139 Mise au point Évaluation des réseaux de santé en France F. Noguès, E. Noguès Société Metys, Paris i François Noguès - 52, avenue de la Motte-Picquet - 75015 Paris - E-mail : [email protected] L es réseaux de santé ont connu un regain d’intérêt en France il y a une vingtaine d’années dans le domaine de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Cette pathologie en effet a révélé les limites du système de santé en France, en particulier la difficulté, pour les patients, d’accéder à une prise en charge médicale globale curative, préventive, éducative et sociale. Dès 1985, les réseaux ont semblé permettre de promouvoir des recommandations de bonnes pratiques sans cesse évolutives, une prise en charge pluridisciplinaire intégrant les aspects préventifs et sociaux, une meilleure orientation et surtout une continuité des soins chez ces patients. Résumé Au-delà du VIH, des stratégies en réseau ont été développées dans d’autres situations pour promouvoir la qualité des soins, pour développer la prévention et pour mobiliser les ressources sanitaires et sociales autour des besoins des patients en particulier des personnes toxicomanes et/ou en situation de précarité [1], puis des personnes âgées [2]. Des réseaux spécialisés par pathologie ont également été créés notamment en cancérologie [3-5], pour les soins palliatifs [6] et le diabète [7,8]. La recherche de prise en charge globale du patient et de coordination entre un système sanitaire, différencié, professionnalisé, fondée sur des droits et Abstract L’article L.6321-1 du Code de santé publique énonce que « les réseaux de santé ont pour objet de favoriser l’accès aux soins, la coordination, la continuité ou l’interdisciplinarité des prises en charge sanitaires (…) et assurent une prise en charge adaptée aux besoins de la personne tant sur le plan de l’éducation à la santé, de la prévention, du diagnostic que des soins (…) ». Les réseaux de santé sont majoritairement financés par l’Assurancemaladie et l’État. Leur évaluation réglementaire triennale définie par une circulaire du 3 mars 2007, se heurte aux objectifs parfois mal définis ou contradictoires des réseaux, au contexte culturel, à l’instabilité et la complexité de l’environnement réglementaire, à la méconnaissance des règles d’évaluation récentes et précipitées en France, et souvent sans formation, à des décideurs publics non préparés. Ainsi, les évaluations des réseaux restent souvent incomplètes. Elles devraient porter sur l’amélioration de la qualité de la prise en charge du patient, c’est-à-dire du service rendu (output). En pratique, l’évaluation se limite souvent aux ressources disponibles, aux activités et aux pratiques, sans apprécier l’impact en termes de santé publique. L’évaluation médico-économique est rare. La pertinence, la viabilité et la reproductibilité des réseaux ne sont pas évaluées. Différentes raisons pour lesquelles les textes ne sont pas appliqués sont évoquées : facteurs culturels, mode de détermination des objectifs, absence de communication, périodes évaluées, limites de l’évaluation interne, faisabilité de l’évaluation économique, problématique liée à l’indépendance des prestataires. Les aménagements apportés à l’application des textes, les solutions de remplacement mises en place et la question de la survie des réseaux dans ce contexte sont également abordés. Assessment of the health networks in France Mots-clés : Évaluation – Réseau de Santé. Keywords: Assessment – Heath Network. Risques & Qualité • 2009 - Volume VI - N°3 The L.6321-1 article of the French Public Health Code states that “the purpose of health networks is to promote the access to healthcare, the coordination, the continuity or interdisciplinarity of healthcare (…) and provide care adapted to the needs of the person regarding health education, prevention, diagnosis and healthcare (…)”. The health networks are mainly financed by the Health Insurance and the State. Their triennial regulatory assessment defined by the circular of the 3rd March 2007 comes up against the objectives of the networks that are some times not very well defined or contradictory, against the cultural context, the instability and the complexity of the regulatory environment, the ignorance of the recent and rushed assessment rules in France, and often with no training, and against public decisionmakers who are not prepared. Therefore the network assessments are often incomplete. They should be aimed at improving the quality of patient treatment, that is the service provided (output). In practice, the assessment is often limited to the available resources, the activities and the practices without estimating the impact in terms of public health. Medico-economical assessment is rare. The relevance, the viability and the reproducibility of the networks are not assessed. Different reasons of why the texts are not applied are presented: cultural factors, objective determination method, absence of communication, assessed periods, limits of internal assessment, feasibility of economic assessment, set of issues related to the independence of the providers. The adjustments made for the application of the texts, the replacement solutions set up and the question of the survival of the networks in this context are also mentioned. 