revue Lexbase Hebdo édition publique n˚369 du 9 avril 2015

Revues
Lexbase Hebdo édition publique n˚369 du 9 avril 2015
[Urbanisme] Jurisprudence
La fraude dans le cadre de la délivrance d'un permis de
construire
N° Lexbase : N6791BU3
par Mathilde Le Guen, Avocat associée, cabinet Olive-Azincourt-Le
Guen
Réf. : CE 9˚ et 10˚ s-s-r., 18 mars 2015, n˚ 367 491, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8275NDT)
Par une décision en date du 18 mars 2015, le Conseil d'Etat a été amené à se prononcer sur le caractère
frauduleux ou non de la délivrance d'une autorisation d'urbanisme et des conséquences qui en découlent.
En l'espèce, la construction envisagée nécessitant un avis conforme de l'architecte des bâtiments de France
(ABF), la requérante soutenait que le permis avait été obtenu par fraude. Le tribunal administratif avait, pour
sa part, relevé qu'il existait une anomalie de dates qui avait entraîné un avis favorable tacite de la part de
l'ABF alors que celui-ci n'avait, en réalité, jamais été saisi. La juridiction avait ainsi reconnu la fraude et
déclaré que l'autorisation litigieuse avait le caractère d'acte juridique inexistant. La cour administrative
d'appel, quant à elle, avait estimé que cette anomalie de dates ne pouvait être regardée comme révélatrice
d'une manœuvre frauduleuse de la part du service instructeur (1). Ainsi, cette grave illégalité n'était "pas
de nature à faire regarder l'acte qu'elle entache comme juridiquement inexistant". Le Conseil d'Etat valide ce
raisonnement.
En l'occurrence, par un arrêté en date du 18 janvier 2008, le maire d'une commune des Bouches-du-Rhône avait
délivré à une personnalité connue du monde de la télévision un permis de construire une maison d'habitation et
une piscine.
L'association "Ligue de défense des Alpilles" avait alors saisi le tribunal administratif de Marseille le 30 septembre
2009, soutenant que le permis avait été obtenu par fraude et sollicitant ainsi l'annulation de la décision du 31 juillet
2009, par laquelle le maire de la commune avait refusé d'interrompre l'exécution des travaux litigieux.
p. 1
Lexbook généré le 9 avril 2015.
Lexbook - Revues
En effet, l'autorisation litigieuse avait été délivrée sous l'empire des anciennes dispositions de l'article R. 421-38-4
du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L8448ICU), qui prévoyaient, notamment, qu'en cas de nécessité d'obtenir un
avis conforme de l'ABF avant la délivrance du permis de construire, l'accord était réputé favorable "faute de réponse
dans le délai d'un mois suivant la transmission de la demande de permis de construire par l'autorité chargée de son
instruction".
En l'espèce, le terrain d'assiette du projet était situé dans le champ de visibilité d'un édifice inscrit à l'inventaire des
monuments historiques et donc soumis à un avis conforme de l'ABF.
Or, il était reproché à la commune d'avoir simulé un avis réputé favorable du fait de l'anomalie de dates dans le
dossier de permis de construire.
En effet, devant le tribunal administratif, la commune avait produit une demande d'avis adressée à l'ABF et datée
du 10 juillet 2007. Ce courrier signé du service instructeur de l'équipement précisait que cette demande avait été
complétée le 12 octobre suivant, soit à une date postérieure.
Par ailleurs, par une lettre du 5 mars 2009 adressée à l'association requérante, l'ABF indiquait qu'il n'avait jamais
été saisi de cette demande et qu'il était, pour sa part, attaché à la préservation du site d'implantation du projet.
Le tribunal administratif de Marseille avait donc considéré que "l'accord de l'architecte des bâtiments de France,
préalable nécessaire à l'obtention du permis de construire accordé par arrêté en date du 18 janvier 2008, a été
simulé".
De ce constat, il avait déclaré l'arrêté querellé comme "nul et non avenu".
