Dossier Pédagogique

Musée d’art Moderne – Département des Aigles
Marcel Broodthaers
18 avril - 5 juillet 2015
Dossier Pédagogique
« Je suis né en 1924.
Je deviens un artiste en 1963.
J’ai fondé un musée (le Musée d’Art Moderne –
Département des Aigles) en 1968.
Je ferme ce musée en 1972 à la Documenta de Cassel.
La même année, je redeviens artiste ».
Marcel Broodthaers, 1972
Ce dossier a été conçu à destination des enseignants et de tous les
accompagnateurs de groupes qui souhaitent préparer leur visite de l’exposition.
Il propose :
° une biographie de l’artiste, introduction à l’exposition (page 3)
° un plan de l’exposition (page 6)
° une fiche sur chaque œuvre de l’exposition ponctuée de citations de l’artiste, et
de comparaisons avec des œuvres d’autres artistes (pages 8 à 36)
° une chronologie de la vie et de l’oeuvre de Marcel Broodthaers (page 37)
° des propositions d’ateliers plastiques (page 42)
Les mentions des numéros en rouge renvoient aux pages des fiches des oeuvres citées pour se repérer dans ce
dossier.
Photo cover
Marcel Broodthaers,Palais des Beaux Arts de Bruxelles, 1974
Photo copyright Maria Gilissen
Artiste, poète, réalisateur de films, photographe,
admirateur de Mallarmé et de Magritte qu’il
rencontre dès 1940, Marcel Broodthaers (né à
Bruxelles le 28 janvier 1924 et décédé à Cologne le
28 janvier 1976) a radicalement remis en cause le
système d’échanges existant entre l’art et l’argent
en s’interrogeant sur les liens entre l’œuvre d’art,
l’institution muséographique et le public. La réflexion
de cet artiste qui avait anticipé ces questionnements
résonne tout particulièrement à la Monnaie de Paris
qui s’interroge elle-même sur le devenir de ses
collections et sur le parcours muséographique qui
ouvrira en 2016.
Cette exposition historique, construite autour
de son projet majeur, le Musée d’art Moderne –
Département des Aigles (1968-1972) ouvre vingtquatre ans après la rétrospective que lui a consacré
le Jeu de Paume par Catherine David et quarante
ans après son exposition à Paris au Centre National
d’Art Contemporain (Hôtel Rothschild) sous la
direction de Pontus Hultén avec Alfred Pacquement
– exposition de préfiguration du Centre Georges
Pompidou – à laquelle elle rend hommage en
ouvrant à nouveau au pied d’un prestigieux escalier,
avec l’œuvre Malle (1975) (page 10). Panier d’osier,
cette œuvre « contient des messages confiés à
l’artiste par l’Etat d’un autre hémisphère. Ils sont
cachés là selon les principes de la “Lettre Volée” et
du “Manuscrit trouvé dans une bouteille” ». Autre
référence à cette exposition, Jardin d’hiver II (1974)
(page 12), composée de chaises de jardin, de
palmiers et de gravures anglaises représentant des
oiseaux, des reptiles et des insectes, amorce l’idée
du musée comme « décor » et le transforme en un
lieu exotique mais aussi un lieu de promenade.
Marcel Broodthaers a donné vie à une production
plastique considérable sur une période de seulement
dix années. Après avoir abandonné des études de
chimie en 1942, Marcel Broodthaers a mené une vie
rythmée par la poésie, des publications d’articles
et de critiques d’art dans des revues surréalistes
belges, mais aussi par le cinéma.
C’est en 1964 qu’il plante cinquante exemplaires de
son recueil de son recueil de poésie intitulé PenseBête dans du plâtre, oeuvre qu’il présente pour sa
première exposition personnelle à la Galerie Saint
Laurent à Bruxelles. Il explique sa démarche sur le
carton d’invitation de l’exposition :
« Moi aussi, je me suis demandé si
je ne pouvais pas vendre quelque
chose et réussir dans la vie. Cela fait
un moment déjà que je ne suis bon à
rien. Je suis âgé de quarante ans…
L’idée enfin d’inventer quelque chose
d’insincère me traversa l’esprit et je
me mis aussitôt au travail ».
Cette phrase de Marcel Broodthaers marque ses
« débuts » officiels en tant qu’artiste et porte en
elle-même tout l’humour qui traverse ses œuvres.
Il n’a de cesse de questionner les rapports entre
l’image et sa représentation, entre la fiction et le
réel, entre le vrai et le faux. Il traduit ses idées par le
biais d’objets, volontairement insignifiants, d’images
et de dessins ironiques, de plaques de plastique
thermoformé, de livres, de photographies, de textes
ou de courts films, où les mots vont et viennent.
De 1964 à 1970, Broodthaers réalise des
assemblages et des accumulations avec des
matériaux naturels − ce qui suscite l’intérêt de Pierre
Restany. Il utilise, notamment, des coquilles d’œufs
− Peinture à l’œuf Peinture à l’œuf, Je retourne à la
matière Je retrouve la tradition des primitifs, 1966,
titre de l’une de ses œuvres qui fait allusion à la
peinture à l’œuf, technique d’usage courant jusqu’à
la fin du 15e siècle avant d’être remplacée par la
peinture à l’huile. Il utilise aussi des moules vides −
jouant de l’homonymie du mot « moule » : la moule,
plat belge traditionnel, et le moule, creuset destiné à
la répétition d’une forme.
« La moule est à elle-même son
propre moule et son propre modèle.
Elle est parfaite ».
Marcel Broodthaers,Recto de l’invitation à la Galerie Saint Laurent à Bruxelles,
1964
3
Son œuvre majeure, le Musée d’Art Moderne Département des Aigles a beaucoup participé au
rayonnement de cette réflexion sur l’institution. Il
s’inscrit dans le contexte de 1968 en Europe, marqué
par les changements de la société, de l’art et de
ses institutions. Malgré lui, Marcel Broodthaers en
est devenu l’un des acteurs majeurs en participant
notamment à l’occupation du Palais des Beaux Arts
de Bruxelles. Il a ainsi collaboré au questionnement
sur les notions de collections et de musées dont il a
utilisé et détourné les codes et les mythologies, au
sens de Roland Barthes.
Il a commencé à rédiger des Lettres ouvertes (page
26), sous l’en-tête de la Section Littéraire, annonçant
l’ouverture du Musée d’Art Moderne - Département
des Aigles et s’autoproclamant « directeur » et
« conservateur » de ce musée fictif. Il ouvre la
première section dans sa maison au 30, rue de la
Pépinière à Bruxelles, cinq ans avant le « Musée des
Obsessions » de Harald Szeeman. Cartes postales
et projections de toiles de grands maîtres sur une
caisse de transport d’œuvres d’art remplacent les
œuvres d’art dans la Section XIXème siècle qui sera
ensuite suivie par d’autres sections, présentées de
ville en ville.
Référence à l’inauguration du musée, la Salle
Blanche (1975) (page 16), autre œuvre présentée
lors de l’exposition L’Angélus de Daumier de 1975,
est la reproduction d’une pièce de sa maison sur
laquelle « flottent les mots » qui ont traversés son
travail, nourri par ses expériences et sa vie passée
entre Bruxelles, Paris et Düsseldorf. L’autre souvenir
de cette première section est la Projection sur caisse
(page 18) qui accueille le visiteur dans l’enfilade
de salons de la Monnaie de Paris. Véritable cours
d’histoire de l’art, des diapositives de chefs d’œuvres
défilent sur une caisse de transport sur laquelle
Marcel Broodthaers a écrit de nouveaux des mots se
référant à l’art.
Ce Musée d’Art Moderne –Département des Aigles
fonctionne comme une institution véritable. Une
entreprise qui, durant quatre ans, en s’appropriant
l’économie des musées, va interroger sous tous les
rapports la valeur de l’œuvre d’art en soi et dans son
contexte d’exposition. Une contestation radicale de
la notion de musée et de son rôle que Broodthaers
fait passer sur le ton de la fiction, car, dit-il,
« une fiction permet de saisir la
vérité et en même temps ce qu’elle
cache ».
Marcel Broodthaers, Communiqué de presse, Documenta 5, Cassel, juin 1972
Ce musée est l’occasion de vernissages. Il se déplace
avec la Section Littéraire, qui voyage entre Bruxelles
et Cologne, la Section XVIIème Siècle inaugurée
en septembre 1969 à Anvers avec le discours
de Piet van Daalen, conservateur du Zeeuws
Museum à Middelburg, la Section Documentaire
en août 1969 qui est composée du plan du musée
creusé dans le sable sur la plage belge Le Coq
par Marcel Broodthaers portant une casquette
« Museum », la Section Foklorique en 1970 au Zeeus
Museum à Middleburg, la Section XIXème Siècle
(bis) inaugurée les 14 février 1970 à la Staatliche
Kunsthalle de Düsseldorf avec le discours de Jürgen
Harten, directeur adjoint de la Kunsthalle puis la
Section Cinéma, entre 1971 et 1972 dans le sous-sol
d’une maison à Düsseldorf, qui s’inspire de l’œuvre
Cinéma Modèle (page 32) et qui donne à voir la
pratique réaliste et profondément poétique du
cinéma de Marcel Broodthaers.
Un autre film de Marcel Broodthaers qui fait
directement référence à son musée est présenté
dans l’exposition : Un voyage à Waterloo (1969)
(page 36).
Les années 1970-1971 marquent un tournant dans
l’histoire du musée qui est déclaré « à vendre pour
cause de faillite », Marcel Broodthaers poursuivant
sa réflexion entre l’art, l’institution et le marché
de l’art. La Section Financière (page 30) est ainsi
composée d’un lingot d’un kilo d’or poinçonné d’un
aigle, vendu à un prix calculé au double de la valeur
du marché de l’or, l’augmentation représentant la
valeur du lingot en tant qu’objet d’art. Le lingot est
présenté dans cette exposition par l’artiste Danh
Vo. Il a été frappé d’un aigle dans les Ateliers de
la Monnaie de Paris. Comme Marcel Broodthaers,
la pratique de Danh Vo inclut la collection et le
commissariat d’exposition à sa production artistique.
La figure de l’Aigle, présente dès la naissance du
musée notamment dans son nom, prend toute sa
dimension avec la Section des Figures. L’Aigle de
l’Oligocène à nos jours (page 22) présentée en 1972
à la Staatliche Kunsthalle de Düsseldorf.
Allégorie du pouvoir, de l’esprit de conquête, de
l’impérialisme, de Saint Jean l’Evangéliste et symbole
de noblesse, la figure de l’Aigle est
« délogée du ciel imaginaire où
il loge depuis des siècles et nous
menace de sa foudre – en pierre,
en bois, enrobé d’or ou d’acier
inoxydable ».
Marcel Broodthaers, Section des Figures, dans Marcel Broodthaers et Anna Hakkens,
« Marcel Broodthaers par luimême. Introduction et choix des textes », Gand Amsterdam, Ludion ; Paris, Flammarion, 1998, p. 89
4
Cette exposition présente également, dans l’Escalier
d’honneur, le Balancier d’Austerlitz (1810) (page 8)
de la Monnaie de Paris qui n’avait pu être transporté
à l’époque et que Marcel Broodthaers avait alors
choisi de présenter sous forme photographique.
La Section Publicité (page 24), conçue à Kassel
à l’occasion de la Documenta V en 1972 sous
l’invitation d’Harald Szeeman, met l’accent sur la
reproductibilité des œuvres et pose la question du
spectateur consommateur. Marcel Broodthaers
disait que « dans la publicité, l’art est utilisé et reçoit
un énorme succès ». En opérant une comparaison
entre l’aigle dans l’histoire de l’art et l’aigle dans la
publicité, il reproduit sous forme de photographies
tous les objets qu’il avait exposés en 1972 à
Düsseldorf.
Toujours à la Documenta V, Marcel Broodthaers
remplaça sa Section d’Art Moderne par une Galerie
du XXème siècle composée d’une pièce vide avec les
mots : « Ecrire / Dessiner / Copier / Figurer / Parler
/ Façonner / Rêver / Echanger / Faire / Informer /
Pouvoir ». Cette section est la dernière du musée.
L’aventure du Musée d’Art Moderne - Département
des Aigles est également présente dans l’exposition
grâce aux Plaques (Poèmes industriels) (196872) (page 20) qui en retracent toute l’histoire et
démontrent l’ironie de leur auteur tout autant que
ses multiples références, notamment à Magritte
dont il était l’ami et le fervent admirateur. Ces
plaques représentent l’une des manifestations
de son utilisation du langage comme outil visuel,
appropriation d’images et d’œuvres de la littérature
qui ont constitué son travail à la fois littéraire et
plastique.
Cette exposition présente d’autres œuvres de
cet artiste qui résonnent avec le Musée d’Art
Moderne - Département des Aigles, de son premier
film datant de 1957, La Clef de l’Horloge (poème
cinématographique en hommage à Kurt Schwitters)
(page 32) à une sélection d’éditions dont l’une de ses
dernières œuvres La Conquête de l’espace. Atlas à
l’usage des artistes et des militaires de 1975 (page
28).
Le jour de l’inauguration, le 16 avril, en écho à deux
projets non réalisés de Marcel Broodthaers, l’Ile du
Musée et Bateau sur le Rhin, une péniche remonte
la Seine avant d’accoster en face du Pont Neuf, de
la même manière qu’en 1971 Marcel Broodthaers
avait pensé lui faire remonter le Rhin avec du
matériel et des œuvres d’art, pour être déchargés
par un groupe de jeunes artistes composé d’Ivan
Argote, Hicham Berrada, Davide Bertocchi, Nico
Dockx et Vriginie Yassef pour trouver une place dans
l’exposition.