140 Évaluation des réseaux de santé en France un système social, local, moins professionnalisé et au financement précaire n’est pas spécifique à la France et d’autres pays en Europe ont dû y faire face. Deux solutions sont envisageables pour y répondre : •une intégration verticale ou horizontale : tous les services sont produits par une seule organisation stable et/ou une autorité décideuse comme dans le cadre des Health Maintenance Organisation (HMO) aux États-Unis, ou •une coordination de divers services et un travail en réseau, ce qui a été retenu en France [9]. Mais il faudra attendre 1996 et surtout 2002 pour que le législateur différencie le terme « Réseau de santé » de « Réseau de soins », et établisse un cadre juridique pour l’évaluation. Les réseaux de santé en France Historique Les réseaux ont été créés pour répondre aux difficultés de la prise en charge coordonnée des patients, entre soins de ville et à l’hôpital et avec le secteur médicosocial, essentiellement pour trois raisons [10] : • le décalage entre les pratiques réelles et les recommandations sur l’organisation des soins autour du patient ; • l’insuffisance des prises en charge pour certaines maladies chroniques en termes de prévention, d’éducation thérapeutique et de soutien au malade et à son entourage ; • la part importante de l’hospitalisation dans le coût global des soins, notamment liée aux accueils en urgence, ou au manque de places pour une prise en charge effective dans la durée. Quatre étapes ont marqué l’évolution des réseaux de santé [11] : • des réseaux de professionnels ont d’abord été créés de façon informelle pour certaines pathologies (dont le VIH) nécessitant une prise en charge aussi bien sanitaire que sociale des patients [12,13] ; • le financement public de projets de coordination des soins en ville, à partir du constat d’un manque de collaboration entre les hôpitaux et les médecins libéraux, a représenté une deuxième étape ; • la création des réseaux comme structures légales d’organisation des soins a constitué une avancée : les articles 29 et 30 de l’ordonnance n° 96-346 du 24 avril 1996 [14] (articles L712-3-2, L712-3-3 et L712-3-4 du Code de la santé publique) stipulaient en effet que : « Les établissements de santé peuvent constituer des réseaux de soins spécifiques à certaines installations et activités de soins… ou à certaines pathologies » ; • enfin la loi du 4 mars 2002 dite « du droit des patients » [15] a constitué la dernière étape, notamment le titre III chapitre 5, articles 84 et suivants, qui définissent les réseaux de santé et leur fonctionnement actuels. Les réseaux de soins dont les réseaux ville-hôpital évoqués plus haut ont alors été regroupés sous la dénomination de « réseau de santé » et considérés comme des expérimentations dans le cadre de deux dispositifs de cofinancement public, gérés au niveau régional : •le Fonds d’aide à la qualité des soins de ville (FAQSV) créé pour une durée de cinq ans à compter du 1er janvier 1999 et prolongé jusqu’au 31 décembre 2006 par la loi de financement pour 2002 [16] ; • la Dotation régionale de développement des réseaux (DRDR) créée par un décret du 25 octobre 2002 [17]. En 2002, les pouvoirs publics ont affiché clairement leur intention de développer les réseaux sur l’ensemble du territoire, en s’appuyant sur l’extension des « réseaux qui réussissent » : coordination des acteurs et intégration des outils comme le système d’information ou le dossier médical personnel (DMP), nécessaires aux échanges à l’intérieur des réseaux. Enfin, les résultats des évaluations médico-économiques étaient attendus avant une généralisation des réseaux. Depuis mi-2007 [18,19] les dispositifs FAQSV et DRDR ont eux-mêmes été supprimés – et remplacés par un Fonds d’intervention pour la qualité et la coordination des soins (FIQCS) géré désormais dans chaque région par la Mission régionale de santé réunissant l’Agence régionale de l’hospitalisation (ARH) et l’Union régionale des caisses d’assurance-maladie (URCAM). L’instabilité permanente de l’environnement institutionnel des réseaux depuis 2002 a eu un impact direct sur leur fonctionnement. Qu’est ce qu’un réseau de santé ? Le réseau de santé est une dénomination introduite par le Code de la santé publique (CSP) en 2002. L’article L.6321-1 CSP énonce que « les réseaux de santé ont pour objet de favoriser l’accès aux soins, la coordination, la continuité ou l’interdisciplinarité des prises en charge sanitaires (…) et assurent une prise en charge adaptée aux besoins de la personne tant sur le plan de l’éducation à la santé, de la prévention, du diagnostic que des soins (…) ». Le réseau de santé n’est ni un réseau de soins, ni un établissement de soins. Il vise une meilleure coordination de l’offre de soins par la combinaison des approches verticales (filières de soins) et horizontales (services de proximité). « Ils répondent à un besoin de santé identifié, dans une aire géographique définie, pour une pathologie et/ou des pathologies et/ou une population déterminée » [20]. Le positionnement des réseaux de santé est ambivalent dès l’origine. Selon les périodes, les réseaux de santé, créés à l’initiative de médecins ou de professionnels de santé et gérés par eux, ont pu ou non organiser des soins, ce qui pose des problèmes pour l’évaluation : la circulaire de 2002 [20] fonde l’action Risques & Qualité • 2009 - Volume VI - N°3 Évaluation des réseaux de santé en France des réseaux autour de la coordination administrative et médicale, impliquant que la vocation des réseaux de santé n’est pas de produire des soins. Dans le même temps, les réseaux constituent un cadre habilité à définir, mettre en place et rémunérer des soins ne figurant pas dans la nomenclature de l’assurancemaladie : « Rémunérations spécifiques » pour les médecins ou « Prestations dérogatoires » pour les autres professionnels de santé [21]. Son évaluation pose nombre de questions, dont celle de pratiquer des tarifs différents pour des actes de même nature. De plus, les réseaux peuvent être agréés par la Haute autorité de santé (HAS) pour évaluer les pratiques professionnelles des médecins (EPP), cette évaluation ayant été imposée récemment à tous les médecins [22]. Le réseau, qui ne doit pas réglementairement assurer de soins, est ainsi autorisé à élaborer et à mettre en œuvre ses propres protocoles de soins et à organiser ses propres formations afin de procéder à l’évaluation des pratiques. Financement des réseaux Les réseaux sont constitués le plus souvent sous forme d’associations dans lesquelles le bénévolat représente une partie important des ressources dont la valeur n’est souvent pas chiffrée. Plus rarement ils sont organisés sous forme de groupement de coopération sanitaire, de groupements d’intérêts publics bien que cela soit possible depuis 2003 [23]. Les procédures administratives imposées aux réseaux sont complexes. Les différents dispositifs de financement sont disparates et cloisonnés ce qui oblige les promoteurs des réseaux à solliciter de multiples sources. Généralement, les financements font l’objet de conventions, mais chaque financeur impose son propre cahier des charges au réseau et à son évaluateur. Ainsi, les réseaux de santé apparaissent comme des structures récentes, dont l’environnement réglementaire est instable et complexe, bénéficiant de multiples sources de financement et devant atteindre des objectifs contradictoires. Évaluation réglementaire des réseaux de santé en France Contexte réglementaire Deux organismes ont principalement défini les modalités d’évaluation externe des réseaux de santé en France : • la HAS, responsable de l’évaluation de la qualité des soins : référentiels, procédures (exemple : certification des établissements de santé), • la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS). Selon les cas, l’évaluation est conçue comme un moyen de faire progresser les réseaux, (pour la HAS) ou bien comme un moyen de sanction (pour la Risques & Qualité • 2009 - Volume VI - N°3 DHOS), une évaluation défavorable se traduisant par un arrêt du financement. Les principaux textes sur lesquels s’appuie l’évaluation externe sont : •le Guide d’évaluation des réseaux de santé publié en septembre 2004 par l’Agence nationale pour l’accréditation et l’évaluation en santé (ANAES), devenue la Haute Autorité de santé (HAS) [24] après deux versions préliminaires [25,26] ; • le décret n° 2002-1463 du 17 décembre 2002 relatif aux critères de qualité et conditions d’organisation, de fonctionnement ainsi que d’évaluation des réseaux de santé [27] ; • la circulaire du 2 mars 2007 relative aux orientations de la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS) et de la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAMTS) en matière de réseaux de santé et à destination des Agences régionales de l’hospitalisation (ARH) et des Unions régionales des caisses d’assurance-maladie (URCAM) [28] ; • la circulaire du 19 décembre 2002 relative aux réseaux de santé [20]. Dans le même temps, différents guides méthodologiques ont été publiés afin de guider, de façon concrète les promoteurs de réseaux [29-32]. Les principaux domaines de l’évaluation externe Le choix de l’évaluateur dépend désormais d’un appel d’offres au niveau régional, afin de garantir son indépendance vis-à-vis de la structure évaluée, ce qui garantirait la validité de l’évaluation ; l’évaluateur était précédemment choisi par les réseaux eux-mêmes sous le contrôle de l’assurance-maladie. Des référentiels nationaux par pathologies définis comme des cahiers des charges qui s’imposeront désormais aux réseaux ont été publiés pour la périnatalité et la gérontologie. La circulaire du 2 mars 2007 [28] confie la responsabilité de l’évaluation externe à l’assurance-maladie. La méthodologie générale y est exposée et s’appuie sur l’évaluation interne ou auto-évaluation effectuée en principe par le réseau pendant les trois années écoulées, ce qui n’est pratiquement jamais le cas, et a fortiori pour la période antérieure à la parution du décret. La circulaire précise que l’évaluation externe doit commencer six mois avant la fin de la période de financement, et la remise du rapport d’évaluation doit intervenir trois mois au plus tard avant la fin de cette même période. Les périodes de financement étant généralement calées sur la fin de l’année civile, l’évaluation de tous les réseaux de France devrait intervenir en juillet, août et septembre de chaque année. « Le rendu des résultats d’évaluation doit permettre un temps d’analyse et l’anticipation des décisions financières. » Il y a donc un lien direct entre évaluation et financement d’où l’importance reconnue désormais à l’évaluation qui constitue un des critères de renou- 141 142 Évaluation des réseaux de santé en France vellement de l’enveloppe attribuée au réseau ou de son ajustement L’évaluation doit tenir compte de l’environnement des réseaux, notamment des études, expérimentations, plans et actions de santé publique en vigueur afin de les intégrer dans les recommandations proposées [33,34]. Enfin, un système de cotation doit permettre une consolidation des résultats au niveau national. Le cahier des charges national de ce nouveau système vient d’être publié (Cahier des charges de l’évaluation de la plus-value médico-économique du modèle organisationnel des réseaux de santé DHOS-CNAMTS marché n° II/6/2009/MA/115). Enfin quatre champs d’évaluation sont définis : •l’organisation et le fonctionnement des réseaux, •la participation et l’intégration des acteurs, •la prise en charge des patients et l’impact sur les pratiques professionnelles, •la dimension médico-économique [35,36] et la distinction entre efficacité et efficience. L’évaluation externe ne doit pas faire de recommandations mais adopter plutôt une position d’observation. Limites de l’évaluation externe prévue par les textes La circulaire est une première tentative pour introduire en France l’évaluation des résultats par rapport aux attentes initiales, dans la continuité de la loi de finance du 1er août 2001 [37] qui organise la réforme de l’état, et est généralisée à toute l’administration en 2006. L’évaluation de la performance d’une organisation porte sur : • l’efficacité : rapport entre les résultats obtenus et les objectifs prédéterminés. Ainsi, organisation est efficace si elle permet de réaliser entièrement l’objectif initial ; • l’efficience : rapport entre les résultats obtenus et les ressources utilisées pour les atteindre ; • l’impact sur l’état de santé de la population mesure si les services reçus par les patients ont eu un effet plus large sur d’autres personnes dans le secteur, la région ou le pays ; • la pertinence : Le réseau répond-il aux difficultés identifiées dans la prise en charge des patients concernés ? • la viabilité (ou pérennité) : les résultats positifs du projet sont-ils susceptibles de perdurer au-delà des financements externes ? • la reproductibilité vise à apprécier la possibilité d’étendre le dispositif à d’autres sites et d’autres acteurs pour d’autres patients. Un réseau de santé reçoit des ressources financières et bénéficie de contributions en nature (mise à disposition de