Classe de 1ère S3 SEQUENCE 3 : LA3, « Le souffle épique », La mort du roi Tsongor, Laurent Gaudé Introduction : - auteur + contexte : Laurent Gaudé, romancier et dramaturge contemporain né en 1972. Après des études de Lettres et deux mémoires sur thème du conflit dans la dramaturgie moderne, il se lance dans l’écriture. Il obtient le Prix Goncourt pour Le Soleil des Scorta en 2004. Deux ans avant, son roman La mort du roi Tsongor était déjà cité pour ce même prix ; il obtint finalement le Goncourt des lycéens (2002). - situation de l’extrait : extrait du chapitre IV (« Le siège de Massaba) : après la mort du roi Tsongor, ses fils jumeaux se déchirent. L’aîné, Sako, décide rallier Kouame avec un autre de ses frères, Liboko. Le second jumeau, Danga, rejoint Sango Kerim avec sa sœur Samilia. Dès lors, les deux camps se livrent une guerre sans merci. - annonce de la problématique : plongé au cœur de la bataille, l’on peut se demander en quoi ce passage mêle tour à tour le registre épique et le registre tragique ? (Autre problématique possible, proposée par les élèves : comment le narrateur montre-t-il à la fois la cruauté et l’humanité de ses personnages ?) - annonce du plan : nous étudierons tout d’abord le caractère épique et cruel de la bataille pour aborder ensuite le personnage tragique de Liboko. I) Une bataille épique et cruelle … 1) Les codes de l’épopée Laurent Gaudé adopte les caractéristiques propres à l’épopée antique : - deux camps s’affrontent : la troupe des cendrés, emmenée par Sango Kerim, face à la garde spéciale du roi Tsongor, dirigée par Liboko - le champ lexical de la bataille est omniprésent notamment par le biais des sensations auditives -> le bruit règne « les cris » l.1, les hurlements » l.2, « les appels à l’aide » l.3, « les insultes » l.3, « le cliquetis des armes » l.4; des bruits qui contrastent avec « le doux murmure des fontaines [qui bruissait] » l.22-23 en temps de paix - le combat prend une dimension collective : « la bataille faisait rage autour de lui » l.49-50, « une fureur profonde souleva les hommes » l.51, « ils poussèrent de toute leur force les cendrés » l.51-52 -> le lecteur reconnaît là des procédés d’amplification propre au registre épique (le corps de Liboko git seul au milieu de tous) - la prise de la porte de la Chouette par les cendrés (l.1) est symbolique du reste de la ville : si elle cède, tout le système de défense risque de s’effondrer - l’arrivée des cendrés crée une vague de « panique » l.13, retranscrite par l’utilisation de phrases constituées uniquement de subordonnées complétives: « Que les cendrés avançaient. Qu’ils tuaient tout sur leur passage. » l.14-15 Transition : à l’image de la ligne 7 : « les cendrés se ruèrent sur la porte », le texte dans son entier présente au lecteur des personnages cruels, voire monstrueux. 2) Des combattants cruels Les guerriers sont comparés à des monstres sanguinaires, ce qui nourrit le registre épique. Les combattants semblent n’éprouver aucune crainte de la mort et sont animés d’une « fureur » (l.29 et 51) jamais assouvie ; les comparaisons sont nombreuses pour les caractériser - les cendrés sont tour à tour comparés à des « ogres » l.8 et à des « géants » l.11 - Liboko est quant à lui comparé à un « démon » l.23-24 dont les pouvoirs seraient surhumains. Il tue sans pitié (« la rage illuminait son visage » l.18-19) et ses victimes sont mutilées ou démembrées : « il perça des ventres, sectionna des membres. Il transperça des torses et défigura des hommes » l.24 à 26. Rien ni personne ne semble résister à ses assauts, en témoignent les nombreux verbes d’action (« il se battait, il frappait … » l.26 et 28) - à la ligne 38, c’est Orios qui entre en scène ; dénué de toute humanité, il apparaît même animalisé aux l.42-43 « Un puissant grognement de satisfaction sortit de la poitrine d’Orios » ; Il tue Liboko avec sauvagerie (« de tout le poids de sa masse » l.40-41) et sans hésitation (« Il n’hésita pas » l.40). C’est un valeureux guerrier ; l’étude de son nom est éclairante sur le personnage : Orion est un chasseur géant de la mythologie grecque, réputé pour sa beauté et sa violence. - la mort de Liboko est cruelle : la métaphore