RGAR_01_2015.fm Page 1 Wednesday, February 4, 2015 3:49 PM Pouvoirs publics — F.58 - L'ACTION EN RESPONSABILITÉ CONTRE DES POUVOIRS PUBLICS : À PORTER DEVANT LES JURIDICTIONS JUDICIAIRES OU, DEPUIS 2014, DEVANT LE CONSEIL D'ÉTAT ? par Jérôme Sohier Avocat au barreau de Bruxelles Maître de conférences à la Faculté de droit de l'Université libre de Bruxelles Depuis la loi du 6 janvier 2014, le Conseil d'État dispose d'une nouvelle compétence de se prononcer sur les effets civils de ses arrêts, en ce sens qu'il pourra désormais accorder une « indemnité réparatrice » à un requérant qui aurait subi un dommage du fait de l'illégalité de l'acte attaqué. Il s'agit là d'une réelle révolution de notre droit de la responsabilité des pouvoirs publics, puisque jusque ici le requérant qui avait obtenu un arrêt d'annulation au Conseil d'État, était contraint d'initier un second procès devant les tribunaux civils — dont l'issue était aléatoire — s'il entendait obtenir la réparation de son préjudice. Que faut-il désormais conseiller aux justiciables sur ce point (1) ? 1. — Une « double procédure » et un « parcours du combattant ». — Le droit de la responsabilité des pouvoirs publics est, en Belgique, un droit essentiellement jurisprudentiel, élaboré par le juge au départ des articles 1382 et suivants du Code civil, lesquels, en se fondant sur la notion de faute, constituent le droit commun de la responsabilité extracontractuelle, qui s' ap pl iqu e au x au t or i té s de la mê me manière qu'aux personnes privées. Depuis son arrêt Flandria du 5 novembre 1920, la jurisprudence de la Cour de cassation est fixée en ce sens que ce contentieux met en jeu des droits civils et relève dès lors de la compétence exclusive des juridictions du pouvoir judiciaire, conformément aux termes de l'article 144 de la Constitution, ces droits étant qualifiés comme « tous les droits privés consacrés et organisés par le Code civil et les lois qui le complètent » (2). (1) Texte de la conférence donnée par l'auteur lors des Midis de la formation organisés par la Conférence du Jeune barreau de Bruxelles le 20 novembre 2014. (2) Cass., 5 novembre 1920, Pas. 1920, I, p. 239. Sont également visés, les droits consacrés par les Ces principes ont imposé un véritable « parcours du combattant » à la victime d'un dommage occasionné par un acte administratif, confrontée à l'astreinte de poursuivre une double procédure, d'abord devant le Conseil d'État (pour obtenir l'annulation de l'acte administratif faisant grief), puis devant les cours et tribunaux (pour obtenir la réparation du dommage qui lui a été occasionné par l'acte administratif en question), et ce sans aucune garantie de succès au final, puisque le juge judiciaire peut parfaitement considérer que, nonobstant l'illégalité de l'acte administratif reconnue par le Conseil d'État, il n'y a pas lieu à réparation du dommage, en raison d'une erreur « invincible » dans le chef de l'autorité ou à défaut de lien de causalité direct ou de caractère suffisamment déterminé du dommage dont la réparation est revendiquée en justice (3). Même si le premier parcours devant le Conseil d'État n'est pas strictement obligatoire comme tel, les cours et tribunaux disposant du pouvoir – et du devoir – d'examiner la légalité de tout acte administratif, tous les praticiens ont eu l'occasion de stigmatiser cette obligation de double procédure, en soulignant « l'absurdité d'être contraint d'introduire devant un autre juge une autre lois qui, quoique non insérées formellement dans le Code civil, règlent des matières qui sont considérées comme relevant par nature du droit privé. Pour rappel, le droit lésé dans cette affaire Flandria consistait dans le droit de propriété d'un horticulteur sur ses plantations, qui avaient subi des dégâts importants en raison de l'abattage d'un arbre planté au bord d'une route appartenant à la ville de Bruges, ce qui justifiait, aux yeux de la Cour de cassation, la compétence des cours et tribunaux. (3) Cfr notamment P. Van Ommeslaghe, « La responsabilité des pouvoirs publics et, en particulier, du pouvoir exécutif : bilan en 2014 », in La responsabilité des pouvoirs publics - Actualités en droit public et administratif, coll. UB3, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 7. Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2015) 151381 RGAR_01_2015.fm Page 2 Wednesday, February 4, 2015 3:49 PM procédure pour obtenir l'indemnisation d'un préjudice causé par l'acte qualifié de fautif » (4). La proposition de loi relative à la sixième réforme de l'État, insérant un article 11bis dans les lois coordonnées sur le Conseil d'État, énonce, à cet égard, qu'« actuellement, la partie qui obtient gain de cause devant le Conseil d'État, mais dont le préjudice n'est pas entièrement réparé par l'annulation de l'acte, est contrainte d'introduire une nouvelle action devant les juridictions civiles. Cela impose à un nouveau juge de réexaminer l'ensemble du dossier, ce qui entraîne de nouveaux frais de justice et de nouveaux délais de procédure » (5). 