Musée d’art Moderne – Département des Aigles Marcel Broodthaers 18 avril - 5 juillet 2015 Dossier Pédagogique « Je suis né en 1924. Je deviens un artiste en 1963. J’ai fondé un musée (le Musée d’Art Moderne – Département des Aigles) en 1968. Je ferme ce musée en 1972 à la Documenta de Cassel. La même année, je redeviens artiste ». Marcel Broodthaers, 1972 Ce dossier a été conçu à destination des enseignants et de tous les accompagnateurs de groupes qui souhaitent préparer leur visite de l’exposition. Il propose : ° une biographie de l’artiste, introduction à l’exposition (page 3) ° un plan de l’exposition (page 6) ° une fiche sur chaque œuvre de l’exposition ponctuée de citations de l’artiste, et de comparaisons avec des œuvres d’autres artistes (pages 8 à 36) ° une chronologie de la vie et de l’oeuvre de Marcel Broodthaers (page 37) ° des propositions d’ateliers plastiques (page 42) Les mentions des numéros en rouge renvoient aux pages des fiches des oeuvres citées pour se repérer dans ce dossier. Photo cover Marcel Broodthaers,Palais des Beaux Arts de Bruxelles, 1974 Photo copyright Maria Gilissen Artiste, poète, réalisateur de films, photographe, admirateur de Mallarmé et de Magritte qu’il rencontre dès 1940, Marcel Broodthaers (né à Bruxelles le 28 janvier 1924 et décédé à Cologne le 28 janvier 1976) a radicalement remis en cause le système d’échanges existant entre l’art et l’argent en s’interrogeant sur les liens entre l’œuvre d’art, l’institution muséographique et le public. La réflexion de cet artiste qui avait anticipé ces questionnements résonne tout particulièrement à la Monnaie de Paris qui s’interroge elle-même sur le devenir de ses collections et sur le parcours muséographique qui ouvrira en 2016. Cette exposition historique, construite autour de son projet majeur, le Musée d’art Moderne – Département des Aigles (1968-1972) ouvre vingtquatre ans après la rétrospective que lui a consacré le Jeu de Paume par Catherine David et quarante ans après son exposition à Paris au Centre National d’Art Contemporain (Hôtel Rothschild) sous la direction de Pontus Hultén avec Alfred Pacquement – exposition de préfiguration du Centre Georges Pompidou – à laquelle elle rend hommage en ouvrant à nouveau au pied d’un prestigieux escalier, avec l’œuvre Malle (1975) (page 10). Panier d’osier, cette œuvre « contient des messages confiés à l’artiste par l’Etat d’un autre hémisphère. Ils sont cachés là selon les principes de la “Lettre Volée” et du “Manuscrit trouvé dans une bouteille” ». Autre référence à cette exposition, Jardin d’hiver II (1974) (page 12), composée de chaises de jardin, de palmiers et de gravures anglaises représentant des oiseaux, des reptiles et des insectes, amorce l’idée du musée comme « décor » et le transforme en un lieu exotique mais aussi un lieu de promenade. Marcel Broodthaers a donné vie à une production plastique considérable sur une période de seulement dix années. Après avoir abandonné des études de chimie en 1942, Marcel Broodthaers a mené une vie rythmée par la poésie, des publications d’articles et de critiques d’art dans des revues surréalistes belges, mais aussi par le cinéma. C’est en 1964 qu’il plante cinquante exemplaires de son recueil de son recueil de poésie intitulé PenseBête dans du plâtre, oeuvre qu’il présente pour sa première exposition personnelle à la Galerie Saint Laurent à Bruxelles. Il explique sa démarche sur le carton d’invitation de l’exposition : « Moi aussi, je me suis demandé si je ne pouvais pas vendre quelque chose et réussir dans la vie. Cela fait un moment déjà que je ne suis bon à rien. Je suis âgé de quarante ans… L’idée enfin d’inventer quelque chose d’insincère me traversa l’esprit et je me mis aussitôt au travail ». Cette phrase de Marcel Broodthaers marque ses « débuts » officiels en tant qu’artiste et porte en elle-même tout l’humour qui traverse ses œuvres. Il n’a de cesse de questionner les rapports entre l’image et sa représentation, entre la fiction et le réel, entre le vrai et le faux. Il traduit ses idées par le biais d’objets, volontairement insignifiants, d’images et de dessins ironiques, de plaques de plastique thermoformé, de livres, de photographies, de textes ou de courts films, où les mots vont et viennent. De 1964 à 1970, Broodthaers réalise des assemblages et des accumulations avec des matériaux naturels − ce qui suscite l’intérêt de Pierre Restany. Il utilise, notamment, des coquilles d’œufs − Peinture à l’œuf Peinture à l’œuf, Je retourne à la matière Je retrouve la tradition des primitifs, 1966, titre de l’une de ses œuvres qui fait allusion à la peinture à l’œuf, technique d’usage courant jusqu’à la fin du 15e siècle avant d’être remplacée par la peinture à l’huile. Il utilise aussi des moules vides − jouant de l’homonymie du mot « moule » : la moule, plat belge traditionnel, et le moule, creuset destiné à la répétition d’une forme. « La moule est à elle-même son propre moule et son propre modèle. Elle est parfaite ». Marcel Broodthaers,Recto de l’invitation à la Galerie Saint Laurent à Bruxelles, 1964 3 Son œuvre majeure, le Musée d’Art Moderne Département des Aigles a beaucoup participé au rayonnement de cette réflexion sur l’institution. Il s’inscrit dans le contexte de 1968 en Europe, marqué par les changements de la société, de l’art et de ses institutions. Malgré lui, Marcel Broodthaers en est devenu l’un des acteurs majeurs en participant notamment à l’occupation du Palais des Beaux Arts de Bruxelles. Il a ainsi collaboré au questionnement sur les notions de collections et de musées dont il a utilisé et détourné les codes et les mythologies, au sens de Roland Barthes. Il a commencé à rédiger des Lettres ouvertes (page 26), sous l’en-tête de la Section Littéraire, annonçant l’ouverture du Musée d’Art Moderne - Département des Aigles et s’autoproclamant « directeur » et « conservateur » de ce musée fictif. Il ouvre la première section dans sa maison au 30, rue de la Pépinière à Bruxelles, cinq ans avant le « Musée des Obsessions » de Harald Szeeman. Cartes postales et projections de toiles de grands maîtres sur une caisse de transport d’œuvres d’art remplacent les œuvres d’art dans la Section XIXème siècle qui sera ensuite suivie par d’autres sections, présentées de ville en ville. Référence à l’inauguration du musée, la Salle Blanche (1975) (page 16), autre œuvre présentée lors de l’exposition L’Angélus de Daumier de 1975, est la reproduction d’une pièce de sa maison sur laquelle « flottent les mots » qui ont traversés son travail, nourri par ses expériences et sa vie passée entre Bruxelles, Paris et Düsseldorf. L’autre souvenir de cette première section est la Projection sur caisse (page 18) qui accueille le visiteur dans l’enfilade de salons de la Monnaie de Paris. Véritable cours d’histoire de l’art, des diapositives de chefs d’œuvres défilent sur une caisse de transport sur laquelle Marcel Broodthaers a écrit de nouveaux des mots se référant à l’art. Ce Musée d’Art Moderne –Département des Aigles fonctionne comme une institution véritable. Une entreprise qui, durant quatre ans, en s’appropriant l’économie des musées, va interroger sous tous les rapports la valeur de l’œuvre d’art en soi et dans son contexte d’exposition. Une contestation radicale de la notion de musée et de son rôle que Broodthaers fait passer sur le ton de la fiction, car, dit-il, « une fiction permet de saisir la vérité et en même temps ce qu’elle cache ». Marcel Broodthaers, Communiqué de presse, Documenta 5, Cassel, juin 1972 Ce musée est l’occasion de vernissages. Il se déplace avec la Section Littéraire, qui voyage entre Bruxelles et Cologne, la Section XVIIème Siècle inaugurée en septembre 1969 à Anvers avec le discours de Piet van Daalen, conservateur du Zeeuws Museum à Middelburg, la Section Documentaire en août 1969 qui est composée du plan du musée creusé dans le sable sur la plage belge Le Coq par Marcel Broodthaers portant une casquette « Museum », la Section Foklorique en 1970 au Zeeus Museum à Middleburg, la Section XIXème Siècle (bis) inaugurée les 14 février 1970 à la Staatliche Kunsthalle de Düsseldorf avec le discours de Jürgen Harten, directeur adjoint de la Kunsthalle puis la Section Cinéma, entre 1971 et 1972 dans le sous-sol d’une maison à Düsseldorf, qui s’inspire de l’œuvre Cinéma Modèle (page 32) et qui donne à voir la pratique réaliste et profondément poétique du cinéma de Marcel Broodthaers. Un autre film de Marcel Broodthaers qui fait directement référence à son musée est présenté dans l’exposition : Un voyage à Waterloo (1969) (page 36). Les années 1970-1971 marquent un tournant dans l’histoire du musée qui est déclaré « à vendre pour cause de faillite », Marcel Broodthaers poursuivant sa réflexion entre l’art, l’institution et le marché de l’art. La Section Financière (page 30) est ainsi composée d’un lingot d’un kilo d’or poinçonné d’un aigle, vendu à un prix calculé au double de la valeur du marché de l’or, l’augmentation représentant la valeur du lingot en tant qu’objet d’art. Le lingot est présenté dans cette exposition par l’artiste Danh Vo. Il a été frappé d’un aigle dans les Ateliers de la Monnaie de Paris. Comme Marcel Broodthaers, la pratique de Danh Vo inclut la collection et le commissariat d’exposition à sa production artistique. La figure de l’Aigle, présente dès la naissance du musée notamment dans son nom, prend toute sa dimension avec la Section des Figures. L’Aigle de l’Oligocène à nos jours (page 22) présentée en 1972 à la Staatliche Kunsthalle de Düsseldorf. Allégorie du pouvoir, de l’esprit de conquête, de l’impérialisme, de Saint Jean l’Evangéliste et symbole de noblesse, la figure de l’Aigle est « délogée du ciel imaginaire où il loge depuis des siècles et nous menace de sa foudre – en pierre, en bois, enrobé d’or ou d’acier inoxydable ». Marcel Broodthaers, Section des Figures, dans Marcel Broodthaers et Anna Hakkens, « Marcel Broodthaers par luimême. Introduction et choix des textes », Gand Amsterdam, Ludion ; Paris, Flammarion, 1998, p. 89 4 Cette exposition présente également, dans l’Escalier d’honneur, le Balancier d’Austerlitz (1810) (page 8) de la Monnaie de Paris qui n’avait pu être transporté à l’époque et que Marcel Broodthaers avait alors choisi de présenter sous forme photographique. La Section Publicité (page 24), conçue à Kassel à l’occasion de la Documenta V en 1972 sous l’invitation d’Harald Szeeman, met l’accent sur la reproductibilité des œuvres et pose la question du spectateur consommateur. Marcel Broodthaers disait que « dans la publicité, l’art est utilisé et reçoit un énorme succès ». En opérant une comparaison entre l’aigle dans l’histoire de l’art et l’aigle dans la publicité, il reproduit sous forme de photographies tous les objets qu’il avait exposés en 1972 à Düsseldorf. Toujours à la Documenta V, Marcel Broodthaers remplaça sa Section d’Art Moderne par une Galerie du XXème siècle composée d’une pièce vide avec les mots : « Ecrire / Dessiner / Copier / Figurer / Parler / Façonner / Rêver / Echanger / Faire / Informer / Pouvoir ». Cette section est la dernière du musée. L’aventure du Musée d’Art Moderne - Département des Aigles est également présente dans l’exposition grâce aux Plaques (Poèmes industriels) (196872) (page 20) qui en retracent toute l’histoire et démontrent l’ironie de leur auteur tout autant que ses multiples références, notamment à Magritte dont il était l’ami et le fervent admirateur. Ces plaques représentent l’une des manifestations de son utilisation du langage comme outil visuel, appropriation d’images et d’œuvres de la littérature qui ont constitué son travail à la fois littéraire et plastique. Cette exposition présente d’autres œuvres de cet artiste qui résonnent avec le Musée d’Art Moderne - Département des Aigles, de son premier film datant de 1957, La Clef de l’Horloge (poème cinématographique en hommage à Kurt Schwitters) (page 32) à une sélection d’éditions dont l’une de ses dernières œuvres La Conquête de l’espace. Atlas à l’usage des artistes et des militaires de 1975 (page 28). Le jour de l’inauguration, le 16 avril, en écho à deux projets non réalisés de Marcel Broodthaers, l’Ile du Musée et Bateau sur le Rhin, une péniche remonte la Seine avant