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GRAND DOSSIER LE PALMARÈS DU POUVOIR
1. Philippe Couillard
2. Juan Roberto Iglesias
3. Jean-Marc Fournier
4. Martin Coiteux
5. La garde rapprochée du PM
6. Gaétan Barrette
7. Les super sous-ministres
8. Christian Lessard
9. Denis Coderre et Régis Labeaume
10. Pierre Karl Péladeau
11. François Legault
12. Beverley McLachlin
13. La famille Desmarais
14. Michael Sabia, Monique Leroux
02 LEJuanCONFIDENT
Roberto Iglesias
Pour guider nos choix,
nous avons adopté
des critères simples. Ainsi,
sous chaque nom, vous
verrez ces symboles.
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||
Ce symbole indique le pouvoir de
l’institution liée à la personnalité.
Le premier ministre recueille ainsi
le pointage maximal, puisqu’il dirige
le gouvernement et cumule les
pleins pouvoirs exécutifs et législatifs à Québec.
Chef du troisième parti à l’Assemblée nationale,
François Legault n’obtient qu’une seule vignette.
01
Le facteur temps revêt une
importance cruciale en matière
d’influence. La juge France
Charbonneau, par exemple,
recueille cinq horloges parce que sa
commission d’enquête s’apprête à rendre public le
rapport le plus attendu de la décennie au Québec.
L’an prochain, elle ne figurera sans doute pas dans
la liste. À moins qu’elle ne soit nommée à la Cour
suprême ou au sein du Conseil des ministres,
sait-on jamais.
et Louis Vachon
15. Pierre Arcand
16. Guy A. Lepage
17. Jean Lapierre
18. Le successeur de Thierry Vandal
19. Luc Godbout
20. Daniel Johnson
21. Louis Godin et Diane Francœur
22. Steven Guilbeault
23. André Pratte
24. Claude Chagnon
25. France Charbonneau
Le pouvoir émane souvent des idées.
Si l’environnementaliste Steven
Guilbeault a su diffuser les siennes si
largement, c’est grâce à une
personnalité et à un charisme hors
du commun. Même chose pour les maires jumeaux
de Montréal et de Québec, Denis Coderre et Régis
Labeaume, des maires hors normes dont l’influence
dépasse celle que leur confère leur fonction.
OÙ SONT LES FEMMES ?
Le cercle des puissants, en ce début 2015, compte très peu de
femmes. C’est l’un des constats implacables de ce palmarès, qui
assimile le pouvoir politique à un boys club — un club d’hommes.
La même opération réalisée l’an dernier aurait sûrement vu
Pauline Marois trôner en tête, suivie de sa chef de cabinet, Nicole
Stafford. Mais depuis les dernières élections, les femmes n’ont
pas la part belle à Québec. « Il y a eu longtemps la parité dans
les cabinets de Jean Charest, qui se préoccupait de la place
des femmes », dit Anne-Marie Gingras, professeure de science
politique à l’Université du Québec à Montréal. « Malheureusement, ça semble être moins le cas de Philippe Couillard. »
Si on élargit le cadre du pouvoir aux autorités administratives indépendantes et aux tribunaux, le portrait est plus
encourageant pour les femmes, remarque toutefois AnneMarie Gingras.
La Commission de la construction du Québec (Diane
Lemieux), le Protecteur du citoyen (Raymonde Saint-Germain),
l’Université McGill (Suzanne Fortier) sont tous pilotés par des
femmes, qui forment par ailleurs 38 % des juges à la Cour du
Québec, une proportion en nette progression. À la Cour
suprême, quatre des neuf juges sont des femmes, note la
professeure.
PHILIPPE COUILLARD : S. CLARK / JDQ / AGENCE QMI ; JUAN ROBERTO IGLESIAS : MCE QUÉBEC / PATRICK LACHANCE
LE PALMARÈS DU
POUVOIR
LE CHEF
Philippe Couillard
||
||
Le premier ministre du Québec n’est pas un chat
de gouttière qui aime la bagarre politique. D’un
naturel calme, le neurochirurgien imprime son
style cartésien, logique — et parfois distant — à
son gouvernement. Ses députés et ministres le
décrivent comme un chef à l’écoute, qui aime
débattre d’idées, mais qui s’impose dans les dossiers
litigieux. Par exemple, la formule de contribution
des parents aux services de garde subventionnés
ne faisait pas l’unanimité parmi les députés libéraux en novembre dernier ; Philippe Couillard a
donc tranché.
Sa détermination à rétablir l’équilibre budgétaire
dès 2015-2016, quitte à bousculer des gens ou des
organismes, est inébranlable. L’automne dernier,
il confiait à L’actualité que son premier passage en
politique lui avait permis de comprendre une
chose : « Il ne faut pas arrêter au milieu d’une
réforme. On la fait complètement et assez rapidement, ou on ne la fait pas du tout. »
Le premier ministre est tout-puissant dans le
système parlementaire québécois. Particulièrement lorsqu’il est à la tête d’un gouvernement
majoritaire. Il a un pouvoir de nomination sans
pareil : 412 employés dans l’appareil étatique sont
choisis par lui. Il sélectionne ses ministres, les
patrons des sociétés d’État et le secrétaire général
du gouvernement. Il peut également déplacer ou
remplacer les sous-ministres et sous-ministres
adjoints. Sans compter les 1 352 personnes qu’il
peut nommer aux conseils d’administration des
sociétés d’État, régies, offices et autres organismes
gouvernementaux...
En août
dernier,
Philippe
Couillard a
lancé un
message à
ses députés :
« Demandezvous ce que
je dirais en
public. Si vous
pensez que
je n’utiliserais
pas certains
mots, ne le
faites pas.
Sinon, je n’irai
pas vous
défendre. »
||
Un seul ami reçoit les confidences et les angoisses
de Philippe Couillard depuis de nombreuses années :
le Dr Juan Roberto Iglesias, qu’il a nommé secrétaire
général du gouvernement, le plus haut fonctionnaire
de l’État. De son bureau situé dans le même immeuble
que celui du premier ministre, en retrait du parlement,
il dirige la fonction publique.
Juan Roberto Iglesias est le seul non-élu, avec
Jean-Louis Dufresne, directeur de cabinet du premier
ministre, à siéger à l’influent Comité des priorités et
des projets stratégiques du Conseil exécutif — lequel
révise tous les dossiers du gouvernement.
Les deux hommes enseignaient à la Faculté de
médecine de l’Université de Sherbrooke lorsque
Philippe Couillard s’est lancé en politique, en 2003.
Le Dr Iglesias faisait alors partie de la présélection
de candidats au poste de sous-ministre de la Santé.
Philippe Couillard a incité le premier ministre, Jean
Charest, à le nommer, et Iglesias a occupé le poste
de 2003 à 2006.
