PORTER LE CHARISME LASALLIEN AU XXIe SIÈCLE

Intervention de
Frère Jean-Louis Schneider :
PORTER LE CHARISME LASALLIEN
AU XXIe SIÈCLE
Journée pédagogique de mercredi 2 juillet 2014
Charisme ?
Comme semble le dire l’étymologie grecque du terme, le « charisme » est une grâce que nous
recevons pour réaliser adéquatement une fonction concrète. Le mot « charisme » n’appartient pas au
vocabulaire de Jean-Baptiste de La Salle, ni au vocabulaire de l’Institut des Frères jusqu’à une période
assez récente. Dans le langage courant, ce mot est aussi peu employé : on dira de quelqu’un qu’il (ou elle)
a du « charisme », c’est-à-dire une certaine aura qu’on ne peut expliquer rationnellement. On dira aussi
d’un chef (souvent militaire) qu’il est charismatique parce qu’il sait entrainer ses hommes, se les
attacher par la seule force de sa personnalité. En fait le mot « charisme » appartient au langage
religieux, à partir de saint Paul, dans la 1ère Épitre aux Corinthiens au chapitre 12, qui parle des
charismes ou des dons spirituels distribués parmi les chrétiens. Tous ces dons étant au service du
corps entier. Ce mot est surtout utilisé au cours de la seconde moitié du XX e siècle, en particulier
lorsqu’on parle des dons ou des services qui ne sont pas ordonnés ou institués.
On parle parfois du « charisme du Fondateur » en l’assimilant au « charisme lasallien ». Si évidemment
l’un ne va pas sans l’autre, il y a néanmoins des différences. Le « charisme du Fondateur », celui qui est
propre à Jean-Baptiste de La Salle, est d’avoir su reconnaitre à quoi Dieu l’appelait, au-delà du chemin
tout tracé de son canonicat, d’avoir répondu, de s’être engagé sur cette route, d’avoir su rassembler,
animer et accompagner, pendant quarante années, ces hommes qui sont devenus nos premiers Frères. Il
a su faire passer les premiers Maîtres de Reims à une Communauté de Frères, puis à une Société des
Écoles chrétiennes constituée d’associés, et enfin à l’Institut des Frères des Écoles chrétiennes. Ce
charisme là est singulier, il disparaît avec Monsieur de La Salle, le 7 avril 1719. Après lui, il y a des
continuateurs, mais plus de « fondateur ».
On rencontre l’expression « charisme de la vie religieuse » avec Vatican II. Jusque là on parlait
d’obligations, de règles, de vœux, pour définir la vie religieuse ; on n’en parlait pas comme d’un « don de
Dieu ». Le charisme lasallien n’est pas non plus le charisme de la vie religieuse telle que la mène les
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Frères. Le charisme lasallien ne s’identifie pas aux Frères des Écoles chrétiennes, même s’il a été porté
par eux seuls pendant deux cent cinquante ans (pratiquement jusque vers 1950). Cet état de fait a pu
conduire à une certaine confusion entre « Frères » et « Lasalliens ». Il faut également noter que les
Frères, pendant tout ce temps n’ont pas cherché à formuler leur charisme, pour eux, il était de l’ordre
de l’évidence.
Charisme lasallien
Le charisme lasallien, c’est cette manière singulière de vivre l’école, la relation éducative, d’animer un
établissement scolaire, un réseau d’établissements.
Le charisme lasallien c’est la manière particulière d’être des éducateurs chrétiens et d’entrer en
relation avec les jeunes.
Il est aussi évident que le charisme lasallien plonge ses racines dans l’expérience fondatrice de JeanBaptiste de La Salle et des premiers Frères – et c’est pour cela qu’il est essentiel d’y revenir ; tout
comme dans l’expérience des Lasalliens d’aujourd’hui, Frères et Laïcs – et c’est pour cela qu’il est
essentiel d’être à leur écoute.
Enfin le charisme lasallien, comme tout charisme, n’existe pas comme un en soi, mais porté, vécu par des
personnes, elles mêmes en mesure de le transmettre, de le faire passer à d’autres. S’il n’est pas vécu,
transmis, il meurt, il devient histoire passée, pièce de musée.
Le charisme lasallien ou le charisme de la fraternité
Définir le charisme lasallien comme étant le charisme de la fraternité est évidemment une façon
moderne et donc anachronique d’en parler. Jean-Baptiste de La Salle, d’ailleurs, n’emploie ni le mot
« fraternité », ni le mot « charisme », ni bien sûr celui de « lasallien » ! Néanmoins définir le charisme
lasallien de cette manière permet de rejoindre nos mentalités contemporaines tout en exprimant
quelque chose qui existe bien, tant dans la Conduite des Écoles chrétiennes, que dans l’itinéraire de la
Communauté des Frères.
Le choix du nom de Frères pour se désigner, par les Maîtres de Reims, vers 1684, est significatif. Ces
Maîtres, sous la conduite de Monsieur de La Salle commencent à prendre un style de vie
communautaire : prières communes, repas, habit singulier, rythme de vie, etc. Ils sont là à cause du
