Avocats/Gestion de cabinet

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Lexbase La lettre juridique n˚605 du 19 mars 2015
[Avocats/Gestion de cabinet] Jurisprudence
Les conditions d'ouverture du bureau secondaire de l'avocat
N° Lexbase : N6423BUG
par Yves Avril, Docteur en droit, Avocat honoraire, Ancien Bâtonnier
Réf. : Cass. civ. 1, 18 février 2015, n˚ 14-10.460, F-P+B (N° Lexbase : A0151NCL)
L'aspect intéressant de l'arrêt du 18 février 2015 est l'analyse, la première, de l'apport d'affaires. Il ne s'agit
pas d'une définition, mais d'une qualification a contrario. L'arrêt indique ce que ne peut pas être un apport
d'affaires : il ne peut porter sur les relations entre un avocat et un collaborateur, mais seulement sur celles
qui existent entre un avocat et un client. Cet arrêt présente aussi un intérêt parce qu'il n'écarte pas la
compétence du conseil de l'Ordre en matière d'appréciations juridiques et autorise celui-ci à se fonder sur
des considérations qui n'entraient pas à l'évidence dans ses pouvoirs. Il est jugé qu'au moment de statuer
"sur les conditions d'exercice dans le bureau secondaire" le conseil de l'Ordre peut se pencher sur le contrat
des personnes, généralement des avocats, dont le concours est nécessaire pour une ouverture effective.
Enfin le pourvoi et l'arrêt se fondent exclusivement sur le RIN (N° Lexbase : L4063IP8), ce qui confirme
avec la plus grande netteté que ses dispositions constituent désormais une règle de droit aussi impérative
qu'autonome.
Le domicile professionnel est, chez l'avocat, un élément important de son exercice. La tradition s'en inquiétait et l'on
a souvenir de la prohibition absolue du divan qui, pour la doctrine la plus autorisée, n'est qu'une légende folklorique
ne reposant sur aucun texte (1). Il n'en reste pas moins que l'avocat, dans l'espace, doit disposer d'un domicile
garantissant l'exercice régulier de la profession dans des conditions conformes aux principes essentiels, composés
notamment d'indépendance et de secret.
Si les règlements intérieurs comportent des exigences, l'harmonisation était nécessaire au point d'envisager le
concept de cabinet virtuel ou de domicile électronique (2). Depuis une décision normative du Conseil national des
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barreaux des 23 et 24 septembre 2011 (3), un article 15 du RIN traite tant du cabinet principal que du bureau
secondaire.
I — Les pouvoirs habituels du conseil de l'Ordre
Un point ne sera pas discutable, la compétence territoriale du conseil de l'Ordre. Si le bureau secondaire est situé
en dehors du barreau où il est inscrit "l'avocat doit [...] demander l'autorisation du conseil de l'Ordre du barreau dans
le ressort duquel il envisage d'établir un bureau secondaire" (4).
Les pouvoirs du conseil de l'Ordre sont fournis de façon lapidaire par la loi : "l'autorisation ne peut être refusée que
pour des motifs tirés des conditions d'exercice de la profession dans le bureau secondaire".
L'installation d'un bureau secondaire peut en effet se heurter à des attitudes malthusiennes du barreau d'accueil.
Ce n'est pas faire ici un procès d'intention, car la jurisprudence en porte la marque évidente. Ainsi, l'on verra un
barreau augmenter en une année de 366 % la cotisation des avocats inscrits pour un bureau secondaire, tandis
que la cotisation des avocats inscrits a augmenté de 175 %. Le conseil de l'Ordre se trouvant incapable de justifier
une telle disparité, la Cour de cassation ne peut que sanctionner de telles pratiques (5).
Dans ce contexte, le contentieux se traduit généralement par une décision de refus là où est demandée l'autorisation
de créer un bureau secondaire, portée ensuite devant la cour d'appel et souvent devant la Cour de cassation. Des
décisions traduisent un ensemble cohérent qui mérite d'être souligné.
Le conseil de l'Ordre peut se pencher sur les conditions matérielles de l'organisation et de la tenue du bureau secondaire projeté. Ainsi, l'autorisation dans des locaux partagés avec une société d'expertise comptable est donnée
lorsqu'est relevée la mise à disposition d'un bureau de 22 m² pour l'avocat et d'un petit bureau individuel pour la
secrétaire. La stabilité de l'occupation est garantie par la stipulation d'un préavis de trois mois en cas de résiliation
(6).
Par "conditions d'exercice", l'on ne se bornera pas aux conditions matérielles. Les conditions purement juridiques
peuvent aussi être retenues. Ainsi la cour d'appel, puis la Cour de cassation ont eu à juger que la seule présence
d'un avocat collaborateur suffit à autoriser l'installation (7).