Les deux amis sont de nouveau réunis pour un
mandat qui s’annonce corsé sur le front des finances
publiques.
Les réformes administratives importantes mises
en marche par le gouvernement Couillard représentent un gros défi pour Juan Roberto Iglesias, qui
n’a pas une longue expérience dans la fonction
publique. Pour l’épauler, on fait appel à André Dicaire,
l’ancien secrétaire général du gouvernement de Jean
Charest de 2003 à 2006.
Officiellement, Dicaire, 69 ans, est expert-conseil
à l’École nationale d’administration publique (ENAP).
En réalité, il a les deux mains dans les réformes de
l’État. Depuis le 1er avril dernier, deux contrats de gré
à gré totalisant des honoraires de 124 500 dollars lui
ont été attribués pour « fournir des conseils stratégiques » à Juan Roberto Iglesias dans les domaines
des finances publiques, de la gestion gouvernementale et des infrastructures.
L’ACTUALITÉ 1ER AVRIL 2015 } 25
GRAND DOSSIER LE PALMARÈS DU POUVOIR
GARDE RAPPROCHÉE
05 LA
DU PM
MINISTRE DES MINISTRES
03 LEJean-Marc
Fournier
||
||
Jean-Marc Fournier, qui a été le principal conseiller de Philippe
Couillard pendant la dernière campagne électorale, est le ministre
le plus influent du cabinet. Élu depuis 1994, il a de l’expérience, de
l’ascendant sur ses collègues et l’oreille attentive du premier ministre.
Il est l’un des trois élus membres permanents du Comité des
priorités et des projets stratégiques du Conseil exécutif — avec
Philippe Couillard et la vice-première ministre, Lise Thériault.
Fournier est aussi leader parlementaire, ministre des Affaires
intergouvernementales canadiennes, de la Francophonie, de l’Accès
à l’information et de la Réforme des institutions démocratiques.
En tant que leader du gouvernement à l’Assemblée nationale,
Jean-Marc Fournier est responsable de l’ordre de dépôt des projets
de loi des ministres. Et il engage les joutes verbales contre ses
adversaires de l’opposition sur des questions de procédure. Celle qui,
dans l’ombre, l’aide à être aussi efficace se nomme Anik Montminy.
Sa directrice de cabinet est une experte de la procédure. La femme
dans la quarantaine occupait déjà cette fonction stratégique lorsque
le gouvernement libéral de Jean Charest était au pouvoir. Elle est
décrite autant par des collègues que par des adversaires comme
« redoutable » et « sans pitié ».
04
E RÉFORMATEUR PRESSÉ
L
Martin Coiteux
||
||
Au Conseil des ministres, le président du Conseil du
Trésor dicte à ses collègues les cibles budgétaires
(lire : compressions) à atteindre. Quitte, parfois, à
créer des froids. Une source bien informée signale
au moins un accrochage avec le ministre de la Santé,
Gaétan Barrette, qui a intimé à Martin Coiteux de « se
mêler de ses affaires ».
Quand il était professeur d’économie à HEC Mont­
réal, Martin Coiteux avait qualifié d’« occasion manquée » l’échec de la « réingénierie » de l’État qu’ambitionnait de réaliser le premier ministre Jean Charest
à son arrivée au pouvoir, en 2003.
Ces dernières années, il a multiplié les interventions
dans les journaux, à la télé et à la radio (notamment
à Radio X, à Québec, où il était régulièrement invité
avant son élection) contre les « néo-jovialistes » à
« lunettes roses » qui s’acharnent à défendre un
modèle québécois « désuet ». Il a souvent dénoncé
l’écart entre les dépenses publiques du Québec et
celles du reste du Canada, et qualifié de « luxes » de
nombreux programmes sociaux québécois. Très
critique des CPE, il avait vigoureusement contesté,
en 2012, une étude des économistes Pierre Fortin,
Luc Godbout et Suzie St-Cerny qui démontrait la
rentabilité des garderies à sept dollars, parce qu’elles
26 { 1ER AVRIL 2015 L’ACTUALITÉ
avaient incité 70 000 femmes à intégrer le marché
du travail.
Pour épauler Martin Coiteux, le premier ministre lui
a envoyé une femme en qui il a confiance, Isabelle
Mignault, comme directrice de cabinet. Elle était
responsable du contenu de Philipe Couillard pendant
sa course au leadership.
JEAN–MARC FOURNIER : JDQ / QMI ; MARTIN COITEUX : TZARA MAUD / JDM / QMI ; GAÉTAN BARRETTE : JACQUES NADEAU
Selon Martin
Coiteux
(ci-contre),
« l’État a
pris des
proportions
démesurées ».
Son collègue
Jean-Marc
Fournier
(ci-dessus) et
lui sont les
ministres les
plus influents
du cabinet.
||
||
Ils œuvrent dans l’ombre, mais sont les
yeux et les oreilles du premier ministre. À la
fois idéateurs, communicateurs, conseillers
et stratèges. Mais surtout : incontournables.
Le directeur de cabinet du premier
ministre, Jean-Louis Dufresne, 57 ans, est le
chef d’orchestre. Calme comme son chef,
cet anthropologue de formation est de tous
les dossiers. Dans la même journée, il
s’occupe de la crise qui éclate et a l’œil sur
la stratégie à long terme du gouvernement.
Dufresne est un ami de Philippe Couillard
depuis l’adolescence — ils ont joué au
hockey mineur avec les Lions d’Outremont.
Il a ensuite gravité dans l’orbite libérale,
notamment auprès des premiers ministres
Robert Bourassa et Daniel Johnson. Il s’est
joint à l’équipe Couillard après la course au
leadership de 2012-2013.
Il est appuyé par Jean-Pascal Bernier,
35 ans, et Johanne Whittom, 52 ans, les
directeurs de cabinet adjoints,
responsables du contenu des politiques
publiques. Ils préparent les dossiers avant
les réunions du Conseil des ministres et les
annonces importantes.
Harold Fortin, 34 ans, est plus qu’un
attaché de presse : il sait comment parler
au premier ministre. Il est toujours avec lui
et écrit certains de ses discours. Recruté
dès 2012, il connaît assez bien Philippe
Couillard pour être en mesure de prédire
ses réactions.
Avec Harold Fortin, Charles Robert,
directeur des relations avec les médias, a le
mandat, chaque matin, de résumer au chef
— qui ne lit pas les journaux ni n’écoute les
nouvelles — tout ce qui se brasse dans
l’actualité. Un oubli, et le premier ministre
pourrait être déstabilisé par les journalistes.
L’homme de 40 ans est également le
pompier des communications : il éteint les
feux de la controverse allumés par les
ministres et gère les crises. Yves Bolduc le
gardait passablement occupé…
Lors d’une
entrevue à
L’actualité en
2010, Gaétan
Barrette
affirmait que
s’il devenait
ministre un
jour, ses
collègues
médecins ne le
trouveraient
pas drôle avec
ses réformes.