métier qu’ils exercent : maîtres d’école pour les enfants des artisans et de pauvres de Reims.
Finalement ils choisissent aussi de changer de nom et décident de s’appeler « Frères ». Le chanoine
Blain, premier biographe de Jean-Baptiste de La Salle, fait à ce propos le commentaire suivant :
Ce nom leur apprend quelle est l’excellence de leur office, la dignité de leur état, et la sainteté
de leur profession. Il leur dit, que Frères entre eux, ils se doivent des témoignages réciproques
d’une amitié tendre, mais spirituelle, et que devant se regarder comme les Frères aînés de ceux
qui viennent recevoir leurs leçons, ils doivent exercer ce ministère de charité avec un cœur
charitable. (Blain, CL 7, p. 241).
Frère : cela désigne une manière singulière d’être en relation avec les enfants et les jeunes. Proche
d’eux, foncièrement à égalité avec eux – Jean-Baptiste de La Salle fait le lien avec le baptême reçu
tant par les enfants que par les Frères, baptême qui établit une égalité foncière avec les jeunes ; « ils
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sont aussi bien que vous, dès leur baptême, consacrés à la Très Sainte Trinité » écrit-il dans la
Méditation 46,3,1 (Pour le Dimanche de la Sainte Trinité).
Le Frère, le Lasallien, est le Frère aîné, il a un peu plus d’expérience de la vie que ses disciples, mais il
sait, parce qu’il est passé par là, les obstacles qui existent sur la route des jeunes. Il marche à leur
rythme, à leur côté, avec eux. Ses disciples ne sont pas tant à sa suite, ou derrière lui, qu’avec lui.
Cette manière de présenter le charisme lasallien peut nous paraître « sécularisée ». Mais je crois que
cela permet de rassembler largement des hommes et des femmes qui se reconnaissent au moins dans
cette façon de vivre leur métier d’enseignant et d’éducateur. J’ajoute même que ceux et celles qui
comprennent leur métier comme étant uniquement de l’enseignement, la transmission d’un savoir,
peuvent aussi s’y reconnaître : la rigueur dans les apprentissages, la soumission aux règles du réel dans
les sciences et les arts, sont des facettes importante de cette démarche de fraternité, car elles
concernent la vérité de la vie humaine.
Pour d’autres aussi ce charisme de la fraternité peut être vécu comme un ministère, au sens
ecclésial du terme. Dans l’Église nous voulons être reconnus, Frères ou Laïcs, comme « les ministres de
la fraternité », selon l’expression de Monseigneur Anselme Sanon, alors évêque de Bobo-Dioulasso, en
1988, à Toussiana.
Ainsi, parler du charisme lasallien comme d’un « charisme de la fraternité », c’est une manière de dire
le mode de relation selon lequel nous voulons vivre notre charisme : entre nous, avec les autres adultes,
avec les jeunes. L’expression « charisme de la fraternité » appartient au registre du langage
néotestamentaire : les premiers chrétiens se désignaient entre eux comme des « frères ». « Être
Frère », c’est encore notre manière d’être dans le Peuple de Dieu ; enfin, cela caractérise nos attitudes
éducatives avec les jeunes et le style de notre ministère. Cette double dimension : séculière et
ecclésiale, permet à ce charisme d’être vivant aujourd’hui et de déborder les frontières religieuses,
pour toucher un grand nombre d’éducateurs, les aidant à vivre et à donner du sens, à leur métier, à leur
vocation, à leur ministère.
Pour vivre le charisme de la Fraternité : l’Association
Cette Fraternité qui caractérise le Frère, le Lasallien, est vécue en « association ».
Le vœu de faire société pour tenir ensemble et par association les écoles gratuites au service des
pauvres, est le premier vœu qu’on fait les Frères, un vœu remis en valeur dans les années 2000 dans
l’Institut des Frères. Le vœu d’association constitue bien la pointe charismatique de la consécration
du Frère à Dieu.
Au-delà du vœu d’association, pour tout Lasallien, l’association pour tenir les écoles gratuites est le
support et le cadre où s’exerce son ministère de la fraternité. Cela veut dire dépasser le local : sa
classe, ses élèves, son école. Dépasser ne veut pas dire oublier mais aller au-delà.
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L’association, c’est l’appartenance à un réseau, à une démarche éducative.
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L’association, ce sont des possibilités d’échange, de partage, d’entraide, de respect mutuel pour
l’accomplissement de la mission d’éducation.
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L’association, c’est encore savoir prendre des responsabilités, s’engager pour faire réussir le
projet.
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
L’association, c’est prendre le temps de se retrouver avec d’autres pour partager, évaluer,
envisager l’avenir.

