôlier)
Notaires
T.-Z. Cloutier
Jean Gagné
M.-O. Bossé
David Maltais
Protonotaire
Régis Gosselin
225
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
Avocats
L.-A. Gagné
Louis-de-Gonzague Belley
V. Savard
Ludger Alain
Xavier Gosselin
Joseph Pelletier
Charles Gagnon
Charles Angers
Arpenteurs
L.-O. Tremblay
Jean Maltais
G.-B. DuTremblay
William Tremblay
Maître de poste et de télégraphe
Télesphore Boily
Inspecteur des poids et mesures
Jean-Baptiste Petit (marchand)
Inspecteur du revenu
Georges Bilodeau
226
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
[224]
Collecteur des douanes
Alex Blair
Agent des Terres de la Couronne
L.-O. Tremblay
Le Progrès du Saguenay (journal)
J.-D. Guay (éditeur-propriétaire)
L'Union Musicale de Chicoutimi
Fanfare
Marchands
Price Brothers Co.
Henry Martel
Napoléon Morin
H. Boily
Edouard Lemieux
Polydore Dumais
William Boily
Charles Gagnon
L.-E. Guay
Jos. Gagnon
Méron Tremblay
Gédéon Dufour
Mercier
Antonio Hamel
Tessier et Petit
William Bouchard
L.-O. Tousignant
Auguste Gagnon
Delisle
Onésime Bouchard
Giroux
Guay & Cie
Pitre Talbot
Blair & Saint-Pierre
William Grant
Gosselin
Jos Fiset et Et. Desbiens
Joseph Marcoux
Jos. Lajeunesse
Alfred Boulianne
Xavier Fortin
227
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
Artisans
Boulangers
Georges Vézina
Joseph Gauthier-Larouche
Joseph Lavoie
Charrons
Louis Bouchard
Pierre Bouchard
Vital Tremblay
Euzèbe Bouchette
Charretiers
William Boily
Auguste Blackburn
C. Tremblay
Magloire Gagnon
Johnny Simard
[225]
Onésime Bouchard
Thomas Lamarre
Élie Dufour
Pitre Bergeron
William Bergeron
Pierre Simard
Euchariste Perron
Henry Dufour
Pitre Perron
Pitre Blackburn
Cordonniers
Joseph Gagnon
Auguste Gagnon
William Larue
Joseph Boily
Couturiers
Anabelle Dallaire
Octave Lamarre
228
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
Mary Tremblay
Mme Lajoie
Ferblantier
Nap. Picard
Forgerons
Alfred Pedneault
Hector Lemieux
Abel Gaudreault
François Simard
Joseph Desbiens
Roger Bergeron
Horlogers-bijoutiers
L.-A. Marcoux
Simard Colloza
Photographes
L.-O. Tousignant
Gagnon et Frères
Hôtelier
Vincent-Madoc Martin
Propriétaires de bateaux
Price Brothers
A. Stunton
Thé. Roberge
Jos. Tremblay
J.B. Oto
PB. Oto
Wilfrid Godin
Fille de joie
La Gourganne
[226]
229
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
230
[227]
Histoire de Chicoutimi. La fondation 1842-1893.
CONCLUSION
Retour à la table des matières
Un demi-siècle s'est donc écoulé entre le débarquement de Peter
McLeod, junior, et l'arrivée du chemin de fer au terminus de Chicoutimi, en 1893. Dans ce premier volume, nous avons tenté de dresser
un aperçu de « la fondation » de la ville de Chicoutimi et des temps
forts de cette période riche et savoureuse. Cette histoire met en évidence une société originale, laborieuse et homogène qui, malgré ses
revers, réussira, en fin de compte, à s'imposer sur l'échiquier régional.
Lors de l’arrivée de l'équipe fondatrice, le 24 août 1842, les dirigeants
de l'entreprise avaient parfaitement bien compris l'importance stratégique que représentait alors le secteur de Chicoutimi pour assouvir
leurs ambitions d'affaires. Ces gens, à l'esprit calculateur, n'étaient pas
sans savoir que le terme des eaux profondes allait très rapidement devenir le centre de la colonisation et surtout le fer de lance de l'industrie forestière saguenéenne alors naissante.
Lorsque débarqua McLeod à l'embouchure de la rivière du Moulin,
le poste de traite de Chicoutimi était en pleine décadence. Au total,
seule une douzaine de familles composées à 90% d'Amérindiens et de
métis, vivaient encore dans les environs pendant la belle saison. Sur le
plan agricole, cela est bien connu, le sol n'avait jamais été exploité,
sauf peut-être d'une minuscule incision pratiquée par les Jésuites qui
désiraient par là diversifier leur régime alimentaire.