d’accoster en face du Pont Neuf, de la même manière qu’en 1971 Marcel Broodthaers avait pensé lui faire remonter le Rhin avec du matériel et des œuvres d’art, pour être déchargés par un groupe de jeunes artistes composé d’Ivan Argote, Hicham Berrada, Davide Bertocchi, Nico Dockx et Vriginie Yassef pour trouver une place dans l’exposition. Marcel Broodthaers a initié une réflexion sur le statut de l’œuvre d’art en soi et dans son contexte d’exposition qui a profondément marqué des générations d’artistes après lui et toutes les institutions culturelles. Marcel Broodthaers montre que l’œuvre, c’est l’exposition. La Monnaie de Paris s’est confrontée à la même question que les autres institutions qui ont montré son travail depuis sa disparition : comment exposer l’œuvre d’un artiste qui fait de l’exposition elle-même un moyen d’expression artistique ? « Le Musée d’Art Moderne Département des Aigles est tout simplement un mensonge et une tromperie… Le musée fictif essaie de piller le musée authentique, officiel, pour donner davantage de puissance et de vraisemblance à son mensonge. Il est également important de découvrir si le musée fictif jette un jour nouveau sur les mécanismes de l’art, du monde et de la vie de l’art. Avec mon musée, je pose la question. C’est pourquoi je n’ai pas besoin de donner la réponse ». Marcel Broodthaers, 1972 5 Plan Exposition 1. Balancier d'Austerlitz, 1810 Bronze, fonte de fer, fer forgé Collection Monnaie de Paris Page 8 2. Malle en osier, 1975 Estate Marcel Broodthaers Page 10 Tapis rouge 3. Un Jardin d’hiver II, 1974 Une vingtaine de palmiers, 6 agrandissements photographiques de gravures du XIXème siècle encadrés, 16 chaises pliantes, projection sur écran du film Un jardin d’Hiver (A.B.C), 1974, couleur, son, 7’ Estate Marcel Broodthaers Page 12 4. Salle Blanche, 1975 Encre de chine sur bois, photographies, ampoule, 2 appliques en plâtre 390 x 336 x 658 cm Collection Maria Gilissen/Musée national d'art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris Page 16 5. Projection sur caisse, 1968 50 diapositives de reproductions de peintures du XIXème siècle, 41 cartes postales, caisse de transport Département des Aigles Musée - Museum, 1972 Deux impressions en noir avec différentes cartes postales collées MACBA Collection. MACBA Foundation, Barcelone Page 18 6. Plaques (Poèmes industriels), 1968-1972 16 plaques en plastique embouti et peint Estate Marcel Broodthaers ; Prêt de longue durée S.M.A.K., Gand ; Collection privée Page 20 7. Section des Figures. Der Adler vom Oligozän bis heute (L’Aigle de l’oligocène à nos jours), 1972 (détails). Département des Aigles Page 22 8. Section Publicité, 1972 Photomontages, vitrines, cadres, objets divers et projections diapositives 305 x 438 x 624 cm Collection K21, Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, Düsseldorf Page 24 9. Monsieur Teste, 1975 Mannequin automate assis sur une chaise en osier, journal, photo de plage et palmiers Estate Marcel Broodthaers Lettres ouvertes Estate Broodthaers Sélection d’éditions, (1968-1975) Estate Marcel Broodthaers, MACBA Collection. MACBA Foundation, Barcelone ; Collection Jürgen Harten, Berlin ; Collection Frac Nord-Pasde-Calais, Dunkerque ; Page 26 10. Section Financière, 1971 Lingot d’un kilo d’or Département des Aigles Courtesy Danh Vo Paysage d’automne (ABC, hausse du prix de l’art), 1973. Typographie couleur sur carton blanc Estate Marcel Broodthaers Page 30 6 11. Cinéma Modèle (Programme La Fontaine), 1970 Projections de 5 films • Le Corbeau et le Renard Film en couleur, 7 mn, écran de projection en bois, écran de projection en toile photographique, portfolio en carton contenant deux typographies sur carton et trois toiles photographiques Estate Marcel Broodthaers ; Collection Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris ; Galerie Kewenig, Berlin • La Clef de l’Horloge (un poème cinématographique de Kurt Schwitters), 1957 Film en noir & blanc, son, 7 minutes • La Pipe (René Magritte), 1969 Film en noir & blanc, 2,5 minutes • La Pluie (projet pour un texte), 1969 Film en noir & blanc, 2 minutes • A film by Charles Baudelaire, 1970 Film en couleur, son, 6,30 minutes Cinéma Modèle, 1970 Plaques en plastique embouti et peint Estate Marcel Broodthaers Museum-Musée n°7-Section cinéma-De 14h à 18h, 1968-1972 Plaque en plastique embouti et peint Estate Marcel Broodthaers Page 32 12. Un Voyage à Waterloo (Napoléon 1769-1969), 1969 Film en noir & blanc, 13 minutes Page 36 11 12 10 9 8 7 6 7 5 4 3 1 2 7 1. Balancier Gengembre-Saulnier (dit Balancier d’Austerlitz), 1810 Orné sur sa ceinture médiane d’un aigle impérial et de l’inscription « inventé par Ph Gengembre inspecteur général des monnaies » Sur le collier supérieur : « exécuté en l’an 1810 sur les dessins de l’auteur, par J. Saulnier, dans les ateliers de Madame Gatteaux à l’hôtel des monnaies de Paris » 135 x 252 x 68 cm Poids 2,1 tonnes Photographe : Jean-Jacques Castaing. Monnaie de Paris 8 Sous le péristyle, le visiteur est accueilli par le Balancier d’Austerlitz (1810) appartenant à la Monnaie de Paris que Marcel Broodthaers souhaitait emprunter pour sa Section des Figures (page 22) présentée en 1972 à Düsseldorf dont le commissariat était assuré par Jürgen Harten. Son poids, 2,1 tonnes, l’oblige à se contenter de quatre photographies du balancier qui ont également été inclues dans la Section Publicité (page 24). Presse à vis, elle produit par enfonçage les outillages monétaires (appelés coins) à partir des originaux. Conçu par l’inspecteur Général des Monnaies Philippe Gengembre, il a été exécuté par Jean Saulnier dans les ateliers de la Monnaie de Paris. Mais il fallut attendre le XXème siècle pour que son bras (ou balancier) soit remplacé par un mécanisme à friction. Sous cette nouvelle forme il œuvra jusqu’en 2002 à la fabrication des matrices d’euros au sein de l’atelier central d’outillages. Il fait depuis partie des collections industrielles de la Monnaie de Paris. En 1805, Gaudin, duc de Gaète, demande à Napoléon vingt canons pour fabriquer des presses à balancier. Il relate la scène dans ses Mémoires. Vingt canons ! Et pour quel usage ? Est-ce que vous auriez, ajouta l’Empereur en souriant, l’envie de me faire la guerre ? - Oh ! Assurément, non, lui disje; la partie ne serait pas égale; je voudrais seulement généraliser l’usage du nouveau balancier qui nous réussit si bien, ici, et dont Votre Majesté connaît les avantages. Il est, comme elle le sait, tout de cuivre et mon budget n’est pas assez riche pour supporter cette dépense. Toute difficulté disparaîtrait si Votre Majesté voulait bien accueillir ma prière. - Eh ! Mais, ministre ! Vingt canons, c’est beaucoup ! - J’estime qu’il ne m’en faudra pas moins. Mon projet, continuai-je, est d’appeler mes nouveaux balanciers des Austerlitz et de les ceindre d’un collier sur lequel on lira : “Cuivre pris à Austerlitz sur l’ennemi !” - Ah ! me dit l’Empereur du ton le plus aimable, vous me prenez par la vanité ! Eh bien, vous aurez vos canons. Mémoires du duc de Gaète. Le duc de Gaète obtint ses canons et des balanciers d’Austerlitz ont été utilisés jusqu’à nos jours pour la fabrication de certains outils de frappe monétaire (coins). 9 2. Malle, 1975 Malle en osier 65 x 85 x 55 cm Estate Marcel Broodthaers La Malle était placée dans le hall d’entrée de l’Hôtel de Rothschild pour l’exposition du Centre National d’art moderne L’Angélus de Daumier (2 octobre - 10 novembre 1975) en préfiguration de l’ouverture du Centre Pompidou. Cette malle en osier « contient des messages à moi confiés par l’Etat d’un autre hémisphère. Ils sont cachés là selon les principes de la “Lettre Volée” et du “Manuscrit trouvé dans une bouteille” ». Marcel Broodthaers dans une Note sur le sujet, L’Angélus de Daumier, vol. 2, Paris, Centre national d’art contemporain, 1975, cité par Birgit Pelzer dans « Le musée du signe », Marcel Broodthaers, catalogue du Jeu de Paume, 1992, p.23. 10 Cette œuvre et le texte qui l’accompagne témoignent de l’humour de Marcel Broodthaers qui joue avec la « lettre volée » et le « manuscrit trouvé dans une bouteille » où il cache un texte pour mieux susciter l’attention du public. L’œuvre devient le lieu du mystère, de ce qui échappe, de ce que Marcel Duchamp appelait « le bruit secret » qui nous rappelle que l’essentiel est invisible pour les yeux. Cette malle à laquelle il a ajouté des serrures modernes est également une invitation au voyage, pour faire référence à Baudelaire, un autre de ses poètes de référence. Ce thème du voyage est également présent dans d’autres de ses œuvres dont le Jardin d’hiver II qui s’offre aux yeux des visiteurs lorsqu’ils ont gravi l’escalier d’honneur. Autres oeuvres de Marcel Broodthaers Marcel Broodthaers, Le Manuscrit trouve dans une bouteille, 1974 Marcel Broodthaers, Pot avec photo noir et blanc (autoportrait), 1967 Oeuvres d’autres artistes Au lieu de cacher des messages dans une boîte, Marcel Broodthaers s’enferme ici dans un pot. Il joue de nouveau avec le contenu et le contenant, cette fois le contenant transparent permettant de voir l’intérieur. Robert Barry (né en 1936 à New York) est considéré avec Douglas Huebler, Joseph Kosuth et Lawrence Weiner comme l’un des fondateurs de l’art conceptuel, tout en ayant une attitude personnelle et subjective face à l’appartenance à ce mouvement. Il réfléchissait notamment à la question de la dématérialisation de l’exposition et donc de l’art. L’art cesse d’être un objet à “regarder”. Barry questionnait les limites de notre perception mais aussi la nature de la perception. Cette idée de l’invisible, du caché est présente dans cette œuvre, comme dans la Malle de Marcel Broodthaers. L’œuvre de Robert Barry peut également être présentée « ouverte » avec les cartes contenues dans la boîte exposées sur les murs comme lors de l’exposition à la mfc-michèle didier gallery à Paris en 2014. Robert Barry, Something in a box 62 phrases sur cartes dans une boîte en bois ©2014 Robert Barry et mfc-michèle didier 11 3. Jardin d’hiver II, 1974 Palmiers en pots, 6 photographies de gravures anciennes du XIXème siècle, chaises pliantes, projection sur un écran du film Un jardin d’Hiver (A.B.C), 1974, 35mm, couleur, son, 7’. Estate Marcel Broodthaers Comme de nombreuses autres œuvres, le Jardin d’hiver de Marcel Broodthaers a connu plusieurs versions. La première version occupe une pièce entière de l’exposition Carl André, Marcel Broodthaers, Daniel Buren, Victor Burgin, Gilbert & George, On Kawara, Gehrard Richter au Palais des Beaux-arts de Bruxelles (9 janvier-3 février 1974). Une sorte de tonnelle, formée de chaises et de palmiers placés au centre de la salle, à côté de laquelle, au fond de la salle, dans le coin droit, Marcel Broodthaers avait installé sur un socle noir un moniteur vidéo surmonté d’une caméra dirigée vers la tonnelle (transmission en noir et blanc de ce qui se présente dans son champ). Pendant la présentation de cette œuvre, Marcel Broodthaers avait fait venir un chameau du zoo d’Anvers qu’il conduisit lui-même dans le hall du Palais des Beaux-arts. Cette entrée fut filmée et elle était aussi diffusée sur le moniteur dans la salle. Le Jardin d’hiver II est une œuvre qui fait entrer le désert, l’exotisme et le voyage dans le musée. L’entrée de l’exposition devient une promenade dans un lieu qui ne ressemble en rien à un musée au sens où on peut l’entendre. « Ce désert à la fois réel et à la fois symbolique concernant tout aussi bien la situation, alors d’un point de vue illustratif, et la situation politique et économique actuelle, mais davantage sans doute le désert régnant dans notre société, le désert du loisir, le désert finalement du monde de l’art ». Extrait d’une interview avec Fredy de Vree à Bruxelles, 1974 Neuf mois plus tard, toujours en 1974, lors de l’exposition Catalogue-Catalogus (27 septembre – 3 novembre 1974) au Palais des Beaux-arts de Bruxelles, les palmiers et les chaises sont distribués contre le mur et six agrandissements photographiques de gravures anglaises du XIXème (représentations d’éléphants asiatiques à l’état sauvage et domestique, faucons, dromadaires, chameaux, abeilles, bourdons, coléoptères et scarabées) sont accrochés au-dessus de la frondaison des palmiers