L’association, c’est encore prendre le temps de se remettre devant Dieu, avec les associés, avec
les frères et les sœurs qui partagent la mission, pour relire avec Lui notre ouvrage, lequel est
aussi et avant tout son ouvrage.
Charisme lasallien et Méditations pour le Temps de la Retraite
On reconnaît généralement Jean-Baptiste de La Salle comme un maître en pédagogie, au service des
enfants et des jeunes des classes populaires. Mais généralement, on ignore la puissante spiritualité de
l’éducateur qu’il nous a laissée.
La spiritualité de l’éducateur et de l’acte éducatif, est présentée dans ce que j’appelle un « texte
fondateur » : les Méditations pour le Temps de la Retraite. Ces Méditations sont « À l’usage de toutes
les personnes qui s’emploient à l’éducation de la jeunesse et particulièrement pour la Retraite que font
les Frères des Écoles chrétiennes pendant les vacances ». Elles ne sont donc pas adressées uniquement
aux Frères, et quand on regarde de près leur contenu, on s’aperçoit qu’elles ne parlent pas de questions
relatives à la vie religieuse, à l’ascèse ou aux vœux de religion ou encore à la vie communautaire, mais
celles qui touchent le ministère et la relation éducative. Le personnage principal de ces Méditations est
l’enfant, désigné le plus souvent comme « ceux que Dieu vous a donnés à instruire », ou comme étant
« vos disciples ».
C’est une indication précieuse sur les lignes de force de la pensée de Jean-Baptiste de La Salle : il ne
pense pas d’abord « vie religieuse », mais « mission », « ministère », relation éducative. Cette approche
est confirmée par le 1er chapitre de la Règle des Frères des origines (écrites par Jean-Baptiste de La
Salle et les premiers Frères). Ce chapitre intitulé : « De la fin et de la nécessité de cet Institut », ne
parle que de la mission auprès des enfants des artisans et des pauvres. La fin de cet Institut, c’est
la mission d’éduquer, parce que les familles des pauvres en ont besoin.
Les deux premières Méditations pour le Temps de la Retraite
Ces deux Méditations portent un regard de foi sur l’Histoire, et en particulier sur l’Histoire des Écoles
chrétiennes. Jean-Baptiste de La Salle y invite les Frères à regarder le monde, singulièrement celui des
enfants des artisans et des pauvres ainsi que leurs familles, avec les yeux de la foi. Dans ce monde,
Dieu appelle, provoque, agit. Monsieur de La Salle place l’Histoire des Écoles chrétiennes, cette
Histoire de Salut singulière, dans le dessein de Dieu, en commençant par la Création : « Dieu est si bon
qu’ayant créé l’homme, il veut… ».
Les Méditations 193 & 194 constituent le porche d’entrée des Méditations pour la Retraite. La
Méditation 193 annonce toute la suite : le dessein de Dieu, qui se déploie dans les Méditations 193 à
198 ; la Nouvelle Alliance vécue dans l’Église, avec les Méditations 199 à 202 ; un exemple des moyens
de salut avec la correction dans les Méditations 203 et 204 ; et la réalisation de ce salut avec les
Méditations 205 à 208. Cette Méditation 193 a donc un aspect programmatique indiscutable.
La Méditation 193 inaugure cette lecture dans la foi du dessein de Dieu, de l’Histoire du Salut, en
l’appliquant à la vie des familles des artisans et des pauvres, là où le salut de Dieu ne peut advenir car la
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pression pour subsister physiquement est si forte qu’elle conduit ces familles à tout investir dans leur
survie matérielle et à négliger l’instruction de leurs enfants.
Un regard de foi
Il n’y a pas de charisme lasallien, il n’y a pas non plus de spiritualité lasallienne sans cette
relecture dans la foi de l’ouvrage de Dieu, de l’histoire de Dieu avec les hommes, et plus
précisément encore, sans compréhension de notre place et de notre rôle, comme individu et comme
Communauté, dans l’Histoire du Salut. Pour Jean-Baptiste de La Salle, l’Histoire a un sens : elle conduit
chez Dieu. Pour lui, l’Histoire des Écoles chrétiennes est un chapitre de l’Histoire du Salut, Histoire
dans laquelle Dieu nous a appelés et nous appelle toujours à être acteurs.
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Regard de foi sur les réalités vécues par les familles et les pauvres,
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Regard de foi sur les jeunes, leurs limites certes, mais aussi leurs aspirations, leur vocation, leurs