2. — La révision de l'article 144 de la Constitution : un préalable nécessaire ou une formalité inutile ? — Cette position stricte de la jurisprudence traditionnelle est devenue au fil du temps de plus en plus controversée, dès lors que ni l'article 144, ni aucune autre disposition de la Constitution, ne consacrent le droit à la réparation d'un dommage au contentieux de la responsabilité, comme un droit civil. En réalité, si ce droit correspond à un droit civil, c'est uniquement tant qu'il se fonde sur les dispositions de l'article 1382 du Code civil ; mais si une telle action en responsabilité devait trouver un autre fondement juridique, plus particulièrement dans une loi particulière qui serait adoptée pour prévoir des règles d'indemnisation particulières d'un dommage o cca sio nné pa r l'act ion des pou vo irs publics, l'on ne voit plus pour quelle raison il s'agirait ipso facto d'un droit civil. En l'occurrence, dès lors que le législateur attribue, par une loi particulière, la qualification de politique au droit à la réparation du dommage qui résulterait d'un acte administratif annulé par le Conseil d'État, rien ne lui interdit plus de confier ce contentieux au Conseil d'État ou à toute autre juridiction administrative. Plusieurs auteurs considèrent aujourd'hui, non sans pertinence, qu'en (4) Voy. notamment Publicum, 2010, no 10, sur « Illégalité d'un acte administratif et dommage en résultant : quel(s) juge(s) pour en connaître ? » ; J. Bourtembourg, « Pourquoi ne pas étendre les compétences du Conseil d'État au contentieux de la responsabilité des pouvoir publics pour faute consistant en un acte annulé ? », op. cit., p. 2 ; dans le même sens, M. Leroy, « Propos sur le projet de réforme en discussion », Publicum, 2013, no 15, p. 26. (5) Doc. parl., Sénat, 2012-2013, no 5-2233/1, p. 6. vertu de l'article 145 de la Constitution, une contestation ayant pour objet un droit politique peut parfaitement être confiée par le législateur à une autre juridiction que le pouvoir judiciaire (6). Il n'était donc pas nécessaire, à notre sens, de réviser la Constitution avant de modifier les lois coordonnées sur le Conseil d'État, pour lui attribuer une compétence supplémentaire en matière d'indemnisation, mais, vu les controverses existantes (7), il a été jugé plus prudent d'en passer par là. L'article 144 a ainsi été complété par un deuxième alinéa suivant lequel une loi peut « habiliter le Conseil d'État ou les juridictions administratives fédérales à statuer sur les effets civils de leurs décisions ». 3. — L'article 11bis nouveau des lois coordonnées sur le Conseil d'État : le concept d' « indemnité réparatrice ». — Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 6 janvier 2014 que le législateur a hésité entre l'option de la « réparation classique » et celle de la « satisfaction équitable » sur le modèle de la Cour européenne des droits de l'homme (8), et a finalement opté pour (6) Cfr tout particulièrement, la thèse présentée par Bernard Blero en 1998 (« Du droit objectif aux droits politiques des administrés - Essai sur la répartition des compétences entre le juge judiciaire et le juge de l'excès de pouvoir »), qui a fait l'objet d'une synthèse, « L'article 145 de la Constitution comme solution aux conflits de compétence entre le juge de l'excès de pouvoir et le juge judiciaire », in Le Conseil d'État de Belgique 50 ans après sa création, Bruxelles, Bruylant, 1999, p. 251 ; cfr également, G. Rosoux, « L'arrêt no 41/2002 de la Cour d'arbitrage : de la notion constitutionnelle de droits politiques à la notion de “droits civils” au sens de la Convention européenne des droits de l'homme », J.L.M.B., 2002, p. 1169, qui conclut en ce sens que « le temps où le domaine des droits civils de l'article 144 de la Constitution apparaissait comme une “sorte de réduit sacré où jamais l'Administration ne pourrait empiéter sur la compétence des tribunaux”, a fait long feu ». Par un arrêt no 14/97 du 18 mars 1997, la Cour constitutionnelle, a confirmé que, pour qualifier un droit de politique, il convient de retenir le critère suivant lequel il se trouve dans un rapport tel avec les prérogatives de la puissance publique, qu'il se situe en-dehors de la sphère des litiges de nature civile. (7) Cfr F. Glansdorff, « L'indemnité réparatrice : une nouvelle compétence du Conseil d'État vue par un civiliste », J.T. 2014, p. 475, qui énonce, à titre d'« observation liminaire », que « la validité d'une telle disposition nécessitait la modification de l'article 144 de la Constitution (...). Il eût sans doute été possible d'échapper à cette modification en qualifiant le droit à réparation de “politique” plutôt que de “civil”, mais la solution aurait été hasardeuse ». (8) Suivant l'article 41 de la Convention européenne, « si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses protocoles, et si le droit interne de RGAR_01_2015.fm Page 3 Wednesday, February 4, 2015 3:49 PM Pouvoirs publics — F.58 - une « indemnité réparatrice tenant compte des intérêts publics et privés en présence ». Cette indemnité se distingue de la réparation du dommage sur la base de l'article 1382 du Code civil, dès lors que l'indemnité peut être évaluée de manière discrétionnaire par le Conseil d'État à un montant inférieur au dommage réel du requérant, en devant tenir compte des « intérêts publics et privés en présence ». On relèvera que, dans ces conditions, il ne s'agit manifestement pas de statuer sur un droit subjectif de nature civile dans le