Cinquante ans plus tard, il ne subsiste aucun vestige de l'époque de
la traite des fourrures ; le site, qui abritait jadis les [228] installations
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
231
de la Compagnie de la Baie d'Hudson, appartient désormais à la maison Price et a été littéralement saccagé par cinquante ans d'activités
industrielles intenses ; même la coquette chapelle du père Laure, témoin pourtant sacré d'une époque maintenant révolue, a été démolie
par les développeurs, insensibles à l'histoire et au patrimoine collectifs. La ville, qui compte près de 4 500 habitants, s'étend d'ores et déjà
sur les quatre kilomètres qui séparent les rivières du Moulin et Chicoutimi.
Économiquement parlant, la localité donne cependant des signes
d'essoufflement évidents ; l'industrie du bois sciage, seule entreprise
d'envergure et toujours monopolisée par la maison Price, n'est plus
que l'ombre d'elle-même, alors que l'agriculture, incapable de résister
au phénomène d'urbanisation, reste maintenant concentrée dans les
paroisses périphériques. Une autre ombre au tableau, l'arrivée toute
récente du chemin de fer au Lac-Saint-Jean (1888) et l'influence indéniable qu'il exerce sur la marche du peuplement, font craindre une certaine perte de leadership au profit de Roberval. Ce sont les activités
appartenant aux secteurs culturel, commercial et des services administratifs qui donnent encore une pulsion à l'économie et qui témoignent
malgré tout d'une certaine prospérité.
Faut-il se surprendre, en cette fin du XIXe siècle, même si la
Reine-du-Nord a énormément de difficultés à conserver ses acquis,
plusieurs événements qui ne sont pas étrangers à une modification de
la conjoncture internationale, vont lui redonner espoir. Toujours considérée comme le terminus maritime de la région, la ville détient encore des atouts importants et n'affiche aucunement la mine d'une localité agonisante. Les décideurs locaux, loin de s'avouer vaincus, savent
parfaitement bien que le contexte est en train de changer à un rythme
effréné.
À défaut des riches forêts de pins jaunes qui les avaient rendu si
prospères, les hommes d'affaires et les administrateurs publics vont
désormais se retourner vers d'autres matières premières. Grâce à l'arrivée du chemin de fer (1893) qui va lui ouvrir de nouvelles perspectives tout en lui redonnant son importance d'an tan, grâce également à
ses énormes ressources [229] hydrauliques et forestières qui vont attirer de nouveaux investisseurs, grâce enfin à une demande sans cesse
croissante du papier et à son désir de relancer son économie, Chicoutimi, la ville ambitieuse, se prépare activement à affronter de nou-
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
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veaux défis qui la propulseront de plein fouet dans sa période moderne et lui vaudront d'être coiffée du titre élogieux de « Chicago de la
province de Québec ». En effet, une ère nouvelle est en train de naître
et cette époque n'aura rien de commun avec la précédente puisqu'elle
sera principalement marquée par la naissance de la grande industrie,
par la modernisation de son économie et par le renforcement de ses
fonctions urbaines et administratives.
[230]
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
233
[231]
Histoire de Chicoutimi. La fondation 1842-1893.
INDEX
Retour à la table des matières
ALAIN, Ludger : 223
Alarie, Justine : 102
Alexander, James : 117
Allemands : 26, 27
Alma : 102, 178