Dans l'ordre juridique l'on ne saurait davantage admettre un détournement de procédure pour autoriser une installation. L'exemple en est fourni par une avocate du barreau de Marseille. Apprenant qu'une procédure disciplinaire
allait être ouverte, cette personne sollicite la création d'un bureau secondaire à Bastia, ce qui évitait au conseil de
l'Ordre de se montrer trop curieux et aurait permis d'échapper au contrôle général d'une inscription. Or, un avis de
recherche d'appartement montrait la volonté de s'installer à demeure en Corse (8).
A mi-chemin entre les considérations matérielles et les considérations juridiques figure l'examen du caractère effectif de l'installation. Un exemple récent montre le libéralisme de la Cour de cassation. On a considéré que le
caractère effectif se vérifiait quand une juriste salariée diplômée assurait quotidiennement l'accueil de la clientèle,
la gestion administrative, la préparation des dossiers et la mise en relation des clients avec le responsable du bureau
secondaire demeurant dans une autre ville (9).
On trouve autant de décisions qui rappellent que les pouvoirs du conseil de l'Ordre sont strictement encadrés.
Ils sont limités à l'appréciation "des conditions d'exercice de la profession dans le bureau secondaire". Comme le
soulignent des auteurs de référence (10) "les conseils de l'Ordre ont tendance, quand ils sont saisis d'une demande
d'autorisation d'un avocat hors de leur ressort, à aller au-delà des vérifications qui leur sont permises par la loi, d'où
un contentieux relativement fourni".
Ainsi, un avocat peut avoir une activité critiquable, relevant de la discipline, dans le barreau où il est inscrit. Il relèvera
toujours de la discipline de ce barreau.
Une décision peut être citée, pour montrer qu'aujourd'hui l'on devrait statuer à l'inverse. L'appréciation s'est faite
avant la mise en œuvre de la loi du 19 décembre 1989 qui exprime le droit applicable actuellement. En substance,
pour refuser la création d'un bureau secondaire, le conseil de l'Ordre avait estimé qu'il fallait préalablement que
l'avocat fasse cesser les irrégularités de comptabilité relevées au cabinet principal. Il était jugé que : "la bonne
gestion du cabinet principal est effectivement la condition nécessaire à l'ouverture d'un cabinet secondaire" (11).
Désormais d'éventuels manquements ne pourront être opposés pour justifier un refus d'ouverture. Cette situation
s'est rencontrée pour le demandeur qui a diffusé des tracts constituant une offre de services et un démarchage
prohibé en vue de se constituer une clientèle dans le futur bureau secondaire. Ce manquement n'entre pas dans
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les critères légaux et ne peut justifier un refus d'autorisation (12).
Le conseil de l'Ordre n'a pas davantage à refuser l'ouverture quand il lui apparaît que le bureau n'aura pas une
rentabilité économique suffisante (13). La Cour de cassation approuve la cour d'appel qui réforme la décision du
conseil de l'Ordre : "en portant une appréciation sur la rentabilité du bureau par référence à son implantation géographique, sans formuler contre monsieur X [...] un quelconque reproche mettant en cause sa capacité à gérer un
bureau secondaire, d'y accueillir une clientèle en lui offrant des services qu'elle est en droit d'attendre en fonction
des usages de la profession et d'y exercer son activité dans de bonnes conditions, le conseil de l'Ordre avait excédé
les pouvoirs qu'il tenait de l'article 8-1 de la loi n˚ 71 -1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ)".
L'autorisation "ne peut être retirée que pour les mêmes motifs" écrit aussi la loi du 31 décembre 1971. Par parallélisme, l'on trouve donc une jurisprudence similaire, formant avec la première un corpus cohérent et constant. A titre
d'exemple, l'on peut citer une décision relative au non-paiement de cotisations dans le barreau d'accueil. Ce motif
échappe aux critères légaux et ne peut justifier le retrait de la décision d'ouverture (14).
II — L'application des principes
La concision du pourvoi méritait que l'on examinât l'arrêt d'appel pour bien apprécier les faits, que la Cour de
cassation, juge du droit, n'abordait que de façon succincte. Bien que rendu en audience non publique, il a été
possible d'en examiner le contenu.