chef de l'administré victime d'un acte administratif illégal, alors qu'il était question, aux termes de la révision constitutionnelle, de permettre au Conseil d'État de statuer sur « les effets civils » de ses décisions (9). Si c'était pour limiter le droit à réparation à une telle indemnité, il n'était assurément pas nécessaire de réviser l'article 144 comme l'on s'est cru obligé ! L'indemnité réparatrice se distingue également du contentieux en indemnité pour dommage exceptionnel dont le Conseil d'État est investi depuis longtemps, sur pied de l'article 11 des lois coordonnées, puisque l'indemnité pour dommage exceptionnel s'inscrit dans un cadre de responsabilité sans faute et implique qu'il n'y ait pas de faute ni d'illégalité de la part de l'autorité administrative (10). la haute partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable ». Si cette satisfaction est ainsi calculée en équité, en fonction de l'ensemble des circonstances pertinentes, il apparaît qu'en pratique, la jurisprudence de la Cour européenne tend à accorder au requérant une forme de réparation intégrale, qui se déduit de l'obligation conventionnelle, pour les États membres, de mettre un terme aux violations de la Convention et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure. S'il est souvent difficile d'évaluer le dommage causé par des violations de droits fondamentaux, ce principe a pu aboutir à des indemnités extrêmement élevées lorsqu'un dommage matériel le justifiait (cfr S. van Drooghenbroeck, La Convention européenne des droits de l'homme Trois années de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (1999-2001), coll. Dossiers du J.T., Bruxelles, Larcier, 2003, p. 255). (9) Cfr à ce sujet, notre étude, F. Belleflamme et J. Sohier, « Incidence de la réforme du Conseil d'État sur la responsabilité des pouvoirs publics », in La responsabilité des pouvoirs publics - Actualités en droit public et administratif, coll. UB3, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 39. (10) Si ce contentieux est resté très marginal à ce jour, c'est essentiellement en raison du caractère ré- On relèvera, enfin, qu'il ne peut s'agir ici que d'une réparation pécuniaire. En l'occurrence, l'annulation de l'acte illégal constitue déjà une forme de réparation en nature, puisqu'elle efface — avec effet rétroactif — l'acte illégal de l'ordonnancement juridique. La question d'une indemnité réparatrice ne se posera donc que dans la mesure où le dommage n'a pas été totalement réparé par l'arrêt d'annulation. Par exemple, l'annulation d'une sanction disciplinaire de suspension infligée à un agent, entraîne en principe, par elle-même, une obligation pour l'autorité de lui octroyer les traitements qui ne lui auraient pas été payés, sans qu'il soit besoin de solliciter une indemnité ; en revanche, une telle indemnité pourrait être postulée pour compenser le dommage moral de l'intéressé. 4. — Une responsabilité objective fondée sur une illégalité. — Le requérant peut solliciter une indemnité réparatrice s'il a subi un préjudice « du fait de l'illégalité » de l'acte attaqué. Cette formulation entraîne trois éléments nouveaux dans cette forme de responsabilité : — un nouveau trio illégalité-préjudice-lien de causalité se substitue au trio classique faute-dommage-lien de causalité, tel qu'il ressort de l'article 1382 du Code civil. Avec un avantage notable au profit du requérant, siduaire de la compétence du Conseil d'État et du développement parallèle de la jurisprudence judiciaire sur la responsabilité des pouvoirs publics. Puisque le législateur n'a entendu confier au juge administratif une telle compétence d'indemnité que « dans les cas où il n'existe pas d'autre juridiction compétente », ce contentieux ne peut être que de second plan, limité en pratique à des hypothèses de responsabilité sans faute, tout en pouvant faire apparaître les failles dans la protection juridique des citoyens et servir de stimulant pour le juge judiciaire et le législateur (cfr A. Mast, « Le Conseil d'État et le contentieux de l'indemnité », in Mélanges J. Dabin, Bruxelles, Bruylant, 1963, p. 794) ; cfr également dans le même sens, M. Leroy, « Le contentieux de l'indemnité avant et après la loi du 3 juin 1971 », R.J.D.A., 1974, p. 247 ; P. Lewalle, « La réparation du dommage exceptionnel par le Conseil d'État belge : mythe ou réalité ? », Ann. fac. Liège, 1980, p. 212 ; R. Andersen, B. Lombaert et S. Depre, « Les contentieux méconnus », in Le Conseil d'État de Belgique 50 ans après sa création (1946-1996), Bruxelles, Bruylant, 1999, p. 269 ; J. Sohier, « La responsabilité de l'État du fait des vaccinations obligatoires : de la responsabilité pour faute dans l'exercice de la fonction réglementaire au contentieux de l'indemnité pour rupture de l'égalité des citoyens devant les charges publiques », note d'observations sous l'arrêt du Conseil d'État du 16 décembre 1992, J.T.,1993, p. 333). Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2015) 151382 RGAR_01_2015.fm Page 4 Wednesday, February 4, 2015 3:49 PM assuré de ne plus devoir débattre de l'élément générateur de son dommage, puisque l'illégalité se déduira en principe automatiquement de l'arrêt rendu par le Conseil d'État au contentieux de l'annulation, alors que, dans le cadre d'une action en responsabilité civile devant les juridictions de l'ordre judiciaire, la partie adverse conteste le plus souvent le caractère quasi délictuel de l'illégalité constatée par le Conseil d'État. Il s'agit là, en réalité, d'une nouvelle responsabilité objective créée par le législateur (11) ; — la requête en annulation sur laquelle la demande d'indemnité réparatrice vient se greffer ne doit pas nécessairement avoir abouti, puisqu'une illégalité de l'autorité peut parfaitement se déduire d'un arrêt de rejet. Tel sera le cas, par exemple, lorsque l'acte attaqué a été annulé par un autre arrêt du Conseil d'État ou qu'il a été retiré par la partie adverse en cours d'instance et que la requête est alors rejetée parce qu'elle n'a plus d'objet. La situation est plus incertaine lorsque le requérant vient à perdre son intérêt en cours d'instance, en raison de circonstances externes à l'instance. Le Conseil d'État a développé, à ce propos, une jurisprudence, fort contestable, tendant à exiger que l'intérêt soit maintenu tout au long de la procédure, de telle manière qu'il y a perte de cet intérêt, et, partant, irrecevabilité du recours, dans le chef d'un agent qui, après avoir été lésé dans le cours de sa carrière administrative en s'étant vu évincé irrégulièrement d'une promotion, se trouve pensionné en raison de son âge en cours d'instance (12). À partir du moment où, à (11) Puisque la seule constatation de l'illégalité suffit, il n'y a plus lieu de débattre de la notion de faute, ni, partant, d'erreur invincible ou d'autre cause exonératoire. La nouvelle loi institue ainsi « une obligation de résultat renforcée, une véritable obligation de garantie » (F. Glansdorff, « L'indemnité réparatrice : une nouvelle compétence du Conseil d'État vue par un civiliste », J.T., 2014, p. 475, qui ajoute cependant qu'il existe une seconde solution possible, consistant à « se raccrocher » à la jurisprudence de la Cour de cassation et à tenir compte des éventuelles causes d'exonération de responsabilité. L'avis émis par la section de législation ne va cependant clairement pas en ce sens). (12) Cfr notamment C.E., 5 novembre 1997, Taveirne, no 69.471 ; 7 février 2005, Dupont, no 140.256 ; M. Leroy, Contentieux administratif, 5e éd., Anthemis, 2011, p. 475 ; P. Coenraets, « La notion d'intérêt à agir devant le Conseil d'État : difficile équilibre entre l'accès au prétoire et la prohibition de l'action populaire », in Le Conseil d'État de Belgique 50 ans après sa création, op. cit., p. 349 ; J. Sohier, l'avenir, c'est le Conseil d'État lui-même qui s e ra a m e n é à s e p ro n o n c e r s u r u n e demande d'indemnisation du dommage, la question se pose de savoir s'il ne sera pas obligé d'examiner, quant au fond, le caractère régulier, ou non, de l'acte administratif attaqué pour faire suite à une demande d'indemnité, même en cas de rejet du recours en annulation. Les travaux préparatoires confirment expressément que « la demande d'indemnité pourrait être formulée, non seulement lorsque le Conseil d'État annule un acte, un règlement ou une décision implicite de rejet, mais pour tout préjudice né d'une illégalité constatée dans un arrêt », ce qui implique qu'en cas de perte d ' i n t é r ê t d a n s l e c h e f d u r e q u é ra n t , « notamment en raison d'une évolution de sa situation personnelle », le Conseil d'État ne pourra plus, comme dans le passé, clôturer là l'examen du dossier par une décision de rejet, mais se verra obligé de statuer sur la légalité de l'acte attaqué, si le requérant a introduit simultanément une demande d'indemnisation à ce sujet (13). Dans cette « L'intérêt à agir devant le Conseil d'État face aux exigences du délai raisonnable », A.P.T., 2006, p. 140. Dans le cadre de cette jurisprudence restrictive, le Conseil d'État a eu l'occasion de préciser que l'intérêt qui consisterait uniquement à établir la responsabilité éventuelle de l'autorité en raison d'un acte qui aurait été jugé illicite, n'est pas suffisant. Par un arrêt du 10 novembre 1999, la Cour constitutionnelle a eu cependant l'occasion d'exprimer de sérieux doutes à ce propos, en énonçant, en substance, que « par le caractère automatique que la perte d'intérêt revêt, l'interprétation donnée à l'article 19 a des effets disproportionnés, car elle aboutit à une décision d'irrecevabilité du recours, sans que soit examiné s'il subsiste, en réalité, un intérêt à ce recours, et sans tenir compte des éléments qui ont pu en retarder l'examen. Un requérant ne perd pas nécessairement tout intérêt à l'annulation d'une nomination illégale lorsqu'il est admis à la retraite. (...) En outre, un arrêt d'annulation facilitera l'établissement de la faute de l'Administration, s'il introduit une action devant le juge civil » (C.A., 10 novembre 1997, no 117/ 99 ; dans le même sens, 21 janvier 2004, no 13/04). Le Conseil d'État n'a cependant pas modifié diamétralement sa jurisprudence concernant l'intérêt, puisqu'il apparaît que, si le juge administratif ne rejette plus « automatiquement » les requêtes d'agents pensionnés en cours de procédure qui attaquent une promotion dont ils ont été évincés, il examine dans quelle mesure l'annulation éventuelle pourrait leur apporter un avantage... avant de conclure plus ou moins