Angers, Charles : 223
Anse-à-Benjamin : 92
Anse-à-1'Eau : 160
Anse-à-Pelletier : 77, 108, 144-145,
160
Anse-au-Cheval : 30
Anse-au-Foin : 51, 55, 77, 127, 143145,160
Anse-Saint-Étienne : 80
Anse-Saint-Jean : 30, 51, 62, 160, 182
Archaïque (période) : 18
Ashuapmushuan, poste de : 25, 27
Ashuapmushuan, rivière : 22, 26
Asselin, Joseph : 54, 100, 119
Atikuapi, Josepte : 39
Aubert de la Chenaye, Charles : 22
Augustines, sœurs : 208
BAGOT, canton : 52, 61, 62, 79, 89,
91 ,135
Bagot, Sir Charles : 38
Bagotville : 62
Baie d'Hudson : 21
Baie des Ha ! Ha ! : 31, 51, 137, 181
Baie des Rochers : 36
Baie-Saint-Paul : 93, 110, 154
Baillargeon, Mgr Charles-François :
148, 163
Ballantyne, Duncan Stephen : 52, 5455, 58, 87, 100-101, 104-105, 109
Bas-Saguenay : 52
Bassin : 46-50, 53, 127, 129, 182-183,
189, 192, 216
Bateau à vapeur : 50
Bateau, (horse boat) : 131
Bateau, L'Accomodation : 123
Bateau, L'Alma : 181
Bateau, L'Unicorne : 124
Bateau, L'Union : 208
Bateau, La Barouette : 130
Bateau, Le Canadien : 123
Bateau, Le Clyde : 126
Bateau, Le Magnet : 126, 164
Bateau, Le Martin : 181
Bateau, Le Montagnais : 123-124
Bateau, Le North America : 124
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
Bateau, Le Pocohontas : 50
Bateau, Le Ste-Anne : 129, 131
Bateau : Le Thor : 194
[232]
Battures : 123
Battures : voir « Valin »
Bazire, Charles : 22, 145
Beauchamp, Louis-Élie : 149, 206,
208, 221-222
Beaulieu, Médard : 138
Beauport : 142
Bécancour : 105
Béchard, Auguste : 211
Bégin, Mgr Louis-Nazaire : 156, 199,
202, 222
Belgique : 68
Belley, l'abbé François-Xavier : 218
Belley, Louis de Gonzagues : 212,
214, 223
Bergeron, Pitre : 225
Bergeron, Roger : 225
Bergeron, William : 225
Bibliothèque de Chicoutimi : 101,164
Bilodeau, Georges : 223
Blackburn, Auguste : 138, 224
Blackburn, Joseph : 140
Blackburn, Peter : 55, 100-101
Blackburn, Pitre : 203, 225
Blackburn, Simon : 140
Blackburn : 140
Blair & Saint-Pierre : 224
Blair, Alex : 224
Blair, la famille : 194
Blair, Robert : 41, 70, 89, 92-93, 134
Blaire, le docteur : 179
Blanchard, Raoul : 179
Blouin, l'abbé François-Anselme :
77
Boily, H. : 221, 224
Boily, Joseph : 225
Boily, P.-Hercle : 88, 194
Boily, Thélesphore, 223
Boily, William : 224
Boivin, Henriette : 110
234
Bon-Pasteur, sœurs : 148, 161-166,
192, 216-217
Bossé, côte : 181
Bossé, Mgr F.-X. : 101
Bossé, Ovide : 89, 100-102, 171, 194,
196-197, 221, 223
Bouchard, André : 41
Bouchard, Flavien : 130
Bouchard, Louis : 221, 224
Bouchard, Lucien : 140
Bouchard, Michel : 42
Bouchard, Onésime : 224-225
Bouchard, Pierre : 224
Bouchard, Raphaël : 194
Bouchard, Roger : 144
Bouchard, Toussaint : 145
Bouchard, William : 224
Boucher, Nazaire : 138
Bouchette, Euzèbe : 224
Boulanger, Achille : 102
Boulanger, Arthur : 102
Boulanger, Damas : 100, 102
Boulanger, Edmond : 102
Boulanger, Georges-Arthur : 102
Boulianne, Alfred : 224
Boulianne, David : 42
Boulianne, Réhule : 119
Bourassa, Médard : 63
Bourget, canton : 139-140
Bradley : 61
Brassard, Augustin : 101
Brassard, Christine : 101
Briand, Georges : 140
Buckell, Cyriac : 26, 96
Buies, Arthur : 137, 184-185
CAMPBELL, J.L. : 216
Cap Saint-Joseph : 114
Caron, canton : 133
Caron, Michel : 139, 171, 191, 218
Caron, Stanislas : 149, 221-222
Cartier, Jacques : 15, 16, 18,
Casault, Thomas : 119
Cascouïa : 134
Catellier, Mme : 193
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
Cazeau, le vicaire : 164
Chalifour, Joseph-Eugène : 102
Chalifour, Marie-Marthe : 1, 144
Chamberland, Joseph : 142
Champlain, Samuel de : 19
[233]