On y est.
DOC » BARRETTE
06 « MAD
Gaétan Barrette
||
||
L’actualité l’a surnommé « Mad Doc Barrette » en
2010, à l’époque où il présidait la puissante Fédération des médecins spécialistes du Québec
(FMSQ). Un clin d’œil à Maurice « Mad Dog »
Vachon, lutteur qui aimait le spectacle et ne rechignait pas devant une bonne bagarre. Depuis son
arrivée à la tête du ministère de la Santé et des
Services sociaux, Gaétan Barrette ne fait pas mentir le titre du portrait que nous lui avions consacré.
Le Dr Barrette est monté dans le ring en septembre 2014 pour négocier avec ses anciens collègues — sans l’aide des fonctionnaires, un fait rare
— l’étalement sur huit ans de la hausse de salaire
des médecins. Son projet de loi 10, qui redéfinit
les structures du réseau et abolit les Agences régionales de santé, a suscité des critiques sur le pouvoir
accru du ministre, mais celui-ci n’a pas reculé.
Le budget de la Santé, de près de 37 milliards
de dollars, est le plus important de l’État. Et le
ministre compte beaucoup de réformes dans ses
cartons : financer les hôpitaux en fonction des
actes et non de leur budget historique, ouvrir des
supercliniques, revoir le programme de procréation
assistée, diminuer les honoraires des pharmaciens,
forcer les médecins de famille à voir plus de
patients, mettre à l’œuvre 2 000 superinfirmières…
L’ACTUALITÉ 1ER AVRIL 2015 } 27
GRAND DOSSIER LE PALMARÈS DU POUVOIR
DE CONFIANCE
08 L’HOMME
Christian Lessard
Lorsque le grand patron des achats et de la gestion informatique
du gouvernement a été invité à démissionner, en octobre dernier
— peu après sa nomination, pour apparence de conflit d’intérêts —,
le président du Conseil du Trésor, Martin Coiteux, s’est tourné vers
son homme fort pour assurer l’intérim à ce poste stratégique, qui
gère un budget annuel de trois milliards de dollars : son sous-ministre,
Yves Ouellet.
Fonctionnaire depuis 23 ans, Yves Ouellet est l’un des sousministres les plus puissants. Il l’est d’autant plus que le gouvernement
entame un redressement des finances de l’État et travaille à diminuer
la taille de la fonction publique. Son expérience est aussi vaste que
son réseau de contacts.
Dans les dernières années, il a notamment été sous-ministre des
Ressources naturelles et secrétaire général associé aux priorités et
aux projets stratégiques au Conseil exécutif, le ministère du premier
ministre.
À la Santé, le sous-ministre Michel Fontaine est le général qui
dirige les batailles engagées par Gaétan Barrette. Une tâche à laquelle
il excelle depuis 2011 au ministère le plus casse-gueule du Québec.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard s’il est le sous-ministre le mieux
payé, à 229 000 dollars. En 2013, lorsque le ministre péquiste Réjean
Hébert a dû faire le ménage dans la gestion du Centre hospitalier
de l’Université de Montréal (CHUM) à la dérive, Michel Fontaine a
été envoyé au front. Il a mis 25 cadres à la porte sans déstabiliser
l’établissement. Son influence est décuplée par sa proximité avec
Philippe Couillard et Juan Roberto Iglesias, avec qui il a travaillé de
2003 à 2006.
Sous-ministre des Finances depuis 2011, Luc Monty tient les rênes
de cet important ministère en ces temps économiques incertains.
Alors que son ministre, Carlos Leitão, apprend encore son métier
de politicien, Monty est un roc.
Christian
Lessard a
connu Philippe
Couillard
en 2003,
lorsqu’il était
directeur des
communications
de Jean
Charest. Comme
l’ex-premier
ministre,
Lessard vient
de la filière
progressisteconservatrice,
au fédéral.
||
||
||
||
Philippe Couillard l’a appelé sur
son cellulaire, quelques jours
après les élections du 7 avril
2014, afin de le convaincre
d’accep­ter le poste de secrétaire
général associé, responsable de
diriger les communications de
tous les ministères, un secteur
névralgique pour maintenir la
cohérence dans le message du
gouvernement. Christian Lessard a refusé, préférant son
emploi d’associé à l’agence de
communication et de lobbying
TACT Intelligence-conseil.
L e c h e f l ’a a p p e l é u n e
deuxième fois. « Le premier
ministre que je suis te demande
d’accepter ce poste », a-t-il fini par
lui dire sur un ton solennel.
Christian Lessard a flanché. Après
avoir dirigé sa course au leadership, puis la campagne électorale
victorieuse, l’homme de 50 ans
a poursuivi l’aventure aux côtés
de Philippe Couillard. Son bureau
est situé un étage en dessous de
celui du premier ministre, dans
l’édifice Honoré-Mercier, près
du parlement. Il est de toutes les
réunions importantes.
DE CHOC
09 LEDenisDUO
Coderre et Régis Labeaume
||
||
Sans eux, le projet de loi 3 sur la réforme des régimes de retraite des
employés municipaux n’aurait sans doute pas été possible.
Denis Coderre, à Montréal, et Régis Labeaume, à Québec, ont été
parmi les seuls maires du Québec à accepter les compressions de
300 millions de dollars imposées par le ministre des Affaires municipales, Pierre Moreau, dans son pacte fiscal avec les villes. Le duo peut
se réjouir : il a obtenu le statut particulier réclamé depuis des années.
Montréal à titre de métropole, et Québec, de capitale. Ce qui s’accompagnera de pouvoirs accrus et… de plus d’argent.
Le gouvernement se montre souvent réceptif aux problèmes de
Québec, où les circonscriptions changent d’allégeance d’une élection
à l’autre… Grâce à sa forte personnalité, Denis Coderre est parvenu à
attirer l’attention des élus sur Montréal, ce que son prédécesseur
Gérald Tremblay n’avait jamais réussi à faire.
28 { 1ER AVRIL 2015 L’ACTUALITÉ
10 LEPierreBULLDOZER
Karl Péladeau
CHRISTIAN LESSARD : A. T ROUSSEL / JDQ / QMI ; DENIS CODERRE ET RÉGIS LABEAUME : SIMON CLARK / JDQ / QMI ; PIERRE KARL PÉLADEAU : JACQUES NADEAU ; FRANÇOIS LEGAULT : GUILLAUME SIMONEAU
07 LES SUPER SOUS-MINISTRES
|| || Ses admirateurs et ses détracteurs s’entendent au moins sur
un aspect : quand il dirigeait
l’empire Québecor, Pierre Karl
Péladeau avait l’attitude d’un
bulldozer, habitué de faire les
choses à sa manière, quand il le
voulait. Sur ce point, il n’a guère
changé depuis son arrivée en
politique, au printemps 2014.