capacités à devenir de « véritables chrétiens ». « Pour peu d’esprit qu’il ait, sachant lire et
écrire, il est capable de tout » nous rappelle la Conduite des Écoles chrétiennes, en parlant de
l’avenir des jeunes,
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Regard de foi sur la compréhension de notre ministère, sur nos attitudes éducatives, sur nos
relations,
-
Regard de foi sur la destinée humaine, celle des jeunes et la nôtre.
Ainsi, une première caractéristique du charisme lasallien est le regard de foi porté sur l’Histoire.
Pour Jean-Baptiste de La Salle en effet, l’Histoire est le lieu où s’accomplit le dessein de Dieu, ce qui la
fait devenir ‘Histoire du Salut’. L’Histoire a un sens : elle conduit chez Dieu, parce que Dieu est présent
à l’Histoire des hommes, Dieu est présent à l’Histoire des Écoles chrétiennes.
D’après les Méditations pour le Temps de la Retraite : les dons que Dieu nous fait
Dans le premier point de la Méditation 201, Jean-Baptiste de La Salle présente aux Frères le grand don
que Dieu nous a fait. Il est aussi question de foi : « vous ne devez pas douter » ; et du « zèle ardent
pour le Salut » des enfants. Don de Dieu, foi, zèle : c’est bien l’essentiel du charisme lasallien.
Cette Méditation 201 part de la compréhension des charismes selon saint Paul, dans la 1ère épître aux
Corinthiens. Tout d’abord - il est bon de nous en souvenir - ces dons sont « pour l’utilité de l’Église ».
Voilà une autre caractéristique du charisme lasallien.
Les caractéristiques qui suivent décrivent en fait notre ministère : « instruire les enfants, leur
annoncer l’Évangile, les élever dans l’esprit de religion, faire connaître par votre conduite ». Ainsi, le
don de Dieu est double : enseigner et témoigner. De plus c’est ce même Dieu qui nous fait le don des
enfants confiés à nos soins. Ces enfants, ces jeunes, sont constitutifs du charisme lasallien, parce
qu’ils sont eux-mêmes don de Dieu.
Jean-Baptiste de La Salle nous propose « une conduite à l’égard des enfants », permettant de mettre
en œuvre ce don de Dieu. Dans son langage, qui est traditionnel dans l’Institut des Frères des Écoles
chrétiennes, ce comportement est appelé « zèle ardent ». Un zèle caractérisé par la charité, la
sincérité, la patience, l’acceptation des peines, des mépris, voire des persécutions, pour réaliser l’œuvre
de Dieu auprès des jeunes. Jean-Baptiste de La Salle termine son propos par un appel au don de soi :
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« jusqu’à donner votre vie pour Jésus dans l’exercice de votre ministère ». L’appel à l’engagement
personnel est donc très fort dans la mise en œuvre du charisme lasallien, il réclame même « toute
l’affection de votre cœur ». Monsieur de La Salle invite encore le Frère (le Maître) à « donner des
marques sensibles qu’il aime ceux que Dieu lui a confiés » en vue de les rendre « héritiers du Royaume
de Dieu ».
Dieu est à l’origine du charisme lasallien, car c’est Lui qui appelle, choisit, envoie. Ce don est fait aux
Maîtres, aux Frères, afin qu’ils construisent le Corps du Christ, qu’ils édifient l’Église en y faisant
entrer les enfants et les jeunes.
Aujourd’hui et demain : l’avenir du charisme lasallien
À partir du milieu des années 1950 des Frères, en particulier ceux qui étudient la pensée et les écrits
de Jean-Baptiste de La Salle, recommencent à parler de charisme à propos du Fondateur. Jusqu’à cette
date sa pensée spirituelle était comme confisquée pour les Frères qui n’avaient pas vraiment accès à
ses écrits authentiques mais seulement et au mieux à des versions expurgées ou amendées par les
Supérieurs. De plus le Concile Vatican II va libérer la recherche à ce propos puisque chaque Institut
religieux est alors appelé à se pencher sur ses origines de façon à opérer une rénovation adaptée.
Le Chapitre Général des Frères de 1966-1967 se saisit de ce courant et le met à profit pour les
Frères, si bien qu’on va parler officiellement de « charisme lasallien », sans toujours préciser d’ailleurs
en quoi il consiste. La recherche sur Jean-Baptiste de La Salle avec le service des Études Lasalliennes à
Rome, le Centre International Lasallien ou les diverses Sessions Internationales d’Études Lasalliennes