hyperbolique « Son visage était un cratère de chair » l.46-47 montre toute la violence du coup porté par son meurtrier. Par ailleurs, on peut relever le champ lexical de la mort qui jalonne le passage : « Des cadavres cloqués gisaient au pied des murailles » l.5-6, «écrasèrent les gardes » l.10, « ils tuaient tout sur leur passage » l.15, « Eventrant les lignes ennemies » l.28-29, « les ennemis tombaient à la renverse » l.2930. Les sonorités dures en [K] (« écrasa le visage de Liboko. Son corps … la vie, déjà, l’avait quitté.» l.41-42] et en [R] (« A sa merci. … fendre le crâne … » l.32) accentuent la brutalité de la scène. Transition : au cœur de ce combat, l’action semble se suspendre de manière inattendue, et Liboko le guerrier montre un tout autre visage, plus humain, devant celui qui fut son ami d’enfance. II) … dans laquelle se distingue un personnage tragique et empreint d’humanité 1) Liboko, victime et coupable à la fois - l’adverbe « Soudain » l.31 et l’utilisation du passé simple (« il suspendit son bras ») après plusieurs imparfaits montrent une rupture avec la description de la bataille ; de plus, on note une rupture dans le rythme : lignes 31 à 35, on peut relever une succession/accumulation de phrases brèves dont le rythme est parfois identique (« Il resta ainsi. Le bras suspendu. Un temps infini.» 5 syllabes pour chaque phrase -> solennité du moment) -> on notera, par cette gestuelle notamment, la théâtralisation du passage qui renvoie aux tragédies classiques - Liboko est un personnage tragique à double titre : d’une part parce que qu’il n’échappe pas à la mort, destinée de tout homme ; ensuite parce qu’il est à la fois victime et coupable. Victime d’Orios mais coupable d’avoir pris part à l’affrontement général. Transition : à ce stade, le lecteur peut se demander si Liboko porte toujours les valeurs héroïques qui faisaient de lui un surhomme ou s’il ne montre pas plutôt un visage plus humain. 2) L’humanité de Liboko et de son ami - devant Sango Kerim, son ami d’enfance, le bras meurtrier de Liboko semble se figer : l.33 « Le bras suspendu. » Le jeu des regards est important, les verbes de perception visuelle sont multiples : « Il avait reconnu son ennemi … l.34 … Leurs yeux se croisèrent. L. 35 … Liboko regardait le visage de cet homme … l.35-36 ». L’humanité semble réinvestir Liboko : « Il sourit doucement. » l.37-38. Le voyant renoncer à tuer Sango Kerim et donc à défendre son camp contre l’ennemi, le lecteur peut penser durant un bref instant que la paix est possible - cependant, la tendresse de Liboko cause sa perte : Orios le tue sans pitié … mais sa mort est atténuée aussitôt par l’euphémisme « La vie, déjà, l’avait quitté. » l.42 - C’est alors au tour de Sango Kerim de faire preuve d’humanité : -> sa posture et sa gestuelle trahissent sa fragilité l.43 à 46: « Sango Kerim, abattu, s’effondra à genoux. » … -> le registre pathétique traduit toute sa peine : il « cherchait le regard qu’il avait croisé quelques secondes auparavant », l.47-48 ; « Il pleurait sur Liboko » l.49 Liboko et Sango Kerim, les deux féroces guerriers du début, semblent s’être métamorphosés en êtres humains. Conclusion : - réponse à la problématique : dans ce passage, Laurent Gaudé s’est inspiré des scènes de bataille des récits antiques. Le lecteur assiste à l’engagement guerrier dans toute sa violence et partage les souffrances physiques et morales des combattants. L’un d’eux pourtant parvient à préserver son humanité en ne tuant pas un adversaire qui était pourtant « à sa merci » l.32 - ouverture : cette épopée moderne rappelle celle d’Homère dans son Iliade, avec le célèbre duel qui a opposé Achille à Hector. De même, le siège de Massaba n’est pas sans évoquer celui de la ville de Troie ; enfin, le thème du rite funéraire est également repris lignes 52 à la fin, lorsque la garde royale veut récupérer le corps de Liboko afin de lui rendre les honneurs funèbres, tout comme les proches d’Hector réclameront son corps. Outre les auteurs contemporains comme Gaudé, cette épopée antique a également inspiré le cinéma : en 2004, Wolfgang Petersen réalise « Troie », avec Brad Pitt dans le rôle du vaillant et héroïque Achille.
© Copyright 2024