Son plongeon officiel dans la
course au leadership du Parti
québécois, le jour même où son
parti déposait une motion de
censure contre le gouvernement
à l’Assemblée nationale, a soulevé la grogne parmi ses collègues du PQ. Mais l’enthousiasme
autour de sa candidature, la
seule capable de faire bouger
les intentions de vote, selon les
sondages, fait de lui le leader de
facto des indépendantistes.
Aucun simple député n’attire
l’attention des médias comme
celui de Saint-Jérôme. Malgré
ses positions antisyndicales passées, il se présente en apôtre de
la solidarité et récolte, toujours
selon les sondages, des appuis
parmi les partisans de Québec
solidaire.
PKP dit être
en politique
uniquement
pour
l’indépendance
du Québec.
11
Le magnat de la presse, toujours actionnaire de contrôle de
Québecor, gère sa course au leadership comme s’il avait un plan
d’affaires. Encore en apprentissage, il n’a toutefois pas toujours
les bons réflexes politiques. Et ses
adversaires ne manqueront pas
d’exiger qu’il se départe de ses
actions dans le monde des médias.
LE DÉTERMINÉ
François Legault
||
||
Le chef de la Coalition Avenir Québec arrivait
encore une fois en tête du sondage Léger sur la
popularité des personnalités politiques en juin
dernier — devant Françoise David —, avec 58 % de
« bonnes opinions ». Un capital de sympathie sur
lequel l’ancien homme d’affaires s’appuie pour
influencer le débat, même s’il n’est pas le chef de
l’opposition officielle.
Depuis 2011, François Legault a su imposer ses
thèmes à l’ordre du jour politique, notamment celui
du « grand ménage » à faire dans les finances
publiques. La stratégie maritime du gouvernement
Couillard n’est pas étrangère à son Projet SaintLaurent, alors que la charte des valeurs du défunt
gouvernement Marois visait en partie à empiéter
sur la platebande identitaire nationaliste de la CAQ.
La fragilité des commissions scolaires dans l’opinion publique émane du combat qu’il mène pour
les abolir. Ses attaques à propos des hausses de
tarifs d’Hydro-Québec portent. L’arrivée de la CAQ
de François Legault a ajouté un élément de taille
dans l’équation. Tous les partis doivent en tenir
compte.
L’ACTUALITÉ 1ER AVRIL 2015 } 29
GRAND DOSSIER LE PALMARÈS DU...
||
||
Elle dirige un tribunal situé à
Ottawa, mais qui influe chaque
année sur le Québec. Dans un
jugement historique et unanime,
la Cour suprême vient tout juste
de donner raison au Québec, qui
a adopté en juin 2014 une loi qui
permet l’aide médicale à mourir.
En 2015, la Cour suprême, dont
Beverley McLachlin est la juge en
chef depuis 2000, décidera
notamment si le gouvernement
du Québec peut conserver les
données du registre des armes à
feu rassemblées par le fédéral et
si le maire de Saguenay, Jean
Tremblay, peut continuer d’imposer la prière avant les réunions du
conseil municipal.
Dans le passé, le plus haut tribunal du pays a amputé un volet
de la loi sur la langue d’affichage
et d’enseignement au Québec et
a statué sur les critères de clarté
en cas de sécession de la province.
Plus récemment, la Cour suprême
a donné raison au Québec contre
Ottawa dans le dossier de la commission pancanadienne des
valeurs mobilières et celui de la
réforme du Sénat.
30 { 1ER AVRIL 2015 L’ACTUALITÉ
13
La juge en
chef devra
se retirer
lorsqu’elle
atteindra
75 ans, l’âge
obligatoire
de la retraite,
dans quatre
ans. Le
prochain
gouvernement
fédéral
décidera
de son
successeur.
LE CLAN LE PLUS PUISSANT
La famille Desmarais
||
||
À la fin septembre, quelques jours avant le dépôt du projet de loi 10,
qui allait chambouler les structures du réseau de la santé du Québec,
France Chrétien Desmarais a contribué, par quelques appels téléphoniques au gouvernement, à faire changer les plans du ministère
de la Santé.
Une modification de dernière minute au projet de loi a permis à
l’Institut de cardiologie de Montréal (ICM), le protégé philanthropique de la famille Desmarais depuis des années, de conserver son
propre conseil d’administration, plutôt que d’être assujetti, comme
les autres établissements, à un Centre intégré de santé et de services
sociaux (CISSS).
L’Institut garde ainsi son pouvoir de décision, que ce soit pour
l’achat d’équipement spécialisé, la rénovation d’une salle d’opération
ou l’obtention de budgets spéciaux pour l’embauche de chercheurs
internationaux. « Sans cette autonomie, nos priorités auraient été
diluées parmi celles de tous les établissements du regroupement.
Nous prodiguons des soins très spécialisés et nous aurions été moins
efficaces », estime le directeur général de l’ICM, le Dr Denis Roy.
La Fondation de l’Institut de cardiologie aurait également eu plus
de difficultés à convaincre les donateurs privés de sortir leur chéquier, la portée de leurs dons étant moins directe.
Le plaidoyer de France Chrétien Desmarais — fille de Jean Chrétien, mariée à André Desmarais — a été relayé à Daniel Desharnais,
directeur de cabinet du ministre de la Santé, Gaétan Barrette. Le
sous-ministre de la Santé, Michel Fontaine, a également été contacté
par des membres du C.A. de l’Institut. « Le gouvernement a vite
compris l’importance. Ils n’ont pas été difficiles à convaincre », dit
Denis Roy.
Il précise n’avoir « pas la preuve que qui que ce soit ait appelé qui
que ce soit », mais ajoute : « Il y a des gens de notre conseil d’administration et de notre fondation qui ont parlé. Des gens influents se
sont approprié notre cause. Disons que je n’ai ralenti personne ! »
lâche-t-il en riant.
Le Dr Roy affirme que France Chrétien Desmarais, qui a présidé
la Fondation de l’ICM de 2001 à 2008, et qui siège encore au conseil
d’administration, « fait constamment la promotion des intérêts de
BEVERLEY MCLACHLIN : ANDREW BALFOUR / CSC ; FRÈRES DESMARAIS : P. CHIASSON / PC ; MICHAEL SABIA : AGENCE QUÉBEC PRESSE /
P. ROUSSEL ; MONIQUE LEROUX : M. BEAUREGARD / PC ; LOUIS VACHON : J.-F. DESGAGNÉS / JDQ / QMI
12
Paul
Desmarais fils
(à gauche)
et son frère,
André,
entourent
Jeffrey Orr,
président et
chef de la
direction de
la Financière
Power, une
filiale de
l’empire.
