Sixième rapport sur la cohésion Questionnement sur la base du

Sixième rapport sur la cohésion
Questionnement sur la base du « Policy Paper » de Patrick Faucheur
Vincent LE DOLLEY – 15/04/2015
Le sixième rapport sur la cohésion met en évidence des évolutions significatives et importantes en
termes de convergence économique depuis la crise, et fait une analyse intéressante sur la relation entre
la qualité du management territorial et les performances économiques des territoires ; cependant, il
illustre une fois de plus la complexité d’évaluer l’efficacité de la politique de cohésion, tant il est difficile
d’établir son rôle réel dans l’évolution économique et sociale, les causes et les conséquences étant
largement imbriquées, et le contexte largement déterminant.
Si l’intérêt d’une administration efficace pour le développement économique et social ne fait pas de
doute, la démonstration par le lien entre consommation des crédits européens, résultats économiques
et qualité de l’administration est assez discutable ; ce qui est certain, c’est que la consommation des
crédits européens compte tenu de leur complexité croissante nécessite une administration sophistiquée,
et que les régions les plus dynamiques ont compris l’intérêt de se doter des moyens administratifs
adaptés… Mais on pourrait tout à fait imaginer une politique de cohésion plus réellement décentralisée,
moins administrée, moins contraignante en termes de méthodes et de moyens, moins sectorisée, et plus
axée sur l’innovation, la créativité, la souplesse, et les résultats finaux en termes de cohésion réelle de la
population européenne…
Le problème, c’est que l’on mélange souvent deux grandes visions de la politique de cohésion :
1. Une approche pragmatique de la politique de cohésion vue comme un instrument pour la
mise en œuvre des grands objectifs sectoriels de l’Union européenne, mesurés en termes
de développement économique et social.
Il est exact que la politique de cohésion s’est révélée un outil tout à fait approprié pour le
développement à l’échelle européenne de la compétitivité, du développement durable, des
politiques de mobilité professionnelle, en s’appuyant sur les forces régionales et locales… Elle
évite en effet les excès des approches centralisées et limite grandement les marchandages interEtats-membres et interrégionaux sur chacune des politiques européennes, dans la mesure où
l’approche est globale et interministérielle. Il est aussi probable que cette vision ait sauvé la
politique de cohésion lors de la dernière négociation, dans la mesure où un certain nombre
d’Etats-Membres voyaient cette politique surtout comme un moyen de rééquilibrage
économique, en supposant que la convergence économique et sociale entraînerait
automatiquement une plus grande cohésion à l’échelle européenne.
2. La recherche prioritaire d’une véritable cohésion de l’Union européenne, économique,
sociale et territoriale, telle que redéfinie dans le Traité, et mesurée non seulement en
termes de convergence de revenus et de niveaux de vie, mais aussi et surtout en termes de
partage de valeurs, d’identité européenne, de cohésion politique…
On l’a vu à la lumière des évènements récents, pour les citoyens, le sentiment de cohésion passe
notamment par un espace sécuritaire, des valeurs démocratiques partagées (qui ne se limitent
pas à la règle de la majorité, et incluent le respect des minorités…), un positionnement cohérent
sur la laïcité et la liberté d’expression, une certaine vision de la solidarité et notamment de la
sécurité sociale, des règles équitables d’un bout à l’autre de l’Union européenne en termes de
services publics, de concurrence ou de fiscalité…La cohésion n’est pas tant l’égalité de revenus
que l’égalité de traitement, la cohérence des règles, un espace sécurisé, et le sentiment d’une
certaine forme de justice applicable à tous…
Le problème est que la panne relative de la construction européenne en termes d’identité politique a eu
tendance à réduire de plus en plus la politique de cohésion à la première approche, se résumant, faute
d’un travail conceptuel renouvelé, à un instrument technico-financier complexe, perçu comme
technocratique, soutenant des politiques peu visibles et souvent sectorielles, connues et défendues
seulement par les initiés et par les ministères nationaux, plus souvent soucieux cependant d’optimiser
les retours financiers de l’Union Européenne et de s’approprier le bénéfice de ces financements que de
défendre des valeurs communes …
A sa création, la politique de cohésion était très innovante, relativement souple, liée à une vision assez
novatrice du développement régional à l’échelle européenne, et elle a contribué à faire naître des
initiatives intéressantes tant en termes de développement intégré, de politique urbaine, de coopération
territoriale, tout en favorisant une certaine forme de décentralisation régionale… Ne faudrait-il pas
qu’elle se remette en question dans ses objectifs fondamentaux, en intégrant le contexte mondial
d’aujourd’hui et les nouvelles attentes des citoyens européens? Le niveau d’adhésion des citoyens à
l’idée européenne dans les différents Etats-Membres n’est-il pas un indicateur aussi significatif de la
cohésion à l’échelle européenne que la convergence économique ?