et non plus réparties dans la salle comme dans la première version. Le film tourné lors de l’exposition précédente est présenté sur un écran dans l’espace du Jardin d’Hiver. Les vitrines de la première version avec les gravures originales qui avaient servies pour les agrandissements, quelques exemplaires du catalogue de l’exposition collective ouvert aux pages de la contribution de Marcel Broodthaers sont absentes. Sur cette vitrine était également présenté un paquet de feuilles à disposition du public. Une troisième version a été présentée en octobre 1975 pour l’exposition L’Angélus de Daumier, dont les 3 portes-fenêtres de l’Hôtel Rothschild à Paris donnaient sur un jardin dans lequel Marcel Broodthaers installe cette œuvre et la baptise Salle verte. Détail de la note de Marcel Broodthaers du 7 janvier 1974 à l’occasion de l’exposition de Jardin d’Hiver au Palais des Beaux Arts de Bruxelles « Cette pièce a déjà été exposée ailleurs mais dans une forme différente, elle se trouve être l’amorce de DECOR que l’on peut caractériser par l’idée de l’objet restitué à une fonction réelle, c’est-à-dire que l’objet n’y est pas considéré lui-même comme œuvre d’art ». Extrait du catalogue L’Angélus de Daumier, Paris, 1975 12 Cette œuvre aborde déjà les différents niveaux de représentation avec l’exemple du chameau qui apparaît à l’écran dans le film Un Jardin d’Hiver (A.B.C), 1974 à la fois avec des images tournées lors de son entrée mais aussi des images filmées sur l’écran, et qui est représenté sur les gravures. « Parce que de toute façon dans le film, n’est-ce-pas, on voit le chameau sur l’écran d’un vidéo, qui est donc repris dans le film. Mais alors après, on revoit le chameau dans une fausse réalité, qui est une réalité de représentation aussi ». Extrait d’une interview pour un Atelier de création radiophonique, France Culture, 1975 Gravure présentée dans Un jardin d’Hiver II, 1974 Estate Marcel Broodthaers Détails du film Un jardin d’Hiver (A.B.C), 1974 Estate Marcel Broodthaers « Un Jardin d’Hiver est basé sur l’idée que le cinéma est un malheur plus grand que le théâtre et moins que la télévision. Je veux dire que le malheur est fonction d’un public chaque fois plus nombreux, au bénéfice de l’accroissement des recettes. Ce qui ne manque d’être un bonheur ». Marcel Broodthaers, Un film de Charles Baudelaire, Ciné Culture, Bruxelles, 1974 Marcel Broodthaers pendant le tournage du film Un jardin d’Hiver (A.B.C), 1974 13 Autres oeuvres de Marcel Broodthaers Jardin d’hiver est le premier « décor » de Marcel Broodthaers. Il a produit ensuite d’autres décors qu’il a repris dans un film comme celui qu’il a présenté à l’Institut d’art contemporain de Londres en 1975, Decor: A conquest by Marcel Broodthaers. On retrouve cette même idée dans l’œuvre la Salle Blanche, 1975 (page 16) que le visiteur découvre dans la salle suivante de l’exposition à la Monnaie de Paris. Marcel Broodthaers, Décor: A Conquest by Marcel Broodthaers, 1975 Punto della Dogana, Venise, 2011 Le palmier est un autre élément récurrent du travail de Marcel Broodthaers. Dans l’œuvre abc, il rassemble le palmier présent dans le Jardin d’hiver avec le jeu sur les lettres que l’on retrouve par exemple dans le tract que Marcel Broodthaers distribuait dans la première version de cette œuvre. « Ce serait un A.B.C.D.E.F..... du divertissement, un art du divertissement ». Marcel Broodthaers, abc, 1974 Impression et peinture au pochoir sur serviette éponge Estate Marcel Broodthaers 14 Le fait que ces motifs soient imprimés sur une serviette de plage fait également référence au divertissement dont parle Marcel Broodthaers ainsi qu’à l’idée du voyage. Oeuvres d’autres artistes Dans ce tableau, Manet présente une scène de la vie quotidienne de son époque, d’une promenade dans une serre. Marcel Broodthaers, avec son Jardin d’hiver II, tente de changer la perception que l’on peut avoir du musée le transformant en lieu de promenade, où l’on peut aussi s’asseoir au milieu des palmiers. Édouard Manet, Dans la Serre, 1879 Huile sur toile Alte Nationalgalerie, Berlin Le Jardin d’hiver de l’artiste Jean Dubuffet est conçu comme un espace mental dans lequel pénètre le visiteur. Il propose donc une version très différente de celui de Marcel Broodthaers tout en proposant comme lui une autre expérience du musée et de l’œuvre d’art. Jean Dubuffet, Le jardin d’hiver, 1968 - 1970 Collection du Centre National d’Art Moderne, Centre Pompidou 15 4. Salle Blanche, 1974 Encre de chine sur bois, photographies, ampoule, 2 appliques en plâtre 390 x 336 x 658 cm Collection Maria Gilissen/Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris La Salle Blanche est créée pour l’exposition L’Angélus de Daumier, présentée du 2 octobre au 10 novembre 1975, dans l’hôtel de Rothschild abritant le Centre national d’art contemporain – futur Centre Pompidou. Marcel Broodthaers tente d’y « articuler différemment des objets et des tableaux réalisés à des dates s’échelonnant entre 1964 et cette année [1975], pour former des salles dans un esprit “décor”». Dans l’exposition L’Angélus de Daumier encore plus qu’ailleurs, Marcel Broodthaers montre bien que l’œuvre c’est l’exposition. Ainsi, les salles nommées par des couleurs se succèdent, chacune étant considérée comme une œuvre. La Salle Blanche est selon Broodthaers la « reconstitution, la plus fidèle possible (?) d’un ensemble fait par l’artiste en 1968 qui s’attaquait, à l’époque, à la notion de musée et à celle de hiérarchie ». Il s’agit en effet de la reconstitution d’une pièce de la maison de Broodthaers où il a ouvert, en 1968, son Musée d’Art Moderne-Département des Aigles avec la Section XIXe siècle qui présentait en guise d’œuvres des caisses de transport et des cartes postales de peintures anciennes. Cette œuvre renvoie donc aux diverses fonctions que la maison a cumulées : logement, atelier, lieu d’exposition et musée. La Salle Blanche, pourtant donnée comme la reconstitution d’une action passée, est une salle vide. Comme il avait remplacé les œuvres d’art par des caisses de transport et des cartes postales, seuls des mots sont écrits sur les murs. Ils animent la pièce et font partis du champs lexical de l’art. Ils remplacent les œuvres et deviennent œuvre eux-mêmes en étant « spatialisés » et matérialisés. La Salle Blanche est un espace d’évocation avec le va-et-vient entre les mots et les notions qu’ils convoquent. Cette mise en espace du langage est notamment une référence à un texte primordial dans le travail de Marcel Broodthaers, Un coup de dé jamais n’abolira le hasard de Mallarmé, qu’il décrit comme « l’inventeur de l’espace moderne ». Vue de l’œuvre présentée pour la première fois dans l’exposition L’Angélus de Daumier, 1975 (Hôtel Rotschild, Paris) – préfiguration du Centre Georges Pompidou 16 Autres oeuvres de Marcel Broodthaers Sur ces douze plaques, Marcel Broodthaers s’approprie le poème Un coup de dé jamais n’abolira le hasard de Mallarmé, auteur qu’il décrit comme l’inventeur « de l’espace moderne et contemporain de l’art ». Les mots sont disposés sur l’espace de la page par le poète et Marcel Broodthaers les efface par des bandes noires qui accentuent la spatialisation du langage tout en en annulant le sens. Marcel Broodthaers, Un Coup de dés jamais n’abolira le hasard, 1969 Collection Daled, Bruxelles Photo © Aurélien Mole Cette démarche d’effacement se retrouve dans le film La Pluie (Projet pour un texte) (page 32) ou dans sa série d’ardoises magiques (page 28) alors que le jeu d’utiliser les mots comme éléments visuels est repris par Marcel Broodthaers dans sa série de Plaques (Poèmes industriels) (page 20). Oeuvres d’autres artistes La Salle Blanche est une mise en espace du langage et de certains mots qui font référence au champ de l’art. Ainsi, des allers-retours entre la forme du mot et ce à quoi il renvoie se matérialisent dans l’espace. C’est un procédé qui a été utilisé par de nombreux autres artistes conceptuels dont Lawrence Weiner par exemple qui utilise les mots, leur matérialité et leur mise en espace pour affirmer des « statements ». Sur ce mur, il fait référence à une œuvre qui va être créée, d’un point de vue matériel en associant le mot “graphite” à d’autres matériaux (bois, acier, papier) alors que dans la Salle Blanche de Marcel Broodthaers, les mots renvoie à la fois à la matière et au concept. Example Of A Lawrence Weiner Work Referring To An Art Piece Yet To Be Built 17 5. Projection sur caisse, 1968 50 diapositives de reproductions de peintures du XIXème siècle, 21 cartes postales, caisse de transport Département des Aigles Musée - Museum, 1972 Deux impressions en noir avec différentes cartes postales collées MACBA Collection. MACBA Foundation, Barcelone Sur une caisse de transport d’œuvres d’art sont projetées des diapositives de grandes toiles de maîtres. Des cartes postales de reproductions d’œuvres sont également accrochées. Cette caisse et les cadres étaient présentés dans la première section du Musée d’Art Moderne, Département des Aigles, la Section XIXème siècle, que Marcel Broodthaers a présentée dans sa maison 30 rue de la Pépinière à Bruxelles en 1968, avant d’être réutilisés par l’artiste dans l’exposition Film als Objekt – Obkekt als Film présentée en 1971 au Städtische Museum à Munchengladbach d’octobre à novembre 1971. Facétieux, Marcel Broodthaers remplace les œuvres d’art par des caisses de transport et des cartes postales puis projette des reproductions d’œuvres sur ces mêmes objets. Il joue de nouveaux avec plusieurs niveaux de représentation grâce à des métonymies : la caisse vaut pour ce qui est dedans, la reproduction pour l’original. En parallèle des caisses présentées dans la première section du Musée d’Art Moderne – Département des Aigles, l’œuvre Musée - Museum reprend le plan de sa maison et de l’exposition qu’il y a présenté. Il s’agit d’une édition de 100 exemplaires. Les exemplaires de 1/100 à 60/100, comportent trois cartes postales couleur de deux tableaux d’Ingres, La Grande Odalisque et Le Bain turc, et d’un tableau de Courbet, Les Dormeuses. Les exemplaires 61/100 à 100/100 comportent deux cartes postales noir et blanc des tableaux d’Ingres, Portrait du violoniste Paganini et Portrait de Mme Victor Baltard. Marcel Broodthaers, Musée d’Art Moderne - Département des Aigles, Section XIXè siècle, (détails), 1968/1969 Photographie copyright Maria Gilissen Un texte intitulé Où est l’original ? devait accompagner ces œuvres et dans lequel Broodthaers explique : « Le contexte original de cette situation [le Musée inauguré en 1968] détournait ces reproductions de leur usage et de leur but habituels. Ce sont des cartes identiques qui supportent ici loyalement le poids des souvenirs, celui de la peintures (l’art classé, traditionnel), et celui d’un concept sur l’histoire de la peinture (le Musée, Département des Aigles). Où est l’original ? Sombré au trois-quarts dans le passé, sinon complètement, l’original serait cette épave de littéraires parenthèses ? Ou encore une tautologie qui pourrait être critique si elle n’était signée par l’auteur. J’ai numéroté également les 100 exemplaires de cette édition ». Marcel Broodthaers cité par Virginie Devillez, « A s’occuper d’art, on ne tombe jamais que d’un catalogue à l’autre », catalogue de la collection des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, 2010, p. 118. 18 Autres oeuvres de Marcel Broodthaers Marcel Broodthaers, Charles Baudelaire peint 1821-1867, René Magritte écrit 1898-1967 (diptyque), 1972 Impressions typographique à l’encre bleue sur papier Estate Marcel Broodthaers Dans ses œuvres, comme Projection sur caisse ou Musée - Museum, Marcel Broodthaers rend hommage aux grands maîtres de la peinture et de la littérature. De 1972 à 1973 notamment, il exécute une série de « Peintures littéraires », chacune composée de neuf toiles sur lesquelles ont été typographiés différents textes, ayant pour sujets des poètes, des écrivains ou des artistes. Le diptyque Charles Baudelaire peint 1821-1867, René Magritte écrit 1898-1967 fait à la fois référence à deux artistes qui l’ont profondément influencé tout en jouant sur leur pratique artistique puisque il nous paraitrait logique que Charles Baudelaire écrive et que René Magritte peigne. Marcel Broodthaers décloisonne l’art et questionne également la signature et les pratiques artistiques. Oeuvres d’autres artistes Marcel Broodthaers fait référence à Ingres par exemple pour mener sa réflexion sur le musée et sur l’œuvre d’art. C’est aussi un hommage de Marcel Broodthaers qui dit en parlant d’Ingres ou David : « Ils sont tellement académiques qu’ils me passionnent ». Les grands maîtres fascinent les artistes modernes et contemporains qui s’emparent des toiles et les détournent comme Martial Raysse qui en 1964, réinterprète la Grande Odalisque d’Ingres (date inconnue) dans son tableau Made in Japan La Grande Odalisque. Martial Raysse, Made in Japan La Grande Odalisque, 1964 (à gauche) et Ingres, Tête de la Grande Odalisque (à droite, date inconnue). Crédits photo : Centre Georges Pompidou, Musée des Beaux-Arts de Cambrai. 