systématiquement par la négative ! (M. Leroy, Contentieux administratif, op. cit., p. 475). (13) Doc. parl., Sénat, 2012-2013, no 5-2233/1, op. cit., p. 8. La section de législation avait relevé, en son avis, que l'intention exprimée au cours des travaux préparatoires n'était pas adéquatement exprimée dans le texte de loi proposé, dès lors que, lorsqu'un requérant perd son intérêt au cours de RGAR_01_2015.fm Page 5 Wednesday, February 4, 2015 3:49 PM Pouvoirs publics — F.58 - dernière hypothèse, et si la réforme de 2014 ne devait pas inciter le Conseil d'État à revenir sur sa jurisprudence relative à l'intérêt, il devrait en principe rejeter le recours en annulation, tout en déclarant cependant le moyen fondé, ce qui lui permettra de statuer ensuite sur la demande d'indemnité, puisqu'une illégalité aura été reconnue ; — le débiteur de l'indemnité sera toujours l'autorité qui était la partie adverse au contentieux de l'annulation, à savoir celle qui a commis l'illégalité constatée par la juridiction administrative, la question de l'origine de cette illégalité étant indifférente à cet égard. Or, il peut y avoir de nombreux cas où l'annulation d'un acte se justifie par une irrégularité commise par une autre autorité ou par un tiers : plan d'urbanisme qui fonde l'attribution ou le refus d'un permis, avis d'une chambre de recours qui précède l'infliction d'une sanction disciplinaire... Dans une telle hypothèse, il ne resterait à la par tie adverse que la possibilité de se retourner contre le responsable, mais en devant alors introduire un nouveau procès devant le tribunal civil. 5. — Une demande accessoire à un recours en annulation. — Suivant les termes de l'article 11bis des lois coordonnées, le nouveau contentieux en indemnité réparatrice est ouvert à « toute partie requérante ou intervenante qui poursuit l'annulation ». Étant l'accessoire d'un recours en annulation, introduit sur pied de l'article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d'État, l'indemnité réparatrice ne concerne pas les requérants qui ont obtenu un arrêt constatant une illégalité de l'autorité dans le cadre d'un contentieux en cassation ou de pleine juridiction (14). D'autre part, les parties intervenantes ne sont pas mises sur pied d'égalité, puisque seule celle qui est intervenue aux côtés de la partie requérante, pour solliciter l'annulation de l'acte, dispose de la possibilité de bénéficier de la nouvelle procédure. Pour l'examen de sa demande d'annulation, sa demande est rejetée sans que l'arrêt établisse l'éventuelle illégalité de l'acte attaqué. Sauf erreur de notre part, il n'a pas été répondu à cette remarque. (14) Sur ce point également, la section de législation avait relevé qu'une décision qui était déférée au contrôle du Conseil d'État dans le cadre d'un recours de pleine juridiction et qui était réformée pouvait également avoir causé un dommage à l'administré, mais cette remarque est cependant restée sans écho au cours des travaux préparatoires. les intervenants qui auraient subi un préjudice du fait de l'acte annulé, seule la voie judiciaire reste ouverte, sans que cette différence de traitement n'ait été justifiée dans le cours des travaux préparatoires. Sur ce point, la nouvelle loi pourrait faire l'objet de questions préjudicielles auprès de la Cour constitutionnelle initiées par une partie exclue de ce nouveau contentieux et qui considérerait qu'elle est victime d'une discrimination à ce sujet. 6 . — U n d é l a i b r e f d e 6 0 j o urs . — L'article 11bis nouveau impose au requérant un délai de 60 jours pour introduire sa demande d'indemnité réparatrice devant le Conseil d'État, à dater de la notification de l'arrêt. On peut s'interroger sur le motif d'un délai aussi bref, qui a sans doute été simplement calqué sur le délai de recours en annulation, en particulier au regard du délai de prescription de cinq ans d'une action en responsabilité civile. Si un tel délai se comprend dans le cas d'un recours en annulation, en raison des exigences déduite du principe de sécurité juridique, on ne voit pas en revanche ce qui le justifie à propos d'une demande d'indemnité. La demande d'indemnité peut également être introduite « anticipativement », dans le cours de la procédure en annulation, dès avant le prononcé de l'arrêt du Conseil d'État (15), mais elle ne sera en principe traitée que postérieurement à cet arrêt et seulement si cet arrêt a bien constaté une illégalité à charge de la partie adverse. L'on ne voit pas a priori quel serait l'intérêt pour un requérant d'introduire sa demande aussi tôt, en « présumant » qu'il obtiendra gain de cause, sinon s'il craint de voir son intérêt à agir disparaître en cours d'instance et pourrait alors, comme exposé ci-dessus, être enclin à forcer le Conseil d'État à constater l'existence d'une illégalité. 7. — Une réparation pas nécessairement intégrale. — L'indemnité « réparatrice » du (15) Suivant l'article 25 du règlement de procédure, tel que modifié par l'arrêté royal du 25 avril 2014 « relatif à l'indemnité réparatrice visée à l'article 11bis des lois sur le Conseil d'État », la demande d'indemnité réparatrice « peut être formée : 1o en même temps que le recours en annulation ; 2o ou au cours de la procédure en annulation ; 3o ou, au plus tard, dans les 60 jours qui suivent la notification de l'arrêt ayant constaté l'illégalité ou la correction de celle-ci par application de la boucle administrative ». Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2015) 151383 RGAR_01_2015.fm Page 6 Wednesday, February 4, 2015 3:49 PM Conseil d'État ne réparera pas nécessairement le dommage de manière intégrale, puisque le juge devra tenir compte de tous les intérêts en présence. Dans l'esprit du législateur, cette indemnité pourra être moins généreuse que le dédommagement octroyé par les cours et tribunaux de l'ordre judiciaire. Cette différence a été justifiée de manière tortueuse lors des travaux préparatoires en considérant que « cette obligation se justifie notamment par la nécessité de maintenir un équilibre entre la partie qui poursuit l'annulation et la partie adverse, dans la mesure où celle-ci ne dispose pas de la possibilité de choisir la voie procédurale qu'elle estime la plus avantageuse, puisqu'elle est liée par le choix opéré par la partie qui demande l'indemnité » (16). Ces explications suscitent une certaine perplexité : si le législateur a considéré, à juste titre, que la procédure actuelle imposée au justiciable pour obtenir réparation est trop lourde, pourquoi lui imposer, s'il veut pouvoir bénéficier de cette économie procédurale, de renoncer à une partie de ses prérogatives ? Quant à l'autorité administrative auteur de l'illégalité, s'il est vrai qu'elle n'a, elle, pas le choix de la procédure, on n'aperçoit pas en quoi elle aurait motif à se plaindre qu'on lui réclame réparation devant le Conseil d'État plutôt que devant le juge judiciaire. Au contraire, elle devrait bénéficier, tout autant que le requérant, de l'économie procédurale que représente la nouvelle procédure. Il n'est cependant pas si évident que l'indemnité réparatrice sera inférieure au dédommagement octroyé par les cours et tribunaux. Sous réserve du cas assez théorique où l'enjeu d'un litige serait susceptible de compromettre l'équilibre d'une autorité au point de menacer la poursuite du service public, on n'aperçoit a priori pas en quoi les intérêts publics pourraient justifier de restreindre la réparation accordée à un administré qui a subi un préjudice. Et l'on voit mal le Conseil d'État élaborer une jurisprudence qui serait plus « généreuse » à l'égard de petites communes ou de petits parastataux sous prétexte que leur capacité financière serait moindre... À l'expérience, il apparaît que la jurisprudence du Conseil (16) Doc. parl., Sénat, 2012-2013, no 5-2233/1, op. cit., p. 7 ; F. Belleflamme et J. Sohier, « Incidence de la réforme du Conseil d'État sur la responsabilité des pouvoirs publics », op. cit., p. 60. d'État au contentieux de l'indemnité pour dommage exceptionnel n'est pas moins généreuse que la jurisprudence judiciaire, alors qu'elle ne peut se baser que sur la notion plus floue de l'équité (17). Enfin, on relèvera que le Conseil d'État peut parfaitement, à l'instar du juge judiciaire, prescrire une mesure d'expertise permettant de mieux déterminer le quantum de l'indemnité (article 20 du règlement de procédure). 8. — Le principe Electa una via. — La nouvelle procédure n'offre pas au justiciable une voie de recours supplémentaire, en plus de celle déjà ouverte devant le tribunal civil, mais lui impose un choix entre l'une ou l'autre. Il s'agit ici d'une alternative possible de réparation, mais non d'un cumul. Le mécanisme a ceci de singulier que le requérant doit choisir, non pas seulement entre deux procédures distinctes, mais bien entre deux demandes différentes, puisque, comme exposé ci-avant, l'indemnité réparatrice n'est pas la réparation intégrale octroyée sur pied de l'article 1382 du Code civil. En l'état, ce choix — irréversible — est d'autant plus malaisé pour le justiciable qu'il ne peut avoir qu'une très vague idée de ce que le Conseil d'État va juger des « intérêts p u bl i c s » e t , e n c o r e d ava n t a g e, d e s « intérêts privés » qui peuvent, aux termes de la loi, justifier une limitation du montant de l'indemnité réparatrice. Le choix est encore plus délicat si le requérant formule sa demande anticipativement dès avant le prononcé de l'arrêt au contentieux de l'annulation, sans savoir si le Conseil d'État constatera réellement une illégalité, comme il le soutient, sachant qu'à défaut, il ne lui restera plus rien : ni procédure devant le Conseil d'État à défaut d'illégalité, ni procédure judiciaire à laquelle il aura par hypothèse renoncé définitivement ! Si une telle renonciation à un droit fondamental peut être admise en droit, c'est uniquement par le fait que c'est le requérant lui-même qui posera ce choix. (17) Selon M. Leroy, ce débat serait « d'importance secondaire. Au contentieux de l'indemnité, le Conseil d'État statue aussi “en équité, en tenant compte de toutes les circonstances d'intérêt public et privé”, c'est depuis 1966 — du temps de la justice retenue — que le Conseil d'État accorde des indemnisations intégrales lorsqu'il juge que c'est équitable » (M. Leroy, « Propos sur le projet de réforme en discussion », op. cit., p. 26). RGAR_01_2015.fm Page 7 Wednesday, February 4, 2015 3:49 PM Pouvoirs publics — F.58 - Il convient cependant d'insister sur le fait que cette renonciation ne porte que