Ne faudrait-il pas se pencher à nouveau sur les fondamentaux de cette politique, sans à-priori ni réflexes
d’autosatisfaction, en engageant des travaux de réflexion et de recherche susceptibles de conduire à de
nouvelles approches, visant notamment à réduire les inégalités ressenties, les écarts intercommunautaires, les sentiments d’exclusion, et de construire au contraire un ensemble de valeurs
partagées, définies en commun, et expliquées à tous les citoyens européens comme constitutifs d’une
appartenance à un grand ensemble politique. Ne faudrait-il pas par exemple impliquer davantage la
politique de cohésion dans certains volets des politiques d’éducation, au sens de l’apprentissage de
valeurs communes, de la vie en société, de l’écoute et de la tolérance, de la démocratie… (en sortant un
peu du côté élitiste du programme ERASMUS, quel que soit son intérêt)?
Sur le plan territorial, l’Union Européenne a compris avec l’exemple de l’Ecosse et les débats en
Catalogne notamment qu’elle ne pouvait pas encourager sans dommages les autonomies ou recherches
d’indépendance régionale sur la base d’approches communautaires, linguistiques ou culturelles ; elle ne
sortira pas non plus grandie du renforcement d’Etats-Nations cherchant à recréer sur des bases
historiques ou ethniques des entités politiques du passé… Elle doit tout au contraire bâtir une
communauté d’idées et de valeurs dans lesquelles se retrouveront tous les citoyens européens, sans
avoir à se protéger derrière leurs administrations et institutions nationales ou régionales…
Plus généralement, au-delà des risques politiques, l’approche identitaire (pour ne pas dire
communautaire) du développement territorial est-il réellement porteur d’une plus grande efficacité, du
fait de la plus grande cohésion locale, régionale ou nationale, ou au contraire, en favorisant le repli sur
un environnement proche et sécurisant, n’est-elle pas contradictoire avec la valorisation de la diversité,
le choc des idées et l’échange d’expériences, qui à l’échelle historique ont souvent constitué la base de
la créativité et de l’évolution des sociétés ? Cette question de l’identité territoriale vaut d’ailleurs aussi
bien au niveau national quand il s’agit de redéfinir les contours des régions ou des métropoles…
Il n’est pas question ici de critiquer le travail accompli ou de nier la convergence des idées que la
politique de cohésion a permise depuis des décennies, surtout au niveau des élites et des
administrations ; mais il est grand temps de refonder les valeurs qui doivent inspirer pour le futur et
notamment pour la prochaine génération de programmes cette grande politique, en passant à la vitesse
supérieure en termes de construction de l’identité européenne, et en visant l’ensemble de la population
européenne. Du fait de sa définition intersectorielle, de sa souplesse et des réseaux dont elle dispose,
elle est sans doute la seule à pouvoir promouvoir une nouvelle vision et à créer les conditions à moyen
terme d’une nouvelle ambition pour l’Union européenne, à condition de se mettre au travail dès
maintenant, en termes de recherche, d’études et d’expérimentation, pour définir précisément les
objectifs et imaginer les moyens d’y parvenir…
Vincent LE DOLLEY est un haut fonctionnaire français, spécialisé dans le
développement territorial et la politique de Cohésion de l’Union européenne. Pendant 7 ans il a été conseiller à la
DATAR (administration du Premier ministre) en tant que conseiller, chargé de diriger les négociations des contrats de
projet Etat-régions, de la mise en place de la politique de cohésion en France, et plus généralement de la conception
de politiques de développement économique et social des régions. Auparavant, il a été directeur régional et
départemental de l’agriculture et de la forêt. Ancien élève de l’école polytechnique, Vincent Le Dolley est ingénieur
général des ponts, des eaux et forêts. Il a participé, en tant que chef de composante, au jumelage de l’Union
Européenne entre la France, la Roumanie et la Moldavie pour le renforcement des capacités administratives du
ministère du développement régional et de la construction de Moldavie.
Référence: « Les Contrats de projet Etat-région » – DATAR- collection « Territoires en mouvement. » La
Documentation Française – Octobre 2007.