Celui-ci permet de formuler des observations sur la procédure. En premier lieu, devant la cour d'appel, la SELARL
d'avocats soulevait la nullité de la décision du conseil de l'Ordre pour vice de procédure. L'appelante visait l'article
103 du décret du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID), selon lequel "aucun refus d'inscription ou de réinscription ne peut être prononcé par le conseil de l'Ordre sans que l'intéressé ait été entendu ou appelé dans un délai
d'au moins huit jours par lettre recommandée avec demande d'avis de réception". L'objection vient immédiatement
à l'esprit : il ne s'agit pas d'inscription au barreau, mais d'autorisation d'ouverture d'un bureau secondaire. Toutefois, la réponse est claire : l'article 166 du décret du 27 novembre 1991 renvoie à l'article 103 du même décret : la
convocation de l'intéressé, pour reprendre les termes des textes, s'impose avec un préavis de huit jours.
La société d'avocats soulevait expressément ce moyen, repris dans l'exposé des faits et de la procédure. La solution
ne pouvait faire de doute. La cour d'appel a annulé la décision du conseil de l'Ordre. Lorsqu'elle a évoqué le litige au
fond a-t-elle utilisé son droit discrétionnaire d'évocation ? Au vrai, elle n'a fait que statuer suivant le principe de l'effet
dévolutif. La cour était obligée de statuer sur le fond, car le litige avait déjà été soumis à la juridiction de première
instance (15).
Sur le fond la cour d'appel a procédé à l'examen classique des conditions matérielles d'occupation. Elle se réfère
au bail montrant que la société d'avocats sous-loue la moitié d'un local comprenant cinq pièces et un bloc sanitaire.
La surface étant sensiblement de 70 m², on peut en conclure qu'elle disposait de 35 m². Dans son appréciation
des faits la cour examine la disposition des lieux et le bail. On peut penser qu'un plan lui a été présenté. Les juges
estiment que le fonctionnement normal du bureau ne posera pas de difficulté. Répondant à une critique du conseil
de l'Ordre, les juges estiment aussi que rien n'entravera pour la collaboratrice la possibilité d'exercer son activité
libérale et de pouvoir ainsi développer sa clientèle personnelle.
En définitive, restait à analyser le seul moyen du pourvoi. Devant la Cour de cassation le barreau de Papeete avait
renoncé à évoquer les aspects matériels ou juridiques de l'occupation des locaux. Ce moyen est à rapprocher d'une
seconde instance où il figurait aussi comme moyen unique. On trouvera donc à la même date un arrêt statuant sur
l'inscription de la collaboratrice au barreau de Papeete (16) dans des termes rigoureusement identiques.
Au vrai, cette seule contestation ne permettait pas à la cour d'appel ou à la Cour de cassation d'échapper, pour une
simple question de compétence limitée, à l'examen au fond des motifs du conseil de l'Ordre.
Il faut admettre que le contrat de collaboration contenait une clause inhabituelle. La rémunération prévoyait une partie fixe et une partie variable. Celle-ci est habituellement calculée sur le chiffre d'affaires que l'activité personnelle du
collaborateur a permis de réaliser. Ici, figure une clause singulière : la collaboratrice doit recevoir une rémunération
de 20 % des honoraires encaissés sur la clientèle qu'elle apporterait. On peut comprendre l'intérêt de cette clause :
la collaboratrice est née à Papeete et y a passé sa licence en droit. On peut penser que son implantation locale
est un élément intéressant lorsque que l'on met en perspective la situation du cabinet principal à Paris, c'est-à-dire
à plus de 15 000 kms de distance. En revanche, cette clause pourrait entrainer des difficultés car le propre du
collaborateur libéral est d'avoir sa clientèle personnelle et l'espoir raisonnable de la développer. Si des affaires lui
viennent, on peut penser qu'il aura à cœur de les traiter lui-même et non de les "apporter". Il n'est pas le lieu ici
d'anticiper davantage sur l'exécution du contrat.
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Le pourvoi se fondait exclusivement sur la prohibition du pacte de quota litis figurant à l'article 11-3 du RIN et à
l'interdiction d'accepter une rémunération pour apport d'affaires énoncée à l'article 12. L'arrêt de la Cour de cassation
vise aussi l'article 11 du décret n˚ 2005-790 du 12 juillet 2005, sur la déontologie de l'avocat (N° Lexbase : L6025IGA)
comme appuyant le pourvoi, mais il faut rectifier cette erreur de plume des hauts magistrats. Le texte applicable est
l'article 10 stipulant in fine que "la rémunération d'apports d'affaires est interdite". Cette erreur sera au reste sans
conséquence, la Cour de cassation ne se fondant que sur les dispositions du RIN pour écarter le pourvoi.