19 6. Plaques (Poèmes industriels), 1968-1972 16 plaques en plastique embouti et peint Estate Marcel Broodthaers ; Prêt de longue durée S.M.A.K., Gand ; Collection privée Marcel Broodthaers présente une série de plaques en plastique lors de l’exposition Multipl(i)é inimitable illimité. Exposition de tirages limités et illimités de poèmes industriels, M.U.SE.E. D’.A.R.T.CAB.INE.T D. ES .E.STA.MP.E.S. Département des Aigles, à la Librairie Saint-Germain-des-Prés à Paris, du 29 octobre au 19 novembre 1968. Au cours du vernissage, il présente le livre-film Le Corbeau et le Renard (1967) (page 32). Sur ces plaques, Marcel Broodthaers joue avec la matérialité et la forme des mots qui se confrontent aux images et tout ce qu’elles représentent. Il créé ainsi des rébus à déchiffrer, comme une suite à Magritte qui a posé cette question des liens entre le mot et l’image avec son fameux « Ceci n’est pas un pipe ». En effet, sur la toile, il s’agit de l’image de la pipe et non pas d’une vraie pipe, de l’objet. On retrouve également cette exposition sous le titre Poèmes Industriels. Belgium. Tirages limités et illimités sur plastique. Ce cabinet des estampes n’a pas été inclus par l’artiste dans son Musée d’Art Moderne Département des Aigles tout en y étant très lié. Elles fonctionnent comme une sorte de programme, d’annonce du musée, avec toute l’ambigüité que Marcel Broodthaers installe comme lorsqu’il énonce que les enfants n’y sont pas admis. Il reprend un message d’interdiction du musée et le détourne pour au contraire signifier le besoin d’ouverture du musée aux enfants. Les Plaques (Poèmes industriels) accompagnent le projet du musée fictif de Marcel Broodthaers et il explique même qu’une plaque est à l’origine du nom du musée. « Le nom Département des Aigles « est né d’un poème, un très vieux poème que j’avais écrit et retrouvé ‘O Tristesse envol de canards sauvages, O mélancolie aigre château des aigles’. J’ai écrit cela il y a 15 ou 20 ans. J’ai alors fait une plaque et transformé ‘aigre château des aigles’ en ‘vinaigre des aigles’ et c’est ainsi devenu Département des Aigles. C’est un souvenir littéraire. » Entretien entre Marcel Broodthaers et Ludo Bekkers, décembre 1969 20 « Les objets fonctionnent-ils, chez vous, comme des mots ? J’utilise l’objet comme mot zéro. Ce n’étaient pas d’abord des objets littéraires ? On pourrait les nommer comme cela, alors que les objets plus récents échappent à cette dénomination qui a réputation péjorative (je me demande bien pourquoi ?). Ces objets récents portent, à la manière sensationnelle, les marques d’un langage. Mots, numérotations, signes inscrits sur l’objet luimême. Au début de votre activité vous avez suivi une direction aussi précise ? J’étais hanté par une certaine peinture de Magritte, celle-là où figurent des mots. Chez Magritte, il y a contradiction entre le mot peint et l’objet peint, subversion du signe du langage et de la peinture au bénéfice d’un resserrement de la notion de sujet. Et le langage de ces plaques ? Disons des rébus. Et le sujet, une spéculation sur une difficulté de lecture entraînée par l’emploi de ce matériau. Sachez que l’on fabrique ces plaques comme des gaufres. Ces plaques sont-elles si malaisées à déchiffrer ? La lecture est contrariée par l’aspect image du texte et l’inverse. Le caractère stéréotypé du texte et de l’image est défini par la technique du plastique. Et la lecture proposée dépend d’un double niveau – appartenant chacun à une attitude négative qui me paraît être le propre de l’attitude artistique. Ne pas situer le message entièrement d’un côté, image ou texte. C’est-à-dire refuser la délivrance d’un message clair comme si ce rôle ne pouvait incomber à l’artiste et par extension à tout producteur économiquement intéressé. Il y aurait ouverture, ici, d’une polémique. A mon sens, il ne peut y avoir de rapport direct entre l’art et le message et encore moins si ce message est politique sous peine de se brûler à l’artifice. De sombrer. Je préfère signer des attrape-nigauds sans me servir de cette caution. Quel genre de nigauds attrapez-vous avec vos plaques ? Eh bien ! ceux qui prennent ces plaques pour des tableaux et les accrochent aux murs. Rien ne dit d’ailleurs que le nigaud ne soit leur auteur qui a cru être linguiste en sautant la barre de la formule Signifiant/Signifié et qui, en fait, n’aurait que joué au professeur. » Marcel Broodthaers, « Dix mille francs de récompense » d’après une interview d’Irmeline Lebeer, Catalogue-Catalogus, Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, 1974. Autres oeuvres de Marcel Broodthaers Dans cette œuvre, les lettres sont la matière des mots puisqu’elles remplacent la peinture sur la palette qui servirait à peindre un tableau. Marcel Broodthaers, Langage de fleurs, 1965 Bois, peinture, plastique Estate Marcel Broodthaers Oeuvres d’autres artistes D’autres artistes conceptuels ont travaillé des matières industrielles comme le néon en jouant également sur les mots et ce qu’ils représentent comme Jospeh Kosuth qui joue sur le sens du mot et la matière. Dans cette œuvre qui énonce « cette œuvre est très fragile, ne pas toucher », Jeppe Hein reprend lui aussi les codes du musée en reprenant un message qui lui est associé. Cette œuvre joue aussi sur la représentation puisque cette œuvre est effectivement fragile ! Joseph Kosuth, Neon, 1945 Jeppe Hein, This artwork is extremely fragile..., 2009 Courtesy Galleri Nicolai Wallner, Copenhagen 21 7. Section des Figures. Der Adler vom Oligozän bis heute (L’Aigle de l’oligocène à nos jours), 1972 Détails. Département des Aigles C’est en tant que « conservateur » que Marcel Broodthaers demande des œuvres à des artistes tels Gerhard Richter, Sigmar Polke, Richard Hamilton, Konrad Klapheck au côté de plus de quatre cents objets, peintures, sculptures, objets d’usage, inscriptions publiques, ayant tous pour point commun de représenter un aigle, et accompagnés chacun de la plaquette « Ceci n’est pas une œuvre d’art. N°… ». Les détails de cette section sont reconstitués pour la première fois à la Monnaie de Paris, grâce aux prêts des mêmes institutions, collectionneurs, antiquaires qui avaient été contactés à l’époque par le Département des Aigles. Tous les objets rassemblés ici, qu’ils soient des œuvres d’art empruntées par Marcel Broodthaers à des artistes, des objets archéologiques empruntés au Département des Antiquités orientales du Louvre, des monnaies empruntées à la collection de la Monnaie de Paris ou encore de simples projections de diapositives sur l’image de l’aigle dans la publicité, portent tous la même inscription et sont donc tous placés au même niveau. La numérotation des objets n’installe pas d’ordre hiérarchique entre eux, ni de distinction esthétique ou qualitative. Ces objets sont présentés de manière semblable tout en étant très différents, Marcel Broodthaers réaffirmant ainsi leurs spécificités individuelles. Avec cette phrase, Marcel Broodthaers détourne le ready-made de Marcel Duchamp, c’est-à-dire un objet manufacturé qui devient une œuvre par le geste de l’artiste qui le présente comme telle. Pour cela, il reprend la phrase de Magritte de son célèbre tableau, La trahison des images (1929), “Ceci n’est pas une pipe”. Les objets sont inclus dans la Section des Figures, qui se présente comme une section du musée fictif créé par l’artiste mais qui est aussi une œuvre en soit. Il y a plusieurs mises en abîmes. Plusieurs couches de représentation se superposent. La Section des Figures pose la question suivante : quel impact produit l’exposition et le discours sur la perception d’une œuvre ? L’institution culturelle s’approprie le sens de ces objets et instaure un rapport entre le discours, la phrase, et l’œuvre au sein d’un même espace pour mettre en avant le caractère despotique et conventionnel du langage. Marcel Broodthaers, Musée d’Art Moderne Département des Aigles, Section des Figures Städtische Kunsthalle, Düsseldorf 16 mai - 9 juillet 1972 Photographie copyright Maria Gilissen 22 Marcel Broodthaers utilise l’allégorie de l’Aigle qui est motif récurrent dans son œuvre, dès 1961, date de la publication de son recueil de poésies La Bête noire, dont est issu le poème Le Zodiaque dans lequel apparaît une phrase qui deviendra, par la suite, emblématique de sa production: « Tristesse, envol de canards sauvages. Mélancolie, aigre château des aigles. » Cette strophe est le point de départ d’autres œuvres plastiques avec la figure de l’aigle qui est un symbole impérial, évoquant la force et le pouvoir. Broodthaers joue sur la métaphore de l’aigle et souhaite le déloger du ciel imaginaire où il vole depuis des siècles et nous menace de sa foudre – en pierre, en bois, enrobé d’or ou d’acier inoxydable. Marcel Broodthaers, Section des Figures, dans Marcel Broodthaers et Anna Hakkens, « Marcel Broodthaers par lui-même.Introduction et choix des textes », Gand - Amsterdam, Ludion ; Paris, Flammarion, 1998, p. 89 Grâce à tous les objets et œuvres rassemblés dans cette section des figures, l’Aigle apparaît sous les trois formes que Marcel Broodthaers fait dialoguer : mot, objet, image, comme d’autres artistes conceptuels de l’époque comme Joseph Kosuth. Je crois que l’exposition rend évidente que l’aigle et sa représentation sont eux-mêmes une fiction. Deux fictions se rejoignent. MB dans la Préface au Catalogue Section des figures (Der Adler vom Oligozän bis heute), Düsseldorf, Städtische Kunsthalle, 2 vol. 16 mai-9 juillet 1971. Oeuvres d’autres artistes Fountain est un ready-made, c’est-à-dire « un objet tout prêt ». Marcel Duchamp a proposé cet objet en tant qu’œuvre d’art pour l’exposition de la Société des Artistes Indépendants de New York sous le nom de Richard Mutt. L’objet a été refusé sous prétexte qu’il ne s’agissait pas d’une œuvre d’art mais d’un objet manufacturé, industriel, acheté par l’artiste mais non créé par lui. Le geste de l’artiste se limite à signer l’objet et le dater. Marcel Duchamp avec ce geste a créé l’idée du ready-made qui libère un objet de sa valeur d’usage pour le transformer en objet d’art par le choix de l’artiste. Cette œuvre marque un tournant dans l’art contemporain et pose les bases de l’art conceptuel. Alfred Stieglitz, photographie 10 de la Fountain de Marcel Duchamp, 1917 Ce tableau très célèbre de René Magritte montre le rapport entre l’objet et sa représentation, en mettant à jour l’aspect conventionnel du langage. En effet, comme le tableau l’indique, « ceci n’est pas une pipe » mais la représentation d’une pipe. Il s’agit de l’image et non pas de l’objet et pour pourtant, la phrase même instaure une contradiction en utilisant aussi le mot « pipe ». Ce sont ces rapports entre mot, image et objet qui sont repris par Magritte et par Broodthaers. René Magritte, La Trahison des images, 1929 Huile sur toile Los Angeles County Museum Dans cette œuvre, Joseph Kosuth rassemble l’objet chaise, sa photographie, donc une représentation mécanique, et sa définition écrite sur le mur. L’ensemble est la triple représentation d’une même chose sans qu’il y ait une répétition formelle. Sa démarche est différente de celle de Marcel Broodthaers qui répète la figure de l’Aigle mais ils jouent tous les deux sur les formes de représentation et sur les rapport entre le mot, l’image et l’objet. Joseph Kosuth, One and three chairs, 1945 23 8. Section Publicité, 1972 Photomontages, vitrines, cadres, objets divers et projections diapositives 305 x 438 x 624 cm Collection K21, Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, Düsseldorf « Le Musée d’Art Moderne Dt des Aigles fondé en 1968 présente un aperçu sur la Section des Figures, Photos-Dias–Objets, Aigles depuis 3500 ans avant J.