personnels, de locaux), recrute des professionnels et met en place des procédures internes pour former des professionnels de santé et coordonner leurs interventions (services rendus) afin d’assurer une prise en charge globale du patient et améliorer la qualité des pratiques professionnelles (objectif). Le résultat à atteindre est une amélioration de l’état de santé des patients (efficacité), à un coût constant voire moindre, comparativement à des interventions alternatives (efficience), de telle sorte que si l’expérience perdure et se diffuse, le système de soins sera plus efficace et moins coûteux pour la collectivité (à long terme). Cependant d’après la circulaire de mars 2007 [28] certains critères n’ont pas à être évalués, et d’autres critères pourtant requis d’après le cahier des charges ne sont pas évalués : • la pertinence des réseaux est difficile à apprécier, parce que les objectifs de santé publique sont peu formalisés ou non hiérarchisés. De plus, chaque réseau de santé a mis en œuvre des actions spécifiques, ce qui rend impossible leur évaluation consolidée au niveau régional et interdit la comparaison avec des prises en charge alternatives des patients ; • les réseaux peinent à trouver des financements externes et restent dépendants de l’assurance-maladie, elle-même en difficulté financière. La viabilité est donc nécessairement aléatoire ; • la reproductibilité des actions des réseaux qui « réussissaient » est également problématique, parce que les évaluations sont partielles, et ne couvrent pas tous les critères, et que les réseaux sont récents, pour la plupart gérés par leurs promoteurs qui n’ont pas pensé à l’avenir de leurs actions ; • enfin, les évaluations médico-économiques ne sont pratiquement jamais réalisées bien que requises dans la circulaire, et sont dans bien des cas hors de portée. Ainsi l’évaluation de l’impact et de la pertinence des réseaux est supposée intervenir dans le renouvellement des financements alors que ces critères ne sont pas ou peu évalués. Mutation dans l’approche de l’évaluation réglementaire Limites de l’évaluation réglementaire Plusieurs facteurs font obstacle à l’évaluation externe des réseaux : Le facteur culturel En France, les relations entre les acteurs ont une connotation affective, ce qui rend difficile d’évaluer de façon rigoureuse un réseau. De même quand le réseau est lié à une institution connue, nationale ou régionale, avec laquelle le financeur entretient des relations régulières, une évaluation négative n’est pas acceptée car potentiellement conflictuelle. Le mode de détermination et le niveau des objectifs sont eux aussi source de difficultés •Les objectifs du réseau sont souvent imposés par le financeur, pour des raisons réglementaires, d’op- Risques & Qualité • 2009 - Volume VI - N°3 Évaluation des réseaux de santé en France portunité ou administratives. Les signataires de la convention de financement ne croient pas en fait à la possibilité de les atteindre. Ainsi par exemple, l’utilisation d’un dossier informatisé est obligatoire, mais peu de réseaux en disposent ou l’utilisent dans les conditions requises. De fait, tout ou partie des activités du réseau est exclu du champ de l’évaluation, fussent-elles essentielles. •Les résultats de l’action d’un réseau dépendent de facteurs exogènes ou sur lesquels il n’a pas d’influence : certains réseaux se voient attribuer des objectifs cliniques concernant les patients qu’ils prennent en charge, alors même que les médecins et les établissements qui les soignent déclarent ces objectifs hors d’atteinte. Les moyens alloués ne sont pas affectés, ou affectés tardivement, ou encore réduits en cours d’année sans préavis. Dans la pratique, la plupart des éléments de la négociation budgétaire des réseaux leur échappent. Ainsi la période de financement en principe de trois ans est en fait mise en œuvre sur des durées bien inférieures. Certains réseaux sont financés par des acomptes, dans l’attente d’une décision sur leur budget. De façon générale, les financeurs ont des contraintes d’enveloppe, d’où l’attribution de budgets forfaitaires sans lien direct avec les objectifs à atteindre par le réseau. En pratique, les décisions conduisent à des crédits « fléchés » ligne à ligne, pour des périodes courtes. Il est difficile de réaménager les postes budgétaires en fonction des réalités, sans autorisation du financeur. Dans ces conditions que va-t-on évaluer : la demande du réseau ou la décision du financeur ? De la même façon, des mesures de réduction budgétaire sont souvent prises en cours d’exercice, sans que les conséquences en soient