Chapdelaine, Claude : 17
Chapelle de la Rivière-duMoulin : 62-67, 74
Chapelle de Saint-Alphonse : 64
Chapelle des Jésuites : 83, 114, 145148,192
Chapelle du Bassin : 65
Chapelle protestante de Rivière-duMoulin : 64-65
Charlevoix : 43, 63, 96, 98, 121-122,
152,167, 186,192
Chegoutinis : 21
Chemin de Saint-Urbain : 132
Chemin des Marais : 122
Chemin Kénogami : 131-134
Chemin Price : 143
Chemin Sydenham : 52, 54, 104105,132, 134-137, 190
Chemin Tremblay : 143
Chicoutimi, canton : 51-52, 54, 61,7879,195
Chicoutimiens : 16,
Cimon, Ernest : 92
Cimon, le juge : 194
Cimon, Xavier : 193
Claveau, M. : 222
Cloutier, T.-Z. : 223
Collard & Guay : 108
Collard, L : 108,181
Collège de Sainte-Anne : 172
Colonies agricoles libres de Hollande :
68
Compagnie de Jésus : 25
Compagnie de la Baie d'Hudson : 2630, 35-38, 40, 46, 48-49, 51, 53-54,
58, 63-64, 87-88, 96, 107-108,
115-117, 125, 141, 143
Compagnie des Indes Occidentales :
22
235
Compagnie du Nord-Ouest : 26
Compagnie Eddy : 178
Compagnie Price : 48
Comté Charlevoix : 89
Comté Saguenay : 89
Connely, William : 42, 96-97, 99
Conseil des Municipalités du
Comté de Chicoutimi : 90
Coquart, Claude-Godefroy : 23
Corneau, Romuald : 117
Côte (de Sainte-Anne) : 92
Côte de la Réserve : 58
Côte-Sud : 98
Côté, Onésime : 88
Côté, Onésime : 221
Côté, Patrice : 42, 99, 102
Coteau du Potage : 145
Cour de circuit : 88, 119-121
Cour des commissaires : 118
Cour du banc de la reine : 95, 121-122
Cour supérieure : 95,121
Couturier, André : 42, 99
Cowan, John : 139
Crémazie, Jacques : 57, 117-118, 132,
142
Crepieul, père : 22, 145
DABLON, Claude : 21
Dallaire, Alexandre : 54
Dallaire, Anabelle : 225
Dallaire, David : 104
Dallaire, Étienne : 42, 54, 100-102,
104
Dallaire, Joseph : 42
Dallaire, Marie-Aurore : 104
Dallaire, Théodiste : 108
Dallaire, William : 104
De Varennes, Ferdinand : 157
Dechêne, Jean : 54, 100, 104-105, 116,
120, 134
Dechêne, Malcome : 54, 100, 105,
110, 116
Dechêne, Mme David : 192
Dégagné, Joseph : 144
Delâge, François-Xavier : 222
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
DeLamarre, l'abbé Elzéar : 214
Delisle Hubert : 194
Desbiens, Joseph : 42, 221, 25
Desbiens, Josette : 110
Desbiens, Pierre : 42, 100, 01-102
Deschênes, Pitre : 140
Desgagné, Joachim : 116
[234]
Domaine du Roi : 22, 28
Doucet, l'abbé Isidore : 26, 27, 63, 96
Drapeau, Stanislas : 142, 144
Druillet, Gabriel : 21
Du Tremblay, Georges-B. : 197-198,
223
Duberger, Georges : 156
Duberger, Jean-Baptiste : 51-52, 140
Dubois, Dr Cyrille : 82, 84, 100, 105106, 142, 206
Dubois, Louis : 105
Dufour, Élie : 225
Dufour, Gédéon : 224
Dufour, Henry : 225
Dufour, Josepte : 111
Dufresne, David-Odilon : 222
Dumais, Polydore : 224
Dunn, Thomas : 25
Duperré, François : 140
Durham, Lord : 59
Durocher, Flavien : 63
ÉBOULEMENTS, Les : 89, 93, 141,
154, 192
Écho du Saguenay : 211
Église de Chicoutimi : 76
Église de Rivière-du-Moulin : 7
Ennepton, Xavier : 14402
Épidémie : 60
FAFARD, l'abbé Ambroise : 156, 196197, 222
Fairgrives, J.-B. : 164
Falardeau, canton : 143,196-197, 199
Fédération Ouvrière du Nord : 191
Fier-à-bras : 41, 115-122
Filion, Ferdinand : 139
236
Filles de la Miséricorde de Jésus : 101
Fiset, Jos et Et. Desbiens : 224
Fisette, Pierre : 63
Fitzback, Marie : 162
Flanagan, commis : 88
Fortin, Jean : 221
Fortin, Joseph : 136, 197
Fortin, Josepte : 192
Fortin, Siméon : 68, 156, 185, 190
Fortin, Xavier : 224
Fournier, l'arpenteur : 142
France : 68
Frase & Co. : 145
Fraser, Henriette-Nathalie : 10
Fromagerie Siméon Fortin : 68
GAGNÉ, A. : 223