Marcel Broodthaers a initié une réflexion sur le
statut de l’œuvre d’art en soi et dans son contexte
d’exposition qui a profondément marqué des
générations d’artistes après lui et toutes les
institutions culturelles. Marcel Broodthaers montre
que l’œuvre, c’est l’exposition. La Monnaie de
Paris s’est confrontée à la même question que les
autres institutions qui ont montré son travail depuis
sa disparition : comment exposer l’œuvre d’un
artiste qui fait de l’exposition elle-même un moyen
d’expression artistique ?
« Le Musée d’Art Moderne Département des Aigles est tout
simplement un mensonge et une
tromperie…
Le musée fictif essaie de piller le
musée authentique, officiel, pour
donner davantage de puissance et
de vraisemblance à son mensonge.
Il est également important de
découvrir si le musée fictif jette un
jour nouveau sur les mécanismes de
l’art, du monde et de la vie de l’art.
Avec mon musée, je pose la question.
C’est pourquoi je n’ai pas besoin de
donner la réponse ».
Marcel Broodthaers, 1972
5
Plan Exposition
1. Balancier d'Austerlitz, 1810
Bronze, fonte de fer, fer forgé
Collection Monnaie de Paris
Page 8
2. Malle en osier, 1975
Estate Marcel Broodthaers
Page 10
Tapis rouge
3. Un Jardin d’hiver II, 1974
Une vingtaine de palmiers, 6
agrandissements photographiques
de gravures du XIXème siècle
encadrés, 16 chaises pliantes,
projection sur écran du film Un
jardin d’Hiver (A.B.C), 1974, couleur,
son, 7’
Estate Marcel Broodthaers
Page 12
4. Salle Blanche, 1975
Encre de chine sur bois,
photographies, ampoule, 2
appliques en plâtre
390 x 336 x 658 cm
Collection Maria Gilissen/Musée
national d'art moderne, Centre
Georges Pompidou, Paris
Page 16
5. Projection sur caisse, 1968
50 diapositives de reproductions de
peintures du XIXème siècle, 41 cartes
postales, caisse de transport
Département des Aigles
Musée - Museum, 1972
Deux impressions en noir avec
différentes cartes postales collées
MACBA Collection. MACBA
Foundation, Barcelone
Page 18
6. Plaques (Poèmes industriels),
1968-1972
16 plaques en plastique embouti et
peint
Estate Marcel Broodthaers ; Prêt
de longue durée S.M.A.K., Gand ;
Collection privée
Page 20
7. Section des Figures. Der Adler
vom Oligozän bis heute (L’Aigle
de l’oligocène à nos jours), 1972
(détails). Département des Aigles
Page 22
8. Section Publicité, 1972
Photomontages, vitrines, cadres,
objets divers et projections
diapositives
305 x 438 x 624 cm
Collection K21, Kunstsammlung
Nordrhein-Westfalen, Düsseldorf
Page 24
9. Monsieur Teste, 1975
Mannequin automate assis sur une
chaise en osier, journal, photo de
plage et palmiers
Estate Marcel Broodthaers
Lettres ouvertes
Estate Broodthaers
Sélection d’éditions, (1968-1975)
Estate Marcel Broodthaers, MACBA
Collection. MACBA Foundation,
Barcelone ; Collection Jürgen Harten,
Berlin ; Collection Frac Nord-Pasde-Calais, Dunkerque ;
Page 26
10. Section Financière, 1971
Lingot d’un kilo d’or
Département des Aigles
Courtesy Danh Vo
Paysage d’automne (ABC, hausse
du prix de l’art), 1973. Typographie
couleur sur carton blanc
Estate Marcel Broodthaers
Page 30
6
11. Cinéma Modèle (Programme La
Fontaine), 1970
Projections de 5 films
• Le Corbeau et le Renard
Film en couleur, 7 mn, écran
de projection en bois, écran de
projection en toile photographique,
portfolio en carton contenant deux
typographies sur carton et trois toiles
photographiques
Estate Marcel Broodthaers ;
Collection Musée d'Art Moderne de
la Ville de Paris ; Galerie Kewenig,
Berlin
• La Clef de l’Horloge (un poème
cinématographique de Kurt
Schwitters), 1957
Film en noir & blanc, son, 7 minutes
• La Pipe (René Magritte), 1969
Film en noir & blanc, 2,5 minutes
• La Pluie (projet pour un texte),
1969
Film en noir & blanc, 2 minutes
• A film by Charles Baudelaire, 1970
Film en couleur, son, 6,30 minutes
Cinéma Modèle, 1970
Plaques en plastique embouti et
peint
Estate Marcel Broodthaers
Museum-Musée n°7-Section
cinéma-De 14h à 18h, 1968-1972
Plaque en plastique embouti et peint
Estate Marcel Broodthaers
Page 32
12. Un Voyage à Waterloo (Napoléon
1769-1969), 1969
Film en noir & blanc, 13 minutes
Page 36
11
12
10
9
8
7
6
7
5
4
3
1
2
7
1. Balancier Gengembre-Saulnier (dit
Balancier d’Austerlitz), 1810
Orné sur sa ceinture médiane d’un aigle impérial et de
l’inscription « inventé par Ph Gengembre inspecteur
général des monnaies »
Sur le collier supérieur : « exécuté en l’an 1810 sur les
dessins de l’auteur, par J. Saulnier, dans les ateliers de
Madame Gatteaux à l’hôtel des monnaies de Paris »
135 x 252 x 68 cm
Poids 2,1 tonnes
Photographe : Jean-Jacques Castaing. Monnaie de Paris
8
Sous le péristyle, le visiteur est accueilli par le
Balancier d’Austerlitz (1810) appartenant à
la Monnaie de Paris que Marcel Broodthaers
souhaitait emprunter pour sa Section des Figures
(page 22) présentée en 1972 à Düsseldorf dont le
commissariat était assuré par Jürgen Harten. Son
poids, 2,1 tonnes, l’oblige à se contenter de quatre
photographies du balancier qui ont également été
inclues dans la Section Publicité (page 24).
Presse à vis, elle produit par enfonçage les outillages
monétaires (appelés coins) à partir des originaux.
Conçu par l’inspecteur Général des Monnaies
Philippe Gengembre, il a été exécuté par Jean
Saulnier dans les ateliers de la Monnaie de Paris.
Mais il fallut attendre le XXème siècle pour que son
bras (ou balancier) soit remplacé par un mécanisme
à friction. Sous cette nouvelle forme il œuvra
jusqu’en 2002 à la fabrication des matrices d’euros
au sein de l’atelier central d’outillages. Il fait depuis
partie des collections industrielles de la Monnaie de
Paris.
En 1805, Gaudin, duc de Gaète, demande à
Napoléon vingt canons pour fabriquer des presses à
balancier. Il relate la scène dans ses Mémoires.
Vingt canons !
Et pour quel usage ? Est-ce que
vous auriez, ajouta l’Empereur
en souriant, l’envie de me faire la
guerre ?
- Oh ! Assurément, non, lui disje; la partie ne serait pas égale;
je voudrais seulement généraliser
l’usage du nouveau balancier qui
nous réussit si bien, ici, et dont Votre
Majesté connaît les avantages.
Il est, comme elle le sait, tout de
cuivre et mon budget n’est pas assez
riche pour supporter cette dépense.
Toute difficulté disparaîtrait si Votre
Majesté voulait bien accueillir ma
prière.
- Eh ! Mais, ministre ! Vingt canons,
c’est beaucoup !
- J’estime qu’il ne m’en faudra pas
moins. Mon projet, continuai-je, est
d’appeler mes nouveaux balanciers
des Austerlitz et de les ceindre d’un
collier sur lequel on lira : “Cuivre pris
à Austerlitz sur l’ennemi !”
- Ah ! me dit l’Empereur du ton le
plus aimable, vous me prenez par
la vanité ! Eh bien, vous aurez vos
canons.
Mémoires du duc de Gaète.
Le duc de Gaète obtint ses canons et des balanciers
d’Austerlitz ont été utilisés jusqu’à nos jours pour la
fabrication de certains outils de frappe monétaire
(coins).
9
2. Malle, 1975
Malle en osier
65 x 85 x 55 cm
Estate Marcel Broodthaers
La Malle était placée dans le hall d’entrée de l’Hôtel
de Rothschild pour l’exposition du Centre National
d’art moderne L’Angélus de Daumier (2 octobre - 10
novembre 1975) en préfiguration de l’ouverture du
Centre Pompidou. Cette malle en osier « contient des messages à moi
confiés par l’Etat d’un autre
hémisphère. Ils sont cachés là selon
les principes de la “Lettre Volée”
et du “Manuscrit trouvé dans une
bouteille” ».
Marcel Broodthaers dans une Note sur le sujet, L’Angélus de Daumier, vol. 2, Paris,
Centre national d’art contemporain, 1975, cité par Birgit Pelzer dans « Le musée du
signe », Marcel Broodthaers, catalogue du Jeu de Paume, 1992, p.23.
10
Cette œuvre et le texte qui l’accompagne
témoignent de l’humour de Marcel Broodthaers
qui joue avec la « lettre volée » et le « manuscrit
trouvé dans une bouteille » où il cache un texte pour
mieux susciter l’attention du public. L’œuvre devient
le lieu du mystère, de ce qui échappe, de ce que
Marcel Duchamp appelait « le bruit secret » qui nous
rappelle que l’essentiel est invisible pour les yeux.
Cette malle à laquelle il a ajouté des serrures
modernes est également une invitation au voyage,
pour faire référence à Baudelaire, un autre de
ses poètes de référence. Ce thème du voyage est
également présent dans d’autres de ses œuvres dont
le Jardin d’hiver II qui s’offre aux yeux des visiteurs
lorsqu’ils ont gravi l’escalier d’honneur.
Autres oeuvres de Marcel Broodthaers
Marcel Broodthaers, Le Manuscrit trouve dans une bouteille, 1974
Marcel Broodthaers, Pot avec photo noir et blanc (autoportrait), 1967
Oeuvres d’autres artistes
Au lieu de cacher des messages dans une boîte,
Marcel Broodthaers s’enferme ici dans un pot. Il
joue de nouveau avec le contenu et le contenant,
cette fois le contenant transparent permettant de
voir l’intérieur.
Robert Barry (né en 1936 à New York) est considéré
avec Douglas Huebler, Joseph Kosuth et Lawrence
Weiner comme l’un des fondateurs de l’art
conceptuel, tout en ayant une attitude personnelle et
subjective face à l’appartenance à ce mouvement.
Il réfléchissait notamment à la question de la
dématérialisation de l’exposition et donc de l’art.
L’art cesse d’être un objet à “regarder”. Barry
questionnait les limites de notre perception mais
aussi la nature de la perception. Cette idée de
l’invisible, du caché est présente dans cette œuvre,
comme dans la Malle de Marcel Broodthaers.
L’œuvre de Robert Barry peut également être
présentée « ouverte » avec les cartes contenues
dans la boîte exposées sur les murs comme lors de
l’exposition à la mfc-michèle didier gallery à Paris
en 2014.
Robert Barry, Something in a box
62 phrases sur cartes dans une boîte en bois
©2014 Robert Barry et mfc-michèle didier
11
3. Jardin d’hiver II, 1974
Palmiers en pots, 6 photographies de gravures
anciennes du XIXème siècle, chaises pliantes,
projection sur un écran du film Un jardin d’Hiver
(A.B.C), 1974, 35mm, couleur, son, 7’.
Estate Marcel Broodthaers
Comme de nombreuses autres œuvres, le Jardin
d’hiver de Marcel Broodthaers a connu plusieurs
versions. La première version occupe une pièce
entière de l’exposition Carl André, Marcel
Broodthaers, Daniel Buren, Victor Burgin, Gilbert
& George, On Kawara, Gehrard Richter au Palais
des Beaux-arts de Bruxelles (9 janvier-3 février
1974). Une sorte de tonnelle, formée de chaises et
de palmiers placés au centre de la salle, à côté
de laquelle, au fond de la salle, dans le coin droit,
Marcel Broodthaers avait installé sur un socle noir
un moniteur vidéo surmonté d’une caméra dirigée
vers la tonnelle (transmission en noir et blanc de
ce qui se présente dans son champ). Pendant la
présentation de cette œuvre, Marcel Broodthaers
avait fait venir un chameau du zoo d’Anvers qu’il
conduisit lui-même dans le hall du Palais des
Beaux-arts. Cette entrée fut filmée et elle était aussi
diffusée sur le moniteur dans la salle.
Le Jardin d’hiver II est une œuvre qui fait entrer
le désert, l’exotisme et le voyage dans le musée.
L’entrée de l’exposition devient une promenade dans
un lieu qui ne ressemble en rien à un musée au sens
où on peut l’entendre.
« Ce désert à la fois réel et à la fois
symbolique concernant tout aussi
bien la situation, alors d’un point
de vue illustratif, et la situation
politique et économique actuelle,
mais davantage sans doute le désert
régnant dans notre société, le désert
du loisir, le désert finalement du
monde de l’art ».