Saisie en appel, la cour administrative d'appel de Marseille avait, quant à elle, estimé que cette grave illégalité
n'est "pas de nature à faire regarder l'acte qu'elle entache comme juridiquement inexistant", dans la mesure où "la
discordance existant entre la date de la lettre de saisine et la mention de la date de dépôt des pièces complémentaires de la demande de permis ne peut être regardée comme révélatrice d'une manœuvre frauduleuse du service
instructeur qui aurait réalisé une fausse lettre de saisine de l'architecte des Bâtiments de France pour justifier un
prétendu avis réputé favorable de ce dernier".
Les juges du Palais Royal, saisis de ce litige, valident l'analyse de la cour administrative d'appel et rappellent, s'agissant de l'irrégularité relevée, que la notion de fraude dans le cadre de la délivrance des autorisations d'urbanisme
et donc celle d'acte inexistant, s'apprécient très strictement.
I — La notion et les conditions constitutives de la fraude en matière d'autorisation d'urbanisme
La fraude en matière d'autorisation d'urbanisme, si elle n'est pas une notion inconnue, reste très rarement retenue
et strictement encadrée.
A ce sujet, l'appréciation portée par les juges du fond sur l'existence d'une manœuvre frauduleuse relève de leur
pouvoir souverain. Elle n'est donc pas susceptible d'être discutée devant le juge de cassation (2).
Lorsqu'elle est caractérisée, la fraude fait obstacle à l'obtention d'une autorisation définitive, d'une part, et a pour
conséquence de ne créer aucun droit à l'égard de son bénéficiaire, d'autre part (3).
Ainsi, le retrait d'un permis obtenu par fraude peut se faire à tout moment (4).
En la matière, le juge s'efforce de faire la distinction entre la notion de fraude et la simple erreur, ou omission.
Dans le cas d'espèce, le Conseil d'Etat rappelle que la fraude s'apprécie au regard de deux éléments : un élément
matériel et un élément intentionnel.
L'élément matériel consiste, par exemple, en le constat de mentions erronées sur la qualité de propriétaire, d'erreurs
importantes sur la superficie du terrain ou l'indication fausse de cotes de terrain naturel (5).
Dans l'arrêt rapporté, l'élément matériel était établi puisqu'il n'était pas clairement contesté que l'ABF n'avait pas
été saisi pour avis en méconnaissance des dispositions de l'ancien article R. 421-38-4 du code précité.
L'irrégularité était donc constituée.
Quant à l'élément intentionnel, traditionnellement sa recherche consiste à s'interroger sur le point de savoir si le
p. 2
Lexbook généré le 9 avril 2015.
Lexbook - Revues
demandeur s'est livré ou non à des manœuvres de nature à induire l'administration en erreur (6).
Nous n'avons pas à notre connaissance de décision qui statue, en l'espèce, sur la fraude de l'administration, c'està-dire dans l'hypothèse où celle-ci aurait accordé, seule et sciemment, une autorisation illégale sans la complicité
du pétitionnaire.
A noter cependant une jurisprudence du Conseil d'Etat qui concerne une fraude conjointe du pétitionnaire et de la
commune en date du 21 mars 2007 (7).
Concernant le permis du célèbre animateur, s'agissant ici d'une faute qui aurait été commise par le service instructeur lui-même, le Conseil d'Etat rappelle que la cour administrative d'appel s'est prononcée au regard d'un faisceau
d'indices et notamment "sur l'absence, à son dossier, d'élément de nature à établir l'existence d'un faux ou d'une
intention frauduleuse de la part de l'administration ou du pétitionnaire, ainsi que sur l'absence de tout autre élément
permettant d'affirmer que l'administration aurait intentionnellement antidaté la lettre de saisine de l'architecte des
bâtiments de France".
En effet, à la suite d'un dépôt de plainte par l'association requérante pour faux et usage de faux, l'ABF avait eu
l'occasion d'indiquer que s'il avait été saisi régulièrement, celui-ci aurait, de toutes les manières, rendu un avis
favorable au projet.
Il devenait donc difficile d'établir que le service instructeur s'était volontairement soustrait à l'obligation de saisir
l'ABF et aurait ainsi "simulé", pour reprendre les termes du tribunal administratif, un avis favorable tacite.