Gagné, Alexandre : 42, 100, 106-107
Gagné, J.-A. : 212, 218
Gagné, Jacques : 130
Gagné, Jean : 223
Gagné, Jules : 193
Gagné, L.-A. : 223
Gagnon & Frères : 225
Gagnon, Abraham : 42, 100, 107
Gagnon, Adolphe : 46
Gagnon, Alexandre : 107
Gagnon, Ambroise : 42, 90, 100, 107,
140
Gagnon, André : 64, 158, 160
Gagnon, Auguste : 224-225
Gagnon, Charles : 223-224
Gagnon, Épiphane : 130-131
Gagnon, Jérémie : 140
Gagnon, Johnny : 130
Gagnon, Jos. : 224
Gagnon, Joseph : 140, 225
Gagnon, l'abbé Georges : 144
Gagnon, l'abbé Jean-Baptiste : 73-77,
95, 98, 112, 142, 148, 161
Gagnon, Magloire : 42, 100, 107-108,
224
Gagnon, Tadé : 140
Gagnon, Télesphore : 140
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
Garon, l'abbé Samuel : 172
Gaudreault, Abel : 225
Gauthier, Ferdinand : 140
Gauthier, François : 116
Gauthier, Jimmy : 140
[235]
Gauthier-Larouche, Joseph : 224
Girard, Louise : 101
Glissoire d'Alma : 102
Godin, la famille : 194
Godin, Wilfrid : 225
Gosselin, François-Xavier : 193
Gosselin, Régis : 193, 223
Gosselin, Xavier : 103, 223
Grand-Brûlé : 67-73, 76, 112
Grande Décharge : 77, 178
Grande-Baie : 37, 44, 56, 58, 60, 63,
64-65, 69-70, 78, 90-92, 101, 105,
112, 118, 125-126, 131-132, 134,
136-137, 158, 164,190
Grande-Ligne : 92, 132, 134
Grant Forest : 54
Grant, William : 25, 224
Gravel, Honoré : 93
Gravel, Ignace : 89
Gravel, Louis : 138
Gravel, Néré : 219
Gray, John : 25
Grenon, Henri : 43
Grenon, Octave : 43
Guay & Cie : 224
Guay, A. :222
Guay, Alphonse : 212
Guay, François : 46, 108
Guay, Johnny : 88, 90, 92, 100, 107108, 129, 145, 181-182, 191, 193,
212
Guay, Joseph-Dominique : 108, 212,
214, 224
Guay, L.-E. : 224
Guay, Louis : 221
Guay, P.-A. : 204
Guenard, Jean : 54
Guigues, le père : 67
Guillemette, Eugène : 140
237
HAMEL, Antonio : 224
Hamel, l'abbé : 168
Hamel, Mgr T.-É. : 149
Hamel, Thomas-Étienne : 167
Harrison, Edward : 25
Harvey, canton : 52, 55, 61, 89-91, 143
Harvey, Jean : 89
Harvey, Thomas : 43, 55, 100, 109
Harvieux, Barthélémy : 144
Haut-Saguenay : 52, 54, 63
Head, Lady : 147
Hébertville : 132
Hechu, James : 55
Honorat, Jean-Baptiste : 60, 63-74,
134, 144, 158-159, 166-167
Hôpital de la Marine : 204-210
Hôpital Saint-Vallier : 149
Hôtel Martin : 203
Hôtel-Dieu Saint-Vallier : 154
Huard, Victor-Alphonse : 114, 214,
222
Hudon, Arthur-A. : 92, 212, 218-219,
223
Hudon, Élie : 46
Hudon, le magistrat : 194
Hurons : 17
ILE-AUX-COUDRES : 21
Ile-d'Orléans : 101
Ile-Verte : 63, 77
Institut des Artisans : 164
Iroquoiens : 17
JOHN, Joseph : 222
Jonquière, canton : 62, 88, 90
KAKOUCHAKS : 17,
Kamouraska : 124
Kane, John : 89-91, 93, 164
Kénogami, canton : 140
Kénogami, lac : 23, 44, 49-50, 96, 131,
142
Kénogamichiche : 131
Kingston : 27
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
L'ANNUAIRE du Séminaire de Chicoutimi : 211
L'Oiseau-Mouche : 214
La Brosse, père : 25, 62
La Décharge : 139
[236]
La ferme Price : 80
La Gourganne 225
La Malbaie : 35, 42, 44, 63, 69, 72, 93,
98-99, 101-102, 104-109, 121, 141,
154, 159, 181, 190
Laberge, David : 43
Laberge, Hubert : 140
Labrecque, Mgr Michel-Thomas : 148,
210
Lac Charles : 199
Lac Clair : 199, 202
Lac-Bouchette, l'Ermitage : 214
Lac-Saint-Jean : 16, 20, 21, 22, 25-27,
72, 77-78, 98, 113, 131, 133, 142,
151, 178, 196
Lachance, L.-P. : 223
Lachance, O. : 218
Lacombe, Dr C : 218
Lajeunesse, Jos. ; 224
Lamarre, Julie-Emilie : 208
Lamarre, Octave : 225
Lamarre, Pierre : 171
Lamarre, Thomas : 225
Lampson, William : 28,115
Langevin, Hector : 193, 207-208, 210
Lapointe, Eugène : 222