Extrait d’une interview avec Fredy de Vree à Bruxelles, 1974
Neuf mois plus tard, toujours en 1974, lors de
l’exposition Catalogue-Catalogus (27 septembre
– 3 novembre 1974) au Palais des Beaux-arts
de Bruxelles, les palmiers et les chaises sont
distribués contre le mur et six agrandissements
photographiques de gravures anglaises du XIXème
(représentations d’éléphants asiatiques à l’état
sauvage et domestique, faucons, dromadaires,
chameaux, abeilles, bourdons, coléoptères et
scarabées) sont accrochés au-dessus de la
frondaison des palmiers et non plus réparties dans
la salle comme dans la première version. Le film
tourné lors de l’exposition précédente est présenté
sur un écran dans l’espace du Jardin d’Hiver.
Les vitrines de la première version avec les
gravures originales qui avaient servies pour
les agrandissements, quelques exemplaires du
catalogue de l’exposition collective ouvert aux pages
de la contribution de Marcel Broodthaers sont
absentes. Sur cette vitrine était également présenté
un paquet de feuilles à disposition du public.
Une troisième version a été présentée en octobre
1975 pour l’exposition L’Angélus de Daumier,
dont les 3 portes-fenêtres de l’Hôtel Rothschild à
Paris donnaient sur un jardin dans lequel Marcel
Broodthaers installe cette œuvre et la baptise Salle
verte.
Détail de la note de Marcel Broodthaers du 7 janvier 1974 à l’occasion de
l’exposition de Jardin d’Hiver au Palais des Beaux Arts de Bruxelles
« Cette pièce a déjà été exposée
ailleurs mais dans une forme
différente, elle se trouve être
l’amorce de DECOR que l’on peut
caractériser par l’idée de l’objet
restitué à une fonction réelle,
c’est-à-dire que l’objet n’y est pas
considéré lui-même comme œuvre
d’art ».
Extrait du catalogue L’Angélus de Daumier, Paris, 1975
12
Cette œuvre aborde déjà les différents niveaux
de représentation avec l’exemple du chameau qui
apparaît à l’écran dans le film Un Jardin d’Hiver
(A.B.C), 1974 à la fois avec des images tournées lors
de son entrée mais aussi des images filmées sur
l’écran, et qui est représenté sur les gravures.
« Parce que de toute façon dans
le film, n’est-ce-pas, on voit le
chameau sur l’écran d’un vidéo, qui
est donc repris dans le film. Mais
alors après, on revoit le chameau
dans une fausse réalité, qui est une
réalité de représentation aussi ».
Extrait d’une interview pour un Atelier de création radiophonique, France Culture, 1975
Gravure présentée dans Un jardin d’Hiver II, 1974
Estate Marcel Broodthaers
Détails du film Un jardin d’Hiver (A.B.C), 1974
Estate Marcel Broodthaers
« Un Jardin d’Hiver est basé sur l’idée
que le cinéma est un malheur plus
grand que le théâtre et moins que la
télévision. Je veux dire que le malheur
est fonction d’un public chaque
fois plus nombreux, au bénéfice de
l’accroissement des recettes. Ce qui
ne manque d’être un bonheur ».
Marcel Broodthaers, Un film de Charles Baudelaire, Ciné Culture, Bruxelles, 1974
Marcel Broodthaers pendant le tournage du film Un jardin d’Hiver (A.B.C), 1974
13
Autres oeuvres de Marcel Broodthaers
Jardin d’hiver est le premier « décor » de Marcel
Broodthaers. Il a produit ensuite d’autres décors
qu’il a repris dans un film comme celui qu’il a
présenté à l’Institut d’art contemporain de Londres
en 1975, Decor: A conquest by Marcel Broodthaers.
On retrouve cette même idée dans l’œuvre la Salle
Blanche, 1975 (page 16) que le visiteur découvre
dans la salle suivante de l’exposition à la Monnaie
de Paris.
Marcel Broodthaers, Décor: A Conquest by Marcel Broodthaers, 1975
Punto della Dogana, Venise, 2011
Le palmier est un autre élément récurrent du
travail de Marcel Broodthaers. Dans l’œuvre abc,
il rassemble le palmier présent dans le Jardin
d’hiver avec le jeu sur les lettres que l’on retrouve
par exemple dans le tract que Marcel Broodthaers
distribuait dans la première version de cette œuvre.
« Ce serait un A.B.C.D.E.F.....
du divertissement, un art du
divertissement ».
Marcel Broodthaers, abc,
1974
Impression et peinture au
pochoir sur serviette éponge
Estate Marcel Broodthaers
14
Le fait que ces motifs soient imprimés sur une
serviette de plage fait également référence au
divertissement dont parle Marcel Broodthaers ainsi
qu’à l’idée du voyage.
Oeuvres d’autres artistes
Dans ce tableau, Manet présente une scène de la
vie quotidienne de son époque, d’une promenade
dans une serre. Marcel Broodthaers, avec son
Jardin d’hiver II, tente de changer la perception que
l’on peut avoir du musée le transformant en lieu de
promenade, où l’on peut aussi s’asseoir au milieu des
palmiers.
Édouard Manet, Dans la Serre, 1879
Huile sur toile
Alte Nationalgalerie, Berlin
Le Jardin d’hiver de l’artiste Jean Dubuffet est conçu
comme un espace mental dans lequel pénètre le
visiteur. Il propose donc une version très différente
de celui de Marcel Broodthaers tout en proposant
comme lui une autre expérience du musée et de
l’œuvre d’art.
Jean Dubuffet, Le jardin d’hiver, 1968 - 1970
Collection du Centre National d’Art Moderne, Centre Pompidou
15
4. Salle Blanche, 1974
Encre de chine sur bois, photographies, ampoule, 2
appliques en plâtre
390 x 336 x 658 cm
Collection Maria Gilissen/Musée national d’art
moderne, Centre Georges Pompidou, Paris
La Salle Blanche est créée pour l’exposition
L’Angélus de Daumier, présentée du 2 octobre au 10
novembre 1975, dans l’hôtel de Rothschild abritant
le Centre national d’art contemporain – futur Centre
Pompidou. Marcel Broodthaers tente d’y
« articuler différemment des objets
et des tableaux réalisés à des dates
s’échelonnant entre 1964 et cette
année [1975], pour former des salles
dans un esprit “décor”».
Dans l’exposition L’Angélus de Daumier encore plus
qu’ailleurs, Marcel Broodthaers montre bien que
l’œuvre c’est l’exposition. Ainsi, les salles nommées
par des couleurs se succèdent, chacune étant
considérée comme une œuvre. La Salle Blanche est
selon Broodthaers la
« reconstitution, la plus fidèle
possible (?) d’un ensemble fait par
l’artiste en 1968 qui s’attaquait, à
l’époque, à la notion de musée et à
celle de hiérarchie ».
Il s’agit en effet de la reconstitution d’une pièce de
la maison de Broodthaers où il a ouvert, en 1968,
son Musée d’Art Moderne-Département des Aigles
avec la Section XIXe siècle qui présentait en guise
d’œuvres des caisses de transport et des cartes
postales de peintures anciennes.
Cette œuvre renvoie donc aux diverses fonctions
que la maison a cumulées : logement, atelier,
lieu d’exposition et musée. La Salle Blanche,
pourtant donnée comme la reconstitution d’une
action passée, est une salle vide. Comme il avait
remplacé les œuvres d’art par des caisses de
transport et des cartes postales, seuls des mots
sont écrits sur les murs. Ils animent la pièce et font
partis du champs lexical de l’art. Ils remplacent les
œuvres et deviennent œuvre eux-mêmes en étant
« spatialisés » et matérialisés. La Salle Blanche est
un espace d’évocation avec le va-et-vient entre les
mots et les notions qu’ils convoquent. Cette mise en
espace du langage est notamment une référence
à un texte primordial dans le travail de Marcel
Broodthaers, Un coup de dé jamais n’abolira le
hasard de Mallarmé, qu’il décrit comme « l’inventeur
de l’espace moderne ».
Vue de l’œuvre présentée pour la première fois dans l’exposition L’Angélus
de Daumier, 1975 (Hôtel Rotschild, Paris) – préfiguration du Centre Georges
Pompidou
16
Autres oeuvres de Marcel Broodthaers
Sur ces douze plaques, Marcel Broodthaers
s’approprie le poème Un coup de dé jamais
n’abolira le hasard de Mallarmé, auteur qu’il
décrit comme l’inventeur « de l’espace moderne et
contemporain de l’art ».
Les mots sont disposés sur l’espace de la page par
le poète et Marcel Broodthaers les efface par des
bandes noires qui accentuent la spatialisation du
langage tout en en annulant le sens.
Marcel Broodthaers, Un Coup de dés jamais n’abolira le hasard, 1969
Collection Daled, Bruxelles
Photo © Aurélien Mole
Cette démarche d’effacement se retrouve dans le
film La Pluie (Projet pour un texte) (page 32) ou
dans sa série d’ardoises magiques (page 28) alors
que le jeu d’utiliser les mots comme éléments visuels
est repris par Marcel Broodthaers dans sa série de
Plaques (Poèmes industriels) (page 20).
Oeuvres d’autres artistes
La Salle Blanche est une mise en espace du langage
et de certains mots qui font référence au champ
de l’art. Ainsi, des allers-retours entre la forme du
mot et ce à quoi il renvoie se matérialisent dans
l’espace. C’est un procédé qui a été utilisé par de
nombreux autres artistes conceptuels dont Lawrence
Weiner par exemple qui utilise les mots, leur
matérialité et leur mise en espace pour affirmer des
« statements ».
Sur ce mur, il fait référence à une œuvre qui va être
créée, d’un point de vue matériel en associant le
mot “graphite” à d’autres matériaux (bois, acier,
papier) alors que dans la Salle Blanche de Marcel
Broodthaers, les mots renvoie à la fois à la matière
et au concept.
Example Of A Lawrence Weiner Work Referring To An Art Piece Yet To Be Built
17
5. Projection sur caisse, 1968
50 diapositives de reproductions de peintures du
XIXème siècle, 21 cartes postales, caisse de transport
Département des Aigles
Musée - Museum, 1972
Deux impressions en noir avec différentes cartes
postales collées
MACBA Collection. MACBA Foundation, Barcelone
Sur une caisse de transport d’œuvres d’art sont
projetées des diapositives de grandes toiles de
maîtres. Des cartes postales de reproductions
d’œuvres sont également accrochées. Cette caisse
et les cadres étaient présentés dans la première
section du Musée d’Art Moderne, Département
des Aigles, la Section XIXème siècle, que Marcel
Broodthaers a présentée dans sa maison 30 rue
de la Pépinière à Bruxelles en 1968, avant d’être
réutilisés par l’artiste dans l’exposition Film als
Objekt – Obkekt als Film présentée en 1971 au
Städtische Museum à Munchengladbach d’octobre
à novembre 1971.
Facétieux, Marcel Broodthaers remplace les œuvres
d’art par des caisses de transport et des cartes
postales puis projette des reproductions d’œuvres
sur ces mêmes objets. Il joue de nouveaux avec
plusieurs niveaux de représentation grâce à des
métonymies : la caisse vaut pour ce qui est dedans,
la reproduction pour l’original.
En parallèle des caisses présentées dans la première
section du Musée d’Art Moderne – Département des
Aigles, l’œuvre Musée - Museum reprend le plan de
sa maison et de l’exposition qu’il y a présenté.
Il s’agit d’une édition de 100 exemplaires. Les
exemplaires de 1/100 à 60/100, comportent trois
cartes postales couleur de deux tableaux d’Ingres,
La Grande Odalisque et Le Bain turc, et d’un tableau
de Courbet, Les Dormeuses. Les exemplaires 61/100
à 100/100 comportent deux cartes postales noir et
blanc des tableaux d’Ingres, Portrait du violoniste
Paganini et Portrait de Mme Victor Baltard.
Marcel Broodthaers, Musée d’Art Moderne - Département des Aigles, Section
XIXè siècle, (détails), 1968/1969
Photographie copyright Maria Gilissen
Un texte intitulé Où est l’original ? devait
accompagner ces œuvres et dans lequel
Broodthaers explique :
« Le contexte original de cette
situation [le Musée inauguré en 1968]
détournait ces reproductions de
leur usage et de leur but habituels.
Ce sont des cartes identiques qui
supportent ici loyalement le poids
des souvenirs, celui de la peintures
(l’art classé, traditionnel), et celui
d’un concept sur l’histoire de la
peinture (le Musée, Département des
Aigles). Où est l’original ? Sombré
au trois-quarts dans le passé, sinon
complètement, l’original serait cette
épave de littéraires parenthèses ?
Ou encore une tautologie qui
pourrait être critique si elle n’était
signée par l’auteur. J’ai numéroté
également les 100 exemplaires de
cette édition ».
Marcel Broodthaers cité par Virginie Devillez, « A s’occuper d’art, on ne tombe jamais
que d’un catalogue à l’autre », catalogue de la collection des Musées royaux des
Beaux-Arts de Belgique, 2010, p. 118.
18
Autres oeuvres de Marcel Broodthaers
Marcel Broodthaers, Charles Baudelaire peint 1821-1867, René Magritte écrit
1898-1967 (diptyque), 1972
Impressions typographique à l’encre bleue sur papier
Estate Marcel Broodthaers
Dans ses œuvres, comme Projection sur caisse
ou Musée - Museum, Marcel Broodthaers rend
hommage aux grands maîtres de la peinture et de
la littérature.