contribuent à cette approche, et amplifient la compréhension du « charisme lasallien », dans les années
1980-1990. Depuis la fin des années 90, certaines de ces formations internationales sont ouvertes aux
Laïcs.
En France à partir des années 80 et en particulier avec le Centre Lasallien Français, se pose aussi la
question de la transmission du charisme lasallien aux Laïcs. Le phénomène n’est d’ailleurs pas limité à la
France : Belgique, Grande-Bretagne, Espagne, Liban, Argentine, etc. connaissent les mêmes
questionnements et les mêmes démarches.
Aujourd’hui, en France, nous n’avons plus le choix : la quasi-totalité des chefs d’établissements et
des enseignants ou des éducateurs sont des Laïcs. Le nombre de Frères est en diminution constante,
les vocations de Frères arrivent au compte-gouttes, et on ne peut pas demander à un jeune Frère qui
veut d’abord exercer son ministère et réaliser sa vocation dans l’enseignement et l’éducation, de
s’investir à plein temps dans l’accompagnement ou la formation des Laïcs Lasalliens, ni même dans les
études lasalliennes.
Pour assurer sa pérennité, le charisme lasallien devra obligatoirement être assuré, porté, diffusé
par des Laïcs Lasalliens. C’est tout l’enjeu de la période que nous vivons, c’est votre tâche historique.
Tout en sachant que quelques Frères sont disponibles et formés pour connaître ce charisme et essayer
de le transmettre. C’est aussi pour nous, les Frères, notre tâche historique en ce moment de la vie du
charisme lasallien.
Ce charisme, il est pour la mission d’éduquer. C’est à ceux et à celles qui veulent le faire vivre de
l’assumer. Ce qui veut dire se former, accepter des missions au service du réseau, entrer dans un
itinéraire de vie inattendu. Avec des répercussions sur la vie de famille, ou la vie de couple, qu’il faut
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envisager et pour lesquelles il faut inventer des réponses, réponses que les Frères ne peuvent
évidemment pas donner.
Comme on l’a vu précédemment, pour ce charisme soit vivant, il lui faut la Fraternité comme mode de
relation entre les adultes, et entre les adultes et les jeunes. Il lui faut aussi l’Association, pour ne pas
rester dans l’isolement et constituer un « corps ».
Jusqu’à récemment le « corps de la Société des Écoles chrétiennes » était constitué uniquement de
Frères. Ce temps est révolu. Le charisme doit être porté par un corps constitué de ceux et celles qui
vivent la mission d’éducation chrétienne au quotidien, c’est-à-dire par les Laïcs Lasalliens engagés, et
part des Frères engagés eux aussi dans cette démarche. Si ce « corps » ne parvient pas à se constituer
et à se structurer, le charisme lasallien disparaîtra pratiquement ou ne sera plus porté de manière
significative dans l’espace culturel, éducatif ou ecclésial français.
Est-ce qu’on pourra maintenir vivant le charisme lasallien en la quasi absence de Frères ? Je n’en sais
rien, car il n’y pas d’expérience à cette échelle.
En France, nos expériences passées de disparition, ce sont la Révolution, période au cours de laquelle
l’Institut a disparu en France. Il a connu une renaissance sous l’Empire grâce aux Frères français
expatriés à Rome, et ce sous la forme d’Institut connue avant la Révolution. Une deuxième disparition a
eu lieu, en France en 1904, mais c’était une fausse disparition, puisque l’Institut était devenu
international, même s’il était français à 75%. En effet, soit que les Frères français se sont expatriés,
soit qu’ils se sont sécularisés, un certain nombre restant Frères, c’est-à-dire attachés à l’Institut et à
la Mission sans le manifester extérieurement.
Si bien que le phénomène auquel nous assistons actuellement, n’a pas de précédent.
Aujourd’hui, les Frères ont disparu dans certains pays : Pays-Bas, Allemagne… pour d’autres on n’en est
pas loin : Belgique, Québec, Irlande, Grande-Bretagne, Autriche… Mais les circonstances sociopolitiques
étant différentes dans chacun de ces pays, les conséquences pour la pérennité du charisme lasallien le
sont également. Des pays comme la Grande-Bretagne, ou Belgique-Nord (les Flandres) ont maintenu un
petit réseau d’établissements lasalliens vivants ; d’autres, non, ou ils se sont engagés dans d’autres
formes de présence éducative.
En France, l’avenir se bâtit sur :