Lapointe, Guillaume : 106
Lapointe, Mgr Eugène : 190-195
Larue, William : 225
Laterrière, canton : 52, 54, 61, 62, 63,
70
Laterrière, village : 132
Laterrière : voir « Grand-Brûlé »
Laure, Pierre : 23, 145-147
Lauzon, gouverneur : 21
Lavoie, Héraclius : 222
Lavoie : Joseph : 140, 224
Lazonnie, G. : 54
238
Le Saguenay (journal) : 211
Legendre, Louis : 40-41, 52, 110, 140,
142, 144
Lemarié, Marie-Louise : 105
Lemieux, Edouard : 224
Lemieux, Eucher : 171,194
Lemieux, Eustache : 197
Lemieux, François : 140
Lemieux, Hector : 225
Leneuf de La Vallière : 21
Lessard, Léandre : 54
Londres : 179
Loretteville : 148
Lozeau, Jean-Baptiste : 148
MAGNAN, Aristide : 222
Maheu, l'abbé Arthur : 81
Mailly, les frères : 130
Maltais, Concession des : 92
Maltais, David : 223
Maltais, Jean : 223
Manufacture d'Alumettes : 183
Marceau, A.-Hilaire : 222
Marcoux, Joseph : 224
Marcoux, L.-A. : 225
Marié, Jérémie : 120
Marsen, M. :222
Martel, Henry : 224
Martel, Honoré : 194
Martel, Louis-Antoine : 164
Martel, Louis : 130
Martin &Delisle, la maison : 215
Martin, l'inspecteur : 161, 172
Martin, Percy : 119
Martin, Vincent-Madoc : 194, 225
Maurice, Jean-Baptiste : 23
Mazenod, Mgr de : 67
McCallister, James : 54
McGillivray, Simon : 27
McKenzie, James : 26
McLaren, David : 55, 90, 93
McLean, M.D. : 90
McLeod, François : 84
McLeod, John : 39, 84
McLeod, le clan : 39, 56, 64, 115
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
McLeod, Peter (junior) : 35-84
McLeod, Peter (senior) : 38,138-140
McNicoll, Joseph : 43
McPherson, Laughlan Thomas : 39, 46
McPherson, Murdock : 29
Mer du Nord : 22
[237]
Messager de Saint-Antoine (journal) :
214
Métabetchouan : 19, 22, 23, 25, 26,
131-132
Métis : 26, 27
Mi-carême : 103
Micmacs : 26, 27
Migneault, Josephte : 110
Mistassini, lac : 26
Mistassins : 17,
Montagnais : 16,
Montréal : 78
Morel, Louis : 55, 98
Morin, Éloy : 144
Morin, François : 144
Morin, Henri : 142
Morin, Isidore : 90, 93
Morin, Napoléon : 224
Morin, Narcisse : 144
Morin, Rosario : 111
Morin, Victorien : 156
Morin : 87
Morissette, François : 142
Morissette, Louis : 142
Morissette, Marie : 142
Moulin à farine : 54
Moulin Kénogami : 50
Murdock, Alexander : 139
Murdock, Joseph : 139
Murdock, Madeleine : 107
Murmure du Lac St-Jean (journal) :
210
Murray, Richard : 25
Muyr, Manly : 162
NASKAPIS : 17
Naturaliste Canadien (journal) : 214
Navigation sur le Saguenay : 122-127
239
Néron, François : 140
Nicabau, lac : 22
Nixon, l'explorateur : 26
Notre-Dame-des-Victoires : 148
Nouvelliste (journal) : 211
O'BRIEN, la famille : 194
O'Reilley, Mary Ann : 166
Oblats : 63-64, 69-71
Œuvre de Saint-François-Xavier : 156
Oto, J.B. : 225
Oto, P.B. : 225
Ottawa : 178
Oudiette, Jean : 22
Ouellet, David : 157
Ouellet, Jean : 55
Ouellet, Jules : 194
Ouellet, Maurice : 101
Ouellet, Restitue : 101
Ouiatchouan, canton : 133
PALAIS de justice : 95, 119, 122
Papinachois : 16,
Papineau, Denis-Benjamin : 55, 58
Paradis, Firmin : 187
Parent, Étienne : 52
Parke, Thomas : 52
Paul, Couture : 221
Pedneault, Alfred : 225
Pelletier, Joseph : 223
Perron, Euchariste : 225
Perron, Pitre : 225
Petit Saguenay, rivière : 30
Petit Séminaire : 166-173
Petit, Honoré : 93, 218
Petit, Jean-Baptiste : 93, 182, 204, 223
Petit, Ludger : 127, 179, 218
Petit-Saguenay : 30
Petite Décharge : 178
Petites-Iles : 30
Picard, Nap. : 225
Piékouagamiens : 17,
Pitons (monnaie) : 80
Pointe-Bleue : 139, 152
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
Population, origine : 99
Port-au-Persil : 39
Port-au-Saumon : 160