-C ». Marcel Broodthaers dans le catalogue de la Documenta V en 1972 Marcel Broodthaers prolonge sa réflexion sur les rapports entre l’objet, l’œuvre et leurs représentations dans la Section Publicité (1972) présentée à Kassel à l’occasion de la Documenta V en 1972 sous l’invitation d’Harald Szeeman. Elle met l’accent sur la reproductibilité des œuvres et pose la question du spectateur consommateur en reproduisant la Section des Figures sous forme de document et de photographies. Il livre ici une réflexion sur le pouvoir et la circulation des images des œuvres d’art et quel rapport nous entretenons avec elles. « En publicité, l’aigle a conservé tous ses caractères de suggestion magique, au service donc des produits industriels. [...] La forme critique sous laquelle il est présenté ici consiste en une double projection : d’une part, on voit les aigles dans l’histoire de l’art et d’autre part, rien que des images de publicité ». Marcel Broodthaers, extrait d’un entretien avec Georges Adé, le 1er octobre 1972 Comme l’explique Walter Benjamin dans son livre L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique, la reproductibilité des œuvres par la photographie et le cinéma transforme à la fois les œuvres et l’institution muséale qui les conserve et les expose. Marcel Broodthaers joue sur cette ambigüité du rapport entre l’original et sa reproduction, en ajoutant un niveau de lecture lié à la publicité. Il créé lui-même la publicité des œuvres d’art en présentant les photographies des œuvres qu’il avait précédemment montrées. La culture est-elle encore importante ? A mon avis, oui, d’autant plus si elle incorpore la pensée dans un cadre de référence qui peut vous aider à vous défendre contre les images et les textes véhiculés par les médias et par la publicité qui déterminent nos règles de comportement et notre idéologie. Ce musée fictif prend pour point de départ l’identité de l’art et de l’Aigle..., il allait de soi d’estampiller l’Urinoir de Duchamp (1917) du signe de l’Aigle, plus exactement, la photo de l’objet sanctifié par l’histoire de l’art, montrée ici avec beaucoup d’autres documents. Publicité pour l’art et l’art de la publicité. Mais qui remarque l’action magique exercée par des artistes anonymes (grâce au symbole de l’autorité), au service de la diffusion des produits de l’industrie ? Ceux qui vivent dans le contexte de l’art et considèrent ainsi l’art en tant qu’art. Et seuls ceux à qui importe le contexte social de ces productions. Mais que voit le public, le grand public et tous ceux qui regardent des matchs de football. Marcel Broodthaers « Museum für moderne Kunst – Abteilung die Adler », Heute Kunst, Milan N°1, avril 1973, pp20-23 24 Oeuvres d’autres artistes Sur les liens avec la publicité, Andy Warhol est un artiste qui a également joué sur les rapports entre art et publicité. Il est le représentant du Pop Art américain. La démarche est différente de celle Marcel Broodthaers : il ne travaille pas sur l’image de l’œuvre d’art qui devient publicité mais plutôt la publicité qui devient œuvre d’art comme avec ses fameuses Campbell Soup. Andy Warhol, Campbell’s Soup I (1968) Los Angeles County Museum L’idée du musée imaginaire est très présente au cours du XXème siècle, du Musée imaginaire de Malraux (1947), qui étudie la métamorphose de l’œuvre d’art au sein du musée qui se transforme encore avec le développement de la photographie, au Musée des Obsessions d’Harald Szeeman qui présente des expositions dans son appartement à Berne puis dans plusieurs capitales européennes. Cette idée se poursuit aujourd’hui avec le questionnement de Marcel Broodthaers concernant la circulation des images avec les musées virtuels, définis comme « musées hors les murs », autre idée pour laquelle Marcel Broodthaers était précurseur en faisant voyager son musée fictif de ville en ville, et qui profitent aujourd’hui de la révolution numérique pour devenir non plus des musées hors les murs mais des musées sans mur avec des projets comme les Artists Web Projects de la Dia Art Foundation. Pour voir ces travaux interactifs, suivez le lien suivant : http://www.diaart.org/artist_web_projects. 25 9. Monsieur Teste, 1975 9. Lettres ouvertes, 1975 L’œuvre de Marcel Broodthaers emprunte son titre au personnage créé par Paul Valéry. A travers la figure de Monsieur Teste, un écrivain très talentueux qui renonce au succès, Paul Valéry défend l’idée qu’il faut négliger l’œuvre au profit de la vie ou « faire de sa vie une œuvre d’art ». Marcel Broodthaers pose la question du statut de l’œuvre d’art dans son Musée d’Art Moderne – Département des Aigles notamment et il fait référence ici à une œuvre littéraire qui pose aussi cette question du rapport entre œuvre et artiste tout en lui donnant une forme plastique : une installation composée d’un automate en costume lisant l’Express qu’il tient entre ses mains sur un fond d’une photo de plage et de palmiers. Ce texte a beaucoup marqué les surréalistes comme André Breton. • « Mon cher Wagner », Cologne, octobre 18.. Je pensais qu’en Valéry, M. Teste avait à jamais pris le pas sur le poète, et même sur l’amateur de poèmes, comme il s’était plu naguère à se définir. À mes yeux, il bénéficiait par là du prestige inhérent à un mythe qu’on a pu voir se constituer autour de Rimbaud – celui de l’homme tournant le dos, un beau jour, à son œuvre, comme si certains sommets atteints, elle „repoussait“ en quelque sorte son créateur. • « Lettre ouverte », Anvers , 11 octobre 1968 Mannequin automate assis sur une chaise en osier, journal, photo de plage et palmiers Estate Marcel Broodthaers André Breton, Entretiens avec A. Parinaud. Cette œuvre rassemble plusieurs fils rouges de l’œuvre de Marcel Broodthaers : celui des « décors » qu’il développe dans les différentes sections de son musée puis dans les décors qu’il créé que l’on retrouve dans la Salle Blanche (page 16), celui du voyage et de l’exotisme que l’on retrouve dans les œuvres comme Jardin d’hiver II (page 12),celui du rapport à la fiction avec cet automate qui bouge et donne donc l’illusion d’un homme lisant un journal et le lien très fort avec la littérature par la référence de cette œuvre au poème de Paul Valéry. • « A mes amis », Bruxelles, avril 1968, Lettre ouverte adressée à l’éditeur de la revue « Art International » et aux directeurs de la 1ère Biennale de Lignano • « A mes amis », Palais des Beaux-Arts, Bruxelles, 7 juin 1968 • « Mon cher Beuys », Bruxelles, 14 juillet 1968 • « Ouverture », Ostende, 7 septembre 1968, Lettre ouverte au Cabinet des Ministres de la Culture • « A mes amis, Museum », Département des Aigles, Düsseldorf, 19 septembre 1968 • « Chers amis », Département des Aigles, Paris, 29 novembre 1968 • « Lettre ouverte au Ministre de l’Education Nationale et de la Culture », 3 mars 1969 • « Mon cher Kasper », Département des Aigles, Bruxelles, 9 mai 1969 • « Chers amis », Département des Aigles, Anvers, 10 mai 1969 • « Mon cher Jacques », Département des Aigles, Bruxelles, 21 juillet 1969 • « Chers amis », 27 septembre 1969 • « Mon cher Immendorf », Département des Aigles, Anvers, 29 septembre 1969 • « Mon cher Lamelas », Musée d’Art ModerneDépartement des Aigles, Section littéraire, Bruxelles, 31 octobre 1969 • « Chers amis », Anvers, 2 décembre 1969 • « Mon cher Claura », 1er janvier 1970 • « Mon cher Beuys », Düsseldorf, 25 septembre 1972 Estate Marcel Broodthaers 26 9. Sélection d’éditions, 1975 • Cahiers – Service financier, 1972 Cahier d’écolier écrit à la main, billet de 100 DM, aiglé découpé. Collection Marie Puck Broodthaers Ces lettres annoncent l’ouverture du Musée d’Art Moderne – Département des Aigles comme le papier à lettre de la Section Littéraire qui montre bien comment Marcel Broodthaers a accompagné l’ouverture de son musée fictif avec toutes les formalités et les accessoires qui pouvaient y être associés. On retrouve la même idée avec les six Lettres ouvertes, Avis, 1972. Les lettres se réfèrent chaque fois à des éléments dont je ne donne pas la clef. C’est volontaire. [...] Pour moi, ces lettres sont un peu le contraire d’un moyen de communication [...] Elles communiquent plutôt en fait le nom du musée. MB en 1970 dans Ludo Bekkers, « Gesprek mit Marcel Broodthaers », Museumjournaal, Amsterdam, 15 février 1970, cité à partir du texte original français non publié de la bande sonore du 13 décembre 1969. • Cahiers (projet pour un traité de toutes les figures en trois parties), 1971 Cahier d’écolier écrit à la main, billet de 100 DM, aigle découpé. Collection Jürgen Harten • 5 ardoises magiques ou la signature de l’artiste, 1973. Estate Marcel Broodthaers • Avis. Six lettres ouvertes, 1972 Six feuilles illustrées sur papier à en-tête du Musée d’art Moderne, Département des Aigles MACBA Collection. MACBA Foundation, Barcelone • Gedicht - Poem - Poème / Change - Exchange Wechsel, 1973 Deux feuilles sérigraphiées rouge et noir sur carton Collection Frac Nord-Pas-de-Calais, Dunkerque • La Conquête de l’espace. Atlas à l’usage des artistes et des militaires, 1975 Livre miniature de 38 pages et son emboitement MACBA Collection. MACBA Foundation, Barcelone; Estate Marcel Broodthaers • Atlas, 1975 Impression noir sur papier blanc MACBA Collection. MACBA Foundation, Barcelone; Estate Marcel Broodthaers • Papier à lettre de la Section Littéraire, 1968 Estate Marcel Broodthaers • Couverture de Musée d’Art Moderne à vendre pour cause de faillite, 1971 Encre imprimée en offset sur papier Estate Marcel Broodthaers • Museum-Museum, 1972 Deux feuilles sérigraphiées or, blanc et noir sur carton MACBA Collection. MACBA Foundation, Barcelone; Estate Marcel Broodthaers • Dessin préparatoire de Museum-Museum, 1972 Encre sur papier Estate Marcel Broodthaers • ABC, 1974 Impression et peinture au pochoir sur serviette éponge Estate Marcel Broodthaers 27 Marcel Broodthaers a été poète toute sa vie ce qui détermine sa pratique de l’écriture et son rapport à l’édition, comme le démontre la sélection d’éditions présente dans cette salle. Ces éditions permettent un véritable jeu de piste dans l’œuvre de Marcel Broodthaers, à travers les grands thèmes qui l’ont occupé durant toute sa carrière. Marcel Broodthaers détourne les codes des musées mais aussi ceux des outils d’apprentissage comme dans Les Animaux de la ferme, 1974, où il reprend les affiches avec des photos de différentes races de vaches et de taureaux que l’on pouvait voir dans les salles de classe en remplaçant leurs noms par des marques de voitures, à la manière de Magritte qui créé un rapport contradictoire entre le mot et l’image. Marcel Broodthaers, La Conquête de l’espace. Atlas à l’usage des artistes et des militaires, 1975 Livre miniature et son emboîtement MACBA Collection. MACBA Foundation 28 Marcel Broodthaers, Les Animaux de la ferme, 1974. Deux feuilles, impression couleur Estate Marcel Broodthaers Un autre outil d’apprentissage est l’atlas que Marcel Broodthaers détourne dans La Conquête de l’espace. Atlas à l’usage des artistes et des militaires, 1975 qui est un livre miniature, « le plus petit atlas du monde », dans lequel les pays sont reproduits sur une page, comme une tâche d’encre. De cette édition, il a produit un tiré à part où sont reproduits trente deux pays, représentés à une taille identique et non à une même échelle. Se côtoient l’Angleterre et l’Australie, l’Italie et Haïti, l’Allemagne et l’Afrique du Sud. Tâches noires, à la Rorschach, les formes de ces pays ne délivrent plus d’information de type géopolitique, mais évoquent plutôt un code, une nomenclature mystérieuse ou un alphabet crypté dans une spatialisation chère à l’artiste et poète qu’était Broodthaers, grand admirateur de Mallarmé et de Magritte. On retrouve ce travail sur la carte politique du monde dans son film A film by Charles Baudelaire, 1970 (page 32). Ces éditions font aussi référence au Musée d’Art Moderne – Département des Aigles. Les deux cahiers présents dans