mesurées, et sans que le réseau ne soit consulté. Les résultats sont cependant fortement influencés par ces mesures qui entraînent, par exemple, le départ de certains professionnels de santé, voire la suppression de leur poste. L’absence de transparence et de publicité Si les appels d’offres sont publiés, il est difficile de savoir qui les a gagnés et dans quelles conditions. De la même façon, les rapports d’évaluation sont peu ou pas diffusés. Une application des textes aménagée La moitié des régions a lancé des appels d’offres, sur des bases différentes, alors que les autres sont en position d’attente. La solution pour l’instant est de reprendre l’ancien système, mais piloté par le financeur, donc de conduire une évaluation réseau par réseau (ou par petits groupes) pour ceux qui arrivent à l’échéance triennale. Un cahier des charges s’inspirant de la circulaire, mais appliqué à un ou deux réseaux sert de base à un appel d’offres. En fonction du budget prédéfini et des réponses des prestataires, Risques & Qualité • 2009 - Volume VI - N°3 une négociation vise un contenu et une méthodologie « sur mesure » : • sur des périodes déterminées allant d’un an à trois ans ; • sur des critères déterminés : soit en retenant la configuration de la circulaire (une équipe pluridisciplinaire d’évaluation pour tous les critères), soit en retenant plusieurs prestataires pour le même réseau (un pour l’évaluation médicale, un autre pour l’évaluation économique etc.) ; • avec ou sans évaluation économique : les cahiers des charges vont d’une simple analyse des coûts du réseau à une évaluation complète telle que demandée dans la circulaire. Sur ces bases, la région Ile-de-France a organisé une audition de quelques prestataires présélectionnés et de représentants de réseaux de santé pour prendre en compte leur point de vue, avant de rédiger les cahiers des charges de l’évaluation. Elle n’a, à ce jour, procédé à aucune évaluation. Conclusion Ces limites dans l’évaluation externe des réseaux de santé présentent de nombreux inconvénients pour les réseaux, car leurs échéances de financement sont courtes et tant que le nouveau système n’est pas en place, des systèmes substitutifs sont utilisés : • audition du réseau par le financeur : à la date de renouvellement, une sorte « d’examen de passage » est organisée par la Mission régionale de santé (MRS). Le réseau présente un rapport d’activité détaillé et doit répondre immédiatement aux questions qu’on lui pose. La décision de financement est prise ensuite sur cette base ; • organisation d’un « audit » du réseau : la MRS délègue une ou deux personnes de son choix (sans critères connus) pour réaliser un audit sur une ou deux journées. Le rapport synthétique recommande ou non la poursuite du financement. Les décideurs ne sont pas tenus de suivre l’avis des auditeurs. On est loin de l’évaluation comme mesure de l’impact des politiques publiques, et l’indépendance des conclusions peut être discutée. Dans cette situation transitoire, certains réseaux présentent un rapport d’évaluation externe. À ce jour il est difficile de dire quel sera le poids de ces rapports, si l’audition ou l’audit aboutit à des conclusions différentes. Certains réseaux ont d’ailleurs été dispensés d’évaluation, dans l’attente de décisions, ce qui peut poser problème en cas de désaccord avec le financeur sur telle ou telle partie de l’évaluation. Ceux qui bénéficient d’un accompagnement peuvent documenter leur dossier, mettre en évidence des faits, mais également montrer qu’ils ont su adapter le réseau à ces constats. Il serait important de développer la formation des réseaux à l’évaluation interne, en termes de procédures et de moyens. 143 144 Évaluation des réseaux de santé en France Remerciements Isabelle Plu, Juliette Gueguen, Christian Hervé, laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale, faculté de médecine des saints-Pères, 45 rue des saints-Pères, 75015 Paris Références bibliographiques 1- P oirson M. Faire tomber les murs...construire des ponts...: expérience et réflexion à partir d’une participation au réseau VIH et toxicomanie des quartiers nord de Marseille. Prévenir 1999; 36: 141-152. 2- Leroux P, Dubourg D. Création d’un réseau gérontologique, joies et difficultés d’une aventure. Gerontol Soc 2002; 100: 111-122. 3- Jouveshomme S. Évaluation d’un réseau de soins local de cancérologie (I). L’expérience du réseau de cancérologie des Yvelines nord (RCYN). Rev Prat Med Gen 2006; 746747(1168-1169). 4- Jouveshomme S. Évaluation d’un réseau de soins local de cancérologie (II). 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