Portage des Roches : 131-132
Poste-des-Gauthier : 160
Poste-Martin : 160
[238]
Postes du Roi : 24, 26-29, 38, 137
Pouliot, l'abbé Charles : 63, 158
Pouyez, Christian : 205
Price Brothers, Compagnie : 127, 192,
224
Price Brothers : 225
Price, David Edward : 112, 138,
142,147, 172, 178, 184, 187, 191
Price, Lobélisque : 208
Price, Maison : 94, 98, 180, 194
Price, William-Evan : 10, 188
Price, William : 29, 30, 35-36, 37, 3940, 44-51, 54, 56-57, 69, 72-73,
80-84, 102, 134, 138, 141, 178
Prison : 119, 122, 125
Progrès du Saguenay : 108, 210-215
Progrès-Dimanche : 212
Prosper, la famille : 96
Proulx, J.-P. : 52
QUÉBEC : 22, 24, 48, 69, 78, 98, 108,
119, 122, 125, 148-149, 152, 163164, 167-168, 172-173, 184, 200
RACINE, Mgr Antoine : 72, 148-149
Racine, Mgr Dominique : 94-95, 113114, 148-157, 160-173, 194, 196,
206-208, 210, 212, 218
Ragueneau : 21
Rang Saint-Joseph : 102
Reine-du-Nord : 186, 220
Renald, David-Pantaléon : 110
Renald, François-Xavier : 110
Renald, François : 43, 100, 110-111,
140
Renald, Joseph-Émile : 110
Renald, Joseph-Ferdinand : 110
Renald, Marie-Joséphine : 110
240
Renald, Michel : 10
Réveil au Saguenay (journal) :
[212]
Rhainds, Georges : 140
Richard, Charles-Stanislas : 139, 143
Riel, Louis : 213
Rimouski : 152
Riverin, Tom : 194
Rivière à Mars : 136
Rivière aux Outardes : 143
Rivière aux Rats : 108, 171
Rivière aux Sables (cours d'eau) : 72,
120
Rivière aux Vases : 108
Rivière Chicoutimi : 40, 46, 54, 58
Rivière des Aulnaies : 131
Rivière des Aulnets : 139
Rivière du Moulin : 38-41, 43, 45, 48,
51, 54, 58
Rivière du Moulin : voir « Scierie de la
rivière du Moulin »
Rivière Gervais : 139
Rivière Michaud : 110
Rivière Portneuf : 152
Rivière Shipshaw : 138-139, 216
Rivière Valin : 106, 142-143
Rivière-à-1'Ours : 133
Rivière-à-Mars : 160
Rivière-au-Sable (colonie) : 76-77, 148
Rivière-aux-Canards : 110, 160
Rivière-du-Loup : 150, 154
Rivière-Noire : 38-39
Rivière-Sainte-Marguerite : 160
Roberge, l'abbé Thomas : 156, 197,
222
Roberge, l'abbé Thomas : 222
Roberge, Thé. : 225
Rocher de la Vieille : 75, 105, 192
Rome : 150
Rousseau, Desphine : 101
Rousseau, Louis-Z : 89
Roussel, David : 199
Roy, David : 88, 119, 121
Roy, F.-X. : 162
Roy, Jos. : 222
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
[239]
SAINT-ALEXIS : 70, 89, 106, 113,
158
Saint-Alphonse : 64, 70, 92
Saint-Ambroise : 216
Saint-Basile de Portneuf : 150
Saint-Charles-Borromée : 139
Saint-Cyriac : 105, 131
Saint-Félicien : 133
Saint-Félix de Clermont : 193
Saint-François-Xavier : 76, 145, 155,
197
Saint-Fulgence : 108, 144-145
Saint-Gelais, Jean-Baptiste : 144
Saint-Gelais, Télesphore : 144
Saint-Henry de Lévis : 142
Saint-Hilaire : 190
Saint-Isidore, paroisse : 54
Saint-Jean, canton : 52
Saint-Jean-Vianney : 138
Saint-Jérôme de Métabetchouan : 98
Saint-Louis de Métabetchaouan : 172
Saint-Nom-de-Jésus : 67
Saint-Patrice : 150
Saint-Pierre le Becquet : 130
Saint-Siméon : 38-39
Saint-Thomas de Montmagny : 102
Sainte-Anne de Chicoutimi : 104, 107,
113-114, 127-131, 139-143, 145,
182, 198-200, 216-217, 220
Sainte-Anne-de-la-Pocatière : 101
Sainte-Famille : 101
Sainte-Rose-du-Nord : 19
Saintonge, Christine : 110
Saintonge, Jérôme : 27
Savard, D. : 218
Savard, Edmond : 192, 222
Savard, Félix-Antoine : 193
Savard, Guillaume : 43
Savard, Honoré : 90
Savard, Joseph-Édouard : 222
Savard, la famille : 191, 193
Savard, Léon : 144
241
Savard, Roger : 88, 192
Savard, Thomas : 138
Savard, V. : 223
Savard, Vilmond : 103,192
Scierie de la rivière Chicoutimi : 39,