De 1972 à 1973 notamment, il exécute une série de
« Peintures littéraires », chacune composée de neuf
toiles sur lesquelles ont été typographiés différents
textes, ayant pour sujets des poètes, des écrivains
ou des artistes. Le diptyque Charles Baudelaire
peint 1821-1867, René Magritte écrit 1898-1967
fait à la fois référence à deux artistes qui l’ont
profondément influencé tout en jouant sur leur
pratique artistique puisque il nous paraitrait logique
que Charles Baudelaire écrive et que René Magritte
peigne. Marcel Broodthaers décloisonne l’art et
questionne également la signature et les pratiques
artistiques.
Oeuvres d’autres artistes
Marcel Broodthaers fait référence à Ingres par
exemple pour mener sa réflexion sur le musée et sur
l’œuvre d’art.
C’est aussi un hommage de Marcel Broodthaers qui
dit en parlant d’Ingres ou David : « Ils sont tellement
académiques qu’ils me passionnent ».
Les grands maîtres fascinent les artistes modernes
et contemporains qui s’emparent des toiles et les
détournent comme Martial Raysse qui en 1964,
réinterprète la Grande Odalisque d’Ingres (date
inconnue) dans son tableau Made in Japan La
Grande Odalisque.
Martial Raysse, Made in Japan La Grande Odalisque, 1964 (à gauche) et
Ingres, Tête de la Grande Odalisque (à droite, date inconnue).
Crédits photo : Centre Georges Pompidou, Musée des Beaux-Arts de Cambrai.
19
6. Plaques (Poèmes industriels),
1968-1972
16 plaques en plastique embouti et peint
Estate Marcel Broodthaers ; Prêt de longue durée
S.M.A.K., Gand ; Collection privée
Marcel Broodthaers présente une série de plaques
en plastique lors de l’exposition Multipl(i)é inimitable
illimité. Exposition de tirages limités et illimités de
poèmes industriels, M.U.SE.E. D’.A.R.T.CAB.INE.T
D. ES .E.STA.MP.E.S. Département des Aigles, à
la Librairie Saint-Germain-des-Prés à Paris, du
29 octobre au 19 novembre 1968. Au cours du
vernissage, il présente le livre-film Le Corbeau et le
Renard (1967) (page 32). Sur ces plaques, Marcel
Broodthaers joue avec la matérialité et la forme
des mots qui se confrontent aux images et tout
ce qu’elles représentent. Il créé ainsi des rébus à
déchiffrer, comme une suite à Magritte qui a posé
cette question des liens entre le mot et l’image avec
son fameux « Ceci n’est pas un pipe ». En effet, sur la
toile, il s’agit de l’image de la pipe et non pas d’une
vraie pipe, de l’objet.
On retrouve également cette exposition sous le
titre Poèmes Industriels. Belgium. Tirages limités
et illimités sur plastique. Ce cabinet des estampes
n’a pas été inclus par l’artiste dans son Musée
d’Art Moderne Département des Aigles tout en y
étant très lié. Elles fonctionnent comme une sorte
de programme, d’annonce du musée, avec toute
l’ambigüité que Marcel Broodthaers installe comme
lorsqu’il énonce que les enfants n’y sont pas admis.
Il reprend un message d’interdiction du musée et
le détourne pour au contraire signifier le besoin
d’ouverture du musée aux enfants.
Les Plaques (Poèmes industriels) accompagnent le
projet du musée fictif de Marcel Broodthaers et il
explique même qu’une plaque est à l’origine du nom
du musée.
« Le nom Département des Aigles
« est né d’un poème, un très vieux
poème que j’avais écrit et retrouvé
‘O Tristesse envol de canards
sauvages, O mélancolie aigre
château des aigles’. J’ai écrit cela il
y a 15 ou 20 ans. J’ai alors fait une
plaque et transformé ‘aigre château
des aigles’ en ‘vinaigre des aigles’ et
c’est ainsi devenu Département des
Aigles. C’est un souvenir littéraire. »
Entretien entre Marcel Broodthaers et Ludo Bekkers, décembre 1969
20
« Les objets fonctionnent-ils, chez vous, comme des
mots ?
J’utilise l’objet comme mot zéro. Ce n’étaient pas
d’abord des objets littéraires ? On pourrait les
nommer comme cela, alors que les objets plus
récents échappent à cette dénomination qui
a réputation péjorative (je me demande bien
pourquoi ?). Ces objets récents portent, à la
manière sensationnelle, les marques d’un langage.
Mots, numérotations, signes inscrits sur l’objet luimême.
Au début de votre activité vous avez suivi une
direction aussi précise ?
J’étais hanté par une certaine peinture de Magritte,
celle-là où figurent des mots. Chez Magritte, il y
a contradiction entre le mot peint et l’objet peint,
subversion du signe du langage et de la peinture au
bénéfice d’un resserrement de la notion de sujet.
Et le langage de ces plaques ?
Disons des rébus. Et le sujet, une spéculation sur
une difficulté de lecture entraînée par l’emploi de
ce matériau. Sachez que l’on fabrique ces plaques
comme des gaufres.
Ces plaques sont-elles si malaisées à déchiffrer ?
La lecture est contrariée par l’aspect image du texte
et l’inverse. Le caractère stéréotypé du texte et de
l’image est défini par la technique du plastique. Et
la lecture proposée dépend d’un double niveau –
appartenant chacun à une attitude négative qui
me paraît être le propre de l’attitude artistique. Ne
pas situer le message entièrement d’un côté, image
ou texte. C’est-à-dire refuser la délivrance d’un
message clair comme si ce rôle ne pouvait incomber
à l’artiste et par extension à tout producteur
économiquement intéressé. Il y aurait ouverture, ici,
d’une polémique. A mon sens, il ne peut y avoir de
rapport direct entre l’art et le message et encore
moins si ce message est politique sous peine de se
brûler à l’artifice. De sombrer. Je préfère signer des
attrape-nigauds sans me servir de cette caution.
Quel genre de nigauds attrapez-vous avec vos
plaques ?
Eh bien ! ceux qui prennent ces plaques pour des
tableaux et les accrochent aux murs. Rien ne dit
d’ailleurs que le nigaud ne soit leur auteur qui a
cru être linguiste en sautant la barre de la formule
Signifiant/Signifié et qui, en fait, n’aurait que joué
au professeur. »
Marcel Broodthaers, « Dix mille francs de récompense » d’après une interview
d’Irmeline Lebeer, Catalogue-Catalogus, Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, 1974.
Autres oeuvres de Marcel Broodthaers
Dans cette œuvre, les lettres sont la matière des
mots puisqu’elles remplacent la peinture sur la
palette qui servirait à peindre un tableau.
Marcel Broodthaers, Langage de fleurs, 1965
Bois, peinture, plastique
Estate Marcel Broodthaers
Oeuvres d’autres artistes
D’autres artistes conceptuels ont travaillé des
matières industrielles comme le néon en jouant
également sur les mots et ce qu’ils représentent
comme Jospeh Kosuth qui joue sur le sens du mot et
la matière.
Dans cette œuvre qui énonce « cette œuvre est
très fragile, ne pas toucher », Jeppe Hein reprend
lui aussi les codes du musée en reprenant un
message qui lui est associé. Cette œuvre joue
aussi sur la représentation puisque cette œuvre est
effectivement fragile !
Joseph Kosuth, Neon, 1945
Jeppe Hein, This artwork is extremely fragile..., 2009
Courtesy Galleri Nicolai Wallner, Copenhagen
21
7. Section des Figures. Der Adler
vom Oligozän bis heute (L’Aigle de
l’oligocène à nos jours), 1972
Détails. Département des Aigles
C’est en tant que « conservateur » que Marcel
Broodthaers demande des œuvres à des artistes tels
Gerhard Richter, Sigmar Polke, Richard Hamilton,
Konrad Klapheck au côté de plus de quatre cents
objets, peintures, sculptures, objets d’usage,
inscriptions publiques, ayant tous pour point
commun de représenter un aigle, et accompagnés
chacun de la plaquette « Ceci n’est pas une œuvre
d’art. N°… ». Les détails de cette section sont
reconstitués pour la première fois à la Monnaie
de Paris, grâce aux prêts des mêmes institutions,
collectionneurs, antiquaires qui avaient été
contactés à l’époque par le Département des Aigles.
Tous les objets rassemblés ici, qu’ils soient des
œuvres d’art empruntées par Marcel Broodthaers à
des artistes, des objets archéologiques empruntés
au Département des Antiquités orientales du Louvre,
des monnaies empruntées à la collection de la
Monnaie de Paris ou encore de simples projections
de diapositives sur l’image de l’aigle dans la
publicité, portent tous la même inscription et sont
donc tous placés au même niveau. La numérotation
des objets n’installe pas d’ordre hiérarchique entre
eux, ni de distinction esthétique ou qualitative.
Ces objets sont présentés de manière semblable
tout en étant très différents, Marcel Broodthaers
réaffirmant ainsi leurs spécificités individuelles.
Avec cette phrase, Marcel Broodthaers détourne
le ready-made de Marcel Duchamp, c’est-à-dire
un objet manufacturé qui devient une œuvre par le
geste de l’artiste qui le présente comme telle. Pour
cela, il reprend la phrase de Magritte de son célèbre
tableau, La trahison des images (1929), “Ceci n’est
pas une pipe”.
Les objets sont inclus dans la Section des Figures,
qui se présente comme une section du musée fictif
créé par l’artiste mais qui est aussi une œuvre en
soit. Il y a plusieurs mises en abîmes. Plusieurs
couches de représentation se superposent. La
Section des Figures pose la question suivante :
quel impact produit l’exposition et le discours sur
la perception d’une œuvre ? L’institution culturelle
s’approprie le sens de ces objets et instaure un
rapport entre le discours, la phrase, et l’œuvre au
sein d’un même espace pour mettre en avant le
caractère despotique et conventionnel du langage.
Marcel Broodthaers, Musée d’Art Moderne Département des Aigles,
Section des Figures
Städtische Kunsthalle, Düsseldorf 16 mai - 9 juillet 1972
Photographie copyright Maria Gilissen
22
Marcel Broodthaers utilise l’allégorie de l’Aigle qui
est motif récurrent dans son œuvre, dès 1961, date
de la publication de son recueil de poésies La Bête
noire, dont est issu le poème Le Zodiaque dans
lequel apparaît une phrase qui deviendra, par la
suite, emblématique de sa production:
« Tristesse, envol de canards
sauvages. Mélancolie, aigre château
des aigles. »
Cette strophe est le point de départ d’autres œuvres
plastiques avec la figure de l’aigle qui est un
symbole impérial, évoquant la force et le pouvoir.
Broodthaers joue sur la métaphore de l’aigle et
souhaite le
déloger du ciel imaginaire où il vole
depuis des siècles et nous menace de
sa foudre – en pierre, en bois, enrobé
d’or
ou d’acier inoxydable.
Marcel Broodthaers, Section des Figures, dans Marcel Broodthaers et Anna
Hakkens, « Marcel Broodthaers par lui-même.Introduction et choix des
textes », Gand - Amsterdam, Ludion ; Paris, Flammarion, 1998, p. 89
Grâce à tous les objets et œuvres rassemblés dans
cette section des figures, l’Aigle apparaît sous les
trois formes que Marcel Broodthaers fait dialoguer :
mot, objet, image, comme d’autres artistes
conceptuels de l’époque comme Joseph Kosuth.
Je crois que l’exposition rend
évidente que l’aigle et sa
représentation sont eux-mêmes une
fiction.
Deux fictions se rejoignent.
MB dans la Préface au Catalogue Section des figures (Der Adler vom Oligozän bis
heute), Düsseldorf, Städtische Kunsthalle, 2 vol. 16 mai-9 juillet 1971.
Oeuvres d’autres artistes
Fountain est un ready-made, c’est-à-dire « un objet
tout prêt ». Marcel Duchamp a proposé cet objet en
tant qu’œuvre d’art pour l’exposition de la Société
des Artistes Indépendants de New York sous le nom
de Richard Mutt. L’objet a été refusé sous prétexte
qu’il ne s’agissait pas d’une œuvre d’art mais d’un
objet manufacturé, industriel, acheté par l’artiste
mais non créé par lui. Le geste de l’artiste se limite à
signer l’objet et le dater.
Marcel Duchamp avec ce geste a créé l’idée du
ready-made qui libère un objet de sa valeur d’usage
pour le transformer en objet d’art par le choix de
l’artiste. Cette œuvre marque un tournant dans l’art
contemporain et pose les bases de l’art conceptuel.
Alfred Stieglitz, photographie 10 de la Fountain de Marcel Duchamp, 1917
Ce tableau très célèbre de René Magritte montre le
rapport entre l’objet et sa représentation, en mettant
à jour l’aspect conventionnel du langage. En effet,
comme le tableau l’indique, « ceci n’est pas une
pipe » mais la représentation d’une pipe. Il s’agit
de l’image et non pas de l’objet et pour pourtant, la
phrase même instaure une contradiction en utilisant
aussi le mot « pipe ». Ce sont ces rapports entre mot,
image et objet qui sont repris par Magritte et par
Broodthaers.
René Magritte, La Trahison des images, 1929
Huile sur toile
Los Angeles County Museum
Dans cette œuvre, Joseph Kosuth rassemble l’objet
chaise, sa photographie, donc une représentation
mécanique, et sa définition écrite sur le mur.
L’ensemble est la triple représentation d’une même
chose sans qu’il y ait une répétition formelle.