sur une « action en responsabilité civile », soit la responsabilité ex t r a c o n t r a c t u e l l e (articles 1382 et suivants du Code civil), ainsi que la responsabilité contractuelle (articles 1146 et suivants du Code civil). Le requérant pourrait parfaitement cumuler les voies de recours s'il base sa demande de réparation sur d'autres lois particulières : par exemple, en matière de fonction publique, la législation relative aux traitements ou aux pensions, ou, en matière de marchés publics, l'article 24 de la loi du 17 juin 2013 relative à la motivation, à l'information et aux voies de recours en matière de marchés publics et de certains marchés de travaux, de fournitures et de services. Sur ce dernier point, la circonstance que cette loi attribue expressément la compétence juridictionnelle au juge judiciaire, n'empêche pas, à notre sens, que le soumissionnaire évincé puisse user de la nouvelle procédure devant le Conseil d'État, puisque celle-ci a été instituée par une lex posterior (18). 9. — Les aléas de la nouvelle procédure devant le Conseil d'État : des inconvénients réels ? — Des doutes ont été émis quant à la nouvelle indemnité réparatrice, liés à la « spécialisation » des juges, les cours et tribunaux ayant, au contraire du Conseil d'État, une longue expérience des questions souvent complexes de la détermination du dommage et du lien de causalité dans le contentieux de la responsabilité civile (19). L'argument paraît peu (18) Le rapport au Roi précédant l'arrêté royal du 25 avril 2014 précité donne expressément comme exemple de demande d'indemnité qui peut être formée en même temps que le recours en annulation, parce qu'elle sera « simple » à traiter, « le cas le plus évident de l'adjudication, où le soumissionnaire irrégulièrement évincé reçoit un dédommagement forfaitaire de 10% de sa soumission » (M.B., 16 juin 2014, rapport au Roi, sur article 4). (19) Ces inconvénients d'ordre conceptuel ont été dénoncés tout particulièrement au vu du caractère objectif du contentieux devant le Conseil d'État. Comme l'énonce D. Lagasse, « le Conseil d'État s'est vu confier un type de contrôle de l'Administration, qui se distingue fondamentalement du contrôle judiciaire, à savoir le contrôle des excès de pouvoir ou illégalités entachant les actes administratifs. Il exerce un contrôle de droit objectif. Il censure les actes, et non les personnes qui les ont adoptés, à la manière d'une autorité de tutelle, mais avec l'autorité d'une juridiction. Il est “le juge des actes administratifs” et non “le juge de l'Administration” ». Ainsi, le critère de jugement de l'Administration serait bien différent, la faute donnant au juge judiciaire un pouvoir convaincant : les magistrats du Conseil d'État devraient en principe être tout aussi aptes pour traiter ce type de questions, et ce d'autant plus que, comme déjà exposé, suivant l'article 11 des lois coordonnées sur le Conseil d'État, celui-ci dispose déjà depuis longtemps d'une compétence particulière au contentieux de l'indemnité, pour se prononcer, sur les demandes d'indemnité relatives à la réparation d'un dommage exceptionnel causé par une autorité administrative, « en équité » et « en tenant compte de toutes les circonstances d'intérêt public et privé ». Un autre aléa tient dans le fait que les décisions du Conseil d'État sont sans appel, si bien qu'il y a, pour les parties, perte d'un double degré, voire d'un triple degré de juridiction, si l'on prend en compte la possibilité de pourvoi en cassation. L'on objectera ici que la procédure devant le Conseil d'État implique un double examen du dossier, d'abord par l'auditorat, puis par le siège, successivement par le conseiller-rapporteur, puis, dans le cadre du délibéré, par la chambre collégialement, ce qui compense la perte d'un double degré de juridiction, surtout si l'on ajoute que le tribunal de première instance siège, en règle générale, en juge unique, de même que la cour d'appel si les parties n'ont pas formulé de demande que la cause soit traitée par une chambre à trois juges. Au demeurant, cet aléa est supporté de la même manière par toutes les parties, sans que cela n'avantage l'une ou l'autre. En réalité, l'inconvénient majeur de la nouvelle procédure pour un requérant est le risque d'obtenir une réparation bien moindre de son dommage, dès lors qu'elle ne correspond pas à un droit civil et qu'elle devrait tenir compte de toutes les « circonstances d'intérêt public et d'intérêt privé ». Mais, sur ce point également, les choses ne sont pas si claires et, comme exposé ci-avant, il n'est pas sûr que l'indemnité réparatrice soit nécessairement inférieure, au vu de la jurisprudence déjà développée par le Conseil d'appréciation plus étendu que celui du juge administratif, notamment quant à ce qu'il faut entendre par une « administration normalement diligente, prudente et avisée » (D. Lagasse, « Inconvénients de l'extension des compétences du Conseil d'État au contentieux de la responsabilité civile découlant pour les autorités administratives, de leurs actes annulés par le juge administratif », Publicum 2010, no 10, p. 5). Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2015) 151384 RGAR_01_2015.fm Page 8 Wednesday, February 4, 2015 3:49 PM d'État au contentieux de l'indemnité. On ajoutera que, pour tous les dommages qui ne peuvent être évalués qu'ex æquo et bono, tel le dommage moral, les cours et tribunaux ne se montrent pas toujours si généreux. Le Conseil d'État pourrait, par ailleurs, mieux prendre en compte le dommage qui persisterait après un arrêt d'annulation lorsque l'autorité ne prend pas toutes les mesures adéquates qui s'imposeraient aux yeux du requérant. Ainsi, on pourrait imaginer que, tout comme le juge judiciaire, le juge administratif rende un premier arrêt pour accorder une indemnité « provisionnelle » et attende l'éventuelle réfection, par l'autorité administrative, de l'acte annulé pour pouvoir déterminer de manière plus précise le quantum de l'indemnité réparatrice (20). 10. — Les atouts de la nouvelle procédure : économie d'énergie et gain de temps. — Le transfert de ce contentieux de la responsabilité au Conseil d'État présente assurément de multiples avantages pour le requérant : — une économie d'énergie pour tous les acteurs du procès, puisque, venant de statuer sur la légalité de l'acte administratif générateur du préjudice dont le requérant se prétend victime, le Conseil d'État dispose dès ce moment d'une connaissance privilégiée du dossier. Comme l'énonce Michel Leroy « quand un acte administratif a été annulé, le juge qui a annulé et qui connaît donc le dossier est mieux placé que tout autre pour se prononcer sur cette autre conséquence de l'illégalité qu'est l'indemnisation. Sans doute cela représenterait un surcroît de travail pour lui, mais il y dépensera assurément moins d'énergie qu'un autre juge, pour qui le dossier sera entièrement neuf, et à qui les avocats devront tout expliquer ab initium » (21) ; — une économie de temps, puisque — et ce n'est pas le point le plus accessoire pour un demandeur — les délais de procédure devraient, en principe, être nettement plus réduits. Pour rappel, c'était là la ratio legis (20) Depuis 2014, le Conseil d'État peut, à la demande de l'une des parties, préciser, dans les motifs de son arrêt d'annulation, les mesures à prendre par l'autorité pour remédier à l'illégalité ayant conduit à l'annulation (article 35 des lois coordonnées). (21) F. Glansdorff, « L'indemnité réparatrice : une nouvelle compétence du Conseil d'État vue par un civiliste », J.T., 2014, op. cit., p. 479. essentielle de la réforme, pour mettre fin au « parcours du combattant » imposé au requérant. Si le Conseil d'État a été longtemps victime d'un arriéré insupportable, cet arriéré semble en voie de résorption aujourd'hui, alors que l'on constate qu'une procédure judiciaire s'avère en règle générale beaucoup plus longue en cas de recours successifs (première instance, appel, voire cassation). L a lo i p r e sc r i t qu ' i l e s t st a t u é su r l a demande d'indemnité « dans les douze mois qui suivent la notification de l'arrêt ayant constaté l'illégalité ». Si ce délai est naturellement un délai d'ordre, dépourvu de toute sanction, il faut gager que le Conseil d'État souhaitera s'y tenir dans toute la mesure du possible, ceci dépendant sans doute du plus ou moins grand succès que ce nouveau contentieux sera appelé à connaître à l'avenir. En pratique, l'instance se déroulera suivant les mêmes règles de la p r o c é d u r e é c r i t e o r d i n a i r e , ave c u n mémoire en réponse établi au nom de la partie adverse, suivi d'un mémoire en réplique (ou ampliatif en cas de défaut de mémoire en réponse) au nom du requérant, un rapport établi par l'auditorat, et, enfin, les éventuels derniers mémoires des parties. Le gain de temps devrait provenir, pour l'essentiel, du fait que l'auditeur et les conseillers disposent par hypothèse déjà d'une connaissance approfondie du dossier, ainsi que de l'absence de voie de recours. En conclusion, il n'apparaît pas qu'une des deux voies soit objectivement préférable pour le justiciable. L'une et l'autre présentent des avantages et des risques distincts. Comme l'énonce F. Glansdorff, « on pressent le dilemme auquel la victime sera exposée. Elle aura, grosso modo, à choisir — et ce choix sera exclusif et irréversible — entre deux possibilités : soit, comme on le fait souvent aujourd'hui, poursuivre l'annulation devant le Conseil d'État et la réparation (intégrale) devant les tribunaux, avec les lourdeurs et les frais qu'implique cette dualité, soit n'exercer qu'un seul recours pour le tout devant le Conseil d'État et ne pas devoir prouver la faute de l'administration, mais en revanche ne bénéficier que d'un seul degré de juridiction et, surtout, n'avoir aucune certitude quant au montant de la réparation ». Au vu de tous ces éléments, le nouveau contentieux en indemnité réparatrice devrait RGAR_01_2015.fm Page 9 Wednesday, February 4, 2015 3:49 PM Pouvoirs publics — F.58 - sans doute accueillir, dans un premier temps, essentiellement des demandes pour lesquelles le préjudice ne serait pas trop important et/ou ne pourrait donner lieu qu'à une évaluation ex æquo et bono, soit des contentieux où l'aléa reste mesuré et où le requérant pourra profiter pleinement des avantages de la procédure unique en termes de gain de temps et de frais. À vérifier à l'autopsie... Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2015) 151385
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