46-51, 53, 58, 78, 82
Scierie de la rivière Chicoutimi : voir
« Rivière Chicoutimi », « Moulin
Kénogami »
Scierie de la rivière du Moulin : 38-40,
43, 45-46, 50
Scierie de la rivière du Moulin : voir
« Rivière du Moulin »
Scott, B.A. : 204
Scott, Jimmy : 156
Scott, la famille : 194
Sept-Iles : 21
Servante-du-Cœur-Immaculée-deMarie : 162
Sherbrooke : 148
Shipshaw, rivière : 139
Simard, Alexis : 143
Simard, Améri : 140
Simard, canton : 52, 55, 61, 89-91,
138, 139, 143
Simard, François : 225
Simard, Johnny : 224
Simard, Mars : 71
Simard, Michel : 105, 110, 117, 143144
Simard, Pascal : 54
Simard, Pierre : 225
Simard, René : 126
Simard, Thomas : 29, 30, 31, 46, 143
Simon, canton : 61
Simon, Dr François : 206
Simoneau Noël : 138
Simpson, Sir George : 88
Sinclair, Henry : 122
Skelsey, Joseph : 122
Smith, Compagnie : 127
Smith, William : 55
Société d'Agriculture : 184-187
Société de Colonisation de la ville de
Chicoutimi : 195-202
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
Société des Pinières du [240] Saguenay : 29
Société des Vingt et un : 30, 35, 115,
190
Société Roussel : 143, 199-200
Société Saint-Jean-Baptiste : 218-219
Sœur Marie-Joseph : 166
Sœur Saint-Edouard : 164-165
Sœur Saint-Elzéar (Marie-Célanire
Taschereau) : 222
Sœur Saint-Gabriel (Julie-Émilie Lamarre) : 222
Sœur Saint-Joseph : 101, 208
Sœur Saint-Philippe-de-Néri : 164
Sœur Sainte-Anne : 164
Sœur Sainte-Gertrude : 164
Sœur Sainte-Marthe : 222
Sorel : 126
Standards de LaMalbaie : 47-49, 180
Stunton, A. : 225
Sturton, la famille : 194
Sydenham, Lord : 52, 59
Sydenham : voir « chemin Sydenham »
Sylvicole inférieur : 18
TADOUSSAC : 18, 19, 20, 21, 37, 52,
160
Talbot, Pierre : 197
Talbot, Pitre : 194, 224
Taschereau, Mgr E.-A. : 154, 169,
171-173
Tekakwitha, Kateri : 139
Terres-Rompues : 55-56, 77, 84, 105,
115, 117, 127, 137-140, 160
Terrien, Pierre : 43
Tessier & Petit : 182-183, 194, 221,
224
Tessier, David : 182, 197, 218-219,
222
Têtu, François : 52, 55
Thiboutot, Jean-Baptiste : 120
Tousignant, L.-O. : 203, 222, 224-225
Traite de Chig8timy : 23
Traité de Paris : 23
242
Tremblay, Alfeda : 111
Tremblay, Aurélie : 111
Tremblay, C. : 224
Tremblay, canton : 52, 55, 61, 62, 89,
99, 106-107, 110, 129, 140, 142
Tremblay, Delphis : 111
Tremblay, Émilien : 140
Tremblay, Étienne : 110
Tremblay, Irène : 111
Tremblay, J.-O. : 213
Tremblay, Jean : 140
Tremblay, John : 111
Tremblay, Jos. : 225
Tremblay, Joseph : 139
Tremblay, Jules : 52-140
Tremblay, Justine-Flore : 104
Tremblay, l'abbé Grégoire : 143
Tremblay, L.-O. : 223-224
Tremblay, Léandre : 194
Tremblay, Louis : 140
Tremblay, Maître Edouard : 36
Tremblay, Marcel : 144
Tremblay, Marcellein : 43
Tremblay, Marie : 111, 212
Tremblay, Méron : 171, 194, 224
Tremblay, Michel (Gros-Michau) : 43,
92, 99, 105, 1l0-111, 116, 120, 141
Tremblay, municipalité du Canton :
89-91, 107
Tremblay, Nil : 111
Tremblay, Paschal : 117
Tremblay, Pitre : 92, 110, 193
Tremblay, Simon : 197
Tremblay, Thomas : 89
Tremblay, Vital : 224
Tremblay, William : 54, 90, 223
Tremblay-Picoté, Alexis : 29, 30, 36,
39, 41, 46
Trois-Rivières : 98
Tupper, Charles : 210
Turgeon, Charles : 46
Turgeon, Mgr : 76, 162
[241]
UNIVERSITÉ de Montréal : 17
Russel Aurore Bouchard, Histoire de Chicoutimi. La fondation, 1842-1893. (1993)
Université du Québec à Chicoutimi :
17
Ursulines de Roberval : 220
VALIN : 123
Vézina, Georges : 224
Villeneuve, Isaïe : 138
Villeneuve, Jules : 54
WARDENS : 59
Warren, William : 183, 207
Wells : 183
Wyatt, Matthew Thomas : 145
Fin du texte
243