Jean-Luc PAULVE PARCOURS D’UN PEINTRE SINGULIER Né le 6 février 1953 à Briançon, Jean-Luc a toujours aimé dessiner et dès 6 ans, il est remarqué pour d’excellentes dispositions en dessin. En fait, d’une très grande sensibilité, très vite, il réagit à tous les arts. Privilégiant la musique durant son enfance, il joue du piano, de l’harmonica avec une approche créative laissant largement place à l’improvisation. Son milieu familial cultivé est particulièrement stimulant : son oncle était peintre et Jean-Luc a grandi entre sa mère sculptant la pierre et son père grand amateur de poésie, tous deux passionnés de tous les arts. En 1973, Jean-Luc travaille au Centre d’Aide par le Travail « CAT Le Luberon » à Cavaillon. En 1976, l’E.N.C.A (Espace Nouveau de Création Artistique) est créé à l’initiative de ses parents fortement mobilisés. Jean-Luc en est un des premiers participants. Il fréquente assidûment cet atelier durant ses heures de loisirs et c’est donc là qu’il va développer sa technique si particulière de l’utilisation des cartes à gratter. L’atelier de peinture est alors situé au sein du foyer d’hébergement de l’Apei de Cavaillon. Au fil du temps, il est dirigé par différents animateurs, mais avec tous, Jean-Luc ne manquera jamais une séance. Lorsque certains week-end il ne rentrait pas dans sa famille, il y passait de longues heures, seul, poursuivant ou entreprenant un nouveau travail. Sa production sera constante. L’Atelier Extraordinaire, a succédé à l’E.N.C.A. Installé rue Chabran au cœur de Cavaillon, Jean-Luc y poursuivait fidèlement ses créations chaque après-midi et durant certaines soirées. C’est en tant que peintre de l’E.N.C.A. qu’il a tout d’abord participé à de nombreuses expositions locales, nationales ou internationales. En galeries ou dans des lieux officiels. Ne vivant pas très bien sa dépendance au milieu institutionnel, pour lui ces expositions constituaient une ouverture sur l’extérieur. Un extérieur qui ne l’intéressait que par le médiateur qu’était l’art. Il était très sensible à la reconnaissance et au succès dus à l’intérêt que lui et son travail suscitaient. Il s’étonnait au fond que le vedettariat puisse être un problème à nos yeux. Lors de ces expositions, il parlait toujours volontiers, avec émotion, de son travail. Pour Jean-Luc, on pouvait parler d’une vocation, mais peut-être que le mot passion conviendrait mieux. La vocation induit souvent une implication professionnelle totale. Jean-Luc, même s’il le souhaitait, n’en a pas eu la possibilité, n’en a pas eu les commodités. Même si son engagement à l’art était permanent, chronique : il aimait la musique, le théâtre, le mime, la danse... Il sculptait la pierre ou le siporex, réalisait des tapis, de la mosaïque en céramique…. Mais c’est bien l’expression picturale, graphique, qu’il pratiquait inlassablement : crayon, feutre, gouache, aquarelle, pastel… « Est-ce que ça existe un métier où l’on ne fait que dessiner ? C’est ça que je voudrais faire… Est-ce que ça s’appelle dessinateur ? Voilà, je voudrais être ça, c’est ma vie… » Dans son œuvre, la permanence, ce sont ses variations colorées : ses assemblages de petits rectangles, colorés trait par trait, aux feutres fins, ou, dessinés puis peints délicatement à l’aquarelle parfois, avec très souvent un motif à l’intérieur de ces petites figures. Figures également sculptées, gravées, grattées, séparées ou assemblées, laissant apparaître le blanc ou le gris des cartes à gratter. Fervent du travail de répétition, Jean- Luc en aimait le rituel, l’application. Son goût du travail bien fait l’a conduit à cette très grande maîtrise technique, à la prouesse de son style. Il était très novateur, défiant tout académisme pour l’obtention d’une texture particulière : ainsi ses tracés sur ces cartes à gratter (cartons qu’il préparait lui-même parfois) étaient sculptés à l’aide de la pointe d’un épluche-légumes, outil qu’il maniait d’une façon tout à fait singulière. Comparant le travail de Jean-Luc à celui de Paul Klee (de 1929 à 1932), Jean REVOL en 1987 le décrit ainsi : « Sa musique se développe sur un graphisme obsédant qui change de rythmes sans changer de figures ou vice-versa. Il bat la mesure de l’espace et c’est cette mesure qui se structure à l’infini, précédant la musique elle-même. » Jean-Luc lui, les assimilait à des vitraux : de la lumière plus que de la musique, non sans rythme : de la lumière compartimentée qu’il étalait devant lui, qui l’inondait ou qu’il inondait. Dans une étude intitulée « Figures de la répétition », Julia KRISTEVA envisage une analogie entre répétition et mélancolie en précisant : « Il n’est d’imagination qui ne soit ouvertement ou secrètement mélancolique ». Nul doute que Jean-Luc était un grand mélancolique, et que cette mélodie haute en couleurs, berçait ses « excès de sentiments » (« Enfin, il a trouvé une soupape qui lui permet de se libérer pendant un cours instant de son (…) excès de sentiments » Stéphane SWEIG La création obligatoire. La Répétition conquise… oui. Mais pas seulement ! Ce serait oublier sa période Figurative. Lors d’un séjour d’ateliers quotidiens à La Motte Chalencon dans la Drôme, il est stimulé par l’effervescence que procurent les stages d’expression picturale, heureux de l’aparté exclusive de « peindre toute la journée », Jean-Luc voulait prendre tous les risques, et c’est ainsi qu’il a osé s’abandonner à l’envie de faire des portraits… Nourri des liens créés avec ses éducateurs, il utilisera une photo les réunissant. Ainsi est né ce tableau exceptionnel qu’est « Gilbert et Muriel » (Crayon, feutre et pastel sur papier 60x60 cm). Là encore, en plus de la liberté du tracé, le métissage des techniques de réalisation est totalement personnel et inusité. Devant ce tableau exposé pour la première fois, en enfouissant ses mains dans ses poches, Jean-Luc me confiait rougissant d’émotion : « Je ne sais pas comment j’ai fait mon compte pour faire ça… ». Interrogeant lui-même les énigmes de la création, la conquête d’un savoir-faire qui prend le pouvoir... Ainsi, la pratique artistique lui apportait de très grandes satisfactions, pour ne pas dire toutes les satisfactions. C’était une plénitude pour lui, qui épongeait et restituait sa sensibilité au monde. Il ne fait aucun doute que s’il en avait été privé, son équilibre en aurait été perturbé. Touché par tout ce qui était en rapport avec l’art : au fond, il ne se différenciait pas de nombreux artistes misant leur temps, leur énergie, leurs préoccupations dans ce total engagement. En aimant l’art, Jean-Luc aimait la vie : «J’aime visiter la peinture, je suis intéressé par ça. Je m’intéresse à tout en peinture, Je suis intéressé de plus en plus. ». Concernant le parcours de cet artiste si personnel, si singulier, le chemin était bien là, être intéressé, de plus en plus… Et quelle modeste et délicate métaphore que celle – d’aimer visiter la peinture… Il en aimait l’enthousiasme ressenti ou suscité, il en aimait le partage conséquent. Il en aimait cette part inconnue, cette part surprenante… Il en aimait le mystère. Jacqueline DUCERF Responsable de l’Atelier (E.N.C.A) de 1994 à 2000 Artiste installée à Cairanne (84)
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