les vitrines font partie d’une série de 12 cahiers que Marcel Broodthaers a commencé à écrire, chacun sur un thème, avant de les envoyer à différentes personnes. Celui qu’il a envoyé à Jurgen Harten, le directeur de la Kunsthalle de Düsseldorf qui a présenté la Section des Figures en 1972, reprend le thème de la figure. Chaque cahier contient une enveloppe bleue avec un billet de 100 DM ; l’aigle a été découpé et collé sur la partie pointue de l’enveloppe. Les initiales M.B. sont à cheval sur une page du cahier. L’enveloppe est souvent adressée à la Deutsche Bundesbank. Ce rapport direct avec l’argent se retrouve dans la Section financière (page 30) du Musée d’art Moderne – Département des Aigles que l’on retrouve dans la salle suivante. Le lien entre l’art et l’argent se retrouve également dans Gedicht – Poem – Poème / Change – Exchange – Wechsel, 1973, où l’artiste utilise sa signature M.B. comme des chiffres utilisés dans une addition en indiquant aussi des sommes dans différentes devises 125 DM / 1650 F.FL / 98 £ / 50 $ et en indiquant la somme totale, comme si la signature de l’artiste devenait une monnaie en soit, réflexion sur la spéculation du marché de l’art sur la côte des artistes qui sont déjà perçus à cette époque comme des investissements. Marcel Broodthaers, Cahiers – Service financier, 1972 Cahier d’écolier écrit à la main, billet de 100 DM, aiglé découpé. Collection Marie Puck Broodtha 29 10. Section Financière, 1970 Lingot d’un kilo d’or Département des Aigles Courtesy Danh Vo Il ne faut pas se sentir vendu avant d’avoir été acheté. Marcel Broodthaers dans la première lettre ouverte du 27 juin 1968 annonçant l’ouverture du Musée d’Art Moderne. Département des Aigles. Dans la Section Financière (1970) du Musée d’Art Moderne – Département des Aigles, Marcel Broodthaers déclare le musée « à vendre pour cause de faillite ». Il fait une édition de lingots d’un kilo d’or frappés de l’emblème du musée : l’Aigle. Le lingot devenu œuvre d’art devait être vendu à un prix calculé en doublant la valeur de marché de l’or, la surtaxe représentant la valeur de l’art. Le lingot est associé à un contrat de vente et à une lettre manuscrite du conservateur pour éviter la fabrication de faux, un exemplaire était déposé dans le coffre d’une banque au nom du Musée d’Art Moderne - Département des Aigles. Cette idée est reprise dans Museum-Museum, 1972, deux feuilles sur lesquelles sont représentés des lingots d’or frappés d’un aigle et audessous de chacun est écrit le nom d’un peintre célèbre (Mantegna, Bellini, Giorgione, Da Cosimo, Cranach, Watteau, David, Ingres, Boecklin, Chirico, Duchamp, Magritte…) ; sous les quatre derniers lingots de la feuille est écrit en majuscules IMITATION, KOPIE, COPIE, ORIGINAL. Tout en continuant ses multiples références à d’autres artistes, il continue aussi sa réflexion sur l’œuvre et sa reproduction, l’original et la copie et donc l’autorité de la signature de l’artiste. Marcel Broodthaers développe une série de mise en abîme. Ici, il indexe la valeur de l’art sur la valeur de l’or, déterminé par le marché financier, valeur également utilisée comme indexe financier à partir de l’étalon or. Art et économie se rencontrent pour servir la réflexion de Marcel Broodthaers sur l’économie de l’art et de ses institutions, il met son musée en vente, mais aussi sur la valeur de l’art et comment elle se définit. Il réduit en effet l’œuvre à un bien de consommation avec les mêmes règles régies par le marché. Le lingot est présenté ici par Danh Vo. Il a été frappé de l’Aigle dans les Ateliers de la Monnaie de Paris. Comme Marcel Broodthaers, la pratique de Danh Vo inclut la collection et le commissariat d’exposition à sa production artistique. Marcel Broodthaers, Section Financière, 1970 Lingot d’un kilo d’or Département des Aigles; Courtesy Danh Vo 30 Oeuvres d’autres artistes Yves Klein, un artiste faisant partie du groupe des Nouveaux Réalistes, utilise aussi l’or comme instrument et étalon d’échange. En novembre 1959, il expose à New York chez Leo Castelli ses Works in Three Dimensions. Ces œuvres sont vendues sous forme de reçus pour des «zones de sensibilités picturales immatérielles» avec une valeur indiquée en or. Ces zones correspondent à l’espace pur imprégné de la présence de l’artiste, continuant ainsi l’idée du ready-made de Marcel Duchamp, l’artiste créant une œuvre immatérielle par sa propre présence. Pour que l’œuvre lui appartienne, l’acquéreur doit bruler le reçu et Yves Klein jette un morceau d’or correspondant à la moitié de la valeur indiquée sur le reçu dans un lieu où il est impossible de le récupérer. Yves Klein cède à Michael Blankfort la Zone de sensibilité picturale immatérielle n°1, Série 4, 10 février 1962. Yves Klein, reçu donné à Paride Accetti pour l’achat de la Zone de sensibilité pictuale immatérielle n°3, Série n°1, collection particulière. 31 11. Cinéma Modèle (Programme La Fontaine), 1970 Projections de 5 films Maria Gilissen, l’épouse de Marcel Broodthaers parle de l’ouverture de Cinéma Modèle dans le catalogue de l’exposition éponyme présentée au Kunstmuseum Winterthur en 2012. Sous le haut patronage de La Fontaine, Marcel Broodthaers inaugure en 1970 Cinéma Modèle au 12 Burgplatz à Düsseldorf, maison dans laquelle a vécu Goethe. Bien que M B souvent en retard au 12, en raison de son rythme de sommeil décalé, Cinéma Modèle, Nouvelle Activité du Musée d’Art Moderne Département des Aigles, présente au public un programme de cinq films chaque jour de 14h à 18h : Le Corbeau et le Renard La Clef de l’horloge La Pluie La Pipe Un film de Charles Baudelaire Marcel compose dans ces espaces quelques réflexions filmiques en y mêlant notamment littérature, interprétation poétique, photographie, dessin et toujours un art scénique de l’effacement de l’écriture : par exemple, dans La Pluie, rendre illisible son texte, tel un déchronologue, sans doute afin de mettre en exergue cette écriture en mouvement inversé. Les figures semblent être une forme de rhétorique, de langage qui atteste d’une autre forme de discours. Ces films constituent autant d’hommages, aux anciens, à ses référents : La Fontaine, Schwitters, Mallarmé, Magritte, Baudelaire. Pendant Cinéma Modèle, j’assistais Marcel lorsqu’il faisait le montage de deux petits films à la main ; un peu plus tard, il a pu acquérir une colleuse avec ruban adhésif, et une petite visionneuse. Après Cinéma Modèle, Marcel ouvre dans le même espace la Section Cinéma. Le Musée d’Art Moderne Département des Aigles dans son entièreté me sera dédicacé par lui : « Je dédie le Musée d’Art Moderne Département des Aigles à ma femme Maria Gilissen ». • Le Corbeau et le Renard Film en couleur, 7 mn, écran de projection en bois, écran de projection en toile photographique, portfolio en carton contenant deux typographies sur carton et trois toiles photographiques Estate Marcel Broodthaers ; Collection Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris ; Galerie Kewenig, Berlin • La Clef de l’Horloge (un poème cinématographique de Kurt Schwitters), 1957 Film en noir & blanc, son, 7 minutes • La Pipe (René Magritte), 1969 Film en noir & blanc, 2,5 minutes • La Pluie (projet pour un texte), 1969 Film en noir & blanc, 2 minutes • A film by Charles Baudelaire, 1970 Film en couleur, son, 6,30 minutes Cinéma Modèle, 1970 Plaques en plastique embouti et peint Estate Marcel Broodthaers Cinéma Modèle (Programme La Fontaine) consiste en une séance de cinq films dans le sous-sol du nouveau lieu de résidence de l’artiste à Düsseldorf, le 15 Novembre 1970. Cette installation, prévue jusqu’au 15 avril 1971, se termina seulement cinq semaines plus tard. Avec le sous-titre Programme La Fontaine, Cinéma Modèle est composé de la projection de cinq films, chacun étant inspiré par un artiste ou un auteur qui a influencé Marcel Broodthaers. L’un d’entre eux est La Fontaine dans Le Corbeau et le Renard (1967) qui exprime au plus haut point l’union entre la poésie (le livre), l’image (le film), et l’exposition (objets, toiles photographiques, écrans imprimés…). Son premier film en 1957, La Clef de l’Horloge (Un Poème cinématographique en l’honneur de Kurt Schwitters) est un hommage à un autre de ses modèles dans le titre même de l’œuvre, comme avec La Pipe (René Magritte) (1969) et A film by Charles Baudelaire (1970). L’influence de Mallarmé est de nouveau visible dans le film La Pluie (projet pour un texte) (1969), où dans le jardin du Musée d’Art Moderne - Département des Aigles, Broodthaers écrit un texte tandis qu’une averse éclate et que l’eau efface inexorablement chaque mot, chaque trace d’écriture. Je ne suis pas cinéaste. Le film pour moi, c’est le prolongement du langage… Extrait d’une interview de Marcel Broodthaers accordée à la revue Trépied en 1968 32 La Clef de l’Horloge (un poème cinématographique de Kurt Schwitters), 1957 est le premier film de Marcel Broodthaers. Il l’a présenté en 1958 au Festival du film expérimental de Knokke le Zoute et gagne le premier prix. Ce court métrage a été tourné dans une exposition dédiée à l’artiste Kurt Schwitters au Palais des Beaux Arts de Bruxelles alors que Marcel Broodthaers y travaillait en tant que guide-conférencier. C’est un tableau. Il est le créateur de l’art MERZ. MERZ est la seconde syllabe du mot allemand KOMMERZ. Avec beaucoup de colle il a assemblé des vieux débris, pour composer des ensembles hétéroclites de toute beauté. Extrait du film. Marcel Broodthaers admirait Kurt Schwitters et son projet Merzbau qui est une construction habitable de dimension variables constituée d’objets trouvés. Son film, comme les œuvres de Kurt Scwhitters est un assemblage, un collage d’images, de mots accompagné d’un texte. Marcel Broodthaers fait une référence directe à René Magritte dans le film La Pipe (René Magritte), 1969, en citant son nom mais aussi l’objet qui est le plus associé à son œuvre. Dans ce film se succèdent des séquences en gros plan face à un mur en brique en face duquel alternent le mur, de la fumée apparaissant du bas de l’image, une pipe, une grande horloge, une pipe dont sort de la fumée. J’ai beaucoup réfléchi à l’art actuel, et découvert que l’œuvre de Magritte est l’une des sources principales de l’art plastique contemporain. Dans Magritte on peut retrouver à son tour le message de Mallarmé … pour autant qu’on puisse parler de message. D’abord son art a été obscurci par l’ignorance, le mépris, la méconnaissance. Aujourd’hui on peut parler du contraire absolu : il est extraordinairement célèbre que peu de gens ont eu l’occasion de voir réellement un Magritte. Je ne crois pas que je me sois servi de son langage. Ce que j’ai également remarqué, c’est que Magritte commence maintenant à jouir d’une célébrité posthume immense. Cette célébrité est particulièrement suspecte, car elle est essentiellement liée à la flambée des prix de ses tableaux, si bien que sont art est en fait obscurci par cette gloire. Au contraire, dans ces plaques de plastique avec des pipes et l’inscription de son nom, j’ai essayé de déployer son langage. J’utilise, si l’on veut, les mêmes éléments, mais je leur donne une autre orientation réaliste. Je ne me suis pas attaché aux idées de poésie et de Mystère, je me suis plutôt servi de cette distorsion du grand et du petit, de l’objet et de sa représentation, pour faire apparaitre la réalité sociologique. Extrait d’une interview de 1969 reproduite dans Cinéma Modèle, Kunstmuseum Winterthur, 2012 33 Dans La pluie (projet pour un texte), 1969, Marcel Broodthaers est installé dans le jardin de la Rue de la Pépinière durant la période où Broodthaers présentait la Section XIXe siècle du Musée d’Art Moderne – Département des Aigles. Il commence à écrire un texte lorsque des trombes d’eau tombent du ciel effaçant inexorablement toutes les lignes. Dans la dernière séquence, alors qu’il abandonne et qu’il repose son crayon, l’inscription « projet pour un texte » apparaît. Le titre de ce film est donc teinté de l’humour propre aux œuvres de Marcel Broodthaers, le texte cité ne restant bien qu’à l’état de projet puisqu’il ne pourra jamais être fini. L’effacement est un élément présent dans d’autres œuvres de Marcel Broodthaers, comme Les Ardoises magiques (page 28). Il fait également