Sa démarche est différente de celle de Marcel
Broodthaers qui répète la figure de l’Aigle mais ils
jouent tous les deux sur les formes de représentation
et sur les rapport entre le mot, l’image et l’objet.
Joseph Kosuth, One and three chairs, 1945
23
8. Section Publicité, 1972
Photomontages, vitrines, cadres, objets divers et
projections diapositives
305 x 438 x 624 cm
Collection K21, Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen,
Düsseldorf
« Le Musée d’Art Moderne Dt des
Aigles fondé en 1968 présente un
aperçu sur la Section des Figures,
Photos-Dias–Objets, Aigles depuis
3500 ans avant J.-C ».
Marcel Broodthaers dans le catalogue de la Documenta V en 1972
Marcel Broodthaers prolonge sa réflexion
sur les rapports entre l’objet, l’œuvre et leurs
représentations dans la Section Publicité (1972)
présentée à Kassel à l’occasion de la Documenta
V en 1972 sous l’invitation d’Harald Szeeman. Elle
met l’accent sur la reproductibilité des œuvres et
pose la question du spectateur consommateur en
reproduisant la Section des Figures sous forme de
document et de photographies.
Il livre ici une réflexion sur le pouvoir et la circulation
des images des œuvres d’art et quel rapport nous
entretenons avec elles.
« En publicité, l’aigle a conservé
tous ses caractères de suggestion
magique, au service donc des
produits industriels. [...] La
forme critique sous laquelle il
est présenté ici consiste en une
double projection : d’une part, on
voit les aigles dans l’histoire de
l’art et d’autre part, rien que des
images de publicité ». Marcel Broodthaers, extrait d’un entretien avec Georges Adé, le 1er octobre 1972
Comme l’explique Walter Benjamin dans son livre
L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique,
la reproductibilité des œuvres par la photographie
et le cinéma transforme à la fois les œuvres et
l’institution muséale qui les conserve et les expose.
Marcel Broodthaers joue sur cette ambigüité du
rapport entre l’original et sa reproduction, en
ajoutant un niveau de lecture lié à la publicité. Il
créé lui-même la publicité des œuvres d’art en
présentant les photographies des œuvres qu’il avait
précédemment montrées.
La culture est-elle encore importante ?
A mon avis, oui, d’autant plus si elle
incorpore la pensée dans un cadre
de référence qui peut vous aider à
vous défendre contre les images et les
textes véhiculés par les médias et par
la publicité qui déterminent nos règles
de comportement et notre idéologie.
Ce musée fictif prend pour point de
départ l’identité de l’art et de l’Aigle...,
il allait de soi d’estampiller l’Urinoir
de Duchamp (1917) du signe de
l’Aigle, plus exactement, la photo de
l’objet sanctifié par l’histoire de l’art,
montrée ici avec beaucoup d’autres
documents.
Publicité pour l’art et l’art de la
publicité. Mais qui remarque l’action
magique exercée par des artistes
anonymes (grâce au symbole de
l’autorité), au service de la diffusion
des produits de l’industrie ? Ceux
qui vivent dans le contexte de l’art et
considèrent ainsi l’art en tant qu’art.
Et seuls ceux à qui importe le contexte
social de ces productions. Mais que
voit le public, le grand public et tous
ceux qui regardent des matchs de
football.
Marcel Broodthaers « Museum für moderne Kunst – Abteilung die Adler », Heute Kunst,
Milan N°1, avril 1973, pp20-23
24
Oeuvres d’autres artistes
Sur les liens avec la publicité, Andy Warhol est un
artiste qui a également joué sur les rapports entre
art et publicité. Il est le représentant du Pop Art
américain. La démarche est différente de celle
Marcel Broodthaers : il ne travaille pas sur l’image
de l’œuvre d’art qui devient publicité mais plutôt la
publicité qui devient œuvre d’art comme avec ses
fameuses Campbell Soup.
Andy Warhol, Campbell’s Soup I (1968)
Los Angeles County Museum
L’idée du musée imaginaire est très présente au
cours du XXème siècle, du Musée imaginaire de
Malraux (1947), qui étudie la métamorphose de
l’œuvre d’art au sein du musée qui se transforme
encore avec le développement de la photographie,
au Musée des Obsessions d’Harald Szeeman qui
présente des expositions dans son appartement à
Berne puis dans plusieurs capitales européennes.
Cette idée se poursuit aujourd’hui avec le
questionnement de Marcel Broodthaers concernant
la circulation des images avec les musées virtuels,
définis comme « musées hors les murs », autre idée
pour laquelle Marcel Broodthaers était précurseur
en faisant voyager son musée fictif de ville en ville, et
qui profitent aujourd’hui de la révolution numérique
pour devenir non plus des musées hors les murs mais
des musées sans mur avec des projets comme les
Artists Web Projects de la Dia Art Foundation.
Pour voir ces travaux interactifs, suivez le lien
suivant :
http://www.diaart.org/artist_web_projects.
25
9. Monsieur Teste, 1975
9. Lettres ouvertes, 1975
L’œuvre de Marcel Broodthaers emprunte son titre
au personnage créé par Paul Valéry. A travers la
figure de Monsieur Teste, un écrivain très talentueux
qui renonce au succès, Paul Valéry défend l’idée qu’il
faut négliger l’œuvre au profit de la vie ou « faire
de sa vie une œuvre d’art ». Marcel Broodthaers
pose la question du statut de l’œuvre d’art dans son
Musée d’Art Moderne – Département des Aigles
notamment et il fait référence ici à une œuvre
littéraire qui pose aussi cette question du rapport
entre œuvre et artiste tout en lui donnant une forme
plastique : une installation composée d’un automate
en costume lisant l’Express qu’il tient entre ses mains
sur un fond d’une photo de plage et de palmiers. Ce
texte a beaucoup marqué les surréalistes comme
André Breton.
• « Mon cher Wagner », Cologne, octobre 18..
Je pensais qu’en Valéry, M. Teste
avait à jamais pris le pas sur le
poète, et même sur l’amateur de
poèmes, comme il s’était plu naguère
à se définir. À mes yeux, il bénéficiait
par là du prestige inhérent à un
mythe qu’on a pu voir se constituer
autour de Rimbaud – celui de
l’homme tournant le dos, un beau
jour, à son œuvre, comme si certains
sommets atteints, elle „repoussait“
en quelque sorte son créateur.
• « Lettre ouverte », Anvers , 11 octobre 1968
Mannequin automate assis sur une chaise en osier,
journal, photo de plage et palmiers
Estate Marcel Broodthaers
André Breton, Entretiens avec A. Parinaud.
Cette œuvre rassemble plusieurs fils rouges de
l’œuvre de Marcel Broodthaers : celui des « décors »
qu’il développe dans les différentes sections de
son musée puis dans les décors qu’il créé que l’on
retrouve dans la Salle Blanche (page 16), celui du
voyage et de l’exotisme que l’on retrouve dans les
œuvres comme Jardin d’hiver II (page 12),celui du
rapport à la fiction avec cet automate qui bouge et
donne donc l’illusion d’un homme lisant un journal et
le lien très fort avec la littérature par la référence de
cette œuvre au poème de Paul Valéry.
• « A mes amis », Bruxelles, avril 1968, Lettre ouverte
adressée à l’éditeur de la revue « Art International »
et aux directeurs de la 1ère Biennale de Lignano
• « A mes amis », Palais des Beaux-Arts, Bruxelles, 7
juin 1968
• « Mon cher Beuys », Bruxelles, 14 juillet 1968
• « Ouverture », Ostende, 7 septembre 1968, Lettre
ouverte au Cabinet des Ministres de la Culture
• « A mes amis, Museum », Département des Aigles,
Düsseldorf, 19 septembre 1968
• « Chers amis », Département des Aigles, Paris, 29
novembre 1968
• « Lettre ouverte au Ministre de l’Education
Nationale et de la Culture », 3 mars 1969
• « Mon cher Kasper », Département des Aigles,
Bruxelles, 9 mai 1969
• « Chers amis », Département des Aigles, Anvers, 10
mai 1969
• « Mon cher Jacques », Département des Aigles,
Bruxelles, 21 juillet 1969
• « Chers amis », 27 septembre 1969
• « Mon cher Immendorf », Département des Aigles,
Anvers, 29 septembre 1969
• « Mon cher Lamelas », Musée d’Art ModerneDépartement des Aigles, Section littéraire, Bruxelles,
31 octobre 1969
• « Chers amis », Anvers, 2 décembre 1969
• « Mon cher Claura », 1er janvier 1970
• « Mon cher Beuys », Düsseldorf, 25 septembre 1972
Estate Marcel Broodthaers
26
9. Sélection d’éditions, 1975
• Cahiers – Service financier, 1972
Cahier d’écolier écrit à la main, billet de 100 DM,
aiglé découpé. Collection Marie Puck Broodthaers
Ces lettres annoncent l’ouverture du Musée d’Art
Moderne – Département des Aigles comme le
papier à lettre de la Section Littéraire qui montre
bien comment Marcel Broodthaers a accompagné
l’ouverture de son musée fictif avec toutes les
formalités et les accessoires qui pouvaient y être
associés. On retrouve la même idée avec les six
Lettres ouvertes, Avis, 1972.
Les lettres se réfèrent chaque fois à
des éléments dont je ne donne pas la
clef. C’est volontaire. [...] Pour moi,
ces lettres sont un peu le contraire
d’un moyen de communication [...]
Elles communiquent plutôt en fait le
nom
du musée.
MB en 1970 dans Ludo Bekkers, « Gesprek mit Marcel Broodthaers », Museumjournaal,
Amsterdam, 15 février 1970, cité à partir du texte original français non publié de la
bande sonore du 13 décembre 1969.
• Cahiers (projet pour un traité de toutes les figures
en trois parties), 1971
Cahier d’écolier écrit à la main, billet de 100 DM,
aigle découpé. Collection Jürgen Harten
• 5 ardoises magiques ou la signature de l’artiste,
1973. Estate Marcel Broodthaers
• Avis. Six lettres ouvertes, 1972
Six feuilles illustrées sur papier à en-tête du Musée
d’art Moderne, Département des Aigles
MACBA Collection. MACBA Foundation, Barcelone
• Gedicht - Poem - Poème / Change - Exchange Wechsel, 1973
Deux feuilles sérigraphiées rouge et noir sur carton
Collection Frac Nord-Pas-de-Calais, Dunkerque
• La Conquête de l’espace. Atlas à l’usage des
artistes et des militaires, 1975
Livre miniature de 38 pages et son emboitement
MACBA Collection. MACBA Foundation, Barcelone;
Estate Marcel Broodthaers
• Atlas, 1975
Impression noir sur papier blanc
MACBA Collection. MACBA Foundation, Barcelone;
Estate Marcel Broodthaers
• Papier à lettre de la Section Littéraire, 1968
Estate Marcel Broodthaers
• Couverture de Musée d’Art Moderne à vendre
pour cause de faillite, 1971
Encre imprimée en offset sur papier
Estate Marcel Broodthaers
• Museum-Museum, 1972
Deux feuilles sérigraphiées or, blanc et noir sur
carton
MACBA Collection. MACBA Foundation, Barcelone;
Estate Marcel Broodthaers
• Dessin préparatoire de Museum-Museum, 1972
Encre sur papier
Estate Marcel Broodthaers
• ABC, 1974
Impression et peinture au pochoir sur serviette
éponge
Estate Marcel Broodthaers
27
Marcel Broodthaers a été poète toute sa vie ce qui
détermine sa pratique de l’écriture et son rapport à
l’édition, comme le démontre la sélection d’éditions
présente dans cette salle.
Ces éditions permettent un véritable jeu de piste
dans l’œuvre de Marcel Broodthaers, à travers les
grands thèmes qui l’ont occupé durant toute sa
carrière.
Marcel Broodthaers détourne les codes des musées
mais aussi ceux des outils d’apprentissage comme
dans Les Animaux de la ferme, 1974, où il reprend
les affiches avec des photos de différentes races
de vaches et de taureaux que l’on pouvait voir dans
les salles de classe en remplaçant leurs noms par
des marques de voitures, à la manière de Magritte
qui créé un rapport contradictoire entre le mot et
l’image.
Marcel Broodthaers, La Conquête de l’espace. Atlas à l’usage des
artistes et des militaires, 1975
Livre miniature et son emboîtement
MACBA Collection. MACBA Foundation
28
Marcel Broodthaers, Les Animaux de la ferme,
1974.
Deux feuilles, impression couleur
Estate Marcel Broodthaers
Un autre outil d’apprentissage est l’atlas que
Marcel Broodthaers détourne dans La Conquête
de l’espace. Atlas à l’usage des artistes et des
militaires, 1975 qui est un livre miniature, « le plus
petit atlas du monde », dans lequel les pays sont
reproduits sur une page, comme une tâche d’encre.
De cette édition, il a produit un tiré à part où sont
reproduits trente deux pays, représentés à une taille
identique et non à une même échelle. Se côtoient
l’Angleterre et l’Australie, l’Italie et Haïti, l’Allemagne
et l’Afrique du Sud. Tâches noires, à la Rorschach, les
formes de ces pays ne délivrent plus d’information
de type géopolitique, mais évoquent plutôt un code,
une nomenclature mystérieuse ou un alphabet
crypté dans une spatialisation chère à l’artiste et
poète qu’était Broodthaers, grand admirateur de
Mallarmé et de Magritte. On retrouve ce travail sur
la carte politique du monde dans son film A film by
Charles Baudelaire, 1970 (page 32).