L’ARBITRE SUPRÊME
Beverley McLachlin
l’Institut ». Elle a refusé de nous accorder une entrevue, mais nous
a fait savoir qu’elle n’avait pas joué de rôle particulier lors de la
préparation du projet de loi 10 du gouvernement.
La Fondation de l’Institut de cardiologie est sous la protection du
clan Desmarais, qui a placé au conseil d’administration des membres
de la famille (Adriana Embiricos Desmarais) et des alliés (John Rae).
Le président du C.A., Henri-Paul Rousseau, est l’un des dirigeants
de Power Corporation.
En décembre, le ministre Barrette a amendé le projet de loi 10 de
façon à assurer l’autonomie à d’autres établissements de santé,
notamment l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec (IUCPQ) — qui avait sursauté devant le privilège
accordé à son homologue montréalais et exigé le même.
L’influence politique de la famille Desmarais est toutefois moins
forte qu’à l’époque de Jean Charest, qui faisait régulièrement des
séjours au vaste domaine du clan, à Sagard, dans Charlevoix — où
Brian Mulroney, Jean Chrétien, Jacques Parizeau et Lucien Bouchard, entre autres, ont aussi passé du temps. Philippe Couillard
n’y a jamais mis les pieds et n’a pas de contact particulier avec les
Desmarais, assure-t-on dans l’entourage du premier ministre.
Le clan Desmarais a appuyé Raymond Bachand dans la course au
leadership du PLQ, remportée par Couillard en 2013. Peut-être
s’agissait-il de représailles au bras de fer que Philippe Couillard a
livré, en 2005, à Jean Charest et aux Desmarais sur l’emplacement
du nouveau CHUM, eux qui souhaitaient le voir implanter à Outremont plutôt qu’au centre-ville.
Les grandes familles industrielles et financières du Québec ont
toutes une oreille attentive en haut lieu, peu importe le gouvernement au pouvoir. Les Saputo, Godin, Molson, Péladeau (avant son
passage en politique) et autres Beaudoin qui veulent parler d’économie n’ont qu’à décrocher le téléphone, un accès auquel le citoyen
ordinaire ne peut que rêver. « Pauline Marois aussi répondait quand
un Desmarais ou un Laurent Beaudoin appelait », dit un conseiller
politique qui préfère ne pas être nommé.
Le réseau de contacts du clan, au Québec et à l’étranger, l’étendue de ses activités philanthropiques — 375e anniversaire de
Montréal, musée des Beaux-Arts, etc. — et sa mainmise sur les
journaux de Gesca lui valent une planète à son nom dans la galaxie
de l’influence.
14
LE
PREMIER TRIO DE
LA FINANCE
Michael Sabia, Monique Leroux
et Louis Vachon
||
||
Si le gouvernement Couillard a son « trio » de
médecins, le Québec inc. a son trio de financiers.
Michael Sabia gère le plus gros portefeuille de
placements du Québec, Monique Leroux préside
sa plus importante institution financière, et Louis
Vachon, sa plus grande banque.
Le PDG de la Caisse de dépôt et placement du
Québec, la présidente du Mouvement Desjardins
et le PDG de la Banque Nationale pilotent le
« premier trio » de la finance au Québec. Dotés
d’antennes partout dans la province, ils sont régulièrement consultés par le ministre des Finances
à Québec, peu importe sa couleur politique.
Ainsi, Michael Sabia souhaitait depuis des
années faire participer la Caisse de dépôt au
financement des infrastructures de transport au
Québec, comme l’institution le fait à l’étranger. Il
a persuadé le gouvernement Couillard, à la
recherche de fonds pour ses projets, de rendre la
chose possible.
L’ACTUALITÉ 1ER AVRIL 2015 } 31
GRAND DOSSIER LE PALMARÈS DU POUVOIR
FORCE TRANQUILLE
15 LA
Pierre Arcand
Coulera,
coulera pas ?
Pierre Arcand
doit gérer le
délicat dossier
des pipelines.
Guy A. Lepage,
ci-dessous, est
courtisé par
tous les chefs
de partis
politiques,
sauf Stephen
Harper…
||
||
Ses collègues le décrivent comme « la force tranquille ». Lorsque le ministre de l’Énergie et des
Ressources naturelles parle au Conseil des
ministres, on l’écoute avec attention. Philippe
Couillard a confiance en son jugement. À preuve,
il a nommé Pierre Arcand vice-président du Conseil
du Trésor pour épauler la recrue Martin Coiteux.
Pierre Arcand, élu en 2007 après une carrière
dans le monde des affaires, siège également au
Comité ministériel de l’économie, de la création
d’emplois et du développement durable. Il est
responsable du Plan Nord, un axe important de
développement des ressources naturelles.
Il dévoilera à l’automne une nouvelle politique
énergétique qui guidera le gouvernement et HydroQuébec — dont il est responsable — jusqu’en 2025.
Pierre Arcand devra, avec son collègue David
Heurtel à l’Environnement, gérer le délicat dossier
de l’oléoduc Énergie Est.
17
DE LA TÉLÉ
16 LEGuyPAPE
A. Lepage
||
Quand Guy A. Lepage a invité l’ex-leader étudiant
Gabriel Nadeau-Dubois à Tout le monde en parle, fin
novembre, ce dernier a profité de la tribune pour
dénoncer le projet d’oléoduc de TransCanada.
Quelques heures plus tard, un site Web avait déjà
recueilli 100 000 dollars, destinés à la lutte contre
les oléoducs. Après une semaine, la somme approchait
les 400 000 dollars !
Une énième démonstration de l’influence de cette
émission — et de son animateur, Guy A. Lepage —,
qui convie chaque semaine depuis 10 ans plus d’un
million de fidèles à sa messe dominicale.
Aux dernières élections fédérales, en 2011, des
analystes ont attribué une partie de la « vague
orange » à l’influence de Tout le monde en parle : les
intentions de vote favorables au NPD au Québec
étaient montées en flèche à la suite du passage du
chef, Jack Layton, sur le plateau...
Pas étonnant, dans ce contexte, que dès le déclenchement des élections au Québec, les équipes des
chefs se précipitent pour « réserver » leur place. Dans
la dernière campagne, au printemps dernier, Pauline
Marois devait, à l’origine, y être la veille du scrutin. La
haute direction de Radio-Canada a dû intervenir pour
devancer la date à la suite d’une plainte de la CAQ,
qui la jugeait trop favorable à la première ministre.
34 { 1ER AVRIL 2015 L’ACTUALITÉ
PIERRE ARCAND : J.-F. DESGAGNÉS / JDQ / QMI ; GUY A. LEPAGE : G. HUGHES / LA PRESSE CANADIENNE ; JEAN LAPIERRE : 98,5 FM
||
LE MÉDIACRATE
Jean Lapierre
|| || Dans les hautes sphères des
partis politiques, il est l’objet de
toutes les attentions. En campagne électorale, son téléphone
sonne dès 6 h. Au bout du fil
se succèdent les stratèges de
toutes allégeances, qui tentent
d’influencer ce qu’il dira en
ondes à 7 h 05, à la première de
ses multiples interventions à la
radio de la journée...