référence à Mallarmé, comme dans son œuvre Un coup de dés jamais n’abolira le hasard (page 17) reprenant le titre d’un poème de l’auteur, remplace mots et phrases par de simples lignes grises de la longueur et de la hauteur de la typographie d’origine. En effet, dans les dernières secondes du film, la caméra se rapproche de la page blanche et l’on voit que l’artiste n’écrit pas des mots mais traces seulement des lignes. Marcel Broodthaers propose un nouveau leurre basé sur l’interprétation de l’image par le regardeur. Marcel Broodthaers joue le leurre et l’humour dans ses films comme dans ses autres œuvres et le film A film by Charles Baudelaire, 1970 n’échappe pas à la règle. Un film de Charles Baudelaire n’est pas un film destiné aux cinéphiles. Pourquoi ? Parce qu’il a été tourné au XIXe siècle. Et que les cinéphiles n’ont jamais vu de bobines datées d’un temps où Muybridge, les frères Lumières et Edison n’étaient pas encore nés ou faisaient leurs premiers pas sous l’œil vigilant des mamans et des papas industriels. Mais je prépare un film où chacun pourra trouver plus aisément son compte. Texte reproduit dans Cinéma Modèle, Kunstmuseum Winterthur, 2012 34 Le jardin du Musée d’Art Moderne – Département des Aigles, Section XIXème siècle avec, au-delà du mur, vue sur les jardins du Musée de la Dynastie, 1968-69 Photographie copyright Maria Gilissen Ce film n’est peut être pas destiné aux cinéphiles, non pas parce qu’il a été tourné au XIXè siècle à une époque où le cinéma n’existait pas, mais parce qu’il est la contribution de Marcel Broodthaers – l’équivalent d’une thèse écrite – au séminaire sur Charles Baudelaire donnée par Lucien Goldmann à l’Université de Bruxelles en 1969-70. Le film existe en deux versions, la première en français qui n’a jamais été diffusée du vivant de Marcel Broodthaers et la seconde en anglais. Le film reprend des associations de mots et d’images tout en faisant référence aux propres œuvres de Broodthaers. Toujours en alternant les références à ses propres œuvres et à de grands artistes qu’il admire, Marcel Broodthaers produit Le Corbeau et le Renard, 1967, film en référence à la fable de la Fontaine, basé sur deux poèmes, un inspiré par la fable qu’il a écrit en avril 1967, et un autre de la même année intitulé « Le D est plus grand que le T ». Réalisé entre mai et septembre et utilisant également des archives de films fournis par la Cinémathèque de Bruxelles, le film était projeté sur un large écran peint et aussi sur deux panneaux sur lesquels apparaissaient les poèmes de Marcel Broodthaers. Le Corbeau et le Renard a été diffusé pour la première fois en « privé » en 1967 à Paris (7, quai de l’Horloge) puis publiquement le 25 décembre 1967 lors de Exprmntl 4 organisé par la Cinémathèque Royale de Belgique à Knokke-Le-Zoute. Le film a été accepté à la condition qu’il soit projeté hors compétition et sur un écran classique. TRÉPIED : Comment avez-vous obtenu cette harmonie dans Le Corbeau et le Renard ? MARCEL BROODTHAERS : J’ai repris le texte de La Fontaine et je l’ai transformé en ce que j’appelle une écriture personnelle (poésie), l’objet (la plastique) et l’image (le film). La grande difficulté, c’est évidemment l’harmonie entre ces éléments. Devant la typographie de ce texte, j’ai placé des objets quotidiens (bottes, téléphone, bouteille de lait) dont la destination est d’entrer dans un rapport étroit avec les caractères imprimés. C’est un essai pour nier autant que possible le sens du mot comme celui de l’image. Le tournage terminé, je me suis aperçu que la projection sur l’écran normal, c’est-à-dire la simple toile blanche, ne reflétait pas exactement l’image que je voulais composer. L’objet restait trop extérieur au texte. Il fallait pour intégrer texte et objet que l’écran soit impressionné par les mêmes caractères typographiques que ceux du film. Mon film est un rébus qu’il faut avoir le désir de déchiffrer. C’est un exercice de lecture. Cinéma Modèle est une nouvelle œuvre « à tiroir » : c’est une œuvre composée de films qui sont chacun des œuvres d’art et elle va évoluer en la Section Cinéma du Musée d’Art Moderne – Département des Aigles, projet qui traverse toute l’œuvre de Broodthaers, présent dans de nombreuses œuvres. C’est le cas d’un autre film qui ne fait pas partie de Cinéma Modèle mais qui retrace une partie de l’histoire du musée et qui est présenté dans la salle suivante. TRÉPIED : Alors ce n’est pas un film classique ou commercial, mais plutôt un film expérimental. Peut être même un « anti-film » ? MARCEL BROODTHAERS : Oui et non, car anti-film reste quand même un film, comme l’anti-roman ne peut échapper complètement au cadre du livre et de l’écriture ; mais mon film élargit le cadre d’un film « ordinaire ». Il n’est pas principalement ou du moins exclusivement destiné aux salles de cinéma. Car pour voir et pouvoir comprendre l’œuvre totale que j’ai voulu réaliser il faut non seulement que le film soit projeté sur l’écran imprime mais encore que le spectateur possède aussi le texte. Ce film se rapproche si vous voulez du « Pop-art ». C’est pourquoi il va être exposé prochainement dans une galerie qui en fait tirer 40 exemplaires plus les écrans et les livres. Il sera donc exploité comme objet d’art, dont chaque exemplaire comporte un film, deux écrans, et un livre géant. C’est un environnement. Extrait d’une interview, 1968, reproduite dans Cinéma Modèle, Kunstmuseum Winterthur, 2012 35 12. Un Voyage à Waterloo, 1969 Film en noir & blanc, 13 minutes Le film Un Voyage à Waterloo (Napoléon 17691969), 1969 retrace le voyage qu’a fait le Musée d’Art Moderne – Département des Aigles à Waterloo que Marcel Broodthaers a réalisé à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Napoléon. Maria Gilissen a beaucoup collaboré avec Marcel Broodthaers, notamment sur ses films. Elle résume ainsi le film : Les trois premières images du film montrent quatre panneaux de signalisation, celui de la rue Bréderode, dans laquelle se trouve le Musée de la Dynastie, indiqué par le deuxième panneau, puis « Z » et « Disque obligatoire ». Parallèle à la rue Bréderode se trouve la rue de la Pépinière, avec le Musée d’Art Moderne – Département des Aigles. C’est une rue à sens unique. Marcel Broodthaers marchant seul dans la rue, se dirige vers son musée, 30 rue de la Pépinière. Arrivée du camion d’une firme de transport d’œuvres d’art, filmée depuis l’intérieur du musée. Lecture des inscriptions sur le container. Marcel Broodthaers, avec un faux nez, sort du musée en portant une caisse sur l’épaule. Il charge la caisse dans le container, la caisse est vide. 36 Le camion sort de la rue de la Pépinière et passe devant les jardins du Palais Royal. Il traverse la place Royale puis passe devant le Palais de Justice. On voit un homme, marchant, qui porte un drapeau noir (en réalité une culotte). Solitaire, le camion poursuit sa route, quitte la ville et prend la direction de Waterloo. Il passe devant le musée Wellington. L’homme au drapeau noir traverse la rue avant de disparaître dans la ferme « Ambulance britannique ». L’homme au drapeau passe devant le canon. Sur le container, au-dessous des mots « FONDÉE EN 1854 », sont collées deux étiquettes du musée. Après l’arrivée au pied de la butte et du Lion, Broodthaers descend et ouvre la porte du container. Il en sort la caisse… Comme il l’écrivit le 21 juillet dans sa « Lettre à Jacques », il y avait « un succès de foule ». Il dépose la caisse et commencer à fermer la porte. Il ferme la porte du container. Il met la caisse sur son épaule. Broodthaers, toujours avec le faux nez, dépose la caisse, pour s’asseoir dessus. Il se lève pour tenir un discours. Le canon, lui-aussi, est pourvu d’une étiquette du musée. Une jeune fille (anglaise) arrive dans une jaguar. Elle sort de la voiture et se dirige vers le canon. Chronologie Marcel Broodthaers et expositions « Musée d’Art Moderne - Département des Aigles », 1968-1972 Les films Les happenings 28 janvier 1924 Naissance de Marcel Broodthaers à Bruxelles 1943 Ecrit des poèmes et entre au parti communiste dont il sera membre pendant plusieurs années. 1945 Publie de poème « L’île sonnante » dans le magazine surréaliste révolutionnaire « Le Ciel Bleu » et collabore à la revue communiste « Le Salut public », en signant Marcel Broodthaers ou sous le pseudonyme Marcel Canal. 1946 Rencontre René Magritte qui lui offre une copie du poème de Mallarmé « Un coup de dé n’abolira le hasard ». 1947 Il écrit « O Tristesse envol de canards sauvages Vol d’oiseaux au grenier des forêts O Mélancolie aigre château des aigles ». 1957. 1er film de Broodthaers La Clef de l’Horloge (Un Poème cinématographique en l’honneur de Kurt Schwitters). Court métrage de sept minutes tourné à partir des œuvres de l’exposition « Kurt Schwitters » au Palais des Beaux Arts de Bruxelles en 1956. 1957. 1er recueil de poèmes Mon livre d’Ogre. 1959. Réalise le film Le Chant de ma génération dont il ne reste aujourd’hui que le script. 1961. Publie la plaquette de Poème La Bête noire. Description du zodiaque et de quelques animaux familiers. 23 février 1962 Rencontre Piero Manzoni lors de son exposition à la Galerie Aujourd’hui de Bruxelles. L’artiste italien déclare Marcel Broodthaers « œuvre d’art authentique et véritable » et lui signe un certificat d’authenticité. 1963 Marcel Broodthaers « passe » de poète à artiste. Il commence par occulter une partie du texte de son recueil de poèmes Pense Bête avec des morceaux de papiers de couleur collés puis il plante dans le plâtre 50 exemplaires de ce recueil. Voyage à Paris où il visite l’exposition de George Segal à la Galerie Ileana Sonnabend « Il y a 18 mois, j’ai vu à Paris une exposition de moulages de Segal ; ce fut le point de départ, le choc qui m’entraîna jusqu’à produire moi-même des œuvres. Puis, ce furent Lichtenstein, Jim Dine et Oldenburg qui achevèrent la germination des graines qu’avait semé l’irritable, le maladroit, le grand René Magritte. » Extrait de « Marcel Broodthaers par Marcel Broodthaers », 1965. 10-25 avril 1964 Première exposition de Marcel Broodthaers. Moi aussi, je me suis demandé si je ne pouvais pas vendre quelque chose..., Bruxelles, Galerie Saint Laurent 1964 Marcel Broodthaers reçoit une distinction au Prix de la jeune sculpture belge pour son œuvre Monument Public n°4 (1963). 37 Chronologie Marcel Broodthaers et expositions « Musée d’Art Moderne - Département des Aigles », 1968-1972 Les films Les happenings 23 juillet 1964. A Sophisticated Happening, Galerie Smith. Lecture d’un article de presse concernant la notion d’art et d’argent sur lequel il avait collé un petit cadre noir et une paire de lunettes géantes. 26 mai – 26 juin 1966 Exposition Moules Œufs Frites Pots Charbon Perroquets à la Wide White Space Gallery. 7 au 24 mars 1968. Le Corbeau et le Renard (d’après La Fontaine), présenté à la Wide White Space Gallery d’Anvers. 29 mai 1968 Début de l’occupation du Palais des Beaux Arts d’Anvers avec le groupe Vrije Aktie Groep Antwerpen (VAGA) avec l’organisation d’assemblées libres. Marcel Broodthaers est l’animateur des discussions et président de l’une des premières assemblées libres avant de prendre ses distances avec ce mouvement. 7 septembre 1968 Lettre sous l’en-tête du « Cabinet des ministres de la Culture » annonçant l’ouverture du Musée d’Art Moderne - Département des Aigles. 29 octobre – 19 novembre 1968 Exposition Multip (i) é inimitable illimité. Exposition de tirages limités et illimités de poèmes industriels, M. U. SE. E. . D’. A. R. T. CAB. INE. T D. ES. E. STA. MP. E. S. Département des Aigles à la Librairie Saint-Germain-des-Près à Paris. Ce cabinet des estampes n’a pas été inclus par l’artiste dans son Musée d’Art Moderne Département des Aigles. 27 Septembre 1968 – 27 Septembre 1969 Section XIXe Siècle, Bruxelles, Rue de la Pépinière Inauguration du Musée d’Art Moderne. Département des Aigles dans la maison de Marcel Broodthaers. 1968 – 1970/1 Section Littéraire, Bruxelles-Cologne 1968-1969 Réalise le film Musée d’Art Moderne Département des Aigles, Section XIXème siècle dont la première partie, La Discussion, rapporte la discussion qui a eut lieu le jour de l’inauguration et la seconde partie, Un Voyage à Waterloo (Napoléon 1769-1969) relate un voyage itinérant de son Musée d’Art Moderne Département des Aigles à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Napoléon (Broodthaers chargea une caisse vide dans un camion et fit le voyage de Bruxelles à Waterloo pour la décharger). 