Ces éditions font aussi référence au Musée d’Art
Moderne – Département des Aigles. Les deux
cahiers présents dans les vitrines font partie d’une
série de 12 cahiers que Marcel Broodthaers a
commencé à écrire, chacun sur un thème, avant de
les envoyer à différentes personnes. Celui qu’il a
envoyé à Jurgen Harten, le directeur de la Kunsthalle
de Düsseldorf qui a présenté la Section des Figures
en 1972, reprend le thème de la figure. Chaque
cahier contient une enveloppe bleue avec un billet
de 100 DM ; l’aigle a été découpé et collé sur la
partie pointue de l’enveloppe. Les initiales M.B. sont
à cheval sur une page du cahier. L’enveloppe est
souvent adressée à la Deutsche Bundesbank.
Ce rapport direct avec l’argent se retrouve dans
la Section financière (page 30) du Musée d’art
Moderne – Département des Aigles que l’on retrouve
dans la salle suivante. Le lien entre l’art et l’argent se
retrouve également dans Gedicht – Poem – Poème
/ Change – Exchange – Wechsel, 1973, où l’artiste
utilise sa signature M.B. comme des chiffres utilisés
dans une addition en indiquant aussi des sommes
dans différentes devises 125 DM / 1650 F.FL / 98 £
/ 50 $ et en indiquant la somme totale, comme si la
signature de l’artiste devenait une monnaie en soit,
réflexion sur la spéculation du marché de l’art sur la
côte des artistes qui sont déjà perçus à cette époque
comme des investissements.
Marcel Broodthaers, Cahiers – Service financier, 1972
Cahier d’écolier écrit à la main, billet de 100 DM, aiglé découpé.
Collection Marie Puck Broodtha
29
10. Section Financière, 1970
Lingot d’un kilo d’or
Département des Aigles
Courtesy Danh Vo
Il ne faut pas se sentir vendu avant
d’avoir
été acheté.
Marcel Broodthaers dans la première lettre ouverte du 27 juin 1968 annonçant
l’ouverture du Musée d’Art Moderne. Département des Aigles.
Dans la Section Financière (1970) du Musée
d’Art Moderne – Département des Aigles, Marcel
Broodthaers déclare le musée « à vendre pour
cause de faillite ». Il fait une édition de lingots d’un
kilo d’or frappés de l’emblème du musée : l’Aigle.
Le lingot devenu œuvre d’art devait être vendu à
un prix calculé en doublant la valeur de marché
de l’or, la surtaxe représentant la valeur de l’art.
Le lingot est associé à un contrat de vente et à une
lettre manuscrite du conservateur pour éviter la
fabrication de faux, un exemplaire était déposé
dans le coffre d’une banque au nom du Musée d’Art
Moderne - Département des Aigles.
Cette idée est reprise dans Museum-Museum,
1972, deux feuilles sur lesquelles sont représentés
des lingots d’or frappés d’un aigle et audessous de chacun est écrit le nom d’un peintre
célèbre (Mantegna, Bellini, Giorgione, Da Cosimo,
Cranach, Watteau, David, Ingres, Boecklin,
Chirico, Duchamp, Magritte…) ; sous les quatre
derniers lingots de la feuille est écrit en majuscules
IMITATION, KOPIE, COPIE, ORIGINAL.
Tout en continuant ses multiples références à
d’autres artistes, il continue aussi sa réflexion sur
l’œuvre et sa reproduction, l’original et la copie et
donc l’autorité de la signature de l’artiste.
Marcel Broodthaers développe une série de mise
en abîme. Ici, il indexe la valeur de l’art sur la
valeur de l’or, déterminé par le marché financier,
valeur également utilisée comme indexe financier à
partir de l’étalon or. Art et économie se rencontrent
pour servir la réflexion de Marcel Broodthaers sur
l’économie de l’art et de ses institutions, il met son
musée en vente, mais aussi sur la valeur de l’art et
comment elle se définit. Il réduit en effet l’œuvre à
un bien de consommation avec les mêmes règles
régies par le marché.
Le lingot est présenté ici par Danh Vo. Il a été frappé
de l’Aigle dans les Ateliers de la Monnaie de Paris.
Comme Marcel Broodthaers, la pratique de Danh Vo
inclut la collection et le commissariat d’exposition à sa
production artistique.
Marcel Broodthaers, Section Financière, 1970
Lingot d’un kilo d’or
Département des Aigles; Courtesy Danh Vo
30
Oeuvres d’autres artistes
Yves Klein, un artiste faisant partie du groupe
des Nouveaux Réalistes, utilise aussi l’or comme
instrument et étalon d’échange. En novembre 1959,
il expose à New York chez Leo Castelli ses Works in
Three Dimensions. Ces œuvres sont vendues sous
forme de reçus pour des «zones de sensibilités
picturales immatérielles» avec une valeur indiquée
en or. Ces zones correspondent à l’espace pur
imprégné de la présence de l’artiste, continuant
ainsi l’idée du ready-made de Marcel Duchamp,
l’artiste créant une œuvre immatérielle par sa
propre présence. Pour que l’œuvre lui appartienne,
l’acquéreur doit bruler le reçu et Yves Klein jette un
morceau d’or correspondant à la moitié de la valeur
indiquée sur le reçu dans un lieu où il est impossible
de le récupérer.
Yves Klein cède à Michael Blankfort la Zone de sensibilité picturale
immatérielle n°1, Série 4, 10 février 1962.
Yves Klein, reçu donné à Paride Accetti pour l’achat de la Zone
de sensibilité pictuale immatérielle n°3, Série n°1, collection
particulière.
31
11. Cinéma Modèle (Programme La
Fontaine), 1970
Projections de 5 films
Maria Gilissen, l’épouse de Marcel Broodthaers
parle de l’ouverture de Cinéma Modèle dans le
catalogue de l’exposition éponyme présentée au
Kunstmuseum Winterthur en 2012.
Sous le haut patronage de La Fontaine, Marcel
Broodthaers inaugure en 1970 Cinéma Modèle au
12 Burgplatz à Düsseldorf, maison dans laquelle a
vécu Goethe.
Bien que M B souvent en retard au 12, en raison
de son rythme de sommeil décalé, Cinéma
Modèle, Nouvelle Activité du Musée d’Art Moderne
Département des Aigles, présente au public un
programme de cinq films chaque jour de 14h à 18h :
Le Corbeau et le Renard
La Clef de l’horloge
La Pluie
La Pipe
Un film de Charles Baudelaire
Marcel compose dans ces espaces quelques
réflexions filmiques en y mêlant notamment
littérature, interprétation poétique, photographie,
dessin et toujours un art scénique de l’effacement
de l’écriture : par exemple, dans La Pluie, rendre
illisible son texte, tel un déchronologue, sans
doute afin de mettre en exergue cette écriture en
mouvement inversé.
Les figures semblent être une forme de rhétorique,
de langage qui atteste d’une autre forme de
discours.
Ces films constituent autant d’hommages, aux
anciens, à ses référents : La Fontaine, Schwitters,
Mallarmé, Magritte, Baudelaire.
Pendant Cinéma Modèle, j’assistais Marcel lorsqu’il
faisait le montage de deux petits films à la main ;
un peu plus tard, il a pu acquérir une colleuse avec
ruban adhésif, et une petite visionneuse.
Après Cinéma Modèle, Marcel ouvre dans le même
espace la Section Cinéma. Le Musée d’Art Moderne
Département des Aigles dans son entièreté me sera
dédicacé par lui : « Je dédie le Musée d’Art Moderne
Département des Aigles à ma femme Maria
Gilissen ».
• Le Corbeau et le Renard
Film en couleur, 7 mn, écran de projection en bois,
écran de projection en toile photographique, portfolio
en carton contenant deux typographies sur carton et
trois toiles photographiques
Estate Marcel Broodthaers ; Collection Musée d’Art
Moderne de la Ville de Paris ; Galerie Kewenig, Berlin
• La Clef de l’Horloge (un poème cinématographique
de Kurt Schwitters), 1957
Film en noir & blanc, son, 7 minutes
• La Pipe (René Magritte), 1969
Film en noir & blanc, 2,5 minutes
• La Pluie (projet pour un texte), 1969
Film en noir & blanc, 2 minutes
• A film by Charles Baudelaire, 1970
Film en couleur, son, 6,30 minutes
Cinéma Modèle, 1970
Plaques en plastique embouti et peint
Estate Marcel Broodthaers
Cinéma Modèle (Programme La Fontaine) consiste
en une séance de cinq films dans le sous-sol du
nouveau lieu de résidence de l’artiste à Düsseldorf,
le 15 Novembre 1970. Cette installation, prévue
jusqu’au 15 avril 1971, se termina seulement cinq
semaines plus tard.
Avec le sous-titre Programme La Fontaine, Cinéma
Modèle est composé de la projection de cinq films,
chacun étant inspiré par un artiste ou un auteur
qui a influencé Marcel Broodthaers. L’un d’entre
eux est La Fontaine dans Le Corbeau et le Renard
(1967) qui exprime au plus haut point l’union entre
la poésie (le livre), l’image (le film), et l’exposition
(objets, toiles photographiques, écrans imprimés…).
Son premier film en 1957, La Clef de l’Horloge (Un
Poème cinématographique en l’honneur de Kurt
Schwitters) est un hommage à un autre de ses
modèles dans le titre même de l’œuvre, comme avec
La Pipe (René Magritte) (1969) et A film by Charles
Baudelaire (1970). L’influence de Mallarmé est de
nouveau visible dans le film La Pluie (projet pour
un texte) (1969), où dans le jardin du Musée d’Art
Moderne - Département des Aigles, Broodthaers
écrit un texte tandis qu’une averse éclate et que
l’eau efface inexorablement chaque mot, chaque
trace d’écriture.
Je ne suis pas cinéaste. Le film
pour moi, c’est le prolongement du
langage…
Extrait d’une interview de Marcel Broodthaers accordée à la revue Trépied en 1968
32
La Clef de l’Horloge (un poème cinématographique
de Kurt Schwitters), 1957 est le premier film de
Marcel Broodthaers. Il l’a présenté en 1958 au
Festival du film expérimental de Knokke le Zoute
et gagne le premier prix. Ce court métrage a été
tourné dans une exposition dédiée à l’artiste Kurt
Schwitters au Palais des Beaux Arts de Bruxelles
alors que Marcel Broodthaers y travaillait en tant
que guide-conférencier.
C’est un tableau. Il est le créateur
de l’art MERZ. MERZ est la seconde
syllabe du mot allemand KOMMERZ.
Avec beaucoup de colle il a assemblé
des vieux débris, pour composer
des ensembles hétéroclites de toute
beauté.
Extrait du film.
Marcel Broodthaers admirait Kurt Schwitters et son
projet Merzbau qui est une construction habitable
de dimension variables constituée d’objets trouvés.
Son film, comme les œuvres de Kurt Scwhitters
est un assemblage, un collage d’images, de mots
accompagné d’un texte.
Marcel Broodthaers fait une référence directe à
René Magritte dans le film La Pipe (René Magritte),
1969, en citant son nom mais aussi l’objet qui est le
plus associé à son œuvre. Dans ce film se succèdent
des séquences en gros plan face à un mur en
brique en face duquel alternent le mur, de la fumée
apparaissant du bas de l’image, une pipe, une
grande horloge, une pipe dont sort de la fumée.
J’ai beaucoup réfléchi à l’art actuel,
et découvert que l’œuvre de Magritte
est l’une des sources principales
de l’art plastique contemporain.
Dans Magritte on peut retrouver à
son tour le message de Mallarmé …
pour autant qu’on puisse parler de
message.
D’abord son art a été obscurci
par l’ignorance, le mépris, la
méconnaissance. Aujourd’hui on
peut parler du contraire absolu : il
est extraordinairement célèbre que
peu de gens ont eu l’occasion de
voir réellement un Magritte. Je ne
crois pas que je me sois servi de son
langage.
Ce que j’ai également remarqué,
c’est que Magritte commence
maintenant à jouir d’une célébrité
posthume immense. Cette célébrité
est particulièrement suspecte, car
elle est essentiellement liée à la
flambée des prix de ses tableaux, si
bien que sont art est en fait obscurci
par cette gloire.
Au contraire, dans ces plaques
de plastique avec des pipes et
l’inscription de son nom, j’ai essayé
de déployer son langage. J’utilise, si
l’on veut, les mêmes éléments, mais
je leur donne une autre orientation
réaliste. Je ne me suis pas attaché
aux idées de poésie et de Mystère,
je me suis plutôt servi de cette
distorsion du grand et du petit,
de l’objet et de sa représentation,
pour faire apparaitre la réalité
sociologique. Extrait d’une interview de 1969 reproduite dans Cinéma Modèle, Kunstmuseum
Winterthur, 2012
33
Dans La pluie (projet pour un texte), 1969, Marcel
Broodthaers est installé dans le jardin de la Rue
de la Pépinière durant la période où Broodthaers
présentait la Section XIXe siècle du Musée d’Art
Moderne – Département des Aigles. Il commence à
écrire un texte lorsque des trombes d’eau tombent
du ciel effaçant inexorablement toutes les lignes.
Dans la dernière séquence, alors qu’il abandonne et
qu’il repose son crayon, l’inscription « projet pour un
texte » apparaît. Le titre de ce film est donc teinté de
l’humour propre aux œuvres de Marcel Broodthaers,
le texte cité ne restant bien qu’à l’état de projet
puisqu’il ne pourra jamais être fini. L’effacement est
un élément présent dans d’autres œuvres de Marcel
Broodthaers, comme Les Ardoises magiques (page
28).