Une demande datant du milieu des années 1980, provenant des chefs d’établissements et d’une
partie des équipes éducatives d’alors, et adressée aux Frères, de maintenir un accompagnement
lasallien aux établissements lorsque la Communauté des Frères était retirée.

L’existence d’un réseau d’établissements, avec l’exercice de la tutelle, par des Frères d’abord
puis par des Délégués de tutelle laïcs, sans oublier l’Association La Salle (ALS).

Un certain nombre (petit !) de Frères encore en mesure de transmettre leur expérience
lasallienne et leur connaissance de Jean-Baptiste de La Salle.

Des propositions de formations (CLF, N + 3, CIL…), toujours à perfectionner, à affiner, en
s’appuyant sur l’Institut De La Salle (IDLS), le Comité pour la Recherche Lasallienne (CORELA),
ainsi que sur des propositions ponctuelles.
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
Des Laïcs (hommes et femmes) qui acceptent de s’engager au service des établissements ou du
réseau et de partager leur expérience.

Des Laïcs (homme et femmes) qui s’engagent dans une recherche intellectuelle universitaire, et
aussi une recherche spirituelle, pour élaborer une pensée lasallienne qui leur soit propre.
Finalement, les clés de la pérennité du charisme lasallien au XXI e siècle se trouvent :

dans ces hommes et dans ces femmes,

dans les formations qui pourront leur être proposée et auxquelles ils accepteront de participer,

dans l’accompagnement que les Frères ou d’autres Laïcs pourront fournir aux établissements
comme aux personnes,

dans la Fraternité Éducative La Salle, où Laïcs et Frères portent le charisme lasallien dans la
société française comme dans l’Église, avec une visibilité de terrain grâce aux fraternités locales.
Cette Fraternité est le visage du charisme lasallien pour les années qui viennent.
Tout cela dans une certaine incertitude :

quant aux possibilités de financement de ce réseau et de ces formations,

quant au statut juridique et canonique de cette nouvelle « Société des Écoles chrétiennes » qui
n’aura plus le visage qu’elle a eu dans les siècles passés, et qui n’a pas encore trouvé son visage
pour le siècle qui vient,

et parce que la Fraternité Éducative La Salle est en construction.
D’une certaine façon nous sommes renvoyés au temps des origines de l’Institut des Frères, lorsque la
Communauté des Frères est née comme une « communauté nouvelle », dans l’Église comme dans la
société française de l’époque.
Frère Jean-Louis SCHNEIDER
Le 30 juin 2014.
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