2 – 20 décembre 1969 Exposition littéraire autour de Mallarmé. Marcel Broodthaers à la Deblioudebliou/S à la Wide White Space Gallery d’Anvers. 27 Septembre – 4 Octobre 1969 Section XVII Siècle, Anvers. Discours de Piet van Daalen, conservateur du Zeeuws Museum à Middelburg. Août 1969 Section Documentaire sur la plage belge Le Coq Plan du musée creusé dans le sable par Marcel Broodthaers portant une casquette « Museum » puis deux pancartes en bilingue : « Défense absolue de toucher aux objets » et « Museum voor Moderne kunst Afdeling XIXe eeuw ». 38 Chronologie Marcel Broodthaers et expositions « Musée d’Art Moderne - Département des Aigles », 1968-1972 Les films Les happenings 1969 La Pluie (Projet pour un texte) 2 décembre 1969 Exposition littéraire autour de Mallarmé 1970 Section Folklorique / Cabinet de Curiosité, Middelburg, Zeeuws Museum, Département Folklorique 1970 Un film de Charles Baudelaire (Carte Politique du monde) 14 – 15 Février 1970 Section XIX Siècle (bis), Düsseldorf, Stadische Kunsthalle Discours de Jurgen Harten, directeur adjoint de la Kunsthalle. Première exposition du Musée d’Art Moderne - Département des Aigles dans un musée officielle avec prêts d’œuvres réelles. Janvier 1971 – Janvier 1972 « Section Cinéma », Düsseldorf, Burgplatz 12 (dans le sous sol d’une maison) Projection de son film La Discussion, d’un film de Charlie Chaplin, d’un film touristique sur Bruxelles et de trois autres films. Exposition d’un insigne d’aigle et d’une série d’objets relatifs au cinéma, Fig.1, Fig.2, Fig.12, Fig. A, repris dans le montage photo Théorie des figures (1974). 5 – 10 Octobre 1971 Section Financière, Musée d’Art Moderne 1970-1971 à vendre pour cause de faillite Foire de Cologne, Galerie Michael Werner 1971 Section Financière, Musée d’Art Moderne 1970-1971 à vendre pour cause de faillite Projet pour la Galerie Konrad Fischer, Düsseldorf, avec un soutien de financement pour le Musée d’Art Moderne en établissant un contact portant sur un lingot à l’effigie de l’aigle, vendu le double du cours du jour : une moitié au cours de l’or, une moitié pour la valeur de l’art. Octobre – Novembre 1971 Film als Objekt – Objekt als films au Städtische Museum à Munchengladbach. 2 novembre 1971 Concept, note de Marcel Broodthaers « 1. Mettre en défaut toute idéologie qui peut se former autour d’un symbole (c’est faux). 2. Etudier objectivement ces symboles (les aigles) et particulièrement leur usage dans la représentation artistique (les aigles sont utiles). 3. Utiliser les découvertes du conceptual art pour éclairer objets et tableaux anciens. Conclusion : l’aigle est un oiseau ». 16 Mai – 9 Juillet 1972 Musée d’Art Moderne Département des Aigles. Section des Figures. L’Aigle de l’oligocène à nos jours, Düsseldorf, Stadische Kunsthalle 39 Chronologie Marcel Broodthaers et expositions « Musée d’Art Moderne - Département des Aigles », 1968-1972 Les films Les happenings 30 Juin – 15 Octobre 1972, Kassel, Neue Galerie, Documenta V 30 juin – 8 octobre 1972: Section Publicité 30 juin – 15 août 1972: Section d’Art Moderne La Section d’Art Moderne, est une pièce vide avec l’inscription « Propriété Privée » dans un carré au sol entouré de cordons de protection et d’indications signalétiques peintes sur le mur (vestiaire, caisse, secrétariat). 15 Août – 15 Octobre 1972: Musée d’Art Moderne, Galerie XXème Siècle Déclinaison de la Section d’Art Moderne où l’inscription « Propriété Privée » est substituée par une série de verbe d’actions : « Ecrire, peindre, copier, figurer, parler, former, rêver, échanger, faire, informer, pouvoir ». 1er avril 1973 Musée d’Art Moderne, Section des Figure. Département des Aigles. Avis dans Heute Kunst, Milan, n°1 Projet pour un contrat d’achat où l’artiste envisage de vendre son musée, de l’abandonner à la spéculation, comme les œuvres d’art mais la mission même de ce musée est justement d’empêcher la spéculation. 19 septembre 1974 Exposition Ne dites pas que je ne l’ai pas dit – Le Perroquet à la Wide White Space Gallery. 27 septembre – 3 novembre 1974 Exposition Catalogue – Catalogus, rétrospective de Marcel Broodthaers au Palais des Beaux Arts de Bruxelles à l’occasion de laquelle il fait entrer un chameau dans le musée. 1974 « Berlin oder ein Traum mit Sahne », 35 mm, couleur, son, 10’ et Figures of Wax (Jeremy Bentham). 25 février – 6 avril 1975 Exposition Invitation pour une exposition bourgeoise à la Nationalgalerie de Berlin. 26 avril – 1er juin 1975 Exposition Le Privilège de l’Art au Museum of Modern Art d’Oxford. 11 juin-6 juillet 1975 Exposition Décor. A Conquest by Marcel Broodthaers à l’Institute of Contemporary Art de Londres. 1975 The Battle of Waterloo 2 octobre – 10 novembre 1975 Exposition L’Angélus de Daumier au Centre National d’Art contemporain à l’Hôtel Rotschild à Paris (avant l’ouverture du Centre Pompidou). 1975 La Conquête de l’espace. Atlas à l’usage des artistes et des militaires. Atlas minuscule qui reprend les images d’ombre de 32 pays tous reproduits à la même échelle. 28 janvier 1976 Mort de Marcel Broodthaers à Cologne 41 Tombe de Marcel Broodthaers dans le cimetière d’Ixelles en Belgique 40 Les Ateliers La Section des Figures Où est l’original? Sur les traces de Marcel Broodthaers, les enfants peuvent créer la Section des Figures de leur propre musée en choisissant un animal tutélaire. Comme Marcel Broodthaers a choisi l’Aigle, symbole de pouvoir, de noblesse, les enfants peuvent choisir un autre animal et se poser la question de sa représentation et de ce qu’il représente au travers les siècles mais aussi dans les différentes cultures. Sans répétition formelle, on peut explorer les différents niveaux de représentation d’un objet choisi. Ils peuvent ainsi rassembler des représentations de cet animal dans leur quotidien (publicité, images trouvées sur Internet en posant la question de la source de ces images, des coupures de journaux mais aussi des objets) et utiliser des bases de recherche de musées pour retrouver des représentations de cet animal. Ils pourront ensuite intégrer les images des oeuvres trouvées dans leur musée et en faire une copie. Ce projet peut prendre la forme d’une exposition mais aussi d’un diaporama, d’un livre, d’un blog. Et le carton d’invitation qui incitera le public à voir l’exposition? Nouveaux trucs, nouvelles combines Reproduction, détournement, pastiche, parodie, citation Refaire une œuvre d’art autrement. En passant du plan au volume, de l’image au mot, ou bien en gardant le médium de l’œuvre choisie, faire une parodie ou bien introduire un détournement. Par la suite, cela peut donner lieu à une réflexion sur le dialogue établit avec l’œuvre originale. 42 L’objet peut être dessiné, représenté en pictogramme, rébus, ombre chinoise, portrait chinois, de face, de profil, en plongé, contre-plongé. Et si l’on change son échelle? Que devient-il si l’on accroche un autre objet par dessus, à coté… Et s’il est photocopié ou bien photographié? On peut aussi le décrire, le définir par un seul mot choisit subjectivement, ou bien par métaphore ou encore métonymie. On peut aussi écrire un poème à son sujet à la manière de Ponge dans “Le parti pris des choses”... Et quelques semaines plus tard quelle trace en reste-t-il dans notre mémoire? Une suggestation de présentation finale est faite en référence à l’oeuvre de Joseph Kosuth, One and three chairs (page ) Rébus en 3D Comme Marcel Broodthaers dans ses Poèmes Industriels et dans ses éditions, les enfants peuvent faire des rébus mais au lieu de dessiner, ils doivent trouver les objets même. Ces rébus en 3D peuvent être pris en photo pour pouvoir être diffusés. L’imaginaire portatif Comme pour La Malle en osier de Marcel Broodthaers créée sur le modèle du “manuscrit trouvé dans une bouteille” et de “La lettre volée” d’Edgar Allan Poe, choisissez un contenant et décrivez ce que l’on peut y trouver mais qu’on ne peut pas voir. Atelier: du mot à l’image, de l’image au mot Admirateur de Mallarmé, de Magritte, les œuvres de Marcel Broodthaers questionnent les rapports entre le mot (approche formelle) et son contenu (approche sémantique). Surprendre le spectateur, renverser ce qu’il croit savoir fait aussi partie de la démarche de Magritte, artiste surréaliste belge qui de 1928 à 1966 n’aura de cesse de remettre en question le rapport entre l’objet, sa représentation et son identification. Les oeuvres de Marcel Broodthaers interrogent la différence visible entre le texte (porteur de sens) et l’image (porteuse de formes). Il travaille ainsi sur l’opposition forme-lettre et l’opposition formecontenu, inscrivant les mots et les images dans d’autres relations, plus plastiques, vers une poésie visuelle. Cet atelier se propose d’investir l’écart entre l’écrit et l’image, le réel et ce qui est suggéré. 1- Exercice commun A la recherche des œuvres de Broodthaers Un premier temps consiste à explorer les bases de collection du Centre Pompidou, de la Bibliothèque Kandinsky (livres d’artistes numérisés), ou des Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique à la recherche des œuvres de Marcel Broodthaers. Il s’agit de se familiariser avec ces outils et d’appréhender les œuvres dans le contexte d’une collection de musée (classement, description etc.). 3 groupes peuvent être répartis pour travailler chacun sur la base de données du site d’un musée. ° Les collections du Centre Pompidou http://collection.centrepompidou.fr/Navigart/index. php?db=minter&qs=1 ° La Bibliothèque Kandinsky http://bibliothequekandinsky.centrepompidou.fr/ clientBookline/toolkit/P_Requests/formulaire.asp?I NSTANCE=INCIPIO&GRILLE=MULTICRITERE_0 [Taper : « livre d’artiste broodthaers » dans le champ « Titre » afin d’accéder uniquement aux ouvrages numérisés] ° Les Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique http://www.fine-arts-museum.be/fr/lacollection/?string=broodthaers l’exposition? 2- L’atelier Dessiner les mots Le deuxième temps de l’activité propose à chacun des groupes de passer du virtuel à la pratique artistique afin de donner corps aux mots, de les faire passer du côté de l’image. ° Les collections du Centre Pompidou La recherche retourne 10 résultats qui ne sont pas illustrés par un visuel de l’œuvre; l’image de celle-ci est absente. Seul le cartel est disponible: titre, date, techniques, description détaillée, historique des expositions. Il s’agira, à partir de ces informations « standardisées » et en s’inspirant du titre, d’imaginer par le dessin les formes possibles que peut prendre l’œuvre. A l’issu de cet atelier, on comparera les diverses interprétations dessinées pour se rendre compte que le sens des mots dans une description relève d’une part d’interprétation personnelle, même au cœur des fiches d’œuvres normalisées des bases de collections de musées. ° La Bibliothèque Kandinsky On utilisera Pense-Bête publié en 1964 qui propose des poèmes de Marcel Broodthaers. Afin de rendre aux mots leur plasticité, les enfants sont invités à illustrer ces poèmes pour dépasser le cadre de l’écriture. Un autre ouvrage de l’artiste propice à l’illustration : Je hais le mouvement qui déplace les lignes /Charles Baudelaire, 1974. C’est l’occasion de faire appel à tous ses sens pour illustrer le poème La Beauté de Baudelaire. Chacun développe sa vision de l’allégorie de la Beauté faite femme. ° Les Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique Place au récit ! Les titres énigmatiques des quelques 70 œuvres de Broodthaers présentent dans les collections de ce musée sont l’occasion pour chacun d’utiliser la technique du collage littéraire : en se servant des titres d’œuvres qu’il agencera dans l’ordre de son choix, l’enfant créera un nouveau récit qui suscitera de nouvelles images mystérieuses et pleines d’humour. Un exemple : Un bocal de confiserie / A Marcel Lecomte / C’était comme une semaine de bonté. La juxtaposition de ces trois titres d’œuvres peut facilement déboucher sur la réalisation d’un dessin. 43
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