L'élément intentionnel n'étant pas constitué, le Conseil d'Etat a donc justement relevé que la cour administrative
d'appel s'était livré appréciation souveraine exempte de dénaturation.
II — L'absence de déclaration d'inexistence en l'absence de fraude
La sanction de l'inexistence est très rare devant la juridiction administrative.
En l'occurrence, selon le Conseil d'Etat, "un acte administratif ne peut être regardé comme inexistant que s'il est
entaché d'un vice d'une gravité telle qu'il affecte non seulement sa légalité mais son existence même".
Le recours en déclaration d'inexistence tend ainsi à faire juger qu'en raison de la gravité des irrégularités entachant
la décision attaquée, celle-ci n'a aucune existence juridique.
Le recours tendant à constater l'inexistence doit se traduire par une véritable usurpation d'identité ou de fonction
(8), étrangère à toute compétence ou actes qui n'ont jamais été édictés. L'irrégularité peut également résulter du
contenu même de l'acte en cause (9).
En l'espèce, le tribunal administratif de Marseille avait jugé en première instance qu'à partir du moment où la fraude
était caractérisée, la sanction qui s'imposait était de regarder l'arrêté litigieux comme un acte "nul et non avenu".
La cour administrative d'appel censure ce raisonnement en estimant pour sa part que les éléments matériels et
intentionnels de la fraude n'étant pas réunis, l'irrégularité "pour grave qu'elle soi" n'avait pas pour conséquence la
déclaration d'inexistence mais bien l'annulation pure et simple.
En effet, l'acte ne peut être considéré comme inexistant alors que l'irrégularité en question pourrait très bien être
régularisée par le biais d'un permis modificatif (10).
Par conséquent, il est également jugé ici que c'est à tort que les premiers juges ont annulé le refus du maire
d'ordonner l'interruption des travaux au motif que le permis était nul et non avenu.
L'article L. 424-5 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L9322IZB) qui dispose, notamment, que "dans le cas
de constructions sans permis de construire ou d'aménagement sans permis d'aménager, ou de constructions ou
d'aménagement poursuivis malgré une décision de la juridiction administrative suspendant le permis de construire
ou le permis d'aménager, le maire prescrira par arrêté l'interruption des travaux" n'avait donc pas lieu à s'appliquer.
Le permis sollicité est donc définitivement validé.
(1) CAA Marseille, 1ère ch., 15 novembre 2012, n˚ 11MA00 767 (N° Lexbase : A6150IYG).
(2) CE 7˚ et 10˚ s-s-r., 10 juillet 1996, n˚ 132 921, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0167APU), p. 288 ; CE
Lexbook - Revues
Lexbook généré le 9 avril 2015.
p. 3
1˚ et 4˚ s-s-r., 24 mars 1999, n˚ 182 625, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5097AX3), p. 90.
(3) CAA Marseille, 1ère ch., 1er juillet 1999, n˚ 97MA05 351, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase :
A2034BMB) ; CAA Versailles, 2ème ch., 2 octobre 2014, n˚ 13VE00 867, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase :
A6887MYQ).
(4) CAA Nantes, 2e ch., 15 octobre 1997, n˚ 95NT00 699, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2950BHQ) ; CE
8˚ s-s., 19 mars 2007, n˚ 286 418, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7317DUK).
(5) CE 1˚ et 4˚ s-s-r., 24 avril 1992, n˚ 94 513, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6574ARW). Voir également
en ce sens CE 1˚ et 6˚ s-s-r.., 6 décembre 2013, n˚ 354 703, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase :
A2034BMB).
(6) CE 3˚ et 8˚ s-s-r., 21 mars 2007, n˚ 278 559, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7288DUH).
(7) CE 3˚ et 5˚ s-s-r., 8 décembre 1982, n˚ 33 596, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7288DUH).
(8) CE 3˚ et 5˚ s-s-r., 10 novembre 1999, n˚ 126 382, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7288DUH), p. 940.
(9) CE 1˚ et 6˚ s-s-r., 2 février 2004, n˚ 238 315, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2547DBX).
p. 4
Lexbook généré le 9 avril 2015.
Lexbook - Revues