« Il est une constante préoccupation, car il est un des rares
commentateurs qui peut faire
bouger des votes », affirme une
source dans l’entourage du chef
libéral Philippe Couillard. Même
son de cloche du côté du Parti
québécois : « On essayait toujours
de l’avoir de notre bord avant sa
chronique. Si on parvenait au
moins à le neutraliser, on était
content », dit un ancien attaché
de presse.
Fort en gueule, champion de
la formule assassine, Jean
Lapierre fait à lui seul monter
l’audimètre — son segment à
Puisqu’il faut se lever, l’émission
phare de Paul Arcand, est le plus
écouté du 98,5 FM. « Il donne le
ton à la journée politique »,
affirme un conseiller de la CAQ.
Présent sur les ondes à Mont­
réal, à Québec et en région, cet
ex-ministre libéral fédéral multiplie aussi les apparitions à la
télé, en français (Salut Bonjour,
émissions de LCN, Larocque
18 L’INDISPENSABLE
Le successeur de Thierry Vandal
||
||
Jean Lapierre
est le
commentateur
politique le
plus coloré et
le plus influent
du Québec.
Lapierre) et en anglais (CTV), où
il « spinne » à sa façon la nouvelle
du jour.
Alors que le cycle de vie des
nouvelles ne cesse de rétrécir,
l’industrie du commentaire ne
s’est jamais si bien portée, dit
Jean-François Dumas, président
d’Influence Communication.
« Au hockey, l’analyse du match
est devenue plus importante que
le match lui-même, dit-il. C’est
la même chose en politique :
l’analyse prend plus de place que
les discours des politiciens. »
Ainsi, les chefs de parti n’ont eu
droit en moyenne qu’à des citations de 12 secondes dans les
téléjournaux lors de la dernière
campagne électorale.
En parallèle, le temps
d’antenne des chroniqueurs politiques a explosé. D’où l’influence
grandissante des commentateurs
de la trempe de Jean Lapierre,
conférencier recherché, doté
d’un réseau de contacts sans
pareil à Ottawa et à Québec, qui
a déjà donné des « conseils stratégiques » rémunérés à des entreprises… tout en animant un bulletin d’informations à la station
TQS.
Lapierre ne gagne pas toutes
ses batailles : il s’était longuement opposé à l’idée de tenir
une commission d’enquête sur
l’indus­trie de la construction au
Québec.
?
Le prochain PDG d’Hydro-Québec n’est pas
encore connu, mais il sera en bonne position
dans ce palmarès ! Avec ses quelque
22 000 employés, ses 73 milliards de dollars d’actifs
et ses projets de barrages, d’éoliennes et de minicentrales
qui stimulent l’économie des régions, Hydro-Québec est
non seulement la plus importante des sociétés d’État, c’est
même un État dans l’État. Que son patron soit
coloré comme André Caillé ou discret comme
Thierry Vandal — qui partira en mai après 10 ans
à la barre d’Hydro —, le PDG du géant énergétique est toujours puissant et influent.
Le prochain président entrera en poste au
moment de la préparation de la nouvelle politique
énergétique 2016-2025 du gouvernement du Québec, qui
sera présentée à l’automne, et dans laquelle l’électrification
des transports prendra de la vitesse.
L’ACTUALITÉ 1ER AVRIL 2015 } 35
GRAND DOSSIER LE PALMARÈS DU POUVOIR
||
||
Après les dernières élections — et bien avant l’asser­
mentation des députés —, Luc Godbout est l’une
des toutes premières personnes que le comité de
transition mis en place par Philippe Couillard a
contactées pour avoir « l’heure juste » sur les
finances publiques du Québec. Le premier ministre
tenait à obtenir l’avis de ce directeur du Département de fiscalité de l’Université de Sherbrooke,
de même que celui de Claude Montmarquette,
professeur à l’Université de Montréal. Une dizaine
de jours (et quelques nuits blanches) plus tard, les
Le fiscaliste
Luc Godbout
a l’oreille
du premier
ministre.
QUI RÔDE
20 LEDanielSAGE
Johnson
||
||
L’ancien premier ministre libéral, âgé de 70 ans, est le conseiller
informel de Philippe Couillard. Les deux hommes se parlent régulièrement, et Couillard sollicite son avis sur les grandes orientations du
gouvernement.
C’est le débat sur la charte des valeurs, proposée par le Parti québécois en 2013, qui a poussé Daniel Johnson à reprendre du service
politique. Depuis, il a dirigé le quartier général du PLQ lors des dernières élections et a pris la tête du comité de transition vers le pouvoir.
Son influence est d’autant plus forte qu’il connaît bien Jean-Louis
Dufresne, directeur de cabinet de Couillard, et Pietro Perrino — nommé
secrétaire général associé au ministère du Conseil exécutif en avril
dernier —, avec qui il a travaillé lorsqu’il était premier ministre, en
1994.
36 { 1ER AVRIL 2015 L’ACTUALITÉ
LES MAÎTRES DES COULISSES
À Québec, quiconque veut discuter d’un dossier avec un
ministre ou un fonctionnaire doit être inscrit au Registre des
lobbyistes. Le nombre d’inscriptions y est en hausse continue
depuis sa création, en 2002, et les dossiers sont de plus en
plus nombreux et complexes.
Lobbyistes actifs
auprès du
gouvernement
du Québec
et des villes
LUC GODBOUT : J.-F. DESGAGNES / JDQ / QMI ; DANIEL JOHNSON : M. CHAMBERLAND / LA PRESSE ; LOUIS GODIN : E. GARNIER / FMOQ ; DIANE FRANCOEUR : P.-P. POULIN / JDM / QMI ; FRANÇOISE DAVID : S. CLARK / JDQ / QMI
19
LE FISCALISTE AMBITIEUX
Luc Godbout
deux économistes présentaient un rapport financier sombre, qui invitait le nouveau gouvernement
à hausser les tarifs, à geler la masse salariale des
fonctionnaires et à sabrer les crédits d’impôt aux
entreprises.
Ces suggestions ont visiblement plu au gouvernement, qui a ensuite confié à Luc Godbout la
présidence de la Commission sur l’examen de la
fiscalité.
Cette nomination couronne l’ascension fulgurante de ce fiscaliste de 48 ans, habile vulgarisateur
qui s’est d’abord fait connaître, il y a sept ans, en
publiant un livre sur les conséquences du vieillissement de la population. Dans Oser choisir maintenant (Les Presses de l’Université Laval), lui et
trois de ses confrères proposaient d’augmenter
rapidement les impôts, taxes et tarifs des services
publics de 4,5 milliards de dollars, pour constituer
un « bas de laine » et ainsi éviter de refiler la facture
aux jeunes.