Le pacte de quota litis fait toujours partie des prohibitions déontologiques de principe. On fait remonter cette interdiction aux lois romaines (17) et la doctrine soulignait il n'y a pas si longtemps la sévérité des conseils de l'Ordre
et des tribunaux, enclins à prononcer les peines disciplinaires les plus graves (18). Aujourd'hui, la prohibition reste
de principe, quoique l'honoraire de résultat ait été admis (19). Toutefois, il ne faut pas voir de pacte de quota litis
dans les rapports de l'avocat qui se fait rémunérer par son client. La Cour de cassation ne l'envisage pas, le pourvoi
étant plus limité.
En revanche, la Haute juridiction se penche sur la rémunération d'apports d'affaires. Il est difficile de définir l'apport
d'affaires. La doctrine est presque muette sur le sujet et les banques de données ne renseignent que les deux
arrêts du 18 février 2005 évoqués ici. La seule approche envisageant la question est celle d'Ader et Damien (20).
Il est naturel, exposent-ils, que l'avocat fasse profiter ses clients de relations extra-professionnelles dont il pourrait
disposer. Toutefois, s'il adresse un client à un tiers "ses relations professionnelles, même parfaitement licites, ne
sauraient justifier une rémunération en dehors du service rendu qui consiste à préparer juridiquement et techniquement un dossier". Pour la cour d'appel de Papeete, l'apport d'affaires existe dans la rémunération par un cabinet
d'avocats d'un de ses clients pour lui avoir apporté d'autres clients. A notre sens, une troisième catégorie concernerait l'avocat qui se ferait rétribuer par un tiers, par exemple un notaire, un expert-comptable, un huissier de justice,
un commissaire-priseur, auquel il apporterait des clients. Quoiqu'il en soit la rémunération véritable d'un avocat collaborateur entre dans les prévisions d'un contrat de mieux en mieux réglementé par des dispositions d'ordre public.
Il est du reste à noter que le contrôle devait se faire ici à Papeete, dans la mesure où il se fait auprès du barreau
auprès duquel le collaborateur est inscrit (21).
(1) Ader et Damien, Les règles de la profession d'avocat, Dalloz 2013-2014, n˚ 13.71.
(2) Avocat, Le Guide, Lamy 2014 n˚ 167.
(3) JO du 29 octobre 2011.
(4) Loi du 31 décembre 1971, art. 8.1.
(5) Cass. civ. 1, 14 mars 2000, n˚ 97-22.506 (N° Lexbase : A0359CTH).
(6) Cass. civ. 1, 27 février 1996, n˚ 94-10.821 (N° Lexbase : A9751C3K), JCP éd. G, 1997, I, 3993.
(7) CA Riom, 19 mars 2012, n˚ 11/00 292 (N° Lexbase : A5397IGY).
(8) Cass. civ. 1, 26 mai 1994, n˚ 92-17.522 (N° Lexbase : A3916ACZ), Bull. civ. I, n˚ 186.
(9) Cass. civ. 1, 31 octobre 2012, n˚ 11-28.482, F-P+B+I (N° Lexbase : A3379IW3), Bull. civ. I, n˚ 121, Dalloz Avocats,
janvier 2013, n˚ 1, p. 28, note Dargent.
(10) Ader et Damien, op. cit., n˚ 54.13.
(11) Cass. civ. 1, 31 octobre 2012, n˚ 11-28.482, F-P+B+I, D., 1987, I.R., 51.
(12) Cass. civ. 1, 26 novembre 1996, n˚ 94-20.209 (N° Lexbase : A8338C39).
(13) Cass. civ. 1, 16 mai 1995, n˚ 93-15.271 (N° Lexbase : A7799ABH), Bull. civ. I, n˚ 210, D., 1995, IR 49, JCP éd.
G, 1995, IV, 1656, Gaz. Pal., 1996, Pan, 3.
(14) Cass. civ. 1, 23 mars 2004, n˚ 02-13.283, Bull. civ. I, n˚ 93, D., 2004, IR, 1066, JCP, 2005, I, 1120, obs Martin.
(15) S. Guinchard, Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz Action 2014-2015, n˚ 543.32.
(16) Cass. civ. 1, 18 février 2015, n˚ 14-10.461, F-D (N° Lexbase : A0176NCI).
(17) Loi Cincia, de donis et muneribus, citée par Th. Grellet-Dumazeau in Le barreau Romain, Paris, 1851, p. 118.
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(18) Lemaire, Les règles de la profession d'avocat et les usages du barreau de Paris, LGDJ 1975, n˚ 471.
(19) Loi du 31 décembre 1971, article 10 ; RIN, art. 11.3 et 21.33 ; Cass. civ. 2, 21 janvier 2010, n˚ 06-18.697, F-P+B
(N° Lexbase : A4577EQL).
(20) Op. cit., n˚ 46.11.
(21) Décret du 27 novembre 1991, art. 133.
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