Il fait également référence à Mallarmé, comme
dans son œuvre Un coup de dés jamais n’abolira le
hasard (page 17) reprenant le titre d’un poème de
l’auteur, remplace mots et phrases par de simples
lignes grises de la longueur et de la hauteur de la
typographie d’origine. En effet, dans les dernières
secondes du film, la caméra se rapproche de la
page blanche et l’on voit que l’artiste n’écrit pas
des mots mais traces seulement des lignes. Marcel
Broodthaers propose un nouveau leurre basé sur
l’interprétation de l’image par le regardeur.
Marcel Broodthaers joue le leurre et l’humour dans
ses films comme dans ses autres œuvres et le film A
film by Charles Baudelaire, 1970 n’échappe pas à la
règle.
Un film de Charles Baudelaire n’est
pas un film destiné aux cinéphiles.
Pourquoi ? Parce qu’il a été tourné
au XIXe siècle. Et que les cinéphiles
n’ont jamais vu de bobines datées
d’un temps où Muybridge, les
frères Lumières et Edison n’étaient
pas encore nés ou faisaient leurs
premiers pas sous l’œil vigilant des
mamans et des papas industriels.
Mais je prépare un film où chacun
pourra trouver plus aisément son
compte.
Texte reproduit dans Cinéma Modèle, Kunstmuseum Winterthur, 2012
34
Le jardin du Musée d’Art Moderne – Département des Aigles, Section XIXème siècle
avec, au-delà du mur, vue sur les jardins du Musée de la Dynastie, 1968-69
Photographie copyright Maria Gilissen
Ce film n’est peut être pas destiné aux cinéphiles,
non pas parce qu’il a été tourné au XIXè siècle à
une époque où le cinéma n’existait pas, mais parce
qu’il est la contribution de Marcel Broodthaers –
l’équivalent d’une thèse écrite – au séminaire sur
Charles Baudelaire donnée par Lucien Goldmann à
l’Université de Bruxelles en 1969-70. Le film existe en
deux versions, la première en français qui n’a jamais
été diffusée du vivant de Marcel Broodthaers et la
seconde en anglais. Le film reprend des associations
de mots et d’images tout en faisant référence aux
propres œuvres de Broodthaers.
Toujours en alternant les références à ses propres
œuvres et à de grands artistes qu’il admire, Marcel
Broodthaers produit Le Corbeau et le Renard, 1967,
film en référence à la fable de la Fontaine, basé sur
deux poèmes, un inspiré par la fable qu’il a écrit
en avril 1967, et un autre de la même année intitulé
« Le D est plus grand que le T ». Réalisé entre mai
et septembre et utilisant également des archives de
films fournis par la Cinémathèque de Bruxelles, le
film était projeté sur un large écran peint et aussi
sur deux panneaux sur lesquels apparaissaient les
poèmes de Marcel Broodthaers.
Le Corbeau et le Renard a été diffusé pour la
première fois en « privé » en 1967 à Paris (7, quai de
l’Horloge) puis publiquement le 25 décembre 1967
lors de Exprmntl 4 organisé par la Cinémathèque
Royale de Belgique à Knokke-Le-Zoute. Le film a
été accepté à la condition qu’il soit projeté hors
compétition et sur un écran classique.
TRÉPIED : Comment avez-vous obtenu cette
harmonie dans Le Corbeau et le Renard ?
MARCEL BROODTHAERS : J’ai repris le texte de La
Fontaine et je l’ai transformé en ce que j’appelle une
écriture personnelle (poésie), l’objet (la plastique)
et l’image (le film). La grande difficulté, c’est
évidemment l’harmonie entre ces éléments. Devant
la typographie de ce texte, j’ai placé des objets
quotidiens (bottes, téléphone, bouteille de lait) dont
la destination est d’entrer dans un rapport étroit
avec les caractères imprimés. C’est un essai pour
nier autant que possible le sens du mot comme celui
de l’image. Le tournage terminé, je me suis aperçu
que la projection sur l’écran normal, c’est-à-dire la
simple toile blanche, ne reflétait pas exactement
l’image que je voulais composer. L’objet restait trop
extérieur au texte. Il fallait pour intégrer texte et
objet que l’écran soit impressionné par les mêmes
caractères typographiques que ceux du film.
Mon film est un rébus qu’il faut avoir le désir de
déchiffrer. C’est un exercice de lecture.
Cinéma Modèle est une nouvelle œuvre « à tiroir » :
c’est une œuvre composée de films qui sont chacun
des œuvres d’art et elle va évoluer en la Section
Cinéma du Musée d’Art Moderne – Département
des Aigles, projet qui traverse toute l’œuvre de
Broodthaers, présent dans de nombreuses œuvres.
C’est le cas d’un autre film qui ne fait pas partie
de Cinéma Modèle mais qui retrace une partie de
l’histoire du musée et qui est présenté dans la salle
suivante.
TRÉPIED : Alors ce n’est pas un film classique ou
commercial, mais plutôt un film expérimental. Peut
être même un « anti-film » ?
MARCEL BROODTHAERS : Oui et non, car anti-film
reste quand même un film, comme l’anti-roman ne
peut échapper complètement au cadre du livre et
de l’écriture ; mais mon film élargit le cadre d’un
film « ordinaire ». Il n’est pas principalement ou du
moins exclusivement destiné aux salles de cinéma.
Car pour voir et pouvoir comprendre l’œuvre totale
que j’ai voulu réaliser il faut non seulement que le
film soit projeté sur l’écran imprime mais encore
que le spectateur possède aussi le texte. Ce film
se rapproche si vous voulez du « Pop-art ». C’est
pourquoi il va être exposé prochainement dans
une galerie qui en fait tirer 40 exemplaires plus les
écrans et les livres. Il sera donc exploité comme
objet d’art, dont chaque exemplaire comporte
un film, deux écrans, et un livre géant. C’est un
environnement. Extrait d’une interview, 1968, reproduite dans Cinéma Modèle, Kunstmuseum Winterthur,
2012
35
12. Un Voyage à Waterloo, 1969
Film en noir & blanc, 13 minutes
Le film Un Voyage à Waterloo (Napoléon 17691969), 1969 retrace le voyage qu’a fait le Musée
d’Art Moderne – Département des Aigles à Waterloo
que Marcel Broodthaers a réalisé à l’occasion du
bicentenaire de la naissance de Napoléon.
Maria Gilissen a beaucoup collaboré avec Marcel
Broodthaers, notamment sur ses films. Elle résume
ainsi le film :
Les trois premières images du film montrent
quatre panneaux de signalisation, celui de la rue
Bréderode, dans laquelle se trouve le Musée de la
Dynastie, indiqué par le deuxième panneau, puis
« Z » et « Disque obligatoire ».
Parallèle à la rue Bréderode se trouve la rue
de la Pépinière, avec le Musée d’Art Moderne
– Département des Aigles. C’est une rue à sens
unique.
Marcel Broodthaers marchant seul dans la rue, se
dirige vers son musée, 30 rue de la Pépinière.
Arrivée du camion d’une firme de transport
d’œuvres d’art, filmée depuis l’intérieur du musée.
Lecture des inscriptions sur le container.
Marcel Broodthaers, avec un faux nez, sort du
musée en portant une caisse sur l’épaule.
Il charge la caisse dans le container, la caisse est
vide.
36
Le camion sort de la rue de la Pépinière et passe
devant les jardins du Palais Royal. Il traverse la
place Royale puis passe devant le Palais de Justice.
On voit un homme, marchant, qui porte un drapeau
noir (en réalité une culotte).
Solitaire, le camion poursuit sa route, quitte la ville
et prend la direction de Waterloo. Il passe devant
le musée Wellington. L’homme au drapeau noir
traverse la rue avant de disparaître dans la ferme
« Ambulance britannique ». L’homme au drapeau
passe devant le canon.
Sur le container, au-dessous des mots « FONDÉE EN
1854 », sont collées deux étiquettes du musée.
Après l’arrivée au pied de la butte et du Lion,
Broodthaers descend et ouvre la porte du container.
Il en sort la caisse… Comme il l’écrivit le 21 juillet
dans sa « Lettre à Jacques », il y avait « un succès de
foule ». Il dépose la caisse et commencer à fermer la
porte. Il ferme la porte du container. Il met la caisse
sur son épaule. Broodthaers, toujours avec le faux
nez, dépose la caisse, pour s’asseoir dessus. Il se
lève pour tenir un discours. Le canon, lui-aussi, est
pourvu d’une étiquette du musée. Une jeune fille
(anglaise) arrive dans une jaguar. Elle sort de la
voiture et se dirige vers le canon.
Chronologie
Marcel Broodthaers et expositions
« Musée d’Art Moderne - Département des Aigles », 1968-1972
Les films
Les happenings
28 janvier 1924
Naissance de Marcel Broodthaers à Bruxelles
1943
Ecrit des poèmes et entre au parti communiste dont il sera membre pendant plusieurs années.
1945
Publie de poème « L’île sonnante » dans le magazine surréaliste révolutionnaire « Le Ciel Bleu » et collabore à la
revue communiste « Le Salut public », en signant Marcel Broodthaers ou sous le pseudonyme Marcel Canal.
1946
Rencontre René Magritte qui lui offre une copie du poème de Mallarmé « Un coup de dé n’abolira le hasard ».
1947
Il écrit « O Tristesse envol de canards sauvages
Vol d’oiseaux au grenier des forêts
O Mélancolie aigre château des aigles ».
1957. 1er film de Broodthaers La Clef de l’Horloge (Un Poème cinématographique en l’honneur de
Kurt Schwitters). Court métrage de sept minutes tourné à partir des œuvres de l’exposition « Kurt
Schwitters » au Palais des Beaux Arts de Bruxelles en 1956.
1957. 1er recueil de poèmes Mon livre d’Ogre.
1959. Réalise le film Le Chant de ma génération dont il ne reste aujourd’hui que le script.
1961. Publie la plaquette de Poème La Bête noire. Description du zodiaque et de quelques animaux familiers.
23 février 1962
Rencontre Piero Manzoni lors de son exposition à la Galerie Aujourd’hui de Bruxelles. L’artiste italien déclare Marcel Broodthaers « œuvre d’art authentique et véritable » et lui signe un certificat d’authenticité.
1963
Marcel Broodthaers « passe » de poète à artiste. Il commence par occulter une partie du texte de son recueil de
poèmes Pense Bête avec des morceaux de papiers de couleur collés puis il plante dans le plâtre 50 exemplaires de
ce recueil.
Voyage à Paris où il visite l’exposition de George Segal à la Galerie Ileana Sonnabend « Il y a 18 mois, j’ai vu à Paris une exposition de moulages de Segal ; ce fut le point de départ, le choc qui m’entraîna jusqu’à produire moi-même des œuvres. Puis, ce furent Lichtenstein, Jim Dine et Oldenburg qui achevèrent la
germination des graines qu’avait semé l’irritable, le maladroit, le grand René Magritte. »
Extrait de « Marcel Broodthaers par Marcel Broodthaers », 1965.
10-25 avril 1964
Première exposition de Marcel Broodthaers. Moi aussi, je me suis demandé si je ne pouvais pas vendre quelque
chose..., Bruxelles, Galerie Saint Laurent
1964
Marcel Broodthaers reçoit une distinction au Prix de la jeune sculpture belge pour son œuvre Monument Public n°4
(1963).
37
Chronologie
Marcel Broodthaers et expositions
« Musée d’Art Moderne - Département des Aigles », 1968-1972
Les films
Les happenings
23 juillet 1964.
A Sophisticated Happening, Galerie Smith. Lecture d’un article de presse concernant la
notion d’art et d’argent sur lequel il avait collé un petit cadre noir et une paire de lunettes
géantes.
26 mai – 26 juin 1966
Exposition Moules Œufs Frites Pots Charbon Perroquets à la Wide White Space Gallery.
7 au 24 mars 1968.
Le Corbeau et le Renard (d’après La Fontaine), présenté à la Wide White Space Gallery d’Anvers.
29 mai 1968
Début de l’occupation du Palais des Beaux Arts d’Anvers avec le groupe Vrije Aktie Groep Antwerpen (VAGA) avec
l’organisation d’assemblées libres. Marcel Broodthaers est l’animateur des discussions et président de l’une des
premières assemblées libres avant de prendre ses distances avec ce mouvement.
7 septembre 1968
Lettre sous l’en-tête du « Cabinet des ministres de la Culture » annonçant l’ouverture du Musée d’Art
Moderne - Département des Aigles.
29 octobre – 19 novembre 1968
Exposition Multip (i) é inimitable illimité. Exposition de tirages limités et illimités de poèmes industriels, M. U. SE.
E. . D’. A. R. T. CAB. INE. T D. ES. E. STA. MP. E. S. Département des Aigles à la Librairie Saint-Germain-des-Près
à Paris. Ce cabinet des estampes n’a pas été inclus par l’artiste dans son Musée d’Art Moderne Département des
Aigles.
27 Septembre 1968 – 27 Septembre 1969
Section XIXe Siècle, Bruxelles, Rue de la Pépinière
Inauguration du Musée d’Art Moderne. Département des Aigles dans la maison de Marcel Broodthaers.