Depuis, ses conseils ont été sollicités — et brandis
comme des armes — tant par le Parti québécois que
le Parti libéral. Ses plus récentes recommandations,
dans le contexte d’austérité, font toutefois de lui
une cible privilégiée pour certains économistes de
gauche. Ceux de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques lui reprochent (entre
autres) de surestimer l’importance de la dette.
« L’étiquette de gauche ou de droite m’importe peu,
dit Luc Godbout. Lorsque je regarde les écrits auxquels j’ai participé depuis 10 ans, je suis très fier de
l’équilibre qui en ressort, du souci de mieux financer nos services publics en vue d’assurer leur pérennité à long terme. Une façon comme une autre de
faire avancer le Québec. »
+ 235 %
1 885
2010 6 320
2014
ã
Quelques lobbyistes qui ont de l’influence…
LUC OUELLET, associé directeur du Cabinet de relations publiques
National à Québec. En poste depuis de nombreuses années, il connaît
tout ce qui bouge dans la capitale et est un proche de l’équipe
Labeaume. Il représente de grands noms : CAE, Amaya, Aéroports
de Québec, Kruger, Molson.
21
LES REDOUTABLES
SYNDICALISTES
Louis Godin et Diane Francœur
||
||
Ils ne représentent que 18 000 membres (contre
600 000 pour la Fédération des travailleurs du
Québec, la FTQ), mais ils forment le duo de syndicalistes le plus redoutable du Québec.
Les présidents de la Fédération des médecins
omnipraticiens du Québec et de la Fédération des
médecins spécialistes du Québec, Louis Godin et
Diane Francœur, ont certes consenti à étaler sur
quelques années la dernière tranche de l’importante hausse de rémunération accordée à leurs
membres depuis 2008. Mais ils ont obtenu du
ministre de la Santé, Gaétan Barrette — ancien
chef syndical des médecins spécialistes —, la promesse d’augmentations au moins aussi importantes
que celles qui seront accordées aux 550 000 syndiqués des secteurs public et parapublic au terme
des prochaines négociations.
Alors que le revenu des infirmières, des enseignants, des travailleurs en garderie et des autres
employés de l’État peine à suivre l’inflation, celui
des médecins explose. Invoquant le spectre d’un
exode vers les autres provinces, les syndicats de
médecins ont négocié une hausse de rémunération
de 77 % de 2008 à 2014. Cette dernière est passée
de 3,6 à 6,2 milliards de dollars. L’an dernier, les
omnipraticiens ont touché des revenus moyens nets
(une fois les frais de cabinet déduits) de 230 000 dollars, et les spécialistes, de 366 500 dollars.
FRANÇOISE BERTRAND, PDG de la Fédération des chambres de
commerce du Québec. Elle a une proximité de pensée avec le gouvernement libéral et est consultée avant chaque budget, tout comme
MICHEL LEBLANC, qui dirige la Chambre de commerce du Montréal
métropolitain.
MARTINE HÉBERT, vice-présidente de la Fédération canadienne de
l’entreprise indépendante (FCEI). Porte-parole nationale de ce
regroupement de PME, et de plus en plus visible dans les médias,
elle est la figure montante du côté patronal. Elle copréside le Comité
conseil sur l’allègement réglementaire et administratif, mis en place
par le gouvernement à l’automne 2014. Elle siège également à la
Commission des partenaires du marché du travail, qui conseille le
gouvernement en matière d’emploi et de main-d’œuvre.
UNION DES PRODUCTEURS AGRICOLES (UPA). Ce n’est pas le
syndicat le plus bruyant, mais l’un des plus puissants. Son influence
sur les députés qui sont hors des grands centres est indéniable.
TACT INTELLIGENCE-CONSEIL, boîte de relations gouvernementales
en progression à Québec, qui forme avec National et Hill + Knowlton
le premier trio de lobbyistes-conseils. TACT compte dans ses rangs
de nombreux ex-libéraux et péquistes. C’est aussi l’ancien port
d’attache de Christian Lessard, maintenant proche de Philippe
Couillard. Marie Grégoire, qui profite de la tribune du Club des ex, à
RDI, en est vice-présidente.
À NE PAS MANQUER DANS
LA VERSION NUMÉRIQUE
DANS L’ANTICHAMBRE DU POUVOIR
Qui sont ceux qui cognent à la porte
de l’influence, qui sont tout près
d’obtenir une place dans le top 25 ?
La porte-parole de Québec solidaire,
Françoise David, est du nombre.
L’ACTUALITÉ 1ER AVRIL 2015 } 37
GRAND DOSSIER LE PALMARÈS DU...
QU’ON ÉCOUTE
22 LEStevenVERTGuilbeault
ILS AURAIENT DÛ Y ÊTRE, MAIS…
||
PIERRE MOREAU
Le ministre des Affaires municipales a montré
ses talents de politicien et de communicateur
dans le débat sur le projet de loi 3, qui modifie
les régimes de retraite des employés municipaux.
Mais son caractère parfois intempestif lui cause
des problèmes. La vilaine prise de bec avec les
maires de Laval et de Longueuil au sujet des
impôts fonciers des municipalités et la levée de
boucliers en région contre ses réformes des
organismes de développement économique ont
fait pâlir son étoile.
Il s’est fait connaître, il y a près de 15 ans, en escaladant la tour CN pour le compte de Greenpeace.
Mais il y a longtemps que Steven Guilbeault, 44 ans,
n’a plus besoin de risquer sa vie pour attirer l’attention des gens de pouvoir. Le directeur principal
d’Équiterre avait déjà conseillé le gouvernement
Charest au sujet de l’élaboration du « fonds vert »,
une série de mesures, dont une taxe sur le carbone,
qui a rapporté plus de deux milliards de dollars
au Trésor public depuis 2006, afin de financer des
mesures environnementales.
Le gouvernement Couillard sollicite aussi ses
lumières. En juillet dernier, il l’a nommé au Comitéconseil sur les changements climatiques. Ce comité
va nourrir la réflexion de Québec autour de la
politique énergétique 2016-2025, qui sera rendue
publique l’automne prochain.
Au cabinet du premier ministre, on décrit Guilbeault comme « l’environnementaliste le plus cré-
dible, calme et aimé des Québécois. On doit être
attentif à ce qu’il dit. » Le gouvernement n’aime
pas pour autant tout ce qu’affirme le « pape vert »
du Québec, qui répète sur toutes les tribunes sa
vive opposition au projet d’oléoduc Énergie Est,
pour exporter le pétrole des sables bitumineux
albertains.