1968 – 1970/1
Section Littéraire, Bruxelles-Cologne
1968-1969
Réalise le film Musée d’Art Moderne Département des Aigles, Section XIXème siècle dont la première
partie, La Discussion, rapporte la discussion qui a eut lieu le jour de l’inauguration et la seconde partie, Un Voyage à Waterloo (Napoléon 1769-1969) relate un voyage itinérant de son Musée d’Art Moderne Département des Aigles à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Napoléon (Broodthaers chargea
une caisse vide dans un camion et fit le voyage de Bruxelles à Waterloo pour la décharger).
2 – 20 décembre 1969
Exposition littéraire autour de Mallarmé. Marcel Broodthaers à la Deblioudebliou/S à la Wide White
Space Gallery d’Anvers.
27 Septembre – 4 Octobre 1969
Section XVII Siècle, Anvers. Discours de Piet van Daalen, conservateur du Zeeuws Museum à Middelburg.
Août 1969
Section Documentaire sur la plage belge Le Coq
Plan du musée creusé dans le sable par Marcel Broodthaers portant une casquette « Museum » puis
deux pancartes en bilingue : « Défense absolue de toucher aux objets » et « Museum voor Moderne kunst
Afdeling XIXe eeuw ».
38
Chronologie
Marcel Broodthaers et expositions
« Musée d’Art Moderne - Département des Aigles », 1968-1972
Les films
Les happenings
1969
La Pluie (Projet pour un texte)
2 décembre 1969
Exposition littéraire autour de Mallarmé
1970
Section Folklorique / Cabinet de Curiosité, Middelburg, Zeeuws Museum, Département Folklorique
1970
Un film de Charles Baudelaire (Carte Politique du monde)
14 – 15 Février 1970
Section XIX Siècle (bis), Düsseldorf, Stadische Kunsthalle
Discours de Jurgen Harten, directeur adjoint de la Kunsthalle. Première exposition du Musée d’Art Moderne - Département des Aigles dans un musée officielle avec prêts d’œuvres réelles.
Janvier 1971 – Janvier 1972
« Section Cinéma », Düsseldorf, Burgplatz 12 (dans le sous sol d’une maison)
Projection de son film La Discussion, d’un film de Charlie Chaplin, d’un film touristique sur Bruxelles et
de trois autres films. Exposition d’un insigne d’aigle et d’une série d’objets relatifs au cinéma, Fig.1, Fig.2,
Fig.12, Fig. A, repris dans le montage photo Théorie des figures (1974).
5 – 10 Octobre 1971
Section Financière, Musée d’Art Moderne 1970-1971 à vendre pour cause de faillite
Foire de Cologne, Galerie Michael Werner
1971
Section Financière, Musée d’Art Moderne 1970-1971 à vendre pour cause de faillite
Projet pour la Galerie Konrad Fischer, Düsseldorf, avec un soutien de financement pour le Musée d’Art
Moderne en établissant un contact portant sur un lingot à l’effigie de l’aigle, vendu le double du cours du
jour : une moitié au cours de l’or, une moitié pour la valeur de l’art.
Octobre – Novembre 1971
Film als Objekt – Objekt als films au Städtische Museum à Munchengladbach.
2 novembre 1971
Concept, note de Marcel Broodthaers
« 1. Mettre en défaut toute idéologie qui peut se former autour d’un symbole (c’est faux).
2. Etudier objectivement ces symboles (les aigles) et particulièrement leur usage dans la représentation artistique (les aigles sont utiles). 3. Utiliser les découvertes du conceptual art pour éclairer objets et tableaux anciens.
Conclusion : l’aigle est un oiseau ».
16 Mai – 9 Juillet 1972
Musée d’Art Moderne Département des Aigles. Section des Figures. L’Aigle de l’oligocène à nos jours,
Düsseldorf, Stadische Kunsthalle
39
Chronologie
Marcel Broodthaers et expositions
« Musée d’Art Moderne - Département des Aigles », 1968-1972
Les films
Les happenings
30 Juin – 15 Octobre 1972, Kassel, Neue Galerie, Documenta V
30 juin – 8 octobre 1972: Section Publicité
30 juin – 15 août 1972: Section d’Art Moderne
La Section d’Art Moderne, est une pièce vide avec l’inscription « Propriété Privée » dans un carré au
sol entouré de cordons de protection et d’indications signalétiques peintes sur le mur (vestiaire, caisse,
secrétariat).
15 Août – 15 Octobre 1972: Musée d’Art Moderne, Galerie XXème Siècle
Déclinaison de la Section d’Art Moderne où l’inscription « Propriété Privée » est substituée par une série
de verbe d’actions : « Ecrire, peindre, copier, figurer, parler, former, rêver, échanger, faire, informer, pouvoir ».
1er avril 1973
Musée d’Art Moderne, Section des Figure. Département des Aigles. Avis dans Heute Kunst, Milan, n°1
Projet pour un contrat d’achat où l’artiste envisage de vendre son musée, de l’abandonner à la spéculation, comme les œuvres d’art mais la mission même de ce musée est justement d’empêcher la spéculation.
19 septembre 1974
Exposition Ne dites pas que je ne l’ai pas dit – Le Perroquet à la Wide White Space Gallery.
27 septembre – 3 novembre 1974
Exposition Catalogue – Catalogus, rétrospective de Marcel Broodthaers au Palais des Beaux Arts de Bruxelles à
l’occasion de laquelle il fait entrer un chameau dans le musée.
1974
« Berlin oder ein Traum mit Sahne », 35 mm, couleur, son, 10’ et Figures of Wax (Jeremy Bentham).
25 février – 6 avril 1975
Exposition Invitation pour une exposition bourgeoise à la Nationalgalerie de Berlin.
26 avril – 1er juin 1975
Exposition Le Privilège de l’Art au Museum of Modern Art d’Oxford.
11 juin-6 juillet 1975
Exposition Décor. A Conquest by Marcel Broodthaers à l’Institute of Contemporary Art de Londres.
1975
The Battle of Waterloo
2 octobre – 10 novembre 1975
Exposition L’Angélus de Daumier au Centre National d’Art contemporain à l’Hôtel Rotschild à Paris (avant l’ouverture du Centre Pompidou).
1975
La Conquête de l’espace. Atlas à l’usage des artistes et des militaires.
Atlas minuscule qui reprend les images d’ombre de 32 pays tous reproduits à la même échelle.
28 janvier 1976
Mort de Marcel Broodthaers à Cologne
41
Tombe de Marcel Broodthaers dans le cimetière d’Ixelles en Belgique
40
Les Ateliers
La Section des Figures
Où est l’original?
Sur les traces de Marcel Broodthaers, les enfants
peuvent créer la Section des Figures de leur propre
musée en choisissant un animal tutélaire.
Comme Marcel Broodthaers a choisi l’Aigle, symbole
de pouvoir, de noblesse, les enfants peuvent choisir
un autre animal et se poser la question de sa
représentation et de ce qu’il représente au travers
les siècles mais aussi dans les différentes cultures.
Sans répétition formelle, on peut explorer les
différents niveaux de représentation d’un objet
choisi.
Ils peuvent ainsi rassembler des représentations
de cet animal dans leur quotidien (publicité,
images trouvées sur Internet en posant la question
de la source de ces images, des coupures de
journaux mais aussi des objets) et utiliser des
bases de recherche de musées pour retrouver des
représentations de cet animal. Ils pourront ensuite
intégrer les images des oeuvres trouvées dans leur
musée et en faire une copie.
Ce projet peut prendre la forme d’une exposition
mais aussi d’un diaporama, d’un livre, d’un blog.
Et le carton d’invitation qui incitera le public à voir
l’exposition?
Nouveaux trucs, nouvelles combines
Reproduction, détournement, pastiche, parodie,
citation
Refaire une œuvre d’art autrement. En passant
du plan au volume, de l’image au mot, ou bien en
gardant le médium de l’œuvre choisie, faire une
parodie ou bien introduire un détournement. Par
la suite, cela peut donner lieu à une réflexion sur le
dialogue établit avec l’œuvre originale.
42
L’objet peut être dessiné, représenté en
pictogramme, rébus, ombre chinoise, portrait
chinois, de face, de profil, en plongé, contre-plongé.
Et si l’on change son échelle? Que devient-il si l’on
accroche un autre objet par dessus, à coté…
Et s’il est photocopié ou bien photographié? On peut
aussi le décrire, le définir par un seul mot choisit
subjectivement, ou bien par métaphore ou encore
métonymie. On peut aussi écrire un poème à son
sujet à la manière de Ponge dans “Le parti pris des
choses”... Et quelques semaines plus tard quelle
trace en reste-t-il dans notre mémoire?
Une suggestation de présentation finale est faite
en référence à l’oeuvre de Joseph Kosuth, One and
three chairs (page )
Rébus en 3D
Comme Marcel Broodthaers dans ses Poèmes
Industriels et dans ses éditions, les enfants peuvent
faire des rébus mais au lieu de dessiner, ils doivent
trouver les objets même. Ces rébus en 3D peuvent
être pris en photo pour pouvoir être diffusés.
L’imaginaire portatif
Comme pour La Malle en osier de Marcel
Broodthaers créée sur le modèle du “manuscrit
trouvé dans une bouteille” et de “La lettre volée”
d’Edgar Allan Poe, choisissez un contenant et
décrivez ce que l’on peut y trouver mais qu’on ne
peut pas voir.
Atelier: du mot à l’image, de l’image au mot
Admirateur de Mallarmé, de Magritte, les œuvres
de Marcel Broodthaers questionnent les rapports
entre le mot (approche formelle) et son contenu
(approche sémantique). Surprendre le spectateur,
renverser ce qu’il croit savoir fait aussi partie de
la démarche de Magritte, artiste surréaliste belge
qui de 1928 à 1966 n’aura de cesse de remettre en
question le rapport entre l’objet, sa représentation
et son identification.
Les oeuvres de Marcel Broodthaers interrogent la
différence visible entre le texte (porteur de sens)
et l’image (porteuse de formes). Il travaille ainsi
sur l’opposition forme-lettre et l’opposition formecontenu, inscrivant les mots et les images dans
d’autres relations, plus plastiques, vers une poésie
visuelle. Cet atelier se propose d’investir l’écart
entre l’écrit et l’image, le réel et ce qui est suggéré.
1- Exercice commun A la recherche des œuvres de Broodthaers
Un premier temps consiste à explorer les bases de
collection du Centre Pompidou, de la Bibliothèque
Kandinsky (livres d’artistes numérisés), ou des
Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique à la
recherche des œuvres de Marcel Broodthaers.
Il s’agit de se familiariser avec ces outils et
d’appréhender les œuvres dans le contexte d’une
collection de musée (classement, description etc.).
3 groupes peuvent être répartis pour travailler
chacun sur la base de données du site d’un musée.
° Les collections du Centre Pompidou
http://collection.centrepompidou.fr/Navigart/index.
php?db=minter&qs=1
° La Bibliothèque Kandinsky
http://bibliothequekandinsky.centrepompidou.fr/
clientBookline/toolkit/P_Requests/formulaire.asp?I
NSTANCE=INCIPIO&GRILLE=MULTICRITERE_0
[Taper : « livre d’artiste broodthaers » dans le champ
« Titre » afin d’accéder uniquement aux ouvrages
numérisés]
° Les Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique http://www.fine-arts-museum.be/fr/lacollection/?string=broodthaers l’exposition?
2- L’atelier
Dessiner les mots
Le deuxième temps de l’activité propose à chacun
des groupes de passer du virtuel à la pratique
artistique afin de donner corps aux mots, de les
faire passer du côté de l’image.
° Les collections du Centre Pompidou
La recherche retourne 10 résultats qui ne sont
pas illustrés par un visuel de l’œuvre; l’image de
celle-ci est absente. Seul le cartel est disponible:
titre, date, techniques, description détaillée,
historique des expositions. Il s’agira, à partir de ces
informations « standardisées » et en s’inspirant du
titre, d’imaginer par le dessin les formes possibles
que peut prendre l’œuvre.
A l’issu de cet atelier, on comparera les diverses
interprétations dessinées pour se rendre compte
que le sens des mots dans une description relève
d’une part d’interprétation personnelle, même au
cœur des fiches d’œuvres normalisées des bases
de collections de musées.
° La Bibliothèque Kandinsky
On utilisera Pense-Bête publié en 1964 qui propose
des poèmes de Marcel Broodthaers. Afin de rendre
aux mots leur plasticité, les enfants sont invités à
illustrer ces poèmes pour dépasser le cadre de
l’écriture.
Un autre ouvrage de l’artiste propice à
l’illustration : Je hais le mouvement qui déplace les
lignes /Charles Baudelaire, 1974. C’est l’occasion
de faire appel à tous ses sens pour illustrer
le poème La Beauté de Baudelaire. Chacun
développe sa vision de l’allégorie de la Beauté
faite femme.
° Les Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique Place au récit ! Les titres énigmatiques des
quelques 70 œuvres de Broodthaers présentent
dans les collections de ce musée sont l’occasion
pour chacun d’utiliser la technique du collage
littéraire : en se servant des titres d’œuvres qu’il
agencera dans l’ordre de son choix, l’enfant créera
un nouveau récit qui suscitera de nouvelles images
mystérieuses et pleines d’humour.
Un exemple : Un bocal de confiserie / A Marcel
Lecomte / C’était comme une semaine de bonté.
La juxtaposition de ces trois titres d’œuvres peut
facilement déboucher sur la réalisation d’un
dessin.
43