DES SCEAUX
23 LEAndréGARDIEN
Pratte
LE PHILANTHROPE
24 Claude
CAPITALISTE
Chagnon
À la mi-mars 2012, alors que le conflit étudiant
s’envenimait et que beaucoup — dont l’opposition
à Québec — appelaient le gouvernement de Jean
Charest à négocier, l’éditorialiste en chef de La
Presse, André Pratte, a enjoint aux libéraux de ne
pas céder devant un tel mouvement. « Ce serait
profondément injuste pour les groupes qui, eux,
n’ont pas le temps ou les moyens de descendre
chaque jour dans la rue, et dont la “cause” est
certainement aussi valable », écrivait-il.
L’effet sur le Conseil des ministres et le caucus
libéral a été immédiat. « Ç’a mis le feu aux poudres.
C’était fou au Conseil des ministres. La ligne dure a
pris le haut du pavé ensuite », explique un ancien
ministre présent à la table.
Les éditorialistes n’ont plus autant de poids
qu’auparavant, quand les journaux étaient les principaux vecteurs d’informations. Mais lorsque le PLQ
est au pouvoir, André Pratte influence les troupes
libérales, autant les députés que les militants. Il joue
le rôle que le chroniqueur du Devoir, Michel David,
tient lorsque le PQ est au gouvernement : gardien
des sceaux. André Pratte reflète les valeurs du parti.
Lorsque le PLQ s’en écarte, il le rappelle à l’ordre.
S’il juge que la position est conforme à la tradition
libérale, il lui donne son imprimatur.
||
||
Peu d’organismes de charité peuvent se targuer
d’influencer directement des politiques sociales
du gouvernement. C’est pourtant le cas de la
Fondation Lucie et André Chagnon, l’une des
plus importantes au pays, dotée d’un capital de
1,6 milliard de dollars, provenant de la vente de
Vidéotron à Québecor, en 2000. Présidé par
Claude Chagnon, ex-PDG de Vidéotron, l’organisme a pour mission de « prévenir la pauvreté
par la réussite éducative des jeunes ». La Fondation a conclu depuis 2007 des partenariats avec
le gouvernement. Elle a mis sur pied trois organismes indépendants, au sein desquels elle s’est
engagée à verser quelque 475 millions de dollars
sur 10 ans. Québec doit en échange y investir
375 millions.
Voyant leurs propres subventions sabrées ou
gelées par Québec, 360 organismes communautaires et syndicaux mènent depuis le printemps
une campagne contre ces « PPP [partenariats
publics privés] sociaux », que la coalition qualifie
de « dérive démocratique ». La Fondation se défend
de se substituer à l’État et soutient qu’elle ne préconise aucunement la privatisation des services
publics.
||
||
38 { 1ER AVRIL 2015 L’ACTUALITÉ
André Pratte
gagne en
influence
lorsque les
libéraux sont
au pouvoir.
Grâce à sa
fondation
milliardaire,
Claude
Chagnon
façonne les
politiques
sociales du
Québec, peu
importe le
parti au
pouvoir.
25
STEVEN GUILBAULT : M. LAROSE / EQUITERRE ; ANDRÉ PRATTE : N. PEDNAULT / LA PRESSE ; CLAUDE CHAGNON : AGENCE QC PRESSE / P. ROUSSEL ; FRANCE CHARBONNEAU : J. NADEAU ;
PIERRE MOREAU : M. BEAUREGARD / PC ; LISE THÉRIAULT, DANIEL BOYER, JACQUES LETOURNEAU ET LOUISE CHABOT : M. BEAUREGARD / PC ; LUCIENNE ROBILLARD : S. CLARK / JDQ / QMI
||
L’ICÔNE
France Charbonneau
||
||
Assignés à comparaître devant elle, de nombreux
témoins ont tout tenté pour éviter de tomber entre
les griffes de la juge France Charbonneau.
Et pour cause.
En deux ans d’audiences, la présidente de la
Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion
des contrats publics dans l’industrie de la construction a souvent agi comme « un sphinx qui dévore
les victimes devant elle », dit Bernard Motulsky,
professeur de communication sociale et publique
à l’Université du Québec à Montréal.
Plus réservée que John Gomery, qui présidait
la commission d’enquête sur le scandale des commandites, créée en 2004, elle intervenait peu dans
les témoignages. Mais quand elle le faisait, avec
son sourire en coin, presque carnassier, ses commentaires résonnaient très fort, dit Motulsky, qui
a analysé ses prestations en direct à la télévision.
Décontenancés, de nombreux témoins reconnaissaient leurs péchés et se confessaient en public.
À la barre de sa commission, elle a fait trembler
politiciens, syndicalistes, ingénieurs et mafieux.
Mais elle a surtout eu l’effet d’une catharsis — du
grec ancien katharsis, « qui purge ou libère » — pour
une population lassée du copinage, de la corruption. Sa présence a déjà fait bouger les choses : les
lois en matière de financement politique ont été
revues, et des mesures anticorruption ont été mises
en place dans plusieurs villes, dont Montréal.
La juge Charbonneau publiera ses conclusions
d’ici le printemps. Le gouvernement pourra difficilement se permettre de « tabletter » ce rapport,
l’un des plus attendus des dernières décennies.
LISE THÉRIAULT
La vice-première ministre siège au Comité des
priorités et des projets stratégiques, du ministère
du Conseil exécutif, ce qui lui confère un pouvoir
important. En principe. Dans les faits, sa gestion
chaotique des suites de l’évasion de la prison
d’Orsainville et sa difficulté à communiquer
clairement son message aux médias l’empêchent
d’avoir la pleine confiance du premier ministre.
DANIEL BOYER (FTQ),
JACQUES LÉTOURNEAU (CSN) ET
LOUISE CHABOT (CSQ)
Combien de Québécois pourraient nommer les
chefs des trois grandes centrales syndicales ? Il
n’y a pas si longtemps, les présidents de la
Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), de
la Confédération des syndicats nationaux (CSN)
et de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ)
étaient des acteurs clés — et archiconnus — de la
vie publique québécoise. On connaîtra la vraie
mesure de leur pouvoir dans la bataille qui
s’annonce sur la négociation des conventions
collectives du secteur public, lesquelles viennent
à échéance en mars.
LUCIENNE ROBILLARD
Le premier rapport de la Commission de révision
permanente des programmes, dont Lucienne
Robillard est présidente, a soulevé des tensions
au sein même du gouvernement Couillard.
Chargée de « recentrer l’action du gouvernement
sur ses missions essentielles », la commission a
suggéré de sabrer l’aide aux agriculteurs, de
réduire de 1,3 milliard les transferts aux
municipalités et de hausser à 35 dollars par jour
le tarif des places en CPE. Mais le gouvernement
a rapidement écarté ses principales
recommandations.
L’ACTUALITÉ 1ER AVRIL 2015 } 39